Les femmes et les livres
V
Nous voici arrivés au dix-septième siècle, et, avec les hôtes de l'hôtel de Rambouillet dont nous venons de parler, nous rencontrons, parmi les amies des livres, la reine ANNE D'AUTRICHE (1602-1666) [127].
La DUCHESSE D'AIGUILLON (1605-1675), Marie-Madeleine de Vignerot, nièce du cardinal de Richelieu, mariée en premières noces à M. de Combalet, sur laquelle cette mauvaise langue de Tallemant des Réaux conte plus d'une bonne histoire, figure aussi au nombre des femmes bibliophiles.
On avait fait courir le bruit que le mariage de Mlle de Vignerot avec Combalet n'avait point été consommé, et le poète Dulot composa cette anagramme sur cette prétendue virginité: MARIE DE VIGNEROT, Vierge de ton mari [128].
«On a fort mesdit de son oncle et d'elle, rapporte encore Tallemant [129]; il aimoit les femmes et craignoit le scandale. Sa nièce estoit belle, et on ne pouvoit trouver estrange qu'il vescut familièrement avec elle. Effectivement, elle en usoit peu modestement;» etc.
CHRISTINE DE FRANCE, fille de Henri IV et de Marie de Médicis, femme de Victor-Amédée Ier, duc de Savoie (1606-1663) [130].
MADELEINE DE SCUDÉRY (1607-1701), toute jeune, avait déjà la passion de la lecture, de la lecture des romans principalement, et il lui survint à ce propos une aventure qu'elle conta depuis à Tallemant des Réaux, et que celui-ci nous a transmise.
Un moine feuillant, qui était le confesseur de la jeune fille, lui enleva un jour un roman «où elle prenoit bien du plaisir», et offrit de lui prêter un livre plus utile. Au lieu de ce livre si utile et profitable, il lui apporta un autre roman moins honnête, et où, par précautions, il y avait «des marques» aux endroits les plus scabreux [131]. La jeune Madeleine ne manqua pas, la première fois qu'elle revit le moine, de lui reprocher sa conduite et de lui montrer ces marques.
«Ah! elles ne sont pas de moi! protesta aussitôt le saint homme. Elles viennent d'une personne à qui j'ai pris ce livre.»
Quelques jours plus tard, le moine confesseur rendit à sa pénitente le roman qu'il lui avait enlevé, et dont il avait eu apparemment le loisir de prendre connaissance, et il dit à la mère de Mlle de Scudéry qu'elle pouvait laisser lire à sa fille tout ce que voudrait celle-ci, que Madeleine avait l'esprit trop bien fait pour jamais se le laisser gâter, et qu'il n'y avait pas de lectures dangereuses pour elle [132].
On sait que, par modestie, ou à cause de la réputation de son frère, dont les livres se vendaient bien, Mlle de Scudéry publia ses premiers et volumineux ouvrages, Ibrahim ou l'Illustre Bassa (1641, 4 vol.), Artamène ou le Grand Cyrus (1649-1653, 10 vol.), Clélie, histoire romaine (1656, 10 vol.), sous le nom dudit frère, qui avait, lui, moins de talent qu'elle, mais acceptait de bon cœur cette substitution [133].
N'oublions pas que des lettrés, des gens de goût et d'un esprit délicat, comme Huet, l'évêque d'Avranches, Ménage, Mascaron, etc., proclamèrent que le Cyrus et Clélie étaient des chefs-d'œuvre, et qu'ils se complaisaient dans la lecture de ces interminables romans, si délaissés et oubliés aujourd'hui. Mascaron plaçait même «très souvent» Mlle de Scudéry à côté de saint Augustin et de saint Bernard, et la citait volontiers dans ses sermons.
Ajoutons que Mlle de Scudéry tenait chez elle, à Paris, le samedi, une réunion littéraire qui fut célèbre, et continuait les traditions de l'hôtel de Rambouillet [134].
Une particularité bien digne d'intéresser tous les amis des livres, c'est que c'est à l'occasion de Mlle de Scudéry qu'il est pour la première fois question (on le suppose du moins) de CABINETS DE LECTURE en France. Voici ce qu'Eugène Muller (1823-1914) relève dans ses Curiosités historiques et littéraires [135]:
«La première idée de la location des livres est signalée ainsi par Jacquette (ou Jaquette) Guillaume, femme de lettres du dix-septième siècle, dans son histoire des Dames illustres, publiée en 1665:
«Ne voyons-nous pas que les livres de Mlle de Scudéry sont de plus grande estime et se débitent à de plus grands prix que ceux des plus renommés historiens? Son libraire a taxé à une demi-pistole (cinq francs de notre monnaie actuelle) pour lire seulement une histoire de cette illustre savante.»
«M. Édouard Fournier, qui n'a pas connu cette particularité de l'histoire littéraire du dix-septième siècle, continue Eugène Muller, a parlé, lui aussi, dans son Vieux-Neuf, de la location des livres par les libraires. Il n'en fait remonter l'origine qu'au dix-huitième siècle, à l'époque où les romans de l'abbé Prévost et de Jean-Jacques Rousseau passionnaient tous les esprits.»
HENRIETTE-MARIE DE FRANCE, aussi fille de Henri IV et de Marie de Médicis, épouse du roi d'Angleterre Charles Ier (1609-1669) [136].
La DUCHESSE DE MONTBAZON, princesse de Guéméné (vers 1610-1657) [137].
C'est elle qui inspira à M. de Rancé une si vive passion, et qui a donné lieu à la légende fameuse, contée par Saint-Simon [138].
«La princesse de Guéméné, morte duchesse de Montbazon en 1657, mère de M. de Soubise, était cette belle Mme de Montbazon dont on a fait ce conte, qui a trouvé croyance, que l'abbé de Rancé, depuis ce célèbre abbé de la Trappe, en était fort amoureux et bien traité; qu'il la quitta à Paris se portant fort bien, pour aller faire un tour à la campagne; que, bientôt après, y ayant appris qu'elle était tombée malade, il était accouru, et qu'étant entré brusquement dans son appartement, le premier objet qui y était tombé sous ses yeux avait été sa tête, que les chirurgiens, en l'ouvrant, avaient séparée; qu'il n'avait appris sa mort que par là; et que la surprise et l'horreur de ce spectacle joint à la douleur d'un homme passionné et heureux, l'avait converti, jeté dans la retraite, et de là dans l'ordre de Saint-Bernard et dans sa réforme. Il n'y a rien de vrai en cela, mais seulement des choses qui ont donné cours à cette fiction. Je l'ai demandé franchement à M. de la Trappe... et voici ce que j'en ai appris.
«Il était intimement de ses amis, ne bougeait de l'hôtel de Montbazon... Mme de Montbazon mourut de la rougeole en fort peu de jours. M. de Rancé était auprès d'elle, ne la quitta point, lui vit recevoir les sacrements, et fut présent à sa mort. La vérité est que, déjà touché et tiraillé entre Dieu et le monde, méditant déjà depuis quelque temps une retraite, les réflexions que cette mort si prompte firent faire à son cœur et à son esprit achevèrent de le déterminer, et peu après il s'en alla en sa maison de Véret en Touraine, qui fut le commencement de sa séparation du monde.»
La DUCHESSE DE LONGUEVILLE, Anne-Geneviève de Bourbon, fille de Henri II de Bourbon, prince de Condé, et sœur du Grand Condé (1619-1679).
Son esprit, sa beauté, son goût pour les choses intellectuelles, l'influence qu'elle exerça sur la société du dix-septième siècle ont marqué sa place parmi les femmes célèbres de son époque [139], ce qui ne l'empêcha pas de mener longtemps une vie des plus scandaleuses.
«La très jolie madame de Longueville, la future reine de la Fronde», entretenait avec ses deux frères, le Grand Condé, «figure crochue... très sinistre figure d'oiseau de proie, la plus bizarre du siècle,» et le prince de Conti, «prêtre et bossu [140]», des relations incestueuses. «Les deux garçons naquirent amoureux de leur sœur, écrit Michelet [141]. Condé, éperdument, jusqu'à lui passer tout, adopter ses amants, puis jusqu'à la haïr. Conti, sottement, servilement, se faisant son jouet, ne voyant rien que ce qu'elle lui faisait voir, dupé, moqué par ses rivaux.»
On trouve trace, dans les Rapports inédits du lieutenant de police René d'Argenson [142], d'une aventurière surnommée la Princesse, qui se prétendait fille du prince de Condé et de sa sœur la duchesse de Longueville.
La VICOMTESSE DE TURENNE, Charlotte de Caumont de la Force de la Tour (1623?-1666) [143].
C'était la femme du maréchal de France et grand homme de guerre.
CHRISTINE DE SUÈDE (1626-1689) estimait que «la lecture est une partie du devoir de l'honnête homme». Elle écrivait à Bayle: «Je vous impose pour pénitence qu'à commencer du mois prochain vous m'enverrez les livres nouveaux, en toutes langues, sur toutes sortes de sujets; je n'excepte ni romans ni satires; surtout s'il y a des livres de chimie, faites-m'en part au plus tôt.» Elle adressait à Heinsius les mêmes recommandations: «Envoyez-moi les catalogues des livres que vous avez achetés et des manuscrits que vous avez fait copier, et la dépense pour vous et pour les achats. Je vous ferai tout payer [144]...»
On sait quelles étaient les mœurs plus que libres de la reine Christine; on sait aussi quels étaient ses livres favoris, outre «les livres de chimie», dont elle vient de parler. Elle professait, nous apprend Gui Patin [145], un vrai culte pour Pétrone, «qu'elle mettait au-dessus de tous les auteurs latins», et, dans la fleur même de sa jeunesse, à vingt-trois ans, «elle savait Martial tout entier par cœur».
«Saumaise étant à Stockholm, et au lit, malade de la goutte, lisait, pour se désennuyer, le Moyen de parvenir; la reine Christine entre brusquement chez lui sans se faire annoncer: il n'a que le temps de cacher sous sa couverture le petit livre honteux (perfacetum quidem, at subturpiculum libellum). Mais Christine, qui voit tout, l'a vu; elle va prendre hardiment le livre jusque sous le drap, et, l'ouvrant, se met à le parcourir de l'œil avec sourire; puis, appelant la belle de Sparre, sa fille d'honneur favorite, elle la force de lui lire tout haut certains endroits qu'elle lui indique, et qui couvrent ce noble et jeune front d'embarras et de rougeur, aux grands éclats de rire de tous les assistants. Huet tenait l'histoire de la bouche de Saumaise, et il la raconte en ses mémoires [146].»
Ajoutons que «Christine de Suède avait la manie d'écrire sur ses livres. Il y a à la bibliothèque du Collège romain, à Rome, plusieurs livres annotés de sa main, entre autres, un Quinte-Curce, un Sénèque» [147], etc.
NINON DE L'ENCLOS (1615-1705), qui fut, sinon une amie de la reine de Suède, du moins une de ses relations,—Christine ne manqua pas de l'aller voir lors de son voyage à Paris, en 1654,—mérite de ne pas être oubliée ici. Voltaire lui ayant été présenté par son parrain, l'abbé de Châteauneuf, un des intimes de Ninon, jadis adorateur et familier de Mme Arouet, elle lui légua par testament deux mille francs «pour acheter des livres» [148].
Ce legs n'empêcha pas Voltaire de juger plus tard très cavalièrement et indiscrètement sa bienfaitrice. Dans son ouvrage la Défense de mon oncle [149], il écrit:
«Personne n'est plus en état que moi de rendre compte des dernières années de Mlle de l'Enclos... Je suis son légataire; je l'ai vue les dernières années de sa vie (c'est-à-dire à plus de quatre-vingts ans), elle était sèche comme une momie. Il est vrai qu'on lui présenta l'abbé Gédoyn... J'allais quelquefois chez elle avec cet abbé, qui n'avait d'autre maison que la nôtre. Il était fort éloigné de sentir des désirs pour une décrépite ridée qui n'avait sur les os qu'une peau jaune tirant sur le noir.
«Ce n'était point l'abbé Gédoyn à qui on imputait cette folie; c'était à l'abbé de Châteauneuf, frère de celui qui avait été ambassadeur à Constantinople. Châteauneuf avait eu, en effet, la fantaisie de coucher avec elle vingt ans auparavant. Elle était encore assez belle à l'âge de près de soixante années. Elle lui donna, en riant, un rendez-vous pour un certain jour du mois.
«Et pourquoi ce jour-là plutôt qu'un autre? lui dit l'abbé de Châteauneuf.
«—C'est que j'aurai alors soixante ans juste», lui dit-elle.
«Voilà la vérité de cette historiette, qui a tant couru, et que l'abbé de Châteauneuf, mon bon parrain, à qui je dois mon baptême, m'a racontée souvent dans mon enfance pour me former l'esprit et le cœur.»
Certains des amis de Ninon, Charleval et Miossens, entre autres, avaient «fort contribué à la rendre libertine (incrédule, libre penseuse, comme nous dirions aujourd'hui). Elle dit qu'il n'y a point de mal à faire ce qu'elle fait, fait profession de ne rien croire, se vante d'avoir esté fort ferme en une maladie où elle se vit à l'extrémité, et de n'avoir que par bienséance reçu tous ses sacrements. Ils luy ont fait prendre un certain air de dire et de trancher les choses en philosophe; elle ne lit que Montaigne, et décide de tout à sa fantaisie [150]».
C'est Ninon, «la moderne Leontium», comme l'appelait Saint-Évremond [151], qui disait «qu'elle rendait grâces à Dieu tous les soirs de son esprit, et le priait tous les matins de la préserver des sottises de son cœur [152]».
Encore un joli mot d'elle, et en même temps une très judicieuse constatation: «La joie de l'esprit en marque la force [153]».
C'est plutôt la lecture que les livres mêmes qu'a aimée et que recommande et prône, en maint endroit de ses lettres, Mme DE SÉVIGNÉ (1626-1696), et toujours de la plus charmante façon, et souvent avec de fins aperçus et les plus sagaces remarques.
«Aimer à lire... la jolie, l'heureuse disposition! On est au-dessus de l'ennui et de l'oisiveté, deux vilaines bêtes [154].»
«Qu'on est heureux d'aimer à lire! [155].»
«Je plains ceux qui n'aiment point à lire. Votre enfant est de ce nombre jusqu'ici; mais j'espère, comme vous, que, quand il verra ce que c'est que l'ignorance à un homme de guerre, qui a tant à lire des grandes actions des autres, il voudra les connaître, et ne laissera pas cet endroit imparfait. La lecture apprend aussi, ce me semble, à écrire... [156]»
«Je poursuis cette Morale de Nicole, que je trouve délicieuse... Je trouve ce livre admirable. Personne n'a écrit comme ces messieurs (de Port-Royal), car je mets Pascal de moitié à tout ce qui est beau... Nous lisons aussi l'histoire de France depuis le roi Jean; je veux la débrouiller dans ma tête, au moins autant que l'histoire romaine, où je n'ai ni parents ni amis; encore trouve-t-on ici des noms de connaissance. Enfin, tant que nous aurons des livres, nous ne nous pendrons pas [157].»
«...Pour Pauline, cette dévoreuse de livres, j'aime mieux qu'elle en avale de mauvais, que de ne point aimer à lire; les romans, les comédies, les Voiture, les Sarrasin, tout cela est bientôt épuisé: a-t-elle tâté de Lucien? est-elle à portée des Petites Lettres? Après il faut l'histoire; si on a besoin de lui pincer le nez pour lui faire avaler, je la plains. Pour les beaux livres de dévotion, si elle ne les aime pas, tant pis pour elle; car nous ne savons que trop que même sans dévotion on les trouve charmants. A l'égard de la morale, comme elle n'en ferait pas un si bon usage que vous, je ne voudrais point du tout qu'elle mît son petit nez, ni dans Montaigne, ni dans Charron, ni dans les autres de cette sorte; il est bien matin pour elle. La vraie morale de son âge, c'est celle qu'on apprend dans les bonnes conversations, dans les fables, dans les histoires, par les exemples; je crois que c'est assez [158].»
«...Je ne veux rien dire sur les goûts de Pauline (pour les romans); je les ai eus avec tant d'autres (personnes), qui valent mieux que moi, que je n'ai qu'à me taire. Il y a des exemples des bons et des mauvais effets de ces sortes de lectures: vous ne les aimez pas, vous avez fort bien réussi; je les aimais, je n'ai pas trop mal couru ma carrière: tout est sain aux sains, comme vous dites. Pour moi, qui voulais m'appuyer dans mon goût, je trouvais qu'un jeune homme devenait généreux et brave en voyant mes héros, et qu'une fille devenait honnête et sage en lisant Cléopâtre. Quelquefois il y en a qui prennent un peu les choses de travers; mais elles ne feraient peut-être guère mieux, quand elles ne sauraient pas lire: ce qui est essentiel, c'est d'avoir l'esprit bien fait; on n'est pas aisée à gâter; Mme de la Fayette en est encore un exemple. Cependant il est très assuré, très vrai, très certain que M. Nicole vaut mieux; vous en êtes charmée: c'est son éloge; ce que j'en ai lu chez Mme de Coulanges me persuade aisément qu'il vous doit plaire... Cela supposé, je vous conjure, ma chère Pauline, de ne pas tant laisser tourner votre esprit du côté des choses frivoles, que vous n'en conserviez pour les solides, et pour les histoires; autrement votre goût aurait les pâles couleurs [159].»
La DUCHESSE DE MONTPENSIER, Anne-Marie-Louise d'Orléans, la GRANDE MADEMOISELLE (1627-1693), une des plus originales figures du dix-septième siècle, est digne d'être inscrite aussi au nombre des amies des livres.
Ce qui lui a manqué, selon la remarque de Sainte-Beuve [160], c'est le goût, c'est la grâce, c'est la justesse: «il y a du pêle-mêle dans ses admirations: elle prise fort Corneille, elle fait jouer chez elle le Tartuffe, mais elle reçoit aussi l'abbé Cotin. «J'aime les vers, de quelque nature qu'ils soient», déclarait-elle. Elle se recommande à nous principalement par ses Mémoires, «Mémoires véridiques et fidèles, et dans lesquels elle dit tout sur elle-même ou sur les autres, naïvement, hautement, et selon qu'il lui vient à l'esprit [161].»
On raconte—n'est-ce pas ce terrible bavard de Tallemant des Réaux? [162]—que le carrosse de Mlle de Montpensier se trouvant pris un jour dans un embarras de voitures, rue Saint-Honoré, un mendiant profita de l'occasion pour venir gémir à la portière:
«Ayez pitié d'un pauvre homme... d'un pauvre homme qui a perdu toutes les joies de ce monde?
—Il est donc eunuque?» demanda la Grande Mademoiselle.
Mme JEAN DESMARETS, Marie Colbert, sœur du ministre J.-B. Colbert (1627?-1703) [163].
Une autre sœur de Colbert, CATHERINE COLBERT (XVIIe siècle), figure aussi parmi les femmes bibliophiles [164].
La PRINCESSE DE CONDÉ, Claire-Clémence de Maillé, femme du Grand Gondé (1628?-1694) [165].
ÉLISABETH DE MELUN, prieure des Dominicaines de Montargis (1630?-1717) [166].
Mme DE MAINTENON (1635-1719) n'a jamais eu la pensée de former une bibliothèque proprement dite; elle avait d'autres préoccupations. «Les rares volumes qui lui ont appartenu, écrit Ernest Quentin-Bauchart [167], présentent du moins le grand avantage d'avoir été reliés par un des maîtres du temps, Du Seuil, dont la facture un peu lourde, mais noble, se trouve toujours en harmonie parfaite avec le caractère des ouvrages qui lui étaient confiés.»
LOUISE-CHARLOTTE DE LA TOUR, demoiselle de Bouillon (1638-1683) [168].
MARIE-THÉRÈSE D'AUTRICHE, femme de Louis XIV (1638-1683).
Ce n'est que par un excès de complaisance qu'on peut classer cette reine parmi les bibliophiles. Le goût des livres «lui était absolument étranger, avoue Ernest Quentin-Bauchart [169], et sa bibliothèque, qui contenait de très jolis volumes à ses armes, mais à laquelle il est vraisemblable qu'elle ne toucha jamais, fut celle que l'étiquette du temps lui commandait d'avoir.» Elle était ignorante et niaise, et, comme on l'a très bien dit, «le roi et le chocolat furent ses seules passions».
AMÉLIE DE LA TOUR D'AUVERGNE, religieuse carmélite (1640-1696 ou 1698), sœur de Louise-Charlotte de la Tour, demoiselle de Bouillon, précédemment nommée [170].
La MARQUISE DE MONTESPAN (1641-1707), plus célèbre par ses relations avec Louis XIV que par sa bibliothèque [171].
«Il n'étoit pas possible, écrit Saint-Simon [172], d'avoir plus d'esprit, de fine politesse, des expressions singulières, une éloquence, une justesse naturelle qui lui formoit comme un langage particulier, mais qui étoit délicieux et qu'elle communiquoit si bien par l'habitude, que ses nièces et les personnes assidues auprès d'elle, ses femmes, celles que, sans l'avoir été, elle avoit élevées chez elle, le prenoient toutes, et qu'on le sent et on le reconnoît encore aujourd'hui dans le peu de personnes qui en restent. C'étoit le langage naturel de la famille, de son frère et de ses sœurs.»
MARIE-CASIMIRE DE LA GRANGE D'ARQUIEN (1641?-1716). Veuve de Jacques Radziwill, prince Zamoyski, elle épousa, en 1665, Jean Sobieski, roi de Pologne [173].
Mme DE CAUMARTIN, Catherine-Madeleine de Verthamon (1642?-1722) [174].
HENRIETTE-ANNE D'ANGLETERRE, duchesse d'Orléans, belle-sœur de Louis XIV (1644-1670) [175].
Dans ses Mémoires [176], Mme de la Fayette nous parle en détail du charme et de toutes les qualités d'esprit de cette princesse, et trace d'elle ce joli portrait:
«Le changement funeste de cette maison royale (d'Angleterre) fut favorable en quelque chose à la princesse d'Angleterre. Elle étoit encore entre les bras de sa nourrice, et fut la seule de tous les enfants de la reine sa mère qui se trouva auprès d'elle pendant sa disgrâce. Cette reine s'appliquoit tout entière au soin de son éducation, et, le malheur de ses affaires la faisant plutôt vivre en personne privée qu'en souveraine, cette jeune princesse prit toutes les lumières, toute la civilité et toute l'humanité des conditions ordinaires, et conserva dans son cœur et dans sa personne toutes les grandeurs de sa naissance royale.
«...La princesse d'Angleterre possédoit au souverain degré le don de plaire et ce qu'on appelle grâces; les charmes étoient répandus en toute sa personne, dans ses actions et dans son esprit; et jamais princesse n'a été si également capable de se faire aimer des hommes et adorer des femmes.»
Mlle DE LA VALLIÈRE (1644-1710) eut toujours aussi le goût des livres et des choses de l'esprit. Retirée au couvent des Carmélites du faubourg Saint-Jacques, elle a laissé des Lettres et des Réflexions sur la miséricorde de Dieu, qui ont été souvent réimprimées [177].
La DUCHESSE DE BOUILLON (1646-1714), amie et protectrice de La Fontaine [178].
Dans une lettre datée de Paris, novembre 1687, La Fontaine [179] constate que la duchesse se plaît avec «toutes sortes de livres, pourvu qu'ils soient bons», et, sur le point de terminer sa lettre par un éloge de Mme Mazarin, qui ferait suite ou pendant à l'éloge de Mme de Bouillon, il se ravise et conclut par ce quatrain:
L'or se peut partager, mais non pas la louange.
Le plus grand orateur, quand ce seroit un ange,
Ne contenteroit pas, en semblables desseins,
Deux belles, deux héros, deux auteurs, ni deux saints.
La MARQUISE DE LOUVOIS (1646-1715), Anne de Souvré, femme du ministre secrétaire d'État [180].
La PRINCESSE DE SOUBISE, Anne de Rohan-Chabot (1648-1709) [181], maîtresse de Louis XIV, femme vénale et sans scrupules, dont Mme de Caylus, dans ses Souvenirs, et Saint-Simon, dans ses Mémoires, parlent en termes sévères:
«Mme de Soubise étoit trop solide pour s'arrêter à des délicatesses de sentiment, que la force de son esprit ou la froideur de son tempérament lui faisoit regarder comme des foiblesses honteuses. Uniquement occupée des intérêts et de la grandeur de sa maison, tout ce qui ne s'opposoit pas à ses vues lui étoit indifférent... Pour dire la vérité, je crois que Mme de Soubise et Mme de Montespan n'aimoient guère plus le roi l'une que l'autre. Toutes deux avoient de l'ambition; la première pour sa famille, la seconde pour elle-même. Mme de Soubise vouloit élever sa maison et l'enrichir; Mme de Montespan vouloit gouverner et faire sentir son autorité [182].»
Et Saint-Simon [183]:
«Elle (Mme de Soubise) avoit passé sa vie dans le régime le plus austère pour conserver l'éclat et la fraîcheur de son teint. Du veau et des poulets ou des poulardes rôties ou bouillies, des salades, des fruits, quelque laitage, furent sa nourriture constante, qu'elle n'abandonna jamais, sans aucun autre mélange, avec de l'eau quelquefois rougie, et jamais elle ne fut ........ comme les autres femmes, de peur de s'échauffer les reins et de se rougir le nez. Elle avoit eu beaucoup d'enfants, dont quelques-uns étoient morts des écrouelles... Elle mourut à soixante et un an, le dimanche matin, 3 février, laissant la maison de la cour la plus riche et la plus grandement établie, ouvrage dû tout entier à sa beauté et à l'usage qu'elle en avoit su tirer.»
ANNE DE BAVIÈRE, PRINCESSE DE CONDÉ, fille d'Édouard de Bavière et d'Anne de Gonzague-Clèves (1648-1723) [184].
Son mari, fils du Grand Condé, était un homme singulier et terrible, une espèce de fou, dont Saint-Simon décrit longuement et magnifiquement toutes les bizarreries de caractère et les méchancetés:
«Fils dénaturé, cruel père, mari terrible, maître détestable, pernicieux voisin, sans amitié, sans amis, incapable d'en avoir, jaloux, soupçonneux, inquiet sans aucun relâche, plein de manèges et d'artifices à découvrir et à scruter tout..., colère et d'un emportement à se porter aux derniers excès même sur des bagatelles, difficile en tout à l'excès, jamais d'accord avec lui-même... [185]»
Sa femme, «Mme la Princesse, étoit sa continuelle victime. Elle étoit également laide, vertueuse et sotte; elle étoit un peu bossue, et avec cela un gousset fin qui se faisoit suivre à la piste, même de loin. Toutes ces choses n'empêchèrent pas M. le Prince d'en être jaloux jusqu'à la fureur, et jusqu'à sa mort. La piété, l'attention infatigable de Mme la Princesse, sa douceur, sa soumission de novice, ne la purent garantir ni des injures fréquentes ni des coups de pied et de poing qui n'étoient pas rares... [186]»
«Elle étoit laide, bossue, un peu tortue et sans esprit, nous dit ailleurs Saint-Simon [187], mais douée de beaucoup de vertu, de piété, de douceur et de patience, dont elle eut à faire un pénible et continuel usage tant que son mariage dura, qui fut plus de quarante-cinq ans.»
MARIE D'ASPREMONT (1651-1692) [188], qui, à l'âge de treize ans, épousa presque clandestinement le duc de Lorraine Charles IV, alors dans sa soixante-deuxième année, et fameux par tant de surprenantes et folles aventures, «la figure la plus étrange de l'histoire de Lorraine, et peut-être de l'histoire générale de l'Europe», a-t-on très justement dit de ce souverain [189].
Mme DACIER (1651-1720), fille du savant philologue Tanneguy Lefebvre ou Lefèvre, mariée à un philologue non moins érudit, André Dacier, et elle-même très érudite philologue, a rendu de grands services aux lettres par ses éditions et traductions des auteurs anciens; malheureusement, son esprit critique et son goût furent loin d'être à la hauteur de sa science. «Son livre De la corruption du goût, écrit contre La Motte à propos de son imitation en vers de l'Iliade et de son Discours sur Homère, est un modèle de mauvais style..., et d'inintelligence des questions qui se présentent,» remarque B. Jullien, dans ses Thèses de critique [190]; et Sainte-Beuve a de même, à plusieurs reprises, reproché à Mme Dacier ses erreurs de jugement et de goût [191]. Avant eux, La Harpe s'est aussi montré très dur pour «cette madame Dacier, à qui Dieu fasse paix, mais à qui les amateurs des anciens et d'Homère ne pardonneront jamais sa malheureuse érudition [192]». Etc.
La savante traductrice d'Homère, «pensant avoir trouvé dans les auteurs grecs toutes les indications les plus précises sur la cuisine de l'antiquité, eut l'idée de convier un jour la plupart de ses amis à un repas qu'elle prépara elle-même d'après les formules anciennes. Faisant contre mauvaise chère bonne contenance, après s'être efforcés de simuler une certaine satisfaction de la façon dont ils avaient été servis, les convives eurent tous bientôt la conviction d'être empoisonnés. Et l'histoire du festin grec de Mme Dacier est restée légendaire [193].»
La PRINCESSE PALATINE, Charlotte-Élisabeth de Bavière (1652-1722), femme de Philippe Ier, duc d'Orléans (Monsieur), frère de Louis XIV, devenu veuf en 1670 par la mort d'Henriette d'Angleterre [194].
C'est elle qui fut la mère du Régent. On connaît sa très curieuse et très libre correspondance, qui a été en partie traduite—car Madame sut toujours fort mal le français et employait de préférence sa langue maternelle—par l'érudit bibliographe Gustave Brunet (Paris, Charpentier, 1869; 2 vol.), et par Ernest Jaeglé (Paris, Quantin, 1880; 2 vol.).
Saint-Simon a tracé d'elle plusieurs portraits; en voici un:
«Madame tenoit en tout beaucoup plus de l'homme que de la femme. Elle étoit forte, courageuse, Allemande au dernier point, franche, droite, bonne et bienfaisante, noble et grande en toutes ses manières, et petite au dernier point sur tout ce qui regardoit ce qui lui étoit dû. Elle étoit sauvage, toujours enfermée à écrire, hors les courts temps de cour chez elle; du reste, seule avec ses dames; dure, rude, se prenant aisément d'aversion, et redoutable par les sorties qu'elle faisoit quelquefois, et sur quiconque; nulle complaisance, nul tour dans l'esprit, quoiqu'elle ne manquât pas d'esprit... [195]»
Elle-même, avec sa courageuse franchise, s'est dépeinte en ces termes:
«Je dois être fort laide; je n'ai aucuns traits, de petits yeux, un nez court et gros, les lèvres longues et plates; tout cela ne peut former une jolie figure; j'ai de grandes joues pendantes et une longue figure; je suis très petite, grosse et épaisse, le corps et les jambes courtes; en somme, je dois être une vilaine petite laideron. Si je n'avais un assez bon caractère, personne n'aurait pu me souffrir. Pour voir si j'ai de l'esprit dans les yeux, il faudrait qu'on les regardât avec un microscope ou tout au moins avec une lorgnette, ou plutôt il faudrait être sorcier pour le deviner [196].»
Elle était très peinée d'être femme: «J'aurais bien voulu être un garçon [197].»
La princesse Palatine avait l'habitude de lire chaque jour plusieurs pages de la Bible, et elle revient souvent, dans sa correspondance, sur cette lecture:
«Je ne manque jamais de lire la Bible; hier je lus les psaumes 54 et 55, les chapitres 14 et 15 de saint Matthieu, et 3 et 4 de saint Jean. Ce matin, je n'ai pu rien lire, car nous avons été à la chasse du cerf [198].»
Voici, pour égayer quelque peu mon sujet, une plaisante anecdote contée par la princesse Palatine, dans une de ses lettres, si abondamment assaisonnées de gros sel, et qui rappellent à la fois Tallemant des Réaux, Gui Patin et Rabelais.
Le héros est le fils du chevalier de Lorraine, un écolier de douze ans, écolier terrible, faisant le désespoir des bons Pères, et qui, toute la nuit, se promenait dans le collège, au lieu de dormir dans sa chambre.
«Les Pères, écrit la princesse [199], le menacèrent, s'il n'y restait pas la nuit, de le fouetter d'importance. Le gamin s'en va chez un peintre et le prie de lui peindre deux saints sur les deux fesses, à savoir saint Ignace à droite, saint François-Xavier à gauche; ce que fait le peintre. L'autre remet bonnement ses hauts-de-chausse, s'en revient au collège, et commence cent méchantes affaires. Les Pères l'appréhendent au corps et disent:
«Pour cette fois-ci vous aurez le fouet.»
«Le gamin se débat et supplie; mais ils lui répondent que les supplications n'y feront rien. Alors l'écolier se jette à genoux et s'écrie:
«O saint Ignace! ô saint Xavier! ayez pitié de moi et faites quelque miracle en ma faveur pour montrer mon innocence!»
«Là-dessus, les Pères lui descendent la culotte, et, comme ils lui lèvent la chemise pour le fesser, le gamin dit:
«Je prie avec tant de ferveur que je suis sûr que mon invocation aura effet!»
«Quand les Pères aperçoivent les deux saints, ils s'écrient:
«Miracle! celui que nous croyions un fripon est un saint!»
«Et ils se jettent à genoux, et ils impriment des baisers sur le postérieur, et ils réunissent tous les élèves...»
LA DUCHESSE DE NOAILLES, Marie-Françoise de Bournonville (1654?-1748).
«Femme d'un esprit supérieur», dit d'elle Ludovic Lalanne. Elle donna le jour à vingt et un enfants, et mourut à quatre-vingt-quatorze ans [200].
La DUCHESSE DE LESDIGUIÈRES, Paule-Françoise Marguerite de Gondi de Retz (1655-1716) [201].
Elle est surtout connue par son intimité avec l'archevêque de Paris François de Harlay, qui la voyait «tous les jours de sa vie, ou chez elle ou à Conflans, dont il avoit fait un jardin délicieux, et qu'il tenoit si propre, qu'à mesure qu'ils s'y promenoient tous deux, des jardiniers les suivoient à distance pour effacer leurs pas avec des râteaux... La duchesse de Lesdiguières n'y couchoit jamais (à Conflans), mais elle y alloit toutes les après-dînées, et toujours tous deux tout seuls. Le 6 août (1695), il (l'archevêque) passa la matinée à son ordinaire jusqu'au dîner. Son maître d'hôtel vint l'avertir qu'il étoit servi. Il le trouva dans son cabinet, assis sur un canapé et renversé; il étoit mort [202].»
La duchesse de Lesdiguières avait rassemblé une belle bibliothèque dans son hôtel de la rue de la Cerisaie.
ÉLÉONORE-MAGDELEINE-THÉRÈSE, fille de Philippe-Guillaume, comte palatin DE NEUBOURG, femme de Léopold Ier, empereur d'Allemagne (1655?-1720) [203].
La MARQUISE DE CHAMILLART, Isabelle-Thérèse Le Rebours, femme du secrétaire d'État et ministre de Louis XIV (1657-1731).
Dans son domaine de l'Étang-la-Ville, la marquise de Chamillart avait rassemblé une bibliothèque fort remarquable [204].
Elle était très liée avec Mme de Maintenon, «dont elle subissait l'influence et qui lui avait inculqué ses habitudes de piété froide et de sévère étiquette».
Elle aimait la simplicité, et ce goût se remarque dans les livres qui «sont jansénistes, et ne portent ordinairement pour toute décoration extérieure que son chiffre: deux C entrelacés, frappés en or aux quatre coins des plats. Les armes sont dans la doublure encadrée dans une simple roulette, à laquelle elle a laissé son nom [205].»
Les filles de Mme de Chamillard:
1o CATHERINE-ANGÉLIQUE, femme du marquis DE DREUX-BREZÉ (1683?-1739).
2o MARIE-THÉRÈSE, femme du duc DE LA FEUILLADE, maréchal de France (1684-1725?).
3o ÉLISABETH-GENEVIÈVE, femme du duc DE DURFORT DE LORGES (1685-1714) [206].
Saint-Simon, dont cette dernière, la duchesse de Lorges, était la belle-sœur, a tracé d'elle un vivant, et vigoureux, et superbe portrait, où nous voyons que cette grande dame était sans doute encore plus passionnée pour le jeu que pour les riches reliures:
«La duchesse de Lorges, troisième fille de Chamillard, mourut à Paris, en couche de son second fils, le dernier mai (1714), jour de la Fête-Dieu, dans sa vingt-huitième année. C'étoit une grande créature, très bien faite, d'un visage agréable, avec de l'esprit et un naturel si simple, si vrai, si surnageant à tout, qu'il en étoit ravissant; la meilleure femme du monde et la plus folle de tout plaisir, surtout du gros jeu. Elle n'avoit quoi que ce soit des sottises de gloire et d'importance des enfants des ministres; mais tout le reste elle le possédoit en plein. Gâtée dès sa première jeunesse par une cour prostituée à la faveur de son père, avec une mère incapable d'aucune éducation, elle ne crut jamais que la France ni le roi pût se passer de son père. Elle ne connut aucun devoir, pas même de bienséance. La chute de son père ne put lui en apprendre aucun, ni émousser la passion du jeu et des plaisirs. Elle l'avouoit tout le plus ingénument du monde, et ajoutoit après qu'elle ne pouvoit se contraindre. Jamais personne si peu soigneuse d'elle-même, si dégingandée: coiffure de travers, habits qui traînoient d'un côté, et tout le reste de même, et tout cela avec une grâce qui réparoit tout. Sa santé, elle n'en faisoit nul compte; et, pour sa dépense, elle ne croyoit pas que terre pût jamais lui manquer. Elle était délicate, et sa poitrine s'altéroit. On le lui disoit: elle le sentoit, mais de se retenir sur rien, elle en étoit incapable. Elle acheva de se pousser à bout de jeu, de courses, de veilles en sa dernière grossesse. Toutes les nuits elle revenoit couchée en travers dans son carrosse. On lui demandoit en cet état quel plaisir elle prenoit. Elle répondoit d'une voix qui de foiblesse avoit peine à se faire entendre qu'elle avoit bien du plaisir. Aussi finit-elle bientôt. Elle avoit été fort bien avec Mme la Dauphine, et dans la plupart de ses confidences. J'étois fort bien avec elle; mais je lui disois toujours que pour rien je n'eusse voulu être son mari. Elle étoit très douce, et, pour qui n'avoit que faire à elle, fort aimable [207].»
MARIE-BÉATRIX-ÉLÉONORE D'ESTE-MODÈNE (1658-1718) [208].
La DUCHESSE DE BEAUVILLIERS, ou DE SAINT-AIGNAN-BEAUVILLIERS, fille de Colbert, femme du duc de Beauvilliers, ami intime de Saint-Simon (1658?-1733) [209].
La DUCHESSE DE VENTADOUR, Charlotte-Éléonore-Madeleine de la Mothe-Houdancourt (1661?-1744) [210].
MARIE-LOUISE D'ORLÉANS (1662-1689), sœur consanguine du Régent, qui épousa le roi d'Espagne Charles II, possédait de beaux livres, qu'elle faisait timbrer des armes d'Espagne, accolées à celles d'Orléans [211].
LOUISE-FRANÇOISE DE MORTEMART, fille du maréchal de Vivonne, abbesse de Fontevrault en 1704 (1664-1742) [212].
MADEMOISELLE DE BLOIS, Marie-Anne de Bourbon, fille légitimée de Louis XIV et de Mlle de La Vallière, qui épousa Louis-Armand de Bourbon, prince de Conti, est citée parmi les femmes bibliophiles (1666-1739) [213].
De même pour une autre MADEMOISELLE DE BLOIS, Françoise-Marie de Bourbon, fille légitimée de Louis XIV et de Mme de Montespan, qui épousa Philippe, duc d'Orléans, et eut ainsi pour belle-mère la princesse Palatine (1677-1749): elle aussi eut le goût des beaux livres [214].
MARIE-ANNE-FRANÇOISE BIGNON DE VERTHAMON (1669?-1739) [215].
La COMTESSE DE VERRUE (1670-1736), la fameuse Dame de Volupté, fille du duc de Luynes, et maîtresse du roi de Sardaigne Victor-Amédée II de Savoie.
Elle avait la passion des collections d'art, et, lorsqu'elle vint habiter Paris, elle réunit, moitié dans son somptueux hôtel de la rue du Cherche-Midi, moitié dans son château de Meudon, une des plus belles bibliothèques de son temps, riche surtout en pièces de théâtre. Nous en savons la composition exacte grâce au catalogue dressé par Gabriel Martin, et qui se trouve à la Bibliothèque nationale.
Ses livres, au nombre d'environ 18.000, étaient «d'un choix exquis», dit Joannis Guigard [216] et, pour la plupart, «habillés par les meilleurs artistes de l'époque».
La comtesse de Verrue annotait volontiers ses livres, ce qui prouve l'attention avec laquelle elle les lisait, et son goût pour l'étude: un exemplaire de l'ouvrage de Lenglet-Dufresnoy, De l'usage des romans, conservé jadis au dépôt du Louvre, était littéralement couvert de notes de sa main [217].
Elle-même avait composé son épitaphe:
Ci-gît, dans une paix profonde,
Cette Dame de Volupté,
Qui, pour plus grande sûreté,
Fit son paradis en ce monde [218].
ÉLISABETH-ROSALIE D'ESTRÉESs, fille de Jean, comte d'Estrées (1672?-1750) [219].
Mme DE CAYLUS, Marthe-Marguerite Le Valois de Villette de Mursay, nièce à la mode de Bretagne de Mme de Maintenon (1673-1729) [220].
Elle a laissé de très intéressants souvenirs, remplis d'anecdotes, de portraits, de fines et judicieuses remarques. Sainte-Beuve, qui lui a consacré un article [221], l'a intitulé: Mme de Caylus et de ce qu'on appelle URBANITÉ, confirmant un jugement de l'abbé Gédoyn qui «trouvait, dans Mme de Caylus, l'image la plus achevée et le plus parfait modèle de l'urbanité [222]».
MADEMOISELLE DE NANTES, Louise-Françoise de Bourbon, fille légitimée de Louis XIV et de Mme de Montespan, femme de Louis III, duc de Bourbon, prince de Condé (1673-1743).
Elle lisait beaucoup et annotait ses livres, et elle avait rassemblé une intéressante bibliothèque [223].
De son mariage avec le duc de Bourbon, prince de Condé, Mademoiselle de Nantes eut plusieurs enfants, dont cinq filles, qui témoignèrent des mêmes goûts que leur mère pour les livres:
1o MARIE-ANNE-GABRIELLE-ÉLÉONORE, religieuse à Fontevrault, puis abbesse de Saint-Antoine des Champs (1690-1760) [224];
2o LOUISE-ÉLISABETH, dite MADEMOISELLE DE CHAROLAIS; mariée, en 1713, à Louis-Armand DE BOURBON, prince DE CONTI (1693-1775).
La bibliothèque de la princesse de Conti, dont le catalogue, dressé par Prault fils, comprenait 1711 nos, fut vendue à Paris le 14 septembre 1775 et jours suivants. «Le catalogue très rare de cette bibliothèque mérite à bon droit d'être recherché, écrit M. Maurice Tourneux [225]. On y remarque, au milieu d'une foule de bons livres, un recueil de pièces de l'ancien théâtre français en 50 volumes in-4, maroquin bleu; une collection singulièrement riche de romans, nouvelles et contes (nos 535-955); et la série complète du Mercure (y compris les extraordinaires) de 1673 à 1774, en 853 volumes in-12.»
3o MARIE-ANNE, dite MADEMOISELLE DE CLERMONT (1697-1741);
4o HENRIETTE-LOUISE-FRANÇOISE-GABRIELLE, dite MADEMOISELLE DE VERMANDOIS, religieuse (1703-1772);
5o ÉLISABETH-ALEXANDRINE dite MADEMOISELLE DE SENS (1705-1765) [226].
La MARQUISE DE GRIGNAN, Anne-Marguerite de Saint-Amant ou Saint-Amand (1674?-1736) [227].
Son mari, qui était petit-fils de Mme de Sévigné, et fils du lieutenant général ou gouverneur de la Provence, avait reçu les prénoms de Louis-Provence: on lui avait donné, comme à un fils de souverain, le nom de cette province [228].
Mlle de Saint-Amand avait dix-huit ans, lors de son mariage, et était, au jugement de Mme de Sévigné, «jolie, aimable, sage, bien élevée, raisonnable au dernier point [229].» Au bout de quelques mois, comme il advient souvent dans ces unions formées par la vanité des uns et les vues intéressées des autres, il y avait déjà mésintelligence dans le ménage [230].
Louis-Provence de Grignan, né en 1671 et mort en 1704, brigadier des armées du roi, fut l'ami de Saint-Simon, et voici en quels termes le grand mémorialiste parle du marquis et de la marquise de Grignan:
«Je perdis un ami avec qui j'avais été élevé, qui était un très galant homme, et qui promettait fort: c'était le fils unique du comte de Grignan et de cette Mme de Grignan si adorée dans les lettres de Mme de Sévigné, sa mère, dont cette éternelle répétition est tout le défaut. Le comte de Grignan, chevalier de l'ordre en 1688, s'était ruiné à commander en Provence, dont il était seul lieutenant général. Ils marièrent donc leur fils à la fille d'un fermier général fort riche. Mme de Grignan, en la présentant au monde, en faisait ses excuses; et avec ses minauderies en radoucissant ses petits yeux, disait qu'il fallait bien de temps en temps du fumier sur les meilleures terres. Elle se savait un gré infini de ce bon mot, qu'avec raison chacun trouva impertinent, quand on a fait un mariage, et le dire entre bas et haut devant sa belle-fille. Saint-Amant, son père, qui se prêtait à tout pour leurs dettes, l'apprit enfin, et s'en trouva si offensé qu'il ferma le robinet. Sa pauvre fille n'en fut pas mieux traitée; mais cela ne dura pas longtemps. Son mari, qui s'était fort distingué à la bataille d'Hochstedt, mourut au commencement d'octobre (1704), à Thionville; on dit que ce fut de la petite vérole. Il avait un régiment, était brigadier et sur le point d'avancer. Sa veuve, qui n'eut point d'enfants, était une sainte, mais la plus triste et la plus silencieuse que je vis jamais. Elle s'enferma dans sa maison, où elle passa le reste de sa vie, peut-être une vingtaine d'années, sans en sortir que pour aller à l'église, et sans voir qui que ce fût [231]».
ÉLISABETH-CHARLOTTE D'ORLÉANS, sœur du Régent Philippe d'Orléans, et femme de Léopold Ier, duc de Lorraine (1676-1744) [232].
La DUCHESSE DU MAINE, Anne-Louise-Bénédicte de Bourbon, femme de Louis-Auguste de Bourbon, duc du Maine, fils naturel de Louis XIV et de Mme de Montespan (1676-1753).
Elle aimait beaucoup les livres, et elle tint à Sceaux une véritable cour littéraire, où Fontenelle, Malézieux, La Fare, Sainte-Aulaire, Chaulieu, et plus tard Voltaire faisaient avec elle assaut d'esprit [233].
Ces goûts littéraires ne l'empêchèrent pas de s'occuper de politique, comme le prouve cette conspiration de Cellamare dont elle fut l'inspiratrice. Souvent même, ainsi qu'on l'a remarqué [234], «la littérature fut pour elle le masque de la politique; et l'emblème dont elle timbrait ses livres était aussi le ralliement de ses alliés, les chevaliers de la Mouche à miel. Sur ses livres, en effet, étaient frappées des abeilles d'or, avec, autour de leur ruche, cette devise, tirée de l'Aminte du Tasse: Piccola si ma fa pur gravi le ferite (Je suis petite, mais je fais cependant de graves blessures),—allusion à la petite taille de la princesse et à l'ordre galant de la Mouche à miel, qu'elle avait fondé en 1703.»
La DUCHESSE DE BRANCAS, Marie-Angélique Frémyn de Moras, femme de Louis-Antoine de Brancas, duc de Villars, comte de Lauraguais (1676-1763).
Sa bibliothèque, dont le catalogue, dressé par Prault, comprenait 750 nos, fut vendue, à Paris, peu après la mort de la duchesse, le 14 novembre 1763 et jours suivants [235].
La duchesse de Brancas, qui porta longtemps le titre de duchesse de Villars, a écrit ou plutôt dicté, dans sa vieillesse, de très piquants Mémoires, qui ont été publiés pour la première fois, en 1802, par son petit-fils le comte de Lauraguais; puis réédités, en 1865, par Louis Lacour, et, en 1890, par Eugène Asse.
La duchesse de Brancas était bien une femme de son époque, et que la sévérité des mœurs n'embarrassait guère. Saint-Simon nous a laissé d'elle et de son digne époux, qui était livré à «une infâme débauche [236]», ce sanglant et admirable portrait:
«Le duc de Villars et sa femme, sans estime réciproque, qu'en effet ils ne pouvoient avoir, vivoient fort bien ensemble dans une entière et réciproque liberté, dont elle usoit avec aussi peu de ménagement de sa part que le mari de la sienne, qui le trouvoit fort bon, et en parloit même indifféremment quelquefois et jusqu'à elle-même devant le monde, et l'un et l'autre sans le moindre embarras. Mais elle étoit méchante, adroite, insinuante, intéressée comme une crasse de sa sorte, ambitieuse, avec cela artificieuse, rusée, beaucoup d'esprit d'intrigue, mais désagréable plus encore que son mari; et tous les deux bas, souples, rampants, prêts à tout faire pour leurs vues, et rien de sacré pour y réussir, sans affection, sans reconnaissance, sans honte et sans pudeur, avec un extérieur doux, poli, prévenant, et l'usage, l'air, la connaissance et le langage du grand monde [237].»
«En 1740, la duchesse de Villars, qui, depuis deux ans, portait le titre de duchesse de Brancas, par suite de la mort de son beau-père, avait soixante-quatre ans. C'était, écrit Eugène Asse [238], une femme à l'esprit gaulois, dont l'anecdote suivante peut aider à se faire une idée: «Hier, M. de Richelieu, raconte d'Argenson [239], donna un grand souper à sa petite maison, par delà la barrière de Vaugirard. Tout y est en galanteries..., les lambris... ont des figures fort immondes. Le beau du début de ce souper étoit de voir la vieille duchesse de Brancas vouloir voir ces figures, mettre ses lunettes, et, avec une bouche pincée, les considérer froidement, pendant que M. de Richelieu tenoit la bougie et les lui expliquoit.»
La MARQUISE DE VIEUXBOURG ou DE VIEILBOURG, Louise-Françoise de Harlay de Cély (1680-1735).
«La marquise de Vieilbourg, remarquable par son intelligence et sa beauté, était passionnée pour les hautes spéculations de l'esprit. Elle avait colligé un superbe cabinet d'objets d'art et de curiosité, et une bibliothèque du meilleur goût [240].»
Cette bibliothèque fut vendue après le décès de la marquise, en 1735; le catalogue, comprenant 1043 nos, avait été dressé et rédigé en latin par le libraire et bibliographe Gabriel Martin [241].
La MARQUISE DE VASSÉ, Anne-Bénigne-Fare-Thérèse de Beringhen, femme d'Emmanuel-Armand, marquis de Vassé, brigadier des armées du Roi (1682?-1749).
Sa bibliothèque, riche surtout en romans de chevalerie, et dont le catalogue comprenait 184 articles, fut vendue en 1750, peu après la mort de la marquise [242].
La COMTESSE DE BISSY, Sylvie-Angélique Andrault de Langeron (1684?-1771) [243].
La DUCHESSE DE LA VALLIÈRE, Marie-Thérèse de Noailles (1684-1784).
Son mari était le neveu de la maîtresse de Louis XIV, sœur Louise de la Miséricorde. La duchesse de la Vallière eut deux enfants, dont l'un fut Louis-César, duc de la Vallière, le bibliophile si connu [244].
La DUCHESSE DE BOURGOGNE, Marie-Adélaïde de Savoie (1685-1712) [245].
On sait l'influence que la duchesse de Bourgogne, la Dauphine, exerça sur Louis XIV et Mme de Maintenon. Elle avait «beaucoup d'esprit naturel, dit Saint-Simon [246], beaucoup de qualités aimables... Douce, timide, mais adroite, bonne jusqu'à craindre de faire la moindre peine à personne, et, toute légère et vive qu'elle étoit, très capable de vues et de suite de la plus longue haleine, la contrainte jusqu'à la gêne, dont elle sentoit tout le poids, sembloit ne lui rien coûter. La complaisance lui étoit naturelle, couloit de source; elle en avoit jusque pour sa cour.»
ÉLISABETH-MARGUERITE-ARMANDE DU PLESSIS ou DUPLESSIS DE RICHELIEU, dite Mademoiselle de Fronsac, prieure perpétuelle des Bénédictines de la Présentation, à Paris (1686-1744) [247].
Mme LE PELLETIER ou LE PELETIER, Marie-Madeleine de Lamoignon, femme du ministre d'État (1687?-1744) [248].
La COMTESSE DE TOULOUSE, Victoire de Noailles, femme du comte de Toulouse, fils légitimé de Louis XIV et de Mme de Montespan (1688-1766) [249].
La PRINCESSE DE BAUFFREMONT, Hélène, princesse de Courtenay (1689-1768) [250].
MARIE-GABRIELLE-ÉLISABETH DU PLESSIS ou DUPLESSIS DE RICHELIEU (1689-....). Amie des livres, comme sa sœur Élisabeth-Marguerite-Armande (Mademoiselle de Fronsac) précédemment nommée, Marie-Gabrielle-Élisabeth du Plessis de Richelieu a d'abord été religieuse à Port-Royal, puis, en 1724, abbesse du Trésor (abbaye cistercienne du diocèse de Rouen) [251].
VICTOIRE-MARIE-ANNE DE SAVOIE, mariée, en 1714, à Victor-Amédée de Savoie, prince de Carignan (1690-1766) [252].
MARIE-URANIE DE NOAILLES, fille du duc de Noailles, pair et maréchal de France, religieuse au couvent de la Visitation de Paris (1691-1710) [253].
CHARLOTTE-FRANÇOISE DE DIENNE (1691-....) [254].
ÉLISABETH FARNÈSE, fille d'Édouard II Farnèse, prince de Parme, mariée, en 1714, à Philippe V, roi d'Espagne (1692-1766) [255].
La DUCHESSE DE BERRY, Marie-Louise-Élisabeth, fille aînée du Régent, Philippe d'Orléans (1695-1719).
On connaît sa vie scandaleuse et toutes les folies commises par cette princesse. Quoique morte très jeune, et malgré sa dissipation et ses débauches, elle trouva le temps de se former une belle et luxueuse bibliothèque [256].
«La duchesse de Berry, si connue par ses goûts singuliers et l'excentricité de son caractère, dit de son côté Joannis Guigard [257], aimait beaucoup les livres; mais, si l'on en croit les Mémoires de la princesse Palatine, sa grand'mère, elle n'eut guère le temps de les lire, tant elle avait besoin de divertissements. Quoi qu'il en soit, ses livres étaient nombreux, choisis et bien reliés.»
Trois autres filles du Régent, Philippe II d'Orléans, ont été classées au nombre des bibliophiles:
LOUISE-ADÉLAIDE D'ORLÉANS, dite MADEMOISELLE DE CHARTRES, seconde fille du Régent (1698-1743).
Elle devint abbesse de Chelles, en 1719, «épouse de Jésus-Christ», et c'est à son sujet que le Régent déclarait être brouillé avec son gendre [258].
Une autre, LOUISE-ÉLISABETH D'ORLÉANS, dite MADEMOISELLE DE MONTPENSIER (1709-1742), qui fut reine d'Espagne, devint veuve en 1724, puis regagna la France en 1725, où elle se plongea dans une profonde dévotion, «fit exécuter un assez joli livre d'heures quelque temps avant sa mort»: d'où son titre de bibliophile [259].
Une autre encore, PHILIPPE-ÉLISABETH D'ORLÉANS, dite MADEMOISELLE DE BEAUJOLAIS (1714-1734), morte très jeune et sans alliance, a été, comme ses susdites sœurs, réputée pour son amour des livres [260].
Bibliophile également, LOUISE-ADÉLAIDE DE BOURBON-CONTI, dite MADEMOISELLE DE LA ROCHE-SUR-YON (1696-1750) [261].
LA MARQUISE DU DEFFAND, née Marie de Vichy-Chamrond (1697-1780) [262].
Sa correspondance, qui est très volumineuse (2 vol. in-8, édition M. de Lescure; Paris, Plon, 1865;—3 vol. in-8, édition Sainte-Aulaire; Paris, Calmann-Lévy, 1877; etc.) est des plus intéressantes pour l'histoire des mœurs et des lettres au dix-huitième siècle. Devenue aveugle en 1753, Mme du Deffand, chez qui se réunissaient nombre d'hommes et de femmes remarquables, se faisait faire de longues lectures:
«...Je suis obligée de lire cinq ou six heures par jour; je commence à six heures du matin, et cela dure souvent jusqu'à onze heures ou midi; les insomnies allongent mes jours et abrègent ma vie. On en pourrait faire une énigme [263].»
«Je passe des nuits sans dormir, et ce n'est le plus souvent qu'à midi que j'attrape le sommeil; je me fais lire cinq heures de suite... [264].»
Pessimisme et égoïsme, ces deux sentiments apparaissent fréquemment sous la plume de Mme du Deffand:
«Ceux qu'on nomme amis sont ceux par qui on n'a pas à craindre d'être assassiné, mais qui laisseraient faire les assassins [265].»
«Je jouis d'une sorte de plaisir, qui est d'observer l'orgueil et la vanité de tout le monde; il n'y a presque personne qui ne prétende à jouer un rôle; il y a peu de bons acteurs [266].»
«...Le plus beau jour de la vie est celui où on la quitte. Cela revient à peu près, Madame, à ce que vous me dites si souvent: que le plus grand malheur est d'être né [267].»
Mme du Deffand déclarait assez cyniquement «qu'elle n'avait ni tempérament ni roman, ce qui ne l'empêcha pas d'être galante avant d'être philosophe [268].»
Sainte-Beuve, dans un de ses articles des Causeries du lundi [269], fait grand éloge du style et de la valeur littéraire des lettres de Mme du Deffand:
«Mme du Deffand est un de nos classiques par la langue et par la pensée... Elle est avec Voltaire, dans la prose, le classique le plus pur de cette époque, sans même en excepter aucun des grands écrivains.»
La MARQUISE D'AMBRES, Henriette-Antoinette de Mesmes (1698-1715) [270].
La MARQUISE DE PRIE, née Agnès Berthelot de Pleneuf (1698-1727) [271].»
Fille d'un financier, «qui s'était gorgé par bien des métiers», dit Saint-Simon [272], cette amie des livres eut une existence très mouvementée. En 1713, elle épouse le marquis de Prie, qui fut ambassadeur à Turin; rentre à Paris, en 1719, et devient la maîtresse du duc de Bourbon, qu'elle domina bientôt entièrement. Elle était belle, très ambitieuse, et quand son amant fut nommé premier ministre après la mort du Régent, elle exerça un pouvoir absolu, dont elle ne fit guère usage que pour satisfaire ses passions et sa rapacité. Dame du palais de Marie Leszczynska, qu'elle avait contribué à faire monter sur le trône, elle voulut faire chasser Fleury, alors évêque de Fréjus. Elle échoua; le duc de Bourbon fut disgracié (juin 1726); et, exilée en Normandie, la marquise de Prie ne put supporter son malheur et s'empoisonna l'année suivante.
La COMTESSE DE GÉLAS, Henriette-Antoinette de Mesmes (1698-....) [273].
La VICOMTESSE D'AUCHY, Charlotte des Ursins (....-1646).
Jamais personne ne fut si avide qu'elle de lectures—lectures en public—de toutes sortes, comédies, lettres, harangues et sermons même, dit Tallemant des Réaux [274]. Elle avait le goût des réunions littéraires, et «prestoit son logis avec un extresme plaisir pour de telles assemblées». Elle s'avisa même de créer chez elle «une certaine académie, où tour à tour chacun liroit quelque ouvrage». Cette académie paraît n'avoir été, au commencement du moins, qu'«une vraie cohue», selon l'expression de Tallemant, qui y alla une fois, «par curiosité».
On examinait et discutait de singulières questions dans ces séances. Un jour, un certain Boutard, qui devint dans la suite «président des trésories de France, à Montpellier,» et qui se plaisait à berner et mystifier les gens, «traita des diverses façons de cracher; il en trouva cinquante-deux, dont il fit la démonstration aux dépens du tapis de pieds de la vicomtesse [275].»
LOUISE NOGARET DE LA VALETTE, abbesse à Metz (....-1647) [276].
La DUCHESSE DE VILLARS-BRANCAS, Julienne-Hippolyte d'Estrées, mariée, en 1597, à Georges de Brancas, duc de Villars (XVIIe siècle, décédée après 1657) [277].
Très coquette, et encore plus dévergondée, c'est ainsi que Tallemant des Réaux nous dépeint la duchesse de Villars. «C'estoit la plus grande escroqueuse du monde, ajoute-t-il [278]. Quand il fallut sortir du Havre, pour ne point faire crier toute la ville, car ils (son mari et elle) devoient à Dieu et au monde, elle fit publier que tous leurs créanciers vinssent un certain jour parler à elle. Elle parla à tous en particulier, leur avoua qu'elle n'avoit point d'argent, mais qu'elle avoit, en deux ou trois lieux qu'elle leur nomma, des magasins de pommes à cidre pour dix ou douze mille escus; qu'elle leur en donneroit pour les deux tiers de leur debte, et une promesse pour le reste payable en tel temps. Elle disoit cela à chacun avec protestation qu'elle ne traitoit pas les autres de la sorte, et qu'il se gardast bien de s'en vanter. Les pauvres gens, les plus contents du monde, prirent chascun en paiement un ordre aux fermiers de donner à l'un pour tant de pommes et pour tant à l'autre; mais quand ils y furent, ils ne trouvèrent en tout que pour cinq cents livres de pommes.»
MARIE-ANNE CHRISTINE DE BAVIÈRE, femme du Grand Dauphin, fils de Louis XIV et de Marie-Thérèse (....-1690).
Elle avait des goûts sérieux, aimait les lettres, et elle protégea Racine [279].
MARIE-CATHERINE LE CAMUS DE NICOLAI (....-1698) [280].
CHARLOTTE D'ALBERT D'AILLY DE CHAULNES, religieuse à l'Abbaye-aux-Bois, puis à Poissy (....-1707) [281].
LOUISE-ISABELLE D'ANGENNES DE RAMBOUILLET, religieuse, abbesse de Saint-Étienne de Reims, décédée presque nonagénaire (....-1707) [282].
Mme FRANÇOISE DOUJAT, Madeleine Tiraqueau, dont le mari était maître d'hôtel du roi (....-1709) [283].
La MARQUISE DE LAMOIGNON-BAVILLE, Marie-Jeanne Voysin, mariée, en 1674, à Chrétien-François Lamoignon, marquis de Baville (....-1727).
Conseiller au Parlement, puis avocat général, puis président à mortier, Chrétien-François Lamoignon fut nommé membre de l'Académie des inscriptions, en 1704. Comme son père, il était lié avec les beaux esprits du temps, et c'est à lui que Boileau a adressé sa sixième épître. La bibliothèque du président Lamoignon, qui renfermait d'importants manuscrits, est passée en Angleterre [284].
DIANE-FRANÇOISE D'ALBRET, abbesse de Sainte-Croix de Poitiers de 1650 à 1680 (XVIIe siècle) [285].
La COMTESSE DE BERLAYMONT, Marguerite de Lalaing (XVIIe siècle) [286].
Mme NICOLAS BOUCOT, née Néthine (XVIIe siècle) [287].
La MARQUISE DE BULLION-WIDEVILLE, Marie-Catherine de Beauveau (XVIIe siècle).
Sa bibliothèque contenait une fort belle collection d'œuvres dramatiques [288].
HONORÉE DE BUSSY (XVIIe siècle) [289].
Mme DUGAS DE BOIS-SAINT-JUST, née Maindestre (XVIIe siècle).
Son mari était échevin de la ville de Lyon en 1658 et prévôt en 1696 [290].
Mme LOUISE DE DURFORT, fille de Jean de Durfort, mariée, en 1683, à Jean-Louis de Durfort, son cousin (XVIIe siècle) [291].
La MARQUISE DE FOUQUET, Marie-Jeanne Guyon (XVIIe siècle) [292].
N. DE GROSSOLLES DE FLAMARENS, abbesse des Bénédictines (XVIIe siècle) [293].
La PRINCESSE DE GUÉMÉNÉ, mariée, en 1617, à Louis VII de Rohan, prince de Guéméné, son cousin germain (XVIIe siècle) [294].
La DUCHESSE DE LA ROCHEFOUCAULD, femme de l'auteur des Maximes (XVIIe siècle) [295].
MADELEINE DE LÉRIS (XVIIe siècle) [296].
ERNESTINE DE LIGNE, mariée à Jean, comte de Nassau-Dillenbourg-Siegen, général de la cavalerie de Flandre (XVIIe siècle) [297].
CLAUDE DE LORRAINE, fille du duc Henri II de Lorraine, mariée en 1634 (XVIIe siècle) [298].
Mme THÉVENOT, femme de Melchisédech Thévenot, garde de la Bibliothèque du roi (XVIIe siècle).
Melchisédech Thévenot (vers 1620-1692), qui avait beaucoup voyagé, avait rapporté en France quantité de livres rares et de manuscrits précieux. Il tenait, dans sa maison d'Issy, des réunions périodiques, où chaque invité rendait compte des expériences et découvertes scientifiques qu'il faisait: ce fut là, dit Ménage, l'origine de l'Académie des sciences.
Un neveu de Melchisédech Thévenot, Jean de Thévenot (avec la particule nobiliaire) (1633-1667), qui fut aussi un infatigable voyageur et qui mourut en Arménie, passe pour être l'introducteur du café en France [299].