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Les diables noirs: drame en quatre actes

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Même décor.—Les rideaux de la fenêtre sont tirés.—Le canapé au milieu du théâtre.

SCÈNE PREMIÈRE

SYLVIE, ROLAND, caché.

SYLVIE, sortant de la chambre de Jeanne avec un flambeau.

Ah! mon Dieu!... en voilà un désordre! (Allant prendre le guéridon qu'elle place au milieu du théâtre devant le canapé, et la chaise qu'elle met près du guéridon.) Quel dîner!—c'était gai: madame seule devant ce couvert mis, et ce monsieur qui ne revient pas... Il fait froid ici... il y a un courant d'air! (Elle va pour fermer la fenêtre et pousse un cri en apercevant Roland assis à la fenêtre.) Ah! un homme!... (Elle fuit jusqu'à la cheminée.)

ROLAND.

Ne crie pas! c'est moi!

SYLVIE.

Qui, vous? (Elle prend la bougie et avance vers Roland.) Eh! c'est l'esprit de là-bas!

ROLAND, regardant toujours par la fenêtre.

L'esprit! T'y voilà!... je suis l'esprit incarné!...

SYLVIE, posant la bougie sur la table.

Mais c'est donc une rage de vous faufiler comme ça dans les maisons!... Qu'est-ce que vous faites ici?

ROLAND, descendant.

Ce que je fais!... je grelotte! Allume! allume!

SYLVIE.

Mais enfin!

ROLAND.

Allume donc! (Soufflant sur ses doigts, tandis qu'elle remonte à la cheminée.) Non, aux plus beaux moments de ma vie dévorante, je n'ai jamais en si froid pour aucune femme; et il faut que ce ce soit pour la mienne!

SYLVIE.

La vôtre!

ROLAND.

Oui! bah! Autant le mettre dans la confidence; tu m'aideras!... Oui, ma femme!

SYLVIE.

Qui?

ROLAND.

Sarah!

SYLVIE, se lève.

Madame Canillac!

ROLAND, lui prenant le soufflet des mains et la faisant passer devant lui, puis s'asseyant sur le petit tabouret devant la cheminée.

C'est moi, Canillac! Tu vois ici Canillac.

SYLVIE.

Si c'est possible!

ROLAND.

Ce n'est pas possible! c'est pourquoi cela m'arrive! Et ce qui est bien plus impossible encore, c'est que je suis amoureux de ma femme, de ma propre femme!... entends tu!... Misère! amoureux de ma femme! Où vais-je?

SYLVIE.

Ah! le fait est que c'est...

ROLAND, soufflant le feu d'abord et finissant par souffler devant lui sur le tapis.

Ah! ne cherche pas! c'est stupide!—Mais elle est délicieuse, Sylvie! Quel charme dans toute sa personne! quelle langueur exquise! quelle morbidesse! quels yeux bleus que ses yeux bleus! quels cheveux blonds que ses cheveux blonds! quelle fossette au menton que sa fossette au menton! (Il souffle avec langueur sur le tapis.) Et faite!... Oh! je pense bien qu'elle est admirablement faite!

SYLVIE.

Eh bien?

ROLAND, soufflant avec rage.

Eh bien! Voilà ce qui me rend fou, Sylvie!... (Il jette le soufflet et se lève.) Tantôt, je lui ai offert mon bras, elle l'a accepté, comme celui d'un cavalier aimable, mais du reste indifférent! Elle est allée aux Villes de France; je suis entré aux Villes de France, moi qui jamais n'ai voulu suivre femme dans un magasin. Elle y est restée, Sylvie, ce que restent les roses à choisir leurs pétales, l'espace d'une soirée; et j'ai été certainement aimable, attentif, patient, et d'un goût parfait dans mes appréciations. De là, nous sommes allés chez un bijoutier, puis chez une modiste!... Et je patientais! et je patientais!... Et à chaque frôlement de son bras ou de sa robe, à toute parole tombée de ses lèvres, je me sentais envahir par je ne sais quelle influence douce, pénétrante qui tenait à la fois du frisson et du sommeil!... Enfin, c'est de l'amour! Elle m'a fasciné, elle m'a jeté un sort! j'ai oublié de faire ça!... (Il fait les cornes) Je suis perdu!

SYLVIE.

Et c'est par amour pour elle que vous êtes là derrière un rideau?...

ROLAND, d'un air piteux.

Oui, je l'ai ramenée à l'hôtel, et comme il fallait sortir, je n'ai pas eu le courage de m'éloigner, et je me suis blotti sous ces rideaux avec l'intention formelle de passer ici la nuit!

SYLVIE.

Pour?...

ROLAND.

On n'en sait rien!—Mais au point où j'en suis, je ne reculerais pas devant un crime!...

SYLVIE.

Monsieur veut rire... Ma maîtresse va venir; et elle ne peut pas trouver monsieur installé chez elle!

ROLAND.

Ce n'est pas chez elle, Sylvie, que je veux m'installer!...

SYLVIE.

Enfin! il faut que vous sortiez!

ROLAND.

Bah! je ne peux plus sortir sans être vu!... autant rester! (Il s'assied sur le canapé.)

SYLVIE.

Comment! vous ne pouvez plus sortir?

ROLAND.

Non! je connais l'appartement, va! Je l'ai étudié, l'appartement. Ici, (Il montre la première porte à droite) la chambre de ta maîtresse; aucune porte, nulle issue, qu'une fenêtre comme celle-ci, et trente pieds de haut... Ce n'est pas moi qui sauterai! Ainsi...

SYLVIE.

Eh bien!... et de ce côté?

ROLAND, debout derrière le canapé.

Oui, oui, la porte d'entrée, (Mystérieusement.) Et l'homme qui éternue!

SYLVIE.

L'homme qui éternue!...

ROLAND, se lève.

Voilà deux heures que je suis là, de faction, et il y a deux heures que j'entends là, dans le vestibule, un être inconnu (je ne peux pas supposer que ce soit une bête), qui éternue et se mouche de cinq minutes en cinq minutes, avec une régularité automatique!... Dans le silence de la nuit, c'est sinistre!

SYLVIE.

Il éternue? (On entend un éternument, Sylvie pousse un cri et se sauve à droite.)

ROLAND.

Voici l'éternument!

SYLVIE.

Et il se mouche? (On entend quelqu'un qui se mouche.)

ROLAND.

Et voici le mouchoir!

SYLVIE, vivement.

Il faut cogner! (Elle prend les pincettes.) Moi d'abord, je cogne!

ROLAND.

Chut! le voici!

SYLVIE.

Je me sauve! (Elle sort.)

ROLAND.

Et moi, je me cache! (Il se fourre sous le rideau.)

SCÈNE II

ROLAND, RENNEQUIN.

RENNEQUIN, poussant la porte et ne montrant que le bout de son nez.

Voilà deux heures que je le guette!—Je crois que je le tiens! si je pouvais donc m'assurer que c'est le Gaston!—En ne faisant pas de bruit!... Sapristi!... il me prend une envie d'éternuer!

ROLAND.

Je n'entends rien! (Rennequin après avoir lutté contre l'éternument, finit par éclater.) Ah! Si, j'entends!

RENNEQUIN.

Dieu ma bénisse!—Toujours ma chance; où me cacher? (Désignant la porte de Jeanne.) Non... (désignant la fenêtre) là. (Il se cache derrière le rideau.) Tiens, il y a quelqu'un. (Tous deux se trouvent en présence et disent ensemble sur un ton différent.)

RENNEQUIN et ROLAND.

Comment, c'est vous!

RENNEQUIN, désappointé.

Ce n'est pas le Gaston!... c'est celui-là!...

ROLAND.

Misère! c'est donc vous qui sonnez comme ça les quarts et les demies?

RENNEQUIN, descendant en scène.

Exprès!—C'était une finesse pour vous empêcher de sortir! (Gaiement.) Oh! c'était amusant!... (Piteusement.) Et puis je me suis enrhumé aussi!...

ROLAND.

Oui, oui, le fait est que le nez...

RENNEQUIN, vexé.

Oh! c'est bien drôle! c'est bien drôle!—ce n'est rien du tout, un rhume, à mon âge!—Il y a de quoi rire, n'est-ce pas?

ROLAND.

Enfin, pourquoi diantre êtes-vous campé là depuis deux heures?

RENNEQUIN.

Pourquoi?—Vous êtes bien curieux! Je ne vous demande pas pourquoi vous êtes ici, vous?... D'abord, je le sais!

ROLAND.

Bah!

RENNEQUIN, à part, s'asseyant près de la table à gauche.

Il est taquin!—Nous nous taquinons! voilà tout... (Haut). Je vous vois assez rôder depuis hier autour d'elle!

ROLAND, à lui-même.

Autour d'elle!—Ça se remarque déjà, tenez! (Il s'assied sur le canapé.)

RENNEQUIN, enchanté, à part.

Il est vexé! Oh! c'est amusant! (Haut.) Un homme qui entre la nuit chez une dame, en se cachant! Si vous croyez que je ne sais pas ce que c'est, moi aussi, que toutes ces belles finesses d'amants. Ah! je connais ça, allez!—J'en ai déjoué quelques-unes!... Pas toutes, malheureusement, mais enfin quelques-unes.

ROLAND, étouffant un éclat de rire.

Vous avez donc été marié?

RENNEQUIN.

Eh bien?...

ROLAND.

Alors je ne vous demande pas si vous... (Il rit.)

RENNEQUIN, se retournant vers lui.

Oh!... oh!... comme c'est délicat!... Eh bien, quand ce serait! Ce n'est pas si drôle ce qui m'est arrivé!... Il n'y a pas de quoi rire!—Et aujourd'hui encore, avec un cœur sensible comme le mien!... (Il s'émeut.)

ROLAND.

Oh! je vous demande pardon!—Si j'avais su!

RENNEQUIN.

On ne fait pas de ces plaisanteries-là, monsieur! D'abord, je n'accepte pas vos plaisanteries, moi; je vous défends de plaisanter avec moi!

ROLAND.

Ah!

RENNEQUIN.

Je ne vais pas vous chercher, moi; pourquoi venez-vous me chercher?

ROLAND.

Étonnante nature!

RENNEQUIN.

Si vous étiez un peu marié seulement!... on pourrait encore vous répondre!

ROLAND.

Je le suis fichtre bien, marié, et beaucoup!

RENNEQUIN, sautant.

Marié!

ROLAND.

Pardieu!

RENNEQUIN.

Avec elle?

ROLAND.

Oui, avec elle!

RENNEQUIN.

A Cythère?

ROLAND.

A la mairie du neuvième arrondissement!

RENNEQUIN, se levant d'enthousiasme.

Ciel! Dieu! Et on n'en sait rien!

ROLAND, debout.

Pardieu! je l'ai assez caché! mais maintenant va te promener! je fais scandale, je veux ma femme! j'aurai ma femme! je veux ma femme!...

RENNEQUIN, enthousiasmé.

Mais tu l'auras, excellent homme! tu l'auras, ta femme! on te la campera sous le bras, ta femme!... Et la fortune, l'héritage, tout l'argent!... à nous!... Ah! Dieu! embrasse-moi, mon neveu!

ROLAND.

Hein!

RENNEQUIN.

Je dis: Embrasse-moi, mon neveu!

ROLAND.

D'où ça sort-il, ça?

RENNEQUIN.

De la bouche d'un oncle!... Je suis l'oncle de Jeanne, et puisque tu as épousé Jeanne, cher enfant!

ROLAND.

Eh! qui te parle de Jeanne, homme étrange; je parle de Sarah! ma femme, qui est ici!

RENNEQUIN, suffoqué.

Patatras! Toujours ma chance! tenez!... il ne pouvait pas épouser l'autre!

ROLAND.

Est-ce compris?

RENNEQUIN, rageur.

Vous ne pouviez pas me dire tout de suite qu'il s'agissait de Sarah; c'est donc drôle de laisser un pauvre homme s'abandonner ainsi à une douce émotion, pour lui dire après: Non! v'lan!

ROLAND, le contemplant.

Prodigieux, cet homme! prodigieux!

RENNEQUIN.

Je vous conseille de recommencer à plaisanter encore?...

ROLAND.

Monsieur Rennequin, pas un mot de plus; je serais forcé de le considérer comme une offense.

RENNEQUIN.

Monsieur... je!... Saperlotte! vous comprenez bien mal la plaisanterie, vous?

ROLAND.

Sublime!... Décidément, je n'y tiens plus; je meurs de faim! je vais dîner... et je reviens tout de suite après! Bonsoir! (Il remonte.)

RENNEQUIN.

Bonsoir... Roland! (A lui-même.) Je n'ai pas besoin de me gêner avec lui... Roland... tout bonnement!...

ROLAND, au fond.

Bonsoir... Rennequin.

RENNEQUIN.

Ah mais, ça, c'est autre chose... vous pourriez bien dire M. Rennequin.

ROLAND.

Vous pourriez bien dire M. Roland, (Il le regarde et soit par le fond après avoir poussé la porte vivement.)

RENNEQUIN, seul.

Sapristi! Roland furieux alors!... Tiens! c'est drôle ce que je dis là!... (Courant après Roland.) Dites donc, un mot drôle que je viens de dire!... Ah! oui, il se sauve, il n'écoute pas; ça le vexe! c'est égal!... j'ai le dernier... Et dire que je ne pourrai pas acquérir la certitude!...

SCÈNE III

JEANNE, RENNEQUIN.

Jeanne sort de chez elle sans le voir et cherchant à terre, elle descend et n'est préoccupée pendant toute la scène que de cette recherche.

RENNEQUIN, à part, après l'avoir regardée.

Qu'est-ce qu'elle a?—Qu'est-ce qu'elle cherche?... (Il tousse.)

JEANNE, l'apercevant.

Quelqu'un!—Ah! c'est vous!

RENNEQUIN.

Oui, chère enfant, oui! Tu as perdu quelque chose?

JEANNE, continuant.

Oui, oui, je crois que j'ai perdu!...

RENNEQUIN.

Si tu veux que je t'aide!... (A part.) Ma foi! nous voilà seuls!... si j'essayais encore une ruse!...

JEANNE.

Rien!...

RENNEQUIN, prenant la bougie pour s'éclairer.

Ah! c'est désagréable de perdre comme cela... de l'argent? un bijou?

JEANNE, cherchant.

Oui!

RENNEQUIN.

Mais après tout qu'est-ce que c'est que ça; ce qui est terrible, (avec intention et émotion) c'est de perdre sa réputation!

JEANNE.

Plaît-il?

RENNEQUIN.

Je dis, avec des larmes dans les yeux!... voilà!... voilà une chose que tu ne retrouveras jamais!

JEANNE.

Quoi?

RENNEQUIN.

La réputation!...

JEANNE.

Que voulez-vous dire?...

RENNEQUIN, avec des larmes.

C'est fini! ma pauvre enfant! on sait tout!

JEANNE.

On sait quoi?

RENNEQUIN, la bougie à la main.

C'est le bruit de la ville!... On ne parle pas d'autre chose; j'ai rencontré vingt personnes qui ont osé me dire: Comment!... votre nièce... et ce petit Gaston...

JEANNE.

On vous a dit cela?... on le dit?

RENNEQUIN.

Tout le monde!—Tout le monde le sait!

JEANNE.

Ah!... Eh bien, on le sait, voilà tout!... (Elle continue à chercher.)

RENNEQUIN, posant le flambeau sur la cheminée.

C'est donc vrai!... Fatal amour! Heureusement qu'un bon mariage... (A part.) Je vais pousser au mariage, alors?... Je dis du bien! (Il remonte derrière le canapé.)

JEANNE, cherchant toujours.

Je me suis assise là pourtant!... Et puis, j'étais là!... Ah! dans le pli du canapé! (Elle cherche.)

RENNEQUIN.

Heureusement, dis-je, qu'un bon mariage... un mariage immédiat... Ah! il faut que ça se fasse tout de suite d'abord! Tu ne trouves pas?

JEANNE, sans l'écouter.

Non... j'y renonce... Ah! douleurs, remords, tourments, il n'y manquait plus que la honte!... Eh bien, la voilà! (Elle tombe sur le canapé.)

RENNEQUIN.

Ah! c'est bien complet!—Et sans le mariage... Mais tu as bien raison, c'est le meilleur parti. D'abord, l'honneur de la famille, chère enfant! (Il s'émeut.) Une famille si belle, si estimable!... Et puis, le nom du défunt; tu ne voudrais pas que ce cher défunt... (A part.) C'est bien assez des vivants, mon Dieu!... (Haut.) Au bout du compte, c'est un aimable garçon: un peu fou, un peu léger... mais spirituel, charmant!... et un cœur... comme le mien, tiens, je ne peux pas mieux comparer!... Il a fait des folies! Qu'est-ce que ça nous fait... tant mieux, au contraire, bon! parfait!—Jeune sage, vieux fou!—Ai-je assez couru, moi!... Ah! pristi! Eh bien, maintenant, je ne cours plus du tout!...

JEANNE, à elle-même.

Et il ne rentrera pas?

RENNEQUIN.

Quel mari cela va faire!... (Emu, derrière elle, la reprenant à droite et à gauche, à chaque mouvement qu'elle fait.) Ah! chère enfant! quel excellent... quel excellent mari!...

JEANNE, le regardant.

Mais qu'est-ce que vous me dites?—Et à qui en avez-vous donc depuis une heure?

RENNEQUIN.

A toi! qui dois à ta réputation, à cause du monde!...

JEANNE.

Ah! votre monde! lâcheté, vilenie, laideur, sottise et mensonge partout! J'en suis lasse et je voudrais savoir sur la terre un lieu désert où le fuir, où me fuir moi-même, et m'enterrer vivante!...

RENNEQUIN.

Un couvent!... (A part.) Tiens! mais c'est une idée!... (Haut.) C'est une bien bonne idée, même!... un couvent; mais voilà ton affaire, chère petite! (Jeanne, assise dans le canapé sans bouger, regarde fixement devant elle sans l'entendre. Rennequin s'assied près d'elle.) Tu laisses tout à tes bons parents!... Ça revient au même!... On se dit: quelle femme! quelle âme! Elle n'a voulu garder qu'une pension de trois raille francs... (A part.) Ah! non! c'est trop! (Haut.) Trois mille francs, qu'elle a réduits elle-même à quinze cents francs!—Quelle âme!

JEANNE, sans l'écouter, se levant.

Et il ne viendra pas!...

RENNEQUIN.

Et il ne viendra pas au couvent, parbleu!—Il ne viendra plus!... Tu en seras débarrassée!... Car, du moment que tu ne veux plus l'épouser, on peut bien le dire, c'est un affreux garnement!—Quel monstre! (A part.) Je dis du mal à présent!... (Haut.) Il ne l'aime pas! Il n'aime que ton argent!...

JEANNE, frappée.

Peut-être!...

RENNEQUIN.

Peut-être?... Sûrement!... (A part.) Je dis du mal... toujours! Oh! j'aime bien mieux ça; ça me met à mon aise.

JEANNE, prêtant l'oreille.

On vient! c'est lui!... (Apercevant Sylvie qui entre.) Non!...

SCÈNE IV

Les Mêmes, SYLVIE.

SYLVIE.

Madame!... il y a là un homme qui veut vous parler à toute force!

JEANNE.

Un homme!... Quel homme?

SYLVIE.

Je ne le connais pas; c'est quelque chose qu'il ne peut dire qu'à madame...

JEANNE.

Quelque chose à me dire!... Ah! il y a un malheur dans l'air!... Fais entrer!... Je vous demande pardon, mon oncle...

SYLVIE, au fond.

Entrez, monsieur... (Ducroc entre.)

RENNEQUIN.

Bonne nuit, chère enfant! (A part.) Encore une ruse qui n'a pas réussi!... Et de cinq!... Toujours ma chance... (Il va pour saluer Ducroc en sortant, le regarde, se ravise, lui tourne le dos et sort.)

SCÈNE V

JEANNE, DUCROC.

JEANNE, à Sylvie.

Laisse-nous! (Sylvie sort.)

DUCROC, regardant autour de lui.

Vous êtes bien seule, madame?

JEANNE.

Je suis seule, parlez... qui êtes-vous?... que voulez-vous?

DUCROC, lentement, toute la scène.

Madame, je m'appelle Ducroc!

JEANNE.

Je ne connais pas ce nom!

DUCROC, surpris.

Ah! c'est qu'on n'a pas jugé à propos de vous le dire, mais enfin! vous savez bien le reste!... C'est moi qui suis venu tantôt!

JEANNE.

Tantôt?

DUCROC.

Oui, présenter le billet!...

JEANNE.

Un billet? chez moi? quel billet?...

DUCROC, à part, descendant.

Ah! nous jouons aussi la comédie, nous! (Haut.) Mon Dieu, je vous demande pardon de vous parler de ça; mais les affaires, n'est-ce pas? c'est brutal, madame!

JEANNE.

Mais parlez, monsieur!... Dites!... expliquez-vous enfin!

DUCROC.

M. de Champlieu ne vous a donc pas dit?...

JEANNE, saisie.

C'est lui?...

DUCROC.

Mais oui!

JEANNE, à part.

Quand je disais qu'il y avait un malheur!...

DUCROC, posant son chapeau sur la table.

Enfin, nous nous comprenons maintenant!—C'est si simple! Il n'avait pas d'argent; pauvre garçon!... cela se conçoit; on n'a pas dix mille francs dans la poche de son gilet!—Et comme je suis un bon homme après tout, c'est moi qui lui ai donné le conseil de recourir à vous...

JEANNE.

Continuez donc, monsieur!...

DUCROC.

Et il n'a pas perdu de temps, allez, car une demi-heure après, je lui rendais le billet en échange de... (Il cherche dans sa poche.)

JEANNE, anxieuse.

En échange?...

DUCROC, ouvrant la petite boîte où se trouve le bouton, et le regardant.

De...

JEANNE.

Le diamant!...

DUCROC, étonné, relevant la tête.

Oui, madame!...

JEANNE, se contenant.

Ah!... oui.

DUCROC, tout en regardant le diamant et le faisant miroiter devant ses yeux.

Oui... seulement, il y a un petit malheur; c'est que je me suis laissé... Enfin, prenons que je me suis trompé moi-même, mais j'ai fait estimer ce bijou tout à l'heure par un camarade, et il se trouve que, comme un nigaud, j'ai rendu dix mille francs pour six mille, car ça ne vaut pas plus... Vous comprenez que cela ne fait pas mon affaire... et si M. de Champlieu ne dégage pas l'objet, alors je suis donc...

JEANNE.

Quoi?

DUCROC, arrêté par le regard de Jeanne.

Je suis!... je suis bien embarrassé!... (Ironiquement.) M. de Champlieu est un très-honnête garçon, mais il est quelquefois un peu... (Regard de Jeanne.) négligent!

JEANNE.

Vous vous trompez, monsieur. (Elle va au petit meuble et prend une liasse de billets de banque.) Et la preuve, c'est qu'il m'a remis tout à l'heure vos dix mille francs que voilà! (Elle jette les billets sur la table.)

DUCROC, mettant son chapeau à terre, prenant la liasse et comptant du pouce, vivement.

Vrai!... sapr!... (A part.) Eh bien, j'ai de la chance!

JEANNE.

Donnez-moi ce bijou?

DUCROC, le posant sur la table.

Le voilà, madame!

JEANNE.

Allez, monsieur!

DUCROC, saluant.

Madame!—Ah! bien! (A part.) J'en ai de la chance! (Il sort.)

JEANNE, seule.

Ah! (Elle saisit le bouton de diamant et s'assure que c'est bien lui.) Volée... Il m'a volée!... (Elle tombe en sanglotant sur le divan.) Ah! mon Dieu! mon Dieu!...

SCÈNE VI

JEANNE, TRICK.

JEANNE, se redressant, et cachant le diamant qu'elle saisit.

Quoi?—Qu'est-ce que c'est? que voulez-vous?...

TRICK.

Matame!

JEANNE, cachant son visage.

Plus tard!... je veux être seule! j'appellerai!... Laissez-moi!... (Elle entre chez elle.)

TRICK.

Elle pleure!...

SCÈNE VII

TRICK, GASTON, puis SYLVIE.

GASTON, entrebâillant la porte du fond, livide, tremblant.

Trick!

TRICK.

Ah! te voilà, toi!... On t'attend pour dîner, tu viens après!

GASTON, déposant son chapeau sur un fauteuil près de la porte.

Ah! je pense bien à dîner! Où est-elle?

TRICK.

Dans son chambre!

GASTON.

Et elle ne sait rien! Elle ne s'est pas aperçue?...

TRICK.

Quoi?

GASTON, essuyant son front.

Rien!... je ne sais ce que je dis... (Il pose son chapeau.) Elle est seule?

TRICK.

Toute seule, et bien triste; elle t'attend!

GASTON.

Elle m'attend?—Et ma lettre?...

TRICK.

Ta lettre?...

GASTON.

Eh bien, oui, ce petit mot que j'ai griffonné là-bas... pour lui dire de ne pas m'attendre... que j'étais forcé!... Enfin, je ne l'ai pas rêvé, voyons!... j'ai écrit et j'ai envoyé!... Elle l'a reçu!...

TRICK.

Rien!

GASTON.

Ah! je crois bien qu'elle m'accuse! (Il fait le mouvement d'entrer chez Jeanne.)

TRICK, l'arrêtant.

Ne va pas!...

GASTON, effrayé.

Quoi?... elle sait donc? elle a vu?...

TRICK.

C'est toi qui peux pas la voir!... Tu es fait comme un voleur!

GASTON, reculant.

Un voleur! (Tombant sur une chaise.) Un voleur!...

TRICK.

Qu'est-ce que tu tiras?—«D'où tu viens,»—elle temantera? Et toi tu tiras: «Je viens de jouer!» Tu tiras cela que tu as joué encore tute la soirée?... et que tu as perdu!... car je vois bien que tu as perdu!...

GASTON.

Oui, perdu! Tout ce que j'avais gagné d'abord; huit mille francs! Trick, huit mille que j'ai vus... (il se lève et frappe sur le guéridon) là, là devant moi!... Je la tenais presque, cette misérable somme pour reprendre à ce Ducroc!... Mais la veine était usée, la chance a tourné, et j'ai perdu, perdu, tout perdu! (Il tombe assis sur le canapé et pleure. Trick que l'émotion a gagné se trouve derrière le canapé et lui tend la main que Gaston saisit en le forçant à tourner aussi son visage vers lui.) Et tu es bien sûr qu'elle ne sait rien?

TRICK.

Quoi?—le pillet?

GASTON, levé.

Oh! le billet, il est loin, celui-là!... Il me l'a rendu... pour autre chose... je t'expliquerai cela!... et quand je l'ai tenu dans cette main, à moi, bien à moi!... je n'ai fait que cela!... (Il tire de sa poche un papier qu'il déchire fiévreusement.) Tiens! Tiens! Au feu! (Il jette les débris sur le tapis, quelques morceaux restent sur la table.) Et je revenais à la vie, et je me suis mis à pleurer, comme un enfant, en le regardant brûler!...

TRICK, avec joie.

Il est prûlé?

GASTON, gaiement, se jetant dans ses bras.

En cendres, mon bon Trick, en fumée!

TRICK, pleurant de joie.

Ah! c'est pien fait!—Ah! je suis gontent!... Eh bien, il faut la voir! (Rajustant la cravate de Gaston et à Sylvie qui sort de chez Jeanne sur la pointe du pied.) Sylvie, dis à madame qu'il est là!

GASTON.

Oui! dis que je suis là!... je veux la voir!

SYLVIE.

J'y vais!...

GASTON.

Oui... non! attends!... je... (A lui-même.) Ah!... je n'ose pas!...

SYLVIE, faisant un pas vers la porte.

Faut-il fermer?

GASTON, il est à l'extrême gauche, à l'avant-scène, Trick plus haut au milieu, Sylvie à droite entre le canapé et la cheminée.

Non! laisse ouvert... que je la voie!... (Avec amour.) C'est elle!... La voilà, Trick... Ah! que je l'aime!... qu'est-ce qu'elle regarde?...

TRICK.

Je sais pas.

GASTON.

Elle regarde quelque chose? quoi? qu'est-ce qu'elle tient à la main?

TRICK, regardant.

Je sais pas... ça prille!...

SYLVIE, de même.

C'est un diamant!

GASTON, épouvanté.

Je suis perdu!

TRICK.

Quoi?

GASTON à Sylvie.

Baisse la portière!... Cache-moi!

SYLVIE, stupéfaite.

Monsieur!

GASTON.

Mais, baisse donc cette portière, te dis-je!... (il s'élance et rabat la portière) et cache-moi donc! (Il reste sur place, épouvanté; silence.—Coup de sonnette dans la chambre.)

SYLVIE.

Madame appelle!

TRICK.

Elle vient!

GASTON.

Elle sait tout! je me sauve!—Ne dites pas que je suis venu!...

TRICK, le retenant.

Tu veux plus?...

GASTON, allant reprendre son chapeau, égaré et comme un fou.

La voir!... maintenant!... non! ce soir! plus tard! mais pas maintenant! elle me fait peur! j'ai peur! je me sauve! Ah! j'ai peur!... (Il se dégage de Trick qui le retient et s'élance dehors.)

TRICK.

Il est fou!... il a plus son tête!...

SYLVIE.

En voilà des aventures!...

SCÈNE VIII

TRICK, SYLVIE, JEANNE.

JEANNE, sur le seuil de sa chambre.

Qui était là?... on parlait! quelqu'un était là?... mais répondez donc!...

TRICK, embarrassé.

Non!...

SYLVIE, de même.

Personne!...

JEANNE, à elle-même.

Ils mentent!... il est venu!... j'ai senti mon cœur se serrer d'angoisse et de colère... il était là! c'était lui. (Surprenant un regard entre Trick et Sylvie.) Ils mentent!

SCÈNE IX

Les Mêmes, ROLAND.

ROLAND, entrant très-affairé, très-essoufflé et à demi-voix.

Pardon!—Madame Canillac n'est pas là?—Elle n'est pas là?...

JEANNE, surprise.

Que voulez-vous, monsieur?

ROLAND, s'essuyant le front.

Ah! mille pardons, madame!... Elle n'est pas là, misère! j'en étais sûr... Mais ce qui se passe dans votre maison, madame, est d'un caractère tellement infernal!...

JEANNE.

Ce qui se passe?...

ROLAND.

Oui, madame!... Et si nous étions seuls...

JEANNE, à Trick et à Sylvie.

Laissez-nous!...

TRICK, en sortant.

Encore un qui n'a pas la tête bien solide! (Il sort par le fond, Sylvie par la droite.)

SCÈNE X

JEANNE, ROLAND.

JEANNE.

Que voulez-vous dire, monsieur?

ROLAND.

Madame, avez-vous vu M. de Champlieu tout à l'heure?

JEANNE.

M. de Champlieu?... non!

ROLAND.

Seigneur Dieu! je vous demande mille pardons, chère madame, car je touche à un secret... Mais enfin, il est des circonstances... des moments!... Et puisque je sais...

JEANNE, avec amertume.

Aussi!

ROLAND.

Et mes principes n'en sont nullement offensés, madame, nullement!... Croyez-le bien! Enfin, vous ne l'avez pas vu? Il ne vous quitte pas à l'instant même?

JEANNE.

Non?—Mais je ne me trompais donc pas, il est venu!

ROLAND.

Misère! s'il est venu! Demandez à ma femme! demandez à madame Canillac s'il est venu?

JEANNE.

Sarah!... vous êtes?...

ROLAND.

Roland Canillac, oui, madame!... un très-mauvais sujet, oui, madame!... qui va tout expier!... oui, madame! grâce à Gaston!...

JEANNE.

Gaston!...

ROLAND.

Oui, je viens de voir Gaston sauter d'un bond les quatre marches du perron! je l'ai vu!

JEANNE.

Vous l'avez vu?

ROLAND.

De mes yeux! Et s'il n'est pas venu pour vous à pareille heure, pour qui voulez-vous que ce soit, si ce n'est pour ma femme?

JEANNE.

Lui!... y pensez-vous?...

ROLAND.

Je ne pense pas à autre chose depuis qu'il a eu le soin de me déclarer lui-même que madame Canillac lui plaisait énormément!

JEANNE.

Il vous a dit?...

ROLAND.

Oui, madame, oui, il m'a dit...

JEANNE.

Enfin!... l'aime-t-il?—Dites-le donc!...

ROLAND.

Ah! madame, puisqu'il adore les blondes!

JEANNE, moment de silence; elle cherche.

Sarah!... oui; peut-être!... Ah! je m'en doutais qu'il y avait une autre que moi! Je le devinais à ses mensonges, à ses absences, jusqu'à ses larmes de remords!... Mais tantôt, tenez!... oui, tantôt... là, à cette place!... la vérité m'a passé devant les yeux comme un éclair!... Quand je les ai surpris tous deux assis sur ce canapé! Et vous le savez bien! vous étiez là, vous!...

ROLAND, piteusement.

Oui! oui, j'étais là, moi!...

JEANNE.

Mais comment l'aurais-je pensé?... Sarah! une amie! une sœur!... Elle ne sait rien, c'est vrai!... Elle est excusable, elle!... Mais lui!... Mais elle, non plus, est-ce qu'elle n'aurait pas dû deviner!... Allons! c'est infâme! Ce n'est pas possible! C'est faux, ce que vous me dites-là! Et vous êtes absurde de m'épouvanter de pareilles chimères, comme si je n'avais pas assez des réalités!

ROLAND, piteusement.

Mettons que ce sont des chimères!

JEANNE.

Chut!

ROLAND.

Plaît-il?

JEANNE.

Est-ce que l'on ne monte pas... Il viendra peut-être bien pour se défendre!... (Elle va écouter à la porte du fond.)

ROLAND.

Il viendra!... mordieu! il est déjà venu, j'en suis sûr!... (Il prend vivement son chapeau sur le guéridon où il l'a posé, ce qui fait voler deux ou trois fragments du papier déchiré par Gaston; il les regarde machinalement d'abord, puis ses yeux se tournent vers ceux qui sont à terre.)

JEANNE, sur le balcon.

Non! personne!

ROLAND, après un regard donné à tous les papiers qui sont à terre, prenant un fragment sur le guéridon, et le regardant machinalement, après un silence.

C'est son écriture!... Bonsoir!... bonsoir!... C'est une lettre, ça!... (Il le rejette.) Une lettre!... qui sait?...(S'arrêtant avec un soupçon.) A-t-on bien le droit de lire une lettre déchirée... quand elle peut s'adresser à votre femme?... Misère! je crois bien! (Reprenant le fragment de papier, lisant.) Bonsoir!... Oui, c'est entendu!... j'ai le droit de lire, seulement il faut en venir à bout!

JEANNE, écoutant du côté de la fenêtre.

On a ouvert la porte du jardin. (Elle ouvre la fenêtre et va sur le balcon.)

ROLAND, après avoir ramassé les papiers, les plaçant sur la table.

Voici évidemment le commencement, et c'est bien son écriture, le scélérat!... Ne m'attends pas!... Il tutoie!... Ce ne peut pas être madame Canillac!... (Avec effroi.) Il ne peut pas tutoyer déjà madame Canillac!... Ne m'attends pas!... bon, mais la suite!... Je suis... C'est ça!... non, ce n'est pas ça! C'est un petit triangle! voici le triangle!...(Ramassant.) Je suis!... (Rapprochant deux morceaux de papier.) Je suis... mort!... Il est mort!... Non, ce ne peut pas être ça!... Plût au ciel, corsaire, que tu fusses mort!... Je suis!... Ah! non, voici! voici!... Je suis appelé subitement près d'un ami qui est à la mort!... mais cette nuit!... cette nuit!...

JEANNE.

Vous êtes encore là?

ROLAND.

Oui! je... je... cette nuit!—(Regardant Jeanne.) Misère! suis-je bête! mais... mais c'est à elle qu'il a écrit cette lettre... et c'est elle qui l'a déchirée!...

JEANNE, revenant à la cheminée.

Quelle heure est-il donc?

ROLAND, rayonnant.

Dix heures!... Il est dix heures!... madame.

JEANNE.

Vous verrez qu'il ne viendra pas encore!...

ROLAND, s'éventant avec son mouchoir.

Mais non, il ne viendra pas, puisqu'il vous a prévenue.

JEANNE.

Il m'a prévenue?

ROLAND.

Puisqu'il vous a écrit!

JEANNE.

A moi!...

ROLAND.

Oui!...

JEANNE

Mais non!

ROLAND, effaré.

Il ne vous a pas écrit qu'il était appelé subitement par un de ses amis qui est mort?...

JEANNE.

Mais non! quelle folie me contez-vous là?...

ROLAND.

Dieux immortels!... qui est-ce donc qu'il tutoie, en parlant de cette nuit!... (Il se précipite à terre et ramasse les autres papiers.)

JEANNE.

Que faites-vous donc là?

ROLAND.

Je fais un travail de Romain, comme tous les maris, pour m'assurer le plus possible de ce que je ne voudrais pas savoir!...

JEANNE.

Une lettre! (Elle va vivement au guéridon.)

ROLAND.

Bonsoir, chère...

JEANNE.

Son écriture!... une lettre!... à une femme! (Lisant.) Ne m'attends pas ce soir!... cette nuit!... Bonsoir, chère!...

ROLAND, vivement.

N'éparpillez pas!... il ne manque plus que le nom! C'est un petit trapèze! le trapèze! le trapèze!

JEANNE, fiévreusement, cherchant la fin de la lettre sur la table.

Ceci?

ROLAND, de même.

Non!

JEANNE.

Mais ça?

ROLAND.

Ma chère...

JEANNE.

Ame!...

ROLAND.

Ma chère âme! Nous ne savons rien!... Ma chère âme!... Mais toutes les femmes sont notre chère âme, en attendant qu'elles ne soient plus rien du tout! Ce n'est plus une lettre, c'est une circulaire!

JEANNE, relisant.

Mais cette lettre!... Mais ce n'est pas à moi qu'elle est écrite! ce n'est pas moi qui l'ai reçue!... Ce n'est pas moi qui l'ai déchirée! C'est une autre... une autre femme! Et qui donc? qui donc ici?... quelle autre? Et pas de nom! (Elle lui arrache un papier qu'il apporte et lit.) Sarah!... Sarah! oui!... Sarah!...

ROLAND.

Sarah!... Je suis mort! (Il se laisse tomber sur le canapé.)

JEANNE.

Ah! vous aviez donc raison! C'est donc vrai?... Et la nuit dernière, ce n'était pas au jeu qu'il était, c'était... Et chez moi!... dans ma maison!... Ah! infâmes! je vous écraserai tous les deux!

ROLAND.

Madame!...

JEANNE.

Ah! je veux la voir! je veux savoir!... (La porte du fond s'ouvre.)

ROLAND.

La voilà! Pour l'amour de Dieu! contenez-vous!

SCÈNE XI

Les Mêmes, SARAH, SYLVIE.

SARAH, en toilette de bal.

Tiens! vous êtes ici, monsieur?... bonsoir! (A part.) Je le savais bien que c'était lui! (Elle va à la cheminée suivie de Sylvie. Haut.) Jeanne, rends-moi donc un service. Mets-moi cette épingle dans les cheveux; Sylvie n'y entend rien!

JEANNE, la regardant.

Tu vas au bal?

SARAH.

Oui! (A Sylvie.) Ma pelisse! (A part.) S'il ne me suit pas ce soir, c'est qu'il est aveugle! (Sylvie sort.)

JEANNE.

Je croyais que tu ne sortais pas ce soir!... Tu attendais quelqu'un!

SARAH.

J'ai changé d'avis! (Elle lui donne l'épingle.) Tiens!

JEANNE, prenant l'épingle; avec haine et colère.

Ah! et tu crois?... (Mouvement de Roland.)

SARAH.

Quoi donc? (La regardant.) Qu'est-ce que tu as?—Tu as l'air toute bouleversée! Est-ce que tu es fâchée contre moi?...

JEANNE.

Contre toi... non! (mettant l'épingle dans les cheveux de Sarah) c'est fait!... va! (Bas à Roland.) Emmenez-la!

SARAH, inquiète de son trouble.

Tu ne viens pas avec moi? (Sylvie entre et pose la pelisse sur les épaules de Sarah.)

JEANNE, après avoir secoué la tête en signe de refus, à Roland.

Emmenez-la! (Sarah sort en la regardant avec étonnement.)

ROLAND.

Que je l'emmène! je le crois bien! (Montrant le papier qu'il a gardé à la main.) Et je la confonds avec cette preuve!... Dieu! une femme si délicieuse! Et quand je pense qu'elle était à moi, je n'avais qu'à le dire!... Et être déjà!... Misère! (Il sort.)

SCÈNE XII

JEANNE, SYLVIE, puis TRICK.

JEANNE, assise sur le canapé devant le guéridon couvert des fragments de la lettre, à part, résolue.

Ah! il faut en finir! (Haut.) Sylvie!

SYLVIE.

Madame!...

JEANNE.

Sarah n'a plus besoin de vous!—Vous pouvez sortir, ma fille!

SYLVIE.

Ce soir, madame?

JEANNE.

Oui! je vous donne votre soirée! Allez au spectacle, où vous voudrez! (Trick entre avec un flambeau à la main qu'il pose sur la table.)

SYLVIE, joyeuse.

Oh! puisque madame le permet! Quel bonheur! (Elle sort.)

JEANNE.

Oui, allez!... Trick!...

TRICK.

Qu'est ce que tu veux? (Il va pour retirer les fragments de la lettre qui sont restés sur la table.)

JEANNE, l'arrêtant.

Laisse!—Où couches-tu?

TRICK, étonné.

Là-haut! tu sais bien!...

JEANNE.

Oui, c'est vrai!

TRICK.

Pourquoi?... tu as peur la nuit?

JEANNE.

Non! quelle idée!—Voici une boîte qu'il faut porter toi-même?

TRICK.

Bon! je porterai! (Il regarde la boîte.) Si loin!...

JEANNE.

Oui!

TRICK.

Temain matin alors?

JEANNE.

Non, ce soir!

TRICK.

Je serai pas revenu avant une heure du matin!

JEANNE.

Qu'importe?

TRICK.

Mais...

JEANNE.

Mon Dieu! que d'affaires!—Allez et taisez-vous!

TRICK, ému.

Tu me crondes?

JEANNE, doucement.

Non, mon bon Trick! non! pardonne-moi!—Et va, je t'en prie.

TRICK, résolument.

Eh bien, non, non, j'irai pas!—Non! je ne te laisserai pas seule!

JEANNE.

Voyons!...

TRICK, continuant et s'oubliant.

Et si tu étais seule encore! Mais avec lui!...

JEANNE, tressaillant et le regardant en face.

Lui!—Qui lui?

TRICK.

Oh! j'ai dit!... Ah! pardonne-moi!... je suis un bête!... un gueux!... Oh! j'ai dit!... Oh! tu pouvais pas te taire, imbécile!...

JEANNE, à elle-même, tristement.

Tous!... ils le savent tous!...

TRICK.

Non! je sais rien! je sais rien du tout!... je sais pas ce que je dis! Tu sais!... je suis un bête, moi!...

JEANNE.

Non! tu es un brave cœur! (Elle lui tend la main.)

TRICK, lui baisant la main.

Ah!...

JEANNE.

Va où je te dis, mon bon Trick; il ne m'arrivera rien, je te le jure, que je ne le veuille et ne l'accepte, va!

TRICK.

J'y vais! oui! (Il se dirige lentement vers la porte du fond, Jeanne se retourne vers lui.)

JEANNE, avec une grande affection.

Bonsoir!

TRICK, s'arrêtant et surpris de la façon dont Jeanne vient de lui dire bonsoir.

Bonsoir! (Avec une fausse vérité.) Tu vois, je m'en vas!... (A part.) Non! j'irai pas! (Il sort.)

SCÈNE XIII

JEANNE, seule, assise devant le guéridon et la lettre déchirée.

Allons! je me suis trompée!... et je suis perdue!... Mais dans quelle honte suis-je donc tombée, si les plus fidèles parmi ceux qui m'aiment, n'osent plus parler de cet amour sans en rougir pour moi comme d'une injure?—Quelle honte? c'est moi qui le demande?.... Le jour où cet homme ne m'a pas dit deux mots qui ne fussent un mensonge!... le jour où il couvre ma main de baisers pour la dépouiller!... le jour où il écrit!... (Elle regarde sa main qui ramasse tous les débris de papier.) Oh! abusée, rançonnée, dupée, volée, oui!... mais trompée pour une autre!... Tu ne me connais donc pas; mais je jetterai tout au vent, toi, mon amour, ma vie, la tienne! tout! comme cette poussière de ta trahison!... (Elle jette les papiers à terre.) On marche!... (Elle prête l'oreille du côté de la petite porte.) Son pas!... c'est lui!—Il n'a pas trouvé son autre maîtresse, tenez, et il me revient! Eh bien! oui, reviens, va!... Tu trouveras une femme que tu ne cherches pas; moi aussi je sais mentir, trahir, et donner des baisers qui déchirent et des caresses qui étouffent!... Viens donc! viens, que je te serre dans mes bras et que tu en meures!... (Elle se tient à l'écart près la cheminée.)

SCÈNE XIV

JEANNE, GASTON. Il entre sans la voir tout d'abord.

GASTON, posant son chapeau sur une chaise près de la porte et retirant ses gants qu'il jette dans le chapeau.

Ah! plutôt toutes les certitudes qu'une angoisse pareille!...

JEANNE, affectant le calme.

Vous voilà!...

GASTON, saisi, se retournant.

Ah!... (Il la regarde avec anxiété.)

JEANNE, doucereusement.

Que vous venez tard!...

GASTON, embarrassé, la regardant.

Oui!... j'ai couru!... Et enfin, me voilà!... (Il descend va à Jeanne, hésitant à la regarder, puis il prend ses mains qu'elle lui tend et va pour les porter à ses lèvres; ses yeux se portent sur un bouton de diamant, il tressaille, et à la vue de l'autre bouton, avec épouvante.) Ah! tous les deux!

JEANNE, tranquillement.

Qu'avez-vous?...

GASTON, tombant à ses pieds à deux genoux.

Tu sais tout!... mais si tu savais aussi, Jeanne, si tu savais ce que j'ai souffert depuis hier!... Ah! tu aurais pitié de moi!... On ne souffre pas davantage! pas même devant les reproches et ta colère!

JEANNE, avec une fausse douceur.

Suis-je donc irritée?... Regardez-moi!

GASTON, sans l'écouter.

Laisse-moi te dire au moins tout ce qui s'est passé! car—Tu ne peux pas me comprendre et tu dois m'accuser!... Mais si tu savais...

JEANNE.

Je ne veux rien savoir!... (Le forçant à se relever.) Ce bijou était bien à vous, et si j'ai un reproche à vous faire, ingrat, c'est de n'avoir pas eu assez de confiance pour me tout avouer!

GASTON.

Eh bien, oui, c'est vrai! oui, j'aurais dû!... Mais de quel front t'aurais-je demandé ce qu'un homme ne peut demander sans honte à une femme, et surtout à celle qu'il aime? Ah! j'ai été bien coupable, certes, dans ma vie!... Mais attendre de toi autre chose que ton amour!... Ah! le vol, le crime! Tout!... Tout, Jeanne, plutôt que cette honte!...

JEANNE, à part.

Et dire que tout cela encore est un mensonge!...

GASTON.

Quoi?... qu'as-tu?... tu me regardes!

JEANNE.

Oui, je vous regarde! oui, je vous écoute,... et je vous aime! (Elle s'assied sur le canapé.)

GASTON, venant se mettre à genoux devant elle.

Et tu me pardonnes!... Ah! tu es généreuse, et grande, et bonne, et...

JEANNE.

Oui; et vous m'aimez toujours uniquement, n'est-ce pas?

GASTON.

Ah! Dieu! uniquement!... Et puis!... (Jeanne regarde la lettre déchirée à terre.) Quoi? Qu'est-ce que tu regardes encore?

JEANNE, souriant.

Rien!

GASTON, suivant ses regards.

Si!... une lettre déchirée?...

JEANNE, de même.

Oui!

GASTON.

Une lettre!... De qui donc?

JEANNE.

Ah! vous êtes jaloux?...

GASTON.

Non!... si vous me dites de qui!...

JEANNE.

Regardez vous-même!—Vous reconnaîtrez l'écriture!

GASTON, surpris et ramassant un petit fragment de papier.

La mienne!

JEANNE, vivement.

Ah! c'est bien votre écriture, n'est-ce pas?... vous la reconnaissez bien?

GASTON, surpris.

Sans doute... oui! (Il va pour ramasser un autre fragment de papier.)

JEANNE.

Non! laissez cela!—Je la sais par cœur cette lettre de votre main: et je puis vous la dire, moi!...

GASTON.

Vous!

JEANNE, de même, en lui tenant les deux mains.

Écoutez bien! (Doucement, et avec amour, redisant les termes de la lettre.) «Ne m'attends pas ce soir!...» (Retenant Gaston qui fait un mouvement.) Attendez! (Continuant.) «Je suis forcé de courir chez un ami qui est à la mort!... Bonsoir, ma chère âme!...» Reconnaissez-vous aussi votre style?...

GASTON, souriant.

Fort bien! oui!... Pourquoi cette question?

JEANNE.

Pourquoi?... Et vous savez bien aussi à qui vous l'avez écrite, cette lettre?

GASTON, tranquillement.

Sans doute! à toi!

JEANNE.

A moi!

GASTON.

Eh bien, oui!—Vous l'avez donc reçue? Trick me disait que non!

JEANNE.

A moi!... c'est à moi que!... (Éclatant de rire.) Ah! par exemple!...

GASTON.

Eh bien? quoi?... quel enfantillage!... Tu le sais bien!

JEANNE.

Vous dites?

GASTON, l'interrompant.

Mais la vérité!... voyons!... Je ne pouvais pas revenir dîner!... comme je te l'avais promis, et j'ai écrit ce billet à la hâte: je l'ai remis probablement, car j'étais tellement troublé, et je ne sais plus... Enfin, j'ai dû le remettre à quelque domestique pour te l'apporter... et puisque tu l'as reçu, et qu'il t'a rassurée, quoi de plus?

JEANNE.

De plus?—Je veux que vous m'expliquiez comment le nom de Sarah se trouve dans cette lettre!... Pourquoi Sarah? A quel propos Sarah!... Quel besoin du nom de Sarah sur ma lettre?

GASTON, cherchant un instant à se souvenir.

Sarah!... Ah! je me souviens! Je te disais: Si tu vas ce soir au bal avec Sarah, tu me trouveras au retour!

JEANNE, ironiquement.

Ah! voilà!

GASTON.

Oui!

JEANNE.

Mais c'est clair!

GASTON.

Sans doute!... Qu'as-tu donc? Est-ce que tu ne me crois pas?

JEANNE.

Moi! par exemple!... Une chose si simple!... D'abord, je crois tout ce que vous me dites autant que vous pouvez le croire vous-même!

GASTON.

A la bonne heure!—Mais dis-moi...

JEANNE.

Non! En voilà bien assez sur ce sujet, n'est-ce pas?—Parlons sérieusement!

GASTON, s'asseyant sur le canapé plus haut qu'elle.

Pourquoi sérieusement!... Puisque tu ne m'en veux plus et que tout est fini?

JEANNE.

Parlons donc gaiement! soit!

GASTON, lui prenant les mains et les embrassant.

La main dans la main: parle! j'écoute!

JEANNE, à part.

Serpent!

GASTON.

Nous disons donc?...

JEANNE.

Nous disons, mon pauvre ami, que tout le monde est instruit de notre liaison!

GASTON, frappé.

Tout le monde!

JEANNE.

Jusqu'à mes domestiques! Mon oncle m'en parlait tout à l'heure! Votre ami Roland après lui, et jusqu'à cet homme!...

GASTON, avec désespoir.

Ah! celui-là! c'est ma faute! mon horrible faute! Et je voudrais!...

JEANNE, l'interrompant.

Ne parlons plus du mal... parlons du remède!

GASTON.

Oh! dis?... Que faut-il faire?

JEANNE.

Rien que de bien simple, mon ami. (Le regardant attentivement.) Il faut hâter notre mariage!

GASTON.

Notre mariage!

JEANNE.

Sans doute!—Qu'y a-t-il là qui vous étonne?

GASTON.

Oh! rien! N'est-ce pas mon rêve comme le vôtre? Mais maintenant! déjà?...

JEANNE.

Eh bien?...

GASTON, avec attendrissement.

Ah! je comprends! Je devine d'où vous vient cette idée-là, ma bien-aimée Jeanne! C'est ce qui s'est passé aujourd'hui, n'est-ce pas? Vous me savez ruiné, traqué, aux abois! et vous m'offrez, par bonté... cette fortune! (Reculant.) Ou plutôt... J'ai peur que ce ne soit une horrible épreuve!... car cette offre subite semble si bien me dire: mon argent, mes bijoux, tout serait à vous!... Et vous n'auriez plus besoin de me les dérober!... (Il recule.)

JEANNE, vivement.

Mais non!—Voyons! je vous répète que je parle sérieusement. Mon ami!... voulez-vous m'épouser? oui ou non?

GASTON, nettement.

Eh bien, maintenant, et surtout après ce qui vient d'arriver!... Non!

JEANNE, vivement.

Ah!—Parce que?...

GASTON.

Mais parce que je me mépriserais, Jeanne, comme le dernier des hommes, si j'acceptais une offre pareille, et vous me mépriseriez vous-même!—Mais regardez-moi donc!—Voyez donc qui je suis... Moi!... déconsidéré, taré, perdu, allier ma misère à votre richesse et vous offrir cette main que je n'ai pas encore su rendre digne de l'étreinte des honnêtes gens!... Oh! je ne veux pas que l'on s'écrie, de vous: «Quelle faute!...» de moi: «Quel marché!...» Et déjà trop suspect de n'aimer ici que votre fortune... Je ne ferai certes pas dire que pour plus de sûreté, je l'épouse!...

JEANNE, qui l'a écouté en changeant de visage.

Ah! c'est pour cela!... C'est la raison?

GASTON.

Et quelle autre?

JEANNE, se levant.

Oui!... (Elle prend le flambeau.)

GASTON, surpris.

Quoi donc?

JEANNE, d'un air étrange.

Quoi?—attendez-moi une seconde, et je vais vous le dire!...

GASTON.

Que j'attende?...

JEANNE, s'arrêtant et souriant de même.

Oui! je reviens! ne bouge pas!... (Musique, elle entre dans sa chambre à droite. Gaston la suit des yeux avec étonnement, en silence; elle disparaît.)

GASTON, sans bouger.

Ce regard!... ce sourire! Qu'a-t-elle donc?... (Appelant) Jeanne! Jeanne!... Voyons! Jeanne! explique-moi!...

JEANNE, rentrant avec le flambeau qu'elle pose sur la cheminée; la porte se referme derrière elle; elle est toute pâle.

Et maintenant, voulez-vous que je vous dise, moi, pourquoi vous refusez de m'épouser? (Éclatant.) Parce que le mariage me fait tout perdre! Tu le sais, infâme!... et tu préfères ta maîtresse riche, à ta femme pauvre!

GASTON.

Moi! je... vous avez cru cela?

JEANNE, redescendant.

Si je le crois?...

GASTON.

De moi!... vous!... vous n'y pensez pas!

JEANNE.

Mais ne prends donc plus la peine de mentir! Tu vois bien que c'est inutile à présent!...

GASTON.

Moi, je mens?...

JEANNE, avec colère et folie.

Tu mens! Tu mens toujours, tu mens à tout propos, par nature et par besoin! Et tu as pris soin de m'en avertir toi-même!... Tu mens avec ta bouche, tu mens avec tes yeux!... Tu mens partout! toujours! Et je te hais! (Repoussant Gaston qui veut lui prendre la main.) Va-t'en, lâche, et ne me touche pas, tu me fais horreur!

GASTON.

Allons! c'est de la folie! qu'est-ce que cela encore? Voyons! Jeanne, qu'y a-t-il?

JEANNE.

Mais, vous me croyez donc stupide, enfin?... Je vous dis que votre lettre... Cette lettre!... Entendez-vous bien!... je l'ai trouvée là!... là!... en débris, déchirée!... Voilà comme je l'ai reçue... ta lettre qui était pour moi!...

GASTON, stupéfait.

Je te jure!...

JEANNE, ironiquement avec un éclat de rire.

Ah! si vous me le jurez! Ah! du moment que sous le jurez!

GASTON, effaré.

Mais enfin!....

JEANNE.

Oui, oui, cherche donc tes mensonges et prouve-moi qu'elle n'était pas pour une autre!

GASTON, troublé, de bonne foi, et ne sachant plus ce qu'il dit.

Pour une autre! ma lettre!... Mais voyons, raisonnons! (Il veut lui prendre encore la main, elle le repousse.) Ne t'emporte pas!... Mais je l'ai écrite, n'est-ce pas, et donnée!... L'ai-je donnée? Enfin, oui!... je n'en sais rien!... Mais après tout, à qui voulez-vous?... Ah! je suis bien assez coupable de ce qui est pourtant!... sans m'accuser de ce qui n'est pas!—Et enfin! je suis venu, et c'est moi-même, peut-être!... ou bien... non! Mais enfin (avec force et désespoir) elle était pour toi!... elle était pour toi! Jeanne, voilà ce qui est vrai!...

JEANNE, qui l'a regardé ironiquement et avec mépris, tout le temps qu'il a parlé.

Ah! tenez, vous me faites pitié! Vous ne savez même plus mentir!

GASTON, désespéré.

Mais si je mentais, je mentirais mieux!

JEANNE.

Oh! je m'en fie à vous pour jouer même ce trouble-là!

GASTON.

Oh! mais c'est horrible ce que vous me dites-là?... Jeanne!... Écoutez-moi!... Regardez-moi au moins!... Ai-je l'air d'u homme qui ment? Et aurais-je des larmes dans les yeux?...

JEANNE, le repoussant.

Vos larmes!... Je les connais! vos larmes! encore un mensonge! vous pleurez! belle affaire! Je ne pleure pas, moi, qui ne suis qu'une femme, et pourtant vous m'avez brisé le cœur!

GASTON.

Ah! la voilà, la punition, la voilà bien!... Et tu doutes de moi, tu me repousses, tu m'écrases!... Toi!—Ah! le ciel n'est pas juste! (Il tombe sur le canapé.)

JEANNE, méchamment.

Vous n'aimez donc pas Sarah?

GASTON.

Sarah?... qui vous a dit? Roland?

JEANNE, vivement.

Roland!... Oh! niais qui se trahit!

GASTON.

Mais je ne lui ai pas dit cela! Jeanne! écoutez-moi?...

JEANNE.

Sarah! chez moi! à ma porte!... Ah! je pouvais vous pardonner d'être un voleur!...

GASTON, se levant vivement.

Ah! c'est une lâcheté, cela! Tu l'avais pardonné déjà!...

JEANNE.

Mais une rivale!... Tu as pu croire que je te pardonnerais... Ah! je ne t'aime plus puisque je te hais!... mais tu penses bien que je ne te hais pas encore assez pour te permettre d'en aimer une autre!

GASTON, à ses pieds, cherchant à se faire écouter en tournant autour d'elle, à genoux.

Laisse-moi!...

JEANNE, sans l'écouter, se dégageant toujours de ses mains.

Et dire que j'ai cru, moi, à l'amour d'un pareil homme!... que j'ai rêvé, moi, le salut de cette âme!... Et j'ai voulu le tirer de son bourbier, et je n'ai pas compris que c'est lui qui m'entraînait dans sa boue! Et j'ai fait tout cela, stupide, parce que tu pleurais, parce que tu te roulais à mes pieds comme à présent!... Et je t'ai tendu la main! cette main que je voudrais couper maintenant, et te jeter au visage pour la punir d'avoir touché la tienne!

GASTON, à genoux, seul, au milieu de la scène.

Ah! accable-moi! injurie-moi! il viendra pourtant bien une heure où il faudra que tu m'écoutes!

JEANNE, près de la cheminée.

Une heure! elle ne viendra pas cette heure-là!...

GASTON.

Que voulez-vous faire?

JEANNE, au milieu de la scène, au delà du guéridon.

Ce que je veux faire?... Ah! vous croyez qu'après avoir aimé un homme tel que vous, je ne me fais pas horreur à moi-même? Vous croyez que j'irai résolument par les rues maintenant que tout le monde sait ma honte, pour que chacun me montre au doigt, en disant: Voici la femme de cet homme! jugez de l'une par l'autre!... Allons! une femme comme moi n'aime qu'une fois, bien ou mal!... et si c'est mal, elle sait bien s'en punir elle-même! (Descendant vers lui.) Tu n'as pas su vivre!... nous allons bien voir si tu sauras mourir!

GASTON.

Mourir! comment?...

JEANNE, montrant sa porte.

Comment? demande-le à cette flamme?

GASTON, comprenant et se relevant d'un bond, épouvanté.

Le feu!... le feu!...

JEANNE, fermant la porte du fond et prenant la clef.

Je brûle ma honte, et nous deux avec!

GASTON.

Allons! êtes-vous folle?... heureusement il est temps encore. (Il s'élance vers la chambre de Jeanne, ouvre la porte et la referme aussitôt, repoussé par la fumée et par la flamme qui brûle la portière de l'autre côté.)

JEANNE.

Ah! tu m'as voulu dans ton enfer, Démon!—Eh bien, nous y voilà!

GASTON, courant des portes à la fenêtre.

Jeanne! c'est insensé! éteindre le feu, maintenant!... Impossible!... cette porte... la fenêtre, trop haute! il n'y a que cette porte!—Donne-moi la clef!... donne, je t'en prie! donne! (Il descend sur elle cherchant à tordre ses mains pour arracher la clef.) mais la clef! Donne-moi donc la clef, malheureuse!

JEANNE, tombant sur le canapé.

Frappe-moi donc!... tiens!... C'est la seule infamie que tu n'aies pas commise!

GASTON, reculant.

Ah! vous ne savez plus ce que vous faites, Jeanne, autrement... (Il court à la porte du fond qu'il cherche à ébranler.) Malédiction, cette porte! Et cet air qui brûle!... et cette fumée!... Dans quelques minutes!... (Il descend vivement vers elle, puis s'arrête et doucement.) Voyons, tu le vois bien: je ne te touche pas!... Mais je t'en supplie! je t'en conjure à genoux!... Donne-moi cette clef!... là, voyons!... je suis assez loin de toi!... Je ne puis pas te faire peur! (Jeanne tourne autour du canapé en remontant, il la suit à distance, suppliant.)

JEANNE.

C'est toi qui as peur!—Lâche! qui as peur!...

GASTON.

Eh! mordieu! je sais mourir; mais je ne veux pas que tu meures! Et je te sauverai malgré toi! (Il s'élance vers elle.)

JEANNE, reculant jusqu'au secrétaire.

Ce n'est pas moi qu'il faut sauver: sauvez donc mes diamants!...

GASTON, brisé par ce mot, et résolu, froidement.

Ah!—Eh bien, c'est ce mot-là qui me tue!... tiens! tu veux que je le délivre de moi, et que je meure! Eh bien, sois tranquille! je m'y jetterai plutôt dans tes flammes!... (Saisissant une chaise.) Au diable la vie! et notre amour! et le reste qui ne vaut pas un fêtu! mourons ensemble. (Il s'assied résolument sur la chaise en cachant sa tête dans ses mains, silence d'une seconde.)

JEANNE, chancelante.

Ah! cette chaleur!... j'étouffe! ah! c'est donc la fin!...

GASTON, ému de la voir souffrir, se levant vivement pour courir à elle.

Jeanne!...

JEANNE.

Laissez-moi!... de l'air. (Gaston court à la fenêtre.) Ah! le lâche, qui va ouvrir la fenêtre!... si tu ouvres la fenêtre, tu es un misérable!...

GASTON, redescendant.

Oui, oui, je suis un misérable!—La clef?

JEANNE.

Tu ne l'auras pas! ah! j'étouffe!... (Elle tombe sur le canapé, Gaston veut lui arracher la clef que Jeanne lui dérobe, il court à la porte et l'enfonce.)

GASTON.

Enfin!

JEANNE.

Ah! l'infâme qui ouvre!... (Elle se relève pour l'arrêter.)

GASTON, la prenant dans ses bras malgré elle.

Ah! maudis-moi maintenant! injurie-moi!... voilà qui m'est bien égal!... je te sauve!... (Il la saisit dans ses bras et l'emporte.)

JEANNE, se débattant.

Je ne veux pas!...

GASTON, de même.

Et moi, je veux!...

JEANNE, s'accrochant aux linteaux de la porte pour ne pas sortir.

La mort!—Oh! la mort!

GASTON.

Et! tu l'auras ma mort! je l'ai juré!...

JEANNE, résistant.

Non!...

GASTON.

Je t'aime! je t'adore! entends-tu? et je meurs en t'adorant! pour t'obéir. (Il la dépose épuisée, évanouie sur le divan de l'antichambre, rentre, referme la porte, tourne la clef et la jette par la fenêtre.)

TRICK, en dehors.

Au feu!...

GASTON, à la fenêtre.

Sauve ta maîtresse! Et moi! je meurs! je ne suis bon qu'à ça! (Il s'élance dans la chambre de Jeanne qui est en feu.)

ACTE QUATRIÈME

Un salon chez Jeanne.—Fenêtre à gauche, pan coupé.—A droite, idem, porte d'entrée.—Chambre de Jeanne au fond.—Les portières et la porte gardent les traces de l'incendie.—A gauche une causeuse devant la cheminée. Un flambeau achève de brûler sur la cheminée; c'est au petit jour.

SCÈNE PREMIÈRE

SYLVIE, TRICK, ROLAND.

Au lever du rideau, Trick écoute sur le seuil de la porte de Jeanne; Sylvie à gauche attise le feu, Roland entre sur la pointe du pied par la porte d'entrée, s'avance jusqu'au milieu de la pièce et appelle à demi-voix.

ROLAND, toute cette scène et les suivantes à demi-voix.

Sylvie!—Sylvie!

SYLVIE.

Monsieur Roland... ici?

ROLAND.

Oui, on me fermait la porte!—Mais j'ai forcé la consigne!

TRICK, au fond.

Tais-toi!

ROLAND, baissant encore la voix.

Hein?

TRICK, descendant avec précaution.

Je ne l'entends plus soupirer... si elle pouvait s'endormir!

ROLAND.

Misère!... mon pauvre Trick, c'est donc vrai, ce qu'ils m'ont dit en bas!... Malade, souffrante, la fièvre?...

TRICK.

La fièvre!... Seigneur Dieu! si ce n'était que la fièvre!... Mais depuis que nous l'avons portée sur son lit, Sylvie et moi, c'est le délire! toujours, toujours!

ROLAND.

Le délire?

SYLVIE.

Toute la nuit!...

ROLAND.

Pauvre femme, la secousse, la peur, je crois bien!

SYLVIE.

Taisez-vous! elle appelle!

TRICK.

Non!... D'ailleurs, ton bon petit femme est près d'elle! (Il remonte.)

ROLAND.

Madame Canillac... je le sais bien, je sais qu'elle est rentrée. Mais le médecin, le médecin!

SYLVIE.

Il est venu au milieu de la nuit, et je l'attends tout à l'heure! Il a commandé du repos, du silence, de la glace, a parlé de fièvre... de fièvre... Ah! mon Dieu! je ne sais plus comment, mais des mots qui font frémir... (plus bas) et que Trick heureusement n'a pas entendus.

ROLAND.

Il a paru inquiet?

SYLVIE, de même encore.

Oh! oui!... Pensez;—une fièvre pareille! Des cris! des larmes!... Ah! pauvre madame, nous n'avions pas trop tout à l'heure, madame Sarah et moi, de toute notre force, pour la retenir dans son lit!...

ROLAND.

Elle veut se lever!

SYLVIE.

Ah! je crois bien!... Et sortir!... et puis les flammes qu'elle voit partout... et puis lui toujours qu'elle appelle!... Ah! monsieur Roland, quelle nuit!... (Elle remonte jusqu'à la porte de Jeanne.)

ROLAND.

Mais lui... lui justement, lui dont vous ne parlez pas? Qu'est-il devenu...

TRICK, qui est redescendu.

Gaston!... (Avec violence.) Ah! j'aurais dû le laisser dans le feu... celui-là qui est cause de tout!...

ROLAND.

Et tu l'as sauvé pourtant?...

TRICK.

Je l'ai sauvé!... C'est pas vrai!... je l'ai trouvé dans le chambre de matame, évanoui, par terre, dans le fumée!... Je l'ai tescentu dans mes bras, et je l'ai fait porder chez lui!... par tu monde... en leur tisant: «Vous allez garter cet homme-là!... et vous l'empêcherez de revenir!... je veux blus le voir!... je veux blus jamais!... je le duerais!...»

ROLAND.

En sorte que tu ne sais pas?...

TRICK.

Si... J'ai envoyé savoir de ses nouvelles!... parce que... après tout...

ROLAND.

Ah! bonhomme sublime, va!... Il veut le tuer; mais il envoie demander comment il se porte!

TRICK.

Il revenait à lui, on a dit... «Il reviendra, va!» Du feu, de l'eau, de partout ils reviennent toujours, les méchants!

SYLVIE, au fond, vivement, en soulevant la portière.

Monsieur Trick, le médecin!...

TRICK.

Ah!... (Il remonte et disparaît dans la chambre de Jeanne.)

ROLAND, cherchant son chapeau.

Bon! bon, le médecin!... je vais l'amener, moi, le vrai médecin!... Où ai-je fourré mon chapeau?... (S'arrêtant.) Ah!... ce bruit de pas!... Gaston, peut-être!... (La porte d'entrée s'ouvre et l'on voit paraître Rennequin soutenu par Profilet et Cyprien, comme un homme évanoui.) Rennequin!...

SCÈNE II

ROLAND, RENNEQUIN, CYPRIEN, PROFILET.

CYPRIEN.

Oui!... il vient de se trouver mal dans l'escalier!

RENNEQUIN.

Ce n'est rien!... l'émotion!... ma sensibilité exaltée!...

ROLAND, lui avançant un fauteuil.

Ah! je vous connais bien!... On vous aura dit brusquement que votre pauvre nièce...

RENNEQUIN.

Ma pauvre nièce, oui... et notre pauvre maison!... qui a failli brûler!...

ROLAND, prêt à sortir, redescendant pour lui serrer la main.

Brave cœur, va!... mais ne vous affectez pas tant que ça, monsieur Rennequin, le malheur n'est pas si grand pour vous que vous pouviez le craindre.

RENNEQUIN.

Merci!... toute une aile calcinée!...

ROLAND.

Oui, mais votre nièce pouvait y rester et vous laisser la douleur d'hériter à sa place et de la pleurer toute votre vie. (Il remonte chercher son chapeau.)

RENNEQUIN.

Elle pouvait y rester, ah! mon Dieu oui; voilà ce que nous nous disions tous trois, en montant l'escalier!... C'est même ça qui m'a...

CYPRIEN et PROFILET, piteusement.

Ah oui!

RENNEQUIN.

Mais elle a une chance!... heureusement.

CYPRIEN et PROFILET, levant les mains au ciel.

Heureusement!

ROLAND, les imitant.

Seulement elle est très-malade!

TOUS TROIS, vivement.

Ah!

ROLAND.

Ainsi!... tout n'est pas perdu!... rassurez-vous!

TOUS TROIS.

Hein!

ROLAND, à Rennequin comme s'il allait l'étrangler, et lui parlant sous le nez.

Rassurez-vous!... Rennequin!... (Il sort.)

SCÈNE III

RENNEQUIN, PROFILET, CYPRIEN.

RENNEQUIN, quand Roland est sorti, il se lève.

Mais monsieur Roland!...

PROFILET, l'arrêtant.

Bon! laissez cela!... Il est déjà loin!

RENNEQUIN, héroïquement.

Je sais bien!... c'est pour ça que je le dis!... sans ça!...

CYPRIEN, le retenant.

Laissez donc!... Et parlons de choses plus sérieuses! Je ne me trompais donc pas!...

PROFILET, à demi-voix.

Ces deux hommes qui arrivaient en même temps que nous.

CYPRIEN, de même.

C'étaient des médecins!... donc, il a raison, la cousine est très-mal.

RENNEQUIN, ému.

Pauvre nièce!

PROFILET.

Il ne faut pourtant pas nous abandonner à une fausse...

CYPRIEN.

Crainte...

PROFILET.

Crainte, oui!... Je suis d'avis que monsieur Rennequin aille s'assurer de son état!

RENNEQUIN, ému.

Moi, entrer là?... avec ma nature impressionnable!... jamais!... tout ce que je peux faire... c'est d'écouter à la porte.

CYPRIEN.

Ce que disent les médecins!...

RENNEQUIN.

Ce que disent... oui... j'allais le dire!... vous pouviez me le laisser dire!... (Il écoute au fond.)

CYPRIEN.

Eh bien?

RENNEQUIN.

Je n'entends pas!... l'émotion... qui m'étouffe;... la tapisserie qui étouffe aussi... Ah! si, j'entends...

PROFILET.

Ah!

RENNEQUIN.

Oui, c'est le son d'une cuiller dans une tasse!... Ah! elle est bien malade!...

PROFILET.

Vous voyez ça à la cuiller!...

RENNEQUIN, descendant.

Non, mais je sens ça; ma nature si magnétique!... pauvre famille!... voilà où nous en étions il y a quatre ans, dans cette même chambre, pour son mari!... le défant!... excusez-moi, je ne peux pas me rappeler ça, sans que... pauvre neveu! pauvre nièce!... Seulement il n'y a pas de femme cette fois-ci pour hériter à notre place!

CYPRIEN et PROFILET.

Ah non!

RENNEQUIN.

Il n'y a que nous!

CYPRIEN.

Que nous trois.

RENNEQUIN.

Que nous trois!... (Les regardant.) Ah! sapristi!... trois!... c'est bien assez!

CYPRIEN.

Désolé de ne pas pouvoir me noyer pour vous être agréable.

RENNEQUIN.

Et ils ont des santés!...(Regardant Cyprien.) Celui-là, surtout. (Désignant Profilet.) Celui-ci me donne encore quelque espoir... mais il a pour lui ma chance... toujours ma chance!...

PROFILET.

Enfin! quand nous serons là à nous désoler, n'est-ce pas?

RENNEQUIN.

Oui!... quand nous nous désolerons!... Nous ferions peut-être mieux de nous réjouir, pauvre nièce.

CYPRIEN et PROFILET, se récriant.

Oh!

RENNEQUIN.

Non!... Je m'entends!... je ne dis pas nous réjouir comme ça effrontément, parce que l'héritage!—Oh! non! on ne peut pas!... on ne peut pas! Mais je dis au contraire nous réjouir... dans son intérêt?

CYPRIEN et PROFILET saisis.

Dans son intérêt!

RENNEQUIN.

Je m'explique, ça a besoin d'explications... mais enfin, qu'est-ce qu'elle allait faire? quoi? épouser un garnement qui eût fait son malheur. (Assentiment de Cyprien et de Profilet.) Eh bien! au lieu de ça, si la fatalité veut!... (ému,) la voilà sauvée au moins!... Elle ne l'épousera pas, ce gredin-là!... c'est un grand bonheur!...

CYPRIEN et PROFILET.

C'est vrai!

RENNEQUIN.

Un grand bonheur!... au moins, elle n'aura plus de scènes comme celle de cette nuit!...

PROFILET et CYPRIEN.

Le fait est que!...

RENNEQUIN.

Ont-ils fait un vacarme?... Ils appellent ça de l'amour!... En voilà de l'amour!... mais de mon temps, mais sapristi! nous avions aussi nos petites... mais c'était autrement gai!

CYPRIEN.

Je le crois.

RENNEQUIN.

Ah bigre!... quand je me lançais, moi... quel esprit! quelle verve!

CYPRIEN.

Ah!...

RENNEQUIN.

Mais quand vous direz: Ah!... Il en reste bien encore quelque chose.

CYPRIEN.

Vous comprenez que je n'ai pas le temps de vous chicaner là-dessus!

RENNEQUIN.

Mais je crois bien!... tandis que ceux-là... ils s'adorent d'une manière!... des enragés, quoi!... ils se mangent. (Montrant les dents.) Crrr!...

PROFILET, regardant au fond les portières de droite.

Il n'y a qu'à voir les rideaux!... regardez-moi ça!

CYPRIEN.

C'est en loques!

RENNEQUIN.

Ça fera encore bien l'affaire de mon cabinet.

CYPRIEN, surpris.

Comment, de votre cabinet?

RENNEQUIN.

Oui!... avec la causeuse. (Tâtant le meuble.) C'est du crin... ça!... tout crin!...

PROFILET, ahuri.

Vous prenez ça pour vous?

RENNEQUIN, ému.

Comme souvenir!—Tout le meuble, oui...

CYPRIEN.

Mais pardon! un instant! La succession compte bien vendre le mobilier tout entier.

RENNEQUIN, levant les mains au ciel.

Ah! la succession! Ah! voilà déjà l'horrible mot! la succession!... (Avec une émotion contenue et qui veut être digne.) La succession, monsieur, ne sera pas ruinée pour une causeuse, deux fauteuils et quelques chaises dont elle fera cadeau à un oncle!... à un pauvre oncle qui va rester isolé... bien isolé!... Avec la garniture de cheminée aussi, bien entendu!...

CYPRIEN.

Enfin tout le mobilier du salon, quoi?

RENNEQUIN.

Oh! tout le mobilier du salon!—Tout le mobilier du cœur! monsieur... tant pis pour vous si vous ne comprenez pas ce sentiment-là!

CYPRIEN.

Oh! mais je le comprends très-bien!... je le comprends si bien que je prends pour moi la garniture de cheminée du grand salon, comme souvenir.

RENNEQUIN.

Bigre! quel souvenir... en bronze!...

PROFILET, passant entre eux deux.

Pardon! Eh bien, et moi dont on ne parle pas?

RENNEQUIN, navré.

C'est ça, à l'autre... ô humanité!

SCÈNE IV

Les Mêmes, TRICK.

TRICK, au fond, il descend, tout pâle, tout ému, se contenant.

Misérables!

RENNEQUIN.

Hein!...

TRICK.

Voleurs, bandits!... vous êtes là comme des bêtes fauves à vous arracher tout ce qui est à elle!... Attendez donc qu'elle soit morte!...

CYPRIEN et PROFILET.

Mais...

TRICK, serrant les poings avec colère.

Sortez d'ici!... sortez tous!... sortez!...

RENNEQUIN, à Profilet et Cyprien qui sortent en haussant l'épaule.

Oui, sortez!... (A Trick.) Ah! mon pauvre Trick, nous nous comprenons, nous! Les plus malheureux ne sont pas ceux qui s'en vont... ce sont ceux qui restent!...

TRICK, serrant les poings.

Eh bien, ne reste pas... va-t'en!...

RENNEQUIN, saisi, le suivant.

Non, mais... moi!... je pleure!

TRICK.

Je te dis de t'en aller!

RENNEQUIN.

Mais je vous défends!...

TRICK.

Et moi je te défends de rester...

RENNEQUIN, rageur.

Eh! dites-le donc!... entre amis!... Enchanté de vous être agréable!... (A part.) En voilà un que je flanquerai à la porte, quand je serai le maître!... (Il sort.)

SCÈNE V

TRICK, puis SYLVIE.

TRICK, à lui-même; apercevant Sylvie qui rentre par la porte.

Ah! Sylvie!... J'ai quitté la chambre!... je pouvais pas... Ces médecins, avec leur air!... je voulais écouter ce qu'ils disaient... je pouvais pas!... Ils sont partis?... Tu les a reconduits jusqu'à la porte!

SYLVIE, étouffant.

Oui!...

TRICK.

Eh bien!...

SYLVIE.

Eh bien!... (Elle veut répondre, mais les larmes l'étouffent et elle tombe assise en pleurant.)

TRICK, d'une voix altérée.

Si malade que cela?... (Sylvie fait signe que oui, en cachant sa figure dans son mouchoir. Moment de silence.) Mon Dieu!... si malade!... Voyons, ne pleure pas!... Il faut pas pleurer... (Contenant ses larmes.) On sait jamais!... les médecins... des bêtes!... Viens! ne pleure pas! (Il la fait lever.) Qu'est-ce qu'ils ont dit?...

SYLVIE, debout.

Ah!... ils n'ont rien dit, mais j'ai bien vu à leur air!

TRICK, effrayé.

Et ils partent!...

SYLVIE, le retenant.

Ils reviendront tout à l'heure!... Tout ce qu'ils ont recommandé, c'est de la laisser bien reposer... parce que la fièvre redouble!... Notre seule chance, c'est qu'elle dorme un peu et que le délire se calme!...

TRICK.

Oh! oui! oui! je comprends.

SYLVIE.

Et surtout empêcher... s'il revenait...

TRICK.

Gaston?...

SCÈNE VI

Les Mêmes, ROLAND.

ROLAND, entrant rapidement par la porte de droite.

Le voici!...

TRICK.

Lui!...

ROLAND.

Oui, oui!... il accourt; je l'ai devancé pour préparer Jeanne à le voir!

TRICK, désespéré.

Ah! il s'agit bien de cela... ah! Dieu, qu'il parte, qu'il parte!... il achèvera de nous la tuer!

ROLAND.

Misère!... jamais!... (Il s'élance au-devant de Gaston, qu'il arrête sur le seuil de la porte dans le vestibule.)

SCÈNE VII

Les Mêmes, GASTON, SARAH, entrée au bruit, puis JEANNE.

GASTON.

Où est-elle?

ROLAND, le retenant pour l'empêcher d'entrer.

Gaston! voyons!... de la raison!... tu ne peux pas la voir maintenant!

GASTON.

Je la verrai... où est-elle?

ROLAND.

Dans sa chambre; mais pour elle, pour toi!...

GASTON.

Eh! laisse-moi, toi! (Il se dégage de lui violemment.)

TRICK, lui barrant le passage du côté de la porte de Jeanne.

Va pas!... je t'en supplie!

GASTON.

Ah! vous me la cachez!... elle est malade!... elle souffre!...

TRICK et ROLAND, le forçant à descendre.

Mais non!...

GASTON, retenu par tous deux.

Elle est morte!... et vous n'osez pas me le dire!... Où est-elle! je veux la voir.

ROLAND et TRICK.

Gaston!

GASTON, se dégageant.

Je veux la voir!... (Il s'élance vers la porte du fond et arrive à temps pour soutenir Jeanne qui paraît sur le seuil toute pâle et toute chancelante... Gaston l'enlève dans ses bras et poussant un cri de joie.) Ah! ma Jeanne bien-aimée!... c'est toi! (Il l'entraîne sur le devant de la scène, dans un mouvement de joie et là, reste frappé de stupeur devant Jeanne immobile, qui ne le regarde pas, et qui tremble de fièvre... Silence de tous... Gaston les regarde comme pour les interroger, puis regarde Jeanne en la soutenant.) Mon Dieu!... Jeanne!... qu'y a-t-il?... (Jeanne ne répond rien, et ne le regarde même pas; elle cherche seulement en haletant et par un mouvement régulier et machinal comme celui des moribonds à dégager son cou et sa poitrine comme quelqu'un qui étouffe... Gaston effrayé l'appelle encore plus doucement.) Jeanne! rien... ma Jeanne! (Il la dépose sur la causeuse que Trick et Roland ont fait rouler au milieu de l'avant-scène; épouvanté.) Seigneur Dieu! voilà donc la vérité?...

ROLAND, cherchant à l'entraîner.

Hélas oui! Elle ne te reconnaît même plus!... viens, je t'en supplie!...

GASTON.

Non!... ce n'est pas vrai!... Laisse-moi, je veux lui parler!... Je veux qu'elle me parle!... Jeanne, Jeanne!...

ROLAND.

Avec ce délire qui ne la quitte plus!...

GASTON, revenant à Jeanne.

Ah! tu es stupide, toi, avec ton délire!... Pourquoi pas son agonie?... Elle est évanouie... voilà tout... Et quand vous serez tous là, à me regarder... Moi aussi, j'ai le délire, et je n'en meurs pas!... Dès qu'elle m'aura vue, elle me reconnaîtra, et la raison reviendra, et la santé, et la vie!... Jeanne, Jeanne, mon amour!...

TRICK, voulant s'opposer à ce qu'il parle à Jeanne.

Je veux pas!...

ROLAND, le contenant en lui montrant Jeanne immobile.

Ah! maintenant... qu'importe!

GASTON, qui pendant ce temps n'a cessé de chercher à ranimer Jeanne.

Ah! quand je le dis!—Elle a tressailli, tenez!... Elle m'entend!... C'est de l'air qu'il lui faut... voilà tout!... Écartez-vous!... c'est de l'air seulement!... (Il tourne autour de la causeuse en les forçant tous à s'écarter.) Mais par charité, écartez-vous donc, quand je le dis! (Silence. Mouvement de Jeanne.) Jeanne!... C'est moi! me reconnais-tu?... Est-ce que tu ne m'entends pas? (Il s'assied sur la causeuse, et prend Jeanne dans ses bras, en cherchant à la ranimer.)

JEANNE, comme quelqu'un qui rêve, sans ouvrir les yeux.

Si!

GASTON, triomphant.

Ah! je le disais bien!... quand je le disais!

JEANNE.

Je brûle... là!...

GASTON, a genoux devant elle.

Ah! si je pouvais prendre ta douleur et souffrir pour toi!... Mais regarde-moi seulement!... dis-moi que tu me reconnais... Tu m'entends, n'est-ce pas? Tu sais que je suis là!... C'est moi, Gaston, sauvé comme toi... et qui t'adore!...

JEANNE, toujours assoupie, la tête au dossier du fauteuil.

Gaston!...

GASTON.

Oui!...

JEANNE, de même, douloureusement, presque à voix basse.

Il est mort!...

GASTON, vivement.

Mais non, puisqu'il est à tes genoux!... Puisqu'il te parle,... puisqu'il serre tes mains dans les siennes en les couvrant de baisers!...

JEANNE, de même.

Il est mort!—Je l'ai tué!

GASTON.

Mais non! ce n'est pas vrai, je suis ici, regarde-moi!

JEANNE.

Si!... Je l'ai tué!... (Pleurant.) Ah! je suis une malheureuse... je l'aimais et je l'ai tué!... (Elle sanglote.)

GASTON, se relevant désespéré.

Ah! mon Dieu! que dire? que faire?...

ROLAND.

Rien!... Laisse-la reconduire dans sa chambre et viens avec moi!

GASTON, entraîné par Trick et Roland jusqu'à la porte.

Jamais! la quitter!... Oh! qui sait combien de temps je la verrai encore?...

JEANNE, soulevant un peu la tête, ouvrant l'œil à demi et regardant à côté dans le vide.

Gaston!...

GASTON, accourant à elle.

Elle m'appelle!...

JEANNE, prenant sa main vivement et lui montrant le vide et fermant les yeux.

Le voilà!...

GASTON, répétant sans comprendre en dévorant ses larmes.

Le voilà?...

JEANNE.

Oui, il tourne autour de moi! je l'entends!

GASTON.

Tu m'entends!

JEANNE, le repoussant.

Pas toi!... lui!... le mort!... (Avec effroi.) Comme il me regarde!... Il me menace!... (Poussant un cri.) Gaston!... Laisse-moi!

GASTON, cherchant à la rassurer.

Mais non!... ne crains rien!

JEANNE.

Si!... il m'accuse!... Il veut me punir à son tour!... Je ne veux pas!... laissez-moi... j'ai peur!

GASTON.

Mais non!... Ce n'est pas vrai! Jeanne! je ne te menace pas!... Je suis à tes genoux, regarde!... et je t'aime!

JEANNE, sans l'écouler, avec passion.

Ah! pardonne-moi! je t'ai accusé!... J'étais folle! Je voulais ta mort et la mienne, l'amour rend stupide, vois-tu! Ah! tu ne m'en veux pas!... n'est-ce pas?...

GASTON.

Mais non!...

JEANNE, parlant toujours à celui qu'elle croit voir.

Tu ne peux pas m'en vouloir!... (Avec passion.) J'étais si jalouse!... Mais ma haine était encore de l'amour... (Tendrement.) Je t'adorais en te tuant, comme à présent, comme toujours!... Tu le sais bien!

GASTON.

Ah! mon Dieu! mon Dieu!...

JEANNE, tressaillant.

Ah! ta voix, ta douce voix. Parle! parle encore! que je t'écoute!... C'est toi!... je te revois!... je te retrouve... je te reprends!... (Elle se soulève avec amour pour embrasser le vide devant elle et se dresse en poussant un grand cri de douleur.) Oh!... Ah! Dieu que je souffre!...

GASTON, avec désespoir et rage.

Ah! l'horrible chose pourtant, voir tout cela! sans pouvoir!...

JEANNE, le repoussant.

Laissez-moi, je brûle!... va-t'en!... (Elle écarte les mains de Gaston qui cherche à la soutenir.) Tes mains me brûlent!... Je te maudis! Je te hais!... Ah! misérable qui m'as trompée pour une autre!... Et ce feu!... partout!... Sur lui! Sur moi! Du feu, jusque dans mon âme!... Ces flammes!... Ah! sauvez-moi! par pitié! sauvez-moi de ces flammes qui me dévorent le cœur!... Là... ici... qui me brûlent!... (Épuisée.) Toute vive!... (Elle retombe.) Toute... toute vive!...

GASTON, qui est tombé à terre aux pieds de Jeanne, avec désespoir.

Et c'est moi! c'est pour moi! c'est à cause de moi!... quand je te disais, misérable, que ton amour la tuerait... Le voilà, ton amour!... Voilà ce qu'il a fait!... Regarde! Elle souffre par toi! Elle meurt par toi!... Par toi seul!... Infâme qui la volais! Infâme qui la tues!... Et pour ton châtiment, tu la verras souffrir jusqu'à la fin et tu ne pourras rien!... Tu ne peux rien!... rien!... rien!...(Il tombe à terre où il frappe le parquet dans un accès de désespoir insensé.) Tu ne peux rien!

JEANNE.

Il pleure!... (Silence.) Pourquoi pleure-t-il? Dites-lui de ne pas pleurer!... Ce qui arrive n'est pas sa faute! C'est la mienne!... Jeanne, tu ne fais pas ton devoir!... et tu es bien coupable! Comment feras-tu de lui un honnête homme, toi qui ne sais pas rester une honnête femme!

GASTON, retenu par Roland, à gauche de la scène.

Ah! ne la laissez pas parler ainsi!... Il ne lui manque plus que de me déchirer le cœur en s'accusant à ma place!...

JEANNE, soutenue par Trick, à demi-voix et chancelant sans les voir en parlant au vide devant elle.

Ah! Jeanne, cela était si beau pourtant de lui faire mériter ton amour à force d'honneur et de vertu. Mais il fallait d'abord te défendre de toi-même, misérable femme!... Ah! lâche! lâche! lâche! qui n'as pas su faire ton devoir et rester digne et chaste!... Insensée qui voulais guérir ce cœur malade en lui versant du poison! Le ciel t'a maudite! c'est justice! comme il maudit tout les amours qui osent se passer de lui! Maudite sois-tu, courtisane, qui as pris la passion pour de l'amour! maudite! coupable! maudite!... coupable!... qui as voulu jouer le rôle d'un ange, et qui n'as su être qu'une femme violente! et despote, et jalouse!... Et qui ne savais que l'aimer, l'aimer!... (Avec amour.) Ah! l'aimer ardemment pourtant! Dieu! le tant aimer!... Comment croire que je l'aimais si mal!... moi qui l'aimais tant que j'en meurs!...

GASTON, s'élançant vers elle et la prenant dans ses bras.

Non! tu ne mourras pas!... Non! non!... (Avec violence.) Reconnais-moi seulement, Jeanne! et je te sauve!

JEANNE, se débattant.

Coupable! coupable!

GASTON.

Ah! reviens, renais, revis!... Et tu verras si je ne t'aimerai pas comme il faut qu'on aime!

JEANNE, se redressant.

Qui parle d'aimer?

GASTON.

Moi!... Gaston... le tien!... Ah! un regard! reconnais-moi! Jeanne!... Ici sous tes yeux! Rien qu'un regard... C'est moi!... reconnais-moi!... (Avec violence.) Ah! je le veux pourtant, regarde-moi donc, je le veux! je le veux! je le veux!

JEANNE, poussant un cri.

Ah! (Elle tremble de tous son corps un moment, les yeux fermés, puis le regarde fixement.)

GASTON.

Oh! mon Dieu! qu'ai-je fait? (Silence d'une seconde, Jeanne toute chancelante les regarde tous, puis aperçoit Gaston et le reconnaît.)

JEANNE.

Gaston!... Ah! (Ses yeux se ferment; elle cherche en balbutiant à retrouver le front de Gaston pour l'embrasser, ses bras se roidissent, elle chancelle, pousse un léger soupir et expire tout doucement, debout dans ses bras.)

GASTON, sans s'apercevoir qu'elle est morte.

Ah! tu m'as reconnu.—Oui, c'est moi, je te sauve, et la vie est encore... à nous... belle et pure!... (Il prend un bras de Jeanne qui retombe, puis l'autre bras qui tombe de même, approche ses lèvres des siennes, il pousse un cri d'horreur et abandonne le corps de Jeanne qui tombe sur le canapé.) Ah! je l'ai tuée!... (Il chancelle et roule à ses pieds comme foudroyé.)

FIN.


EN VENTE CHEZ LES MÊMES ÉDITEURS

PIÈCES DE THÉÂTRE, BELLE ÉDITION, FORMAT GRAND IN-18 ANGLAIS

L'Echéance, comédie en 1 acte1»
La Papillonne, comédie en 3 actes2»
La Perle noire, comédie en 3 actes2»
Le Furet des Salons, comédie en 1 acte1»
Les Volontaires de 1814, drame en 5 actes2»
La Fille d'Egypte, opéra en 2 actes1»
Le Domestique de ma femme, com. 1 acte1»
Les Prés St-Gervais, comédie en 2 actes150
Les Beaux MM. de Bois-Doré, drame, 5 act.2»
L'Idéal, comédie en 1 acte1»
Lalla-Roukh, opéra-comique en 2 actes1»
Le Secret du Rétameur, vaud, en 1 acte1»
La Boîte au lait, coméd.-vaud. en 5 actes150
Le Café de la rue de la Lune, vaud. 1 acte1»
Le Hussard persécuté, opér.-houffe, 2 act.1»
Delphine Gerbet, comédie en 4 actes2»
Danaë et sa Bonne, opérette en 1 acte1»
Les Maris à système, comédie en 3 actes150
Le Bord du précipice, comédie en 1 acte1»
Ah! que l'amour est agréable! vaud. 5 act.1»
Les Etrangleurs de l'Inde, drame en 5 act.2»
La Servante maîtresse, opéra-com. 2 actes.1»
Les Mystères du Temple, drame en 5 act.»40
Le Marquis Harpagon, coméd. en 4 actes2»
Le Château de Pontalec, drame en 5 actes1»
Le Bossu, drame en 5 actes»50
Les Fous, comédie en 5 actes2»
Dolorès, drame en 4 actes2»
Les Juy. Commères de Windsor, op.-c. 3 act.1»
La Comt. de la place Cadet, vaud. 1 acte1»
Une Corneille qui abat des noix, com. 3 act.2»
Les Ivresses, comédie en 4 actes2»
Le Chalet de la Méduse, vaud. en 1 acte1»
Le Lorgnon de l'Amour, vaud. en 1 acte»40
Cadet-Roussel, drame en 7 actes2»
Le Mari d'une Étoile, com.-vaud. en 2 act.1»
La Reine Crinoline, pièce fantast en 5 actes, 6 tabl.»50
Les Ganaches, comédie en 4 actes2»
Le Cabaret des Amours, op.-com 1 acte1»
Prisonnier sur parole, comédie en 1 acte1»
Les Brebis de Panurge, comédie en 1 acte1»
La Clef de Metella, comédie en 1 acte1»
Deux Chiens de faience, com.-vaud. 1 act.1»
Le Fils de Giboyer, comédie en 5 actes2»
L'Ami du Mari, comédie en 1 acte1»
Voilà la chose, revue en 3 act. et 20 tabl»50
La Fleur des braves, com.-vaud en 1 acte1»
Le Hal masqué, opéra en 4 actes1»
Philidor, drame en 5 actes»40
Francois-les-Bas-Bleus, drame en 5 actes2»
Les Ruines du Château noir, dr. en 5 actes»40
La Germaine, comédie en 3 actes2»
La Bohémienne, opéra en 4 actes1»
Les Trois Ivresses, vaudeville en 1 acte»60
Sortir seule! comédie en 3 actes150
Le Télégramme, comédie en 1 acte1»
Marengo, drame militaire en 12 tableaux»50
La Mule de Pedro, opéra en 2 actes1»
Jean Torgnole, vaudeville en 1 acte1»
Henri le Balafré, comédie en 1 acte1»
La Déesse et le Berger, op.-com. 2 actes1»
Peines d'amour, opéra en 4 actes1»
Le Père Lefeutre, com.-vaud. en 4 actes»40
Le Bout de l'an de l'Amour, com. 1 acte1»
La Maison sans Enfants, com. 3 actes150
L'Otage, drame en 5 act. et 6 tabl.1»
Crockbête et ses Lions, à-propos. 2 actes1»
Bataille d'Amour, op.-com. en 3 actes1»
Diane de Solanges, opéra en 5 actes1»
Un Joli Cocher, com.-vaud. en 1 acte1»
Le Jardinier et son Seigneur, op.-c. 1 acte1»
Les Fiances de Rosa, op.-com. en 1 acte1»
Le Brésilien, com.-vaud. en 1 acte1»
Folammbô, cocasserie carthagin., 4 actes1»
L'Oiseau fait son nid, com.-vaud. en 1 act.1»
Le Train de minuit, comédie en 2 actes150
Les Toréadors de Grenade, excentr. en 1 act.1»
Les Mystères de l'Hôtel des ventes, comédie-vaudeville en 3 actes    150
Trop curieux, comédie en 1 acte1»
Nahel, opéra en 3 actes1»
C'était Gertrude, comédie en 1 acte1»
Le Démon du Jeu, comédie en 5 actes2»
La fausse Magie, opéra-comiq., en 2 actes1»
Les Bourguignonnes, op.-com. en 1 acte1»
La Sorcière ou les États de Bluis, drame en 5 actes»50
Le Secret de Miss Aurore, drame en 5 act.»50
Un Mari sur des charbons, coméd.-vaudev. en 1 acte1»
Les Diables roses, comèd.-vaud. en 5 act.150
La Fille de Dancourt, comédie en 1 acte1»
Un Anglais timide, comédie en 1 acte1»
Les Pécheurs de perles, opéra en 3 actes1»
Aladin, ou la Lampe merveilleuse, féerie en 20 tableaux»50
Diane au bois, comédie en 2 actes, en vers.150
Le Carnaval de Naples, drame en 5 actes»50
L'Aïeule, drame en 5 actes2»
Les Voyages de la Verité, pièce fantastique en 5 actes1»
Montjoye, comédie en 5 actes2»
Les Indifferents, comédie en 4 actes2»
Les Pays latin, dr. en 5 act. mêlé de chant.»40
Les Troyens, opéra en 5 actes1»
Le Dernier quartier, com. en 2 act., en vers.150
Ajax et sa Blanchisseuse, vaud. en 3 actes1»
La Jeunesse des Mousquetaires, dr., 5 act.2»
Les Diables Noirs, drame en 4 actes2»

IMPRIMERIE L. TOINON ET Cie, A SAINT-GERMAIN.


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