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Les Cent Jours (2/2): Mémoires pour servir à l'histoire de la vie privée, du retour et du règne de Napoléon en 1815.

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Il était une heure: ce fut quelques momens auparavant qu'une dépêche interceptée apprit à l'Empereur l'arrivée prochaine de trente mille Prussiens, commandés par Bulow[46].

Napoléon pensa que la force de ce corps, dont quelques éclaireurs avaient paru sur les hauteurs de Saint-Lambert, était exagérée; et persuadé d'ailleurs que l'armée de Grouchy le suivait, et qu'il allait se trouver entre deux feux, il ne s'en inquiéta que légèrement: cependant, plutôt par prévoyance que par crainte, il donna l'ordre au général Domont de se porter, avec sa cavalerie et celle du général Suberwick, au-devant des Prussiens, et prescrivit au comte de Lobau de se mettre en mesure de soutenir le général Domont, en cas de besoin. Des ordonnances furent expédiées en même tems au maréchal Grouchy, pour l'informer de ce qui se passait, et lui enjoindre de nouveau de hâter sa marche, de poursuivre, d'attaquer et d'écraser Bulow.

Notre armée se trouvait donc réduite, par la distraction des divisions Domont et Suberwick, et par la paralysation du sixième corps, à moins de cinquante-sept mille hommes: mais elle montrait tant de résolution, que l'Empereur ne douta point qu'elle ne fût suffisante pour battre les Anglais.

Le deuxième corps (je l'ai déjà dit) était parvenu à débusquer les Anglais des bois d'Hougoumont; mais le premier corps, malgré le jeu continuel de plusieurs batteries, et la résolution de notre infanterie et de la cavalerie légère des généraux Lefêvre-Desnouettes et Guyot, n'avait pu forcer ni la Haie-Sainte, ni Mont-Saint-Jean. L'Empereur ordonna au maréchal Ney d'entreprendre une nouvelle attaque, et de la faire soutenir par quatre-vingts pièces de canon. Un feu terrible de mousqueterie et d'artillerie s'engagea dès-lors, sur toute la ligne. Les Anglais, insensibles au danger, supportaient les charges de notre infanterie et de notre cavalerie avec une grande fermeté; plus ils montraient de résistance, plus nos soldais s'acharnaient au combat. Les Anglais, enfin, repoussés de position en position, évacuèrent la Haie-Sainte et Mont-Saint-Jean, et nos troupes s'en emparèrent aux cris de vive l'Empereur!

Le comte d'Erlon envoya sur-le-champ, pour les y maintenir, la seconde brigade du général Alix. Un corps de cavalerie anglaise lui coupa le passage, la mit en désordre, et se jetant ensuite sur nos batteries, parvint à désorganiser plusieurs pièces. Les cuirassiers du général Milhaud partirent au galop, pour repousser la cavalerie des Anglais. Une nouvelle division des leurs vint se jeter sur nos cuirassiers. Nos lanciers et nos chasseurs furent envoyés à leur secours. Une charge générale s'engagea, et les Anglais, rompus, culbutés et sabrés, furent forcés de se replier en désordre.

Jusqu'alors, l'armée française, ou pour mieux dire les quarante mille hommes des généraux Reille et d'Erlon, avaient obtenu et conservé une supériorité marquée. L'ennemi, rebuté, paraissait incertain de ses mouvemens. On avait remarqué des dispositions qui semblaient annoncer une prochaine retraite. L'Empereur, satisfait, répétait avec joie: «Ils sont à nous, je les tiens;» et le maréchal Soult et tous les généraux regardaient, comme lui, la victoire assurée[47].

La garde avait déjà reçu l'ordre de se mettre en mouvement pour occuper le terrain que nous avions conquis, et achever l'ennemi, lorsque le général Domont fit prévenir l'Empereur que le corps de Bulow venait d'entrer en ligne et s'avançait rapidement sur les derrières de notre droite. Cet avis changea la résolution de Napoléon; au lieu de se servir de sa garde pour soutenir les 1er et 2e corps, il la tint en réserve, et fit ordonner au maréchal Ney, de se maintenir dans les bois d'Hougoumont, à la Haie-Sainte et à Mont-St.-Jean, jusqu'à ce que l'on eût connu l'issue du mouvement qu'allait opérer le comte de Lobau contre les Prussiens.

Les Anglais, instruits de l'arrivée de Bulow, reprirent l'offensive et cherchèrent à nous chasser des positions que nous leur avions enlevées. Nos troupes les repoussèrent victorieusement. Le maréchal Ney, emporté par sa bouillante ardeur, oublia les ordres de l'Empereur. Il chargea l'ennemi à la tête des cuirassiers Milhaud et de la cavalerie légère de la garde, et parvint, au milieu des applaudissemens de l'armée, à s'établir sur les hauteurs de Mont-St.-Jean, jusqu'alors inaccessibles.

Ce mouvement intempestif et hasardeux n'échappa point au duc de Wellington. Il fit avancer son infanterie et lança sur nous toute sa cavalerie.

L'Empereur fit dire sur-le-champ au général Kellerman et à ses cuirassiers, de courir dégager notre première ligne. Les grenadiers à cheval et les dragons de la garde, soit par un mal-entendu du maréchal Ney, soit spontanément, s'ébranlèrent et suivirent les cuirassiers, sans qu'il fût possible de les arrêter. Une seconde mêlée, plus meurtrière que la première, s'engagea sur tous les points. Nos troupes, exposées au feu non interrompu de l'infanterie et des batteries ennemies, soutinrent et engagèrent héroïquement, pendant deux heures, de nombreuses et brillantes charges, dans lesquelles nous eûmes la gloire de prendre six drapeaux, de renverser plusieurs batteries et de hacher par morceaux quatre régimens; mais dans lesquelles aussi nous perdîmes l'élite de nos intrépides cuirassiers et de la cavalerie de la garde.

L'Empereur, que ce funeste engagement mettait au désespoir, ne pouvait y remédier. Grouchy n'arrivait point; et déjà, pour parvenir à maîtriser les Prussiens dont le nombre et les progrès allaient toujours croissans, il avait été forcé d'affaiblir ses réserves de 4000 hommes de la jeune garde.

Cependant, notre cavalerie, épuisée par une perte considérable et des combats inégaux sans cesse renouvelés, commençait à se décourager et à fléchir. L'issue de la bataille paraissait devenir douteuse. Il fallait frapper un grand coup par une attaque désespérée.

L'Empereur n'hésita point.

L'ordre est immédiatement donné au comte Reille de rassembler toutes ses forces et de se jeter impétueusement sur la droite de l'ennemi, tandis que Napoléon en personne va l'attaquer de front avec ses réserves.

Déjà l'Empereur disposait sa garde en colonne d'attaque, lorsqu'il apprit que notre cavalerie venait d'être forcée d'évacuer en partie les hauteurs de Mont-St.-Jean. Il ordonna sur-le-champ au maréchal Ney, de prendre avec lui quatre bataillons de moyenne garde, et de se porter en toute hâte sur le fatal plateau, pour y soutenir les cuirassiers qui l'occupaient encore.

La bonne contenance de la garde et les harangues de Napoléon enflammèrent les esprits; la cavalerie et quelques bataillons qui avaient suivi son mouvement en arrière, firent face à l'ennemi, aux cris de vive l'Empereur!

Au même moment une fusillade se fait entendre[48]. «Voilà Grouchy! s'écrie l'Empereur: la victoire est à nous.» Labédoyère vole annoncer à l'armée cette heureuse nouvelle; il pénètre, malgré l'ennemi, à la tête de nos colonnes: le maréchal Grouchy arrive, la garde va donner, du courage! du courage! les Anglais sont perdus.

Un dernier cri d'espoir part de tous les rangs; les blessés en état de faire quelques pas encore, retournent au combat; et mille et mille voix répètent à l'envi: En avant! en avant!

La colonne commandée par le brave des braves, arrivée en présence de l'ennemi, est accueillie par des décharges d'artillerie, qui lui font éprouver une perte affreuse. Le maréchal Ney, fatigué des boulets, ordonna d'emporter les batteries à la baïonnette. Les grenadiers se précipitent dessus avec une telle impétuosité, qu'ils méconnaissent cet ordre admirable qui tant de fois leur valut la victoire. Leur chef, ivre d'intrépidité, ne s'aperçoit point de ce désordre. Ses soldats et lui, abordent tumultueusement l'ennemi. Une nuée de balles, de mitraille, crève sur leurs têtes. Le cheval de Ney est tué, les généraux Michel et Friant tombent morts ou blessés; une foule de braves sont renversés. Wellington ne laisse point le tems à nos grenadiers de se reconnaître. Il les fait attaquer en flanc par sa cavalerie, et les force de se retirer dans le plus grand désordre. Au même instant, les 50,000 Prussiens de Ziethen, qu'on avait pris pour l'armée de Grouchy, enlevèrent de vive force le village de la Haie et nous repoussèrent devant eux. Notre cavalerie, notre infanterie, déjà ébranlées par la défaite de la garde moyenne, craignirent d'être coupées et se retirèrent précipitamment. La cavalerie anglaise, profitant habilement de la confusion que cette retraite inopinée avait occasionnée, se fit jour à travers nos rangs et acheva d'y semer le désordre et le découragement. Les autres troupes de la droite, qui ne résistaient déjà qu'avec une peine infinie aux attaques des Prussiens, et qui depuis plus d'une heure manquaient de munitions, voyant quelques escadrons pêle-mêle, et des hommes de la garde à la débandade, crurent que tout était perdu et quittèrent leur position. Ce mouvement contagieux se communiqua en un instant à la gauche; et toute l'armée, après avoir enlevé si vaillamment les meilleures positions de l'ennemi, les lui abandonna avec autant d'empressement, qu'elle avait mis d'ardeur à les conquérir.

L'armée anglaise qui s'était avancée à mesure que nous reculions, les Prussiens qui n'avaient point cessé de nous poursuivre, fondirent à la fois sur nos bataillons épars; la nuit augmenta le tumulte et l'effroi; et bientôt l'armée entière ne fut plus qu'une masse confuse que les Anglais et les Prussiens renversèrent sans efforts, et massacrèrent sans pitié.

L'Empereur, témoin de cette épouvantable défection, put à peine en croire ses yeux. Ses aides-de-camp coururent de tous côtés pour rallier les troupes. Lui-même se jeta au milieu de la foule. Mais ses paroles, ses ordres, ses prières, ne furent point entendus. Comment l'armée aurait-elle pu se reformer sous le canon et au milieu des charges continuelles des 80,000 Anglais et des 80,000 Prussiens qui avaient envahi le champ de bataille?

Cependant, huit bataillons que l'Empereur avait réunis précédemment, se formèrent en carrés, et barrèrent le chemin aux armées prussienne et anglaise. Ces braves, quels que furent leur constance et leur courage, ne pouvaient résister long-tems aux efforts d'un ennemi vingt fois plus nombreux. Environnés, assaillis, foudroyés de toutes parts, la plupart finirent enfin par succomber. Les uns vendirent chèrement leur vie; les autres, exténués de fatigue, de soif et de faim, n'eurent plus la force de combattre, et se laissèrent égorger sans pouvoir se défendre. Deux seuls bataillons[49], que l'ennemi n'avait pu rompre, se retirèrent en disputant le terrain, jusqu'à ce que, désorganisés et entraînés par le mouvement général, ils furent forcés eux-mêmes de suivre le torrent.

Un dernier bataillon de réserve, illustre et malheureux débris de la colonne de granit des champs de Marengo, était resté inébranlable au milieu des flots tumultueux de l'armée. L'Empereur se retire dans les rangs de ces braves, commandés encore par Cambronne! Il les fait former en carré, et s'avance à leur tête au devant de l'ennemi; tous ses généraux, Ney, Soult, Bertrand, Drouot, Corbineau, de Flahaut, Labédoyère, Gourgaud, etc., mettent l'épée â la main et deviennent soldats. Les vieux grenadiers, incapables de trembler pour leur vie, s'effrayent du danger qui menace celle de l'Empereur. Ils le conjurent de s'éloigner: Retirez-vous, lui dit l'un d'eux, vous voyez bien que la mort ne veut pas de vous. L'Empereur résiste et commande le feu. Les officiers qui l'entourent s'emparent de son cheval et l'entraînent. Cambronne et ses braves se pressent autour de leurs aigles expirantes, et disent à Napoléon un éternel adieu. Les Anglais, touchés de leur héroïque résistance, les conjurent de se rendre. Non, dit Cambronne, LA GARDE MEURT MAIS NE SE REND PAS! au même moment ils se précipitent tous sur l'ennemi, aux cris de Vive l'Empereur! On reconnaît à leurs coups les vainqueurs d'Austerlitz, de Jéna, de Wagram, de Montmirail. Les Anglais et les Prussiens, dont ils ont suspendu les chants de victoire, se réunissent contre cette poignée de héros et les abattent. Les uns, couverts de blessures, tombent à terre noyés dans leur sang. Les autres, plus heureux, sont tués; ceux enfin dont la mort trompe l'attente, se fusillent entr'eux, pour ne point survivre à leurs compagnons d'armes, ni mourir de la main de leurs ennemis.

Wellington et Blucher, devenus alors possesseurs paisibles du champ de bataille, le parcoururent en maîtres. Mais par combien de sang cet injuste triomphe ne fut-il pas acheté? Jamais, non jamais, les Français ne portèrent à leurs adversaires des coups plus formidables et plus meurtriers. Avides de sang et de gloire, méprisant les dangers et la mort, ils se précipitaient audacieusement sur les batteries enflammées de l'ennemi, et semblaient se multiplier pour aller le chercher, l'attaquer et le poursuivre dans ses inaccessibles retranchemens. Trente mille Anglais ou Prussiens[50] furent immolés par leurs mains dans cette fatale journée; et quand on pense que cet horrible carnage fut l'ouvrage de cinquante mille hommes[51] mourant de fatigues et de besoins, et luttant sur un terrain bourbeux contre une position inexpugnable et 130,000 combattans, on est saisi d'une douloureuse admiration, et l'on décerne aux vaincus la palme de la victoire.

Au moment où le corps de Bulow enfonçait notre droite, j'étais au quartier-général, à la ferme de Caillou.

Un aide-de-camp du grand maréchal vint, de sa part, prévenir le duc de Bassano que les Prussiens se dirigeaient sur ce point. Le duc, ayant reçu l'ordre de l'Empereur d'y rester, ne voulut point en sortir; et nous nous résignâmes à attendre l'événement. Bientôt effectivement des dragons ennemis s'emparèrent du petit bois qui couvrait la ferme et vinrent sabrer nos gens. Notre garde les repoussa à coups de fusil, mais revenus en plus grand nombre, ils nous assaillirent de nouveau et nous forcèrent, malgré le stoïcisme de M. le duc de Bassano, à leur céder très-promptement la place. Les voitures impériales, garnies de chevaux vigoureux, nous dérobèrent rapidement aux poursuites de l'ennemi. Le duc ne fut point aussi heureux; sa voiture, mal attelée, endura plusieurs fusillades; et il finit par être forcé de se sauver à pied et de venir se réfugier dans la mienne.

La cessation du feu, la retraite précipitée des débris de l'armée ne nous confirmèrent que trop l'issue funeste de la bataille; nous demandions de tous côtés des nouvelles de l'Empereur, et personne ne pouvait appaiser notre douloureuse anxiété: les uns nous assuraient qu'il avait été fait prisonnier, les autres qu'il avait été tué. Pour mettre fin aux inquiétudes qui nous oppressaient, je pris le cheval du chef de nos équipages; et, suivi d'un premier piqueur (nommé Chauvin), revenu avec Napoléon de l'île d'Elbe, je rebroussai vers Mont-St.-Jean. Après avoir vainement importuné de questions une multitude d'officiers, je rencontrai un page (le jeune Gudin) qui m'assura, que l'Empereur devait avoir quitté le champ de bataille. Je poussai plus loin. Deux cuirassiers, le sabre levé, m'arrêtèrent: Où vas-tu?—Je vais à la rencontre de l'Empereur.—Tu en as menti, tu es un royaliste, tu vas rejoindre les Anglais! Je ne sais comment cet incident aurait fini, si un officier supérieur de la garde, un envoyé du ciel ne m'eût heureusement reconnu et tiré d'embarras. Il m'assura que l'Empereur qu'il avait long-tems escorté, devait être en avant. Je fus retrouver le duc de Bassano. La certitude que l'Empereur était sain et sauf, allégea quelques momens notre douleur. Elle reprit bientôt toute sa force. Il aurait fallu n'être point Français, pour contempler d'un oeil sec notre épouvantable catastrophe. L'armée elle-même, revenue de ses premières impressions, oubliait les périls qui la menaçaient encore, pour méditer tristement sur l'avenir; sa marche était abattue, son regard consterné; aucune parole, aucune plainte ne venait interrompre son douloureux recueillement; on eût dit qu'elle accompagnait une pompe funèbre, qu'elle assistait aux obsèques de sa gloire et de la patrie.

La prise et le pillage des bagages de l'armée avaient suspendu instantanément la poursuite de l'ennemi. Il nous rejoignit aux Quatre-Bras, et tomba sur nos équipages. En tête du convoi marchait le trésor, et après lui notre voiture. Cinq autres voitures qui nous suivaient immédiatement, furent attaquées et sabrées. La nôtre, par miracle, parvint à se sauver. Ce fut là qu'on prit les effets d'habillement de l'Empereur, le superbe collier de diamans que lui avait donné la princesse Borghèse, et son landau échappé, en 1812, aux désastres de Moscow.

Les Prussiens, acharnés à notre poursuite, traitaient avec une barbarie sans exemple, les malheureux qu'ils pouvaient atteindre. À l'exception de quelques vieux soldats imperturbables, la plupart des autres avaient jeté leurs armes et se trouvaient sans défense; ils n'en étaient pas moins impitoyablement massacrés. Quatre Prussiens tuèrent de sang-froid le général…, après lui avoir arraché ses armes; un autre général, dont le nom n'est pas non plus présent à ma mémoire, se rendit à un officier; et cet officier eut la lâcheté, encore plus que la cruauté, de lui passer son sabre au travers du corps. Un colonel, pour ne point tomber entre leurs mains, se brûla la cervelle. Vingt autres officiers de tous grades imitèrent cet exemple. Un officier de cuirassiers, les voyant arriver, dit: «Ils n'auront ni mon cheval ni moi.» D'un coup de pistolet, il renverse son cheval, de l'autre, il se tue[52]. Mille actes de désespoir non moins héroïques illustrèrent cette fatale journée.

Nous continuâmes notre retraite sur Charleroi; plus nous avancions, plus elle devenait difficile. Ceux qui nous précédaient, soit pour arrêter l'ennemi, soit par trahison, obstruaient la route et, à chaque pas, nous étions obligés de rompre des barricades. Dans un moment de halte, j'entendis à nos côtés des cris et des lamentations. Je m'approchai, et je reconnus qu'ils partaient d'un fossé de la route, où deux immenses charretées de blessés avaient été culbutées. Ces infortunés, enfouis pêle-mêle sous les voitures renversées sur eux, imploraient la compassion des passans; et, jusqu'alors, leurs voix affaiblies et couvertes par le bruit des caissons, n'avaient point été entendues. Nous nous mîmes tous à l'ouvrage, et nous parvînmes à les arracher de leur tombeau. Quelques-uns respiraient encore. Le plus grand nombre étaient morts étouffés. La joie de ces malheureux nous toucha jusqu'aux larmes; mais elle fut de courte durée: il fallut les abandonner.

Toujours suivis et harcelés par l'ennemi, nous arrivâmes à Charleroi; il y régnait un tel encombrement, un tel désordre, que nous fûmes forcés d'abandonner notre voiture et nos bagages. Le portefeuille secret du cabinet fut enlevé par le garde du portefeuille; les autres papiers importans furent déchirés; nous ne laissâmes que des rapports et des lettres insignifiantes, qu'on a fait imprimer depuis à Bruxelles[53]. Déjà nous continuions (M. le duc de Bassano et moi) notre route à pied, lorsque j'aperçus des piqueurs menant en laisse des chevaux de main de l'Empereur; je leur ordonnai de nous les amener. Tel était le respect du duc pour tout ce qui touchait à Napoléon, qu'il hésitait à profiter de cette bonne fortune. Je parvins à vaincre ses scrupules, fort heureusement pour lui, car les Prussiens nous avaient rejoints, et le bruit des coups de fusil nous annonça qu'on était aux prises à quelques pas derrière nous.

On fut également forcé d'abandonner le trésor; l'or qu'il renfermait fut distribué aux gens de l'Empereur: tous le rapportèrent fidèlement.

L'Empereur, accompagné de ses aides-de-camp et de quelques officiers d'ordonnance, avait suivi, en quittant le champ de bataille, la route de Charleroi. Arrivé dans cette ville, il voulut essayer d'y rallier quelques troupes: ses efforts étant inutiles, il continua sa marche, après avoir donné ses ordres à plusieurs généraux.

Le comte de Lobau, les généraux de la garde Petit et Pelet de Morvan, et une foule d'autres officiers cherchèrent également à reformer l'armée. L'épée à la main, ils arrêtaient les troupes au passage et les forçaient de se ranger en bataille; à peine réunies, elles se dispersaient aussitôt. L'artillerie qu'on avait pu sauver, conserva seule inébranlablement son organisation. Les braves canonniers, attachés à leurs pièces comme des soldats à leurs drapeaux, les suivaient paisiblement. Contraints par l'encombrement de la route de s'arrêter à chaque pas, ils voyaient sans regrets s'écouler près d'eux les flots de l'armée: leur devoir était de rester à leurs pièces, et ils y restaient sans calculer que leur dévouement pourrait leur coûter la liberté ou la vie.

Le hasard nous fit prendre (à M. de Bassano et à moi) la route de Philippeville. Nous apprîmes, avec une joie dont nous ne nous croyions plus susceptibles, que l'Empereur se trouvait dans cette place. Nous courûmes près de lui. Quand il m'aperçut, il daigna me tendre la main; je la couvris de mes pleurs. L'Empereur ne put contenir lui-même sa propre émotion; une grosse larme, échappée de ses yeux, vint trahir les efforts de son âme.

L'Empereur fit expédier l'ordre aux généraux Rapp, Lecourbe et Lamarque, de se rendre à marches forcées sur Paris; et aux commandans des places fortes, de se défendre jusqu'à la dernière extrémité. Il me dicta ensuite deux lettres au prince Joseph: l'une, destinée à être communiquée au conseil des ministres, ne relatait qu'imparfaitement l'issue fatale de la bataille; l'autre, pour le prince seul, lui faisait un récit, malheureusement trop fidèle, de la déroute de l'armée. Cependant, disait-elle en finissant: «Tout n'est point perdu. Je suppose qu'il me restera, en réunissant mes forces, 150,000 hommes. Les fédérés et les gardes nationaux qui ont du coeur, me fourniront 100,000 hommes. Les bataillons de dépôt 50,000. J'aurai donc 300,000 soldats à opposer de suite à l'ennemi. J'attelerai l'artillerie avec les chevaux de luxe. Je lèverai 100,000 conscrits. Je les armerai avec les fusils des royalistes et des mauvaises gardes nationales. Je ferai lever en masse le Dauphiné, le Lyonnais, la Bourgogne, la Lorraine, la Champagne. J'accablerai l'ennemi. Mais il faut qu'on m'aide, et qu'on ne m'étourdisse point. Je vais à Laon. J'y trouverai sans doute du monde. Je n'ai point entendu parler de Grouchy. S'il n'est point pris (comme je le crains), je puis avoir dans trois jours 50,000 hommes; avec cela j'occuperai l'ennemi, et je donnerai le tems à Paris et à la France de faire leur devoir. Les Anglais marchent lentement. Les Prussiens craignent les paysans, et n'oseront point trop s'avancer. Tout peut se réparer encore; écrivez-moi l'effet que cette horrible échauffourée aura produit dans la chambre. Je crois que les députés se pénétreront que leur devoir, dans cette grande circonstance, est de se réunir à moi pour sauver la France. Préparez-les à me seconder dignement.»

L'Empereur ajouta de sa main: Du courage et de la fermeté.

Pendant que j'expédiai ces lettres, il dicta à M. de Bassano des instructions pour le major-général. Quand il eut fini, il se jeta sur un mauvais lit, et donna l'ordre de s'occuper des préparatifs de notre départ.

Une chaise de poste à moitié brisée, quelques charrettes et de la paille venaient d'être préparées (faute de mieux) pour Napoléon et pour nous; lorsque des voitures appartenant au maréchal Soult entrèrent dans la place. Nous nous en emparâmes. L'ennemi ayant déjà des coureurs du côté de Philippeville et de Marienbourg, on rassembla deux ou trois cents fuyards de toutes les couleurs pour escorter l'Empereur. Il monta en calèche avec le général Bertrand, et partit. Ce fut ainsi que Charles XII s'échappa devant ses vainqueurs, après la bataille de Pultawa.

La suite de l'Empereur fut renfermée dans deux autres calèches; l'une, dans laquelle je me trouvais, contenait M. de Bassano, le général Drouot, le général Dejean et M. de Canisy, premier écuyer; l'autre était occupée par MM. de Flahaut, Labédoyère, Corbineau, et de Bissi, aides-de-camp.

L'Empereur s'arrêta au delà de Rocroi pour prendre quelque nourriture. Nous étions tous dans un état à faire pitié; nos yeux gonflés par les larmes, nos figures décomposées, nos habits couverts de sang ou de poussière, nous rendaient pour nous-mêmes un objet de compassion et d'horreur. Nous nous entretînmes de la crise où allait se trouver l'Empereur et la France. Labédoyère, plein de la candeur que donne un coeur jeune et inexpérimenté, se persuadait que nos dangers rallieraient tous les partis, et que les chambres déploieraient une grande et bienfaisante énergie. «Il faut, disait-il, que l'Empereur, sans s'arrêter en route, se rende directement dans le sein de la représentation nationale, qu'il avoue franchement ses malheurs, et que (comme Philippe-Auguste) il offre de mourir en soldat et de remettre la couronne au plus digne. Les deux chambres se révolteront à l'idée d'abandonner Napoléon, et se réuniront à lui, pour sauver la France.»—Ne croyez point, lui répondis-je, que nous soyons encore dans ces tems où le malheur était sacré. La chambre, loin de plaindre Napoléon et de venir généreusement à son secours, l'accusera d'avoir perdu la France, et voudra la sauver en le sacrifiant.»—«Que Dieu nous préserve d'un semblable malheur! s'écria Labédoyère; si les chambres s'isolent de l'Empereur, tout est perdu. Les ennemis, sous huit jours, seront à Paris. Le neuvième nous reverrons les Bourbons; alors que deviendra la liberté et tous ceux qui ont embrassé la cause nationale? Quant à moi, mon sort ne sera point douteux. Je serai fusillé le premier.»—«L'Empereur est un homme perdu, s'il met le pied à Paris: il n'a qu'un seul moyen de se sauver, lui et la France, reprit M. de Flahaut; c'est de traiter avec les alliés et de céder la couronne à son fils. Mais pour pouvoir traiter, il faut qu'il ait une armée; et peut-être au moment où nous parlons, la plupart des généraux songent-ils déjà à envoyer leurs soumissions au Roi[54].»—«Raison de plus, dit Labédoyère, pour se hâter de faire cause commune avec les chambres et la nation, et pour se mettre en route sans perdre de tems.»—«Et moi, répliquais-je, je soutiens, comme M. de Flahaut, que, si l'Empereur met le pied à Paris, il est perdu. On ne lui a jamais pardonné d'avoir abandonné son armée en Égypte, en Espagne, à Moscow. On lui pardonnera bien moins encore de l'avoir laissée là, au centre de la France.»

Ces diverses opinions, approuvées ou condamnées, servaient d'aliment à nos discussions, lorsqu'on vint nous avertir que les Anglais étaient à la Capelle[55], à quatre ou cinq lieues de nous. On en prévint sur-le-champ le général Bertrand. Mais l'Empereur continua de causer avec le duc de Bassano, et nous eûmes mille peines à lui faire reprendre sa route.

Nous arrivâmes à Laon; l'Empereur descendit au pied de la ville. On connaissait déjà notre défaite. Un détachement de la garde nationale vint au-devant de l'Empereur. «Nos frères et nos enfans, lui dit l'officier-commandant, sont dans les places fortes, mais disposez de nous, Sire; nous sommes prêts à mourir pour la patrie et pour vous.» L'Empereur le remercia vivement. Quelques paysans nous entouraient et nous regardaient stupidement; souvent ils criaient vive l'Empereur! ces cris nous faisaient mal. Ils plaisent dans la prospérité; après une bataille perdue, ils déchirent le coeur.

L'Empereur fut informé qu'on apercevait au loin un corps de troupes assez nombreux. Il envoya l'un de ses aides-de-camp le reconnaître. C'était environ trois mille Français, infanterie et cavalerie, que le prince Jérôme, le maréchal Soult, le général Morand, et les généraux Colbert, Petit et Pelet de Morvan, étaient parvenus à rallier. «En ce cas, dit Napoléon, je resterai à Laon jusqu'à ce que le reste de l'armée soit réuni. J'ai donné l'ordre de diriger sur Laon et sur Reims tous les militaires isolés. La gendarmerie et la garde nationale vont battre la campagne et ramasser les traînards; les bons soldats se rallieront d'eux-mêmes: nous aurons, dans vingt-quatre heures, un noyau de dix à douze mille hommes. Avec cette petite armée, je contiendrai l'ennemi, et je donnerai le tems à Grouchy d'arriver, et à la nation de se retourner.» Cette résolution fut vivement combattue. «Votre Majesté, lui dit-on, a vu, de ses propres yeux, la déroute complète de l'armée; elle sait que les régimens étaient confondus, et ce n'est point en quelques heures qu'on pourra les reformer. En supposant même qu'on puisse réunir un noyau de dix mille soldats, que pourra faire Votre Majesté, avec cette poignée d'hommes, dont la plupart n'auront ni armes ni munitions? elle arrêtera les ennemis sur un point, mais elle ne pourra pas les empêcher de pénétrer sur un autre; toutes les routes leur sont ouvertes. Le corps du maréchal Grouchy, s'il a passé la Dyle, sera tombé dans les mains de Blucher ou de Wellington; s'il ne l'a point passée, et qu'il veuille opérer sa retraite sur Namur, les Prussiens arriveront nécessairement avant lui à Gembloux ou à Temploux, et lui fermeront le passage; tandis que les Anglais se porteront par Tilly et Sombref sur son flanc droit, et lui enlèveront tout espoir de salut. Votre Majesté, dans cet état de choses, ne peut donc compter raisonnablement sur le secours de son armée; elle n'en a plus. La France ne peut être sauvée que par elle-même. Il faut que tous les citoyens prennent les armes; et la présence de Votre Majesté à Paris est nécessaire, pour comprimer vos ennemis, et enflammer et diriger le dévouement des patriotes. Les Parisiens, quand ils verront Votre Majesté, n'hésiteront point à se battre. Si Votre Majesté reste loin d'eux, on fera courir mille bruits mensongers sur son compte; tantôt on dira, que vous avez été tué; tantôt, que vous avez été fait prisonnier ou que vous êtes cerné. La garde nationale et les fédérés, découragés par la crainte d'être abandonnés ou trahis, comme ils l'ont été en 1814, se battront à contre-coeur, ou ne se battront point du tout.»

Ces considérations firent changer l'Empereur de résolution. «Eh bien! dit-il, puisque vous le croyez nécessaire, j'irai à Paris; mais je suis persuadé que vous me faites faire une sottise. Ma vraie place est ici. Je pourrais y diriger ce qui se passera à Paris, et mes frères feraient le reste.»

L'Empereur alors se retira dans une autre pièce avec M. de Bassano et moi; et, après avoir expédié de nouveaux ordres au maréchal Soult sur les mouvemens et le ralliement de l'armée, il mit la dernière main au bulletin de Mont-Saint-Jean, déjà ébauché à Philippeville. Quand il fut terminé, il fit appeler le grand maréchal, le général Drouot et les autres aides-de-camp. «Voici, leur dit-il, le bulletin de Mont-Saint-Jean; je veux que vous en entendiez la lecture; si j'ai omis quelques faits essentiels, vous me les rappellerez: mon intention est de ne rien dissimuler. Il faut, comme après Moscow, révéler à la France la vérité toute entière[56]! J'aurais pu, continua-t-il, rejeter, sur le maréchal Ney, une partie des malheurs de cette journée; mais le mal est fait; il ne faut plus en parler.» Je lus ce nouveau vingt-neuvième bulletin; quelques légers changemens, proposés par le général Drouot, furent agréés par l'Empereur; mais, je ne sais par quelle bizarrerie, il ne voulait point avouer que ses voitures étaient tombées au pouvoir de l'ennemi: «Quand vous traverserez Paris, lui dit M. de Flahaut, on s'apercevra bien que vos voitures ont été prises. Si vous le cachez, on vous accusera de déguiser des vérités plus importantes; et il faut ne rien dire, ou dire tout.» L'Empereur, après quelques façons, finit par accéder à cet avis.

Je fis alors une seconde lecture du bulletin, et tout le monde étant d'accord de son exactitude, M. de Bassano l'expédia au prince Joseph, par un courrier extraordinaire.

Au moment où il parvint, Paris retentissait encore des transports d'allégresse qu'avaient fait naître la victoire éclatante de Ligny et les heureuses nouvelles reçues des armées de l'Ouest et des Alpes.

Le maréchal Suchet, toujours heureux, toujours habile, s'était emparé de
Montmélian, et de triomphe en triomphe, était parvenu à chasser les
Piémontais des gorges et des vallées du Mont-Cénis.

Le général Desaix, l'un de ses lieutenans, avait repoussé, du côté du Jura, les avant-postes ennemis, pris Carrouge, passé l'Arve, et malgré les difficultés du pays, s'était emparé en un clin d'oeil de tous les défilés.

La guerre de la Vendée avait justifié les conjectures de l'Empereur.

Le marquis de La Roche-Jaquelin, honteux de la déroute d'Aisenay, attendait avec impatience le moment de la réparer. Instruit qu'une nouvelle flotte anglaise lui apportait des armes et des munitions, il crut que l'occasion était arrivée, et fit sur-le-champ des dispositions pour favoriser le débarquement annoncé, et livrer, s'il le fallait, bataille aux Impériaux.

Ses dispositions, mal conçues, mal réglées, n'obtinrent point l'assentiment unanime de l'armée. Une partie des généraux et des troupes, déjà fatigués et rebutés par des marches et des contre-marches sans but et sans utilité, n'exécutèrent qu'à contre-coeur les ordres donnés. L'autre partie, révoquant en doute la réalité du débarquement, montrait de l'hésitation. Le corps de M. d'Autichamp, enfin, l'un des plus considérables, refusa nettement de prendre part à cette expédition aventureuse; et cet exemple qu'attendaient les autres divisions, fut bientôt imité par MM. de Sapineau et Suzannet. La Roche-Jaquelin, trop fier pour revenir sur ses pas, trop présomptueux pour apprécier le danger et la folie de ses résolutions, ne vit, dans la résistance qu'on lui avait opposée, qu'une odieuse trahison, et dans sa colère délirante, prononça en maître la destitution des généraux rebelles. Une seule division (celle de son frère) lui étant restée fidèle, il se mit à sa tête, et s'enfonça témérairement dans le Marais[57], où l'attendaient de nouveaux revers et la mort.

Le général Lamarque avait pénétré d'un coup d'oeil les desseins de son imprudent adversaire, et donné l'ordre au redoutable Travot de quitter Nantes et de se porter en toute hâte sur les derrières de l'armée royale. Ce projet hardi fut habilement exécuté. L'avant-garde de Travot renversa tout ce qui s'opposait à son passage, s'empara de St.-Gilles, repoussa la flotte anglaise et mit obstacle au débarquement. Travot, avec le reste de ses troupes, passa au même moment la rivière de Vic à Bas-Oupton, et ferma le passage à La Roche-Jaquelin. Les Vendéens, pressés de toutes parts, reculèrent et prirent position à St.-Jean-de-Mont. L'ordre fut donné au général Estève de les attaquer. Ils l'attendirent de pied ferme; mais Estève connaissant l'inexpérience de leur chef, feignit de battre en retraite. Les Vendéens, trompés, abandonnèrent leurs retranchemens protecteurs. Les Impériaux se retournèrent brusquement, et, la baïonnette en avant, eurent bientôt dispersé leurs crédules et malheureux ennemis. La Roche-Jaquelin, la tête perdue, le coeur au désespoir, courut de tous côtés donner des ordres qu'on n'entendit plus, qu'on ne voulut plus suivre, et finit enfin par se faire tuer[58].

La Roche-Jaquelin avait été, par dévouement et par ambition, le principal instigateur de cette guerre; on crut que sa mort serait suivie de la paix; mais l'annonce du prochain commencement des hostilités, ranima le courage des Vendéens, rétablit la concorde entre leurs chefs, et ils se préparèrent à de nouveaux combats.

Le général Lamarque, instruit que MM. de Sapineau, de Suzannet et d'Autichamp, s'étaient réunis pour favoriser un troisième débarquement, se mit à leur poursuite, à la tête des divisions des généraux Brayer et Travot. Il les atteignit à la Roche-Servière. Leur position paraissait inexpugnable; mais les troupes impériales, animées au combat par la nouvelle télégraphique de la bataille de Ligny, firent des prodiges de valeur; et sans leurs généraux avides du sang français, il est probable que l'armée royale, chassée de ses retranchemens, culbutée et mise en déroute, aurait été entièrement anéantie.

Cette victoire fratricide, la dernière que la France dût avoir à déplorer, ne laissa plus aux Vendéens d'autres ressources que la paix; ils la demandèrent, et quelques jours après ils l'obtinrent. Si les talens, la vigueur des généraux Lamarque, Travot, Brayer, etc., ajoutèrent un nouveau lustre à leur réputation militaire, leur modération et leur humanité leur acquirent des droits encore plus glorieux à la reconnaissance nationale. Dans des mains moins françaises, cette guerre eût couvert d'un voile funèbre les pays insurgés; dans leurs mains tutélaires, elle ne ravit à la patrie qu'un petit nombre de ses enfans.

Tant de succès réunis, accrus encore par la renommée, avaient répandu dans Paris la confiance et l'ivresse; les craintes semées par la malveillance ou conçues par l'inquiète sollicitude des patriotes, s'étaient affaiblies. On commençait à contempler l'avenir avec sécurité; on se livrait à l'espoir que la fortune allait redevenir propice à la France, quand ce rêve trompeur fut tout-à-coup interrompu par la nouvelle des malheurs de notre armée, par l'arrivée de l'Empereur.

L'Empereur, en descendant à l'Élysée, fut reçu par le duc de Vicence, son censeur dans la prospérité, son ami dans l'infortune. Il paraissait succomber à la fatigue, à la douleur; sa poitrine était souffrante, sa respiration oppressée. Après un soupir pénible, il dit au duc: «L'armée avait fait des prodiges, une terreur panique l'a saisie; tout a été perdu… Ney s'est conduit comme un fou; il m'a fait massacrer ma cavalerie… Je n'en puis plus… il me faut deux heures de repos pour être à mes affaires.» En portant la main sur son coeur, «J'étouffe là.»

Il donna l'ordre de lui préparer un bain, et après quelques momens de silence, il reprit: «Mon intention est de réunir les deux chambres en séance impériale. Je leur peindrai les malheurs de l'armée; je leur demanderai les moyens de sauver la patrie: après cela, je repartirai.»—«Sire, lui répondit M. de Vicence, la nouvelle de vos malheurs a déjà transpiré. Il règne une grande agitation dans les esprits; les dispositions des députés paraissent plus hostiles que jamais; et puisque Votre Majesté daigne m'écouter, je dois lui dire, qu'il est à craindre que la chambre ne réponde point à votre attente. Je regrette, Sire, de vous voir à Paris: il eût été préférable de ne point vous séparer de votre armée; c'est elle qui fait votre force, votre sûreté.»—«Je n'ai plus d'armée, reprit l'Empereur; je n'ai plus que des fuyards. Je retrouverai des hommes, mais comment les armer? je n'ai plus de fusils. Cependant, avec de l'union, tout pourra se réparer. J'espère que les députés me seconderont; qu'ils sentiront la responsabilité qui va peser sur eux; vous avez mal jugé, je crois, de leur esprit; la majorité est bonne, est française. Je n'ai contre moi que Lafayette, Lanjuinais, Flaugergues et quelques autres. Ils ne veulent pas de moi, je le sais. Je les gêne. Ils voudraient travailler pour eux… Je ne les laisserai pas faire. Ma présence ici les contiendra.»

L'arrivée successive du prince Joseph et du prince Lucien interrompit cet entretien. Ils confirmèrent l'opinion du duc de Vicence, sur les mauvaises dispositions de la chambre, et conseillèrent à l'Empereur de différer la convocation de la séance impériale, et de laisser préalablement agir ses ministres.

Pendant que l'Empereur était au bain, les ministres et les grands de l'état accoururent à l'Élysée, et interrogèrent avec avidité les aides-de-camp et les officiers revenus de Mont-Saint-Jean. Le spectacle de la déroute et de la destruction de l'armée était encore présent à leurs yeux; ils n'épargnèrent aucun détail, et jetèrent imprudemment dans tous les coeurs la terreur et le découragement. On dit tout haut que Napoléon était perdu; et tout bas qu'il n'avait plus d'autre moyen de sauver la France que d'abdiquer.

L'Empereur, remis de ses fatigues, assembla son conseil: il fit donner lecture, par le duc de Bassano, du bulletin de la bataille de Mont-Saint-Jean, et dit: «Nos malheurs sont grands. Je suis venu pour les réparer, pour imprimer à la nation, à l'armée, un grand et noble mouvement. Si la nation se lève, l'ennemi sera écrasé; si, au lieu de levées, de mesures extraordinaires, on dispute, tout est perdu. L'ennemi est en France. J'ai besoin, pour sauver la patrie, d'être revêtu d'un grand pouvoir, d'une dictature temporaire. Dans l'intérêt de la patrie, je pourrais me saisir de ce pouvoir; mais il serait utile et plus national qu'il me fût donné par les chambres.» Les ministres baissèrent les yeux, et ne répondirent pas. L'Empereur alors les interpella d'émettre leur opinion sur les mesures de salut public qu'exigeaient les circonstances.

M. Carnot fut d'avis qu'il fallait déclarer la patrie en danger, appeler aux armes les fédérés et toutes les gardes nationales, mettre Paris en état de siége, le défendre, se retirer à la dernière extrémité derrière la Loire, s'y retrancher, rappeler l'armée de la Vendée, les corps d'observation du midi, et tenir l'ennemi en arrêt jusqu'à ce qu'on eût pu réunir et organiser des forces suffisantes pour reprendre l'offensive et le chasser hors de France.

Le duc de Vicence rappela les événemens de 1814, et soutint que l'occupation de la capitale par l'ennemi déciderait une seconde fois du sort du trône; qu'il fallait que la nation fît un grand effort pour sauver son indépendance; que le salut de l'état ne dépendrait point de telle ou telle mesure; que la question était dans les chambres et dans leur union avec l'Empereur.

Le duc d'Otrante et plusieurs autres ministres partagèrent ce sentiment, et pensèrent qu'en montrant aux chambres de la confiance et de la bonne foi, on parviendrait à leur faire sentir qu'il était de leur devoir de se réunir à l'Empereur, pour sauver ensemble, par des mesures énergiques, l'honneur et l'indépendance de la nation.

Le duc Decrès déclara nettement qu'on avait tort de se flatter de pouvoir gagner les députés, qu'ils étaient mal disposés, et paraissaient décidés à se porter aux plus violens excès.

M. le comte Regnault ajouta qu'il ne croyait point que les représentans consentissent à seconder les vues de l'Empereur; qu'ils paraissaient persuadés que ce n'était plus lui qui pouvait sauver la patrie, et qu'il craignait qu'un grand sacrifice ne fût nécessaire.—«Parlez nettement, lui dit l'Empereur; c'est mon abdication qu'ils veulent, n'est-ce pas?»—«Je le crois, Sire, reprit M. Regnault; quelque pénible que cela soit pour moi, il est de mon devoir d'éclairer Votre Majesté sur sa véritable situation. J'ajouterai même qu'il serait possible, si Votre Majesté ne se déterminait point à offrir, de son propre mouvement, son abdication, que la chambre osât la demander.»

Le prince Lucien lui répliqua vivement: «Je me suis déjà trouvé dans des circonstances difficiles, et j'ai vu que, plus les crises sont grandes, plus on doit déployer d'énergie. Si la chambre ne veut point seconder l'Empereur, il se passera de son assistance. Le salut de la patrie doit être la première loi de l'état; et, puisque la chambre ne paraît point disposée à se joindre à l'Empereur pour sauver la France, il faut qu'il la sauve seul. Il faut qu'il se déclare dictateur, qu'il mette la France en état de siége, et qu'il appelle à sa défense tous les patriotes et tous les bons Français.»

M. le comte Carnot déclara qu'il lui paraissait indispensable que l'Empereur fût revêtu, pendant la durée de la crise, d'une grande et imposante autorité.

L'Empereur alors prit la parole, et dit: «La présence de l'ennemi sur le sol national rendra, je l'espère, aux députés, le sentiment de leurs devoirs. La nation ne les a point envoyés pour me renverser, mais pour me soutenir. Je ne les crains point. Quelque chose qu'ils fassent, je serai toujours l'idole du peuple et de l'armée. Si je disais un mot, ils seraient tous assommés. Mais, en ne craignant rien pour moi, je crains tout pour la France. Si nous nous querellons entre nous, au lieu de nous entendre, nous aurons le sort du Bas-Empire; tout sera perdu… Le patriotisme de la nation, sa haine pour les Bourbons, son attachement à ma personne, nous offrent encore d'immenses ressources; notre cause n'est point désespérée.»

L'Empereur alors, avec une habileté et une force d'expression admirable, passa successivement en revue les moyens de réparer les revers de Mont-Saint-Jean, et dessina, à grands traits, le tableau des malheurs sans nombre dont menaçaient la France la discorde, les étrangers et les Bourbons. Chacune de ses paroles faisait passer la conviction dans l'âme de ses ministres; les opinions, jusqu'alors divisées, tendaient à se rapprocher, lorsque le conseil fut interrompu par un message de la chambre des représentans, contenant la résolution suivante.

La chambre des représentans DÉCLARE que l'indépendance de la nation est menacée.

La chambre se déclare en permanence. Toute tentative pour la dissoudre est un crime de haute trahison; quiconque se rendrait coupable de cette tentative, sera déclaré traître à la patrie, et sur-le-champ jugé comme tel.

L'armée de ligne et la garde nationale qui ont combattu et combattent encore pour défendre la liberté, l'indépendance, et le territoire de la France, ont bien mérité de la patrie.

Les ministres de la guerre, des relations extérieures et de l'intérieur, sont invités à se rendre sur-le-champ dans le sein de l'assemblée[59]».

Cette résolution avait été adoptée, presque d'emblée, sur la proposition de M. de Lafayette. Chacun de ces articles était un attentat à la constitution et une usurpation de l'autorité souveraine. L'Empereur en mesura d'un seul coup d'oeil toutes les conséquences. «J'avais bien pensé, dit-il avec dépit, que j'aurais dû congédier ces gens-là, avant mon départ. C'est fini; ils vont perdre la France.» Il leva la séance, en ajoutant: «Je vois que Regnault ne m'avait point trompé; j'abdiquerai s'il le faut.» Parole imprudente et funeste qui, reportée sur-le-champ aux ennemis de Napoléon, enhardit leurs desseins et accrut leur audace. À peine l'Empereur l'eut-il prononcée, qu'il en sentit l'inconséquence, et revenant sur ses pas, il annonça, qu'il fallait cependant, avant de prendre un parti, savoir, ce que tout cela deviendrait. Il prescrivit donc à M. Regnault de se rendre à la chambre pour la calmer et sonder le terrain: «Vous leur annoncerez que je suis de retour; que je viens de convoquer le conseil des ministres; que l'armée, après une victoire signalée, a livré une grande bataille; que tout allait bien; que les Anglais étaient battus; que nous leur avions enlevé six drapeaux, lorsque des malveillans ont causé une terreur panique; que l'armée se rallie; que j'ai donné des ordres pour arrêter les fuyards; que je suis venu pour me concerter avec mes ministres et avec les chambres; et que je m'occupe en ce moment des mesures de salut public qu'exigeront les circonstances.»

M. Carnot, par ordre de l'Empereur, partit, au même moment, pour faire à la chambre des pairs une semblable communication. Elle y fut écoutée avec le calme convenable; mais M. Regnault, quels que fussent ses efforts ne put parvenir à modérer l'impatience des représentans; et ils renouvelèrent impérieusement aux ministres, par un second message, l'invitation de se présenter à la barre.

L'Empereur, choqué que la chambre s'arrogeât des droits sur ses ministres, leur défendit de bouger. Les députés, ne les voyant pas arriver, regardèrent leur retard comme une offense à la nation. Les uns, déjà familiers avec le mépris de l'Empereur et des principes constitutionnels, voulaient qu'on ordonnât aux ministres de se rendre dans l'assemblée, toutes affaires cessantes. Les autres, troublés par leur conscience et la crainte d'un coup d'état, se créaient des fantômes; et persuadés que Napoléon faisait marcher des troupes pour mutiler et dissoudre la représentation nationale, ils demandaient à grands cris que la garde nationale fût appelée au secours de la chambre. D'autres, voulaient qu'on ôtât à l'Empereur et au général Durosnel le commandement de cette garde, pour en investir le général Lafayette.

L'Empereur, fatigué de tout ce bruit, autorisa les ministres à prévenir le président de leur prochaine arrivée; mais ne voulant pas laisser croire qu'ils obéissaient aux injonctions de la chambre, il les y députa comme porteurs d'un message impérial, rédigé à cet effet. Le prince Lucien fut chargé de les accompagner, en qualité de commissaire général. Pour que cette innovation ne blessât point les ministres, l'Empereur leur dit que le prince Lucien, en sa qualité temporaire de commissaire général, pourrait répondre aux interpellations des représentans, sans que cela tirât à conséquence pour l'avenir, et sans donner à la chambre le droit de prétendre qu'on lui avait reconnu et concédé le pouvoir de mander les ministres et de les interroger. Mais ce motif n'était point le véritable. L'Empereur n'avait pas été content de la tiédeur que la majorité des ministres venait de laisser paraître, et il voulut remettre en des mains plus sûres le soin de défendre sa personne et son trône. À six heures, les ministres et le prince Lucien à leur tête furent introduits dans la chambre.

Le prince annonça que l'Empereur l'avait nommé commissaire extraordinaire, pour concerter avec les représentans des mesures de prudence; il déposa sur le bureau du président les pouvoirs et le message de l'Empereur, et demanda que l'assemblée voulût bien se former en comité secret.

Ce message contenait l'exposé rapide des revers essuyés à Mont-St.-Jean. Il recommandait aux représentans de s'unir avec le chef de l'état, pour préserver la patrie du malheur de retourner sous le joug des Bourbons, ou de devenir, comme les Polonais, la proie des étrangers. Il annonçait enfin, qu'il paraissait nécessaire que les deux chambres nommassent respectivement une commission de cinq membres, pour se concerter avec les ministres, sur les mesures de salut public et sur les moyens de traiter de la paix avec les coalisés.

À peine la lecture en fut-elle terminée, que des interpellations faites aux ministres de toutes les parties de la salle, portèrent, en un instant, la confusion dans les délibérations de l'assemblée. Tous les députés insurgés leur adressaient à-la-fois des questions aussi absurdes qu'arrogantes, et s'étonnaient, s'indignaient qu'ils ne satisfissent point à leur avide et insatiable curiosité.

Le trouble étant apaisé, un membre (M. Henri Lacoste) parvint à se faire entendre. «Le voile est donc déchiré, dit-il, nos malheurs sont connus; quelque affreux que soient nos désastres, peut-être ne nous les a-t-on point encore entièrement révélés. Je ne discuterai point les communications qui nous ont été faites: le moment n'est point venu de demander compte au chef de l'état du sang de nos braves et de la perte de l'honneur national: mais je lui demanderai, au nom du salut public, de nous dévoiler le secret de ses pensées, de sa politique; de nous apprendre le moyen de fermer l'abîme ouvert sous nos pas. Vous nous parlez d'indépendance nationale, vous nous parlez de paix, ministres de Napoléon; mais quelle nouvelle base donnerez-vous à vos négociations? Quel nouveau moyen de communication avez-vous en votre pouvoir? Vous le savez, comme nous, c'est à Napoléon seul que l'Europe a déclaré la guerre! Séparez-vous désormais la nation de Napoléon? Pour moi, je le déclare, je ne vois qu'un homme entre la paix et nous. Qu'il parte, et la patrie sera sauvée!»

Le prince Lucien essaya de répondre à cette violente attaque. «Eh quoi! dit-il, aurions-nous encore la faiblesse de croire au langage de nos ennemis? lorsque pour la première fois, la victoire nous fut infidèle, ne nous jurèrent-ils pas, en présence de Dieu et des hommes, qu'ils respecteraient notre indépendance et nos lois? Ne donnons point une seconde fois dans le piége qu'ils tendent à notre confiance, à notre crédulité. Leur but, en cherchant à isoler la nation de l'Empereur, est de nous désunir pour nous vaincre et nous replonger plus facilement dans l'abaissement et l'esclavage dont son retour nous a délivrés. Je vous en conjure, citoyens, au nom sacré de la patrie, ralliez-vous tous autour du chef que la nation vient de replacer si solennellement à sa tête. Songez que notre salut dépend de notre union, et que vous ne pourriez vous séparer de l'Empereur et l'abandonner à ses ennemis, sans perdre l'état, sans manquer à vos sermens, sans flétrir à jamais l'honneur national.»

Ce discours, prononcé au milieu du choc des partis, fut étouffé, interrompu par le bruit tumultueux de l'assemblée; peu de députés l'écoutèrent, l'entendirent: cependant les esprits, étonnés du coup qu'on voulait porter à Napoléon, paraissaient inquiets, irrésolus. Le duc de Vicence, le prince d'Eckmuhl, avaient donné des explications satisfaisantes; l'un sur les moyens de s'entendre avec les alliés; l'autre sur l'approche imaginaire des troupes destinées à agir contre la représentation nationale. Les amis de l'Empereur étaient parvenus à rallier à sa cause la majorité de l'assemblée, et tout semblait présager une issue favorable, lorsqu'un des ennemis de l'Empereur (M. de Lafayette) parvint à prendre la parole.—«Vous nous accusez, dit-il, en apostrophant le prince Lucien, de manquer à nos devoirs, envers l'honneur et envers Napoléon. Avez-vous oublié tout ce que nous avons fait pour lui? avez-vous oublié que nous l'avons suivi dans les sables de l'Afrique, dans les déserts de la Russie, et que les ossemens de nos enfans, de nos frères, attestent partout notre fidélité? Nous avons assez fait pour lui; maintenant notre devoir est de sauver la patrie.» Une foule de voix s'élevèrent confusément pour accuser et défendre Napoléon. M. Manuel, M. Dupin signalèrent les dangers dont la France était menacée. Ils firent entrevoir les moyens de la préserver, mais n'osèrent point prononcer le mot d'abdication: tant est difficile à vaincre le respect qu'inspire un grand homme!

Enfin, après de longs débats, il fut convenu, conformément aux conclusions du message, qu'une commission de cinq membres, composée du président et des vice-présidens de la chambre, M. Lanjuinais et MM. de la Fayette, Dupont (de l'Eure), Flaugergues et Grenier, se concerteraient avec le conseil des ministres et une commission de la chambre des pairs, (s'il lui convenait d'en nommer une) pour recueillir tous les renseignemens sur l'état de la France, et proposer tout moyen de salut public.

Le prince Lucien, en sa même qualité de commissaire extraordinaire, se rendit immédiatement à la chambre des pairs; et cette chambre, après avoir entendu le message impérial, s'empressa de nommer également une commission, qui fut composée des généraux Drouot, Dejean, Andréossy, et de MM. Boissy-d'Anglas et Thibaudeau.

De retour à l'Élysée, le prince ne dissimula point à l'Empereur que la chambre s'était prononcée trop fortement, pour pouvoir espérer de la ramener jamais, et qu'il fallait ou la dissoudre sur-le-champ, ou se résigner à abdiquer. Deux ministres présens (M. le duc de Vicence et le duc de Bassano) remontrèrent que la chambre avait acquis une trop grande force dans l'opinion, pour qu'on pût tenter sur elle un coup d'autorité. Ils insinuèrent respectueusement à Napoléon, qu'il était plus sage de se soumettre; que s'il hésitait, la chambre prononcerait indubitablement sa déchéance, et qu'il n'aurait peut-être plus la faculté d'abdiquer en faveur de son fils.

Napoléon, sans promettre, sans refuser, sans manifester aucune résolution quelconque, se bornait à répondre, comme le duc de Guise: Ils n'oseront pas. Mais il était facile de s'apercevoir que la chambre lui imposait; qu'il croyait son abdication inévitable; et qu'il cherchait seulement, dans l'espoir de quelque événement favorable, à reculer le plus possible le terme de la catastrophe.

Les commissions des deux chambres, les ministres d'état se réunirent le même jour, à onze heures du soir, en présence du prince Lucien.

Il fut décidé, à la majorité de seize voix contre cinq: 1° que le salut de la patrie exigeait que l'Empereur consentît à ce que les deux chambres nommassent une commission, qui serait chargée de négocier directement avec les puissances coalisées, aux conditions de respecter l'indépendance nationale et le droit qu'a tout peuple de se donner les constitutions qu'il juge à propos; 2° qu'il convenait d'appuyer ces négociations par l'entier développement des forces nationales; 3° que les ministres d'état proposeraient les mesures propres à fournir des hommes, des chevaux, de l'argent, ainsi que les mesures nécessaires pour contenir et réprimer les ennemis de l'intérieur.

Cette résolution fut combattue par M. de Lafayette. Il représenta qu'elle ne répondrait point à l'attente générale; que le moyen le plus sûr, le plus prompt de faire cesser l'état de crise où se trouvait la France, résidait uniquement et exclusivement dans l'abdication de Napoléon; et qu'il fallait l'inviter, au nom de la patrie, à se démettre de la couronne.

Le prince Lucien déclara que l'Empereur était prêt à faire tous les sacrifices que le salut de la France pourrait exiger; mais que le moment de recourir à cette ressource désespérée n'était point arrivé, et qu'il était convenable d'attendre, dans l'intérêt de la France elle-même, le résultat des ouvertures qui seraient faites aux alliés.

L'assemblée partagea cette opinion, et se sépara, de lassitude, à trois heures du matin.

Le général Grenier fut chargé, par ses collègues, de rendre compte à la chambre du résultat de cette conférence: mission embarrassante, puisque l'objet principal de la conférence qui, dans l'opinion des représentans, devait être de statuer sur l'abdication de Napoléon, avait été éludé et perdu de vue. M. *** que je m'abstiendrai de nommer, lui conseilla de trancher net la question, et de déclarer que la commission, quoiqu'elle ne se fût pas prononcée formellement, avait senti la nécessité d'inviter l'Empereur à abdiquer. Mais le rigide et vertueux Dupont (de l'Eure), toujours ami de la droiture et de la sincérité, s'éleva en homme d'honneur contre cette honteuse suggestion, et annonça qu'il monterait à la tribune pour déclarer la vérité, si l'on osait la trahir ou l'altérer. Le général Grenier se borna donc à rendre un compte fidèle de la séance de la commission; il ajouta (d'après l'avis que les ministres d'état venaient de lui en donner) que la chambre allait recevoir un message par lequel l'Empereur déclarerait qu'il trouvait bon que l'assemblée nommât les ambassadeurs à envoyer aux alliés; et que, s'il était un obstacle invincible à ce que la nation fût admise à traiter de son indépendance, il serait toujours prêt à faire le sacrifice qui lui serait demandé.

Cette explication répondait à tout; mais au lieu de calmer les têtes, elle excita l'irascibilité de tous les hommes qui, par la crainte de l'ennemi, par ambition, ou par un patriotisme mal entendu, regardaient comme nécessaire l'abdication immédiate de Napoléon. Ils ne sentaient point qu'il importait au contraire de laisser fictivement Napoléon sur le trône, afin de fournir aux négociateurs le moyen d'échanger avec les étrangers l'abdication contre la paix.

M. Regnault, témoin de l'irritation des esprits, fut avertir l'Empereur que la chambre paraissait disposée à prononcer sa déchéance, s'il n'abdiquait point à l'instant. L'Empereur, non habitué à recevoir la loi, s'indigna de la violence qu'on voulait lui faire: «Puisque c'est ainsi, dit-il, je n'abdiquerai point. La chambre est composée de jacobins, de cerveaux brûlés et d'ambitieux qui veulent des places et du désordre. J'aurais dû les dénoncer à la nation, et les chasser; le tems perdu peut se réparer…»

L'agitation de l'Empereur était extrême; il se promenait à grands pas dans son cabinet, et prononçait des mots entrecoupés qu'il était impossible de comprendre. «Sire, lui répondit enfin M. Regnault, ne cherchez point (je vous en conjure) à lutter plus long-tems contre la force des choses. Le tems s'écoule; l'ennemi s'avance. Ne laissez point à la chambre, à la nation, le moyen de vous accuser d'avoir empêché d'obtenir la paix. En 1814, vous vous êtes sacrifié au salut de tous: renouvelez aujourd'hui ce grand, ce généreux sacrifice.»

L'Empereur répliqua avec humeur: «Je verrai; mon intention n'a jamais été de refuser d'abdiquer. J'étais soldat; je le redeviendrai; mais je veux qu'on me laisse y songer en paix, dans l'intérêt de la France et de mon fils: dites-leur d'attendre.»

La chambre, pendant cet entretien, était en butte à la plus extrême agitation. Le président, instruit par M. Regnault des dispositions de l'Empereur, annonça qu'un message satisferait incessamment tous les voeux. Mais, impatiente de jouir de son ouvrage, elle ne voulait même point laisser à Napoléon le mérite de se dévouer librement au salut de la patrie.

M. Duchêne, qui, le premier, avait interrompu, par ses murmures, le rapport du général Grenier, demanda que l'Empereur fût invité, au nom du salut de l'état, à déclarer son abdication.

Le général Solignac proposa de lui envoyer une députation pour lui exprimer l'urgence de sa décision.

M. de Lafayette que sa destinés semble appeler à être le fléau des rois, s'écria que si Napoléon ne se décidait point, il proposerait sa déchéance.

Une foule de membres, parmi lesquels le général Sébastiani se fit remarquer par son acharnement, insistèrent pour que Napoléon fût contraint d'abdiquer sur-le-champ.

Enfin, on consentit, pour ménager l'honneur du chef de l'état, à lui accorder une heure de grâce, et la séance fut suspendue.

De nouvelles instances furent aussitôt renouvelées près de l'Empereur. Le général Solignac (je crois) et d'autres députés vinrent le sommer d'abdiquer. Le prince Lucien, qui n'avait point cessé de conjurer l'Empereur de tenir tête à l'orage, pensa que le moment était passé, et qu'il fallait se soumettre; le prince Joseph se joignit à lui, et leurs conseils réunis parvinrent à faire fléchir la résistance de l'Empereur. Il annonça cette détermination aux ministres, et dit au duc d'Otrante avec un sourire ironique: «Écrivez à ces messieurs de se tenir tranquilles; ils vont être satisfaits[60].»

Le prince Lucien prit alors la plume, et écrivit, sous la dictée de son auguste frère, la déclaration suivante:

Déclaration au peuple Français.

En commençant la guerre, pour soutenir l'indépendance nationale, je comptais sur la réunion de tous les efforts, de toutes les volontés, et le concours de toutes les autorités nationales. J'étais fondé à en espérer le succès, et j'avais bravé toutes les déclarations des puissances contre moi.

Les circonstances me paraissent changées; je m'offre en sacrifice à la haine des ennemis de la France: puissent-ils être sincères dans leurs déclarations, et n'en avoir voulu réellement qu'à ma personne! Ma vie politique est terminée, et je proclame mon fils sous le titre de NAPOLÉON II, Empereur des Français.

Les ministres actuels formeront provisoirement le conseil de gouvernement. L'intérêt que je porte à mon fils, m'engage à inviter les chambres à organiser sans délai la régence par une loi.

Unissez-vous tous pour le salut public, et pour rester une nation indépendante.

(Signé) NAPOLÉON.

Au palais de l'Élysée,

ce 22 juin 1815.

Le duc de Bassano me remit la minute du prince Lucien, pour en faire deux expéditions. Lorsqu'elles furent présentées à l'Empereur, elles offraient encore les traces de mon affliction: il s'en aperçut, et me jetant un regard plein d'expression, il me dit: Ils l'ont voulu.

Le duc de Bassano lui fit observer qu'il faisait un grand sacrifice à la paix, mais que peut-être les alliés ne le jugeraient point assez complet.—«Que voulez-vous dire?» répondit l'Empereur.—«Qu'il serait possible qu'on exigeât la renonciation des frères de Votre Majesté à la couronne.»—«Comment, de mes frères?… ah! Maret, vous voulez donc nous déshonorer tous!»

Le duc d'Otrante, le duc de Vicence, le duc Decrès furent immédiatement chargés de porter la déclaration de l'Empereur à la chambre des députés; et le duc de Gaète, le comte Mollien et M. Carnot, à celle des pairs.

Le prince d'Eckmuhl avait été envoyé d'avance par l'Empereur à cette première chambre, pour lui donner des nouvelles de l'armée, et l'amuser en attendant l'arrivée de l'abdication.

À peine fut-elle partie, que le comte de la Borde, adjudant général de la garde nationale, accourut annoncer à l'Empereur qu'il n'y avait pas un moment à perdre, et qu'on allait mettre aux voix la déchéance. L'Empereur, en lui touchant l'épaule, lui dit: «Ces bonnes gens-là sont donc bien pressés; dites-leur de se tranquilliser; il y a un quart-d'heure que je leur ai envoyé mon abdication.» Les ministres s'étaient croisés en route avec M. de la Borde.

Lorsqu'ils se présentèrent à la chambre, le président, craignant que les ennemis de Napoléon n'insultassent à son malheur par de lâches applaudissemens, leur rappela que le réglement interdisait tout signe d'improbation ou d'approbation: il lut ensuite la déclaration.

Le duc d'Otrante, qui avait été, dans l'ombre, l'un des instigateurs du déchaînement de certains députés, feignit de s'attendrir sur le sort de Napoléon, et le recommanda aux égards et à la protection des chambres. Cette générosité simulée révolta les coeurs purs de l'assemblée, et demeura sans effet: c'était à l'infortuné Regnault qu'il était réservé de les émouvoir. Il leur rappela, avec tant d'âme et d'éloquence, les bienfaits et les victoires de Napoléon; il leur offrit un tableau si vrai, si touchant, si pathétique, des infortunes auxquelles ce grand homme, ce héros national, allait se dévouer, sans réserve et sans conditions, pour racheter la patrie, que les yeux de ses ennemis les plus endurcis se mouillèrent de larmes, et que l'assemblée entière resta plongée pendant quelques momens dans un morne et douloureux silence. Ce silence, le plus bel hommage que Napoléon ait peut-être jamais obtenu, fut à la fin interrompu; et la chambre arrêta, à l'unanimité, qu'une députation solennelle se rendrait près de Napoléon, pour lui exprimer, au nom de la nation, le respect et la reconnaissance avec lesquels elle acceptait le noble sacrifice qu'il avait fait à l'indépendance et au bonheur du peuple Français.

Napoléon reçut froidement les félicitations des députés de la chambre. Quel prix pouvait avoir à ses yeux de vaines paroles? Il leur répondit[61]:

Je vous remercie des sentimens que vous m'exprimez; je désire que mon abdication puisse faire le bonheur de la France; mais je ne l'espère point: elle laisse l'état sans chef, sans existence politique. Le tems perdu à renverser la monarchie, aurait pu être employé à mettre la France en état d'écraser l'ennemi. Je recommande à la chambre de renforcer promptement ses armées: qui veut la paix, doit se préparer à la guerre. Ne mettez pas cette grande nation à la merci des étrangers; craignez d'être déçus dans vos espérances. C'est là qu'est le danger. Dans quelque position que je me trouve, je serai toujours bien, si la France est heureuse. Je recommande mon fils à la France. J'espère qu'elle n'oubliera point que je n'ai abdiqué que pour lui. Je l'ai fait aussi, ce grand sacrifice, pour le bien de la nation: ce n'est qu'avec ma dynastie, qu'elle peut espérer d'être libre, heureuse et indépendante.»

L'Empereur prononça cette réponse avec un accent si noble, si touchant, que tous les assistans furent profondément émus, et que M. Lanjuinais lui-même ne put retenir ses larmes.

M. le comte Regnault voulut se féliciter d'avoir été le premier l'interprète des sentimens et de la reconnaissance nationale. L'Empereur l'interrompit: «Puisque cette délibération est votre ouvrage, lui dit-il, vous auriez dû vous ressouvenir que le titre d'Empereur ne se perd point[62];» et il lui tourna le dos.

La chambre des pairs s'empressa d'imiter l'exemple des députés. L'Empereur l'accueillit avec bonté, et lui recommanda de ne point oublier qu'il n'avait abdiqué qu'en faveur de son fils.

L'abdication de Napoléon laissa le champ libre aux spéculations politiques des représentans: chacun d'eux se crut appelé à donner à l'état, un gouvernement et un chef.

Les républicains, toujours dupes de leurs vieilles illusions, se berçaient de l'espoir d'introduire, en France, un gouvernement fédératif.

Les Bonapartistes, forts du voeu national et des promesses des étrangers, comptaient décerner la couronne à Napoléon II, et la régence à Marie-Louise.

Les partisans du duc d'Orléans (et dans leurs rangs se trouvaient les personnages et les orateurs les plus marquans de l'assemblée) se flattaient intérieurement d'asseoir sur le trône le fils des rois et de la république.

Quelques députés, séduits par la réputation brillante de l'un, par la valeur et les liens de famille de l'autre, penchaient pour le prince de Suède ou le prince d'Orange… En un mot, on voulait de tout le monde, excepté du souverain légitime.

Un petit nombre de députés seulement gardaient la neutralité. Libres d'ambition et d'intérêts personnels, uniquement occupés de la patrie, ils ne songeaient qu'à tirer parti des événemens, pour les faire tourner au profit de la nation et de la liberté.

Les partis qui divisaient ainsi la chambre, ne tardèrent point à s'élancer dans la carrière.

M. Dupin, trop habile pour manifester directement l'intention de méconnaître Napoléon II, et de faire déclarer le trône vacant, prit un détour. Il proposa à la chambre de se former en assemblée nationale; d'envoyer des ambassadeurs négocier la paix; de créer une commission exécutive, prise dans le sein des deux chambres; de charger une commission de préparer le travail de la nouvelle constitution, et de déterminer les conditions auxquelles le trône pourrait être occupé par le prince que le peuple choisirait.

M. Scipion Mourgues, quoique ne siégeant point sous la même bannière que M. Dupin, s'empara de la proposition, et, lui donnant plus d'extension, il demanda que la chambre se transformât en assemblée constituante; que le gouvernement de l'état fût confié provisoirement aux ministres, qui travailleraient avec une commission de cinq membres de la chambre, présidée par le président[63]; et que le trône fût déclaré vacant, jusqu'à l'émission du voeu du peuple: en sorte que le peuple souverain aurait été le maître de changer la forme de gouvernement établi, et de faire, à son gré, de la France, une république ou une monarchie.

M. Regnault représenta que ces deux propositions tendaient à jeter l'état dans le dédale d'une désorganisation complète; qu'on ne pourrait les adopter, sans annoncer à l'étranger qu'il n'y avait rien d'établi en France, point de droits reconnus, point de principes posés, point de base de gouvernement: mais, tombant bientôt lui-même dans la faute de ses adversaires, il proposa 1.° de nommer, au lieu du conseil de régence prescrit par les lois fondamentales qu'il venait d'indiquer, une commission exécutive de cinq membres, deux de la chambre des pairs, trois de celle des députés, qui exercerait provisoirement les fonctions du gouvernement; 2.° d'abandonner à cette commission, pour ne point rompre l'unité de pouvoir, la direction et le choix des commissaires négociateurs à envoyer aux alliés.

Les termes moyens, dans les momens de vague et de crainte, sont toujours du goût de la majorité; et la majorité de la chambre adopta l'espèce de transaction proposée par M. Regnault, sans en apercevoir l'inconséquence; car, en éludant de reconnaître Empereur Napoléon II, c'était déclarer aux étrangers, ce qu'elle avait voulu éviter, qu'il n'y avait point en France de droits établis, et que le trône et même le gouvernement étaient vacans.

Dans l'état des choses, elle n'avait que deux partis à prendre: ou de proclamer constitutionnellement Napoléon II, comme son essence, son devoir, son intérêt le lui prescrivaient; ou, si, par l'effet d'une lâche condescendance, elle ne voulait rien décider sans l'aveu des alliés, de réunir les deux chambres en assemblée nationale, et d'attendre les événemens. Alors, elle n'aurait pas remis le sort de la révolution du 20 mars entre les mains de cinq individus; alors, elle aurait acquis un caractère imposant et national, qui aurait donné à ses actes, à ses négociations, à sa résistance même, une force et une dignité que ne pouvait obtenir le gouvernement insolite qu'elle venait d'enfanter.

La résolution prise par les représentans fut portée immédiatement à la chambre des pairs.

Le prince Lucien se leva le premier pour la combattre. Il rappela éloquemment les principes sur lesquels reposent les monarchies héréditaires. Il invoqua la constitution, les sermens solennels prêtés au Champ-de-Mai, et conjura les pairs, gardiens fidèles de la foi jurée et des lois constitutives de la monarchie, de repousser cette résolution inconstitutionnelle, et de proclamer Napoléon II Empereur des Français.

M. de Pontécoulant s'opposa fortement à cette proposition, déclarant qu'il ne consentirait jamais à reconnaître pour souverain un prince qui n'est point en France, et pour régente une captive. «De quel droit d'ailleurs, ajouta-t-il, le prince de Canino, vient-il parler dans cette enceinte? est-il Français?»—«Si je ne suis point Français à vos yeux, s'écria le prince Lucien, je le suis aux yeux de la nation entière.»

Labédoyère s'élança rapidement à la tribune. «J'ai vu, dit-il, autour du trône du souverain heureux, les hommes qui s'en éloignent aujourd'hui, parce qu'il est dans le malheur. Ils sont déjà prêts à recevoir le prince que l'étranger voudra leur imposer. Mais s'ils rejettent Napoléon II, l'Empereur doit recourir à son épée et à ces braves qui, tout couverts de sang et de blessures, crient encore Vive l'Empereur! C'est en faveur de son fils qu'il a abdiqué; son abdication est nulle, si on ne reconnaît point Napoléon II. Faudra-t-il donc que le sang français n'ait encore coulé que pour nous faire passer une seconde fois sous le joug étranger? que pour nous faire courber la tête sous un gouvernement avili? que pour voir nos braves guerriers abreuvés d'humiliation et d'amertume, et privés de la récompense due à leurs services, à leurs blessures et à leur gloire? Il y a peut-être encore ici (en tournant les yeux du côté du maréchal Ney) des généraux qui méditent de nouvelles trahisons; mais, malheur à tout traître! qu'il soit voué à l'infamie! que sa maison soit rasée, sa famille proscrite!» À ces mots, le mécontentement le plus vif éclata dans l'assemblée. On interrompit Labédoyère qui, au milieu du tumulte, s'écria en blasphémant: «Il est donc décidé, grand Dieu! qu'on n'entendra jamais, dans cette enceinte, que des voix basses!»

Cette apostrophe excita de nouveaux murmures: «Nous avons déjà la guerre étrangère, dit M. Boissy-d'Anglas, veut-on nous donner encore la guerre civile? Sans doute l'Empereur a fait à la patrie le plus grand des sacrifices; mais la proposition de proclamer Napoléon II est intempestive et impolitique. Il faut passer à l'ordre du jour.»

Messieurs de Ségur, de Flahaut et Roederer, s'y opposèrent et firent valoir avec force les droits de Napoléon II. «Si l'Empereur eût été tué, dirent-ils, son fils lui succéderait de droit. Il est mort politiquement; pourquoi son fils ne lui succéderait-il point? La monarchie se compose de trois branches; une de ces branches est morte, il faut la remplacer. On n'est fort que dans le cercle de ses devoirs; ne sortons point de la constitution; ne donnons pas aux étrangers le droit de nous dire: Vous n'êtes plus rien! Ils ont proclamé que Napoléon seul était un obstacle à la paix; éprouvons leur bonne foi. Il est d'ailleurs aussi utile que politique et juste, de reconnaître Napoléon II et de gouverner en son nom. Voyez les soldats, voyez les peuples de l'Alsace, de la Franche-Comté, de la Lorraine, de la Bourgogne, de la Champagne, pour qui, au nom de qui prodiguent-ils leur généreux sang? À l'intérieur, la reconnaissance de Napoléon II plairait à la nation et à l'armée: à l'extérieur, elle nous rattacherait à l'Autriche. L'Empereur pourrait-il voir en nous un ennemi quand nous adopterions pour souverain l'enfant issu de son sang?»—«L'article 67 de la constitution fait toujours la loi des deux chambres, dit M. Thibaudeau, ni la chambre, ni la nation, ni le gouvernement provisoire que nous formerons, ne songent à ramener le gouvernement sous lequel nous avons gémi pendant une année; mais la proposition de reconnaître Napoléon II ne peut être examinée en ce moment. Laissons les choses entières, et adoptons la résolution de la chambre des députés, sans rien préjuger sur l'indivisibilité de l'abdication de Napoléon

La chambre enchantée de trouver le moyen de conserver les droits de Napoléon, sans se mettre en opposition manifeste avec les représentans, adopta cet avis et procéda sur-le-champ à la nomination des deux membres de la commission de gouvernement.

M. le duc de Vicence et le baron Quinette réunirent les suffrages.

M. Carnot, le duc d'Otrante, et le général Grenier furent au même moment choisis par l'autre chambre.

La commission de gouvernement se constitua aussitôt sous la présidence du duc d'Otrante.

Quoique la question de l'indivisibilité fût restée intacte, l'Empereur néanmoins regarda la création d'une commission de gouvernement comme une violation manifeste des conditions de son abdication. Il reprocha au ministre d'état, et particulièrement à M. Regnault, de n'avoir point soutenu les droits de son fils, et leur fit sentir qu'il était de leur honneur et de leur devoir de forcer les chambres à se prononcer. «Je n'ai point abdiqué, dit-il, en faveur d'un nouveau directoire; j'ai abdiqué en faveur de mon fils. Si on ne le proclame point, mon abdication doit être nulle et non avenue. Les chambres savent bien que le peuple, l'armée, l'opinion le désirent, le veulent; mais l'étranger les retient. Ce n'est point en se présentant devant les alliés l'oreille basse et le genou en terre, qu'elles les forceront à reconnaître l'indépendance nationale. Si elles avaient eu le sentiment de leur position, elles auraient proclamé spontanément Napoléon II. Les étrangers auraient vu alors que vous saviez avoir une volonté, un but, un point de ralliement; ils auraient vu que le 20 mars n'était point une affaire de parti, un coup de factieux, mais le résultat de l'attachement des Français à ma personne et à ma dynastie. L'unanimité nationale aurait plus agi sur eux, que toutes vos basses et honteuses déférences.»

L'effet qu'avait produit la séance de la chambre des pairs, malgré les soins pris pour la dénaturer, éveilla l'attention du duc d'Otrante et de la faction anti-napoléonienne dont il était devenu le directeur et le chef.

D'un autre côté, l'armée du maréchal Grouchy, qu'on croyait perdue, venait de rentrer en France[64]. Le prince Jérôme, le maréchal Soult, les généraux Morand, Colbert, Poret, Petit et une foule d'autres officiers que je regrette de ne pouvoir nommer, étaient parvenus à rallier les débris de Mont-St.-Jean, et l'armée offrait déjà une masse de cinquante à soixante mille hommes, dont les sentimens pour l'Empereur n'avaient éprouvé aucune altération.

Le duc d'Otrante et les siens sentirent donc la nécessité de ménager Napoléon; et dans une conférence secrète qui eut lieu au ministère de la police, et où se trouvèrent réunis M. Manuel et les députés les plus influens du parti du duc d'Otrante, il fut reconnu qu'il ne paraissait plus prudent ni possible d'empêcher la reconnaissance de Napoléon II, et qu'on s'attacherait seulement à maintenir l'autorité dans les mains de la commission.

Le lendemain, ainsi qu'on l'avait prévu, M. le comte Defermont, profitant habilement d'une discussion établie sur le serment à prêter par la commission, demanda à l'assemblée au nom de qui agirait cette commission, quel serait l'intitulé de ses actes, et enfin, si Napoléon II était ou n'était pas Empereur des Français. (Oui, oui, oui!) «L'abdication de Napoléon I appelle à lui succéder, dit-il, celui qui, dans l'ordre constitutionnel, est désigné d'avance comme son héritier. Il ne peut exister sur ce point fondamental la plus légère hésitation. S'il en existait, notre devoir serait de la faire cesser. Il ne faut pas qu'on aille persuader à la garde nationale de Paris et aux armées, que vous attendez Louis XVIII, et que vous n'éprouvez pas tous le même sentiment.» (La grande majorité des membres se lèvent et crient vive Napoléon II. Ces cris furent répétés avec transport par les tribunes et par les officiers de la ligne et de la garde nationale qui se trouvèrent à l'entrée de la salle). «Il faut l'avouer franchement, dit un autre membre (M. Boulay de la Meurthe), on a élevé des doutes; des journalistes ont été jusqu'à écrire que le trône était vacant: si tel était notre malheur, l'assemblée et la liberté seraient perdues. En effet, que serions-nous? par quel mandat sommes-nous ici? Nous n'existons que par la constitution… C'est cette même constitution qui proclame Empereur Napoléon II: son père a abdiqué; vous avez accepté l'abdication sans restriction; le contrat est formé, Napoléon II est Empereur par la force des choses. (Oui, oui! nous ne devrions même point délibérer.) D'ailleurs l'Empereur n'a donné son abdication que sous la condition expresse (murmures)… Ces murmures ne m'effraient point; depuis long-tems j'ai fait le sacrifice de ma vie. Je dirai la vérité toute entière, en présence de la nation. Il existe une faction qui voudrait nous persuader que nous avons déclaré le trône vacant, dans l'espoir de remplir aussitôt cette vacance par les Bourbons. (Non, non! Jamais, jamais!) Cette faction est celle du duc d'Orléans. Elle a entraîné quelques patriotes peu intelligens, qui ne voient pas que le duc d'Orléans n'accepterait le trône que pour le résigner à Louis XVIII. Il faut que l'assemblée se prononce, et qu'elle déclare à l'instant même qu'elle reconnaît Napoléon II pour Empereur des Français.» M. le comte Regnault s'exprima dans le même sens; mais il refroidit la discussion, en y mêlant maladroitement les puissances étrangères, et en demandant au nom de qui l'armée se battrait. Les membres de l'opposition, qui jusqu'alors s'étaient bornés à faire entendre quelques murmures, et à réclamer l'ordre du jour, prirent la parole. M. Dupin s'attacha d'abord à prouver que le salut de la patrie devait passer avant tout. «Pourquoi, dit-il ensuite, l'Empereur a-t-il abdiqué? parce qu'il a senti qu'il ne pouvait plus sauver la France. Or, je vous le demande: si Napoléon I n'a pu sauver l'état, comment Napoléon II le pourra-t-il davantage! D'ailleurs ce prince et sa mère ne sont-ils pas captifs? avez-vous l'espoir qu'ils vous seront rendus? Quelle a été notre pensée? nous avons voulu, à la place d'un nom que les ennemis nous opposaient comme le seul motif de la guerre, présenter la nation française. Eh bien! c'est au nom de la nation que nous combattrons et que nous traiterons. C'est de la nation que nous attendons le choix d'un souverain. La nation précède tous les gouvernemens et leur survit à tous.»—«Pourquoi ne proposez-vous pas une république?» s'écria une voix. Des murmures nombreux et violens avaient souvent interrompu M. Dupin. M. Manuel, plus adroit, sentit la nécessité d'être aussi plus modéré. Il parut d'abord incertain sur la détermination qu'il conviendrait de prendre; et après avoir mis en scène tous les partis et balancé les espérances et les craintes que chacun d'eux pouvait inspirer à la nation, il s'écria: «Mais s'agit-il donc d'un homme, d'une famille? non, il s'agit de la patrie. Pourquoi nous ôterions-nous les moyens de la sauver? déjà nous avons fait un grand pas[65]; mais savons-nous, s'il sera assez grand, assez complet, pour en obtenir les résultats que nous désirons. Laissons agir le tems. En acceptant l'abdication de Napoléon, vous avez accepté la condition qu'elle emporte avec elle, et nous devons reconnaître Napoléon II, puisque les formes constitutionnelles l'exigent; mais en nous y conformant sous ce rapport, il nous est impossible de ne point nous en écarter, lorsqu'il s'agit d'assurer notre indépendance; et c'est pour atteindre ce but, que vous avez voulu remettre l'autorité à des hommes qui ont particulièrement votre confiance; afin que tel ou tel prince, appelé par les lois à la tutelle du souverain mineur, ne puisse réclamer ses droits et devenir l'arbitre des destinées de la France. Je demande donc l'ordre du jour motivé: 1° sur ce que Napoléon II est devenu Empereur des Français par le fait de l'abdication de Napoléon I et par la force des constitutions de l'Empire. 2° Sur ce que les deux chambres ont voulu et entendu, en nommant une commission de gouvernement, assurer à la nation les garanties dont elle a besoin, dans les circonstances extraordinaires où elle se trouve, pour conserver sa liberté et son repos.»

Cette proposition captieuse séduisit l'assemblée. Elle l'adopta au milieu des plus bruyantes acclamations, et des cris mille fois répétés de vive Napoléon II! sans se douter que cet ordre du jour, qui lui paraissait si décisif, ne signifiait rien autre chose, sinon qu'elle proclamait Napoléon II, puisque la constitution le voulait ainsi; mais qu'elle déclarait en même tems que ce n'était qu'une affaire de forme, et qu'elle l'abandonnerait quand le gouvernement provisoire le jugerait nécessaire.

C'était pour la seconde fois que la chambre se trouvait dupe de son entraînement. Cependant, elle comptait, dans son sein, des hommes pleins de talens et de sagacité; mais le plus grand nombre de ses membres (et c'est la majorité qui fait loi), n'ayant jamais siégé dans nos assemblées, se laissaient subjuguer par les prestiges de l'éloquence, et avec d'autant plus de facilité, qu'il n'existait, dans la chambre, aucune idée fixe, aucune volonté dominante, qui pût leur servir de fanal et de guide.

Le gouvernement provisoire, influencé par M. Fouché, ne tarda point à prouver qu'il avait saisi le véritable sens de la pensée de M. Manuel. Deux jours après, il intitula ses actes au nom du peuple français. Cette insulte à la bonne foi de la chambre et du souverain qu'elle avait reconnu, excita son étonnement et ses plaintes. La capitale et les patriotes murmurèrent. On somma le président du gouvernement d'expliquer, de justifier cet étrange procédé. Il répondit que l'intention de la commission n'avait jamais été de méconnaître Napoléon II, mais que ce prince, n'ayant encore été reconnu souverain de la France par aucune puissance, on ne pouvait traiter en son nom avec les étrangers, et que la commission avait cru de son devoir, d'agir provisoirement au nom du peuple français, afin d'ôter aux ennemis tout prétexte de se refuser à admettre les négociateurs.

Cette explication, fortifiée par l'appui banal des mots puissans, patrie, salut public, armées étrangères, parut plausible, et tout fut dit.

L'Empereur lui-même, étourdi par la force et la rapidité des coups que lui portaient ses ennemis, ne songeait plus à se défendre, et semblait laisser à la providence le soin de veiller sur son fils et sur lui. Il se plaignait, mais son mécontentement expirait sur ses lèvres, et ne lui inspirait aucune des résolutions qu'on devait attendre de la fougue et de l'énergie de son caractère.

Cependant le duc d'Otrante et les députés, qui avaient concouru avec lui à arracher Napoléon du trône, ne le voyaient point sans effroi séjourner à l'Élysée. Ils redoutaient, qu'enhardi par les mâles conseils du prince Lucien, par le dévouement que lui conservait l'armée, par les acclamations des fédérés et des citoyens de toutes les classes assemblés journellement sous les murs de son palais, il ne tentât de renouveler un second dix-huit brumaire. Ils demandèrent donc à la chambre, par l'organe de M. Duchêne, que l'ex-Empereur fût invité, au nom de la patrie, à s'éloigner de la capitale. Cette demande n'ayant point eu de suite, on eut recours à un autre moyen. On essaya de l'effrayer. Chaque jour, des avis officieux le prévenaient qu'on voulait attenter à sa vie; et, pour donner plus de vraisemblance à ces ruses grossières, on envoyait tout-à-coup renforcer sa garde. Une nuit même, on vint nous éveiller en sursaut de la part du commandant de Paris (le général Hulin), pour nous inviter à nous tenir sur nos gardes, que l'Élysée allait être attaqué, etc. Mais tel était notre mépris pour ces misérables impostures, que nous ne jugeâmes même point nécessaire d'en instruire Napoléon, et que nous revîmes le jour, sans avoir éprouvé un seul moment d'insomnie. Rien n'aurait été plus facile cependant, que d'enlever ou d'assassiner Napoléon. Son palais qui, dix jours auparavant, pouvait à peine contenir la foule empressée des ambitieux et des courtisans, n'était plus qu'une vaste solitude. Tous ces hommes sans foi, sans honneur, que la puissance attire et qu'éloigne l'infortune, l'avaient abandonné. Sa garde avait été réduite à quelques vieux grenadiers, et un seul factionnaire, à peine en uniforme, veillait à la porte de ce Napoléon, de ce roi des rois, qui naguère avait compté, sous ses étendards, des millions de soldats.

Cependant, Napoléon sentit lui-même que sa présence à Paris, et dans un palais impérial, pourrait faire douter les alliés de la bonne foi de son abdication, et nuire au rétablissement de la paix. Il se décida donc à s'éloigner.

Il se fit remettre sa correspondance personnelle avec les souverains, et quelques lettres autographes soustraites, en 1814, à leurs recherches. Il nous prescrivit ensuite de brûler les pétitions, les lettres, les adresses reçues depuis le 20 mars. J'étais occupé de ce soin, dans un moment où Napoléon vint à traverser le cabinet. Il s'approcha de moi, et me prit une lettre que je tenais à la main; elle était du duc de … Il la parcourut, et me dit en souriant: «Ne brûlez point celle-là, gardez-la pour vous. Ce sera, si l'on vous tourmente, une excellente recommandation. *** ne manquera point de jurer aux autres qu'il leur a conservé une chaste fidélité, et quand il saura que vous avez en main la preuve matérielle qu'il s'était mis à mes pieds et que je n'ai voulu ni de lui, ni de ses services, il se mettra en quatre pour vous servir, dans la crainte que vous ne jasiez.» Je crus que l'Empereur plaisantait; il s'en aperçut, et reprit: «Non, vous dis-je, ne brûlez point cette lettre, ni celle de tous les gens de la même volée; je vous les donne pour votre sauve-garde.»

«Mais, Sire, ils m'accuseront de les avoir soustraites.»—«Vous les menacerez, s'ils raisonnent, de les faire imprimer tout vifs, et ils se tairont: je les connais.»—«Puisque V. M. le veut, je les conserverai.» Je mis en effet de côté un certain nombre de ces lettres. Après le retour du Roi, j'en rendis complaisamment quelques-unes; et ce n'est point ici une allégation gratuite. À peine leurs auteurs que je pourrais nommer, les eurent-ils en leur possession, qu'ils élevèrent jusqu'aux nues leur prétendue fidélité, et devinrent, dans leurs discours ou dans leurs écrits, les détracteurs les plus acharnés de tous ceux qui avaient embrassé ou servi la cause du 20 mars.

Le 25 à midi, Napoléon partit pour la Malmaison. Il y fut reçu par la princesse Hortense. Cette princesse, si odieusement calomniée et si digne de respect, nous donna l'exemple du courage et de la résignation. Sa position, celle de Napoléon, devaient briser son âme; et cependant elle trouvait encore assez de force pour dompter ses souffrances et soulager les nôtres. Elle s'occupait de l'Empereur, elle s'occupait de nous, avec une sollicitude si constante, une grâce si accomplie, qu'on aurait pu croire qu'elle n'avait à songer qu'au malheur d'autrui. Si le sort de Napoléon et de la France nous arrachait des gémissemens ou des imprécations, elle accourait; et retenant ses propres larmes, elle nous rappelait avec la raison d'un philosophe et la douceur d'un ange, qu'il fallait surmonter nos regrets, notre douleur, et nous soumettre avec docilité aux décrets de la providence.

La secousse qu'avait donnée à Napoléon son départ de l'Élysée, le réveilla. Il retrouva à la Malmaison son âme, son activité, son énergie. Habitué à voir couronner tous ses voeux, toutes ses entreprises du plus heureux succès, il n'avait point appris à lutter contre les atteintes subites du malheur; et malgré la fermeté de son caractère, elles le jetaient parfois dans un état d'irrésolution, pendant lequel mille pensées, mille volontés se croisaient dans son esprit, et lui ôtaient la possibilité de prendre un parti. Mais cette catalepsie morale n'était point l'effet (comme on l'a prétendu) d'un lâche abattement. Sa grande âme restait debout au milieu de l'engourdissement momentané de ses facultés, et Napoléon, à son réveil, n'en était que plus terrible et plus redoutable.

Quelques momens après son arrivée, il voulut s'entretenir encore avec ses anciens compagnons d'armes, et leur exprimer, pour la dernière fois, ses regrets et ses sentimens. L'amour qu'il leur portait, le désespoir de ne pouvoir venger à leur tête l'affront de Mont-St.-Jean, lui firent oublier, dans une première proclamation, qu'il avait brisé de ses propres mains son sceptre et son épée. Il reconnut bientôt que le langage passionné qu'il tenait à l'armée, n'était point celui que lui imposait son abdication, et il substitua aux trop vives inspirations de son coeur l'adresse suivante:

Napoléon aux braves Soldats de l'Armée devant Paris.

Malmaison, 25 juin 1815.

SOLDATS!

Quand je cède à la nécessité qui me force de m'éloigner de la brave armée Française, j'emporte avec moi l'heureuse certitude qu'elle justifiera par les services éminens que la patrie attend d'elle, les éloges que nos ennemis eux-mêmes ne peuvent pas lui refuser.

Soldats, je suivrai vos pas, quoiqu'absent. Je connais tous les corps; et aucun d'eux ne remportera un avantage signalé sur l'ennemi, que je ne rende justice au courage qu'il aura déployé. Vous et moi, nous avons été calomniés. Des hommes indignes d'apprécier vos travaux, ont vu, dans les marques d'attachement que vous m'avez données, un zèle dont j'étais le seul objet; que vos succès futurs leur apprennent que c'était la patrie par-dessus tout que vous serviez en m'obéissant; et que si j'ai quelque part à votre affection, je la dois à mon ardent amour pour la France, notre mère commune.

     Soldats, encore quelques efforts, et la coalition est dissoute.
     Napoléon vous reconnaîtra aux coups que vous allez porter.

Sauvez l'honneur, l'indépendance des Français; soyez jusqu'à la fin, tels que je vous ai connus depuis vingt ans, et vous serez invincibles.

L'Empereur, qui avait eu peut-être l'intention de reporter sur lui, par cette proclamation, le souvenir et l'intérêt de ses anciens soldats, s'informa de l'effet qu'elle avait produit. On lui répondit, ce qui était vrai, qu'elle n'avait point été publiée par le Moniteur, et que l'armée n'en avait pas eu connaissance. Il ne laissa paraître aucun signe de dépit ou de mécontentement, et se mit à parler des deux chambres.

Depuis l'abdication, les pairs et les députés avaient rivalisé de zèle et d'efforts pour mettre la France en état d'imposer à ses ennemis intérieurs et extérieurs. Ils avaient déclaré la guerre nationale, et appelé tous les Français à la défense commune; Ils avaient autorisé le gouvernement à faire des réquisitions en nature, pour l'approvisionnement de l'armée et le transport des subsistances; à lever la conscription de 1815; à suspendre les lois sur la liberté individuelle, et à faire arrêter ou placer en surveillance toutes les personnes prévenues de provoquer des troubles, ou d'entretenir des intelligences avec les ennemis. Ils lui avaient enfin accordé un crédit immense, pour subvenir provisoirement au paiement des fournitures et de la solde de l'armée.

De son côté, la commission prenait, exécutait, avec un soin infatigable, toutes les mesures que commandaient les circonstances. Sa tâche, il faut l'avouer, était aussi difficile que périlleuse. Jamais gouvernement ne s'était trouvé dans de semblables conjonctures. Il fallait, du moins pour la majorité de ses membres, un grand courage, un grand dévouement, un grand patriotisme; il fallait une abnégation héroïque de son repos, de sa liberté, de sa vie, pour se charger envers la nation, envers le roi, de la responsabilité du pouvoir et des événemens.

Le premier acte de la commission fut de remettre, entre les mains du prince d'Essling, le commandement en chef de la garde nationale, dévolu précédemment à l'Empereur. Le duc d'Otrante voulait ôter le commandement en second au général Durosnel, dont la droiture l'embarrassait, pour le donner à M. T** qui lui paraissait sans doute plus maniable. Le duc de Vicence et M. Carnot s'y opposèrent et il fut laissé au général Durosnel, à la satisfaction de la garde nationale, qui avait su apprécier déjà le beau caractère de cet officier.

Le maréchal SOULT n'ayant point voulu accepter de commandement, et le général RAPP ayant remis le sien, la commission nomma le maréchal GROUCHY commandant de l'armée du Nord; le général REILLE fut nommé commandant des 1er 2e et 6e corps réunis en un seul; le général DROUOT commandant de la garde; le maréchal JOURDAN commandant de l'armée du Rhin.

Des ordres furent donnés de toutes parts pour rétablir le matériel de l'armée, remonter la cavalerie, faire marcher les dépôts et forcer les soldats isolés de rentrer sous leurs drapeaux.

La commission enfin, après avoir employé tous les moyens possibles pour appuyer les négociations par le développement simultané des forces nationales, chargea MM. de la Fayette, de Pontécoulant, de la Forêt, d'Argenson, Sébastiani et Benjamin Constant (ce dernier adjoint en qualité de secrétaire), de se rendre auprès des souverains alliés et de leurs généraux, pour négocier une suspension d'armes et traiter de la paix.

Le jour où ces plénipotentiaires partirent, M. S*** vint féliciter Napoléon. «Les alliés, lui répondit l'Empereur, ont trop d'intérêt à vous imposer les Bourbons pour vous donner mon fils. Mon fils régnera sur la France, mais son heure n'est point encore venue. Les instructions des plénipotentiaires, m'a-t-on assuré, sont dans le sens de ma dynastie; si cela est vrai, il fallait alors choisir d'autres hommes pour la défendre. La Fayette, Sébastiani, Pontécoulant, Benjamin Constant, ont conspiré contre moi; ils sont mes ennemis, et les ennemis du père ne seront jamais les amis du fils. Les chambres d'ailleurs n'ont point assez d'énergie, pour avoir une volonté indépendante: elles obéissent à Fouché. Si elles m'eussent donné tout ce qu'elles lui jettent à la tête, j'aurais sauvé la France; ma présence seule à la tête de l'armée aurait plus fait que toutes vos négociations; j'aurais obtenu mon fils pour prix de mon abdication; vous ne l'obtiendrez pas. Fouché n'est point de bonne foi; il est vendu au duc d'Orléans. Il jouera les chambres, les alliés le joueront, et vous aurez Louis XVIII. Il se croit en état de tout conduire à sa guise, il se trompe; il verra qu'il faut une main autrement trempée que la sienne, pour tenir les rênes d'une nation, surtout lorsque l'ennemi est chez elle… La chambre des pairs n'a point fait son devoir; elle s'est conduite comme une poule mouillée. Elle a laissé insulter Lucien et détrôner mon fils: si elle eût tenu bon, elle aurait eu l'armée pour elle; les généraux la lui auraient donnée[66]. Son ordre du jour a perdu la France et vous a rendu les Bourbons. Moi seul je pourrais tout réparer, mais vos meneurs n'y consentiront jamais; ils aimeront mieux s'engloutir dans l'abîme, que de s'unir avec moi pour le fermer.»

Les plaintes, les regrets, les menaces que Napoléon laissait continuellement échapper, alarmaient de plus en plus les fauteurs de sa chute. Dans leur premier moment de chaleur, ils avaient montré de l'audace; mais depuis que leurs têtes s'étaient refroidies, ils paraissaient étonnés eux-mêmes de leur propre courage. Ils pâlissaient au seul nom de Napoléon, et conjuraient nuit et jour le gouvernement de le faire embarquer le plus promptement possible.

Dès le jour même de son abdication, l'Empereur eut la pensée d'aller chercher un asile à l'étranger. Accoutumé aux émotions fortes, aux événemens extraordinaires, il s'était familiarisé sans peine avec cette idée, et parut se complaire pendant quelques momens à calculer les hasards du présent, les chances de l'avenir, et à opposer aux dangers de la réalité les fictions de l'espérance.

L'Empereur n'avait jamais confondu la nation anglaise avec le système politique de son gouvernement. Il regardait le coeur d'un Breton comme le sanctuaire inviolable de l'honneur, de la générosité et de toutes les vertus civiques et privées qui impriment à l'homme de l'élévation et de la dignité. Cette haute opinion avait prévalu dans sa pensée sur les craintes que devaient lui inspirer les principes et les sentimens connus du cabinet de Londres; et son premier dessein fut de se retirer en Angleterre et de s'y placer sous la sauve-garde de l'hospitalité et des lois. Il s'en ouvrit aux ducs de Bassano et de Vicence. Le premier ne parut point goûter cette résolution. Le second, sans la combattre ni l'approuver, lui conseilla, s'il persistait à prendre ce parti, de se jeter dans un bateau de smuggler, de se présenter en mettant pied à terre devant le magistrat du lieu, et de déclarer qu'il venait avec confiance invoquer la protection du peuple Anglais. Napoléon parut goûter cet avis; mais d'autres conseils le firent pencher pour les États-Unis. Il fit alors demander au ministre de la marine la note des bâtimens américains qui se trouvaient dans nos ports. Le ministre la lui transmit sur-le-champ. «Remarquez, Sire, lui écrivait-il, le bâtiment du Havre. Son capitaine est dans mon anti-chambre; sa chaise de poste est à ma porte. Il va partir. Je réponds de lui; demain, si vous le voulez, vous serez hors d'atteinte de vos ennemis.»

M. de Vicence pressa l'Empereur de profiter de cette occasion. «Je sais bien, reprit l'Empereur, qu'on voudrait déjà me voir parti, qu'on voudrait se débarrasser de moi et me faire prendre.» Le duc fit un mouvement de surprise et de reproche. «Ah! Caulincourt, ce n'est point de vous dont je veux parler.» M. de Vicence lui répondit que ce conseil ne partait que du coeur, qu'il n'avait d'autre motif que de le voir à l'abri des dangers dont le menaçait l'approche des alliés.—L'Empereur l'arrêta. «Qu'ai-je à craindre? j'ai abdiqué; c'est à la France à me protéger!»

Plusieurs Américains qui se trouvaient à Paris, écrivirent de leur propre mouvement à Napoléon pour lui offrir leurs services et l'assurer, au nom de leurs concitoyens, qu'il serait accueilli à Washington avec les sentimens de respect, d'admiration et de dévouement, qui lui étaient dus. Napoléon refusa leurs offres. Son intention n'était point de se soustraire aux effets de son abdication; mais il avait changé d'opinion et reconnu qu'il était de son devoir de ne quitter le sol de la patrie, à moins qu'on ne l'exigeât, que lorsqu'elle ne serait plus en danger.

Cependant, le gouvernement cédant aux obsessions continuelles des députés et de M. Fouché, lui fit insinuer qu'il serait convenable de prendre un parti. L'Empereur alors déclara qu'il était prêt à se rendre avec sa famille aux États-Unis, et qu'il s'embarquerait aussitôt qu'on aurait mis deux frégates à sa disposition. Le ministre de la marine fut autorisé sur-le-champ à faire armer ces deux frégates. M. le baron Bignon reçut l'ordre de demander à lord Wellington les passeports et les sauf-conduits nécessaires; mais la commission, sous le prétexte de ne point exposer les frégates à tomber au pouvoir de l'ennemi, arrêta que l'expédition ne mettrait en mer, que lorsque les sauf-conduits seraient arrivés: condition singulière, que l'on ne peut expliquer honorablement qu'en supposant que le gouvernement ne se souciait point intérieurement de laisser partir Napoléon, regardant sans doute sa présence en France comme un moyen de rendre les alliés plus dociles et moins exigeans.

La promesse faite par l'Empereur, et les mesures prises pour assurer son départ, ne suffirent point pour tranquilliser ses craintifs ennemis. Ils appréhendèrent qu'il ne profitât du délai que l'arrivée des sauf-conduits allait entraîner pour s'emparer de vive force de l'autorité. Ils revinrent donc à la charge, et le gouvernement, pour mettre un terme à leurs frayeurs importunes et répondre d'avance aux objections des étrangers, consentit à donner un gardien à l'ancien chef de l'état. Le général comte Beker, membre de la chambre des députés, fut nommé commandant de la garde de l'Empereur, et chargé, sous ce prétexte, de se rendre à la Malmaison, «pour veiller à la conservation de la personne de Napoléon et au respect qui lui est dû, et empêcher les malveillans de se servir de son nom pour occasionner des troubles[67].»

Lorsque le général se présenta à la Malmaison, on crut qu'il venait arrêter Napoléon.

Un cri de douleur s'échappa de tous les coeurs. Gourgaud et quelques autres officiers jurèrent qu'on ne porterait jamais sur l'Empereur une main sacrilége. Je courus apprendre à Napoléon ce qui se passait; il sortit de son cabinet, et parut à nos yeux:

     Avec cet air serein, ce front majestueux,
     Tel que dans les combats, maître de son courage,
     Tranquille, il arrêtait ou pressait le carnage.

L'Empereur nous ordonna de respecter la personne et la mission du général Beker, et de lui faire savoir qu'il pouvait se présenter devant lui, sans scrupule et sans crainte. Mais déjà cet officier s'était expliqué, et l'on vint annoncer que le but de sa mission n'était point d'arrêter l'Empereur, mais de veiller à la sûreté de sa personne, placée sous la sauvegarde de l'honneur national[68].

Cette déclaration ne trompa personne. Elle nous affligea profondément.
La princesse Hortense en eut l'âme déchirée. «Ô mon Dieu! dit-elle en
élevant tristement les yeux au ciel, devais-je voir l'Empereur à la
Malmaison prisonnier des Français!»

M. Fouché et les siens ne s'en tinrent point à cette première précaution; et pour ôter à l'Empereur le moyen de former des trames, ils lui enlevèrent successivement, sous un prétexte ou sous un autre, la plupart des officiers sur le dévouement desquels il pouvait compter. Les uns furent appelés près du gouvernement, les autres reçurent des missions ou des commandemens. On leur parlait à tous au nom sacré de la patrie, et tous obéissaient. Moi-même, je ne fus point oublié; et je reçus, ainsi que mon collègue le baron Fain, l'ordre de me rendre à Paris. J'en prévins l'Empereur. «Allez, me dit-il, j'y consens. Vous saurez ce qui s'y passe, et vous me le direz. Je regrette que nous n'ayons point songé à vous faire attacher aux plénipotentiaires; vous auriez rappelé à Metternich ce qui s'est dit à Bâle; vous lui auriez appris que Fouché travaille pour le duc d'Orléans, etc. etc. Peut-être sera-t-il encore tems. Voyez Caulincourt de ma part; dites-lui de vous donner quelque mission.»

Aussitôt mon arrivée aux Tuileries, je témoignai au président de la commission et à M. de Vicence, le désir de faire partie de l'ambassade. Je leur rappelai les propositions de M. Werner, etc. etc. M. de Vicence pensa que mes services pourraient être fort utiles. M. le duc d'Otrante me répondit qu'il fallait abandonner tout cela, et il n'en fut plus question.

Napoléon était donc resté presque seul, à la Malmaison[69]; et là, retiré comme Achille dans sa tente, il maudissait son repos, lorsque le ministre de la marine vint lui annoncer, au nom du gouvernement, que les ennemis étaient à Compiègne; que la commission, craignant pour sa sûreté, le dispensait d'attendre les sauf-conduits et désirait qu'il partît incognito. L'Empereur promit de partir; mais quand il entendit au loin le premier coup de canon, tout son corps tressaillit, et il se plaignit avec l'accent du désespoir d'être condamné à rester loin du champ de bataille. Il fit appeler le général Beker; «L'ennemi est à Compiègne, à Senlis! lui dit-il, il sera demain aux portes de Paris! Je ne conçois rien à l'aveuglement du gouvernement. Il faut être insensé ou traître à la patrie, pour révoquer en doute la mauvaise foi de l'étranger. Ces gens-là n'entendent rien à leurs affaires.» Le général Beker fit un mouvement de tête, que Napoléon prit pour un signe d'approbation, et il reprit: «Tout est perdu, n'est-ce pas? Dans ce cas, qu'on me fasse général; je commanderai l'armée; je vais en faire la demande; (d'un ton d'autorité) Général vous porterez ma lettre; partez de suite; une voiture vous attend. Expliquez-leur que mon intention n'est point de ressaisir le pouvoir; que je veux battre l'ennemi, l'écraser, le forcer par la victoire à donner un cours favorable aux négociations; qu'ensuite, ce grand point obtenu, je poursuivrai ma route; allez, général; je compte sur vous: vous ne me quitterez plus.»

Le général Beker, vaincu par l'ascendant de son prisonnier, partit sur-le-champ. Cette lettre dont je regrette de ne pouvoir garantir la première partie, contenait en substance:

À la Commission du Gouvernement.

     En abdiquant le pouvoir, je n'ai point renoncé au plus noble droit
     du citoyen, au droit de défendre mon pays.

     L'approche des ennemis de la capitale ne laisse plus de doutes sur
     leurs intentions, sur leur mauvaise foi.

     Dans ces graves circonstances, j'offre mes services comme général,
     me regardant encore comme le premier soldat de la patrie.

Le duc d'Otrante lut cette lettre à haute voix, et s'écria: «Est-ce qu'il se moque de nous?»

M. Carnot parut être d'avis de replacer l'Empereur à la tête de l'armée.

Le duc d'Otrante répliqua que l'Empereur avait sans doute épargné ce soin à la commission; que probablement il avait filé aussitôt le départ du général Beker et qu'il était déjà à haranguer les soldats, et à les passer en revue.

Le général Beker se rendit garant que Napoléon attendrait son retour.

Le président de la commission fit observer alors que le rappel de Napoléon serait à jamais destructif de tout espoir de conciliation; que les ennemis, indignés de notre foi punique, ne voudraient plus nous accorder ni trêve, ni quartier; que le caractère de Napoléon ne promettait point d'avoir aucune confiance dans ses promesses; et que, s'il parvenait à obtenir quelque succès, il voudrait remonter sur le trône et s'ensevelir sous ses débris, plutôt que d'en descendre une seconde fois, etc.

Ces observations réunirent tous les suffrages, et les membres de la commission répondirent à l'Empereur, que leur devoir envers la patrie, et les engagemens pris par les plénipotentiaires avec les puissances étrangères, ne permettaient point d'accepter son offre. Ils chargèrent M. Carnot de se rendre à la Malmaison pour éclairer l'Empereur sur sa position, sur celle de la France, et le conjurer d'éviter les malheurs qu'il paraissait vouloir appeler sur la France et sur lui.

La proposition de Napoléon fut bientôt connue de tout Paris; on commença par publier qu'il avait voulu reprendre le commandement; on finit par annoncer qu'il l'avait repris. Napoléon en effet, aussitôt le départ du général Beker, fit seller ses chevaux de bataille; et pendant trois heures, on crut qu'il allait se rendre à l'armée. Mais il ne songea point à profiter lâchement de l'absence de son gardien pour s'évader. Une telle pensée était au-dessous de l'homme qui venait d'attaquer et d'envahir un royaume avec huit cents soldats.

Le général Beker revint à la Malmaison. L'Empereur se saisit de la réponse de la commission, la parcourut rapidement, et s'écria: «J'en étais sûr; ces gens-là n'ont point d'énergie; eh bien, général, puisque c'est ainsi, partons, partons.» Il fit appeler M. de Flahaut et le chargea d'aller à Paris, sur-le-champ, concerter son départ et son embarquement avec les membres de la commission.

Le prince d'Eckmuhl se trouvait aux Tuileries, au moment où M. de Flahaut s'y présenta. Il ne vit dans la mission de ce général qu'un subterfuge de l'Empereur, pour différer son départ. «Votre Bonaparte, lui dit-il avec le ton de la colère et du mépris, ne veut point partir, mais il faudra bien qu'il nous débarrasse de lui; sa présence nous gêne, nous importune; elle nuit aux succès de nos négociations. S'il espère que nous le reprendrons, il se trompe; nous ne voulons plus de lui. Dites-lui de ma part qu'il faut qu'il s'en aille, et que s'il ne part à l'instant, je le ferai arrêter, que je l'arrêterai moi-même.» M. de Flahaut, enflammé d'indignation, lui répondit: «Je n'aurais jamais pu croire, M. le Maréchal, qu'un homme qui, il y a huit jours, était aux genoux de Napoléon, pût tenir aujourd'hui un semblable langage. Je me respecte trop, je respecte trop la personne et l'infortune de l'Empereur, pour lui reporter vos paroles; allez-y vous-même, M. le Maréchal; cela vous convient mieux qu'à moi.»—Le prince d'Eckmuhl, irrité, lui rappela qu'il parlait au ministre de la guerre, au général en chef de l'armée, et lui prescrivit de se rendre à Fontainebleau où il recevrait ses ordres.—«Non, monsieur, reprit vivement le comte de Flahaut, je n'irai point; je n'abandonnerai pas l'Empereur; je lui garderai jusqu'au dernier moment la fidélité que tant d'autres lui ont jurée.»—«Je vous ferai punir de votre désobéissance!»—«Vous n'en avez plus le droit. Dès ce moment je donne ma démission. Je ne pourrais plus servir sous vos ordres sans déshonorer mes épaulettes.»

Il sortit. L'Empereur à son retour s'aperçut qu'il avait l'âme blessée; il le questionna, et parvint à lui faire avouer ce qui s'était passé. Habitué, depuis son abdication, à ne s'étonner de rien et à tout souffrir sans se plaindre, Napoléon ne parut ni surpris ni mécontent des insultes de son ancien ministre. «Qu'il vienne, répondit-il froidement, je suis prêt, s'il le veut, à lui tendre la gorge. Votre conduite, mon cher Flahaut, ajouta-t-il, me touche; mais la patrie a besoin de vous: restez à l'armée; et oubliez, comme moi, le prince d'Eckmuhl et ses lâches menaces.»

L'histoire plus sévère ne les oubliera point. Le respect pour le malheur fut toujours placé au premier rang des vertus militaires. Si le guerrier qui outrage son ennemi désarmé perd l'estime des braves, quel sentiment doit-il inspirer celui qui maudit, insulte et menace son ami, son bienfaiteur, son prince malheureux?

L'Empereur versa, dans le sein de l'amitié fidèle, le chagrin que lui causait le refus de ses services par la commission. «Ces gens-là, dit-il à M. de Bassano, sont aveuglés par l'envie de jouir du pouvoir et de continuer à faire les souverains; ils sentent que s'ils me replaçaient à la tête de l'armée, ils ne seraient plus que mon ombre; et ils me sacrifient, moi et la patrie, à leur orgueil, à leur vanité. Ils perdront tout». Après quelques momens de silence: «Mais pourquoi les laisserai-je régner? j'ai abdiqué pour sauver la France, pour sauver le trône de mon fils. Si ce trône doit être perdu, j'aime mieux le perdre sur le champ de bataille qu'ici. Je n'ai rien de mieux à faire pour vous tous, pour mon fils et pour moi, que de me jeter dans les bras de mes soldats. Mon apparition électrisera l'armée, elle foudroyera les étrangers. Ils sauront que je ne suis revenu sur le terrain que pour leur marcher sur le corps, ou me faire tuer; et ils vous accorderont, pour se délivrer de moi, tout ce que vous leur demanderez. Si, au contraire, vous me laissez ici ronger mon épée, ils se moqueront de vous, et vous serez forcés de recevoir Louis XVIII, chapeau bas. Il faut en finir: si vos cinq Empereurs ne veulent pas de moi pour sauver la France, je me passerai de leur consentement. Il me suffira de me montrer, et Paris et l'armée me recevront une seconde fois en libérateur.»—«Je le crois, Sire, répondit M. de Bassano, mais la chambre se déclarera contre vous; peut-être même osera-t-elle vous mettre hors la loi. D'un autre côté, Sire, si la fortune ne favorisait pas vos efforts, si l'armée, après des prodiges de valeur, était accablée par le nombre, que deviendrait la France? que deviendrait Votre Majesté? L'ennemi serait autorisé à abuser de la victoire; et Votre Majesté aurait peut-être à se reprocher d'avoir causé à jamais la perte de la France.»—«Allons; je le vois bien, il faut toujours céder.» L'Empereur resta quelques momens sans proférer une seule parole; et reprit: «Vous avez raison; je ne dois pas prendre sur moi la responsabilité d'un si grand événement. Je dois attendre que la voix du peuple, des soldats et des chambres me rappelle. Mais comment Paris ne me demande-t-il pas? on ne s'apperçoit donc point que les alliés ne vous tiennent aucun compte de mon abdication?»—«Sire, il règne une telle incertitude dans les esprits, qu'on ne peut parvenir à s'entendre. Si l'on était bien convaincu que l'intention des alliés est de rétablir Louis XVIII, on n'hésiterait peut-être point à se prononcer; mais on espère qu'ils tiendront leurs promesses.»—«Cet infâme Fouché vous trompe. La commission se laisse conduire par lui. Elle aura de grands reproches à se faire. Il n'y a là que Caulincourt et Carnot qui vaillent quelque chose; mais ils sont mal appareillés. Que peuvent-ils faire avec un traître, deux niais[70], et deux chambres qui ne savent ce qu'elles veulent? Vous croyez tous, comme des imbéciles, aux belles promesses des étrangers. Vous croyez qu'ils vous mettront la poule au pot, et vous donneront un prince de votre façon, n'est-ce pas? Vous vous abusez: Alexandre, malgré ses grands sentimens, se laissera influencer par les Anglais; il les craint; et l'Empereur d'Autriche fera, comme en 1814, ce que les autres voudront.»

Cet entretien fut interrompu par l'arrivée des généraux P. et Chartran. On les avait éconduits déjà deux fois; mais celle-ci ils déclarèrent qu'ils ne s'en iraient point sans avoir parlé à l'Empereur. Leur but était d'en exiger de l'argent. Le général Chartran, aussi funestement inspiré que Labédoyère, lui dit qu'il s'était perdu pour le servir, que les Bourbons allaient rentrer, qu'il serait fusillé s'il n'avait pas d'argent pour se sauver, et qu'il lui en fallait. Napoléon leur fit donner un millier d'écus à chacun, et ils se retirèrent. La princesse Hortense, craignant que ces illustres Cosaques ne fissent un mauvais parti à l'Empereur, voulait généreusement leur donner tout ce qu'ils demanderaient. J'eus mille peines à la tranquilliser et à lui faire comprendre qu'ils en voulaient plus à la bourse de Napoléon qu'à sa personne.

Napoléon, après leur départ, me donna des ordres pour Paris. J'y retournai. Au moment où j'entrais aux Tuileries, la commission venait d'être instruite que l'ennemi, après avoir battu nos troupes, s'avançait en toute hâte sur Paris. Cette nouvelle inquiétait le gouvernement; et comme il n'avait en ce moment près de lui aucun officier d'ordonnance, le duc de Vicence me pria de vouloir bien aller à la découverte. Je partis. Arrivé à l'entrée du Bourget, je rencontrai le général Reille avec son corps d'armée. Il m'apprit que l'ennemi le suivait, mais qu'on n'avait rien à craindre pour la capitale. «Je ne sais ce qui s'y passe, me dit-il, mais on vient de conduire devant moi à l'instant le frère de M. de Talleyrand. Il était porteur d'un faux passe-port, sous le nom de Petit. J'avais envie de le faire conduire à la commission du gouvernement, mais il m'a déclaré qu'il était chargé par elle d'une mission aussi importante que pressée; et comme à tout hasard un ennemi de plus ne peut rien nous faire, j'ai mieux aimé le laisser passer que de risquer de faire manquer sa mission par des retardemens inutiles». Je me hâtai de revenir calmer les anxiétés du gouvernement.

Aussitôt que je pus disposer de ma liberté, je volai à la Malmaison. Napoléon, qui me savait gré de ce postillonage continuel, daignait toujours me recevoir sur-le-champ. Je lui rendis compte de tout ce qui pouvait l'intéresser. Je n'omis point de lui apprendre que l'ennemi était déjà maître d'une partie des environs de Paris, et qu'il était important qu'il se tînt sur ses gardes. «Je ne le craindrai point demain, me dit-il; j'ai promis à Decrès de partir, et je partirai cette nuit. Je m'ennuie de moi, de Paris et de la France. Faites vos préparatifs, et ne vous éloignez pas.»—Sire, lui répondis-je, quand je promis hier à Votre Majesté de la suivre, je ne consultai que mon dévouement; mais, lorsque j'ai fait part de cette résolution à ma mère, elle m'a conjuré, au nom de ses cheveux blancs, de ne point l'abandonner. Sire, elle est âgée de soixante-quatorze ans[71]; elle est aveugle; mes frères ont été tués au champ d'honneur; elle n'a plus que moi, moi seul au monde, pour la protéger; et j'avouerai à Votre Majesté que je n'ai point eu la force de lui résister.»—«Vous avez bien fait, me dit Napoléon; vous vous devez à votre mère; restez avec elle. Si, un jour, vous êtes libre de vos actions, venez me trouver; je vous recevrai toujours bien.»—«Votre Majesté, lui répliquai-je, est donc décidée à partir.»—«Que voulez-vous que je fasse ici, maintenant?»—«Votre Majesté a raison, mais…»—«Mais quoi? voudriez-vous que je restasse?»—«Sire, j'avouerai à Votre Majesté que je ne la vois point partir sans effroi.»—«Au fait, le chemin est difficile, mais un bon vent et la fortune…»—«La fortune! ah! Sire, elle n'est plus pour nous; d'ailleurs, où Votre Majesté ira-t-elle?»—«J'irai aux États-Unis. L'on me donnera des terres ou j'en acheterai, et nous les cultiverons. Je finirai par où l'homme a commencé: je vivrai du produit de mes champs et de mes troupeaux.»—«C'est très-bien, Sire; mais croyez-vous que les Anglais vous laisseront en paix cultiver vos champs?»—«Pourquoi non? quel mal pourrai-je leur faire?»—«Quel mal, Sire! Votre Majesté a-t-elle donc oublié qu'elle a fait trembler l'Angleterre? Tant que vous vivrez, Sire, ou que vous serez libre, elle redoutera les effets de votre haine et de votre génie. Vous étiez peut-être moins dangereux pour elle sur le trône dégradé de Louis XVIII, que vous ne le seriez aux États-Unis. Les Américains vous aiment et vous admirent; vous exerceriez sur eux une grande influence, et vous les porteriez peut-être à des entreprises fatales à l'Angleterre.»—«Quelles entreprises? les Anglais savent bien que les Américains se feraient tous tuer pour la défense du sol national mais qu'ils n'aiment point à faire la guerre hors de chez eux. Ils ne sont pas encore arrivés au point d'inquiéter sérieusement les Anglais; un jour, peut-être, ils seront les vengeurs des mers; mais cette époque, que j'aurais pu rapprocher, est maintenant éloignée: les Américains ne grandissent que lentement.»—«En admettant que les Américains ne puissent, en ce moment, donner des inquiétudes sérieuses à l'Angleterre, votre présence aux États-Unis lui fournirait du moins l'occasion d'ameuter l'Europe contre eux. Les coalisés regarderont leur ouvrage comme imparfait, tant que vous ne serez point en leur possession, et ils forceront les Américains, sinon à vous livrer, du moins à vous éloigner de leur territoire.»—«Hé bien! j'irai au Mexique. J'y trouverai des patriotes, et je me mettrai à leur tête.»—«Votre Majesté oublie qu'ils ont déjà des chefs; on fait les révolutions pour soi et non pour les autres; et les chefs des indépendans se déferaient de Votre Majesté ou la forceraient de chercher ailleurs…»—«Hé bien! je les laisserai-là et j'irai à Carraccas; si je ne m'y trouve pas bien, j'irai à Buénos-Ayres; j'irai dans la Californie; j'irai enfin de mer en mer, jusqu'à ce que je trouve un asile contre la malfaisance et la persécution des hommes.»—«En supposant que Votre Majesté parle sérieusement, peut-elle raisonnablement se flatter d'échapper continuellement aux embûches et aux flottes des Anglais.»—«Si je ne puis leur échapper, ils me prendront: leur gouvernement ne vaut rien, mais la nation est grande, noble et généreuse; ils me traiteront comme je dois l'être. Au fond, que voudriez-vous que je fisse? voulez-vous que je me laisse prendre ici comme un sot, par Wellington, et que je lui donne le plaisir de me promener en triomphe comme le roi Jean dans les rues de Londres? je n'ai qu'un parti à prendre, puisqu'on refuse mes services, c'est de partir. Les destins feront le reste.»—«Il en est encore un, Sire; et j'oserai vous le soumettre. Votre Majesté n'est point faite pour se sauver.»—«Qu'appelez-vous, me dit Napoléon avec un regard fier et courroucé, où voyez-vous que je me sauve?»—«Je supplie Votre Majesté de ne point s'arrêter à cette expression.»—«Continuez, continuez.»—«Je pense donc, Sire, que Votre Majesté ne doit pas quitter ainsi la France, d'abord pour sa sûreté et ensuite pour sa gloire. Les Anglais sont instruits que vous avez le dessein de passer aux États-Unis, et déjà sans doute leurs croiseurs fourmillent sur nos côtes. Ce n'est point tout; Votre Majesté connaît la haine et la perfidie du duc d'Otrante; et qui peut répondre si des ordres secrets n'ont point été donnés pour entraver votre départ, ou retarder la marche des bâtimens, afin de vous faire capturer par les Anglais! Je regarde donc comme impossible, que Votre Majesté puisse leur échapper, et si elle leur échappe, qu'elle ne finisse tôt ou tard par tomber entre leurs mains. Dans cette perplexité, il faut du moins chercher à succomber le plus dignement possible.»—«Où voulez-vous en venir, me dit Napoléon avec humeur, pensant que je voulais lui proposer le suicide: Je sais que je pourrais me dire comme Annibal, délivrons-les de la terreur que mon nom leur inspire; mais il faut laisser le suicide aux âmes mal trempées et aux cerveaux malades. Quelle que soit ma destinée, je n'avancerai jamais ma fin dernière d'un seul moment.»—«Ce n'est point cela que je prétends, Sire; et puisque Votre Majesté daigne m'écouter, à sa place je renoncerais à l'espoir chimérique de trouver un asile à l'étranger; et je dirais aux chambres: «J'ai abdiqué pour désarmer nos ennemis, j'apprends qu'ils ne sont point satisfaits: s'il leur faut encore ma liberté ou ma vie, je la leur abandonne; je suis prêt à me remettre entre leurs mains, heureux à ce prix de pouvoir sauver la France et mon fils!» Qu'il serait beau, m'écriai-je, de voir Napoléon le Grand, après avoir déposé cette couronne placée sur sa tête après vingt années de victoires, venir s'offrir en sacrifice pour racheter l'indépendance de la patrie.»—«Oui, oui, me dit Napoléon, ce dévouement serait fort beau; mais une nation de trente millions d'âmes qui le souffrirait, serait à jamais déshonorée. À qui me rendrai-je d'ailleurs: à Blucher, à Wellington? ils n'ont pas le pouvoir nécessaire pour traiter avec moi à de pareilles conditions. Ils commenceraient par me prendre, et feraient ensuite de la France et de moi, ce qui leur passerait par la tête.»—«Je me rendrais, Sire, à l'Empereur Alexandre.»—«Alexandre!! vous ne connaissez pas les Russes. Cela nous coûterait la vie à tous les deux. Cependant votre idée mérite d'être méditée; j'y réfléchirai. Avant de prendre un parti sans remède, il faut y regarder à deux fois; le sacrifice de ma personne ne serait rien pour moi; mais peut-être serait-il perdu pour la France. Il ne faut jamais se confier à la foi d'un ennemi. Voyez si Maret et Lavalette sont là, et faites-les venir.»

Tout ce qui porte l'empreinte de la grandeur d'âme me séduit et me transporte. J'avoue que mon imagination s'était enflammée à l'aspect de Napoléon se dévouant généreusement pour la France et pour son fils. Mais cette réponse de Napoléon: «Une nation de trente millions d'hommes qui souffrirait ce sacrifice, serait à jamais déshonorée»; cette réponse, dis-je, que je n'avais point prévue, dissipa mon enchantement.

En sortant du cabinet, je fus arrêté par le duc de Rovigo qui me dit: «Vous avez causé bien long-tems avec l'Empereur; y aurait-il quelque chose de nouveau?»—«Non, lui répondis-je, nous avons parlé de son départ;» et je lui rapportai notre conversation. «Vous lui avez donné le conseil d'un homme de coeur, me répondit-il; mais il en est un que je lui ai donné et que je crois meilleur encore: c'est de se faire tuer avec nous sous les murs de Paris. Il ne le fera point, parce que Fouché ne lui en laissera pas les moyens, et qu'ensuite une peur de tout compromettre s'est emparée de lui. Il doit partir cette nuit. Dieu sait où nous irons; mais n'importe, je le suivrai. Avant tout je veux le savoir hors de danger: il vaut d'ailleurs mieux courir les aventures avec lui que de rester ici. Fouché croit qu'il s'en tirera; il se trompe; il sera pendu comme les autres, et il l'aura mieux mérité: la France est abîmée, est perdue! Je voudrais être mort.»

Pendant que je m'entretenais avec le duc de Rovigo, Napoléon discutait la proposition que j'avais osé lui soumettre. Plusieurs fois il fut sur le point de l'adopter, et toujours il en revint à son idée dominante, qu'un tel sacrifice était indigne d'une grande nation, et que la France probablement n'en retirerait pas plus de fruit qu'elle n'en avait retiré de son abdication. Tout considéré, Napoléon résolut donc de confier son sort au vent et à la fortune. Mais la commission, prévenue par une dépêche de nos plénipotentiaires que je transcris plus loin, que l'évasion de Napoléon, avant l'issue des négociations, serait regardée par les alliés comme un acte de mauvaise foi de notre part, et compromettrait le salut de la France; la commission lui fit déclarer que des circonstances politiques imprévues la forçaient de subordonner de nouveau son départ à l'arrivée des sauf-conduits. Napoléon fut donc obligé de rester.

Je revins à Paris; j'appris que l'ennemi avait fait d'immenses progrès; et selon ma coutume, je voulus m'échapper pour aller en prévenir Napoléon. Les barrières étaient strictement fermées; on n'en sortait plus sans permission. Je tentai d'en obtenir une. Le duc d'Otrante me répondit que ma présence était nécessaire au cabinet, et il me fut ordonné d'y rester. Je sus qu'un nommé Chauvin qui devait partir avec l'Empereur, se rendait à la Malmaison. Je courus lui exprimer ce qui se passait, et le chargeai d'en informer le comte Bertrand. Au même moment M. G. D.[72] apprit, je ne sais comment, que les Prussiens se proposaient d'enlever l'Empereur; que Blucher avait dit: «si je puis attraper Bonaparte, je le ferai pendre à la tête de mes colonnes;» et que Wellington s'était fortement opposé à ce lâche et criminel dessein. M. G. D. s'empressa de faire transmettre cet avis à Napoléon; et bientôt après il trouva le moyen, à la faveur de son emploi dans la garde nationale, de se rendre en personne à la Malmaison. Napoléon lui fit répéter avec détail tout ce qu'il savait; quand il connut la position des Prussiens il la mit sur sa carte[73], et dit en riant: «Ah, ah, je me suis en effet laissé tourner;» il chargea un officier d'ordonnance de s'assurer si les ponts de Bezons et du Peck avaient été coupés. Il sut que ce dernier ne l'était point: «Je l'avais cependant demandé: cela ne m'étonne point.»

L'Empereur alors fit faire quelques dispositions pour se mettre à l'abri d'une surprise; mais ces précautions étaient superflues; il avait trouvé, sans l'invoquer, dans le dévouement de ses anciens compagnons d'armes, un rempart inviolable contre les entreprises des ennemis. Les soldats, les officiers, les généraux, placés dans la direction de la Malmaison, le firent assurer qu'ils veilleraient sur lui, et qu'ils étaient prêts à verser pour sa défense jusqu'à la dernière goutte de leur sang. L'un des commandans des lanciers rouges de la garde, le jeune de Brock, se fit remarquer particulièrement par son zèle infatigable.

Le projet de Blucher et la proximité de nos troupes du lieu où se trouvait détenu Napoléon, jetèrent la commission dans les plus vives alarmes.

Elle avait à craindre à la fois, que Napoléon, ému par le bruit des armes et les acclamations de ses fidèles soldats, ne pût surmonter l'envie de venir se battre à leur tête; que l'armée, toujours idolâtre de son ancien général, ne fût l'arracher à son repos et le forcer de la conduire à l'ennemi; ou, enfin, que l'ennemi lui-même ne parvînt à s'emparer de sa personne par surprise ou par force.

L'éloignement de l'Empereur pouvait terminer d'un seul coup cet état d'anxiété; mais la dépêche des plénipotentiaires était là; et la commission, retenue par la crainte d'indisposer les alliés, n'osait autoriser ni contraindre Napoléon à s'éloigner.

Sur ces entrefaites, le duc de Wellington prévint M. Bignon, qu'il n'avait aucune autorité de son gouvernement pour donner une réponse quelconque sur la demande d'un passeport et sauf-conduit pour Napoléon Bonaparte.

N'ayant plus de prétexte plausible pour le retenir, et ne voulant point prendre sur elle la honte et la responsabilité des événemens, la commission n'hésita plus sur le parti qui lui restait à prendre: elle chargea le duc Decrès et le comte Boulay de se rendre immédiatement près de l'Empereur (il était trois heures et demie du matin), de lui exposer que lord Wellington avait refusé les sauf-conduits, et de lui notifier l'injonction de partir sur-le-champ.

L Empereur reçut cette communication sans s'émouvoir, et promit de s'éloigner dans la journée.

L'ordre fut aussitôt donné au général Beker de ne point permettre qu'il revînt sur ses pas; au préfet de la Charente-inférieure, de l'empêcher, autant que possible, de séjourner à Rochefort; au commandant de la marine de ne point lui laisser remettre le pied à terre du moment où il serait embarqué, etc. etc. etc.

Jamais criminel ne fut entouré de précautions plus multipliées et en même tems plus inutiles.

Si Napoléon, au lieu de céder à la crainte de compromettre l'indépendance et l'existence de la nation, eut voulu refaire un second 20 mars, ni les instructions du général Beker, ni les menaces du maréchal Davoust, ni les intrigues de M. Fouché, ne l'en eussent empêché; il lui aurait suffi de paraître. Le peuple, l'armée, l'auraient reçu avec enthousiasme; et aucun de ses ennemis (le prince d'Eckmuhl le premier) n'eût osé lever les yeux et contrarier son triomphe.

Les momens qui précédèrent son départ furent on ne peut plus touchans; il s'entretint, avec le peu d'amis qui ne l'avaient point abandonné, des grandes vicissitudes de la fortune. Il déplora les maux que leur dévouement à sa personne et à sa dynastie allait accumuler sur leurs têtes, et leur recommanda d'opposer la force de leur âme et la pureté de leur conscience, aux persécutions de leurs ennemis. Le sort de la France (qui pourrait en douter!!!) fut aussi l'objet de son inquiète et tendre sollicitude; il fit des voeux ardens pour son repos, son bonheur et sa prospérité.

Lorsqu'on vint lui annoncer que tout était préparé, il pressa affectueusement dans ses bras la princesse Hortense, embrassa tendrement ses amis fondant en larmes, et leur recommanda de nouveau l'union, le courage et la résignation. Sa contenance était ferme, sa voix calme, ses traits sereins; pas une plainte, pas un reproche ne s'échappèrent de son coeur!

Le 29 juin, à cinq heures du soir, il s'élança dans une voiture préparée pour sa suite, et fit monter, dans celle qui lui était destinée, le général Gourgaud et ses officiers d'ordonnance. Ses regards se reportèrent plusieurs fois vers cette dernière demeure, si long-tems témoin de son bonheur et de sa puissance. Il pensait, sans doute, qu'il ne la reverrait plus!

Il avait demandé qu'on mît, à sa disposition, un aviso, et que son convoi fût commandé par le contre-amiral Violette. La commission, qui, dans tous ses rapports avec l'Empereur, ne cessa point de lui témoigner les égards les plus respectueux, s'empressa de déférer à cette demande. L'amiral Violette étant absent, il fut convenu qu'on remettrait le commandement au plus ancien capitaine des deux frégates, et voici les instructions qui lui furent données.

Instructions pour les Capitaines Philibert, commandant la Saale, et Poncé, commandant la Méduse.

TRÈS-SECRÈTES.

Les deux frégates sont destinées à porter celui qui naguères était notre
Empereur, aux États-Unis d'Amérique.

Il s'embarquera sur la Saale, avec telles personnes de sa suite qu'il désignera. Les autres seront embarquées sur la Méduse.

Les bagages seront répartis sur les deux frégates, ainsi qu'il l'ordonnera.

Si, soit avant le départ, soit dans la traversée, la Méduse était reconnue beaucoup meilleure marcheuse que la Saale, il s'embarquera sur la Méduse, et les capitaines Philibert et Poncé changeraient de commandement.

Le plus grand secret doit être gardé sur l'embarquement qui doit se faire par les soins du préfet maritime, ainsi que sur la personne à bord.

Napoléon voyage incognito, et il fera connaître lui-même le titre et le nom sous lesquels il veut être appelé.

Aussitôt après son embarquement, toute communication doit cesser avec la terre.

Les commandans des frégates, les officiers et les équipages, trouveront dans leurs coeurs qu'ils doivent traiter sa personne avec tous les égards et le respect dus à sa situation et à la couronne qu'il a portée.

À bord, les plus grands honneurs lui seront rendus, à moins qu'il ne s'y refuse. Il disposera de l'intérieur des frégates pour ses logemens, selon sa plus grande commodité, sans nuire aux moyens de leur défense. Sa table et son service personnel auront lieu, comme il l'ordonnera.

On disposera, et le préfet en a reçu l'ordre, tout ce qui peut contribuer aux commodités de son voyage, sans regarder à la dépense.

Il sera envoyé à bord, par le préfet, autant d'approvisionnemens pour lui et sa suite, que le comporte le secret impénétrable à observer sur son séjour et son embarquement à bord.

Napoléon étant embarqué, les frégates devront appareiller dans les vingt-quatre heures au plus tard, si les vents le permettent, et si les croisières ennemies ne s'opposent pas au départ.

On ne resterait vingt-quatre heures en rade, après l'embarquement de Napoléon, qu'autant qu'il le désirerait, car il est important de partir le plus tôt possible.

Les frégates se porteront le plus rapidement possible aux États-Unis d'Amérique, et elles débarqueront Napoléon et sa suite, soit à Philadelphie, soit à Boston, soit dans tel autre port des États-Unis qu'il serait plus prompt et plus facile d'atteindre.

Il est défendu aux commandans des deux frégates, de s'engager dans les rades dont leur sortie deviendrait lente et difficile. Elles ne sont autorisées à le faire, que dans le cas où cela serait nécessaire pour le salut du bâtiment.

On évitera tous les bâtimens de guerre qu'on pourrait rencontrer; si l'on est obligé de combattre des forces supérieures, la frégate sur laquelle ne sera pas embarqué Napoléon se sacrifiera pour retenir l'ennemi, et pour donner à celle sur laquelle il se trouvera le moyen de s'échapper.

Je n'ai pas besoin de rappeler que les chambres et le gouvernement ont mis la personne de Napoléon sous la sauve-garde de la loyauté Française.

Une fois arrivé aux États-Unis, le débarquement devra se faire avec toute la célérité possible et sous quelque prétexte que ce soit, à moins que les frégates n'en soient empêchées par des forces supérieures; elles ne pourront y rester plus de vingt-quatre heures, et elles devront immédiatement faire leur retour en France.

Les lois et réglemens sur la police des vaisseaux à la mer et sur la subordination militaire des personnes embarquées comme passagers à l'égard des commandans de ces bâtimens, seront observées dans toute leur rigueur.

Je recommande aux sentimens que les capitaines ont de leurs devoirs, ainsi qu'à leur délicatesse, tous les objets qui pourraient n'être pas prévus par ces présentes.

Je n'ai rien à ajouter à ce que j'ai dit précédemment, que la personne de Napoléon est mise sous la sauve-garde de la loyauté du peuple Français, et ce dépôt est confié spécialement, dans cette circonstance, aux capitaines de la Saale et de la Méduse, et aux officiers et équipages de ces deux bâtimens.

Tels sont les ordres que la commission du gouvernement m'a chargé de transmettre aux capitaines Philibert et Poncé. (Signé) Le duc DECRÈS.

La commission, par un message du 29 juin, instruisit les deux chambres que l'approche de l'ennemi et la crainte d'un mouvement à l'intérieur, lui avaient imposé le devoir sacré de faire partir Napoléon.

La manière dont ce message était conçu, donnait à entendre que l'Empereur avait montré de la résistance. M. de Lavalette interpella le duc Decrès d'expliquer les faits; et l'on sut alors que l'Empereur n'avait point hésité un seul instant à se dévouer au sort que lui imposait son abdication, et que, s'il n'était point parti, c'est que la commission avait jugé convenable de différer son départ jusqu'à l'arrivée des sauf-conduits demandés.

L'Empereur avait d'abord manifesté l'intention de ne point s'arrêter en route; arrivé à Rambouillet, il descendit de voiture et déclara qu'il passerait la nuit au château. Il fit écrire, par le grand maréchal, à l'administrateur du mobilier de la couronne, pour demander qu'on dirigeât sur Rochefort, où ils seraient embarqués, les meubles et couchages nécessaires pour garnir sept à huit appartemens de maîtres. Précédemment, il avait réclamé la bibliothèque du Petit Trianon, l'Iconographie grecque de M. de Visconti, et un exemplaire du bel ouvrage de l'Institut d'Égypte. La faculté d'associer les plus graves pensées aux idées les plus simples, les occupations les plus vastes aux soins les plus minutieux, était un des traits distinctifs du caractère de Napoléon.

À la pointe du jour il reçut un courrier de M. de ****; il lut ses dépêches, et dit au général Beker, en élevant au ciel des regards contristés: «C'est fini! c'en est fait de la France! partons!»

Il fut accueilli, sur son passage, par les plus vifs témoignages d'intérêt et de dévouement; mais rien ne put égaler les transports que firent éclater à sa vue les troupes et les habitans de la ville de Niort. Il recommanda au général Beker d'en instruire le gouvernement. «Dites-lui, général, qu'il connaît mal l'esprit de la France, qu'il s'est trop pressé de m'éloigner; que s'il avait accepté ma proposition, les affaires auraient changé de face; que je pourrais encore, au nom de la nation, exercer une grande influence dans la direction des affaires politiques, en appuyant les négociations du gouvernement, par une armée à laquelle mon nom aurait servi de point de ralliement.»

Le général se mit en devoir de transmettre à la commission les paroles de l'Empereur. Au moment où il terminait sa dépêche, on apprit qu'une forte canonnade avait été entendue le 30. L'Empereur fit sur-le-champ ajouter le post-scriptum suivant, que le général écrivit sous sa dictée: «Nous espérons que l'ennemi vous donnera le tems de couvrir Paris et de voir l'issue des négociations. Si, dans cette situation, la croisière anglaise arrête le départ de l'Empereur, vous pourrez disposer de lui comme soldat.»

L'Empereur continua sa route, et son voyage de Niort à Rochefort n'offrant aucun incident remarquable, je me résous, quoique à regret, à perdre un moment de vue cette auguste victime, pour revenir au gouvernement qui lui avait succédé.

Le gouvernement, pénétré de l'importance de sa mission, n'avait point cessé, depuis sa création, d'employer tous ses efforts à justifier la confiance des chambres. Sa politique tout à découvert, se renfermait dans ce peu de mots: Point de guerre, point de Bourbons; et il était doublement résolu à faire aux alliés toutes les concessions nécessaires pour obtenir une paix conforme au voeu national, ou à leur opposer une résistance inflexible, s'ils voulaient attenter à l'indépendance de la nation et lui donner un souverain qui ne fût pas de son choix.

Le duc d'Otrante, président de la commission, paraissait approuver, en conseil et en public, les principes et les résolutions de ses collègues. En particulier, c'était autre chose: dévoué en apparence à tous les partis, il les flattait et les abusait tour-à-tour par de faux épanchemens, de chimériques espérances. Il parlait de liberté aux républicains, de gloire et de Napoléon II aux Bonapartistes, de légitimité aux amis du Roi, de garanties et de paix générale aux partisans du duc d'Orléans, et parvenait ainsi à se ménager de tous les côtés, en cas de besoin, des appuis et des chances favorables[74]. Les hommes familiers avec son allure, n'étaient point dupes de ses artifices, et cherchaient à les dévoiler: mais sa conduite apparente était tellement inattaquable, que l'on regardait leurs avertissemens comme le fruit de préventions personnelles ou d'injustes soupçons.

On s'accordait d'ailleurs à reconnaître que le sort de la France dépendait des négociations avec les étrangers; et l'on espérait que les plénipotentiaires, et particulièrement MM. d'Argenson et Lafayette, dont les principes étaient invariables, rendraient impossible toute espèce de surprise et de trahison.

Ces plénipotentiaires avaient quitté Paris le 25 juin. Leurs instructions étaient ainsi conçues:

Instructions pour Messieurs les Plénipotentiaires de la commission du Gouvernement, auprès des Puissances Alliées.

Paris, le 23 juin 1815.

L'objet de la mission de messieurs les plénipotentiaires chargés de se rendre auprès des souverains alliés, n'a plus besoin d'être développé. Il est dans leurs coeurs comme dans tous les coeurs Français; il s'agit de sauver la patrie.

Le salut de la patrie est attaché à deux questions essentielles: l'indépendance nationale et l'intégralité de notre territoire.

L'indépendance nationale ne peut être complète, qu'autant que les principes constitutifs de l'organisation actuelle de la France, soient à l'abri de toute atteinte étrangère. L'un des principes de cette organisation est l'hérédité du trône dans la famille impériale. L'Empereur ayant abdiqué, ses droits sont dévolus à son fils. Les puissances ne peuvent porter la moindre atteinte à ce principe d'hérédité établi par nos constitutions, sans violer notre indépendance.

La déclaration du 13, et le traité du 25 mars, ont reçu une importante modification par l'article interprétatif que le cabinet Britannique a joint à la ratification de ce traité; article par lequel ce cabinet annonce qu'il n'entend point poursuivre la guerre, dans l'intention d'imposer à la France un gouvernement particulier. Cette modification a été adoptée par les alliés; elle a été consacrée par la lettre de lord Clancarty, du 6 mai, à la rédaction de laquelle tous les autres plénipotentiaires ont donné leur assentiment; elle a été consacrée par une note du prince de Metternich, en date du 9, et enfin par la déclaration des puissances, en date du 12 du même mois.

C'est ce grand principe reconnu par les puissances, que messieurs les plénipotentiaires doivent surtout invoquer.

On ne peut se dissimuler qu'il est fort à craindre que les puissances ne se croient plus liées aujourd'hui par les déclarations qu'elles ont faites avant le commencement des hostilités. Elles ne manqueront pas d'objecter, que si, avant la guerre, elles ont établi une distinction entre la nation et l'Empereur, cette distinction n'existe plus, lorsque la nation, en réunissant toutes ses forces dans les mains de ce prince, a uni de fait sa destinée à la sienne; que si, avant la guerre, elles étaient sincères dans l'intention de ne point se mêler des affaires intérieures de la France, elles sont forcées de s'en mêler aujourd'hui, précisément pour prévenir tout retour semblable de guerre et assurer le repos de l'avenir.

Il serait superflu d'indiquer à messieurs les plénipotentiaires les réponses qui peuvent être faites à ces objections; ils en puiseront la meilleure réfutation dans les sentimens de l'honneur national, qui, après que la nation entière s'était ralliée à l'Empereur, a dû combattre avec lui et pour lui, et qui ne pourrait s'en séparer qu'autant qu'on acte tel que celui d'une abdication, viendrait rompre les liens de la nation et de son souverain: il leur sera facile de démontrer que, si ce devoir sacré de l'honneur a forcé la nation Française à la guerre pour sa propre défense jointe à celle du chef qu'on voulait lui enlever, l'abdication de ce chef replace la nation dans l'état de paix avec toutes les puissances, puisque c'était ce chef seul qu'elles voulaient renverser; que si la déclaration faite par les puissances, de ne pas prétendre imposer à la France un gouvernement particulier, était franche et sincère, cette sincérité et cette franchise devraient se manifester aujourd'hui par leur respect pour l'indépendance nationale lorsque les circonstances nouvelles ont fait disparaître le seul grief dont elles se crussent autorisées à se plaindre.

Il est une objection d'une nature plus grave, et que les puissances pourraient mettre en avant, si elles sont déterminées à profiter de tous les avantages que leur situation militaire semble leur offrir. Cette objection serait celle qui tendrait à refuser de reconnaître la commission du gouvernement, et les plénipotentiaires et les actes de la représentation nationale, comme étant le résultat d'un ordre de choses qui ne serait pas légal à leurs yeux, attendu qu'elles ont constamment refusé de reconnaître le principe. Cette objection, si elle était fortement articulée et que les puissances ne voulussent point s'en désister, laisserait peu de jour à la possibilité d'un accommodement. Cependant, messieurs les plénipotentiaires ne négligeraient sans doute aucun effort pour combattre de pareilles objections, et ils ne manqueraient point de raisonnemens pour les combattre avec succès, surtout envers le gouvernement Britannique, dont la dynastie actuelle ne règne qu'en vertu des principes dont nous sommes à notre tour dans le cas d'invoquer l'application.

Peut-être encore, sans méconnaître l'indépendance de la nation Française, les souverains alliés s'attacheront à déclarer qu'il n'est pas constant pour eux que le voeu de la nation soit bien le voeu qui est exprimé par le gouvernement et même par les chambres; qu'ainsi pour connaître le véritable voeu de la nation, elles doivent commencer par rétablir tout ce qui existait avant le mois de mars 1815, sauf à la nation à décider ensuite si elle doit garder son ancien gouvernement ou s'en donner un nouveau.

La réponse à ces objections se trouverait encore dans celle que faisait autrefois l'Angleterre elle-même, aux ennemis qui voulaient lui disputer le droit de changer de gouvernement et de dynastie. L'Angleterre répondait alors: que le fait seul de la possession du pouvoir autorise les puissances étrangères à traiter avec celui qui en est revêtu. Ainsi, dans le cas où les autorités actuellement existantes en France ne seraient pas, comme elles le sont en effet, entourées de la légalité la plus complète, le refus de traiter avec elles ne pourrait être appuyé sur aucun raisonnement solide. Ce serait déclarer que l'on veut essayer jusqu'où l'on pourrait porter les prétentions de la force, et annoncer à la France qu'il n'y a point de salut pour elle, que dans les ressources du désespoir.

Enfin, il est une chance moins fâcheuse que nous devons aussi prévoir: c'est que les puissances, fidèles du moins en partie à leur déclaration, n'insistent point absolument pour imposer à la France la famille des Bourbons; mais qu'elles exigent d'un autre côté l'exclusion du fils de l'Empereur Napoléon, sous prétexte qu'une longue minorité pourrait donner lieu, ou à un dangereux déploiement de vues ambitieuses de la part des principaux membres de l'autorité en France, ou à des agitations intérieures dont le contre-coup se ferait sentir au-dehors. Si la question en était venue à ce point-là, messieurs les plénipotentiaires trouveraient dans les principes de l'objection, le principe même de la réponse, puisque la répartition du pouvoir entre les mains d'un conseil rend ordinairement l'autorité plus faible, puisque la minorité du prince est toujours pour un gouvernement une époque de mollesse et de langueur. Ils la trouveraient surtout dans l'esprit actuel de la nation Française, dans le besoin qu'elle a d'une longue paix, dans l'effroi que doit lui inspirer l'idée de la continuation ou du renouvellement de la guerre, dans les entraves qui seront mises par des lois constitutionnelles aux passions des membres du gouvernement. Quelle que soit d'ailleurs son organisation, ils trouveront dans toutes ces circonstances, et dans mille autres encore, des raisons très-valables à opposer à celles qu'on alléguerait contre le maintien des principes de l'hérédité dans la dynastie de l'Empereur Napoléon.

Le premier, et le plus solide gage que les alliés puissent donner à la nation Française de leur intention de respecter son indépendance, et de renoncer sans réserve à tout projet de la soumettre de nouveau au gouvernement de la famille des Bourbons. Les puissances alliées doivent maintenant être elles-mêmes bien convaincues que le rétablissement de cette famille est incompatible avec le repos général de la France, et par conséquent avec le repos de l'Europe. Si, c'est comme elles l'annoncent, un ordre stable qu'elles veulent rendre à la France et aux autres nations, le but serait manqué entièrement. Le retour d'une famille étrangère à nos moeurs, et toujours entourée d'hommes qui ont cessé d'être Français, rallumerait une seconde fois au milieu de nous toutes les passions et toutes les haines; et ce serait une illusion que d'espérer faire sortir un ordre stable du sein de tant d'élémens de discordes et de troubles. L'exclusion de la famille des Bourbons est ainsi une condition absolue du maintien de la tranquillité générale; et c'est dans l'intérêt commun de l'Europe, comme dans l'intérêt particulier de la France, l'un des points auxquels doivent tenir le plus fortement messieurs les plénipotentiaires.

La question de l'intégralité du territoire de la France, se lie intimement à celle de son indépendance. Si la guerre déclarée par les puissances alliées à l'Empereur Napoléon, n'était en effet déclarée qu'à lui seul, l'intégralité de notre territoire n'est point menacée. Il importe à l'équilibre général que la France conserve au moins les limites que le traité de Paris lui a assignées. Ce que les cabinets étrangers ont eux-mêmes regardé comme convenable et nécessaire en 1814, ils ne peuvent pas le voir d'un autre oeil en 1815. Quel prétexte pourrait aujourd'hui justifier de la part des puissances le démembrement du territoire Français? Tout est changé dans le système de l'Europe, tout au profit de l'Angleterre, de la Russie, de l'Autriche et de la Prusse, tout au détriment de la France. La nation Française n'en est point jalouse, mais elle ne veut être ni assujétie ni démembrée.

Deux objets principaux seront ainsi le but des efforts de messieurs les plénipotentiaires, le maintien de l'indépendance nationale, et la conservation de l'intégralité du territoire Français.

Ces deux questions sont enchaînées l'une à l'autre et indépendantes entre elles; on ne saurait les diviser, et admettre des modifications sur l'une des deux, sans compromettre le salut de la patrie.

Que s'il était fait, par les puissances étrangères, des propositions qui puissent se concilier avec nos plus chers intérêts, et qui nous fussent offertes comme dernier moyen de salut, messieurs les plénipotentiaires, en s'abstenant d'émettre une opinion prématurée, s'empresseront d'en rendre compte et de demander les ordres du gouvernement.

Quelles que soient les dispositions des puissances étrangères, soit qu'elles reconnaissent les deux principes qui sont indiqués à messieurs les plénipotentiaires comme base de leur mission, soit que les négociations amènent d'autres explications de nature à entraîner quelques détails; il est très-important, dans l'une et l'autre hypothèse, qu'un armistice général soit préalablement établi: le premier soin de messieurs les plénipotentiaires devra être, en conséquence, d'en faire la demande, et d'insister sur sa prompte conclusion.

Il est un devoir sacré que ne peut pas oublier la nation Française; c'est de stipuler la sûreté et l'inviolabilité de l'Empereur Napoléon hors de son territoire; c'est une dette d'honneur que la nation éprouve le besoin d'acquitter envers le prince, qui long-tems la couvrit de gloire, et qui, dans ses malheurs, renonce au trône pour qu'elle puisse être sauvée sans lui, puisqu'il paraît qu'elle ne peut plus l'être avec lui.

Le choix du lieu où devra se retirer l'Empereur, pourra être un sujet de discussion. Messieurs les plénipotentiaires en appelleront à la générosité personnelle des souverains, pour obtenir la fixation d'une résidence dont l'Empereur ait lieu d'être satisfait.

Indépendamment des considérations générales que messieurs les plénipotentiaires auront à faire valoir envers tous les souverains alliés indistinctement, ils jugeront d'eux-mêmes la diversité des raisonnemens dont ils auront à faire usage séparément auprès des divers cabinets.

Les intérêts de l'Angleterre, de l'Autriche, de la Russie et de la Prusse, n'étant pas les mêmes, c'est sous des points de vue différens, qu'il conviendra de faire envisager à chacun de ces cabinets les avantages que peut leur présenter respectivement le nouvel ordre de choses qui vient de s'établir en France. Toutes les puissances y trouveront la garantie de la conservation de ce qu'elles possèdent, soit en territoire, soit en influence; avec ces avantages généraux, quelques-unes doivent rencontrer encore des avantages particuliers.

L'Autriche pourrait bien ne pas voir avec plaisir le rétablissement sur le trône de France d'une branche de la dynastie des Bourbons, tandis qu'une autre branche de la même maison remonte sur le trône de Naples.

À cette circonstance, qui tient à la politique de cabinet, il se peut que l'affection de famille vienne encore donner quelque appui; il se peut que la tendresse de S. M. l'Empereur d'Autriche pour son petit-fils, le porte à ne pas l'enlever aux grandes destinées qui lui sont offertes. Il se peut que le cabinet autrichien aperçoive dans ce lien de parenté, un moyen de fortifier sa cause de l'appui de la nation Française, et qu'effrayé de l'agrandissement de la Russie et de la Prusse, dont l'alliance lui pèse sans doute, il saisisse l'occasion d'un rapprochement utile avec la France, pour avoir en elle, au besoin, un puissant auxiliaire contre ces deux gouvernemens.

D'autres raisons se présenteraient pour ramener vers nous le cabinet de Pétersbourg. Les idées libérales que professe l'Empereur de Russie, autorisent auprès de son ministère et auprès de ce prince même, un langage que peu d'autres souverains seraient capables d'entendre. Il est permis de croire aussi que ce monarque ne porte personnellement qu'un bien faible intérêt à la famille des Bourbons, dont la conduite en général ne lui a pas été agréable. Il n'a pas eu beaucoup à se louer d'elle, lorsqu'il l'a vue professer une reconnaissance presque exclusive pour le Prince régent d'Angleterre. D'ailleurs le but de la Russie est atteint; tous ses voeux de puissance et d'amour-propre sont également satisfaits. Tranquille pour long-tems et vainqueur sans avoir combattu, l'Empereur Alexandre peut rentrer avec orgueil dans ses états, et jouir d'un succès qui ne lui aura pas coûté un seul homme. La continuation de la guerre avec la France serait maintenant pour lui une guerre sans objet. Elle serait contre tous les calculs d'une bonne politique, contre les intérêts de ses peuples. Messieurs les plénipotentiaires tireront parti de ces circonstances et de beaucoup d'autres encore, pour tâcher de neutraliser une puissance aussi redoutable que la Russie.

Celle des puissances continentales dont la France peut espérer le moins de ménagemens, c'est la cour de Berlin; mais cette cour est celle dont les forces viennent de souffrir le plus violent échec; et pour peu que la Russie et l'Autriche se prêtent à entrer en négociations, la Prusse sera bien contrainte d'y accéder. On ne manquerait pas non plus, même avec cette cour, de raisons d'un grand poids pour l'amener à des dispositions plus amicales, si elle voulait s'écouter que ses intérêts véritables, et de tous les tems.

Messieurs les plénipotentiaires trouveront auprès des souverains alliés les plénipotentiaires britanniques; ce sera peut-être avec ces plénipotentiaires, que la négociation offrira le plus de difficultés. La question, à l'égard des alliés, n'est presque point une matière de discussion; avec cette puissance, tous les raisonnemens, tous les principes sont pour nous; tout consiste à savoir si la volonté ne sera pas indépendante de tous les principes, de tous les raisonnemens.

Les détails auxquels on vient de se livrer n'étaient pas nécessaires sans doute, et messieurs les plénipotentiaires auraient trouvé eux-mêmes tout ce qui leur est indiqué ici. Mais ces indications peuvent n'être pas sans utilité, attendu que leur effet naturel sera de porter l'esprit de messieurs les plénipotentiaires sur des considérations plus graves et sur des motifs plus puissans dont ils sauront se servir à propos, dans le grand intérêt de l'importante et difficile mission dont ils sont chargés.

Messieurs les plénipotentiaires trouvèrent dans les rapports faits à l'Empereur par le duc de Vicence, les 12 avril et 7 juin derniers, ainsi que dans les pièces justificatives qui accompagnent ces rapports, toutes les données dont ils peuvent avoir besoin pour bien apprécier notre situation à l'égard des puissances étrangères, et pour régler leur conduite avec les ministres de ces diverses puissances.

Le 26 juin, les plénipotentiaires eurent une première entrevue avec deux officiers prussiens, délégués par le maréchal Blucher. Ils en rendirent compte à la commission dans la personne de M. Bignon, chargé du portefeuille des affaires étrangères, par la dépêche suivante:

Laon, le 26 juin 1815,

10 heures du soir.

Monsieur le baron Bignon,

Nous avons reçu la lettre que vous nous avez fait l'honneur de nous écrire hier 25, au sujet de l'intention où est l'Empereur de se rendre avec ses frères aux États-Unis de l'Amérique.

Nous venons enfin de recevoir nos passeports pour nous rendre au quartier général des souverains alliés, qui doit se trouver à Heidelberg ou à Manheim. Le prince de Schoenburgh, aide-de-camp du maréchal Blucher nous accompagne. La route de Metz est celle que nous allons suivre. Notre départ aura lieu dans une heure.

Le maréchal Blucher nous a fait déclarer par le prince de Schoenburgh et le comte de Noslitz plus spécialement chargé de ses pouvoirs, que la France ne serait en aucune manière, gênée dans le choix de son gouvernement; mais dans l'armistice qu'il proposait, il demandait, pour sûreté de son armée, les places de Metz, de Thionville, de Mezières, de Maubeuge, de Sarrelouis et autres. Il part du principe qu'il doit être nanti contre les efforts que pourrait tenter le parti qu'il suppose à l'Empereur. Nous avons combattu, par des raisons victorieuses, toute cette argumentation, sans pouvoir parvenir à gagner du terrain; vous sentez, Monsieur, qu'il nous était impossible d'accéder à de pareilles demandes.

Nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour obtenir l'armistice à des conditions modérées, et il nous a été impossible d'arriver à une conclusion, parce que, dit le prince, il n'est pas autorisé à en faire une, et que d'immenses avantages peuvent seuls l'y décider, aussi long-tems que le but principal n'est pas atteint.

Nous avons offert une suspension d'armes au moins pour quinze jours; le refus a été aussi positif et par les mêmes motifs. Le comte de Noslitz a offert, au nom du prince Blucher, de recevoir à son quartier général, et à celui du duc de Wellington, des commissaires que vous leur enverrez, et qui seraient exclusivement occupés des négociations nécessaires pour arrêter la marche des armées et empêcher l'effusion du sang. Il est urgent que ces commissaires partent demain même, et qu'ils prennent la route de Noyon, où des ordres seront donnés par le maréchal Blucher pour les recevoir. Noyon va devenir son quartier général. Ils ne peuvent trop redire que l'Empereur n'a pas un grand parti en France, qu'il a profité des fautes des Bourbons, plutôt que des dispositions existantes en sa faveur, et qu'il ne pourrait fixer l'attention nationale qu'autant que les alliés manqueraient à leur déclaration.

Nous avons l'espérance de voir prendre un cours heureux à nos négociations, dont nous ne nous dissimulons point cependant les difficultés; le seul moyen d'empêcher que des événemens de guerre ne les fasse échouer, est de parvenir absolument à une trêve de quelques jours. Le choix des négociateurs pourra y influer; et nous le répétons, il n'y a pas un moment à perdre pour les diriger sur les armées Anglaise et Prussienne.

Les deux aides-de-camp du prince Blucher ont déclaré itérativement que les alliés ne tenaient en aucune manière au rétablissement des Bourbons; mais il nous est démontré qu'ils tendent à se rapprocher le plus possible de Paris; et ils pourraient alors user de prétextes et changer de langage.

Tout cela ne doit que presser davantage les mesures pour les réorganisations de l'armée, et surtout pour la défense de Paris: objet qui paraît les occuper essentiellement.

Des conversations que nous avons eues avec les deux aides-de-camp, il résulte en définitif (et nous avons le regret de le répéter), qu'une des grandes difficultés sera la personne de l'Empereur. Ils pensent que les puissances exigeront des garanties et des précautions, afin qu'il ne puisse jamais reparaître sur la scène du monde. Ils prétendent que leurs peuples mêmes demandent sûreté contre ses entreprises. Il est de notre devoir d'observer que son évasion, avant l'issue des négociations, serait regardée comme une mauvaise foi de notre part; et pourrait compromettre essentiellement le salut de la France. Nous avons d'ailleurs l'espérance que cette affaire pourra se terminer aussi à la satisfaction de l'Empereur, puisqu'ils ont fait peu d'objections à son séjour et à celui de ses frères en Angleterre; ce qu'ils ont paru préférer au projet de retraite en Amérique.

Il n'a été question dans aucune conversation, du prince impérial, nous ne devions pas aborder cette question, à laquelle ils ne se sont pas livrés.

(Signé) H. SÉBASTIANI; le comte DE PONTÉCOULANT; LA FAYETTE; d'ARGENSON; le comte DE LA FORÊT; BENJAMIN CONSTANT.

La commission, aussitôt cette dépêche reçue, chargea messieurs Andréossy, de Valence, Flaugergues, Boissy-d'Anglas et Labesnadière, de se rendre, en qualité de commissaires, au quartier-général des armées alliées pour demander une suspension d'armes et négocier un armistice.

Le duc d'Otrante, toujours empressé de s'ouvrir des correspondances ostensibles à la faveur desquelles il pût, au besoin, entretenir des intelligences secrètes, persuada au gouvernement qu'il serait convenable de préparer l'accès aux commissaires, par une démarche préalable; et il adressa, en conséquence, au duc de Wellington, une lettre de félicitation, dans laquelle il le supplia, avec une pompeuse bassesse, d'accorder à la France son suffrage et sa protection.

On remit aux commissaires copies des premières instructions, et on y ajouta celles que voici:

Instructions pour Messieurs les Commissaires chargés de traiter d'un armistice.

Paris, le 27 Juin 1815.

Les premières ouvertures faites à nos plénipotentiaires sur les conditions au prix desquelles le commandant en chef de l'une des armées ennemies consentirait à un armistice, sont de nature à effrayer sur celles que pourraient aussi demander les commandans des armées des autres puissances, et à rendre fort problématique la possibilité d'un arrangement. Quelque fâcheuse que soit en ce moment notre position militaire, il est des sacrifices auxquels l'intérêt national ne nous permet pas de souscrire.

Il est évident que le motif sur lequel le prince Blucher fonde la demande qu'il a faite de six de nos places de guerre que l'on nomme, et de quelques autres que l'on ne nomme pas, que ce motif, la sûreté de son armée, est une de ces allégations mises en avant par la force, pour porter aussi loin qu'il est possible le bénéfice des succès d'un moment. Cette allégation est des plus faciles à réfuter, puisqu'il est pour ainsi dire dérisoire de demander des gages pour la sûreté d'une armée déjà maîtresse d'une assez grande partie de notre territoire, et qui marche presque seule, sans obstacles, au coeur de la France. Il est encore une autre déclaration, faite de la part du prince Blucher, et celle-ci est plus inquiétante: c'est que pour prendre sur lui de conclure un armistice auquel il n'est pas autorisé, il ne peut y être décidé que par d'immenses avantages. Il y a, dans cette déclaration, une franchise d'exigence qui présente beaucoup de difficultés pour un accommodement. Cependant, quoique la commission du gouvernement soit bien éloignée de vouloir favoriser les cessions qu'on exige, elle ne se retrancherait pas dans un refus absolu d'entrer en discussion sur un arrangement dont les conditions ne dépasseraient pas les bornes tracées par le véritable intérêt public.

Si, pour arriver à un résultat, il fallait se résoudre à la cession d'une place, il est bien entendu que cette cession ne devrait avoir lieu, qu'autant qu'elle garantirait un armistice qui se prolongerait jusqu'à la conclusion de la paix. On se dispense d'ajouter que la remise de cette place ne devrait s'effectuer qu'après la ratification de l'armistice par les gouvernemens respectifs.

L'un des points qui réclame tout le zèle de messieurs les commissaires, est la fixation de la ligne où devra s'arrêter l'occupation du territoire Français par les armées ennemies.

Il serait d'une grande importance d'obtenir la ligne de la Somme; ce qui replacerait les troupes étrangères à près de trente lieues de Paris. Messieurs les commissaires devront fortement insister, pour les tenir au moins à cette distance.

Si l'ennemi était plus exigeant encore, et qu'enfin on fût condamné à plus de condescendance, il faudrait que la ligne qui serait tracée entre la Somme et l'Oise, ne le laissât point approcher de Paris à plus de vingt lieues. On pourrait prendre la ligne qui sépare le département de la Somme du département de l'Oise, en détachant de celui-ci la partie septentrionale du département de l'Aisne, et de là une ligne droite à travers le département des Ardennes, qui irait joindre la Meuse auprès de Mézières.

Au reste, sur cette fixation de la ligne de l'armistice, on ne peut que s'en rapporter à l'habileté de messieurs les commissaires, pour tâcher d'obtenir l'arrangement le plus favorable.

Leur mission étant commune aux armées anglaises et prussiennes, il n'est pas besoin de les avertir qu'il est indispensable que l'armistice soit commun aux deux armées.

Il serait bien important aussi de pouvoir faire entrer dans l'armistice, comme l'une de ses clauses, qu'il s'étendrait à toutes les autres armées ennemies, en prenant pour base le statu quo de la situation des armées respectives, au moment où la nouvelle de l'armistice y arriverait. Si cette stipulation est rejetée, sous le prétexte que les commandans des armées anglaises et prussiennes n'ont pas le droit de prendre des arrangemens au nom des commandans des armées des autres puissances, on pourrait du moins convenir que ceux-ci seront invités à y accéder, d'après la base ci-dessus énoncée.

Comme les négociations mêmes de l'armistice, par la nature des conditions déjà mises en avant et qui doivent être le sujet de débats plus sérieux, entraîneront inévitablement quelques lenteurs, c'est une précaution rigoureusement nécessaire, d'obtenir que, pour traiter de l'armistice, tous les mouvemens soient arrêtés pendant quelques jours, ou au moins pendant quarante-huit heures.

Il est une disposition de prévoyance, que messieurs les commissaires ne doivent pas négliger; c'est de stipuler que les armées ennemies ne lèveraient point de contributions extraordinaires.

Quoique l'objet particulier de leur mission soit la conclusion d'un armistice, comme il est difficile que dans leurs communications avec le duc de Wellington et le prince Blucher, messieurs les commissaires n'aient point à entendre, de la part de ces généraux, ou des propositions, ou des insinuations, ou même de simples conjectures sur les vues que pourraient admettre les souverains alliés, à l'égard de la forme de gouvernement de la France, messieurs les commissaires ne manqueront pas sans doute de recueillir avec soin tout ce qui leur paraîtra pouvoir être de quelque influence sur le parti définitif à prendre par le gouvernement.

La copie qui leur est remise des instructions données à messieurs les plénipotentiaires chargés de se rendre auprès des souverains alliés, leur fera connaître quelles ont été, jusqu'à ce jour, les bases sur lesquelles le gouvernement a désiré établir les négociations. Il est possible que le cours des événemens le force à élargir ces bases; mais messieurs les commissaires jugeront que si une nécessité absolue oblige à donner les mains à des arrangemens d'une autre nature, de manière que nous ne puissions sauver, dans toute sa plénitude, le principe de notre indépendance, c'est un devoir sacré de tâcher d'échapper à la plus grande partie des inconvéniens attachés au malheur seul de sa modification.

On remet aussi à messieurs les commissaires copie de la lettre que messieurs les plénipotentiaires ont écrite de Laon, et datée d'hier 26. Les résolutions[75] qui ont été prises aujourd'hui par le gouvernement, leur fournissent des moyens de répondre à toutes les objections qu'on pourrait leur faire sur le danger et la possibilité du retour de l'Empereur Napoléon.

Pour que le langage de messieurs les commissaires soit parfaitement d'accord avec tout ce qui a été fait par la commission du gouvernement, on leur remet encore ci-jointe copie des lettres qui ont été écrites à lord Castlereagh et au duc de Wellington, relativement au prochain départ de Napoléon et de ses frères.

Sur les questions relatives à la forme du gouvernement de la France, provisoirement, messieurs les commissaires se borneront à entendre les ouvertures qui leur seront faites; et ils auront soin d'en rendre compte, afin que, d'après la nature de leurs rapports, le gouvernement puisse prendre la détermination que prescrirait le salut de la patrie.

On voit, d'après ce document, que la commission, pressentant déjà l'impossibilité de conserver le trône à Napoléon II, était disposée à entrer en pourparlers avec les alliés sur le choix d'un autre souverain. Liée par son mandat, elle n'aurait jamais consenti volontairement à transiger avec les Bourbons, mais elle n'aurait point eu de répugnance (je le conjecture du moins) à laisser placer la couronne sur la tête du roi de Saxe ou du duc d'Orléans.

Le parti de ce dernier prince, recruté par M. Fouché, s'était renforcé d'un grand nombre de députés et de généraux. «Les qualités du duc, les souvenirs de Jemmappes et de quelques autres victoires sous la république, auxquelles il n'avait pas été étranger; la possibilité de faire un traité qui concilierait tous les intérêts; ce nom de Bourbon qui aurait pu servir au-dehors, sans qu'on le prononçât au-dedans: tous ces motifs et d'autres encore, offraient, dans ce choix, une perspective de repos et de sécurité à ceux mêmes qui ne pouvaient y voir le présage du bonheur.»

Le roi de Saxe n'avait d'autre titre aux suffrages de la France, que la fidélité héroïque qu'il lui avait conservée en 1814. Mais l'empire, après lui, aurait pu retourner à Napoléon II; et comme avec de l'expérience, de la sagesse et des vertus, un prince peut régner indistinctement sur tous les peuples et les rendre heureux, on se serait résigné à passer sous les lois d'un monarque étranger, jusqu'au jour où sa mort aurait replacé le sceptre dans les mains de son légitime possesseur.

La déférence que la commission se préparait à montrer pour la volonté des puissances alliées, n'était point l'effet de sa propre faiblesse. Elle lui avait été commandée par les rapports alarmans que le maréchal Grouchy lui adressait chaque jour sur l'abattement et la défection de l'armée.

Les soldats, il est vrai, découragés par l'abdication de l'Empereur et les bruits du retour des Bourbons, paraissaient irrésolus: «Nos blessures, disaient-ils, ne seront plus que des titres de proscription». Les généraux eux-mêmes, rendus timides par l'incertitude de l'avenir, ne se prononçaient plus qu'avec circonspection; mais tous, généraux et soldats, portaient, au fond du coeur, les mêmes sentimens; et leur hésitation, leur tiédeur, étaient l'ouvrage de leur chef, qui, manquant en France comme sur les bords de la Dyle, de résolution et de force d'âme, ne prenait point la peine de cacher qu'il regardait la cause nationale comme perdue, et qu'il n'attendait qu'une occasion favorable pour apaiser les Bourbons et leurs alliés, par une prompte et entière soumission.

La commission cependant, éclairée par des lettres particulières, conçut des soupçons sur la véracité des rapports du maréchal. Elle donna la mission au général Corbineau, de lui rendre compte de l'état de l'armée. Instruite de la vérité, elle ne craignit plus d'être forcée de recevoir humblement la loi du vainqueur; et voulant empêcher le maréchal Grouchy, dont les intentions avaient cessé d'être un mystère, de compromettre l'indépendance nationale par une transaction irréfléchie, elle lui fit défendre de négocier aucun armistice, d'entamer aucune négociation, et lui ordonna de ramener son armée à Paris.

Le prince d'Eckmuhl, dont l'absence de fermeté s'était manifestée si pitoyablement dans la retraite de Moscow, ne put résister à ce nouveau choc; l'exemple du maréchal Grouchy l'entraîna; et persuadé, comme lui, qu'il fallait se hâter de se soumettre, il déclara au gouvernement qu'il n'y avait pas un moment à perdre pour rappeler les Bourbons, et lui proposa d'envoyer offrir au Roi: 1.° d'entrer à Paris sans garde étrangère; 2.° de prendre la cocarde tricolore; 3.° de garantir les propriétés et les personnes quelles qu'aient été leurs fonctions, places, votes et opinions; 4.° de maintenir les deux chambres; 5.° d'assurer aux fonctionnaires la conservation de leurs places, et à l'armée la conservation de ses grades, pensions, honneurs, prérogatives; 6.° de maintenir la légion d'honneur, et son institution, comme premier ordre de l'état.

La commission, trop clairvoyante pour se laisser amorcer par cette proposition, s'empressa de la rejeter; et, fidèle au système de ne rien dissimuler aux deux chambres, elle en instruisit les membres principaux, en leur répétant que quel que soit l'événement, «elle ne leur proposerait jamais rien de pusillanime ni de contraire à ses devoirs, et qu'elle défendrait jusqu'à la dernière extrémité l'indépendance de la nation, l'inviolabilité des chambres et la liberté et la sûreté des citoyens.»

Les représentans répondirent à cette déclaration, en mettant Paris en état de siége, et en votant une adresse à l'armée[76].

Braves soldats (portait cette adresse), un grand revers a dû vous étonner, mais non vous abattre. La patrie a besoin de votre constance et de votre courage. Elle vous a confié le dépôt de la gloire nationale, et vous répondrez à son appel.

«Des plénipotentiaires ont été envoyés aux puissances alliées… le succès des négociations dépend de vous. Serrez-vous autour du drapeau tricolor, consacré par la gloire et le voeu national. Vous nous verrez, s'il le faut, dans vos rangs, et nous prouverons au monde que vingt-cinq années de sacrifices et de gloire ne seront jamais effacées, et qu'un peuple qui veut être libre, ne perd jamais sa liberté.

L'attitude de la chambre et du gouvernement ne rassura point le prince d'Eckmuhl. Il revint à la charge, et écrivit, dans la nuit du 29, au président de la commission, qu'il avait vaincu ses préjugés et ses idées, et qu'il reconnaissait qu'il n'existait plus d'autre moyen de salut, que de conclure un armistice et de proclamer sur-le-champ Louis XVIII.»

Le président lui répondit:

Je suis persuadé comme vous, M. le maréchal, qu'il n'y a rien de mieux à faire que de traiter promptement d'un armistice; mais il faut savoir ce que veut l'ennemi; une conduite mal calculée produirait trois maux: 1.° d'avoir reconnu Louis XVIII avant tout engagement de sa part; 2.° de n'en être pas moins forcé de recevoir l'ennemi dans Paris; 3.° de n'obtenir aucune condition de Louis XVIII.

Je prends sur moi de vous autoriser à envoyer aux avant-postes de l'ennemi, et de conclure un armistice, en faisant tous les sacrifices qui seront compatibles avec nos devoirs et notre dignité. Il vaudrait mieux céder des places fortes que de sacrifier Paris.

Le duc d'Otrante ayant mis cette lettre sous les yeux de la commission, elle pensa que la réponse de son président jugeait implicitement la question du rappel de Louis XVIII, et laissait trop de latitude au prince d'Eckmuhl. Elle lui fit écrire sur-le-champ une lettre supplémentaire, portant:

Il est inutile de vous dire, M. le maréchal, que votre armistice doit être purement militaire, et qu'il ne doit contenir aucune question politique. Il serait convenable que cette demande d'armistice fût portée par un général de ligne et un maréchal de camp de la garde nationale.

Ainsi, dans l'espace des vingt-quatre heures qui précédèrent et suivirent le départ de l'Empereur, la commission eut à repousser et repoussa les instigations plus ou moins coupables du ministre de la guerre, du général en chef de l'armée et du président du gouvernement[77].

Cependant l'armée, de pas en pas, était arrivée aux portes de Paris.

Le maréchal Grouchy, mécontent et déconcerté, donna sa démission, pour cause de santé.

Le prince d'Eckmuhl qui, par un air de bonne foi et des protestations multipliées de dévouement et de fidélité, avait reconquis, grâce au duc d'Otrante, la confiance de la majorité des membres de la commission, fut investi du commandement en chef de l'armée.

Le 30 juin, un message prévint les chambres que les ennemis étaient en vue de la capitale; que l'armée, réorganisée, occupait une ligne de défense qui protégeait Paris; qu'elle était animée du meilleur esprit, et que son dévouement égalait sa valeur.

Des députations des deux chambres partirent aussitôt pour porter aux défenseurs de la patrie l'expression des principes, des sentimens et des espérances de la représentation nationale. Leur langage patriotique, leur écharpe tricolore, le nom de NAPOLÉON II qu'ils eurent soin de prononcer, électrisèrent le soldat et achevèrent de lui rendre cette confiance en soi-même et cette résolution de mourir ou de vaincre, présages infaillibles de la victoire.

Le moment était propice pour marcher au combat. Le prince d'Eckmuhl sollicita la paix.

Un armistice venait d'être conclu entre le duc d'Albuféra et le maréchal de Frimont, commandant les forces Autrichiennes. Il en instruisit le duc de Wellington et lui demanda de faire cesser les hostilités, jusqu'à la décision du congrès.

Si je me présente sur le champ de bataille avec l'idée de vos talens, ajouta-t-il, j'y porterai la conviction d'y combattre pour la plus sainte des causes, celle de la défense et de l'indépendance de ma patrie; et quel qu'en soit le résultat, je mériterai, milord, votre estime.»

Que si, au lieu de parler ce langage plus digne d'un homme à moitié vaincu que d'un général français habitué à vaincre, un autre chef autrement inspiré eût déclaré, avec une noble fermeté, qu'il était prêt, si l'on ne cessait point d'injustes agressions, à donner à ses quatre-vingt mille braves le signal de la mort ou de la victoire, l'ennemi aurait indubitablement renoncé à poursuivre une guerre devenue sans objet, sans utilité et sans gloire. Mais le duc de Wellington, instruit fidèlement de l'état véritable des choses, savait que le prince d'Eckmuhl, satisfait d'avoir vaincu ses préjugés et ses idées, paraissait plus disposé à neutraliser le courage de ses troupes, qu'à le mettre à l'épreuve; et Wellington refusa la suspension d'armes proposée. Il entrait dans la politique des princes armés pour la légitimité, de nous contraindre à recevoir, chapeau bas, Louis XVIII; et dès lors, il était conséquent que les généraux alliés éludassent de transiger, puisque les sentimens du président de la commission et du général de l'armée française leur garantissaient qu'ils pourraient attendre, sans avoir de risques à courir, que les circonstances ou la trahison nous forçassent de subir la loi de la nécessité.

Wellington avait repoussé la proposition du maréchal Davoust, sous le prétexte frivole que l'Empereur avait repris le commandement de l'armée. On conçoit facilement que la commission n'avait point omis d'instruire sur-le-champ les commissaires, du départ de Napoléon et des circonstances qui l'avaient précédé. Mais jusqu'alors, elle n'avait reçu, de leur part, aucune communication. Leur correspondance entravée à dessein par les alliés, l'avait en outre été par nos avant-postes qui, regardant les parlementaires comme des artisans de trahison, leur avaient fermé le passage à coups de fusil. La commission résolut donc de se procurer à tout prix de leurs nouvelles; et sur la présentation du duc d'Otrante, elle leur expédia M. de Tromeling. Elle n'ignorait point que cet officier émigré, Vendéen et détenu long-tems au Temple, comme compagnon de sir Sidney Smith et du capitaine Wright, méritait peu la confiance des patriotes. Mais les agens à deux fins de M. Fouché parvenaient seuls à se faire ouvrir les lignes ennemies; et il fallait, malgré soi s'en servir.

M. Tromeling partit. Au lieu de remettre ses dépêches aux commissaires, il craignit qu'elles ne lui fussent enlevées par l'ennemi, et il les déchira. La commission pensa qu'il s'était plutôt trompé d'adresse; mais elle excusa volontiers cette erreur, pour ne s'occuper que des nouvelles qu'il lui avait rapportées.

Nos commissaires arrivés le 28 au quartier général anglais, s'étaient empressés de solliciter une suspension d'armes.

Lord Wellington leur annonça qu'il désirait se concerter à cet égard avec le prince Blucher; et le 29 juin, à onze heures et demie du soir, il leur transmit cette réponse.

Au quartier général du prince Blucher, ce 25 juin 1815, onze heures et demie de la nuit.

Messieurs,

J'ai l'honneur de vous faire savoir qu'ayant consulté le maréchal prince Blucher sur votre proposition pour un armistice, S. A. est convenue avec moi que, dans les circonstances actuelles, aucun armistice ne peut se faire, tant que Napoléon Bonaparte est à Paris et en liberté; et que les opérations sont en tel état qu'il ne peut pas les arrêter.

J'ai l'honneur, etc.

WELLINGTON.

Le 1er juillet, ils eurent, dans la matinée, une conférence dont ils rendirent compte au gouvernement, par la dépêche suivante, adressée à M. le baron Bignon, secrétaire d'état, adjoint au ministre des affaires étrangères.

Louvre, 1 juillet 1815, avant midi.

Monsieur le Baron,

Les dépêches, n° 1, 2 et 3, que nous avons eu l'honneur de vous adresser, sont restées sans réponse[78]. Nous sommes absolument privés de connaître ce qui se passe à Paris et dans le reste de la France. À quelque cause que ce manque de communication puisse être attribué, il rend notre situation pénible et nuit à l'activité de nos démarches. Il peut les rendre inutiles; nous vous prions d'y remédier le plus promptement possible.

Jusqu'à présent, nous sommes autorisés à penser qu'aussitôt que vous nous aurez fait connaître que Napoléon Bonaparte aura été éloigné, il pourra être signé une suspension d'armes de trois jours pour régler un armistice, pendant lequel on pourra traiter de la paix.

Chargés par les instructions qui nous ont été données, d'entendre ce qui pourra nous être dit et de vous en donner connaissance, nous devons vous informer que le duc de Wellington nous a répété, à plusieurs reprises, que, dès que nous aurons un chef de gouvernement, la paix sera promptement conclue.

En parlant, dit-il, seulement comme un individu, mais croyant cependant que son opinion pourra être prise en considération, il fait plus que des objections contre le gouvernement de Napoléon II, et il pense que sous un tel règne, l'Europe ne pourrait jouir d'aucune sécurité, et la France d'aucun calme.

On dit qu'on ne prétend point s'opposer au choix d'aucun autre chef de gouvernement. L'on répète, à chaque occasion, que les puissances de l'Europe ne prétendent point intervenir dans ce choix; mais on ajoute que, si le prince choisi était dans le cas, par la nature même de sa situation, d'alarmer la tranquillité de l'Europe, en mettant en problème celle de la France, il serait nécessaire aux puissances alliées d'avoir des garanties; et nous sommes fondés à croire que ces garanties seraient des cessions de territoire.

Un seul (Louis XVIII) leur semble réunir toutes les conditions, qui empêcheraient l'Europe de demander des garanties pour sa sécurité.

Déjà, disent-ils, il réside à Cambray; le Quesnoy lui a ouvert ses portes. Ces places et d'autres villes sont en sa puissance, soit qu'elles se soient données, ou qu'elles lui aient été remises par les alliés.

Le duc de Wellington reconnaît et énumère une partie considérable des fautes de Louis XVIII, pendant son gouvernement de quelques mois. Il place au premier rang, d'avoir donné entrée dans son conseil aux princes de sa famille, d'avoir eu un ministère sans unité et non responsable, d'avoir créé une maison militaire choisie autrement que dans les soldats de l'armée, de ne s'être pas entouré de personnes qui eussent un véritable intérêt au maintien de la Charte.

Il lui semble qu'en faisant connaître les griefs sans faire de conditions, il pourrait être pris des engagemens publics qui rassureraient pour l'avenir, en donnant à la France les garanties qu'elle peut désirer.

     Si l'on discute des conditions, d'autres que les autorités
     actuelles pourront délibérer, reprit le duc.

     Si l'on perd du tems, des généraux d'autres armées pourront se
     mêler des négociations, elles se compliqueraient d'autres intérêts.

Nous joignons deux proclamations de Louis XVIII, etc.

     (Signé) ANDRÉOSSY, comte BOISSY-D'ANGLAS, FLAUGERGUES, VALENCE,
     LABESNADIÈRE.

La dépêche de M. Bignon, annonçant le départ de Napoléon, leur étant parvenue à l'issue de ce premier entretien, ils s'empressèrent de la communiquer à lord Wellington et de réclamer une suspension d'armes, pour conclure l'armistice auquel la présence de Napoléon avait été jusqu'alors le seul obstacle.

Lord Wellington leur répondit qu'il était nécessaire qu'il en conférât avec le prince Blucher, et qu'il leur rendrait réponse dans la journée.

Le soir, ils eurent une nouvelle conférence avec ce général, qui donna lieu à la dépêche ci-après.

Louvre, 1er juillet, à huit heures et demie du soir.

Lord Wellington nous a donné connaissance d'une lettre de Manheim, écrite au nom des Empereurs de Russie et d'Autriche par MM. de Nesselrode et de Metternich. Cette lettre presse vivement la poursuite des opérations, et déclare que, s'il était adopté quelque armistice par les généraux qui dans ce moment sont près de Paris, leurs majestés ne le regarderaient point comme devant arrêter leur marche, et qu'elles ordonneraient à leurs troupes de s'approcher de Paris.

M. le comte d'Artois venait d'arriver au quartier général du duc de Wellington qui nous a reçus seuls dans son salon. Nous n'avons pas apperçu le prince: il était dans un appartement séparé.

Nous avons insisté pour l'exécution de la promesse qui nous avait été faite. Le duc de Wellington nous a répondu qu'il nous avait toujours annoncé ne pouvoir prendre d'engagemens définitifs, avant qu'il se fût entendu avec le maréchal prince Blucher; qu'il allait le joindre pour le porter à s'unir avec lui, pour convenir d'un armistice.

Il a ajouté qu'il ne nous dissimulait pas que le feld-maréchal avait un extrême éloignement pour tout ce qui arrêtera ses opérations, qui s'étendaient déjà sur la rive gauche de la Seine; et qu'il ne pourrait cesser d'appuyer ses mouvemens, s'il ne pouvait l'amener à partager son opinion.

Il nous a communiqué une proposition d'armistice faite par le prince d'Eckmuhl, qu'il venait de recevoir.

Il nous a assuré qu'aussitôt qu'il aurait vu le prince Blucher, il reviendrait nous joindre à Louvre, et nous enverrait prier de nous rendre à Gonesse.

«En causant des conditions possibles d'armistice, il a insinué qu'il demanderait que l'armée sortît de Paris, ce que nous avons décliné, en opposant qu'il était au contraire convenable que ce fût l'armée des alliés qui prît des positions éloignées, pour qu'il fût possible de délibérer en liberté sur les grands intérêts de la patrie, dont ils paraissaient reconnaître l'influence sur ceux de l'Europe.

«La conférence s'est ainsi terminée; nous avons quelque raison de croire que lord Wellington fera connaître à M. le comte d'Artois qu'il doit se placer à une distance beaucoup plus considérable de Paris.»

M. le baron Bignon leur répondit sur-le-champ ce qui suit:

À Messieurs les Commissaires chargés de l'Armistice.

1er juillet.

Vous annonciez, Messieurs, que vous étiez autorisés à croire que, Napoléon Bonaparte éloigné, il pourrait être signé une suspension d'armes, pendant laquelle on traiterait de la paix. La condition voulue étant remplie, il n'y a plus en ce moment aucun motif qui puisse s'opposer à une suspension d'armes et à un armistice. Il est vivement à désirer que la suspension, d'armes, au lieu d'être de trois jours seulement, soit au moins de cinq jours.

Nous ne pensons pas que les Anglais et les Prussiens seuls prétendent forcer nos lignes; ce serait vouloir faire gratuitement des pertes inutiles; d'après eux-mêmes, ils ne doivent être rejoints par les Bavarois, que dans la première quinzaine de ce mois; il peut leur convenir ainsi d'attendre ce renfort; et c'est une raison de plus, de ne pas se refuser à un armistice qui aura pour eux autant et plus d'avantages que pour nous. Enfin, si les alliés ne veulent pas tout-à-fait oublier leurs déclarations solennelles, que prétendent-ils maintenant? Le seul obstacle qui, selon eux, s'opposait à la conclusion de la paix, est irrévocablement écarté; rien ne s'oppose plus ainsi à ce rétablissement; et pour arriver à la paix, rien de plus pressant qu'un armistice.

La commission du gouvernement a eu sous les yeux tous les détails que vous avez transmis, du langage que vous tient le duc de Wellington. Elle désire, messieurs, que vous vous attachiez à distinguer la question politique de la forme du gouvernement de la France, de la question actuelle de la conclusion d'un armistice. Sans repousser aucune des ouvertures qui vous sont faites, il est facile de faire comprendre au duc de Wellington, que, si dans l'état actuel des choses, la question politique du gouvernement de la France doit inévitablement devenir le sujet d'une sorte de transaction entre la France et les puissances alliées, l'intérêt général de la France et des puissances elles-mêmes, est de ne rien précipiter et de ne s'arrêter à un parti définitif, qu'après avoir mûrement pesé ce qui offrira des garanties véritables pour l'avenir. Il est possible que les puissances elles-mêmes, mieux éclairées sur les sentimens de la nation Française, ne persévèrent pas dans des résolutions qu'elles peuvent avoir prises, d'après d'autres données. Napoléon n'est plus à Paris, depuis près de huit jours; sa carrière politique est finie. S'il existait en faveur des Bourbons une disposition nationale, cette disposition se serait manifestée avec éclat; et leur rappel serait déjà consommé. Il est donc évident que ce n'est pas le rétablissement de cette famille, que veut la nation Française. Il reste à examiner aux souverains alliés, que si, en voulant l'imposer à la nation malgré elle, ils n'agiraient pas eux-mêmes contre leurs propres intentions, puisqu'au lieu d'assurer la paix intérieure de la France, ils y semeraient de nouveaux germes de discorde.

On connaissait ici les proclamations de Louis XVIII; et déjà la nature de ces proclamations détruit toutes les espérances que pourrait donner le langage du duc de Wellington. On peut juger par l'esprit qui respire dans ces actes récemment publiés, que le ministère royal actuel ou n'a pas voulu, ou n'a pas pu empêcher ce que la nation Française pouvait attendre de ce gouvernement.

Au reste, messieurs, vous devez vous borner à tout entendre; vous devez établir que la France elle-même ne désire que ce qui peut être le plus utile dans l'intérêt général, et que si elle veut tout autre système que le rétablissement des Bourbons, c'est qu'il n'en est point qui lui présente autant d'inconvéniens et aussi peu d'avantages.

«Vous devez, messieurs, bien répéter au duc de Wellington et au prince Blucher, que si le gouvernement Français insiste avec chaleur sur un armistice, c'est qu'il y voit la possibilité de s'entendre sur des points à l'égard desquels les opinions paraissent les plus divisées; c'est que les communications et les rapports qui s'établiront entre leurs quartiers généraux et nous, les mettront en état de bien apprécier le véritable esprit de la France. Nous pensons particulièrement que le noble caractère du duc de Wellington et la sagesse des souverains alliés ne pourront les porter à vouloir forcer la nation Française à se soumettre à un gouvernement que repousse le voeu bien réel de la grande majorité de la population.»

Ce langage, si remarquable par sa modération, fut corroboré par la lettre ostensible ci-après, que le duc d'Otrante crut devoir adresser à chacun des généraux en chef des armées assiégeantes.

Milord (ou prince),

Indépendamment du cours des nos négociations, je me fais un devoir d'écrire personnellement à votre seigneurie, au sujet d'un armistice dont le refus, je l'avoue, me semble inexplicable. Nos plénipotentiaires sont au quartier général depuis le 28 juin, et nous sommes encore sans une réponse positive.

La paix existe déjà, puisque la guerre n'a plus d'objet: nos droits à l'indépendance, l'engagement pris par les souverains de la respecter, n'en subsisteraient pas moins après la prise de Paris. Il serait donc inhumain, il serait donc atroce de livrer des batailles sanglantes, qui ne changeraient en rien les questions qui sont à décider.

Je dois parler franchement à votre seigneurie; notre état de possession, notre état légal qui a la double sanction du peuple et des chambres, est celui d'un gouvernement, où le petit-fils de l'Empereur d'Autriche est le chef de l'état. Nous ne pourrions songer à changer cet état des choses, que dans le cas où la nation aurait acquis la certitude que les puissances révoquent leurs promesses et que leurs voeux communs s'opposent à la conservation de notre gouvernement actuel.

Ainsi, quoi de plus juste, que de conclure un armistice? Y a-t-il un autre moyen de laisser aux puissances le tems de s'expliquer, et à la France le tems de connaître le voeu des puissances?

Il n'échappera point à votre seigneurie que déjà une grande puissance trouve, dans notre état de possession, un droit personnel d'intérêt pour ses propres intérêts dans nos affaires intérieures. Aussi long-tems que cet état ne sera pas changé, il en résulte une obligation de plus pour les deux chambres de ne pouvoir consentir aujourd'hui à aucune mesure capable d'altérer notre possession.

La marche la plus naturelle à suivre, n'est-elle pas celle qu'on vient d'adopter sur nos frontières de l'Est? On ne s'est pas borné à un armistice entre le général Budna et le maréchal Suchet; il a été stipulé que nous rentrerions dans nos limites du traité de Paris, parce qu'en effet la guerre doit être regardée comme terminée, par le seul fait de l'abdication de Napoléon.

Le feld-maréchal Frimont, de son côté, a consenti à l'armistice, pour venir, a-t-il dit, par des arrangemens préliminaires, au-devant de ceux qui pourraient avoir lieu entre les alliés. Nous ne savons même pas si l'Angleterre et la Prusse ont changé de volonté au sujet de notre indépendance; car la marche des armées ne peut pas être un indice certain de la volonté des cabinets. La volonté de deux puissances ne pourrait même pas nous suffire; c'est leur accord que nous avons besoin de connaître. Voudriez-vous devancer cet accord? Voudriez-vous y mettre obstacle, et faire naître une nouvelle tempête politique, d'un état de choses qui est si voisin de la paix?

Je ne crains pas, moi, d'aller au-devant de toutes les objections. On s'imagine peut-être que l'occupation de Paris par deux des armées alliées, seconderait les vues que vous pouvez avoir de rétablir Louis XVIII sur le trône. Mais comment l'augmentation des maux de la guerre qu'on ne pourrait plus qu'attribuer à ce motif, serait-elle un moyen de réconciliation?

Je dois déclarer à votre seigneurie que toute tentative détournée pour nous imposer un gouvernement, avant que les puissances se soient expliquées, forcerait aussitôt les chambres à des mesures qui ne laisseraient, dans aucun cas, la possibilité d'aucun rapprochement. L'intérêt même du Roi est que tout reste en suspens; la force peut le replacer sur le trône, mais elle ne l'y maintiendra pas. Ce n'est ni par la force, ni par des surprises, ni par les voeux d'un parti, que la volonté nationale pourrait être ramenée à changer son gouvernement. C'est même en vain que, dans le moment actuel, on vous offrirait des conditions pour nous rendre un nouveau gouvernement plus supportable. Il n'y a point de condition à examiner, tant que la nécessité de plier sous le joug, de renoncer à notre indépendance, ne nous sera pas démontrée. Or, milord, cette nécessité ne peut pas même être soupçonnée, avant que les puissances soient d'accord. Aucun de leurs engagemens n'a été révoqué; notre indépendance est sous leur garde; c'est nous qui entrons dans leurs vues et dans le sens de leurs déclarations; ce sont les armées assiégeantes qui s'en écartent.

D'après ces mêmes déclarations (et il n'y en eut jamais de plus solennelles), tout emploi de la force, en faveur du Roi, par ces mêmes armées, sur la partie de notre territoire où elles seules dominent, sera regardé par la France comme l'aveu du dessein formel de nous imposer un gouvernement malgré notre volonté. Il nous est permis de demander à votre seigneurie, si elle-même a reçu un tel pouvoir. D'ailleurs, ce n'est pas la force qui pacifie: une résistance morale repousse le dernier gouvernement qu'on avait fait adopter au Roi; plus on userait envers la nation de violence, plus on rendrait cette résistance invincible. L'intention des généraux des armées assiégeantes ne peut être de compromettre leur propre gouvernement, et de révoquer par le fait la loi que les puissances se sont imposées à elles-mêmes.

Milord, la question est toute dans ce peu de mots.

Napoléon a abdiqué comme le désiraient les puissances, la paix est donc rétablie; on ne devrait pas même mettre en question quel est le prince qui recueillera le fruit de cette abdication.

Notre état de possession serait-il changé par la force? Les puissances n'atteindraient plus leur but, outre qu'elles violeraient leurs promesses, promesses faîtes à la face du monde entier. Le changement viendrait-il de la volonté nationale? Alors, il faudrait, pour que cette volonté fût dans le cas de se prononcer, que les puissances eussent d'abord fait connaître leur refus formel de laisser subsister notre gouvernement actuel. Un armistice est donc indispensable.

Voici, milord, des considérations dont il est impossible de ne pas sentir toute la force. Dans Paris même, si l'issue d'une bataille vous en livrait les portes, je tiendrais encore à votre seigneurie ce même langage; c'est celui que tient toute la France: on aurait fait couler sans motifs des flots de sang; les prétentions qui en seraient la cause, en seraient-elles plus assurées ou moins odieuses?

J'espère avoir bientôt avec votre seigneurie des rapprochemens qui nous conduiront les uns et les autres à l'oeuvre de la paix, par des moyens plus conformes à la raison et à la justice. L'armistice nous permettra de traiter dans Paris; et il nous sera facile de nous entendre sur le grand principe que le repos de la France est une condition inséparable du repos de l'Europe. Ce n'est qu'en voyant de près la nation et l'armée, que vous pourrez juger à quoi tient le repos et la stabilité de notre avenir.

«Je prie, etc. etc.»

Quoique le duc d'Otrante, dans cette lettre, eût plaidé la cause de Napoléon II et feint d'ignorer les dispositions des alliés, il était néanmoins devenu très-facile de s'apercevoir qu'il regardait la question comme irrévocablement décidée en faveur des Bourbons. Leur nom, qu'il avait long-tems évité de prononcer, se retrouvait sans cesse sur ses lèvres; mais toujours le même, toujours enclin par caractère et par système à se ménager plusieurs cordes à son arc, il paraissait pencher tour-à-tour pour la branche cadette, ou pour la branche régnante; tantôt la première lui semblait offrir, de préférence et au plus haut degré toutes les garanties que la nation pouvait désirer; tantôt il insinuait qu'il serait possible qu'on se rapprochât du Roi, s'il consentait à éconduire quelques hommes dangereux et à faire à la France de nouvelles concessions.

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