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Les Cent Jours (2/2): Mémoires pour servir à l'histoire de la vie privée, du retour et du règne de Napoléon en 1815.

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Ce changement, trop subit pour être inaperçu, appela plus que jamais sur sa conduite les regards investigateurs et les reproches des antagonistes des Bourbons.

On l'accusa d'encourager, par l'impunité, les écrivains et les journalistes qui prêchaient ouvertement le l'appel de l'ancienne dynastie, de protéger le parti royaliste, et d'avoir rendu la liberté à l'un de ses agens les plus dévoués, le baron de Vitrolles.

On lui imputa d'avoir des conférences nocturnes avec le même M. de Vitrolles et plusieurs royalistes éminens, et d'envoyer journellement, à l'insu de ses collègues, des émissaires du Roi, à M. de Talleyrand, au duc de Wellington.

Deux députés (M. Durbach et le général Solignac) se rendirent chez lui, et lui déclarèrent qu'ils étaient instruits de ses manoeuvres, que son ambition l'aveuglait, qu'il ne pourrait jamais exister aucun pacte entre Louis XVIII et le meurtrier de son frère, et que la France tôt ou tard serait vengée de sa trahison.

Un ancien ministre d'état (M. Defermont), lui reprocha, à bout portant, de trafiquer ténébreusement du sang et de la liberté des Français.

D'autres inculpations non moins graves, non moins virulentes, lui furent adressées par M. Carnot, par le général Grenier. «S'il nous trahit, dit ce dernier, je lui brûlerai la cervelle.»

Le duc d'Otrante, habitué à braver les tempêtes politiques, repoussait froidement ces imputations. Il rappelait à ses accusateurs les gages multipliés qu'il avait donnés à la révolution. Il offrait sa tête en garantie de sa fidélité. Ses protestations, ses sermens et l'assurance imperturbable avec laquelle il répondait, si on le laissait faire, du salut et de l'indépendance de la nation, parvinrent à conjurer l'orage; mais il était trop pénétrant pour s'abuser sur sa position: il dut sentir qu'il était perdu s'il ne se hâtait point d'en finir, et tout porte à croire qu'il ne dédaigna aucun moyen pour arriver promptement à un résultat décisif[79].

Cependant Blucher, à qui l'on n'opposait qu'un simulacre de défense, avait passé la Seine sur le pont du Pecq, conservé par les soins d'un journaliste nommé Martainville, et paraissait vouloir se répandre avec ses troupes sur la partie sud-ouest de Paris[80]. Nos généraux, témoins de cette marche aventureuse, jugèrent unanimement que les Prussiens s'étaient compromis. Ils sommèrent le prince d'Eckmuhl de les attaquer; il fallut bien s'y résoudre.

L'armée entière, généraux, officiers, soldats, était toujours animée d'un dévouement que rien n'avait pu rebuter. Fière de la confiance que lui avait témoignée les représentans de la nation, elle avait répondu à leur appel par une adresse[81] pleine de feu et de patriotisme; elle avait juré entre leurs mains de mourir pour la défense de l'honneur et de l'indépendance nationale: elle était impatiente de tenir ses sermens.

Le général Excelmans fut dirigé sur les traces des Prussiens avec six mille hommes; un corps de quinze mille hommes d'infanterie, sous le commandement du général Vichery, devait le suivre par le pont de Sèvres et lier ses mouvemens avec six mille fantassins du 1er corps et dix mille chevaux d'élite, qui devaient déboucher par le pont de Neuilly. Mais au moment d'exécuter ces dispositions dont le succès eût indubitablement entraîné la perte de l'armée prussienne, le prince d'Eckmuhl, par des motifs que j'ignore, donna contre-ordre. Le général Excelmans soutint seul le combat. Il attaqua l'ennemi en avant de Versailles, le précipita dans une embuscade, le tailla en pièces et lui enleva ses armes, ses bagages, ses chevaux. Les généraux Strulz, Piré, Barthe, Vincent, les colonels Briqueville, Faudoas, Saint-Amant, Chaillou, Simonnet, Schmid, Paolini, et leurs braves régimens, firent des prodiges de valeur, et furent intrépidement secondés par les citoyens des communes voisines, qui avaient devancé en tirailleurs sur le champ de bataille l'arrivée de nos troupes, et qui, pendant l'action, se montrèrent dignes de combattre à leurs côtés.

Cette victoire combla d'espérance et de joie les patriotes Parisiens. Elle leur inspira la noble envie d'imiter le bel exemple qui venait de leur être donné. Mais quand on sut qu'une bataille générale avait été unanimement demandée et convenue, et que, sans les ordres contraires, les ennemis, surpris et coupés, auraient été anéantis, on passa de l'ivresse au découragement, et l'on cria de toutes parts à l'infamie, à la trahison.

Excelmans et ses braves, non soutenus, furent obligés de rétrograder. Les Prussiens s'avancèrent; les Anglais se mirent en mouvement pour les appuyer; ils se réunirent, et vinrent camper en commun sur les hauteurs de Meudon.

La commission se hâta d'informer les commissaires de la position critique de Paris, et les invita, puisque le duc de Wellington les renvoyait sans cesse de Caïphe à Pilate, de chercher à voir le prince Blucher. Ils répondirent, qu'ils n'avaient jamais pu communiquer avec ce maréchal, et qu'ils ne pouvaient point, sans risquer de produire une rupture, établir de conférence avec lui que par l'intermédiaire de lord Wellington.

Ils joignirent à leur dépêche une nouvelle lettre par laquelle le lord annonçait que le prince Blucher continuait à lui témoigner la plus grande répugnance de conclure un armistice, etc. etc.

Le gouvernement ne douta plus de la mauvaise volonté du général Anglais. Le comte Carnot dit qu'il fallait s'adresser définitivement à la brutale franchise de Blucher, plutôt que de vivre dans l'incertitude où laissaient les politesses de Wellington.

Le duc de Vicence pensa de même, que le seul moyen d'en finir, était de brusquer une proposition à l'insu des Anglais. Il fit remarquer à la commission que le maréchal Blucher ne montrait sans doute autant de répugnance à conclure un armistice, que parce qu'il ne voulait probablement point négocier sous la direction et l'influence de Wellington, au quartier général duquel il paraissait éviter de se rendre; qu'il serait peut-être plus traitable, quand on s'adresserait directement à lui; qu'en suivant cette marche, on aurait d'ailleurs l'avantage de déplacer les négociations de l'endroit où se trouvaient les Bourbons, et de pouvoir éviter plus facilement la question politique sur laquelle Wellington semblait beaucoup plus prononcé que Blucher.

La commission, déférant à ces observations, adopta l'avis de M. Carnot; et le prince d'Eckmuhl fut chargé d'adresser au maréchal Blucher des propositions directes et fondées principalement sur l'armistice conclu avec les chefs des forces autrichiennes.

Le prince répondit sur-le-champ:

Si le maréchal Frimont s'est cru autorisé à conclure un armistice, ce n'est point pour nous un motif d'en faire autant. Nous poursuivrons notre victoire; Dieu nous en a donné les moyens et la volonté.

«Voyez ce que vous avez à faire. Ne précipitez pas de nouveau une ville dans le malheur; car vous savez ce que le soldat irrité se permettrait, si votre capitale était prise d'assaut. Voudriez-vous attirer sur votre tête les malédictions de Paris comme celles de Hambourg?

«Nous voulons pénétrer à Paris, pour y mettre les honnêtes gens à l'abri du pillage qui les menace de la part de la populace[82]. Ce n'est qu'à Paris que l'on peut conclure un armistice assuré.»

Cette lettre révolta la commission; mais quelle que fût sa juste indignation, il n'y avait plus de milieu à garder: on avait refusé de prendre l'ennemi en flagrant délit; on avait laissé échapper l'occasion de la victoire; il fallait soutenir un siége ou capituler.

La commission, sentant toute l'importance du parti qu'elle allait adopter, voulut s'entourer des lumières, des conseils et de la responsabilité des hommes les plus expérimentés. Elle fit appeler les immortels défenseurs de Gênes et de Toulouse, le vainqueur de Dantzick, les généraux Gazan, Duverney, Evain, le maréchal de camp du génie de Ponton, qui s'était signalé au siége de Hambourg; et enfin les présidens et les bureaux des deux chambres.

Le comte Carnot, qui avait été visiter, conjointement avec le général Grenier, nos positions et celles de l'ennemi, fit à l'assemblée un rapport sur la situation de Paris. Il exposa que les fortifications élevées sur la rive droite de la Seine paraissaient suffisantes pour mettre Paris de ce côté à l'abri de toute insulte; mais que la rive gauche se trouvait entièrement à découvert, et offrait un vaste champ aux entreprises de l'ennemi; que les généraux Anglais et Prussiens avaient porté impunément, sur ce point vulnérable, la majeure partie de leurs armées; qu'ils paraissaient disposés à tenter une attaque de vive force; que s'ils échouaient une première fois, ils pourraient revenir à la charge une seconde et renouveler leurs tentatives, jusqu'à ce qu'ils soient parvenus à se rendre maîtres de la capitale; qu'ils auraient sans cesse à nous opposer des troupes fraîches, tandis que les nôtres, forcées d'être constamment sur leurs gardes, seraient bientôt excédées de fatigues; que l'arrivage des subsistances devenait difficile, et qu'un corps de soixante mille Bavarois paraissait devoir achever, sous peu de jours, le blocus entre la Seine et la Marne; que les ennemis, déjà maîtres des hauteurs de Meudon et des meilleures positions environnantes, pourraient s'y retrancher, nous fermer la retraite, et réduire Paris et l'armée à se rendre à discrétion.

Le président de la commission, après avoir appelé l'attention des membres de l'assemblée sur ces graves considérations, les invita à émettre leur opinion.

Il lui fut observé, qu'il paraissait nécessaire de faire connaître préalablement l'état actuel des négociations.

La commission ne s'y refusa point, mais cette communication ayant amené des discussions sur les Bourbons, la commission rappela qu'on devait se renfermer dans la question militaire, et qu'il ne s'agissait purement et simplement que de décider s'il était convenable et possible de défendre Paris.

Le prince d'Essling, interpellé, dit que cette ville serait imprenable si les habitans voulaient en faire une seconde Sarragosse; mais qu'il n'y avait point assez d'harmonie dans les volontés pour songer à une résistance soutenue, et que le parti le plus sage était d'obtenir à tout prix une suspension d'armes. Le duc de Dantzick déclara qu'il ne croyait pas impossible de prolonger la défense, en activant rapidement les travaux commencés dans la plaine de Mont-Rouge. Le duc de Dalmatie soutint que la rive gauche de la Seine n'était point tenable; qu'il était même très-hasardeux, depuis l'occupation d'Aubervilliers, de tenir sur la rive droite; que si la ligne du canal qui joint Saint-Denis à la Villette venait à être forcée, l'ennemi pourrait entrer pêle-mêle avec nos troupes par la barrière Saint-Denis. Quelques membres, partageant l'opinion du duc de Dantzick, demandèrent qu'on recueillît, avant de prononcer, des renseignemens positifs sur la possibilité de mettre la rive gauche en état de défense. Enfin, après quelques débats, il fut décidé que l'assemblée n'était point compétente pour statuer sur une semblable question, et qu'elle serait soumise à l'examen et à la décision d'un conseil de guerre, que le prince d'Eckmuhl convoquerait pour la nuit suivante.

L'occupation de Paris, par les étrangers, était l'objet des voeux impatiens des royalistes et des hommes vendus ou dévoués par calcul, par ambition ou par crainte, au parti des Bourbons. Persuadés qu'elle déciderait en 1815, comme en 1814, du sort de la France, ils n'avaient épargné d'avance aucune démarche, aucune promesse, aucune insinuation menaçante, pour que la reddition de cette ville mît le comble à leurs voeux et à leur triomphe.

Le duc d'Otrante, soit qu'il fût d'accord avec les royalistes, soit qu'il regardât comme nécessaire à sa sûreté personnelle la prompte capitulation de Paris, soit enfin qu'il voulût se faire, un jour, un mérite d'avoir ramené la France, sans effusion de sang, sous l'empire de son souverain légitime; le duc d'Otrante, dis-je, parut attacher particulièrement un grand prix à ce que la défense de Paris ne fût point prolongée. «Tout est sur le point de s'arranger, disait-il aux membres les plus influens des chambres et de l'armée; gardons-nous bien de sacrifier une existence assurée à un avenir incertain. Les alliés sont d'accord: nous aurons un Bourbon; mais il faudra qu'il se soumette aux conditions que la nation lui imposera. La chambre sera conservée; les généraux resteront à la tête de l'armée; tout ira bien. Ne vaut-il pas mieux se soumettre, que de s'exposer à être partagés ou livrés pieds et mains liés aux Bourbons? Une résistance prolongée n'aurait d'autre résultat que de retarder notre chute. Elle nous ôterait le prix d'une soumission volontaire, et autoriserait les Bourbons à être implacables». Se montrait-on peu disposé à partager sa confiance et ses sentimens, il imposait silence aux récalcitrans avec toutes les formes du plus vif intérêt: «Votre résistance, leur répondait-il, m'étonne et m'afflige: voulez-vous donc passer pour un boute-feu et vous faire exiler? laissez-nous faire, je vous en conjure; je vous garantis l'avenir»… Un pressentiment intérieur avertissait que cet avenir serait bien éloigné de répondre à l'attente de M. Fouché; mais sa vie politique, ses grands talens, ses liaisons avec les ministres étrangers, les égards que lui avaient témoignés, en 1814, l'Empereur Alexandre et le roi de Prusse, donnaient à ses paroles, à ses promesses, un tel poids, un tel ascendant, qu'on finissait par faire violence à sa raison et par s'abandonner, en murmurant contre soi, à la confiance et à l'espoir.

Le conseil de guerre s'assembla dans la nuit du 1er au 2 juillet au quartier général de la Villette, sous la présidence du prince d'Eckmuhl. On eut soin (il paraît) d'en éloigner quelques généraux suspects, et de ne point omettre d'y appeler les officiers dont les principes, la modération ou la faiblesse étaient connus. On y admit tous les maréchaux présens dans la capitale; et ceux qui naguère avaient refusé de combattre, ne refusèrent pas de venir capituler.

La commission, pour éviter toute discussion politique, avait posé des questions sur lesquelles les membres du conseil devaient se borner à délibérer; mais cette précaution (on le sent bien) ne les empêcha point de se livrer à l'examen familier des considérations morales et politiques qui pouvaient influer sur la défense ou la reddition de la place assiégée. Le maréchal Soult plaida la cause de Louis XVIII, et fut vivement secondé par d'autres maréchaux et plusieurs généraux qui, entrés au conseil avec les couleurs nationales, en seraient volontiers sortis avec la cocarde blanche. Il n'est point possible de rappeler les opinions émises, tour-à-tour ou confusément, par les cinquante personnes appelées à prendre part à cette grande et importante délibération. Leurs discours, ou plutôt leurs conversations roulèrent alternativement sur Paris et sur les Bourbons. «On assure,» disaient les partisans de Louis XVIII et de la capitulation, «que Paris, couvert au dehors, par une armée de quatre-vingt mille hommes, et défendu à l'intérieur par les fédérés, les tirailleurs, la garde nationale et une innombrable population, pourra résister, au moins pendant vingt jours, aux efforts des alliés; on nous assure que l'immensité de son développement rendra facile l'arrivage des subsistances. Nous admettrons que cela soit possible; mais quel sera en définitif le but de cette résistance? de donner à l'empereur Alexandre et à l'empereur d'Autriche, le tems d'arriver… Les alliés (nous le savons parfaitement) promettent de nous laisser la faculté de choisir notre souverain; mais tiendront-ils leurs promesses? quelles conditions y mettront-ils? Déjà Wellington et Blucher ont annoncé qu'ils exigeraient des garanties, des places fortes, si l'on rejetait Louis XVIII. N'est-ce pas déclarer formellement, que les alliés veulent conserver le trône de ce souverain? Rallions-nous donc volontairement, puisque nous le pouvons encore, autour de sa personne; ses ministres l'ont égaré, mais ses intentions ont toujours été pures: il connaît les fautes qu'il a commises; il s'empressera de les réparer, et de nous donner les institutions qui sont encore nécessaires pour consolider sur des bases inébranlables les droits et les libertés publiques.»—«Ces raisonnemens peuvent être justes, répliquaient leurs adversaires, mais l'expérience, qui vaut mieux que des raisonnemens, nous a prouvé qu'il ne fallait point s'en rapporter à de vaines promesses. L'espoir que vous avez conçu repose sur des conjectures ou sur les paroles des agens des Bourbons. Avant de nous remettre entre les mains du Roi, il faut qu'il nous fasse connaître les garanties qu'il nous assure. Si elles nous conviennent, alors nous délibérerons; mais si nous ouvrons nos portes sans conditions et avant l'arrivée d'Alexandre, Wellington et les Bourbons se joueront de leurs promesses et nous feront subir impitoyablement la loi du vainqueur. Pourquoi d'ailleurs désespérerions-nous du salut de la France? Une bataille perdue doit-elle donc décider du sort d'une grande nation? n'avons nous pas encore à opposer d'immenses ressources à l'ennemi? Les fédérés, la garde nationale, tous les véritables Français ont-ils refusé de verser leur sang pour sauver la gloire, l'honneur et l'indépendance de la patrie? Tandis que nous combattrons sous les murs de la capitale, on organisera, dans les départemens, la levée en masse des patriotes; et l'ennemi, quand il verra que nous sommes déterminés à défendre notre indépendance, la respectera, plutôt que de s'exposer, pour des intérêts qui ne sont point les siens, à une guerre patriotique et nationale. Il faut donc refuser de nous rendre et nous mettre en mesure, par une défense rigoureuse, de donner la loi au lieu de la recevoir.»—«Vous soutenez, leur répondait-on, que nous pourrons faire lever en masse les fédérés et les patriotes. Mais comment les armerez-vous? nous n'avons point de fusils. Une levée en masse s'organise-t-elle d'ailleurs subitement? Avant que vous puissiez disposer d'un bataillon, Paris aura, sous ses faibles remparts, soixante mille Bavarois, et cent quarante mille Autrichiens de plus à combattre. Que ferez-vous alors? Il faudra bien finir par vous rendre; et le sang que vous aurez versé, sera perdu sans retour et sans utilité. Mais celui que nous aurons fait répandre à l'ennemi, ne retombera-t-il pas sur nos têtes? ne voudra-t-on pas nous faire expier, par une honteuse capitulation, notre folle et cruelle résistance? Si les alliés dans le moment actuel se croient assez forts pour vous refuser une suspension d'armes, que feront-ils, lorsqu'ils auront, sur notre territoire, leurs douze cents mille soldats? Le démembrement de la France, le pillage et la dévastation de la capitale seront peut-être le fruit de la défense téméraire que vous nous proposez.»

Ces considérations, généralement senties, furent unanimement approuvées. On reconnut que le parti le plus convenable était indubitablement de ne point exposer la capitale aux conséquences et aux dangers d'un siége ou d'une prise d'assaut. On reconnut aussi, du moins implicitement, que le retour des Bourbons étant inévitable, il valait mieux les rappeler volontairement sous de bonnes conditions, que de laisser aux alliés le soin de les rétablir. Mais on ne crut pas devoir s'expliquer sur ce point délicat; et l'on se renferma dans la solution laconique des questions proposées par la commission.

Questions posées par la commission du gouvernement au Conseil de Guerre, assemblé à la Villette le 1er juillet 1815.

1ère. Quel est l'état des retranchemens élevés pour la défense de Paris?—Réponse. L'état des retranchemens et de leur armement sur la rive droite de la Seine, quoique incomplet, est en général assez satisfaisant. Sur la rive gauche, les retranchemens peuvent être considérés comme nuls.

2e. L'armée pourrait-elle couvrir et défendre Paris?—Rép. Elle le pourrait; mais non pas indéfiniment. Elle ne doit pas s'exposer à manquer de vivres et de retraite.

3e. Si l'armée était attaquée sur tous les points, pourrait-elle empêcher l'ennemi de pénétrer dans Paris, d'un côté ou d'un autre?—Rép. Il est difficile que l'armée soit attaquée sur tous les points à la fois; mais si cela arrivait, il y aurait peu d'espoir de résistance.

4e. En cas de revers, le général en chef pourrait-il réserver ou recueillir assez de moyens pour s'opposer à l'entrée de vive force?—Rép. Aucun général ne peut répondre des suites d'une bataille.

5e. Existe-t-il des munitions suffisantes pour plusieurs combats?—Rép. Oui.

6e. Enfin, peut-on répondre du sort de la capitale, et pour combien de tems?—Rép. Il n'y a aucune garantie à cet égard.

Le maréchal ministre de la Guerre, (Signé) Le prince d'ECKMUHL.

2 juillet, à 3 heures du matin.

La réponse du conseil de guerre fut immédiatement transmise aux
Tuileries, et y devint l'objet d'une longue et profonde délibération.

Enfin, après avoir pesé les avantages et les dangers d'une défense prolongée, après avoir considéré que Paris, sans espoir de secours et enveloppé de toutes parts, serait ou emporté d'assaut ou forcé de se rendre à discrétion; que l'armée, sans moyen de retraite, se trouverait peut-être placée entre le déshonneur de se rendre prisonnière ou la nécessité de s'ensevelir sous les ruines de la capitale, la commission décida univoquement que Paris ne serait point défendu, et qu'on se soumettrait à le remettre entre les mains des alliés, puisque les alliés ne voulaient suspendre les hostilités qu'à ce prix.

Le général Ziethen, commandant de l'avant-garde du prince Blucher, fut instruit de cette détermination par le prince d'Eckmuhl. Il lui répondit:

Au prince d'Eckmuhl.

2 juillet.

Monsieur le Général,

Le général Revest m'a communiqué verbalement que vous demandiez un armistice pour traiter de la reddition de la ville de Paris.

En conséquence, M. le général, je dois vous déclarer que je ne suis nullement autorisé d'accepter un armistice. Je n'ose même point annoncer cette demande à S. A. le maréchal prince Blucher; mais cependant, si les députés du gouvernement déclarent à mon aide-de-camp, le comte Westphalen, qu'ils veulent rendre la ville et que l'armée Française veut se rendre aussi, j'accepterai une suspension d'armes.

J'en ferai part alors à S. A. le prince Blucher, pour traiter sur les autres articles.

(Signé) ZIETHEN.

Lorsque Brennus, abusant de la victoire, voulut insulter aux vaincus, les Romains coururent aux armes. Moins sensibles et moins fiers, nous entendîmes, sans frémissement, l'insulte faite à nos quatre-vingt mille braves et nous acceptâmes, sans rougir, l'opprobre qu'elle déversait sur eux et sur nous!

Pour toute vengeance, MM. de Tromeling et Macirone furent renvoyés, le premier au prince Blucher, le second au lord Wellington.

Le duc d'Otrante, à l'insçu de la commission, remit à M. Macirone une note confidentielle, ainsi conçue:

     L'armée est mécontente, parce qu'elle est malheureuse; rassurez-la:
     elle deviendra fidèle et dévouée.

     Les chambres sont indociles par la même raison: rassurez tout le
     monde et tout le monde sera pour vous.

Qu'on éloigne l'armée; les chambres y consentiront en promettant d'ajouter à la charte les garanties spécifiées par le Roi. Pour se bien entendre, il est nécessaire de s'expliquer; n'entrez donc pas à Paris avant trois jours; dans cet intervalle tout sera d'accord. On gagnera les chambres; elles se croiront indépendantes, et sanctionneront tout. Ce n'est point la force qu'il faut employer auprès d'elles, c'est la persuasion.

J'ignore si M. de Tromeling fut également chargé de quelque note semblable, ou si le lord Wellington interposa son autorité; mais le prince Blucher, devenu tout-à-coup plus docile, consentit à traiter de la reddition de Paris.

Le général Ziethen annonça de sa part, le 5 juillet, au prince d'Eckmuhl, que les députés du gouvernement pouvaient se présenter; qu'ils seraient conduits à Saint-Cloud, où se trouveraient les députés des généraux Anglais et Prussiens.

Le baron Bignon, le comte de Bondy, et le général Guilleminot, munis des pouvoirs du prince d'Eckmuhl (Blucher ayant déclaré qu'il ne voulait avoir affaire qu'au chef de l'armée française), se rendirent aux avant-postes prussiens, et furent transférés à Saint-Cloud, où, sans égard pour le droit des gens, ils furent privés de tous moyens de communiquer avec le gouvernement, et retenus en charte privée, pendant la durée totale des négociations.

M. Bignon, principal négociateur, et ses deux collègues, défendirent les droits politiques, les intérêts privés, l'inviolabilité des personnes et des propriétés nationales et particulières, avec un zèle et une fermeté inappréciables; ils étaient bien loin de prévoir que la convention suivante, qu'ils regardèrent comme sacrée, ouvrirait plus tard un accès si funeste aux interprétations de la vengeance et de la mauvaise foi.

CONVENTION.

Ce jourd'hui, 3 juillet 1815, les commissaires nommés par les commandans en chef des armées respectives, savoir:

M. le baron Bignon, chargé du portefeuille des affaires étrangères; M. le comte Guilleminot, chef de l'état-major de l'armée Française; M. le comte de Bondy, préfet du département de la Seine; munis des pleins pouvoirs du maréchal prince d'Eckmuhl, commandant en chef de l'armée Française, d'une part;

Et M. le général major baron de Muffling, muni des pouvoirs de S. A. le maréchal prince Blucher, commandant en chef l'armée Prussienne; M. le colonel Hervey, muni des pleins pouvoirs de S. E. le duc de Wellington, commandant en chef l'armée Anglaise; de l'autre;

Sont convenus des articles suivans:

Art. I. Il y aura une suspension d'armes entre les armées alliées commandées par S. A. le prince Blucher, S. E. le duc de Wellington, et l'armée Française, sous les murs de Paris.

Art. II. Demain l'armée française commencera à se mettre en marche, pour se porter derrière la Loire. L'évacuation totale de Paris sera effectuée en trois jours, et son mouvement pour se porter derrière la Loire sera terminé en huit jours.

Art. III. L'armée française emmènera avec elle son matériel, artillerie de campagne, convois militaires, chevaux et propriétés des régimens, sans aucune exception. Il en sera de même pour le personnel des dépôts, et pour le personnel des diverses branches d'administration, qui appartiennent à l'armée.

Art. IV. Les malades et les blessés, ainsi que les officiers de santé, qu'il serait nécessaire de laisser près d'eux, sont sous la protection spéciale de MM. les commissaires en chef des armées anglaises et prussiennes.

Art. V. Les militaires et employés, dont il est question dans l'article précédent, pourront, aussitôt après leur rétablissement, rejoindre le corps auquel ils appartiennent.

     Art. VI. Les femmes et les enfans de tous les individus qui
     appartiennent à l'armée française, auront la facilité de rester à
     Paris.

     Ces femmes pourront sans difficulté quitter Paris, pour rejoindre
     l'armée et emporter avec elles leurs propriétés et celles de leurs
     maris.

     Art. VII. Les officiers de ligne employés avec les fédérés, ou avec
     les tirailleurs de la garde nationale, pourront, ou se réunir à
     l'armée, ou retourner dans leur domicile, ou dans le lieu de leur
     naissance.

Art. VIII. Demain, 4 juillet, à midi, on remettra St.-Denis, St.-Ouen, Clichy, et Neuilly; après demain, 5 juillet, à la même heure, on remettra Montmartre; le 3e jour, 6 juillet, toutes les barrières seront remises.

Art. IX. Le service intérieur de Paris continuera à être fait par la garde nationale, et par le corps de la gendarmerie municipale.

Art. X. Les commandans en chef des armées anglaises et prussiennes, s'engagent à respecter et à faire respecter par leurs subordonnés, les autorités actuelles tant quelles existeront.

Art. XI. Les propriétés publiques, à l'exception de celles qui ont rapport à la guerre, soit qu'elles appartiennent au gouvernement, soit qu'elles dépendent de l'autorité municipale, seront respectées, et les puissances alliées n'interviendront en aucune manière dans leur administration, ou dans leurs gestions.

Art. XII. Seront pareillement respectées les personnes et les propriétés particulières; les habitans, et en général tous les individus qui se trouvent dans la capitale, continueront à jouir de leurs droits et libertés, sans pouvoir être inquiétés, ni recherchés en rien relativement aux fonctions qu'ils occupent ou auraient occupées, à leur conduite et à leur opinion politique.

Art. XIII. Les troupes étrangères n'apporteront aucun obstacle à l'approvisionnement de la capitale, et protégeront au contraire l'arrivage, et la libre circulation des objets qui lui sont destinés.

     Art. XIV. La présente convention sera observée et servira de règle
     pour les rapports mutuels, jusqu'à la conclusion de la paix.

     En cas de rupture, elle sera dénoncée dans les formes usitées, au
     moins dix jours à l'avance.

Art. XV. S'il survient des difficultés, sur l'exécution de quelques uns des articles de la présente convention, l'interprétation en sera faite en faveur de l'armée française et de la ville de Paris.

Art. XVI. La présente convention est déclarée commune à toutes les armées alliées, sauf la ratification des puissances dont ces armées dépendent.

     Art. XVII. Les ratifications seront échangées demain, 4 juillet, à
     six heures du matin, au pont de Neuilly.

     Art. XVIII. Il sera nommé les commissaires par les parties
     respectives, pour veiller à l'exécution de la présente convention.

     Fait et signé à St. Cloud, en triple expédition, par les
     commissaires sus-nommés, les jours et an ci-dessus.

     (Signé) Le baron BIGNON; le comte GUILLEMINOT; le comte DE BONDY;
     le baron DE MUFFLING; le baron HERVEY, colonel.

Approuvé et ratifié,

(Signé) Le maréchal PRINCE D'ECKMUHL.

On avait donné primitivement à ce traité le nom de capitulation. M. le duc d'Otrante qui connaît l'empire des mots et qui redoutait l'impression que celui-ci produirait, se hâta de retirer les copies déjà distribuées, et d'y faire substituer le titre moins dur de convention. Cette précaution néanmoins ne fascina les yeux que de quelques députés bénévoles. Des groupes nombreux se formèrent; on y accusa hautement le gouvernement et le prince d'Eckmuhl, d'avoir une seconde fois livré et vendu Paris aux alliés et aux Bourbons. Les patriotes, les tirailleurs, les fédérés qui avaient offert leur sang pour la défense de cette ville, s'indignèrent également qu'on l'eut rendue sans brûler une amorce. Ils résolurent de s'emparer des hauteurs de Montmartre, de se joindre à l'armée et de vendre chèrement à l'ennemi les derniers soupirs de la France et de la liberté. Mais leurs clameurs menaçantes furent entendues du gouvernement. Il fit mettre sur pied la garde nationale; et elle parvint à appaiser les mécontens, en leur opposant l'exemple de sa propre résignation.

La publicité de la convention produisit dans les camps une effervescence non moins redoutable. Les généraux s'assemblèrent pour protester contre cette oeuvre impie, et s'opposer à son accomplissement. Ils déclarèrent que le prince d'Eckmuhl, chez lequel ils avaient plusieurs fois surpris M. de Vitrolles, avait perdu l'estime de l'armée et n'était plus digne de la commander. Ils se rendirent près du général Vandamme, et lui offrirent le commandement. Mais cet officier, qui avait fait partie (ce qu'ils ignoraient) du conseil de guerre et qui en avait approuvé les sentimens, refusa de déférer à leurs voeux. Les soldats à qui les représentans du peuple avaient fait jurer de ne point souffrir que l'ennemi pénétrât dans la capitale, partagèrent spontanément l'indignation de leurs chefs, et proclamèrent, comme eux, qu'ils ne consentiraient jamais à rendre Paris. Les uns brisaient leurs armes, les autres les brandissaient en l'air au milieu des blasphèmes et des menaces; tous juraient de mourir sur la place plutôt que de l'abandonner. Une subversion générale paraissait inévitable et prochaine, lorsque les généraux, effrayés des malheurs qu'elle pourrait entraîner, haranguèrent les soldats et parvinrent à calmer leur irritation. La garde impériale, cédant à l'ascendant qu'exerçait sur elle le brave et loyal Drouot, donna la première l'exemple de la soumission; et tout rentra dans l'ordre.

Le gouvernement, pour justifier sa conduite et prévenir dans les autres armées et dans les départemens de semblables soulévemens, publia la proclamation suivante, fastueux tissu d'éloquentes impostures et de fallacieuses promesses[83].

La Commission du Gouvernement aux Français.

FRANÇAIS,

Dans les circonstances difficiles où les rênes de l'état nous ont été confiées, il n'était pas en notre pouvoir de maîtriser le cours des événemens et d'écarter tous les dangers; mais nous devions défendre les intérêts du peuple et de l'armée, également compromis dans la cause d'un prince abandonné par la fortune et la volonté nationale.

Nous devions conserver à la patrie les restes précieux de ces braves légions, dont le courage est supérieur aux revers, et qui ont été victimes d'un dévouement que la patrie réclame aujourd'hui.

Nous devions garantir la capitale des horreurs d'un siége ou des chances d'un combat; maintenir la tranquillité publique, au milieu du tumulte et des agitations de la guerre; soutenir les espérances des amis de la liberté, au milieu des craintes et des inquiétudes d'une prévoyance soupçonneuse. Nous devions surtout arrêter l'effusion inutile du sang, il fallait opter entre une existence nationale assurée, ou courir le risque d'exposer la patrie et les citoyens à un bouleversement général, qui ne laisserait après lui ni espérance ni avenir.

Aucuns des moyens de défense que le temps et nos ressources permettaient, rien de ce qu'exigeait le service des camps et de la cité, n'a été négligé.

Tandis qu'on terminait la pacification de l'Ouest, des plénipotentiaires se rendaient au-devant des puissances alliées, et toutes les pièces de cette négociation ont été mises sous les yeux de nos représentans.

Le sort de la capitale est réglé par une convention; ses habitans, dont la fermeté, le courage et la persévérance sont au-dessus de tout éloge, ses habitans en conserveront la garde. Les déclarations des souverains de l'Europe doivent inspirer trop de confiance; leurs promesses ont été trop solennelles, pour craindre que nos libertés et que nos plus chers intérêts puissent être sacrifiés à la victoire.

Nous recevrons enfin les garanties qui doivent prévenir les triomphes alternatifs et passagers des factions qui nous agitent depuis vingt-cinq ans, qui doivent terminer nos révolutions et confondre sous une protection commune, tous les partis qu'elle a fait naître, et tous ceux qu'elle a combattus.

Les garanties qui jusqu'ici n'ont existé que dans nos principes et dans notre courage, nous les trouverons dans nos lois, dans nos constitutions, dans notre système représentatif; car, quelles que soient les lumières, les vertus, les qualités personnelles d'un monarque, elles ne suffisent jamais pour mettre le peuple à l'abri de l'oppression de la puissance, des préjugés de l'orgueil, de l'injustice des cours, et de l'ambition des courtisans.

Français, la paix est nécessaire à votre commerce, à vos arts, à l'amélioration de vos moeurs, au développement des ressources qui vous restent: soyez unis, et vous touchez au terme de vos maux. Le repos de l'Europe est inséparable du vôtre. L'Europe est intéressée à votre tranquillité et à votre bonheur.

Donné à Paris, le 5 juillet 1816.

(Signé) Le président de la commission,

LE DUC D'OTRANTE.

Aux termes de la convention, la première colonne française devait commencer le 4 à se mettre en mouvement. Les soldats, encore irrités, déclarèrent qu'ils ne partiraient point, sans être payés de leur solde arriérée. Le trésor était vide, le crédit éteint, le gouvernement aux abois. Le prince d'Eckmuhl proposa d'enlever les fonds de la banque; la commission eut horreur de cet attentat. Une seule ressource, un seul espoir lui restait: c'était d'invoquer l'appui d'un banquier fameux alors par ses richesses, célèbre aujourd'hui par ses vertus civiques. M. Lafitte fut appelé; les chances de l'avenir ne l'épouvantèrent point; il n'écouta que l'intérêt de la patrie; et plusieurs millions répandus, par son secours, dans les rangs de l'armée, désarmèrent les mutins et appaisèrent les semences de la guerre civile.

L'armée se mit en marche: au milieu du désespoir où l'avait plongé la capitulation, elle avait souvent appelé Napoléon! La commission, craignant que l'Empereur, n'ayant plus de ménagement à garder, ne vînt se jeter en désespéré à la tête des patriotes et des soldats, envoya par un courrier au général Beker, «l'ordre de faire arriver sans délai Napoléon à Rochefort, et d'employer, en conservant le respect qui lui était dû tous les moyens qui seraient nécessaires pour le faire embarquer, attendu que son séjour en France compromettait la sûreté de l'état et nuisait aux négociations.»

La retraite de l'armée, l'occupation de Paris par les étrangers et la présence du roi à Arnouville dévoilèrent l'avenir; et les hommes que d'incurables illusions n'aveuglaient point, se préparèrent à retomber sous la domination des Bourbons.

Leurs partisans, leurs émissaires, leurs agens accrédités (M. de Vitrolles et autres) avaient assuré que le Roi, attribuant la révolution du 20 mars aux fautes de son ministère, fermerait les yeux sur tout ce qui s'était passé, et qu'une absolution générale serait le gage de son retour et de sa réconciliation avec les Français. Cette consolante assertion avait déjà vaincu bien des répugnances, lorsque parurent les proclamations de Cambray, des 25 et 28 juin[84]. Elles reconnaissaient effectivement que les ministres du Roi avaient fait des fautes; mais loin de promettre l'entier oubli de celles commises par ses sujets, l'une d'elle (ouvrage du duc de Feltre) annonçait au contraire, que le Roi, à qui ses puissans alliés avaient frayé le chemin de ses états en dissipant les satellites du tyran, se hâtait d'y rentrer pour mettre à exécution contre les coupables les lois existantes.

Bientôt on apprit, par les commissaires revenus du quartier général des alliés et par le rapport de MM. de Tromeling et Macirone, que Blucher et Wellington, abusant déjà de notre faiblesse, déclaraient hautement que l'autorité des chambres et de la commission était illégitime, et qu'elles n'avaient plus rien de mieux à faire que de donner leurs démissions et de proclamer Louis XVIII.

Tout le bien qu'avaient produit les cajoleries de M. Fouché et l'espoir d'une heureuse réconciliation, disparut. La consternation s'empara des âmes faibles, l'indignation des coeurs généreux. La commission, frustrée de l'espoir d'obtenir Napoléon II ou le duc d'Orléans, qui, selon l'expression du duc de Wellington, n'aurait été qu'un usurpateur de bonne famille, ne pouvait plus se dissimuler que l'intention des étrangers ne fût de replacer Louis XVIII sur le trône; mais elle avait pensé que son rétablissement serait l'objet d'une transaction entre la nation, les monarques alliés et Louis.

Quand elle connut le langage des généraux ennemis, elle prévit que l'indépendance des pouvoirs de l'état, stipulée par la convention, ne serait point respectée; et elle délibéra s'il ne lui convenait point de se retirer, avec les chambres et l'armée, derrière la Loire. Cette mesure, digne de la fermeté de M. Carnot qui l'avait proposée, fut vivement combattue par le duc d'Otrante. Il déclara que ce moyen perdrait la France; que la plupart des généraux ne voudraient point y souscrire, et qu'il serait lui-même le premier à refuser de quitter Paris; que c'était à Paris que tout devait se décider; et que le devoir de la commission était d'y rester, pour défendre et débattre, jusqu'à la dernière extrémité, les grands intérêts qui lui avaient été confiés.

La commission abandonna cette idée, non point par déférence pour les observations de M. Fouché (car il avait perdu sur elle tout son empire), mais parce qu'elle se convainquit, en y réfléchissant, que les choses étaient trop avancées, pour pouvoir espérer quelque bien de cette mesure désespérée. Elle aurait probablement rallumé la guerre étrangère et la guerre civile; et si l'on pouvait compter sur les soldats, il n'était plus permis de se reposer avec la même sécurité sur leurs chefs. Quelques uns, tels que le général Sénéchal, avaient été arrêtés aux avant-postes, au moment où ils voulaient passer aux Bourbons. D'autres s'étaient déclarés ouvertement en faveur de Louis. Le plus grand nombre paraissait inébranlable; mais cette diversité de sentimens avait amené des méfiances, des dissensions, et dans les guerres politiques, tout est perdu, quand il y a divergence d'opinion et de volonté. Il aurait fallu d'ailleurs, puisque la commission persistait à repousser Napoléon, placer à la tête de l'armée un autre chef dont le nom consacré par la gloire, pût servir de point d'appui et de ralliement: et sur qui le choix de la commission aurait-il pu tomber![85]—Le maréchal Ney, le premier, avait donné l'alarme et désespéré du salut de la patrie[86].—Le maréchal Soult avait abjuré son commandement.—Le maréchal Masséna, usé par la victoire, n'avait plus la force de corps qu'exigeaient les circonstances.—Le maréchal Macdonald, sourd au cri de guerre de ses anciens compagnons d'armes, avait laissé paisiblement son épée dans le fourreau.—Le maréchal Jourdan était sur le Rhin.—Le maréchal Mortier avait été saisi de la goutte à Beaumont.—Le maréchal Suchet avait montré dès l'origine de la répugnance et de l'irrésolution.—Enfin, les maréchaux Davoust et Grouchy ne possédaient plus la confiance de l'armée.

La commission (il en coûte à l'orgueil français de faire cet aveu) n'aurait donc su dans quelles mains remettre les destinées de la France; et le parti qu'elle prit d'attendre dans la capitale l'issue des événemens, fut, sinon le plus digne, du moins le plus prudent et le plus sage.

Les représentans du peuple, de leur côté, loin de se montrer dociles aux avis de Wellington et de Blucher, manifestèrent plus énergiquement que jamais, les principes et les sentimens dont ils étaient animés. Ils se groupèrent autour du drapeau tricolor; et quoique l'armée eût déposé les armes, ils voulurent combattre encore pour la défense de l'indépendance nationale et de la liberté.

Le jour même où la convention de Paris leur fut notifiée par le gouvernement, ils consignèrent, dans un nouveau bill des droits, les principes fondamentaux de la constitution qui, dans leur pensée, pouvait seule satisfaire le voeu public, et déclarèrent que le prince appelé à régner ne monterait sur le trône, qu'après avoir sanctionné ce bill, et prêté serment de l'observer et de le faire observer.

Instruits presqu'aussitôt par des rumeurs sinistres, qu'il ne leur serait bientôt plus permis de délibérer, ils résolurent, sur la proposition de M. Dupont (de l'Eure), de consacrer leur dernière volonté dans une espèce de testament politique conçu en ces termes:

Déclaration de la Chambre des représentans.

Les troupes des puissances alliées vont occuper la capitale.

La chambre des représentans n'en continuera pas moins de siéger au milieu des habitans de Paris, où la volonté expresse du peuple a appelé ses mandataires.

     Mais, dans ces graves circonstances, la chambre des représentans se
     doit à elle-même, elle doit à la France, à l'Europe, une
     déclaration de ses sentimens et de ses principes.

Elle déclare donc qu'elle fait un appel solennel à la fidélité et au patriotisme de la garde nationale parisienne, chargée du dépôt de la représentation nationale.

Elle déclare qu'elle se repose avec la plus haute confiance sur les principes de morale, d'honneur, sur la magnanimité des puissances alliées, et sur leur respect pour l'indépendance de la nation, si positivement exprimé dans leurs manifestes.

Elle déclare que le gouvernement de la France, quel qu'en puisse être le chef, doit réunir les voeux de la nation, légalement émis, et se co-ordonner avec les autres gouvernemens pour devenir un lien commun et la garantie de la paix entre la France et l'Europe.

Elle déclare qu'un monarque ne peut offrir de garanties réelles, s'il ne jure d'observer une constitution délibérée par la représentation nationale, et acceptée par le peuple. Ainsi, tout gouvernement qui n'aurait d'autre titre que des acclamations ou la volonté d'un parti, ou qui serait imposé par la force; tout gouvernement qui n'adopterait pas les couleurs nationales, et ne garantirait point la liberté des citoyens; l'égalité des droits civils et politiques; la liberté de la presse; la liberté des cultes; le système représentatif; le libre consentement des levées d'hommes et d'impôts; la responsabilité des ministres; l'irrévocabilité des ventes des biens nationaux de toute origine; l'inviolabilité des propriétés; l'abolition de la dîme, de la noblesse ancienne et nouvelle, héréditaire, et de la féodalité; l'abolition de toute confiscation de biens; l'entier oubli des opinions et des votes émis jusqu'à ce jour; l'institution de la légion d'honneur; les récompenses dues aux officiers et aux soldats; les secours dus à leurs veuves et à leurs enfans; l'institution du jury; l'inamovibilité des juges; le paiement de la dette publique; n'assurerait point la tranquillité de la France et de l'Europe.

Que si les bases énoncées dans cette déclaration pouvaient être méconnues ou violées, les représentans du peuple français, s'acquittant aujourd'hui d'un devoir sacré, protestent d'avance, à la face du monde entier, contre la violence et l'usurpation. Ils confient le maintien des dispositions qu'ils réclament à tous les bons Français, à tous les coeurs généreux, à tous les esprits éclairés, à tous les hommes jaloux de leur liberté; enfin, aux générations futures.

Cette protestation sublime fut considérée, par l'assemblée, comme un monument funèbre de patriotisme et de fidélité. Tous les membres se levèrent et l'adoptèrent spontanément aux cris mille fois répétés de vive la nation; vive la liberté! Il fut résolu qu'elle serait envoyée sur-le-champ à la chambre des pairs. «Il faut qu'on sache, dit M. Dupin, que la représentation nationale toute entière partage les nobles sentimens exprimés dans la déclaration. Il faut que tout ce qu'il y a d'honnêtes gens, d'hommes raisonnables, d'amis d'une sage liberté, sachent que leurs voeux ont trouvé ici des interprètes, et que la force elle-même ne pourra nous empêcher de les émettre.»

Au même moment, M. Bedoch annonça que nos plénipotentiaires étaient de retour, et que l'un d'eux (M. de Pontécoulant) avait affirmé que les puissances étrangères avaient montré des dispositions favorables, et particulièrement l'Empereur Alexandre; qu'il avait souvent entendu dire et répéter que l'intention des souverains alliés n'était point de gêner la France dans le choix de son gouvernement, et que l'empereur Alexandre serait dans quelques jours à Nancy[87].»

Le général Sébastiani confirma ces explications. La chambre, rappelée à l'espérance, ordonna sur-le-champ que sa déclaration serait portée par une députation aux monarques étrangers. «Ils entendront notre langage avec un noble intérêt, dit M. Dupont (de l'Eure): il est digne d'eux et de la grande nation que nous représentons.»

Ainsi, au moment même où cette chambre allait expirer, ses regards mourans se reportaient encore, avec une douce confiance, vers les Rois étrangers que l'inconstante fortune rendait l'arbitre des Français. Elle appelait surtout, de tous ses voeux, ce prince loyal et magnanime qui déjà avait préservé la France des malheurs de la conquête, et qui paraissait destiné à la préserver de maux plus déplorables encore. Son nom, prononcé avec respect, avec reconnaissance, sortait de toutes les bouches; il suffisait pour calmer les inquiétudes, appaiser les douleurs, ranimer les espérances; il semblait être le gage de la paix, de l'indépendance et du bonheur de la nation. Ô! Alexandre! cette haute estime, cette tendre confiance de tout un peuple qui n'était pas le tien, sera (n'en doute pas) placée par la postérité, au premier rang de tes titres de gloire.

La commission cependant dissuada les représentans de se rendre auprès des souverains: elle leur remontra que les étrangers refusaient de reconnaître le caractère légal des chambres, et que cette démarche les exposerait à des humiliations indignes de la majesté nationale. Les représentans désabusés n'insistèrent point; ils reprirent avec calme leurs travaux sur la constitution[88], et continuèrent, sous le fer despotique des Rois, à discuter stoïquement les droits imprescriptibles des peuples.

Le duc de Wellington, la convention signée, avait témoigné le désir de s'entendre avec le duc d'Otrante sur son exécution. La commission ne s'opposa point à leur entrevue. C'était un moyen positif de savoir définitivement à quoi s'en tenir sur les dispositions des alliés. Il fut convenu que le président de la commission reproduirait les argumens de la lettre du 1er juillet; qu'il tâcherait d'écarter les Bourbons et de faire tourner la vacance momentanée du trône à l'avantage de la nation et de la liberté.

Le duc d'Otrante, de retour, dit à la commission, que Wellington s'était prononcé formellement en faveur de Louis XVIII, et avait déclaré que ce souverain ferait son entrée à Paris le 8 juillet; que le général Pozzo di Borgo avait répété la même déclaration, au nom de l'Empereur de Russie, et lui avait communiqué une lettre du prince de Metternich et du comte de Nesselrode, exprimant la volonté de ne reconnaître que Louis XVIII, et de n'admettre aucune proposition contraire. Il ajouta que le duc de Wellington l'avait conduit chez le Roi; qu'il y avait été pour son compte, qu'il ne lui avait rien laissé ignorer sur la situation de la France, sur la disposition des esprits contre le retour de sa famille; que le Roi l'avait écouté avec attention et avec approbation; qu'il avait manifesté la volonté d'ajouter à la Charte de nouvelles garanties et d'éloigner toute idée de réaction; que, quant aux expressions des proclamations, elles seraient moins des moyens de sévérité que des occasions de clémence. Il ajouta enfin qu'il avait parlé de la cocarde tricolore, mais que toute explication avait été rejetée; que l'opposition lui avait paru moins venir du Roi que de ses entours et de M. de Talleyrand.

Depuis cette entrevue, M. le duc d'Otrante eut l'air de faire cause à part avec ses collègues, et ne parut plus qu'avec inexactitude à leurs fréquentes réunions.

Bientôt on apprit par les journaux, qu'il était nommé ministre de la police du Roi. Il l'avait tu à la commission. Cette faveur fut considérée comme le salaire de sa trahison. Les royalistes le félicitèrent; les patriotes l'accablèrent de malédictions.

Le parti du Roi qui jusqu'alors s'était tenu dans l'ombre, voulut réparer, par un coup d'éclat, sa longue et pusillanime inaction; il complota de désarmer, à la faveur de la nuit, les postes de la garde nationale, de s'emparer des Tuileries, de dissoudre la commission et les chambres, et de proclamer Louis XVIII.

Quelques précautions prises par le prince d'Essling avertirent les conjurés que leurs desseins étaient connus, et prudemment ils en déférèrent l'exécution aux baïonnettes étrangères. Leur attente ne fut point longue. Le 7 juillet, à cinq heures du soir, plusieurs bataillons prussiens, au mépris de la convention, cernèrent le palais où siégeait le gouvernement. Un officier d'état major remit à la commission la demande faite par le prince Blucher, d'une contribution de cent millions en argent et de cent millions en effets de troupes. La commission déclara avec fermeté que cette réquisition était contraire à la convention, et qu'elle ne consentirait jamais à se rendre complice de semblables exactions. Pendant ce débat, les Prussiens avaient forcé les portes des Tuileries et envahi les cours et les avenues du palais. La commission n'étant plus libre et ne voulant point devenir un instrument d'oppression, cessa ses fonctions.

Son premier besoin fut de constater, par une protestation authentique, qu'elle n'avait cédé qu'à la force, et que les droits de la nation étaient restés intacts. M. le duc d'Otrante, rédacteur docile des actes publics du gouvernement, prit la plume à cet effet; mais la commission redoutant, pour la tranquillité publique, les effets de cette protestation, crut devoir se borner à transmettre aux deux chambres le message que voici:

Monsieur le Président,

Jusqu'ici nous avions dû croire que les intentions des souverains alliés n'étaient point unanimes sur le choix du prince qui doit régner en France: nos plénipotentiaires nous ont donné la même assurance, à leur retour. Cependant les ministres et les généraux des puissances alliées ont déclaré hier, dans les conférences qu'ils ont eues avec le président de la commission, que tous les souverains s'étaient engagés à replacer Louis XVIII sur le trône, et qu'il doit faire ce soir ou demain son entrée dans la capitale.

Les troupes étrangères viennent d'occuper les Tuileries où siége le gouvernement. Dans cet état de choses, nous ne pouvons plus que faire des voeux pour la patrie; et nos délibérations n'étant plus libres, nous croyons devoir nous séparer.

Ce message, dernier témoignage de l'audacieuse duplicité du duc d'Otrante devenu ministre du Roi, contenait en outre ce qui suit: «On ajoutera de nouvelles garanties à la Charte; et nous n'avons point perdu l'espoir de conserver les couleurs si chères à la nation», mais ce paragraphe, dont je ne rapporte que la substance, fut ensuite supprimé.

La chambre des pairs qui avait accueilli froidement le bill des droits et la déclaration de la chambre des représentant, se sépara sans murmures[89].

La chambre des députés reçut son arrêt de mort avec un calme héroïque. Lorsque M. Manuel, rappelant les mémorables paroles de Mirabeau, s'écria: «Nous sommes ici par la volonté du peuple, nous n'en sortirons que par la puissance des baïonnettes. Il est de notre devoir de donner à la patrie nos derniers momens; et s'il le faut, la dernière goutte de notre sang.» Tous les membres de l'assemblée se levèrent en signe d'adhésion, et déclarèrent qu'ils resteraient inébranlablement à leur poste.

Mais ils ne devaient point accomplir cette glorieuse résolution. Le président (M. Lanjuinais) trahissant leur courage et méprisant leur volonté, leva la séance et se retira. «M. le président, lui dit le général Solignac, l'histoire est là, elle recueillera votre action.»

Le lendemain matin, ils trouvèrent les avenues de leur palais occupées par les étrangers, et les portes de l'assemblée fermées. M. de Cazes, à la tête de quelques volontaires royaux, en avait enlevé les clefs. Cette violence, contre laquelle ils protestèrent, fit enfin tomber leur bandeau; ils reconnurent la faute qu'ils avaient commise, en arrachant trop précipitamment du trône Napoléon, et en confiant aveuglément à d'autres mains les destinées de la patrie[90].

Ainsi finit, après un mois d'existence, cette assemblée que les Français avaient choisie pour affermir la dynastie impériale, pour assurer leur repos et leurs libertés, et qui, par entraînement, par imprévoyance, par un excès de zèle et de patriotisme, n'enfanta que des bouleversemens et des calamités.

La dissolution des chambres et du gouvernement mit fin à toute illusion.

Les couleurs tricolores qu'on avait conservées disparurent.

Les cris de vive la nation! vive la liberté! cessèrent.

M. Fouché fut annoncer à son nouveau maître que tout était consommé.

Et le 8 juillet, Louis XVIII triomphant reprit possession de sa capitale[91] et de son trône.

Au moment où ce prince rentrait aux Tuileries, Napoléon s'occupait à Rochefort des moyens de quitter la France. Sa présence excitait parmi le peuple, les marins et les soldats, un tel enthousiasme, que le rivage retentissait sans interruption des cris de vive l'Empereur! et que ces cris, répétés de bouche en bouche, durent apprendre aux hommes qui s'étaient flattés de maîtriser les volontés de Napoléon, combien il lui serait facile de secouer ses chaînes et de se jouer de leurs vaines précautions. Mais, fidèle à sa détermination, il résistait avec fermeté aux impulsions des circonstances et aux continuelles sollicitations de se mettre à la tête des patriotes et de l'armée. «Il est trop tard, répétait-il sans cesse; le mal est maintenant sans remède; il n'est plus en ma puissance de sauver la patrie. Une guerre civile serait aujourd'hui sans objet, sans utilité; à moi seul elle pourrait devenir avantageuse, en ce qu'elle me procurerait le moyen d'obtenir personnellement des conditions plus favorables; mais il me faudrait les acheter par la perte inévitable de ce que la France possède de plus généreux et de plus magnanime, et un tel résultat me fait horreur[92].»

Jusqu'à l'époque du 29 juin, jour du départ de l'Empereur de la Malmaison, on n'avait apperçu, dans les parages de Rochefort, aucun bâtiment anglais; et tout porte à croire que Napoléon, si les circonstances lui eussent permis de s'embarquer aussitôt son abdication, serait parvenu sans obstacles à gagner les États-Unis: mais quand il arriva sur le rivage de la mer, il trouva toutes les issues occupées par l'ennemi, et parut conserver peu d'espoir de lui échapper.

Le 8 juillet[93], il se rendit à bord de la frégate la Saale, préparée pour le recevoir. Sa suite fut embarquée sur la Méduse; et le lendemain 9, les deux bâtimens abordèrent à l'île d'Aix. Napoléon, toujours le même, fit mettre la garnison sous les armes, visita dans les plus grands détails les fortifications, et décerna l'éloge et le blâme, comme s'il eût encore été le souverain maître de l'état.

Le 10, le vent, contraire jusqu'alors, devint favorable; mais une flotte anglaise de onze vaisseaux croisait à la vue du port; et il ne fut point possible d'appareiller.

Le 11, l'Empereur, fatigué de cet état d'anxiété, envoya le comte de
Lascases, devenu son secrétaire, sonder les dispositions de l'amiral
Anglais, et s'informer s'il était autorisé à lui accorder la libre
faculté de se rendre en Angleterre ou aux États-Unis.

L'amiral répondit qu'il n'avait aucun ordre; qu'il serait toujours prêt à recevoir Napoléon et à le conduire en Angleterre; mais qu'il n'était point en son pouvoir de lui garantir s'il y obtiendrait la permission de s'y fixer ou de se rendre en Amérique.

Napoléon, peu satisfait de cette réponse, fit acheter deux bâtimens demi-pontés, dans l'intention de gagner, à la faveur de la nuit, un snack Danois, avec lequel il s'était créé des intelligences.

Ce moyen ayant échoué, deux jeunes aspirans de la marine, pleins de courage et de dévouement, lui proposèrent de monter les deux barques, et lui jurèrent sur leur tête, qu'ils le conduiraient à New Yorck. Napoléon ne fut point effrayé par le péril d'une aussi longue navigation avec de si frêles embarquemens; mais il sut qu'on ne pourrait point éviter de s'arrêter sur les côtes d'Espagne et de Portugal, pour y prendre des vivres et de l'eau, et il ne voulut point exposer son équipage et lui-même à tomber entre les mains des Portugais et des Espagnols.

Informé qu'un navire américain se trouvait à l'embouchure de la Gironde, il fit partir à franc étrier, le général Lallemand, pour s'assurer de l'existence de ce bâtiment et des sentimens du capitaine. Le général revint en toute hâte lui annoncer que le capitaine serait heureux et glorieux de le soustraire aux persécutions de ses ennemis; mais Napoléon, cédant, dit-on, aux conseils de quelques personnes qui l'entouraient, abandonna l'idée de tenter le passage et se décida à se confier à la générosité anglaise.

Le 14, il fit prévenir l'amiral, qu'il se rendrait le lendemain à son bord.

Le 15 au matin, il s'embarqua avec sa suite, sur le brick l'Épervier, et fut reçu à bord du Bellérophon avec les honneurs dus à son rang et à son infortune. Le général Beker qui avait ordre de ne point le quitter, le suivit. Au moment d'aborder, l'Empereur lui dit: «Retirez-vous, général; je ne veux pas qu'on puisse croire qu'un Français est venu me livrer à mes ennemis!»

Le 16, le Bellérophon mit à la voile pour l'Angleterre.

L'Empereur avait préparé une lettre au prince Régent, que le général
Gourgaud fut chargé de lui porter immédiatement. La voici:

Rochefort, le 13 juillet 1815.

Altesse Royale,

En butte aux factions qui divisent mon pays et à l'inimitié des plus grandes puissances de l'Europe, j'ai terminé ma carrière politique; et je viens, comme Thémistocle, m'asseoir aux foyers du peuple Britannique. Je me mets sous la protection de ses lois que je réclame de Votre Altesse Royale, comme le plus puissant, le plus constant et le plus généreux de mes ennemis.

Le général Gourgaud eut l'ordre de faire connaître au prince, s'il daignait l'admettre en sa présence, ou à ses ministres, que l'intention de Napoléon était de se retirer dans une province quelconque d'Angleterre, et d'y vivre ignoré et paisible, sous le nom du colonel Duroc.

L'Empereur ne manifesta, dans la traversée, aucune appréhension, aucune inquiétude. Il se reposait avec sécurité sur le noble caractère du peuple anglais.

Arrivé à Plymouth, on ne lui permit point de mettre pied à terre; et bientôt on lui apprit que les puissances alliées avaient décidé qu'il serait considéré comme prisonnier de guerre et renfermé à Sainte-Hélène.

Il protesta solennellement entre les mains de l'amiral Anglais, et à la face du ciel et des hommes, contre la violation de ses droits les plus sacrés, contre la violence exercée envers sa personne et sa liberté.

Cette protestation ayant été vaine, il se soumit avec une résignation calme et majestueuse à l'arrêt de ses ennemis. Il fut transporté à bord du Northumberland, qui fit voile immédiatement pour Sainte-Hélène.

En passant à la hauteur du Cap de La Hague, il reconnut les côtes de la France; il les salua aussitôt; et, étendant ses mains vers le rivage, il s'écria, d'une voix profondément émue: «Adieu, terre des braves! adieu, chère France! quelques traîtres de moins, et tu serais encore la grande nation et la maîtresse du monde.»

Le 17 octobre, on lui fit appercevoir les rochers arides qui allaient devenir les murs de sa prison. Il les contempla sans plaintes, sans agitation, sans effroi.

Le 18, il mit pied à terre; et après avoir protesté derechef contre l'attentat commis sur sa personne, il se rendit d'un pas ferme et assuré au lieu de sa captivité.

Ainsi s'est terminée la vie politique de Napoléon.

On s'est étonné qu'il ait voulu se survivre à lui-même. Il aurait pu se tuer; rien n'est plus facile à l'homme. Mais une fin semblable était-elle digne de lui? Un roi, un grand roi ne doit point mourir de la mort désespérée d'un conspirateur, d'un chef de parti. Il faut, pour me servir des propres expressions de l'illustre captif de Sainte-Hélène, il faut qu'il soit au-dessus des plus rudes atteintes de l'adversité.

Non! il était digne du grand Napoléon, d'opposer l'inflexibilité de son âme à l'inconstance de la fortune; et tel que ce Romain, à qui l'on reprochait de ne s'être point donné la mort après une grande catastrophe, il pourra répondre aussi: «J'AI PLUS FAIT, J'AI VÉCU!»

SORT DES PERSONNES QUI FIGURENT DANS CES MÉMOIRES.

GOUVERNEMENT ROYAL.

MINISTRES.

Le prince de Talleyrand, disgracié, pair de France.
M. Dambray, disgracié, pair de France.
M. l'abbé de Montesquiou, disgracié, pair de France.
Le général Dupont, disgracié, pair de France.
Le maréchal Soult, disgracié, proscrit.
Le duc de Feltre, disgracié, mort.
M. le comte de Blacas, disgracié, pair de France.

MINISTRES D'ÉTAT.

M. le comte Ferrand, disgracié, pair de France.
M. le Vicomte de Chateaubriand, disgracié, pair de France.
M. baron de Vitrolles, disgracié.

MARÉCHAUX.

Le maréchal Marmont, major général de la garde royale.
Le maréchal Macdonald, major général de la garde royale.
Le maréchal Victor, major général de la garde royale.
Le maréchal Gouvion St.-Cyr, ministre de la guerre.

GOUVERNEMENT IMPÉRIAL.

MINISTRES.

Le prince Cambacérès, banni, rentré.
Le prince d'Eckmuhl, pair de France.
Le duc de Vicence, retiré des affaires.
Le duc de Decrès, retiré des affaires.
Le duc d'Otrante, banni.
Le duc de Gaëte, pair de France (lettre close.)
Le comte Mollien, pair de France.
M. Carnot, proscrit.
M. le duc de Bassano, proscrit.

MINISTRES D'ÉTAT.

M. le comte Defermont, proscrit, rappelé.
M. le comte Regnault de St. Jean d'Angely, proscrit rappelé, tué par
l'exil.
M. le comte Boulay (de la Meurthe), proscrit.
M le comte Merlin (de Douay), proscrit.
M. le comte Andréossy, pair de France.

MARÉCHAUX.

Le maréchal Ney, fusillé;
Le maréchal Brune, massacré.
Le prince d'Eckmuhl, pair de France.
Le prince Masséna, disgracié, mort.
Le maréchal Mortier, pair de France.
Le maréchal Jourdan, pair de France.
Le maréchal Soult, proscrit, rappelé.
Le maréchal Lefèvre, pair de France.
Le maréchal Suchet, pair de France.
Le maréchal Grouchy, proscrit.
Le duc de Rovigo, condamné à mort, contumace.
Le comte Bertrand, condamné à mort, contumace.
Le général Drouot, jugé, acquitté, retiré du service.
Le général Cambronne, jugé, acquitté, retiré du service.

GRENOBLE.

Le général Marchand, jugé, acquitté.
Le général Debelle, condamné à mort, pardonné.
Le colonel Labédoyère, fusillé.

LYON.

Le général Brayer, condamné à mort, contumace.
Le général Mouton-Duvernet, fusillé.
Le général Girard, tué à Ligny.

COMPLOT DE COMPIÈGNE ET LAFÈRE.

(Tom. I, pag. 186.)

Le général d'Erlon, condamné à mort, contumace.
Le général Lefêvre-Desnouettes, condamné à mort, contumace.
Les généraux Lallemand (frères), condamnés à mort, contumaces.

BORDEAUX.

Le général Clausel, condamné à mort, contumace.
Les généraux Faucher (frères), fusillés.

VALENCE (Drôme).

Le maréchal Grouchy, proscrit.
Le général Chartran, fusillé.

VENDÉE.

Le général Travot, condamné à mort, détenu à perpétuité.
Le général Lamarque, proscrit, rappelé.

ARMÉES. CHEFS DE CORPS.

Le général Decaen, jugé, acquitté.
Le général Rapp, pair de France.
Le général Reille, pair de France.
Le général de Lobau, proscrit, rappelé.
Le général d'Erlon, condamné à mort, contumace.
Le général Girard, retiré du service.
Le général Vandamme, proscrit.
Le général Excelmans, proscrit, rappelé.
Le général Pajol, retiré du service.
Le général Foi, retiré du service.
Le général Freyssinet, proscrit.
Le général de Bourmont, commandant de la cavalerie de la garde.

MEMBRES DE LA CHAMBRE DES REPRÉSENTANS.

M. Lanjuinais, président, pair de France.
M. Dupont (de l'Eure), destitué de ses fonctions de président de la cour
de Rouen, Député actuel. Chef de l'opposition.
M. Durbach, proscrit, rappelé.
MM. Defermont, Boulay, Regnault, proscrits.
M. Lafayette, député actuel, opposition.
M. Manuel, député actuel, opposition.
M. Roi, ministre d'état, député.
M. Dupin, avocat, devenu célèbre par son talent et son patriotisme.

COMMISSAIRES NÉGOCIATEURS.

Le général Sébastiani, en activité.
Le comte de Pontécoulant, pair de France.
Le comte Delaforest, pair de France.
Le comte Andréossy, pair de France.
Le comte Boissy-d'Anglas, pair de France.
Le comte de Valence, exclus de la chambre des pairs.
M. de la Besnardière, retiré des affaires.
M. Lafayette, député, opposition.
M D'Argenson, député, opposition.
M. Flaugergues, sans fonctions, opinion neutre.
M. Benjamin Constant, écrivain politique et député.
M. De Lavalette, condamné à mort, arraché à l'échafaud par la piété
conjugale et l'héroïsme de trois Anglais, MM.
Robert Wilson, Bruce et Hutchinson.
M. le général Grenier, député, opposition.
M. le Baron Quinette, banni, rappelé.
M. Thibaudeau, proscrit.
Le général Beker, pair de France.
Le général Flahaut, naturalisé anglais.
M. de Tromeling, maréchal de camp en activité.
L'auteur des mémoires, indépendant.

Fin du deuxième et dernier Volume.

NOTES

[1: Fragment d'une lettre de M. Fouché à l'Empereur, le 21 mars.]

[2: Jeu d'enfant qui consiste à changer continuellement de place et à tâcher de prendre celle de son voisin.]

[3: On m'a assuré depuis, que M. Réal l'avait fait prévenir par Madame Lacuée, sa fille, que l'Empereur savait tout.]

[4: La plupart des députés n'étaient point encore nommés; mais il m'était bien permis d'anticiper sur les événemens.]

[5: Lorsque le duc d'Otrante devint ministre du Roi, et fut chargé de dresser les listes de proscription, je voulus savoir à quoi m'en tenir sur les effets de son ressentiment et je lui écrivis pour sonder ses dispositions. Il me fit appeler, m'accueillit avec beaucoup de bonté, et m'assura de sa protection et de son amitié: «Vous faisiez votre devoir, me dit-il, et je faisais aussi le mien. J'avais prévu que Bonaparte ne pourrait point se soutenir. C'était un grand homme, mais il était devenu fou. J'ai dû faire ce que j'ai fait, et préférer le bien de la France à toute autre considération.»

Le duc d'Otrante se conduisit avec la même générosité vis-à-vis de la plupart des personnes dont il avait eu à se plaindre; et s'il fut forcé d'en comprendre quelques-unes au nombre des proscrits, il eut du moins le mérite de leur faciliter par des avis, par des passeports, souvent par des prêts d'argent, les moyens d'échapper à la mort ou aux fers qui leur étaient réservés.]

[6: Ce préambule, qui tua l'acte additionnel, est, je crois, l'ouvrage de M. Benjamin Constant.]

[7: Ce tableau et celui dont il est question art. 33, n'étant d'aucune importance, n'ont point été joints ici.]

[8: Malgré la charte et les lois rendues chaque jour, on est encore obligé de revenir journellement aux règles établies par l'ancienne législation du sénat.]

[9: Paroles bien connues des Cortès d'Aragon aux rois d'Espagne lors de leur couronnement.]

[10: L'Empereur avait ordonné de brûler cette proclamation; mais je la trouvai si belle, que je crus devoir la conserver. Au moment du départ de Napoléon pour l'armée, je n'étais point à Paris; un premier commis du cabinet, M. Rathery, l'ayant trouvée dans mes cartons, eut le courage de la jeter au feu.]

[11: Je parle en général; je sais qu'il est des départemens où les colléges électoraux, par des causes différentes, ne furent composés que d'un petit nombre d'individus.]

[12: Voici sur le jeune Napoléon une anecdote que je n'ai lue nulle part. Lorsqu'il vint au monde, on le crut mort: il était sans chaleur, sans mouvemens, sans respiration. M. Dubois (accoucheur de l'Impératrice) faisait des efforts multipliés pour le rappeler à la vie, lorsque partirent successivement les 100 coups de canon destinés à célébrer sa naissance; la commotion et l'ébranlement qu'ils occasionnèrent, agirent si fortement sur les organes du royal enfant, qu'il reprit ses sens.]

[13: L'Empereur Alexandre, lors de l'événement de Fontainebleau, avait garanti au duc de Vicence, pour Napoléon, la possession de l'île d'Elbe. M. de Talleyrand et les ministres étrangers lui remontrèrent vivement les dangers de laisser l'Empereur sur un point aussi rapproché de la France et de l'Italie, et le conjurèrent de ne point s'opposer à ce qu'on le forçât de choisir une autre retraite. Alexandre, fidèle à ses engagemens ne voulut point y consentir. Lorsque l'Empereur reparut, Alexandre se fit un point d'honneur de réparer la noble faute qu'il avait commise, et devint plutôt par devoir que par animosité, l'ennemi le plus acharné de Napoléon et de la France.]

[14: Il avait, en Allemagne et en Angleterre, des agens qui l'instruisaient avec une exactitude parfaite de tout ce qui s'y passait; il est vrai que ces agens lui faisaient acheter chèrement leurs services. Il avait notamment à Londres deux personnes qui lui coûtaient 2000 guinées par mois. «Si mes Allemands, dit-il à ce sujet, étaient aussi chers, il faudrait y renoncer.»]

[15: Foyer ordinaire de la rébellion.]

[16: Les secours si pompeusement annoncés par les émissaires royalistes se réduisirent à 2,400 fusils et à quelques barils de poudre. Les chefs de l'insurrection, trompés dans leur attente, reprochèrent amèrement à M. de la Roche-Jaquelin de les avoir abusés et compromis par de fausses promesses.]

[17: L'Empereur avait destiné ce commandement en chef au duc de Rovigo, ou au général Corbineau; mais il prévit qu'on serait peut-être obligé d'en venir à des mesures de rigueur; et il ne voulut point qu'elles fussent dirigées par un officier attaché à sa personne.]

[18: L'Empereur considéra cette mesure rigoureuse comme une juste représaille des moyens employés par les chefs Vendéens pour recruter leur armée. Voici ces moyens.

Lorsque les familles qui règnent dans la Vendée, ont résolu la guerre, elles envoient l'ordre à leurs agens de parcourir les campagnes pour prêcher la révolte et pour indiquer à chaque paroisse le nombre d'hommes qu'elle doit fournir. Les chefs d'insurrection de chaque paroisse désignent alors les paysans qui doivent partir, et leur enjoignent de se rendre tel jour, à telle heure, au lieu fixé pour le rassemblement. S'ils y manquent, on les envoye chercher par des bandes armées, composées ordinairement des hommes les plus redoutés dans le pays; s'ils résistent, on les menace de les fusiller ou d'incendier leurs maisons; et comme cette menace n'est jamais vaine, les malheureux paysans obéissent et partent.

On a prétendu que l'Empereur avait donné l'ordre de mettre à prix la tête des chefs des insurgés; les instructions données au ministre de la guerre ont été transcrites par moi, et je ne me rappelle nullement qu'il y fût question d'un ordre semblable.]

[19: 14,000,000 francs avaient été affectés à la reconstruction des maisons incendiées.]

[20: Elles annonçaient et promettaient aux Napolitains le rétablissement sur le trône de Ferdinand leur ancien roi.]

[21: Les départemens du Centre et de l'Est se distinguèrent particulièrement. Un grand nombre de leurs habitans donnèrent des sommes considérables, et firent équiper, à leurs frais, des compagnies, des bataillons, des régimens entiers de partisans ou de gardes nationaux.

À Paris, un seul citoyen, M. Delorme, propriétaire du beau passage du même nom, offrit à la patrie cent mille francs.

Un autre fit remettre à l'Empereur, le jour de la revue de la garde nationale, un rouleau de papier attaché avec un ruban de la légion d'honneur. On l'ouvrit; il renfermait vingt-cinq mille francs, en billets de banque, avec ces mots: à Napoléon, à la patrie. L'Empereur voulut connaître l'auteur de cette mystérieuse et délicate offrande; et il parvint à savoir qu'elle était due à M. Gevaudan, dont plusieurs actions semblables lui avaient déjà révélé les nobles sentimens et le patriotisme.]

[22:

Votes. Affirmatifs……. 1,288,357
        Négatifs………. 4,207

Armées. Affirmatifs……. 222,000
        Négatifs………. 320

Marine. Affirmatifs……. 22,000
        Négatifs………. 275

31 départemens n'envoyèrent point à tems leurs registres. Un grand nombre de soldats, ne sachant pas signer, ne votèrent point; et les registres de 14 régimens ne parvinrent qu'après le recensement des votes.]

[23: Montesquieu. Grandeur et Décadence des Romains.]

[24: Jour de l'apparition de l'Acte du Congrès.]

[25: À l'époque de la discussion de l'acte additionnel, M. de Bassano, causant avec l'Empereur, de la chambre des députés, lui dit, que le mutisme du corps législatif était une des choses qui avait le plus contribué à décréditer le gouvernement impérial: «Mon corps législatif muet lui répondit, en riant, Napoléon, «n'a jamais été bien senti. C'était un grand jury législatif. Si l'on trouve bon que douze jurés prononcent par oui, ou par non, sur la vie et l'honneur de leurs concitoyens, pourquoi trouver étrange ou tyrannique que 500 jurés, choisis parmi l'élite de la nation, prononcent de la même manière sur nos simples intérêts sociaux?»]

[26: Il avait épousé une demoiselle Beauharnais, si célèbre depuis par son généreux dévouement.]

[27: Ce fut le duc de Vicence qui, le premier, conçut l'idée de conférer la pairie à de grands propriétaires et à des négocians renommés. Il n'était point d'avis que la pairie devînt héréditaire, et que le choix des pairs fût exclusivement laissé à la couronne. Il aurait désiré que les grands propriétaires, les manufacturiers, les négocians du premier ordre, les hommes de lettres, les publicistes, les jurisconsultes qui se seraient fait un grand nom, fussent admis à proposer une liste de candidats, parmi lesquels l'Empereur aurait été libre de choisir un certain nombre de pairs.]

[28: Lucien Bonaparte n'avait point été reconnu prince de la famille impériale par les anciens statuts. Il pouvait en conséquence être considéré comme ne faisant pas partie de droit de la chambre des pairs.]

[29: Cette opinion n'empêchait point l'Empereur de rendre justice au courage et au patriotisme que M. Lanjuinais avait montrés dans des circonstances difficiles.]

[30: Avocat célèbre, défenseur du maréchal Ney et des trois généreux libérateurs de M. de Lavalette, Wilson, Bruce, et Hutchinson.]

[31: Depuis ministre des finances du Roi.]

[32: MM. Dupin et Roi qui lui paraissaient les chefs du parti de l'insurrection.]

[33: Elle fut attaquée et prise, le 30 Avril, près l'île d'Ischia.]

[34: Félix Lepelletier.]

[35: Le duc d'Otrante excellait dans l'art de contourner les faits à sa guise. Il les aggravait, ou les atténuait, avec tant de talent, les groupait avec tant d'adresse, en déduisait les conséquences avec tant de naturel, qu'il parvenait souvent à fasciner Napoléon. Pour le tromper et le séduire plus sûrement, il l'accablait, dans ses rapports, de protestations d'attachement, de fidélité; et il avait soin de se ménager l'occasion d'y ajouter des apostilles de sa main, dans lesquelles il faisait valoir et briller adroitement son dévouement, son discernement et son activité. Généralement tous ses rapports étaient marqués au même coin: beaucoup d'astuce, beaucoup de talent; ils offraient à l'oeil le rare et précieux assemblage de l'esprit et de la raison, de la modération et de la fermeté; on y reconnaissait à chaque mot l'administrateur habile, le profond politique, l'homme d'état consommé; en un mot, rien n'aurait manqué à M. Fouché, pour être placé au rang des grands ministres, s'il eût été ce que j'appelerai un ministre honnête homme.]

[36: Le 5e corps devint l'armée du Rhin, et le 6e qui d'abord n'était qu'un corps de réserve, prit sa place sans changer de numéro.]

[37: L'ascendant qu'il exerçait sur l'esprit et le courage des soldats était vraiment incompréhensible. Un mot, un geste suffisait pour les enthousiasmer et leur faire affronter avec une aveugle joie les plus effroyables dangers. Ordonnait-il mal à propos de se porter sur tel point, d'attaquer tel autre: l'inconséquence ou la témérité de cette manoeuvre frappait d'abord le bon sens des soldats; mais ils pensaient ensuite que leur général n'aurait point donné un pareil ordre sans motif et ne les aurait point exposés impunément. «Il sait bien ce qu'il fait, disaient ils;» et ils s'élançaient à la mort aux cris de Vive l'Empereur!]

[38: Ces agens soudoyés par le Roi, allaient et revenaient de Gand à Paris et de Paris à Gand. M. le duc d'Otrante qui sans doute avait de bonnes raisons pour les connaître, offrit à l'Empereur de lui procurer des nouvelles de ce qui se passait au-delà des frontières; et ce fut par eux que l'Empereur connut en grande partie la position des armées ennemies. Ainsi M. le duc d'Otrante, si l'on en croit les apparences, livrait d'une main à l'ennemi le secret de la France, et livrait de l'autre à Napoléon le secret des étrangers et des Bourbons.]

[39: L'Empereur, avant de quitter Paris, avait conçu le projet de rendre les plaines de Fleurus témoins de nouveaux combats. Il avait fait appeler le maréchal Jourdan, et en avait tiré une foule de renseignemens stratégiques très-importans.]

[40: Le duc de Trévise, à qui Napoléon avait confié le commandement de la jeune garde, fut atteint, à Beaumont, d'une sciatique qui le força de se mettre au lit.]

[41: GAUCHE,

Sous le maréchal Ney.

1er Corps.

Infanterie. 16,500
Cavalerie. 1,500

2e Corps.

Infanterie. 21,000
Cavalerie. 1,500
Cavalerie Desnouettes. 2,100

Cuirassiers Kellerman. 2,600
                                   ———
                                   45,200

Artillerie à cheval et à pied. 2,400

Et 116 bouches à feu.

DROITE,

Sous le maréchal Grouchy.

3e Corps.

Infanterie. 13,000
Cavalerie. 1,500

4e Corps.

Infanterie. 12,000 Cavalerie. 1,500 Cavalerie Pajol. 2,500 Cavalerie Excelmans. 2,600 Cuirassiers Milhaud. 2,500 ——— 35,600

Artillerie à pied et à cheval. 2,250

Et 112 bouches à feu.

CENTRE ET RÉSERVE,

Sous l'Empereur.

6e Corps.

Infanterie. 11,000
Vieille garde. 5,000
Moyenne garde. 5,000
Jeune garde. 4,000
Grenadiers à cheval. 1,200
Dragons. 1,200
                                   ———
                                   27,400

Artillerie à pied et à cheval. 2,700

Et 134 bouches à feu.

Récapitulation.

Infanterie. 87,500
Cavalerie. 20,800
Artillerie à pied et à cheval. 7,350
Génie. 2,200
                                   ———
                            Total 117,850 hommes.

Bouches à feu, 362.

]

[42: Le général Blucher n'avait point eu le tems de rappeler la totalité de ses forces.]

[43: Cette conjecture était fondée; mais Blucher qui avait échappé à Grouchy, s'était mis en communication par Ohaim avec Wellington, et lui promit de faire une diversion sur notre droite. Wellington qui avait préparé sa retraite, resta.]

[44: J'ai entendu dire que l'officier, porteur de cet ordre, au lieu de suivre la route directe, avait cru devoir faire un immense détour pour éviter l'ennemi.]

[45:

2e Corps.

Infanterie 16,500 ) ) 18,000 Cavalerie 1,500 )

1er Corps.

Infanterie 12,500 ) ) 13,700 Cavalerie 1,200 )

6e Corps.

Infanterie. 7,000 7,000 (4000 avaient été réunis à Grouchy)

Division Domont et Suberwick. 2,500
Cuirassiers. 4,800

Garde à pied. 12,500 )
Cavalerie légère. 2,100 ) 16,600
Grenadiers et dragons. 2,000 )

Artillerie. 4,500
                                ———
                                67,100

Division Girard. 3,000

]

[46: Ce corps s'était rallié à l'armée Prussienne depuis la bataille de Ligny.]

[47: L'ennemi, lui-même, avoue qu'il crut en ce moment la bataille perdue. «Le désordre, dit Blucher, se mettait dans les rangs Anglais; la perte avait été considérable; les réserves avaient été avancées en ligne; la position du duc était des plus critiques; le feu de mousqueterie continuait le long du front; l'artillerie avait été retirée en seconde ligne.»

J'ajouterai qu'un désordre bien plus grand encore régnait sur les derrières de l'armée Anglaise; les issues de la forêt de Soignes étaient encombrées de caissons, d'artillerie, de bagages abandonnes par leurs guides; et de nombreuses troupes de fuyards, avaient été répandre la confusion et l'effroi à Bruxelles et sur les routes voisines.

Si nos succès n'eussent point été interrompus par la marche de Bulow, ou si le maréchal Grouchy (comme l'Empereur devait l'espérer) eût suivi les traces des Prussiens, jamais victoire plus glorieuse n'aurait été remportée par les Français. Il ne serait point échappé un seul homme de l'armée du duc de Wellington.]

[48: On a su depuis que c'était le général Ziethen qui, lors de son arrivée en ligne, avait pris les troupes commandées par le prince de Saxe-Veimar pour des Français, et les avait forcées, après une fusillade très-vive, d'abandonner un petit village qu'elles étaient chargées de défendre.]

[49: Ils avaient à leur tête les généraux Petit et Palet de Morvan.]

[50:

Hommes. La perte générale de l'armée du duc de Wellington, en tués ou blessés, fut d'environ 25,000

Et celle du prince Blucher, de 35,000 ——— 60,000

Celle des Français peut-être évaluée, savoir

Le 15 et le 16, tués ou blessés, à 11,000 Le 18, tués ou blessés, à 18,000 Prisonniers 8,000 ——— 37,000

La perte des Français eût été plus considérable sans la généreuse sollicitude que leur témoignèrent les habitans de la Belgique. Après la victoire de Fleurus et de Ligny, ils accoururent sur le champ de bataille, consoler les blessés et leur prodiguer des secours. Rien n'était plus touchant que le tableau d'une foule de femmes et de jeunes filles, cherchant à ranimer, par des liqueurs bienfaisantes, la vie éteinte de nos malheureux soldats, tandis que leurs époux et leurs frères soutenaient nos blessés dans leurs bras, épanchaient leur sang, et fermaient leurs blessures.

La précipitation de notre marche ne nous avait pas permis de faire préparer des transports et des ambulances pour recevoir nos blessés. Les sensibles et bons habitans de la Belgique y pourvurent avec empressement. Ils enlevèrent nos pauvres Français du champ de bataille, et leur offrirent un asile et tous les soins qui leur étaient nécessaires.

Lors de notre retraite, ils nous prodiguèrent des témoignages d'intérêt non moins attendrissans et non moins précieux. Bravant la colère des féroces Prussiens, ils quittèrent leurs foyers pour nous enseigner les issues propices à notre fuite, pour diriger notre marche à travers les colonnes ennemies; quand ils se séparaient de nous, ils nous suivaient encore des yeux, et nous exprimaient au loin combien ils étaient heureux d'avoir pu nous sauver.

Lorsqu'ils surent qu'un grand nombre de Français étaient restés prisonniers du vainqueur, ils s'empressèrent de leur offrir et de leur prodiguer des consolations et des secours.

Le prince d'Orange lui-même, aussi redoutable au fort des combats que magnanime après la victoire, devint le protecteur zélé d'une foule de braves qui, ayant appris sur le champ de bataille à l'estimer, avaient invoqué noblement son appui.

Enfin, pour acquitter complétement la dette de la reconnaissance, à l'époque de douloureuse mémoire où les persécutions, l'exil, la mort, forcèrent tant de Français de fuir le sol de la patrie, les habitans de la Belgique, toujours sensibles, toujours bienfaisans, ouvrirent leurs portes hospitalières à nos infortunés proscrits; et plus d'un brave, déjà préservé par eux de la vengeance de l'étranger, fut une seconde fois soustrait par leurs mains généreuses à la fureur d'ennemis plus implacables encore.]

[51: Je dis 50,000 hommes, car plus de 10,000 hommes de la garde ne prirent point de part à l'action.]

[52: Ce trait m'a été raconté; mais en voici un dont j'ai été témoin. Un cuirassier, au fort de la bataille, avait eu les bras hachés à coups de sabre; «je vais me faire panser, dit-il, en écumant de rage, si je ne puis me servir de mes bras, je me servirai de mes dents… je les mangerai!»]

[53: Parmi ces lettres imprimées, il s'en trouve une de moi écrite de Bâle à l'Empereur au sujet de M. Werner.]

[54: M. de Flahaut voyait juste, car il paraît certain que le maréchal Grouchy avait eu des pourparlers avec les alliés, et qu'un arrangement, à la manière du duc de Raguse, allait être signé, lorsque le général Excelmans fit arrêter le colonel Prussien envoyé au maréchal pour conclure le traité déjà convenu.]

[55: Cet avis était faux.]

[56: On voit combien est injuste le reproche fait à Napoléon d'avoir, dans ce bulletin, trahi la vérité et calomnié l'armée.]

[57: Nom donné à la partie des pays qui avoisinent les côtes.]

[58: Cette affaire et la mort de La Roche-Jaquelin eurent lieu le 11 juin, et ne furent connues à Paris que le 19.]

[59: Cette résolution fut envoyée également à la chambre des pairs, mais la chambre, reconnaissant qu'elle n'avait pas le droit de mander les ministres, se borna, vu les circonstances, à donner son approbation aux trois premiers articles.]

[60: Le duc d'Otrante en effet écrivit à M. Manuel.]

[61: Cette réponse fut tronquée par le président; la voici dans toute son intégrité.]

[62: On ne lui avait point donné, dans cette délibération, le titre d'Empereur. On s'était borné à le nommer Napoléon Bonaparte.]

[63: La chambre des pairs se trouvait par conséquent anéantie et exclue de toute participation au gouvernement.]

[64: Conformément aux ordres qui lui avaient été donnés, le maréchal Grouchy s'était borné, dans la journée du 17, à observer les Prussiens; mais il ne l'avait point fait avec l'ardeur et la sagacité qu'on avait lieu d'attendre d'un général de cavalerie aussi consommé. La timidité avec laquelle il les poursuivit, leur inspira sans doute l'idée de se porter impunément sur les derrières de l'Empereur.

Le 18, à neuf heures du matin seulement, il quitta ses cantonnemens pour marcher sur Wavres; parvenu à la hauteur de Valhain, il entendit la canonnade de Mont-Saint-Jean; sa vivacité, toujours croissante, ne permettait pas de douter que l'affaire ne fût excessivement sérieuse. Le général Excelmans proposa de marcher au canon par la rive gauche de la Dyle. «Ne sentez-vous donc point, dit-il au maréchal, que le canon fait trembler la terre sous vos pas? marchons droit au lieu où l'on se bat!» Ce conseil, qui aurait sauvé l'armée, s'il eût été suivi, ne le fut pas. Le maréchal continua lentement ses mouvemens: à deux heures, il arriva devant Wavres. Les corps des généraux Vandamme et Gérard cherchèrent à s'ouvrir un passage, et perdirent inutilement du monde et du tems. À sept heures du soir, il reçut, suivant sa déclaration, l'ordre du major-général de marcher sur Saint-Lambert et d'attaquer Bulow; ce qu'aurait dû lui suggérer plus tôt l'épouvantable canonnade de Waterloo et l'ordre donné par la première dépêche reçue le matin, de se rapprocher de la grande armée, et de se mettre avec elle en rapport d'opération. Il le fit alors. Il fut passer la Dyle au pont de Limale, et s'empara des hauteurs sans éprouver de résistance; mais la nuit étant survenue, il s'arrêta.

À trois heures du matin, le général Thielman voulut essayer de faire repasser la Dyle à nos troupes; il fut repoussé victorieusement. La division Teste, la cavalerie du général Pajol, le forcèrent d'évacuer Bielge et Wavres. Le corps de Vandamme tout entier passa la Dyle, enleva Rosieren et s'établit en maître sur la route de Wavres à Bruxelles.

Le maréchal Grouchy, quoique l'Empereur lui eût recommandé d'entretenir les communications et de lui donner fréquemment de ses nouvelles, ne s'était nullement inquiété de ce qui s'était passé à Mont-Saint-Jean, et il se disposait à continuer aveuglément ses mouvemens, lorsqu'un aide-de-camp du général Gressot vint annoncer (il était midi) les désastres de la veille. Le maréchal sentit alors, mais trop tard, l'horrible faute qu'il avait commise, en restant nonchalamment sur la rive droite de la Dyle. Il opéra sa retraite, sur deux colonnes, par Temploux et Namur.

Le 20 au matin, son arrière-garde fut assaillie et entamée, la division Teste, la cavalerie d'Excelmans, rétablirent l'ordre. Le 20e de dragons et son digne colonel le jeune Briqueville reprirent à l'ennemi deux pièces qu'ils nous avaient enlevées; le général Clary et ses hussards sabrèrent sa cavalerie. L'armée gagna tranquillement Namur. L'infatigable division du général Teste fut chargée de défendre cette ville, et elle s'y maintint glorieusement jusqu'à ce que nos bagages et nos blessés l'eussent évacuée, et que nos troupes se fussent mises en sûreté, sur les hauteurs de Dinan et de Bouvine.

Le 22, toute l'armée était réunie à Rocroi. Le 24, elle fit sa jonction avec les restes de Mont-Saint-Jean que l'Empereur avait ordonné de diriger sur Rheims. Le 25, elle marcha sur la capitale. Pendant sa retraite, elle fut en butte aux attaques acharnées des Prussiens. Elle les repoussa toutes avec vigueur et fermeté. Le noble désir de réparer le mal involontaire qu'elle nous avait fait à Mont-Saint-Jean, enflammait les âmes de la plus vive ardeur; et peut-être cette armée de braves aurait-elle changé sous les murs de Paris, les destinées de la France, si l'on n'eût point comprimé ou trahi les inspirations de son patriotisme et de son généreux désespoir.]

[65: Celui de forcer Napoléon à abdiquer.]

[66: La plupart des pairs avaient des commandemens dans l'armée.]

[67: Expressions littérales de la commission du général Beker.]

[68: Je me hâte de rendre ici au général l'hommage qu'il mérite; il sut parfaitement concilier son devoir avec les égards et le respect dus à Napoléon et à son malheur.]

[69: Sa cour, jadis si nombreuse, n'était plus habituellement composée que du duc de Bassano, du comte de Lavalette, du général Flahaut, et des personnes qui devaient partir avec lui, telles que ses officiers d'ordonnance, le général Gourgaud, les comtes de Montholon, de Lascases, et le duc de Rovigo. Le dévouement qui portait ce dernier à suivre Napoléon, était d'autant plus honorable que Napoléon, lors de son retour de l'île d'Elbe, lui reprocha fort durement de l'y avoir négligé. Il passe cependant dans l'opinion (et c'est bien à tort) pour être un des artisans du 20 Mars; mais dans tous les tems, il eut à se plaindre de l'opinion. Elle lui impute une foule d'actions méchantes auxquelles il ne prit véritablement aucune part, et que souvent même il s'efforça d'empêcher. L'Empereur l'employait à toutes mains, parce qu'il lui trouvait un jugement hardi et net, un esprit fin, et une grande habileté pour apercevoir les conséquences d'une chose, et prendre lestement un parti. On a jeté des soupçons défavorables sur les motifs qui déterminèrent Napoléon à lui confier le ministère de la police; il ne fut appelé à ce poste important que parce que l'Empereur avait l'expérience de l'infidélité du duc d'Otrante qui lui échappait dans toutes les occasions difficiles, et qu'il voulut le remplacer par un homme d'un dévouement éprouvé, par un homme qui, étranger à la révolution, et n'ayant aucun parti à ménager, pût ne servir que lui et faire son devoir sans tergiversation.]

[70: Cette épithète n'était point une insulte dans la bouche de Napoléon. Il s'en servait habituellement, même avec ses ministres, lorsqu'ils montraient de l'irrésolution.]

[71: Les inquiétudes que lui ont donné la terreur de 1815, l'ont conduite au tombeau. Qu'on me pardonne ces détails et cette note.]

[72: Détails communiqués.]

[73: C'est-à-dire, marqua avec des épingles les positions des ennemis.]

[74: L'Empereur instruit des manoeuvres de M. Fouché, dit: «il est toujours le même, toujours prêt à mettre son pied dans le soulier de tout le monde.»]

[75: Ces résolutions consistaient dans l'envoi du général Beker à la Malmaison pour y garder à vue Napoléon.]

[76: La Chambre vota, le 2 juillet, une adresse aux Français. Cette adresse, morte en naissant, avait rapport à la situation politique de la France vis-à-vis des alliés. Elle m'a paru offrir peu d'intérêt, et j'ai cru devoir me dispenser d'en faire une mention spéciale. Elle donna lieu cependant à un incident remarquable. M. Manuel, rédacteur principal de cette adresse, n'avait pas jugé convenable d'y parler du successeur de l'Empereur, et la chambre décida qu'on ajouterait dans l'adresse, que NAPOLÉON II avait été appelé à l'Empire.]

[77: On sent que je raisonne ici, comme partout ailleurs, dans le sens du mandat donné à la commission.]

[78: Ces dépêches n'ayant aujourd'hui aucun intérêt, je ne les rapporterai point.]

[79: Si l'on en croit la déclaration de Macirone, confirmée par le témoignage de deux autres agens secrets, MM. Maréchal et St. Jul***, le duc d'Otrante écrivit à lord Wellington par une lettre dont M. Macirone fut porteur, et qu'il cacha dans ses bas, que l'exaltation des fédérés et des Bonapartistes était au comble et qu'il ne serait plus possible de les contenir, si le duc de Wellington ne se hâtait de venir mettre fin à leurs fureurs par l'occupation de Paris.]

[80: Ce fut dans ce moment, que l'Empereur déclara au gouvernement qu'il était sûr d'écraser l'ennemi, si on voulait lui confier le commandement de l'armée.]

[81: Adresse de l'armée à la Chambre des Représentans.

Représentans du peuple,

Nous sommes en présence de nos ennemis; nous jurons entre vos mains et à la face du inonde, de défendre jusqu'au dernier soupir, la cause de notre indépendance et l'honneur national. On voudrait nous imposer les Bourbons, et ces princes sont rejetés par l'immense majorité des Français. Si on pouvait souscrire à leur rentrée, rappelez-vous, Représentans, qu'on aurait signé le testament de l'armée, qui, pendant vingt années, a été le palladium de l'honneur français. Il est à la guerre, surtout lorsqu'on la fait aussi longuement, des succès et des revers. Dans nos succès, on nous a vus grands et généreux; dans nos revers, si on veut nous humilier, nous saurons mourir.

Les Bourbons n'offrent aucune garantie à la nation. Nous les avions accueillis avec les sentimens de la plus noble confiance; nous avions oublié tous les maux qu'ils nous avaient causés par un acharnement à vouloir nous priver de nos droits les plus sacrés. Eh bien, comment ont-ils répondu à cette confiance? Ils nous ont traités comme rebelles et vaincus.

Représentans, ces réflexions sont terribles, parce qu'elles sont vraies. L'inexorable histoire racontera un jour ce qu'ont fait les Bourbons pour les remettre sur le trône de France; elle dira aussi la conduite de l'armée, de cette armée essentiellement nationale; et la postérité jugera qui mérita le mieux l'estime du monde.

Au camp de la Villette, 30 juin 1815, 3 heures après midi.

     Signé, le maréchal ministre de la guerre, prince d'ECKMUHL, le
     général en chef comte VANDAMME; les lieutenans généraux comte
     PAJOL, baron FREYSSINET, comte ROGUET, BRUNET, baron LORCET,
     AMBERT; les maréchaux de camp comte HARLET, PETIT, baron
     CHRISTIANI, baron HENRION, Marius CLARY, CHARTRAN, CAMBRIEL,
     JEANNET, le major GUILLEMAIN.
]

[82: On voit, d'après ce passage, que Wellington avait sans doute communiqué au prince Blucher la lettre de M. Fouché.]

[83: Cette proclamation est du duc d'Otrante.]

[84: Elles furent publiées par ordre de la chambre.]

[85: Les événemens ont justifié la prudence des maréchaux; mais je ne juge pas les événemens, je les expose.]

[86: Le 23 Juin, M. Carnot, après avoir déposé à la chambre des pairs l'acte d'abdication de l'Empereur, entra dans quelques détails sur l'état de l'armée. Le maréchal Ney se leva et dit… «Ce que vous venez d'entendre est faux, de toute fausseté. Le maréchal Grouchy et le duc de Dalmatie, ne sauraient rassembler soixante mille hommes… le maréchal Grouchy n'a pu rallier que sept à huit mille hommes; le maréchal Soult n'a pu tenir à Rocroy; vous n'avez plus d'autre moyen de sauver la patrie, que les négociations.» M. Carnot et le général de Flahaut réfutèrent sur-le-champ cette imprudente dénégation. Le général Drouot acheva de foudroyer le maréchal à la séance suivante… «J'ai vu avec chagrin, dit-il ce qui a été dit pour affaiblir la gloire de nos armées, exagérer nos désastres ou diminuer nos ressources. Je dirai ce que je pense, ce que je crains, ce que j'espère; vous pouvez compter sur ma franchise. Mon attachement à l'Empereur ne peut être douteux; mais avant tout et par dessus tout, j'aime ma patrie.» Le général fit alors un récit avéré et véridique des batailles de Ligny et de Mont-St.-Jean; et après avoir justifié l'Empereur des torts qu'on cherchait indirectement à lui imputer, il reprit: «tel est l'exposé de cette funeste journée; elle devait mettre le comble à la gloire de l'armée française, détruire toutes les vaines espérances de l'ennemi, et peut-être donner très-prochainement la paix à la France… Mais le ciel en a décidé autrement… Quoique nos pertes soient considérables, notre position n'est cependant pas désespérée; les ressources qui nous restent sont bien grandes, si nous voulons les employer avec énergie… une semblable catastrophe ne doit pas décourager une nation grande et noble comme la nôtre… Après la bataille de Cannes, le sénat Romain vota des remerciemens au général vaincu, parce qu'il n'avait point désespéré du salut de la république, et s'occupa sans relâche de lui donner les moyens de réparer les désastres qu'il avait occasionnés… Dans une circonstance moins critique, les représentans de la nation se laisseront-ils abattre? et oublieront-ils les dangers de la patrie pour s'occuper de discussions intempestives au lieu de recourir à un remède qui assure le salut de la France.]

[87: Les plénipotentiaires, partis de Laon le 26 juin, arrivèrent le 1er juillet au quartier général des souverains alliés à Haguenau.

Les souverains ne jugèrent point convenable de leur accorder d'audience, et nommèrent pour les entendre: l'Autriche, le comte de Walmoden; la Russie, le comte de Capo d'Istria; la Prusse, le général Knesbeck; l'ambassadeur d'Angleterre, lord Stewart, n'ayant point de pouvoir ad hoc, fut invité simplement à assister aux conférences.

Lord Stewart ne manqua point, ainsi que les instructions donnés aux plénipotentiaires l'avaient prévu, de contester la légitimité de l'existence des chambres et de la commission, et demanda aux députés Français, de quel droit la nation prétendait expulser son Roi et se choisir un autre souverain?

«Du droit, lui répondit M. de La Fayette, qu'eut la Grande-Bretagne de déposer Jacques, et de couronner Guillaume.»

Cette réponse ferma la bouche au ministre anglais.

Les plénipotentiaires, avertis par cette question des dispositions des alliés, s'attachèrent moins à obtenir Napoléon II qu'à repousser Louis XVIII. Ils déclarèrent, dit-on, que la France avait pour ce souverain et sa famille une aversion invincible, et qu'il n'était aucun prince qu'elle ne consentît à adopter, plutôt que de rentrer sous leur domination. Ils insinuèrent enfin, que la nation pourrait agréer le duc d'Orléans, ou le roi de Saxe, s'il ne lui était pas possible de conserver le trône au fils de Marie-Louise.

Les ministres étrangers, après quelques pourparlers insignifians, terminèrent poliment la conférence; et le soir les plénipotentiaires français furent congédiés par la note ci-après.

Haguenau, 1er Juillet.

«D'après la stipulation du traité d'alliance qui porte qu'aucune des parties contractantes ne pourra traiter de paix ou d'armistice que d'un commun accord, les trois cours, qui se trouvent réunies, l'Autriche, la Russie et la Prusse, déclarent ne pouvoir entrer présentement dans aucune négociation; les cabinets se réuniront aussitôt qu'il sera possible.

«Les trois puissances regardent comme une condition essentielle de la paix et d'une véritable tranquillité, que Napoléon Bonaparte soit hors d'état de troubler, dans l'avenir, le repos de la France et de l'Europe; et d'après les événemens survenus au mois de mars dernier, les puissances doivent exiger que Napoléon Bonaparte soit remis à leur garde.

(Signé) WALMODEN, CAPO D'ISTRIA, KNESBECK.]

[88: Cette constitution, calquée sur l'acte additionnel, n'en différait que par l'abolition de la noblesse héréditaire, et encore M. Manuel qui développa dans cette discussion un talent du premier ordre, était-il d'avis que la noblesse ne fût point supprimée, comme étant essentiellement nécessaire dans une monarchie. Si j'avais à faire l'éloge de l'acte additionnel et le procès à ses contempteurs, je me bornerais à leur nommer cette constitution.]

[89: Cette chambre, depuis l'abdication de Napoléon, ne fut plus qu'une superfétation. Le départ des pairs qui faisaient partie de l'armée, acheva de la plonger dans une nullité absolue. Sans patriotisme, sans énergie, elle se bornait à sanctionner de mauvaise grâce les mesures adoptées par les représentans. M. Thibaudeau, M. de Ségur, M. de Bassano et quelques autres, s'élevèrent seuls à la hauteur des circonstances; M. Thibaudeau se fit particulièrement remarquer, le 28 juin et le 2 juillet, par deux discours sur notre position politique, qui furent regardés alors et le seront long-tems encore, comme de beaux monumens de courage, de patriotisme et d'éloquence.]

[90: Je rappelle ici l'observation précédente, que je me borne à raconter les faits, sans les juger.]

[91: Le 8 juillet, M. de Vitrolles fit insérer dans le Moniteur l'article officiel suivant.

«Paris, ce 7 juillet.—La commission de gouvernement a fait connaître au Roi, par l'organe de son président, qu'elle venait de se dissoudre.»

Cet article, composé dans le dessein de faire croire à la France et à l'Europe que la commission avait déposé volontairement son autorité dans les mains du Roi, excita les vives réclamations du duc de Vicence. Incapable de transiger avec son devoir, avec la vérité, il se rendit sur-le-champ chez le ministre du Roi (le duc d'Otrante), lui reprocha durement d'avoir compromis la commission, et lui déclara qu'il ne sortirait point de chez lui sans avoir obtenu son désaveu formel. Le ministre protesta que cet article n'était point son ouvrage, et consentit à le désavouer.

Le comte Carnot, le Baron Quince, le général Grenier, s'étant joints au duc de Vicence, ce dernier écrivit dans le cabinet du duc d'Otrante, la lettre ci-après, dont il est inutile, je pense, de faire remarquer la hardiesse et la fermeté.

«Monsieur le duc, la commission du gouvernement n'ayant pu ni dû charger votre Excellence d'aucune mission en se retirant, nous le prions de faire désavouer l'article inséré au Moniteur de ce jour 8 juillet, et d'obtenir l'insertion de notre dernier message aux deux chambres.

(Signé) CAULINCOURT, CARNOT, QUINETTE GRENIER.

Le duc d'Otrante répondit à cette lettre, par la déclaration que voici:

«Messieurs, la commission du gouvernement s'étant dissoute le 7 juillet, tout acte émané d'elle, postérieurement à son message aux chambres, est nul, et doit être regardé comme non avenu.

«Votre réclamation contre l'article inséré dans le Moniteur du 8 juillet est juste; je le désavoue comme nullement fondé, et publié sans mon autorisation.

(Signé) LE DUC D'OTRANTE.

]

[92: Paroles recueillies par M. de Lascases.]

[93: Au même moment, Louis XVIII entra à Paris. Par une autre singularité assez remarquable, ce fut également le jour de la première entrée du Roi dans la capitale que l'Empereur se rendit à bord du brick qui le conduisit à Porto-Ferrajo.]

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