Les Huguenots: Cent ans de persécution, 1685-1789
Là, une vieille dame reçoit les deux soeurs qu'elle cache dans une partie écartée de la maison qu'elle habitait. Raboteau ramène promptement les chevaux à l'endroit où il les avait pris et regagne sa chambre sans encombre.
Le lendemain il était le premier descendu, et bientôt les équipages amènent tous les gens de la noce; le tuteur monte dans la chambre des fiancées, voit tout en désordre, les lits non défaits. On cherche les jeunes filles partout, dans les caves, dans toutes les parties du château, dans le parc, et Raboteau semble prendre part aux recherches avec autant d'activité que les fiancés déconfits. Le tuteur prévient les autorités; tous les navires qui étaient dans le port, notamment celui de Raboteau, sont soigneusement visités, sans succès. Raboteau, pour dérouter les soupçons, prolonge son séjour au château, puis il retourne à la Rochelle pour mettre à la voile. Les deux jeunes filles sortent de la maison où elles avaient trouvé asile, elles sont placées dans de grandes caisses ouvertes et recouvertes d'une certaine quantité de pommes; une charrette vient prendre les caisses et les porte jusqu'à une barque où se trouvait Raboteau; de là elles sont transbordées sur le pont du navire, et quand on a perdu de vue les côtes de France, les deux fugitives peuvent enfin sortir de leur incommode cachette.
Mais les navires qui se livraient habituellement à cette contrebande humaine avaient des caches, où l'on mettait les fugitifs; ces caches fort petites étaient dissimulées, soit sous la chambre du navire, soit sous le pont, entre le mât et la chute de la chambre, ainsi que le constatent divers jugements rendus contre des capitaines. Baudoin de la Boulonnière partit sur un navire de vingt-cinq à trente tonneaux, dans la cache duquel on entrait par-dessous le lit d'un matelot, et l'on entassa douze personnes dans cet étroit espace.
Les fugitifs entraient, quelquefois longtemps à l'avance, dans ces caches, et Élie Benoît montre à quelles dures épreuve ils y étaient soumis: «On s'enfermait, dit-il, dans des trous où l'on était entassé les uns sur les autres, hommes, femmes et enfants où on ne prenait l'air qu'a certaines heures de la nuit… ce qui renfermait le pot destiné à subvenir aux nécessités naturelles servait aussi de table pour boire et manger. On demeurait dans cette contrainte pour attendre le vent ou la commodité des visiteurs, huit et quinze jours… Le silence, l'obscurité, l'air étouffé, la puanteur, tout ce qui pouvait faire le plus de peine, devenait aisé pour les personnes les plus délicates, pour les femmes grosses, pour les vieillards, pour les enfants. On a vu des enfants d'un naturel éveillé, remuant, inquiet, sujets à crier pour la moindre chose, demeurer dans ces obscures cachettes aussi longtemps que des personnes d'un âge mûr, sans jeter un cri, ni donner une marque d'impatience.»
Mlle de Robillard fut mise avec ses cinq jeunes frères et soeurs dans la cache qu'on avait faite sur le navire qui devait l'emmener. «Cette cache, dit-elle, était si petite, qu'un homme était dedans pour nous y tirer. Après que nous y fûmes placés et assis sur le sol, ne pouvant y être en autre posture, on referma la trappe, et on la goudronna comme le reste du vaisseau pour qu'on n'y pût rien voir. Le lieu était si bas, que nos têtes touchaient aux planches d'en haut. Nous primes soin de tenir nos têtes, droit sous les poutres, afin que, quand les visiteurs, selon leur belle coutume, larderaient leurs épées, ils ne nous perçassent pas le crâne.»
Le danger n'était pas chimérique; on conte à ce sujet, qu'un pasteur, enfermé dans une de ces caches, fut blessé par l'épée d'un des soldats qui lardaient le navire où il se trouvait; non seulement il ne poussa pas un cri, mais il eut la présence d'esprit d'essuyer la lame de l'épée qui l'avait blessé, à mesure que le soldat la retirait à lui, pour que sa présence ne fût pas décelée par son sang. Mlle de Robillard et ses cinq jeunes frères et soeurs étaient depuis dix heures dans l'étroite cache où on les avait entassés, quand on put enfin ouvrir la cache pour leur permettre de respirer. «Il était temps; dit-elle, car nous étouffions dans ce trou et croyions y aller rendre l'âme aussi bien que tout ce que nous avions dans le corps, qui en sortait de tous les côtés. On nous donna de l'air, et en sortîmes quelques heures après, plus morts que vifs; notez pourtant que, malgré ce mauvais état, toute ma jeunesse ne jeta ni cris ni plaintes.»
Un cri échappé à un fugitif eût perdu tous les réformés que pouvait contenir la cache d'un navire. Baudoin de la Bouchardière enfermé, lui douzième, dans une de ces caches, raconte que pendant la visite du navire qui dura trois quarts d'heure, son jeune enfant, qui n'avait que trois ans, vint à vomir. «Sa mère, dit-il, lui mit la main sur la bouche, et Dieu voulut qu'il ne poussât pas un cri». Sans cette heureuse fortune, toute la chambrée eût été découverte par les visiteurs.
Quand on avait échappé à la visite ou aux visites (le navire sur lequel monta Fontaine, avait été visité deux fois; celui sur lequel était cachée Mlle de Robillard, eut à subir trois visites), on n'était pas encore hors de danger.
Parfois l'inexpérience des capitaines menait le navire à sa perte; ainsi Baudoin de la Bouchardière et ses compagnons vinrent faire naufrage sur les côtes de la Hollande, après, dit-ils avoir fait voile toute une nuit sans savoir où nous étions.
Le pilote du navire qui emmenait Olry en Angleterre faillit aborder, sans le vouloir, dans un port de la côte de France, et plusieurs navires, chargés de réfugiés, allèrent, grâce à l'ignorance des capitaines, échouer sur les côtes d'Espagne.
Dans ce pays de l'inquisition, les huguenots trouvèrent plus d'humanité qu'ils n'en auraient rencontré dans leur propre patrie. Suivant le conseil des juges, qui se firent, il est vrai, payer leur complaisance, ils se firent réclamer par les consuls des puissances protestantes auxquels ils furent remis.
Les fugitifs avaient à redouter, non seulement l'inexpérience, mais encore l'improbité des capitaines qui se livraient au dangereux métier du transport des émigrants. Le capitaine avec lequel Mlle de Robillard avait traité, devait la débarquer à Tapson, près Exeter; il la dépose, à la nuit, sur une plage déserte, à vingt lieues de cette petite ville, avec ses jeunes frères et soeurs.
«Le septième jour, dit Mlle de Robillard, à neuf heures du soir, nous vîmes aborder le vaisseau. On nous fit descendre tous avec le peu de nippes que nous avions sur ce rivage ou petit port, il ne nous parut ni ville ni maison.
«La peur nous prit de nous voir dans ce lieu qui nous parut un désert, et mon capitaine de venir à moi d'un air fort résolu me dire: de l'argent! les cinq cents livres que vous me devez encore! (il en avait reçu cinq cents au départ). Je lui répondis que sa demande était injuste, puisqu'il ne nous menait pas où il avait promis de nous laisser, à Tapson. Il fallut néanmoins payer, après quoi il mit à la voile et nous restâmes dans ce lieu qui se nommait Falcombe, à vingt lieues de Tapson…»
Les lamentations de ces six enfants abandonnés (Mlle de Robillard, l'aînée, n'avait que dix-sept ans) attirèrent quelques enfants qui amenèrent un ministre. Grâce à quelques mots de latin que Mlle de Robillard avait appris avec ses frères, elle put se faire comprendre, et en montrant quatre louis d'or composant toute sa fortune, elle réussit à se faire donner une chaloupe qui la conduisit à Tapson avec toute sa jeunesse. C'est ainsi, qu'elle fut tirée du mauvais pas où l'avait mise son capitaine.
Cet_ honnête homme_ s'était pourtant laissé apitoyer au départ, et, bien que payé seulement pour le transport de cinq personnes, il avait consenti à prendre, par-dessus le marché, la plus jeune soeur de Mlle de Robillard, âgée seulement de deux ans. Un autre capitaine, plus pitoyable, avait consenti à prendre gratis sur son navire, pour les emmener en Angleterre, une pauvre veuve et ses quatre enfants. Cette pauvre veuve ne possédait que quinze francs pour tout avoir, et son bagage, ainsi que le constate le procès- verbal de saisie, ne consistait qu'en une couette et une méchante caisse contenant de menues hardes pour ses enfants.
Ceux qui s'adressaient à des capitaines catholiques, anglais ou irlandais, dit Élie Benoît, étaient trahis, et perdaient à la fois leur argent et leur liberté. Beaucoup dépouillaient leurs passagers. Baudoin de la Bouchardière fait naufrage sur les côtes de la Hollande, le maître du navire et les matelots sautent dans la chaloupe avec toutes les hardes des passagers qu'ils avaient volées. Les fugitifs restent abandonnés pendant quatre mortelles heures sur le navire échoué, et à chaque instant sur le point de sombrer sous l'effort des vagues; ils sont enfin tirés d'affaire par des matelots hollandais qui viennent à leur secours.
On n'a jamais eu de nouvelles, dit Legendre, de Simon le Platrier, orfèvre, qui s'était embarqué avec sa femme et sa fille aînée, «ou ils seront péri sur la mer, ou le maître du vaisseau dans lequel ils s'étaient embarqués, leur aura coupé la gorge et se sera retiré dans quelque île du nouveau monde. Ce ne serait pas le seul qui aurait fait de semblables coups».
En 1689, le présidial de Caen condamnait à la roue le nommé Reigle, convaincu d'avoir passé des religionnaires à Jersey et d'en avoir volé un, après l'avoir étranglé. En 1697, le même présidial condamnait au même supplice Goupil, maître de bateau et Tuboe, son matelot, convaincus d'avoir fait périr plusieurs de leurs passagers, entre autres cinq religionnaires et un bourgeois catholique de Caen. Ces misérables conduisaient leur bateau entre les deux îles de Saint-Marcouf, dans un endroit où la mer, en se retirant, laissait le sable à sec. Ils faisaient descendre, sous un motif spécieux, les passagers à fond de cale, fermaient l'écoutille, pratiquaient une ouverture au bateau, et s'éloignaient, laissant la haute mer, dont le niveau dépassait le dessus du pont, remplir leur office d'assassins.
Fontaine, réfugié en Angleterre, avait donné mission à un capitaine anglais de prendre pour lui un chargement de sel en France. Au moment où ce capitaine allait repartir pour l'Angleterre, après avoir pris ce chargement, quelques huguenots qui avaient pu, grâce à une conversion simulée, trouver le temps et le moyen de transformer tous leurs biens en argent comptant, s'adressèrent à lui pour les transporter en Angleterre.
Porteurs de sommes considérables, ces malheureux crurent que leurs valeurs seraient plus en sûreté entre les mains du capitaine qu'entre les leurs. «La vue d'un tel trésor, dit Fontaine, fut pour ce capitaine une tentation à laquelle il ne sut pas résister et il forma la résolution de se l'approprier. — Sous prétexte que le vent était contraire, il persuada les passagers qu'il fallait mettre le vaisseau à l'abri dans quelque port. Comme ils auraient couru de grands dangers dans un port français, il leur dit qu'il fallait gagner la côte d'Espagne. Il naviguait donc entre Bilbao et Saint-Sébastien, marchant à pleines voiles, lorsque, voyant que le vent et la marée favorisaient son criminel dessein, il lança le vaisseau à la côte et le brisa entièrement…
Le capitaine et ses hommes sautèrent dans la chaloupe avec le trésor et laissèrent les passagers à la mer, car chaque vague venait recouvrir complètement le navire naufragé. Parmi eux se trouvait une dame de qualité, à laquelle appartenait la plus grande partie des sommes confiées au capitaine. Elle aurait pu se sauver parfaitement, grâce à un jupon d'un tissu épais et serré qui la faisait flotter sur l'eau et l'aurait soutenue jusqu'à ce qu'elle fût arrivée à la côte. Mais le capitaine prévoyant ce qui allait arriver, poussa sur elle sa chaloupe, comme s'il allait à son secours, et, lorsqu'elle fut à sa portée, d'un coup de gaffe il la fit plonger sous l'eau, et il la tint enfoncée assez longtemps pour que le jupon s'imbibât d'eau et ne put pas ramener le corps à la surface.»
Ce capitaine, dit Fontaine, se rendit à Cadix, et avec sa fortune mal acquise acheta un corsaire dont il prit le commandement.
Les fugitifs, alors même qu'ils avaient eu la chance de tomber sur un capitaine expérimenté et honnête, et qu'ils avaient pu s'embarquer sans encombre et gagner la haute mer en déjouant la vigilance des croiseurs, n'étaient pas encore à l'abri de tout danger, — souvent ils rencontraient un corsaire de Saint-Malo ou de Dieppe, ou un hardi forban d'Alger ou de Tunis, venant faire des razzias près des rivages de la France et même jusque en vue des côtes de la Hollande. Naturalisé ou non, le réfugié pris par un navire français était envoyé aux galères. — David Doyer, de Dieppe, est pris avec le navire marchand qu'il commandait; il est envoyé aux galères, et, après quelques années de rame, il meurt à l'hôpital de Marseille.
Au XVIIe siècle, ce n'était point chose rare de tomber aux mains des corsaires barbaresques qui réduisaient leurs prisonniers en esclavage. Saint-Vincent-de-Paul avait été au bagne de Tunis, comme Regnard avait été à celui d'Alger. En 1645, le synode protestant ordonnait une quête générale pour le rachat de la multitude de captifs qui étaient dans les fers (à Alger, à Tunis, à Salle, et autres lieux de la Barbarie).
La France et l'Espagne avaient des moines rédempteurs, dont la seule mission était le rachat des captifs catholiques; l'Angleterre et la Hollande, rachetaient aussi leurs nationaux. En 1648, il n'y avait pas à Alger moins de 20000 esclaves chrétiens, catholiques, grecs ou protestants. En 1666, lors du traité avec Tunis, M. de Beaufort convient qu'on rendra les captifs de part et d'autre, homme, pour homme; le surplus pour un prix modéré.
La même année, dans le traité passé avec Alger, la France stipule, moyennant une somme déterminée le rachat de trois mille esclaves français.
En 1687, un paquebot hollandais portant cent-soixante-quatre passagers, parmi lesquels se trouvaient soixante-trois huguenots, est pris par un corsaire algérien; tous sont faits esclaves. C'est sur ce navire que se trouvait le pasteur Brossard, qui conte ainsi l'aventure: «Le 6 juin 1687, je me mis, avec un grand nombre de réfugiés, dans le vaisseau du sieur Williamson de Rotterdam, pour passer d'Angleterre en Hollande. Comme nous fumes près de la Brille et que nous voyions la terre de Zélande, les corsaires d'Alger, commandés par le Bouffon, renégat d'Amsterdam, arrivèrent là subitement avec trois vaisseaux et nous prirent.»
Valait-il mieux pour les réfugiés tomber aux mains des Français qu'à celles des Barbaresques?
Le procureur du roi, de Nantes le pensait, lorsque, parlant de la femme d'un raffineur de Nantes et de trois ménages religionnaires capturés par un corsaire algérien, il disait: Voilà des gens punis plus sévèrement que s'ils avaient été arrêtés en France.
Mais ce n'était pas l'opinion de Noblet, un protestant de Rouen, qui, racheté par les pères rédempteurs, après avoir passé de longues années dans les fers à Alger, et menacé des galères à son retour en France, comme prétendu relaps, déclarait qu'il avait trouvé plus d'humanité en Afrique qu'en France, ayant toujours eu à Alger la liberté de prier Dieu comme il l'entendait. C'était encore moins l'avis du célèbre ministre Claude, déclarant que, même les nouveaux convertis, restés à leurs foyers, mais obligés chaque jour de commettre des sacrilèges qui leur faisaient horreur, «changeraient de bon coeur leur dur esclavage, avec des fers dans Alger ou dans Tunis, car ils n'y seraient pas au moins, disait-il, opprimés dans leurs consciences, et auraient encore quelque espérance de liberté par la voie de la rançon.»
Il est incontestable que les huguenots, si cruellement tourmentés sur les galères du roi de France, n'avaient pas au bagne d'Alger des aumôniers acharnés à les persécuter sans cesse, moralement aussi bien que physiquement. Cependant, même dans les bagnes des États barbaresques, les missionnaires français venaient encore parfois vexer et tourmenter les esclaves huguenots. C'est ce qui arriva au pasteur Brossard, pris en vue des côtes de la Hollande, et qui resta dix-huit mois au bagne avant d'être racheté par les soins de ses coreligionnaires de l'Angleterre et de la Hollande.
Le jour même de son arrivée, le père vicaire de la congrégation de la mission française résidant à Alger, le presse fort de changer de religion et de faire changer de même toutes les personnes prises avec lui, lui promettant qu'il serait bien récompensé de ce grand service rendu au roi.
Brossard, à l'instigation de ce saint homme, est fort durement traité par les Turcs: «Le père vicaire, dit-il, ayant toujours en tête de me faire passer à sa religion, était bien aise que je fusse ainsi tourmenté, me faisant dire que je ne le serais plus, pourvu que je me fisse catholique, à cause de l'argent qu'il bâillerait pour cela aux Turcs… Je suis assuré qu'il parla aux autres religieux et prêtres d'employer tous leurs soins pour cela…, comme ils firent tout leur possible pour me mettre mal dans l'esprit du Pacha, afin qu'il continuât de m'envoyer au travail, mais il n'eut pas toujours égard à leurs sollicitations contre moi, il me dispensa du travail et me permit d'aller par la ville… Après cela le père vicaire et ses gens agirent contre moi d'une autre manière, c'est qu'ils me donnaient le nom de Duquesne, et me faisaient appeler ainsi en tous lieux par leurs émissaires, pour m'exposer à la fureur du peuple, qui, à l'ouïe de ce nom, se ressouvenant que M. Duquesne les avait fait ci-devant bombarder, s'échauffait extrêmement contre tous les Français et particulièrement contre moi, qui, pour cette raison, ne sortais guère ou, si je sortais, je recevais de grosses injures et souvent de rudes coups.»
L'amiral d'Estrées ayant commencé à bombarder Alger, tous les jours les Turcs faisaient périr quelques Français, en les mettant à la bouche des canons. Brossard, enfermé dans un cachot et au moment d'être envoyé au supplice avec d'autres réfugiés, se prépare à la mort. À ce moment, il doit encore subir des exhortations du père vicaire qui vient insister de nouveau pour que lui et ses compagnons se convertissent: «nous assurant, dit Brossard, que, par ce moyen, nous avions notre salut en l'autre monde, et nous insinuant en même temps, que même nous pourrions encore le faire en celui-ci.»
Un danger plus sérieux menaçait les huguenots, esclaves aux bagnes d'Alger et de Tunis, c'est qu'il fût fait droit aux réclamations de Louis XIV, dont la haine poursuivait les émigrés, non seulement dans tous les États qui leur avaient donné asile, mais encore jusqu'au fond des bagnes. Le grand roi, en effet, avait, ainsi que le dit Élie Benoît, demandé, heureusement sans succès, que les huguenots pris et faits esclaves par les Barbaresques, lui fussent rendus comme des fugitifs ayant déserté malgré ses ordres.
Au roi de Portugal, il demande de faire convertir une demi- douzaine de ses sujets huguenots établis au-delà des Pyrénées, ainsi qu'en témoigne cette lettre de Schomberg: «L'ambassadeur travaille ici avec de grands empressements pour obliger cinq ou six marchands protestants à se faire romains. Il a trouvé de la disposition au roi de Portugal à leur ôter sa protection.»
À son allié le roi d'Angleterre, dit de Sourches, Louis XIV faisait redemander par son ambassadeur, M. de Bonrepos, les matelots huguenots qui s'étaient réfugiés en Angleterre, et les faisait redemander pour ses galères. Il tente d'obtenir une restitution analogue de la République de Gênes, et voyant qu'il n'a aucune chance de réussite, il fait féliciter son consul, d'avoir du moins fait courir le bruit que la demande était faite. Sa Majesté, écrit Seignelai, «a approuvé que vous ayez fait courir le bruit sous main, que vous avez ordre de demander à la République tous les Français de la religion prétendue réformée qui sont à Gênes, puisque vous avez reconnu qu'il serait trop difficile d'obtenir de la dite République, de vous les remettre entre les mains.» Le comte de Tessé, commandant des dragons à Orange, signifie au légat du pape qu'il sera forcé d'entrer à Avignon et dans les autres villes du comtat, si on y donne asile aux huguenots. — Vis-à-vis de la Suisse, pour réclamer l'expulsion des réfugiés, Louis XIV ne craint pas d'invoquer une disposition d'un traité relatif aux malfaiteurs des deux pays.
Tambonneau, ambassadeur de France, demande, au nom du roi, qu'il ne soit point fait accueil aux réfugiés, attendu l'article 4 du pacte d'alliance, portant que l'un des pays contractants ne devait donner asile ou protection, à aucun ennemi ou bandit dont l'autre pays fût justiciable, et s'engageait à le chasser de son territoire.
Berne, appuyée par Zurich, répond: «nous estimons unanimement et selon la saine raison que ceux qui, pour cause seulement de religion et pour sûreté de leur conscience, ont quitté la France, sans être coupables d'aucun méfait, ne sauraient être assimilés à ceux dont parle l'article 4.»
C'est surtout vis-à-vis de sa faible voisine, Genève, que Louis XIV multiplia les insolentes injonctions et même les menaces, pour obtenir que les réfugiés fussent expulsés de cette trop hospitalière République.
Louis XIV écrit à Dupré, résident français à Genève, d'insister auprès des magistrats de cette ville pour qu'ils obligent les réfugiés à partir pour retourner dans leurs maisons — «vous déclarerez aux dits magistrats, poursuit-il, que _je ne pourrais pas souffrir _qu'ils continuassent à donner retraite à aucun de mes sujets qui voudraient encore sortir de mon royaume», il lui écrit encore plus tard, pour lui enjoindre de déclarer une seconde fois aux magistrats, que «s'ils n'obligent pas les réfugiés de s'en retourner incessamment dans les lieux où ils demeuraient auparavant, il pourrait bien prendre des résolutions qui les feraient repentir de lui avoir déplu.»
Genève, sans armes, avec ses remparts en mauvais état, ne pouvait songer à résister ouvertement aux injonctions de son trop puissant voisin. Elle envoya les réfugiés du pays de Gex, dans les propriétés rurales que possédaient ses bourgeois, et soutint que, de tout temps on avait employé chez elle des valets et des servantes de ce pays, et qu'on ne saurait comment s'en procurer ailleurs.
Elle fit publier à son de trompe, dans la ville l'expulsion des réfugiés, mais, après les avoir fait sortir en plein jour par la porte de France, elle les faisait rentrer à minuit par la porte de Suisse.
Enfin, quand elle vit l'orage approcher d'elle, les troupes françaises étant descendues dans les vallées vaudoises, pour les désoler de concert avec l'armée du duc de Savoie, elle travailla avec ardeur à relever ses fortifications, avec l'aide des ingénieurs du prince d'Orange, puis elle conclut une alliance défensive avec les autres villes réformées de la Suisse, qui s'engagèrent à mettre 30 000 hommes à sa disposition, dans le cas où Louis XIV voudrait mettre à exécution les menaces qu'il lui avait faites. L'intendant de Gex avait, en effet, insolemment écrit: «Sachez que le roi a 9 000 hommes sur la Saône, qui seront ici dans un moment, avis à vous, messieurs de Genève.» Quand la petite république se fut mise en état de se défendre, le roi dut se borner à écrire à son résident, ces vaines paroles de menace: «Dites à ces messieurs de Genève qu'ils se repentiront bientôt de m'avoir déplu.»
Partout les tentatives de Louis XIV, pour se faire livrer les réfugiés, échouèrent misérablement, excepté auprès du duc de Savoie qui consentit à se faire le pourvoyeur des galères de France, en établissant des postes de garde tout le long de ses frontières, et en organisant une véritable chasse aux huguenots sur son territoire.
Voici comment furent traités Jean Nissolles et ses compagnons, arrêtés hors des frontières de France, auprès de Pignerol, et arrêtés, de la part du duc de Savoie.
«On nous sépara, dit Jean Nissolles. On mit Hourtet, Figuels et mon fils dans une certaine casemate, où l'on n'avait accoutumé que d'enfermer les plus grands scélérats. On n'y pouvait voir le jour que par un trou, l'eau y coulait de tous côtés et il n'y avait qu'un peu de paille pourrie, toute remplie de poux… On nous enferma, Claude et moi, dans un cachot si plein d'ordure et de la plus sale ordure, qu'elle remplissait presque jusqu'à la porte, et qu'à peine pûmes-nous y mettre une paillasse pour coucher. Le lieu était fort humide et d'une puanteur si insupportable, qu'un prisonnier des vallées de la Luzerne y était devenu tout enflé… Après vingt-trois jours de séjour dans de pareils endroits, et pendant la rigueur de l'hiver, on eut ordre de la cour de nous faire conduire dans notre pays et devant nos juges.»
En avril 1686, deux cent quarante émigrants passent la frontière savoyarde pour se rendre en Suisse, avec vingt-huit mulets portant les hardes et les petits enfants. Mais les curés des paroisses auxquelles les fugitifs appartenaient, avaient prévenu le curé de Saint-Jean de Maurienne, et ces fugitifs ne furent pas plus tôt sur le territoire de la Savoie, que les paysans appelés au son du tocsin, accoururent de toutes parts et les enveloppèrent. Faits prisonniers par ces sujets zélés de l'allié de Louis XIV, ils furent remis aux autorités françaises, et les juges envoyèrent les femmes en prison, les hommes aux galères.
Au mépris du droit des gens, Louis XIV faisait enlever les réfugiés, hors des frontières de la France, à l'étranger; il tenta même de faire enlever en pleine Hollande, le pasteur Jurieu, dont les pamphlets l'exaspéraient au plus haut degré.
Élie Benoît constate que les gardes des frontières allaient enlever les fugitifs descendus dans quelque auberge à deux ou trois lieues de la frontière, en sorte que, à proximité de la France, il n'y avait sûreté pour les émigrés que dans les villes fermées.
Vernicourt, conseiller au Parlement de Metz, fut pris par la garnison de Hombourg sur le territoire du Palatinat.
Le banquier Huguetin, établi en Hollande, avait fait une immense fortune. On attira ce réfugié en France, sous prétexte de négocier la restitution des biens qu'il avait laissés dans sa patrie. Pontchartrain l'obligea à souscrire des lettres de change pour plusieurs millions, mais Huguetin ayant pu révoquer à temps les ordres qu'on lui avait extorqués, s'empressa de repasser en Hollande. Poursuivi par les agents du gouvernement français, il fut enlevé par eux sur le territoire hollandais et, sans un heureux hasard qui lui permit de se faire reconnaître à la frontière, il eût fini ses jours dans quelque prison d'État.
Jean Cardel, originaire de Tours, avait fondé à Manheim une importante manufacture de drap. Accusé faussement (ainsi que le reconnaît La Reynie, dans une pièce qui se trouve aux archives de la Préfecture de police) d'une prétendue conspiration contre la personne du roi, il est enlevé par un détachement de troupes françaises entre Manheim et Francfort. Enfermé à la Bastille le 4 août 1690, le malheureux Cardel y reste trente ans; son esprit, disent les mémoires sur la Bastille, était dans une espèce d'égarement qui ne lui laissait que de fort légers intervalles de raison. Le 3 juin 1715, on le trouva mort dans le cachot fangeux où il languissait depuis si longtemps; son corps était chargé de soixante-trois livres de chaînes de fer. L'Électeur, le roi Guillaume, les États généraux et l'Empereur lui-même, avaient réclamé vainement la mise en liberté de Cardel, que Louis XIV avait fini par faire passer pour mort. — C'est ce qu'il avait fait pour les trois ministres, réclamés en 1713 en vertu du traité d'Utrecht. — C'est encore par un mensonge semblable, qu'il mit fin aux insistantes réclamations faites par la Porte, au sujet d'Avedick, patriarche de Constantinople, qu'il avait fait enlever et gardait au fond d'un cachot depuis plusieurs années. — Ce n'est que plus tard qu'Avedick mourut, et sa fin arriva si à propos pour tirer Louis XIV d'embarras, qu'on eut quelque peine à croire qu'elle fût naturelle.
Ces enlèvements de réfugiés à l'étranger n'étaient pas les seules marques qu'eût données Louis XIV de son mépris du droit des gens. Quand la France avait été dragonnée, on avait logé les soldats chez un grand nombre d'étrangers, allemands, anglais, hollandais, sous prétexte qu'ils étaient alliés à des familles françaises, et il fallut l'intervention des États généraux de Hollande et de l'ambassadeur d'Angleterre pour faire cesser ces incroyables abus de pouvoir. Le procureur du roi à Nantes, s'oppose au départ du négociant hollandais Wyterloft et fait saisir ses meubles, bien qu'il eût un passeport dans les règles, sous prétexte que, pour éviter d'être converti par les dragons, ce négociant veut émigrer avec toute sa famille, en ne laissant que son fils aîné comme plastron. Ce zélé convertisseur, ayant sans doute reçu quelques observations de son procureur général, à l'occasion de cette assimilation des étrangers aux Français, lui écrit: «Je prévois un inconvénient fâcheux qui va arriver, et sur lequel je vous prierai de spécifier votre ordre, qui est qu'y ayant ici un grand nombre d'étrangers non naturalisés que je prévois convertis à la venue des premiers dragons, et, après cela, ces gens feront leurs affaires et enverront tous leurs effets au pays dont ils sont, et ensuite voudront se retirer, et régulièrement on ne saurait point les en empêcher.» Pourquoi? s'il n'y a point de différence à faire? (entre étrangers et Français). — On trouve aux archives, des ordres pour faire entrer aux nouvelles catholiques de Paris, Mlle Betsy, Anglaise, pour en faire sortir Mlle du Cerceau et Mme de Bonroger, toutes deux Hollandaises.
Un envoyé du duc de Zell, ayant refusé de se laisser convertir, est jeté à la Bastille; on donne l'ordre d'enfermer dans cette prison de Villaines, écuyer de l'ambassadeur de Hollande, accusé de pervertir les nouveaux convertis, mais au dernier moment on recule devant cette violation flagrante du droit des ambassadeurs; on se borne à demander le rappel de l'écuyer de Villaines, mais, en même temps, on donne l'ordre de tenter de l'enlever, quant il se mettra en route avec sa famille pour rentrer en Hollande.
Quant aux réfugiés qui s'étaient fait naturaliser et avaient pris du service dans les armées étrangères, s'ils étaient faits prisonniers, ils étaient impitoyablement envoyés aux galères; c'est ce qui arriva aux réfugiés pris à Fleurus, c'est ce qui serait arrivé à lord Galloway, fils de Ruvigny, s'il fût resté aux mains des Français où il était tombé un instant au cours de la bataille de Nerwinde; et, cependant, dès 1680, Ruvigny son père, avant de quitter la France, avait pris soin de prendre en Angleterre des lettres de naturalisation pour lui-même et pour ses enfants.
Le roi croyait avoir assez fait pour ces dangereux _naturalisés _en publiant le 12 mars 1689, une ordonnance ainsi conçue:
«Sa Majesté ayant été informée que plusieurs officiers de ses troupes et autres ses sujets, qui depuis la publication de l'édit portant révocation de celui de Nantes, sont sortis du royaume et se sont retirés en Angleterre et Hollande, comme dans les pays neutres, se trouvent présentement embarrassés, dans l'appréhension qu'ils ont d'être obligés, à l'occasion de la présente guerre; ou de porter les armes contre leur véritable souverain, ou de perdre la subsistance qu'ils tirent dans lesdits pays; et Sa Majesté, voulant bien leur donner moyen de ne point tomber dans un pareil crime, qui a toujours été en horreur à la nation française, et d'éviter d'autre inconvénient, Sa Majesté a ordonné et ordonne, veut et entend, que tous ceux de ses sujets, de quelque qualité qu'ils soient, qui sont sortis du royaume à l'occasion de la révocation dudit édit de Nantes, et lesquels passeront au Danemark, pour y servir dans les troupes de Sa Majesté Danoise, qui est dans l'alliance de Sa Majesté, ou se retireront à Hambourg, pourront jouir de la moitié des biens qu'ils ont en France.»
Ce qui est plus excessif encore, c'est que les réfugiés naturalisés ou non qui étaient pris, non les armes à la main mais voyageant d'un pays à l'autre pour leurs affaires ou leur négoce, étaient aussi envoyés aux galères, en vertu de cette disposition de la déclaration du 31 mai 1685: «Les Français qui seront pris sur les vaisseaux étrangers, ou autres, et convaincus de s'être établis sans nôtre permission dans les pays étrangers, seront constitués prisonniers dans les prisons ordinaires des lieux… et condamnés aux galères perpétuelles».
C'est ainsi qu'Élie Neau, naturalisé Anglais, ayant été pris en mer par un corsaire de Saint-Malo, fut mis aux galères; il fut cruellement tourmenté par l'aumônier des galères, qui, ne pouvant venir à bout de sa constance, finit par demander qu'on le débarrassât d'un tel pestiféré. Élie Neau fut alors jeté dans un cachot sans jour ni air, où on le laissa souvent sans vêtements pour se garantir du froid et sans nourriture, et ce ne fut qu'au bout de cinq ans, sur les pressantes instances de lord Portland qu'il fut enfin mis en liberté.
Pour les huguenotes qui étaient prises en mer, elles étaient mises au couvent où on les convertissait. Trois jeunes filles partent de la Caroline où leur père était fixé, pour se rendre en Angleterre où une femme de qualité s'était chargée de les faire élever; le vaisseau qui les portait est pris et on les met au couvent. L'aînée se fait religieuse, et les deux autres soeurs se convertissent; dix ans après leur capture, l'intendant de Bretagne demande pour elles une dot afin de les marier à deux anciens catholiques. La demoiselle Falquerolles, fameuse protestante dit Pontchartrain, qui avait été prise sur un vaisseau anglais, capturé par un armateur de Dunkerque, résista à tous les efforts faits pour la convertir, on dut se résigner à l'expulser du royaume comme opiniâtre.
C'était, sans croire qu'ils renonçaient pour toujours à leur patrie, que les huguenots avaient pris la route de l'exil. «Nous partons, avaient-ils dit, comme Olry, mais seulement jusqu'à ce que Dieu nous ramène dans les lieux d'où l'on nous a déchassés par la violence que l'on a exercée contre nos consciences». Avec cet espoir persistant du retour, ces réfugiés ne se considéraient que comme les hôtes passagers des pays qui les avaient accueillis. En 1697, dans le Brandebourg, les Églises françaises célébraient encore un jeûne solennel pour le retour en France, et jusqu'en 1703, les pasteurs de ces Églises se refusèrent à dresser la liste, des membres qui composaient leurs troupeaux, dans la crainte de donner une constitution définitive à un état de choses qu'ils ne considéraient que comme provisoire. Si un grand nombre de huguenots, cinq ou six mille, se fixèrent à Cassel, c'est, dit Weiss, «parce qu'ils étaient heureux de ne pas s'éloigner beaucoup de leur pays natal, dans lequel ils espéraient être rappelés un jour.»
«Si, dit Maritofer, troupe par troupe, on voyait les réfugiés se succéder en Suisse avec la même persistance, c'est qu'aussi la Suisse leur offrait le plus court chemin, pour retourner chez eux. Le regret de la patrie perdue leur rendait plus difficile de prendre racine dans les asiles qui s'ouvraient à eux et de se fondre avec leurs frères en la foi, si charitables et si dévoués qu'ils se montrassent à leur égard; aussi voyons-nous partout les émigrés, chercher à se grouper en nombre, à former une paroisse à part, avec ses préposés et son administration propre, afin de pouvoir à la première occasion retourner tous ensemble au pays.»
Cette préoccupation de se grouper ensemble, pour se faire sur le sol étranger une petite France, à l'image de la patrie perdue, on la retrouve partout chez les réfugiés, en Hollande, en Angleterre, en Amérique, en Allemagne et en Suisse.
C'est en Hollande, en Angleterre, dans le Brandebourg et dans les différents États de l'Allemagne, que se fixa la plus grande partie des réfugiés.
Si un si grand nombre d'entre eux allèrent se fixer dans le Brandebourg, vingt-cinq mille militaires, gentilshommes, gens de lettres, artistes, marchands manufacturiers, cultivateurs, c'est que pour les attacher au pays, Frédéric Guillaume laissait les colonies d'émigrants subsister dans une certaine mesure en corps de nation. Les réfugiés avaient leurs cours de justice, leurs consistoires, leurs synodes, et toutes les affaires qui les concernaient se traitaient en français. Il leur semblait qu'ils vivaient encore parmi leurs parents et leurs amis, tant le Brandebourg leur retraçait l'image de la patrie absente.
Si les pasteurs retardèrent jusqu'en 1703 la formation des registres des églises du Brandebourg, c'est parce qu'ils craignaient, nous le répétons, tant l'esprit du retour était resté fermement enraciné dans les coeurs, de donner, par la formation des listes, une apparence définitive à la constitution de leurs troupeaux. Ainsi que le dit Jurieu, «les réfugiés s'obstinaient à conserver ce coeur Français qu'on s'efforçait de leur arracher.»
Il ne faut pas croire que dès le début; les réfugiés prenant les armes sous le drapeau des puissances protestantes qui leur avaient donné asile, eussent perdu l'amour de leur patrie; un grand nombre d'officiers, en s'engageant dans l'armée hollandaise, avaient stipulé qu'ils ne combattraient point contre la France. Si tant de réfugiés vinrent s'enrôler dans l'armée de Guillaume d'Orange, et verser leur sang pour lui assurer la possession du trône d'Angleterre, ils furent, surtout poussés à le faire par le désir de se constituer, en la personne de Guillaume, un protecteur assez puissant; pour qu'il put imposer un jour à Louis XIV le rappel des huguenots. La lettre suivante écrite par le baron d'Avejon pour provoquer des engagements dans son régiment, destiné à prendre part à l'expédition d'Angleterre, montre bien que, pour les réfugiés, il s'agissait là d'une sorte de croisade en vue du retour ultérieur dans la patrie. «Je m'assure, dit-il, que vous ne manquerez pas de faire publier dans toutes les Églises françaises de Suisse, l'obligation où sont les réfugiés de nous venir en aide dans cette expédition, où il s'agit de la gloire de Dieu, et, dans la suite, du rétablissement de son Église dans notre patrie.»
Le succès de la bataille de la Boyne eût peut-être été pour les réfugiés le gage assuré d'un retour prochain en France, si leur chef, le maréchal de Schomberg, n'eût pas trouvé la mort sur le champ de bataille. Deux ans plus tard, après le combat naval de la Hogue, Guillaume décidait qu'une descente serait faite en France et qu'on ferait appel au concours des nouveaux convertis. Les régiments de réfugiés avaient été désignés pour former l'avant- garde du corps expéditionnaire que devait commander Ménard de Schomberg, fait comte de Leinster.
Mais les vents contraires ayant empêché le débarquement, et la saison avancée ne permettant pas de donner suite à ce projet de descente en France, il fut abandonné, et, depuis ce moment, jamais il ne fut fait, une tentative sérieuse pour rétablir, de haute lutte, le culte protestant en France.
Un des premiers chefs des révoltés des Cévennes, Vivens, un ancien cardeur de laine, avait appelé à lui, mais vainement, tous les réfugiés; l'entente eût-elle été possible entre les gentilshommes émigrés, et les obscurs artisans, chefs improvisés de la démocratique insurrection des Cévennes? Cela semble d'autant plus douteux que l'on voit d'Aigullières et les nobles nouveaux convertis de Nîmes supplier le gouvernement de Louis XIV de leur donner des armes pour aller exterminer les Cévenols, _ces malheureux fanatiques; _si l'on eût pu amener les réfugiés qui versaient leur sang sur tous les champs de bataille pour leurs patries d'occasion, à s'unir au dernier chef des Cévenols, Roland, il est incontestable qu'ils eussent eu grande chance de réussite et que Louis XIV aurait pu se voir contraint à rétablir l'édit de Nantes.
Mais rien de sérieux ne fut tenté par les réfugiés pour venir au secours de l'insurrection cévenole, la flotte que Ricayrol amenait en 1704 au secours des insurgés est dispersée par la tempête. L'année suivante, alors que Roland, le grand organisateur des révoltés, périt victime d'une trahison, La Bourlie, Miramont et Belcastel de l'étranger où ils sont réfugiés, tentent d'organiser dans le Languedoc une vaste conspiration; Bonbonnoux, un des derniers chefs camisards, parle ainsi de cette aventure: «Quelques-uns de ceux qui avaient suivi Cavalier dans les pays étrangers, étant de retour dans nos provinces, leurrés par quelques puissances étrangères, roulaient de vastes projets dans leurs esprits. Il ne s'agissait pas de moins que de se rendre maître de la province et de mettre quarante mille hommes sur pied au premier signal… Mais lorsque la lourde machine est prête à jouer, le secret s'évente et tout le projet tombe; heureux, si par sa chute il n'avait pas entraîné la perte des principaux qui l'avaient formé. Mais quelle cruelle boucherie n'en fit-on pas! Vélas fut étendu sur une roue, Catinat et Ravanel périssent sur un même bûcher, Flessière est tué sur place.»
Infatigable conspirateur, La Boulie, fils d'un lieutenant général, ancien sous-gouverneur de Louis XIV, ne cessa, jusqu'au jour de sa mort, de faire de nouveaux complots qui n'aboutirent pas.
Déjà, en 1703, retiré dans son manoir de Vareilles, d'où il lançait de nombreuses proclamations, il avait tenté d'organiser un soulèvement général des catholiques et des protestants contre le gouvernement de Louis XIV. Montrant que, par suite de la suppression de toutes les libertés, le pouvoir sans limites du roi surchargeait impunément le peuple d'impôts insupportables, il invitait tous les Français à briser les fers de leur honteux esclavage et à réclamer les armes à la main la convocation des États généraux. Pendant qu'il préparait le soulèvement du Rouergue, il chargeait le capitaine Boëton de s'entendre avec les chefs camisards pour agir avec eux. Mais Catinat, lieutenant de Cavalier, ayant pris les devants et ayant fait brûler quelques églises dans le canton où l'on devait se rencontrer, fut attaqué par les milices catholiques qui dispersèrent sa troupe. Boëton arrivant avec six cents hommes, ne trouve plus ses alliés, il est obligé de gagner la montagne et de s'enfermer dans le château de Ferrières, où il est attaqué par des forces supérieures et obligé, de se rendre avec sa troupe.
Si La Boulie avait pu réunir tous les éléments de résistance épars sur les divers points du territoire, faire marcher ensemble les catholiques et les protestants pour la revendication des libertés perdues et la suppression des impôts, réduisant à la plus horrible misère la gent taillable et corvéable à merci, il eût transformé la guerre religieuse en une guerre sociale qui eût pu constituer un grave péril pour le gouvernement.
Quelques années auparavant déjà, les souffrances du peuple avaient amené des troubles sérieux en Bretagne et en Guyenne, et la misère était telle partout, qu'elle eût servi puissamment la Cause de La Bourlie, s'il avait pu réaliser le soulèvement général qu'il avait rêvé. Pour qu'on puisse se rendre compte du puissant appui qu'eût rencontré dans la misère générale le soulèvement général rêvé par La Bourlie, il n'est pas inutile de montrer par quelques citations, ce qu'était cette misère au bon vieux temps.
«Par toutes les recherches que j'ai pu faire depuis plusieurs années que je m'y applique, dit le maréchal de Vauban, j'ai fort bien remarqué que dans ces derniers temps, la dixième partie du peuple est réduite à la mendicité, et mendie effectivement; que, des neuf autres parties, il y en a cinq qui ne sont pas en état de faire l'aumône à celle-là, parce qu'eux-mêmes sont réduits, à très peu de chose près, à cette malheureuse condition; que des quatre autres parties qui restent, les trois sont fort mal aisées et embarrassées de dettes et de procès, et que, dans la dixième; où je mets tous les gens d'épée, de robe, ecclésiastiques et laïques; toute la noblesse haute la noblesse distinguée et les gens en charges; militaires et civils, les bons marchands; les bourgeois rentés et les plus accommodés, on ne peut pas compter sur cent mille familles, et je ne croirais pas mentir quand je dirais qu'il n'y en a pas dix mille, petites ou grandes, qu'on puisse dire être fort à leur aise… De tout temps en France on n'a pas eu assez d'égards pour le menu peuple… aussi c'est la partie la plus ruinée et la plus misérable du royaume. Les biens de la campagne rendent le tiers moins de ce qu'ils rendaient il y a trente ou quarante ans, surtout dans les pays ou les tailles sont personnelles. Les puissants font dégrever leurs fermiers, leurs parents, leurs amis… Les paysans ont renoncé à élever du bétail et à améliorer la terre dans la crainte d'être accablés par la taille, l'année suivante. Ils vivent misérables, vont presque nus, ne consomment rien et laissent dépérir les terres. Les paysans arrachent les vignes et les pommiers à cause des aides et des douanes provinciales… Le sel est tellement hors de prix qu'ils ont renoncé à élever des porcs, ne pouvant conserver leur chair. Des agents employés à lever les revenus, de cent il n'y en a pas un qui soit honnête, et, par le fer et le feu, il n'y a rien qu'on ne mette en usage pour réduire ce peuple au pillage universel. Et tous les pays qui composent le royaume sont universellement ruinés.»
Une relation de 1669, qui se trouve aux manuscrits de l'arsenal dit: «Plusieurs femmes et enfants ont été trouvés morts sur les chemins et dans les blés, la bouche pleine d'herbes, dans le Blaisuis, ils sont réduits à pâturer l'herbe et les racines tout ainsi que des bêtes, ils dévorent les charognes, et, si Dieu n'a pitié d'eux, ils se mangeront les uns les autres.»
Au mois de mai 1673, Les diguières écrit à Colbert: «La plus grande partie de la province (le Dauphiné) n'ont vécu pendant l'hiver, que de pain, de glands et de racines, et présentement on les voit manger l'herbe des prés et l'écorce des arbres».
Une relation adressée à l'évêque d'Angers, 1680 à 1686, porte: «Nous entrons dans des maisons qui ressemblent plutôt à des étables qu'à des demeures d'hommes. On trouve des mères sèches qui ont des enfants à la mamelle et n'ont pas un double pour leur acheter du lait. Quelques habitants ne mangent que du pain de fougères, d'autres sont trois ou quatre jours sans en manger un morceau.»
En 1693 et 1694, la guerre, la disette et la peste font de la France un désert. Les villes se dépeuplent, les villages deviennent des hameaux, les hameaux disparaissent jusqu'au dernier homme. En 1709, on fait avec de l'orge un pain grossier qui prend le nom de pain de disette. D'autres réduisent en farine et pétrissent en pain la racine d'arum, le chiendent, l'asphodèle. Le plus grand nombre dans les campagnes, après qu'on eut vendu pour payer l'impôt le peu qu'on avait récolté, durent brouter l'herbe que les animaux, dévorés depuis longtemps, ne pouvaient plus leur disputer.
Ces quelques citations montrent qu'on ne peut accuser La Bruyère d'exagération quand il fait cette peinture des paysans de l'ancien régime: «On voit certains animaux farouches, des mâles et des femelles, répandus par la campagne, noirs; livides et tout brûlés par le soleil, attachés à la terre, qu'ils fouillent avec une opiniâtreté invincible; ils ont comme une voix articulée, et, quand ils se lèvent sur leurs pieds, ils montrent une face humaine, et en effet ce sont des hommes, ils se retirent la nuit dans des tanières, où ils vivent de pain, d'eau et de racines.»
L'erreur des réfugiés, c'était de pas comprendre qu'il n'y avait pas d'autre moyen de rétablir de haute lutte le culte protestant en France, que de venir eux-mêmes, sous leur propre drapeau, et non sous le drapeau des ennemis de la France, opérer ce rétablissement, comme le firent les Vaudois rentrant dans leur pays.
Tout au contraire; ils supposaient que les huguenots ou nouveaux convertis restés en France, étaient prêts à seconder toutes les attaques dirigées contre leurs persécuteurs par des armées étrangères dans lesquelles se trouvaient quelques régiments d'émigrés français dénationalisés.
En 1696, une flotte anglaise s'approchant des côtes du Poitou était venue bombarder les Sables, le gouvernement craignait qu'une descente des Anglais fût combinée avec un soulèvement des huguenots, ceux-ci ne bougèrent pas. En 1703, l'armée du duc de Savoie entre dans le Dauphiné, et cette armée comptait plusieurs régiments de réfugiés, les huguenots de la province ne se joignent pas aux envahisseurs de leur patrie.
Dix-huit ans plus tard, un intendant, pour montrer que les huguenots du Dauphiné ne sont pas disposés à faire de mouvements, ainsi qu'on le prétend, rappelle qu'ils sont restés tranquilles dans deux circonstances critiques: la guerre des Cévennes et l'invasion de la province par le duc de Savoie. En 1719, on fait craindre au régent que les huguenots du Midi ne veuillent s'associer aux projets formés contre lui par Albéroni. L'ambassadeur de France en Hollande prie le pasteur Basnage d'intervenir, et celui-ci écrit aux prédicants de France que leur devoir est de rendre à Dieu ce qui est à Dieu, et à César ce qui est à César. Court, le restaurateur des églises en France, affirme que le bruit d'un soulèvement des huguenots est une invention des catholiques.
Le régent envoie dans le Languedoc M. de la Bouchetière, un émigré du Poitou, et celui-ci, après avoir sondé ses coreligionnaires, peut rassurer complètement le duc d'Orléans. En 1720 encore, une lettre du prédicant Cortés fait renoncer le gouvernement aux inutiles mesures de précaution qu'il avait cru devoir prendre en vue d'une révolte dans les Cévennes.
En 1746, des vaisseaux anglais se montrent sur la côte du Languedoc, et l'on annonce au gouvernement que des émissaires étrangers vont s'entendre avec les huguenots du Midi. L'intendant fait sonder les intentions des protestants du Midi, et treize pasteurs protestent énergiquement de leur fidélité à la France. Viala écrit: «Dieu nous est témoin qu'il ne se passe rien dans nos assemblées qui tende le moins du monde à troubler la tranquillité de l'État, et je ne connais aucun protestant dans ce pays, capable de favoriser les Anglais.»
Paul Rabaut écrit de son côté au ministre: «En conscience, et comme devant Dieu qui sonde les coeurs et les reins, je puis vous assurer, monseigneur, que je n'ai jamais eu de liaison personnelle, de commerce de lettres, de correspondance directe ou indirecte avec les Anglais, que je n'ai jamais vu ni connu, encore moins introduit et favorisé des émissaires des cours de Londres, de Vienne et de Turin, et que, si l'une ou l'autre de ces cours m'en adressait quelqu'un qui fût destiné et employé à renverser le système de la France, à exciter de nouveaux troubles dans notre royaume, à armer les protestants français contre les catholiques français, la France contre la France, je me conduirais à son égard de la manière qu'un bon patriote, un véritable chrétien, un pasteur religieux, devrait alors se conduire.»
Rabaut avait d'autant plus de mérite à faire cette patriotique protestation que dans le même moment de nouvelles persécutions étaient exercées contre les protestants «rendus infiniment plus malheureux disait-il, au milieu du peuple de France que ne le sont les Juifs au milieu des peuples les plus barbares.» Ce qui passe l'imagination, c'est de voir les huguenots, pour lesquels les persécutions ne ralentissaient pas, sous Louis XIV comme après lui, que lorsque une guerre avec l'étranger ôtait au gouvernement la libre disposition de ses troupes, aller jusqu'à prier pour leur persécuteur et pour ses succès militaires.
En 1744 même, les synodes des Cévennes et du Languedoc prescrivaient un jeûne solennel pour demander à Dieu la conservation du roi et la prospérité de ses armes.
Le système de moutonnerie chrétienne prêché par les pasteurs à leurs fidèles, était de se laisser dépouiller, brigander et égorger sans résistance; un tel système non seulement interdisait absolument aux nouveaux convertis de songer à seconder une tentative armée des réfugiés, mais encore devait les amener jusqu'à blâmer la conduite de ceux qui s'étaient soustraits par la fuite à l'étranger, aux violences des convertisseurs.
Voici, en effet, la lettre pastorale qui était adressée en 1782 aux huguenots de Cuère: «Faites en sorte qu'aucun de vos concitoyens ne vous surpasse en patriotisme, disputez-leur à tous la gloire d'aimer et de servir votre prince… plus vous serez utiles à la France, plus elle sentira qu'elle doit vous accorder une tolérance fondée sur les lois. Il est d'autres pays où vous pourriez suivre les mouvements de votre coeur, célébrer la bonté de Dieu comme il vous a paru digne de lui. Malgré cela, n'ayez jamais de projet pour vous éloigner de votre pays, gardez-vous de porter vos talents et vos arts chez vos voisins, ce serait tendre à faire naître la misère dans notre province, ce serait vous exposer à devenir un jour les ennemis de votre patrie, à porter les armes contre elle, à verser le sang de vos frères.»
Il fut heureux pour la cause de la liberté de conscience, que les gouvernants ne se rendissent pas compte, de ce que la théorie de l'obéissance absolue au prince, prêchée par les pasteurs, leur eût tout permis, sans lasser la patience de huguenot des persécutés.
Mais le souvenir de l'insurrection des Cévennes hantait la cervelle des gouverneurs et des intendants; chaque fois que la France était attaquée par ses ennemis, on interrompait les persécutions, dans la crainte de voir les huguenots suivre l'exemple des terribles montagnards qui avaient tenu en échec les armées du grand roi.
Sauf le parti militaire de l'émigration, les réfugiés, ainsi que les nouveaux convertis, n'attendaient la restauration du culte protestant en France que d'un changement de politique qui serait spontanément adoptée par le gouvernement ou qui lui serait imposé par un traité conclu avec les puissances protestantes.
Pendant plus de vingt ans, ils persistèrent à espérer que ces puissances profiteraient de leurs succès militaires pour obtenir de Louis XIV, par des négociations, le rétablissement du culte protestant en France. Invoquant les précédents des traités de Westphalie, de Munster et d'Osnabruck, à l'occasion desquels on avait vu le roi de France défendre, contre la maison d'Autriche, les intérêts des princes protestants de l'Allemagne, ils demandaient que le roi Guillaume et ses alliés fissent une condition de la paix du rappel des réfugiés et du rétablissement de l'édit de Nantes en France.
Les plénipotentiaires protestants à Ryswick se bornèrent à remettre à l'ambassadeur de France un mémoire lui recommandant ces pauvres gens, afin qu'il leur fût procuré le soulagement après lequel ils soupiraient depuis si longtemps. Louis XIV, irrité de la faiblesse qu'avait montrée son ambassadeur en prenant ce mémoire avec promesse de l'envoyer à la cour, fit déclarer officiellement que ce mémoire n'avait pu lui être remis, bien qu'il l'eût reçu.
Quoique Guillaume, en 1697 eût refusé de risquer d'accrocher les négociations de paix pour un objet aussi secondaire que les réclamations des huguenots de France, cependant, en 1713, les délégués des réfugiés insistent encore vivement auprès des plénipotentiaires protestants pour qu'il soit inséré dans le traité d'Utrecht une clause relative au rappel des émigrés en France.
Mais depuis 1709, une partie des réfugiés s'étaient fait naturaliser dans leurs pays d'adoption, dont ils s'étaient considérés aussi longtemps comme des hôtes passagers, et; parmi les émigrés, il s'était formé un parti puissant hostile au retour en France.
Quant aux puissances protestantes, nulle d'entre elles ne désirait voir rentrer en France les émigrés qui avaient versé leur sang sur tous les champs de bataille pour elles, les avaient dotées d'industries florissantes et avaient su faire un jardin de leurs terres incultes, même des sables de la Prusse et du Holstein. Par bienséance, les ministres de la reine Anne formulèrent une demande de rappel des réfugiés, mais ils ne tentèrent pas de triompher des résistances obstinées de Louis XIV, ils eussent comme les plénipotentiaires des autres puissances protestantes, bien regretté de voir cette demande obtenir satisfaction.
Les puissances protestantes savaient bien, en effet, que c'était la persécution qui leur avait valu, outre tant de bons marins et de valeureux soldats, le concours de nos fabricants et de nos ouvriers, leur apportant nos secrets agricoles et industriels ainsi que les capitaux nécessaires pour les utiliser, ce qui leur avait permis de cesser d'être, comme par le passé, les tributaires de la production française.
La signature du traité d'Utrecht avait fait perdre définitivement aux réfugiés l'espoir d'obtenir leur rappel en France par l'intervention des puissances protestantes; ils eurent cependant encore cette illusion à la mort de Louis XIV, de croire que le régent allait spontanément renoncer à la politique d'intolérance qui leur avait fermé si longtemps les portes de leur patrie, mais ils furent; bientôt cruellement détrompés: Enfin, en 1724, l'édit remettant en vigueur toutes les ordonnances édictées par Louis XIV, vint signifier un ordre éternel d'exil à tous les émigrés qui s'obstinaient à espérer contre toute espérance, tant le regret du pays natal leur tenait à coeur.
Quatre cents familles huguenotes établies dans la Caroline, voyant qu'elles doivent perdre l'espoir de rentrer en France, demandent qu'on leur accorde au moins la permission de s'établir en Louisianne, sur une terre française, à la seule condition que sur cette terre lointaine on leur accordera la liberté de conscience. À cette patriotique requête, Pontchartrain répond: «Que le roi n'avait pas chassé ses sujets protestants de ses États d'Europe pour leur permettre de former une république dans ses possessions d'Amérique.»
N'est-ce pas chose touchante que la persistance de l'amour de la France, chez ces réfugiés que la persécution avait chassés de leur patrie et qui rêvaient toujours de venir mourir sur une terre française?
Le Gouvernement, aussi bien sous la régence et sous Louis XV que sous Louis XIV interdisait aux réfugiés de revenir individuellement en France, soit pour s'y fixer, soit même pour n'y faire qu'un séjour passager, à moins qu'ils ne consentissent à abjurer.
Ainsi Bancillon conte qu'un sieur de la Roche vint à la France en 1713 avec un passeport de l'ambassadeur de France, d'Aumont, et un autre de la reine d'Angleterre, qui avait beaucoup de considération pour lui.
M. de la Roche était de Montpellier et il espérait qu'en allant respirer l'air natal, sa santé se rétablirait, mais à Paris, on lui montre un ordre qui défend à tout réfugié de rentrer dans le royaume à moins de faire abjuration; il ne pousse pas plus loin que Paris et revient au plus vite en Angleterre. En 1753 encore, le réfugié Arnaud, malgré l'appui de la duchesse d'Aiguillon, ne peut obtenir la permission d'entrer en France pour conduire sa femme malade dans le Dauphiné. À la mort de Louis XIV, plusieurs réfugiés croient pouvoir rentrer dans leur patrie, pensant que, à l'occasion des changements qui viennent d'arriver, on ne les contraindra point à abjurer.
Les commandants de troupes écrivent aux évêques pour leur dire de réclamer aux curés l'état des fugitifs qui sont rentrés dans leurs paroisses, afin que les troupes obligent ceux-ci soit à abjurer, soit à repasser la frontière. Le régent, apprenant que Henri Duquesne, le fils de l'amiral, est venu à Paris, le fait prévenir par le lieutenant de police de La Reynie, d'avoir à sortir immédiatement du royaume, sous peine d'être jeté à la Bastille. Et pendant tout le règne de Louis XV, on tient la main à la stricte observation de cette règle: ne permettre aux réfugiés la rentrée en France qu'au prix d'une abjuration. En 1756, le réfugié Télégny prie l'intendant Lenain d'intervenir pour qu'il lui soit permis de revenir, sans subir cette dure condition. Le secrétaire d'État, Saint-Florentin répond à Lenain: «Je conviens avec vous qu'il serait plus avantageux à l'État de ne pas tant perdre de sujets, ou d'en recouvrer davantage, mais la loi est faite et subsiste depuis longtemps dans toute sa rigueur, et ce serait renverser l'ouvrage de soixante ans que d'y porter la moindre atteinte.»
En 1763, l'archevêque de Canterbury demande qu'on laisse entrer en France le réfugié Bel et qu'on lui rende ses biens qui on été confisqués. Saint-Florentin répond au duc de Choiseul, qui lui avait transmis cette demande, quelle n'est pas susceptible de faveur et il motive ainsi son refus: «Si M. Bel se présentait en qualité de catholique pour obtenir son retour en France et le rétablissement dans tous ses droits civils, il pourrait mériter d'être écouté, mais les déclarations du roi de 1698 et de 1725, excluent pour toujours du royaume tout Français réfugié pour cause de religion, à moins qu'il n'ait abjuré. Il paraît qu'on ne doit pas non plus y laisser revenir, ni encore moins rétablir dans ses biens, un homme qui a été condamné pour fait de religion, et qui n'a pas, autant qu'il est en lui, et par une abjuration indiquée par la loi, réparé le crime qui a fait le texte de sa condamnation. Ce serait réintégrer dans le royaume un coupable, autorisé, pour ainsi dire, dans son erreur, et aussi dangereux pour la religion que pour l'État.»
Ainsi que nous l'avons dit, au début de l'émigration, les réfugiés avaient afflué en Suisse, en Hollande, en Angleterre et dans les états de l'Allemagne, et bien qu'ils se groupassent pour se constituer une sorte de petite France sur le sol étranger, ils ne s'éloignaient pas, afin de pouvoir saisir la première occasion de revenir dans leur patrie.
Ce ne fut qu'après avoir perdu l'espoir de rentrer en France que les réfugiés se dispersèrent sur tous les points du globe, devenant une sorte de rosée féconde et civilisatrice pour le monde entier. On trouve un assez grand nombre de réfugiés en Danemarck, à Copenhague, à Altona, à Frédéricia et à Gluckstadt, il y en a en Russie, à Saint-Pétersbourg et à Moscou; quelques uns même allèrent s'établir sur les bords du Volga. En Suède, l'intolérance luthérienne réduisit l'émigration à fort peu de chose. Beaucoup de réfugiés s'établirent dans les provinces de l'Amérique anglaise; la Caroline du Sud, entre autres, donna asile à un assez grand nombre d'émigrants, pour recevoir des Américains, la qualification de la maison des huguenots dans le nouveau monde.
Quelques centaines de huguenots s'établirent à Surinam, dans la Guyane Hollandaise. Quelques milliers se fixèrent au cap de Bonne- Espérance et c'est une famille de réfugiés, les Desmarets, qui dota cette colonie hollandaise du fameux vin de Constance. En 1795, un du Plessis, descendant d'une famille noble de réfugiés, défendit avec une poignée de burghers un défilé, si courageusement, que le général anglais devenu gouverneur de la colonie, lui offrit un fusil d'honneur.
«On força, dit Rabaut Saint-Étienne, trois ou quatre cent mille Français à s'exiler de leur patrie. Ils allèrent enrichir de leurs travaux la Suisse, dix provinces de l'Allemagne, les campagnes de Hollande, d'Angleterre, de Danemarck, de Suède et les sables arides du Brandebourg. Ce furent eux qui firent le fond des premiers établissements de ces colonies anglaises de l'Amérique qui étonnent aujourd'hui l'ancien continent. Ils passèrent les premiers au cap de Bonne-Espérance, où ils plantèrent la vigne pour y conserver le souvenir de leur ancienne patrie. On en trouve dans tous les établissements des Européens, en Asie et en Afrique, et dans quel pays n'en trouverait-on pas? Sur le rocher de Sainte- Hélène, près du pôle austral, dans cette île délicieuse située entre l'Asie et l'Amérique, à quatre mille lieues de leur patrie, on a trouvé des réfugiés français.»
L'obstination mise par Louis XIV à refuser de rappeler les huguenots en France, n'aurait pas amené cette dispersion des réfugiés, si le grand roi n'avait pas commis cette nouvelle faute de faire échouer le projet conçu en 1689, par Henri Duquesne, le fils de l'amiral, de réunir tous les réfugiés et de fonder avec eux, à l'île Bourbon, une nouvelle France protestante, placée sous le protectorat de la Hollande. Des circulaires avaient annoncé à tous les réfugiés de l'Angleterre, du Brandebourg, de la Suisse, de l'Allemagne et de la Hollande, le prochain départ pour la terre promise. Les États généraux de Hollande avaient autorisé Duquesne à équiper dix vaisseaux, les préparatifs avaient été poussés avec tant d'ardeur que, dans les premiers mois de 1690, les vaisseaux à l'ancre au Texel, n'attendaient plus que le signal du départ. La Trigodière, capitaine du génie qui devait fortifier était déjà embarqué avec une partie des colons, le comte de Monros, qui devait prendre les devants, allait mettre à la voile, lorsque tout à coup Duquesne annonce qu'il renonce à son projet.
Il fait débarquer les colons et désarmer les vaisseaux.
Qu'était-il arrivé? L'espion de l'ambassadeur de France en Hollande, Tillières, avait appris que les huguenots allaient s'embarquer, emportant douze cent mille livres d'espèces, pour fonder une république protestante sous la présidence de Duquesne. Un des capitaines des émigrants lui avait dit qu'il y aurait là quatre cent personnes bien décidées à se battre et à se faire sauter à la dernière extrémité. Faisant observer que, pourvu qu'on prît l'argent, ce ne serait pas une grande perte que celle de la personne des émigrants, l'honnête Tillières avait demandé que le gouvernement français envoyât des vaisseaux pour s'opposer au débarquement des colons, et il avait été fait droit à sa demande. Duquesne, en apprenant que des vaisseaux de guerre partaient de France pour livrer bataille à la flottille qu'il allait conduire à l'île Bourbon, avait cru devoir renoncer à son expédition, afin de ne pas violer le serment qu'il avait fait à son père, de ne jamais combattre contre les Français.
Ce projet de création d'une France protestante au delà des mers, rêvé par Coligny au XVIe siècle; eût certainement réussi au moment où Duquesne voulait le réaliser, car alors, les huguenots émigrés n'avaient pas encore pris racine dans les pays qui leur avaient donné asile. Dans la seconde, moitié du XVIIIe siècle, le pasteur Gilbert, à la suite d'une recrudescence de persécution contre les huguenots de France, voulut reprendre le projet de Duquesne, mais il n'était plus temps; les réfugiés s'étaient fondus avec les peuples qui les avaient accueillis, et les huguenots ou nouveaux convertis restés dans leur pays, n'avaient plus la même ardeur d'émigration. Gilbert n'aboutit qu'à faire sortir de France en 1764, une poignée de nouveaux émigrants qui allèrent rejoindre les réfugiés établis depuis longtemps dans la Caroline.
On regrette d'autant plus vivement l'avortement du projet de
Duquesne; quand on réfléchit au rôle prépondérant que les réfugiés
et leurs descendants ont joué dans toutes les guerres que la
France a eu à soutenir depuis la révocation de l'édit de Nantes.
La petite armée de onze mille hommes avec laquelle Guillaume d'Orange alla conquérir le trône d'Angleterre et détrôner Jacques, l'allié de Louis XIV; comptait trois régiments d'infanterie et un escadron de cavalerie, composés entièrement de réfugiés. En outre, sept cent trente six officiers, formés à l'école de Turenne et de Luxembourg, étaient répartis dans les divers régiments de l'armée de Guillaume, armée dont le commandant en chef était le maréchal de Schomberg, et ou l'artillerie était commandée par Goulon, un des meilleurs élèves de Vauban. À la bataille de la Boyne, en 1688, le Maréchal de Schomberg décida de la victoire en entraînant ses soldats par ces paroles: «Allons, mes amis, rappelez votre courage et vos ressentiments, voilà vos persécuteurs!» Au combat de Neuss, les grands mousquetaires, corps composé de réfugiés; attaquèrent les troupes françaises avec fureur.
Au siège de Bonn, les corps de réfugiés, commandés pour l'assaut, sur leur demande expresse, se précipitèrent avec un tel acharnement que tous les ouvrages extérieurs furent emportés; ce qui entraîna le lendemain la reddition de la place. À la Marsaille, les réfugiés sont décimés, Charles de Schomberg est tué; comme son père l'avait été à la Boyne, après avoir chèrement fait acheter la victoire à Catinat. À Fleurus de Schomberg avait empêché Luxembourg de tirer parti de la victoire.
Ruvigny, fait comte de Galloway, triomphe à Agrim; à Nerwinde il soutient presque seul, à la tête de son régiment, l'effort de toute la Cavalerie française, et couvre, par une résistance désespérée la retraite de l'armée anglaise. En 1706, il entre à Madrid à la tête de l'armée anglaise victorieuse, et fait proclamer Charles III, le prétendant autrichien opposé à Philippe V. Il avait eu un bras emporté par un boulet au siège de Badajoz, et il fut blessé d'un coup de sabre à la figure à la bataille d'Almanza. C'est à cette bataille que le régiment de réfugiés, commandé par le Cévenol Cavalier, se trouva en face d'un régiment français qui avait pris part à la terrible guerre des Cévennes.
Les deux régiments s'abordèrent à la baïonnette et s'entr'égorgèrent avec une telle furie qu'il n'en resta pas trois cents hommes.
Enfin partout, en Irlande, sur le Rhin, en Italie et en Espagne; les corps de réfugiés furent le plus solide noyau des troupes opposées à l'armée de Louis XIV; partout ils versèrent leur sang pour leurs patries d'adoption.
De tous les États de l'Europe, c'est la Prusse qui a le plus largement profité, pour le développement de sa puissance militaire, de la double faute, qu'avait commise Louis XIV, en obligeant ses sujets huguenots à quitter leur pays, et en empêchant Duquesne de réunir tous les réfugiés à l'île Bourbon.
L'armée de Frédéric Guillaume, comptait les grands mousquetaires, les grenadiers à cheval, les régiments de Briquemault et de Varennes, et les cadets de Courmaud, corps exclusivement composé de réfugiés. En 1715, c'est le réfugié Jean de Bodt, major général, qui, ayant sous ses ordres de Trossel et de Montargues, deux autres réfugiés, dirige les opérations militaires sur les bords du Rhin, jusqu'aux traités de Radstadt et de Bade; sous Frédéric II, les fils des réfugiés prennent une part glorieuse à la guerre de Sept Ans et les noms de neuf généraux d'origine française sont inscrits sur le socle de la statue élevée dans la ville de Berlin à Frédéric le Grand.
Il est difficile de savoir quel est le nombre des descendants de réfugiés qui ont fait partie de l'armée d'invasion en 1870, car, après Iéna, un grand nombre d'entre ces descendants avaient germanisé leurs noms de manière à les rendre méconnaissables.
Bien avant cette époque, dit Weiss, beaucoup de réfugiés; ayant perdu tout espoir de retour dans leur patrie, avaient traduit leurs noms français en allemand. Lacroix était devenu Kreutz, Laforge Schmidt, Dupré Wiese, Sauvage Wied, etc.
Ce fait de la germanisation des noms rend donc bien incomplète l'indication que peut donner le relevé des noms français pour déterminer le nombre des descendants des réfugiés dans l'armée d'invasion. Quoi qu'il en soit, sur l'état de l'armée prussienne au 1er août 1870, figurent, rien que pour l'état-major, les généraux et les colonels, quatre-vingt-dix noms dont l'origine française ne saurait faire aucun doute.
Voici ces noms:
Généraux (de toutes armes): De Colomier, de Berger, de Pape, de
Gros, de Bories, de Montbary, de Malaise, Mulzer, de la Roche, de
Jarrys, de Gayl, de Memerty, de Busse, du Trossel, de Colomb,
Girod de Gaudy; de Ruville.
Colonels et lieutenants-colonels d'état-major: De Loucadou, Verdy du Vernois, de Verri, Faber du Faur.
Chefs d'escadron d'état-major: Seyssel d'Aix, d'Aweyde, de
Parseval, Manche.
Capitaines d'état-major: Cardinal, de Chappuis, Mantey, de
Noville, Menges, D'Aussin, Baron de la Roche.
Lieutenants d'état-major: De Collas, de Palezieux, Menin Marc; de
Bosse, de Rabenau, baron Godin, Surmont, de Nase, comte de
Villers, de Baligand, Chelpin, de Roman, Jarry de la Roche, de
Lières.
Officier de marine: Le Tanneux de Saint-Paul.
Colonels et lieutenants-colonels de cavalerie: De Loë, Arent, de
Busse, Rode.
Colonels et lieutenants-colonels d'infanterie: De Barby, Laurin,
Duplessis, Colomb, de Reg, Conrady, de Bessel, Valeritini, de
Montbé, de Berger, de Conta, de Legat, de Busse.
Artillerie: De Mussinan, de Borries, baron de Lepel, de Pillement,
Blanc, de Malaisé, de Selle, Gaspard, Gayl.
Génie, pontonniers: Bredan, Ney, Bredan (lieutenant), Hutter, de
Berge, Lille, Mache.
Si ces officiers et ces soldats huguenots que la persécution avait chassés de France et qui mettaient leur furie française au service des puissances étrangères; ne s'étaient pas sans cesse trouvés face à face avec ceux-là même qui les avaient dépouillés et tourmentés, s'ils avaient eu une nouvelle patrie toute française au-delà des mers, la violence de leurs ressentiments se fût vite apaisée. Ils auraient promptement repris ce coeur français, que Dieu et la naissance leur avaient donné, dit Jurieu, et qu'on avait eu tant de peine à leur arracher.
L'émigration protestante eût d'ailleurs apporté à la nouvelle France, non seulement les soldats aguerris qui versaient leur sang sur tous les champs de bataille de l'Europe, mais encore tous les éléments constitutifs d'un peuple pouvant aspirer à de hautes et prospères destinées; elle lui eût donné, en effet, des savants, des diplomates, des ingénieurs, des matelots, des commerçants, des manufacturiers, des ouvriers de toutes les industries, des agriculteurs, des vignerons, des horticulteurs, etc., enfin des capitaux considérables pour créer son outillage industriel et agricole.
À quel avenir n'eût pu prétendre cette république protestante française; groupant tous ces éléments de force et de richesse, qui se sont dispersés sur tant de points du globe?
Grâce à la double faute commise par Louis XIV, de s'être refusé à rappeler les huguenots en France, et d'avoir empêché la création d'une nouvelle France protestante à l'île Bourbon, ce sont les puissances ennemies, ou rivales de notre pays qui ont profité de l'émigration qui était un désastre pour la France.
L'ambassadeur de France ayant demandé au roi de Prusse, raconte Tissot, ce qui pourrait lui faire plaisir, le roi lui répondit: «ce que votre maître peut me faire de plus agréable, c'est une seconde révocation de l'édit de Nantes.»
Les puissances protestantes eussent toutes pu en dire autant, car voici ce que les réfugiés avaient, au dire de Michelet, fait pour les pays qui leur avaient donné asile: «Ils avaient fait un jardin des sables de la Prusse et du Holstein, porté la culture en Islande, donné à la rude Suisse les légumes, la vigne, l'horlogerie, enseigné à l'Europe les assolements, le mystère de la fécondité. Aux bords de la Baltique on les croyait sorciers, leur voyant pratiquer l'art innocent de doubler, panacher les fleurs. Par Lyonnet et Bonnet, ils continuaient Swammerdam, ouvraient le sein de la nature. Par Jurieu Saurin, ils préparaient Rousseau. Denis Papin porte à l'Angleterre, le secret qui, plus tard, donnera à quinze millions d'hommes les bras de cinq cents millions, donc la richesse et Waterloo:»
L'Angleterre, la Hollande, la Suisse, la Prusse et les autres États de l'Allemagne, avaient hérité de nos manufacturiers les plus riches et les plus intelligents et de leurs ouvriers les plus habiles, qui avaient apporté à leurs nouvelles patries leur savoir faire, leur secrets industriels et les moyens de les mettre en oeuvre. Grâce aux réfugiés, les divers États de l'Europe cessèrent d'être tributaires de la France pour une foule d'industries, la soierie, la draperie, la chapellerie, la ganterie, les toiles, le papier, l'horlogerie, etc.; aujourd'hui (en 1886) toutes ces industries ont fait de tels progrès dans les pays où les ont importées les émigrants français, qu'elles font une redoutable concurrence aux produits similaires de notre pays.
On n'estime pas moins de trois ou quatre cent mille le nombre des émigrants qui s'établirent à l'étranger, et, l'on calcule que la persécution religieuse a fait, en outre, cent mille victimes qui trouvèrent la mort, dans les massacres des assemblées, dans les luttes des Cévennes, sur la route de l'exil, au fond des cachots, sur les bancs des galères, sur la potence, sur la route et sur le bûcher.
La perte qu'a subie la France ne peut s'évaluer d'après le nombre des émigrés et des victimes, car on ne peut évaluer par têtes une perte d'hommes, comme on ferait pour du bétail, l'instruction et l'intelligence établissant entre les hommes une grande différence au point de vue de la valeur sociale. Or, les protestants formaient la meilleure partie de cette classe moyenne, industrieuse et éclairée qui a fait la grandeur et la prospérité des nations modernes.
«Les protestants, dit Henri Martin, étaient fort supérieurs, en moyenne, sinon à la bourgeoisie catholique de Paris et des principaux centres de la civilisation française, du moins à la masse du peuple, et les émigrants étaient l'élite des protestants. Une multitude d'hommes utiles, parmi lesquels beaucoup d'esprits supérieurs, laissèrent en France des vides effrayants, et allèrent grossir les forces des nations protestantes; la France baissa de ce qu'elle perdit et de ce que gagnèrent ses rivales.
«Elle s'appauvrit, non pas seulement des Français qui s'exilent, mais de ceux bien plus nombreux, qui restent malgré eux, découragés, minés, sans ardeur au travail ni sécurité de la vie; c'est réellement l'activité de plus d'un million d'hommes que perd la France, et du million qui produisait le plus.»
Quant à Quinet, il montre ainsi le grand vide que fit dans l'esprit de la nation française, la proscription des protestants:
«Ce fut, dit-il, un immense dommage, pour la révolution française d'avoir été privée du peuple proscrit à la Saint-Barthélemy et à la révocation de l'édit de Nantes…
«Quand vous voyez dans l'esprit français les si grands vides, qu'il serait désormais puéril de nier, n'oubliez pas que la France s'est arrachée à elle-même le coeur et les entrailles par l'expulsion ou l'étouffement de près de deux millions de ses meilleurs citoyens. Qu'y a-t-il de plus sérieux et de plus persévérant que le calvinisme, le jansénisme de Port royal? La violence nous a diminués, mais c'est notre honneur qu'il a fallu la proscription de cinq cent mille des nôtres, l'extirpation d'une partie de la nation, pour nous réduire a la frivolité dont on nous accuse aujourd'hui… Il y avait chez nous, un juste équilibre de gravité et de légèreté, de fond et de formes, de réalité et d'apparences. Est-ce notre faute, si la violence Barbare nous a ôté le lest? … Que n'eût pas été la France si, avec l'éclat de son génie, elle se fût maintenue, entière, je veux dire, si, à cette splendeur, elle eût joint la force de caractère, la vigueur d'âme, l'indomptable ténacité de cette partie de la nation qui avait été retrempée par la réforme.»
Le mal que l'émigration avait fait à la France, Louis XIV eût pu le réparer en partie, s'il se fût résigné à rappeler les huguenots et à tolérer en France l'exercice du culte protestant; mais il se refusa obstinément à revenir sur ses pas, alors même que, sans argent et sans armée il se trouvait dans l'impossibilité de continuer la lutte contre les puissances catholiques, liguées avec ces puissances protestantes dont il s'était fait d'irréconciliables ennemies, en se faisant le Pierre l'Hermite du catholicisme, aussi bien au-dehors qu'au-dedans des frontières de son royaume.
Après lui, le régent songea un instant à ce rappel des huguenots, considérant, dit Saint-Simon, «le gain du peuple, d'arts, d'argent et de commerce que la France ferait en un moment par ce rappel si désiré», mais il se laissa bien facilement déconseiller de réaliser ce projet.
Pourquoi l'idée de rouvrir les portes de la France aux réfugiés, à leurs enfants et à leurs petits enfants fut-elle toujours repoussée par le gouvernement, aussi bien sous la Pompadour et sous la Dubarry que du temps de la dévote Maintenon?
Parce que la tradition administrative était, que l'intérêt de l'État exigeait qu'aucun réfugié ne pût rentrer en France sans avoir abjuré, à raison de cette fiction légale qu'il n'y avait plus de protestants dans le royaume. Or, ainsi que le fait observer Rulhières, sous les gouvernements arbitraires, si les principes peuvent changer, d'un règne à l'autre, même d'un ministre à l'autre, il y a quelque chose qui reste immuable, c'est la tradition administrative.
La Constituante essaya de réparer la faute commise par la monarchie de droit divin; elle décréta que les descendants des religionnaires fugitifs pourraient revenir en France, y reprendraient l'exercice de leurs droits civils et politiques, et rentreraient en possession des biens invendus et non adjugés de leurs familles, restés sous la régie des domaines.
C'est grâce à cette mesure réparatrice, que plusieurs familles de réfugiés, les Odier, les la bouchère, les Pradier, les Constant, les Bitaubé, les Pourtalès, purent rendre quelques-uns de leurs membres à la mère patrie. Mais il était trop tard pour que le rappel des huguenots pût avoir un effet efficace; après un si long temps écoulé depuis que les réfugiés avaient quitté la France, leurs descendants s'étaient fondus dans les nations qui avaient donné asile à leurs familles, le désastre de l'émigration était devenu irréparable.
CONCLUSION
Me voici parvenu au terme de la tache que je m'étais imposée, tâche consistant à faire revivre pour mes lecteurs à l'aide de nombreux documents empruntés, soit aux historiens, soit aux acteurs, bourreaux ou victimes, d'une odieuse persécution religieuse l'histoire de la croisade à l'intérieur commencée contre les huguenots de France par Louis XIV et poursuivie par ses successeurs presque jusqu'à la dernière heure de la monarchie de droit divin.
La conclusion à tirer de cette triste histoire se dégage d'elle- même c'est que, la force étant impuissante contre l'idée, les plus abominables violences ne peuvent avoir raison d'une foi philosophique ou religieuse.
Dès 1688, du reste, il était devenu manifeste que l'on s'était trop hâté de frapper de menteuses médailles en l'honneur de l'extinction de l'hérésie et que le prétendu retour de la France à l'unité religieuse n'était qu'une vaine apparence.
Un courageux patriote, le maréchal de Vauban ne craignit pas, à ce moment, de remettre à Louvois un mémoire, concluant à ce qu'on revint sur tout ce qu'on avait fait. Après avoir rappelé la désertion de cent mille Français; la ruine de notre commerce, les flottes et les armées ennemies grossies de neuf mille de nos matelots, de six cents de nos officiers et de douze mille de nos soldats. Il montrait qu'il était impossible de poursuivre l'oeuvre imprudemment entreprise, sans recourir à l'un de ces partis extrêmes; ou exterminer les prétendus nouveaux convertis, ou les bannir comme des relaps, ou les renfermer comme des furieux. Et il demandait hardiment le rétablissement des temples, le rappel des ministres, la liberté, pour tous ceux qui n'avaient abjuré que par contrainte, de suivre celle des deux religions qu'ils voudraient, une amnistie générale pour tous les fugitifs, pour ceux-mêmes qui portaient les armes contre la France, la délivrance des galères et la réhabilitation de tous ceux que la cause de religion y avait fait condamner.
Il faisait en outre observer, que les sectes se sont toujours propagées par les persécutions, et qu'après la Saint-Barthélemy, un nouveau dénombrement des huguenots prouva que leur nombre s'était accru de cent dix mille.
Après un siècle de persécutions, le ministre de Breteuil, dans son rapport à, Louis XIV, constate que le nombre des huguenots est aussi grand en 1787, qu'il l'était en 1685 au moment de la révocation, qu'ils ont remplacé «tout ce qui a péri pendant les temps de persécution, tout ce qui s'est réellement converti à notre foi et tout ce que les émigrations en ont enlevé au royaume».
Bien plus, ainsi que l'établit Chavannes, dans son Essai sur les abjurations, la persécution qui avait pour but d'augmenter le nombre des croyants au catholicisme, a au contraire augmenté le nombre des indifférents en matière religieuse; ce ne sont pas seulement les protestants qu'on avait forcés d'abjurer, ce sont aussi les anciens catholiques, qui ne sont plus aujourd'hui catholiques que de nom.
«Quelle est, en effet, aujourd'hui, dit-il, l'attitude qu'ont prise, et que maintiennent de génération en génération à l'égard de la religion, un si grand nombre de chefs de famille, sinon précisément celle que le fait d'une abjuration forcée imposait aux malheureux qui cédaient à l'oppression? Qu'on prenne à ce point de vue les classes lettrées ou les classes ouvrières, qu'on pénètre même au sein des populations des campagnes, on trouvera trop généralement les pères ne croyant guère au catholicisme, le pratiquant le moins possible pour ce qui les concerne, y laissant participer leurs femmes, y faisant participer leurs enfants, dans la mesure voulue.
«Au fond, une profonde indifférence, un vrai néant religieux, au dehors une honteuse dissimulation, une lâche hypocrisie calculée en vue d'intérêts tout matériels ou convenances toutes humaines, voilà ce qu'on ne peut méconnaître chez le grand nombre de ceux qui portent en France le nom de catholiques.
«Les anciennes familles de réformés de France, ou bien sont devenues purement et simplement catholiques, à la manière de la majorité de leurs concitoyens, ou bien sont revenues à la foi protestante, après un temps d'adhésion extérieure au romanisme, sans que rien ait marqué, dans leur retour à la profession de leurs pères, un acte sérieux rappelant la voix sainte de la conscience.»
Bayle avait prévu ce résultat lorsqu'il disait: «Nous avons présentement à craindre le contraire de nos faux convertis, savoir un germe d'incrédulité qui sapera peu à peu nos fondements et qui, à la longue, inspirera du mépris à nos peuples pour les dévotions qui ont le plus de vogue parmi nous.»
Cette démonstration, par les faits, de l'impuissance de la force contre une foi religieuse, était suffisamment établie déjà quand le maréchal de Vauban demandait à Louis XIV de s'arrêter et de revenir sur ses pas, mais on ne revient pas _de si loin _ainsi que le faisait observer madame de Maintenon.
Au contraire, en présence des obstacles insurmontables qu'il rencontrait sur sa route, Louis XIV ne fit que redoubler de violence et d'ardeur passionnée pour poursuivre son impossible entreprise. Quelques années plus tard, ainsi que le rappelle Saint-Simon, quand ses nombreux ennemis voulurent exiger le retour des huguenots en France, comme l'une des conditions sans lesquelles ils ne voulaient point mettre de bornes à leurs enquêtes et à leurs prétentions pour finir une guerre qu'il n'avait plus aucun moyen de soutenir, il repoussa cette condition avec indignation, quoi qu'il pût arriver, alors qu'il se trouvait épuisé de blés, d'argent, de ressources et presque de troupes, que ses frontières étaient conquises et ouvertes et qu'il était à la veille des plus calamiteuses extrémités.
On voit qu'il est impossible de pousser plus loin l'aveugle obstination que peut donner à un fanatique l'exercice du pouvoir absolu, mais Louis XIV était de la race de ces Xercès qui finissent par se croire dieux, et en arrivent à faire battre la mer des verges quand elle ne se prête pas à l'exécution de leurs volontés.
«Les rois, dit-il dans les mémoires qu'il avait fait rédiger pour son fils, sont seigneurs absolus et ont naturellement la disposition des biens tant des laïques que des séculiers… Celui qui a donné des rois aux hommes, a voulu qu'on les respectât comme ses lieutenants, se réservant à lui seul le droit d'examiner leur conduite, sa volonté est que quiconque est né sujet, obéisse sans discernement.»
Maître de la personne et des biens de ses sujets, il se croyait au même titre, maître de leurs consciences, et, habitué à voir tout plier devant lui, à s'entendre dire: il est l'heure qu'il plaira à Votre Majesté, il traitait comme des rebelles ceux qui s'obstinaient à rester fidèles à une religion qu'il ne voulait plus tolérer dans son royaume.
Aux galères les opiniâtres, qui, pour se soustraire aux violentes exhortations des missionnaires bottés, ont tenté de franchir la frontière, et leurs biens confisqués, même dans les provinces où la loi n'admet pas la confiscation. En prison, au couvent, à l'hôpital les opiniâtres qui n'ont commis d'autre crime que de refuser d'abjurer leur foi religieuse! et, vu le mauvais usage qu'ils font de leurs biens, on les leur confisque afin qu'ils ne soient pas traités plus favorablement que ceux qui ont émigré!
Une complainte de 1698, résume ainsi la situation faite aux huguenots par la persécution religieuse:
Nos filles dans les monastères, Nos prisonniers dans les cachots, Nos martyrs dont le sang se répand à grands flots, Nos confesseurs sur les galères,
Nos malades persécutés, Nos mourants exposés à plus d'une furie, Nos morts traînés à la voirie, Te disent nos calamités.
Les prisons et les couvents regorgeant, on expulse un certain nombre de ces opiniâtres, dont ne peut triompher le zèle convertisseur des geôliers, on les mène à la frontière en leur interdisant de rien emporter, ni effets ni argent, et on déclare leurs biens confisqués. Cette confiscation des biens prononcée aussi bien contre ceux qu'on expulsait du royaume que contre ceux qui avaient voulu franchir la frontière, sembla si peu justifiable que le Président de Roclary crut devoir présenter au secrétaire d'État les observations suivantes: «Comme des officiers qui passent toute leur vie dans l'obligation d'étudier et de suivre les lois, sont obligés de chercher dans leurs dispositions les fondements des avis qu'ils prennent, je ne crois pas qu'ils puissent regarder comme un crime la sortie hors du royaume, d'un homme qu'on oblige d'en sortir, et prononcer la confiscation de ses biens ni aucune peine, pour une action qui n'a rien de volontaire de la part de celui qui paraît plutôt la souffrir que la commettre. Que si le roi avait trouvé bon de révoquer par une déclaration la liberté que l'article 12 de l'édit du mois d'octobre 1685 a laissée à ses sujets de vivre dans la profession de la religion prétendue réformée et d'ordonner à tous ceux qui, voudraient continuer dans cette erreur de sortir du royaume dans un certain temps, cette peine, quoique grande, ne pourrait être regardée que comme un effet de la clémence aussi bien que de la justice du roi, et le bannissement perpétuel auquel ils se condamneraient volontairement leur ferait perdre leurs biens dans les règles de la justice; mais dans l'état où sont les choses, je ne puis que soumettre mes sentiments à toutes les volontés du roi, persuadé que les motifs de sa résolution n'en seront pas moins justes pour surpasser une intelligence aussi bornée que la mienne.»
Ces considérations d'équité et de justice n'étaient pas de nature à arrêter Louis XIV; si veut le roi si veut la loi, disait-il alors, de même qu'en son enfance il écrivait: Les rois font ce qui leur plaît.[7]
_Le bon plaisir _était la seule règle de sa conduite, et j'ai eu plus d'une fois au cours de ce travail, l'occasion de donner des preuves de cette affirmation; en voici encore une: bien que Louis XIV eût mis tous les sujets huguenots dans l'alternative, ou de rester dans le royaume exposés à toutes les violences des convertisseurs, ou d'encourir la terrible peine des galères s'ils tentaient de franchir la frontière, il permit cependant à quelques notabilités protestantes, les Ruvigny, le comte de Roye, le maréchal de Schomberg, etc., de sortir librement de France. Il refusa cette faveur au plus notable des protestants; à l'amiral Duquesne, ce grand homme de mer que les Barbaresques, dans leur terreur, prétendaient avoir été oublié par l'ange de la mort. Duquesne, par faveur exceptionnelle, put mourir tranquillement en France, sans avoir été violenté à se convertir, mais Louis XIV ne voulut pas qu'on élevât un tombeau à l'amiral et refusa même son corps à ses enfants qui lui avaient préparé une sépulture sur la terre étrangère. On voyait encore en 1787, sur les frontières de la Suisse, dit Rulhières, cette sépulture vide portant l'inscription suivante: «Ce tombeau attend les restes de Duquesne, son nom est connu sur toutes les mers. Passant! si tu demandes pourquoi les Hollandais ont élevé un superbe monument à Ruyter vaincu et pourquoi les Français ont refusé une sépulture honorable au vainqueur de Ruyter, ce qui est dû de crainte et de respect à un monarque dont la puissance s'étend au loin, me défend toute réponse.»
Les autres opiniâtres, moins favorisés que Duquesne, furent violentés à se convertir, et pour la plupart, emprisonnés, jusqu'au jour où les prisons et les couvents regorgeant, on expulsa du royaume les opiniâtres qu'on n'avait pu convertir. Le plus grand arbitraire présida encore à l'exécution de cette mesure; c'est ainsi qu'on voit Mme de Coutaudiere, marquée dès 1692 pour être expulsée, encore retenue en prison en 1700. Cependant un rapport fait en 1697 au secrétaire d'État portait: les parents disent que la prison lui affaiblit l'esprit, mais Pontchartrain avait écrit en marge de ce rapport: l'y laisser! et, grâce à cette inhumaine annotation, Mme de la Coutaudiere était restée en prison.
Les ministres et les intendants avaient la même bonté de coeur vis à vis des huguenots, que Louis XIV, qui ne voyait; dans le désastre de l'émigration, minant et dépeuplant la France au profit de l'étranger qu'un moyen de purger le royaume de ses mauvais et indociles sujets, et qui, en apprenant que des milliers de Vaudois venaient périr de la Peste dans les prisons du duc de Savoie, écrivait: je ne doute pas qu'il ne se console facilement de la perte de semblables sujets…
Tel maître, tels valets. Seignelai recommandait de mettre les forçats huguenots de toutes les campagnes, c'est-à-dire de les soumettre journellement au meurtrier supplice de la vogue. Louvois, apprenant que les femmes de Clairac, en se jetant à genoux en larmes dans le temple, avaient retardé de quelques heures sa démolition écrivait: qu'il eût été à désirer que les troupes eussent tiré sur elles, pour les punir de cette touchante rébellion, etc.
Quelques opiniâtres, notables protestants, au lieu d'être emprisonnés avaient été relégués dans telle ou telle résidence déterminée, et ceux d'entre eux qui tentaient de passer à l'étranger, étaient encore plus impitoyablement frappés que les autres fugitifs, car, on considérait comme une aggravation de leur crime de désertion, l'oubli qu'ils avaient fait de la faveur dont ils avaient été l'objet; c'est ce dont témoigne le passage suivant d'un édit royal: «Nous avons été informés que quelques-uns de nos sujets, même de ceux que nous jugeons quelquefois à propos d'éloigner pour un temps du lieu de leur établissement ordinaire par des ordres particuliers, et pour bonnes et justes causes à nous connues, et pour le bien de notre État, oubliant, non seulement les engagements indispensables de leur naissance, mais encore l'obéissance qu'ils doivent en particulier à l'ordre spécial qu'ils ont reçu de nous, quittent le lieu du séjour qui leur est marqué par notre dit ordre, pour se retirer hors le royaume.»
C'est une curieuse histoire que celle d'une de ces reléguées, la Duchesse de la Force dont le roi lui-même avait entrepris la conversion, elle montre ce que Louis XIV appelait laisser une huguenote en pleine liberté: «Par un zèle digne d'un roi très chrétien; dit l'abbé de Choisy, le roi avait résolu de procéder lui-même à la conversion du duc et de la duchesse de la Force, et ce fut pendant de longues années une lutte journalière du roi contre la duchesse opiniâtre, pour maintenir le duc dans l'apparente conversion qu'il lui avait arraché.»
«Le duc de la Force, dit Saint-Simon, était un très bon et honnête homme, et rien de plus, qui, à force d'exils, de prison, d'enlèvement de ses enfants et de tous les tourments dont on s'était pu avisé, s'était fait catholique.» En 1686, il s'était converti après avoir été enfermé à la bastille, il y avait été remis en 1691 après qu'on eut découvert son testament ainsi conçu: «La religion que nous croyons la seule véritable est celle dans laquelle nous sommes né et dans laquelle nous espérons mourir… Si la force de quelques maux, un délire ou quelque autre chose de cette nature; nous faisait dire des choses qui ne rapportent point à ceci, qu'on ne le croie point. Seigneur Jésus, pardonnez-nous, si, dans un acte de fragilité, nous avons signé par obéissance, contre les sentiments de notre coeur, que nous changions de religion, bien que nous n'en ayons jamais eu la pensée…»
Le roi fait sortir de la Bastille ce mauvais converti et le relègue dans sa terre de la Boullaye avec la duchesse, mais jusqu'au jour de sa mort, il le surveille avec un soin jaloux. Il désigne les personnes qui peuvent le voir, il lui ôte ses domestiques et les remplace par des gens sûrs, il lui interdit de se faire soigner par tel médecin, parce qu'il le juge suspect. Il attache à sa personne un espion, hors la présence duquel il est interdit à la duchesse de le voir, et qui reçoit cette instruction: «Si elle (la duchesse) se mettait en devoir de lui parler de religion, il lui imposera silence et l'obligera de se retirer d'auprès de lui.» Le duc devenant de plus en plus valétudinaire, on lui joint à l'espion ordinaire un Père de l'Oratoire, afin que l'un des deux soit toujours auprès de lui et qu'il ne se puisse jamais se trouver seul avec sa femme, soit de nuit, soit de jour. L'état du duc s'aggravant encore, la duchesse reçoit l'ordre de se retirer dans une des chambres du château de la Boullaye, sans pouvoir avoir aucune communication, par écrit ou de vive voix, avec son mari, à peine de désobéissance.
Elle ne peut même obtenir la grâce de le voir expirer, elle est remise aux mains de son fils, un nouveau converti devenu, un des plus ardents persécuteurs des huguenots. On lui déclare que si elle ne se convertit pas, elle sera expulsée; elle persiste et est conduite au port dans lequel elle doit s'embarquer pour l'Angleterre; par un garde de la prévôté chargé «d'observer sa conduite pendant la route et d'en venir rendre compte à sa majesté». C'est en parlant de la situation faite à cette malheureuse femme, séparée de ses enfants mis au couvent, ou au collège pour être convertis, espionnée jour et nuit dans le château où elle avait été reléguée, ne pouvant même assister aux derniers moments du mari avec lequel on l'empêchait de jamais se trouver seule, que le roi fait écrire à la Bourdonnaie: «Sa Majesté a poussé la complaisance jusqu'à laisser Mme la duchesse de la Force en pleine liberté à la Boullave, ce qu'elle n'a encore fait pour personne de ceux qui sont dans l'état d'opiniâtreté et d'endurcissement en la religion prétendue réformée, où elle se trouve.»
Quand la déraison en vient à ce point, de regarder comme une complaisance méritoire, l'incessante persécution exercée à domicile, contre une malheureuse femme à laquelle il n'est plus permis d'être ni mère, ni épouse, rien ne peut vous arrêter dans la voie malheureuse où l'on s'est engagé.
C'est donc en vain, qu'on faisait observer au nouveau Philippe II, que ses tentatives pour catholiciser son royaume et l'Europe entière, faisaient perdre à la France ses alliances les plus anciennes et les plus sûres; que l'émigration de tant de citoyens utiles et industrieux, c'était la vie du pays s'exhalant par tous les pores; que la France baissait en population et en richesse de tout ce qu'elle perdait et de tout ce que gagnaient les puissances ses rivales. Louis XIV répondait imperturbablement que, en présence de l'importance de l'oeuvre qu'il avait résolu d'accomplir, ces considérations étaient pour lui de peu d'intérêt.
Si le mobile de sa conduite eût été, non son incommensurable orgueil, mais la conviction inflexible du sectaire, le grand roi eût eu, du moins, jusqu'à sa dernière heure, l'imperturbable assurance que donne au fanatique, la conscience d'un devoir accompli. Mais qu'elle est l'attitude de Louis XIV quand il se trouve au moment de comparaître devant Dieu, devant le seul être auquel il reconnaisse le droit de juger sa conduite?
Il ne fait pas comme le Tellier; qui, après avoir apposé sa signature sur L'édit de révocation, estime qu'il a assez vécu et sa tache accomplie, s'écrie: nune me dimittis, Dominé!
Il ne montre pas l'héroïque courage du prophète Esprit Seguier, se vantant encore au moment de monter sur le bûcher d'avoir porté le premier coup à l'archiprêtre du Chayla, le bourreau de ses frères, et s'écriant «Je n'ai pas commis de crimes, mon âme est un jardin plein d'ombrages et de fontaines».
S'il n'a ni la tranquille résignation de le Tellier, ni l'inébranlable fermeté du prophète cévenol, meurt-il du moins, avec la paisible assurance de l'homme à qui sa conscience atteste qu'il n'a jamais violé les lois de l'éternelle justice?
Meurt-il en brave, comme le père de P-J. Proudhon, un pauvre artisan, dont le fils conte ainsi la belle mort?
«Mon père à 66 ans, épuisé par le travail, en qui la lame, comme on dit, avait usé le fourreau, sentit tout à coup que sa fin était venue. Le jour de sa mort il eut, chose qui n'est pas rare, le sentiment arrêté de sa fin. Alors, il voulut se préparer pour le grand voyage, et donna lui-même ses instructions. Les parents et amis sont convoqués, un souper modeste est servi, égayé par une douce causerie. Au dessert, il commence ses adieux, donne des regrets à l'un de ses fils mort dix ans auparavant, mort avant l'heure. J'étais absent pour le service de la famille. Son plus jeune fils, prenant mal la cause de son émotion, lui dit: Allons, père, chasse ces tristes idées. Pourquoi te désespérer? N'es-tu pas un homme? Ton heure n'a pas encore sonné. — Tu te trompes, réplique le vieillard, si tu t'imagines que j'aie peur de la mort. Je te dis que c'est fini, je le sens, et j'ai voulu mourir au milieu de vous. Allons! qu'on serve le café! Il en goûta quelques cuillerées. J'ai eu bien du mal dans ma vie, dit-il, je n'ai pas réussi dans mes entreprises, mais je vous ai aimés tous et je meurs sans reproche. Dis à ton frère que je regrette de vous laisser si pauvres, mais qu'il persévère!
«Un parent de la famille, quelque peu dévot, croit devoir réconforter le malade en disant, comme le catéchisme, que tout ne finit pas à la mort, que c'est alors qu'il faut rendre compte, mais que la miséricorde de Dieu est grande. — Cousin Gaspard, répond mon père, je n'y pense aucunement. Je n'éprouve ni crainte, ni désir, je meurs entouré de ce que j'aime, j'ai mon paradis dans le coeur. Vers dix heures, il s'endormit, murmurant un dernier bonsoir; l'amitié, la bonne conscience, l'espérance d'une destinée meilleure pour ceux qu'il laissait, tout se réunissait en lui, pour donner un calme parfait à ses derniers moments. Le lendemain mon frère m'écrivait avec transport: Notre père est mort en brave.»
Ce n'est pas en brave, c'est en lâche que meurt Louis XIV! À ses derniers moments, il ne se souvient plus que le pape Innocent XI lui a écrit, qu'en révoquant l'édit de Nantes et en pourvoyant par ses édits contre les huguenots à la propagation de la foi catholique, il a mérité d'être félicité sur «le comble de louanges immortelles, qu'il a ajouté par cette dernière action, à toutes celles qui rendaient jusqu'à présent sa vie si glorieuse… et qu'il doit attendre de la bonté divine, la récompense d'une si belle résolution».
Il a même oublié au moment de mourir cet incroyable panégyrique de Bossuet, que naguères son incommensurable orgueil acceptait comme un hommage justement mérité: «Touchés de tant de merveilles, épanchons nos coeurs sur la piété de Louis. Poussons jusqu'au ciel nos acclamations, et disons à ce nouveau Constantin, à ce nouveau Théodose, à ce nouveau Marcien, à ce nouveau Charlemagne, ce que les six cent trente pères dirent autrefois dans le concile de Chalcédoine: Vous avez affermi la foi, vous avez exterminé les hérétiques, c'est le digne ouvrage de votre règne, c'en est le propre caractère. Par vous l'hérésie n'est plus, Dieu seul a pu faire cette merveille. Roi du ciel! conservez le roi de la terre, c'est le voeu des églises, c'est le voeu des évêques!»
Ces éloges outrés, il ne les entend plus, et quoi que puissent lui dire les évêques et les cardinaux qui l'entourent, sa conscience étouffe leur voix et lui crie: Roi! qu'as-tu fait de ton peuple? Caïn qu'as-tu fait de tes frères?
Devant ses yeux flamboie comme un menaçant Mané, Thécel, Phares, cet avertissement que lui ont donné ses sujets persécutés dans la supplique qu'ils lui ont vainement adressée lors de la signature du traité de Ryswick: «Peut-être qu'au lit de mort, Votre Majesté aura quelque crainte et quelque regret d'avoir voulu contraindre la conscience de ses sujets. Peut-être, aux dernières heures de sa vie, les misères affreuses d'un si grand nombre de ses sujets viendront se présenter à ses yeux pour troubler le repos de son âme.»
Et, juste châtiment de son impitoyable orgueil, le spectacle de ces misères affreuses venait se dérouler devant lui. Il voyait les hommes torturés, les femmes outragées par ses missionnaires bottés; les fugitifs errants par troupes, mourant de fatigue et de privations sur la dure route de l'exil: les prisonniers grelottant de froid et criant la faim au fond de sombres et humides cachots; les forçats pour la foi, attachés à la rame et souffrant mille morts sur les galères; les cadavres nus et sanglants traînés sur la claie et jetés à la voirie; des milliers de victimes, enfin, expirant, par ses ordres, sur la potence, sur la roue ou sur le bûcher.
Dans la terreur qui s'empare de lui à ce spectacle, il ne lui suffit plus d'être absous et pardonné par les ministres de son culte, et c'est sur quelques-uns de ceux qui, nés ses sujets, n'avaient rien autre chose à faire que d'obéir sans discernement à sa puissance absolue, qu'il cherche à rejeter la responsabilité des actes monstrueusement odieux qu'il a commis.
Appelant près de son lit de mort les cardinaux de Bissy et de Rohan, qui se trouvaient dans sa chambre, il les prend à témoin que, dans les affaires de l'Église, il n'a jamais rien fait que ce qu'ils ont voulu.
«C'est à vous, s'écrie-t-il, de répondre pour moi devant Dieu, de ce qui a été fait de trop ou de trop peu. Je proteste de nouveau que je vous en charge devant Dieu! J'en ai la conscience nette, et, comme un ignorant, je me suis absolument abandonné à vous dans toutes ces affaires.»
Non, il n'avait pas la conscience nette, ce grand coupable du crime de lèse patrie, qui avait sacrifié les intérêts du peuple sur lequel il régnait aux exigences de son rôle de convertisseur, et qui, en mourant, laissait la France épuisée d'hommes et d'argent, amenée par lui à deux pas de sa ruine. Quant à son ignorance en matière religieuse qu'il invoquait à sa dernière heure, pour décliner dans l'autre monde, la responsabilité des actes injustifiables auxquels il s'était laissé entraîner, c'est en 1688 qu'il lui aurait fallu la confesser, cette ignorance, alors que le maréchal de Vauban lui montrait quelles avaient déjà été pour la France les déplorables conséquences de son intolérance religieuse. Il y aurait eu alors quelque mérite pour cet ignorant à s'arrêter dans la voie funeste où il s'était engagé, et quelque grandeur à reconnaître son erreur en revenant sur ce qu'il avait fait. Mais son orgueil insensé l'avait empêché de prendre le seul parti qui eût pu réparer en partie le mal fait par lui à la France.
Tout au contraire, sans vouloir rien entendre, il avait continué son oeuvre néfaste pour son royaume jusqu'à sa dernière heure, et même, par delà; car, par son testament il recommandait à ses successeurs de ne jamais revenir sur la révocation de l'édit de Nantes; le funeste legs de ses odieux édits contre les protestants, accepté par eux, fit recommencer plus d'une fois l'exode des huguenots, si bien qu'en 1787 encore, Rulhières peut dire: l'émigration est toujours prête à se renouveler. La faute qu'a commise Louis XIV, nous en subissons encore aujourd'hui les conséquences, car sur tous les marchés du monde comme sur les champs de bataille, nous trouvons en face de nous, dans nos luttes avec l'étranger, les descendants de ces réfugiés français que la persécution a obligés à se dénationaliser.
Si l'impartiale histoire ne peut admettre l'excuse de l'ignorance pour décharger entièrement le roi très chrétien de la responsabilité qu'il trouvait trop lourde à porter à ses derniers moments, elle a le devoir, du moins, de rejeter, pour une large part, la responsabilité du mal fait à la France, sur le clergé qui se servait de cet ignorant, pour appliquer ses théories d'intolérance impitoyable.
Jamais, en effet, quelles que fussent les déplorables conséquences de la persécution religieuse, le clergé n'avait cessé de réclamer les plus odieuses contraintes contre les huguenots, et Rulhières en a vu plus d'une preuve dans des lettres trouvées par lui aux archives et dont quelques-unes, dit-il, font frémir. «Spécieuses raisons d'État, s'écriait Massillon à la mort du grand roi, en vain vous opposâtes à Louis les vues timides de la sagesse humaine, le corps de la monarchie affaibli par l'évasion de tant de citoyens, ou par la privation de leur industrie, ou par le transport furtif de leurs richesses: les périls fortifient son zèle, l'oeuvre de Dieu ne craint pas les hommes; il croit même affermir son trône en renversant celui de l'erreur.»
En 1775 encore, l'orateur de l'assemblée générale du clergé, disait à Louis XVI: «Jamais, sire, vous ne serez plus grand, vous ne vous montrerez jamais mieux le père de vos sujets que quand, pour protéger la religion, vous emploierez votre puissance à fermer la bouche à l'erreur. L'Église compte au nombre de ses plus beaux jours, celui où; prosterné dans le sanctuaire de Clovis, vous avez voué votre sceptre à sa défense contre toutes les hérésies. On essaiera donc en vain d'en imposer à Votre Majesté sous de spécieux prétextes de liberté de conscience, de désertion de citoyens utiles et nécessaires à la nation: en vain, par de fausses peintures des avantages d'un règne de douceur et de modération, voudrait-on intéresser la bonté de votre coeur, vous persuader d'autoriser, ou au moins de tolérer l'exercice de la prétendue religion réformée: vous réprouverez ces conseils d'une fausse paix, ces systèmes d'un tolérantisme capable d'ébranler le trône et de plonger la France dans les plus grands malheurs. Nous vous en conjurons… achevez l'oeuvre que Louis le Grand avait entreprise, que Louis le Bien Aimé a continuée; il aurait eu la gloire de la finir, si les ordres qu'il ne cessait de donner avaient été exécutés… Il vous est réservé, sire, de porter le dernier coup au calvinisme dans vos États!»
L'Église est invariable dans sa doctrine de l'intolérance, ce qu'elle condamnait au XVIIe et au XVIIIe siècle, la liberté de conscience et toutes les autres libertés, elle le condamne encore aujourd'hui; et si demain, un monarque chrétien était placé sur le trône de France, l'Église l'obligerait à combattre les erreurs du droit nouveau, quoi qu'il pût arriver. Périssent les colonies et le pays tout entier plutôt que les principes d'intolérance, disent les jacobins cléricaux. Pourvu que l'on ferme la bouche à l'erreur et que l'on tente de rendre au régime catholique son ancienne puissance, il ne faut pas s'inquiéter de savoir si, en agissant ainsi, on mènera le pays à sa ruine et si l'on fera couler le sang à flots; ces préoccupations sont les vues timides de la sagesse humaine, dont l'Église ne veut tenir aucun compte.
Si, par impossible, ceux qui réclament chaque matin un sauveur, comme les grenouilles demandaient un roi, voyaient donner satisfaction à leurs désirs ils seraient bientôt, au nom du principe de l'intolérance religieuse, violentés, empoisonnés et égorgés comme le furent les huguenots au bon vieux temps, et s'ils se plaignaient, on serait autorisé à leur répondre: Tu l'as voulu, Georges Dandin!
FIN
[1] Il manque un mot qui nuit à la bonne
compréhension de cette phrase. [Note du correcteur]
[2] Médecin du Malade imaginaire de Molière.
[Note du correcteur]
[3] Il manque ici les mots « delà du ». [Note du
correcteur]
[4] Orthographe du XIXe siècle [Note du correcteur].
[5] Sic.
[6] Il y a sous le pont, à fond de cale, un endroit qu'on
appelle la chambre de proue où on ne respire l'air que par
un trou large de deux pieds… dans ce lieu affreux toutes
sortes de vermines exercent un pouvoir despotique.
« Toutes les fois que j'y descendais _je marchais dans les ombres de la mort… _j'étais obligé de me coucher tout de mon long auprès des malades pour entendre en secret la déclaration de leurs péchés, et souvent, en confessant celui qui était à ma droite, je trouvais celui de ma gauche qui expirait sur ma poitrine.
Bion. » [7] Marnier conte en effet, qu'il a vu à la bibliothèque de Saint-Pétersbourg un papier sur lequel Louis XIV enfant, avait écrit six fois: « L'hommage est dû aux rois, ils font ce qui leur plaît. »
End of Project Gutenberg's Les huguenots, by Charles Alfred de Janzé