Lettres d'amour
Éloge d’une rousse
Madame,
Ie sçay bien que nous viuons dans une province où l’on n’estime pas la couleur rousse de votre poil ; mais ie sçay bien aussi que le vulgaire ne peut iuger comm’ il faut, des choses excellentes, puisqu’il seroit necessaire qu’il les connût ; mais quel que soit son sentiment, permétez que ie parle ainsi à votre cheuelure. Lumineux dégorgement de l’essence du plus beau des êtres visibles ; Intelligente réflexion du feu radical de la nature ; Image du jour la mieux trauaillée, ie ne suis point si brutal de méconnoître pour ma Reine l’enfant de celui que mes pères ont connu pour leur Dieu. Athènes pleura sa couronne tombée sous les Temples abatus d’Apollon ; Rome cessa de commander à la terre, quand elle refusa de l’encens à la lumière ; et Bisance est entrée en possession de mettre aux fers le genre humain, aussi-tôt qu’elle a pris pour ses armes celles de la sœur du Soleil. Tant qu’à cet esprit uniuersel le perse fit hommage du raion qu’il tenoit de lui, quatre mil ans n’ont pu vieillir la jeunesse de sa monarchie : mais sur le point de voir briser ses simulacres, il se sauua dans Pequin des outrages de Babilonne. Il semble maintenant echauffer à regret d’autres terres que celles des Chinois ; et i’apréhende qu’il ne se fixe dessus leur Emisphère, s’il peut un iour (sans venir à nous) leur donner les quatre saisons. La France toutefois, Madame, a des mains en votre visage qui ne sont pas moins fortes que les mains de Josué pour l’enchaîner ; vos triomphes (ainsi que les victoires de ce heros) sont trop illustres pour estre cachez de la nuit. Il manquera plutôt de promesse à l’homme, qu’il ne se tienne toujours en lieu d’où il puisse contempler à son aise l’ouurage de ses ouurages le plus parfait : voiez comme par son amour l’esté dernier il échauffa les signes d’une ardeur si longue et si véhémente qu’il en pensa brûler la moitié de ses maisons ; et, sans consulter l’almanach, nous n’auons iamais pû, cette année, distinguer l’hiuer de l’automne pour sa benignité, à cause qu’impacient de vous reuoir, il n’a pu continuer son voiage iusqu’au tropique. Ne pensez point que ce discours soit une hiperbole : si iadis la beauté de Climeine l’a fait descendre du Ciel, la beauté de M….. est assez considérable, pour le faire un peu détourner de son chemin : l’égalité de vos âges, la conformité de vos corps, la ressemblance peut-estre de vos humeurs, — peuuent bien r’alumer en lui ce beau feu. — Mais, si vous êtes fille du Soleil (adorable Alexie) i’ay tort de dire que votre père soit amoureux de vous. Il vous aime véritablement ; et la passion dont il s’inquiéte pour vous, est celle qui lui fit soupirer le malheur de son Phaëton, et de ses sœurs : non pas celle qui lui fit répandre des larmes à la mort de sa Daphné ; cette ardeur dont il brûle pour vous est l’ardeur dont il brûla iadis tout le monde ; non pas celle dont il fut lui-mesmes brûlé : Il vous regarde tous les iours avec les frissons et les tendresses que lui donne la mémoire du désastre de son fils aîné : Il ne voit sur la Terre que vous, ou il se reconnoisse ; s’il vous considère marcher, voilà, dit-il, la généreuse insolence, dont ie marchois contre le serpent Piton ; s’il vous entend debiter sur des matières délicates, c’est ainsi que ie parle, dit-il, sur le Parnasse avec mes sœurs. Enfin, ce pauure père, ne sçait en quelle façon exprimer la ioie que lui cause l’imaginacion de vous auoir engendrée. Il est ieune comme vous, [vous] étes belle comme lui : son tempérament et le vôtre sont tout de feu : par vous il se trouue deux en deux endrois. Il donne la vie et la mort aux animaux, et bientôt, comme lui, vous donnerez la vie à vos ennemis, et la mort à ceux du Roïaume : comme lui vous auez les cheueux roux. I’en étois là de ma lettre, adorable M….. lors qu’un censeur à contre sens, m’aracha la plume, et me dit que c’étoit mal se prendre au panegirique, de louër une ieune personne de beauté parce qu’elle étoit rousse : moy ne pouuant punir cet orgueilleux jdiot, plus sensiblement que par le silence, Ie pris une autre plume, et continué ainsi. Une belle teste sous une perruque rousse, n’est autre chose que le soleil au milieu de ses raions ; ou le soleil lui-mesme n’est autre chose qu’un grand œil sous la perruque d’une rousse. Cependant, tout le monde en médit, a cause que tout le monde à la gloire de l’estre ; et cent hommes à peine en fournissent un, parce qu’étans enuoiez du Ciel pour commander, il est besoin qu’il y ait moins de sujets que de Seigneurs. Ne voions-nous pas que toutes choses en la nature sont, ou plus ou moins nobles, selon qu’elles sont ou plus ou moins rousses. Entre les Elemens, celui qui contient le plus d’essence et le moins de matière, c’est le feu, a cause de sa rouge couleur ; l’or à receu, de la beauté de sa teinture, la gloire de regner sur les métaux ; et de tous les astres, le soleil n’est le plus considerable, que parce qu’il est le plus roux. Les comètes cheuelus qu’on void voltiger au ciel à la mort des grans hommes, sont-ce pas les rousses moustaches des Dieux qu’ils s’arachent de regret ? Castor et Pollux, ces petits feux qui font prédire aux matelos la fin de la tempeste, peuuent-ils être autre chose que les cheueux roux de Iunon qu’elle enuoie a Neptune en signe d’amour ? Enfin, sans le désir qu’eurent les hommes de posséder la toison d’une brebis rousse, la gloire de trente demi dieux seroit au berceau des choses qui ne sont pas néés ; et (un nauire n’étant encore qu’un être de raison) Americ ne nous auroit pas conté que la terre à quatre parties. Apollon, Vénus et l’Amour, les plus belles diuinitez du pantheon sont rousses en cramoisi ; et Jupiter n’est brun que par accident, a cause de la fumée de son foudre qui la noirci. Mais si les exemples de la Mitologie ne satisfont pas les aheuris, qu’ils confrontent l’histoire : Sanson, qui tenoit toute sa force pendüe à ses cheueux, n’avoit-il pas receu l’énergie de son miraculeux estre dans le roux coloris de sa perruque ? Les destins n’auoient-ils pas ataché la conseruacion de l’empire d’Atènes, a un seul cheueu rouge de Nisus ; et Dieu n’at-il pas enuoié aux Etiopiens la lumière de la foy, s’il eut trouué parmi eux seulement un rousseau. On ne douteroit point de l’eminente dignité de ces personnes la, si l’on consideroit que tous les hommes qui n’ont point été fais d’hommes, et pour l’ouurage de qui Dieu lui mesme à choisi et pétri la matière, ont toûjours été rousseaux ; Adam fut rousseau ; Iesus Crît fut rousseau ; Iudas mesme eut l’honneur d’estre l’instrument de notre salut, et de baiser le Messie en le trahissant, à cause qu’il étoit rousseau ; et Dieu ne le reprouua que faché de voir qu’un homme qui n’étoit que son estafier fût cependant plus rousseau que lui. Et toute philosophie bien corecte doit aprendre que la nature qui tend au plus parfait, essaie toûjours en formant un homme de former un rousseau ; de mesme qu’elle aspire à faire de l’or en faisant du mercure. Car quoy qu’elle rencontre rarement, un archer n’est pas estimé mal adroit qui, lâchant trente flèches, en adresse cinq ou six au but : comme le tempérament le mieux balancé, est celui qui fait le milieu du flegme et de la mélancolie, il faut estre bien heureux pour fraper iustement un point indiuisible : au deça sont les blons, au dela sont les noirs, c’est-à-dire les volages, et les opiniatres : entre deux est le milieu, ou la sagesse (en faueur des rousseaux) à logé la vertu ; aussi leur chair est bien plus délicate, le sang plus suptil, les espris plus épurés et l’intellect par conséquent plus vîf, à cause du mélange parfait des quatre qualitez. C’est la raison qui fait que les rousseaux blanchissent plus tard que les noirs, comme si la nature se fâchoit, de détruire ce qu’elle a pris plaisir à faire ; en vérité, ie ne vois iamais de cheuelure blonde que ie ne me souuienne d’un toupon de filasse mal habillée ; n’y de noire, que ie ne me figure un faisseau de cordes d’épinette enrouillées ; mais ie veux que les blons quand ils sont jeunes soient agréables ; ne semblent ils pas, si tôt que leurs ioües commancent a cotonner, que leur chair se diuise par filamens pour leur faire une barbe ? Ie ne parle point des barbes noires ; car on sçait bien que si le Diable en porte, elle ne peut être que fort brune. Puis donc que nous auons tous a deuenir esclaves de la beauté, ne vaut-il pas bien mieux, que nous perdions notre franchise dessous des chaînes d’or, que sous des cordes de chanure, ou des entraues de fer ? Pour moy tout ce que ie souhaite, ô ma belle M….., est qu’a force de promener la mienne dedans ces petits labirintes d’or qui vous seruent de cheueux, ie l’y perde bientot ; et tout ce que i’aprehende, c’est de la recouurer quand je l’auray perduë. Voudriez vous bien me prométre que ma vie ne sera point plus longue que ma seruitude : Ie le souhaite au moins n’osant pas vous en conjurer ; car en quelle qualité vous ferois ie cette prière ? Ie ne suis point votre ami, la fortune ne m’aiant pas encore présenté l’ocasion de le meriter ; Ie ne suis point votre seruiteur, n’aiant pas encore de vous permission de me le dire ; cependant ie seray donc,
Madame,
Votre ie ne sçay quoy.