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Mémoires d'Outre-Tombe, Tome 4

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APPENDICE

I
LA SAISIE DE LA MONARCHIE SELON LA CHARTE[397].

L'écrit de Chateaubriand était au moment de paraître quand l'ordonnance du 5 septembre fut publiée au Moniteur. L'auteur y ajouta un post-scriptum. Il rapprochait les considérants de l'ordonnance du 5 septembre 1816 de ceux de l'ordonnance du 13 juillet 1815, et faisait ressortir les contrastes et les contradictions que renfermaient ces deux ordonnances, dont l'une proclamait la nécessité de réviser la Charte, l'autre celle de la maintenir telle qu'elle était. Puis, pour prévenir le parti que les ministres pourraient tirer du nom du Roi dans les élections, il donnait à entendre que le ministère avait surpris la bonne foi du monarque; que celui-ci ne partageait pas les passions de son entourage contre une Chambre à laquelle il avait lui-même décerné le titre de Chambre introuvable, et que, s'il avait consenti à la dissolution, c'était «parce qu'il avait jugé que la France satisfaite lui renverrait les députés dont il était si satisfait».

Ce post-scriptum blessa profondément le roi; il irrita surtout très vivement les ministres et en particulier le comte Decazes, ministre de la police générale. M. Decazes, malgré l'avis contraire du duc de Richelieu, président du Conseil, résolut de procéder à des poursuites, que légitimait d'ailleurs une imprudence grave commise par l'imprimeur M. Le Normant. Ce dernier avait envoyé un assez grand nombre d'exemplaires dans les départements et même en avait laissé circuler quelques-uns à Paris avant de faire le dépôt légal, la contravention était formelle et, aux termes mêmes de la loi, il y avait lieu à saisie et séquestre. En conséquence, le 18 septembre, à dix heures du matin, une descente de police avait lieu chez M. Le Normant; déjà les scellés étaient apposés sur les volumes, les feuilles et les formes, lorsque Chateaubriand, prévenu en toute hâte, arriva. Les ouvriers l'entourent et lui font une ovation. Aux cris de: Vive M. de Chateaubriand! Vive le Roi! Vive la liberté de la presse! ils brisent les scellés et arrachent aux officiers de paix et aux inspecteurs de police les objets saisis et séquestrés. En vain le commissaire met M. Le Normant en demeure de faire rentrer ses ouvriers dans les ateliers. Chateaubriand, élevant fortement la voix, fait entendre cette protestation: «Je suis pair de France. Je ne connais point l'ordre du ministre. Je m'oppose, au nom de la Charte dont je suis le défenseur, et dont tout citoyen peut réclamer la protection, je m'oppose à l'enlèvement de mon ouvrage. Je défends le transport de ces feuilles. Je ne me rendrai qu'à la force, que lorsque je verrai la gendarmerie.» Elle parut bientôt. Chateaubriand se retira dans les appartements de M. Le Normant et y rédigea aussitôt la lettre suivante, adressée à M. le comte Decazes:

Paris, le 18 septembre 1816.

Monsieur le comte,

J'ai été chez vous pour vous témoigner ma surprise. J'ai trouvé à midi chez M. Le Normant, mon libraire, des hommes qui m'ont dit être envoyés par vous pour saisir mon ouvrage intitulé: De la Monarchie selon la Charte.

Ne voyant pas d'ordre écrit, j'ai déclaré que je ne souffrirais pas l'enlèvement de ma propriété, à moins que des gens d'armes ne la saisissent de force. Des gens d'armes sont arrivés, et j'ai ordonné à mon libraire de laisser enlever l'ouvrage.

Cet acte de déférence à l'autorité, Monsieur le comte, n'a pas pu me laisser oublier ce que je devais à ma dignité de pair. Si j'avais pu n'apercevoir que mon intérêt personnel, je n'aurais fait aucune démarche; mais les droits de la pensée étant compromis, j'ai dû protester, et j'ai l'honneur de vous adresser copie de ma protestation. Je réclame, à titre de justice, mon ouvrage; et ma franchise doit ajouter que, si je ne l'obtiens pas, j'emploierai tous les moyens que les lois politiques et civiles mettent en mon pouvoir.

J'ai l'honneur d'être, etc.

Vte de Chateaubriand.

Dans sa réponse, M. Decazes fit observer que la saisie avait été faite en vertu des articles 14 et 15 de la loi du 21 octobre 1814; qu'elle avait été faite régulièrement, le commissaire de police et les officiers de paix étant porteurs d'un ordre signé d'un ministre du Roi; que la qualité de pair dont était revêtu l'auteur ne pouvait l'affranchir de l'exécution des lois et du respect dû par tous les citoyens aux fonctionnaires publics dans l'exercice de leur charge; qu'elle ne pouvait surtout légitimer de sa part et de celle de ses ouvriers un acte de révolte ouverte contre un commissaire de police et des officiers constitués par le Roi, revêtus des marques distinctives de leurs fonctions et agissant en vertu d'ordres légaux. Il terminait en disant que si la dignité de pair avait été compromise dans cette circonstance, ce n'était pas par lui, M. Decazes.

À cette lettre du ministre de la police, Chateaubriand fit sur le champ cette réponse:

Paris, ce 19 Septembre 1816.

Monsieur le comte,

J'ai reçu la lettre que vous m'avez fait l'honneur de m'écrire le 18 de ce mois. Elle ne répond point à la mienne du même jour.

Vous me parlez d'écrits clandestinement publiés (à la face du soleil, avec mon nom et mes titres). Vous parlez de révolte et de rébellion, et il n'y a eu ni révolte ni rébellion. Vous dites qu'on a crié: Vive le Roi! Ce cri n'est pas encore compris dans la loi des cris séditieux, à moins que la police n'en ait ordonné autrement que les Chambres. Au reste, tout cela s'éclaircira en temps et lieu. On n'affectera plus de confondre la cause du libraire et la mienne; nous saurons si, dans un gouvernement libre, un ordre de la police, que je n'ai pas même vu, est une loi pour un pair de France; nous saurons si l'on n'a pas violé envers moi tous les droits qui me sont garantis par la Charte, et comme citoyen et comme pair. Nous saurons, par les lois mêmes que vous avec l'extrême bonté de me citer (il est vrai avec un peu d'inexactitude), si je n'ai pas le droit de publier mes opinions; nous saurons enfin si la France doit désormais être gouvernée par la police ou par la Constitution.

Quant à mon respect et à mon dévouement pour le Roi, Monsieur le comte, je ne puis recevoir de leçon et je pourrais servir d'exemple. Quant à ma dignité de pair, je la ferai respecter aussi bien que ma dignité d'homme; et je savais parfaitement, avant que vous prissiez la peine de m'en instruire, qu'elle ne sera jamais compromise par vous ni par qui que ce soit. Je vous ai demandé la restitution de mon ouvrage: puis-je espérer qu'il me sera rendu? Voilà dans ce moment, toute la question.

J'ai l'honneur d'être, Monsieur le comte, votre très humble et très obéissant serviteur.

Vte de Chateaubriand.

Dès le 18 septembre, en même temps qu'il avait adressé sa première lettre à M. Decazes, il en avait écrit une autre à M. le chancelier Dambray, président de la chambre des pairs:

Paris, ce 18 septembre 1816.

Monsieur le Chancelier,

J'ai l'honneur de vous envoyer copie de la protestation que j'ai faite et de la lettre que je viens d'écrire à M. le ministre de la police.

N'est-il pas étrange, monsieur le chancelier, qu'on enlève en plein jour, à main armée, malgré mes protestations, l'ouvrage d'un pair de France, signé de son nom, imprimé publiquement à Paris, comme on aurait enlevé un écrit séditieux et clandestin, le Nain-Jaune ou le Nain-Tricolore? Outre ce que l'on devait à ma prérogative comme pair de France, j'ose dire, Monsieur le chancelier, que je méritais personnellement un peu plus d'égards. Si mon ouvrage était coupable, il fallait me traduire devant les tribunaux compétents: j'aurais répondu.

J'ai protesté pour l'honneur de la pairie, et je suis déterminé à suivre cette affaire avec la dernière rigueur. Je réclame, Monsieur le chancelier, votre appui comme président de la Chambre des pairs, et votre autorité comme chef de la justice.

Je suis, avec un profond respect, etc.

Vicomte De Chateaubriand.

Dans la forme M. Decazes avait raison. Il n'avait fait, après tout, qu'user du droit que lui conférait la loi du 21 octobre 1814, laquelle disait en termes exprès: «Nul imprimeur ne peut mettre en vente un ouvrage, ou le publier de quelque manière que ce soit, avant d'avoir déposé le nombre prescrit d'exemplaires.—Il y a lieu à saisie et séquestre d'un ouvrage si l'imprimeur ne représente pas les récépissés du dépôt.» La mesure de police prise par le ministre était donc légale, mais elle était à coup sûr intempestive; prise contre un homme tel que Chateaubriand, elle était maladroite. Ainsi en avait jugé le duc de Richelieu, qui avait déconseillé les poursuites demandées par son collègue. Il avait fait remarquer qu'il était contraire à la dignité du gouvernement de supprimer la contradiction; que, d'ailleurs, l'apparence de la persécution aurait uniquement pour effet de donner plus de vogue à l'ouvrage incriminé. «J'aime mieux, disait-il spirituellement, que l'ouvrage se vende deux francs qu'un louis.» Il fit abandonner l'instruction que le parquet avait commencée sur l'ordre de M. Decazes. On imprima une nouvelle édition du livre saisi, on satisfit cette fois à toutes les formalités légales, et l'écrit de Chateaubriand, qui était d'ailleurs un chef-d'œuvre, se répandit dans la France entière. La monarchie selon la Charte le plaçait au premier rang de nos publicistes, mais il ne laissa pas de payer cher cette gloire ajoutée à tant d'autres dont son front était déjà couronné. Le 20 septembre 1816, parut dans le Moniteur l'ordonnance qui le rayait de la liste des ministres d'État. Cette décision lui enlevait un traitement de 24,000 francs.[Lien vers la Table des Matières]

II
CHATEAUBRIAND, VICTOR HUGO ET JOSEPH DE MAISTRE[398].

Au tome II de son roman des Misérables, Victor Hugo a réuni sous ce titre: l'Année 1817, un grand nombre de petits faits habillement choisis pour rendre Louis XVIII et son gouvernement ridicules et odieux. Chateaubriand obligé de vendre ses livres à la criée, à la salle Sylvestre, voilà un petit fait, qui méritait peut-être d'être rappelé. Le poète l'a passé sous silence. Il a cependant parlé de Chateaubriand, mais c'est uniquement pour nous le montrer en déshabillé du matin. «Chateaubriand, dit-il, debout tous les matins devant sa fenêtre du numéro 27 de la rue Saint-Dominique, en pantalon à pied et en pantoufles, ses cheveux gris coiffés d'un madras, les yeux fixés sur un miroir, une trousse complète de chirurgien-dentiste ouverte devant lui, se curait les dents, qu'il avait charmantes, tout en dictant la Monarchie selon la Charte à M. Pilorge, son secrétaire.» Singulière fantaisie, il faut en convenir que celle de Chateaubriand s'amusant à dicter, tout en se curant les dents, des pages depuis longtemps imprimées; ou plutôt ignorance singulière de Victor Hugo, qui aurait dû savoir, ce qui est partout—dans toutes les histoires de la Restauration, dans les Mémoires d'Outre-tombe, dans la préface et le post-scriptum de la Monarchie selon la Charte,—que la publication de cet écrit avait eu lieu, non en 1817, mais au lendemain même de l'ordonnance du 5 septembre 1816.

Ce n'est pas du reste la seule inexactitude que renferment les quatre lignes de Victor Hugo. En 1817, Chateaubriand ne demeurait pas rue Saint-Dominique, mais bien rue de l'Université, no 25. En 1818, il échangea le ruisseau de la rue de l'Université contre celui de la rue du Bac, si cher à son amie Mme de Staël[399], et il habita pendant deux ans le no 42 de cette dernière rue; en 1820 seulement il se transporta au no 27 de la rue Saint-Dominique-Saint-Germain. On peut suivre, dans les volumes successifs de l'Almanach royal, ce petit itinéraire de Chateaubriand à Paris.

Et puisque nous voilà sur le chapitre de l'année 1817, je signalerai un autre petit fait, qui présente celui-là, si je ne m'abuse, un véritable intérêt.

Joseph de Maistre n'est pas nommé une seule fois dans les Mémoires d'Outre-tombe. Est-ce donc que l'auteur du Génie du christianisme et l'auteur des Soirées de Saint-Pétersbourg n'ont jamais eu aucuns rapports ensemble? Est-ce qu'ils ne se sont jamais vus? Est-ce qu'ils ne se sont jamais écrit? Dans la Correspondance du comte Joseph de Maistre, on trouve des lettres au vicomte de Bonald, à l'abbé de La Mennais, au comte de Marcellus[400],—ou des réponses de Bonald, de La Mennais, de Lamartine: de lettres adressées à Chateaubriand, ou écrites par lui, nulle trace. Et cependant il y a dans la Correspondance de Joseph de Maistre une très longue et très belle lettre de lui écrite à Chateaubriand au mois d'octobre 1817; le malheur est qu'elle a été donnée par les éditeurs avec cette suscription: À M. le vicomte de Bonald[401]. Les éditeurs ici se sont trompés: c'est au vicomte de Chateaubriand que la lettre a été écrite. Voici, en effet, que parmi les autographes figurant, avec fac-similé, au Catalogue de la collection Bovet[402], je trouve une lettre de trois pages et quart, in-4o, écrite par Chateaubriand à Joseph de Maistre et datée de Montgraham, par Nogent-le-Rotrou, 6 septembre 1817. Il le prie d'excuser le retard de ses réponses, après trois mois d'angoisses et de craintes pour la vie de Mme de Chateaubriand:

Je vais Monsieur le comte, lire votre manuscrit, mais vous croyez bien que je n'aurai pas l'impertinence d'y rien trouver à changer. Ce n'est point à l'écolier à toucher au tableau du maître...

Voyons maintenant la lettre de Joseph de Maistre:

Monsieur le vicomte, chaque jour en me réveillant, je me répète le fameux vers de Voltaire:

L'univers, mon ami, ne pense point à toi.

Si donc Mme la duchesse de Duras a pris la liberté d'oublier parfaitement et moi et mon manuscrit, je l'en absous de tout mon cœur. Je trouve très juste qu'elle mette mille et une pensées avant celle d'un Allobroge qui a passé devant elle comme une hirondelle, et qui n'a eu, par conséquent, ni le temps ni l'occasion de s'enfoncer un peu plus dans son souvenir...

Ainsi c'est à la duchesse de Duras que Joseph de Maistre a confié un manuscrit. Or, la duchesse est l'intime amie de Chateaubriand, et c'est à lui bien évidemment qu'elle a charge de le remettre. Tout ceci, du reste, est mis hors de doute par une autre lettre du comte de Maistre, écrite de Turin, le 26 octobre 1817, et adressée à Mme Swetchine: «Quand une fois, dit-il, vous serez placée, envoyez-moi le plan de votre cabinet, que je voie votre table, votre fauteuil et la place de vos livres. Je fais ce que je puis pour en ajouter deux à votre pacotille, mais je suis prodigieusement contrarié par ceci ou par cela. Si je réussis, ce sera un beau tapage. La duchesse de Duras avait tranquillement oublié l'œuvre sur son bureau sans y penser une seule fois, pas plus qu'à son auteur; lorsque M. de Chateaubriand m'en a fait part dernièrement avec toutes les excuses de la courtoisie, je me suis mis à rire de la meilleure foi du monde. La duchesse de Duras a fort bien fait de m'oublier; moi-même je n'ai jamais pensé à elle que pour me rappeler à quel point j'avais mal réussi dans cet hôtel. Je m'y trouvais gauche, embarrassé, ridicule, ne sachant à qui parler, et ne comprenant personne. C'est une des plus singulières expériences que j'aie faites de ma vie; il me semble que je vous l'ai dit à Paris...[403]».

La preuve est déjà faite, si je ne me trompe, que c'est bien au vicomte de Chateaubriand—et non au vicomte de Bonald—qu'a été écrite la lettre de Joseph de Maistre publiée dans sa Correspondance. Mais continuons de parcourir cette lettre:

Je me sens glacé lorsque je lis dans votre lettre: Je vais lire votre manuscrit. Bon Dieu! auriez-vous cette complaisance? La lecture d'un manuscrit m'a toujours paru le tour de force de l'amitié; c'est trop demander à la courtoisie; si cependant vous avez cette bonté, rien n'égalera ma reconnaissance...

«Je vais lire votre manuscrit,» dit Chateaubriand.—«Je lis dans votre lettre: Je vais lire votre manuscrit,» écrit, de son côté, Joseph de Maistre. Comment expliquer cette rencontre, si la lettre de Joseph de Maistre n'est pas une réponse à celle de Chateaubriand?

«Vous ne voulez pas me corriger? écrit encore de Maistre; trêve de compliments, Monsieur le vicomte, tant pis pour moi. Combien j'aurais gagné à cette revue!» Ces lignes ne sont-elles pas encore une réponse directe à ce que Chateaubriand avait dit: «Croyez-bien que je n'aurai pas l'impertinence d'y rien trouver à changer; ce n'est point à l'écolier à toucher au tableau du maître.»

Enfin Chateaubriand avait parlé des trois mois d'angoisses et de craintes que lui avait causées la maladie de sa femme, craintes qui ont heureusement cessé. La lettre de Joseph de Maistre répondra à ce passage comme aux autres. Elle porte ce qui suit: «Très peu de temps après vous avoir écrit ma dernière lettre, Monsieur le vicomte, j'appris les cruelles angoisses qui vous oppressaient. Je vous félicite de tout mon cœur de ce qu'elles ont cessé[404]

S'il était besoin d'une nouvelle et dernière preuve, celle-là plus décisive encore que les autres, le vicomte de Bonald lui-même se chargerait de nous la fournir. Le 2 décembre 1817, il écrivait à Joseph de Maistre:

Monsieur le comte, suis-je assez malheureux! Quand je suis en Allemagne, tous êtes je ne sais où; je viens en France, vous êtes en Russie; je retourne dans mes montagnes, vous arrivez à Paris; je reviens à Paris, vous voilà à Turin, et nous semblons nous chercher et nous fuir tour à tour. J'avais eu l'honneur de vous écrire de ma campagne quand je vous sus à Paris, et, ne sachant pas bien votre adresse, je mis ma lettre sous le couvert de Mme Swetchine. Je ne sais si elle vous est parvenue, mais je n'ai plus trouvé ici cette excellente et spirituelle femme... Ne la reverrons-nous plus ici et ne vous y verrai-je jamais vous-même?

Mais, Monsieur le comte, s'il ne nous est pas donné de nous voir, au moins dans la partie matérielle de notre être, il nous est permis de nous connaître, et surtout de nous entendre d'une manière intime et complète, dont j'avais fait depuis longtemps la remarque avec orgueil pour moi et avec une bien grande satisfaction comme écrivain, parce que cette coïncidence a été pour moi comme une démonstration rigoureuse de la vérité de mes pensées. J'ai éprouvé l'impression de plaisir et de consolation qu'un homme égaré dans un désert éprouverait en entendant la voix d'un homme qui vient à son secours[405]...

Joseph de Maistre écrivait, de son côté, à M. de Bonald, à la fin de 1817, après sa rentrée à Turin: «Ce qu'on appelle un homme parfaitement désappointé, ce fut moi, lorsque je ne vous trouvai point à Paris, au mois d'août dernier. Comme on croit toujours ce qu'on désire, je m'étais persuadé que je vous rencontrerais encore; mais il était écrit que je n'aurais pas le plaisir de connaître personnellement l'homme du monde dont j'estime le plus la personne et les écrits[406]

Ainsi Joseph de Maistre et Bonald ne se sont jamais vus, ni même entrevus. Ce n'est donc pas au vicomte de Bonald que Joseph de Maistre pouvait dire ce qu'il écrit dans sa lettre d'octobre 1817: «Je dirai toujours de vous: Virgilium vidi tantum! Moi qui avais tant d'envie de vous voir, je n'ai pu que vous entrevoir[407].» Donc, le vicomte auquel est adressée cette lettre ne peut être M. de Bonald; c'est, à n'en pas douter, un autre vicomte, le vicomte de Chateaubriand, que Joseph de Maistre a vu dans le salon de la duchesse de Duras.

Le manuscrit que le comte de Maistre avait confié à madame de Duras, avec prière de le placer sous les yeux de Chateaubriand, était le manuscrit de son livre du Pape. Sa lettre à Chateaubriand est donc, à ce point de vue encore, des plus curieuses, et je ne saurais trop engager les lecteurs à la lire en entier dans la Correspondance de Joseph de Maistre. Je dois me borner à en donner ce nouvel et court extrait:

Des personnes qui s'intéressent fort à la publication de mon ouvrage m'assurent qu'elle ne sera point permise en France à cause du 4me livre, où je prouve jusqu'à la démonstration (du moins je m'en flatte), que le système Gallican, exagéré dans le siècle dernier, nous avait conduits à un véritable schisme de fait, infiniment nuisible à la religion. Quoique j'élève d'ailleurs l'Église Gallicane aux nues, cependant on se tient sûr que la censure me chicanera sur les vérités que je dis à ce sujet à cette vénérable Église.

Si j'ai prouvé, moi aussi, jusqu'à la démonstration, qu'il a existé des relations entre l'auteur du Pape et l'auteur du Génie du christianisme,—fait demeuré jusqu'ici entièrement ignoré—je ne cache pas que je tiens cette démonstration pour une bonne fortune.

Depuis que ces lignes ont été écrites, j'ai reçu de M. l'abbé Pailhès—dont l'obligeance est inépuisable—communication de la lettre même de Chateaubriand à Joseph de Maistre. En voici le texte complet:

Montgraham, par Nogent-le-Rotrou,
le 6 septembre 1817.

Monsieur le Comte,

Après trois mois d'angoisses et de craintes pour la vie de Mme de Chateaubriand, je viens passer deux jours à Paris; je trouve avec grand plaisir, mais à mon grand étonnement, vos lettres et votre manuscrit restés chez Mme la duchesse de Duras. Vous avez dû, monsieur le Comte, être bien étonné de mon silence, après la marque de confiance et d'estime que vous avez eu l'extrême bonté de me donner; je vois que je n'ai point encore épuisé ma mauvaise fortune.

Je vais, Monsieur le Comte, lire le manuscrit: mais vous croyez bien que je n'aurai pas l'impertinence d'y trouver rien à changer; ce n'est point à l'écolier de toucher au tableau du maître. Je trouve seulement d'avance que vous êtes bien bon de vous donner la peine de combattre M. Ferrand.

Je serai à Paris vers la fin d'octobre, pour l'ouverture de la session, et je traiterai de vos intérêts avec M. Le Normant[408], si, d'après votre réponse, vous êtes toujours dans l'intention de publier votre ouvrage.

La triste politique et les persécutions de tout genre que j'éprouve occupent une grande partie de mon temps; mais il m'en restera toujours pour vous lire et vous admirer.

Recevez, Monsieur le Comte, je vous prie, l'assurance de ma reconnaissance, de ma profonde estime, de ma sincère admiration, sans parler de la haute considération avec laquelle je suis, Monsieur le Comte,

Votre très humble et très dévoué serviteur,

Le vicomte de Chateaubriand.

En tête de cette lettre, ces mots, de la main de Joseph de Maistre: «Reçue à Turin, le 27.»[Lien vers la Table des Matières]

III
LE CONSERVATEUR[409].

Le Conservateur a commencé au mois d'octobre 1818. Ce n'était pas un journal quotidien; il paraissait par livraison de trois feuilles d'impression, à des jours indéterminés, ainsi que le faisait la prudente Minerve. Libéraux et royalistes échappaient ainsi à la censure, qui n'atteignait que les publications périodiques. Ses bureaux étaient rue de Seine, no 8, chez Le Normant fils, éditeur. En tête de chaque livraison, se lisait la devise: le Roi, la Charte et les Honnêtes Gens. Chateaubriand, qui en fut jusqu'à la fin le principal rédacteur, avait groupé autour de lui des hommes politiques et des écrivains qui le secondèrent à merveille. Il en nomme quelques-uns dans ses Mémoires; il convient, je crois, d'en donner ici la liste complète: on verra que jamais plus vaillant chef ne fut entouré d'un plus brillant état-major. Voici cette liste:

F.-M. Agier; Benoit, député de Maine-et-Loire; Berryer fils; T. de Boisbertrand; vicomte de Bonald; Henri de Bonald; de Bouville; comte de Bruges; vicomte de Castelbajac; marquis de Coriolis d'Espinousse; Couture, avocat; Crignon d'Ouzouer, député du Loiret; Astolphe de Custine; Dureau de la Malle; l'abbé Fayet; Joseph Fiévée; duc de Fitz-James; A. de Frénilly; Eugène Genoude; vicomte Emmanuel d'Harcourt; marquis d'Herbouville; comte Édouard de la Grange; A. de Jouffroy; Florian de Kergorlay; duc de Lévis; le cardinal de la Luzerne; Martainville; l'abbé de la Mennais; comte O'Mahony; Charles Nodier; comte Jules de Polignac; de Saint-Marcellin; comte de Saint-Roman; comte de Salaberry; comte Humbert de Sesmaisons; vicomte de Suleau; baron Trouvé; Joseph de Villèle.

Le Conservateur cessa de paraître au mois de mars 1820. Il n'avait vécu que deux ans et demi; mais ces deux années lui avaient suffi pour conquérir une place que depuis lors nulle feuille politique n'a pu lui disputer. Quel journal compta jamais en même temps, parmi ses rédacteurs, trois écrivains tels que Chateaubriand, La Mennais et Bonald?

Dans la liste qu'on vient de lire, j'ai souligné un nom, aujourd'hui bien oublié, celui de Saint-Marcellin. M. de Saint-Marcellin était le fils de Fontanes, et c'est à lui que fait allusion Chateaubriand, à la fin du huitième livre de sa première partie, lorsqu'il écrit: «Fontanes n'est plus; un chagrin profond, la mort tragique d'un fils, l'a jeté dans la tombe avant l'heure.» Il fut tué en duel[410], le 1er février 1819, alors qu'il venait de débuter avec éclat dans le Conservateur, presque au lendemain du jour où il venait d'y publier sous ce titre: M. Dimanche, un dialogue étincelant d'esprit et de verve[411]. Chateaubriand consacra au fils de son ami des pages qu'il n'a pas recueillies dans ses Œuvres, mais qui doivent ici trouver place. Elles sont le complément naturel de ces autres pages si belles, que l'auteur des Mémoires, a écrites sur Fontanes.

Voici l'article de Chateaubriand; je l'emprunte au tome II du Conservateur, pages 272-276:

NÉCROLOGIE

M. de Saint-Marcellin, à peine âgé de vingt-huit ans, blessé à mort le 1er de ce mois, a expiré le 3, entre neuf et dix heures du soir. Il avait fait l'apprentissage des armes dans la campagne de 1812, en Russie. Il donna les premières preuves de sa valeur dans le combat qui eut pour résultat la prise du village de Borodino et de la grande redoute qui couvrait le centre de l'armée russe. Le rapport du prince Eugène au major-général sur cette journée se termine par cette phrase: «Mon aide de camp de Sève et le jeune Fontanes de Saint-Marcellin méritent d'être cités dans ce rapport.»

M. de Saint-Marcellin s'était précipité dans les retranchements de l'ennemi, et avait eu le crâne fendu de trois coups de sabre.

Après le combat, il se présenta dans cet état à un hôpital encombré de 4,000 blessés, où il n'y avait que trois chirurgiens dénués de linge, de médicaments et de charpie: il ne put même obtenir d'y être reçu. Il s'en retournait baigné dans son sang, lorsqu'il rencontra Bonaparte. «Je vais mourir, lui dit-il; accordez-moi la croix d'honneur, non pour me récompenser, mais pour consoler ma famille.» Bonaparte lui donna sa propre croix.

M. de Saint-Marcellin, jeté sur des fourgons, arriva à moitié mort à Moscou: il y séjourna quelque temps et fut assez heureux pour trouver le moyen de revenir en France, où nous l'avons vu, pendant plus de dix-huit mois, porter encore une large blessure à la tête.

La France ayant rappelé son Roi légitime, M. de Saint-Marcellin fut fidèle aux nouveaux serments qu'il avait faits. Il était aide-de-camp du général Dupont à l'époque du 20 mars. Il se trouvait à Orléans avec son général, lorsque les soldats séduits quittèrent la cocarde blanche; M. de Saint-Marcellin osa la garder: circonstance que peut avoir connue M. le maréchal Gouvion de Saint-Cyr, qui fit reprendre la cocarde blanche aux troupes égarées. Rentré à Paris, M. de Saint-Marcellin eut une altercation politique avec un officier, se battit, blessa son adversaire, et partit du champ clos pour aller rejoindre ceux à qui il avait engagé sa foi.

Nommé capitaine à Gand, il sollicita l'honneur d'accompagner le général Donadieu, chargé par le Roi, d'une mission importante. Débarqué à Bordeaux, il fut arrêté et remis aux mains de deux gendarmes qui devaient le conduire à Paris pour y être fusillé. En passant par Angoulême, il échappa à ses gardes, excita un mouvement royaliste dans la ville, et rentra dans Paris avec le Roi.

M. de Saint-Marcellin fut alors envoyé comme chef de bataillon dans un régiment de ligne à Orléans: blessé de nouveau, il fut obligé de revenir à Paris. Depuis ce moment, il consacra ses loisirs aux lettres: il avait de qui tenir. Il donna quelques ouvrages à nos différents théâtres lyriques. Compris comme chef d'escadron dans la nouvelle organisation de l'état-major de l'armée, il avait refusé dernièrement un service actif qui l'eût éloigné de Paris. La Providence voulait le rappeler à elle. Pour des raisons faciles à deviner, l'administration avait subitement, dit-on, changé en rigueur sa bienveillance politique. On assure que M. de Saint-Marcellin allait perdre sa place de chef d'escadron, quand la mort est venue épargner aux ennemis des royalistes une destitution de plus, et rayer elle-même ce brave militaire du tableau où elle efface également et les chefs et les soldats.

M. de Saint-Marcellin n'a point démenti, à ses derniers moments, ce courage français qui porte à traiter la vie comme la chose la plus indifférente en soi, et l'affaire la moins importante de la journée. Il ne dit ni à ses parents ni à ses amis qu'il devait se battre, et il s'occupa tout le matin d'un bal qui devait avoir lieu le soir chez M. le marquis de Fontanes. À trois heures il se déroba aux apprêts du plaisir pour aller à la mort. Arrivé sur le champ de bataille, le sort ayant donné le premier feu à son adversaire, il se met tranquillement au blanc, reçoit le coup mortel, et tombe en disant: «Je devais pourtant danser ce soir.» Rapporté sans connaissance chez M. de Fontanes, on sait qu'il y rentra à la lueur des flambeaux déjà allumés pour la fête. Lorsqu'il revint à lui, on lui demanda le nom de son adversaire: «Cela ne se dit pas, répondit-il en souriant; seulement c'est un homme qui tire bien.» M. de Saint-Marcellin ne se fit jamais d'illusion sur son état: il sentit qu'il était perdu; mais il n'en convenait pas, et il ne cessait de dire à ses parents et à ses amis en pleurs: «Soyez tranquilles, ce n'est rien.» Il n'a fait entendre aucunes plaintes, il n'a témoigné, ni regrets de la vie, ni haine, ni même humeur contre celui qui la lui arrachait: il est mort avec le sang-froid d'un vieux soldat et la facilité d'un jeune homme. Ajoutons qu'il est mort en chrétien.

Les lettres et l'armée perdent dans M. de Saint-Marcellin, une de leurs plus brillantes espérances. On remarque, dans les premiers essais échappés à sa plume, une gaîté de bon goût, appuyée sur un fond de raison, et sur des sentiments nobles. Lorsqu'il parle d'honneur, on voit qu'il le sent, et quand il rit, on s'aperçoit qu'il méprise. Sa destinée paraissait devoir être heureuse dans un ordre de choses différent de celui qui existe aujourd'hui; mais aussitôt qu'il est entré dans la ligne des devoirs légitimes, il a été atteint par cette fatalité qui semble s'attacher aux pas de tout ce qui est devenu ou resté fidèle. Est-ce une raison pour renoncer à une cause sainte et juste? Bien loin de là, c'est une raison pour s'y attacher: les hommes généreux sont tentés par les périls, et l'honneur est une divinité à laquelle on s'attache par les sacrifices mêmes qu'on lui fait.

Devons-nous plaindre ou féliciter M. de Saint-Marcellin? Il n'était pas fait pour vivre dans ces temps d'ingratitude et d'injustice. Le sang lui bouillait dans les veines; son cœur se révoltait quand il voyait récompenser la trahison et punir la fidélité. Son indignation avait l'éclat de son courage, et il ne faisait pas plus de difficulté de montrer ses sentiments que de tirer son épée: avec une pareille disposition d'âme, nous ne l'eussions pas gardé longtemps. D'ailleurs, nous marchons si vite, le système adopté nous prépare de tels événements, que Saint-Marcellin n'a peut-être perdu que des orages: il s'est hâté d'arriver au lieu de son repos, et du moins il n'entend plus le bruit de nos divisions.

Mille raisons nous commandaient de payer ce tribut d'éloges à la mémoire de Saint-Marcellin; mais il y en a surtout une qu'une vieille amitié sentira. Cette amitié a été éprouvée par la bonne et la mauvaise fortune; elle nous retrouvera toujours, et particulièrement quand il s'agira de la consoler: Ille dies utramque duxit ruinam.[Lien vers la Table des Matières]

IV
LA MORT DE FONTANES[412].

C'est pendant qu'il était ambassadeur à Berlin, que Chateaubriand perdit le plus ancien et le plus fidèle de ses amis, M. de Fontanes. Avant de quitter Paris, il avait essayé de faire rétablir en faveur de son ami la Grande Maîtrise de l'Université: la chose ne s'était point arrangée, à cause des combinaisons politiques qu'il avait fallu satisfaire et M. de Fontanes lui avait écrit ce billet:

Je vous le répète, je n'ai rien espéré, ni rien désiré. Ainsi, je n'éprouve aucun désappointement, mais je n'en suis pas moins sensible aux témoignages de votre amitié; ils me rendent plus heureux que toutes les places du monde.

Le 10 mars 1821, Fontanes fut atteint d'une attaque de goutte à l'estomac qui causa tout de suite à ses amis les plus vives inquiétudes.

Je serai bien affligée, écrivait la duchesse de Duras, en annonçant à Chateaubriand la triste nouvelle, je serai bien affligée si nous perdons M. de Fontanes, je l'aime. Il vous a été si fidèle! C'est encore un modèle qui disparaîtrait, un type de goût littéraire qui ne serait pas remplacé. Vous appartenez bien plus que lui à la race nouvelle. Ce qui me frappe tous les jours, c'est que tout finit. Les dieux s'en vont.

Le 17 mars, Chateaubriand écrivait à Mme Récamier: «Je suis au désespoir de la maladie de Fontanes. Je tremble de l'arrivée du prochain courrier.»—Fontanes était mort le matin même du jour où son ami écrivait cette lettre.

Chateaubriand fut accablé par cette mort; il envoya à M. Bertin les lignes suivantes, qui parurent dans le Journal des Débats du 10 avril 1821:

Monsieur,

Il est de mon devoir de répondre à l'appel que vous avez fait à l'amitié, dans votre journal du 19 de ce mois. J'y répondrai mal, car ce n'est pas quand on a le cœur brisé qu'on peut écrire. L'époque à jamais célèbre fondée par Boileau, Racine et Fénelon, finit en M. de Fontanes; notre gloire littéraire expire avec la monarchie de Louis XIV.

Mon illustre ami laisse entre les mains de sa veuve inconsolable et de sa jeune et malheureuse fille les manuscrits les plus précieux; et telle était son indifférence pour la renommée, qu'il se refusait à les publier. Ces manuscrits consistent en un Recueil d'odes et de poèmes admirables, en des mélanges littéraires écrits dans cette prose où le bon goût ne nuit point à l'imagination, l'élégance au naturel, la correction à l'éloquence et la chasteté du style à la hardiesse de la pensée.

Devais-je être appelé si tôt à parler des derniers ouvrages de l'écrivain supérieur qui annonça mes premiers essais? Personne (si ce n'est un de ses vieux amis qui est aussi le mien, M. Joubert) n'a mieux connu que moi cette bonhomie, cette simplicité, cette absence de toute envie, qui distinguent les vrais talents et qui faisaient le fond du caractère de M. de Fontanes. Singulière fatalité! notre amitié commença dans la terre étrangère, et c'est dans la terre étrangère que j'apprends la mort du compagnon de mon exil!

Comme homme public, M. de Fontanes a rendu à son pays des services inappréciables; il maintint la dignité de la parole, sous l'empire du maître qui commandait un silence servile; il éleva dans les doctrines de nos pères des enfants qu'on voulait séparer du passé pour bouleverser l'avenir. Vous aussi, monsieur, vous avez admiré et aimé ce beau génie, cet excellent homme, qui peut-être est déjà oublié dans la ville où tout s'oublie.

Mais le temps de la mémoire viendra; la postérité reconnaissante voudra savoir quel fut cet héritier du grand siècle, dont elle lira les pages immortelles. Je suis incapable aujourd'hui d'entrer dans de longs détails sur la personne et les travaux de mon ami; la perte que je fais est irréparable, et je la sentirai le reste de ma vie. Au moment même où votre journal est arrivé, j'écrivais à M. de Fontanes: je ne lui écrirai plus! Pardonnez, monsieur, si je borne ma lettre à ce peu de mots que je vois à peine en les traçant.

J'ai l'honneur, etc.

Chateaubriand.

Berlin, 31 mars.

C'est par les soins de Chateaubriand que furent publiées, en 1839, les Œuvres de Fontanes, en deux volumes in-8o, avec une Notice par Sainte-Beuve. L'année précédente, il s'était fait l'éditeur du Recueil des Pensées de Joubert: Chateaubriand n'oubliait pas ses amis.[Lien vers la Table des Matières]

V
LE PRÉTENDU TRAITÉ SECRET DE VÉRONE[413].

Le Constitutionnel, dans son numéro du 5 avril 1831, rendant compte de la brochure de Chateaubriand sur la Restauration et la Monarchie élective, fit allusion à un soi-disant traité secret, conclu à Vérone le 22 novembre 1822 et portant la signature de Chateaubriand. Aux termes de ce traité, la France, l'Autriche, la Prusse et la Russie s'engageaient mutuellement à faire tous leurs efforts pour anéantir le système représentatif dans toutes les contrées de l'Europe où il pourrait exister.

Chateaubriand adressa immédiatement au Constitutionnel la lettre suivante:

Paris, 6 avril 1831.

Monsieur,

Je viens de lire dans votre journal l'article obligeant que vous avez bien voulu publier sur ma brochure de la Restauration et de la Monarchie élective. J'y ai remarqué une phrase qui me force à vous importuner; cette phrase est celle-ci: «Ce sont vos anciens amis qui ont souvent dit et toujours pensé ce que vous avez eu le malheur de signer au congrès de Vérone contre le gouvernement constitutionnel

Permettez-moi, Monsieur, de m'étonner qu'un journal aussi accrédité et aussi bien informé des affaires du monde que le vôtre, ait jamais pu croire à l'authenticité de la misérable pièce, que l'on a donnée comme un traité signé par moi au congrès de Vérone. On oublie que je n'assistais à ce congrès que comme ambassadeur de France à Londres, que j'avais pour collègues M. le comte de la Ferronnays, ambassadeur de France en Russie; M. le marquis de Caraman, ambassadeur de France à Vienne; M. le comte de Serre, ambassadeur de France à Naples; et qu'enfin M. le duc (alors vicomte) Mathieu de Montmorency, Ministre des affaires étrangères de France, était le véritable représentant de la cour de France au congrès.

Et ce serait moi, dont les opinions libérales me rendaient si suspect au cabinet de Vienne; moi que ce cabinet voyait d'un si mauvais œil à Vérone; ce serait moi, simple ambassadeur, qu'on aurait choisi pour signer avec les ministres des affaires étrangères de Russie, d'Autriche et de Prusse, un traité contre les gouvernements constitutionnels lorsque le ministre des affaires étrangères de France, mon propre ministre, était là auprès de moi!

La supposition est trop absurde: il a fallu toute l'autorité dont jouit votre journal pour que j'aie daigné la relever. Je l'avais vu traîner ailleurs avec tout le mépris qu'elle méritait de ma part. Je dois ajouter, pour l'honneur de la mémoire de M. de Montmorency et la justification des ambassadeurs français, mes collègues à Vérone, que jamais le prétendu traité, publié comme pièce officielle, n'a existé, que c'est une grossière invention, aussi dénuée de vraisemblance que de vérité.

J'ose croire. Monsieur, que cette lettre suffira pour tirer d'erreur les journaux de bonne foi qui ont fait mention de cette pièce: je renonce d'avance à convaincre ceux qu'animeraient l'esprit de parti et des inimitiés personnelles.

J'ai l'honneur, etc.

Chateaubriand.

Le texte du pseudo-traité du 22 novembre 1822, publié pour la première fois par le Morning-Chronicle en 1823, a été reproduit par M. de Marcellus dans son excellent ouvrage, Politique de la Restauration en 1822 et 1823. L'article 2 est ainsi conçu:

Comme on ne peut douter que la liberté de la presse ne soit le moyen le plus puissant employé par les prétendus défenseurs des droits des nations, au détriment de ceux des princes, les hautes parties contractantes promettent réciproquement d'adopter toutes les mesures propres à la supprimer, non seulement dans leurs propres états, mais aussi dans le reste de l'Europe.

Certes, il fallait une singulière audace pour oser mettre au bas de cet article la signature de Chateaubriand,—de l'homme qui avait été toute sa vie le plus énergique et le plus éloquent champion de la liberté de la presse; de celui qui avait crié sur les toits cet axiome, que sans la liberté de la presse, toute constitution représentative est en péril; de celui qui, le premier en France, avait fait et mené à bien une guerre, en présence de cette liberté!

M. de Marcellus a du reste donné, dans son livre, sur les circonstances dans lesquelles fut fabriqué ce prétendu traité secret, des détails qui viendraient encore corroborer, s'il en était besoin, le démenti opposé par Chateaubriand à cette misérable supercherie:

Ce document, dit M. de Marcellus, avait beau se dire natif de Vérone, marqué à sa naissance du sceau de la langue diplomatique de l'Europe, et issu en droite ligne des plénipotentiaires des cours unies par la Sainte-Alliance, il n'en était pas moins originaire de Londres, où il était sorti, tout armé de style anglais, du front d'un seul créateur...

Pendant ma gestion des affaires de France à Londres, en 1823, cet article, fabriqué tout chaud pour les presses du Morning-Chronicle avait attiré mes regards; le jour même de son apparition, le prince Esterhazy pour l'Autriche, le baron de Werther pour la Prusse, le comte de Lieven pour la Russie, et moi pour la France, nous avions reconnu en lui une de ces tentatives journalières combinées pour agir sur les fonds publics d'un côté du détroit comme de l'autre; après avoir unanimement pensé que, par son caractère apocryphe, il portait en lui-même sa condamnation et son antidote, comme il ne méritait pas une réfutation sérieuse, nous nous étions bornés à le faire démentir à Londres, sans commentaire et sans signature, dans le New-Times, journal du matin, et dans le Sun, journal du soir.

J'ajoute qu'au moment de l'éclosion artificielle de ce traité secret, M. Canning (ministre des Affaires étrangères dans le cabinet britannique) m'en avait parlé légèrement à Glocester-Lodge mais sans le soumettre à aucun examen politique ou grammatical, et le rangeant lui-même parmi ces documents que la presse disait-il,

Supposita de matre nothos furata creavit.

«—Sans doute, lui avais-je répondu, il est bien bâtard, et il en porte tous les signes. C'est un produit de fabrique anglaise, et je pourrais montrer dans le Strand la boutique d'où il sort.—Ah! vous connaissez donc nos ateliers de Forgery?—Oh! non pas plus que votre ambassadeur à Paris ne connaît les laboratoires de nos gazettes[414][Lien vers la Table des Matières]

VI
LE CONGRÈS DE VÉRONE ET LA GUERRE D'ESPAGNE.[415]

Il y a ici, dans les Mémoires, une lacune volontaire et forcée. Il n'est rien dit des vingt mois (octobre 1822 à juin 1824) pendant lesquels Chateaubriand fut d'abord ambassadeur de France au Congrès de Vérone, puis ministre des affaires étrangères à Paris; rien dit de la guerre d'Espagne, qui fut cependant son œuvre. Certes, il n'entendait pas laisser dans l'ombre les événements mêmes auxquels est attaché l'honneur de son nom comme homme d'État. Il a voulu, au contraire, en parler tout à son aise. De toutes les périodes de sa vie, c'est celle dont le récit a pris sous sa plume le plus de développement,—des développements tels que ce récit formait d'abord quatre volumes, réduits plus tard à deux, dans des circonstances que nous dirons tout à l'heure. Ces deux volumes font en réalité partie intégrante des Mémoires d'Outre-tombe. S'ils n'y figurent pas, c'est que l'auteur a craint, en leur donnant place dans ses Mémoires, de déranger la belle ordonnance de son livre, où toutes les proportions sont si bien gardées, où toutes les parties de l'œuvre s'harmonisent entre elles avec un art si parfait. Pour cette raison, et aussi afin de venger publiquement la Restauration des calomnies dont elle était alors journellement l'objet, il se décida, en 1838, à publier à part tout ce qu'il avait écrit sur le Congrès de Vérone et la guerre d'Espagne.

Sa copie, je viens de le dire, formait quatre volumes. C'était quatre-vingt mille francs (vingt mille francs par volume) qui lui revenaient aux termes de ses traités avec la société nantie du droit de publier ses œuvres futures. Déjà les quatre volumes étaient imprimés presque en entier, lorsque M. de Marcellus et M. de la Ferronnays, alarmés de voir mettre au jour certaines pièces diplomatiques, destinées, selon eux, à rester secrètes, supplièrent Chateaubriand de sacrifier ici et là, un peu partout, des documents, qui étaient pourtant de l'intérêt le plus vif. Il consentit à la plupart des retranchements demandés, et fit à ses deux amis si bonne mesure que les quatre volumes primitifs se trouvèrent réduits aux deux volumes actuels.—«Eh! bien,» dit Chateaubriand à M. de Marcellus, quand le sacrifice fut consommé, «vous me coûtez, tous les deux, quarante mille francs.—Soit, quarante mille francs, reprit M. de Marcellus, plutôt que des regrets trop tardifs.» Et Chateaubriand de répliquer:—«C'est maintenant chose faite; j'ai respecté vos scrupules et ceux de la Ferronnays; j'ai beaucoup retranché pour vous plaire. Mais vous ne vous êtes pas suffisamment l'un et l'autre mis par la pensée en dehors de votre siècle et des affaires. Pour juger d'un effet de ton, il faut se placer à distance. C'est en disant tout qu'on se distingue de la foule des hommes d'État boutonnés et méticuleux. J'ai conçu la diplomatie sur un nouveau plan; je parle tout haut. Vous avez tort de redouter mes révélations; elles ne pouvaient que vous faire honneur. Je vous le prédis: vous ferez plus tard, quand vous croirez le danger amoindri, la Ferronnays ou vous, et par le même motif, ce que vous m'empêchez de faire maintenant. D'avance, pour mon compte, je vous y autorise[416]».

Puisque Chateaubriand a été conduit, comme nous venons de le voir, à laisser en dehors de ses Mémoires cette guerre d'Espagne, qui fut «le grand événement politique de sa vie», il sied de rappeler ici, au moins en quelques mots, que cette guerre fut un acte de haute et grande politique, et non, comme l'ont répété à satiété les ennemis de la Restauration, un acte de servitude et de sujétion vis-à-vis des cabinets du Nord.

Lorsque M. de Montmorency, ministre des Affaires étrangères, se rendit au congrès de Vérone, il était porteur d'instructions positives, qui renfermaient ces propres mots: «La France étant la seule puissance qui doive agir par ses troupes, elle sera seule juge de cette nécessité. Les plénipotentiaires ne doivent pas consentir à ce que le congrès prescrive la conduite de la France à l'égard de l'Espagne.» Entraîné par la générosité et l'élévation de ses sentiments, qui revêtaient parfois une teinte de mysticisme, à embrasser une politique où l'initiative particulière de chaque nation s'effacerait devant les décisions prises en commun par une sorte de directoire des grandes puissances chargé de faire prévaloir partout les intérêts du droit et de l'humanité, le loyal et chevaleresque Mathieu de Montmorency avait été conduit à demander que la Russie, l'Autriche, la Prusse et la France adressassent à l'Espagne une dernière signification, après laquelle les ambassadeurs seraient rappelés. M. de Villèle se prononça contre cette action collective, dans le conseil des ministres qui fut tenu aux Tuileries le 25 janvier 1822. Il revendiqua pour la France le droit d'intervenir seule. Louis XVIII se rangea à son avis, et déclara que «la France était vis-à-vis de l'Espagne dans une position spéciale; que, pour elle, rappeler l'ambassadeur, c'était trop ou trop peu;» puis il ajouta: «Louis XIV a détruit les Pyrénées, je ne les laisserai pas relever; il a placé ma maison sur le trône d'Espagne, je ne l'en laisserai pas tomber; mon ambassadeur ne doit quitter Madrid que le jour où cent mille Français s'avanceront pour le remplacer.» Parler ainsi, c'était séparer l'action de la France de celle des autres puissances; M. Duvergier de Hauranne n'hésite pas à le reconnaître.[417] C'était désavouer M. de Montmorency; il remit aussitôt son portefeuille. Il avait voulu faire de la question d'Espagne une question européenne; avec Chateaubriand, son successeur, elle devint une question française. Le chef du cabinet britannique, M. Canning, s'en montra profondément irrité. L'hostilité de l'Angleterre n'arrêta point le gouvernement de Louis XVIII. «Tenez le ton haut avec les ministres anglais», écrivait Chateaubriand, le 16 janvier 1823, à M. de Marcellus, représentant de la France à Londres. «Dites et répétez à M. Canning, lui écrivait-il encore dans une dépêche en date du 28 janvier, que nous voulons la paix comme lui, et que l'Angleterre peut l'obtenir avant l'ouverture de la campagne, si elle veut tenir le même langage que nous et demander la liberté du roi. Mais ajoutez bien que notre parti est pris, et que rien ne nous fera reculer.» Et, le 13 mars 1823: «M. Canning m'en veut de n'avoir pas cédé à ses menaces et de n'avoir pas précipité la France aux genoux de l'Angleterre. Il ne peut pas guerroyer, il n'en a aucune demi-raison plausible, il le sent et il est piqué de s'être si fort avancé. Mais, guerre ou non, la France fera ce qu'elle doit faire, ou je ne serai plus ministre...» Et en post-scriptum: «Donnez des fêtes, et ripostez ferme à M. Canning.» Le 17 avril: «L'Angleterre sent que cette guerre nous rend notre influence et nous replace à notre rang en Europe; elle doit être irritée et malveillante. L'amour-propre de M. Canning est compromit: de là sa violence et son humeur... Je vous recommande de vous montrer désormais froid et réservé avec M. Canning... Soyez poli, mais causez peu; et qu'il s'aperçoive, à votre manière, que le gouvernement français connaît sa force et défend sa dignité[418]

Les actes furent à la hauteur des paroles. La politique de Chateaubriand avait été habile et ferme: une guerre heureuse et bien conduite la couronna. Voici en quels termes Benjamin Constant et le général Foy, qui parlaient pourtant au nom de l'opposition, ont jugé la guerre d'Espagne:

«Loin de contester ce que notre honorable collègue (M. de Martignac) a dit sur le passé, j'aime à reconnaître avec lui que l'ensemble de cette expédition mémorable a été glorieux pour notre armée, et je dirai que cette gloire est d'autant plus belle qu'elle ne se compose pas seulement de succès militaires. La générosité française animant jusqu'à nos simples soldats a travaillé toujours et heureusement réussi quelquefois à faire prévaloir l'humanité contre la vengeance, la pitié contre la fureur et à protéger l'ennemi désarmé contre l'auxiliaire aigri par de longs revers.» Ainsi s'exprima Benjamin Constant à la tribune de la Chambre des députés, dans la séance du 28 juin 1824. Le général Foy, dans la même séance, ajouta ces paroles: «La rapidité des opérations en Espagne et la plénitude du succès militaire ont trompé les prévisions de ceux qui ne voulaient pas la guerre et ont surpassé les espérances de ceux qui l'avaient appelée de leurs vœux.»

Tous les esprits vraiment libéraux se sont accordés à reconnaître que la guerre d'Espagne était à la fois politique et légitime, et, par dessus tout nationale. En affermissant le gouvernement à l'intérieur, elle rendait à la France sa liberté d'action au dehors. Le congrès d'Aix-la-Chapelle avait délivré notre territoire. Le congrès de Vérone et la campagne qui le suivit émancipaient notre politique. Nous redevenions une grande nation.

M. Saint-Marc Girardin écrivait, en 1838, dans un article publié par le Journal des Débats:

Non, le congrès de Vérone n'a pas imposé à la France l'obligation de faire la guerre à la révolution espagnole. L'Europe s'accommodait de notre impuissance de 1815. Sans doute, la révolution d'Espagne l'inquiétait; mais la résurrection politique et militaire de la France, qui était une des conséquences de la guerre d'Espagne, si cette guerre réussissait, inquiétait l'Europe bien plus encore que la révolution espagnole... Voilà ce que démêla M. de Chateaubriand, et voilà pourquoi il déclara hautement que la guerre d'Espagne a été un acte de hardiesse plutôt qu'un acte de soumission et d'obéissance; mais il vit en même temps que l'Europe continentale ne pouvait nous défendre de faire cette guerre, et qu'elle devait même nous y soutenir en apparence de ses vœux, forcée qu'elle était à cela par ses principes et ses opinions monarchiques[419].

Cascade de Terni.

M. Guizot avait été, en 1823, un des adversaires de l'expédition; cela ne l'empêchera pas, quand il aura lui-même passé par les affaires, de dire dans ses Mémoires:

Comme coup de main de dynastie et de parti, la guerre d'Espagne réussit pleinement. Les prédictions sinistres de ses adversaires furent démenties et les espérances de ses fauteurs dépassées. Mises en même temps à l'épreuve, la fidélité de l'armée et l'impuissance des conspirateurs réfugiés au dehors éclatèrent à la fois. L'expédition fut facile, quoique non sans gloire. Le duc d'Angoulême s'y fit honneur. La prospérité et la tranquillité de la France n'en reçurent aucune atteinte[420].

Sir Robert Peel, membre du Cabinet anglais, appréciait ainsi, dans une conversation avec M. de Marcellus, les résultats de la campagne:

La Providence est pour vous, vous aviez raison... Vous avez conquis une influence réelle sur le continent; une armée fidèle; des finances florissantes; un héritier de la couronne qui s'est acquis autant de gloire par son courage que par sa modération[421].[Lien vers la Table des Matières]

VII
LE RENVOI DE CHATEAUBRIAND[422].

Le duc Victor de Broglie, au tome II de ses Souvenirs, a cru pouvoir accueillir une anecdote, qui, si on ne l'arrêtait pas au passage, pourrait finir quelque jour par entrer dans l'histoire. Après avoir rappelé comment Chateaubriand fut brusquement renvoyé du ministère, M. de Broglie ajoute ce qui suit:

Le 8 juin[423], à dix heures du matin, le lendemain du jour où son sort avait été décidé à son insu, comme il entrait aux Tuileries pour faire sa cour à M. le comte d'Artois, son secrétaire, consterné et la larme à l'œil, lui remit un message qui le congédiait à peu près aussi cavalièrement qu'un laquais de bonne maison...

Je dois ajouter, pour ne rien omettre, que les amis de M. de Villèle ne se firent pas faute de l'excuser, comme on excuse en ce bas monde, en aggravant le tort par la calomnie, en insinuant malignement que l'auteur du Génie du christianisme devait s'en prendre à lui-même si son congé ne l'avait rejoint qu'en plein midi et en pleine cour; qu'il l'aurait reçu en temps et lieu convenables, s'il fût rentré chez lui la veille au soir, et s'il y eût passé la nuit. J'ai toujours regardé, pour ma part, cette sottise comme inventée à plaisir et après coup. M. de Chateaubriand, dans ses Mémoires d'Outre-tombe, en m'imputant (gratuitement, de son propre aveu) un acte de persécution aussi faux en lui-même qu'étranger, j'ose le dire, à mon caractère, a trouvé bon d'y joindre cette réflexion, qu'en tout cas j'en étais bien capable. Il ne tiendrait qu'à moi de lui rendre ici la pareille; mais les mauvais procédés et les mauvais exemples ne sont bons qu'à éviter[424].

Mettons tout d'abord en regard de cette page des Souvenirs du duc Victor de Broglie la page du Congrès de Vérone, où Chateaubriand a raconté lui-même son renvoi: audiatur et altera pars. Aussi bien, la page est charmante:

Le 6, au matin, nous ne dormions pas; l'aube murmurait dans le petit jardin; les oiseaux gazouillaient: nous entendîmes l'aurore se lever; une hirondelle tomba par notre cheminée dans notre chambre; nous lui ouvrîmes la fenêtre: si nous avions pu nous envoler avec elle! Les cloches annoncèrent la solennité de la Pentecôte; jour mémorable dans notre vie: ce même jour, nous avions été relevé à sept ans des vœux d'une pauvre femme chrétienne; après tant d'anniversaires, ce jour nous rendait à notre obscurité première; de là s'en allait nous attendre au palais des rois de Bohême, où nous devions saluer ce Charles X exilé, à qui l'on ne nous permit pas, en 1824, de chanter aux Tuileries l'hymne des félicitations.

À dix heures et demie, nous nous rendîmes au Château. Nous voulions d'abord faire notre cour à Monsieur. Le premier salon du pavillon Marsan était à peu près vide; quelques personnes entrèrent successivement et semblaient embarrassées. Un aide de camp de Monsieur nous dit: «Monsieur le vicomte, je n'espérais pas vous rencontrer ici; n'avez-vous rien reçu?» Nous lui répondîmes: «Non, que pouvions-nous recevoir?» Il répliqua: «J'ai peur que vous ne le sachiez bientôt.» Là-dessus, comme on ne nous introduisit point chez Monsieur, nous allâmes ouïr la musique à la chapelle.

Nous étions tout occupé des beaux motets de la fête, lorsqu'un huissier vint nous dire qu'on nous demandait. Nous suivîmes l'huissier, il nous conduit à la salle des Maréchaux. Nous y trouvons notre secrétaire, Hyacinthe Pilorge. Il nous remit la lettre de M. de Villèle et l'ordonnance royale, en nous disant: «Monsieur n'est plus ministre» M. le duc de Rauzan, directeur des affaires politiques, avait ouvert le paquet pendant notre absence et n'avait osé nous l'apporter[425]...

L'ordonnance royale, qui chargeait M. de Villèle par intérim du portefeuille des Affaires étrangères, en remplacement de M. de Chateaubriand, se terminait ainsi: «Donné à Paris, en notre château des Tuileries, le 6 juin de l'an de grâce 1824».

C'est le dimanche 6 juin que Chateaubriand se présente aux Tuileries; l'ordonnance qui le renvoie du ministère est de ce même jour; elle n'a donc pas pu être portée chez lui la veille au soir. Que devient, en présence de ce fait indéniable, de cette date incontestée, le récit du duc Victor de Broglie? Que deviennent les bruits, les insinuations recueillis dans son livre? J'ai déjà rappelé, dans une des notes de ce volume, le mot d'un ami de Mme de Staël, la belle-mère de l'auteur des Souvenirs, cette parole du duc de Laval-Montmorency, disant un jour: «Les dates! c'est peu élégant!» C'est peu élégant, sans doute, mais c'est quelquefois bien utile.

Non content d'aimer les dates exactes, j'ai un autre faible, je l'avoue, au risque de paraître décidément peu élégant: j'aime les démonstrations complètes. On me permettra donc, pour achever celle que j'ai entreprise, de faire encore une citation. Je l'emprunte aux carnets de M. de Villèle:

Le 6 juin, jour de la Pentecôte, je fus mandé à dix heures du matin chez le roi. Je m'y rendis, et à peine la porte du cabinet était-elle fermée, qu'il me dit: «Villèle, Chateaubriand nous a trahis[426]... Je ne veux pas le voir ici à ma réception d'après la messe. Faites l'ordonnance de son renvoi, qu'on le cherche partout et qu'on la lui remette à temps. Je ne veux pas le voir à ma réception.» Je représentai au roi la brièveté du temps. Il me fit dresser l'ordonnance sur son propre bureau, ce qu'il n'aurait jamais fait dans une autre occasion. Il la signa, j'allai l'expédier. On ne trouva plus M. de Chateaubriand chez lui. Il était déjà dans les appartements de S. A. R. Monsieur, attendant la sortie du prince pour lui présenter ses hommages. Ce fut là seulement qu'on put lui remettre l'ordre du roi qui le révoquait de ses fonctions[427].[Lien vers la Table des Matières]

VIII
LA MORT DU DUC MATHIEU DE MONTMORENCY[428]

Le 24 mars 1826, jour du Vendredi-Saint, malgré les fatigues d'un grave étourdissement qui l'avait frappé dans la rue du Bac, la semaine précédente, le duc Mathieu de Montmorency voulut aller prier au tombeau dressé dans sa paroisse. Il vint à Saint-Thomas d'Aquin, dans l'après-midi; mais à peine s'était-il agenouillé pour adorer la croix, qu'il perdit connaissance: il chancela, on accourut près de lui, il n'était plus.

Voulant s'associer à la douleur de Mme Récamier, qui perdait en M. Mathieu de Montmorency le plus ancien et le plus fidèle de ses amis, Chateaubriand composa pour elle une pièce que Madame Lenormant nous a conservée. «Le titre, dit Mme Lenormant (tome II, page 210), est au pluriel dans l'original, ce qui laisse supposer le projet d'autres compositions analogues; mais nous croyons être sûre que cette pièce est la seule de ce genre que M. de Chateaubriand ait écrite.»

PRIÈRES CHRÉTIENNES
POUR QUELQUES AFFLICTIONS DE LA VIE.

Pour la perte d'une personne qui nous était chère.

J'ai senti que mon âme s'ennuyait de la vie, parce qu'il s'y est formé un grand vide, et que la créature qui remplissait mes jours a passé.

Mon Dieu! pourquoi m'avez-vous enlevé celui ou celle qui m'était chère?

Heureux celui qui n'est jamais né, car il n'a pas connu les brisements du cœur et les défaillances de l'âme. Que vous ai-je fait, ô Seigneur, pour me traiter ainsi? Notre amitié, nos entretiens, l'échange mutuel de nos cœurs, n'étaient-ils pas pleins d'innocence? Et pourquoi appesantir ainsi votre main puissante sur un vermisseau? Ô mon Dieu! pardonnez à ma douleur insensée! Je sens que je me plains injustement de votre rigueur. Ne vous avais-je pas oublié pendant le cours de cette amitié trompeuse; ne portais-je pas à la créature un amour qui n'est dû qu'au créateur? Votre colère s'est animée en me voyant épris d'une poussière périssable; vous avez vu que j'avais embarqué mon cœur sur les flots, que les flots, en s'écoulant, le déposeraient au fond de l'abîme.

Être éternel, objet qui ne finit point et devant qui tout s'écroule, seule réalité permanente et stable, vous seul méritez qu'on s'attache à vous; vous seul comblez les insatiables désirs de l'homme que vous portez dans vos mains. En vous aimant, plus d'inquiétudes, plus de crainte de perdre ce qu'on a choisi. Cet amour réunit l'ardeur, la force, la douceur et une espérance infinie. En vous contemplant, ô beauté divine! on sent avec transport que la mort n'étendra jamais ses horribles ombres sur vos traits divins.

Mais, ô miracle de bonté! je retrouverai dans votre sein l'ami vertueux que j'ai perdu! Je l'aimerai de nouveau par vous et en vous, et mon âme entière, en se donnant, se retrouvera unie à celle de mon ami. Notre attachement divin partagera alors votre éternité.[Lien vers la Table des Matières]

IX
CHATEAUBRIAND ET LE MINISTÈRE MARTIGNAC[429]

La lutte très vive à laquelle avait donné lieu, au début de la session de 1828, la vérification des pouvoirs, l'élection de M. Royer-Collard à la présidence de la Chambre, la nomination de la commission chargée de la rédaction de l'adresse au roi, commission dont la majorité était hostile au précédent ministère, avaient créé pour Mgr de Frayssinous et M. de Chabrol, qui avaient fait partie du ministère Villèle, une situation difficile au sein du nouveau cabinet comme devant les Chambres. Hommes de tact et d'honneur, ils ne voulurent pas devenir un embarras et, le 3 mars 1828, ils offrirent leur démission, qui fut acceptée.

On était à la veille de la discussion de l'adresse. Comprenant qu'au premier jour la majorité ne serait plus avec eux, les ministres supputèrent les voix dont ils pouvaient disposer et présentèrent au roi le résultat de leur calcul. Charles X en fut effrayé, et il fut décidé qu'une démarche serait faite près de Chateaubriand pour lui demander de donner son appui au cabinet, en acceptant le ministère de la marine, laissé vacant par la retraite de M. de Chabrol. Mgr Feutrier, évêque de Beauvais, devait remplacer Mgr de Frayssinous. Mais je dois ici laisser la parole à un témoin particulièrement bien informé. M. Hyde de Neuville:

Quoique la marine, dit-il, ne fût certes point un poste secondaire, néanmoins j'envisageai qu'il ne pouvait convenir à M. de Chateaubriand qu'en y ajoutant la présidence du Conseil. Par suite, je ne voulus pas me mêler aux différentes démarches tentées près de lui, persuadé qu'une secrète irritation que j'avais cru remarquer ne disparaîtrait qu'en face d'une proposition catégorique qui lui prouverait que son admission avait été pleinement consentie par le roi. Mais un mot ambigu, comme tout ce qu'écrivait Laborie avec son écriture illisible, me donna l'espoir que mon idée avait cours parmi les projets mis en avant. Je crus à un succès presque certain, et je me rendis chez Chateaubriand pour vaincre, s'il le fallait, une dernière résistance.

La soirée était avancée, et je le trouvai retiré dans son appartement. On m'annonça; il vint à moi avec cet œil brillant et ce front dégagé des nuages qui le couvraient depuis quelque temps.

—Eh bien, me dit-il, la marine, est-ce fait?

—Je vous le demande, répondis-je, ce serait le plus cher de mes vœux.

Cette réponse, qui mit entre nous un moment de silence, fut rompue par de bonnes et chaleureuses paroles de mon interlocuteur.

Quel ne fut pas mon étonnement lorsqu'il me dit qu'il avait refusé positivement le poste qui lui avait été offert et m'avait désigné pour le remplir! «Chose acceptée et qui vous sera communiquée demain», ajouta-t-il.

«Réfléchissez, je vous en conjure, lui dis-je, que mon entrée au ministère ne le consolidera en aucune façon. Nous perdons en ce moment la seule chance possible de sauver le ministère et peut-être la couronne. Vous savez bien d'ailleurs que ce ne sont pas ceux qui montent à l'assaut qui plantent le drapeau au jour de la victoire. Laissons un nom comme le vôtre lui donner le baptême de la popularité.»

Rien ne put persuader mon illustre ami, et je rentrai chez moi fort troublé, n'ayant jamais songé à être appelé à ce périlleux devoir, dont les dangers dépassent les honneurs, quand on les envisage au point de vue de la responsabilité.[430]

Hyde de Neuville dut céder, et, le 5 mars, il prêtait serment entre les mains du roi,[431] avec Monseigneur Feutrier, nommé ministre des cultes.

En désignant M. Hyde de Neuville pour faire partie du ministère, Chateaubriand n'entendait pas très certainement renoncer lui-même à y entrer. Il croyait, comme son ami, que la popularité de son nom pourrait seule sauver la couronne et son ambition se confondait ici avec les véritables intérêts du pays. Le 15 mars, il adressait à M. Hyde de Neuville la lettre suivante:

Samedi, 15 mars 1828.

Il paraît, mon cher ami, que vous allez parler de mon entrée au Conseil sans portefeuille (ministre secrétaire d'État, membre du conseil de vos ministres). Si l'on fait quelque chose pour moi, l'entrée au Conseil est une réparation qui m'est due, sans quoi on aurait l'air de sanctionner la manière brutale dont j'en ai été écarté; vous surtout, mon ami, étant là et n'ayant pas même pu prendre mon parti et plaider ma cause.

Une fois ministre secrétaire d'État, on fera de moi ce que l'on voudra pour le meilleur service du Roi; mais il n'est pas question de cela dans ce moment. Le premier pas, si on veut le faire, est mon entrée immédiate auprès de vous au Conseil. On me trouvera bon coucheur, je ne prends pas de place et ne me mêle que de mon affaire.

Je dis entrée immédiate, voici pourquoi: ma position n'est plus tenable; je suis, d'une part, regardé comme étant déjà ministre et obligé de répondre que je ne le suis pas, ce qui devient ridicule au dernier point; d'une autre part, tout le parti immense qui s'appuie sur moi, gronde, me reproche mes politesses, prétend qu'on se moque de moi et me pousse violemment à l'opposition.

J'épuise mes forces dans ce double combat; il faut que je prenne bientôt une résolution; vous connaissez les exigences des partis, on ne tergiverse pas longtemps avec eux.

Voilà, mon cher ami, les raisons à exposer; que vos collègues disent oui ou non. Me veulent-ils ou ne me veulent ils pas? S'ils me veulent, obtenez que l'ordonnance paraisse sans se faire attendre, pour décider ma douteuse position et me faire sortir de la race amphibie pour laquelle la nature ne m'a pas fait du tout. Je remets le tout entre vos mains.

Faites-moi dire des nouvelles de Madame de Neuville: elle est aussi bien que possible, m'assure-t-on; si ma pauvre femme n'était presque toujours dans son lit, elle irait savoir des nouvelles de la vôtre.

Chateaubriand.

Cette lettre, dans laquelle perçait un mécontentement visible, émut fort M. Hyde de Neuville qui, dès le lendemain, recevait de son illustre ami une nouvelle missive.

Dimanche, midi, 16 mars 1828.

Je viens de demander l'audience, mon cher ami. Dieu sait ce qu'elle produira, mais j'ai fait quelques réflexions que je dois vous communiquer. Si j'entre, il faut que j'entre seul; c'est alors une distinction particulière; avec deux collègues sans portefeuille, je m'amoindris: c'est un plan, un système; ce que je peux valoir disparaît; ce n'est pas moi qu'on a appelé, c'est trois personnes. Ces personnes très honorables qu'on pourrait m'adjoindre viendront ensuite; je dois commencer. Tenons-nous-en là.

Mais pour dire la vérité, mon cher ami, je crains que ce ne soit là que des demi-partis toujours funestes en dernier résultat. Faites recréer la maison du Roi en conservant même La Bouillerie, comme M. de Pradel était auprès de M. de Blacas. Prenez vite Casimir Perier, donnez les postes à Delalot avec entrée au Conseil; les forêts à Bertin de Vaux; et, si vous pouviez, Sébastiani à la guerre, tout serait dit et le triomphe assuré. Songez-y sérieusement; un effort, j'en suis persuadé, réussirait. Si vous attendez, la majorité vous échappera, et vous serez tous enveloppés dans une même catastrophe.

Mon cher ami, je vous aime trop pour vous flatter. J'ai contribué à vous mettre où vous êtes; je serais au désespoir de vous y voir périr. Prenez garde au sommeil des ministres, à la faiblesse de vos appuis, à la fascination du pouvoir; j'y ai été pris. Retirez-vous mille fois plutôt que de vous exposer à une chute. Si vous parlez ferme et clair, on vous donnera qui vous voudrez: l'avenir est entre vos mains. Mais les Chambres, les journaux, l'opinion générale pressent les événements; ne croyez pas que vous ayez du temps devant vous. Je vous en avertis de bonne heure, pour ne pas vous parler trop tard.

À vous pour la vie,

Chateaubriand.

Chateaubriand, ministre secrétaire d'État, membre du conseil des ministres, Casimir Perier à l'intérieur, Sébastiani à la guerre—c'était le salut. Il était permis de l'espérer, puisqu'aussi bien Charles X ne se refusait pas à l'idée d'introduire dans le gouvernement quelques hommes comme M. Casimir Perier. La combinaison cependant n'aboutit pas, et, le 22 mars, Chateaubriand adressait à Hyde de Neuville cette dernière lettre:

Samedi matin, 22 mars 1828.

Réflexions faites, mon cher ami, il vaut mieux que je n'aille pas chez vous ce soir: on parle toujours mal de soi, et moi plus qu'un autre. D'ailleurs, qu'ai-je à dire que vous ne connaissiez? J'avais déjà peu d'ardeur pour entrer dans le Conseil, et, depuis l'audience d'hier, elle est encore singulièrement refroidie. Néanmoins, à cause de vous et pour vous seul, j'entrerai sans portefeuille, si vos collègues le veulent et montent à l'assaut.

Voilà tout, vous savez cela et vous le direz à merveille. Souvenez-vous bien seulement qu'après lundi, je ne suis plus maître de retenir personne, et la guerre continuera malgré moi.

Je serais, je vous assure, mon cher ami, très effrayé pour vous si je ne savais que vous avez toujours pour vous sauver, quand il en sera temps, le moyen d'une retraite qui ne fera qu'augmenter votre réputation d'homme de bien et de courage. Comme le ministère est constitué, il n'ira pas à la fin de la session; vous ne devez pas tomber avec lui. Votre démission isolée, ou vous rendra maître de tout, ou vous sauvera du naufrage commun. Qu'arrivera-t-il après la chute du ministère actuel? Un ministère de mes ci-devant amis mêlés des amis de M. de Villèle.

Je le crois, ce ministère amènera un mouvement politique; mais rien que la peur, si elle s'en mêle, ne me parait pouvoir empêcher cet événement, d'après ce que j'ai vu hier.

Ainsi donc, quand vous aurez fait tout ce que vous aurez pu pour éclairer le Roi, pour amener le bien, vous déclarerez n'avoir accepté le portefeuille avec une grande répugnance que dans l'espoir d'arranger les choses et pour ne pas laisser le Roi dans l'embarras, sans appui et sans conseil; que votre espoir ayant été trompé, vous vous retirez satisfait d'avoir rempli un devoir pénible.

Votre position politique reste ainsi admirable, et vous grandissez encore dans l'opinion publique.

Vous voyez, mon cher ami, que je suis beaucoup plus occupé de vous que de moi.

Tout à vous,

Chateaubriand.[432]

TABLE DES MATIÈRES

TROISIÈME PARTIE

LIVRE V

Les Cent-Jours à Paris. Effet du passage de la légitimité en France. — Étonnement de Bonaparte. — Il est obligé de capituler avec les idées qu'il avait crues étouffées. — Son nouveau système. — Trois énormes joueurs restés. — Chimères des libéraux. — Clubs et fédérés. — Escamotage de la République: l'Acte additionnel. — Chambre des représentants convoquée. — Inutile Champ de Mai. — Soucis et amertumes de Bonaparte. — Résolution à Vienne. — Mouvement à Paris. — Ce que nous faisions à Gand. — M. de Blacas. — Bataille de Waterloo. — Confusion à Gand. — Quelle fut la bataille de Waterloo. — Retour de l'Empereur. — Réapparition de La Fayette. — Nouvelle abdication de Bonaparte. — Scènes orageuses à la Chambre des Pairs. — Présages menaçants pour la seconde Restauration. — Départ de Gand. — Arrivée à Mons. — Je manque ma première occasion de fortune dans ma carrière politique. — M. de Talleyrand à Mons. Scène avec le roi. — Je m'intéresse bêtement à M. de Talleyrand. — De Mons à Gonesse. — Je m'oppose avec M. le comte Beugnot à la nomination de Fouché comme ministre: mes raisons. — Le duc de Wellington l'emporte. — Arnouville. — Saint-Denis. — Dernière conversation avec le roi. 1

LIVRE VI

Bonaparte à la Malmaison. — Abandon général. — Départ de la Malmaison. — Rambouillet. — Rochefort. — Bonaparte se réfugie sur la flotte anglaise. — Il écrit au prince régent. — Bonaparte sur le Belléphoron. — Torbay. — Acte qui confine Bonaparte à Sainte-Hélène. — Il passe sur le Northumberland et fait voile. — Jugement sur Bonaparte. — Caractère de Bonaparte. — Si Bonaparte nous a laissé en renommée ce qu'il nous a ôté en force. — Inutilité des vérités ci-dessus exposées. — Île de Sainte-Hélène. — Bonaparte traverse l'Atlantique. — Napoléon prend terre à Sainte-Hélène. — Son établissement à Longwood. — Précautions. — Vie à Longwood. — Visites. — Manzoni. — Maladie de Bonaparte. — Ossian. — Rêveries de Napoléon à la vue de la mer. — Projets d'enlèvement. — Dernière occupation de Bonaparte. — Il se couche et ne se relève plus. — Il dicte son testament. — Sentiments religieux de Napoléon. — L'aumônier Vignale. — Napoléon apostrophe Antomarchi, son médecin. — Il reçoit les derniers sacrements. — Il expire. — Funérailles. — Destruction du monde napoléonien. — Mes derniers rapports avec Bonaparte. — Sainte-Hélène depuis la mort de Napoléon. — Exhumation de Bonaparte. — Ma visite à Cannes. 61

LIVRE VII

Changement du monde. — Années de ma vie 1815, 1816. — Je suis nommé pair de France. — Mon début à la tribune. — Divers discours. — Monarchie selon la Charte. — Louis XVIII. — M. Decazes. — Je suis rayé de la liste des ministres d'État. — Je vends mes livres et ma Vallée. — Suite de mes discours en 1817 et 1818. — Réunion Piet. — Le Conservateur. — De la morale des intérêts matériels et de celle des devoirs. — Année de ma vie 1820. — Mort du duc de Berry. — Naissance du duc de Bordeaux. — Les dames de la halle de Bordeaux. — Je fais entrer M. de Villèle et M. de Corbière dans leur premier ministère. — Ma lettre au duc de Richelieu. — Billet du duc de Richelieu et ma réponse. — Billets de M. de Polignac. — Lettres de M. de Montmorency et de M. Pasquier. — Je suis nommé ambassadeur à Berlin. — Je pars pour cette ambassade. 127

LIVRE VIII

Année de ma vie 1821. — Ambassade de Berlin. — Arrivée à Berlin. — M. Ancillon. — Famille royale. — Fêtes pour le mariage du grand-duc Nicolas. — Société de Berlin. — Le comte de Humboldt. — M. de Chamisso. — Ministres et ambassadeurs. — La princesse Guillaume. — L'Opéra. — Réunion musicale. — Mes premières dépêches. — M. de Bonnay. — Le Parc. — La duchesse de Cumberland. — Mémoire commencé sur l'Allemagne. — Charlottenbourg. — Intervalle entre l'ambassade de Berlin et l'ambassade de Londres. — Baptême de M. le duc de Bordeaux. — Lettre à M. Pasquier. — Lettre de M. de Bernstorff. — Lettre de M. Ancillon. — Dernière lettre de Madame La duchesse de Cumberland. — M. de Villèle, ministre des finances. — Je suis nommé à l'ambassade de Londres. 179

LIVRE IX

Année 1822. — Premières dépêches de Londres. — Conversation avec George IV sur M. Decazes. — Noblesse de notre diplomatie sous la légitimité. — Séance du Parlement. — Société anglaise. — Suite des dépêches. — Reprise des travaux parlementaires. — Bal pour les Irlandais. — Duel du duc de Bedford et du duc de Buckingham. — Dîner à Royal-Lodge. — La marquise de Conyngham et son secret. — Portraits des ministres. — Suite de mes dépêches. — Pourparlers sur le Congrès de Vérone. — Lettre à M. de Montmorency; sa réponse qui me laisse entrevoir un refus. — Lettre de M. de Villèle plus favorable. — J'écris à Madame de Duras. — Mort de Lord Londonderry. — Nouvelle lettre de M. de Montmorency. — Voyage à Hartwell. — Billet de M. de Villèle m'annonçant ma nomination au Congrès. — Fin de la vieille Angleterre. — Charlotte. — Réflexions. — Je quitte Londres. — Années 1824, 1825, 1826 et 1827. — Délivrance du roi d'Espagne. — Ma destitution. — L'opposition me suit. — Derniers billets diplomatiques. — Neuchâtel en Suisse. — Mort de Louis XVIII. — Sacre de Charles X. — Réception des chevaliers des ordres. 233

LIVRE X

Je réunis autour de moi mes anciens adversaires. — Mon public est changé. — Extrait de ma polémique après ma chute. — Séjour à Lausanne. — Retour à Paris. — Les Jésuites. — Lettre de M. de Montlosier et ma réponse. — Suite de ma polémique. — Lettre du général Sébastiani. — Mort du général Foy. — La loi de Justice et d'Amour. — Lettre de M. Étienne. — Lettre de M. Benjamin Constant. — J'atteins au plus haut point de mon importance politique. — Article sur la fête du roi. — Retrait de la loi sur la police de la presse. — Paris illuminé. — Billet de M. Michaud. — Irritation de M. de Villèle. — Charles X veut passer la revue de la garde nationale au Champ de Mars. — Je lui écris: ma lettre. — La revue. — Licenciement de la garde nationale. — La Chambre élective est dissoute. — La nouvelle Chambre. — Refus de concours. — Chute du ministère Villèle. — Je contribue à former le nouveau ministère et j'accepte l'ambassade de Rome. — Examen d'un reproche. 313

LIVRE XI

Madame Récamier. — Enfance de Madame Récamier. — Suite du récit de Benjamin Constant: Madame de Staël. — Voyage de Madame Récamier en Angleterre. — Premier voyage de Madame de Staël en Allemagne. — Madame Récamier à Paris. — Projets des généraux. — Portrait de Bernadotte. — Procès de Moreau. — Lettres de Moreau et de Masséna à Madame Récamier. — Mort de M. Necker. — Retour de Madame de Staël. — Madame Récamier à Coppet. — Le prince Auguste de Prusse. — Second voyage de Madame de Staël en Allemagne. — Château de Chaumont. — Lettre de Madame de Staël à Bonaparte. — Madame Récamier et M. Mathieu de Montmorency sont exilés. — Madame Récamier à Châlons. — Madame Récamier à Lyon. — Madame de Chevreuse. — Prisonniers espagnols. — Madame Récamier à Rome. — Albano. — Canova: ses lettres. — Le pêcheur d'Albano. — Madame Récamier à Naples. — Le duc de Rohan-Chabot. — Le roi Murat: ses lettres. — Madame Récamier revient en France. — Lettre de Madame de Genlis. — Lettres de Benjamin Constant. — Articles de Benjamin Constant au retour de Bonaparte à l'île d'Elbe. — Madame de Krüdener. — Le duc de Wellington. — Je retrouve Madame Récamier. — Mort de Madame de Staël. — L'Abbaye-aux-Bois. 369

APPENDICE

  • La saisie de la Monarchie selon la Charte 477
  • Chateaubriand, Victor Hugo et Joseph de Maistre 482
  • Le Conservateur 489
  • La mort de Fontanes 494
  • Le prétendu traité secret de Vérone 496
  • Le Congrès de Vérone et la guerre d'Espagne 499
  • Le renvoi de Chateaubriand 505
  • La mort du duc Mathieu de Montmorency 508
  • Chateaubriand et le ministère Martignac 510

Paris. (France).—Imp. Paul Dupont (Cl.).—8. 8. 1925

Note 1: Le Journal des Patriotes de 1789, fondé par Réal et Méhée de Latouche, avait paru du 18 août 1795 au 16 août 1796. Il ressuscita pendant les Cent-Jours, du 1er mai au 3 juillet 1815, sous ce titre: Le Patriote de 1789, journal du soir, politique et littéraire. Réal, alors préfet de police, en était l'inspirateur, et Méhée de La Touche le rédacteur principal. Ce Méhée, une des plus rares figures de coquins de la période révolutionnaire et impériale, avait été, en 1792, secrétaire greffier adjoint de la Commune dite du 10 août, et il avait, en cette qualité, joué un rôle dans la préparation des massacres de septembre. Le 17 septembre, la section du Panthéon délibérait sur le genre de gouvernement que l'on devait demander à la Convention; il envoya son vœu dans un billet ainsi conçu: «Si jamais ce que l'on appelait un roi, ou quelque chose qui ressemble à un roi, ose se présenter en France, et qu'il vous faille quelqu'un pour le poignarder, inscrivez-moi au nombre des candidats. Voilà mon nom: Méhée.» Après le 18 brumaire, il rédigea le Journal des Hommes libres, qui lui valut bientôt d'être arrêté en vertu d'un ordre des Consuls qui le qualifiait de septembriseur. Exilé d'abord à Dijon, puis à l'île d'Oléron, il s'évada sans trop de peine, ne fut pas recherché par la police, qui avait ses raisons pour fermer les yeux, et passa en Angleterre. Il se présenta au gouvernement anglais et au comte d'Artois comme l'agent d'un parti puissant qui voulait renverser Bonaparte. De retour en France, il publia un Mémoire qui dévoilait ses nouvelles infamies. Cette affaire lui valut beaucoup d'argent anglais et français, et il se fixa à Paris, où il étala une sorte de faste, jusqu'au jour où il retomba dans sa détresse ordinaire. Au mois de juillet 1815, il lui fallut quitter la France et se réfugier en Suisse. Après avoir habité successivement l'Allemagne et la Belgique, il put rentrer en 1819, publia quelques brochures discréditées d'avance par son nom et mourut dans la misère en 1826, à l'âge de soixante-six ans.[Retour au Texte Principal]

Note 2: Jean-Charles-Léonard Simonde de Sismondi, né à Genève le 9 mai 1773, mort dans la même ville le 25 juin 1842. Ses principaux ouvrages sont: l'Histoire des républiques italiennes, seize volumes in-8o (1807-1818), et l'Histoire des Français, vingt neuf volumes in-8o (1821-1842). C'est en 1813 qu'il vint pour la première fois à Paris. Pendant les Cent-Jours, il donna au Moniteur une série d'articles en faveur de l'Acte additionnel, et les réunit en un volume sous le titre d'Examen de la Constitution française. Ils attirèrent l'attention de l'Empereur, qui manda Sismondi et s'entretint longuement avec lui.[Retour au Texte Principal]

Note 3: Lucien Bonaparte.[Retour au Texte Principal]

Note 4: Philippe-Antoine, comte Merlin, dit Merlin de Douai (1754-1838), député à la Constituante, à la Convention, au Conseil des Anciens, et à la Chambre des représentants en 1815; ministre de la Justice en 1795, puis ministre de la police générale; membre du Directoire après le 18 fructidor; sous l'Empire, procureur général à la Cour de cassation, conseiller d'État, comte, grand-officier de la Légion d'honneur. Destitué de ses fonctions en 1814, bien qu'il eût des premiers adhéré à Louis XVIII, il fut, après le 20 mars, rappelé par l'Empereur à la Cour de cassation, avec le titre de ministre d'État. Le 24 juillet 1815, il fut exilé comme régicide ayant rempli des fonctions pendant les Cent-Jours. Il se retira en Hollande et y vécut jusqu'à la révolution de 1830, qui lui permit de rentrer en France. Il mourut à Paris, âgé de quatre-vingt-quatre ans. Jurisconsulte de premier ordre, il eut l'infamie de rédiger la loi des suspects. Si très peu d'hommes, pendant la Révolution, ont eu plus de talent que Merlin de Douai, sa lâcheté fut plus grande encore que son talent.[Retour au Texte Principal]

Note 5: L'Acte additionnel fut publié dans le Moniteur du 23 avril 1815. Le même jour paraissait un décret portant que les Français étaient appelés à consigner leur vote sur des registres ouverts dans toutes les communes, et que le dépouillement aurait lieu à l'assemblée du Champ de Mai convoquée à Paris pour le 26 mai.[Retour au Texte Principal]

Note 6: La surprise et le mécontentement furent universels. Un témoin peu suspect, Thibaudeau, a dit: «L'effet fut prompt comme la foudre; à l'enthousiasme des patriotes succéda incontinent un froid glacial; ils tombèrent dans le découragement, ne prévirent que malheurs et s'y résignèrent.» (Le Consulat et l'Empire, t. X, p. 325-326).—Un Anglais, présent alors à Paris, et qui, en sa qualité d'étranger, était un spectateur impartial du mouvement des idées et des faits, M. Hobbouse, d'ailleurs favorable à Napoléon, rend le même témoignage: «Je ne me rappelle pas, dit-il, avoir vu dans l'opinion un changement pareil à celui qui eut lieu à Paris, lorsque parut l'Acte additionnel.» (Lettres sur les Cent-Jours.) Les bonapartistes eux-mêmes étaient loin d'être satisfaits. «Les napoléonistes autoritaires, dit M. Henry Houssaye (1815, tome I, p. 546), déplorèrent ces concessions libérales. Ils dirent que l'empereur en transigeant avec l'anarchie faiblissait et s'affaiblissait, ils le regardèrent comme perdu.»—Voir Alfred Nettement, Histoire de la Restauration, tome II, p. 282; Benjamin Constant, Mémoires sur les Cent-Jours, tome II, 70-71; Mémoires de La Fayette, tome V, 420; Villemain, Souvenirs contemporains, tome II, 182-183.[Retour au Texte Principal]

Note 7: Aux termes du décret du 22 avril, la cérémonie du Champ de Mai avait été fixée au 26 mai, mais il fallut la remettre au 1er juin, des retards s'étant produits dans l'envoi des registres électoraux et les délégués tardant à arriver.[Retour au Texte Principal]

Note 8: La fête fut magnifique, mais ce fut une fête de théâtre. On avait dressé à la hâte, au Champ de Mars, une estrade, un trône, un autel. Les acteurs ne manquaient pas, et le plus grand de tous était là, revêtu d'un costume, qui était aussi un costume de théâtre: une tunique et un manteau nacarat, des culottes de satin blanc, des souliers à bouffettes, une toque de velours noir orné de plumes blanches. Ses frères étaient entièrement vêtus de velours blanc, avec petits manteaux à l'espagnole, brodés d'abeilles d'or, et toque tailladée. Ses hérauts d'armes, ses chambellans, ses pages, étaient habillés comme des personnages d'opéra-comique. Ce Champ de Mai qui, dans la pensée de Napoléon, devait évoquer les souvenirs de Charlemagne, réveillait dans l'esprit des spectateurs les souvenirs de Jean de Paris, le héros d'un opéra de Boiëldieu alors très en vogue.[Retour au Texte Principal]

Note 9: En débarquant à Cannes, Murat s'était mis à la disposition de l'Empereur. Celui-ci, craignant la contagion du malheur, ne répondit pas au roi détrôné et lui fit interdire par Fouché l'accès de Paris.[Retour au Texte Principal]

Note 10: Adresse de la Chambre des Pairs du dimanche 11 juin.—Moniteur du 12 juin.[Retour au Texte Principal]

Note 11: Voyez plus haut celle du maréchal Soult. Ch.[Retour au Texte Principal]

Note 12: Allusion au maréchal Soult.[Retour au Texte Principal]

Note 13: La mission de porter l'épée du connétable, au sacre de Charles X, fut confiée au maréchal Moncey. Les maréchaux Soult, Mortier et Jourdan furent appelés à porter le sceptre, la main de justice et la couronne.[Retour au Texte Principal]

Note 14: Dans la nuit du 6 au 7 mars. La nouvelle avait été envoyée par le consul général d'Autriche à Gênes.[Retour au Texte Principal]

Note 15: Charles-Alexandre, comte Pozzo di Borgo, né à Alata, (Corse) le 8 mars 1764. Député de la Corse à l'Assemblée législative de 1791, il se rangea parmi les monarchistes constitutionnels et se tint jusqu'au 10 août en relations fréquentes avec le roi. En 1796, obligé de quitter la Corse, il se rendit en Angleterre, puis à Vienne, et se mit enfin au service de la Russie. À la fois militaire et diplomate, il paie de sa personne sur les champs de bataille, et il déploie, comme négociateur, dans les missions les plus difficiles, les plus rares qualités de pénétration et de souplesse. Pozzo fut le plus redoutable ennemi de Bonaparte et nul n'a plus contribué à sa chute. C'est lui qui détermina l'empereur Alexandre à marcher sur Paris sans s'inquiéter des mouvements que faisait Napoléon sur ses derrières. La fameuse proclamation du prince de Schwarzenberg, qui la première parla des Bourbons, fut de même l'œuvre du comte Pozzo; le prince de Schwarzenberg ne l'avait pas signée, et ce fut Alexandre qui, dans une entrevue au quartier général de Bondy, lui dit: «Mon cher prince, vous avez fait là une belle proclamation, elle est parfaite; signez-la, elle vous fera honneur.» Et Schwarzenberg, un peu par amour-propre, un peu par déférence, la scella de son nom. Napoléon renversé, Pozzo fut nommé ambassadeur de Russie auprès de la cour de France. Il suivit Louis XVIII à Gand et resta ambassadeur à Paris jusqu'en 1835. À cette époque, il échangea ce poste contre celui d'ambassadeur à Londres, où il représenta l'empereur Nicolas jusqu'en 1839. Il demanda alors sa retraite, et vint passer les dernières années de sa vie à Paris, où il mourut le 15 février 1842. La mère de MM. Louis et Charles Blanc appartenait à la famille de Pozzo di Borgo.[Retour au Texte Principal]

Note 16: Le baron de Vincent, ambassadeur d'Autriche près la cour de France. Ce n'était pas précisément un ambassadeur à la façon de Chateaubriand. Je trouve sur lui ce petit détail dans l'Histoire de la Restauration, par M. Louis de Viel-Castel, t. XVI, p. 256: «Le baron de Vincent était célibataire et ne tenait pas une grande maison... On raconte que les jours où il donnait à dîner, il se tenait sans affectation près de la porte de son salon, ce qui dispensait d'annoncer et de nommer les convives.»[Retour au Texte Principal]

Note 17: Ferdinand, baron d'Eckstein, né à Altona (Danemark) en septembre 1790, de parents israélites. Il embrassa le catholicisme à Rome en 1806, se battit dans les rangs des volontaires de Lutzow pendant la campagne de 1813, et, à la chute de l'Empire, entra au service de la Hollande. Gouverneur de Gand à l'époque des Cent-Jours, les égards qu'il eut pour le roi Louis XVIII lui valurent la faveur de ce prince. Il le suivit en France, devint successivement commissaire général à Marseille et inspecteur général du ministère de la police, reçut le titre de baron et fut enfin attaché, en qualité d'historiographe, au ministère des affaires étrangères. Non content d'écrire dans les journaux ultra-royalistes, le Drapeau blanc et la Quotidienne, il fonda en 1826 une revue politique et religieuse, Le Catholique. Orientaliste distingué, polémiste ardent et convaincu, il fut l'un des premiers rédacteurs du Correspondant, collabora après 1830 à l'Avenir et à la Revue archéologique et ne cessa, pendant plus de trente ans, de multiplier ses écrits en faveur de la religion. Le baron d'Eckstein est mort à Paris le 25 novembre 1861.[Retour au Texte Principal]

Note 18: Guillaume-Frédéric, duc de Brunswick, fils de celui qui avait commandé en 1792 les armées coalisées contre la France, et qui avait été, en 1806, mortellement blessé près d'Auerstædt.[Retour au Texte Principal]

Note 19: Bulow (Frédéric-Guillaume de), comte de Dennewitz, né en 1765, l'un des meilleurs généraux prussiens. En 1813, il avait battu le maréchal Oudinot à Gross-Beeren et le maréchal Ney à Dennewitz, et avait contribué à la victoire de Leipsick. Il joua un rôle très important à Waterloo, où sa marche sur le flanc droit de l'armée française décida du sort de la journée. Il avait depuis 1814, le titre de commandant général de l'infanterie prussienne et le gouvernement de la Prusse orientale. Après la campagne de 1815, il retourna au chef-lieu de son gouvernement à Kœnigsberg, où il mourut en 1816.[Retour au Texte Principal]

Note 20: Guillaume-Frédéric (1772-1843), fils de Guillaume V, le dernier stathouder de Hollande, et qui allait lui-même devenir roi des Pays-Bas, sous le nom de Guillaume Ier. Il commandait à Waterloo un des corps de l'armée de Wellington. Son fils, Guillaume-Georges-Frédéric (1792-1848), qui sera plus tard roi de Hollande sous le nom de Guillaume II, assistait également à la bataille comme aide de camp du généralissime anglais, et il fut blessé comme son père.[Retour au Texte Principal]

Note 21: Voir, au tome III, la note 2 de la page 205.[Retour au Texte Principal]

Note 22: M. Thiers, dans son vingtième volume, publié en 1862, aura été le dernier défenseur de la phrase légendaire. «À ce moment, dit-il, on entend ce mot qui traversera les siècles, proféré selon les uns par le général Cambronne, selon les autres par le colonel Michel: La garde meurt et ne se rend pas.» En dépit de M. Thiers, nul ne croit plus à la réalité de la fameuse phrase, que le général Cambronne a d'ailleurs toujours désavouée, notamment en 1835, dans un banquet patriotique, qu'il présidait à Nantes. (Voir Levot, Biographie bretonne, au mot Cambronne.) Le seul point sur lequel on discute encore est celui de savoir si Cambronne a dit—ou n'a pas dit—le monosyllabe que Victor Hugo a mis dans sa bouche. (Les Misérables, tome III, liv. I, ch. 15, p. 103.)—Le mieux, je crois, est de s'en tenir à ces lignes d'un judicieux historien, M. Alfred Nettement: «Le mot prêté à Cambronne, leur chef: «La garde meurt et ne se rend pas,» n'a point été dit; mais l'action est supérieure aux paroles; ces héroïques soldats, entourés de monceaux de cadavres tombés sous leurs balles et leurs baïonnettes, sont tous mort pour ne pas se rendre.» (Histoire de la Restauration, tome II, p. 567).[Retour au Texte Principal]

Note 23: Henri-Amédée-Mercure, comte de Turenne (1776-1852). Officier au régiment du Roi quand éclata la Révolution, il refusa d'émigrer, et voulut reprendre du service militaire; mais, incarcéré à Lyon comme suspect pendant la Terreur, il ne fut remis en liberté qu'après le 9 thermidor, et servit à l'armée des Pyrénées occidentales. Le décret de 1794 contre les nobles le força de quitter l'armée; il resta dans la vie privée jusqu'à la proclamation de l'Empire, et fut alors un des premiers à se rallier au nouveau pouvoir. Tandis que sa femme devenait dame du palais de l'impératrice Joséphine, lui-même était attaché à la personne de l'Empereur comme officier d'ordonnance. Chambellan de Napoléon après Wagram, premier chambellan et maître de la garde-robe en 1812, colonel pendant la campagne de Russie, il fut créé comte de l'Empire le 11 novembre 1813. Il suivit Napoléon pendant la campagne de France, assista aux adieux de Fontainebleau, mais ne put obtenir l'autorisation d'accompagner l'Empereur à l'île d'Elbe. Louis XVIII le nomma sous-lieutenant aux mousquetaires gris et chevalier de Saint-Louis. Aux Cent-Jours, il reprit son service auprès de Napoléon, fut nommé pair le 2 juin 1815 et assista à la bataille de Ligny et à celle de Waterloo, où il tenta des efforts désespérés contre les gardes anglaises. La seconde Restauration lui supprima ses titres et ses fonctions; mais elle ne lui tint pas rigueur jusqu'au bout. Le 31 octobre 1829, elle le nomma maréchal de camp honoraire. M. de Turenne se rallia à la monarchie de Juillet et devint pair de France le 19 novembre 1831. Frappé de cécité, quelques années plus tard, il termina ses jours dans la retraite.[Retour au Texte Principal]

Note 24: C'est plus rapide encore que Quinte-Curce: Darius tanti modo exercitus rex... fugiebat.[Retour au Texte Principal]

Note 25: Jacques-Antoine Manuel (1775-1827). Il était avocat à Aix, lorsque les électeurs des Cent-Jours l'envoyèrent à la Chambre des représentants. Manuel ne parut à la tribune qu'après Waterloo. Le 23 juin, il fit voter un ordre du jour portant que Napoléon II était devenu empereur des Français. Le 27, il fit prévaloir l'urgence de la discussion de la Constitution et du budget. Le 3 juillet, il présenta un projet d'adresse qui fut trouvé trop vague et qu'il défendit en protestant bien haut qu'il croyait le bonheur de la France incompatible avec le retour des Bourbons; le 5, il demanda, en présence des propositions théoriques de Garat, qu'on mît dans la Constitution plus de «positif» et moins d'«idéologie». Le 7, à la nouvelle que les Alliés s'étaient engagés à replacer Louis XVIII sur le trône, il s'éleva contre un acte qui blessait «notre liberté et nos droits».—Membre de la Chambre des députés de 1818 à 1824, il fit au gouvernement royal une opposition que rendait redoutable son remarquable talent d'improvisateur. Lors de la discussion sur la guerre d'Espagne, le 27 février 1823, il répondit au magnifique discours par lequel Chateaubriand, alors ministre des Affaires étrangères, avait défendu l'expédition. Par deux fois, il prononça des paroles, où ses collègues virent une apologie du régicide. Le 2 mars, la Chambre décida qu'il serait exclu des séances pendant toute la durée de la session. Le lendemain, Manuel vint prendre place à son banc. Sur son refus de se retirer, et après que le sergent Mercier, commandant le détachement de garde nationale qui faisait le service d'honneur à la Chambre des députés, eut refusé de porter la main sur lui, il fut expulsé par le colonel de Foucault requis, à cet effet, avec un détachement de gendarmerie, par le président, M. Ravez.—Manuel ne fut pas réélu; il passa dans la retraite les dernières années de sa vie et mourut chez son ami M. Laffitte au château de Maisons (Seine-et-Oise) le 22 août 1827. Le 24 août, son corps fut transporté au Père-Lachaise, suivi d'une foule immense; malgré les précautions prises par la police, qui n'avait accordé le passage que par les boulevards extérieurs, ce ne fut qu'à grand'peine qu'on put éviter des troubles sérieux.[Retour au Texte Principal]

Note 26: Le 22 juin 1815.[Retour au Texte Principal]

Note 27: Nicolas-Marie Quinette (1762-1821). Député de l'Aisne à la Législative, puis à la Convention, il vota la mort du roi. Au mois d'avril 1793, il fut, avec les conventionnels Camus, Lamarque et Bancal des Issarts et le ministre de la guerre Beurnonville, envoyé à l'armée de Dumouriez pour faire arrêter ce général. Ce fut ce dernier qui les fit arrêter et les livra au prince de Cobourg. Quinette et ses collègues furent soumis à une assez dure captivité jusqu'au 25 décembre 1795, jour où ils furent échangés, à Bâle, contre la fille de Louis XVI. Sous le Directoire, il fit partie du Conseil des Cinq-Cents et devint ministre de l'Intérieur. Préfet de la Somme après le 18 brumaire, il fut, en 1810, nommé conseiller d'État et fait baron, ce qui ne l'empêcha pas, en 1814, d'adhérer à la chute de Napoléon. Aux Cent-Jours, il se présenta, dès le 26 mars, à l'Empereur, qui lui confia une mission extraordinaire dans l'Eure, la Seine-Inférieure et la Somme, avec le titre de conseiller d'État, et l'appela, le 2 juin 1815, à siéger dans la Chambre des pairs impériale. Atteint par la loi du 12 janvier 1816 contre les régicides qui avaient rempli des fonctions pendant les Cent-Jours, il passa aux États-Unis, où il resta deux ans, revint en 1818 en Europe et se fixa à Bruxelles, où il mourut le 14 juin 1821.[Retour au Texte Principal]

Note 28: Paul, comte Grenier (1768-1827). Général de division dès 1794, il servit avec distinction dans les guerres de la Révolution et de l'Empire. À la première Restauration, il reçut de Louis XVIII le commandement de la 8e division militaire. Élu, en 1815, à la Chambre des représentants, il en fut nommé vice-président. Sous la seconde Restauration, il fut membre de la Chambre des députés de 1818 à 1822. À la fin de la législature, il se retira dans sa terre de Morembert (Aube), où il mourut le 18 avril 1827.[Retour au Texte Principal]

Note 29: Horace-François-Bastien Sébastiani (1772-1851). Il coopéra au 18 brumaire, se distingua à Marengo, fut envoyé comme ambassadeur à Constantinople (1802-1807) et il décida la Turquie à déclarer la guerre à la Russie et à résister aux Anglais. En 1808, Napoléon lui donna un commandement en Espagne, où il remporta d'abord des succès, qui lui valurent d'être créé comte de l'Empire; puis il se laissa souvent surprendre: «En vérité, disait Napoléon, Sébastiani me fait marcher de surprise en surprise.» Il se rallia aux Bourbons en 1814, revint à l'Empereur en 1815 et fut élu représentant à la Chambre des Cent-Jours par l'arrondissement de Vervins. Sous la seconde Restauration, député de 1816 à 1824 et de 1826 à 1830, il siégea sur les bancs de l'opposition. Après la révolution de Juillet, il fut successivement ministre des Affaires étrangères (août 1830-octobre 1832), ambassadeur à Naples (1834) et à Londres (1835-1840). Louis-Philippe lui donna, le 21 octobre 1840, le bâton de maréchal de France. Il passa ses dernières années dans la retraite, accablé par l'assassinat de sa fille, la duchesse de Praslin (17 août 1847). Marié en premières noces (1805) à Mlle de Coigny, qui mourut en couches en 1807, il était, par son second mariage avec Mlle de Gramont, proche parent du prince de Polignac.[Retour au Texte Principal]

Note 30: Louis-Germain Doulcet, comte de Pontécoulant (1764-1853). Député du Calvados à la Convention, il vota, dans le procès du roi, pour le bannissement. Après le 31 mai 1793, il dénonça la Commune de Paris et déclara que la Convention n'était pas libre. Au mois de juillet suivant, choisi comme défenseur par Charlotte Corday, il refusa de l'assister devant le Tribunal révolutionnaire, soit qu'il ait craint pour lui-même, soit qu'il ait eu peur d'aggraver par son intervention la situation de sa compatriote. Charlotte Corday, au moment de monter sur l'échafaud, lui écrivit une lettre qui commençait ainsi: «Doulcet Pontécoulant est un lâche d'avoir refusé de me défendre...» Le 3 octobre 1793, il fut mis hors la loi, mais il échappa aux poursuites en se réfugiant chez une amie, Mme Lejay, libraire, qui avait été publiquement la maîtresse de Mirabeau, et qu'il épousa l'année suivante. Préfet de la Dyle sous le Consulat, il fut nommé sénateur le 1er février 1802 et créé comte le 26 avril 1808. En 1809, il accepta de remplir dans le Calvados une mission de police et il fut le principal agent de l'assassinat du comte d'Aché. (Voir Louis de Frotté et les insurrections normandes, par L. de la Sicotière, t. II, p. 685.) Cela ne l'empêcha pas d'être nommé pair de France par Louis XVIII le 4 juin 1814 et de siéger sans interruption à la Chambre haute de 1814 à 1848. On a de lui des Mémoires publiés en 1862.[Retour au Texte Principal]

Note 31: Voyez les Œuvres de Napoléon, tome 1er, dernières pages. Ch.[Retour au Texte Principal]

Note 32: Auguste-Charles-Joseph, comte de Flahaut de la Billarderie (1785-1870), pair des Cent-Jours, pair de France de 1831 à 1848, sénateur du second Empire, ambassadeur à Londres de 1860 à 1862, grand chancelier de l'ordre de la Légion d'honneur de 1861 à 1870. Général de division en 1813, à vingt-huit ans, il déploya en faveur de Napoléon, après Waterloo, les plus généreux efforts. Il mourut le 1er septembre 1870, le jour du désastre de Sedan, et ne vit pas la chute de la dynastie à laquelle le rattachaient de secrètes et intimes affections. Il était le père du duc de Morny, frère naturel de Napoléon III.—Le père du comte de Flahaut avait péri sur l'échafaud en 1794; sa mère, la comtesse de Flahaut, remariée en 1802 au marquis de Souza-Bothello, a pris rang parmi nos meilleurs romanciers. Quelques-uns de ses romans, Adèle de Sénanges, Charles et Marie, Eugène de Rothelin, sont des œuvres parfaites, du sentiment le plus délicat et du goût le plus pur.[Retour au Texte Principal]

Note 33: Antoine, comte Drouot (1774-1847), général de division d'artillerie, et, au jugement de Napoléon, le premier officier de son arme. Il avait suivi l'Empereur à l'île d'Elbe, s'était opposé autant qu'il avait pu au projet de retour en France; mais, lorsque ce projet avait été décidé, il avait pris le commandement de l'avant-garde. Le 2 juin 1815, il fut nommé pair des Cent-Jours. Il était à Waterloo. Après la défaite, il accourut à la Chambre des pairs, exposa éloquemment la situation, et proposa de continuer la lutte. Investi par le gouvernement provisoire du commandement de la garde impériale, il eut assez d'influence sur elle pour la déterminer à se retirer derrière la Loire et à se laisser désarmer. L'ordonnance du 24 juillet 1815 l'ayant excepté de l'amnistie, il se constitua lui-même prisonnier, comparut devant un conseil de guerre le 6 avril 1816, et fut acquitté. Il vécut, dès lors, dans sa ville natale, à Nancy, exclusivement occupé de questions agricoles, refusant les offres d'emploi, de pensions et d'honneurs qui lui furent faites par Louis XVIII et par le gouvernement de Juillet. Il consentit seulement, le 19 novembre 1831, à être fait pair.—Napoléon l'appelait le Sage. «Drouot, disait-il, est un homme qui vivrait aussi satisfait avec quarante sous par jour qu'avec la dotation d'un souverain.» Par son testament de Sainte-Hélène, il lui légua 100 000 francs, qui furent employés en œuvres de bienfaisance. D'une piété sincère, Drouot n'avait cessé de pratiquer, même au milieu des camps, les devoirs de la religion. C'est peut-être la figure la plus héroïque et la plus pure de l'époque impériale. L'Éloge funèbre du général Drouot a été prononcé par le Père Lacordaire.[Retour au Texte Principal]

Note 34: Charles-Angélique-François Huchet, comte de La Bédoyère (1786-1815). Il avait été fait colonel en 1812, à vingt-six ans. Après l'abdication de Fontainebleau, sa famille avait obtenu pour lui la croix de Saint-Louis et le commandement du 7e de ligne, en garnison à Grenoble. Le 7 mars 1815, Napoléon n'avait encore vu son escorte se grossir que de faibles détachements, lorsqu'un régiment entier se joignit à lui à Vizille: c'était le régiment de La Bédoyère. À partir de ce moment, la partie était gagnée: la trahison du jeune colonel venait d'en assurer le succès. L'Empereur le nomma général de brigade, son aide de camp, et, bientôt, général de division; le 2 juin, il l'appelait à la Chambre des pairs. Après la chute de l'Empire, impliqué dans un complot récemment découvert, La Bédoyère fut pris et arrêté (2 août 1815), traduit devant un conseil de guerre comme prévenu de «trahison, de rébellion et d'embauchage», condamné à la peine de mort à l'unanimité, et fusillé dans la plaine de Grenelle (19 août 1815).[Retour au Texte Principal]

Note 35: Sur M. de Perray et sur cette négociation de Talleyrand, voir, au tome III, la note de la page 528.[Retour au Texte Principal]

Note 36: En 1508, l'empereur Maximilien Ier, le roi de France Louis XII, le roi d'Aragon Ferdinand le Catholique et le pape Jules II formèrent entre eux, contre la République de Venise, une ligue qui est restée célèbre sous le nom de Ligue de Cambrai.[Retour au Texte Principal]

Note 37: «La maîtresse de cette auberge était si royaliste qu'elle voyait des princesses partout; elle me prit pour Mme la duchesse d'Angoulême et me porta presque dans une grande salle, où il y avait une table de vingt couverts au moins. La chambre était tellement éclairée de bougies et de chandelles qu'on perdait la respiration au milieu d'un nuage de fumée, sans compter la chaleur d'un feu qui aurait été à peine supportable au mois de janvier. Lorsque la bonne dame s'aperçut que je n'étais pas Mme la duchesse d'Angoulême, elle fut un peu désappointée; mais enfin nous arrivions de Gand; nous étions donc au moins de bons royalistes: elle nous fit fête en conséquence; et, en partant, nous eûmes une peine infinie à lui faire accepter de l'argent. Dans cette classe, le dévouement est bien plus sans réserve que dans la classe plus élevée. Je me rappelle que cette pauvre femme me disait: «Voyez-vous, madame, je suis royaliste au point que, quelquefois, je me regarde de travers pour n'avoir pas su me faire guillotiner pour nos Bourbons.» (Souvenirs de Mme de Chateaubriand.)[Retour au Texte Principal]

Note 38: «Nous arrivâmes à Senlis le... juillet. Comme de coutume, nous ne pûmes trouver à nous loger; enfin, il fallut, manque d'auberge, nous présenter avec notre billet de logement chez un vieux chanoine qui nous reçut comme des chiens, ou plutôt nous fit recevoir par sa servante; car pour lui, il ne voulut pas nous voir. On nous donna une mauvaise chambre avec deux lits plus mauvais encore, et la vieille bonne eut ordre de ne nous rendre d'autre service que d'aller nous acheter de quoi manger, avec notre argent, bien entendu. Du reste, la pauvre fille était aussi serviable que son maître était inhospitalier; malgré sa défense, elle nous servit de son mieux et nous réconcilia même avec son chanoine, qui vint nous voir le lendemain avant notre départ; il nous demanda gracieusement si nous ne voulions pas prendre quelque chose, et cela avec d'autant plus d'instances qu'il savait que nous avions déjeuné.» (Souvenirs de Mme de Chateaubriand.)[Retour au Texte Principal]

Note 39: Gonesse, à 15 kilomètres. N.E. de Paris. Philippe-Auguste y est né en 1165.[Retour au Texte Principal]

Note 40: Les Mémoires du baron Hyde de Neuville sont ici de tous points d'accord avec ceux de Chateaubriand. Au tome II. p. 115, M. Hyde de Neuville s'exprime ainsi: «Nous partîmes, le maréchal Macdonald et moi pour nous rendre à Gonesse. Macdonald insista pour que nous vissions le prince de Talleyrand avant de nous présenter chez le roi... Ce ne fut pas M. de Talleyrand, mais M. de Chateaubriand que nous rencontrâmes le premier, ainsi qu'il le raconte dans les Mémoires d'Outre-tombe. Par respect pour le maréchal, je le laissai rendre compte du motif de notre voyage. Il assura que les choses étaient arrivées au point que la rentrée du roi à Paris était forcément liée à la nécessité de prendre Fouché pour ministre...»[Retour au Texte Principal]

Note 41: Séance de la Convention du 22 thermidor an III (9 août 1795).—Moniteur du 14 août.[Retour au Texte Principal]

Note 42: Wellington était né à Duncan-Castle, en Irlande.[Retour au Texte Principal]

Note 43: J.-B. Machault d'Arnouville (1701-1794), contrôleur général des finances sous Louis XV. Disgracié en 1754, il avait depuis vécu dans la retraite, dans sa terre d'Arnouville. Enfermé en 1794 aux Madelonnettes comme suspect, il mourut dans cette prison.[Retour au Texte Principal]

Note 44: «À Arnouville, nous fûmes obligés de loger chez le maire, qui, à l'approche de l'armée royale, s'était caché... On manquait de vivres: on ne trouvait plus un pain dans le village; nous et une douzaine d'arrivants de Gand, nous mourions de faim; la servante du maire avait mis à l'ombre toutes ses provisions et ne nous avait réservé que ses injures, dont elle n'était pas avare, quand, par bonheur, arriva un certain M. Dubourg, général de sa façon, qui, nous dit-il, avait pris nombre de villes sur son chemin: c'était le plus grand hâbleur qu'on pût voir, et il nous racontait le plus sérieusement du monde (les croyant lui-même) ses hauts faits d'armes de Gand à Paris: on les aurait trouvés incroyables dans la vie d'Alexandre; mais cette espèce de fou nous rendit un grand service en allant à la quête et nous rapportant d'énormes morceaux de viande, de pain, etc. Je crois qu'il avait fait très militairement emplette de ces provisions; mais, sans scrupules, nous en fîmes un déjeuner excellent.» (Souvenirs de Mme de Chateaubriand.)[Retour au Texte Principal]

Note 45: Nous retrouverons mon ami, le général Dubourg, dans les journées de Juillet. Ch.—Sans attendre les journées de Juillet, nous dirons ici quelques mots du «général» Dubourg, qui devait, en effet, avoir beaucoup d'histoires à raconter, car sa vie fut un vrai roman. Frédéric Dubourg-Butler, né en 1778, était, à l'époque de la Révolution, élève de marine. En 1793, il alla en Vendée faire le coup de feu dans les rangs des royalistes. Blessé et fait prisonnier, il allait être fusillé, lorsqu'il fut sauvé par une femme. Le lendemain, on le trouve dans les rangs des républicains, servant dans l'armée de l'Ouest, alors commandée par Bernadotte. En 1812, il est en Russie, attaché à l'état-major d'une division polonaise. Blessé et fait prisonnier, il ne rentre en France qu'après la chute de l'Empire. En 1815, officier d'état-major du duc de Feltre, ministre de la guerre, il suit le roi à Gand, reçoit, à la rentrée de Louis XVIII, le commandement de l'Artois, mais pour tomber presque aussitôt en disgrâce. Il disparaît pendant quinze ans, et surgit le 29 juillet 1830, à l'Hôtel de Ville, s'improvise «général», du droit de l'émeute et du fait de son uniforme, pris chez un fripier, et de ses épaulettes, tirées du magasin de l'Opéra-Comique. Il joue un instant le rôle de chef de la partie militaire du gouvernement provisoire, puis disparaît de nouveau. On ne le reverra plus que le 24 février 1848. Le nouveau gouvernement provisoire lui accorda une pension de retraite de général de brigade. Cette pension lui fut sans doute fort mal payée, car en 1850 le pauvre diable mit fin au roman de sa vie en avalant une forte dose d'opium.[Retour au Texte Principal]

Note 46: Alexandre-Charles-Emmanuel, bailli de Crussol (1743-1815). Député de la noblesse aux États-Généraux pour la prévôté et vicomté de Paris, il fut un des membres les plus ardents du côté droit. Louis XVIII le nomma pair de France le 4 juin 1814; il mourut le 17 décembre 1815.[Retour au Texte Principal]

Note 47: L'impératrice Joséphine était morte au château de la Malmaison (Seine-et-Oise) le 29 mai 1814.[Retour au Texte Principal]

Note 48: Le 29 juin.[Retour au Texte Principal]

Note 49: Henri-Gratien, comte Bertrand (1773-1844). Napoléon l'avait nommé, à la mort du maréchal Duroc, grand maréchal du palais (18 novembre 1813). Compagnon de l'Empereur à l'île d'Elbe, il prépara activement les Cent-Jours et fut élevé à la pairie le 2 juin 1815. Il suivit Napoléon à Sainte-Hélène et ne le quitta plus. Condamné à mort par contumace, le 7 mai 1816, il fut à son retour, après la mort de Napoléon (1821), réintégré dans tous ses grades par Louis XVIII, dont une ordonnance annula l'arrêt de condamnation de 1816. Il siégea à la Chambre des députés, de 1831 à 1834. En 1840, il accompagna le prince de Joinville à Sainte-Hélène et rapporta en France avec lui les restes de l'Empereur.[Retour au Texte Principal]

Note 50: Nicolas-Léonard Beker (1770-1840). Il avait épousé la sœur du général Desaix. Général de division, comte de l'Empire, grand officier de la Légion d'honneur après Essling, il devint cependant suspect à Napoléon, à cause de l'opinion qu'il n'avait pas craint d'exprimer sur les conséquences de son système de guerre à outrance, et il dut se rendre en disgrâce à Belle-Isle-en-Mer, pour en prendre le commandement. Il y resta jusqu'en 1814. Pendant les Cent-Jours, le département du Puy-de-Dôme l'envoya à la Chambre des représentants. Louis XVIII l'appela à la Chambre des pairs le 5 mars 1819.[Retour au Texte Principal]

Note 51: Le 3 juillet.[Retour au Texte Principal]

Note 52: Charles-Tristan, comte de Montholon (1783-1853). Il était général de brigade à la chute de l'Empire, en 1814. Resté fidèle à la cause bonapartiste, malgré les sollicitations de M. de Sémonville, son beau-père, marié avec sa mère, Mme de Montholon, et celles du maréchal Macdonald, son beau-frère, qui le pressaient de se rallier à la Restauration, il rejoignit Napoléon, revenant de l'île d'Elbe, dans sa marche sur Paris, fut nommé adjudant-général, se battit bravement à Waterloo, et, avec sa femme et ses enfants, accompagna l'empereur à Sainte-Hélène. De retour en France, il dut se réfugier en Belgique, à la suite de spéculations commerciales qui furent malheureuses (1828). En 1840, il prit part à l'échauffourée de Boulogne, fut condamné par la Cour des pairs à vingt ans de détention et enfermé au château de Ham; il en sortit après l'évasion du prince Louis-Napoléon. Les électeurs de la Charente-Inférieure l'envoyèrent en 1849 à l'Assemblée législative. Il a publié avec le général Gourgaud les célèbres Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, écrits à Sainte-Hélène sous sa dictée par les généraux qui ont partagé sa captivité (années 1823 et suivantes). Il a, en outre, fait paraître, en 1847, deux volumes intitulés: Récits de la captivité de l'empereur Napoléon à Sainte-Hélène.[Retour au Texte Principal]

Note 53: Marin-Joseph-Emmanuel-Auguste-Dieudonné, comte de Las Cases (1766-1842). Lieutenant de vaisseau quand éclata la Révolution, il émigra, servit à l'armée des princes et fit partie de l'expédition de Quiberon. Rentré en France après le 18 brumaire, il composa un Atlas historique et géographique, qu'il publia sous le pseudonyme de Le Sage (1803-1804) et qui eut un grand succès. Napoléon le fit baron, puis comte, maître des requêtes au Conseil d'État et chambellan. Pendant les Cent-Jours, l'empereur l'attacha de plus en plus étroitement à sa personne, et Las Cases le suivit de l'Élysée à la Malmaison, à Rochefort, enfin à Sainte-Hélène. Le 27 novembre 1816, le gouverneur Hudson-Lowe l'expulsa de l'île. Ce ne fut qu'après la mort de Napoléon qu'il put rentrer en France, où il publia, avec un immense succès (1822-1823) son Mémorial de Sainte-Hélène, ou Journal où se trouve consigné, jour par jour, ce qu'a dit et fait Napoléon pendant dix-huit mois.[Retour au Texte Principal]

Note 54: Napoléon ne fut point désarmé. Selon M. Thiers (T. XX, p. 573), «au moment de passer du Bellérophon au Northumberland, l'amiral Keith, avec un chagrin visible et du ton le plus respectueux, adressa ces paroles à l'Empereur: Général, l'Angleterre m'ordonne de vous demander votre épée.—À ces mots Napoléon répondit par un regard qui indiquait à quelles extrémités il faudrait descendre pour le désarmer. Lord Keith n'insista point, et Napoléon conserva sa glorieuse épée.» Cette scène est une pure fiction; elle se trouve même contredite par le comte de Las Cases, dans son Mémorial, où il dit: «Je demandai s'il serait bien possible qu'on pût en venir au point d'arracher à l'Empereur son épée. L'amiral répondit qu'on la respecterait, mais que Napoléon serait le seul, et que tout le reste serait désarmé.» Napoléon garda donc son épée, et à leur arrivée à Sainte-Hélène ses compagnons recouvrèrent la leur.[Retour au Texte Principal]

Note 55: Voyez plus haut dans leur ordre chronologique les actions de Bonaparte. Ch.[Retour au Texte Principal]

Note 56: Voyage aux régions équinoxiales. Ch.[Retour au Texte Principal]

Note 57:

Io mi voisi a man dextra e posi mente
All' atro polo, e vidi quattro stelle
Non viste mai fuor ch' alla prima gente.

(Le Purgatoire, chant I, vers 22-24.)[Retour au Texte Principal]

Note 58: Briars (les Églantiers) était le nom du cottage habité par M. Balcombe, négociant de l'île. Napoléon y résida pendant deux mois environ, du 17 octobre au 10 décembre 1815, depuis son arrivée à Sainte-Hélène jusqu'à son installation à Longwood. Voir les Souvenirs de Betzy Balcombe, traduits par M. Aimé Le Gras, 1898.[Retour au Texte Principal]

Note 59: L'aide de camp Muiron.[Retour au Texte Principal]

Note 60: Le commissaire français était M. de Montchenu; le commissaire autrichien, M. de Sturmer; le commissaire russe, M. de Balmain.[Retour au Texte Principal]

Note 61: Basil Hall (1738-1844), marin et voyageur anglais, auteur de plusieurs volumes de Voyages, qui se recommandent par l'exactitude et l'intérêt du récit. Le plus célèbre de ses voyages est celui dont il revenait, lorsqu'il passa à Sainte-Hélène, et dont il a publié le récit, en 1817, sous ce titre: Voyage de découverte sur la côte ouest de Corée et à Lieou-Khieou.[Retour au Texte Principal]

Note 62: Le chiffre exact est cent trente-deux.[Retour au Texte Principal]

Note 63: Jean Rossignol (1759-1802), général en chef des armées de la République dans la guerre de Vendée. Il mourut le 8 floréal an X (28 avril 1802) sur l'îlot insalubre d'Anjouan.[Retour au Texte Principal]

Note 64: Voir la Vie véritable du citoyen Jean Rossignol, publiée sur les écritures originales, avec des notes et des documents inédits, par Victor Barrucand, 1896.[Retour au Texte Principal]

Note 65: Ode d'Alexandre Manzoni sur la mort de Napoléon. Cette Ode, qui a pour titre le Cinq mai (il Cinque maggio) est un des plus beaux morceaux lyriques du XIXe siècle.[Retour au Texte Principal]

Note 66: Le renvoi de Las Cases eut lieu le 27 novembre 1816. L'Histoire de la captivité de Napoléon à Sainte-Hélène, d'après les documents officiels inédits et les manuscrits de sir Hudson Lowe, publiée par William Forsyth, renferme sur cet épisode d'intéressants détails. Dans une lettre particulière au comte Bathurst, datée du 3 décembre 1816, sir Hudson Lowe annonce qu'il a saisi les papiers de M. de Las Cases, et qu'avec l'assentiment de ce dernier, il a pu les parcourir. «Ils remplissaient, dit-il, un coffre et un portefeuille. J'y ai trouvé les brouillons des campagnes de Bonaparte en Italie, dictées par lui-même, avec les notes et documents les concernant; puis, sa correspondance officielle avec sir George Cockburn et avec moi. Je me suis fait une loi de ne rien regarder de la première de ces deux collections plus que ce qui était nécessaire pour m'assurer que c'étaient bien les papiers spécifiés. Elle a été ensuite rapportée au général Bonaparte avec le cachet du comte Las Cases, ainsi que la correspondance officielle. Il reste une collection d'une plus haute importance, qui est réclamée également par Bonaparte et par Las Cases; c'est un journal très volumineux tenu par le comte Las Cases, qui y a inséré tout ce qui est arrivé au général Bonaparte depuis l'époque où il a quitté Paris jusqu'au jour où l'arrestation du comte a eu lieu. Ses actes, ses conversations, ses remarques, des copies de toutes ses remontrances, y compris les lettres de Montholon, ses gestes même y sont notés; le tout est écrit avec la minutie de la Vie de Johnson par Boswell, la force de langage du général Bonaparte et l'embellissement de style du comte Las Cases; j'ai obtenu le consentement même du comte Las Cases pour parcourir cette collection. Tout y est sacrifié au grand objet de présenter à la postérité le général Bonaparte comme un modèle d'excellence et de vertu. Les faits y sont altérés, les conversations rapportées seulement par moitié, ses propres expressions répétées, les réponses omises; j'ai remarqué que tel était particulièrement le cas dans les conversations que j'ai eues moi-même avec lui-même, celles qui avaient lieu en présence de témoins. Le général Bonaparte a demandé que ce document lui fût renvoyé, disant que c'est un journal qui était tenu par ses ordres exprès et le seul memorandum qu'il ait de tout ce qui lui est arrivé. Le comte Las Cases, au contraire, réclame ces papiers comme lui appartenant en propre; il les appelle ses pensées et ne veut pas convenir que le général Bonaparte en ait connaissance... En ce moment, chacun d'eux ignore encore les réclamations de l'autre. La conduite la plus prudente que je croie devoir tenir sera de garder le journal scellé avec le cachet au comte Las Cases et le mien, jusqu'à ce Votre Seigneurie ait envoyé ses instructions à ce sujet.» (Tome II, p. 76.)[Retour au Texte Principal]

Note 67: L'abbé Buonavita et l'abbé Vignale. «À cette époque, dit M. Thiers, c'est-à-dire vers la fin de 1819, arrivèrent à Sainte-Hélène les personnages envoyés par le cardinal Fesch. C'étaient un bon vieux prêtre, l'abbé Buonavita, ancien missionnaire au Mexique, et un jeune ecclésiastique, l'abbé Vignale, l'un et l'autre fort honnêtes gens, mais sans instruction et sans esprit.» (Histoire du Consulat et de l'Empire, tome XX, p. 688.)—Les deux prêtres arrivèrent à Sainte-Hélène le 20 septembre 1819, (William Forsyth, tome III, p. 149.)[Retour au Texte Principal]

Note 68: François Antomarchi (1780-1330). Né en Corse il était professeur d'anatomie à Florence, quand il fut choisi par le cardinal Fesch pour aller à Sainte-Hélène donner ses soins à Napoléon, auquel on venait d'enlever le docteur O'Meara. Arrivé par le même navire que l'abbé Buonavita et l'abbé Vignale, il resta auprès de l'empereur jusqu'à sa mort. Les Mémoires du docteur Antomarchi, ou les derniers moments de Napoléon (Paris, 1825, 2 vol. in-8o), contiennent l'histoire de la captivité de l'empereur depuis le 21 septembre 1819 jusqu'au 5 mai 1821. M. Thiers (p. 688) parle du docteur Antomarchi en ces termes: «C'était un jeune médecin italien, ayant quelque esprit, peu d'expérience et une extrême présomption.»[Retour au Texte Principal]

Note 69: Extrait de l'article de Chateaubriand du 17 novembre 1818. Le Conservateur, tome I. p, 333.—Œuvres complètes, tome XXVI, p. 32.[Retour au Texte Principal]

Note 70: Mémoires pour servir à l'Histoire de France sous Napoléon, par M. de Montholon, tome IV, p. 243.—Ch.[Retour au Texte Principal]

Note 71: Chateaubriand ici se souvient de Corneille:

Dans quelque urne chétive en ramasser la cendre.
Et d'un peu de poussière élever un tombeau
À celui qui du monde est le sort le plus beau.
[Retour au Texte Principal]

Note 72: La frégate La Belle-Poule, commandée par le prince de Joinville.[Retour au Texte Principal]

Note 73: Souvenirs de Sainte-Hélène, par l'abbé Coquereau.—L'abbé Coquereau était aumônier de la frégate la Belle-Poule. En 1850, il fut nommé par Louis-Napoléon aumônier en chef de la flotte, fonctions qu'il a conservées jusqu'à sa mort (1866).[Retour au Texte Principal]

Note 74: Chateaubriand visita Cannes et le golfe Juan au mois de juillet 1838. Il écrivait de Cannes à Madame Récamier le 28 juillet: «J'ai quitté à Marseille mon bruit pour venir voir le lieu où Bonaparte en débarquant, a changé la face du monde et nos destinées. Je vous écris dans une petite chambre, sous la fenêtre de laquelle se brise la mer. Le soleil se couche; c'est l'Italie tout entière que je retrouve ici. Dans une heure, je vais partir pour aller à deux lieues d'ici, au Golfe Juan; j'y arriverai de nuit, je verrai cette grève déserte où cet homme aborda avec sa petite flotte. Je m'arrangerai de la solitude, des vagues et de ciel: l'homme a passé pour toujours.»[Retour au Texte Principal]

Note 75: Ce livre a été écrit à Paris en 1839 et revu le 22 février 1845.[Retour au Texte Principal]

Note 76: Dans son livre sur la Politique de la Restauration en 1822 et 1823, page 55, M. de Marcellus rapporte ces autres paroles de Chateaubriand, qui ont ici leur place naturelle: «Sous la Restauration, la liberté avait remplacé dans nos mœurs le despotisme; la nature humaine s'était relevée. Il y avait plus d'air dans la poitrine, comme disait Madame de Staël; la publicité de la parole avait succédé au mutisme; les intelligences et l'esprit littéraire renaissaient; et, bien que le Français soit né courtisan, n'importe de qui, toujours est-il qu'on rampait moins bas.»[Retour au Texte Principal]

Note 77: Voir, au tome XXIII des Œuvres complètes, le discours prononcé, par Chateaubriand, le 22 août 1815, à l'ouverture du collège électoral, à Orléans. Il n'a pas recueilli la lettre-circulaire que, le 7 août, il avait adressée à chacun des électeurs du Loiret, et dont voici le texte:

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