Mémoires du duc de Rovigo, pour servir à l'histoire de l'empereur Napoléon, Tome 6
CHAPITRE XXVII.
M. de Talleyrand.—L'empereur refuse de le faire enfermer.—Propos qu'on lui attribue.—Présentation des officiers de la garde nationale.—Le roi de Rome.—Allocution de l'empereur aux officiers de la garde nationale.—Effet qu'elle produit.
On ne cessait d'entretenir l'empereur des menées de M. de Talleyrand; on précisait des faits, on indiquait des intrigues; on faisait remarquer les fatales conséquences que trop de longanimité pouvait avoir. L'empereur écoutait, s'indignait de l'audace du diplomate, sans pouvoir se décider à sévir. La question lui paraissait trop grave pour être résolue autrement que par la victoire, il crut sans doute pouvoir laisser aller des intrigues que la fortune étoufferait. Un homme qui lui était tout dévoué, essaya de le faire revenir de cette erreur. «Vous n'avez pas de faits, à la bonne heure; mais vous ne pouvez, lui dit-il, vous faire illusion sur les projets qui roulent dans sa tête. L'occasion est trop forte, il y succombera. Quand M. de Sartine voyait approcher une fête, une cérémonie qui devait attirer la foule, il mandait les personnages équivoques que contenait sa vigilance: «Je n'ai pas de reproche à vous faire, leur disait-il, mais demain peut-être vous en mériteriez. L'habitude pourrait reprendre son empire, vous succomberiez à la tentation; je serais obligé de sévir; pour vous et pour moi, prévenez une chute fâcheuse, et rendez-vous à telle maison d'arrêt.» Ils obéissaient, tout se passait avec calme, et personne n'était compromis. L'empereur applaudit à l'expédient sans vouloir l'employer. «Jamais, dit-il au dignitaire qui le lui insinuait, jamais je ne donnerai les mains à la perte d'un homme qui m'a longtemps servi.» En revanche, il ne lui épargna pas les reproches. Un jour, après la messe, M. de Talleyrand étant dans le salon où étaient aussi M. l'archi-chancelier, le prince de Neufchâtel et moi, l'empereur s'échauffa, et lui dit les choses les plus amères. M. de Talleyrand soutint cette pénible scène avec sang-froid; l'empereur fut sur le point d'adopter les mesures violentes qu'il avait repoussées jusque-là. «Nous allons voir, dit-il dans un mouvement de vivacité: faites entrer M. de Bassano.»
Malheureusement le duc était sorti; on ne le trouva point, l'empereur se calma, et le prince de Bénévent en fut quitte pour l'orage qu'il venait d'essuyer. Mais le souverain avait laissé échapper des paroles de colère contre lui: les rapports ne s'arrêtèrent plus; chaque jour, il lui revenait quelque propos coupable. La chose en était venue au point que, le lendemain du jour où l'on avait tenu le conseil relatif à la mise en activité de la garde nationale, on lui rapporta un prétendu propos de bourse qui avait fait un moment baisser les fonds. On racontait qu'immédiatement après la sortie du conseil, il avait été dit chez M. de Talleyrand, qu'il n'y avait que les jacobins qui n'avaient pas voulu que l'on armât les citoyens de Paris, parce qu'ils se proposaient encore de faire des leurs. Ce propos pouvait bien être vrai; mais il n'avait certainement pas été tenu par M. de Talleyrand, dans la circonstance où on le lui attribuait. Je voulus m'assurer du fait, et il fut constaté que, lorsqu'il était rentré, c'est-à-dire à trois heures du matin, il n'y avait plus personne chez lui [22], qu'il se coucha en arrivant, et que le lendemain la bourse était fermée avant que l'on eût ouvert les rideaux de son lit.
[22: Ce fut madame de Brignolet qui sortit la dernière du salon de M. de Talleyrand, plus d'une heure avant qu'il revînt des Tuileries.]
Après la scène dont je viens de rendre compte, M. de Talleyrand ne fut plus autorisé à rien attendre de l'empereur. Il brûla ses papiers, fit disparaître tout ce qui pouvait le compromettre, et redoubla d'efforts pour échapper au sort que ses menées lui avaient fait.
L'empereur resta encore dix ou douze jours à Paris pour recevoir le serment de fidélité des officiers de la garde nationale. La cérémonie eut lieu dans le salon dit des Maréchaux.
Pendant la messe, madame de Montesquiou, gouvernante du roi de Rome, reçut ordre de porter ce jeune prince dans l'appartement de l'empereur. Elle le fit; l'office divin continua, et, quand il fut près de sortir de la chapelle, l'empereur l'envoya de nouveau avertir d'amener l'enfant jusqu'à la porte du salon qui communique immédiatement à celui des Maréchaux, et de faire en sorte d'entrer dans celui-ci en même temps qu'il y entrerait lui-même, en venant de la chapelle par la porte opposée.
La messe achevée, l'empereur emmena l'impératrice, qui d'ordinaire marchait avant lui. Il entra dans le salon des Maréchaux; la porte opposée à celle par laquelle il arrivait s'ouvrit, et l'on vit entrer madame de Montesquiou, qui portait le jeune roi sur ses bras; personne n'était prévenu, et on ne devinait pas ce que cela voulait dire.
L'empereur le fit poser à terre, et le prenant par une main, tandis que sa mère le tenait de l'autre, il s'avança au milieu du cercle des officiers de la garde nationale, qui garnissaient le pourtour du salon des Maréchaux; la singularité de ce spectacle, autant que le respect qu'il imprimait, avait établi un silence absolu.
L'empereur parla en ces termes: «Messieurs les officiers de la garde nationale de la ville de Paris, j'ai du plaisir à vous voir réunis autour de moi. Je compte partir cette nuit pour aller me mettre à la tête de l'armée. En quittant la capitale, je laisse avec confiance au milieu de vous ma femme et mon fils, sur lesquels sont placés tant d'espérances. Je devais ce témoignage de confiance à tous ceux que vous n'avez cessé de me donner dans les époques principales de ma vie. Je partirai avec l'esprit dégagé d'inquiétudes, lorsqu'ils seront sous votre garde. Je vous laisse ce que j'ai au monde de plus cher après la France, et le remets à vos soins.
«Il pourrait arriver toutefois que, par les manoeuvres que je vais être obligé de faire, les ennemis trouvassent le moment de s'approcher de vos murailles. Si la chose avait lieu, souvenez-vous que ce ne pourra être l'affaire que de quelques jours, et que j'arriverai bientôt à votre secours. Je vous recommande d'être unis entre vous, et de résister à toutes les insinuations qui tendraient à vous diviser. On ne manquera pas de chercher à ébranler votre fidélité à vos devoirs, mais je compte sur vous pour repousser toutes ces perfides instigations.»
L'empereur était ému en parlant aux officiers de la garde nationale, et il était au moment de terminer son discours, lorsque, prenant lui-même son fils entre ses bras, il le promena ainsi devant le cercle des officiers de la garde nationale, qui ne purent résister à ce spectacle, et qui éclatèrent par des milliers de cris de vive l'empereur! vive l'impératrice! vive le roi de Rome! Il resta longtemps au milieu d'eux après que l'impératrice et le roi de Rome furent rentrés dans leur appartement; il ne pouvait qu'être satisfait et plein d'espérances, en voyant tant d'élan; dans le fait, les idées de tout ce qui était là étaient bien éloignées de ce qu'on a vu arriver moins de deux mois et demi plus tard.
Le soir, l'empereur avait chez lui les personnes qui jouissaient de la faveur des entrées particulières, c'était le 21 janvier 1814; il se retira de bonne heure, en disant à ceux qui étaient près de lui: «Au revoir, messieurs; nous nous reverrons peut-être.» J'avais l'honneur d'être chez lui ce soir-là: il m'accabla de tristesse, parce qu'il me fit l'effet de quelqu'un qui fait un dernier adieu.
La régence et son conseil avaient été organisés dans la même forme que pendant la campagne précédente; l'empereur partit à minuit pour se rendre à Châlons-sur-Marne.
À aucune époque de l'histoire, la France ne s'était trouvée dans une position aussi critique; il est inconcevable qu'avec une armée aussi peu considérable, l'empereur ait tenu en échec pendant autant de temps des forces ennemies qui n'avaient qu'à marcher franchement pour arriver à la capitale, et il faut croire que si elles ne l'ont pas fait d'abord, c'est parce qu'elles voulaient faire concorder les progrès de leurs opérations militaires avec quelques projets de désorganisation du système de gouvernement qui était établi en France. J'ai toujours cru particulièrement que l'empereur avait pénétré leurs desseins sous ce rapport, et que c'était là en grande partie la raison pour laquelle il n'avait jamais voulu croire à aucune disposition de paix de leur part, comme aussi j'ai cru m'apercevoir que c'était alors qu'il regrettait de ne l'avoir pas faite à Dresde avant que l'empereur de Russie eût acquis cette influence qui l'avait rendu l'arbitre des volontés de toutes les puissances de l'Europe.
À peine le ministre anglais Castlereagh avait-il quitté l'Angleterre pour se rendre à l'armée alliée, que l'on vit les princes de la maison de Bourbon se mettre en mouvement. M. le comte d'Artois suivit la même route que M. Castlereagh, et vint jusqu'à Vesoul, en Franche-Comté; son fils aîné, M. le duc d'Angoulême, vint par mer au quartier-général du marquis de Wellington, qui était à Saint-Jean-de-Luz, près Bayonne; et son second fils, M. le duc de Berry, vint à l'île de Jersey sur la côte de Normandie et de Bretagne. La présence de ces princes sur le territoire donna à penser sérieusement sur les projets des ennemis, comme aussi elle fournit la preuve de la résolution où l'on était de ne point se prêter aux instances des ennemis pour un changement de gouvernement.
Il y avait avec chacun des princes un ou deux Français émigrés, qui essayaient de leur faire des partisans, et de réchauffer dans les esprits l'ancien attachement des Français pour la maison de Bourbon; mais ils n'obtenaient aucun succès, comme on le verra par les détails que je vais donner.
Ils avaient si peu de partisans en France, que tout le monde s'empressait de les desservir sous main. M. de Talleyrand lui-même était un de ceux qui étaient le plus assidus à m'envoyer tout ce qu'il apprenait des alentours de M. le comte d'Artois, et des mouvements que se donnait le marquis de Lasalle, qui était en exil à Châtillon-sur-Seine, d'où il courait toute la Bourgogne pour l'agiter.
J'étais parvenu à avoir un agent très près du duc d'Angoulême, et j'avais connaissance de presque tous les rapports qu'il adressait au roi; assurément ils n'étaient pas satisfaisants, et ne présentaient pas grande espérance. L'empereur fut informé de cet état de choses, et il fit sans doute demander à Châtillon des explications sur une conduite qui devait faire suspecter les intentions où on lui disait être de vouloir la paix. Il paraît qu'il fut écouté, puisqu'on lui fit répondre que les alliés avaient signifié aux princes de la maison de Bourbon l'ordre de se retirer. Ces menées eurent un effet fâcheux pour les alliés; on entrevit leurs intentions, on perdit la confiance que l'on avait eue jusque-là dans leur langage, et vraisemblablement si l'on avait obtenu un succès, que l'on eût eu un peu de temps, on aurait réveillé la nation, qui commençait à s'apercevoir que les ennemis la trompaient.
Schwartzenberg s'avançait sur Paris par la route de Bourgogne, Blucher arrivait par celle de la Champagne. J'eus peur pour le pape, qui était encore à Fontainebleau, et je me hâtai de demander à l'empereur la conduite que je devais tenir dans cette circonstance.
L'empereur venait d'apprendre de nouveaux détails sur la conduite du roi de Naples, qui avait joint ses troupes à celles des Autrichiens, et qui marchait lui-même contre le vice-roi d'Italie. Il m'ordonna de faire de suite repartir le pape et les cardinaux pour Rome, en évitant de les faire passer par des contrées déjà occupées par les alliés, et d'écrire au vice-roi d'Italie, ainsi qu'au prince Borghèse, pour leur faire part de cette disposition. Le saint Père passa par le Berri et Toulouse, puis Avignon, Grenoble, Chambéry. Les cardinaux le suivirent. Tout ce cortège fut remis aux avant-postes autrichiens vers Parme, et arriva juste à Rome pour en expulser toutes les autorités napolitaines; l'opération était bonne, mais elle aurait dû être faite deux mois plus tôt.
CHAPITRE XXVIII.
Arrivée de l'empereur à l'armée.—Affaire de Brienne, de Champeaubert, etc.—Prise de La Fère, de Soissons.—Le maréchal Victor.—Conséquences de son inaction.—Nouvelle députation des traîtres à l'empereur Alexandre.—Situation de Paris.
L'empereur, en arrivant à Châlons, avait fait attaquer de suite l'armée prussienne, qui s'avançait par la route de Toul, et il l'avait menée battant jusqu'au-delà de Saint-Dizier; mais pendant ce mouvement, l'armée russe et autrichienne qui s'avançait par la route de Troyes, poussa jusqu'au confluent de l'Yonne et de la Seine, passa la première de ces rivières sur le pont de Montereau, et poussa un corps de huit à dix mille hommes jusqu'à Fontainebleau, où il entra.
Les troupes que l'on avait tirées de l'armée d'Espagne se trouvaient heureusement au moment d'arriver. On leur envoya l'ordre de traverser Orléans et Étampes, pour passer sur la route de Paris à Fontainebleau; les ennemis ne les attendirent pas, ils se retirèrent par le même chemin qu'ils étaient venus.
L'empereur, après avoir poussé au-delà de Saint-Dizier, fit une marche par sa droite pour venir tomber sur les derrières de tout ce qui s'était avancé sur Paris par la route de la Bourgogne; les ennemis avaient eux-mêmes fait un mouvement pour venir à sa rencontre, et il y eut un combat très sérieux à Brienne, qui fut emporté sur les ennemis, qui le reprirent presque aussitôt. Il y eut un désordre et un incendie presque total de Brienne, à la manière des Russes. La résistance que l'on trouva à Brienne fit perdre à l'empereur un temps qu'il espérait employer à d'autres opérations. Le corps du général Blucher s'était réorganisé; il n'avait pas été très maltraité, il se porta de nouveau sur Châlons, où il prit l'ancienne route de Paris, qui mène par Étoge et Montmirail. Cela obligea l'empereur à se rapprocher de la Seine, pour avoir au moins un de ses flancs à couvert. Dans cette position, il fut joint par les troupes qui venaient d'Espagne; c'est avec elles et sa garde qu'il partit à l'improviste, en laissant les maréchaux Macdonald et Oudinot pour imposer aux ennemis. Il passa par la traverse de Coulommiers à Sézanne, et vint prendre en flanc les corps russe et prussien qui étaient en pleine marche sur Paris. Ce fut ce mouvement qui donna lieu aux deux actions de Champeaubert et de Montmirail, où l'empereur mit en pièces le corps russe de Sacken, ainsi qu'un corps prussien, qui sans cela auraient pu être à Paris le 15 février. Il les poursuivit jusqu'au-delà de Château-Thierry. On fit, dans ces deux journées, dix à douze mille prisonniers, que l'on amena à Paris. La population des cantons sur lesquels on s'était battu se livra à toute sorte de fureurs et de vengeances sur les ennemis épars; elle en fit un grand massacre, et il n'y a nul doute que, si l'on avait eu des armes à donner, il en aurait été de même d'un bout de la France à l'autre.
Les ennemis se retirèrent de Château-Thierry, partie sur Épernay, d'où ils gagnèrent Châlons, et partie sur Soissons, qui venait d'être enlevé. Les troupes ennemies qui avaient passé le Rhin vers Wesel et Cologne, après avoir traversé la Belgique, étaient entrées en France par Liège et Beaumont, s'avançaient par Rethel, Reims et Soissons. L'empereur avait ordonné qu'on armât cette dernière place, qui depuis plus de deux siècles n'était plus regardée comme un poste militaire. On y avait mis à la hâte quelques pièces de canon que l'on avait tirées de La Fère, et, à l'aide de quelques palissades, on avait organisé une défense passable; mais déjà le mauvais génie était dans nos armées: partout où l'empereur n'était pas, nous ressemblions aux armées que nous avions si souvent dissipées comme de la poussière.
Les ennemis s'approchèrent de l'Aisne; ils sommèrent la place de La Fère, qui se rendit en effet, sous le prétexte inconcevable qu'elle n'était point une place de guerre, mais une école d'artillerie; qu'elle ne devait pas compromettre les habitants ni leurs propriétés par une défense que ne comportaient ni le rang ni l'état de la place. Les ennemis y trouvèrent de quoi venir réduire Soissons, qu'ils prirent de vive force et livrèrent au plus affreux pillage. Cet événement contraria beaucoup l'empereur; il y marcha sur-le-champ, parce qu'il était encore sur les lieux. Il y remit une garnison avec du canon, et partit de suite à marches forcées pour déborder le flanc droit de la grande armée ennemie, qui s'était portée en avant aussitôt qu'elle avait su l'empereur parti pour Montmirail. Les deux maréchaux chargés de la contenir avaient sagement pris le parti de se retirer sans se compromettre. L'empereur les joignit vers Provins; il fit attaquer Montereau-sur-Yonne, l'emporta de vive force, fit rétablir le pont et poursuivre l'ennemi avec vigueur sur la route de Sens. Pendant ce temps-là, le corps du maréchal Victor, qui, par la direction qu'on lui avait donnée, arrivait à Bray-sur-Seine, au-dessous de Nogent, avait ordre de passer la rivière tout en arrivant, et de se porter sur la grande route de Sens, déjà obstruée par les colonnes ennemies, qui se retiraient. Il n'y a nul doute que, si ce corps d'armée avait exécuté ce qui lui avait été ordonné, la grande armée ennemie aurait été mise dans un désordre affreux, et aurait perdu un nombre prodigieux de prisonniers. Les officiers d'état-major de l'armée ennemie en sont convenus eux-mêmes quelque temps après, et ont même ajouté qu'il y avait eu un moment d'hésitation si l'on n'ordonnerait pas de se rapprocher du Rhin; mais que, lorsqu'on vit que les troupes françaises qui devaient agir sur la haute Seine ne la passaient pas, on avait pris le parti de suspendre toute résolution de retraite, et que l'on était parvenu à remettre de l'ordre dans l'armée.
On m'a rapporté depuis que ce fut à ce moment-là qu'il arriva au quartier-général de l'empereur Alexandre une nouvelle députation des traîtres dont une ville comme Paris a toujours le malheur d'être empoisonnée; on m'a dit que l'empereur Alexandre avait hésité à se prêter aux vues qu'on lui proposait, tant cela lui paraissait odieux.
Pourquoi le corps du maréchal Victor n'a-t-il pas fait son devoir? Ce n'est pas sans doute par mauvaise intention, mais bien probablement, ou pour le dire sans contester aucune des bonnes qualités de ce général, parce qu'il n'était pas pénétré de la position des ennemis, ni de celle de l'empereur, ni par conséquent de l'importance du service qu'il pouvait rendre. En portant rapidement ses troupes au-delà de la Seine, sur la ligne de retraite des ennemis, il aurait décidé leur mouvement rétrograde: en suspendant le sien, il a arrêté celui des ennemis, et rendu celui de l'empereur sans effet.
Il faut aussi compter pour quelque chose la lassitude universelle où chacun était, laquelle faisait que l'on était devenu insensible à tout; l'on ne jugeait plus de ce qu'on pouvait faire, on ne comptait plus que le temps que pouvait durer encore une agonie à laquelle on ne voyait aucun remède.
Cette inactivité du corps du maréchal Victor donna de l'humeur à l'empereur, qui disait tout haut: «On ne m'obéit plus, on ne me craint plus, il faudrait que je fusse partout.»
Elle eut encore une conséquence plus funeste, non seulement en ce qu'elle rendit de nul effet le mouvement offensif dans lequel ce corps jouait un rôle principal, mais encore parce qu'il restait à l'empereur si peu d'occasions pour combiner d'autres opérations décisives, qu'il était doublement à regretter que le corps d'armée n'eût pas été confié à des mains plus habiles dans la circonstance qui venait d'échapper. La non réussite de cette entreprise sur la haute Seine était le cachet de notre impuissance, parce que les derniers moyens qui nous restaient y avaient été employés. Aussi on se hâta de conclure un armistice qui ne devait durer que quelques jours, et, comme l'on n'apercevait pas du côté des ennemis la nécessité d'une mesure semblable, on se berça encore de nouvelles espérances de paix. On se flatte aisément de ce que l'on désire, et on ne voyait pas un individu qui ne la demandât à grands cris. J'ai ouï dire à l'officier-général français qui avait été chargé de régler les conditions de cet armistice, que, s'il avait eu là les pouvoirs de traiter la paix, il aurait encore obtenu la frontière du Rhin et les sommités des Alpes. Pendant cet armistice, on ramassait les jeunes soldats épars qui, pendant les mouvements perpétuels de ces marches forcées, avaient quitté les colonnes; on rassemblait tout ce qui se trouvait dans les dépôts, en un mot on réorganisait le mieux possible tout ce qui avait besoin de l'être.
C'est le moment de parler de l'état politique dans lequel se trouvait
Paris.
Nous étions alors dans les premiers jours de mars; nos troupes étaient, à peu de chose près, sur l'Oise d'un côté, et sur l'Aube de l'autre.
Cette occupation du territoire national par les troupes étrangères avait fait refluer sur Paris une quantité prodigieuse de monde: 1° tous les fonctionnaires et employés des administrations; 2° les familles françaises qui, ayant cru pouvoir s'établir dans des pays réunis à la France depuis près de quinze ans, en étaient parties à l'approche des ennemis, et s'étaient successivement retirées jusque sur la capitale; 3° les indigènes de ces mêmes pays qui, ayant épousé chaudement les intérêts de la France, pensaient avoir quelque chose à craindre de l'esprit de parti et de réaction, et avaient suivi les premiers.
La terreur dont il n'était pas possible de guérir l'esprit de ceux qui en étaient atteints en avait aussi poussé un grand nombre d'autres sur leurs traces; tous les individus qui avaient été éloignés de Paris par des mesures administratives y étaient rentrés à la faveur de ce désordre, en alléguant avec raison qu'on aurait pu leur imputer à crime d'être restés dans un pays occupé par les ennemis, et saisir ce prétexte pour rendre leur position plus mauvaise encore. Ce fut là le motif dont se servit M. l'archevêque de Malines pour quitter son diocèse, et il avait raison, cela lui était d'ailleurs ordonné. En même temps que les individus qui avaient été éloignés de Paris y rentraient, ceux qui avaient reçu ordre de quitter la Belgique pour des motifs semblables profitaient de cette occasion pour y rentrer aussi; de manière qu'il en résultait un double mal. Les départements de l'est et du midi où les troupes ennemies avaient pénétré offraient les mêmes inconvénients. L'administration était à peu près sans force; on lui rendait compte de tout, mais on éludait ceux de ses ordres qui pouvaient engager une responsabilité que l'on craignait déjà de compromettre, tant l'on regardait la chute de l'empereur comme probable; les esprits s'occupaient moins de la position des affaires intérieures que de chercher à démêler leur avenir à la suite des progrès des ennemis, auxquels on ne voyait plus de moyens de résister.
L'arrivée du comte d'Artois à Vesoul paraissait avec raison ne devoir pas être étrangère aux projets ultérieurs des alliés, et quoique l'on eût dit qu'il avait été invité par ces mêmes alliés à s'éloigner, l'on ne fut pas plus calme, parce que l'on apprit presque aussitôt son retour dans cette ville. L'on savait de même la présence du duc d'Angoulême au quartier-général de l'armée anglaise à Saint-Jean-de-Luz; mais le peu d'égards qu'avait pour lui le général en chef de cette armée, chose dont tous les habitants de ces contrées étaient témoins, suffisait pour empêcher que l'on crût qu'il entrait dans les projets des puissances étrangères de renverser le gouvernement établi en France, pour y replacer l'ancienne dynastie, dont on n'avait l'air de se servir que comme d'un moyen politique.
Un hasard extraordinaire avait mis à ma disposition un agent français, que M. de Blacas, qui était à Londres, avait envoyé à travers la France à M. le duc d'Angoulême. J'avais eu avis de son voyage par Londres même, je l'avais fait arrêter; il avoua tout, et, pour se mieux sauver, il prit le parti de gagner de l'argent des deux côtés. Je le laissai aller et venir autant qu'il voulut, mettant beaucoup plus d'importance à savoir ce qui se rattachait au duc d'Angoulême, qu'à ce qu'il pouvait lui rapporter de l'intérieur de la France. Cela ne pouvait pas avoir un grand intérêt pour un prince qui n'avait de moyens que l'armée ennemie. C'est par cette voie que j'ai eu connaissance de la plupart des rapports que le duc d'Angoulême adressait au roi, à Londres, où ce prince était encore, et comme je ne pouvais pas supposer qu'il le trompait, je voyais par ces rapports combien le duc d'Angoulême avait peu d'espoir de réussir, et combien il se louait peu de l'accueil qu'il rencontrait partout, sans omettre même le général en chef Wellington. C'est par ces mêmes rapports que j'appris que MM. Ravez et Lainé n'osaient même pas aller chez M. le duc d'Angoulême pendant le jour, et que, si M. de la Rochejaquelein ne leur eût ménagé une entrée furtive la nuit, par une fenêtre, ils n'auraient osé le faire. Ce qui me faisait prendre confiance dans ces rapports, c'est que le général Wellington lui-même avait dit à Saint-Jean-de-Luz, en parlant du duc d'Angoulême, qu'il n'avait reçu aucune instruction de son gouvernement pour favoriser la guerre civile en France, qu'il ne prêterait jamais les mains à l'exécution d'un projet qui exposait particulièrement les citoyens aux plus grands malheurs, d'autant plus que l'on traitait toujours à Châtillon; mais que, si la paix ne suivait pas cet armistice, ce serait alors que l'on ferait bonne guerre à l'empereur.
Je laissais parvenir très exactement à Londres les rapports qui étaient adressés de Saint-Jean-de-Luz au roi, après toutefois en avoir tiré des copies que j'envoyais à l'empereur. Par toute la France on gémissait, mais l'on était tranquille; on attendait tout des événements contre le cours desquels on ne pouvait rien.
En Bretagne, et même dans les départements de l'ouest, il ne se passait rien contre l'ordre de choses sous lequel on vivait depuis la fin de la guerre civile, ni contre l'obéissance que l'on devait au gouvernement. Cependant M. le duc de Berri était à Jersey, près des côtes de Bretagne; et comme depuis longtemps il y avait un espionnage organisé entre les côtes de Saint-Malo et les îles soumises à l'Angleterre, on aurait connu d'une manière positive tout ce qui aurait pu se pratiquer autour de ce prince de la part des anciens chefs du parti royaliste dans cette province: mais, d'après ce que j'ai appris depuis, il y avait longtemps que le commissaire général de police trahissait son devoir, et néanmoins il ne sut point exciter de mouvement. Là, comme ailleurs, on attendait les événements, et on ne se souciait pas de s'exposer à des malheurs particuliers avant de savoir quelles seraient les probabilités du succès d'une nouvelle entreprise.
La province même, dans laquelle se trouvait M. le comte d'Artois ne s'agitait point, et les hommages qu'on lui rendait n'étaient que ceux qu'on ne pouvait pas lui refuser sans se compromettre, parce que, dans cette province, où l'on avait vu défiler les armées ennemies, on pouvait juger bien mieux que partout ailleurs de leur supériorité; et si l'on ne se déclarait pas davantage en faveur de l'ancienne dynastie, c'est que les souverains alliés ne s'étaient pas encore prononcés. Paris était alors livré à des inquiétudes beaucoup plus grandes que celles qu'il avait jamais connues. Comment la politique n'aurait-elle pas été le sujet de toutes les conversations? Dans cette circonstance, pouvait-on cacher à cette nombreuse population ce dont elle était menacée? En s'entretenant de ce sujet, on exagérait les dangers de la mauvaise situation dans laquelle on se trouvait, et l'on ne s'arrêtait à rien de constant, parce que l'on n'entrevoyait point de moyen de salut.
Il y avait des réunions partout, depuis les salons jusqu'aux boutiques et aux lieux publics; ce n'était qu'un colportage continuel de tout ce qui pouvait le plus détériorer le peu d'espoir qui restait peut-être encore. Toutes ces différentes classes dans lesquelles on a continué de diviser la population, en réagissant les unes sur les autres, avaient fait disparaître jusqu'aux traces de l'énergie dont on avait si grand besoin.
CHAPITRE XXIX.
État de la capitale.—Contes divers.—Comités.—Complot contre la vie de l'empereur.—Le secrétaire de M. d'Albert.—M. de Vitrolle.—Calcul de M. Anglès.—L'empereur Alexandre et le général Raynier.
La capitale, comme je l'ai dit, était devenue à peu près le seul point où on était encore à l'abri des irruptions des troupes légères et de tous les maux qui les accompagnent. Dans un rayon de plus de trente lieues autour de Paris, on était venu y mettre à couvert sa famille, son mobilier et tout ce que l'on avait de précieux, et enfin les habitants des campagnes les plus voisines avaient fait entrer en ville jusqu'à leur bétail; les faubourgs en étaient remplis. Les logements étaient devenus rares; dans toutes les maisons, on pratiquait des cachettes où l'on enfermait tout ce que l'on croyait exposé à une spoliation.
Que l'on se figure les contes vrais et faux qui circulaient au milieu d'un tel état de choses, que l'on y ajoute les propos des halles et marchés, des rues, des places publiques et des oisifs, et l'on aura une juste idée de la situation dans laquelle était Paris. La surveillance était inutile, parce que l'action des surveillants ne pouvait être suivie d'aucun effet. Les mesures coercitives eussent fait éclater une insurrection; et c'était bien le moindre soulagement que l'on pouvait donner à tant de monde qui souffrait, que de lui laisser le droit de se plaindre. Il y avait plus de motifs qu'il n'en fallait pour justifier des arrestations; mais pour être juste, il aurait fallu arrêter tant de monde que les prisons, eussent-elles été doubles, n'auraient pas suffi pour contenir tout ce qui aurait plus ou moins mérité d'y être enfermé.
D'ailleurs j'ai toujours été persuadé que la multitude n'est jamais à craindre tant qu'il reste une ombre d'autorité. Il y avait quelque chose qui occupait davantage mon attention.
J'avais appris qu'à l'armée même, et après les succès de Champeaubert, il s'était manifesté de très mauvais desseins parmi des officiers supérieurs. Cela était parvenu jusqu'à Paris, où l'on n'espérait déjà presque plus; c'est seulement depuis ce moment que les hommes, accoutumés depuis vingt-cinq ans à fomenter des révolutions et à donner le mouvement dans tous les grands désordres, commencèrent à concevoir de l'espoir pour l'exécution de ce qu'ils rêvaient depuis nos désastres, et qu'enfin ils mirent de nouveau les fers au feu, comme ils l'avaient fait à différentes époques de la révolution, jusqu'au 18 brumaire. Ils s'occupèrent dès lors à rechercher les éléments de trouble; ils les échauffèrent; ils recueillaient les mauvaises nouvelles, les exagéraient, et les répandaient avec art sur les différends points de la capitale; tout cela était connu de l'administration de la police. Les mauvaises dispositions étaient trop générales pour qu'elles échappassent aux esprits les plus bornés, mais aussi elles offraient un champ si libre aux excitateurs, qu'elles les dispensaient de se faire remarquer par aucune démarche ou fait particulier qui aurait donné occasion de les saisir, et de commencer une information qui aurait pu produire un résultat.
On voyait bien que l'on abandonnait l'empereur, mais on ne remarquait pas de quel côté ceux-là mêmes qui l'abandonnaient tournaient leurs regards; ils ne laissaient rien apercevoir parce que l'on traitait encore à Châtillon, et qu'un mot de là aurait pu détruire tous leurs projets et les jeter dans la plus fâcheuse des positions.
Je n'ignorais pas l'existence de quelques petits comités dans lesquels se rendaient M. le duc d'Alberg ainsi que M. Anglès, qui était le chef du quatrième arrondissement de la police, et qui, au conseil de police, était celui qui poussait aux mesures extrêmes de répression. Il ne m'avait pas dit un mot de cette association, mais je n'eus pas besoin de lui pour être informé que l'on ne faisait qu'y parler, et que l'on n'agissait pas.
Il n'y avait chez ces messieurs que de la bonne volonté, de laquelle bien certainement je leur aurais demandé compte, si les choses avaient pris une tournure différente. Le seul fait duquel ce comité se soit rendu coupable, c'est, je crois, l'envoi de M. de Vitrolle à l'armée alliée, pour connaître si, en travaillant pour les Bourbons, on pouvait espérer d'être appuyé, et ne pas être exposé à perdre la tête.
Cette démarche était prudente, puisque tout ce que l'on pouvait faire était subordonné à ce que décideraient les alliés, et ce n'était qu'après s'être mis en communication avec eux, que l'on pouvait commencer à travailler avec quelque espoir de succès.
J'ai pensé que M. Anglès n'était entré dans cette association qu'avec le projet de m'en rendre compte, si M. de Vitrolle avait apporté une réponse peu favorable, et avec celui de profiter de ce que cela aurait eu d'avantageux dans la supposition opposée. Avant cela M. d'Alberg avait déjà envoyé son secrétaire particulier à l'armée russe, pour y joindre M. *** et le général Jomini, avec qui ce secrétaire était lié. Il arriva au général russe, lorsqu'il était encore à Francfort-sur-le-Mein, et il marcha avec l'armée ennemie jusqu'au moment où elle passa le Rhin. Je fus avisé de son retour et je l'envoyai chercher; il me rapporta beaucoup de particularités qui, sans mériter une foi absolue, me laissaient suffisamment apercevoir que les ennemis allaient de nouveau organiser des communications régulières avec Paris. Mais en même temps je remarquai que ce secrétaire de M. d'Alberg, qui avait quitté le quartier-général russe, avant l'arrivée de lord Castlereagh, ne croyait nullement à des projets favorables à la maison de Bourbon, de laquelle on ne parlait point au quartier-général de l'empereur Alexandre.
Ce n'était que depuis l'arrivée du ministre anglais que ce projet-là avait été adopté; c'était aussi pour s'en assurer que M. d'Alberg se décida à faire partir M. de Vitrolle. M. Anglès savait ce départ, et me le laissa ignorer. Je fus averti cependant le jour même de son départ, que l'on envoyait un émissaire au comte d'Artois, mais l'on ne me disait pas son nom [23]. Il était bien difficile de l'apprendre et de le saisir en aussi peu de temps. On m'a assuré que le rapport que fit M. de Vitrolle aux alliés ne fut pas sans influence sur la résolution que prit l'empereur Alexandre de précipiter du trône l'empereur Napoléon.
[23: La personne qui me dénonçait le départ de Vitrolle, en s'exprimant ainsi, ne disait pas son nom; seulement elle rendait compte du fait; cependant elle avait vu M. de Vitrolle, et elle savait toute sa mission; mais cette personne, qui se disait mon amie, qui reconnaissait tout haut les obligations qu'elle m'avait, ne voulait pas en dire davantage, parce qu'elle voyait que l'édifice s'écroulait; et elle voulait se retirer de dessous, en se réservant les moyens de venir m'achever la dénonciation, si les affaires eussent mieux tourné.
Ce faux ami a été un des plus acharnés à ma perte, après les événements du 22 juin 1815, et je l'avais protégé de mon pouvoir et aidé de ma bourse en 1812.]
M. de Vitrolle était un agent des postes que M. de Lavalette avait placé par égard pour quelques-uns de ses amis. Depuis l'envahissement de la France il était devenu pour ainsi dire impossible de communiquer avec l'Italie, où était encore l'armée du vice-roi. M. de Lavalette avait imaginé de charger M. de Vitrolle, sur la reconnaissance duquel il comptait, d'aller organiser une communication régulière avec l'Italie, en passant par la Suisse et les derrières des armées ennemies.
Vitrolle, qui avait été témoin de l'état d'anxiété de Paris, accepta la double commission que lui donnèrent Lavalette et le duc d'Alberg qu'il connaissait; en conséquence, il se chargea de passer d'abord au quartier-général ennemi, où on l'avait bien adressé, et d'y prendre des informations précises sur les intentions des souverains alliés, après quoi il devait, suivant les circonstances, aller exécuter les ordres de M. de Lavalette, ou se rendre au quartier de M. le comte d'Artois, qui était alors à Vesoul; dans tous les cas, c'était la route qu'il devait prendre. C'est en revenant de cette mission qu'il tomba entre les mains des troupes françaises, d'où il se tira par subterfuge, et fit bien; mais il ne put être utile à ses commettants, parce qu'il ne rentra à Paris que lorsque le sort avait déjà prononcé sur l'avenir. Il s'en fallut peu qu'il ne payât cher la démarche dont il s'était chargé; il fut arrêté sous le déguisement d'un domestique, que lui avait fait prendre le prince de Wurtemberg, commandant de l'avant-garde russe, à laquelle il s'était présenté pour être conduit près de l'empereur Alexandre. Le prince Paul le faisait conduire par un officier, dont il passait pour être le domestique, lorsqu'ils furent pris par le général Piré, qui commandait nos avant-postes; il ne connaissait pas Vitrolle, et il les envoya au grand quartier-général, où on ne les reconnut pas non plus d'abord; on n'y avait aucune idée d'une trame de cette espèce. On venait d'envoyer les prisonniers, lorsqu'arriva au grand quartier-général M. de Saint-Dizier, officier de la maison de l'empereur, qui connaissait Vitrolle. Si celui-ci était parti une heure plus tard, c'en était fait de lui.
Les journaux anglais avaient rendu compte, dans les premiers jours de mars, de la mission d'un gentilhomme du Dauphiné, envoyé à M. le comte d'Artois; ils avaient tiré ces détails de la correspondance du quartier-général russe, où l'on exaltait cette circonstance comme le présage d'un heureux succès dans les projets ultérieurs, mais ils avaient mal rendu le nom de Vitrolle; ils l'avaient écrit Vitrieux ou Vitreux; je cherchai dans tous les cahiers de statistique du Dauphiné, je ne trouvai pas un nom semblable. Je ne doutais déjà plus que ce ne fût l'émissaire dont on m'avait annoncé le départ, mais ma pensée ne s'arrêta pas sur M. de Vitrolle, que je savais être employé aux postes, et en commerce de société assez habituel avec M. de Lavalette et M. Pasquier, qu'il voyait chez madame de Vaudemont.
Dans tous les cas, la prise d'un tel homme n'aurait pas produit un bien grand résultat; sa mission ne pouvait être d'aucune utilité; elle ne tenait encore qu'à de l'obscure intrigue. J'ai toujours cru que M. de Talleyrand en avait été instruit, mais il ne l'avait pas vu avant son départ; j'expliquerai cela tout à l'heure.
Au milieu de cet état de dissolution apparente et déjà réelle, le général Reynier rentra à Paris; il avait été, comme l'on sait, fait prisonnier à la bataille de Leipzig, et venait d'être échangé; il avait passé par le quartier-général des souverains alliés, auxquels il avait eu l'honneur d'être présenté avant d'être renvoyé au quartier-général de notre armée.
L'empereur d'Autriche, en l'accueillant, lui avait dit de conseiller à l'empereur de profiter des leçons que lui-même avait reçues de lui; de suivre son exemple, en traitant à tout prix, qu'autrement lui, empereur d'Autriche, ne pourrait plus rien en faveur de sa fille et de son petit-fils.
L'empereur Alexandre fit particulièrement beaucoup d'accueil au général Reynier. Celui-ci lui demanda, dans la conversation, s'il ne le chargerait pas de quelque chose pour l'empereur Napoléon, près de qui il allait se rendre, et qui saurait qu'il avait eu l'honneur de le voir. L'empereur Alexandre lui répondit que non, qu'il avait à se plaindre de lui personnellement, et qu'il ne se sentait aucunement disposé à un rapprochement de quelque nature qu'il fût.
La conversation s'engagea plus avant, et sur les observations du général Reynier, que l'empereur était le chef de l'État, l'empereur Alexandre lui répliqua: Mais ce chef, c'est vous (l'armée) qui l'avez fait, et si l'on exige de vous que vous en preniez un autre, pourquoi ne le feriez-vous pas pour vivre en paix avec tout le monde? Le général Reynier répliqua qu'indépendamment de ce que l'on ne trouverait personne qui pût remplacer l'empereur, les souverains alliés seraient autorisés à concevoir bien peu d'estime pour une nation qui abandonnerait si légèrement un prince qu'elle avait si solennellement proclamé. L'empereur de Russie répondit qu'il n'y aurait aucun reproche à faire à la nation puisqu'elle aurait cédé à la force des circonstances; que quant au choix, il semblait déjà indiqué par le suffrage accordé par l'empereur à celui de l'armée qu'il considérait, sans doute, comme le plus capable de gouverner, et il désigna nominativement Bernadotte. Le général Reynier répondit comme il le devait, sans se permettre aucune réflexion défavorable au maréchal Bernadotte: il demanda congé, et revint à Paris, où il me raconta lui-même cette conversation: Assurément, d'après le rapport du général Reynier, on peut croire sans invraisemblance que l'empereur de Russie voulait abattre l'empereur Napoléon. Le langage pacifique qu'on prêtait aux alliés, à Châtillon n'était qu'une feinte, et il n'est pas juste de dire qu'il a été au pouvoir de l'empereur d'obtenir la paix à ces conférences. J'en rendis compte à l'empereur le jour même, et il me fit l'honneur de me répondre qu'il désirait voir le général Reynier. Ce général partit à franc-étrier pour arriver plus tôt près de l'empereur [24], mais à la deuxième poste, il fut attaqué d'un accès de fièvre si violent, qu'on fut obligé de le ramener à Paris dans un état de transpiration qui fut suivi d'un refroidissement, et enfin il eut une maladie inflammatoire qui l'emporta en très peu de jours, en sorte que l'empereur ne le vit pas.
[24: Un autre individu, nommé Thurot, se rendit au quartier-général russe, et s'y fit passer pour un envoyé du parti ennemi de l'empereur; on l'y accueillit, et, comme cet homme joignait à la plus honteuse immoralité beaucoup de perfidie d'esprit, il se fit écouter. Ce Thurot avait été secrétaire général du ministère de la police, sous le directoire, jusqu'au 18 brumaire; M. Fouché le renvoya peu après cette époque: depuis lors, il vécut dans l'intrigue. En 1809, il fut condamné aux fers pour des affaires d'administration dans la grande armée; peu après avoir été relevé de ce jugement, il vint à Paris, où il s'était attaché à M. Anglès. De là il se mit à écrire au cabinet de l'empereur, sans y être autorisé, sur toutes sortes de matières et d'individus. L'empereur, révolté de son impudence, me demanda sur ce Thurot un rapport; pour le faire complet, je le fis arrêter et enlever ses papiers; ce qui s'y trouva était de nature à être soumis à un conseil privé, qui le condamna à être détenu dans une prison d'état, comme homme immoral et dangereux. On le conduisait au lieu de sa détention, lorsqu'il s'échappa en chemin, et alla au quartier-général ennemi se donner pour un envoyé du parti ennemi de l'empereur. En 1815, ce même homme resta à Paris, et s'attacha à un des chefs de l'administration, pendant que M. Anglès était à Gand. Quel parti servait-il ou trahissait-il? Je n'en sais rien; mais voilà l'espèce d'hommes qui a eu une influence sur nos destinées.]
Les armées ennemies étaient si rapprochées de Paris qu'il était impossible d'empêcher les allées et venues continuelles qui ont lieu à la faveur des désordres qui accompagnent une armée; d'ailleurs les communications entre Londres et Châtillon passaient par Paris, d'après un accord qui avait été fait. On n'ignorait donc guère la supériorité des alliés ni leurs projets; tout cela rendait la malveillance active, et rejaillissait sur les provinces. Je n'avais pas attendu que le mal fût sans remède pour rendre compte à l'empereur de ce que je voyais, de ce que l'on me rapportait, et de ce que je pressentais, s'il ne faisait pas la paix à tout prix.
L'armistice n'était point encore conclu, je pouvais craindre que mon rapport ne tombât entre les mains des ennemis et ne portât à leur connaissance un état de choses qu'il était du plus grand intérêt de leur cacher; aussi je n'écrivis point sur une matière aussi délicate, je me servis de l'occasion du retour à l'armée d'un officier du premier mérite, connu de l'empereur particulièrement, et je lui répétai jusqu'à satiété tout ce que je le priai de dire de ma part à ce prince; il remplit exactement sa commission, j'en ai la preuve.
Enfin, voyant que cela ne produisait rien, je me décidai à écrire à l'empereur pour lui faire part de mes inquiétudes que je ne croyais que trop fondées, et je le priai de me permettre de lui donner la dernière marque de dévouement qu'il allait bientôt être en mon pouvoir de lui offrir, en le priant de me permettre de rester comme son commissaire à Paris pendant le séjour que les alliés allaient y faire.
Je lui disais qu'il était inutile de s'abuser sur la suite de ce funeste événement, mais qu'un homme qui se dévouerait pourrait par son exemple encourager tous ceux qui ayant la possibilité de mettre leur responsabilité à couvert derrière son autorité, opposerait du moins de l'inertie à ce que l'on se proposait de faire, et qu'une première opposition courageuse dans une pareille circonstance retiendrait bien du monde dans la voie de l'honneur et ferait parler le devoir. Je fis voir ma lettre à M. l'archi-chancelier et je la fis aussi voir à M. Pasquier, qui vint chez moi au moment où je la fermais; j'avais causé avec lui de tout ce que je craignais, il était persuadé comme moi de tout ce qui allait arriver; l'empereur me fit l'honneur de me répondre d'une manière flatteuse sur la proposition que je lui avais faite, mais il ne partageait pas mes opinions sur ce que je me flattais de pouvoir faire. Il me disait même que dans mon intérêt il m'ordonnait de ne pas rester à Paris, et ajoutait que je m'exposerais au plus grand malheur personnel si je me mettais à la discrétion des ennemis. Je dus donc abandonner mon projet, parce que si je n'avais pas réussi je n'aurais eu aucune excuse à donner après avoir éludé un ordre qui m'avait été adressé directement. Je voyais de tout côté que chacun songeait à soi; on plaignait l'empereur, mais l'on prenait petit à petit congé de lui. Quelques-uns des commissaires qui avaient été envoyés dans les départements pour y réchauffer l'esprit public, ne correspondaient déjà plus, et ne disaient que ce qu'ils ne pouvaient plus faire. Il n'y avait plus d'énergie nulle part, l'agonie était complète, il y a même eu de ces messieurs qui ont cherché à se préparer une position nouvelle en se faisant un mérite d'avoir éludé les ordres qu'ils avaient reçus des ministres.
CHAPITRE XXX.
Le marquis de Rivière.—Comment on avait songé à lui.—Joseph, ses communications avec Bernadotte.—Folies qui remplissent la tête des frères de l'empereur.—Intrigue qui empêche l'armée d'Espagne d'accourir.—M. de la Besnardière.—M. de Talleyrand, ses menées, ses insinuations.
Pendant ces pénibles moments, je reçus l'ordre de mettre le marquis de Rivière en arrestation. Cette mesure était probablement la conséquence de quelques rapports qui avaient été adressés du Berry, où M. de Sémonville avait été envoyé comme commissaire. J'ai toujours cru que c'était lui qui avait provoqué cette mesure, en s'adressant directement au cabinet de l'empereur; car, en vérité, on avait bien autre chose à faire à l'armée, qu'à penser à ce que faisait M. de Rivière. Depuis longtemps on était attentif à saisir toutes les occasions de faire voir à l'empereur que la surveillance de son ministre de la police était en défaut, afin que, dans un moment favorable, que l'on guettait, on eût une masse de petites anecdotes qui déterminassent ce prince à le changer. J'avais cependant entendu parler de tout ce que faisait M. de Rivière en Berry, et j'en avais écrit à M. de Sémonville, et à M. Didelot, qui y était préfet. C'est, je crois, lorsque le premier vit que j'avais les yeux ouverts qu'il se décida à écrire, pour éviter un reproche; mais lorsqu'il reçut l'ordre qui en fut la suite, d'arrêter M. de Rivière, les choses étaient tout-à-fait désespérées: il ne l'exécuta pas. Je ne cite cette anecdote que parce qu'elle vient à l'appui de ce que j'ai dit plus haut, et que j'ai lu écrit de la main de M. de Rivière, «que M. de Sémonville aurait exécuté mon ordre s'il ne lui avait démontré qu'il servait la cause de Dieu et de la justice.»
J'avoue aussi que je faisais peu d'attention à M. de Rivière, parce que m'ayant lui-même donné sa parole d'honneur qu'il ne vivrait qu'en paisible citoyen, je croyais qu'il la tiendrait. Je devais le croire d'autant plus que, dans le temps de ses plus grands malheurs, il m'avait dit ces propres paroles: «Monsieur, je me regarde comme tellement obligé envers l'empereur, que si M. le comte d'Artois lui-même arrivait demain dans la plaine de Grenelle, à la tête de cent mille hommes, je n'irais pas le joindre.»
C'est cette réponse de M. de Rivière, que je rapportai à l'empereur, qui lui valut tous les adoucissements que sa malheureuse position reçut successivement; car l'empereur a toujours cru à l'honneur de ceux qui savaient en donner des preuves; il croyait à celui d'un homme qui, après avoir servi sa cause avec autant de dévouement, disait lui-même qu'il s'en détachait de bonne foi; dès lors toute espèce de mauvais traitement n'eût été que barbarie.
Cependant M. de Rivière n'avait pas attendu que M. le comte d'Artois eût cent mille hommes, ni qu'il fût dans la plaine de Grenelle, puisqu'il avouait que s'il n'avait pas démontré à M. de Sémonville qu'il servait la cause de Dieu et de la justice, il aurait été arrêté.
Vers les premiers jours de mars, le prince Joseph avait envoyé (avec la permission de l'empereur) un agent au prince de Suède, qui venait d'arriver avec son armée dans les environs de Maubeuge ou de Liège. Il l'avait envoyé, afin de savoir de lui par quel moyen on pourrait porter les alliés à accorder la paix à des conditions supportables. Cet agent était revenu avec une réponse qui ne confirmait que trop les mauvais pressentiments que l'on avait déjà. Bernadotte annonçait qu'il était question d'ôter le pouvoir à l'empereur; il engageait à traiter sur ces bases-là, parce que si les ennemis mettaient le pied à Paris, alors il n'y aurait plus rien à faire, parce que l'on rétablirait les Bourbons [25].
[25: Il circula à cette époque des bruits étranges sur le prince Joseph. On prétendait lui avoir entendu dire que l'empereur ne pouvait plus faire la paix, mais que lui, Joseph, pouvait l'obtenir avec l'impératrice. Je n'y ajoutai foi que parce que ce n'était pas la première fois que je voyais les frères de l'empereur se persuader qu'ils pouvaient être quelque chose sans lui. Ce qui me surprenait dans la circonstance dont il s'agit, c'était de voir le prince Joseph donner dans des illusions de cette espèce; il était moins avantageux que les autres, et puis il aimait sincèrement son frère. Cependant l'intrigue s'agitait vivement autour de lui; il me parla lui-même d'un projet dont on l'avait entretenu. On voulait le faire proclamer régent par le sénat, qui aurait prononcé la déchéance de l'empereur. Joseph voyait bien que, si cela avait lieu, il serait à la merci des ennemis, après leur avoir ouvert le chemin de Paris, qu'un reste de prestige attaché au nom de l'empereur leur fermait encore; mais j'ai cru qu'en quittant la capitale, les meneurs ne l'avaient pas laissé partir sans lui donner des espérances.]
Le message de cet homme resta secret; mais il fut transmis à l'empereur, qui déjà ne doutait plus du projet des souverains alliés. Il voyait que, tout en l'accusant de ne vouloir pas faire la paix, on lui présentait des conditions qui n'étaient que des sources de guerre, ou plutôt qui ne faisaient que donner aux ennemis le temps de reprendre haleine pour achever, la campagne suivante, ce qu'ils n'avaient pas la possibilité de terminer dans celle-ci.
Toutefois l'empereur ne se décida pas seul, car je me rappelle qu'il envoya à son frère Joseph les conditions qu'on lui imposait. Il lui manda d'assembler un conseil (je ne me souviens pas si ce fut celui de la régence ou celui des ministres), de les lui communiquer, de recueillir ensuite les avis et de les lui envoyer. Je ne pus assister au conseil pour cause d'indisposition, mais M. Molé, qui vint me voir à la sortie de la séance, me dit sommairement de quoi il avait été question. Je ne puis que le rapporter de même: les ennemis, en proposant le démembrement de toutes les conquêtes achetées par la France au prix de tant de sang, demandaient encore des sûretés, comme Besançon, et je crois quelques autres places de première ligne qui ouvraient tout-à-fait la frontière; on ne pouvait pas appeler cela faire la paix, ce fut l'opinion du conseil.
L'empereur ne se dissimulait pas que ces propositions n'étaient qu'un piège. Il était convaincu que les souverains alliés avaient déjà prononcé, et que tout ce qu'ils lui proposaient n'était que des subterfuges imaginés pour l'humilier aux yeux de la nation. Il aima mieux tomber que de se prêter à une transaction ignominieuse, qui peut-être, ne se consommerait pas. C'était vraisemblablement aussi parce qu'on lui connaissait un caractère incompatible avec l'idée d'un outrage qu'on lui proposait des conditions inadmissibles, mais propres à accréditer l'opinion qu'il ne voulait pas la paix. On s'apercevait bien que les ennemis eux-mêmes n'avaient pas une grande confiance dans l'exécution d'un plan qu'ils faisaient marcher si lentement; néanmoins ils n'avaient pas encore osé s'expliquer nettement sur leurs projets de changement de dynastie.
Si dans ce moment-là l'empereur avait été bien servi, comme il devait l'être, il aurait dû avoir près de lui, ou du moins sur la haute Loire, les différends corps qui composaient l'armée d'Espagne. S'il les avait eus, il aurait pulvérisé les Russes, les Prussiens, ainsi que tous ses anciens confédérés; alors les Autrichiens auraient traité séparément pour eux, car l'on avait acquis la certitude que l'empereur d'Autriche ne voulait point que l'on allât à Paris; c'était vraisemblablement par intérêt pour sa fille. Le malheur voulut qu'à la suite du mouvement offensif de notre armée sur la haute Seine, il quittât le quartier-général des alliés pour se retirer en Bourgogne, et ne reparût plus à l'armée: en sorte que l'empereur Alexandre et le roi de Prusse restèrent les arbitres de l'avenir, et soumirent à leurs vues les ministres et les généraux de l'empereur d'Autriche. On a été fondé à croire que cette absence de l'empereur d'Autriche avait été calculée, car un reste d'affection pour l'impératrice se montrait encore dans les pièces qui émanaient de son cabinet. Il n'avait cessé de protester «qu'il ne séparerait pas la cause de sa fille et de son petit-fils de celle de la France.» Il avait confié au souverain qui régnait sur ce pays «son enfant de prédilection, il chérissait sa fille, il gémissait de la voir exposée à de nouvelles inquiétudes, il souffrait que Napoléon méconnût les intentions de son cabinet.» Ces expressions d'intérêt, cette tendre commisération avaient sûrement effrayé ceux qui avaient arrêté la perte de Napoléon; ils ne voulurent pas s'exposer aux retours d'un père prêt à immoler sa fille, ils trouvèrent plus prudent de l'éloigner.
J'ai dit que l'empereur pouvait avoir l'armée d'Espagne; il me reste à raconter comment il ne l'eut pas.
Le duc de Bassano avait, comme je l'ai rapporté, entamé des négociations avec Valencey; elles ne pouvaient réussir qu'à la faveur du secret, toutes les mesures avaient été prises pour que rien ne transpirât. Cependant la transaction n'avait pas été mise à fin, qu'elles étaient déjà divulguées. Le parti qui conspirait prit l'alarme, et tel était son ascendant, qu'il réussit à présenter cette mesure de salut comme le coup de grâce de nos institutions. Le ministre qui eût dû le surveiller épousa ses inspirations, et poussa l'aveuglement au point de se jeter aux pieds de l'empereur pour lui faire abandonner un projet qui, disait-il, allait achever de détruire le prestige qui nous protégeait. L'empereur le traita durement: mais il était la clef de la politique de l'État, les Anglais avaient pris l'éveil; il était difficile désormais de faire réussir une combinaison qui d'abord ne présentait pas d'obstacles. Les événements se pressaient, on ne doutait pas que tout ne fût disposé au-delà des Pyrénées pour paralyser une transaction qui devait être fatale aux alliés. On n'accorda pas assez d'importance à un acte dont on eût dû presser l'exécution.
Le temps de l'expiration de l'armistice approchait, et l'on ne donnait aucune suite au traité. J'en écrivis à l'empereur; je lui marquai qu'en voyant commencer les négociations de Valencey, tout le monde avait conçu l'espoir qu'il en résulterait au moins l'avantage de pouvoir appeler à lui l'armée d'Espagne, mais que l'on avait abandonné cette espérance, puisque rien, pas même le départ des princes, ne s'effectuait.
Je ne sais si ce fut ma lettre qui produisit cet effet, mais, courrier pour courrier, l'empereur donna ordre de faire partir Ferdinand; ce qui prouve combien ce départ entrait dans son projet, et que, si on l'avait entretenu de cette affaire comme on le devait, elle aurait été terminée de manière à ce qu'il pût disposer de son armée qui était à la frontière d'Espagne.
Ce fut le 19 mars que les princes espagnols quittèrent Valencey pour se rendre en Espagne par Perpignan, et ce fut le 22 du même mois que l'armistice fut dénoncé. Jusqu'à ce moment, l'intrigue s'était tenue muette à Paris, ou du moins s'était beaucoup observée; elle avait pu toutefois se mettre en communication avec les alliés, peut-être les engagea-t-elle à rompre à Châtillon, et à marcher sur Paris. Plus je cherchais à la pénétrer, et plus je trouvais de preuves qu'elle attendait la certitude d'être appuyée pour développer ses projets, qui ne pouvaient qu'être subordonnés à la volonté des souverains alliés; tant que ceux-ci pouvaient traiter, elle ne s'était pas prononcée. Le moment arriva enfin; l'on vit rentrer à Paris tous les employés du ministre des relations extérieures qui avaient été appelés tant à Châtillon qu'au quartier-général de l'empereur pendant tout le temps qu'avaient duré ces conférences.
Parmi eux se trouvait M. de La Besnardière, qui avait dirigé la négociation. Habitué comme il l'était aux affaires, il n'avait pu se méprendre sur les véritables intentions des alliés. Ce fut par lui que M. de Talleyrand eut connaissance de tout ce qui se fit à Châtillon. J'ai su plus tard que ce diplomate avait eu des communications directes avec quelqu'un de plus élevé, mais ce qu'il avait appris de M. de La Besnardière, la rupture de l'armistice, celle des conférences, lui prouvèrent que les paroles qu'il avait reçues n'étaient pas vaines. Dès-lors il prit plus d'assurance, et ne songea qu'à précipiter une révolution dont il avait longuement préparé les éléments, mais dont il n'avait pas arrêté la direction, quoique bien déterminé cependant à la faire servir à la chute de l'empire.
Il n'y avait rien dans les provinces; tout se passait à Paris, et tout attendait le signal des alliés. S'ils ont été bien servis, on peut se demander avec raison comment ils n'y sont pas arrivés plus tôt.
Quant à nous, nous avions déjà éprouvé les funestes effets de la mesure que nous avions prise à l'égard des administrations, auxquelles on avait ordonné de se retirer à l'approche des ennemis. Nous étions presque étrangers à la partie du territoire qui était envahie. La chose était au point que, lorsqu'il fallut faire parvenir aux places bloquées les ordres que le ministre de la guerre leur adressait le 19 mars, on fut obligé d'employer des transfuges; au reste, ces ordres ne signifiaient rien, car en supposant que le duc de Feltre eût pris sur lui d'indiquer un rendez-vous général aux troupes qui défendaient nos places, le temps dont elles avaient besoin pour y arriver n'existait pas [26]. C'était au moment du passage du Rhin par les armées ennemies qu'il fallait appeler ces garnisons, les réunir, les mettre en ligne, puisque les alliés ne s'occupaient pas de nos places.
[26: Les ordres du ministre de la guerre, qui ne partirent de Paris que le 20 mars, n'avaient pas encore dépassé la frontière, que déjà le sort de Paris était décidé.]
Je me mis à observer de plus près M. de Talleyrand, qui avait plusieurs langages, et qui était d'ailleurs le seul autour duquel pouvaient se grouper les hommes de mouvement. Sa position était déterminée par une suite d'intrigues sur lesquelles il ne pouvait se promettre de donner le change. On n'avait pas à la vérité de données assez précises pour sévir contre un homme qui avait le rang qu'il occupait dans l'État. Mais la paix eût fait éclore les révélations, et M. de Talleyrand était trop habile pour ne pas voir qu'il n'y avait désormais que péril à s'arrêter. Je le considérais donc comme celui qui allait devenir le chef d'un parti contre l'empereur, mais non pas contre la dynastie qui était le résultat de la révolution à laquelle il avait eu tant de part.
Il était dispensé de s'envelopper de mystère, s'il avait eu besoin de se donner du mouvement, parce qu'il voyait bien que l'événement venait le trouver. Il connaissait la résolution des souverains alliés, il observait, attendait de quel côté s'écroulerait l'édifice. Il venait me voir quelquefois, m'attendait si j'étais sorti, et se répandait en conversations dans lesquelles il déplorait la situation où se trouvait la France. Il la comparait à celle de Tilsit, et s'écriait: «Et cela en six ans!» Puis il se déchaînait contre le duc de Bassano, parlait d'adulation, de flatterie, et arrivant enfin où il en voulait venir, il me disait: «Mais que faire dans des circonstances aussi fâcheuses? Il ne convient pas à tout le monde de rester dans une maison qui brûle; prenez garde à vous, il vous arrivera encore une scène comme celle du 23 octobre. Vous le savez, il y a en Bourgogne un certain marquis de La Salle qui se donne beaucoup d'activité et qui fait des prosélytes: cet exemple gagnera d'autres provinces.»
M. de Talleyrand avait raison en ce qui concernait le marquis de La Salle. J'étais informé de ses tentatives comme du peu de succès qu'il obtenait. Sans l'arrivée des ennemis à Paris, et ce qui en a été la suite, des moyens semblables à ceux du marquis de La Salle n'auraient pas fait broncher un homme de tant soit peu d'importance. M. de Talleyrand ne le désirait pas, il avait bien d'autres projets que celui à l'exécution duquel il a été obligé de concourir par une suite de circonstances que j'expliquerai.
Je me doutais bien qu'il n'était si exactement informé des démarches du marquis que parce qu'il était en relation d'amitié avec quelqu'un qui en avait eu de très intimes avec M. de La Salle; et comme en révolution, lorsqu'on n'a plus à penser à soi, on s'occupe de ses amis, il ne voulait plus me laisser faire naufrage et me tendait la main. J'avais l'ordre positif de ne pas sévir, je ne pouvais que laisser dire. J'affectai de ne pas comprendre, et ne me montrai que plus curieux; mais il avait trop d'expérience pour se laisser prendre à l'amorce. Je ne pus rien obtenir de précis.
Je savais exactement tout ce qu'il recevait, mais il avait tant d'art dans sa conduite, qu'il savait la rendre naturelle, en voyant successivement des hommes de toutes les opinions et de différends caractères. Je me gardai bien d'en faire aborder un seul; la position de nos affaires était trop désespérée pour qu'aucun d'eux renonçât aux faveurs qu'il entrevoyait déjà pouvoir obtenir. D'ailleurs que m'aurait-il dit? Une conversation dans laquelle on n'aurait pu trouver aucun fait, ou bien il m'eût donné son opinion particulière sur les dispositions de M. de Talleyrand, desquelles je me doutais bien.
J'étais dans cette inquiétude, lorsque, me promenant à cheval, j'imaginai de passer près de l'hôtel de ce prince. Je vis la voiture de l'archevêque de Malines à sa porte; je l'avais aperçue d'assez loin: je pensai qu'ils étaient en conférence. Résolu de m'en assurer, au lieu de me faire ouvrir la porte cochère, je descendis dans la rue, et entrai rapidement à pied. Le portier, qui me reconnut, n'osa m'arrêter. Je montai lestement l'escalier, et j'arrivai au cabinet de M. de Talleyrand sans avoir rencontré âme qui vive à l'antichambre: il était en tête à tête avec l'archevêque. J'entrai si brusquement, que je produisis sur eux le même effet que si je me fusse introduit par la fenêtre.
Leur conversation, qui était animée, s'arrêta net; l'un et l'autre semblaient avoir subitement perdu la parole. La figure de l'archevêque était néanmoins celle des deux qui était la plus décomposée. Je devinai à ce trouble le sujet de l'entretien, et ne pus m'empêcher de leur dire: «Pour cette fois, vous ne vous en défendrez pas; je vous prends à conspirer.» J'avais deviné juste, ils se mirent à rire, essayèrent de me donner le change; mais j'eus beau les prier de continuer leur conversation ils ne purent pas la ressaisir. Je me retirai, avec la conviction qu'ils tramaient quelque complot, mais sans savoir au juste en quoi il consistait.
CHAPITRE XXXI.
Rupture des conférences de Lusigny.—Proclamation de Louis XVIII.—Les intrigues de l'époque n'avaient rien de royaliste.—M. Fouché, son expédient pour en finir.—Opérations de l'empereur.—Il se jette sur les derrières des alliés.—Sa lettre à l'impératrice est interceptée.—Angoisses de cette princesse.
L'on se rappellera que ce ne fut que le 20 mars que les conférences furent rompues. On en reçut la nouvelle à Paris le 22 ou le 23, avant que l'on eût pu y être d'accord sur la démarche qu'il convenait de faire près des alliés. Il eût fallu quelques jours; on regardait sans doute la chose comme inutile, puisque l'on pouvait calculer le nombre de jours dont les ennemis avaient besoin pour être aux portes de la capitale. Je fus cependant averti de l'arrivée soudaine à Paris de M. Adrien de Montmorency, sur lequel j'avais les yeux, et qui habitait, depuis ces événements, chez M. de Chevreuse, à son château de Dampierre, dans les environs de Rambouillet; je l'envoyai chercher, mais il éluda le rendez-vous. On me rapporta qu'il avait vu M. de Talleyrand, après quoi il était, disait-on, reparti pour Dampierre. Il n'en était rien: il s'était mis en route pour se rendre, par un grand détour, auprès du comte d'Artois. Il était trop tard pour que le message pût amener quelque résultat; celui qui en était chargé était d'ailleurs d'un naturel trop prudent pour courir de nouveaux hasards, et s'aventurer sans avoir des chances à peu près sûres. Il n'y avait que son retour qui pouvait fournir la matière d'une observation sérieuse; or les événements amenèrent les ennemis à Paris avant qu'il y pût rentrer. Je restai ainsi dans l'opinion que tout était subordonné aux événements, et que le volcan ne ferait explosion qu'après la décision des souverains alliés. Les intrigues continuèrent: les uns y prenaient part pour les livrer à la police, si elles ne réussissaient pas; les autres pour se faire une position de faveur, si elles réussissaient. Tous ensemble n'avaient d'autres projets que d'adorer le chef nouveau qui leur serait présenté [27].
[27: Les projets des intrigants étaient tellement circonscrits à eux-mêmes, qu'ils prenaient les plus grandes précautions pour se dérober aux recherches de la police. Ce ne fut qu'à la fin de février, et dans le courant de mars, qu'ils osèrent faire circuler la proclamation du roi aux Français. Elle était datée de Londres, et de l'époque à laquelle les princes de Bourbon en partirent pour venir sur le continent, c'est-à-dire de près d'un an. S'ils avaient eu un comité ou des intelligences avec les meneurs du jour, ils auraient reçu cette pièce presque aussitôt qu'elle eût paru en Angleterre. La vérité est cependant que ce fut l'empereur qui la reçut le premier pendant le dernier séjour qu'il fit à Trianon.
Je m'étais tellement rendu maître de toutes les voies de communication avec l'Angleterre et les pays étrangers jusqu'au moment de l'envahissement de la France, que ce ne fut, comme je l'ai su depuis, que par l'un de mes subordonnés que l'archevêque de Malines se procura les gazettes anglaises où cette proclamation se trouvait. C'est aussi depuis ce moment que l'on commença à répandre dans Paris de petites copies imprimées de cette pièce; on les semait le soir dans les rues; on les glissait sous les portes, afin que les agents de police ne pussent pas les ramasser. On avait mis un tel mystère à les imprimer, que l'on ne s'était servi que d'une presse de cabinet; les caractères étaient en désordre au point que les mots d'une même ligne étaient plus hauts ou plus bas l'un que l'autre, ce qui dénotait une grande circonspection de la part de ceux qui répandaient cet imprimé. On n'osa pas en hasarder un seul écrit à la main; on aurait été bien plus hardi, si l'on avait été appuyé. Presque toutes les maisons où on les jetait les renvoyaient à la police.]
Ce déplorable état de choses était la conséquence de celui où l'on était tombé, et qui était hors de la portée des intelligences ordinaires. Dans une circonstance comme celle-là, je me félicitais de n'avoir pas M. Fouché à Paris, parce qu'il n'aurait pas manqué d'entrer en accommodement avec celui qui lui aurait paru être le plus fort, et de lui livrer tout le reste pour se faire à lui-même un sort particulier. Le hasard avait voulu qu'à la suite des événements qui avaient eu lieu en Italie, il fût revenu avec la princesse Élisa dans les départements méridionaux, je crois à la sénatorerie d'Arles, où il attendait le dénouement de tout ce qui obscurcissait l'horizon politique [28].
[28: Je tiens d'un témoin auriculaire qui se trouvait chez la princesse Élisa, avant que Paris fût occupé, que M. Fouché osa dire à la propre soeur de l'empereur: Madame, il n'y a qu'un moyen de nous sauver, c'est de tuer l'empereur sur-le-champ.]
La rupture des conférences, en jetant l'épouvante dans les esprits, amena encore dans Paris une surabondance de population qui provenait de tout ce qui avait été atteint de la peur dans les campagnes. Chacun y débitait les contes qui pouvaient justifier sa frayeur, et il ne manquait pas de sots pour y croire. Il y aurait eu de la démence à vouloir empêcher cela: je laissai aller les propos, car comment les eussé-je arrêtés? Si les mécontents avaient entrepris quelque chose, j'étais sans moyens de leur résister, et la moindre mesure de rigueur qui aurait été déployée eût été le signal d'un soulèvement.
Paris était devenu le seul point où l'on se croyait à couvert; partout ailleurs, l'on craignait de se trouver au milieu des ennemis extérieurs ou des troubles qui semblaient devoir être la conséquence de leur approche.
Les premières opérations qui suivirent la reprise des hostilités commencèrent par un mouvement vers l'Oise.
Les ennemis s'étaient renforcés dans cette partie par l'arrivée de différends corps de leurs troupes, qui avaient successivement passé le Rhin, depuis la Hollande jusque vers Coblentz.
L'empereur fit un mouvement offensif sur Soissons; il poussa vivement les alliés, les culbuta en avant de Craonne, et les suivit jusque sous les murs de Laon, où il eut une affaire malheureuse. Après une marche et des engagements qui avaient duré toute la journée, nos troupes se remettaient de leurs fatigues, lorsque la cavalerie ennemie fondit sur elles à la faveur de l'obscurité. Elles ne purent résister au choc; le désordre gagna. Le corps du maréchal Marmont et celui du duc de Padoue éprouvèrent des pertes considérables: on hasarda néanmoins le combat, il ne réussit pas; il fallut se retirer. L'empereur marcha sur Reims, où il entra après avoir culbuté les Russes. Mais pendant ce temps-là la grande armée ennemie s'était remise en marche en descendant la Seine, pour nous resserrer sur Paris.
L'empereur avait été rejoint, dans la première de ces villes, par quelques troupes qu'il avait tirées de la garnison de Mézières et de celles des places environnantes. Il se rapprocha de la Marne, pour être à même de se porter vers la rivière d'Aisne à sa gauche, et sur la Seine à sa droite. Comme je n'étais point à l'armée, je n'ai qu'imparfaitement connu la série des mouvements par lesquels l'empereur contenait, depuis le mois de janvier, une armée qui était plus du quintuple de la sienne. On comptait les jours qu'il pourrait résister encore; on plaignait un héros auquel il ne manquait que des forces physiques pour étonner le monde par de nouveaux prodiges.
En quittant les bords de l'Aisne pour se porter sur la Marne, il laissa les deux corps des maréchaux Marmont et Mortier sur cette rivière, et il se dirigea par Meaux pour venir joindre la portion de son armée qui se retirait par la rive droite en descendant la Seine, et cela par suite du mouvement de la grande armée ennemie, à la tête de laquelle se trouvaient l'empereur Alexandre et le roi de Prusse. L'empereur d'Autriche était resté en Bourgogne, où on lui avait sans doute suggéré de se fixer, afin de lui épargner l'odieux des mesures qu'on allait prendre.
Le mal était si pressant, que de tous côtés on sollicitait l'empereur de prévoir le moment où les ennemis entreraient à Paris. Chacun lui demandait des instructions pour ce qui le concernait; il répondait aux uns et aux autres de manière à leur persuader ce qu'il ne croyait pas lui-même. La sécurité qu'il affectait ne rassurait plus, et chaque jour amenait de nouvelles alarmes.
Il paraît cependant qu'il avait été persuadé de tout ce qu'on lui avait écrit, et qu'il avait donné au prince Joseph des ordres précis pour le cas qu'il avait prévu lui-même, comme on le verra ci-après.
Les maréchaux Mortier et Marmont, qui s'étaient retirés sur Meaux, venaient d'y être attaqués par des forces supérieures, et avaient été contraints de se retirer. Quelque fâcheuse que fût la situation où étaient les affaires, l'empereur conçut un plan d'opérations qui pouvait remédier à tout. Il aurait en effet déconcerté tous ses ennemis, et aurait probablement eu d'heureux résultats sans l'incident dont je vais rendre compte.
L'empereur, reconnaissant l'inégalité de ses forces, imagina de concentrer son armée, et de faire une percée à travers les ennemis, de manière à se porter au milieu de ses places, dont il se proposait de rallier les garnisons; une fois arrivé à Verdun, il pouvait communiquer avec elles et tout ce qui était intermédiaire entre cette place, Metz et Strasbourg, qui n'étaient bloquées que par des troupes peu redoutables.
Il marchait à l'exécution de ce projet dont il avait fait part à son frère Joseph, et en même temps il avait donné ordre aux deux corps des maréchaux Mortier et Marmont de le suivre en traversant la Champagne. Ceux-ci devaient le joindre, au-delà de Vitry, par la rive gauche de la Marne. En faisant ce mouvement, l'empereur avait donné des ordres à Paris pour que l'on y retînt toutes les troupes qu'on aurait pu lui envoyer, et il avait recommandé que l'on s'y préparât à une défense de quelques jours, parce que faisant son mouvement dans l'espoir que toute l'armée ennemie le suivrait, il croyait pouvoir revenir assez tôt à Paris; s'il en arrivait autrement, il était évident que l'on ne se battait plus que pour Paris, et que l'empereur ne s'en éloignerait pas trop, afin de pouvoir le secourir: nous allons voir ce qui arriva.
L'empereur avait coutume d'écrire à l'impératrice, et depuis que les communications étaient devenues aussi difficiles, il se servait d'un chiffre. En commençant son mouvement, il voulut la rassurer sur les résultats dont il pourrait être suivi; il lui écrivit pour l'en prévenir, et lui dire en même temps de ne pas s'étonner si elle restait quelques jours sans recevoir de ses nouvelles. Le malheur voulut que cette lettre, au lieu d'être chiffrée, ne le fût point, et par une fatalité encore plus grande, le courrier qui en était porteur, croyant que les troupes françaises occupaient toujours Meaux, se dirigea sur cette ville, où il tomba avec ses dépêches au pouvoir des alliés.
Le même jour, le maréchal Blucher envoya un parlementaire aux avant-postes avec une lettre pour l'impératrice, à laquelle il adressait celle de l'empereur, qui avait été décachetée. Il lui exprimait combien il s'estimait heureux que cette circonstance lui eût fourni l'occasion de mettre à ses pieds l'hommage de son profond respect, etc.; mais la lettre de l'empereur n'en avait pas été moins lue. Elle contenait la pensée de son mouvement et finissait par cette phrase: Cette manoeuvre me sauve ou me perd.
L'impératrice, qui était très maîtresse d'elle-même, ne laissa pas apercevoir d'abord tout ce que la lecture de cette lettre lui avait fait éprouver; elle n'en parla pas aux personnes qui se trouvaient chez elle lorsqu'elle la reçut, mais le soir, quand je me présentai dans son salon, elle me fit l'honneur de me désigner pour sa partie. On s'était assis, et contre son habitude elle ne permit pas qu'on rompît l'enveloppe des cartes, ce qui était une preuve qu'elle n'était point disposée à jouer. Elle attendit un moment que le salon eût prit son assiette ordinaire, et lorsque l'attention ne fut plus uniquement fixée sur elle, elle commença la conversation. Elle parla d'abord de choses indifférentes, et revint petit à petit sur l'empereur, dont elle parlait toujours avec un vif intérêt. Elle cherchait, près de ceux qu'elle savait lui être attachés, à se rassurer contre des pressentiments qui chaque jour devenaient plus sinistres. Elle me demanda si j'avais reçu des lettres de l'empereur, je lui répondis que non. Eh bien! me dit-elle, je puis vous donner de ses nouvelles, j'en ai reçu ce matin. Je ne pus m'empêcher de témoigner ma surprise, et de lui observer qu'il n'était pas arrivé de courrier. «Cela est vrai, me dit-elle, il n'est pas arrivé de courrier, et je vous étonnerai encore davantage en vous disant que c'est le maréchal Blucher qui m'a envoyé une lettre de l'empereur, laquelle, à ce qu'il me dit, a été trouvée parmi plusieurs autres dont un courrier était porteur au moment où il a été pris par les ennemis. À vous dire vrai, je suis dans des inquiétudes très vives depuis que j'ai réfléchi aux conséquences qui peuvent résulter de cet accident; l'empereur m'a toujours écrit en chiffres; depuis son départ, toutes les lettres ainsi chiffrées sont arrivées à bon port, celle-ci, qui ne l'est point, est la seule dans laquelle il me parle de son projet, et il faut qu'elle tombe entre les mains des ennemis! Il y a là une fatalité qui m'attriste.»
Le bon jugement de cette princesse lui avait fait saisir sur-le-champ les conséquences fâcheuses que pouvait avoir cet incident, et elle ne se faisait point illusion, tout en ayant l'air de se laisser persuader de ce qu'on lui disait pour la rassurer. Je crois que l'on peut trouver dans cet accident l'explication de ce qu'a voulu dire M. de Castlereagh, au parlement d'Angleterre, lorsqu'en rendant compte à cette assemblée des opérations des armées alliées en France, il dit que l'on était indécis si l'on marcherait sur Paris, lorsqu'on reçut au quartier-général des communications tellement précises et si importantes, que l'on se décida à s'approcher de cette capitale.
Si ce n'est pas de la lettre de l'empereur à l'impératrice que parle le diplomate, ce ne peut être que des communications apportées par M. de Vitrolle, qui allait faire part aux ennemis, de l'état dans lequel était Paris, et du point où MM. de Talleyrand, Dalberg, etc., avaient amené les affaires. Paris, la France entière lui doivent une véritable reconnaissance.
On eut pendant quelques jours à Paris l'espérance que les ennemis s'attacheraient uniquement au mouvement de l'empereur, parce qu'en effet ils agissaient lentement; mais l'on fut bientôt dissuadé en apprenant la marche de la grande armée ennemie à travers la Brie. On voulait encore espérer, lorsque l'on sut que l'empereur Alexandre et le roi de Prusse avaient couché à Coulommiers, à environ quatorze lieues de Paris, sur la route qui, après avoir traversé la Brie, vient joindre la Marne à Lagny. Il n'y avait plus moyen d'en douter, car des habitants de Coulommiers étaient partis, pour rentrer à Paris après l'arrivée de ces deux souverains dans leur commune.
La foule des gens de la campagne fuyait de toutes parts à l'approche des ennemis, et revenait sur Paris, dont la nombreuse population était presque la seule sauvegarde qui restait. Le danger était imminent; le ministre de la guerre, que cela regardait plus particulièrement, demanda à la régente de convoquer un conseil pour y exposer la situation où l'on était, et mettre du moins sa responsabilité à couvert pour ce qui le regardait. Il se fit autoriser par la régente à rappeler sur Paris les corps des maréchaux Mortier et Marmont, qui étaient déjà en marche pour rejoindre l'empereur; l'ordre qu'on leur envoya put recevoir son exécution, et ces deux corps arrivèrent à Charenton le jour où la grande armée ennemie poussait en arrière de Claye sur la route de Meaux, à six lieues de Paris, le faible corps que nous avions dans cette direction.
Le conseil dont le ministre de la guerre avait demandé la convocation fut assemblé le même soir au château des Tuileries. Comme cette séance est celle où l'on a pris la résolution qui a perdu la France, il est important de n'en omettre aucun détail.
CHAPITRE XXXII.
Conseil de régence.—L'impératrice doit-elle ou non quitter Paris?—M. Boulay de la Meurthe propose de l'installer à l'Hôtel-de-Ville.—Le conseil adopte cette opinion.—Le duc de Feltre.—Joseph se range à son avis.—Le départ est arrêté.—On me propose d'insurger Paris.—Motifs qui m'arrêtent.—Les intrigues dont j'étais l'objet m'inspirent de la circonspection.—Encore M. de Talleyrand.
Les ennemis, instruits par la lettre de l'empereur du danger qui les menaçait, assemblèrent un conseil où la situation des choses fut vivement discutée: les uns voulaient marcher sur Paris, les autres opinaient pour se retirer sur le Rhin; chacun faisait valoir des considérations qui lui étaient propres. On balançait, on ne savait que résoudre, lorsqu'un nouvel émissaire vint fixer toutes les indécisions. Alexandre annonça la résolution de tenter la fortune. Tout se mit aussitôt en mouvement, au lieu de se replier sur Chaumont, comme l'empereur se l'était promis. Schwartzenberg avait passé l'Aube, Blucher avait franchi l'Aisne, les armées alliées avaient opéré leur jonction, elles s'avancèrent en masse sur Paris; ce qu'elles n'auraient jamais osé faire, si l'armée d'Espagne avait été seulement en marche pour venir joindre l'empereur. Si, au lieu de disséminer nos troupes sur les différends points du territoire, on les eût serrées en masse, on eût rassemblé une armée plus formidable encore que celle des alliés, et qui eût été composée de troupes accoutumées depuis longtemps à les battre; c'est en cela que l'empereur fut mal servi. On devait lui réunir une armée, et l'on aurait vu comme les ennemis auraient été traités.
Le conseil qui fut réuni ce soir-là aux Tuileries était composé de:
L'impératrice. Le prince Joseph. Le prince de Bénévent. L'archi-chancelier. L'archi-trésorier. Le grand-juge, M. Molé. Intérieur.—M. de Montalivet. La guerre.—Le duc de Feltre. Cultes.—Bigot de Préameneu. Commerce.—M. de Sussy. Le duc de Cadore, comme secrétaire d'État. Finances.—Le duc de Gaëte. Trésor public.—M. Mollien. Administration de la guerre.—M. Daru. Police.—Le duc de Rovigo. Marine.—Le duc Decrès.
Ministres d'État.
Le duc de Massa.
M. Regnault de Saint-Jean-d'Angély.
M. Boulay de la Meurthe.
M. Merlin (de Douay).
M. Muraire.
Le comte de Cessac.
M. de Fermont.
Le président du sénat, M. de Lacépède.
Je crois que les maréchaux Moncey et Serrurier assistèrent au conseil, mais je ne puis l'assurer.
Il était huit heures et demie lorsque le conseil s'assembla. La régente occupait le fauteuil; le prince Joseph, après lui en avoir demandé l'autorisation, fit connaître au conseil le motif de sa convocation, puis donna la parole au duc de Feltre, ministre de la guerre. Celui-ci fit un exposé exact des dangers dont la capitale était menacée, et qui étaient si pressants, qu'il avait cru, comme je l'ai dit, de son devoir d'en rendre compte à la régente, ne voulant pas prendre sur lui la responsabilité des événements. En comparant le temps qu'il fallait à l'empereur pour arriver, et la proximité à laquelle se trouvaient les ennemis, il ne voyait aucun moyen de leur résister. Il fit l'énumération de ce qu'il y avait de troupes, tant à Paris que dans les environs, et exposa que les corps des maréchaux Mortier et Marmont n'étaient pas encore arrivés. S'il n'ajouta rien à ce qui pouvait augmenter les inquiétudes, il ne dit rien non plus de propre à rassurer. Il découvrait attentivement tout ce qui pouvait alarmer, mais il était muet sur ce qu'il nous restait de ressources, et ne trouva rien de ce qui pouvait consoler. Il ne dit pas un mot de plus de dix mille hommes de troupes qui occupaient la route de Versailles à Vendôme, où il les avait envoyés d'avance, ayant sans douta arrêté le départ de l'impératrice. Il ne dit pas, entre autres choses, un mot de la situation de l'arsenal de Paris, dans lequel il y avait cinquante-quatre mille fusils de munition réparés à neuf. Il garda le même silence sur un parc d'artillerie de deux cent cinquante pièces de canon de différends calibres qui étaient montées sur leurs affûts, et accompagnées de leurs caissons de munitions, chargés et rangés avec les pièces dans le Champ-de-Mars, et cela, indépendamment de l'artillerie qui se trouvait aux barrières; mais il prévint soigneusement que l'empereur n'avait pas laissé un seul cheval d'artillerie dont on pût disposer, qu'il avait successivement appelé à l'armée tous ceux que l'on était parvenu à réunir. En cela le ministre n'accusait pas vrai: les chevaux d'artillerie que l'empereur avait fait venir de Paris à l'armée avaient été réunis par les soins du préfet du département de la Seine pour le service de l'artillerie des barrières, si l'on avait eu besoin de la mouvoir; mais le ministre de la guerre, à qui aucun moyen de témoigner plus de zèle qu'un autre n'échappait, ne négligeait rien de tout ce qui pouvait faire croire à l'empereur que lui seul savait le servir, et enlevait d'autorité à la préfecture de la Seine les chevaux de trait qu'elle parvenait à réunir.
En écoutant parler le ministre de la guerre, il était difficile de se défendre de mauvais pressentiments: c'était un mélange de loyauté, de prudence, d'adulation et d'indépendance auquel on ne comprenait rien; il semblait vouloir dire: Je vous ai prévenus de tout, je me lave les mains du reste.
Un tel exposé n'était pas propre à inspirer de la confiance à ceux qui étaient étrangers aux opérations militaires. En voyant le duc de Feltre désespérer des ressources qui lui restaient, qui pouvait se rassurer? Je ne sais quelles considérations le portèrent à rembrunir un tableau par lui-même assez sombre. Il fallait cependant qu'il en eût, car la conséquence naturelle de son exposé était de mettre en discussion la nécessité du départ de l'impératrice et de son fils, qu'il venait de faire voir comme entourés de dangers.
Effectivement, l'on se borna à ouvrir la discussion sur la question de savoir si l'impératrice devait rester à Paris, ou s'éloigner. Les débats s'ouvrirent; les membres du conseil parlèrent comme de bons Français et des hommes attachés à l'empereur et à son ouvrage. Ils développèrent tous le danger qu'il y avait d'abandonner la capitale à l'influence ennemie, en désintéressant les citoyens de Paris à sa défense; ce qui arriverait dès qu'ils verraient que l'on manquait de confiance en eux pour la conservation de l'impératrice et du petit roi de Rome, que l'empereur leur avait fait jurer de défendre, et au nom desquels on avait armé la garde nationale de Paris.
On observa que la puissance qui nous restait était dans Paris, que la force de celle-ci consistait dans la présence de la souveraine au milieu de la population, qui se dévouerait lorsqu'elle verrait qu'on lui accordait de la confiance.
On proposa d'emmener l'impératrice à l'Hôtel-de-Ville au moment du danger, et de la montrer au peuple dans les rues, dans les faubourgs et sur les boulevards. Cet avis courageux, ouvert par M. Boulay de la Meurthe, fut appuyé par tout le conseil. M. de Talleyrand lui-même opina dans ce sens; il développa les motifs de son opinion, et ne cacha point la possibilité d'un bouleversement que la présence seule de l'impératrice pouvait arrêter. Le duc de Massa prit la parole après lui; il présenta des considérations tout opposées, et fut très énergique dans son opinion. Je parlai à mon tour, et insistai fortement sur le danger que l'impératrice s'éloignât. Je motivai particulièrement mon opinion sur les bonnes dispositions dans lesquelles je savais être la portion de la population que l'on prise le moins, et qui est celle qui ne met jamais de bornes à ses sacrifices. Il se fit quelques minutes de silence, l'archi-chancelier recueillit les voix; toutes, hors celle du ministre de la guerre, furent pour que l'impératrice restât à Paris. M. le duc de Feltre demanda la parole; il commença un long discours qui ne peut être sorti de la mémoire d'aucun de ceux qui l'ont entendu; il a eu trop d'influence sur nos destinées pour ne pas en rapporter les principaux traits. Après un exorde assez long dans lequel il rappela quelques faits d'histoire, et cita des traits de fidélité tirés de la même source, il fit une application de la situation du moment à celle dans laquelle s'étaient trouvés les souverains que des événements de guerre avaient obligé de quitter leur capitale. Il dit que c'était une erreur de regarder Paris comme le centre de la puissance de l'empereur, que le pouvoir de ce prince le suivait partout, et que tant qu'il resterait un village où lui ou bien son fils seraient reconnus, c'était là que devaient se rallier tous les Français, là qu'était la capitale; qu'il ne fallait pas désespérer aussi vite du salut de l'État. Quant à lui, il ne concevait pas comment des hommes qui faisaient depuis si longtemps profession d'attachement à la personne de l'empereur pouvaient proposer d'exposer son fils à tomber entre les mains des ennemis; il n'y avait plus que ce lien qui intéressât l'Autriche; il ne resterait plus de ressource, lorsqu'on se serait laissé aller à la perfide insinuation de livrer le fils d'Hector aux Grecs.
Le duc de Feltre était très échauffé; on voyait qu'il cherchait des tournures de phrases et des expressions pour marquer son dévouement à l'empereur, en présence de l'impératrice, devant laquelle il ne craignait pas d'être d'un avis opposé à tout le conseil; du reste, son discours ne resta pas sans réplique. On répondit aux différends tableaux qu'il avait faits, et, malgré le ton d'assurance avec lequel il s'était annoncé, le conseil, dont on recueillit de nouveau les suffrages, fut de l'avis que l'impératrice devait rester à Paris; il n'y eut pas une seule voix de moins que dans le vote précédent.
Le prince Joseph opinait pour la retraite, mais on s'apercevait aisément qu'il combattait la résolution, moins parce qu'il l'improuvait que pour s'assurer de la franchise d'opinion de tous les membres du conseil. Obligé à la fin de voter à son tour, il appuya l'opinion du ministre de la guerre, en exhibant une lettre de l'empereur, qui lui avait marqué qu'il ne pouvait pas, à cause de la difficulté des communications, lui dire ce qu'il conviendrait de faire dans les cas qui pourraient survenir; que c'était à lui à prendre conseil des circonstances et à se conduire d'après les événements; mais que le plus grand malheur qui pourrait arriver, était que le roi de Rome tombât au pouvoir des ennemis; que, dans ce cas, il lui ordonnait positivement de faire partir l'impératrice et son fils pour Rambouillet, d'où il les dirigerait sur Tours. Je crois même que l'empereur ajoutait dans sa lettre que ce serait une trahison que d'exposer le roi de Rome à tomber entre les mains des ennemis. La communication de cette lettre atterra les membres du conseil, et expliqua l'opinion qu'avait émise le duc de Feltre, qui en avait sans doute eu connaissance; car depuis longtemps il sollicitait l'empereur de donner des instructions pour le cas qui était malheureusement arrivé. Il faut en convenir, l'empereur ne pouvait donner un ordre plus favorable à ceux qui aiment à recueillir des honneurs sans courir de dangers.
Malgré les intentions formelles manifestées dans la lettre de l'empereur, le conseil ne changea point d'avis; le duc de Cadore proposa même de passer outre, et de faire rester l'impératrice à Paris. Tout le monde pensa que si l'opinion des membres du conseil devait décider la question qui était en délibération, l'impératrice ni le gouvernement ne devaient pas quitter la capitale; mais que, si l'on voulait donner à l'ordre de l'empereur son exécution, il était inutile de les assembler, car on ne devait pas penser qu'ils eussent l'intention de désobéir à l'empereur; c'était à ceux qu'il avait investis de son pouvoir à juger si le moment que ce prince avait indiqué pour la retraite du gouvernement était arrivé.
M. de Talleyrand observa encore que tout était perdu si l'on quittait Paris; néanmoins on déclara, à une troisième épreuve, que, puisqu'il y avait un ordre de l'empereur, on devait y obtempérer, mais que cela était bien malheureux. M. l'archi-chancelier, après avoir recueilli toutes les voix, se déclara aussi pour le départ, en annonçant que S. M. partirait le lendemain, à huit heures du matin, pour Rambouillet, où elle emmènerait son fils.
Cette décision prise, chaque ministre demanda des instructions pour son département, et il fut résolu, 1° que le prince Joseph resterait à Paris, et que l'archi-chancelier seul accompagnerait l'impératrice et le roi de Rome; 2° que les autres dignitaires, avec les ministres, resteraient à Paris jusqu'à ce que le prince Joseph leur eût signifié l'ordre de partir, que, pour éviter toute équivoque, il ferait parvenir à chacun d'eux par le grand-juge, M. Molé; 3° il fut arrêté que le président du sénat accompagnerait l'impératrice, et qu'avant de partir, il écrirait à tous les membres de ce corps de ne se rendre à aucune convocation illégale, c'est-à-dire qui ne serait pas faite dans les formes prescrites par les constitutions.
Ces dispositions arrêtées, la séance fut levée: il était deux heures du matin.
Les membres qui composaient le conseil s'arrêtèrent dans la pièce voisine, déplorant la résolution qui venait d'être prise. Plusieurs me disaient: «Si j'étais ministre de la police, Paris serait insurgé demain matin, et l'impératrice ne partirait pas.»
Paris sans doute était [29] disposé à s'insurger; je n'avais pas été jusqu'à ce moment sans m'apercevoir qu'il était facile de le mettre en mouvement, et que cela dépendait de moi. «Mais, leur dis-je, quel est celui d'entre vous qui voudrait prendre la responsabilité des événements dont ce mouvement peut être suivi, surtout après ce dont vous venez d'être les témoins, c'est-à-dire, lorsque vous venez de décider qu'il fallait obéir aux ordres de l'empereur. Vous me conseillez de prendre sur moi ce que vous n'avez pas cru pouvoir faire. Mais connais-je les projets de l'empereur? Suis-je même assuré que ce mouvement ne les contrarierait pas? et si je venais à échouer, à quoi auraient servi le meurtre, le pillage, tous les désordres dont peut être suivi un appel à la multitude? Est-il sûr, est-il même probable que le souverain qui refusa de couvrir sa défaite par l'incendie de Leipzig, voulût régner au prix des malheurs qu'une telle résolution peut attirer sur la capitale? Que répondrais-je à ses reproches? Qu'opposerais-je aux plaintes de cent mille familles, dont l'une me demandera son chef, l'autre ses habitations, sa fortune, que je lui aurais ravis? Ce serait trop de victimes, trop de larmes; je ne puis prendre sur moi de lancer toute une population dans un abîme. D'ailleurs, quand j'en aurais la force, l'esprit de mes instructions le défend. Loin de vouloir que je compromette la population, l'empereur m'ordonne de quitter Paris si les alliés pénètrent dans la capitale. Je puis bien empêcher l'impératrice de partir; mais il n'y a qu'un fou qui osât se flatter de maîtriser les événements dont cette violence pourrait être suivie. En voulant servir l'empereur, je puis détruire les chances qui lui restent, et faire tourner au profit d'un parti les espérances qu'il peut conserver. Passe cependant si je n'avais pas d'ordres, que le cas fût fortuit; mais tout à été prévu: il ne me reste qu'à m'y conformer. Je déplore, comme tout le monde, la funeste résolution qui vient d'être arrêtée; mais je ne veux pas me charger seul de ce que vous n'avez pas osé faire tous ensemble.»
[29: L'empereur avait été exactement instruit par moi des dispositions des citoyens de Paris, qui ne demandaient que des armes qu'on leur refusait.]
J'avais plus d'un motif pour ne pas me rendre au conseil qu'on me donnait, et je vais les exposer. Je m'étais aperçu depuis longtemps que l'empereur, sans cesser de croire à mon dévouement pour lui, n'avait pas été inaccessible aux insinuations qui lui avaient été faites sur mon compte: que je ne travaillais pas; que j'étais mené par mes bureaux; qu'une intrigue me dirigeait; que j'avais les meilleures intentions possibles, mais que j'étais au-dessous de cette place, et étranger à la révolution qu'il importait éminemment de connaître pour la bien remplir.
La cabale qui avait été contrariée de ma nomination au ministère, n'avait pas perdu l'espérance de m'en éloigner pour y porter un des siens, comme elle faisait depuis quinze ans dans les sept huitièmes des places administratives. Je n'avais pu méconnaître, à l'occasion de l'affaire du 23 octobre, que si l'empereur ne m'avait pas sacrifié après les calomnies du ministre de la guerre, c'est que la turpitude des rapports qui lui étaient parvenus lui avait été tellement démontrée, qu'il ne put disconvenir que je n'avais aucun tort dans cette affaire; mais comme il avait d'abord donné une sorte de sanction à ce qu'on lui dit, il ne voulut pas tout de suite en revenir. Le ministre de la guerre avait fait ses preuves dans les intrigues de la révolution; quelques frères et amis de l'époque s'étaient joints à lui, et tous ensemble tentaient tous les moyens imaginables pour me donner un successeur. Je voyais tout cela, on me le disait, je le croyais, et je n'en servais que mieux; mais aussi j'avais renoncé à compter jamais sur les effets de cette bienveillance que l'empereur avait pour moi, quand j'étais son aide-de-camp; j'étais persuadé au contraire qu'il compterait plus rigoureusement avec moi qu'avec tout autre, non pas qu'au fond il ne m'estimât, mais parce qu'on lui avait persuadé que j'étais disposé à me targuer d'une bienveillance particulière de sa part, et que je me permettais une foule de choses, parce que je me croyais sûr de l'impunité.
Depuis son voyage en Hollande, pendant lequel la reine de Naples vint à Paris, et surtout depuis son retour de Russie, j'avais eu lieu de me convaincre que j'avais baissé dans son opinion.
Je m'observai dès-lors, mais j'éprouvai constamment le chagrin d'un homme que l'on considère comme mal à sa place, et qui est obligé de se replier sur lui-même pour se consoler de l'injustice qu'il essuie. Je regrettais l'état militaire, et je sentais de l'aversion pour ces guerres continuelles qui n'étaient plus qu'un métier, au lieu d'être une carrière de gloire, comme dans les premières années du règne de l'empereur.
Dans la position ou je me trouvais placé, sachant, comme je viens de le dire, toutes les intrigues dont j'étais l'objet, j'avais tout à craindre en traversant l'opinion du ministre de la guerre. En effet, il aurait sûrement rejeté sur moi toute la responsabilité de l'entreprise, et, pour, être conséquent avec lui-même, et mettre sa responsabilité, à couvert, autant que pour céder à un mouvement assez naturel au coeur humain, il n'aurait pas manqué de faire connaître aux troupes ce dont il aurait été question. Les généraux qui commandaient celles-ci m'eussent dès-lors abandonné, et je ne devenais plus qu'un chef de factieux. Or, qu'est un chef de parti au moment du danger, lorsque les troupes l'abandonnent? Les maréchaux Marmont et Mortier, instruits par le ministre de la guerre, eussent-ils voulu prendre part à une insurrection dans laquelle ils n'auraient pas même eu le premier rôle, tandis que leur responsabilité était à couvert en suivant la direction donnée par le ministre de la guerre.
Que me serait-il resté alors pour parti? Les hommes qui venaient de reconnaître qu'il fallait obéir à l'ordre que le prince Joseph avait exhibé? Ils n'auraient pas manqué de m'abandonner, d'autant plus qu'ils voyaient bien que cet ordre de l'empereur n'avait été donné que sur les remontrances et les sollicitations réitérées du ministre de la guerre.
En supposant que j'eusse mis en mouvement ce qu'on appelle vulgairement les hommes de la république, quels moyens me seraient restés pour prévenir leurs écarts? Ce parti était pour le moins aussi dangereux pour l'empereur que les ennemis. N'ayant aucun antécédent avec lui, je m'exposais à devenir sa victime dès qu'il serait réuni. Que n'aurait-on pas dit si les choses avaient pris cette tournure, comme cela pouvait arriver? On m'aurait couvert de ridicule; car, enfin, les alliés, qui ne voulaient que la chute de l'empereur, pouvaient s'arranger avec un parti auquel ils auraient fait accepter ce qu'ils auraient voulu; ils se seraient même fait remettre l'impératrice et son fils. Une fois qu'ils auraient traité sur des bases opposées, ils étaient les maîtres, et en promettant de ménager Paris, ils auraient obtenu tout ce qu'ils auraient proposé. Il ne faut que se reporter au temps et aux circonstances d'alors pour ne pas trouver ces observations déraisonnables.
L'expérience des hommes que j'avais acquise m'avait assez pénétré de cette opinion, pour que je n'accordasse aucune confiance aux démonstrations que me faisaient ceux qui n'avaient pas l'ombre du courage indispensable pour ce qu'ils me proposaient.
Je me décidai donc à obéir et à suivre l'opinion émise dans le conseil. Dès-lors je ne me considérai plus que comme un administrateur de la tranquillité publique. En sortant du château des Tuileries, M. de Talleyrand s'approcha de moi, et me parla en ces termes: «Eh bien! voilà donc la fin de tout ceci; n'est-ce pas aussi votre opinion? Ma foi, c'est perdre une partie à beau jeu. Voyez un peu où mène la sottise de quelques ignorants qui exercent avec persévérance une influence de chaque jour. Pardieu! l'empereur est bien à plaindre, et on ne le plaindra pas, parce que son obstination à garder son entourage n'a pas de motif raisonnable; ce n'est que de la faiblesse qui ne se comprend pas dans un homme tel que lui. Voyez, monsieur, quelle chute dans l'histoire! donner son nom à des aventures, au lieu de le donner à son siècle! Quand je pense à cela, je ne puis m'empêcher d'en gémir. Maintenant quel parti prendre? Il ne convient pas à tout le monde de se laisser engloutir sous les ruines de cet édifice; allons, nous verrons ce qui arrivera. L'empereur, au lieu de me dire des injures, aurait mieux fait de juger ceux qui lui inspiraient des préventions; il aurait vu que des amis comme cela sont plus à craindre que des ennemis. Que dirait-il d'un autre, s'il s'était laissé mettre dans cet état?»
Il ajouta encore plusieurs autres phrases qui étaient à peu près la répétition des premières, et nous nous quittâmes [30].
[30: J'expédiai un exprès à l'empereur à la sortie de ce conseil, et je lui détaillai dans ma lettre tout ce qui s'était passé, ainsi que tout ce que je prévoyais devoir en être la suite avant quarante-huit heures. Je fis partir successivement jusqu'à quatre copies de ma lettre dans la même journée; j'avais depuis longtemps fait usage des moyens usités dans les correspondances clandestines pour soustraire mes lettres aux événements de guerre, et cela m'avait réussi.]
Il n'y eut presque aucun des membres de ce conseil qui, en sortant des Tuileries, ne dît un sincère adieu à son camarade, tant il était persuadé que c'était le dernier acte du gouvernement auquel il avait été associé.
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
* * * * *
Lettre de M. de Metternich à M. de Bassano.
Prague, le 22 juillet 1813.
MONSIEUR LE DUC,
M. le comte de Narbonne m'a communiqué la dépêche que votre excellence lui a adressée, en date du 19 de ce mois, ainsi que les pièces y annexées, concernant les discussions qui ont eu lieu à Neumarck relativement à l'armistice.
J'ai rendu compte à l'empereur du nouveau retard qu'éprouve l'arrivée de M. le duc de Vicence. C'est d'ordre de sa majesté impériale que j'écris directement à votre excellence pour la prier de porter à la connaissance de S. M. l'empereur des Français la pénible impression que ce retard a produite sur elle.
L'empereur, en adressant l'offre de sa médiation aux puissances belligérantes, n'a pas été seulement mû par le désir de la paix; il y a été également déterminé par le besoin de faire cesser le plus tôt possible les charges qui, souvent plus que la guerre même, s'appesantissent sur les peuples pendant cet état intermédiaire qui n'est ni la guerre ni la paix.
Sa majesté impériale n'a pas demandé la prolongation de l'armistice de Pleisswitz. Elle n'a cependant pas hésité à employer ses bons offices pour faire admettre par les puissances alliées un terme additionnel de vingt jours à ajouter au terme présumé des négociations, lesquels, attendu les distances des quartiers-généraux respectifs, et les pourparlers nécessaires pour faire agréer à ces mêmes puissances la prolongation de l'armistice, ne pouvaient guère s'ouvrir que le 12 juillet.
L'engagement que, par l'article 4 de la convention du 30 juin dernier, S. M. l'empereur des Français avait pris envers la puissance médiatrice, de ne pas dénoncer avant le 10 août l'armistice existant, fut transmis par nous aux puissances alliées. LL. MM. l'empereur de toutes les Russies et le roi de Prusse accédèrent à la proposition de l'Autriche, et nous n'avons pas tardé à faire parvenir à S. M. l'empereur des Français l'information officielle de leur engagement formel à ce sujet. Que pouvait-il rester à désirer aux puissances belligérantes pour entrer en négociation à Prague? Par quelle autre voie plus légale l'engagement de la France et de contr'engagement des alliés de ne pas dénoncer l'armistice avant le 10 août pouvaient-ils être même rendus obligatoires de part et d'autre? Quel surcroît d'assurances la France pouvait-elle attendre sur la détermination des puissances alliées? Quelle garantie plus certaine pouvait-elle enfin recevoir d'une sincérité entière et parfaitement réciproque jusqu'au terme convenu?
Des ordres cependant furent expédiés au quartier-général français, aux commissaires à Neumarck. Une nouvelle discussion s'établit, de cette manière, à côté des garanties les plus formelles. Ce fait avait de quoi surprendre, mais nous étions loin de soupçonner qu'il entraînât les retards les plus précieux à la cause de la paix. Comment prévoir la possibilité que les plénipotentiaires de la puissance médiatrice et des puissances alliées, réunis à Prague dès le 12 juillet, jour convenu pour l'arrivée des plénipotentiaires de part et d'autre, s'y trouveraient le 22 du mois, non seulement sans que le plénipotentiaire français y fût, mais même dans l'incertitude la plus complète sur l'époque de son arrivée?
Un office que vient de m'adresser le baron d'Anstett ne me laisse point de doute qu'à Neumarck même le différent qui s'était élevé entre les commissaires doit y être aplani. Dix jours précieux ne sont pas moins perdus pour les négociations de Prague; ils ne pourront être mis ni sur le compte de la puissance médiatrice, qui a rempli dans la plus grande étendue les engagements qu'elle avait contractés envers la France, ni imputés aux alliés, qui ont accepté, dans les formes diplomatiques, la prolongation de l'armistice, et dont les négociateurs sont arrivés ici le jour convenu.
La réunion des plénipotentiaires respectifs eût sans doute suffi pour ne pas laisser s'établir ailleurs des discussions sur des questions décidées d'avance entre les cabinets.
Il me reste à prier votre excellence de vouloir bien me faire connaître, le plus tôt possible, le terme auquel seront rendus ici les plénipotentiaires français, sa majesté impériale désirant vivement de ne plus voir de nouveaux incidents servir de motif à une perte de temps irréparable.
Je prie votre excellence, etc.
Signé METTERNICH.
* * * * *
Réponse du duc de Bassano.
MONSIEUR LE COMTE,
M. le général de Bubna vient de me faire remettre la lettre de votre excellence, en date du 22 de ce mois. Ayant envoyé le même jour à M. de Narbonne ses pouvoirs et ses instructions, j'avais satisfait d'avance à la demande que vous me faites l'honneur de m'adresser par cette lettre. Elle se trouvait ainsi sans objet, et je n'ai point été dans le cas de la placer sous les yeux de sa majesté.
Quant aux détails dans lesquels vous avez jugé à propos d'entrer, monsieur le comte, je prie votre excellence d'agréer que je me borne, pour y répondre, à lui rappeler les faits au moyen de la notice ci-joint.
J'ai l'honneur de vous offrir, etc.
Dresde, le 24 juillet 1813, au soir.
Signé le duc de BASSANO.
1813
30 juin. Convention qui fixe au 5 juillet le jour de la réunion des plénipotentiaires et la prolongation de l'armistice au 10 août.
3 juillet. Lettre de M. le comte de Metternich. Son excellence propose que la réunion n'ait lieu que le 8.
8 id. Lettre du même. Son excellence propose que la réunion n'ait lieu que le 12.
9 id. Départ de M. le comte de Narbonne pour presser les réponses sur tout ce qui avait été convenu avec M. le comte de Metternich.
9 id. Lettre du duc de Bassano à M. le comte de Metternich. Il annonce la démarche faite à Neumarck.
12 juillet. Lettre de M. le comte de Metternich. Il donne avis de la nomination des plénipotentiaires russe et prussien, et de leur arrivée à Prague.
12 id. Lettre du même à M. le général de Bubna. Il voit avec plaisir l'ordre donné à Neumarck.
15 id. Envoi des déclarations des ministres russe et prussien, sur la prolongation de l'armistice.
16 id. Lettre du duc de Bassano, annonçant à M. le comte de Metternich la nomination du duc de Vicence et du comte de Narbonne comme plénipotentiaires français.
17 id. Correspondance de Neumarck. Les commissaires russe et prussien ne veulent prolonger l'armistice que jusqu'au 4 août.
19 id. Lettre d'envoi de ces pièces à M. le comte de Narbonne, pour les communiquer à M. le comte de Metternich.
22 id. Correspondance de Neumarck. Les commissaires russe et prussien annoncent qu'ils sont autorisés à convenir de la prolongation de l'armistice, aux termes de la convention du 30 juin. Ils élèvent des difficultés sur l'envoi d'officiers français aux gouverneurs des forteresses, et sur la fixation des quotités pour l'approvisionnement des places.
22 juillet. Envoi des pouvoirs et des instructions de M. le comte de Narbonne.
23 id. Envoi à M. le comte de Narbonne de la correspondance de Neumarck et des instructions du prince de Neufchâtel, pour lever les dernières difficultés existantes.
25 id. Signature présumée des arrangements à Neumarck.
26 id. Départ du duc de Vicence pour Prague, en conséquence de la conclusion desdits arrangements.
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Note de M. de Metternich aux plénipotentiaires français.
Le soussigné, ministre d'État et des affaires étrangères de sa majesté impériale et royale apostolique, désirant voir ouvrir dans le plus court délai les négociations qui, d'ici au terme très-rapproché de l'armistice, doivent conduire à la pacification des puissances belligérantes, a l'honneur de s'adresser à LL. EExc. MM. le duc de Vicence et le comte de Narbonne, plénipotentiaires de S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie, en les invitant à se concerter avec lui sur le mode à adopter pour les négociations.
Il ne s'en présente que deux: celui des conférences et celui des transactions par écrit. Le premier, où les négociateurs s'assemblent en séances réglées, retardent par les embarras d'étiquette, par les longueurs inséparables des discussions verbales, par la rédaction et la confrontation des procès verbaux, et autres difficultés, la conclusion bien au-delà du temps nécessaire; l'autre, qui a été suivi au congrès de Teschen, d'après lequel chacune des cours belligérantes adresse ses projets et propositions en forme de notes au plénipotentiaire de la puissance médiatrice, qui les communique à la partie adverse, et transmet de même et dans la même forme la réponse à ces projets et propositions, évite tous ces inconvénients. L'extrait ci-joint en copie fera connaître à LL. EExc. MM. le duc de Vicence et le comte de Narbonne, la marche qu'on a observée dans cette occasion.
Sans préjuger les instructions que leurs excellences les plénipotentiaires de France peuvent avoir reçues sur un objet sur lequel l'Autriche a déjà d'avance fixé l'attention de leur cour, le soussigné a l'honneur de proposer de son côté ce mode, par le double motif de l'avantage énoncé plus haut, et de la brièveté du temps fixé pour la durée des négociations. La cour médiatrice se trouve surtout portée à préférer cette voie abrégée, par la considération que les hautes puissances actuellement en négociation sont les mêmes dont les plénipotentiaires ont été réunis pour le congrès de Teschen, et elle se plaît à voir dans l'heureuse issue des transactions d'alors, le gage d'un résultat satisfaisant des présentes.
Le soussigné saisit avec empressement cette première occasion d'offrir à LL. EExc. MM. le duc de Vicence et le comte de Narbonne, les assurances de sa haute considération.
Prague, le 29 juillet 1813.
Signé le comte de METTERNICH.
À LL. EExc. le duc de Vicence et le comte de
Narbonne, plénipotentiaires de France.
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Note des plénipotentiaires français à M. de Metternich.
Les soussignés, plénipotentiaires de S. M. l'empereur et roi, ont l'honneur de répondre aux notes qui leur ont été remises par S. Exc. M. le comte de Metternich, ministre d'État des affaires étrangères de S. M. I. l'empereur d'Autriche, plénipotentiaire de la puissance médiatrice.
La convention du 30 juin, par laquelle la France accepte la médiation de l'Autriche, a été signée après que l'on fut convenu des deux points suivants:
1° Que le médiateur serait impartial; qu'il n'avait conclu et ne conclurait aucune convention, même éventuelle, avec une puissance belligérante, pendant tout le temps que dureraient les négociations;
2° Que le médiateur ne se présenterait pas comme arbitre, mais comme conciliateur, pour arranger les différends et rapprocher les parties.
La forme des négociations fut en même temps l'objet d'une explication entre M. le comte de Metternich et M. le duc de Bassano. Il fut jugé convenable de s'entendre d'avance à cet égard, parce que, dès la négociation de l'armistice du 4 juin, la Russie avait manifesté ses intentions et donné à connaître qu'elle voulait ouvrir des négociations, non dans le but de la paix, mais dans la vue de compromettre l'Autriche et d'étendre les malheurs de la guerre. On s'arrêta à la forme des conférences.
Les soussignés ne peuvent que témoigner leur étonnement et leurs regrets de ce que, depuis plusieurs jours qu'ils sont à Prague, ils n'ont pas encore vu les ministres russe et prussien, et que les conférences n'ont pas encore été ouvertes par l'échange des pouvoirs respectifs, et enfin de ce qu'un temps précieux a été employé à discuter des idées aussi imprévues qu'incompatibles avec le but de la réunion d'un congrès, puisqu'elles tendent à établir que les plénipotentiaires doivent négocier sans se connaître, sans se voir et sans se parler.
La question posée par le plénipotentiaire du médiateur, dans sa note du 29 juillet, lorsqu'il invite les soussignés à se concerter avec lui sur le mode à adopter pour la négociation, soit celui des conférences, soit celui des transactions par écrit, a été résolue d'avance par les explications qui ont accompagné la convocation du 30 juin.
Toutefois voulant, autant que cela dépend d'eux, lever toutes les difficultés et concilier les prétentions, même les moins fondées, les soussignés proposent au plénipotentiaire du médiateur de n'exclure ni l'un ni l'autre mode de négociations, et de les adopter concurremment tous les deux.
À cet effet, on traiterait dans des conférences régulières, qui auraient lieu une ou deux fois par jour, soit par notes remises en séance, soit par des explications verbales qui seraient ou ne seraient pas insérées au protocole, selon la demande ou la réquisition des plénipotentiaires respectifs. Par ce moyen, l'usage de tous les temps serait suivi, et si le plénipotentiaire russe persistait à vouloir négocier la paix sans parler, il en serait le maître et pourrait faire connaître par des notes les intentions de sa cour.
Les soussignés se flattent que leur proposition conciliera tout, et que les conférences ne tarderont plus à s'ouvrir.
Prague, le 6 août 1813
Signé CAULAINCOURT, duc de Vicence; L. NARBONNE.
* * * * *
Réponse des plénipotentiaires français.
Les soussignés, plénipotentiaires de S. M. l'empereur des Français, ont reçu, avec les deux notes que S. Exc. M. le comte de Metternich, ministre d'État et des affaires étrangères, plénipotentiaire de la cour médiatrice, leur a fait l'honneur de leur adresser hier, les copies de celles de MM. les plénipotentiaires russe et prussien. Pénétrés de l'obligation sacrée que leur impose la nature même de leur mission, celle d'écarter toute discussion qui n'aurait pas pour but de réaliser les plus chères espérances des peuples, les soussignés ne considéreront, dans les notes qui leur ont été remises, que les points qui ont un rapport direct à l'oeuvre de la pacification. Ils éviteront également de s'étendre en protestations de leur désir de la paix, parce que, quelque naturel qu'il soit de s'en honorer, ce désir règle l'esprit des négociations, mais non la marche des affaires, qui doivent se traiter suivant les usages reçus, dans leur ordre, et en levant les difficultés à mesure qu'elles se rencontrent.
C'est avec autant de surprise que de regret que les soussignés ont vu que ces notes avaient pour but de rejeter une proposition qui leur avait paru, et qui est en effet la seule propre à concilier la diversité d'opinion qui s'est élevée sur la forme des négociations.
Dans cet état de choses, ils s'adressent avec confiance au médiateur pour lui représenter, ce qu'il est impossible de ne pas reconnaître, que la seule ouverture qui ait tendu réellement à entamer la négociation, a été faite par eux. En effet, les dissentiments des deux parties laissant la question indécise, et l'opinion du médiateur, quelque poids que lui donne sa sagesse et ses lumières, n'ayant pas pu la décider, les soussignés, autant par déférence pour le médiateur que par le désir d'aplanir toutes les difficultés, ont consenti à adopter entièrement le mode qu'il avait proposé, en demandant simplement qu'on admît aussi leur proposition.
C'était donc un pas de fait; car il serait injuste de ne regarder comme tel, en négociation, que le sacrifice total de ses prétentions qu'une des parties ferait à l'autre. Ils devraient espérer qu'après cette démarche de leur part, faite dans la forme que le médiateur avait désirée, il se déciderait enfin à faire valoir les motifs, non moins fondés sur la raison que sur l'usage, dont ils ont appuyé leur proposition dans les fréquentes conférences officielles qu'ils ont eues à ce sujet avec M. le comte de Metternich. Cependant ils voient que les plénipotentiaires alliés, sans combattre cette proposition, sans répondre aux considérations qui l'ont dictée, sans alléguer même d'autre raison que leur seule volonté, persistent dans leur prétention, et que le plénipotentiaire de la cour médiatrice se range entièrement de leur avis, quoiqu'on ne puisse se dissimuler que le seul motif qu'il ait fait valoir pour justifier cette préférence ne se trouve plus fondé depuis que les soussignés ont admis la forme qu'il proposait.
Toutes les objections que l'on peut faire contre le mode qu'ils ont indiqué dans leur note du 6, tombent d'elles-mêmes, si l'on réfléchit qu'il concilie toutes les prétentions, qu'il réunit tous les avantages des différentes formes, l'authenticité de la négociation par écrit, et la facilité et la célérité de la négociation verbale.
Il serait superflu de s'attacher à relever l'étrange assertion que ce mode est inusité, puisque le plus simple examen des faits suffit pour la détruire. Personne n'ignore que dans les principaux congrès dont l'histoire fait mention, dans ceux où, comme à présent, on a eu à débattre des intérêts aussi compliqués que variés, à Munster, à Nimègue, à Ryswich, cette double forme a toujours été employée. S'y refuser aujourd'hui, n'est-ce pas évidemment montrer que le but pacifique qu'on met tant de soins à annoncer, n'est pas celui qu'on se propose réellement? On affecte de nommer Teschen, de prendre pour règle ce qui a été une exception, et d'invoquer à l'appui le résultat de cette négociation, comme si celles qui viennent d'être citées en avaient eu un moins heureux, comme si elles n'avaient pas également réglé les intérêts des souverains, et assuré la tranquillité des États. Quel peut être, on le demande encore, le motif qui fait préférer une forme qu'on a suivie seulement dans une circonstance où il n'y avait qu'un objet à traiter, et où les bases étaient même posées d'avance?
Il est facile de juger par l'état actuel de la question, qui l'on doit accuser des retards apportés à la négociation, ou ceux qui, élevant une prétention opposée à l'usage, repoussent une proposition qui leur assure tous les avantages qu'ils réclament, ou ceux qui, ayant pour eux l'usage universellement suivi, consentent à adopter en entier la forme choisie par leur partie adverse, et se bornent à demander qu'on n'exclue pas une manière de traiter qui, malgré toutes les allégations contraires, peut seule amener de prompts résultats.
Les soussignés se flattent que ces considérations seront d'autant mieux senties par S. Exc. M. le comte de Metternich, qu'il n'aura pu lui échapper que si la forme exclusive des négociations par écrit offre quelques avantages, ce n'est pas, à en juger du moins par les notes qu'il a communiquées aux soussignés, celui d'aider à concilier les esprits. Il remarquera sans doute aussi que les propositions des soussignés ont été, au contraire, une nouvelle preuve de leur constant désir d'aplanir toutes les difficultés pour arriver à la paix, lors même que leurs adversaires paraissent y avoir renoncé. Ils renouvellent donc la proposition qu'ils n'ont cessé de faire, d'échanger leurs pleins pouvoirs, afin d'ouvrir à l'instant les négociations selon la forme proposée par le médiateur, sans exclure, néanmoins la forme des conférences, pour conserver les moyens de s'expliquer de vive voix.
Les soussignés ont l'honneur, etc.
Prague, le 9 août 1813.
Signé CAULAINCOURT, duc de Vicence; L. NARBONNE.
* * * * *
Déclaration de guerre de l'Autriche.
Le soussigné, ministre d'État et des affaires étrangères, est chargé, par ordre exprès de son auguste maître, de faire la déclaration suivante à son excellence M. le comte de Narbonne, ambassadeur de S. M. l'empereur des Français, roi d'Italie.
Depuis la dernière paix signée avec la France, en octobre 1809, S. M. impériale et royale apostolique a voué toute sa sollicitude, non seulement à établir des relations d'amitié et de confiance dont elle avait fait la base de son système politique, mais à faire servir ces relations au maintien de la paix et de l'ordre en Europe. Elle s'était flattée que ce rapprochement intime, cimenté par une alliance de famille contractée avec S. M. l'empereur des Français, contribuerait à lui donner, sur sa marche politique, la seule influence qu'elle soit jalouse d'acquérir, celle qui tend à communiquer aux cabinets de l'Europe l'esprit de modération, le respect pour les droits et les possessions des États indépendants, qui l'animent elle-même.
S. M. impériale n'a pu se livrer longtemps à de si belles espérances; un an était à peine écoulé depuis l'époque qui semblait mettre le comble à la gloire militaire du souverain de la France, et rien ne paraissait plus manquer à sa prospérité, pour autant qu'elle dépendait de son attitude et de son influence au dehors, quand de nouvelles réunions au territoire français, d'États jusqu'alors indépendants, de nouveaux morcellements et déchirements de l'empire d'Allemagne [31], vinrent réveiller les inquiétudes des puissances, et préparer, par leur funeste réaction sur le nord de l'Europe, la guerre qui devait s'allumer en 1812 entre la France et la Russie [32].
[31: Observations dictées par Napoléon.
L'Autriche a de plein gré renoncé à l'empire d'Allemagne. Elle a reconnu les princes de la confédération, elle a reconnu le protectorat de l'empereur. Si le cabinet autrichien a conçu le projet de rétablir l'empire d'Allemagne, de revenir sur tout ce que la victoire a fondé et que les traités ont consacré, il a formé une entreprise qui prouve mal l'esprit de modération et le respect pour les droits des États indépendants dont il se dit animé.]
[32: Le cabinet de Vienne met en oubli le traité d'alliance qu'il a conclu le 14 mars 1812. Il oublie que, par ce traité, la France et l'Autriche se sont garanti réciproquement l'intégrité de leurs territoires actuels; il oublie que, par ce traité, l'Autriche s'est engagée à défendre le territoire de la France tel qu'il existait alors, et qui n'a depuis reçu aucun agrandissement; il oublie que, par ce traité, il ne s'est pas borné à demander pour l'Autriche l'intégrité de son territoire, mais les agrandissements que les circonstances pourraient lui procurer; il oublie que, le 14 mars 1812, toutes les questions qui devaient amener la guerre étaient connues et posées, et que c'est volontairement et en connaissance de cause qu'il prit parti contre la Russie. Pourquoi, s'il avait alors les sentiments qu'il manifeste aujourd'hui, n'a-t-il pas fait alors cause commune avec la Russie? Pourquoi du moins, au lieu de s'unir à ce qu'il présente aujourd'hui comme une cause injuste, n'a-t-il pas adopté la neutralité? La Prusse fit à la même époque une alliance avec la France, qu'elle a violée depuis; mais ses forteresses et son territoire étaient occupés. Placée entre deux grandes puissances en armes, et théâtre de la guerre, la neutralité était de fait impossible. Elle se rangea du côté du plus fort. Lorsqu'ensuite la Russie occupa son territoire, elle reçut la loi et fut l'alliée de la Russie. Aucune des circonstances qui ont réglé les déterminations de la Prusse n'ont existé en 1812, et n'existent en 1813 pour l'Autriche. Elle s'est engagée de plein gré en 1812 à la cause qu'elle croyait la plus juste, à celle dont le triomphe importait le plus à ses vues et aux intérêts de l'Europe dont elle se montre protecteur si inquiet et défenseur si généreux. Elle a versé son sang pour soutenir la cause de la France; en 1813, elle le prodigue pour soutenir le parti contraire. Que doivent penser les peuples? Quel jugement ne porteront-ils pas d'un gouvernement qui, attaquant aujourd'hui ce qu'il défendait hier, montre que ce n'est ni la justice ni la politique qui règlent les plus importantes déterminations de son cabinet.]
Le cabinet français sait mieux qu'aucun autre combien S. M. l'empereur d'Autriche a eu à coeur d'en prévenir l'éclat par toutes les voies que lui dictait son intérêt pour les deux puissances, et pour celles qui devaient se trouver entraînées dans la grande lutte qui se préparait. Ce n'est pas elle que l'Europe accusera jamais des maux incalculables qui en ont été la suite [33].
[33: Le cabinet français sait mieux qu'aucun autre que l'Autriche a offert son alliance, lorsqu'on n'avait pas même conçu l'espérance de l'obtenir; il sait que si quelque chose avait pu le porter à la guerre, c'était la certitude que non-seulement l'Autriche n'y prendrait aucune part contre lui, mais qu'elle y prendrait part pour lui. Il sait que, loin de déconseiller la guerre, l'Autriche l'a excitée; que, loin de la craindre, elle l'a désirée; que, loin de vouloir s'opposer à de nouveaux morcellements d'États, elle a conçu de nouveaux déchirements dont elle voulait faire son profit.]
Dans cet état de choses, S. M. l'empereur ne pouvant conserver à ses peuples le bienfait de la paix, et maintenir une heureuse neutralité au milieu du vaste champ de bataille qui, de tous côtés, environnait ses états, ne consulta, dans le parti qu'elle adopta, que sa fidélité à des relations si récemment établies, et l'espoir qu'elle aimait à nourrir encore que son alliance avec la France, en lui offrant des moyens plus sûrs de faire écouter les conseils de la sagesse, mettrait des bornes à des maux inévitables, et servirait la causé du retour de la paix en Europe [34].
[34: Le cabinet de Vienne ne pouvait, dit-il, maintenir une heureuse neutralité au milieu du vaste champ de bataille qui l'environnait de tous les côtés.—Les circonstances n'étaient-elles donc pas les mêmes qu'en 1806? De sanglants combats ne se livrèrent-ils pas en 1806 et en 1807, près des limites de son territoire, et ne conserva-t-il pas aux peuples le bienfait de la paix, et ne se maintint-il pas dans une heureuse neutralité?—Mais le gouvernement de l'Autriche, en prenant le parti de la guerre, en combattant pour la cause de la France, consulta, dit-il, sa fidélité à des relations nouvellement établies; fidélité qui ne mérite plus d'être consultée lorsque ces relations sont devenues plus anciennes d'une année et plus étroites par une alliance formelle. S'il faut l'en croire aujourd'hui, ce n'était pas pour s'assurer des agrandissements qu'il s'alliait à la France en 1812, qu'il lui garantissait toutes ses possessions, et qu'il prenait part à la guerre: c'était pour servir la cause du retour de la paix, et pour faire écouter les conseils de la sagesse. Quelle logique! quelle modestie!]
Il n'en a malheureusement pas été ainsi: ni les succès brillants de la campagne de 1812, ni les désastres sans exemple qui en ont marqué la fin n'ont pu ramener dans les conseils du gouvernement français l'esprit de modération qui aurait mis à profit les uns, et diminué l'effet des autres [35].
[35: Comment le cabinet de Vienne a-t-il appris que les succès brillants de la campagne de 1812 n'ont pas ramené la modération dans les conseils du gouvernement français? S'il avait été bien informé, il aurait su que les conseils de la France, après la bataille de la Moscowa, ont été modérés et pacifiques, et que tout ce qui pouvait ramener la paix fut alors tenté.]
S. M. n'en saisit pas moins le moment où l'épuisement réciproque avait ralenti les opérations actives de la guerre, pour porter aux puissances belligérantes des paroles de paix, qu'elle espérait encore voir accueillir de part et d'autre avec la sincérité qui les lui avait dictées.
Persuadée toutefois qu'elle ne pourrait les faire écouter qu'en les soutenant de forces qui promettraient au parti avec lequel elle s'accorderait de vues et de principes l'appui de sa coopération active, pour terminer la grande lutte [36]; en offrant sa médiation aux puissances, elle se décida à l'effort, pénible pour son coeur, d'un appel au courage et au patriotisme de ses peuples. Le congrès, proposé par elle et accepté par les deux partis, s'assembla au milieu des préparatifs militaires que le succès des négociations devait rendre inutiles, si les voeux de l'empereur se réalisaient, mais qui devaient, dans le cas contraire, conduire par de nouveaux efforts au résultat pacifique que S. M. impériale eût préféré d'atteindre sans effusion de sang [37].
[36: Le cabinet de Vienne met de la suite dans ses inconséquences. Il fait cause commune avec la France en 1812; et c'était, dit-il aujourd'hui, pour l'empêcher de faire la guerre à la Russie. Il arme en 1813 pour la Prusse et la Russie, et c'est, dit-il, pour leur inspirer le désir de la paix. Ces puissances, d'abord exaltées par des progrès qu'elles devaient au hasard des circonstances, avaient été rendues à des sentiments plus calmes par les revers éclatants du premier mois de la campagne: affaiblies, vaincues, elles allaient revenir de leurs illusions. Le gouvernement autrichien leur déclare qu'il arme pour elles: il leur montre ses armées prêtes à prendre leur défense, et en leur offrant de nouvelles chances dans la continuation de la guerre, il prétend leur inspirer le désir de la paix! Qu'aurait-il fait, s'il avait voulu les encourager à la guerre? Il a offert à la Russie d'en prendre sur lui le fardeau; il a offert à la Prusse d'en changer le théâtre, il a appelé sur son propre territoire les troupes de ses alliés et toutes les calamités qui pesaient sur celui de la Prusse. Il a enfin offert au cabinet de Pétersbourg le spectacle le plus agréable pour un empereur de Russie, de l'Autriche, son ennemie naturelle, combattant la France, son ennemie actuelle. Si le cabinet de Vienne avait demandé les conseils de la sagesse, elle lui aurait dit qu'on n'arrête pas un incendie en lui donnant un nouvel aliment, qu'il n'est pas sage de s'y précipiter pour un peuple dont les intérêts sont contraires ou étrangers; enfin qu'il y a de la folie à exposer à toutes les chances de la guerre une nation qui, après de si longs malheurs, pouvait continuer à jouir des douceurs de la paix. Mais l'ambition n'est pas un conseiller qu'avoue la sagesse.]
[37: L'auteur de cette déclaration ne sort pas du cercle vicieux dans lequel il s'est engagé. La Russie et la Prusse savaient fort bien que le gouvernement autrichien armait contre la France. Dès ce moment elles ne pouvaient pas vouloir la paix. Ce résultat des dispositions du cabinet de Vienne était trop évident pour qu'il n'y eût pas compté.]
En obtenant, de la confiance qu'elles avaient vouée à S. M. impériale, le consentement des puissances à la prolongation de l'armistice que la France jugeait nécessaire pour les négociations, l'empereur acquit, avec cette preuve de leurs vues pacifiques, celle de la modération de leurs principes et de leurs intentions [38].
[38: Le cabinet de Vienne avait fait perdre le mois de juin tout entier, en ne remplissant aucune des formalités préalables à l'ouverture du congrès. La France ne demanda point que l'armistice fût prolongé, mais elle y consentit. Ce qu'elle désirait, ce qu'elle demanda, c'est qu'il fût convenu que les négociations continueraient pendant les hostilités. Mais le cabinet de Vienne s'y refusa; l'Autriche aurait été liée, comme médiatrice, pendant les négociations; il préféra une prolongation d'armistice qui lui donnait le temps d'achever ses armements, et dont la durée limitée lui offrait un terme fatal pour rompre les négociations et pour se déclarer.]
Il y reconnut les siens, et se persuada, de ce moment, que ce serait de leur côté qu'il rencontrerait des dispositions sincères à concourir au rétablissement d'une paix solide et durable. La France, loin de manifester des intentions analogues, n'avait donné que des assurances générales, trop souvent démenties par des déclarations publiques qui ne fondaient aucunement l'espoir qu'elle porterait à la paix les sacrifices qui pourraient la ramener en Europe [39].
[39: Comment le cabinet de Vienne s'est-il assuré que la France ne porterait pas à la paix les sacrifices qui pourraient la ramener en Europe? Avant le moment qu'il avait fixé pour la guerre, a-t-il proposé un ultimatum et fait connaître ce qu'il voulait?—Il a déclaré la guerre parce qu'il ne voulait que la guerre. Il l'a déclarée, sans s'assurer si elle pouvait être évitée, et avec une précipitation à laquelle il est difficile de reconnaître l'influence des conseils de la sagesse.]
La marche du congrès ne pouvait laisser de doutes à cet égard; le retard de l'arrivée de MM. les plénipotentiaires français, sous des prétextes que le grand but de sa réunion aurait dû faire écarter [40], l'insuffisance de leurs instructions sur les objets de forme qui faisaient perdre un temps irréparable, lorsqu'il ne restait que peu de jours pour la plus importante des négociations [41]; toutes ces circonstances réunies ne démontraient que trop que la paix, telle que la désiraient l'Autriche et les souverains alliés, était étrangère aux voeux de la France [42]; et qu'ayant accepté pour la forme, et pour ne pas s'exposer aux reproches de la prolongation de la guerre, la proposition d'une négociation, elle voulait en éluder l'effet [43], ou s'en prévaloir peut-être uniquement pour séparer l'Autriche des puissances qui s'étaient déjà réunies avec elle de principe, avant même que les traités eussent consacré leur union pour la cause de la paix et du bonheur du monde [44].
[40: C'est par le fait de l'Autriche et des alliés que l'arrivée des plénipotentiaires a été retardée; cependant des difficultés suscitées à dessein n'étaient pas levées, que M. le comte de Narbonne était déjà à Prague. Ses pouvoirs, communs aux deux plénipotentiaires, l'autorisaient à agir concurremment ou séparément. M. le duc de Vicence arriva plus tard, parce que de nouvelles difficultés, où la dignité de la France était compromise, furent élevées par les ennemis. Mais à quoi bon ces observations? Qu'aurait fait un retard de quelques jours à un médiateur qui n'aurait pas voulu la guerre, et quel motif de guerre qu'un retard de quelques jours?]
[41: Les plénipotentiaires avaient pour instructions d'adhérer à toutes les formes de négociation consacrées par l'usage. Le médiateur proposa des formes inusitées, et qui tendaient à empêcher tout rapprochement des plénipotentiaires, tout rapport entre eux, toute négociation. Il introduisit une discussion qu'avec une volonté sincère de la paix le médiateur n'aurait jamais occasionnée. Il ne restait, dit-il, que peu de jours pour la plus importante des négociations. Eh! pourquoi ne restait-il que peu de jours? qu'avait de commun la négociation avec l'armistice? ne pouvait-on pas négocier en se battant? Qu'importe quelques jours de plus ou de moins quand il s'agit de la paix? Si le cabinet de Vienne ne voulait pas la négocier, mais la dicter, comme on dicte des conditions à une place assiégée, peu de jours à la vérité pouvaient suffire; mais alors pourquoi n'a-t-il pas même proposé une capitulation? Il ne restait que peu de jours pour la plus importante des négociations! Quelle est donc la négociation qui a été faite en peu de jours? Le temps est l'élément le plus nécessaire quand il s'agit de s'entendre; le temps est un élément inutile pour un médiateur qui a pris d'avance son parti. Cependant lorsque c'est contre la France qu'il s'agit de se déclarer, une telle détermination n'est pas de si peu de conséquence qu'il soit indifférent d'employer quelques jours de plus ou de moins à y penser.]
[42: Il faut rendre ici justice à la pénétration du cabinet de Vienne. Sans doute la paix telle que la voulaient les souverains alliés était étrangère aux voeux de la France, de même que la paix telle que la voulait la France devait être étrangère aux voeux des alliés. Toute puissance qui entre en négociation veut tout ce qu'elle peut obtenir. Lorsqu'il y a un médiateur, il s'interpose entre les volontés opposées, afin de les rapprocher. Telle est sa mission: sa gloire est d'y réussir. Mais tel n'était pas le rôle que le cabinet autrichien s'était donné; il n'a jamais été médiateur, il a été ennemi dès le moment où, selon son aveu, il n'a voulu d'autre paix que celle que voulait une seule des parties. Mais quelle était cette paix que voulait le cabinet de Vienne? S'il voulait en effet la paix, une paix quelconque, pourquoi ne s'est-il pas expliqué? Pourquoi? parce qu'il avait adopté toutes les prétentions de la Russie, de la Prusse et de l'Angleterre; parce qu'il avait de plus ses prétentions propres sur lesquelles il ne voulait pas céder; enfin parce qu'il était résolu à la guerre.]
[43: La France a proposé l'ouverture d'un congrès, parce qu'elle voulait sincèrement la paix; parce qu'elle se flattait que ses plénipotentiaires, mis en présence de ceux de la Russie et de la Prusse, parviendraient à s'entendre avec eux, parce qu'un congrès, même sous la médiation de l'Autriche, était un moyen d'échapper aux dangers des insinuations que le cabinet de Vienne répandait.
La France a accepté la médiation de l'Autriche, parce qu'en supposant au cabinet de Vienne les vues ambitieuses sur lesquelles nous n'avions pas de doutes, on devait croire qu'il se trouverait gêné par son rôle de médiateur, et qu'il n'oserait pas, dans une négociation publique et pour son seul intérêt, repousser nos vues modérées et les sacrifices que nous étions disposés à faire à la paix; parce qu'enfin, s'il en était autrement, et si le médiateur et nos ennemis étaient d'accord sur leurs prétentions réciproques, le cabinet de Vienne proposerait un ultimatum qui soulèverait l'indignation de la France et de ses alliés.]
[44: Ainsi l'Autriche était déjà réunie de principes avec les ennemis de la France! Qui lui demandait cet aveu?
Le cabinet de Vienne craignait que la France ne se prévalût d'une négociation pour séparer l'Autriche des puissances ennemies! Sans doute, si l'Autriche s'était unie à elles pour les empêcher de faire la paix et avec la ferme résolution de nous faire la guerre, elle devait craindre une négociation où notre modération pouvait leur offrir des chances plus avantageuses dans la paix que dans la guerre; mais pourquoi donc le cabinet de Vienne a-t-il offert sa médiation et fait retentir l'Europe de ses voeux pour la paix?]
L'Autriche sort de cette négociation, dont le résultat a trompé ses voeux les plus chers, avec la conscience de la bonne foi qu'elle y a portée. Plus zélée que jamais pour le noble but qu'elle s'était proposé, elle ne prend les armes que pour l'atteindre, de concert avec les puissances animées des mêmes sentiments. Toujours également disposée à prêter la main au rétablissement d'un ordre de choses qui, par une sage répartition de forces, place la garantie de la paix sous l'égide d'une association d'états indépendants, elle ne négligera aucune occasion de parvenir à ce résultat; et la connaissance qu'elle a acquise des dispositions des cours devenues désormais ses alliées lui donne la certitude qu'elles coopéreront avec sincérité à un but aussi salutaire [45].
[45: L'Autriche veut établir un ordre de choses qui, par une sage répartition de forces, place la garantie de la paix sous l'égide d'une association d'états indépendants. Elle ne fera la paix que quand une égale répartition de forces garantira l'indépendance de chaque état. Pour y parvenir, elle doit d'abord agrandir à ses dépens la Bavière et la Saxe, car c'est aux grandes puissances à descendre pour que les puissances du second ordre deviennent leurs égales; lorsqu'elle aura donné l'exemple, elle sera en droit de demander qu'il soit imité. Ainsi le cabinet de Vienne veut combattre pour faire de toutes les puissances une république de souverains dont les éléments seront parfaitement égaux; et c'est à de telles rêveries qu'il faudrait sacrifier le repos du monde! Peut-on se jouer plus ouvertement de la raison publique, de l'opinion de l'Europe? En rédigeant des manifestes, comme en réglant sa conduite, le cabinet de Vienne n'a pas écouté les conseils de la sagesse.]
En déclarant, d'ordre de l'empereur, à M. le comte de Narbonne, que ses fonctions d'ambassadeur viennent à cesser de ce moment, le soussigné met à la disposition de S. Exc. les passeports dont elle aura besoin pour elle et pour sa suite.
Les mêmes passeports seront remis à M. de La Blanche, chargé d'affaires de France à Vienne, ainsi qu'aux autres individus de l'ambassade.
Il a l'honneur d'offrir, etc.
Prague, le 12 août 1813.
Signé METTERNICH.
Dernière note de M. de Bassano à M. de Metternich.
Le soussigné, ministre des relations extérieures, a mis sous les yeux de S. M. l'empereur et roi la déclaration du 11 août, par laquelle l'Autriche dépose le rôle de médiateur dont elle avait couvert ses desseins.
Depuis le mois de février, les dispositions hostiles du cabinet de Vienne envers la France étaient connues de toute l'Europe. Le Danemark, la Saxe, la Bavière, le Wurtemberg, Naples et la Westphalie ont dans leurs archives des pièces qui prouvent combien l'Autriche, sous les fausses apparences de l'intérêt qu'elle prenait à son allié et de l'amour de la paix, nourrissait de jalousie contre la France. Le soussigné se refuse à retracer le système de protestations prodiguées d'un côté, et d'insinuations répandues de l'autre, par lequel le cabinet de Vienne compromettait la dignité de son souverain, et qui, dans son développement, à prostitué ce qu'il y a de plus sacré parmi les hommes, un médiateur, un congrès et le nom de la paix.
Si l'Autriche voulait faire la guerre, qu'avait-elle besoin de se parer d'un faux langage, et d'entourer la France de pièges mal tissus qui frappaient tous les regards?
Si le médiateur voulait la paix, aurait-il prétendu que des transactions si compliquées s'accomplissent en quinze ou vingt jours? Était-ce une volonté pacifique celle qui consistait à dicter la paix à la France en moins de temps qu'il n'en faut pour conclure la capitulation d'une place assiégée? La paix de Teschen exigea plus de quatre mois de négociation. Plus de six semaines furent employées à Sistow avant que la discussion, même sur les formes, fût terminée. La négociation de la paix de Vienne, en 1809, lorsque la plus grande partie de la monarchie autrichienne était entre les mains de la France, à duré deux mois.
Dans ces diverses transactions, les intérêts et le nombre des parties étaient circonscrits; et lorsqu'il s'agissait, à Prague, de poser, dans un congrès, les bases de la pacification générale, de concilier les intérêts de la France, de l'Autriche, de la Russie, de la Prusse, du Danemark, de la Saxe et de tant d'autres puissances; lorsqu'aux complications qui naissent de la multiplicité et de la diversité des intérêts, se joignirent les difficultés résultant des prétentions ouvertes et cachées du médiateur, il était dérisoire de prétendre que tout fût terminé, montre en main, en quinze jours. Sans la funeste intervention de l'Autriche, la paix entre la Russie, la France et la Prusse serait faite aujourd'hui.
L'Autriche, ennemie de la France, et couvrant son ambition du masque de médiatrice, compliquait tout, et rendait toute conciliation impossible. Mais l'Autriche s'étant déclarée en état de guerre est dans une position plus vraie et toute simple. L'Europe est ainsi plus près de la paix; il y a une complication de moins.
Le soussigné a donc reçu l'ordre de proposer à l'Autriche de préparer dès aujourd'hui les moyens de parvenir à la paix, d'ouvrir un congrès où toutes les puissances, grandes et petites, seront appelées, où toutes les questions seront solennellement posées, où l'on n'exigera point que cette oeuvre, aussi difficile que salutaire, soit terminée ni dans une semaine ni dans un mois; où l'on procédera avec la lenteur inséparable de toute opération de cette nature, avec la gravité qui appartient à un si grand but et à de si grands intérêts. Les négociations pourront être longues: elles doivent l'être. Est-ce en peu de jours que les traités d'Utrecht, de Nimègue, de Ryswick, d'Aix-la-Chapelle ont été conclus?
Dans la plupart des discussions mémorables, la question de la paix fut toujours indépendante de celle de la guerre: on négociait sans savoir si l'on se battait ou non; et puisque les alliés fondent tant d'espérances sur les chances du combat, rien n'empêche de négocier, aujourd'hui comme alors, en se battant.
Le soussigné propose de neutraliser un point sur la frontière pour le lieu des conférences; de réunir les plénipotentiaires de la France, de l'Autriche, de la Russie, de la Prusse, de la Saxe; de convoquer tous ceux des puissances belligérantes, et de commencer, dans cette auguste assemblée, l'oeuvre de la paix, si vivement désirée par toute l'Europe. Les peuples éprouveront une consolation véritable en voyant les souverains s'occuper à mettre un terme aux calamités de la guerre, et confier à des hommes éclairés et sincères le soin de concilier les intérêts, de compenser les sacrifices, et de rendre la paix avantageuse et honorable à toutes les nations.
Le soussigné ne s'attache point à répondre au manifeste de l'Autriche et au seul grief sur lequel il repose. Sa réponse serait complète en un seul mot. Il citerait la date du traité d'alliance conclu le 14 mars 1812 entre les deux puissances, et la garantie, stipulée par le traité, du territoire de l'empire tel qu'il était le 14 mars 1812.
Le soussigné, etc.
Dresde, le 18 août 1813.
Signé le duc de BASSANO.
Dernière note de M. de Metternich à M. de Bassano
Le soussigné, ministre secrétaire d'État et des affaires étrangères, a reçu hier l'office que S. Exc. M. le duc de Bassano lui a fait l'honneur de lui adresser le 18 août dernier.
Ce n'est pas après que la guerre a éclaté entre l'Autriche et la France que le cabinet autrichien croit devoir relever les inculpations gratuites que renferme la note de M. le duc de Bassano. Forte de l'opinion générale, l'Autriche attend avec calme le jugement de l'Europe et celui de la postérité.
La proposition de S. M. l'empereur des Français offrant encore à l'empereur une lueur d'espoir de parvenir à la pacification générale, sa majesté impériale a cru pouvoir la saisir. En conséquence, elle a ordonné au soussigné de porter à la connaissance des cabinets russe et prussien la demande de l'ouverture d'un congrès qui, pendant la guerre même, s'occuperait des moyens d'arriver à une pacification générale. LL. MM. l'empereur Alexandre et le roi de Prusse, animés des mêmes sentiments que leur auguste allié, ont autorisé le soussigné à déclarer à S. Exc. M. le duc de Bassano que, ne pouvant point décider sur un objet d'un intérêt tout-à-fait commun, sans en avoir préalablement conféré avec les autres alliés, les trois cours vont porter incessamment à leur connaissance la proposition de la France.
Le soussigné les a chargés de transmettre, dans le plus court délai possible, au cabinet français, les ouvertures de toutes les cours alliées, en réponse à la susdite proposition.
Le soussigné a l'honneur, etc.
Prague, le 21 août 1813.
Signé le prince de METTERNICH.