Manuel complet des fabricans de chapeaux en tous genres
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Title: Manuel complet des fabricans de chapeaux en tous genres
Author: Julia de Fontenelle
Release date: July 11, 2006 [eBook #18806]
Language: French
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MANUEL COMPLET
DES FABRICANS
DE CHAPEAUX
EN TOUS GENRESTels que feutres divers, schakos, chapeaux de soie, de coton et autres étoffes filamenteuses, chapeaux de plumes, de cuir, de paille, de bois, d'osier, etc., mis au niveau des progrès des arts chimiques, et enrichi de tous les brevets d'invention qui ont été pris sur la fabrication des chapeaux.
PAR MM. CLUZ. et F. FABRICANS,
ET
M. JULIA DE FONTENELLE
PROFESSEUR DE CHIMIE,
MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ D'ENCOURAGEMENT
POUR L'INDUSTRIE NATIONALE, ETC.PARIS,
A LA LIBRAIRIE ENCYCLOPÉDIQUE DE RORET
RUE HAUTEFEUILLE, AU COIN DE LA RUE DU BATTOIR.
1830.A
M. B. ANGLES,
SOUS-INTENDANT MILITAIRE,
Chevalier de l'ordre royal de Saint-Louis, et membre correspondant de la société Linnéenne de Paris.
SOUVENIR
D'UNE VIVE RECONNAISSANCE,
ET
TÉMOIGNAGE DE LA PLUS HAUTE ESTIME
ET D'UNE SINCÈRE AMITIÉ.JULIA DE FONTENELLE.
INTRODUCTION.
La fabrication des chapeaux est une des branches de l'industrie qui exige le plus l'application des progrès de la chimie. Cette fabrication embrasse une foule d'opérations diverses dont quelques unes réclament de nombreuses améliorations, tant sous le rapport de l'art que sous celui de la santé des ouvriers. Nous nous bornerons à parler de l'opération connue sous le nom de sécrétage, qui se pratique au moyen du nitrate de mercure. Ce sel, comme on sait, est un poison violent; aussi les vapeurs et les particules qui se dégagent des poils sont-elles très nuisibles aux ouvriers. Les procédés de teinture sont loin aussi de répondre à ce qu'on devait attendre du grand pas qu'ont fait les arts chimiques. Il est en effet démontré qu'on obtient souvent des noirs qui, avec le temps, tournent au bronze, au brun, et même au rougeâtre. On attribue généralement ce grave inconvénient au sulfate de fer, auquel on a proposé de substituer le tartrate, et mieux encore l'acétate de ce métal. La Société d'encouragement pour l'industrie nationale, dont l'oeil vigilant se porte sur toutes les branches des arts chimiques, économiques, mécaniques et industriels, qui réclament les bienfaits des sciences, n'a pas manqué de porter son attention sur les diverses opérations de la chapellerie, dont plusieurs ont déjà fait l'objet des prix qu'elle a proposés. Si tous n'ont pas encore été complètement résolus, ils ont donné lieu à des recherches et à des améliorations marquées au coin de l'utilité, et qui probablement auront ouvert la voie à de nouvelles découvertes.
Nous devons ajouter que plusieurs fabricans et divers technologistes français et étrangers se sont livrés de leur côté avec persévérance à de nombreux travaux pour améliorer leur art; nous nous bornerons à citer MM. Guichardière, Morel de Beaujolin, Robiquet, Lenormand, Williams, Malartre, Malard et Desfossés, Collin, Borradaille, Chaming Moore, Ritchard et Franc, Trousier, Miraglio, Masniac, Vilcok, Mierque et Drulhon, Achard et Audet, Gury, Loustau, Perrin, Bercy jeune, Buffum, Pichard, Milcent, Reins, Blouet, de Bernardière, Weber, Wels, Cobbet, Michon; mesdames Manceau, Reyne, Bernard, Cavillon. Nous aimons à convenir avec reconnaissance que non seulement nous avons profité de leurs travaux, mais que nous avons même copié textuellement leurs plus utiles documens, afin de leur conserver cette couleur technique et pratique qu'il faut savoir présenter aux ouvriers.
Pour plus de clarté, nous avons divisé notre ouvrage en quatre parties; la première contient la description de toutes les matières employées pour la fabrication des chapeaux.
La seconde partie comprend les chapeaux feutrés divers, et toutes les opérations nécessaires à leur confection.
La troisième a pour but les chapeaux de soie, de coton, d'étoffes filamenteuses, etc.
La quatrième embrasse tous les chapeaux de paille divers, ceux d'osier, de bois, etc.
Nous avons exposé fidèlement les meilleurs modes de fabrication suivis tant en France que dans l'étranger pour ces divers genres de chapeaux; et nous avons rapporté tous les brevets d'invention qui ont été pris sur les diverses branches de la chapellerie; nous avons cru que c'était le meilleur moyen de faire connaître une grande partie des améliorations que cet art a éprouvées; enfin nous avons allié aux connaissances que nous avons acquises par notre pratique les meilleurs documens qu'offrent les technologistes français et étrangers.
MANUEL COMPLET DES FABRICANS
DE CHAPEAUX EN TOUS GENRES.
PREMIÈRE PARTIE:
DESCRIPTION DES MATIÈRES EMPLOYÉES POUR LA FABRICATION DES CHAPEAUX.
DES LAINES.
Les laines furent, dès le principe, les seules matières premières qui furent employées pour la fabrication des chapeaux. Maintenant elles ne servent que pour ceux de qualité inférieure. Toutes les laines ne donnent pas un aussi beau feutrage ni une égale qualité de chapeaux; il est donc indispensable que nous entrions dans quelques détails sur leur connaissance et leur choix.
Connaissance et choix des laines pour la chapellerie.
On distingue deux sortes de laines: les laines mortes, ou provenant des animaux morts, et coupées ou arrachées de la peau, et les laines de toison ou tondues sur l'animal vivant. Ces dernières méritent la préférence tant pour la chapellerie que pour la draperie. On divise aussi les laines en surge ou en suint et en lavées. Celles en suint se conservent plus long-temps. Quant à leur couleur, elles sont en général blanches et parfois noires, roussâtres, etc.; ce ne sont que les premières qu'on soumet à la teinture. Quant à leur longueur, les plus courtes ont un pouce de longueur, et les plus longues (en Angleterre) ont jusqu'à vingt et même vingt-deux pouces 1.
Note 1: (retour) Cette longueur nous paraît avoir été exagérée, à moins qu'on ne laisse les brebis plus d'une année sans les tondre. En effet, M. Tessier rapporte que dans une expérience qu'il a faite et répétée à Rambouillet, la laine des bêtes espagnoles, tenues trois ans sans être tondues, avait dix-huit pouces de long.Les laines diffèrent entre elles par leur couleur, leur force, leur finesse, leur longueur, et ce qu'on appelle leur nerf ou leur corps; de là viennent leur division en:
Laines superfines,
Laines fines,
Laines moyennes,
Laines grosses,
Laines grossières ou supergrosses.Pour qu'une laine soit réputée de très bonne qualité, il faut qu'elle soit fine, douce, moelleuse, élastique et forte en même temps.
Pour reconnaître leur degré de force, qui fait, avec celui de leur finesse, leur premier mérite, on en tire des filamens par les deux bouts, et l'on juge, par leur résistance à se casser, leur force ou leur faiblesse. Pour les juger comparativement on recourt à un procédé plus rationnel. On en fait des fils d'égale grosseur et longueur qu'on attache à un point fixe, et l'on place à l'autre extrémité de petits poids qu'on multiplie jusqu'à ce que le fil casse. On estime, par le nombre de poids que chaque fil exige pour se casser, le degré de sa force. Outre la laine, l'animal porte sur quelques parties une sorte de poil mêlé avec de la laine qu'on nomme jarre, poil mort ou poil de chien, qui ne sert qu'à la confection des étoffes très grossières. Les laines des pattes et du dessous du ventre, brûlées pour ainsi dire par le fumier, sont aussi d'une moindre valeur.
Les laines du nord de la France sont plus longues et plus grosses que celles du midi; ainsi celles des département de l'Hérault, de l'Aude et surtout de tout le Roussillon, l'emportent de beaucoup sur celles de la Flandre, de la Picardie, de l'Ile-de-France et de la Champagne. Les laines du Midi, notamment celles de Narbonne et de la Salanque, sont courtes, frisées et très fines. Ces dernières se rapprochent de celles de l'Espagne.
Nous devons cependant convenir que les laines des mérinos espagnols l'emportent en tous points sur les meilleures de la France. Aussi dans les départemens méridionaux et dans quelques uns du Nord les propriétaires n'ont pas hésité à croiser leurs troupeaux au moyen des béliers espagnols élevés dans les bergeries royales. La plupart des laines d'Italie sont également très fines. Celles d'Angleterre et de Nord-Hollande sont longues et plus fines que les laines communes, sans avoir cependant la finesse de celles qui proviennent des mérinos. Parmi celles d'Espagne, celles de Léon et de Ségovie tiennent le premier rang: encore même les Espagnols en font quatre qualités.
1º La première qualité est celle qui existe depuis le cou jusqu'à cinq à six pouces de la queue, en comprenant le tiers du corps; celle des épaules et du dessous du ventre, préservée de l'action du fumier, est également comprise dans celle classe. Cette qualité est nommée floreta, ou fleur de la laine.
2º La deuxième qualité est celle qui recouvre les flancs et s'étend depuis les épaules jusqu'aux cuisses.
3º La troisième est celle du cou et de la croupe.
4º La quatrième est celle qui est depuis la partie du devant du cou jusqu'au bas des pieds, y compris une partie de celle des épaules et les deux fesses, jusqu'à l'extrémité des pieds. C'est cette laine que les Espagnols nomment cayda.
Les personnes habituées au commerce ou à l'emploi des laines reconnaissent au coup d'oeil leur degré de finesse. Il en est qui s'en assurent en étendant les filamens sur une étoffe noire et les regardant à la loupe. Mais Daubenton qui, comme on sait, s'est occupé d'une manière spéciale de l'éducation des bêtes à laine, a conseillé aux manufacturiers de soumettre ces filamens de laine à un micromètre placé dans un microscope. Ce micromètre, dit M. Tessier, représentait un petit réseau ou un composé de mailles. Il n'y avait qu'un 10e de ligne entre les deux côtés parallèles des carrés du micromètre dont se servait M. Daubenton, et sa lentille grossissait quatorze fois. Ayant reconnu, par des observations soigneusement faites, que les gros filamens 2 de vingt-neuf échantillons de laine superfine, apportés de diverses manufactures, occupaient rarement plus des deux carrés du micromètre, il a fixé le dernier terme des laines superfines à celles dont les plus gros filamens remplissent par leur largeur un carré du micromètre, et dont le diamètre est la 70e partie d'une ligne. La largeur des plus gros filamens de la laine la plus grossière occupait jusqu'à six carrés du micromètre, qui équivalent à la 23e partie d'une ligne. Les plus gros filamens du jarre remplissaient jusqu'à onze carrés du micromètre, qui font 1712 de ligne. Un pareil examen est presque impraticable par les bergers, dont l'oeil et l'habitude suffisent pour cette opération. Nous ajouterons que sans recourir au micromètre de Daubenton, on peut fort aisément s'assurer du degré de finesse des laines au moyen du microscope d'Amici ou d'Euler, perfectionné par MM. Vincent Chevalier et fils.
L'état de santé de l'animal et l'époque de la tonte influent singulièrement sur la bonté et la beauté des laines. Ainsi les animaux malades non seulement perdent une partie de leur laine, mais l'autre manquant de nourriture est sèche et se détache aisément de la peau. Il en est de même de celle qu'on extrait de ces animaux qui ont succombé. Quant à celle provenant des peaux des moutons tués pour la boucherie, ces laines s'éloignent d'autant plus de leur point de maturité que ces animaux ont été égorgés à une époque plus ou moins rapprochée de celle de leur tonte. Il manque à ces laines ce moelleux que leur communique le suint et qui les nourrit; si l'on ajoute à cela la chaux ou les cendres qu'on emploie pour les détacher de la peau, on se rendra compte de leur rudesse. Quant aux peaux à laine longue, les bouchers les font tondre en toison.
Il est donc bien évident que l'époque la meilleure pour couper les laines est celle où elles sont en pleine maturité. On ne doit pas dépasser ce point parce qu'en France les animaux, surtout ceux qui sont faibles, en perdent une partie 3. Si on les tond, au contraire, avant cette maturité, les filamens semblent adhérer entre eux par leur base, et la laine est, comme on dit, tendre, c'est-à-dire qu'elle manque de nerf ou de force.
Dans le midi de la France on tond les laines de la mi-mai au 15 juin; dans les autres départemens, dans tout ce dernier mois. Il est une raison qui doit engager les propriétaires à ne pas dépasser cette époque, c'est qu'alors les chaleurs survenant, les toisons, outre leur poids, interceptent la transpiration, échauffent l'animal et permettent à la vermine de s'y fixer, etc.
Le volume et le poids des toisons est relatif à la taille de l'animal, à son espèce et au climat sous lequel il vit, indépendamment des soins et de la nourriture plus ou moins abondante qu'on lui donne. Nous allons faire connaître, par aperçu, le poids de la plupart des laines connues, tel que M. Tessier l'a donné.
1º La toison des moutons alençons, ardennois et de la Sologne, pèse de deux à quatre livres. Cette dernière laine est entre-mêlée de poils roux et est impropre à la chapellerie. On en fait des couvertures.
2º Celle des moutons briards, bourbonnais, champenois et de Langres, pèse également de deux à quatre livres; elle est employée pour la bonneterie, et très peu propre à la chapellerie.
3º Celle des moutons du Bar pèse trois livres. La première qualité sert pour la bonneterie et à faire des ratines.
4º Celle des moutons de Faux, Valières ou Bocagers, pèse de trois à quatre livres. La plus grande partie de ces laines est mêlée de blanc, de noir et de rouge, ce qu'en termes de bonneterie on nomme beige. On en fait de grosses étoffes sans avoir besoin de les teindre.
5º Celle des moutons du Cotentin pèse trois livres.
6º Celle des moutons de Cauchois, cinq livres. Elle est unie à quelques poils roux. On en fait des couvertures et des draps dits de Châteauroux.
7° Celle des moutons cholets est de quatre livres. On en fait des couvertures.
8° Celle des moutons du Vexin ou du Santerre pèse de six à huit livres. La laine en est belle et employée pour la chaîne des pièces de tricot.
9° Celle des moutons d'Artois et de Gravelines est de neuf à dix livres. Elle sert pour des chaînes d'étoffes.
10° Celle des moutons hollandais ou liégeois est de neuf à dix livres. Cette laine ne sert que pour l'habillement des troupes.
11° Celle des moutons flamands pèse dix à douze livres. Elle est forte et sert pour des chaînes d'étoffes.
12° Celle des moutons allemands est de six à sept livres. Elle est souvent beige.
13° Celle des moutons alsaciens, lorrains et suisses est forte et propre à être peignée.
14° Celle des mérinos varie suivant les localités, et que l'animal broute dans la plaine ou dans les montagnes. Dans le premier cas, elle est de huit à dix livres; dans l'autre, de sept à neuf.
15° Les laines de l'arrondissement de Narbonne sont, après celles du Roussillon, les plus estimées du midi de la France, surtout celles des bêtes à laine qui broutent dans les montagnes des Corbières et de la Clape, dans les communes de Fitou, Lapalme, Sigean, Leucate, Portel, Armissan, Saint-Laurent, Thézan, Bize, Treilles, etc.
D'après un relevé que j'ai fait du produit approximatif de la tonte des laines de l'arrondissement de Narbonne, il s'élevait en 1822:
Laine mérinos à 3,000 kil. Laine métis à 40,000 Laine indigène à 365,500 ------------- 408,500 kil.Les toisons de toutes les bêtes ayant été calculées, terme moyen, deux kilog. chacune. D'après une lettre adressée au ministre de l'intérieur, le 23 décembre 1813, il y aurait dans l'arrondissement de Narbonne, en bêtes à laine, mérinos, métis ou indigènes, 2,042,500; outre les 65,187 qui périrent en 18l3, par suite de la sècheresse et de la mauvaise qualité de l'herbe. Dans cet arrondissement de Narbonne, les toisons pèsent de quatre à dix livres, suivant que les bêtes à laine paissent dans les montagnes ou certaines plaines comme celles de Coursan. Il est certains troupeaux qui sont presque tous métis, et qui sont remarquables par leur beauté et la finesse de leur laine. Nous nous bornerons à citer celui de mon honorable ami M. le chevalier Angles, à Sigean; de MM. Caunes, à Ginestas; Tapie Mengaud, à Celeyran; Caumettes, à Vires; Fournier, à Moujean, etc.
16° Les laines de l'arrondissement de Carcassonne se rapprochent de celles de celui de Narbonne; mais en général elles leur sont inférieures en qualité. Elles sont employées pour les casimirs, draps superfins, les draps communs, cordelats et molletons 4.
17° Les laines de l'arrondissement de Castelnaudary sont bien moins fines que celles de Carcassonne; elles servent à la fabrication des draps communs, cordelats et couvertures 5.
18° Les laines de l'arrondissement de Limoux se rapprochent beaucoup de celles de Carcassonne; on en fait des draps fins et communs ainsi que des couvertures 6.
Dans ce département, comme dans ceux de l'Hérault, des Pyrénées-Orientales, etc., on n'est pas dans l'usage de laver les laines sur les bêtes; loin de là, les bergers ont la mauvaise habitude de les faire coucher constamment sur le fumier sans litière, de les entasser dans des bergeries presque pas aérées, afin que la laine, en s'imprégnant de la sueur de l'animal et de l'urine du fumier, augmente de poids. On sent tout ce qu'une semblable pratique a de vicieux. Aussi une partie de la laine des jambes et du dessous du ventre est le plus souvent presque brûlée par le fumier; de plus elle a une couleur jaunâtre qu'elle ne perd point par le lavage.
18º Les laines de Roussillon sont supérieures même à celles de Narbonne. Il n'y a que celles de Fitou, Leucate, Lapalme et quelques unes de Sigean, qui en approchent. Les propriétaires roussillonnais ont également amélioré leurs races en les croisant avec les mérinos espagnols. Le poids de ces laines et leur qualité varient suivant que les troupeaux paissent dans les montagnes et les plaines, et suivant les localités. Ainsi du côté de Vingrau les toisons pèsent environ huit livres, tandis que dans la Sallanque leur poids est de dix à douze livres. Les laines du Roussillon sont très estimées et recherchées pour les fabriques des départemens de l'Aude, l'Hérault, etc.; on en fait des draps fins, des schalls, etc.
Laine des agneaux: dite agnelins, et en patois méridional, anissés.
La laine des agneaux est beaucoup plus estimée, pour la fabrication des chapeaux, que celle des adultes; elle est aussi d'autant plus recherchée qu'elle appartient à des troupeaux de race très fine. Dans tout le midi de la France, on tond les agneaux en même temps que les brebis et moutons, et les agnelins sont vendus le plus souvent séparément et toujours à un prix inférieur à celui de la laine. Dans d'autres localités on les tond plus tard, afin de donner à leur laine le temps de s'alonger. La première pratique nous parait préférable, parce que la nouvelle laine a plus le temps de croître, et qu'elle est alors plus longue en automne pour préserver les agneaux de l'intempérie de l'air pendant le parcage. Ce que nous avons dit de la laine provenant de la peau des animaux morts de maladie ou égorgés à la boucherie, s'applique aussi aux agnelins.
Nous devons ajouter qu'on donne aussi le nom d'agnelins à une laine de Hambourg provenant de la tonte des agneaux vivans ou mort-nés, qu'on ramasse dans les pays septentrionaux de l'Europe.
Laines des Antenois.
Les antenois sont les agneaux de la seconde année; il est des propriétaires qui ne tondent les agneaux que la seconde année ou bien à l'état d'antenois. Cette pratique est vicieuse, parce que cette laine est alors moins fine. L'expérience a, en effet, démontré que la laine des antenois qui ont été tondus étant agneaux, est constamment plus fine que celle des agneaux mêmes.
Laine de Vigogne.
Cette laine appartient à une race de moutons de ce nom qui paraissent indigènes du Pérou. C'est du moins de ces contrées que ces belles laines nous étaient transmises par l'Espagne. Cette laine est d'un brun qui tire sur le roux, surtout le dos; elle prend une couleur blonde en avançant vers les flancs et le ventre.
Laine de mouton cachemire.
Le mouton de Cachemire, comme la chèvre du Thibet, etc., a deux poils; l'un est long, gros et raide, et l'autre est une sorte de laine très fine, courte et crépue. Sa rareté et son prix élevé s'opposent à ce qu'on en fasse usage pour la chapellerie.
DES POILS.
Poil de lapin.
Le poil de lapin est d'un emploi général dans la chapellerie; non seulement il contribue essentiellement à faire feutrer cette sorte d'étoffe, mais encore à lui donner de la fermeté. Il entre dans la confection des chapeaux, terme moyen, pour un quart de leur poids. Il est bien évident que ces proportions augmentent suivant la beauté ou la finesse des chapeaux qu'on se propose de fabriquer. On calcule que la chapellerie de France achète seule annuellement pour quinze millions de peaux de lapin. Depuis la perte du Canada, le prix du poil de castor a triplé de prix, ce qui fait qu'on en emploie beaucoup moins, et par suite beaucoup plus de celui de lapin; aussi nos manufacturiers sont-ils obligés d'en faire venir de l'étranger.
Dans la vente et l'achat des peaux de lapin, il y a une remarque importante à faire, c'est que pendant l'hiver elles se vendent de 50 à 60 francs le cent, tandis qu'en été elles ne valent que de 25 à 30 fr. Cette différence est due à ce que l'animal mue à cette dernière époque, et que, par conséquent, la peau est bien moins riche en poil.
Le poil de lapin varie en beauté suivant l'espèce à laquelle il appartient. Ainsi la variété dite lapin riche, cuniculus argenteus, de Linné, qui a son poil en partie couleur d'ardoise plus ou moins foncée, et partie argentée, l'emporte de beaucoup sur celui du lapin gris ordinaire; il est en effet plus doux, plus long et plus soyeux, aussi est-il employé en fourrure. En Suède et dans diverses parties de l'Allemagne, ces peaux valent le double du prix ordinaire; en Angleterre, elles valent jusqu'à 25 francs la douzaine. Cette espèce s'acclimate très bien en France; on pourrait la multiplier aisément.
Poil de lapin angora.
Le lapin angora, cuniculus angorensis, Lin., est déjà assez commun en France où il réussit très bien. Son poil est long, touffu et soyeux. Lors de sa mue il en donne beaucoup, et on peut lui en arracher deux ou trois fois pendant l'été, surtout le long du dos, du cou, des côtes et des cuisses, en laissant aux mères celui du ventre, qui est de qualité inférieure, et qui sert pour faire leur nid. Ce poil est excellent pour la chapellerie; on en fait aussi des gants, des bonnets, etc., dits d'angora.
Poil de lapin sauvage ou de garenne.
Le poil de ceux-ci est plus court que celui de ceux de clapier; mais en revanche il est plus fin et donne un plus beau feutre.
Les parties de la France qui produisent les meilleures peaux ou poils de lapin sont: Narbonne et ses environs, le Boulonnais, Meaux, Compiègne, Chantilly, Dammartin, Pontoise, Rambouillet, Saint-Germain, Senlis, etc.
Observations sur le poil des peaux de lapin.
Le poil du lapin diffère suivant la saison où l'on se trouve; nous allons l'examiner dans les quatre époques de l'année.
1º En hiver. C'est la saison la plus favorable pour la beauté du poil de lapin. C'est alors que le grain de la peau, ou, si l'on veut, le côté superposé sur le corps, est d'une couleur uniforme, sans tache ni rayure 7; ajoutez à cela, 1º que le cuir est plus épais, que le poil est long, fin, touffu, et qu'en soufflant fortement dessus, la partie qui adhère à la peau est d'un gris bleu velouté plus intense dans le lapin de garenne que dans celui de clapier, tandis que l'extrémité supérieure ou bien sa pointe, qui est d'un gris foncé, est surmontée d'un autre poil gris, à pointe noirâtre et brillante, qui est très gros, et qu'on nomme jarre du lapin.
2º Au printemps. Cette partie de l'année est la saison des amours du lapin; son poil est alors plus terne et sa peau moins fourrée; chez les mâles, à cause des combats qu'ils se livrent; chez les femelles, par cause de la gestation. Ces peaux se vendent de 20 à 30 pour cent au-dessous du prix de celles d'hiver.
3º En été. Nous avons déjà dit que c'était l'époque de la mue du lapin. Les peaux sont alors dépouillées d'une grande partie du poil, ainsi que du jarre à pointe noire qui dépasse le poil fin; celui-ci est terne, et la peau est plus épaisse et parsemée, du côté de la chair, de taches et de raies noires; ces peaux sont connues dans le commerce sous le nom de peaux barrées. Enfin les peau d'été valent de 50 à 75 pour cent de moins que celles d'hiver.
4º En automne. Les peaux d'automne sont préférables à ces dernières; le poil est renouvelé, mais il n'a encore acquis ni le nerf, ni la longueur convenables, et le jarre ne le dépasse point; ce qui en rend la séparation non seulement très difficile, mais encore incomplète. On les nomme peaux foineuses. Le jarre qui y reste uni rend ce poil très commun; aussi ces peaux s'achètent de 20 à 25 pour cent au-dessous du prix de celles d'hiver.
Poil de lièvre.
Malgré tous les rapports de conformation qui existent entre le lapin et le lièvre, malgré que celui-ci ait le poil très fin et d'une légèreté extrême, il est cependant bien moins susceptible de se feutrer que celui du lapin. Ce n'est qu'à l'aide de quelques préparations qu'on lui fait subir qu'il devient propre au feutrage; mais grâce à ces préparations il devient la matière feutrante la plus belle et la plus estimée de notre sol.
Quoique les lièvres soient multipliés sur tous les points de la France, cependant leurs peaux diffèrent en qualité suivant les localités. Celles du Roussillon, de Saint-Chinian, Saint-Pons, de l'Anjou, de la Bretagne, du Poitou, etc., sont préférées pour la beauté et la qualité du poil, et celles qui proviennent de l'Alsace sont recherchées pour la grandeur de l'espèce.
Observations.
Ce que nous avons dit de l'influence des quatre saisons de l'année sur les peaux de lapin, s'applique également à celles du lièvre. Voici les moyens de les reconnaître.
1º Les peaux d'hiver ont le cuir mince, et le côté qui s'applique sur la chair a une couleur claire et unie, parsemée de petits vaisseaux sanguins qui vont se réunir à d'autres plus gros. Le poil en est fin, blanc, ayant la couleur et l'éclat de la soie; sa pointe est d'une couleur noire veloutée; le jarre la dépasse; il est jaune-roussâtre dans toute sa longueur, à l'exception de son extrémité supérieure qui est noire et brillante.
2º Les peaux du printemps ont le cuir un peu plus épais et rougeâtre du côté de la chair; le poil est terne et moins touffu.
3º Les peaux d'été. Cuir épais et fort; couleur, du côté de la chair, rouge mais inégale; les gros vaisseaux sanguins sont seuls visibles. Comme à la peau de lapin, le poil de celui-ci est court, rare, d'un blanc sale et uni à du jarre long et court.
4º Les peaux d'automne. Cuir un peu épais et taché. Poil renouvelé, mais court et uni au jarre, qui est de la même longueur et d'une séparation toujours incomplète.
Il est bon de faire observer qu'il est une différence importante à faire sur le jarre du lapin et du lièvre; le jarre du premier tient moins au cuir que le poil, tandis que chez le second c'est tout le contraire. Aussi pendant la mue le lièvre perd-il la plus grande partie de son poil, et conserve-t-il presque tout son jarre, tandis que le lapin conserve beaucoup plus de poil fin que de jarre. Cette remarque est importante, tant pour la valeur respective de ces peaux que pour leur préparation, relativement aux saisons de l'année auxquelles on en a dépouillé l'animal.
Poil des castors.
Le castor, castor fiber de Linné, ordre des loirs, se distingue de tous les animaux rongeurs par une queue aplatie horizontalement, de forme ovale, et couverte d'écailles. C'est ce caractère qui le classe parmi les amphibies. Il est assez commun dans le Canada, la Nouvelle-Angleterre, la Russie, la Sibérie, la Pologne, l'Allemagne, etc.; on en a même trouvé en France dans le Rhône. Le castor a quatre pieds; les deux de derrière sont plus particulièrement destinés à la natation; ils offrent cinq doigts liés par une membrane; il a dans les aines quatre poches membraneuses qui contiennent une liqueur d'une odeur très forte qui s'épaissit facilement à l'aide du calorique, et constitue une substance concrète, brune, onctueuse, d'une odeur très forte, qu'on nomme castoreum. Nous ne décrirons point ici les moeurs ni l'industrie des castors, nous renvoyons sur ce point à Buffon. Nous allons nous borner à parler de ce qui se rattache à la chapellerie.
Le poil de castor est la matière la plus précieuse pour la fabrication de chapeaux; il réunit la finesse à la légèreté et à la solidité, et c'est en même temps le feutrier par excellence. Malheureusement le prix élevé auquel il se trouve, en raison de sa rareté, en rend l'emploi très restreint. Du temps de l'établissement de la compagnie des Indes françaises, les peaux de castor étaient moins rares en France; maintenant nous n'en recevons que très peu, encore même du commerce anglais ou des États-Unis. Dans le commerce on divisait les peaux de castor en castor gras et en castor sec.
1º Les peaux dites de castor sec étaient séchées au soleil sans aucune autre préparation.
2º Les peaux dites de castor gras étaient celles qui avaient déjà servi aux indigènes, soit de vêtement, soit de couche. Il est évident qu'ils faisaient choix pour cela des plus belles, ou, si l'on veut, des plus grandes et des plus fourrées, qu'ils en enlevaient soigneusement les parties musculaires et membreuses, et qu'ils les faisaient sécher à l'air et non au soleil, en ayant soin de les frotter souvent entre les mains et de les enduire de la graisse de ces animaux afin de leur donner une souplesse convenable. Outre que ces peaux étaient donc plus belles, par leur usage, elles étaient empreintes du liquide sécrété par la transpiration, de telle manière que leur poil était d'un bien meilleur feutrage; aussi leur prix était-il plus élevé que celui du castor sec.
Observations.
Les peaux de castor, à cause de leur cherté et de leur rareté, sont maintenant très peu employées en France pour la confection des chapeaux. Leur fourrure, comme celle du lièvre et du lapin, est formée de deux sortes de poils: le poil fin et le jarre; comme chez ce dernier, le jarre du castor tient moins à la peau que le poil fin; aussi dans la mue ce dernier s'en détache plus vite. Les contrées d'où elles proviennent en plus grande quantité sont la baie d'Hudson, le Canada et la Louisiane.
A. La peau du castor de la baie d'Hudson offre une fourrure qui a la même beauté pendant tout le cours de l'année; elle doit cet avantage aux froids qu'on y éprouve presque en toutes les saisons.
B. Le Canada en fournit de grandes quantités; mais elles se ressentent, comme celles du lapin et du lièvre, de l'influence des saisons.
C. La Louisiane en produit assez, mais moins estimées que celles de la baie d'Hudson et du Canada. Comme cette contrée a ses quatre saisons également bien marquées, les peaux de castor diffèrent aussi en qualité suivant l'époque à laquelle l'animal a été dépouillé.
Poil de loutre.
Buffon décrit la loutre, mustela lutra de Linné, un animal vorace, plus avide de poisson que de chair, qui ne quitte guère le bord des rivières ou des lacs, et qui dépeuple quelquefois les étangs; elle a plus de facilité pour nager même que le castor. Celui-ci n'a des membranes qu'aux pieds de derrière, et il a les doigts séparés dans les pieds de devant, tandis que la loutre a des membranes à tous les pieds; elle nage aussi vite qu'elle marche. Elle ne va point à la mer, comme le castor; mais elle parcourt les eaux douces, et remonte ou descend des rivières à des distances considérables. Souvent elle nage entre deux eaux et y demeure assez long-temps, et vient ensuite respirer à la surface de l'eau. Elle n'est point amphibie. Elle a les dents comme la fouine, mais plus grosses et plus fortes relativement au volume de son corps; elle ne craint pas plus le froid que l'humidité; sa tête est mal faite: les oreilles placées bas, des yeux trop petits et couverts, l'air obscur, les mouvemens gauches, toute la figure ignoble, informe; un cri qui paraît machinal: tel est le portrait qu'en trace le Pline français. Nous ajoutons que le castor chasse la loutre et ne lui permet pas d'habiter sur les bords qu'il fréquente.
Le poil de la loutre ne mue guère; sa peau d'hiver est cependant plus brune et se vend plus cher que celle d'été; son poil est doux et soyeux, d'un gris blanchâtre, et le jarre brun et luisant. Cette espèce est généralement répandue en Europe, depuis la Suède jusqu'à Naples, et se retrouve dans l'Amérique septentrionale. On connaît encore la loutre du Canada, lutra Canadensis de Geoffroy. Celle-ci est plus grande que notre espèce et plus noire; la petite loutre de la Guiane, didelphis palmata de Geoffroy. D'après M. de Laborde, il y a à Cayenne trois espèces de loutres: 1º, la noire, qui peut peser de quarante à cinquante livres; 2º la jaunâtre, qui pèse de vingt à vingt-cinq livres; 3º la grisâtre, qui ne pèse que trois à quatre livres. Ces animaux sont très communs à la Guiane, le long de toutes les rivières et des marécages. D'après MM. Aublet et Olivier, on trouve à Cayenne et dans le pays d'Oyapok des loutres si grosses qu'elles pèsent jusqu'à cent livres. Leur poil est très doux, mais plus court que celui du castor, et leur couleur ordinaire est d'un brun minime.
Il est encore plusieurs autres animaux d'espèces voisines dont le poil pourrait être appliqué à la chapellerie; nous nous bornerons à citer la Saricovienne, lutra Brasiliensis, la petite fouine de la Guiane, mustela Guianensis de Lacépède, etc.
Poil de chameau.
Le poil du chameau nous arrive de l'Orient par Marseille; il varie par sa couleur, par sa finesse et par sa qualité, suivant le climat, l'âge, la nourriture et l'éducation de l'animal. Celui qui est blanchâtre a sa consommation locale; on n'emploie guère dans nos fabriques que celui qui est d'un gris noirâtre vers les extrémités inférieures du chameau. Nous ajouterons même qu'il est maintenant peu employé dans la chapellerie.
Pelotes rouges et noires.
Ce poil laineux vient de l'Orient, et prend son nom de la forme en boule qu'on lui donne dans les balles qui servent à ce transport; il est dû à des chèvres d'une espèce particulière de la Turquie asiatique. Il existe une différence notable entre les pelotes rouges et noires. Ces dernières se feutrent plus aisément, mais en revanche le poil des rouges est beaucoup plus fin. Les chèvres du Thibet ont aussi un duvet très fin, outre le jarre. On a constaté que nos chèvres ont aussi, au-dessous de leur long poil, une sorte de laine excellente pour la chapellerie.
REMARQUES SUR L'EMPLOI DES FOURRURES POUR LA
CHAPELLERIE.Nous avons passé sous silence une foule de fourrures, comme celles du chat, etc., qui sont douées d'une plus ou moins grande beauté, et qui sont très propres à la confection des chapeaux; leur rareté, leur application spéciale à d'autres genres de fabrication ou à divers emplois, nous dispensent d'en faire l'énumération, encore plus de les décrire. Nous allons donc nous borner à présenter ici quelques remarques générales qui se rattachent au mérite respectif des fourrures.
Nous dirons d'abord que lorsque l'animal n'a pas atteint son entière croissance, ou mieux son développement complet, le poil de sa fourrure est difficile à préparer et à mettre en oeuvre; ces peaux-là sont défectueuses. Par une raison contraire, les peaux des vieux animaux donnent un poil plus rude et d'un emploi moins facile que celles des animaux d'un âge moyen.
On donne le nom de peaux battues à celles des animaux qui ont été tués par une arme à feu qui avarie presque toujours la partie sur laquelle le coup a porté. Ainsi celles des animaux pris dans des pièges sont préférables en ce qu'elles sont bien plus entières, et non avariées par le sang.
La dénomination de peaux vertes s'applique aux peaux dont on vient de dépouiller l'animal. En cet état leur préparation est non seulement fort difficile, mais toujours incomplète; on y remédie aisément en laissant bien sécher les peaux à l'air libre et sec, en les étendant sur des cordes.
Les peaux de recette ou de première qualité sont celles qui n'offrent point d'imperfections, et qu'on a extraites de l'animal dans la saison la plus opportune.
Dans toute la France, on achète les peaux de lièvre et de lapin fraîches ou sèches à tant la pièce. Quand leur dessiccation est complète, on les empaquette par cinquante-deux, ou par cent quatre, qu'on vend ensuite par centaines en en donnant quatre de plus pour cent. Dans certains départemens de l'Ouest, on vend les peaux qui sont très petites au poids.
Quant aux agnelins, on doit choisir de préférence non ceux des agneaux mérinos, qui ne se feutrent pas bien, ni ceux des métis, mais bien parmi les indigènes ceux des troupeaux qui fournissant la plus belle laine, la plus soyeuse et la plus fine.
DE LA CHAPELLERIE EN FRANCE.
M. le comte Chaptal, dans son bel ouvrage sur l'industrie française, a présenté quelques aperçus sur la chapellerie qui vont nous servir de guide.
Avant la révolution, la chapellerie était pour la France l'objet d'un commerce très considérable avec l'étranger. Les fabriques du Midi, celles de Lyon et de Marseille surtout, travaillaient beaucoup pour l'Espagne, l'Italie et nos colonies. Cette exportation est maintenant presque nulle. Mais en revanche il s'est établi des fabriques de chapeaux sur presque tous les points de la France. L'aisance des habitans des campagnes, les progrès du luxe, en ont considérablement augmenté la consommation quoique les prix des chapeaux aient presque doublé. Il est bon de faire observer qu'on fabrique beaucoup plus de chapeaux fins qu'on ne le faisait autrefois.
La chapellerie fine emploie les poils de lièvre, de lapin, de castor, d'ours marin et de raton d'Égypte, qu'elle mélange avec art; la chapellerie commune fait usage des agnelins ou laine d'agneau, des poils de veau, de chameau, de chevreau, des tontures du drap, etc.
On a reconnu, par les calculs les plus exacts, qu'un chapeau fin qui sort de chez le fabricant au prix de.. 15 fr.
Coûte en matières premières. . . 8 | de main-d'oeuvre.....5 | ci.....15 Bénéfice.........................2 | Bénéfice du marchand chapelier pour la coiffe, l'apprêtage, etc.............. 5 fr. Coût du chapeau à la vente. 20 fr.Dans la chapellerie grossière, le bénéfice du fabricant s'élève de 5 à 12 sous par chapeau. Jadis on fabriquait des chapeaux au bas prix de 12 fr. la douzaine dans plusieurs localités, particulièrement à Saint-Pierre-le-Moûtier.
On compte en France environ mille cent quatre-vingts fabriques de chapeaux de feutre qui occupent près de dix-huit mille ouvriers, et dont le produit s'élève à environ 20 millions; en ajoutant le quart en sus pour les marchands de chapeaux en détail, ce commerce s'élève annuellement à 25 millions.
Règlemens concernant la fabrication des chapeaux en France.
La chapellerie, dit M. le comte Chaptal, avait échappé au système réglementaire, mais un arrêt du 23 octobre 1699 vint l'atteindre à son tour, et n'autorisa que la fabrication de deux sortes de chapeaux: castor et laine.
Des réclamations s'élevèrent de toutes parts contre cet arrêt; elles eussent été probablement infructueuses si elles n'avaient été appuyées par l'adjudication du domaine d'Occident et par les députés du Canada: alors intervint un arrêt du 10 août 1700, qui autorisa la fabrication des quatre sortes de chapeaux suivans:
A C. Castor fin, marqué de la lettre C.
B C. Demi-castor, avec la laine de vigogne et le castor, marqué de la lettre D.
C C. Poil de lapin, chameau, avec vigogne et castor, marqué de la lettre M. (Le poil de lièvre étant sévèrement prohibé.)
D C. De laine fine, marqué L.
Ce même arrêt porte confiscation de toute autre espèce de chapeaux, prescrit des visites et prononce 1,000 fr. d'amende.
La liberté entière des fabrications a été rendue à la chapellerie; depuis, non seulement on a fait entrer dans la composition des chapeaux, plusieurs produits non mentionnés dans la liste de matières dont l'emploi était autorisé, mais encore on varie à l'infini ces mélanges. La fabrication des chapeaux de soie a ouvert la porte à une nouvelle branche d'industrie et diminué la consommation de ceux en feutre. Ces chapeaux de soie sont remarquables par leur légèreté, la richesse de leur couleur, leur brillant, l'élégance de leur forme, et surtout par leur bas prix. M. Fontés, chapelier de Paris, non seulement est un de ceux qui ont le plus contribué à leur perfectionnement, mais encore il est un des premiers qui s'est livré en France à leur confection.
SUBSTANCES EMPLOYÉES OU SUSCEPTIBLES DE L'ÊTRE DANS LES
APPRÊTS, TEINTURES, ETC., DES CHAPEAUX, ETC.Acides.
Acide acétique (vinaigre).
Tel est le nom sous lequel les chimistes modernes désignent le vinaigre pur et concentré. Les auteurs de la nouvelle nomenclature chimique avaient donné le nom d'acide acéteux au vinaigre, et celui d'acide acétique à celui qui était plus concentré, et que M. Berthollet croyait plus oxigéné que le premier. M. Pérès fut le premier à attaquer cette théorie; il annonça que l'acide acéteux contenait plus de carbone que l'acide acétique, ou, si l'on veut, que l'acide acétique concentré n'était que de l'acide acéteux dépouillé de la plus grande partie de son carbone. Depuis, les travaux de M. Adet, confirmés par ceux de M. Darracq et d'une infinité de chimistes, ont démontré que les acides acéteux et acétique sont identiques et qu'ils ne diffèrent entre eux que par leur degré de concentration, ou, si l'on veut, par la quantité d'eau qu'ils contiennent. Nous allons maintenant examiner cet acide sous ces deux états.
Vinaigre. Il paraît que la nature fit les premiers frais de la fabrication du vinaigre, et que sa découverte dut accompagner celle du vin. Les chimistes modernes ont démontré que le vinaigre ou l'acide acétique était dû à la transformation de l'alcool des liqueurs vineuses en un acide, par la perte d'une partie de son carbone. Cette transformation est le produit d'une fermentation nouvelle qu'éprouvent les liqueurs alcooliques unies à un ferment, et qu'on nomme fermentation acide. Le vinaigre, que l'on obtient par la fermentation du vin, contient: 1º de l'acide acétique d'autant plus fort ou plus concentré que le vin était plus généreux ou plus riche en esprit ou alcool; 2º une matière colorante; 3º un mucilage; 4º du sur-tartrate et du sulfate de potasse; 5º plus ou moins d'éther acétique; 6º plus ou moins d'eau.
En dépouillant le vinaigre de ces corps étrangers, on le convertit en acide acétique très fort. La bonne fabrication du vinaigre repose donc sur quatre faits principaux:
1º Une liqueur très alcoolique;
2º Suffisante quantité de ferment;
3º Une température de 20 à 30°;
4º La liqueur présentant une grande surface à l'air.On peut voir, dans mon Manuel du Vinaigrier, les divers procédés qui ont été suivis pour la fabrication du vinaigre; on peut fabriquer cet acide par la fermentation de tous les corps sucrés ou alcooliques. Ainsi, dans mon ouvrage précité, j'ai fait connaître ceux qu'on obtient avec l'eau-de-vie, le sucre, le miel, la bière, le cidre, l'amidon et le chiffon convertis en matière sucrée, etc. J'y renvoie mes lecteurs. Mais il est encore une autre manière de fabriquer les vinaigres sans recourir à la fermentation; je vais l'indiquer.
Vinaigre de bois. Les anciens chimistes avaient publié qu'en distillant du bois dans des vaisseaux fermés, on obtenait un acide semblable au vinaigre. Guidé par ces données, J.-B. Mollerat présenta, le 11 janvier 1808, à l'Institut, un Mémoire dans lequel il annonça que dans un établissement qu'il avait formé avec ses frères à Pellerey, pour la carbonisation du bois dans des vaisseaux fermés, ils obtenaient pour produits:
Du goudron;
Du vinaigre;
Du carbonate de soude cristallisé;
Des acétates d'alumine;
Des acétates de cuivre;
Des acétates de soude; etc.Depuis, cette nouvelle branche d'industrie a pris beaucoup d'accroissement. On distille le bois dans des chaudières cylindriques en tôle très épaisse et pouvant contenir une corde de bois; les vapeurs sont conduites par un tuyau en cuivre qui s'adapte à une sphère de cuivre placée dans un tonneau rempli d'eau froide; de cette sphère part un tuyau semblable qui se joint à une autre sphère en cuivre également disposée; enfin de cette dernière sphère part un dernier tuyau qui va plonger dans le foyer du fourneau. Lorsque le feu est allumé, en même temps que la carbonisation du bois a lieu, les vapeurs se rendent dans la sphère du premier tonneau pour y être condensées; celles qui ne le sont point sont liquéfiées dans la seconde, tandis que le gaz inflammable étant porté dans le fourneau par le dernier tube, brûle et sert à entretenir cette distillation. Les produits de cette opération sont:
1º Dans la chaudière ou cornue, un très beau charbon qui fait de 28 à 30 centièmes du bois employé, tandis que par la carbonisation à l'air libre on n'en obtient que 17 à 18;
2º Du goudron dans les deux sphères;
3º Dans la même sphère, de l'acide pyroligneux, qui n'est autre chose que de l'acide acétique ou vinaigre uni à du goudron.
On l'en débarrasse ou on le purifie en le distillant; on sature le produit de cette distillation par le carbonate calcaire en poudre (marbre); on fait bouillir; on décompose ensuite par le sulfate de soude; il se précipite un sulfate de chaux, et l'on évapore la liqueur; par la cristallisation, on a un acétate de soude sali par le goudron; on fait éprouver à ce sel la fusion ignée, pour brûler le goudron. On le dissout dans l'eau, on filtre et on fait évaporer pour obtenir un acétate de soude presque pur qu'on dissout dans un peu d'eau, et on le décompose par l'acide sulfurique qui, s'unissant à la soude, forme un sulfate de cet alcali, tandis que l'acide acétique est mis à nu et dans un état de concentration d'autant plus fort, qu'on a dissout l'acétate de soude dans une moindre quantité d'eau. Le poids spécifique de celui des fabriques de Choisy est de 1,057; il sature environ 0,3 de sous-carbonate de soude; on le reçoit dans des vases en argent.
Les vinaigres de M. Mollerat présentés à l'Institut étaient au degré suivant.
Vinaigre simple ou ordinaire, 2 degrés à l'aréomètre pour les sels à 12° C.
Vinaigre fort, 10 degrés 1/2.
Les vinaigres de vin qu'on trouve dans le commerce marquent de 2 à 4°. Il est bon de faire remarquer que ceux qu'on obtient par la carbonisation du bois sont très purs et qu'ils sont de l'acide acétique. Voyez dans mon Manuel du Vinaigrier la description de ces diverses opérations, la quantité des produits obtenus, les frais d'exploitation et les bénéfices qu'on en retire. Nous allons maintenant parler de l'acide acétique ou vinaigre pur.
Acide acétique. Cet acide était connu avant la nouvelle nomenclature chimique, sous le nom de vinaigre radical; il est liquide, incolore, très clair, d'une odeur particulière qui est très forte, d'une saveur très acide et caustique; il rougit les couleurs bleues végétales; il est inflammable, entre en ébullition au-dessus de 100°, attire l'humidité de l'air, se dissout dans l'eau et l'alcool, exerce une grande action désorganisatrice sur les substances animales, dissout le camphre, les résines, les gommes résines et les huiles volatiles. L'acide acétique le plus pur qu'on ait pu obtenir se prend en une masse cristalline représentant des tables rhomboïdales alongées, à la température de 13° C. Une forte pression peut opérer le même effet. Le poids spécifique de cet acide le plus concentré est de 1,063; dans cet état, il contient 14,78 centièmes d'eau qui sont nécessaires à son existence. L'acide acétique que l'on obtient par la distillation du vinaigre ne contient que 0,15 d'acide. L'acide acétique, étendu plus ou moins d'eau, donne un vinaigre plus ou moins fort.
On peut concentrer les vinaigres en leur enlevant une partie de l'eau qu'ils contiennent; on y parvient donc en les exposant à l'action du froid, et enlevant la glace qui se forme successivement; cette glace n'est presque que de l'eau pure. On y parvient aussi en les faisant bouillir, l'eau étant plus volatile se vaporise la première; il en est de même pour la distillation.
Analyse de l'acide acétique; il est composé tel qu'il existe dans les acétates desséchés, d'après:
MM. Gay-Lussac et Thénard D'après Berzelius Oxigène, 44,147 Oxigène, 46,82 Carbone, 50,224 Carbone, 46,83 Hydrogène, 5,629 Hydrogène, 6,35 ______ _____ 100 100Pureté et falsification des vinaigres.
Il est des marchands qui pour donner plus de force ou d'activité au vinaigre faible y ajoutent des acides minéraux. Voici la manière de reconnaître la nature de l'acide ajouté. On verse dans de l'eau distillée à laquelle on a ajouté quelques gouttes de nitrate ou d'hydrochlorate de barite un peu de vinaigre; s'il se forme aussitôt un précipité blanc abondant, c'est une preuve qu'il contient de l'acide sulfurique; ce précipité, qui est un sulfate de barite, l'indique. Il est rare qu'on y ajoute les acides nitrique ou hydrochlorique, parce qu'ils sont beaucoup plus chers; mais comme cela pourrait arriver, je vais donner les moyens propres à reconnaître cette fraude. On sature le vinaigre par le sous-carbonate de soude; on filtre, on fait évaporer et cristaliser. S'il y a addition d'acide hydrochlorique, on trouve, avec l'acétate de soude, un sel d'une saveur très salée et en cristaux cubique qui est un hydrochlorate de soude, également nommé sel marin, sel de cuisine ou chlorure de sodium. Si cette sophistication est faite par l'acide nitrique, on obtient un nitrate de soude en prismes rhomboïdaux qui a une saveur fraîche, piquante et amère, et fuse sur le charbon comme le salpêtre. Au reste, on trouvera dans mon ouvrage précité les divers moyens employés pour constater les falsifications du vinaigre, et reconnaître les quantités d'acides ajoutés.
Acide citrique.
Découvert par Schéèle dans le suc de citron. On l'obtient en saturant ce suc par le carbonate de chaux, on lave le précipité, et on le décompose par l'acide sulfurique en excès, qui s'empare de la chaux pour former un sulfate calcaire qui se précipite; on filtre et on fait évaporer dans une bassine d'argent l'acide citrique, qui est en prismes rhomboïdaux; il est transparent, d'une saveur acide, presque caustique; il rougit l'infusion de tournesol, est inaltérable à l'air, soluble dans demi-partie de son poids d'eau bouillante; l'eau froide en prend les deux tiers. D'après Gay-Lussac et Thénard, il est composé de:
Oxigène ..........59,8559 Carbone ..........33,81 Hydrogène .........6,330Acide hydrochlorique.
Cet acide est connu aussi sous le nom d'esprit de sel, d'acide marin et d'acide muriatique. Il est de sa nature gazeux, incolore, d'une odeur vive et piquante, d'une saveur très acide, répandant des vapeurs blanches à l'air, rougissant le tournesol, éteignant les corps en combustion d'un poids spécifique égal à 1,247. Par une forte pression et une basse température il se liquéfie; à celle de 50" M. Davy a liquéfié le gaz acide hydrochlorique anhydre (dépouillé d'eau). Ce gaz acide est tellement soluble dans l'eau, que ce liquide, à une température de 20° C. et sous une pression de 76, en dissout plus de 469 fois son volume; dans ce cas celui de l'eau augmente d'un tiers. L'acide hydrochlorique liquide est incolore et répand des vapeurs blanches: si celui du commerce a une couleur ambrée, c'est qu'il n'est pas bien pur. On le distingue de l'acide sulfurique en ce qu'il ne précipite ni l'eau ni les sels de barite, et de l'acide nitrique, en ce qu'il précipite le nitrate d'argent.
On prépare cet acide en introduisant du sel marin bien sec dans une cornue, et y versant de l'acide sulfurique. Ce dernier s'unit à la soude du sel marin, tandis que l'esprit de sel ou acide hydrochlorique se dégage à l'état de gaz et est condensé dans des flacons pleins aux deux tiers d'eau et entourés d'eau froide, cet acide est composé en poids, de:
Chlore.......... 36 Hydrogène........ 1Acide nitrique (eau-forte, esprit de nitre, oxide de nitre, acide azotique, etc.)
L'azote, en se combinant avec l'oxigène donne lieu à deux acides qui sont: l'acide nitreux et l'acide nitrique. Nous ne nous occuperons que de ce dernier.
L'acide nitrique pur est incolore, liquide, transparent, très acide, répandant des vapeurs blanches, d'une odeur très forte, qui a de l'analogie avec celle de la rouille; il brûle et désorganise les substances animales en leur imprimant une couleur jaune qui, faite sur la peau, ne passe qu'avec le renouvellement de l'épiderme; il rougit fortement la teinture de tournesol; son poids spécifique, suivant M. Thénard, est 1,513. On n'a pu encore l'obtenir privé d'eau: à 1,620, il retient celle qui est nécessaire à son état. L'acide nitrique se congèle à -50°; il entre en ébullition depuis le 35e jusqu'au 86e C°, suivant son degré de concentration. Le gaz qui passe par la distillation de cet acide est soluble dans l'eau en toutes proportions, il est seulement un peu sali par un peu de gaz nitreux qui se forme. Cet acide versé tout-à-coup sur les huiles de térébenthine et de girofle, les enflamme subitement; il faut faire cette expérience avec beaucoup de précaution, afin de ne pas se brûler.
On prépare l'eau-forte en distillant dans de grandes cornues le nitrate de potasse (sel de nitre), avec l'acide sulfurique. Dans cette opération cet acide s'unit à la potasse du nitrate, et forme un sulfate, tandis que l'acide nitrique devenu libre se dégage à l'état de gaz, et est condensé dans des récipiens. On le redistille pour le purifier.
Pour que cet acide soit pur, il faut qu'il soit incolore et qu'il ne précipite ni les sels de barite ni ceux d'argent. On le reconnaît à son odeur de rouille et à la propriété qu'il a, lorsqu'on en verse une goutte sur un morceau de cuivre, de bouillonner, et d'y former aussitôt une écume verte qui est due à l'oxidation du cuivre. Composition:
Oxigène... 100 En volume.... 2,5 Azote.... 35,40 1Cet acide est très employé dans les arts, tels que la teinture, la chapellerie, pour dissoudre les métaux, etc.; en médecine, à l'état de concentration, pour ronger les verrues et les callosités; étendu d'eau, il est antiseptique, rafraîchissant. Nous devons ajouter que l'eau-forte et les acides minéraux concentrés sont de violens poisons.
Le mélange des acides nitrique et hydrodorique, à diverses proportions, constitue cet acide qui était connu sous le nom d'eau régale, parce qu'il était employé à la dissolution de l'or; on le nomme maintenant acide hydrochloronitrique.
Acide sulfurique (huile de vitriol, esprit de soufre.)
Nous avons dit que le soufre, en s'unissant à l'oxigène, pouvait former quatre acides: nous ne traiterons ici que de celui qu'on trouve dans le commerce.
L'acide sulfurique pur est incolore, inodore, très acide et très caustique, d'une consistance oléagineuse; il se mêle à l'eau en toutes proportions, mais avec un phénomène remarquable: c'est de répandre beaucoup de calorique; ainsi, le mélange de parties égales d'eau et de cet acide concentré élève la température à 105° C; si l'on prend de la glace au lieu d'eau, elle ne se porte qu'à +50°; et si l'on prend une partie d'acide sur quatre de glace, elle descend à -20°. L'acide sulfurique désorganise la plupart des substances animales et végétales; très affaibli, il se congèle difficilement; concentré, il prend une forme cristalline à 10° ou 12°. Lorsqu'il est très concentré, il bout à 320°; affaibli, il bout bien au-dessous de ce terme; soumis à la pile, il se décompose, son oxigène passe au pôle positif et le soufre au pôle négatif. Son poids spécifique est de 1,85, ce qui équivaut au 66° de l'aréomètre de Baumé.
On le prépare en grand en brûlant dans de grandes chambres de plomb un mélange de dix parties de soufre sur une de nitrate de potasse. On n'emploie qu'un demi-kilogramme de soufre pour chaque cent pieds cubes de l'air qui remplit la chambre. Pour les détails de cette fabrication, voyez ma Chimie médicale.
Pour être pur, cet acide doit être incolore et dépouillé d'acides sulfureux et hydrochlorique. Privé d'eau il est composé de:
Soufre.................. 100 Oxigène................ 146,43Très employé dans les arts, pour la fabrication des soudes factices, la teinture, la préparation de plusieurs acides, le tannage, etc. En médecine, et très étendu d'eau, comme antiseptique, astringent, rafraîchissant, etc.
Il a pour caractère spécifique de précipiter abondamment les sels de barite.
Acide tartrique (acide tartareux, acide artarique).
Découvert par Schéèle. On l'obtient en faisant bouillir dix parties de crème de tartre dans cent d'eau, et saturant son acide surabondant par le carbonate calcaire en poudre; on y ajoute ensuite de l'hydrochlorate calcaire qui précipite la crème de tartre ou tartrate de potasse, à l'état de tartrate de chaux; on lave le précipité et on le fait chauffer avec soixante centièmes d'acide sulfurique étendu d'eau; on filtre et l'on fait cristalliser l'acide. Les cristaux obtenus sont ou en prismes ou en lames comme lancéolées. Cet acide rougit fortement le tournesol; quand il est pur il est incolore; il est inaltérable à l'air; il se fond et bout à 120°; par le rafraîchissement il forme une masse blanchâtre qui attire l'humidité de l'air; il est très soluble dans l'eau; l'acide nitrique le convertit en acide oxalique. Il est composé de:
Oxigène.............. 69,321 Carbonne............ 24,500 Hydrogène............ 6,629Il est employé dans les arts pour la teinture; on en fait une limonade sèche en l'incorporant avec le sucre.
DES BOIS.
Bois de Campêche ou d'Inde.
Il provient de l'hoematoxylum campechianum. Lin. Decand. monogyn. fam. des légumineuses. Cet arbre, qui est très haut et épineux, est très commun dans la baie d'Honduras à Yucatan, Guatemala, la Jamaïque, la Martinique, à l'île de Sainte-Croix, etc. Ce bois est compacte, plus pesant que l'eau, très dur, moins cependant que celui du Brésil; il est rouge, à odeur d'iris, et d'un goût astringent et douceâtre, susceptible de prendre un beau poli d'un rouge vif. On le trouve dans le commerce en grosses bûches qui sont d'un rouge noirâtre au dehors.
La décoction de campêche est d'un rouge que les acides rendent plus vif; les alcalis, les oxides métalliques et les sous-sels changent cette couleur en bleu-violet. La matière colorante de ce bois est également soluble dans l'alcool. Elle est employée dans la teinture pour les noirs, les bleus et les violets; les ébénistes tirent également partie de ce bois à cause de sa dureté et du beau poli qu'il est susceptible de prendre. M. Chevreul en a séparé la matière colorante et lui a donné le nom d'hématine. D'après ce chimiste elle se dissout dans l'eau bouillante et cristallise par le refroidissement. Cette dissolution bouillante est d'un rouge-orangé; par le refroidissement elle devient jaune; les alcalis lui font acquérir une couleur pourpre ou violette; les acides lui donnent une couleur jaune qui passe au rouge.
Bois de fustet.
Rhu cotinus. LIN. Pentand. trigyn. famille des térébenthinacées. C'est un grand arbrisseau qui s'élève jusqu'à dix ou douze pieds de hauteur dans nos jardins. Ses rameaux sont grêles; ses feuilles à long pétiole, entières, arrondies, lisses et d'un beau vert; de longs panicules formés par des divisions filamenteuses très nombreuses, ressemblent à une espèce de chevelure, et succédant aux fleurs, au lieu des fruits qui avortent, terminent les rameaux. Le bois de fustet est d'un jaune assez foncé, aussi est-il employé dans la teinture. On le multiplie par marcottes.
Bois jaune des teinturiers.
Cet arbre, qui croît en Amérique et particulièrement au Brésil, est le morus tinctoria de Linné. Monoecie tétrandrie, fam. des urticées. Il est en gros tronçons, léger, d'une couleur jaune avec des veines orangées. Ce bois est très chargé de matières colorantes. Sa décoction est d'un jaune rougeâtre foncé que les alcalis rendent presque rouge; les acides troublent un peu cette décoction et en affaiblissent la couleur; l'hydrochlorate d'étain le précipite en jaune.
Colle-forte, colle de Flandre.
C'est ainsi qu'on nomme la gélatine qu'on retire des oreilles et pieds de boeufs, chevaux, moutons, veaux, ainsi que des parties blanches de ces divers animaux. Cette colle est coulée en tablettes sèches, cassantes, brunes, jaunâtres, rougeâtres, transparentes ou demi-transparentes, suivant leur degré de pureté et le soin qu'on a pris de la préparation. Ainsi plus la colle est transparente, décolorée et soluble dans l'eau bouillante, plus elle est pure, et plus elle doit être recherchée. Celle qui est noirâtre est très impure; elle n'est guère propre qu'à la grosse menuiserie.
On extrait également la gélatine des os, en les traitant par l'acide hydrochlorique affaibli, qui dissout le phosphate calcaire et laisse la gélatine à nu. Ce procédé est dû à M. Darcet. On peut aussi extraire la gélatine des os, en les soumettant à l'action de la vapeur de l'eau, sous une
forte pression; par ce moyen on en dépouille entièrement le phosphate calcaire. Nous en avons vu à l'exposition ainsi préparée, qui était très belle; mais en général les diverses colles que nous y avons remarquées contenaient plus ou moins de savon ammoniacal; ce qui les rendait en partie solubles dans l'eau froide. Ce savon était dû à un commencement de décomposition de la gélatine.
Colle de poisson (ichtyocolle).
Ce sont les vésicules aériennes d'un esturgeon (acipenser huso. LIN.), qui a ordinairement 24 pieds de longueur sur 12 de largeur. On nettoie ces vésicules, on les roule sur elles-mêmes, et on les fait sécher, en leur donnant la forme d'un coeur ou d'une lyre; ou bien, au lieu de les rouler, on les plie comme une serviette. La colle de poisson du commerce est plus ou moins estimée, suivant qu'elle a une des formes précitées; ainsi:
1º La colle de poisson en lyre, connue aussi sous le nom de petit cordon, est la plus chère;
2º La colle de poisson en coeur, dite gros cordon, vient après;
3º La colle de poisson en livrets est la moins recherchée.Il serait bien difficile d'établir sur quelle propriété est fondée cette préférence, puisqu'il n'existe qu'une différence de forme, et que toutes donnent, à peu de chose près, les mêmes quantités d'excellente gélatine.
Gomme arabique.
Cette gomme est de même nature que celle qui suinte des écorces des abricotiers, des amandiers, des cerisiers, des pruniers, etc. La gomme arabique est solide, souvent en globules, inodore, d'une saveur fade, transparente, incolore, quand elle est pure, jaune d'or, ou plus ou moins rougeâtre lorsqu'elle est unie à des corps étrangers. Elle est soluble dans l'eau chaude et dans l'eau froide; insoluble dans l'alcool, l'éther et les huiles; elle est inaltérable à l'air, incristallisable et blanchissant par le contact prolongé de la lumière. Légèrement torréfiée, elle devient, suivant M. Vauquelin, plus soluble dans l'eau. L'alcool la précipite des solutions aqueuses qui n'en contiennent même qu'un millième.
La gomme arabique du commerce se distingue suivant son degré de blancheur, en premier et second blanc; celle en sorte est un mélange des gommes incolores et colorées. On distingue plusieurs variétés de gomme arabique:
1º La gomme de Bassora. En morceaux irréguliers, le plus souvent d'un petit volume, et parfois de la grosseur du pouce. Elle est blanche ou jaune, inodore, moins transparente que la gomme du Sénégal, et cependant moins opaque que la gomme adragant;
2º Gomme de France. C'est celle qui suinte des abricotiers, cerisiers, amandiers, etc. Elle est ou incolore ou jaunâtre et rougeâtre; imparfaitement soluble dans l'eau, et formant avec ce liquide un mucilage qui se rapproche de celui de la gomme adragant;
3º Gomme du Sénégal. On en importe en France quatre variétés: A. la gomme transparente toute soluble; celle-ci constitue presqu'en entier les gommes du Sénégal et d'Arabie; elle est incolore ou diversement colorée; elle est ridée à l'extérieur, et sa solution rougit le tournesol; B. la gomme blanche fendillée, nommée également gomme turique, c'est un choix de la précédente; C. la gomme pelliculée, blanche et plus souvent brunâtre, pellicule qui recouvre quelques parties; moins soluble et rougit le tournesol; D. Gomme verte; sa couleur varie du jaune au vert d'émeraude.Indigo.
Ce n'est que vers le milieu du 16e siècle que l'indigo a été apporté de l'Inde en Europe. Cette matière colorante est fournie par les feuilles de plusieurs plantes presque toutes rangées dans le genre auquel, en raison de cette propriété, on a donné le nom d'indigotifera. Les végétaux d'où on le relire plus particulièrement sont:
1º L'indigotifera argentea, indigotier sauvage. Cette espèce en fournit moins que les autres; mais, en revanche, c'est le plus beau;
2º L'indigotifera tinctoria, indigotier français; c'est celle qui en donne le plus, mais c'est aussi le moins beau de tous;
3º L'indigotifera disperma, ou Guatimala. Cette plante est la plus élevée et la plus ligneuse; son indigo est meilleur que le précédent;
4º L'indigotifera anil, ou l'anil. Son indigo est au minimum d'oxidation.Ces plantes sont indigènes des Indes et du Mexique, d'où on les a transportées dans les deux Amériques, à la Chine, au Japon, à Madagascar, en Égypte, etc.; elles appartiennent à la Diadelphie Décandrie Lin., fam. légumineuses. Voici la manière dont on extrait l'indigo de ces feuilles:
Quand elles sont au point de maturité, on les cueille, on les lave et on les coupe; on les met ensuite dans une cuve, et on les recouvre d'un peu d'eau; on a soin de les empêcher de flotter en les fixant au moyen de planches chargées de pierres. La fermentation s'établit bientôt, la liqueur contracte une couleur verte et devient acide; elle offre à sa surface un grand nombre de bulles et des pellicules irisées; en cet état, on fait passer cette liqueur dans une cuve placée plus bas, on la remue et on en sépare l'indigo en y ajoutant une suffisante quantité d'eau de chaux. On lave le dépôt à plusieurs eaux et on le fait sécher à l'ombre.
L'indigo pur est solide, inodore et insipide, d'un bleu violet, inaltérable à l'air, susceptible de cristalliser en aiguilles, insoluble dans l'eau et éther, très peu soluble dans l'alcool bouillant et s'en précipitant par le refroidissement; il est décoloré très aisément par le chlore. Si on le chauffe dans une cornue, une partie se volatilise et se condense à la partie supérieure en aiguilles cuivrées, tandis que l'autre se décompose. Les acides faibles ne le dissolvent point, à l'exception de l'acide nitrique qui le change en un principe très amer et jaune. L'acide sulfurique concentré le dissout très facilement; l'acide hydrochlorique n'agit point sur l'indigo à la température atmosphérique; secondé par l'action du calorique, il acquiert une couleur jaune qui paraît être le résultat de la décomposition d'un peu d'indigo.
On enlève la couleur bleue à l'indigo, et on lui en donne une jaune, en le désoxigénant par un contact prolongé avec les matières désoxigénantes; on lui restitue cette couleur bleue en favorisant son oxigénation par son exposition à l'air. L'indigo désoxigéné est soluble dans l'eau, surtout au moyen des alcalis. On désoxigène l'indigo, disséminé dans l'eau, par l'hydrogène sulfuré, l'hydrosulfure d'ammoniaque, le protosulfate de fer (couperose verte) et un alcali, la potasse et le protoxide d'étain, etc. Dans les teintures, on recourt plus ordinairement au procédé suivant:
Sulfate de fer (couperose verte)....... 2 parties Chaux éteinte......... 2 Indigo en poudre fine...... 1 Eau............ 150On introduit toutes ces substances dans un matras qu'on expose à une température de 40 à 50° pendant quelques heures. Il résulte de cette réaction que la chaux s'unit à l'acide sulfurique pour former un sulfate insoluble, et le protoxide de fer précipité désoxigène l'indigo, etc. La dissolution de l'indigo dans l'acide sulfurique est désoxigénée par la limaille de fer ou de zinc; elle acquiert une couleur d'un gris pâle et repasse au bleu par le contact de l'air.
L'indigo du commerce n'est jamais pur; pour l'obtenir en cet état, on le chauffe dans un creuset de platine bien fermé, qu'on soumet à l'action du calorique; l'indigo se sublime en cristaux.
L'indigo a une cassure fine et unie; raclé avec l'ongle, il prend une couleur cuivreuse; l'on donne même la préférence à celui dont cette couleur est plus éclatante, et qui est plus léger et d'une couleur bleue-violette foncée.
Les négocians distinguent les indigos par les noms des contrées d'où ils proviennent; ainsi:
1º L'indigo de l'Inde est appelé du Bengale, de Madras, de Coromandel, etc.;
2º L'indigo de Guatimala est nommé indigo Guatimolo, indigoflore: c'est le plus estimé de tous;
3º L'indigo de la Louisiane, etc.On peut également extraire l'indigo du nerium tinctorium, arbre qui est indigène de l'Inde.
D'après M. Chevreul, l'indigo du commerce est un composé de:
Un principe immédiat particulier (indigotine);
Une résine rouge, soluble dans l'alcool;
Une substance rouge-verdâtre, soluble dans l'eau;
Du carbonate de chaux;
De l'alumine, de la silice;
De l'oxide de fer.D'après l'analyse de MM. Dumas et Le Royer, l'indigo pur est composé de:
Carbone..... 73,26 Azote...... 13,75 Hydrogène....... 2,83 Oxigène..... 10,16 100,00Noix de galle.
On donne ce nom à une excroissance ronde produite sur les bourgeons du quercus infectoria de Linnée, par la piqûre d'un insecte nommé par le même naturaliste, cynips quercus folii, et par Geoffroy, diplolepsis gallæ tinctoriæ. Ce chêne est très commun dans toute l'Asie mineure; on le trouve depuis les côtes de l'Archipel jusqu'aux frontières de la Perse, et des rives du Bosphore, jusqu'en Syrie, etc. Cet arbre n'a pas plus de six pieds de hauteur; son tronc est tordu, ses feuilles caduques et d'un beau vert, à pétioles courts, etc. Le cynips est un petit insecte hyménoptère dont le corps est fauve, les antennes brunes; il pique les jeunes pousses avec son aiguillon, qui est en spirale, et y dépose ses oeufs. Cette piqûre produit une irritation dans les vaisseaux séveux, qui est bientôt suivie d'un gonflement qui, en deux trois jours, a produit ce qu'on appelle noix de galle. Les oeufs qui y sont déposés croissent avec la galle, et y entretiennent cet état d'irritation. On doit récolter les galles avant que les larves produites par les oeufs soient passées à l'état de mouches, et se soient fait jour à travers la galle pour en sortir. La grosseur qu'acquièrent les galles, est de cinq lignes à un pouce de diamètre. Les naturels donnent le nom de yerti aux premières galles qu'on cueille; dans le commerce on les nomme galles vertes, galles bleues ou noires. Les blanches sont celles qu'on cueille plus tard; elles sont plus légères et piquées. Voici les diverses espèces de galles:
Galles vertes ou d'Alep. Couleur brune ou verdâtre à l'intérieur; compactes, dures, pesantes, hérissées de tubérosités; saveur amère très astringente. Les plus estimées viennent d'Alep, de Smyrne, de l'intérieur de la Natolie, etc.
Galles blanches. Couleur jaune-brunâtre; en général, plus grosses, très légères, moins dures, piquées et d'une saveur peu amère, et moins astringente.--Peu estimées.
Galles de chêne. Celles-ci croissent en France, sur les chênes verts. Elles sont rondes, unies et brunâtres. Elles sont bien inférieures aux galles vertes, mais un peu supérieures aux blanches.
Les noix de galles contiennent principalement beaucoup de tannin et d'acide gallique.
OXIDES MÉTALLIQUES.
Deutoxide d'arsénic (arsenic, arsénic blanc, mort-aux-rats, etc.).
Bien des chimistes regardent ce deutoxide comme un acide qu'ils nomment acide arsénieux. Voici ses propriétés caractéristiques. Il est blanc, lorsqu'il est réduit en poudre ou exposé au contact de l'air; lorsqu'il est en masse, il est couvert d'une croûte blanche, et l'intérieur est d'une transparence égale à celle des plus beaux cristaux. Il est souvent incolore, d'autres fois il a une nuance dorée, avec des filets ou couches jaunâtres ou rougeâtres. Il est très facile à pulvériser; jeté sur les charbons ardens, il se volatilise en une fumée blanche et répand une odeur d'ail très forte qui est propre à ce métal; si l'on expose une plaque de cuivre à cette vapeur arsénicale, elle blanchit de suite.
Le deutoxide d'arsenic à froid est inodore, il a une saveur très acre qui laisse un arrière-goût douceâtre; il est réductible par la pile; inaltérable à l'air, soluble dans quinze parties d'eau bouillante, et quatre cents de froide; la première solution donne, par le refroidissement, des cristaux tétraédriques bien marqués.--C'est un poison violent.
Tritoxide de fer (colcotar, rouge d'Angleterre, rouge de Prusse).
Cet oxide est d'un beau rouge, tirant un peu sur le brun, plus fusible que le fer, indécomposable par le calorique, non magnétique, se réduisant par le fluide électrique, insoluble dans l'eau. Il est le principe colorant de la sanguine, du brun rouge, etc.
On le prépare en calcinant fortement le sulfate de fer. Si cette calcination n'est pas poussée bien avant, il y a une portion de ce sel qui échappe à la décomposition; pour l'en dépouiller on le calcine de nouveau, ou bien on le lave, après l'avoir broyé. Cet oxide est composé de:
fer....... 100 oxigène.... 43,31On prépare aussi le rouge de prusse, en calcinant les argiles ocracées; mais il est évident que, dans ce cas, il est moins pur, puisqu'il contient de l'alumine, de la silice, etc.
SELS.
Sous-acétate de deutoxide de cuivre (verdet ou vert-de-gris).
En France, ce sel est fabriqué dans les départemens de l'Aude et de l'Hérault. On prend des plaques de cuivre mince, on les bat, et on les fait chauffer à environ cinquante degrés. On les trempe alors dans du vin chaud ou du vinaigre. On place sur le sol une couche de bon marc de raisin, et par-dessus, une couche de plaques de cuivre, et successivement une couche de marc et une de cuivre. Au bout d'un mois ou d'un mois et demi, suivant le degré de spirituosité du marc, les plaques sont couvertes d'une couche verdâtre. On les enlève, et on les place l'une à côté de l'autre transversalement. On les arrose ensuite plusieurs fois avec de l'eau acidulée par le vinaigre, et quelquefois avec de l'eau tiède. Cette couche de sel se gonfle, et l'on voit se former une efflorescence blanchâtre qui offre sur les bords de longues aiguilles, et qui se sépare facilement de ces plaques: alors le vert-de-gris est fait. On le racle, et on laisse reposer les plaques quelque temps, pour reprendre ensuite cette opération. Il est bon de faire observer que, tant qu'elle dure, on chauffe l'atelier de manière à entretenir la température à +20° C.
Ce sel, tel qu'il se trouve dans le commerce, est en pains de douze à vingt livres, tassés dans un sac de peau blanche; il doit être vert, avec des efflorescences blanches, très sec et dur; il est indécomposable par l'acide carbonique. Traité par l'eau, ce liquide dissout l'acétate neutre, et l'oxide hydraté de cuivre reste pour résidu. Par l'action du calorique, le métal est réduit. D'après M. Proust, le vert-de-gris est composé de:
acétate de cuivre neutre. ... 43 hydrate de cuivre....... 37,5 eau.............. 15,5Ce sel est un poison violent; malgré cela il entre dans la composition de quelques médicamens externes; il est employé dans la peinture, etc.
Acétate de cuivre (verdet cristallisé, cristaux de Vénus).
On prépare ce sel en faisant dissoudre le vert-de-gris dans le vinaigre, filtrant la dissolution, et la laissant cristalliser. L'acétate de cuivre a une saveur styptique et sucrée; il est soluble dans l'eau et l'alcool; il cristallise en rhombes très réguliers. D'une belle couleur verte très foncée qui tire sur le noir. Le calorique le décompose; il s'en dégage de l'acide acétique coloré par un peu d'oxide qu'il entraîne; et il se sublime en même temps, suivant la remarque de Vogel, un peu de cet acide anhydre, qui est en cristal d'un blanc satiné. Ce sel est composé de:
acide acétique 51, 29 deutoxide de cuivre 39, 05 eau 9, 06Ce sel est employé dans la peinture pour le vert d'eau, pour le lavis des plans, pour préparer le vinaigre radical, etc. On le conseille en médecine comme excitant; mais il est si vénéneux que nous n'hésitons point à en proscrire l'emploi.
La couche de cette substance verte qui se forme sur les vases de cuivre, et à laquelle on donne le nom de vert-de-gris, est un sous-carbonate de cuivre qui est même plus délétère que le verdet du commerce.
Acétate de fer.
On peut obtenir trois acétates de fer:
1º Le proto-acétate, en faisant bouillir la tournure de fer sans le contact de l'air, par l'acide acétique concentré; dans ce cas, l'eau est décomposée, son oxigène se porte sur le fer et l'oxide, tandis que son hydrogène se dégage.
2º Le deuto et tri-acétate de fer, en dissolvant le deuto ou tritoxide de fer dans le même acide.
3º Le procédé suivi dans les manufactures pour obtenir le tri-acétate de fer, consiste à laver la limaille de fer, à la laisser exposée à l'air pendant quelques jours, et à la faire bouillir dans du bon vinaigre ou dans l'acide pyro-acétique avec le contact de l'air. Dans ce cas l'oxigène de l'air et celui de l'eau concourent à l'oxidation du fer. Le tri-acétate de fer est liquide, très soluble et incristallisable. Sa solution évaporée se convertit en sous-acétate insoluble, que l'eau convertit bientôt en péroxide de fer. Ce tri-acétate est maintenant très employé dans les manufactures de toiles peintes, pour les couleurs rouille, et comme base des couleurs noires qui n'ont pas, comme celles où entre le sulfate de fer, l'inconvénient de tourner au brun.
Citrate de fer.
Comme pour le sel précédent, on lave bien la limaille de fer, on l'expose à l'air, on la mouille de temps en temps, et quand elle est convertie en sous-carbonate de fer (rouille), on la fait bouillir dans une chaudière en fer avec du suc de citron clarifié, jusqu'à ce que cet acide en soit saturé; on filtre alors et l'on fait évaporer convenablement. Le citrate de fer est soluble dans l'eau et susceptible de cristallisation. C'est peut-être le meilleur sel ferrugineux qu'on puisse employer pour la teinture en noir, surtout pour la chapellerie. Malheureusement le prix de l'acide citrique est trop élevé pour pouvoir y recourir économiquement.
Hydro-ferro-cyanate de fer (bleu de Prusse).
Découvert en 1710 par Diesbach, de Berlin. Ce sel est d'un très beau bleu; il est insipide, inodore, insoluble dans l'eau et l'alcool, s'altérant par le contact de l'air, et prenant avec le temps une couleur verte. Par la distillation, il donne des acides hydrocyanique et carbonique, du carbonate ammoniacal, un gaz inflammable, etc. Le résidu calciné est attirable à l'aimant. L'acide sulfurique le décompose en le décolorant. Ce caractère distingue le bleu de Prusse de l'indigo, que cet acide dissout sans altérer sa couleur. Les alcalis, la chaux, etc., le décolorent et s'unissent à son acide en précipitant presque tout l'oxide de fer.
On prépare le bleu de Prusse en grand, en calcinant, à une chaleur rouge, un mélange, à parties égales, de potasse et de sang desséché, ou des débris de cornes et de plusieurs autres substances animales.
Ce sel est formé par l'acide hydro-ferro-cyanique et l'oxide de fer. Il est employé dans les arts et pour la teinture du bleu Raymond.
Hydro-ferro-cyanate de potasse.
Ce sel est jaune serin, transparent, cristallisant en gros cristaux prismatiques quadrangulaires, inodore, s'effleurissant à l'air, soluble dans l'eau et en conservant 0,13 dans ses cristaux. On l'obtient en faisant digérer le bleu de Prusse en poudre dans l'acide sulfurique, pour lui enlever l'alumine et les substances étrangères qu'il contient souvent; on lave à plusieurs eaux le résidu, et on le verse dans une solution bouillante de potasse jusqu'à ce qu'elle cesse de décolorer; on filtre et l'on obtient ce sel en cristaux par l'évaporation d'une partie de la liqueur.
Ce sel est très employé dans la teinture dite bleu Raymond, du nom du chimiste qui en a fait la première application à cet art.
Nitrate de deutoxide de mercure.
On prépare ce sel en faisant bouillir un excès d'acide nitrique sur du mercure; si l'on concentre ensuite la liqueur, ce nitrate cristallise en belles aiguilles blanches, solubles dans l'eau. Cette dissolution est très corrosive; elle tache l'épiderme en rouge et le décompose même; ces cristaux, broyés et traités par l'eau, sont décomposés. Il en résulte un sous-sel insoluble qui est blanc si l'on opère avec de l'eau froide, et jaune si c'est avec l'eau bouillante; ce dernier porte le nom de turbith nitreux. La liqueur tient en dissolution un sur-sel qui est très acide.
Le nitrate de mercure est employé pour le feutrage des poils de lièvre et de lapin.
Sulfate de deutoxide de cuivre (couperose bleue, cuivre vitriolé, vitriol bleu, vitriol de cuivre, vitriol de Chypre, etc.)
Ce sel est inodore, d'une saveur âcre et très styptique, en cristaux bleus transparens, irréguliers, et quelquefois en octaèdres ou décaèdres, jouissant de la double réfraction, légèrement efflorescens, et offrant alors une matière pulvérulente d'un blanc verdâtre; soluble dans quatre parties d'eau froide, et subissant la fusion aqueuse. L'alcali volatil en précipite l'oxide qui reste suspendu dans la liqueur et lui donne une belle couleur bleue. On désigne cette préparation par le nom d'eau céleste.
Sulfate de fer (couperose, couperose verte, vitriol vert, vitriol martial, mars vitriolé, etc.)
Récemment cristallisé, ce sel est en prismes rhomboïdaux, d'un beau vert d'émeraude, transparent, et s'effleurissant à l'air en absorbant son oxigène; il se convertit alors en sulfate de tritoxide de fer, qui est en taches jaunes sur les cristaux précités. Le sulfate de fer est inodore, stytique, et si soluble dans l'eau, que neuf parties de ce liquide bouillant en dissolvent douze de ce sel. Ce sel exposé à l'action d'une haute température, perd d'abord son eau de cristallisation, ensuite une plus grande partie de son acide, tandis que l'oxide passe au maximum d'oxidation; l'on a alors pour produit un sous-sulfate de tritoxide de fer, nommé colcotar, qui est de couleur rouge.
Tartrate de fer.
Ce sel se prépare comme le citrate de fer, avec la seule différence qu'on emploie l'acide tartrique au lieu de l'acide citrique. Employé pour la teinture en noir, et supérieur au sulfate de fer, mais d'un prix bien plus élevé.
Tournesol en pain.
On fabrique cette substance colorante en Auvergne, en Dauphiné, etc., avec plusieurs lichens, principalement avec le varidaria orcina d'Achard. Le procédé consiste à pulvériser les feuilles de ces lichens, à en faire une pâte avec de l'urine et la moitié de leur poids de cendres gravelées, en ayant soin d'ajouter de l'urine à mesure qu'elle s'évapore. Au bout de quarante jours de putréfaction, ce mélange acquiert une couleur pourpre; on le met alors dans une autre auge, et on y ajoute encore de l'urine: c'est alors que se développe la couleur bleue. Alors on divise cette pâte et on y ajoute de l'urine et de la chaux. Pour dernière préparation, on fait entrer dans la composition de cette pâte, ainsi obtenue, du carbonate de chaux pour lui donner de la consistance, et on la réduit en petits pains qu'on fait sécher.
SECONDE PARTIE.
CHAPEAUX FEUTRÉS.
On donne le nom de feutre à une étoffe résultant du croisement et entrelacement des poils de certains animaux qui est produit par le foulage. L'expérience a démontré que les poils de certains animaux possèdent exclusivement cette propriété et que, quelle que soit la finesse des fibres végétales, elles ne se feutrent jamais, à moins qu'ayant déjà subi une sorte de décomposition et soumises à l'action continuée du pilon ou du cylindre, on ne les réduise en une pâte qui constitue le papier. Dans ce cas même, cette espèce de feutre diffère essentiellement de ceux dont nous avons à nous occuper.
La théorie du feutrage a fait l'objet des recherches d'un de nos plus illustres physiciens. M. Monge attribuait cette propriété aux aspérités que l'on remarque sur la surface des poils des animaux, lesquelles aspérités se trouvent avoir toutes leur direction dans le même sens. A l'appui de son opinion il citait 1º la facilité avec laquelle on peut parvenir à dénouer, au moyen de percussions légères, un cheveu noué et placé dans le milieu de la main fermée, et en supposant que ce cheveu ait sa racine dirigée vers le sol; ce qu'il y a de plus curieux encore, c'est que si on lui a donné une direction contraire, on resserre le noeud de plus en plus; 2º le mouvement progressif qu'on peut imprimer à un cheveu quand on le frotte longitudinalement entre deux doigts. On remarque en effet, dit M. Robiquet 8, qu'il marche constamment dans ce cas du côté où se trouve sa racine. Nous faisons observer à ce sujet que ces deux exemples ne sauraient nullement être favorables à la théorie de M. Monge. Le cheveu est de forme cylindrique avec un petit renflement longitudinal comme le jonc. Cette sorte de cylindre, depuis le bulbe jusqu'à son extrémité, devient de plus en plus fin; il décrit, pour ainsi dire, un cône alongé dont la base est le bulbe; aussi est-il très facile de reconnaître le gros bout ou mieux celui par lequel ce cheveu adhère à la peau. Il suffit de le tourner entre les doigts pour voir le gros bout monter s'il est à la partie supérieure, ou descendre s'il est à la partie inférieure. J'en ai examiné plusieurs au microscope d'Amici, perfectionné par Vincent Chevalier et fils, et je me suis bien convaincu que les cheveux ne sont point recouverts d'une sorte de petites écailles comme on le croit vulgairement, mais qu'ils offrent un bulbe plus ou moins gros, de forme ovoïde, de couleur blanche, dont le prolongement produit le cheveu. Au milieu est un canal médullaire qui a environ un cinquième de diamètre du cheveu, et qui lui transmet le liquide propre à sa nutrition. Le jarre se rapproche de cette structure.
D'après ces données que le cheveu marche constamment du côté où se trouve sa racine, M. Monge en avait conclu que les poils droits ne pouvaient se feutrer sans préparation préliminaire, parce que d'après leur structure, et quelle que soit la direction qu'on puisse leur donner au moyen de l'arçon, ils cheminent toujours directement dans le sens de leur bulbe et finiraient par s'échapper complètement 9. C'est au moyen du sécrétage que l'auteur pense qu'on remédie à cet inconvénient; il croit que par cette opération, on recourbe l'extrémité des poils, et qu'on facilite ainsi leur entrelacement ou feutrage. Cet entrelacement serait encore favorisé par la température à laquelle l'ouvrier opère, et par le mouvement qu'il communique tant au moyen de la main que par celui de la brosse.
M. Malard, dans un Mémoire présenté à la Société d'encouragement pour l'industrie nationale, a présenté une série d'observations qui ne s'accordent nullement avec la théorie de M. Monge. Nous allons les faire connaître:
1º Les poils de quelques animaux, tels que ceux de lapins de garenne, quoique aussi droits que ceux de lièvre, de castor et d'autres animaux qui ne se feutrent qu'après l'opération du sécrétage, sont susceptibles de feutrage sans préalablement les avoir soumis à aucune préparation;
2º Les laines droites (celles de la Beauce, du midi de la France) se feutrent également sans préparation, tandis qu'au contraire les laines d'Espagne et même celles des métis, qui sont tournées en spirale, sont peu propres au feutrage.
D'après ces observations, il paraît évident que si les aspérités des poils ou leurs écailles favorisent leur feutrage, cependant elles n'en sont point la cause unique comme on vient de le voir. Nous reviendrons sur ce sujet quand nous parlerons du feutrage; nous nous bornerons à dire en ce moment que M. Guichardière avance que les poils qui ont des aspérités se refusent au feutrage. Cette opinion ne parait pas conforme à l'observation, et quel que soit d'ailleurs le mérite de l'auteur et les services qu'il a rendus à la chapellerie, cette opinion, pour être admise, aurait besoin d'être appuyée sur des faits nombreux et soigneusement constatés.
Il est peu de fabrications qui exigent des opérations si variées que celle des chapeaux. Nous allons les décrire successivement.
PRÉPARATION DES POILS SUR LES PEAUX.
Avant de procéder au feutrage, on fait subir aux peaux quelques préparations préliminaires qui portent différens noms, et que nous allons faire connaître.
Dégalage.
Le poil des peaux est souvent rempli de poussière et de corps étrangers dont il importe de les débarrasser: c'est ce qu'on nomme en termes de l'art, dégaler. On pratique cette opération au moyen d'une espèce de petite carde, connue sous le nom de carrelet. L'ouvrier promène doucement cet outil sur le poil, et bat ensuite la peau avec une baguette du côté opposé; il continue ces deux opérations jusqu'à ce qu'en agitant fortement les peaux, il n'en sorte plus de poussière. En cet état, on les soumet à l'opération suivante:
Ébarbage ou éjarrage.
Nous avons déjà dit que les poils de castor, de lapin, de lièvre, etc., étaient composés de duvet et de jarre, et que celui-ci non seulement ne se feutrait point, prenait mal la teinture, mais qu'il diminuait la beauté et la qualité des chapeaux. Or, les fabricans ont employé divers moyens pour séparer ce jarre du duvet.
Les mots ébarbage et éjarrage semblent à peu près synonymes; cependant il existe entre eux une petite différence. Nous avons déjà dit que dans les peaux de castor et de lapin, le jarre adhère moins à la peau que le duvet; c'est en raison de cette propriété et vu la plus grande longueur du jarre qu'on s'attache à l'arracher; c'est ce qu'on nomme éjarrage, tandis que l'ébarbage s'y applique aussi, mais plus communément aux peaux de lièvre, dont le jarre est plus adhérent au cuir que le duvet. Je vais décrire ces deux opérations.
Éjarrage des peaux de lapins.
Cette opération est également connue sous le nom d'arrachage; elle s'opère de la manière suivante: on étend pendant deux ou trois jours les peaux bien dégalées dans une cave ou tout autre lieu bas et humide, en ayant soin de les retourner trois ou quatre fois par jour, afin qu'elles se ramollissent également. On les porte ensuite par cinquantaines à l'atelier; on coupe les pattons, et l'on ouvre les peaux dans leur longueur avec une espèce de couteau très tranchant à lame large et mince que l'on nomme tranchet. On s'attache ensuite à les bien détirer, c'est-à-dire à faire disparaître, au moyen des poignets, les plis que ces peaux ont contractées 10. Au fur et à mesure que les peaux sont détirées, on les tasse les unes sur les autres, et on les surcharge d'une planche sur laquelle on place un corps très pesant. Par ce moyen non seulement on prévient le prompt dessèchement des peaux, mais encore on finit d'effacer les plis et les rides. Après ces préliminaires, l'ouvrière pratique l'arrachage de la manière suivante: elle place la peau sur son genou droit de manière que le poil soit en dehors, la culée, ou côté de la queue, vers le haut, et celui de la tête placé entre ce même genou et un établi. Voici la manière de M. Morel 11. L'ouvrière, armée d'un tranchet, suffisamment garni de linges pour éviter qu'il ne la blesse, et qu'elle saisit d'abord des deux mains par ses deux extrémités, le fait mouvoir de telle sorte que la lame, appuyée presque verticalement par son tranchant sur le poil, vient, par un mouvement subit et égal des deux poignets, à la position horizontale, le tranchant tourné du côté de l'ouvrière. Ces deux mouvemens, exécutés et renouvelés avec toute la célérité dont les muscles sont susceptibles, et en avançant peu à peu de la tête vers la culée, font tout le mécanisme de cette opération, qui, d'un seul temps, saisit et enlève le jarre sans arracher le poil fin. Il est néanmoins rare que cette première façon suffise pour enlever la totalité des jarres; c'est pourquoi l'arracheuse, après l'avoir exécutée, doit retourner sa peau bout pour bout; et, tandis qu'elle la tient de la main gauche, la droite retient seule le tranchet, entre la lame duquel, et le pouce revêtu du poucier 12, elle saisit les jarres qui sont demeurés, et les tire à rebrousse-poil. Il est aisé de voir que les ouvrières doivent joindre à beaucoup d'adresse une grande habitude de ce travail.
On pratique également cette opération en plaçant les peaux sur un chevalet en faisant agir une plane sur le jarre; ce procédé est bien moins usité que le précédent. Nous devons ajouter que l'éjarrage ne s'applique qu'au poil du dos de l'animal, et qu'on doit bien faire attention à ne pas atteindre le bout du duvet, qui est la partie la plus soyeuse et la plus fine. Quant au poil de la gorge et du ventre, on est dans l'usage de le raccourcir de près d'un tiers. Sans cette précaution, on rendrait difficilement le feutre uni. Quand l'arrachage est terminé, on bat les peaux à la baguette pour les dépouiller du jarre coupé qui reste dans le duvet, et qu'on nomme gros. On les met ensuite deux à deux, cuir contre cuir, et par paquets de cent quatre qui sont visités par un nouvel ouvrier, lequel leur fait subir de semblables opérations pour les en dépouiller complètement.
Quelle que soit l'adresse de l'ouvrière, il arrive parfois qu'elle arrache des parties de la peau. On doit éjarrer les mêmes parties, dites évidures, et les joindre aux peaux dont elles faisaient partie.
Éjarrage des peaux de castor.
l'opération est la même, avec cette différence que comme la peau du castor est plus grande et que son jarre est beaucoup plus fort, il est nécessaire de recourir à un outil bien plus gros, qu'alors un homme fait mouvoir; celui-ci place la peau sur un chevalet, l'y fixe au moyen d'un tire-pied, s'asseoit sur l'un des bouts du chevalet, et prenant la plane 13 par les deux manches, lui fait exécuter sur la peau de castor les mêmes mouvemens qu'on imprime au tranchet sur les peaux de lapins. Après cette opération, une ouvrière enlève au tranchet les parties du jarre qui ont pu échapper à l'action de la plane. C'est ce qu'on nomme repassage. On bat ensuite les peaux de castor à la baguette pour en séparer le gros.
Ébarbage de peaux de lièvre.
Le jarre du lièvre adhère, comme nous l'avons déjà dit, bien plus à la peau que le duvet. On est donc obligé de le couper aux ciseaux; c'est ce qu'on nomme ébarber. Pour cela, l'ouvrière, après avoir peigné doucement le poil au moyen du carrelet, afin que tous les poils ou jarres se trouvent tous disposés dans leur situation naturelle, l'ouvrière, dis-je, coupe, avec de longs ciseaux bien tranchans, le jarre sur toute la surface de la peau et à la fleur du duvet, sans toucher aucunement à celui-ci. Ce travail demande beaucoup d'attention et d'adresse. Quand cette opération a été bien faite, et sur une des belles peaux, dites de recette, leur surface offre sur le dos une couleur noire veloutée, sans aucune apparence de jarre; cette couleur diminue d'intensité en descendant vers les flancs.
Cette opération, ainsi que celle de l'arrachage, sont longues et coûteuses. On a cherché de nos jours à la remplacer par des machines convenables. Nous allons faire connaître celle que nous avons pu découvrir.
Description d'une machine propre à nettoyer et à ouvrir la laine et à débarrasser les poils de leur jarre; par M. WILLIAMS.
On connaît en Angleterre une sorte de laine provenant de l'Amérique méridionale, qui est très fine et d'excellente qualité, mais tellement agglomérée et salie par des impuretés de toute nature, qu'elle n'a presque aucune valeur dans le commerce. M. Williams a cherché à remédier à cet inconvénient en purgeant cette laine de ses matières hétérogènes, et c'est dans ce but qu'il a imaginé la machine dont nous allons nous occuper. Quoique plusieurs parties en soient déjà connues et aient beaucoup d'analogie avec le batteur-éplucheur du coton, construit par M. Pitret, cependant l'ensemble présente une combinaison qui n'est pas sans mérite. D'ailleurs la machine est susceptible d'être appliquée à débarrasser de leur jarre les poils employés dans la chapellerie, et surtout la laine de cachemire, qui arrive en Europe chargée de bouchons et d'autres matières qu'on ne peut en séparer qu'avec beaucoup de difficulté.
La fig. 1re, pl. 377, est une élévation latérale de la machine, vue du côté droit.
La fig. II, le plan ou la vue à vol d'oiseau.
La fig. 3, coupe longitudinale, prise par le milieu de la machine. Les mêmes lettres indiquent les mêmes objets dans toutes les figures.
La machine est montée sur un bâtis en bois, A A; à son extrémité postérieure est disposée une toile sans fin horizontale a, tendue sur deux rouleaux qui la font tourner: c'est sur cette toile que l'ouvrier étale avec soin et bien également la laine ou les matières destinées à être soumises à l'action de la machine; B C, sont deux cylindres alimentaires, entre lesquels passe la nappe de laine étendue sur la toile a; ces cylindres, qui sont pressés l'un sur l'autre par l'effet d'un levier en forme de romaine u, tiré par un poids z, reçoivent leur mouvement par un engrenage v, composé d'un pignon et de deux roues dentées: ce même engrenage fait tourner la toile sans fin; d est un tambour garni à sa circonférence de douves e, e, e, sur lesquelles sont fixées, dans une position oblique, des dents en fer f, dont la forme est représentée sur une plus grande échelle fig. 5; g est une archure qui recouvre la partie supérieure, afin d'empêcher que la laine ne soit jetée au dehors par l'effet de la force centrifuge.
Le mouvement est transmis au tambour par une poulie h, montée sur son axe et enveloppée par une courroie communiquant avec une machine à vapeur ou tout autre moteur. Le même axe porte une autre poulie i, qui, par l'intermédiaire d'un ruban croisé j, fait tourner une poulie k, montée sur l'axe du cylindre alimentaire C. Dans cette première opération, la laine, en sortant de la toile sans fin, passe entre les cylindres B C; là, elle est saisie par les dents du tambour, qui en détachent le jarre et les impuretés, lesquels tombent sur la planche inclinée m, après avoir traversé la grille l. La nappe de laine est ensuite entraînée sur la toile sans fin n, qui la fait passer entre les cylindres o p; au-dessus de cette toile est une grille x, qui donne passage à la poussière produite par la rotation du tambour. Celui-ci fait tourner les cylindres o p, au moyen d'une courroie croisée q, passant de la poulie r sur celle s, fixé sur l'axe du cylindre p. le mouvement est transmis à la toile sans fin n par un engrenage t, composé, comme le précédent, d'un pignon et de deux roues dentées. Un levier en forme de romaine y, auquel est suspendu un poids a, presse les cylindres l'un sur l'autre.
La laine, après avoir passé entre ces cylindres, subit l'action des peignes rotatifs b, montés dans une position oblique sur des douves assujetties à des croisillons c, d'un tambour plus petit que le précédent. Ces peignes, dessinés sur une plus grande échelle, fig. 4, tournent par l'effet d'une grande poulie f, enveloppée d'une courroie e, qui embrasse une poulie d, fixée sur l'axe des peignes. Comme ils ont une très grande vitesse, les impuretés qui auraient pu échapper aux dents du tambour d, sont définitivement détachées et lancées tant contre l'archure g qui recouvre les peignes, que contre une planche en fer courbe h'; elles s'échappent ensuite par l'ouverture i'.
Après cette opération, les brins de laine, parfaitement nettoyés et ouverts, descendent, sous forme de nappe, sur la planche inclinée k'.
M. Malartre s'est aussi occupé avec succès de ce point important; nous allons transcrire le rapport qu'a fait à ce sujet M. Cadet Gassicourt, à la Société d'encouragement pour l'industrie nationale.
Rapport fait par M. Cadet de Gassicourt au nom du comité des arts chimiques, sur un procédé pour éjarrer les peaux de lièvres, inventé par M. MALARTRE, chapelier, rue du Temple, nº 60, à Paris.
Messieurs, pour vous mettre à portée d'apprécier les avantages du nouveau procédé de chapellerie inventé par M. Malartre, il est nécessaire que nous entrions dans quelques détails sur la fabrication des chapeaux.
Le poil des animaux employé par les chapeliers est composé de deux espèces très distinctes, l'une soyeuse, flexible, quelquefois cotonneuse, dont les parties ont naturellement beaucoup d'adhérence entre elles, et dont la principale fonction parait être de conserver la chaleur de l'animal; on la nomme duvet; l'autre, plus raide, plus élastique, et n'ayant point d'adhérence entre ses parties, semble destinée à garantir le duvet du frottement des corps extérieurs; on l'appelle jarre.
L'expérience a prouvé que parmi les substances propres à être feutrées, celles qui ont cette qualité au plus haut degré sont les plus déliées et les plus homogènes, et que la présence du jarre dans le feutre lui ôte sa souplesse et sa force en le rendant dur et cassant. Un préjugé a pu faire croire, pendant quelque temps, à des chapeliers inexpérimentés que le jarre donnait de la solidité aux chapeaux; les hommes habiles n'ont point partagé cette erreur, et ils ont cherché, par toutes sortes de moyens, à séparer le jarre du duvet; mais ils n'y sont parvenus qu'imparfaitement.
Nous ne décrirons pas la manière très connue par laquelle les chapeliers ont coutume d'arracher le jarre, opération qui s'appelle ébarber. Cette opération est si inexacte, qu'ils ont besoin, quand le chapeau est terminé, d'arracher avec des pinces les poils de jarre saillans à sa surface, et de dissimuler ainsi sa présence, au risque d'écorcher et de dégarnir le chapeau.
On n'avait pas encore observé qu'il y avait sur les peaux de lièvres deux espèces de jarres; l'un que l'animal apporte en naissant et qui devient très long: il est ordinairement de deux couleurs; l'autre, presque aussi court que le duvet, est destiné, sans doute, à remplacer le long quand l'animal est dans sa mue. Or, par le procédé employé jusqu'ici, on enlève une grande partie du jarre long, mais le court reste dans le duvet.
M. Malartre s'est proposé le problème suivant: trouver un procédé pour enlever le jarre dans tous les poils employés dans la fabrication des chapeaux, procédé tout à la fois simple, facile, prompt et économique, qui extrait le jarre jusqu'à sa racine, jusqu'à son dernier brin, et laisse le duvet dans l'état de pure nature, sans la moindre altération.
Nous croyons, messieurs, que M. Malartre a complètement résolu le problème, en ne jugeant que les produits qu'il obtient; car les substances et les manipulations qu'il emploie étant et devant rester secrètes, nous ne pouvons prononcer sur l'économie du procédé.
M. Malartre a bien voulu, sur notre demande, nous fournir des peaux de lièvres de Russie et de France sécrétées et éjarrées par l'ancienne et la nouvelle méthode: il a mis sous nos yeux du duvet purifié par lui et du duvet non purifié. Nous avons examiné à la loupe ces différens produits; nous avons comparé des feutres qu'il a composés de pur duvet avec les feutres les plus fins du commerce, et nous avons reconnu une supériorité incontestable dans les feutres de M. Malartre. D'habiles chapeliers, auxquels nous avons présenté ces produits, ont été de l'avis de votre comité.
Quels sont maintenant, messieurs, les avantages du nouveau procédé? Ici nous laisserons parler M. Malartre lui-même, parce qu'il ne s'éloigne pas de la vérité, et que nous ne pourrions nous expliquer plus clairement que lui.
«Si l'on compare, dit-il, les chapeaux ou le jarre avec les chapeaux faits avec le moyen du seul duvet, l'expérience et le raisonnement prouvent également que ces derniers sont d'un feutre plus égal et plus adhérent, puisqu'ils sont composés d'une matière plus déliée et plus homogène; qu'ils sont plus solides, plus souples et d'un meilleur usage, qu'ils flattent davantage l'oeil par leur aspect soyeux, ondulé, brillant, et la main par le moelleux de leur substance; enfin, qu'ils sont susceptibles de prendre de plus belles couleurs, puisque la teinture se fixe mieux sur une matière fine et divisée.
»Des matières communes réputées jusqu'ici mauvaises et peu propres à la chapellerie, donnent, en ôtant le jarre, des chapeaux d'une beauté et d'une solidité égales à celles des chapeaux les plus fins que l'on fabrique actuellement; et, lorsqu'on emploie des matières de choix, les chapeaux de pur duvet peuvent rivaliser avec les chapeaux de castor. Ceux-ci ne sont que dorés à la surface extérieure: le corps du chapeau est composé de matières étrangères au castor. Le castor lui-même n'est point privé de jarre, et si l'on ajoute que les chapeaux de castor perdent leur couleur et rougissent en très peu de temps, tandis que la couleur est fixe sur les chapeaux de duvet, peut-être trouvera-t-on que ces derniers, sans être inférieurs aux chapeaux de castor dans aucune de leurs parties, ont au contraire quelques parties dans lesquelles ils leur sont supérieurs.»
Nous ne ferons sur cet exposé qu'une seule observation; on prétend que les chapeaux de castor et autres, qui rougissaient quand on les teignait en noir par le sulfate de fer, ne rougissent point quand on les teint par le pyrolignite, ou, comme en Angleterre, par le nitrate de fer.
Il résulte encore d'autres avantages du procédé de M. Malartre. En employant le pur duvet, deux ouvriers font, dans l'opération de la foule, l'ouvrage de trois. Dans l'appropriage, composé de trois opérations, du dressage et de deux passages, le premier des passages est inutile; car il n'a pour but ordinairement que de coucher le duvet et de faire redresser le jarre, afin de pouvoir le saisir avec des pinces. Or ici point de jarre. Dans l'arçonnage, il y a moins de poussière avec le pur duvet, moins de poils qui voltigent, et qui, respirés par l'ouvrier, nuisent à sa santé. Ainsi, la découverte de M. Malartre améliore et simplifie les autres procédés de la chapellerie.
Nous sommes entrés dans tous ces détails, messieurs, parce que nous regardons ce perfectionnement comme très important. Il fait faire un très grand pas à l'art de la chapellerie, et si le procédé de M. Malartre pouvait devenir le secret des fabriques de France, cette branche de commerce rendrait bientôt les étrangers tributaires; car nous ferions exclusivement les chapeaux les plus beaux, les plus solides et les plus légers, avec les poils fournis par les animaux de notre sol, et même par ceux dont les peaux étaient dédaignées, comme contenant plus de jarre que de duvet, ou un jarre trop court pour pouvoir être séparé.
Votre comité des arts chimiques me charge, messieurs, de vous demander, pour M. Malartre, une médaille dont il nous paraît que la matière ne peut être déterminée que dans six mois, parce que, si les espérances que M. Malartre fait concevoir se réalisent, la société jugera sans doute que la médaille d'or doit être la juste récompense de cette invention.
En attendant, nous avons l'honneur de vous demander l'annonce de ce procédé dans le bulletin de la Société, avec les éloges que M. Malartre a mérités 14 .--Adopté en séance, le 11 mars 1818.
Moyens propres à extraire le jarre du duvet des peaux destinées à la fabrication des chapeaux, par M. MALARTRE, chapelier. (Brevet d'invention de 15 ans.)
Il a été accordé à ce procédé, qui date du 30 mars 1818, un brevet de quinze ans, déchu par ordonnance du 4 mai 1823. Voici en quoi il consiste:
On commence par imprégner les peaux d'une eau de chaux légère, qui ne puisse pénétrer dans la peau, c'est-à-dire dont l'effet ne puisse se faire sentir au-delà de la racine du duvet. Cette opération se fait en passant une brosse trempée dans l'eau de chaux, sur les deux côtés de la peau jusqu'à ce qu'elle soit entièrement amollie. En cet état, le jarre n'a que peu d'adhérence avec les peaux, et on l'en arrache aisément en le pinçant entre le pouce et une espèce de couteau peu tranchant. Le jarre qui reste après cette opération est coupé avec des ciseaux. On arrache alors le duvet des peaux, qui vient très facilement sans entraîner le jarre qui pourrait rester et qui a résisté à l'arrachage, parce que ses racines, étant plus profondes que celles du duvet, n'ont pas été atteintes par la liqueur dont l'action s'est bornée à la surface de la peau.
Il est bon de faire observer qu'il faut laisser sécher les peaux que l'on a imprégnées d'eau de chaux, et qu'on doit les battre ensuite avec une petite baguette avant d'en arracher le jarre.
Le procédé de M. Malartre ne se trouvant point décrit dans le bulletin de la Société d'encouragement, nous avons appris que l'auteur avait pris pour cela un brevet d'invention. En conséquence nous nous sommes procurés la copie de son brevet, et nous venons de le publier tel que l'auteur l'a déposé au ministère de l'intérieur.
Classement des peaux.
Aussitôt que les peaux ont été ébarbées ou éjarrées, le fabricant en fait plusieurs triages pour les assortir suivant leur beauté et leur qualité.
1º Dans chaque espèce de peau et dans chaque sorte, l'on commence par mettre de côté les peaux qui doivent être coupées de suite, et qu'on nomme en veule, en les séparant ainsi des autres qui doivent être soumises au sécrétage;
2º Les peaux des lapins de clapier sont également séparées de celles des lapins de garenne;
3º On fait des paquets séparés des premières de ces peaux d'après leurs couleurs;
4º Les peaux des castors gras sont aussi séparées de celles du castor sec;
5º Enfin, s'il en est qui ne soient pas bien éjarrées ou ébarbées, on les renvoie à l'ouvrière. Après ces préliminaires on procède à l'opération suivante.
Sécrétage.
Le sécrétage est une opération qu'on fait subir aux poils pour augmenter leur propriété feutrante. Dès le principe on employait en France à cet effet, mais avec un faible succès, une décoction de racine de guimauve et de symphitum ou grande consoude. Ce fut vers 1730 qu'un ouvrier chapelier, nommé Mathieu, porta d'Angleterre le procédé du sécrétage des peaux au moyen du nitrate de mercure. La préparation si importante de ce sel paraît n'être pas la même dans toutes les fabriques; elle varie par les proportions des constituans; ainsi M. Morel indique:
acide nitrique (eau forte) ........ 1 livre. mercure............. de 3 à 4 onces. On fait dissoudre à une douce chaleur, et l'on ajoute: eau de pluie ou de rivière .... de cinq à six fois son volume, c'est-à-dire de cinq à six livres. M. Robiquet dit que la liqueur mercurielle généralement adoptée se compose de: acide nitrique ....... 500 grammes (1 livre.) mercure. ...... 32 (1 once.) eau ... de moitié à deux tiers suivant la concentration de l'acide.M. Guichardière assure qu'il a obtenu de meilleurs résultats de la combinaison de l'ancien procédé avec le nouveau. En conséquence il conseille les proportions et le mode suivant:
acide nitrique à 34....... 1 livre. mercure pur.......... 6 onces. Après la dissolution il ajoute: décoction de guimauve et de grande consoude.... 16 parties.Voici maintenant la manière de faire cette opération:
On étend soigneusement sur une table ou un chevalet les peaux déjà ébarbées ou éjarrées; on trempe alors une brosse de sanglier dans la dissolution mercurielle et on la promène avec force sur toute la surface du poil, tant dans sa direction naturelle qu'à rebrousse-poil; on immerge de nouveau la brosse dans la liqueur, on la passe sur le poil, et l'on continue jusqu'à ce que celle-ci soit mouillée dans environ les deux tiers de sa longueur; si le poil est un peu rude, on imbibe le poil encore plus profondément. Il est bon de faire observer que, chaque fois qu'on plonge le poil de la brosse dans la liqueur, on doit, après l'avoir sortie, lui imprimer une secousse afin qu'elle ne soit pas trop chargée de liquide. L'ouvrier doit être placé dans un endroit aéré, afin de se préserver des exhalaisons mercurielles 15 . Enfin, pour rendre le mouillage ou le sécrétage plus égal, on réunit les peaux de deux en deux et poil contre poil; on les porte ensuite à l'étuve qui doit être assez fortement chauffée pour que la dessication soit prompte. La température de l'étuve devra être d'autant plus élevée que la dissolution du nitrate de mercure aura été plus étendue d'eau. Il est d'autant plus nécessaire que la dessication s'opère promptement que c'est la concentration du sel qui doit produire l'effet désiré; car, si cette dessication est lente et successive, l'expérience a démontré qu'alors la contraction du poil ne parvient point au degré nécessaire.
La solution de nitrate acide de mercure exerce une action chimique très forte sur les poils qui contractent une couleur jaune dorée plus ou moins intense, suivant les parties de la peau. Vainement a-t-on cherché à connaître le mode d'action que l'acide nitrique et le sel mercuriel exercent sur le poil; nous n'avons encore, sur ce point, que des hypothèses; le problème reste encore à résoudre. Cette solution serait cependant d'autant plus importante pour cet art, qu'elle conduirait les expérimentateurs à lui substituer quelque autre sel ou quelque autre substance inoffensive, ou moins dangereuse que le nitrate acide de mercure. L'art du chapelier repose en grande partie sur l'opération du feutrage; aussi plusieurs fabricans ont-ils tenté plusieurs essais pour en exclure le sel mercuriel. En 1817, M. Guichardière présenta à la Société d'encouragement, des chapeaux d'ours marin, de loutre indigène et de raton du Mexique, sécrétés sans mercure, ainsi qu'un chapeau sans sécrétage, foulé par l'acide sulfurique. Nous n'avons pas connaissance qu'il ait donné suite à ces essais.
M. Morel a tenté quelques essais infructueux avec les acides affaiblis, et les alcalis. Tous les procédés auxquels il donna quelqu'un de ces agens pour base, furent nuls ou fâcheux; les uns en détruisant la substance même des poils, les autres en l'attaquant de manière à altérer sensiblement leur solidité. L'auteur croit cependant avoir découvert un mode de sécrétage très avantageux pour les peaux de lapin; il se borne à les exposer suspendues aux solives d'une étable, et à les y laisser plusieurs semaines. Le poil était devenu alors plus gras, et se feutrait aussi facilement que s'il eût été sécrété par le nitrate de mercure. Il n'en était pas de même du poil de lièvre. M. Morel pense qu'il eût dû y rester plus long-temps exposé que celui de lapin. Mais ses expériences, sur ce dernier point, n'offrent rien de positif.
La Société d'encouragement pour l'industrie nationale, convaincue des effets nuisibles du nitrate du mercure sur la santé des ouvriers, proposa, en 1815, un prix relatif au sécrétage sans préparation mercurielle. Ce prix n'ayant point été décerné en 1816, il fut remis au concours en 1817. MM. Malard et Desfossés entrèrent en lice, et la Société arrêta que le concours serait fermé, et que le pris serait adjugé à ces deux auteurs, dans le cas où de nouvelles expériences, faites plus en grand et continuées pendant un temps suffisant, confirmeraient non seulement les résultats obtenus, mais donneraient encore une garantie absolue de la bonté du procédé. Il paraît que ce procédé, quoique très bon, ne répondit pas tout-à-fait aux espérances qu'il avait fait concevoir, puisque la Société, en retirant ce prix, se borna à décerner une médaille d'encouragement de 200 francs à MM. Malard et Desfossés. Nous faisons connaître le rapport qui fut fait à ce sujet à cette Société par M. Bréant.
Comme nous n'avons trouvé nulle part le procédé de sécrétage de MM. Malard et Desfossés, nous avons lieu de croire que c'est celui pour lequel ils avaient déjà pris un brevet d'invention. Nous allons le transcrire ici.
Nouveau procédé de sécrétage pour le feutrage des poils destinés à la fabrication des chapeaux, par MM. MALARD et DESFOSSÉS. (Brevet d'invention de 1817.)
Composition de la liqueur.
Ajoutez à deux cent cinquante grammes de soude brute dite d'Alicante, qu'on appelle barille mélangée, en usage dans les savonneries et dans les ateliers de teinture en coton, cent vingt-cinq grammes de chaux vive, que vous éteignez en la plongeant dans l'eau avant d'opérer le mélange, et que vous filtrez après avoir mis assez d'eau pour que la liqueur filtrée marque dix degrés à l'aréomètre d'Assier-Périca: la liqueur qu'on obtient donne dix-neuf à vingt degrés à l'alcalimètre de M. Descroizilles.
Imprégnez de cette liqueur les poils de peaux à sécréter, à l'aide d'une brosse de soie de porc, comme cela se pratique ordinairement pour les dissolutions de sels mercuriels.
Ce mode de sécrétage convient également pour les chapeaux jockey et pour les chapeaux grande taille.
Les chapeaux ainsi sécrétés sont mis à l'étuve.
Le chapeau jockey est composé de quatre onces de poils, dont trois parties de poils sécrétés et une partie de poils veules. Le poil, soit sécrété, soit veule, est formé de six parties de poil de lièvre pour une partie de poil de lapin.
Le chapeau grande taille est fait avec neuf onces de même mélange; le poil veule s'y trouve dans les mêmes proportions.
Voici maintenant le rapport qui a été fait à la Société d'encouragement sur ce procédé.
Rapport fait par M. Bréant sur les travaux relatifs au sécrétage des poils sans emploi de sels mercuriels, par MM. MALARD et DESFOSSÉS.
Messieurs, l'année dernière, d'après le rapport de votre comité des arts chimiques, sur le prix relatif au sécrétage sans préparation mercurielle, vous arrêtâtes que le concours serait fermé, et que le prix serait adjugé à MM. Malard et Desfossés, dans le cas où de nouvelles expériences, faites plus en grand et continuées pendant un temps suffisant, confirmeraient les résultats obtenus, et donneraient une garantie absolue de la bonté du procédé.
En conséquence de cette détermination, votre comité fit préparer, au printemps dernier, par MM. Desfossés et Malard, la liqueur qu'ils ont substituée au nitrate de mercure, et il fit sécréter une quantité de peaux suffisante pour les expériences.
Les poils coupés furent ensuite distribués à divers chapeliers, en laissant à chacun la faculté de faire les mélanges comme il le jugerait convenable.
Les premières expériences nous donnèrent des résultats opposés; les chapeaux préparés par un des fabricans à qui nous nous étions adressés, furent trouvés par lui de médiocre qualité, tandis que ceux préparés par un autre furent estimés d'une qualité suffisamment bonne. Surpris de cette différence, surpris aussi que les meilleurs de ces chapeaux fussent inférieurs à ceux préparés sous les yeux de vos commissaires, dans l'atelier de M. Malard, votre comité a dû penser que le succès tenait à quelques circonstances particulières, soit dans l'opération du secrétage, soit dans la fabrication des chapeaux. Il résolut, en conséquence, de faire répéter l'opération, en la confiant de préférence au chapelier qui avait le mieux réussi; et comme il y avait lieu de croire que le sécrétage n'avait pas été fait, d'autant que les peaux, placées dans une très petite étuve, avaient dû éprouver une trop forte chaleur, le comité fit recommencer l'expérience avec un soin particulier, et il a eu à s'applaudir de cette précaution, que l'impartialité lui prescrivait, puisqu'il en est résulté des feutres aussi bons que ceux sécrétés au mercure, et que ces feutres, foulés dans la lie de vin, comme les chapeaux ordinaires, n'ont pas exigé plus de temps.
Placé entre deux rapports contradictoires, ne pouvant élever de doute contre l'exactitude d'aucun des deux, votre comité a dû rechercher la cause de ces différences, et il l'a trouvée, non dans la bonne volonté plus ou moins grande de ceux qui ont concouru aux expériences, mais dans la différence des matériaux qu'ils ont employés, et dans leurs méthodes particulières.
Les objections faites contre le nouveau sécrétage, portent sur les points suivans:
1º Les poils sont humides, et cependant, à l'arçonnage, ils produisent de la poussière.
2º Le bâtissage se fait plus lestement.
3º A la foule ils rentrent moins vite, et au point qu'il a fallu six heures pour un grand chapeau.
4º Les poils ne sont pas assez adhérens, puisqu'on les enlève avec une brosse.
5º Enfin, ils ne prennent pas un beau noir.A cela, votre comité répond que la poussière a dû résulter du défaut de précaution apporté dans la première opération du sécrétage. Cet inconvénient ne fut pas observé l'année dernière, et avec une très légère modification dans le procédé on y remédierait aisément.
Il ne peut non plus attribuer la lenteur du bâtissage, observé par un des fabricans qui ont travaillé aux expériences, qu'à la même cause qui a produit de la poussière; car l'année dernière cette opération se fit très bien, et s'est également bien faite dans les derniers essais qui ont eu lieu.
La première opération du sécrétage n'ayant pas été bien conduite, il n'est pas étonnant que les résultats obtenus à la foule n'aient pas été aussi satisfaisans que ceux de l'année précédente. Ils ont été les mêmes aussitôt qu'on a employé le procédé avec plus de soin.
Quant à l'effet de ces chapeaux à la teinture, il n'est pas étonnant qu'ils n'aient pas pris un aussi beau noir. Le sécrétage influe nécessairement sur le mordant, et le bain doit être modifié en raison des substances employées pour le sécrétage; mais rien n'est plus facile que de préparer un bain de teinture, dans lequel ils prendront un noir aussi parfait que celui qu'on obtient avec les poils sécrétés au mercure.
Après avoir comparé attentivement les résultats contradictoires des expériences qu'il a fait répéter plusieurs fois, votre comité est demeuré convaincu:
1º Que par le procédé de MM. Desfossés et Malard, on parvient à sécréter les poils au point de les rendre propres à faire d'excellens feutres; mais que ce procédé ne communique pas aux poils toute l'énergie feutrante que leur donne le nitrate de mercure.
2º Que le succès de ce procédé tient à des circonstances tellement délicates, qu'il est difficile de pouvoir en répondre constamment.
Ainsi, on ne peut nier que l'emploi du nitrate de mercure n'ait un avantage marqué, puisqu'il ne manque jamais de remplir son effet.
D'après cet exposé, messieurs, votre comité doit déclarer que les conditions du programme ne lui paraissent pas remplies, et que le prix n'est pas gagné; mais il serait injuste s'il ne reconnaissait pas que ceux qui ont autant approché du but méritent un encouragement des plus honorables.
En le leur accordant, vous les déterminerez à faire de nouveaux efforts pour ajouter à leur procédé ce qui lui manque pour réussir constamment dans les mains de tous les fabricans. Eux seuls peuvent y parvenir, parce qu'ils sont les inventeurs, qu'ils ont intérêt à perfectionner leur découverte, et que la réunion de leurs connaissances et de leurs talens leur offre tous les moyens de succès.
Votre comité vous propose, en conséquence, de décerner, à titre d'encouragement, une médaille d'or au procédé de sécrétage présenté par MM. Desfossés et Malard.
Des informations prises auprès de plusieurs fabricans ont fait connaître que le tremblement mercuriel est maintenant rare parmi les ouvriers chapeliers, sans doute parce que l'on emploie aujourd'hui une moindre quantité de mercure; mais si les ouvriers chapeliers ne sont plus autant exposés à cette maladie, elle attaque ceux qui sécrètent les peaux, et quoique le nombre de ces préparateurs de poil soit très peu considérable, il ne faut pas négliger les moyens de les préserver d'une cruelle maladie.
Votre comité ne pense pas toutefois qu'on doive remettre au concours le problème du sécrétage; il se charge d'en chercher la solution dans le cas où, contre son espérance, MM. Desfossés et Malard renonceraient à faire de nouvelles tentatives. Les conclusions de ce rapport ont été adoptées: en conséquence M. le président a remis à MM. Malard et Desfossés une médaille d'encouragement de la valeur de 200 fr.
Tonte ou coupe de poils.
L'ouvrière commence par couper toutes les inégalités et cornes des peaux, ainsi que la queue et les pattes, c'est ce qu'on appelle border la peau; les parties retranchées sont nommées chiquettes: elles sont mises à part. On prend alors les peaux, on les humecte du côté de la chair avec une éponge imbibée d'eau ou, bien mieux, trempée dans de l'eau de chaux affaiblie, et l'on accole les peaux de deux en deux du côté mouillé 16 , par cinquantaines; on les charge de planches surchargées d'une grosse pierre, et on les laisse en cet état de douze à vingt-quatre heures, afin que le cuir soit plus souple, et que le poil puisse en être extrait plus aisément. Pour cela on recourt à deux moyens; on l'arrache ou bien on le coupe. M. Guichardière donne la préférence au premier moyen, pour la fabrication des chapeaux velus. Il assure que si le feutrage des poils arrachés est plus difficile, en revanche le feutre qui en provient est plus solide, et ne dépérit point sous la main de l'ouvrier. D'ailleurs, ajoute-t-il, par cette méthode on a l'avantage de tirer parti du poil commun du ventre du lièvre, qui n'a dans les circonstances ordinaires que fort peu de valeur. La plupart des fabricans ne partagent pas l'opinion de M. Guichardière; ils donnent la préférence à la coupe des poils, d'après la conviction qu'ils ont acquise par l'expérience que le bulbe de ces poils était très nuisible au feutrage.
Dans toutes les fabriques, on procède au coupage, pour les poils de lapin, de castor, et à l'arrachage ou tirage pour ceux de lièvre. Voici la manière de faire ces deux opérations.
Coupage de poils de 17 lapins.
On commence par débrouiller légèrement le poil au moyen d'une carde, c'est ce qu'on nomme décatir; après cela, les découpeuses étendent et fixent la peau en travers sur une table ou une planche bien unie, le poil en dehors et couché de droite à gauche. Alors, elles prennent de la main gauche une plaque de fer-blanc qui a sept à huit pouces de longueur sur quatre ou cinq de largeur, et dont un des grands côtés est replié et arrondi pour préserver la main des coupures; avec cette main ainsi armée elles découvrent dans toute la largeur de la peau, le pied d'une rangée égale de poils. Alors, elles prennent de la main droite une sorte de couteau aigu et très tranchant, qui est emmanché verticalement et entouré de peau ou de toile dans une partie de sa longueur. Avec ce couteau, la découpeuse tranche les poils dans toute cette longueur par deux mouvemens: le premier qui pousse le couteau vers le bord de la peau opposé à l'ouvrière; le second qui le ramène au bord d'où il est parti. Ce dernier mouvement est aussitôt suivi de celui de la main gauche, qui ramène la plaque sur les poils coupés pour les faire passer derrière et découvrir une nouvelle rangée de poils, qui sont tranchés comme les premiers et ramassés par la plaque, on continu ainsi depuis le derrière des oreilles jusqu'à l'extrémité de la culée. Nous devons ajouter qu'à chacun de ces deux mouvemens principaux qui poussent et ramènent le couteau, se joint un petit mouvement d'oscillation du poignet qui, en empêchant le couteau de demeurer dans la même trace, en règle la marche vers la culée, par une suite d'angles très aigus 18 . Nous allons continuer à laisser parler M. Morel. La perfection de la coupe consiste à donner le coup de tranchant dru-et-menu, pour rendre le cuir très net, ne point hacher le poil, et l'obtenir dans toute sa longueur. Le couteau de la coupeuse étant parvenu à l'extrémité postérieure de la peau, la découpeuse met de côté le cuir, après l'avoir nettoyé en le frottant avec la main humectée; elle déroule ensuite le poil qui, d'abord ramassé par la plaque, s'est ensuite roulé sur lui-même de manière à former une petite toison, qui a reçu le nom de parure. Cette toison est alors étendue sur une table, et l'ouvrière sépare 1º les différentes qualités de poils, ainsi elle met à part le poil du ventre nommé poil commun; 2º celui des flancs, et de la gorge ou poil moyen; 3º celui du milieu du dos, dans la largeur de trois à quatre doigts: celui-ci, qui est le plus fin, porte le nom de l'arête.
Coupage des poils de castor.
Le procédé est, à peu de chose près, le même que le précédent, avec cette différence que la peau du castor est trop large pour que la découpeuse puisse couper le poil dans toute la largeur de cette même peau. C'est à cause de cela qu'il se coupe en plusieurs bandes, qui ont environ la largeur de la plaque. On sépare trois qualités de poils de la toison du castor: 1º l'arête ou le noir; 2º l'entre-deux ou le poil des flancs et de la gorge; 3º le blanc ou le poil de la tête et du ventre.
Quant au lièvre, dit l'auteur précité, on n'enlève de cette manière que l'arête des peaux non sécrétées, destinées à faire ce qu'on nomme de la plume ou dorure.
Arrachage ou tirage du poil du lièvre.
Dans cette opération, les découpeuses pincent le duvet entre le pouce et la lame d'un couteau dit tranchet, et le tirant vers elles, le duvet est emporté, et presque tout le jarre reste sur la peau. Cet arrachage complète l'éjarrage. La toison du lièvre offre quatre qualités de poils qu'on sépare et met de côté; ces poils sont:
1º l'arête, 3º le roux, 2º les à-côtés, 4º le commun.Quand le coupage des poils est terminé, on procède à celui des chiquettes, que l'ouvrière divise et classe par qualités suivant la partie de la peau à laquelle elles appartiennent.
Les peaux dépouillées de leurs poils sont vendues pour les fabrications d'une qualité de colle très employée dans les arts 19 .
Le coupage des poils à la main était une opération très longue et très coûteuse; aussi a-t-elle fixé l'attention de la société d'encouragement pour l'industrie nationale qui en a fait un de ses sujets de prix, qui a été remporté en 1829, par M. Coffin.
Nous allons faire connaître la machine qu'il a inventée à ce sujet, ainsi que le rapport qui en a été fait à cette société par M. Molard.
Description d'une machine propre à couper le poil des peaux employées dans la chapellerie, inventée par M. COFFIN, ingénieur mécanicien à Boston, aux États-Unis d'Amérique.
Cette machine, qui a obtenu le prix de 1,000 fr., proposé par les sociétés d'encouragement pour l'industrie nationale, est composée d'un bâtis en bois ou en fer, A A' A", fig. 6, portant sur sa traverse supérieure A' un arbre horizontal en fer 1, entouré de lames tranchantes hélicoïdes en acier J, lesquelles tournent rapidement contre un couteau vertical fixe K, aussi en acier et bien tranchant. Les lames hélicoïdes sont disposées de manière à présenter au couteau une face oblique qui favorise l'effet de leur tranchant.
La peau, engagée entre deux tiges cylindriques en fer q, rétablies en avant du couteau k, est amenée successivement contre le tranchant des lames hélicoïdes par la rotation de ces tiges, opérée au moyen d'un engrenage n' o p, fig. 9, qui communique avec une poulie motrice L, tournant sur l'arbre I', en dehors du bâtis. Les tiges cylindriques ont un mouvement indépendant l'une de l'autre, afin de pouvoir employer diverses épaisseurs de peaux sans occasioner le dégrenage des roues dentées.
Le mouvement de l'arbre à lames hélicoïdes est produit de chaque côté de la machine par une poulie G, enveloppée d'une courroie H, passant sur la périphérie d'une grande roue en fonte E, laquelle reçoit son impulsion d'un axe coudé D, que l'ouvrier fait agir au moyen d'une pédale B. Il appuie en même temps sur un châssis à bascule S, qui serre l'une contre l'autre les tiges cylindriques Q, R, entre lesquelles la peau est engagée, le poil en dessous. L'ouvrier guide cette peau avec la main, afin qu'elle reste bien tendue et se présente carrément aux lames hélicoïdes. Ces lames, en rasant contre et derrière le couteau k, divisent la peau en fines rognures, tandis que le poil est coupé par le bord tranchant et bien aiguisé du couteau. Par cette manoeuvre, le poil tombe successivement sous forme de nappe dans une auge en fer-blanc U, placée au-dessous des cylindres alimentaires, pendant que les rognures des peaux tombent dans un coffre en bois V, au-dessous de l'arbre à lames hélicoïdes.
Un couvercle Z, qu'on abat pendant le travail, empêche que les rognures de peau détachées soient lancées au dehors par la force centrifuge des lames.
Cette machine, conduite par un seul ouvrier, coupe la même quantité de poil que trois ouvriers par le procédé ordinaire.
Explication des figures.
Fig. 6. Élévation latérale de la machine à couper le poil, montée de toutes ses pièces.
Fig. 7. Plan de la même, montrant la disposition des lames hélicoïdes.
Fig. 8. Coupe de la machine sur la ligne A B du plan.
Fig. 9. Engrenages des cylindres alimentaires vus de face.
Fig. 10. Coupe des poulies motrices de l'arbre à lames hélicoïdes et des cylindres alimentaires.
Fig. 11. Coupe et plan du couteau fixe.
Fig. 12. Arbres à manivelles, vu séparément et en coupe.Les mêmes lettres indiquent les mêmes objets dans toutes les figures.
A. A. Bâti en bois portant le mécanisme de la machine; on peut le construire aussi en fer.
A' A" Traverses supérieure et inférieure du bâti.
B. Pédale que l'ouvrier placé devant la machine fait agir avec le pied.
C. C. Petites bielles attachées à la pédale et accrochées, par leur extrémité supérieure, aux coudes d'un arbre horizontal D. Qui tourne sur des coussinets fixés sur la traverse A' du bâti.
E. E. Grandes roues en fonte montées sur l'arbre D.
F. Petites poulies fixées sur le même arbre.
G. G. Poulies bombées en bois, enfilées sur la partie carrée de l'arbre l, et qui lui transmettent le mouvement qu'elles reçoivent des grandes roues E. E. par l'intermédiaire des courroies H. H. dont elles sont enveloppées.
J. Arbre portant les lames tranchantes hélicoïdes J.
K. Couteau fixe, dont la lame est bien affilée, et qui est placé en avant et au niveau des lames hélicoïdes.
L. L'. Poulies à gorge, tournant librement sur l'arbre I.
M. M. Cordes croisées passant sur les poulies F et L, et transmettant à cette dernière le mouvement qu'elles reçoivent de l'arbre coudé D.
N. N'. Pignons faisant corps avec la poulie L, dont l'un commande la roue dentée O, fixée sur le cylindre alimentaire inférieur, et l'autre mène la roue P, montée sur le cylindre supérieur.
Q. Cylindre alimentaire inférieur tournant dans des collets qui reposent sur la traverse A' du bâti.
R. Cylindre alimentaire supérieur fixé avec sa roue dentée P au châssis à bascule S. Ce cylindre est armé d'aspérités, pour saisir et conduire la peau à son passage par-dessus le couteau fixe vers les lames hélicoïdes. Il y a une rotation inverse de celle du cylindre Q.
S. Châssis à bascule portant le cylindre alimentaire supérieur, et que l'ouvrier relève dans la position indiquée par les lignes ponctuées, fig. 8, lorsqu'il veut introduire la peau, et qu'il baisse en suite en guidant la peau avec la main, et faisant en même temps agir la pédale.
T. T'. Centre de mouvement du châssis à bascule S.
U. Auge en fer-blanc placé au-dessous des cylindres alimentaires, et dans laquelle tombe le poil coupé sous forme de nappe.
V. Boîte en bois qui reçoit les rognures de peau détachées par les lames hélicoïdes.
X. X'. Poulies pleines en fonte, servant de volans.
Y. Ressort qui presse le couteau K contre les lames hélicoïdes.
Z. Couvercle en fer-blanc qui recouvre les lames hélicoïdes et empêche les rognures de peau lancées par la force centrifuge de se mêler avec la nappe de poil.Rapport sur le prix proposé pour la construction d'une machine propre à raser les poils des peaux employées dans la chapellerie; par M. MOLARD.
Parmi les prix proposés pour être décernés cette année, il en est un d'un très grand intérêt, celui qui a pour objet la construction d'une machine propre à raser les poils des peaux employées dans la chapellerie.
Votre programme, publié à ce sujet, après avoir énuméré les divers inconvéniens, résultant du procédé manuel employé jusqu'à ce jour, pour raser les poils des peaux, et fait connaître la longueur du travail, ainsi que la dépense qu'il occasionne, annonce que, considérant que les moyens mécaniques employés dans ces derniers temps ne sont pas d'un usage général, et qu'il n'est pas à la connaissance de la société qu'ils soient même à la portée du plus grand nombre des fabricans, vous avez jugé nécessaire de promettre un prix de la valeur de mille francs, à l'auteur d'une machine simple dans sa construction, d'un service prompt et facile, peu dispendieuse, et à l'aide de laquelle on puisse raser ou tondre toutes sortes de peaux propres à la chapellerie, après que les poils en ont été sécrétés. Vous avez exigé en même temps que la machine procurât douze livres de poils par jour, et qu'elle tînt les peaux bien tendues, pour faciliter l'enlèvement des poils, à cause que la dissolution mercurielle les fait souvent se crisper.
On sait qu'une ouvrière employée à raser les peaux par le procédé ordinaire, reçoit 70 centimes, terme moyen, par chaque livre de poil, et qu'elle en coupe une livre et demie par jour; d'où il résulte que les douze livres que devrait produire la machine, suivant le programme, coûteraient 8 francs 40 centimes par le procédé usité.
Une seule machine, de grandeur naturelle, a été envoyée à ce concours.
Nous n'entrerons point ici dans tous les détails de sa composition: nous dirons seulement qu'elle est établie sur un principe à la fois simple et ingénieux. La peau est présentée à l'action de la machine, par une paire de cylindres alimentaires, le poil en dessous, où il est coupé par le bord tranchant et bien affilé d'une lame fixée de champ sur son dos, et servant de contre-couteau à deux lames hélicoïdes, montées sur un même arbre, lesquelles, en tournant, découpent la peau par lanières très étroites; et comme l'action de ces lames exerce une certaine pression successive sur la peau, en la découpant, il en résulte que le poil, soutenu immédiatement par le tranchant du contre-couteau, est coupé en même temps que la peau est divisée en rubans fort étroits. La fourrure tombe successivement en forme de nappe dans un récipient au-dessous des rouleaux alimentaires, tandis que les rognures de la peau tombent au-dessous de l'arbre à couteaux hélicoïdes, à mesure qu'elles sont détachées.
Les expériences que votre comité des arts mécaniques a faites avec cette machine, ont prouvé que, par son moyen, on peut séparer en une minute et demie le poil d'une peau de lapin sécrétée, dont le produit en poil a été d'une once et demie; ce qui prouve qu'en dix heures de travail on obtiendra 40 livres 10 onces de poils.
Cette quantité de poils obtenue en dix heures représente environ quatre cents fortes peaux clapiers débardées, c'est-à-dire préparées pour être soumises à l'action de la machine.
La machine dont il s'agit peut être desservie par quatre femmes; deux doivent suffire à la préparation des peaux, la troisième pour les passer à la machine, et la quatrième pour séparer les diverses qualités de poils obtenus de la peau, et mettre les poils en paquets.
La journée de chacune d'elles peut être évaluée à 1 fr. 25 centimes................. 5 fr.
Intérêt par jour, des frais d'acquisition sur 400 francs, prix de la machine............................ » 5 Frais d'entretien aussi par jour. » 2 7c. ____________ 40 livres 10 onces auraient donc » coûté de manutention............ 5 7c.Ce qui portait la livre de poils à environ douze centimes et demi, tandis que les quarante livres dix onces de poils, extraites par le procédé actuel, auraient coûté 28 francs 60 centimes de manutention, et l'emploi de vingt-cinq ouvrières par jour.
Enfin, les peaux peuvent être passées ou non à la dissolution mercurielle, pour être rasées à la machine.
D'après ces résultats avantageux et incontestables, le comité, convaincu que la machine présentée remplit toutes les conditions voulues par le programme, a l'honneur de vous proposer de décerner le prix de 1,000 francs à M. Coffin, mécanicien à Boston, aux États-Unis d'Amérique, inventeur de la machine présentée au concours.
Avant de terminer ce rapport, nous croyons devoir, messieurs, vous proposer d'adresser des remerciemens à M. Malard, pour les utiles renseignemens que cet habile fabricant de chapeaux s'est empressé de fournir sur l'état actuel de son art, et comme appréciateur éclairé des nouveaux moyens que la société vient d'acquérir pour le perfectionner.
Approuvé en séance générale, le 16 décembre 1829. Signé, Molard, rapporteur.
Mélange des matières.
La beauté et la qualité des chapeaux dépend de la nature, de la beauté et des proportions des poils employés sécrétés, et de celui qui ne l'est pas, et qu'on nomme veule. Ainsi, dans la composition de mélange des matières premières, le fabricant les règle, 1º suivant le degré de finesse qu'il se propose de donner aux chapeaux; dans ce cas il recherche les bonnes espèces et les belles qualités de poils; 2º suivant le temps qu'on doit employer à leur travail; ce temps est relatif aux proportions de poil sécrété et de veule 20 ; 3º suivant le degré de liaison exigé par les feutres. Ce cas se règle sur l'usage auquel on les destine et leur dimension quand ils sont fabriqués. On le leur communique par l'addition des matières en laine qu'on nomme charge, et dont les proportions varient entre un neuvième au moins et un quart au plus du poids du mélange. Il est bien essentiel d'employer une qualité de laine dont la beauté soit relative à celle des autres matières employées, ou, si l'on veut, à leur finesse. Ainsi, 1º quand il entre dans le mélange beaucoup de poil commun, on emploiera la laine grossière ou les pelotes; 2º on prendra le poil de chameau pour charge des mélanges plus fins; 3º pour ceux qui contiennent le poil le plus fin de chaque espèce, c'est la plus belle laine vigogne rouge bien épluchée qui devra former la chaîne; 4º enfin, pour les plus fins, quand on n'emploie pas de castor, c'est toujours le poil de l'arête de lièvre qu'on prend; on y ajoute environ un quart d'once de belle vigogne rouge, pour en former la chaîne. Les mélanges des matières diffèrent donc suivant la qualité des chapeaux. Nous pouvons ajouter que chaque fabricant a les siens, qu'il croit toujours les meilleurs. Règle générale, on doit, sur ce point, tenir note de tous les essais que l'on fait sur un registre particulier, et suivant les formules suivantes indiquées par M. Morel.
Du cardage.
L'opération du cardage est presque entièrement supprimée; elle n'a lieu que lorsqu'il se trouve un paquet de mélange, pour des chapeaux communs ou fonds de poil et oursons. Les poils propres à la fabrication des chapeaux, façon flamande, sont seulement passés au violon, afin de les mélanger de manière à ce que la qualité soit bien égale. Cependant, afin de rendre notre ouvrage plus complet, nous allons décrire le travail du cardeur.
L'on commence par bien étirer la charge et lui donner ensuite un ou deux tours de cardes, afin qu'étant bien divisée ou ouverte, elle puisse se distribuer plus aisément dans le mélange; on bat ensuite à la baguette et séparément chaque espèce de poil. Après cela on réunit toutes les matières. L'on y mêle bien les cardées de charge, et l'on bat le tout à la baguette. C'est un commencement de mélange, que l'on rend plus parfait au moyen du violon. Cette opération a été fort bien décrite par M. Morel; nous allons la lui emprunter en grande partie.
Par le nom de violon, on entend un assemblage de seize à dix-huit cordes de fouet, d'environ huit pieds de longueur, lesquelles sont retenues par leurs extrémités dans deux tasseaux percés d'un nombre suffisant de trous distant de deux à trois pouces les uns des autres. Les cordes ainsi disposées fouettent aisément quand l'un des tasseaux étant fixé au plancher, le cardeur frappe à coups redoublés devant lui avec l'autre tasseau qui est muni d'un manche d'un pied et demi de longueur. L'ouvrier doit avoir soin de remuer de temps en temps le tas avec deux baguettes afin que le travail ou le mélange s'opère également; il continue à fouetter jusqu'à ce que les diverses matières soient bien mélangées, ce qu'en termes de l'art on nomme effacées. Pour les mélanges les plus fins, le travail du cardeur est souvent terminé là; mais quand ils doivent ensuite être cardés, il réunit le mélange, qui porte alors le nom d'étoffe, en un tas; brise l'étoffe à la carde et la repasse ensuite sur la carde doucement, afin de peigner les poils et les étendre sans les rompre. Il continue cette opération s'il s'aperçoit qu'il existe encore de petites agglomérations ou pelotes de poil connues sous le nom de bourgeons. L'étoffe est alors portée dans une salle nommée pesage, pour de là être soumise immédiatement à l'opération de l'arçon. Dans le cas qu'on veuille la garder quelque temps, on doit, pour la garantir de l'humidité, de la poussière, de la fermentation et des teignes, enfermer les poils, soit séparés, soit mélangés dans des tonneaux bien fermés sans les tasser ou presser. Ceux qui sont sécrétés portent leur préservatif contre les teignes; mais ils sont disposés à se bourgeonner ou peloter, de même que la garenne et le castor veules.
Dans l'intérêt du fabricant, il convient donc de laisser écouler le moins de temps possible entre le mélange des matières premières et leur feutrage.
De l'arçon.
Le contre-maître distribue au fouleur, dit compagnon, le poids nécessaire pour le genre de feutre qu'il lui demande, et dont il lui indique en même temps les dimensions. Celui-ci divise l'étoffe en deux ou quatre parties, suivant que le feutre qu'il doit confectionner doit être composé de deux à quatre pieds, et qu'il doit être de forme régulière ou irrégulière. Jadis on faisait quatre pièces pour les chapeaux jockeys. Il est plus commode de n'en faire que deux; c'est une imitation flamande. Mais lorsqu'on fabrique des chapeaux à cornes, il vaut mieux; nous dirons même qu'il est nécessaire de faire quatre pièces, à cause de la grande quantité de matières et de la petitesse de la table de l'arçon. Il est aussi important de former de quatre pièces le feutre qui doit avoir quelque épaisseur, enfin on doit ne se borner à deux que pour ceux qui sont doués de beaucoup de légèreté. Voici maintenant la manière dont M. Robiquet décrit l'opération de l'arçonnage. Loin de chercher à nous approprier les travaux d'autrui, en torturant leurs phrases pour nous rendre propres leurs pensées, nous préférons les transcrire en indiquant les sources où nous avons puisé.
L'arçon est une espèce d'archet d'une grande dimension, qu'on suspend au plancher vers son milieu, afin de pouvoir le placer dans toutes les directions possibles. Cet archet est situé au-dessus d'une table recouverte d'une claie d'osier fin, et assez serrée pour ne laisser passer que les ordures. On place le poil sur cette claie; on fait entrer la corde de l'arçon dans le tas, et, sans qu'elle en sorte, on la met en jeu à l'aide d'une coche, sorte de fuseau en bois dur, terminé à chaque extrémité par un bouton en forme de champignon. C'est en accrochant la corde avec ce bouton, et la tirant fortement, qu'elle finit par glisser sur le bouton, et qu'elle entre en vibrations d'autant plus accélérées, que le mouvement de l'arçonneur a été plus brusque. L'ouvrier a soin d'élever ou d'abaisser l'arçon, de le porter en avant et en arrière, suivant qu'il le juge nécessaire; il continue ainsi jusqu'à ce que le mélange soit intime et qu'on ne puisse y distinguer aucune nuance. On termine cette manipulation par ce qu'on nomme voguer l'étoffe, c'est-à-dire par l'arçonner de manière que ses moindres parties, pincées successivement par la corde, soient enlevées et transportées de gauche à droite, en faisant en l'air un trajet de plus de deux pieds. Le duvet retombe très légèrement et finit par former un tas d'une raréfaction telle, que le moindre souffle pourrait tout dissiper en un instant. L'ouvrier, à l'aide d'un clayon, repousse le tas vers sa gauche et donne une seconde vogue, mais avec une telle dextérité, qu'il le fait tomber dans un espace d'une figure déterminée, et de manière à ce que les couches varient d'épaisseur en telles ou telles parties suivant le besoin. Arrivé à ce point, on enlève la claie, on nettoie la table, puis on la mouille, afin de faciliter l'adhérence des poils; c'est alors qu'on passe au premier degré de feutrage, dit bastissage.
L'arçonnage est bien loin d'être parvenu au point de perfection auquel il est susceptible d'atteindre: il faudrait en effet qu'on pût tirer les pièces d'un seul trait sans que, lorsque le voguage est commencé, l'action de la corde éprouvât la moindre interruption. On pourrait alors espérer obtenir une liaison égale de toutes les parties d'une pièce et un entrecroisement complet de toutes les matières. On ne peut se dissimuler qu'il faut beaucoup d'adresse de la part de l'ouvrier et un coup d'oeil le plus exercé pour former sur la claie, d'un seul trait et seulement au moyen du jeu bien dirigé de l'arçon, une figure projetée ou mieux donnée. L'ouvrier, quelle que soit son adresse, n'y parvient qu'approximativement; il a un autre obstacle qui s'y oppose, c'est l'interruption du voguage, tant pour battre et rouvrir de temps en temps l'étoffe non voguée, qui s'affaisse sous le poids de la perche de l'arçon, que pour enlever les ordures qui passent 21 .
La perfection de l'arçonnage, dit M. Morel, dépend de l'observation des cinq règles fondamentales suivantes:
1º Ne voguer l'étoffe qu'après qu'elle a été parfaitement battue et ouverte dans toutes ses partie:
2º Ne pincer que très peu d'étoffe à la fois, en voguant, et ne point faire peloter ni repasser la corde de l'arçon sur ce qui est déjà vogué;
3º Composer les pièces suivant la figure et la dimension qu'elles doivent avoir, et en combiner les divers degrés d'épaisseur;
4º Nettoyer l'étoffe, soit en l'arçonnant, soit en la marchant, et la purger des galles, chiquettes, pointes et autres ordures;
5º Enfin, s'opposer autant qu'on le peut au déchet, en soignant son étoffe, empêchant qu'elle ne tombe à terre, etc.Les pièces après le voguage, n'ont, bien s'en faut, ni la consistance, ni la fermeté nécessaire; elles acquièrent en partie l'une et l'autre par l'opération suivante:
Du bassin et du bâtissage.
Cette opération est une des principales de la chapellerie; elle doit se faire dans un local particulier, afin que l'ouvrier ne continue point à être exposé aux exhalaisons produites pendant l'arçonnage. Avant de la décrire nous dirons qu'on donne le nom de bassin à un établi en bois dur et bien uni; et celui de feutrière, à une forte toile d'Alençon, qui a environ une aune de largeur sur une aune et demie de longueur, et dont une moitié est étendue sur le bassin, et l'autre reste pendante. On mouille alors la feutrière soit avec une brosse, soit avec une poignée de brin d'osier, de bruyère ou bien avec un petit balai de riz; quand elle est suffisamment humide, on y place quelques carrés de papier épais et souples, on les recouvre de la partie pendante, et on roule le tout afin que la moiteur se distribue également. En cet état, l'ouvrier déroule la feutrière, et, après en avoir tiré les papiers, il l'arrange, comme nous l'avons déjà dit, c'est-à-dire une moitié sur le bassin, et l'autre pendante sur le devant. Tout étant ainsi préparé, l'ouvrier étend sur la feutrière les pièces les unes sur les autres, en ayant grand soin de les bien étendre, et surtout qu'il n'y existe ni plis ni ridures, sur chaque pièce, et, après l'avoir légèrement arrosée, il place une feuille du papier précité; enfin la dernière pièce est couverte par la moitié de la feutrière restée pendante.
Les poils nécessaires pour l'étoffe sont, comme on voit, divisés en plusieurs lots dits capades. M. Guichardière recommande de n'en faire que deux. Ainsi, la feutrière ne contiendrait que deux capades entre lesquelles serait interposée une feuille de papier épais; à cette époque de l'opération, l'ouvrier plie et replie, ou, en termes de l'art, marche et remarche en tous sens, en continuant d'arroser de temps en temps, et très légèrement, afin que les capades ne contractent point d'adhérence avec la feutrière. On continue le travail jusqu'à ce qu'on reconnaisse 1º qu'elles sont devenues assez consistantes et assez fermes pour ne point s'ouvrir ou s'étendre; 2º qu'elles sont en même temps assez molles pour que, lorsqu'on les assemble, elles s'unissent et se lient de manière à ne plus former qu'un seul et même feutre. C'est ce qu'on nomme bâtir un feutre. Voici comme M. Morel décrit cette opération: l'ouvrier étend sur la feutrière, le plus exactement possible, une pièce ou capade; sur le milieu de cette pièce, il place le lambeau 22 , et replie sur lui les ailes de la pièce, sur laquelle il en met une seconde qui adhère avec les bords repliés de la première. Il est bon de faire observer que l'ouvrier doit ménager l'ouverture d'un des grands côtés pour retirer le lambeau qui se trouve placé entre les deux pièces. Cela fait, il retourne le feutre de manière que la seconde pièce se trouve dessous; il prend alors les ailes de celle-ci, et les replie sur celle de dessus en ayant bien soin de bien étendre et bien unir les capades l'une sur l'autre, afin qu'il n'y ait ni plis, ni rides, ni air interposé. Après cela, il recouvre de la partie de la feutrière pendante, forme les plis nécessaires pour maintenir et arrêter les pièces dans leur position. Ensuite, par d'autres plis faits sur un même sens, il réduit le tout en un paquet long et étroit, et marche sur toute la longueur, en portant ses mains alternativement sur le milieu et à chacune des extrémités; il change de nouveau tous les plis pour les former successivement sur tous les sens, et marcher également. On appelle une croisée (ou bassin), l'ensemble de tous les plis et de tous les mouvemens que l'ouvrier est obligé de faire chaque fois qu'il marche en bastissant. Après la première croisée, l'ouvrier déplie, retire le lambeau qui se trouve entre les deux pièces, et décroise, c'est-à-dire qu'il donne d'autres plis à l'assemblage des deux premières pièces, lequel est toujours double par l'effet de l'interposition du lambeau. Celui-ci est replacé, après qu'on a fait disparaître les traces des anciens plis, et c'est alors qu'on applique les travers, si l'ouvrage en comporte, et qu'on double ce premier assemblage avec les deux autres pièces, si la composition du feutre en exige quatre. La manière de procéder relativement à ces deux dernières est la même que pour les autres, avec cette différence que, comme elles doivent s'appliquer sur les premières, et faire corps avec elles, on ne doit point interposer de papier ou lambeau entre elles. Nous devons ajouter avec l'auteur précité, que pour la plus grande perfection des feutres à quatre pièces, on mettra en contact les surfaces des pièces qui à l'arçonnage se trouvaient immédiatement sur la table de l'arçon ou sur la claie. Aussitôt que toutes les pièces ont été réunies ou assemblées, on les place dans la feutrière humide, et l'ouvrier donne une autre croisée laquelle est suivie de deux ou trois autres.
Note 22: (retour) Le lambeau est un modèle en papier, représentant la figure que doit avoir le bâtissage; le lambeau est moins grand que la pièce ou capade; et les parties de la pièce qui le dépassent sont nommées ailes de la pièce; elles doivent être moins épaisses que les autres parties de la capade.Si le feutre offre quelques endroits plus faibles ou plus minces qu'ils ne devraient l'être, on y applique des morceaux d'une autre capade, mise à part pour cet effet, et qu'on nomme pièce d'étoupage, et l'on y incorpore et lie ces morceaux par ces trois dernières croisées, et en marchant fortement sur ces parties. Enfin, quand l'étoffe est bien étoupée, ou que les poils sont bien tissus, et adhérens entre eux, il ne reste plus qu'à rendre le bâtissage assez feutré pour pouvoir brasser le plus tôt possible à la foule. Lorsqu'on est parvenu à ce point, l'ouvrier simousse le bâtissage, le retourne pour mettre le dehors en dedans, et le plie pour le descendre à la foule 23 .
Pour la manière actuelle, on compose ordinairement le chapeau très grand, étroit et haut en même temps; l'assiette et le flanc doivent être de forme mince, et la carre passablement forte, ainsi que le lien, mais on a soin de tenir l'arête un peu déliée.
M. Morel donne de très judicieux conseils pour opérer un très bon bâtissage; nous allons le rapporter. Il y a deux vices principaux à éviter en bâtissant: l'un de faire bourser l'étoffe, l'autre de la rompre ou de la faire écarter. Le premier de ces défauts a lieu quand les secondes pièces qu'on a fait prendre sur les premières, ou, dans les feutres à deux pièces, lorsque les ailes repliées n'adhèrent pas dans toute leur étendue, et qu'il y a des places où elles forment des poches ou bourses. Cela vient, le plus souvent, ou d'avoir trop marché les pièces avant de les assembler, ou de les avoir trop mouillées ainsi que la feutrière. Ceux qui bâtissent à deux pièces seulement, des feutres épais et étoffés, sont sujets à cet accident, parce que les ailes des pièces ayant trop d'épaisseur, ne peuvent prendre aisément pour peu qu'elles aient été trop marchées, ou qu'il se soit introduit de l'air entre les deux surfaces destinées à s'unir.
2º Le second défaut est quand l'étoffe se veine et se coupe en plusieurs endroits, et notamment aux plis des croisées; ce qui a lieu quand la feutrière est trop sèche, ou que l'ouvrier marche trop long-temps sur le même pli.
Nous devons ajouter, d'après le même auteur, 1º que les feutres qui contiennent plus de charge qu'il ne faut sont plus susceptibles de se bourser que les autres; 2º que lorsqu'il y a trop de lapin sécrété, surtout de celui de garenne, elle est sujette à se couper aux plis des croisées; 3º enfin, si elle est trop veule, elle a de la disposition à s'écarter.
C. Mackensie 24 a vu deux bâtissages faits à la mécanique que l'on apportait des États-Unis; mais, ne connaissant pas la machine qu'on emploie, il n'a pu donner aucune notion sur ce travail.
De la foule.
Le feutre, après l'opération du bâtissage, est bien loin d'avoir la consistance, la force et la solidité convenables pour lui assurer quelque durée; on lui donne ces qualités au moyen de la foule, qui fait rentrer en tous sens les poils sur eux-mêmes et resserre ainsi le tissu en le rendant plus consistant, beaucoup plus fort, ou, en termes de l'art, plus étoffé. Les poils, en prenant ce nouvel arrangement, occupent un espace moindre qu'auparavant; aussi l'étoffe se rétrécit-elle en tous sens; aussi le feutre, en sortant du bâtissage, doit avoir un tiers ou double de l'étendue qu'il aura après la foule. Ce nouveau feutrage s'opère toujours à chaud au moyen de quelques agens qui augmentent la qualité feutrante des matières sans qu'on ait encore déterminé chimiquement ce nouveau mode d'action. Pour cela on prépare un bain qui contient par chaque muid d'eau environ soixante-douze livres de lie de vin pressée. L'eau est d'abord portée à l'ébullition; arrivée à ce point on y délaie la lie au moyen d'un balai, et l'on enlève les écumes qui se forment. On entretient la liqueur à une température voisine de l'ébullition. Alors, dit M. Robiquet, les ouvriers apportent leur bâtissage, et se placent autour de la chaudière ayant un banc incliné devant eux, dit banc de foule 25 ; chacun trempe son bâtissage tout ployé dans le bain, le déploie ensuite pour s'assurer s'il est bien imbibé; dans le cas contraire, il y supplée par la lustre ou brosse; alors il l'étend sur le banc de foule, l'exprime au moyen du roulet 26 , y jette un peu d'eau froide, et foule à la main 27 en le reprenant successivement sur tous les sens; il le visite fréquemment, pour s'assurer s'il rentre bien également, et il travaille davantage les parties qui l'exigent. Cette première croisée doit être légère. Quand le feutre est bien formé, on recourt à la pression de la brosse, en ayant soin de bien nettoyer auparavant le chapeau en le frottant avec la main nue. A cette époque le feutre est encore assez tendre pour céder facilement les jarres qui s'y trouvent contenus. Il est bon de faire observer que lorsqu'on commence à faire usage de la brosse, il faut que la pression qu'on exerce par son moyen ne soit pas forte. On commence d'abord par la tête, on passe ensuite au bord, et l'on continue cette opération pendant cinq à six croisées; les roulemens des feutres se font en sens opposés. Ainsi, si le roulement nº 1 est fait d'un côté, le nº 2 se fera de l'autre, et, par suite, tous les numéros impairs seront dans le même sens du nº 1, et tous les pairs dans celui du nº 2. Nous devons ajouter qu'avant de faire un nouveau roulement on doit retourner le feutre sens dessus dessous. M. Morel, pour plus de clarté, joint à son exposé des figures qui le rendent plus clair. Dans la figure 13, le roulement nº 1 est bien directement opposé au roulement nº 2, mais il ne lui est pas inverse; c'est la figure 14 qui nous représente deux roulemens nº 1 et nº 2 à la fois opposés et inverses entre eux. Or, on voit, par ce dernier exemple, qu'avant de procéder au roulement nº 2, il faut au préalable, le roulement nº 1 étant de fait, retourner le feutre bout à bout et sens dessus dessous.
Note 25: (retour) Ce commencement de foulage exige de grandes précautions, si l'on ne veut courir risque de faire ouvrir le feutre, on doit donc fouler d'abord avec beaucoup de ménagement, et amener insensiblement l'étoffe, convenablement disposée par la chaleur, l'humidité et le tartre, à se mieux lier, à bien rentrer et à acquérir une bonne consistance. Robiquet, loco citato.Note 27: (retour) Fouler un feutre, c'est, après l'avoir roulé sur lui-même, défaire et refaire alternativement le rouleau en le faisant tour à tour descendre et remonter à plusieurs reprises sous les mains, suivant l'inclinaison du banc de foule; une croisée à la foule est l'ensemble de tous les mouvemens qu'on est obligé de faire pour rouler le feutre successivement sur tous les côtés que présente sa figure et le fouler sur chacun de ces roulemens. Ainsi, en supposant la figure du bâtissage un carré long, la croisée se composera de quatre roulemens, dont deux sur la longueur et deux sur la largeur. Avant de passer d'une croisée à l'autre, on décroise, comme au bassin, mais de peu à la fois pour que le travail soit plus égal. Morel, l. c.En terme de l'art on nomme avancer à la main, ou marcher à la foule, les deux ou trois premières croisées. La première dénomination vient de ce que la majeure partie de ce travail se fait avec les mains nues. Le fouleur doit avoir l'attention de ne mouiller le feutre dans le bain qu'à chaque roulement qu'il va opérer. Dans les premières croisées ce roulement ne doit pas être serré, il convient même qu'il soit un peu lâche et qu'on foule légèrement, afin de ne produire aucune déchirure dans le feutre qui n'a pas encore acquis toute la consistance désirée. C'est à cette époque de la foule que la surface du feutre prend un aspect raboteux que les ouvriers nomment la grigne, et qui annonce que le feutrage se resserre. Plus cette apparence grenue est égale et apparente, dit M. Morel, mieux on doit augurer de la rentrée du feutre, et se tenir prêt à la ralentir, s'il est nécessaire, en menant à l'eau de bonne heure et fréquemment.
Quand le feutrage est avancé,on foule aux manicles 28 , sorte d'instrument composé de semelles de cuir, au moyen duquel il plonge, sans se brûler, les feutres déroulés dans la chaudière à chaque roulement, et même les feutres dont le roulement est terminé; le feutre est alors très chaud. Il faut alors que l'ouvrier pince, comme on dit vulgairement, de plus en plus le premier tour qu'il donne aux roulemens, et cela au fur et à mesure qu'il voit que le tissu en se feutrant davantage, devient plus consistant, plus ferme et plus serré. C'est cette partie de travail du bâtissage, la foule, qu'on nomme rouler clos et tremper chaud. La pression que l'ouvrier doit exercer sur les tours de ces roulemens ne doit point être cependant forte, parce qu'il ne faut point en exprimer ainsi la liqueur du bain interposée entre les interstices du feutre, laquelle contribue puissamment à activer et, comme on dit, à nourrir le feutrage. Il est une autre opération qu'on exécute en même temps, c'est celle de l'ébourrage. Elle s'opère en frottant doucement la surface externe du feutre au moyen de la partie plane de l'instrument nommé manicle, afin d'en détacher et enlever le jarre, qui étant resté mêlé au poil, paraîtrait au dehors; ces derniers travaux durent ordinairement deux heures: s'ils ont été exécutés avec soin et intelligence, et si rien n'a dérangé l'opération, le feutre se trouve dans un état voisin du corps et des qualités qu'il doit avoir. Pour l'y porter tout-à-fait, on lui donne quelques nouvelles croisées qu'on nomme serrer, parce qu'on foule alors fortement et qu'on serre autant que possible les roulemens. On emploie pour cela le roulet autour duquel on roule avec force afin de serrer le tissu, de l'écraser en quelque sorte et de le rendre moins épais. Par ce nouveau travail l'étoffe se rétrécit encore, et on le continue jusqu'à ce qu'elle soit réduite au point désiré. C'est l'époque du travail de la foule le plus pénible pour les ouvriers, à cause de la plus grande force qu'ils sont obligés d'employer. Ce travail est moins difficile et donne des résultats plus certains, si l'étoffe est constamment tenue à la plus haute température; il est inutile de dire que le bain doit être alors le plus chaud possible.
Note 28: (retour) M. Guichardière, auquel la chapellerie doit des travaux si importans, suit une autre méthode plus pénible, il est vrai, mais qui donne des produits bien supérieurs; la voici. Après les cinq ou six premières croisées, on étend le chapeau à la planche: on le retourne et on le frotte encore à la main pour extraire les jarres qui pourraient y être restés. Ensuite, on emploie la brosse seulement du côté du Bord, pour rentrer, feutrer et développer le duvet, pendant cinq à six croisées: on l'étend de nouveau à la planche, on le retourne, et l'on emploie une plus forte pression, à mesure que le feutre prend de la consistance: on tourne, et on brosse jusqu'à ce que le chapeau soit assez petit pour aller sur la forme. S'il arrivait que le feutre ne fût pas égal, dit M. Robiquet, il faudrait brosser davantage les places minces pour les égaliser. Enfin, pour avoir du brillant il faut tremper souvent, bien chaud et fouler pendant trois ou quatre heures. Nous consacrerons un article spécial aux procédés de M. Guichardière.On reconnaît que le foulage est parfait quand les aspérités dont nous avons parlé, sous le nom de grigne, ont disparu; alors on égoutte le feutre en promenant le roulet sur le feutre étendu avec pression afin d'en exprimer l'eau de foulage qu'il contient. Il est encore un autre moyen de se convaincre de la bonté de cette opération, c'est lorsque le feutre égoutté a les dimension désirées et qu'il n'est plus susceptible d'aucun nouveau retrait par un autre foulage; en termes de l'art, on dit qu'alors le feutre a la taille prescrite et qu'il est atteint de foule.
Il arrive parfois que par suite de mélanges peu rationnels des matières premières, ou par négligence ou inexpérience des ouvriers, les feutres obtenus offrent quelques imperfections; les principales sont la grigne et l'écaille.
Feutres grigneux.
Nous avons déjà fait connaître ce qu'on doit entendre par grigne; nous ajouterons ici qu'on nomme feutres grigneux ceux qui, après avoir été écoulés et pressés entre les doigts, en les faisant glisser horizontalement l'un sur l'autre, offrent encore ces aspérités et ce grain qui constituent la grigne. Ce défaut reconnaît pour cause: 1º un bâtissage trop court donné au feutre par l'ouvrier, afin de le faire arriver plus promptement à la dimension désirée; 2º un vice du mélange qui a produit une étoffe trop tendre pour être bâtie plus grand.
Feutres écaillés.
Ces feutres, après leur confection, et pressés entre les doigts comme ci-dessus, offrent des points où l'étoffe a si peu de consistance qu'elle est sur le point de se défeutrer, ou, si l'on veut, de voir cesser l'adhérence et l'entrecroisement du duvet qui est le résultat du bâtissage et du foulage. Suivant M. Morel, ce défaut provient de ce que le feutre ayant été bâti trop grand, et se trouvant atteint de foule avant que d'être réduit aux dimensions demandées, l'ouvrier a continué de les fouler dans l'espoir de l'y réduire; ou bien, lorsqu'ayant été bâti dans de justes proportions, l'étoffe trop veule s'est écartée au bassin et écaillée vers la fin du travail de la foule. Quand ce vice, ajoute l'auteur, est porté à l'excès, il occasionne des gerçures et des trous. On dit alors que l'étoffe a lâché.
On n'a point encore étudié ni reconnu l'action chimique qu'exerce la lie de vin sur les poils pour activer leur adhérence; on sait seulement que c'est la crème de tartre (sur-tartrate de potasse) qui produit cet effet. On a cherché divers moyens pour la remplacer. On avait même fait usage de l'acide sulfurique au lieu de ce sel; mais ce mode a été abandonné, et l'on est revenu à la lie de vin parce qu'il a été constaté que cet acide donnait une plus grande activité au mercure de nitrate de ce métal employé pour le sécrétage, et que les ouvriers en étaient plus grièvement affectés. M. Guichardière, qui a porté ses investigations sur toutes les branches qui se rattachent à la fabrication des chapeaux, a conseillé d'ajouter au bain avec la lie de vin une certaine quantité de tan. Cette addition facilite, suivant lui, le feutrage, et dispose, par ses principes, le poil à acquérir un plus beau noir.
Les préceptes et la marche que nous venons d'exposer sont principalement applicables à la fabrication des chapeaux fins. Pour celle des chapeaux de seconde qualité, on éprouve de bien plus grandes difficultés parce que les poils qu'on y destine se feutrent encore plus difficilement. Ces poils sont pour l'ordinaire ceux des côtés et les plus beaux des gorges auxquels on ajoute environ un gros de vigogne rouge. En outre on dore le chapeau au bassin, avec une once un quart de poil du dos sécrété 29 . Cette addition fait rentrer plus énergiquement le fond, et lui donne de la solidité et de la beauté en même temps.
Note 29: (retour)En termes de chapellerie, dorer c'est recouvrir le feutre d'un poil qui a de la longueur, du brillant, et qu'on n'incorpore que vers sa base, et du tiers tout au plus de sa longueur.
Dorer au bassin, c'est faire cette opération sur le bâtissage qui s'exécute quelquefois sur une plaque légèrement chauffée, qu'on nomme bassin. La dorure avec le poil sécrété et arraché rend la foule très pénible, parce .que cette sorte de poil reste long-temps crispé. Pour rendre lisse cette qualité de feutre, il faut tremper chaud et souvent, brosser avec forte pression, et bâtir moins grand que pour celui de première qualité.
Robiquet, loco citato.Quant à la troisième qualité des chapeaux, on emploie le plus mauvais poil de gorge, le poil commun du ventre, et un quart d'once de vigogne rouge. On dore avec une once un quart du poil du dos sécrété. Même opération du bassin et de la foule; mais arçonnage et bâtissage plus courts que pour la deuxième qualité, à cause que plus les poils sont grossiers, moins bien ils se feutrent, et que pour y parvenir il faut les fouler très fortement et commencer ce foulage par un roulement clos avec les conserves, et le finir par quatre ou cinq croisées au roulet.
Les chapeaux qu'on nomme velus (façon flamande) ne se foulent presque plus au roulement clos. On emploie seulement la pression de la brosse, surtout lorsque les poils sont arrachés. Le chapeau en est plus beau, plus solide et plus soyeux. Anciennement, lorsqu'on faisait des poils et des oursons, on foulait à chaud dans un chapeau commun; à présent l'on se sert de bache, espèce d'emballage dans lequel vient le coton du Levant.
Dressage des chapeaux.
Dresser un chapeau, c'est le mettre en forme, afin de lui donner la figure convenue. Pour cela, lorsque le foulage est terminé, et que l'étoffe sort de l'étuve et a été mise en coquille, on la trempe dans l'eau chaude, soit au pouce et au poing, soit au poussoir, en pressant du centre à la circonférence; l'on écrase la pointe et assez de plis suivans pour placer une forme en bois, qu'on y fait entrer d'envers, et sur laquelle on l'applique exactement. L'ouvrier prend alors une ficelle double avec laquelle il lie le milieu de la forme, et fait descendre ensuite ce tour de ficelle jusqu'au bas de la forme, au moyen du choc ou de l'avaloire. Alors il trempe à plusieurs reprises le chapeau dans l'eau chaude, il le tire pour bien en effacer les plis. Le point où se trouve le tour de ficelle sépare la tête des bords. On relève ceux-ci, ce qu'en termes de l'art on nomme abattre; on trempe de nouveau, on délire ces bords en long et en large, tenant d'une main et tirant de l'autre de toute sa force, sur la longueur et un peu sur la largeur, de manière à arranger et à tenir le tout en place 30 .
Quand l'ouvrier a dressé son chapeau et qu'il est sec, il prend une pierre-ponce qu'il passe sur sa surface, jusqu'à ce que tout le velu soit coupé et que le feutre soit bien uni; il lui substitue ensuite la robe (morceau de peau de chien de mer), qu'il passe légèrement sur le chapeau. Cette opération sert à produire un velu fin, convenable au chapeau ras. On a maintenant remplacé la pierre-ponce et la robe par le carrelet qui sert à développer le duvet qui convient aux chapeaux velus qui sont à présent de mode. Ce velu s'est déjà développé en foulant, par la pression de la brosse. L'ouvrier ne doit se servir que d'un carrelet très doux, et n'employer qu'une pression très légère; car un carrelet fort et une pression également forte décomposeraient le feutre au lieu d'en mettre à jour tout le velu. Il est digne de remarque que les feutres faits avec des poils arrachés sont plus forts et moins faciles à se décomposer, que ceux qui sont confectionnés avec des poils coupés. Le dressage est un travail pénible et difficile, surtout quand les formes sont brisées en cinq ou sept parties, afin de pouvoir les introduire pièce à pièce dans la calotte du chapeau, principalement quand le diamètre du sommet est plus large que celui de l'entrée de la tête. Mais quand la forme est cylindrique ou conique, le dressage est bien plus aisé. Le chapeau une fois dressé, on le regarnit, c'est-à-dire on le réapprête en tête.
Le passage du dressage ne sert qu'à affaisser le duvet, et à faire relever les jarres, afin que l'éjarreuse puisse plus facilement les saisir avec des pinces 31 et les extraire, sans les casser, autant que possible. Pour que cette opération se fît avec facilité, il faudrait ne réapprêter la tête qu'après l'éjarrage. Le réapprêtage de tête consolide les jarres, et on les casse en voulant les extraire 32 . Quand les chapeaux ont resté quelque temps en magasin, les jarres repoussent à la surface et détruisent la douceur du chapeau. On doit alors les éjarrer et les brosser.
Les marques auxquelles on reconnaît qu'un feutre est bien confectionné, et que toutes les proportions ont été bien observées, sont: 1º quand il est exempt de grignes et qu'il est lisse partout; 2º qu'il est de moyenne force en tête; 3º très fort dans le lien; 4º que son épaisseur va en diminuant jusqu'à l'arête, qui doit être fine et bien ronde.
Des feutres divers.
Les feutres ne sont pas tous semblables aux feutres dits unis dont nous venons de décrire la manipulation. Cependant leur confection ne diffère de celle de ceux-ci, que par quelques différences dans les procédés; nous allons en donner une idée, en suivant la division établie en:
1º Feutres unis,
2º Poils flamands,
3º Feutres dorés,
4º Feutres à plume.1º Feutres unis.
Nous venons de les faire connaître.
2º Feutres dits poils flamands.
Voici de quelle manière M. Morel décrit cette opération: l'ouvrier muni du carrelet, gratte toute la surface extérieure du feutré, ce qui fait sortir de celui-ci un velu plus ou moins long et fort touffu. Cette opération est analogue à celle du lainage qu'on exécute au moyen du chardon à foulon, dans les manufactures de drap. On doit faire passer le carrelet d'abord très légèrement, en appuyant un peu plus, et par degrés, sur chaque partie du feutre.
3º Feutres dorés.
On donne le nom de feutres dorés à ceux d'une qualité ordinaire ou inférieure, dont l'on recouvre la surface externe d'une couche mince de matière ou poils plus fins. Nous ne devons nous occuper ici que des feutres mélangés dont la dorure se fait toujours avec le poil de lièvre ou bien avec celui de castor. Cette dorure est préparée à l'arçon, comme les pièces, et on ne la marche jamais qu'à la quarte. La dorure se distingue en dorure au bassin et dorure à la foule, suivant les différentes époques de l'opération auxquelles on l'exécute. Nous en avons déjà dit un mot aux pages précédentes; nous allons y ajouter de nouveaux développemens. 1º La dorure au bassin s'opère après que le bâtissage est garanti. L'ouvrier la fait prendre en donnant deux ou plusieurs croisées dans la feutrière.
2º La dorure à la foule est celle qu'on ne pratique que lorsque le feutre est marché à la foule. Celui-ci a moins d'étendue et plus d'épaisseur que la précédente, ce qui rend son incorporation au feutre bien plus difficile. Voici le procédé qu'on suit pour cette opération 33 . On prend une de ces toiles bourrues servant à emballer les marchandises du Levant, et qu'on nomme couverte; on la plonge dans la chaudière et on l'étend ensuite sur le banc de foule; on y pose dessus le feutre qu'on a eu soin de bien ébourrer auparavant. On couvre ensuite successivement les deux surfaces du feutre avec les pièces de la dorure, en ayant l'attention de n'y laisser former aucun pli; on fixe ensuite la dorure au moyen d'un peu d'eau chaude qu'on y projette au moyen d'une brosse à longues soies dite frappante, parce qu'elle sert après cette projection à frapper bien d'aplomb à coups redoublés sur la dorure pour la faire prendre au feutre. Après cela, pour rendre cette incorporation plus complète, l'ouvrier donne quelques croisées en roulant le feutre et la couverte l'un dans l'autre, de façon que chacune des surfaces du feutre qui vient de recevoir la dorure, se trouve en contact avec la couverte. A chaque nouveau roulement qu'il fait, il décroise et frappe le feutre avec la brosse afin de faire disparaître les petites soufflures qui se forment, surtout aux plis des croisées. Pour faciliter l'opération, il enlève de temps en temps le feutre de dessus la couverte, et plonge celle-ci dans la chaudière, et dès qu'il l'a retirée il y replace aussitôt le feutre qui se trouve ainsi réchauffé. Aussitôt qu'il s'aperçoit que la grigne est égale et serrée, c'est une preuve que la dorure est bien adhérente au feutre; dès lors il retourne celui-ci pour le mettre en dedans; il foule ainsi une ou deux croisées aux manicles; mais il retourne bientôt après le feutre et en finit la foulure en tenant la dorure en dehors, afin que celle-ci s'éjarre et ne s'entremêle point avec le poil qui constitue le fond du feutre; sur la fin de l'opération, il donne même quelques coups de frottoir afin d'en bien détacher les poils de dorure.
Les chapeaux, ou mieux, les feutres dorés à la foule, dès qu'ils ont été séchés à l'étuve, doivent être brossés doucement, tirés au carrelet, et soumis à l'action de la baguette.
4º Feutre à plume.
Les feutres dits à plume sont une dorure plus riche pour laquelle on fait usage du plus beau poil de lièvre 34 et de celui de castor. En général, on n'applique cette dorure que lorsque le feutre a été foulé, avec cette différence du procédé des feutres dorés, que pour ceux à plume on applique plusieurs couches de poil ou dorure. Ce nombre de couches établit deux divisions dans ce genre de feutre, qui sont:
1º Les chapeaux mi-poils.
2º Les chapeaux dits oursons.Chapeaux mi-poils.
Le mot demi-poil annonce que cette dorure est supérieure à celle des feutres dorés ordinaires et inférieure à celle des oursons. Cette qualité tient donc un juste milieu entre les deux précitées. Les deux dorures qu'on applique sur ce feutre se nomment, en termes de l'art: première et seconde pose. La première se donne lorsqu'il ne reste au feutre que deux ou trois travers de doigt à rentrer. Dès que celle-ci est bien adhérente on applique la seconde pose, et après la prise de chacune de ces poses on foule à chaud pendant environ trois quarts d'heure pour chaque pose, c'est-à-dire que l'ouvrier suit pendant ce temps ses croisées en roulant le feutre dans la couverte et le foulant à grande eau et très légèrement pour l'entretenir dans une grande chaleur 35 . Après le foulage complet de la dernière pose, on sort le feutre de la couverte pour le fouler à nu en lui donnant avec beaucoup de précaution, pour ne pas lui enlever la plume, deux ou trois croisées qui finissent par achever de faire rentrer le feutre qu'on fait égoutter ensuite et sécher. Après cela, on fait ressortir la plume en la dégageant du feutre au moyen du carrelet. Quant aux noeuds 36 qui peuvent s'y trouver, on les extrait au moyen d'un peigne doux.