Louis Riel, Martyr du Nord-Ouest: Sa vie, son procès, sa mort
The Project Gutenberg eBook of Louis Riel, Martyr du Nord-Ouest
Title: Louis Riel, Martyr du Nord-Ouest
Author: Anonymous
Release date: October 22, 2006 [eBook #19604]
Language: French
Credits: Produced by Rénald Lévesque
MONTRÉAL
IMPRIMERIE GÉNÉRALE, 45, PLACE JACQUES-CARTIER
1885
CHAPITRE I
UN MEURTRE POLITIQUE
Louis Riel a été pendu, le 16 novembre 1885, à Regina.
Quoiqu'on puisse dire sur la légalité de la dernière insurrection, Riel était un brave coeur.
Maintenant, c'est un martyr.
Il est mort victime d'un fanatisme stupide, sacrifié en holocauste aux orangistes, pour de misérables intérêts de parti.
Sa mort a été pour le Canada-français tout entier un deuil national.
Il faut croire, pour expliquer cette fin sinistre d'un drame douloureux, qu'il y a, parmi les ministres qui siègent à Ottawa, des sauvages plus sauvages que Gros-Ours et que les indiens, contre lesquels nos volontaires ont combattu; car si le gouvernement de Sir John A. Macdonald avait été un gouvernement composé d'hommes civilisés, il aurait sû, que depuis longtemps, les nations civilisées, n'appliquent plus la peine de mort à des crimes purement politiques, comme l'était le crime reproché à Riel.
Les États-Unis ont amnistié le général Lee et Jefferson Davis.
L'Angleterre n'a pas cherché à se venger de Cettyvoyo.
La France, après les horreurs de la Commune, n'a puni de mort que les bandits qui avaient à se reprocher des actes personnels d'assassinat ou de pillage.
Alphonse XII, en remontant sur son trône, n'a pas poursuivi les républicains d'Espagne.
En pendant Riel, le gouvernement de Sir John A. Macdonald s'est mis hors la loi des peuples civilisés.
Il a imprimé un opprobre à son nom et à notre histoire
Ce meurtre, qu'on a à peine pris le soin de recouvrir d'un faux semblant d'exécution juridique a soulevé dans les coeurs honnêtes une indignation d'autant plus irrésistible, que le meurtre était enlaidi, s'il est possible, par les calculs inavouables qui se sont établis autour de ce gibet.
Chacun sait qu'on a imposé à Riel une longue agonie, parce que le gouvernement, entre les mains duquel notre constitution a remis ce droit redoutable qui s'appelle le droit de vie et de mort, n'a pas cessé un seul instant de considérer la vie ou la mort de Riel, comme dépendant exclusivement du point de savoir ce qui, de la vie ou de la mort de ce malheureux, serait le plus favorable à la fortune politique des ministres.
Des hommes qui se disent chrétiens ont calculé froidement, pendant de longs mois, combien de comtés la potence de Riel leur ferait gagner dans Ontario, combien de comtés elle leur ferait perdre dans Québec.
Le peuple avait cru avoir nommé des justiciers. Il s'était trompé. Riel n'a eu affaire qu'à des marchands de chair humaine.
Pris--non pas comme on l'a dit entre Ontario et Québec,--car il faut rendre cette justice aux libéraux anglais d'Ontario qu'ils n'ont jamais demandé la tête de Riel;--mais entre les orangistes d'Ontario et les conservateurs du Québec, dont les voix intéressent seules les ministres, le gouvernement qui avait tout d'abord décidé la mort de Riel, a paru cependant hésiter, à un moment donné.
Puis, quand le gouvernement s'est assuré dans le Bas-Canada, la complicité agissante d'un certain nombre de journaux canadiens-français; quand il a cru avoir acheté les meneurs et endormi l'opinion publique; quand ses flatteurs lui ont eu répété à l'envie qu'il pouvait tout faire, et qu'il trouverait les canayens à quatre pattes; quand il a entendu dire que certains députés conservateurs avaient déclaré que si Riel était pendu, ils n'en continueraient pas moins à soutenir Sir John A. Macdonald; quand il a cru s'être assuré que nos divisions politiques nous rendaient incapables de toute action commune et nous livraient pieds et poings liés à sa merci;--alors le gouvernement s'est dit que décidément on pouvait tout oser avec nous; et que tout calculé, il y avait plus d'avantages à pendre Riel qu'à lui faire grâce.
Mais, ce qui a mis le comble à l'exaspération et au dégoût universels, c'est la découverte, hélas! trop facile à faire, de tout l'échafaudage de mensonges, d'hypocrisies et de trahisons, à l'aide desquels un art savant avait préparé de longue main le meurtre final.
Comme le disait récemment un des députés de la majorité «depuis le premier jour jusqu'au dernier nous avons été constamment trompés.»
Pour tuer Riel, il fallait endormir la vigilance des canadiens-français, et les empêcher d'intervenir d'une façon vigoureuse et efficace sur les ministres qui les représentaient.
Pour aboutir à ce but ténébreux, il fallait persuader au gros de la population que Riel ne serait pas pendu;--que les alarmes des libéraux étaient des feintes alarmes, mises en avant dans un pur intérêt de parti;--et qu'il n'y avait aucun besoin de s'en préoccuper, ni de faire aucune démarche auprès des ministres, parce qu'on pouvait se reposer sur le gouvernement qui n'avait jamais eu l'intention de pendre Riel, du soin de mener tout à bien, et de faire intervenir de la manière qui lui semblerait la meilleure, un acte de clémence, qui était au fond chose convenue.
Il y a, dit-on, des serpents qui par la puissance de leur regard fascinent et endorment leur proie, avant de la saisir. C'est ainsi que les suppôts du gouvernement ont reçu mission, dès le premier jour, d'en user avec l'opinion, afin de l'endormir dans une fausse sécurité.
Et ce hideux programme a été exécuté de point en point, avec une persévérance et une habileté véritablement infernale.
Examinons plutôt les faits:
Tout d'abord, M. Le Général Middleton, désireux de cueillir des lauriers faciles et désespérant de prendre Riel de vive force, lui avait écrit pour lui demander de se rendre.
D'après tous les précédents connus des peuples civilisés, une semblable lettre équivalait à une sauvegarde. Après s'être rendu sur une promesse de ce genre, Riel pouvait s'attendre à être interné pour la vie, mais non à mourir. Quand on n'a pas été capable de prendre un homme, on n'a pas le droit de le pendre; et quand on lui a écrit pour lui demander de se rendre, cela implique--a moins d'une fourberie odieuse--qu'on s'engage à ne pas lui appliquer le pire traitement auquel il eût pu s'attendre en ne se rendant pas.
Tout le monde avait compris la chose de cette façon.
Les amis du gouvernement avaient même exploité cette croyance, et s'en étaient servi, pour engager le public à ne pas trop protester contre la procédure dont Riel était l'objet. «Le gouvernement, disait-on, était dans un grand embarras. Il fallait lui laisser les coudées franches, pour lui permettre de se tirer d'affaire. D'ailleurs qu'importait, au fond, que Riel fut jugé de telle ou telle façon, puisqu'on savait que dans tous les cas il ne serait pas pendu?»
Voilà ce qui se répétait alors.
Hélas! nous savons maintenant à quoi nous en tenir!
Le gouvernement à faussé la parole du général Middleton fait assez peu intéressant sans doute, au point de vue de cet officier, puisqu'il a renié lui-même sa propre parole, en exprimant à Montréal la barbare passion de voir pendre le prisonnier dont il eut dû être le premier à défendre la vie. PREMIER MENSONGE!
Cependant, il y avait des gens qui n'étaient point disposés à tout laisser faire et qui, connaissant la législation et les pratiques du Nord-Ouest, s'inquiétaient à bon droit de la façon dont Riel serait jugé.
Des questions furent posées à la chambre.
A ces questions, il fut répondu qu'on pouvait avoir l'assurance que Riel aurait un procès loyal.
On sait quel a été ce procès; et comment Riel, privé de tous les droits garantis aux citoyens anglais, par une possession immémoriale, a été livré en pâture à Richardson, qui n'a pas même voulu écouter la défense, et à ses six jurés qui ont prononcé le verdict de condamnation. DEUXIÈME MENSONGE?
Devant la cour de Regina, les avocats chargés de la défense de Riel, avaient volontairement omis toute la partie de leur plaidoyer qui eût transformé la cause en un débat politique, et ils s'étaient bornés à plaider la folie.
A cette époque, on s'étonna fort de l'attitude de MM. Lemieux et Fitzpatrick; et il parut généralement admis, qu'en vertu d'un contrat exprès ou tacite avec le gouvernement, les avocats avaient été prévenus que les ministres ne voulaient ni être appelés en témoignage ni être mis sur la sellette; et que la discrétion avec laquelle on éviterait de faire ressortir les fautes du pouvoir était la condition convenue de la grâce de Riel.
Cependant, dès le lendemain du procès, les journaux des ministres, obéissant à un mot d'ordre, se sont mis à attaquer les avocats de Riel avec toute la violence qu'ils auraient pu employer, si ces avocats avaient transformé le débat en débat politique. On a accusé MM. Lemieux et Fitzpatrick d'avoir compromis la cause de Riel dans un intérêt de parti. Ceux qui les accusaient ainsi savaient très bien que c'était le contraire qui était vrai. Mais peu leur importait! Il fallait faire une diversion contre le parti libéral et donner, coûte que coûte, à la discussion une tournure qui empêchât les conservateurs de s'y mêler et d'agir sur le gouvernement. TROISIÈME MENSONGE!
Quand on eut beaucoup répété que le gouvernement ne cherchait qu'à sauver Riel;--que ses vrais amis étaient ceux qui ne se remuaient pas en sa faveur;--et que ses pires ennemis étaient ceux qui avaient entrepris de le faire échapper à la corde,--il vint un jour où l'opinion commença cependant à d'émouvoir et où les mensonges des journaux ne suffirent plus.
Alors,--honte indicible!--un ministre, un Canadien-français, n'hésita pas à peser sur l'opinion de tout son poids, en intervenant personnellement dans cette sale besogne!
Sir Hector Langevin déclara, à Rimouski, qu'on avait tort de s'alarmer;--que le gouvernement accorderait tous les délais nécessaires;--et que Riel ne serait pas pendu, avant qu'une commission de médecins eut statué sur son état mental.
C'était une fourberie de plus.
On sait maintenant qu'il n'a jamais dû être, qu'il n'a jamais été nommé de commission médicale.
Mais, à cette époque, il s'agissait de préparer les esprits à accepter sans trop de murmures le déni de justice de la cour du banc de la reine à Winnipeg et celui du conseil privé d'Angleterre.
Ce n'était pas trop, pour y parvenir, que de faire prêter à un chevalier des ordres de Sa Majesté une fausse promesse.
Et sir Hector Langevin fit cette promesse. QUATRIÈME MENSONGE!
A la même date, deux journaux ministériels, la Minerve et le Monde, se préoccupaient beaucoup de l'inconvénient qu'il pourrait y avoir pour les ministres, dans la sympathie que manifestaient envers la cause de Riel, les membres du clergé et les catholiques les plus ardents.
Toute une campagne fut entreprise, pour déconsidérer Riel dans l'opinion du clergé.
On nia ouvertement qu'il eut les sympathies des prêtres du Nord-Ouest.
On retraça, jour par jour, des récits d'égarements religieux qui devaient faire considérer Riel comme étranger à la communion catholique.
Qu'y avait-il de vrai là-dedans?
Il est possible que beaucoup d'hallucinations aient traversé ce cerveau surexcité. Mais, dans tous les cas, il est certain qu'on avait odieusement exagéré et dénaturé les faits.
Nous en avons deux preuves palpables.
La première, c'est que Riel a été constamment assisté par le P. André et est mort en bon catholique.
La seconde c'est que, jusqu'au dernier moment, Mgr. Grandin n'a cessé d'intercéder en faveur du condamné. On avait donc menti une fois de plus. CINQUIÈME MENSONGE!
Au lendemain du rejet du pourvoi de Riel par le conseil privé, le Monde s'était écrié: «Les avocats libéraux ont fait tout ce qu'ils ont pu pour faire pendre Riel. Heureusement ils n'ont pas réussi à tout perdre. Leur tâche est finie: la nôtre commence!»
Allégation et promesse qui ont eu une portée incalculable;--car les dires du journal officieux ont eu pour effet, de persuader aux députés conservateurs que le gouvernement avait un programme arrêté d'avance, en vue de sauver Riel; et cette assurance les a empêchés d'intervenir à temps, sinon pour modifier l'opinion de Sir John A. Macdonald, au moins pour imposer la retraite des trois ministre canadiens-français et pour mettre par là le gouvernement dans l'impuissance d'agir. SIXIÈME MENSONGE!
Mais pendant ce temps on avait obtenu ce qu'on voulait.
On avait permis aux orangistes de faire dire à sir John: «Vous ne pouvez pas nous refuser la tête de Riel, puisque des journaux canadiens-français, eux mêmes, déclarent son crime indigne d'excuse.»
Et on avait permis à Sir John A. Macdonald de dire à ses trois satellites canadiens-français dans le conseil des ministres: «Vous ne pouvez pas soutenir sérieusement que vos compatriotes tiennent à la vie de Riel, puisqu'en dehors des réclamations des libéraux, nos ennemis, il n'a pas été fait auprès de nous une démarche, PAS UNE SEULE pour le sauver!»
Notre malheureux frère métis a payé de sa vie ce raisonnement astucieux.
Puisse ce fatal exemple nous détourner à jamais de cette politique de mensonge, d'hypocrisie et d'apparence, par laquelle nous avons été trop longtemps gouvernés!
Riel n'est pas seulement une victime politique!
C'est un martyr!
Si sa mort, qui est à la fois un acte de barbarie et un soufflet insolemment jeté à toute une race, a été pour nous une dure leçon, tâchons qu'elle soit un enseignement.
En entreprenant le douloureux récit du procès et de la mort de Riel, plus d'une fois la plume nous est tombée des mains!
Nous avons voulu cependant continuer jusqu'au bout cette véridique histoire.
Il faut que tout le monde la connaisse et s'en souvienne, au jour des comptes à rendre.
Le meurtre de Regina est pour nous une menace, et en même temps il nous impose de grands devoirs.
Aucun patriote n'y faillira; car si, ce qu'à Dieu ne plaise, nous devions les déserter, c'est que nous n'aurions plus de sang dans les veines. On pourrait écrire sur le livre des destinées: Fin du Canada-français. Nous serions un peuple avili et mûr pour l'esclavage.
CHAPITRE II
LE NORD-OUEST ET LES MÉTIS
SPÉCULATION ET SPOLIATION
Tout le monde savait, depuis l'automne de 1884 qu'une insurrection était en préparation au Nord-Ouest. Personne ne s'en cachait. Le gouvernement en était averti, mais il ne semblait s'en préoccuper à aucun degré. Lors de l'inspection de fin d'année en vue de l'éventualité d'une prise d'armes, les chefs des districts militaires avaient signalé au ministre de le milice qu'on manquait de tout; ils lui avaient indiqué, en même temps, ce dont ils avaient besoin pour être en mesure de se mettre en campagne, le cas échéant. Mais Sir A. P. Caron avait fait la sourde oreille. Il n'était pas encore devenu le Carnot du régime actuel; et ses opérations de stratégiste se bornaient à faire évoluer à Ottawa, au profit de ses intrigues personnelles, un certain nombre de castors, qui savent maintenant ce que vaut le personnage dont ils ont trop longtemps été dupes.
A envisager les choses de près et à voir la quiétude avec laquelle le gouvernement semblait vaquer à son sommeil ordinaire, un oeil exercé eut pu croire que, si l'on ne faisait rien pour prévenir la révolte, c'est qu'on n'était pas fâché qu'elle eut lieu et qu'on avait ses raisons pour cela.
Il faut tout dire.
Il y a, dans le Nord-Ouest, une bande de jobbers, de contracteurs, d'officiers et de fanatiques, pour lesquels la révolte a été une excellente aubaine.
Des gens, qui ont entrepris de supprimer au Nord-Ouest la langue française, y ont trouvé le moyen d'exercer contre les malheureux Métis une répression impitoyable.
Des compagnies puissantes à Ottawa, qui passaient généralement pour faire depuis quelque temps de médiocres affaires avec le commerce des pelleteries et celui des terrains, ont trouvé, comme pourvoyeurs des troupes, le moyen d'encaisser cette année des bénéfices inespérés.
Les fournitures à l'armée, sans parler du maraudage et du pillage, ont enrichi tant de monde, que le Nord-Ouest deviendrait pour quelques aventuriers un véritable eldorado, s'il pouvait y avoir une insurrection, au commencement de chaque printemps.
Ces répressions n'auraient pas eu lieu, ces dividendes n'auraient point été encaissés, ces bénéfices plus ou moins illicites n'auraient point fait la fortune de ceux qu'ils ont enrichis, si le gouvernement avait pris les mesures nécessaires pour éviter l'insurrection; et si, de son côté, le ministre de la milice ne s'était point endormi dans une quiétude, qui l'a obligé plus tard à se livrer pieds et poings liés à la compagnie de la Baie d'Hudson et à divers autres contracteurs, pour le transport, l'entretien et la nourriture des troupes.
Ce serait une chose trop horrible que de supposer que certaines personnes, même étrangères au gouvernement et trompant les ministres, aient favorisé en sous main la rébellion, pour rendre la répression indispensable et pour en profiter. Mais nous ne remplissons ici qu'un rôle de chroniqueur, et il nous faut bien dire les bruits qui ont couru, quand ils ont couru avec persistance.
De tels faits ne sont malheureusement pas hors de toute croyance. Quiconque connaît un peu l'histoire contemporaine de la France, n'ignore point comment les insurrections se sont faites pendant longtemps en Algérie, lorsqu'un officier général avait besoin de gagner un grade; et comment il n'y a plus eu une seule insurrection, depuis que le régime politique de la France est changé et que les militaires n'ont plus le droit de les inventer eux-mêmes. Les personnes qui auraient encore à s'éclairer sur ce point, pourront lire avec profit Le Dernier des Napoléons, de M. le baron de Hubner, ancien ambassadeur d'Autriche à Rome, et l'histoire anglaise de la guerre de Crimée, par Alexander William Kinglake.
Quoiqu'il en soit, les ministres d'Ottawa ne sauraient prétendre que les réclamations des Métis les avaient pris au dépourvu.
M. Chapleau, secrétaire d'état, écrit aux habitants du Fall River, à la date du 16 juin dernier: «Si les Métis avaient des griefs sérieux contre le gouvernement canadien, la voie de la pétition leur était ouverte comme à tout citoyen libre...»
Hélas! les malheureux Métis avaient usé de la voie de la pétition au point d'être beaucoup mieux édifiés que M. Chapleau sur sa complète inefficacité.
Ce que l'on ne sait pas assez, ce qui est tellement fort qu'on ne voudra pas le croire dans l'avenir, c'est qu'ils pétitionnaient depuis huit ans sans obtenir de réponse!
Depuis huit ans; car la réclamation qu'il renouvelaient encore au mois de mars dernier, datait officiellement de juin 1878, et avait donné lieu, pendant cet espace de temps, à soixante-douze pétitions restées sans réponses!
Et que réclamaient-ils?
Ils réclamaient le droit de vivre, sans être exposés chaque jour à être chassés de leurs demeures comme des troupeaux de bêtes!
La cession que la compagnie de la Baie d'Hudson avait faite, en 1870, de ses droits au gouvernement canadien, avait transformé la terre libre et ouverte au premier occupant en terre domaniale.
Le gouvernement s'arrogeait le droit de vendre la terre, de la donner à la compagnie du Pacifique Canadien, de la concéder à des immigrants ou à des amis politiques; mais, en échange de la terre libre sur laquelle avaient vécu leurs pères, les Métis réclamaient l'allotissement d'une quantité de terrains suffisante pour eux et leur famille.
L'acte de 1870 avait réservé 100 arpents à chacun des Métis de Manitoba.
Les métis de la Saskatchewan, de la rivière Qu'Appelle et de la Rivière Rouge demandaient à ce que le droit--ou pour mieux dire--à ce que l'indemnité accordée à titre de compensation, fût la même dans le territoire du Nord-Ouest que dans le Manitoba.
Ils demandaient, en outre, à ce qu'on ne leur attribuât pas 100 arpents n'importe où, et à ce qu'on ne les délogeât pas de leurs habitations sur le bord des fleuves, pour leur offrir une concession hypothétique dans des régions inaccessibles.
Et ils attendaient une réponse depuis le mois de juin 1878!
Une première fois leur demande avait été soumise à l'enquête.
Une seconde fois on avait consulté Mgr Taché, qui avait insisté sur l'urgence de donner satisfaction aux Métis. (29 janvier 1879).
Mais le gouvernement n'avait pas tenu compte de la réponse.
Une autre fois, le marquis de Lorne donnait de bonnes paroles au représentant du district, M. Clarke; et, en même temps, on lui répondait d'Ottawa: «Votre lettre a été réservée pour la considération spéciale du ministre.» (14 avril 1882).
Mais le ministre ne considérait rien, et tout restait comme devant.
En 1883, le conseil supérieur du Nord-Ouest renouvelait la même demande, sans plus de succès; et en 1884, Sir Hector Langevin déclarait aux Métis, lors de son passage au Nord-Ouest, que leurs demandes étaient parfaitement raisonnables et qu'il serait bon de les consigner par écrit!!
Cependant ce n'est pas tout. A défaut de réponse, les Métis voyaient apparaître, de temps à autre, des arpenteurs qui divisaient méthodiquement le terrain en carrés selon le système des townships; et comme les terres des Métis n'étaient point carrées, ni de la dimension voulue, il arrivait que l'arpenteur figurait une ligne, coupant leur champ en deux ou coupant leur cabane en biais et leur cheminée par la moitié. C'était la limite d'une concession à venir.
D'autres fois, il arrivait qu'un étranger débarquant au milieu d'eux, avec un plan à la main, leur apprenait que leur maison était située sur la concession qui venait de lui être faite, et les invitait à déloger, sans tambour ni trompette.
Quant à tenter d'obtenir pour soi-même une concession quelconque, c'était prendre une peine inutile. Aux pétitions collectives, le gouvernement ne répondait pas. Aux demandes individuelles, les bureaux répondaient invariablement: «qu'ils avaient le regret de vous annoncer qu'il ne pouvait y être donné suite, une application antérieure ayant été faite à Ottawa pour le même terrain, par une autre personne.»
Un jour, on s'étonna, sur les bords de la Saskatchewan, que tant d'applications antérieures eussent été faites par des personnes qu'on ne voyait jamais apparaître; et on imagina, pour en avoir le coeur net, de demander, en un coin imaginaire, la concession d'un terrain et d'un pouvoir d'eau qui n'existaient pas!
La réponse tarda quelque temps; puis elle arriva, avec sa déplorable monotonie «une application antérieure avait été faite par une autre personne,» sur le terrain qui n'existait pas!
Probablement, le bureaucrate, alléché par la description imaginaire du demandeur en concession, s'était dit qu'il convenait de réserver une telle aubaine à un parent ou à un ami; et il avait envoyé sa réponse, en négligeant de vérifier sur le plan l'existence et la condition du terrain!
Les choses en étaient là, lorsque les Métis, las de pétitionner et ne songeant point encore à la révolte, mais désireux d'avoir à leur tête un homme instruit, actif et capable de faire réussir enfin leurs requêtes, songèrent à réclamer l'assistance de Riel (juin 1884).
Louis Riel vivait fort paisiblement, avec sa famille, dans le Montana, lorsque les délégués des Métis, parmi lesquels figuraient des Anglais, firent un voyage de plus de 700 milles pour lui demander de venir se fixer parmi eux.
Il leur répondit dans les termes suivants:
MESSIEURS.--Vous avez parcouru plus de 700 milles du pays de la Saskatchewan, traversé la ligne de frontière internationale pour me faire une visite.
Les communautés au milieu desquelles vous viviez vous ont envoyés comme délégués pour me demander mon avis sur plusieurs difficultés qui ont rendu malheureux le Nord-Ouest britannique, sous l'administration d'Ottawa. De plus, vous m'invitez à vous accompagner et à établir ma demeure parmi vous, dans l'espérance que ma présence servira à améliorer votre condition. Votre invitation est pressante et cordiale; vous voulez que je vous accompagne avec ma femme et mes enfants; je pourrais m'excuser et dire: «non, merci!» et pourtant vous m'attendez; je n'ai donc qu'à me préparer; vos lettres de délégation m'assurent d'une réception amicale.
Messieurs, votre visite personnelle me cause une grande joie, et, je me glorifie ne même temps de l'honneur que vous me faites, mais le caractère officiel de votre visite lui donne une tournure tout à fait remarquable, et je considérerai ce moment comme un des plus heureux de ma vie,--un événement que ma famille se souviendra toujours, et j'espère qu'avec l'aide de Dieu, mon appui vous sera utile afin que cet événement soit une bénédiction pour vous et pour moi, qui en ai eu beaucoup, cette année, la quarantième de mon existence. Il vaut mieux être franc--je ne crois pas que les conseils que je vous donnerai, tandis que je serai dans ce pays, concernant les territoires du Canada, auront aucune influence de l'autre côté de la frontière; mais la question peut être envisagée d'un autre point de vue: D'après les clauses 31 et 32 du traité de Manitoba, j'ai droit à certaines terres, dont j'ai été privé directement ou indirectement par le gouvernement du Canada. Nonobstant le fait que je sois devenu citoyen américain, ma réclamation pour ces terres est encore valide; par conséquent, mes intérêts étant les mêmes que les vôtres, j'accepte votre bonne invitation, et j'irai passer quelques mois parmi vous, dans l'espérance qu'à force d'envoyer des pétitions, nous obtiendrons du gouvernement le redressement de tous nos griefs.
L'élément métis forme une partie considérable de la population du Montana, et si nous comptons les blancs qui, par suite de mariages ou autrement ont intérêt à sauvegarder les privilèges des Métis, il est évident, qu'ils forment une classe puissante. Je suis actuellement occupé à faire leur connaissance, et je suis un de ceux qui aiment à voir régner parmi eux l'union. De plus, j'ai fait des amis et des connaissances parmi lesquels j'aime à vivre. Je vous accompagnerai, mais je reviendrai en septembre.
J'ai l'honneur d'être, messieurs les délégués,
Votre humble serviteur,
LOUIS RIEL.
Le journal Le Manitoba, qui depuis a obéi à l'ordre d'injurier Riel, écrivait en ce temps là: «On dit que M. Riel revient avec sa famille. Oh! s'il pouvait seulement avoir l'heureuse idée de demeurer constamment parmi nous. Cet homme ne peut faire que du bien à ses concitoyens...»
Et le 10 août suivant, Sir A. P. Caron, en villégiature à la Rivière-du-Loup, donnait un dîner politique auquel assistaient Sir John A. Macdonald et une dizaine de conservateurs de la province de Québec. Le chef du cabinet y déclara: «que la présence de Riel au Nord-Ouest n'avait rien d'inquiétant pour le gouvernement, que tout au contraire elle favorisait ses vues, et que le chef métis travaillait à concilier les intérêts des populations avec ceux de la couronne, qu'il méritait de la reconnaissance plutôt que du blâme.»
Le 5 septembre, une grande réunion, dont le Manitoba a rendu compte, se tint à Saint-Laurent, et adopta, sur la proposition de Riel, les propositions suivantes:
Nous voulons,
1° La subdivision des territoires du Nord-Ouest en provinces.
2° Pour les habitants du Nord-Ouest des avantages semblables à ceux qui ont été accordés en 1870 aux habitants du Manitoba.
3° Une concession de 240 acres de terre aux Métis qui n'ont pas encore reçu de concession.
4° La concession immédiate par lettre patente des terrains actuellement occupés par les Métis.
5° La mise en vente, par le gouvernement, de 500,000 acres de terre; le produit de cette vente devant être placé à intérêt pour subvenir aux besoins des Métis pour l'établissement d'hôpitaux, d'orphelinats et d'écoles, ou encore pour fournir aux pauvres gens des charrues ou d'autres instruments agricoles et des semences.
6° La mise en réserve de 100 cantons (townships) dans des terrains marécageux et qui ne seront probablement peuplés d'ici à longtemps; ces terrains devant être distribués aux enfants des Métis de la prochaine génération et pendant 120 ans, chaque enfant devant recevoir sa part à l'âge de 18 ans.
7° Une subvention d'au moins 1,000 piastre pour établir un couvent dans les établissements considérables des Métis.
8° L'amélioration dans les conditions du travail des Sauvages pour les empêcher de mourir de faim, et un plus grand soin de leur personne.
Mgr Grandin, évêque de Saint-Albert, le R. P. Fourmond, le R. P. Touze, le R. P. Lecoq, assistaient à cette assemblée, et Mgr Grandin fut vivement prié par les Métis de faire connaître son opinion.
«Parmi ces propositions, dit Sa Grandeur, il y en a qui touchent de trop près à la politique, celles-là nous sont indifférentes et nous ne voulons nous en mêler aucunement, parce qu'elles n'ont qu'un intérêt douteux pour la population et la religion. Quant aux autres, nous nous en occupons depuis longtemps; et nous nous sommes efforcés de les faire admettre par le gouvernement; nous avons fait tout ce qui dépendait de nous pour obtenir justice; nous avons même obtenu des promesses que nous croyions officielles; aujourd'hui, nous constatons avec regret qu'elles ont été oubliées, nous partageons votre mécontentement et nous n'avons pas manqué de nous plaindre auprès des autorités...»
Malheureusement, ni ces plaintes, ni les pétitions, ni les autres réunions qui se tinrent pendant l'automne et pendant l'hiver ne purent décider le gouvernement à sortir de son mutisme. La consigne à Ottawa était de ronfler; et chacun sait comment Sir David Macpherson s'en acquittait, à la satisfaction du maître.
Sir John A. Macdonald avait eu cependant une idée qui est le résumé de toute sa politique. Il avait eu l'idée de ne rien accorder aux Métis, et de les faire taire en achetant leurs chefs.
C'est ainsi que Schmidt avait été nommé commis au bureau des terres de Prince Albert, Dumas, instructeur des Sauvages, et que des offres avaient été faites à Dumont et Isbester.
Mais, pendent ce temps-là, on n'aboutissait à rien. Le mécontentement et l'agitation des esprits augmentaient de jour en jour. Des nouvelles spoliations étaient commises par des spéculateurs; et les arpenteurs soulevaient incessamment de nouvelle réclamations.
Tout était mûr pour la révolte. Nous verrons, plus tard, comment elle se produisit, et qui tira le premier coup de feu. Mais il est dès à présent prouvé que les griefs des Métis étaient fondés;--qu'ils étaient soutenus depuis huit ans par les autorité ecclésiastiques;--que, depuis huit ans, on n'avait pas su leur rendre justice; on n'avait pas même su leur répondre, et que s'il y a jamais eu un soulèvement excusable au monde, c'est celui de pauvres gens que, ayant usé de tous les moyens légaux pour faire valoir leurs droits, ont été constamment trompés, remis au lendemain et, finalement, n'ont rien pu obtenir.
CHAPITRE III
LOUIS RIEL--UN MARTYR ET UNE FAMILLE
DE PATRIOTES
On peut apprécier différemment la conduite de Louis Riel en 1871 et en 1885.
Il y a quelques individus, se disant Canadien-français, qui ne manquent pas une occasion d'insulter les patriotes de 1837.
Ce sont les mêmes qui n'ont cessé d'insulter Riel.
D'autres, qui ne sont pas des traîtres, ont hésité, au moment où l'on se battait au Nord-Ouest, et nous comprenons leur hésitation.
Tout homme, qui a eu le malheur d'être placé par les circonstances à la tête d'un mouvement insurrectionnel, est responsable même de ce qu'il n'a pas voulu faire; il est exposé à être condamné par tous ceux qui mettent le respect de la loi écrite au-dessus du droit naturel et des principes d'humanité foulés aux pieds.
Mais, dans tous les cas, il y a trois qualités qu'on ne refusera pas à Riel.
D'abord, c'était un brave. Ses calomniateurs ont essayé, même sur ce point, de ternir sa renommée. Mais la façon dont il est mort, ferme la bouche à la calomnie et rend témoignage de la fermeté de son âme.
Ensuite, son désintéressement était indéniable; son dévouement à ses frères a été le guide de toute sa vie; et c'est pour eux qu'il est mort. Là encore la calomnie a essayé de l'atteindre. On l'a représenté comme un ambitieux vulgaire. Mais de telles accusations ne résistent pas à l'examen. Riel vivait heureux et tranquille au Montana, lorsque les Métis du Nord-Ouest sont venu réclamer son appui. Il n'avait rien à gagner avec eux, il avait tout à perdre. Il n'a pas hésité un instant devant ce qu'il considérais comme un grand devoir à remplir; un grand devoir qui l'a mené à l'échafaud, mais qui sera peut-être l'origine de l'émancipation d'une race.
Une troisième qualité qu'on ne saurait contester à Riel, c'est la séduction profonde qu'il exerçait sur tous ceux qui avaient affaire à lui.
Cette séduction ne venait point seulement de l'éloquence abondante et mêlée d'une inexprimable douceur, dont ont rendu témoignage tous ceux qui l'ont connu et qui ont assisté à ses dernières épreuves.
Ce qui faisait la toute-puissance de l'éloquence de Riel, c'est qu'on sentait qu'elle partait du coeur.
Comme tous les enthousiastes, comme tous les visionnaires, il était sujet à se tromper, à exagérer le devoir, parfois à le déplacer. Mais tous ses compagnons savaient qu'il leur était dévoué corps et âme, et, qu'au besoin, il donnerait sa vie pour eux.
Il avait pris part à l'insurrection de 1870. Il avait été vaincu, il avait été proscrit; mais il était resté pour les siens un héros légendaire. On se racontait à la veillée, les actes d'audace par lesquels il s'était rendu célèbre, et lorsqu'il revint en 1884, à la région de Prince Albert, il n'avait rien perdu de tout son prestige. Français, Anglais et Écossais, tous les Métis lui avaient tendu les mains et avaient applaudi à ses discours, parce qu'ils avaient reconnu en lui un désintéressement absolu et un dévouement sans bornes.
Ce dévouement à sa race était, chez Louis Riel, une vertu héréditaire. Lorsqu'il avait à peine cinq ans, son père avait été le défenseur et le libérateur des Métis en 1849, contre les exactions de la compagnie de la Baie d'Hudson.
Tout le monde avait encore présent à l'esprit, le souvenir de la grande lutte que M. Riel, le père, avait soutenue à une époque où les Métis étaient des serfs et où il leur était interdit de tuer, fut-ce une biche ou un rat musqué, autrement que pour en vendre la robe aux agents de la compagnie. Tout le monde savait que la conquête de la liberté du commerce avait été son oeuvre. On se souvenait de son audace et de son triomphe, le jour où un Métis français, Guillaume Sawyer, ayant été traduit pour un délit imaginaire devant un juge prévaricateur, le 17 mars 1849, onze Métis ayant Riel à leur tête étaient venus assister Guillaume Sawyer en cour, et avaient signifié au tribunal, qu'ils lui donnaient une heure pour rendre justice à Sawyer; et qu'au delà de cette heure ils se rendraient justice à eux mêmes, si justice ne leur était pas faites.
Lorsque l'heure fut écoulée, le juge Thom avait essayé de prétexter que le procès n'était pas fini. Mais Riel, père, s'était écrié: «Le temps accordé est écoulé. Le procès n'a pas sa raison d'être. L'arrestation de Sawyer a été faite en violation de tout principe de justice, et je déclare que dès ce moment Sawyer est libre.»
Devant les acclamations frénétiques des Métis, ni le gouvernement, ni le juge, ni les magistrats n'avait osé résister. Sawyer était sorti libre de l'audience. Riel obligea la compagnie à lui rendre les effets qu'on lui avait confisqués; et, de plus il avertit la compagnie qu'à l'avenir les colons entendaient avoir le commerce libre. Tous les Métis crièrent à la fois avec enthousiasme: «Le commerce est libre! le commerce est libre! vive la liberté!» en présence du juge, du gouverneur et des magistrats atterrés; et, de ce jour, le monopole oppressif de la Baie d'Hudson cessa d'exister dans le Nord-Ouest.
On dit que l'histoire se renouvelle sans cesse. Près de quarante ans se sont écoulés. Il y a encore au Nord-Ouest des tyrans et des juges prévaricateurs. Le juge Thom s'appelle aujourd'hui Richardson, et son nom est associé aux malédictions de tout un peuple. Mais il y a aussi de nobles coeurs. Gabriel Dumont a obligé ses vainqueurs eux-mêmes à lui rendre hommage; et Louis Riel a témoigné, par sa vie et par sa mort, qu'il était le digne fils de son père.
Louis Riel était né à la Rivière Rouge, en 1844, du mariage de M. Riel, père, avec Julie de la Gimodière. Sa mère, que l'agonie de son fils vient de rendre folle, était née à Sorel. Elle est Canadienne-française de père et de mère. Son grand-père Riel était Canadien-français et sa grand'mère Métisse de race française. Louis Riel est donc des nôtres. Métis, il 'était de coeur et d'âme; mais il n'avait que quelques gouttes de sang montagnais dans les veines. La naissance l'avait fait Canadien-français, et son dévouement à une cause proscrite cimentait l'union de deux races soeurs. Nos ennemis ne l'ont jamais oublié, et le crime qu'il vient d'expier à Regina ne consiste pas, aux yeux de ses bourreaux, à s'être insurgé, en compagnie d'Anglais qu'on s'est d'ailleurs empressé de mettre en liberté. Son véritable crime était de représenter l'élément français dans le Nord-Ouest en face d'un gouvernement qui a décrété que le Nord-Ouest serait une terre anglaise.
Louis Riel avait été élevé sous la direction de Mgr. Taché, et grâce à la protection de Madame Masson, mère de notre lieutenant-gouverneur.
Passé de là au collège de Montréal, il avait eu le malheur de perdre son père, le 21 janvier 1864, au moment où il commençait son cours de philosophie; et, après avoir terminé ses études, il était revenu dans la prairie, prendre son rôle de chef de famille, sans se douter des destinées qui l'appelaient à faire retentir deux fois l'Amérique de son nom.
Tout le monde sait quelle part il prit à l'insurrection de 1870, et quelle fut la cause de cette insurrection, la plus juste de toutes celles que l'histoire ait jamais eu à enregistrer.
L'union imposée en 1840 au Canada-Français avec les Anglais d'Ontario, ne pouvait plus tenir. Par une conséquence que ses auteurs n'avaient pas prévue, cette union dirigée contre la race française, avait assuré dans le parlement uni, la prépondérance de l'élément canadien-français; et cette prépondérance était telle, que la majorité conservatrice de la province de Québec avait pu faire subir aux Anglais d'Ontario des ministres, repoussés par le corps électoral de cette province. Il est bon de rappeler ce fait, en présence d'un régime sous lequel ce sont les Anglais d'Ontario qui nous gouvernent, qui nous imposent leur gouvernement, et qui viennent de mettre Riel à mort, malgré le voeu unanime du peuple canadien-français. Triste résultat de la Confédération, de la politique de Sir John A. Macdonald et de l'insignifiance servile de Sir Hector Langevin! Mais, en 1865, la situation créée par l'acte d'union ne pouvait plus se prolonger; les deux provinces n'étaient d'accord sur rien. La solution vraiment logique eût dû consister à rappeler purement et simplement l'acte d'union et à rendre à chacun sa liberté. Mais alors, personne n'y songea. Les ministres conservateurs avaient d'autres visées; et sous leur influence, le Canada s'abandonna à la dangereuse ambition de devenir un grand État. C'est ainsi que la Confédération fut faite. Comme Ontario et Québec ne pouvaient s'entendre, on leur adjoignit pour les départager, le Nouveau-Brunswick et la Nouvelle-Écosse, qui devait s'augmenter plus tard de la Colombie Anglaise et de l'île du Prince-Edouard. Comment nos hommes d'État ne s'aperçurent-ils pas que, par cette adjonction, la province de Québec passait de la prépondérance ou tout au moins de l'égalité à un état de minorité forcée; et que tôt ou tard la Confédération se retournerait fatalement contre nous? Hélas! il a fallu le gibet de Riel pour nous amener nous-mêmes à nous en convaincre!
Quoiqu'il en soit, la nouvelle Confédération fut formée et son premier acte consista à acheter à la compagnie de la Baie d'Hudson le territoire du Nord-Ouest. Les Métis furent vendus comme un vil troupeau, par un compagnie commerciale à un gouvernement qu'ils ne connaissaient pas. Ce gouvernement n'avait pas même daigné leur faire savoir qu'ils étaient devenus ses sujets; et M. McDougall s'était présenté, comme lieutenant-gouverneur, par la grâce du gouvernement d'Ottawa, avant même que l'acte de cession n'eut été régulièrement promulgué.
Non seulement on avait disposé des Métis sans eux, mais on avait disposé en même temps de la terre qui, par le fait de la cession, devenait terre domaniale et qui allait être livrée au zèle dévorant des arpenteurs.
On a dit qu'alors les Métis s'insurgèrent. Le fait est vrai, mais l'expression ne l'est pas. Les Métis étaient, depuis trois quarts de siècle, sujets de Sa Majesté Britannique, sous la gestion de la compagnie de la Baie d'Hudson. La retraite de la compagnie de la Baie d'Hudson, les rendait à eux-mêmes. Ils entendaient rester, comme par le passé, sujets loyaux de la reine. Mais ils n'entendaient qu'un acte de vente pût les livrer pieds et poings liés au gouvernement d'Ottawa. Ils avaient raison. Le 27 janvier 1870, ils établirent un gouvernement provisoire, sous la présidence de Louis Riel. Ils étaient dans leur droit.
Le gouvernement d'Ottawa le sentait si bien qu'il eut recours à l'intervention bienveillante de Mgr Taché, et qu'il fut convenu avec Sir John A. Macdonald et Sir George Cartier, qu'en vertu d'un arrangement amical, les Métis se soumettraient au gouvernement; et qu'après les arrangements conclus, une amnistie générale serait proclamée. C'est en vertu de cet arrangement, que les délégués du gouvernement canadien et ceux du gouvernement provisoire rédigèrent ensemble le bill de Manitoba.
Par malheur, la convention n'avait pas été écrite. Sir John A. Macdonald avait donné à Mgr Taché sa parole d'honneur; et le gouverneur-général avait déclaré aux délégués des Métis que la chose ne souffrait aucune difficulté, et qu'on n'attendait que la sanction de la couronne.
On sait comment Sir John A. Macdonald faussa sa parole d'honneur. Le colonel Wolseley, qui allait préluder à ses tristes exploits en Égypte par le pillage du Nord-Ouest, se présenta au fort Garry, non pas comme représentant du gouvernement canadien, mais comme représentant du gouvernement impérial, que les Métis n'avaient jamais cessé de reconnaître; et étant ainsi entré par trahison dans la place, il se conduisit en vainqueur. Les membres du gouvernement provisoire furent arrêtés et traînés en prison; et le colonel Wolseley se félicita dans un discours public «d'avoir mis en fuite les bandits de Riel.»
Malheureusement, le gouvernement, qui avait été capable de s'emparer du fort Garry par surprise, n'était pas capable de s'opposer à l'invasion des fénians; et pour se défendre, il dut recourir à la généreuse assistance de Riel et de Lépine. Cela n'empêcha pas Lépine d'être ensuite mis en jugement et condamné à mort. La tête de Riel fut mise à prix. Il n'en fut pas moins élu à la Chambre des Communes en 1873, pour le comté de Provencher.
Poursuivi et traqué par les orangistes, obligé de se déguiser et de changer de domicile au moindre soupçon, pour échapper au poignard des assassins, Riel parvint néanmoins à passer inaperçu à travers les sbires et se présenta seul au parlement, le 19 mars 1874, où il prêta serment d'allégeance comme député de Provencher, devant le greffier des Communes. Mais il fut expulsé par une majorité de 124 voix contre 68. Le 3 septembre de la même année, il était réélu pour le comté de Provencher; mais l'amnistie n'ayant point été proclamée, il ne put prendre son siège. Il n'était pas seulement loyal, il était conservateur, et un peu plus tard il abandonna son siège pour assurer la réélection de Sir George Cartier, battu dans la province de Québec. Il ne faut jamais compter sur la reconnaissance des grands de la terre, Sir John A. Macdonald vient de récompenser Riel de son dévouement à la cause conservatrice, en le faisant pendre à Regina, le frère de M. Chapleau étant shérif.
Tel était l'homme qu'après treize ans d'exil, les Métis allèrent chercher en 1884, au Montana, pour lui confier la défense de leurs droits méconnus.
Rarement plus noble tâche avait été mise entre des mains plus dignes.
Depuis l'échec de Riel, les vautours se sont abattus sur leur proie. On a décidé qu'il serait la victime expiatoire des fautes commises par le gouvernement canadien dans le Nord-Ouest. On a suscité contre le héros métis le fanatisme et les mauvaises passions. Pour ameuter l'esprit anglais, peut-être pour marquer plus cruellement par sa mort l'avilissement de l'influence française, on a cherché à transformer la question en une lutte de races; et on a présenté le mouvement métis de 1885 comme une insurrection française contre un gouvernement anglais. C'est encore un mensonge qu'il importe de relever. Il s'agissait si peu d'une lutte de races, qu'au début du mouvement, les plaintes des Écossais et des Anglais n'étaient pas moins vives que celles des Français; et que la députation envoyée à Riel au Montana comprenait plusieurs Anglais, entre autres Jackson et Isbester.
CHAPITRE IV
L'INSURRECTION
Au milieu de mars 1885, il se passa un fait au moins étrange.
Tout le monde prévoyait, depuis plusieurs mois, une insurrection; et le gouvernement était seul à n'y avoir point pris garde.
S'il y avait pris garde, il lui eut suffi de se décider à rendre justice aux Métis, pour que l'insurrection n'eut pas lieu.
Or, l'agitation croissait de jour en jour, mais aucun acte de justice n'était intervenu.
Non seulement Riel n'avait pas encore levé le drapeau de la révolte, mais il n'avait pas même renoncé à l'espérance d'une solution pacifique; et il se flattait d'intimider le gouvernement, par des démonstrations, de façon à arracher des concessions aux ministres d'Ottawa, sans être obligé de recourir à une prise d'armes.
Rien n'était donc changé à la situation, au commencement de mars. Il n'y avait pas encore d'insurrection; et il dépendait du gouvernement canadien qu'il n'y en eût jamais. S'il avait fait, à cette date, ce qu'il a été obligé de faire depuis, s'il avait accordé aux Métis les demandes dont le bien fondé a été plus tard reconnu, la paix n'aurait jamais été troublée; nos concitoyens n'auraient pas été condamnés à la dure expédition du Nord-Ouest, et une dépense de plusieurs millions de piastres aurait été épargnée au trésor public.
Chose curieuse! Le gouvernement qui n'avait pas encore trouvé une minute pour lire les réclamations des Métis, s'était, paraît-il édifié à sa manière sur la situation du Nord-Ouest; et il s'était résigné avec un coeur léger à l'idée de la guerre civile, avant que la guerre fut déclarée, avant même qu'elle fut devenue inévitable.
Cette guerre civile, ce fut la police du gouvernement que en prit l'initiative.
Le 27 mars, le major Crozier, de la police à cheval, profitant d'une altercation survenue la veille entre Gabriel Dumont et un nommé MacKay, s'était présenté aux Métis en ennemi, à la tête d'un corps de troupes.
Il avait rencontré Gabriel Dumont, escorté de vingt cavaliers: et il avait tiré le premier coup de feu sur des hommes inoffensifs.
Cette action, dans laquelle la police fut mise en déroute et perdit quatorze hommes, reçut le nom de bataille du lac aux Canards.
Il est important de constater que, ni de part ni d'autre, il n'est nié que les hommes de Crozier aient tiré les premiers.
Par une coïncidence surprenante, à cette même date du 27 mars, avant de connaître l'attaque du major Crozier, le gouvernement, qui s'y attendait évidemment, ordonnait à la batterie A de Québec, et à la batterie B, de Kingston, de former chacune un détachement de cent hommes et de se mettre aussitôt en campagne.
Cette fois-ci, comme en 1870, c'était donc le gouvernement qui avait déclaré la guerre. C'était le gouvernement qui avait entamé les hostilités contre des gens ne demandant qu'à traiter.
La mobilisation se fit rapidement
Dès le 24 mars, le général Middleton était parti pour Winnipeg, afin de se mettre à la portée des opérations éventuelles.
Le 28 mars, deux détachements des Queen's Own, le 10ème Grenadiers Royaux et la compagnie C, de l'infanterie de Toronto étaient appelés au service. Le 65ème Carabiniers de Montréal reçut pareillement son ordre de départ. Le 30 mars, deux nouveaux régiments étaient levés à Winnipeg et un détachement des gardes à pied du gouverneur prenait la route du Nord-Ouest.
Le 31 mars, le 2ème London (Ontario) et le 9ème de Québec étaient appelés au service actif.
Gros-Ours.
Ces régiments manquaient de tout. Pour les mettre en mesure de partir, il fallut que le ministre de la milice donnât un blanc seing aux colonels et les autorisât à faire coûte que coûte et d'urgence, toutes les dépenses nécessaires pour compléter l'équipement de leurs corps. On saura sans doute, d'ici peu de temps, combine de millions ce gaspillage suite de plusieurs années d'imprévoyance et d'incurie volontaire, a coûté au trésor public.
La bataille du Lac aux Canards, dont le gouvernement a assumé la responsabilité en ne désavouant pas le major Crozier, devait avoir des conséquences d'une gravité incalculable.
D'abord, elle constituait les Métis à l'état de belligérants. Riel, qui n'avait point assisté à l'engagement et qui avait conservé jusqu'à cette date l'espoir d'une solution pacifique, organisa un conseil de gouvernement, composé de douze personnes.
En même temps, les Sauvages qui n'avaient point encore pris fait et cause pour les Métis, furent enhardis par l'échec de la police, et se décidèrent à prendre part à la lutte. Le 30 mars, Gros-Ours prit le sentier de la guerre; et le lendemain sa bande procédait au massacre du Lac aux Grenouilles. Poundmaker devait plus tard suivre l'exemple de Gros Ours et infliger au colonel Otter la défaite de la montagne du Camp du Corbeau.
PIE-A-POT
Désormais, tout espoir de négociation amiable était perdu et il fallait que le sort des armées décidât.
Il n'entre pas dans le cadre de ce récit de retracer en détail la suite des événements militaires qui ont abouti à la prise de Batoche.
La lumière n'est pas encore faite sur cette partie de notre histoire.
Le Canada peut se dire, avec une légitime fierté, que ses volontaires se sont comportés héroïquement devant le feu de l'ennemi. Mais si la bravoure des soldats est restée au-dessus de tout éloge, il plane encore beaucoup d'incertitude sur le plus ou moins d'habileté des chefs et sur la façon dont les opérations ont été conduites.
D'après le témoignage d'un conservateur du Nord-Ouest, dont les affirmations n'ont jamais été démenties, les insurgés au nombre de 300 à 400, n'auraient jamais eu plus de cent combattants. Même à la plus forte escarmouche, qui fut celle de Batoche, ils n'avaient pas cinquante combattants, et la bataille a duré quatre jours. On a peine à comprendre qu'il ait fallu tant de temps et d'efforts pour aboutir à un si mince résultat.[1]
[Note 1: LA PRESSE, 24 août 1885.]
D'un autre côté, des témoins oculaires affirment qu'étant donnée la façon dont les volontaires avaient été éparpillés, par petites bandes, c'est un véritable miracle qu'ils n'aient pas été massacrés en détail; et c'est l'avis de plusieurs officiers, ayant pris part à la lutte, que si les Métis avaient eu à leur tête un militaire de profession, expérimenté dans la conduite des embuscades, notre jeune armée aurait été exposée à un véritable désastre.
Le parlement a voté néanmoins au général Middleton une récompense pécuniaire, ni plus ni moins que s'il avait gagné une nouvelle bataille de Waterloo; et le gouvernement impérial, auquel les ministres d'Ottawa avaient intérêt à faire prendre la rébellion au sérieux, a gratifié d'une décoration le commandant en chef et le ministre de la Milice.
Après tout, le gouvernement impérial qui avait déjà pris au sérieux les exploits stratégiques du général Wolseley, en 1870, ne pouvait mieux faire que de traiter, en 1885, le général Middleton en triomphateur.
Mais, la lettre adressée à M. F. X. Lemieux, par le révérend Père André, a jeté plus d'une ombre sur cette étoile naissante de l'armée anglaise.
Aujourd'hui, dit le Père André, le gouvernement se glorifie de la victoire et s'applaudit comme d'un grand triomphe d'avoir battu les Métis. Riel est condamné, les principaux Métis de Saskatchewan sont dans les fers; et dans son enthousiasme, le Parlement vote vingt mille piastres au général Middleton; tout le Canada est fier de son succès et de celui des volontaires. Nous sommes heureux comme le reste de la nation que cette rébellion soit finie, nous l'avons vivement combattue, prévoyant tous les malheurs qu'elle entraînerait avec elle. Mais je dois le dire au risque de choquer plusieurs personnes que j'aime et estime; l'armée du général Middleton s'est déshonorée par le pillage éhonté auquel elle s'est livrée, malgré la proclamation du général qui défendait de ne rien toucher, de ne rien prendre. Je ne parle pas d'après les rapports qui m'ont été fait; mais j'ai visité plusieurs fois la contrée qui avoisine Batoche, et je puis affirmer que sur une longueur de 25 milles, toutes les maisons établies sur le côté sud de la Saskatchewan ont été pillées et saccagées, et plus de 20 ont été brûlées et rasées.
Cette contrée jadis si florissante offre un spectacle affreux de désolation et de détresse qui fait mal à voir. Les volontaires ont pillé les habitants et tout ce qu'ils possédaient, leurs chevaux, leurs effets et habillements, et ils n'ont laissé aux malheureux que ce qu'ils avaient sur le dos. Le général été humain et doux à l'égard des habitants, il ne leur a infligé aucun traitement cruel, mais il a assisté impassible à tout le pillage qui se faisait autour de lui, malgré sa proclamation. Et lui-même, comme pour les encourager à piller, s'est approprié un beau cheval et une voiture d'un nommé Manuel Champagne, dont il a fait présent à Thomas Ibouri. Voilà les faits dont je suis certain, et le ministre de la milice peut affecter l'ignorance tant qu'il voudra, ces faits n'en seront pas moins vrais et réels.
Le résultat de tout cela est que nos pauvres Métis sont dans une détresse et un dénuement extraordinaires.
Je regrette que le général Middleton n'ait pas achevé son oeuvre, et qu'au pillage il n'ait ajouté le massacre, au moins il nous aurait épargné le spectacle de cette agonie prolongée que voyons devant nous.
Un tel écrit, émané d'un témoin aussi digne de foi que le Rév. Père André, est de nature à diminuer quelque peu la gloire du général en chef, dont l'unique victoire se réduit à avoir emporté en quatre jours une redoute défendue par cinquante hommes; du général en chef qui n'est parvenu à prendre de vive force qu'un cheval volé à son propriétaire; mais qui n'a pu prendre Riel qu'en lui écrivant une lettre pour le prier de se rendre, et qui, après avoir vainement poursuivi Gros Ours, n'a trouvé finalement d'autre ressources pour s'emparer de sa personne que de mettre sa tête à prix et de provoquer ainsi la trahison d'un des siens.
M. A. N. Montpetit, qui a résumé dans son livre sur Riel à la Rivière du Loup, les principaux événements de la campagne, décrit de la façon suivante les deux derniers exploits du général Middleton pendant cette campagne.
Juin, 9. Le général Middleton au Lac aux Huarts. Il traverse sur un radeau. Il abandonne la poursuite de Gros-Ours. Le pays est infranchissable.
Juin, 22. Le général Middleton, après s'être remis à la poursuite de Gros-Ours, y renonce une seconde fois et décide de renvoyer les volontaires dans leurs foyers.
Ce bulletin d'une concision expressive, ne ressembla pas précisément à un bulletin de la Grande armée, et il nous autorise à ne point porter M. le général Middleton en triomphe.
La personnalité que la campagne du Nord-Ouest a mis hors de pair, ne figure point dans le camp des victorieux, mais dans celui des vaincus: c'est celle de Gabriel Dumont.
QUEUE-D'AIGLE
Par son énergie, par sa bravoure, par l'influence qu'il a su acquérir sur ses compagnons, Gabriel Dumont s'est fait une place à part. Les Métis le considèrent comme un héros. Ils racontent de lui des traits de bravoure romanesques dignes des Trois Mousquetaires de Dumas. Sir John A. Macdonald lui a rendu justice en plein parlement en ajoutant, il est vrai, que s'il l'avait entre ses mains, cela ne l'empêcherait pas de le faire pendre. De son côté, Mgr Taché dit de lui: «Dumont est un héros d'un autre âge, brave comme un lion, inaccessible à la peur, désintéressé, fort comme un Hercule, connaissant le pays comme pas un; c'est le vieux type des trappeurs d'autrefois.» Gabriel Dumont est en liberté aux États-Unis. Un jour ou l'autre, nous entendrons encore parler de lui. Dieu veuille que, ce jour-là, nos affaires soient mieux conduites et que l'injustice unie au fanatisme n'ait à faire parmi nous de nouvelles victimes.
CHAPITRE V
LES PRÉLIMINAIRES D'UN PROCÈS SANS NOM
Le général Middleton avait adressé à Riel la lettre suivante:
BATOCHE, 11 mai.
MONSIEUR RIEL.
Je suis prêt à vous recevoir, vous et votre conseil, et à vous protéger jusqu'à ce que le gouvernement ait pris des mesures à votre égard.
Il n'y a pas un militaire, ayant le sentiment de sa position et de sa responsabilité, qui ne soit prêt à déclarer que cette lettre comportait la garantie que celui à qui elle était adressée, aurait la vie sauve, s'il consentait à faire sa soumission. C'était un engagement d'honneur.
On sait comment il a été faussé.
Riel s'est rendu le 15 mai. Il a été immédiatement dirigé sur Regina. Le gouvernement lui avait préparé un tribunal, choisi tout exprès pour le condamner sans l'entendre; et le premier acte de ses geôliers a été de faire subir à l'homme, que le général Middleton avait traité comme belligérant, le supplice inutile et odieux des fers et du boulet.
Cet acte de barbarie ne saurait être considéré comme le résultat de l'excès de zèle d'un subalterne féroce, car Sir John A. Macdonald en a assumé la responsabilité devant le parlement, dans la séance du 7 juin, en réponse à une interpellation de M. Laurier.
Si le Canada avait été administré par un gouvernement soucieux de sa bonne renommée devant l'étranger et devant l'histoire, il semblait, au lendemain de la pacification, qu'une amnistie générale s'imposât.
S'il est vrai qu'une insurrection politique mérite à tout le moins des circonstances atténuantes, lorsque ceux qui ont eu recours aux armes, y ont été en quelque sorte contraints par d'intolérables souffrances et des dénis de justice persistants, nulle cause n'était plus digne de pardon que celle des Métis.
Jamais griefs n'avaient été plus fondés. Tout le monde l'a reconnu. Mgr Taché et Mgr Grandin l'ont proclamé tour à tour. Le gouvernement lui-même été obligé d'en faire indirectement l'aveu, en accordant aux Métis, après la révolte, ce qu'ils réclamaient vainement depuis hui années.
Des scripts on déjà été remis à plus de deux mille Métis.
Il résulte de ces concession tardives, la preuve évidente que les Métis avaient raison de se plaindre, et la preuve non moins convaincante que, sans l'insurrection ils n'auraient rien obtenu.
Si l'on ajoute à cette démonstration, que les Métis n'ont pas tiré le premier coup de feu; et que des spéculateurs, des aventuriers, des agents subalternes du gouvernement sont véhémentement suspects d'être les véritables instigateurs de l'insurrection, alors l'amnistie ne se présentait plus seulement comme un acte de clémence, mais comme un devoir de justice.
Malheureusement, le gouvernement de Sir John A. Macdonald ne l'entendait point ainsi.
Plus les Métis avaient raison, plus les ministres considéraient qu'il fallait que Riel mourût. Admettre des circonstances atténuantes à l'insurrection, cela équivalait à déclarer les ministres coupables. Coupables! Ils l'étaient et ils le savaient. Mais ils ne voulaient pas qu'on le dit, ni surtout que les électeurs canadiens le crussent. Ils se figurèrent que pour couvrir devant le public l'énormité de leurs fautes passées, il importait d'abord de tuer Riel.
Mais il ne suffisait pas de le tuer; il fallait en même temps travailler à faire le silence sur cette sombre histoire de plus huit années de vexations, de fraudes et d'abandon.
De ce jour, tous les efforts du gouvernement furent consacrés à un double but:
Organiser une comédie judiciaire, dans des conditions telles que Riel ne pût en aucun cas échapper à la corde.
S'assurer d'un juge assez vil, pour qu'on fût bien certain qu'il n'y aurait qu'un faux semblant de débat; et que les ministres ne seraient point exposés à voir dérouler, devant le jury et devant le pays, la longue série des griefs, peut-être des instigations d'agents provocateurs, qui avaient mis aux Métis les armes à la main.
En un mot, il fallut empêcher avant tout de faire la preuve que les Métis n'étaient pas des insurgés, mais de pauvres gens en état de légitime défense.
Malheureusement, la législation des territoires du Nord-Ouest allait mettre entre les mains d'un gouvernement prévaricateur, les moyens de tout oser et de tout faire.
PRISON DE REGINA
Les Actes des territoires du Nord-Ouest, votés par le parlement canadien, en violation du droit commun anglais, établissent que les crimes commis dans le Nord-Ouest seront jugés par un simple magistrat stipendiaire, assisté d'un juge de paix, et avec le concours de six jurés choisis par le juge.
Cette justice expéditive et sommaire avait été établie en 1875 alors que le pays était presque inhabité, dans le but de statuer, comme on statue au désert, sur des actes de maraude, des meurtres entre sauvages ou des vols de bestiaux. Mais personne n'avait jamais considéré qu'une telle législation dût s'appliquer à l'un des plus grands procès politiques du siècle.
L'Acte de 1877, voté sous l'administration libérale, avait même expressément réservé le cas où il se présenterait une cause grave et réclamant des garanties spéciales. Il déclarait que, dans tout procès emportant la peine capitale, l'accusé pourrait réclamer que les débats eussent lieu devant la cour du banc de la Reine de Winnipeg, avec le concours d'un jury régulier et l'ensemble des garanties contenues dans la loi de procédure criminelle de Manitoba.
Mais, un an après le vote de cette loi qui laissait quelques garanties aux accusés, sir John A Macdonald était entré au pouvoir; et le premier soin du chef orangiste avait été d'organiser systématiquement la tyrannie et le déni de justice, en soumettant les Actes du Nord-Ouest à une refonte générale.
Dans cette refonte qui a pris le d'Acte de 1880, et qui est l'oeuvre personnelle de sir John A. Macdonald, on a conservé toutes les mesures d'exception prévues par la législation antérieure: le magistrat stipendiaire, les six jurés nommés par le juge, etc. Mais en prenant toute ces mesures à son compte et en les sanctionnant à nouveau, la majorité conservatrice a rayé méthodiquement du nouveau bill, les garanties précédemment introduites par les libéraux et destinées à tempérer ce que cette législation exceptionnelle pouvait présenter d'abusif.
Sous l'empire de la loi votée par le ministère libéral, Louis Riel eût été jugé à Winnipeg, par un juge de la cour du banc de la Reine, assisté de douze jurés, dont six parlant la langue de l'accusé, et sur la liste desquels celui-ci aurait le droit d'en récuser vingt.
Mais Sir John A. Macdonald, prévoyant l'éventualité de la terreur à rétablir un jour dans le Nord-Ouest, avait eu la précaution de faire détruire par sa majorité, cette disposition protectrice du droit des accusés.
Et il avait trouvé un Parlement, qui avait consenti à voter, sur sa demande, ce règlement inouï, aux termes duquel un citoyen libre, privé de toutes les garanties de l'habeas corpus et du jugement par ses pairs, est livré à la merci d'un officier de police subalterne, et où cet officier de police, qui n'est pas un juge, exerce le droit de vie et de mort, à la seule condition de se faire assister (amère dérision!) par six marionnettes désignées par lui et faisant mine de remplir les fonctions de jurés.
Nul Canadien n'est censé ignorer la loi. Mais très peu de Canadiens avaient feuilleté les Actes des territoires du Nord-Ouest, avant le procès de Riel. A la date du 21 juin, les avocats de Riel eux-mêmes étaient assez peu fixés, et dans tous les cas bien loin de prévoir la stupéfiante juridiction à laquelle leur client allait être soumis; car ils se rendaient à Ottawa, pour demander à Sir John de faire juger Riel devant la Cour suprême; et Sir John, évitant avec soin de démasquer trop tôt ses batteries, se bornait à leur faire une réponse évasive.
Ce fut le journal La Presse qui souleva, le premier, la question légale, et qui fit connaître les textes au public, en révélant ainsi le péril auquel la défense était exposée. En même temps, La Presse indiquait le remède; et elle invitait le gouvernement à profiter de ce que les chambres étaient encore en session, pour faire voter d'urgence un bill qui eût assuré à Riel un jury régulier.
Mais demander au gouvernement de lâcher lui-même sa proie, c'était peine perdue, c'était presque naïf; et malheureusement les députés, qui eussent pu, au défaut du gouvernement prendre l'invitation pour leur compte, ne semblèrent point y prendre garde.
Cependant, le 16 juillet, à la séance du soir, quelques instants avant que Sir John A. Macdonald déposât la proposition qui allouait au général Middleton une gratification de $20,000, M. Bergeron--auquel il devra être tenu compte de cette initiative--demandait au gouvernement de faire modifier la loi de façon à donner à Riel la garantie d'un jury mixte.
Sir Hector Langevin répondit, en donnant l'assurance que Riel aurait un procès régulier et que le jury serait choisi dans de hautes conditions d'impartialité!
Cette promesse, qui précédait de deux mois celle de la commission médicale, a eu le sort que chacun sait. Désormais, le nom de Sir Hector Langevin est devenu synonyme de celui de parole faussée.
A la veille de la prorogation du Parlement, M. le sénateur Trudel avait fait au Sénat la même demande, et il lui avait été répondu que «le gouvernement n'avait pas considéré la question.»
C'était un autre mensonge.
Le gouvernement avait si bien considéré la question, qu'il savait que l'Acte des territoires du Nord-Ouest l'autorisait à y rendre exécutoire, par simple proclamation du gouverneur en conseil, toute loi de droit commun antérieurement votée par le Parlement du Canada.
Seulement, au lieu d'user ce cette faculté de donner à Riel un juge et un jury, le gouvernement s'en était servi, après une minutieuse étude, pour modifier au détriment de l'accusé, les règles de procédure qui eussent pu créer, en sa faveur, un cas de nullité et lui donner quelque chance d'échapper à la mort.
Ainsi, comme on avait oublié d'écrire l'indictment sur parchemin, une proclamation du gouverneur-général en conseil déclara, avec effet rétroactif, que la disposition de loi aux termes de laquelle le parchemin a cessé d'être obligatoire, serait considérée comme applicable aux territoires du Nord-Ouest.
C'était la façon dont les ministres entendaient user de leurs attributions pour améliorer le régime judiciaire du Nord-Ouest!
Cependant l'ensemble des mesures prises n'était pas encore complet.
Les ministres avaient entre les mains, grâce à l'acte de 1880, une législation qui leur permettait de tout faire avec impunité. Il leur fallait un instrument assez pervers et assez dépourvu des moindres instincts de la conscience et de l'honneur, pour appliquer cette législation avec toute la férocité qu'elle comporte.
Il est triste de dire que plusieurs magistrats avaient brigué la fonction de juger Louis Riel.
Entre tous, le gouvernement crut avoir trouvé son homme, en faisant choix de Richardson.
A une époque déjà ancienne, bien des scélérats sinistres ont déshonoré en Angleterre le siège du juge, prostitué la justice et transformé odieusement la loi en machine à persécutions politiques et à meurtres judiciaires. Jeffries, sous Jacques II, a laissé un nom qui dépasse en horreur les souvenirs les plus atroces des temps de barbarie. En Irlande, Lord Norbury, Sir William Parsons, que subornait des témoins pour se faire dénoncer ses ennemis, les jugeait, les condamnait à mort et se faisait ensuite adjuger leurs biens confisqués, ont donné l'exemple de tout ce qu'on peut attendre de la corruption associée à la férocité, en un temps où les passions et le fanatisme sont déchaînée. Quand on dressera, pour recueillir les noms de tous ces hommes et les clouer au pilori de l'histoire, un livre de sang, Richardson, venu un siècle plus tard aura le droit d'y réclamer sa place et de fermer la liste des magistrats voués à l'exécrations des siècles à venir.
Richardson, quoique La Minerve ait essayé de faire croire le contraire, est orangiste et conservateur.
Il appartient à une famille conservatrice d'Ontario, dont Sir John A. Macdonald a voulu récompenser les services électoraux, en appelant cet homme à un emploi salarié au département de la justice à Ottawa, en 1869. Depuis cette date jusqu'en 1877, il s'y éleva de degré en degré, toujours grâce de Sir John A. Macdonald, et lorsque l'avant dernière administration conservatrice prit fin, en 1875, il avait remplacé pendant un an le député ministre.
M. Mackenzie, en arrivant au pouvoir, ne sut que faire de cet adversaire politique dont l'incapacité déjà proverbiale égalait l'importance bouffie. Au lieu d'en purger l'administration, il eut la faiblesse de se borner à lui imposer une disgrâce; et pour en débarrasser au moins le département, il l'envoya au Nord-Ouest comme magistrat stipendiaire, à une époque où les fonctions du magistrat stipendiaire consistaient à juger les Sauvages. Personne ne pouvait prévoir que sir John A. Macdonald imaginerait, trois ans plus tard, de confier à ces agents de police, qu'on nomme magistrats stipendiaires, le droit de juger les procès de haute trahison.
Au Nord-Ouest, Richardson ne tarda pas à conquérir une réputation de sottise, de crasse ignorance, de partialité, de rigueur stupide et de basse servilité, sur laquelle on peut consulter L'Hon. M. Royal et tous les hommes politiques qui ont habité ce pays.
Mais sa réputation de mangeur de français était encore supérieure à sa réputation d'homme à tout faire.
On sait, par le banquet de Winnipeg, ce que sont au Nord-Ouest, les orangistes et les mangeurs de français.
Bref, Richardson était un de ces hommes qui, selon le mot fameux de M. Dupin sur les révolutionnaires: «ne sont propres à rien et sont capables de tout.»
Sir John A. Macdonald, qui le connaissait, avait trouvé en lui l'homme qui convenait pour conduire le procès auquel le Monde a donné dans une heure de franchise involontaire, le nom de farce sinistre, et pour aboutir avec aussi peu de débats que possible à la condamnation de Riel.
Et le gouvernement avait tout mis en oeuvre pour lui livrer sa proie.
Aux termes de la loi, toute offense doit être jugée dans le lieu où elle a été commise. Or, le théâtre de l'insurrection était à plus de 400 milles de Regina. Mais on profita judaïquement de ce que l'insurrection s'étendait au Nord-Ouest tout entier, pour faire conduire Riel à Regina, afin de le placer sous la juridiction de Richardson.
C'était une violation du droit à peu près semblable à celle qui consisterait à faire juger à Halifax, un individu qui aurait pris part à une émeute à Montréal, en s'appuyant sur le prétexte qu'Halifax est compris dans le Canada et que la conspiration se serait étendue au Canada tout entier.
Mais Sir John A. Macdonald qui avait, et pour cause, une entière confiance dans la docilité et dans la cruauté de Richardson, n'était pas moins au fait de son ignorance et de son incapacité.
On pourvut à cet inconvénient, en envoyant le sous-ministre de la justice, M. Burbridge, à Regina, avec mission d'assister aux débats, de conduire le juge par la main et de lui donner chaque jour, de vive voix, les instructions que pourraient comporter les incidents à naître.
Jamais, croyons-nous, à aucune époque et dans aucun pays, la main-mise du gouvernement sur la justice ne s'était étalé avec tant d'impudeur.
On avait bien vu des juges subornés par le pouvoir. Mais un membre du gouvernement, se rendant dans le prétoire pour y faire mouvoir en personne les ficelles du mannequin déguisé en juge, c'est ce qui ne s'était encore vu nulle part, et ce qui restera comme un trait unique, pour illustrer l'histoire de l'administration de la justice dans le Canada, sous le règne de Sir John A. Macdonald.
CHAPITRE VI
RICHARDSON A L'OEUVRE
Les débats s'ouvrirent à Regina sous la présidence de Richardson, assisté du juge de paix Lejeune, le lundi 20 juillet.
L'acte d'accusation était ainsi conçu:
Le sixième jour de juillet en l'année de notre Seigneur 1885, dans la ville de Regina dans les territoires du Nord-Ouest, devant Hugh Richardson, écr., magistrat stipendiaire des territoires du Nord-Ouest de 1880, Louis Riel vous êtes accusé sous serment comme suit:
La plainte et information de David Stewart, de la cité de Hamilton, dans la province de Toronto, Puissance du Canada, chef de police, prise sous serment le sixième jour de juillet en l'année de Notre-Seigneur mil huit cent quatre-vingt-cinq, devant le soussigné, un des magistrats stipendiaires dans et pour les territoires du Nord-Ouest, qui dépose:
LAC AUX CANARDS.
Étant sujet de Notre Souveraine Dame la Reine, mettant de côté son devoir d'allégeance, n'ayant pas la crainte de Dieu dans son coeur, mais étant poussé et séduit par l'instigation du diable comme faux traître contre la dite souveraine Dame la Reine, et foulant entièrement aux pieds l'allégeance, la fidélité et l'obéissance que tout sujet vrai et fidèle de notre dite souveraine Dame la Reine doit à notre dite souveraine Dame la Reine, a, le vingt-septième jour de mars, dans l'année susdite, avec diverses personnes, faux traîtres, inconnues au dit Stewart, armées, et équipées en guerre, c'est-à-dire, avec des canons, des carabines, des pistolets, des baïonnettes et autres armes, étant alors illégalement, malicieusement et traîtreusement assemblées et réunies ensemble contre notre souveraine Dame la Reine, ont de la manière la plus méchante, la plus malicieuse, la plus traîtreuse pris les armes et fait la guerre contre notre dite souveraine Dame la Reine, dans la localité connue sous le nom de du Lac aux Canards, dans les dits territoires du Nord-Ouest du Canada, et dans les limites de ce royaume et ont alors malicieusement et traîtreusement tenté par la force des armes, de renverser et détruire la constitution et le gouvernement de ce royaume, tel qu'établis par la loi, et priver et déposer notre dite souveraine Dame la Reine du titre, de l'honneur, et de nom royal de la Couronne Impériale de ce royaume au mépris de notre dite souveraine Dame la Reine et de ses lois, au mauvais exemple de tous autres se rendant coupables de la même offense, contrairement au droit d'allégeance qui lui était dû par le dit Louis Riel, contre la forme du statut en pareil cas fait et pourvu, et contre la paix de notre souveraine Dame la Reine, sa couronne et sa dignité.
Deux autre actes d'accusations semblables ont été dressés pour les batailles de Batoche et l'Anse aux Poissons.
Assermenté devant moi, les jour et an susdits, en la ville de Regina, Territoires du Nord-Ouest,
(Signé,) A. D. STEWART.
(Signé,) HUGH RICHARDSON.
Magistrat stipendiaire dans et pour les Territoires du Nord-Ouest.
La liste du jury qui, d'après la parole de sir Hector Langevin, devait «être dressée dans des conditions de haute impartialité», avait été préparée, sous l'oeil du gouvernement, par Richardson, dans des conditions tellement révoltantes que, pour retrouver une pareille dérision de la justice, il faut remonter aux plus honteux souvenirs de la persécution orangiste en Irlande.
Louis Riel aurait eu droit, aux termes de la loi anglaise, à un jury dont la moitié parlant sa langue; mais Richardson n'avait pas même cherché à sauver les apparences, en inscrivant sur sa liste un seul juré métis. Il y avait mis, sans doute par dérision, un juré canadien-français. Mais ce juré ne siégea pas; il fut récusé par l'avocat de la couronne, avec une précipitation tellement inconvenante, qu'avant d'avoir eu le temps de se lever de son siège et de répondre à l'appel de son nom, il n'était déjà plus juré. La résolution du gouvernement était prise; ce n'était pas un jugement qu'on voulait: c'était une condamnation sans phrases.
Dès le début du procès, M. Fitzpatrick et M. Greenshields, avocats de Riel, plaidèrent l'inconstitutionnalité de l'acte de 1880, en vertu duquel le tribunal était constitué, et par conséquent, l'incompétence du tribunal et la nullité de la procédure.
MM. Robinson et Osler répondirent pour la forme, au nom de la couronne; et le juge Richardson, trouvant inutile de se donner l'air de délibérer, donna son opinion en dix secondes.
L'opinion de cette lumière de la magistrature était, que l'acte de 1880 n'a pas été rendu ultra vires; et conséquemment, il enjoignit à Riel de plaider.
Celui-ci déclara alors qu'il plaidait non coupable; et M. Fitzpatrick demanda l'ajournement, pour faire venir des témoins et des documents.
Malheureusement, le procès avait été mené avec une rapidité si imprévue que la défense n'avait pas eu le temps de recueillir des fonds, elle fut obligée de s'adresser à la Couronne pour lui demander de supporter les frais du voyage des témoins; et la Couronne n'y consentit qu'après avoir fait son choix et éliminé tous les témoins, dont la présence eût pu être gênante pour le ministère et donner au débat la tournure politique que le gouvernement tenait avant tout à éviter.
La Couronne considéra comme simplement inconvenante l'offre faite par Gabriel Dumont de venir déposer en faveur de Riel; et elle lui refusa un sauf-conduit, ainsi qu'aux autres réfugiés.
La liste des témoins se restreignit à quelques personnes, citées pour déposer sur l'état mental de Riel; et le mardi 21 juillet, le juge Richardson ajourna le débat au 28.
Sept jours, pour permettre à M. Lemieux de revenir à Québec, de citer des témoins et de les ramener à Regina, après avoir fait un voyage de mille lieues!
C'était à douter si les témoins auraient le temps matériel de faire le voyage.
Précédemment, le juge Richardson avait retenu un accusé en prison préventive pendant quatre ans, en se fondant sur la difficulté de faire venir des témoins!
Mais ce juge extraordinaire n'en était point à démontrer, que la justice du Nord-Ouest sait avoir, quand il est besoin, deux poids et deux mesures, et qu'elle ne confond point les témoins des amis avec ceux des ennemis du gouvernement.
Cependant, dans l'intervalle, le tribunal ne perdit point son temps.
Les orangistes, qui avaient décidé d'obtenir la tête de Riel, avaient décidé en même temps d'obtenir la liberté de Jackson, secrétaire anglais de Riel, un des délégués qui avaient préparé l'insurrection et qui était allés chercher Riel au Montana.
Mais, pour les orangistes, ce qui est crime capital chez un Canadien-français, comme Riel, devient excusable chez un Anglais, comme Jackson; et l'acquittement de Jackson était d'autant plus urgent que le jury de Riel, tout Anglais qu'il fût, manifestait des scrupules; et qu'il importait de se l'attacher par quelque faveur de nature à le faire renoncer à ses velléités s'indépendance.
Wm. Henry Jackson comparut devant la cour, le 25 juillet. Il plaida la folie. Il produisit comme témoins son propre frère et le médecin de la police à cheval. L'avocat de la couronne se prononça en faveur de l'accusé et le jury rendit un verdict de non-culpabilité. Le procès ne dura pas une demi-heure en tout. Pourquoi eut-il duré plus longtemps?
Tout était arrangé à l'avance pour sauver Jackson, en sa qualité d'Anglais, comme pour perdre Riel, en sa qualité de Canadien-français.
Les débats relatifs à Riel se rouvrirent le 28, et de l'aveu unanime des hommes impartiaux, ils lui furent beaucoup plus favorables qu'on pensait.
La défense avait renoncé à chercher dans les griefs des Métis un motif d'excuse légale et à faire comparaître les témoins sur cette question, ce en quoi on trouva généralement que les avocats de Riel avaient eu tort, car ils n'auraient pas dû faire cette concession, sans être certains d'obtenir en échange l'acquittement ou la grâce de l'accusé.
Mais il parut démontré par les dépositions des propres prisonniers de Riel que, jusqu'à la fin, il avait poursuivi et espéré une transaction; qu'il n'avait donné l'ordre de tirer qu'après que le major Crozier avait fait tirer le premier coup de feu par les hommes de police, et que par conséquent les Métis étaient en cas de légitime défense.
Parmi les charges dirigées contre l'accusé, la plus grave en apparence résultait d'une lettre adressée par lui au général Middleton, et dans laquelle Riel aurait menacé le général de faire massacrer ses prisonniers, si l'armée ne cessait pas elle-même de tirer sur les maisons occupées par les femmes et par les enfants. Mais il fut démontré que cette lettre était une menace plus ou moins habile, mais qu'il n'avait jamais été dans l'intention de Riel de la mettre à exécution; et tout au contraire, ses prisonniers déclarèrent devant la cour se louer hautement des égards avec lesquels il avaient été traités.
Le fait de haute trahison n'en subsistait pas moins, selon la rigueur du droit. Mais chaque preuve nouvelle restreignait l'accusation à un caractère exclusivement politique, et tendait, même sur le terrain politique, à diminuer la responsabilité de Riel.
Quand on pense que Jackson a été déclaré fou et enfermé dans un asile, dont on l'a laissé depuis s'échapper; que, malgré le massacre du Lac aux Grenouilles, Gros-Ours n'a été condamné qu'à trois ans de pénitencier, et que Thomas Scott, un Anglais, qui avait été l'instigateur de la rébellion, a été acquitté, à la recommandation de Richardson et aux applaudissement du public, il est impossible de considérer le verdict rendu contre Riel autrement que comme un meurtre légal.
Cependant, les avocats de Riel avaient décidé de plaider la folie. Le dérangement des facultés et l'exaltation du malheureux chef métis n'étaient que trop certains. Mais il n'est pire sourds que ceux qui ne veulent pas entendre et Richardson était décidé à ne rien écouter et à ne rien entendre.
Deux médecins déclarèrent Riel fou, et le docteur Tucke, de la police à cheval, n'osa pas affirmer qu'il ne l'était point. Cela n'empêcha pas Richardson de déclarer aux jurés que la preuve de la folie n'avait point été faite et de peser sur eux, en leur intimant qu'ils manqueraient à leur devoir, s'ils ne rendaient point un verdict de culpabilité.
La résolution des avocats de plaider la folie donna lieu à un débat très émouvant, dans lequel Riel protesta contre ce qu'il considérait comme une tactique indigne de lui, mais ne parvint point à prouver pour cela aux hommes impartiaux qu'il fut sain d'esprit.
Après les plaidoiries, dans lesquelles M. Greenshields se surpassa, dit-on, Riel prit lui-même la parole et s'exprima en des termes qui eussent pu convaincre les plus sceptiques du dérangement de ses facultés.
Lorsque le juge l'invita à parler, il hésita un moment, puis s'appuyant les deux mains sur la barre et saluant le juge d'un sourire, il dit:
Votre Honneur, messieurs les jurés, messieurs de la Couronne et mes bons avocats.
Ce serait une tâche bien facile pour moi de plaider folie, mais je n'ai pas le désir de me défendre par ce moyen. J'espère, avec les secours de Dieu, pouvoir vous convaincre que je ne suis pas fou. Les documents que la Couronne a en sa possession ne ressemblent pas à des productions d'un fou, et vous ne les accepterez pas comme preuve de l'appui du plaidoyer de folie produit par mes avocats.
Ici, le prisonnier s'arrêta soudain et il offrit au ciel la courte prière suivante: «O mon Dieu, aidez-moi à parler à cette honorable cour, à ces avocats et à ces jurés.»
Après cette prière, Riel reprit son discours et dit: Le jour où je suis né, j'étais sans force ni appui, mais ma mère m'aida. Je suis sans force et sans appui ici aujourd'hui, mais le Nord-Ouest est ma mère et mon pays ne me laissera pas périr, ma mère ne me tuera pas et mon pays non plus. J'ai un grand nombre de bons amis, non seulement ici dans le Nord-Ouest, mais dans le Bas Canada. Si j'étais fou lorsque je vins ici en 1884, je ne l'était pas assez pour ne pas m'apercevoir que les Métis mangeaient du lard pourri qui leur était vendu par la Compagnie de la Baie d'Hudson, pour ne pas m'apercevoir que les Sauvages se trouvaient forcés de mendier la maigre pitance qui leur était due, mais leur était refusée. J'espère réunir ensemble toutes les classes qui habitent la Saskatchewan.
Bien que je n'aie que la moitié d'un juré, je sens que, mûs par le fairplay anglais, ces jurés me rendront justice.
Dans tout le cours de ma vie, j'ai travaillé pour atteindre des résultats pratiques, et Dieu est avec moi. Je l'ai trouvé ce Dieu, me regardant dans la bataille de la Saskatchewan, alors que les balles pleuvaient autour de moi. Le saint Archevêque Bourget me disait dans une lettre, que, j'avais une mission à accomplir, et je sais que Mgr Bourget ne pouvait se tromper.
Après avoir dit quelques mots au sujet de sa détention à l'asile des aliénés, il dit: La police a été très bonne pour moi.
L'on a dit que je voulais amener sir John A. Macdonald à mes pieds. Je pense que si l'on avait fidèlement rapporté mes paroles, l'on m'aurait mieux compris et mes remarques auraient eu une autre couleur.
M. Blake essaie d'amener sir John A. Macdonald à ses pieds, et il s'y prend pour cela de la même manière dont je voulais m'y prendre pour atteindre le même but. L'on m'a décoré du titre de prophète, mais ce sont les Métis qui me l'ont décerné, ce titre, et n'ai-je pas prouvé que je le suis.
Votre Honneur, messieurs le jurés--Ma réputation, ma liberté, ma vie sont entre vos mains. J'ai si grande confiance dans votre sens du devoir que je n'éprouve pas la plus légère anxiété ni le plus léger doute au sujet de votre verdict.
Le calme de mon esprit au sujet de la décision favorable que j'attends de vous, ne provient d'aucune présomption injustifiable. Je ne m'attends qu'à ce que, par la grâce de Dieu, vous pèserez toutes choses d'une manière consciencieuse, et qu'après avoir entendu ce que j'ai à dire, vous m'acquitterez.
Messieurs les jurés, bien que vous ne constituiez qu'un demi-juré, vous avez tout mon respect, et j'ai en vous six, la même confiance que je voudrais avoir dans les six autres qui devaient compléter votre nombre, et Votre Honneur, si c'est vous-même qui avez choisi les jurés, ce n'est pas sous votre responsabilité personnelle, vous avez suivi les lois faites pour vous guider, et bien que je n'approuve pas ces lois, je crois de mon devoir de faire cette protestation de mon respect pour votre honneur. Cette cour entreprend de dévider ma cause, cause qui tire son origine de quinze ans, et par conséquent bien longtemps avant l'existence de cette cour. Je suis ici devant un juge savant, sans doute, mais ayant à subir mon procès devant lui, je considère que la providence de Dieu a peut-être permis ces choses jusqu'à ce moment, dans un but spécial de pardon.
Comment cette cour en est-elle arrivée à devenir un instrument de la Providence, instrument que j'aime et que je respecte?
En prenant les circonstances de mon procès, il n'y a que trois choses sur lesquelles je désirerais attirer respectueusement votre attention, avant que vous vous retiriez pour délibérer.
D'abord, la Chambre des Communes, le Sénat et le gouvernement de la Confédération, qui font les lois de ce pays et qui le gouvernent, ne représentent en rien la population du Nord-Ouest. Dernièrement, le Conseil des Territoires du Nord-Ouest, issu du gouvernement fédéral, a hérité des défauts de ses parents. Le nombre des membres élus par le peuple au conseil, ne lui donne qu'un simulacre de représentation, et il y a loin de là à un gouvernement représentatif. La civilisation anglaise qui gouverne le monde aujourd'hui et la constitution anglaise ont défini le gouvernement qui devait régir le Nord-Ouest en l'appelant gouvernement responsable, ce qui veut tout simplement dire qu'ils ne sont pas responsables.
De toute la science dont on a fait montre devant vous hier, vous avez été forcé de conclure que si je n'étais pas responsable de mes actes, je ne suis pas sain d'esprit. Le bon sens seul, sans les théories ou des explications scientifiques, même conclusion.
D'après les témoignages rendus devant vous, dans le cours de ce procès, les témoins de la couronne comme ceux de la défense déclarent que pétitions sur pétitions furent envoyées au gouvernement fédéral, mais telle est l'irresponsabilité de ce gouvernement envers le Nord-Ouest, que pendant nombre d'années, il n'a jamais rien fait pour satisfaire aux justes réclamations des habitants de cet immense pays.
Si le gouvernement n'a pas pu répondre une seule fois, ce fait indique bien l'absence absolue de responsabilité.
De fait, il y a insanité compliquée de paralysie chez ce gouvernement. Je souffre de ce monstre d'irresponsabilité chez le gouvernement et ses mignons.
Le conseil du Nord-Ouest a pris le parti de répondre à la pétition en essayant de tomber subitement sur moi et sur mon peuple de la Saskatchewan. Heureusement, lorsqu'ils firent leur apparition et montrèrent leurs dents, j'étais prêt. J'ai fait feu et je les ai blessés avec des yeux flamboyants, mais avec des mains pures.
Souvenez-vous en: c'est ce que l'on appelle chez moi haute trahison.
O, mes bons jurés, au nom de Jésus-Christ que seul peut nous sauver, défendez-moi contre ceux qui veulent me déchirer en lambeaux. Si vous acceptez ce plaidoyer de la défense par lequel je ne serais pas responsable de mes actes, acquittez moi complètement, puisque j'ai eu à lutter contre des gouvernements aliénés et irresponsables de mon propre sort. Si vous vous prononcez en faveur de la Couronne qui prétend que je suis responsable, acquittez-moi tout de même. Vous êtes parfaitement justifiables de dire que je suis sain de raison et d'esprit. J'ai agi raisonnablement et à mon corps défendant pendant que les ministres fédéraux, mes agresseurs irresponsables, et qui sont conséquemment insensés, ne peuvent avoir agi qu'à tort, et s'il y a quelque part haute trahison, le crime doit être de leur côté et non du mien. J'ai dit.
M. Robinson parla enduite pour la Couronne; et après le résumé du président, le jury entra le 10 août, à 2 heures 15 de l'après-midi, dans la salle des ses délibérations.
Il en sortit une heure après, avec un verdict de coupable de haute trahison, avec recommandation de mercy.
Après tout, il y avait encore quelque humanité dans l'âme de ces Anglais, triés avec soin par un magistrat implacable. Nommés pour condamner, il avaient condamné; mais au dernier moment, le coeur leur avait manqué et ils avaient consigné l'expression de leurs remords dans cette recommandation à mercy dont les bourreaux ne devaient tenir aucun compte.
Alors il se produisit un nouveau scandale.
Richardson, en prononçant la sentence, s'adressa au prisonnier en ces termes:
Louis Riel, vous êtes accusé de trahison; vous avez ouvert toutes grandes les portes au massacre et au pillage. Vous avez apporté la ruine et la mort dans plusieurs familles qui, si elles avaient été à elles-mêmes, auraient vécu dans le confort et l'aisance.
Vous avez eu un procès juste et impartial.
Vos remarques n'excusent pas vos actions. Vous avez commis des actions dont la loi vous demande comte.
Le jury en rendant son verdict vous a recommandé à mercy. Je ne puis pas entretenir d'espoir pour vous, et je vous conseille de faire votre paix avec Dieu. Pour moi, un seul devoir pénible me reste à accomplir. C'est de prononcer la sentence contre vous. Si on vous épargne la vie, personne ne sera plus satisfait que moi, mais je ne puis entretenir aucun espoir de ce genre. La sentence est que vous, Louis Riel, serez conduit au corps de garde de la police à cheval de Regina, d'où vous venez, et gardé là jusqu'au 18 de septembre prochain, et de là au lieu de l'exécution, où vous serez pendu par le cou jusqu'à ce que la mort s'en suive. Que Dieu ait pitié de votre âme.
Qui avait donné à ce misérable Richardson le droit d'être assez bien renseigné, pour affirmer au condamné qu'il n'avait aucune clémence à attendre et pour engager par avance la Reine et ses représentants?
Il est probable que les ministres, qui n'avaient reculé devant rien pour obtenir cette condamnation, avaient dû faire connaître à leur affidé l'implacable résolution qui les animait. Mais il est douteux qu'ils l'eussent chargé de parler ainsi en leur nom.
Si l'insurrection avait eu besoin d'une excuse nouvelle, le procès de Riel et ce que ce procès a révélé, en fait de monstruosité inhérentes à l'administration de la justice dans le Nord-Ouest, suffirait à la justification des malheureuses victimes qui se sont soulevées contre un pareil régime.
CHAPITRE VII
NE VOUS FIEZ POINT A LA JUSTICE DES HOMMES
Aux termes de l'acte de 1880 sur les territoires du Nord-Ouest, tout jugement prononcé dans le Nord-Ouest et emportant la peine capitale est susceptible d'appel devant la cour du banc de la Reine de la province de Manitoba.
Les formes, selon lesquelles l'appel doit être interjeté, doivent être déterminées par une ordonnance du lieutenant-gouverneur en conseil.
La cour du banc de la Reine, après avoir entendu les plaidoiries, maintient le jugement ou le casse; et dans ce dernier cas, elle ordonne qu'il sera procédé à un nouveau procès.
Quoiqu'ayant de bonnes raisons pour n'avoir aucune espèce de confiance dans l'issue de l'appel, les avocats de Riel n'avaient qu'une conduite à tenir, celle que leur dictait la loi.
Elle avait fixé assez étrangement le mode de recours et confié à la cour du banc de la Reine de Manitoba une attribution qui eut dû logiquement appartenir à la Cour suprême. Mais si médiocre que fut la chance réservée au condamné, on n'en pouvait écarter aucune.
L'appel à Manitoba fut donc résolu.
Mais alors, il se présenta une difficulté imprévue.
Nous venons de dire que la loi avait délégué au lieutenant-gouverneur des territoires du Nord-Ouest, la mission de régler par une ordonnance les formes selon lesquelles l'appel doit être interjeté.
Or, telle est l'administration du Nord-Ouest que, depuis 1880, c'est à dire depuis cinq ans, M. le lieutenant-gouverneur des territoires du Nord-Ouest a oublié de faire cette ordonnance ou n'a pas encore trouvé les loisirs nécessaires pour remplir ce devoir de sa charge.
De telle sorte, que les condamnés jouissent théoriquement du droit d'appel, mais qu'en fait et jusqu'à ce qu'il ait plu à M. le lieutenant-gouverneur des territoires du Nord-Ouest de remplir les fonctions de la charge pour laquelle il reçoit un salaire annuel de $7,000, ces condamnés n'ont aucun moyen de dresser un acte d'appel sous une forme qui le rende légalement recevable à Winnipeg.
Cette situation en pouvait pas être inconnue du gouvernement; car le cas s'était déjà présenté pour des crimes ordinaires, et on y avait pourvu par des ordonnances toute gracieuses du gouverneur-général, autorisant par exception la cour du banc de la Reine à statuer sur l'appel qui n'avait pu lui être régulièrement déféré.
Mais l'incurie ou le machiavélisme du gouvernement d'Ottawa sont de telle nature, que ces incidents n'avaient fait naître dans l'esprit de personne l'idée de rappeler M. le lieutenant-gouverneur des territoires du Nord-Ouest à l'accomplissement de son devoir; et qu'au moment de la condamnation de Riel l'ordonnance nécessaire manquait toujours.
MM. Lemieux et Fitzpatrick durent s'adresser à Ottawa pour obtenir, en vertu de l'exception gracieuse à laquelle on avait eu recours en d'autres circonstances, la faveur d'exercer le droit que la loi garantit aux condamnés.
Il faut y avoir assisté pour le croire!... Le gouvernement résista d'abord à cette demande et agita sérieusement la question de savoir, s'il ne conviendrait pas de profiter de la violation de la loi commise par le lieutenant-gouverneur du Nord-Ouest, pour pendre Riel sans appel.
Grâce aux démarches personnelles de M. Fitzpatrick à Ottawa, on se décida à céder; et, à la dernière heure, l'appel put enfin être porté à Winnipeg.
Si les amis de Riel avaient pu garder une ombre d'espérance, dès l'ouverture des débats ils durent savoir exactement à quoi s'en tenir.
En effet, la cour du banc de la Reine de Winnipeg, qui est presque entièrement orangiste, contenait parmi ses membres un ancien ami de Riel, M. le juge Dubuc. Mais au jour de l'audience, ce juge, le seul favorable à l'accusé, ne siège point. Comment l'avait-on circonvenu? Des versions différentes ont couru; et au fond il importe assez peu de savoir, sous quelle forme cet ami du gouvernement a été invité à s'abstenir. Toujours est-il que M. le juge Dubuc, qui représente à la cour de Winnipeg l'élément canadien-français, passa en villégiature, à Montréal et autour de Montréal, le temps pendant lequel se débattait la grande cause, dans laquelle la vie d'un Canadien-français était engagée. On sait cependant, qu'il occupa dans le bureau de la Minerve une partie de ses loisirs; et que son retour à Winnipeg coïncida exactement avec les inspirations sous l'influence desquelles le Manitoba, qui avait été jusque là l'organe des Métis, fit brusquement volte face et commença à se déchaîner contre Riel.
A l'ouverture des débats, on remarqua que le condamné n'était pas présent.
Le ministère avait craint que, une fois hors du territoire du Nord-Ouest, il n'obtint d'un magistrat anglais un writ d'Habeas corpus.
Les débats furent assez courts et offrirent peu d'intérêt. M. Fitzpatrick plaida sur la question légale et M. Lemieux sur la folie de Riel.
La sentence rendu par le juge en chef Walbridge confirma sur tous les points le jugement de Regina.
Il ne restait donc plus qu'à en appeler au conseil privé d'Angleterre.
Mais, la science de Richardson n'allait, sans doute, point jusqu'à connaître le conseil privé; car, aussitôt que le télégraphe eut porté à Regina la nouvelle du rejet de l'appel, il se hâta de donner des ordres pour qu'on commençât immédiatement à dresser l'échafaud.
Précipitation hideuse et stupide!
Richardson devait attendre sa victime plus de dix semaines encore; mais il se consola, sans doute, par l'assurance donnée qu'elle ne lui échapperait point.
Si l'appel à Winnipeg n'avait laissé d'illusions à personne, il n'en était pas de même du recours devant le conseil privé d'Angleterre.
On ne perd pas toutes ses illusions en un jour; et il a fallu ce procès et le meurtre qui l'a terminé, pour nous faire perdre, une à une et jusqu'à la dernière, les illusions que nous pouvions avoir dans les institutions et dans les hommes qui nous régissent.
Au mois de septembre dernier, tous les amis de la justice étaient édifiés sur ce qu'il y avait à attendre de Winnipeg et du Nord-Ouest, mais ils avaient conservé, dans l'efficacité d'un recours à Londres, une confiance qui a malheureusement été déçue.
Cette confiance tenait à des causes diverses.
Le loyalisme dont les Canadiens-français ont donné tant de preuves par le passé, les a toujours poussés à une distinction qui a sa part de vérité, entre les sentiments des orangistes canadiens et les sentiments du gouvernement impérial. Sachant qu'ils sont très certainement, dans l'Amérique du Nord les plus fermes soutiens de l'état de choses actuel, nos compatriotes aiment à se figurer qu'on le sait aussi à Londres et qu'on leur en sait gré. La gloire et la grandeur séculaire des institutions anglaises ne sont pas, non plus sans leur faire concevoir un certain sentiment de respect. Ils ont vu ici les hommes et les choses de trop près pour éprouver vis-à-vis d'eux ce sentiment de respect. Mais il ne leur était pas encore venu à l'idée, que devant la plus haute juridiction du royaume uni, on fut exposé à se heurter à des préventions et à des partis pris inconciliables avec la majesté de la justice.
En nous guidant sur ce sentiment et sur cette règle de croyance, nous avions malheureusement oublié deux vérités de fait, qui eussent dû nous rendre moins confiants.
La première de ces vérités, est qu'il est à peu près impossible qu'un gouvernement européen apprécie les affaires d'une colonie éloigné, autrement que par les yeux des hommes qui le représentent officiellement dans cette colonie. Sir John A. Macdonald a été, il y a un an, se faire faire des ovations à Londres et y a contracté de nombreuses amitiés. Comment le gouvernement et les lords n'auraient-ils pas eu plus de confiance dans ses rapports, que dans ceux des avocats de Riel? Comment, même, le gouvernement impérial aurait-il pu croire à un parti pris contre notre race, quand Sir John s'appuyait sur le concours de trois ministres canadiens-français, disposant d'une majorité parlementaire énorme, pour soutenir que Riel était un malfaiteur dangereux et vulgaire, odieux à tous les hommes d'ordre.
Qui sait même, si la loyauté avec laquelle nos bataillons ont servi dans le Nord-Ouest n'aura pas été invoquée comme preuve à l'appui de notre indifférence pour le sort de Riel?
On sait quelle campagne audacieusement mensongère M. Tassé a entreprise dans les journaux de Paris, en se servant de son titre de député, pour essayer de faire croire qu'il représentait les sentiments de la nation canadienne. Il est hors de doute que le gouvernement, qui a suggéré à M. Tassé ce plan de campagne, en suivait lui-même un pareil à Londres. Comment le gouvernement anglais n'eut-il pas été trompé?
L'autre fait que nous avions négligé, c'est que le conseil privé est, en Angleterre, une institution politique et administrative, autant et plus que judiciaire, dont les attributions se rapprochent plus de celles du conseil d'état français que des attributions de la cour suprême.
On a pu s'en apercevoir, depuis le rejet du pourvoi de Riel, à la façon très peu judiciaire avec laquelle le conseil privé d'Angleterre, au lieu de statuer lui-même sur le pourvoi relatif à l'acte des licences, a déclaré s'en rapporter à la Reine, c'est-à-dire au secrétaire d'état des colonies, assisté de Lord Lansdowne et de ses conseiller officiels.
Dans l'esprit d'une telle assemblée, casser un jugement en déclarant inconstitutionnelle la loi en vertu de laquelle ce jugement a été rendu, est un acte d'une extrême gravité politique, auquel on ne se résout que très difficilement; et cette annulation, contre laquelle l'esprit du juge est pour ainsi dire, prévenu à l'avance, est rendue plus difficile encore, par l'étonnement que cause à un Anglais, habitué à considérer la toute puissance du parlement anglais comme un dogme fondamental, l'idée qu'une loi même coloniale, puisse être ultra vires.
Les avocats de Riel se fondaient principalement, pour obtenir l'annulation, sur l'inconstitutionnalité de l'acte des territoires du Nord-Ouest, qui prive les accusés de la jouissance du droit commun anglais et d'un jugement régulièrement rendu par douze jurés.
Ils pouvaient aussi s'appuyer sur l'irrégularité de l'indictment, aux termes duquel Riel avait été poursuivi et condamné «pour avoir déclaré la guerre à notre dame la reine dans son royaume», tandis qu'il résulte de nombreux monuments de jurisprudence, que les mots «dans son royaume» et la loi en vertu de laquelle Riel a été condamné, ne s'appliquent ni à l'Irlande ni à plus forte raison aux colonies.
Mais dès le premier jour, il fut visible qu'on était décidé à ne rien entendre.
Lorsque la cause fut appelée pour la première fois le 20 juillet, l'avocat anglais de Riel eut une peine extrême à obtenir l'ajournement nécessaire pour permettre à M. Fitzpatrick de recevoir des pièces importantes.
La cause revint le 21 octobre 1885, et cette fois, après avoir entendu l'avocat de Riel, le conseil privé ne permit pas même à l'avocat de la couronne de prendre la parole.
L'arrêt qui rejetait le pourvoi fut prononcé le lendemain.
Désormais, Louis Riel n'avait plus rien à attendre de la justice des hommes!
Il leur restait encore à faire appel à leur clémence.
Mais comment compter sur la clémence d'ennemis, auxquels on demande de détruire par un acte de clémence volontaire, l'effet d'une machination qu'ils ont eux-mêmes longuement préparée et soigneusement ourdie?
C'était folie que de songer à obtenir la grâce de Riel.
L'obtenir était impossible. Il eut fallu l'arracher!
Mais la grâce n'eut pu être arrachée que par un soulèvement général et unanime de l'opinion publique, tel que celui qui a été provoqué par la nouvelle de la mort de Riel.
Il nous reste à dire par suite de quelles manoeuvres perfides ce mouvement fut enrayé, et comment s'exécuta un plan d'une astuce infernale, qui permit d'endormir pendant quelque temps l'opinion, de la tromper par de fausses espérances et de ne la laisser se réveiller que quand il a été trop tard.
CHAPITRE VIII
LE COMITÉ DES BRAVES GENS
C'était une opinion universellement répandue, que Sir John A. Macdonald n'irait pas jusqu'au bout et que Riel ne serait pas pendu.
Cependant, toute personne ayant suivi avec un peu d'attention la succession des faits qui se sont écoulés depuis la reddition de Riel, aurait pu se convaincre que tous, sans exception, dénotaient de la part du gouvernement la volonté réfléchie et obstinée d'arriver coûte que coûte, à l'exécution du chef métis.
Mais, d'un autre côté, chacun (les ministres exceptés) savait que ce meurtre ne serait pas seulement un crime, mais une bêtise; et une bêtise telle qu'on ne pouvait croire que Sir John A. Macdonald la commit!
Et puis, nous nous étions laissés habituer peu à peu à subir une politique si exclusivement basée sur le mensonge, que cette habitude de voir nos gouvernants et leurs organes de mentir sur tout et à propos de tout, avait fini par fausser le jugement même des plus clairvoyants, même des ennemis les plus déclarés de la politique dont nous parlons.
Combien de fois, pendant les tristes jours qui ont précédé l'exécution de Riel, lorsque nous énumérions les preuves qui ne nous permettaient hélas! de conserver aucune espérance, n'avons-nous point été arrêtés et contredits par des amis qui nous tiennent à peu près le langage suivant:
Il est vrai, nous disait-on, que toutes les apparences sont pour l'exécution de ce pauvre Riel, mais avec Sir John il ne faut jamais s'en rapporter à l'apparence. Tout le monde sait qu'il n'a jamais accompli un acte politique, sans y mêler une tromperie et sans duper quelqu'un. Mais qui nous dit qu'en ce moment, ce ne soit pas les orangistes que Sir John cherche à duper? Qui nous dit qu'il n'accumule pas les preuves de sa volonté de perdre Riel, afin de les invoquer plus tard et de persuader à ses amis d'Ontario qu'un force supérieure à sa volonté lui a imposé, au dernier moment, la nécessité de faire grâce?
Peut-être n'y a-t-il point, au monde, de situation plus triste et plus démoralisante pour une nation, que la situation politique dans laquelle de tels discours peuvent être tenus par les amis et par les défenseurs du gouvernement eux-mêmes et en sont venus à ne plus étonner personne.
Nous nous en apercevons clairement aujourd'hui que l'heure du réveil est venue. Mais en nous reportant à quelques semaines de date, il faut convenir que des raisonnement de la nature de celui que nous venons de rapporter étaient dans toutes les bouches. Non seulement les conservateurs, mais les libéraux, les avocats de Riel eux-mêmes s'y étaient laissés prendre.
Il n'y a, croyons-nous que la Patrie qui ne s'y soit pas trompée un seul instant, qui ait été convaincue depuis le premier jour jusqu'au dernier que Riel serait pendu, et qui ait constamment prévenu ses lecteurs de se tenir en garde. Mais naturellement, les conservateurs attribuaient cette attitude de l'organe rouge à la passion ou à une tactique de parti; et il n'ont pu reconnaître que trop tard qu'elle était simplement dictée par la clairvoyance.
L'erreur était d'autant plus excusable, que le langage et aussi les réticences des ministres canadiens-français, les commentaires de leur entourage, l'attitude de leurs organes dans la presse, semblaient conclure à une constatation de l'état de folie de Riel.
Enfin, on savait que l'ordre d'exécution était moralement impossible, sans le concours des ministres canadiens-français; et personne, même parmi les adversaires les plus déclarés de MM. Chapleau et Langevin, n'eut voulu supposer qu'ils pousseraient la bassesse et la trahison envers leurs compatriotes jusqu'à consentir à ce meurtre, encore moins qu'ils iraient jusqu'à en prendre la défense.
Erreur fatale qui a tout entravé!
Lorsque les journaux patriotes prenaient en main la défense de Riel, on disait aux timides: «Prenez garde, ne vous mêlez pas à ce mouvement libéral. Il y a là-dessous une affaire politique, car les libéraux savent aussi bien que vous et moi que Riel ne peut pas être pendu... (Hélas!!) et ils exploitent dans un intérêt électoral les ménagements et les lenteurs auxquels le gouvernement est obligé de se soumettre pour ne pas se désaffectionner les Orangistes.»
Lorsque des citoyens généreux et désintéressés disaient qu'il fallait de l'argent pour payer les frais de procédure,--pour défendre Riel,--peut-être pour le faire évader, les mêmes personnes répétaient de porte en porte, dans les rues, dans les salons, dans les bureaux d'hommes d'affaires «à quoi bon souscrire pour une affaire inutile? Le gouvernement n'a-t-il point accepté de supporter les frais indispensables? Sir Hector Langevin ne s'est-il point engagé à nommer une commission médicale? et cela n'équivaut-il point à la promesse officielle que Riel ne sera pas pendu?»
Lorsqu'un comité, composé des hommes les plus honorables, se constitua sous la présidence de M. L. O. David, et recueillit dans son sein des membres pris dans les partis politiques les plus opposés, pour provoquer, en dehors de toute acception de parti, un mouvement canadien-français, les mêmes personnes disaient encore: «Prenez garde! n'allez pas gêner sans le vouloir l'action du gouvernement! La situation des ministres est délicate. Il n'y a pas que des Canadiens-français dans la Confédération, et puisque les ministres sont décidés à sauver Riel, laissons-les choisir l'heure et le moyen.»
Et lorsque les libéraux clairvoyants n'attendaient rien de bon de la fameuse commission médicale annoncée à Rimouski par Sir Hector Langevin; lorsqu'ils soutenaient que la folie réelle ou supposée de Riel n'était pas le véritable motif à invoquer en faveur de l'amnistie; lorsqu'ils disaient, qu'à plaider la folie de Riel, on s'exposait à admettre indirectement le droit de le pendre, dans le cas où il serait sain d'esprit, les mêmes personnes répondaient encore: «Que vous importe, pourvu que Riel soit sauvé? ne voyez-vous pas que c'est le gouvernement qui s'est arrêté à ce moyen, tiré de la folie de Riel pour ne pas heurter de front les passions d'Ontario et des colons anglais du Nord-Ouest? Ne voyez-vous pas que M. Girouard agit à la demande même des ministres, lorsqu'il propose de réduire le pétitionnement à une formule tendant exclusivement à la nomination d'une commission médicale. C'est la formule de M. Girouard qu'il faut signer» [2]
[Note 2: Nous n'entendons pas dire par là que M. Girouard n'ait point agi lui-même avec bonne foi. Nous disons seulement que son nom et son texte ont été exploités par d'autres, au profit du gouvernement. Plusieurs jours avant l'exécution de Riel, et depuis cette époque, M. Girouard a fait tout ce que devait faire un député indépendant et un patriote sincère.]
Avons-nous été assez trompés?
Nous a-t-on assez audacieusement menti?
Nous n'en sommes que plus étroitement tenus à un hommage de reconnaissance, envers les braves gens qui ont été à la fois clairvoyants et activement dévoués à la bonne cause, et qui ne se sont point laissés effrayer par des menaces ou endormir par des paroles fallacieuses.
Disons le hautement, au milieu des défaillances ministérielles, le comité L. O. David a sauvé l'honneur national.
Il a dit, le premier, ce qu'aujourd'hui tout le monde pense. C'est à lui que nous devons les généreux et hélas! impuissants efforts qui ont été accomplis pour sauver notre frère métis. C'est lui qui a pris, dès la première heure, l'initiative des manifestations auxquelles le peuple canadien doit de n'avoir pas été complice, sans le savoir, du meurtre qui se tramait à Ottawa.
M. L. O. David avait constitué dès le mois de mai, avec MM. R. Préfontaine et L. O. Dupuis, un comité de la défense des Métis.
Après la condamnation de Riel, à la suite de la lettre de M. Chapleau à Fall-River, ce comité provisoire crut que le moment était venu de chercher à réunir les ressources nécessaires pour le paiement des frais d'appel, dans le procès de Riel, et en même temps d'organiser un pétitionnement en faveur du condamné.
Dans une cause qui n'était pas seulement la cause d'un homme, mais la cause d'une nation et aussi la cause de l'humanité foulée aux pieds, M. L. O. David résolut de s'adresser, sans acceptation de parti, à tous les hommes de coeur. Une assemblée fut convoquée pour le dimanche 9 août, à Montréal, sur le Champ-de-Mars. Elle eut lieu sous la présidence du Dr. Lachapelle, assisté de M. A. R. Poirier. Plus de 10,000 personnes étaient présentes.
Les résolutions suivantes furent présentées au public:
Considérant que les Métis anglais et français du Nord-Ouest demandaient en vain depuis des années le redressement des griefs dont ils se plaignaient, et qu'ils ont été entraînés par les circonstances hors de la voie constitutionnelle qu'ils s'étaient tracée;
Considérant que le gouvernement a, dès le commencement des troubles, reconnu la justice de leurs réclamations, en envoyant auprès d'eux des commissaires chargés de faire droit à leurs demandes;
Considérant que Louis Riel a été l'instrument plutôt que le chef du mouvement, et que les Métis son allés le chercher aux États-Unis, pour les aider à obtenir justice et qu'il l'ont même empêché de partir à la veille du soulèvement;
Considérant que son procès a eu lieu devant un tribunal qui paraît avoir peu compris sa responsabilité et son devoir, et que d'ailleurs des doutes sérieux existent sur la légalité de ce tribunal et sur la juridiction en matière de haute trahison;
Considérant que l'état mental de Riel permet de croire qu'il n'était pas toujours responsable de ses actes et maître de sa volonté, lorsqu'il s'agissait de la cause au triomphe de laquelle il avait voué toute sa vie;
Considérant que le crime dont il est accusé est une offense politique, que l'exécution de la sentence de mort portée contre lui sera considérée comme le résultat des préjugés et du fanatisme et sera funeste à l'harmonie si nécessaire dans une société mixte comme la nôtre;
Résolu, qu'une souscription soit ouverte immédiatement pour donner à Louis Riel les moyens de porter sa cause devant un tribunal plus élevé et plus digne de confiance, et qu'en même temps tous les moyens constitutionnels soient employés pour empêcher que la sentence soit mise à exécution.
M. L. O. David exposa d'une manière très nette le but que le comité se proposait d'atteindre. Il disait, après avoir à grands traits retracé la carrière de Riel:
Maintenant, il faut être pratique. Pour arriver à notre but il faut deux choses:
1° De l'argent pour porter la cause de Riel devant un tribunal plus éclairé et obtenir justice.
2° Les signatures de tous les Canadiens-français au bas des demandes d'amnistie ou de commutation de peine.
L'assemblée, avant de se séparer, nomma le comité définitif qui devait remplacer le comité qui avait siégé jusqu'alors. Ces nominations, faites par acclamation, donnèrent les résultats suivants:
Président, L. O. DAVID; 1er vice-président, Chs. C. DELORIMIER; 2e vice-président, R. PRÉFONTAINE; secrétaire, CHARLES CHAMPAGNE; asst.-sec. A. E. POIRIER; trésorier, JÉRÉMIE PERREAULT; trés.-conj., J. O. DUPUIS.
Comité de régie: R. Laflamme, H. C. St-Pierre, Alphonse Christin, Pierre Rivard, E. L. Ethier, Barney Tansey, E. A. Dérome, Georges Duhamel, Jean Marie Papineau, G. Phaneuf, J. O. Villeneuve, A. Ouimet, J. Bte. Rouillard, avec MM. Chs. Champagne, avocat et E. G. Phaneuf comme organisateurs généraux.
C'est ce comité qui eut l'honneur de recevoir les injures des journaux ministériels, et dont l'oeuvre, entravée par tous les moyens possibles, fait le plus grand honneur à ceux qui l'ont entreprise.
Le signal donné par lui, à Montréal, ne tarda pas à se répandre dans toute la province et même aux États-Unis.
A Québec, une assemblée avait eu lieu le 9 août, le même jour qu'à Montréal; et elle avait adopté les résolutions ci-après:
Que les circonstances qui ont provoqué la récente insurrection du Nord-Ouest, les procédés extraordinaires qui ont signalé le procès de Louis Riel; que le ressentiment produit par ces faits parmi notre population, ressentiment propre à altérer la bonne harmonie qui doit régner entre les différentes races qui peuplent le Canada; que l'intérêt public qui ne peut résulter que du maintien de la bonne entente et de cette sympathie réciproque; tous ces puissants motifs enfin, militent en faveur de la commutation de la sentence prononcée contre le prisonnier Riel, condamné par le tribunal de Regina à être pendu, le 18 septembre prochain; que les citoyens de Saint-Sauveur, réunis en assemblée, prient Son Excellence de vouloir bien user de la prérogative royale pour faire grâce de la vie au dit Louis Riel et commuer sa sentence.
Que des pétitions dans ce sens soient adressées à Son Excellence le gouverneur-général.
Le même jour, les citoyens de Lachine adressaient une pétition au gouvernement pour demander un sursis et une commission médicale.
Le 10 août, au Côteau St-Louis, à Yamachiche, à la Pointe-du-Lac; le 16, à Varennes, à Farnham, à Hull; le 17, à Saint-Henri; le 21, à St-Jean-Baptiste, et à Valleyfield; le 23, à l'Assomption et à St-Martin, des réunions furent tenues dans le même but.
En même temps, les Canadiens-français s'assemblaient à Clarence Creek (Ont.), à Lawrence (Mass.) à Glens Fall (N. Y.).
Elles continuaient le dimanche 30 août, à St-Jean, à St-Jérôme, à Ste-Scholastique, au Côteau de Lac; le 6 septembre, à Terrebonne et à Verchères, où l'assemblée adopta les résolutions suivantes:
Résolu, que dans l'opinion de cette assemblée, comme dans l'opinion de tous les habitants de ce comté, la sentence de mort prononcée contre le dit Louis Riel devrait être commuée en une peine moins sévère, et qu'une souscription soit ouverte pour venir en aide à sa famille et pour indemniser ceux qui l'ont défendu au prix de grands sacrifices et de dépenses considérables.
Sur les entrefaites, le jour de l'exécution approchant, les membres du comité Riel avaient institué un comité exécutif composé de MM. L. O. David, l'Hon. Laflamme, C. Champagne, Jérémie Perreault, R. Préfontaine, J. O. Dupuis, A. Ouimet, Georges Duhamel, H. C. Saint-Pierre, P. Rivard, C. de Lorimier.
Le 18 septembre approchait. L'excitation populaire était à son comble. A Montréal, on peut dire que les assemblées étaient permanentes, dans l'un ou l'autre des quartiers de la ville, et la campagne répondait noblement à l'appel du comité. A Saint-Basile, à Saint-Georges, à Saint-Alexandre, à Saint-Esprit, des résolutions furent adoptées demandant la grâce de Riel; à Saint-Placide, on donna une représentation théâtrale au profit de la souscription Riel.
Le 16 septembre, on apprit enfin que Riel avait obtenu un sursis, et que son exécution était remise au 16 octobre, pour lui permettre de porter sa cause devant le Conseil privé.
Le comité se remit de nouveau à l'oeuvre, et il convoqua une nouvelle assemblée sur le Champ-de-Mars pour le dimanche 27 septembre. Plus de 10,000 citoyens se rendirent à son appel, et cette assemblée fut encore plus imposante que celle du 9 août. Les résolutions suivantes furent présentées.
Considérant que l'exécution de la sentence de mort prononcée contre Louis Riel a été remise au 16 octobre prochain, parce que ses avocats on fait connaître au gouvernement leur intention de porter la cause devant le Conseil Privé;
Considérant que l'appel en Angleterre est par conséquent le seul moyen de sauver Riel de l'échafaud et que l'annulation du jugement du tribunal de Regina aurait pour effet de faire tomber toutes les sentences sévères prononcées contre les autre prisonniers métis;
Considérant que si cet appel n'avait pas lieu faute d'argent, ce serait un déshonneur national;
Résolu que c'est un devoir pour tous les Canadiens-français de travailler à compléter la souscription nécessaire pour faire rendre justice à nos frères du Nord-Ouest.
Les résolutions soutenues et développées par MM. L. O. David, Jérémie Perreault, Fitzpatrick, l'avocat de Riel, qui expliqua sa conduite devant le tribunal de Regina, P. M. Sauvalle, qui parla au nom des Français, et de beaucoup d'autres orateurs, furent adoptées par la foule.
Ce fut le point culminant de l'agitation organisée en faveur de Riel. Malheureusement, l'agitation subit ensuite un temps d'arrêt. Le sursis accordé à Riel avait fait concevoir l'espérance d'une solution préparée par le gouvernement; l'épidémie de la petite vérole commençait à absorber les esprits. Mais surtout, les journaux ministériels, voyant que l'agitation menaçait de grandir et de se généraliser, avaient entamé contre le comité une guerre violente, qui eut pour conséquence de refroidir le zèle d'un grand nombre de conservateurs.
Le comité réduit à l'impuissance par cette opposition persistante, publia un compte-rendu des ses opérations et fit appel au public, en même temps qu'aux journaux qui l'attaquaient, pour sommer ces derniers de dire un bonne fois, s'ils étaient pour ou contre Riel.
Tout naturellement, ces hypocrites répondirent qu'on méconnaissait leurs intentions, qu'ils étaient favorables à une commutation de peine à accorder à Riel et qu'ils n'avaient jamais songé à créer des difficultés au comité. Mais, tout naturellement aussi, dès le lendemain, ils recommencèrent comme de plus belle.
D'autres assemblées se tinrent encore dans diverses localités. Mais l'élan était arrêté. Les malfaiteurs publics qui s'étaient mis en travers n'avaient point changé le courant unanime de l'opinion. Mais ils étaient parvenus à jeter du doute, sur la question de savoir si l'on avait suivi la bonne voie en pétitionnant et s'il ne valait pas mieux s'en rapporter à la bonne volonté connue (!) des ministres canadiens-français.
Hélas! les ministres canadiens-français anesthésiés, par l'atmosphère d'Ottawa, trompés par des agents serviles conclurent simplement, de ce temps d'arrêt, que le mouvement n'avait rien de grave; qu'on maîtriserait facilement l'opinion; et qu'on ne risquait rien à laisser la sentence s'exécuter.
Les membres du comité L. O. David n'en ont pas moins droit à un souvenir reconnaissant.
La fortune a trahi leurs efforts. L'opposition qui s'est attaquée à eux, les a empêchés de faire tout ce qui eût été faisable. L'histoire dira qu'ils se sont conduits comme de braves gens et comme des patriotes.
Plût au ciel que tout le monde eut suivi leur exemple!
CHAPITRE IX
MANOEUVRES ET TRAHISON
On lisait dans la presse du 20 octobre dernier:
Chose curieuse! Au début il semblait qu'il n'y eut qu'une voix parmi les Canadiens-français. Ni sur la façon dont le Nord-Ouest avait été administré, ni sur la façon dont le procès de Riel a été conduit, il ne semblait pas que personne crût pouvoir défendre le gouvernement. La Minerve s'y essayait à peine, Le Monde publiait en faveur de Riel et des Métis de virulentes correspondances.
Ce n'est que deux mois plus tard que certains organes conservateurs, oubliant leur première impression, se sont subitement aperçus que le gouvernement avait agi avec infiniment de sagesse, dans l'administration des territoires de Nord-Ouest dans la direction des opérations militaires et dans la conduite du procès de Riel. LA PRESSE, ne s'est pas associée à cette évolution intéressée. Elle n'est pas revenue, comme d'autres l'ont fait, sur son premier mouvement qui était le bon. Moins vive, peut-être mieux éclairée que d'autres dès la première heure, elle n'a pas débuté par des grands éclats de voix pour oublier ensuite la justice et même la pitié envers les proscrits.
En effet, une évolution à laquelle on n'a pas, tout d'abord, assez pris garde s'était produite, vers la fin d'août dans la presse ministérielle.
On ne se bornait plus à attaquer sous main les défenseurs de Riel, on commençait à les injurier à ciel ouvert.
En même temps, des articles d'une hypocrisie savante étaient publiés dans la Minerve, dans le Monde, dans le Nouvelliste, dans le Courrier du Canada et dans leurs satellites de campagne. Ce qui caractérisait ces articles, tous taillés sur le même patron, c'est qu'on y avait l'air de désirer que Riel fut sauvé; et qu'en même temps, on y énumérait toutes les raisons propres à déterminer le lecteur à condamner Riel comme homme politique, à le considérer en religion comme un apostat, à reconnaître la justice de la sentence portée contre lui par Richardson, et à avouer intérieurement que, si Riel était pendu, il ne subirait au fond, qu'un traitement mérité.
Les prototypes de ces articles sont ceux que La Minerve publiait à peu près régulièrement sur MM. Lemieux et Fitzpatrick, et sur Richardson.
Elle s'élevait à l'égard de MM. Lemieux et Fitzpatrick au dernier degré de l'insulte. Elle accusait ces hommes qui ont défendu Riel de chercher à le faire pendre et, par une contradiction singulière, en même temps qu'elle leur reprochait d'avoir mal plaidé en faveur de Riel, elle plaidait de son côté du mieux qu'elle pouvait, mais contre Riel.
Elle avait fait la gageure de présenter Richardson comme un libéral. Pour gagner ce triste pari, elle faisait semblant de considérer comme un acte de faveur politique, l'acte par lequel le ministre Mackenzie a disgracié Richardson en le déportant des bureaux d'Ottawa dans le Nord-Ouest; et elle expliquait qu'un misérable gredin, tel que peut être à ses yeux un juge libéral, avait seul été capable de rendre uns sentence aussi infâme. Mais en même temps, et par la même contradiction, dont elle avait déjà usé à l'égard de MM. Lemieux et Fitzpatrick, La Minerve usait de tous ses efforts pour justifier ce jugement infâme dont l'auteur était digne, selon elle, de toute l'exécration qui s'attache au nom d'un magistrat prévaricateur.
Le but de ces articles était d'insinuer doucement et sans se compromettre, dans le public, l'idée que Riel n'était pas une victime, et de préparer les esprits à se dire, le lendemain du jour où on l'aurait assassiné, «que somme toute, on avait bien pu avoir raison.»
Ce but n'a pas été atteint. Les inspirateurs de cette odieuse campagne sont des renégats, qui ont si bien oublié les traditions de leur race, qu'ils ne sont plus même capables de comprendre qu'il y a certaines infamies qu'on ne fait pas accepter à des Canadiens.
Mais, malheureusement, il y a un résultat immédiat qui a été atteint.
On n'a pas persuadé à nos compatriotes, pas plus aux conservateurs qu'aux libéraux, qu'il fallait pendre Riel.
Mais on a persuadé aux conservateurs, et notamment aux hommes politiques, que le gouvernement ne voulait pas qu'on s'occupât de l'affaire Riel:--que quiconque s'en occupait serait injurié comme MM. Lemieux et Fitzpatrick, dénoncé au public conservateur comme un libéral et comme un catholique suspect.
La Patrie du 19 novembre déclare que le 18, un certain nombre d'étudiants se sont rendus à la Minerve, où, ayant été reçus par M. Gélinas, ils l'ont officieusement prévenu que si la Minerve continuait plus longtemps à trépigner sur le cadavre de Riel et à déshonorer le nom canadien, on ne pourrait pas répondre des suites de l'indignation publique.
D'après le même journal, M. Gélinas a répondu «qu'il le regrettait, mais qu'il n'y pouvait rien, que ces articles étaient envoyés directement d'Ottawa et émanaient du gouvernement, que la Minerve était obligée de les publier et que, si l'on en envoyait d'autres, elle serait obligée de les publier encore.»
Cet aveu est précieux à retenir.
Car il en résulte que toute la campagne de presse, dans laquelle on a cherché à faire croire qu'on désirait que Riel fut sauvé, tout en travaillant, en même temps, à le perdre dans l'estime publique, était directement inspirée par les ministres canadiens-français.
Il en résulte aussi, que depuis plusieurs mois, ces ministres étaient décidés à sacrifier Riel et qu'ils faisaient tromper odieusement le public, lorsque pour endormir l'opinion, tout en la préparant, ils laissaient donner en leur nom l'assurance que Riel ne serait pas pendu.
Par ce moyen, on parvint, jusqu'à la dernière heure, à empêcher toute démonstration des députés conservateurs à Ottawa. Le députés conservateurs au parlement local, qui jadis n'étaient pas aussi réservés, même dans les questions les touchant de moins près, se tinrent cois. Le gouvernement de Québec se désintéressa absolument de cette question nationale.
Les ministres étaient parvenus à faire le silence, sinon partout, au moins dans leur camp, et à éviter jusqu'aux représentations de leurs amis.
Pendant ce temps, M. Chapleau qui était encore en France y déclarait publiquement, ainsi qu'il l'a raconté plus tard à la Gazette, que chercher à défendre Riel c'était l'attaquer lui-même, et M. J. Tassé, M. P. directeur de la Minerve, recevait la mission d'essayer de faire taire les journaux de Paris, comme on avait fait taire les conservateurs canadiens.
Pour se rendre digne de la confiance de ses chefs, M. J. Tassé écrivait officiellement au Gaulois et à quatre autres journaux de Paris, deux lettres consacrées au développement d'un misérable sophisme, qui consiste à essayer de faire prendre la charge entre le gouvernement du Dominion et le peuple canadien-français, et à faire croire aux journaux de Paris que Riel n'a pas été condamné et exécuté par des orangistes, ennemis de notre race, mais par un gouvernement, des juges et des jurés qui auraient été, en cette circonstance, les représentant du sentiment canadien-français.
S'il y a en France quelques Français qui ait pu se laisser prendre à cette fourberie de bas étage, ils auront dû être singulièrement embarrassés, pour concilier les explications de M. J. Tassé, avec l'explosion de l'indignation et de la fureur publiques qui a accueilli l'annonce du meurtre de Riel, dans le Canada français tout entière, et dont le télégraphe leur a déjà fait connaître le caractère unanime et imposant.
Qu'est-il arrivé?
A la dernière heure, quatorze députés ont adressé à Sir John A. Macdonald la dépêche suivante: