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Lettres intimes

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CXXIV

23 décembre 1865.

Mon cher Humbert,

Je vous écris quelques lignes seulement pour vous remercier de votre cordiale lettre. L'écho qui me répond des profondeurs de votre âme me rendrait bien heureux, si je pouvais encore l'être; mais je ne puis plus que souffrir de toutes façons. J'ai voulu ces jours-ci vous répondre, je ne l'ai pas pu, je souffrais trop. J'ai passé cinq jours couché, sans avoir une idée et appelant le sommeil qui ne venait pas. Aujourd'hui, je me sens un peu mieux. Je viens de me lever, et, avant d'aller à notre séance de l'Institut, je vous écris. Bonjour et merci de votre amitié et de votre indulgence, et de tout ce qui vous fait si intelligent, si sensible et si bon.

En vérité, je ne puis plus écrire.

Adieu, adieu.

CXXV

17 janvier 1866.

Mon cher Humbert,

Je vous écris ce soir; je suis seul là au coin de mon feu. Louis m'a averti ce matin de son arrivée en France et m'a parlé de vous. Il a lu quelques-unes de vos lettres, et il apprécie votre haute amitié pour son père. Mais, de plus, c'est que j'ai été violemment agité ce matin. On remonte Armide au Théâtre-Lyrique, et le directeur m'a prié de présider à ces études, si peu faites pour son monde d'épiciers.

Madame Charton-Demeurs, qui joue ce rôle écrasant d'Armide, vient maintenant, chaque jour, répéter avec M. Saint-Saëns, un grand pianiste, un grand musicien qui connaît son Glück presque comme moi. C'est quelque chose de curieux de voir cette pauvre femme patauger dans le sublime, et son intelligence s'éclairer peu à peu. Ce matin, à l'acte de la Haine, Saint-Saëns et moi, nous nous sommes serré la main... Nous étouffions. Jamais homme n'a trouvé des accents pareils. Et dire que l'on blasphème ce chef-d'œuvre partout en l'admirant autant qu'en l'attaquant; on l'éventre, on l'embourbe, on le vilipende, on l'insulte partout, les grands, les petits, les chanteurs, les directeurs, les chefs d'orchestre, les éditeurs... tous!

Oh! les misérables!
O ciel! quelle horrible menace!
Je frémis, tout mon sang se glace!
Amour, puissant amour, viens calmer mon effroi,
Et prends pitié d'un cœur qui s'abandonne à toi.

Ceci est d'un autre monde. Que j'aurais voulu vous voir là! Croiriez-vous que, depuis qu'on m'a ainsi replongé dans la musique, mes douleurs ont peu à peu disparu? Je me lève maintenant chaque jour, comme tout le monde. Mais je vais en avoir de cruelles à endurer avec les autres acteurs, et surtout avec le chef d'orchestre. Ce sera pour le mois d'avril.

Madame Fournier m'écrivait dernièrement qu'un monsieur qu'elle avait rencontré à Genève lui avait parlé avec une grande chaleur de nos Troyens...—Tant mieux. Mais il vaudrait mieux pour moi avoir fait une vilenie d'Offenbach.—Que vont dire d'Armide ces crapauds de Parisiens?...

Adieu.

Pourquoi vous ai-je écrit cela? C'est une expansion que je n'ai pu contenir. Pardonnez-moi.

CXXVI

8 mars 1866.

Mon cher Humbert,

Je vous réponds ce matin seulement, parce que je voulais vous parler de ce qui s'est passé hier à un grand concert extraordinaire, donné avec les prix triplés, au cirque Napoléon, au bénéfice d'une société de bienfaisance, sous la direction de Pasdeloup.

On y jouait pour la première fois le septuor des Troyens. Madame Charton chantait; il y avait cent cinquante choristes et le grand bel orchestre ordinaire. A l'exception de la marche de Lohengrin de Wagner, tout le programme a été terriblement mal accueilli par le public.—L'ouverture du Prophète de Meyerbeer a été sifflée à outrance; les sergents de ville sont intervenus pour expulser les siffleurs...

Enfin est venu le septuor. Immenses applaudissements; cris de bis. Meilleure exécution la seconde fois. On m'aperçoit sur mon banc, où je m'étais hissé pour mes trois francs (on ne m'avait pas envoyé un seul billet); alors nouveaux cris, rappels; les chapeaux, les mouchoirs s'agitent: «Vive Berlioz! levez-vous, on veut vous voir!» Et moi de me cacher de mon mieux! A la sortie, on m'entoure sur le boulevard. Ce matin, je reçois des visites, et une charmante lettre de la fille de Legouvé.

Liszt y était, je l'ai aperçu du haut de mon estrade; il arrive de Rome et ne connaissait rien des Troyens. Pourquoi n'étiez-vous pas là? Il y avait au moins trois mille personnes. Autrefois, cela m'eût donné une grande joie...

C'était d'un effet grandiose, surtout le passage, avec ces bruits de la mer, que le piano ne peut pas rendre:

Et la mer endormie
Murmure en sommeillant les accords les plus doux.

J'en ai été remué profondément. Mes voisins de l'amphithéâtre, qui ne me connaissaient pas, en apprenant que j'étais l'auteur de la chose, me serraient les mains et me disaient toute sorte de remerciements... curieux. Que n'étiez-vous là?... C'est triste, mais c'est beau!

Regina gravi jamdudum saucia curâ.

Après avoir répété dix fois Armide avec madame Charton.

CXXVII

9 mars 1866.

Cher ami,

J'ajoute quelques lignes à ce que je vous ai écrit hier.

Une petite société d'amateurs vient de m'écrire une lettre collective, portant leurs diverses signatures, sur le succès d'avant-hier. Or cette lettre est une copie un peu modifiée de celle que j'écrivis à Spontini il y a vingt-deux ans, à propos d'une représentation de Fernand Cortez. Vous la trouverez dans mon volume des Soirées de l'orchestre. Ils ont seulement mis: «On a joué hier le septuor des Troyens au Cirque,» au lieu de ce que je disais à Spontini.

N'est-ce pas une idée charmante de m'appliquer, à vingt-deux ans de distance, ce que j'ai dit moi-même à Spontini? Cela m'a beaucoup touché.

Adieu. A vous.


P.-S.—Vous trouverez ma lettre à Spontini à la page 185 des Soirées.

CXXVIII

16 mars 1866.

Mon cher Humbert,

On va vous envoyer aujourd'hui les Soirées de l'orchestre, que je me croyais sûr de vous avoir données. Dites-moi si vous avez les deux autres volumes: les Grotesques de la musique et A travers chants.

L'exécution du septuor fait de plus en plus de bruit. Hier, on a donné à Saint-Eustache la messe de Liszt. Il y avait une foule immense. Mais, hélas! quelle négation de l'art!

Adieu, mille amitiés. Je ne suis pas couché comme vous; pourtant je n'en vaux guère mieux.

CXXIX

22 mars 1866.

Mon cher Humbert,

Je suis bien aise que le volume des Soirées n'ait pas mis quinze jours à vous parvenir, comme celui des Mémoires. Je vais vous envoyer les Grotesques de la musique et A travers chants. Mais je ne puis rien écrire sur ces volumes, on ne les prendrait pas à la poste.

La scène de la révolte de Cortez n'est pas gravée isolément, pas plus que le chœur des Danaïdes. Quant au septuor, n'essayez pas, je vous en prie, de le faire chanter par vos jeunes gens. Ce serait affreux, un charivari complet, rien n'est plus certain. On ne peut, d'ailleurs, pas plus se passer du chœur que le chœur ne peut se passer du septuor.

On va jouer au Conservatoire, le dimanche de Pâques, les trois morceaux de la Fuite en Égypte. En attendant, voilà mon nigaud de Pasdeloup qui annonce pour Dimanche prochain l'ouverture de la Fuite en Égypte, c'est-à-dire la petite symphonie sur laquelle les Bergers sont censés arriver auprès de l'étable de Bethléem. Je viens de lui écrire pour le prier de n'en rien faire; mais je parie qu'il s'obstinera. Cela est absurde, le morceau ne peut se séparer du chœur suivant.

J'ai vu du Boys; il se présente à l'Institut pour remplacer M. Béranger dans l'Académie des sciences morales.

Nous avons enterré hier notre confrère Clapisson. On croit que c'est Gounod qui obtiendra sa succession.

La longueur de votre lettre me fait espérer que vous allez un peu mieux.

Adieu, mon cher ami; je vous serre la main.

Tout à vous.

CXXX

10 novembre 1866.

Mon cher Humbert,

Je devrais être à Vienne; mais une dépêche m'a prévenu l'autre jour que le concert que je dois diriger était forcément remis au 16 décembre; je ne partirai donc que le 5 du mois prochain. Je suppose que la Damnation de Faust n'est pas assez étudiée à leur gré, et qu'ils ne veulent me la présenter qu'à peu près sue. C'est pour moi une vraie joie d'aller entendre cette partition, que je n'ai plus entendue en entier depuis Dresde, il y a douze ans.

Votre petite lettre, ce matin, est tombée au milieu d'une de mes crises de douleurs que rien ne peut conjurer. Je vous écris donc de mon lit, en m'interrompant pour me frotter la poitrine et le ventre. Je vous remercie pourtant; vos lignes me font toujours tant de bien, que le remède eût été bon en tout autre moment.

Les études d'Alceste m'avaient un peu remonté. Jamais le chef-d'œuvre ne m'avait paru si grandement beau, et jamais, sans doute, Glück ne s'est entendu aussi dignement exécuté. Il y a toute une génération qui entend cette merveille pour la première fois et qui se prosterne avec amour devant l'inspiration du maître. J'avais, l'autre jour, auprès de moi dans la salle, une dame qui pleurait avec explosion et attirait sur elle l'attention du public. J'ai reçu une foule de lettres de remerciements pour mes soins donnés à la partition de Glück. Perrin veut maintenant remonter Armide. Ingres n'est pas le seul de nos confrères de l'Institut qui viennent habituellement aux représentations d'Alceste; la plupart des peintres et des statuaires ont le sentiment de l'antique, le sentiment du beau que la douleur ne déforme pas.

La reine de Thessalie est encore une Niobé. Et pourtant, dans son air final du second acte:

Ah! malgré moi mon faible cœur partage,

l'expression est portée à un tel degré, que cela donne une sorte de vertige.

Je vais vous envoyer la petite partition (nouvelle); vous pourrez aisément la lire, et cela vous fera passer quelques bons moments.

Adieu; je n'en puis plus!

CXXXI

30 décembre 1866.

Cher ami,

Me voilà de retour de Vienne, et je vous écris trois lignes pour vous en informer. Je ne sais si l'Union vous a parlé du succès furieux de la Damnation de Faust en Autriche. En tout cas, sachez que c'est le plus grand que j'aie obtenu de ma vie. Il y avait trois mille auditeurs dans cette immense salle des Redoutes, quatre cents exécutants. L'enthousiasme a dépassé ce que je connaissais en ce genre. Le lendemain, ma chambre a été remplie de fleurs, de couronnes, de visiteurs, d'embrasseurs. Le soir, on m'a donné une fête, avec force discours en français et en allemand. Celui du prince Czartoriski surtout a fait sensation. J'ai été bien malade néanmoins; mais j'avais un incomparable chef d'orchestre, qui conduisait certaines répétitions quand je n'en pouvais plus.

Je vous envoie un fragment de journal français qui me tombe sous la main.

Adieu; si je vous savais plus content et mieux portant, je serais très heureux pour le quart d'heure.

Je vous embrasse de tout mon cœur.

CXXXII

Paris, 11 janvier 1867.

Cher ami,

Il est minuit; je vous écris de mon lit, comme toujours, et ma lettre vous arrivera dans votre lit, comme à l'ordinaire. Votre dernier billet m'a fait mal; j'ai vu vos souffrances dans son laconisme...—Je voulais vous répondre tout de suite, et d'intolérables douleurs, des sommeils de vingt heures, des bêtises médicales, des frictions de chloroforme, des boissons au laudanum, inutiles, fécondes en rêves fatigants, m'en ont empêché. Je vois bien maintenant quelle peine nous aurons à nous serrer la main. Vous ne pouvez pas bouger, et le moindre déplacement, du moins pendant les trois quarts et demi de l'année, me tue. Je n'ai pas d'idée de votre pays de Couzieux, de votre home (comme disent les Anglais), de votre existence, de votre entourage; je ne vous vois pas. Cela redouble ma tristesse à votre sujet...—Que faire?...—Ce voyage de Vienne m'a exterminé; le succès, la joie de tous ces enthousiasmes, cette immense exécution, etc., n'ont pu me garantir. Le froid de nos affreux climats m'est fatal. Mon cher Louis m'écrivait avant-hier et me parlait de ses promenades matinales à cheval dans les forêts de la Martinique, me décrivant cette végétation tropicale, le soleil, ce vrai soleil.... Voilà probablement ce qu'il nous faudrait à tous les deux, à vous et à moi. Qu'importe à la grande nature que nous mourions loin d'elle et sans connaître ses sublimes beautés!... Cher ami!—quel sot bruit de voitures secoue le silence de la nuit!—Paris humide, froid et boueux! Paris parisien!—voilà que tout se tait...—il dort du sommeil de l'injuste!...—Allons! l'insomnie sans phrases, comme disait un brigands de la première révolution.

Je vous enverrai Alceste dès que je pourrai sortir. Je n'ai pas compris votre question au sujet de la petite partition de la Damnation de Faust. Que voulez-vous dire en me demandant s'il y en a une autre que la première? quelle première? Le titre est celui-ci: Légende dramatique, en quatre actes. L'avez-vous?

Dites-moi aussi si vous avez la grande partition de ma Messe des morts. Si j'étais menacé de voir brûler mon œuvre entière, moins une partition, c'est pour la Messe des morts que je demanderais grâce. On en fait en ce moment une nouvelle édition à Milan; si vous ne l'avez pas, je pourrai, je pense, dans six ou sept semaines vous l'envoyer.

N'oubliez aucune de mes questions, et répondez-moi dès que vous aurez un peu de force; hélas! ce n'est pas le loisir qui vous manque.

Adieu, cher ami; je vais veiller en songeant à vous, car non suadent cadentia sidera somnos.

CXXXIII

Paris, 2 février 1867.

Mon cher Humbert,

Vous m'avez écrit deux charmantes pages; une demi-page suffisait pour m'annoncer que vous aviez reçu les deux partitions. Vous avez bien plus de courage que moi. Tant mieux! cela me prouve que vous n'êtes pas aussi malade; du moins, j'ai la vanité de croire cela. Je souffre toujours beaucoup. Je veux vous écrire, et je ne puis pas.

Adieu; je vous ai au moins dit bonjour.

CXXXIV

11 juin 1867.

Cher ami,

Je vous remercie de votre lettre; elle m'a fait grand bien. Oui, je suis à Paris, mais toujours si malade que j'ai à peine en ce moment la force de vous écrire. Je suis malade de toutes manières; l'inquiétude me tourmente. Louis est toujours dans les parages du Mexique, et je n'ai pas de ses nouvelles depuis longtemps; et je crains tout de ces brigands de Mexicains.

L'Exposition a fait de Paris un enfer. Je ne l'ai pas encore visitée. Je puis à peine marcher, et maintenant il est très difficile d'avoir des voitures. Hier, il y avait grande fête à la cour; j'étais invité; mais, au moment de m'y rendre, je ne me suis pas senti la force de m'habiller.

Je vois bien que vous n'êtes pas plus vaillant que moi, et je vous remercie mille fois d'avoir la bonté de me donner de temps en temps de vos nouvelles...

Je vous écrivais ces quelques lignes au Conservatoire, où devait se réunir le jury dont je fais partie pour le concours de composition musicale de l'Exposition. On m'a interrompu pour entrer en séance et donner le prix. On avait entendu les jours précédents cent quatre cantates, et j'ai eu le plaisir de voir couronner (à l'unanimité) celle de mon jeune ami Camille Saint-Saëns, l'un des plus grands musiciens de notre époque. Vous n'avez pas lu les nombreux journaux qui ont parlé de ma partition de Roméo et Juliette à propos de l'opéra de Gounod, et cela d'une façon peu agréable pour lui. C'est un succès dont je ne me suis pas mêlé et qui ne m'a pas peu étonné.

J'ai été sollicité vivement, il y a quelques jours, par des Américains d'aller à New-York, où je suis, disent-ils, populaire. On y a joué cinq fois, l'an dernier, notre symphonie d'Harold en Italie avec un succès qui est allé croissant et des applaudissements viennois.

Je suis tout ému de notre séance du jury! Comme Saint-Saëns va être heureux! j'ai couru chez lui lui annoncer la chose, il était sorti avec sa mère. C'est un maître pianiste foudroyant. Enfin! voilà donc une chose de bon sens faite dans notre monde musical. Cela m'a donné de la force; je ne vous aurais pas écrit si longuement, sans cette joie.

Adieu, cher ami. Je vous serre la main.

CXXXV

30 juin 1867.

Mon cher Humbert,

Une douleur terrible vient de me frapper; mon pauvre fils, capitaine d'un grand navire à trente-trois ans, vient de mourir à la Havane.

CXXXVI

Lundi, 15 juillet 1867.

Cher incomparable ami,

Je vous écris quelques mots comme vous le désirez; mais c'est bien mal à moi de vous attrister. Je souffre tant de la recrudescence de ma névralgie intestinale, qu'il n'y a presque plus moyen de rester vivant. Je n'ai qu'à peine l'intelligence nécessaire pour m'occuper des affaires de mon pauvre Louis, dont les agents de la Compagnie Transatlantique m'entretiennent. Un de ses amis, heureusement, m'aide dans tout cela. Merci de votre lettre, qui m'a fait du bien ce matin. Les douleurs absorbent tout; vous me pardonnerez; je sens bien que je suis stupide. Je ne songe qu'à dormir.

Adieu, adieu.

CXXXVII

Paris, dimanche 28 juillet 1867.

Mon cher Humbert,

Aussitôt votre lettre reçue, je me suis levé et j'ai couru chez le célèbre avocat Nogent Saint-Laurent, pour qui l'empereur a autant d'affection que d'estime et sur l'amitié duquel je puis compter. Heureusement, il n'est pas encore parti pour Orange, ainsi que je le craignais. Si quelqu'un peut faire réussir votre affaire, c'est lui. Je ne doute pas de sa bonne volonté. S'il lui faut un aide encore, je lui enverrai M. Domergue, qu'il connaît autant qu'il me connaît moi-même et qui, en sa qualité de secrétaire du ministre de l'intérieur, se mettra en quatre pour obtenir la chose. Nogent m'écrira demain. Adieu; je vous tiendrai au courant.

Votre tout dévoué.

CXXXVIII

Vendredi, 1 août 1867.

Mon cher Ferrand,

Je reçois votre lettre, qui ne me parle pas de celle que je vous ai écrite, contenant la lettre de Nogent. Cela m'inquiète; vous ne l'avez donc pas reçue? Il demandait tout de suite l'indication du lieu où votre jeune homme allait fixer sa résidence, pour lui épargner la police. Dites-moi vite si vous avez envoyé cette indication à Nogent, dont je vous donnais l'adresse.

A vous. Je suis obligé de me coucher.


Je dînerai lundi avec Nogent et avec Domergue.

CXXXIX

Dimanche, deux heures, 4 août 1867.

Je ne comprends rien à votre silence. Je vous ai écrit deux fois, mardi et jeudi, pour vous renvoyer votre lettre à l'empereur, vous adresser celle de Nogent, et vous demander ce qu'il demandait, la désignation du lieu où votre protégé allait fixer sa résidence; cela est nécessaire, dit Nogent, pour pouvoir le soustraire à la surveillance de la police. Ne recevant point de réponse à cette triple lettre, je vous en ai écrit une seconde; vous n'avez pas non plus répondu à celle-là. Maintenant il n'y a pas un instant à perdre; envoyez votre indication à M. Nogent Saint-Laurent, député, 6, rue de Verneuil. Si vous ne pouvez pas écrire, madame Ferrand le peut.

Je verrai demain Nogent et Domergue. Je devais partir le soir pour Néris, où l'on m'envoie impérieusementprendre les eaux; mais j'attendrai encore votre réponse jusqu'à mercredi.

Adieu; je suis d'une extrême inquiétude, et je reste au lit.

Tout à vous.

CXL

8 octobre 1867.

Mon cher Humbert,

Quand je souffre trop (et on souffre toujours trop), j'ai des distractions incroyables; vous êtes comme moi. Vous m'avez écrit le 27 septembre; je viens seulement, ce matin, de recevoir votre lettre, parce que vous l'avez adressée rue des Colonnes, à Lyon. Où diable aviez-vous la tête? Heureusement, l'administration de la poste n'est pas dépourvue d'intelligence; elle a su me trouver rue de Calais, à Paris. J'étais très inquiet de ne pas recevoir une ligne de vous, j'allais vous écrire aujourd'hui. Vous avez mal lu la lettre de M. Domergue; il ne dit pas ce maudit garçon mais bien ce malheureux jeune homme; c'est très différent. Enfin, l'affaire est finie, et il faut espérer qu'il ne sera plus question maintenant de scie, ni de pipe ni de soufflets.

Je suis sur le point de faire un vrai coup de tête. Madame la grande-duchesse Hélène de Russie était dernièrement à Paris; elle m'a tant enguirlandé elle-même et par ses officiers, que j'ai fini par accepter ses propositions. Elle m'a demandé de venir à Saint-Pétersbourg le mois prochain pour y diriger six concerts du Conservatoire, dont l'un serait composé exclusivement de ma musique. Après avoir consulté plusieurs de mes amis, j'ai accepté, et j'ai signé un engagement. La gracieuse Altesse me paye mon voyage, aller et retour, me loge chez elle au palais Michel, me donne une de ses voitures et quinze mille francs. Je ne gagne rien à Paris. J'ai de la peine à joindre les deux bouts de ma dépense annuelle, et je me suis laissé aller à acquérir un peu d'aisance momentanée, malgré mes douleurs continuelles. Peut-être ces occupations musicales me feront-elles du bien au lieu de m'achever.

J'ai refusé, en revanche, et avec obstination, les instances d'un entrepreneur américain qui est venu m'offrir cent mille francs pour aller passer six mois à New-York. Alors ce brave homme, de colère, a fait faire ici mon buste en bronze et plus grand que nature, pour le placer dans une salle qu'il vient de faire construire en Amérique. Vous voyez que tout vient quand on a pu attendre et qu'on n'est à peu près plus bon à rien.

Adieu, cher excellent ami; je vous écrirai encore avant mon départ. Saluez pour moi madame Ferrand.

Votre tout dévoué.

CXLI

22 octobre 1867.

Mon cher Humbert,

Voici la lettre que vous me redemandez; je ne vous écris qu'un mot; j'ai pris du laudanum cette nuit, et je n'ai pas eu le temps de dormir à mon aise; il m'a fallu me lever ce matin pour des courses forcées.

Donc je vais me recoucher.

Adieu, mille amitiés.

FIN



TABLE
Pages.
PRÉFACEI
Avant-propos de l'éditeur XV
 
1825
I.10 juinLa Côte-Saint-André1
 
1827
II.29 novembreParis4
 
1828
III.Vendredi, 6 juinParis10
IV.28 juin 15
V.28 juin 19
VI.Dimanche mat. 21
VII.29 aoûtParis22
VIII.Lundi, 16 sept.Grenoble23
IX.11 novembreParis25
X.Fin de 1828 27
 
1829
XI.2 févrierParis28
XII.18 février 32
XIII.9 avrilParis34
XIV.3 juinParis36
XV.15 juin 41
XVI.15 juillet 43
XVII.21 août 44
XVIII.3 octobre 50
XIX.Vendr. soir, 30 52
XX.6 novembreParis54
XXI.4 décembreParis56
XXII.27 décembreParis57
 
1830
XXIII.2 janvierParis59
XXIV.6 févrierParis63
XXV.16 avrilParis65
XXVI.13 maiParis69
XXVII.24 juilletParis73
XXVIII.23 aoûtParis76
XXIX.Octobre 78
XXX.19 novembre 82
XXXI.7 décembre 84
XXXII.12 décembre 84
 
1831
XXXIII.6 janvierLa Côte-Saint-André86
XXXIV.17 janvierGrenoble87
XXXV.Jeudi, 9 févrierLyon88
XXXVI.12 avrilFlorence89
XXXVII.10 ou 11 maiNice98
XXXVIII.3 juilletRome100
XXXIX.8 décembreAcadémie de France. Rome105
 
1832
XL.9 h. soir, 8 janv.Rome106
XLI.17 févrierRome111
XLII.26 marsRome112
XLIII.25 maiTurin115
XLIV.Samedi, juinLa Côte118
XLV.Vendr., 22 juinLa Côte118
XLVI.13 juilletGrenoble119
XLVII.10 octobreLa Côte121
XLVIII.3 novembreLyon122
 
1833
XLIX.2 marsParis124
L.12 juinParis127
LI.1er aoûtParis129
LII.30 aoûtParis132
LIII.Mardi, 3 sept. 135
LIV.11 octobreVincennes136
LV.25 octobreParis138
 
1834
LVI.19 mars 141
LVII.15 ou 16 maiMontmartre143
LVIII.31 aoûtMontmartre148
LIX.Dim., 30 nov. 154
 
1835
LX.10 janvierParis156
LXI.Avril ou mai 159
LXII.2 octobreMontmartre163
LXIII.16 décembreMontmartre166
 
1836
LXIV.23 janvier 169
LXV.15 avril 170
 
1837
LXVI.11 avril 175
LXVII.17 décembre 178
 
1838
LXVIII.20 septembreParis181
LXIX.Septembre 183
 
1839
LXX.22 août 184
 
1840
LXXI.Vendr., 31 janv.Londres187
 
1841
LXXII.3 octobre 191
 
1847
LXXIII.Jeudi, 10 sept.La Côte-Saint-André195
LXXIV.1er novembre 196
 
1850
LXXV.8 juillet 197
LXXVI.28 août 200
 
1853
LXXVII.13 novembreHanovre201
 
1854
LXXVIII. Samedi, octobre 204
 
1855
LXXIX.2 janvier 205
 
1858
LXXX.3 novembreParis206
LXXXI.8 novembreParis209
LXXXII.19 novembreParis212
LXXXIII.26 novembre 215
 
1859
LXXXIV.28 avrilParis218
 
1860
LXXXV.29 novembre 223
 
1861
LXXXVI.Dim., 6 juillet 225
LXXXVII.14 juillet 229
LXXXVIII.27 juillet 231
LXXXIX.Vendredi, août 232
 
1862
XC.8 février 233
XCI.30 juinParis234
XCII.21 aoûtParis235
XCIII.26 aoûtParis237
 
1863
XCIV.Dimanche, 22 fév. 239
XCV.3 mars 241
XCVI.30 mars 243
XCVII.11 avrilWeimar245
XCVIII.9 maiParis247
XCIX.4 juinParis250
C.27 juinParis251
CI.8 juillet 253
CII.24 juilletParis255
CIII.Mardi, 28 juillet 256
CIV.Dimanche, oct. 258
CV.Jeudi, 5 nov. 258
CVI.10 novembre 259
CVII.Jeudi, 26 nov. 260
CVIII.14 décembre 261
 
1864
CIX.8 janvier 262
CX.12 janvier 263
CXI.Jeudi, 12 janv. 265
CXII.17 janvier 266
CXIII.12 avril 267
CXIV.4 maiParis268
CXV.18 aoûtParis270
CXVI.18 octobreParis272
CXVII.10 novembreParis276
CXVIII.12 décembre 279
CXIX.23 décembreParis282
 
1865
CXX.25 janvier 284
CXXI.8 février 285
CXXII.26 avril 287
CXXIII.8 mai 289
CXXIV.23 décembre 290
 
1866
CXXV.17 janvier 291
CXXVI.8 mars 293
CXXVII.9 mars 295
CXXVIII.16 mars 296
CXXIX.22 mars 296
CXXX.10 novembre 298
CXXXI.30 décembre 300
 
1867
CXXXII.11 janvierParis301
CXXXIII.2 févrierParis303
CXXXIV.11 juin 304
CXXXV.30 juin 306
CXXXVI.Lundi, 15 juillet 306
CXXXVII.28 juilletParis307
CXXXVIII.Vendr., 1er août 307
CXXXIX.Dimanche, 4 août 308
CXL.8 octobre 309
CXLI.22 octobre 311
 
FIN DE LA TABLE

Coulommiers.—Imp. Paul BRODARD.

NOTES:

[1] Berlioz avait alors vingt-deux ans. Il se trouvait à cette époque critique de la vie de l'artiste et de l'écrivain où, la vocation l'emportant sur des aspirations mal définies, l'avenir se décide sans retour. Il venait de faire exécuter à Saint-Roch une messe à grand orchestre, qui ne lui rapportait rien, mais qui redoublait sa résolution de se consacrer uniquement à la musique. Par contre, il échouait au concours pour le prix de Rome, ce qui déterminait sa famille à lui supprimer sa modique pension d'étudiant en médecine. Avec la joie d'affirmer son talent et l'orgueil d'attirer pour la première fois sur son nom l'attention du public et de la presse, commençaient les embarras qui, jusqu'à son dernier jour, ont pesé sur sa vie. Il s'était rendu en toute hâte à la Côte-Saint-André, sa ville natale, pour conjurer l'orage qui le menaçait après son échec de l'Institut.

[2] Auguste Berlioz.

[3] Le Correspondant.

[4] Le Correspondant.

[5] Célèbre, depuis, comme pianiste, sous le nom de Marie Pleyel.

[6] Allusion à l'insurrection de Lyon du mois d'avril 1834.

[7] C'est Léon de Wailly qui est désigné dans la collaboration avec Auguste Barbier.

[8] L'Enfance du Christ.

[9] Mademoiselle Dubois.

[10] M. Mermet est fils d'un général du premier empire.


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