Mesdames Nos Aïeules: dix siècles d'élégances
The Project Gutenberg eBook of Mesdames Nos Aïeules: dix siècles d'élégances
Title: Mesdames Nos Aïeules: dix siècles d'élégances
Author: Albert Robida
Release date: November 15, 2013 [eBook #44187]
Most recently updated: October 23, 2024
Language: French
Credits: Produced by Claudine Corbasson and the Online Distributed
Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
produced from images generously made available by The
Internet Archive/American Libraries.)
MESDAMES
Nos Aïeules
I
BALLADE
DES MODES DU TEMPS JADIS
Celui qu'inventa Madame Eve
A celui qu'admirons soudain,
Que d'autres passant comme rêve!
Combien leur existence est brève!
Tu resplendis toujours pourtant,
O beauté changeante sans trêve,
Mais où sont les modes d'antan.
Armorié sur chaque maille,
Et le peliçon d'Isabeau?
Escoffion de haute taille
Pour qui l'on vit mainte chamaille,
Hennin qui charma Buridan?
Hélas, ce n'est plus qu'antiquaille...
Mais où sont les modes d'antan!
Et le surcot doublé d'hermine,
Où sont les manches à gigot?
Habit cavalier d'héroïne
Que portait Reine ou baladine,
Large panier pompadourant,
Et toi-même aussi, crinoline...
Mais où sont les modes d'antan!
Dame, il ne fut point de semaine
Depuis le temps d'Eve pourtant
Qui n'eût caprices par trentaine.
Mais où sont les modes d'antan!
II
LES CARTONS DU PASSÉ
Le vieux neuf.—L'horloge de la mode.—Fouilles dans les cartons du passé.—Quelle est la plus jolie mode?—Mode et architecture.—Vêtements de pierres et vêtements d'étoffes.—La poupée costumée, journal des modes du moyen âge.
Il n'y a de nouveau dans ce monde que ce qui a suffisamment vieilli, a dit, non pas un grand philosophe mais une femme, la couturière de Joséphine de Beauharnais, épouse de Napoléon Bonaparte, consul de la République française, lequel pensait de même, puisqu'il ressuscita l'Empire de Rome.
Et conformément à cet axiome profond, la couturière de Joséphine montait ou plutôt descendait chercher très loin dans le passé, chez mesdames les Grecques et les Romaines, les nouveautés élégantes vieilles de deux mille années, destinées à tourner la tête des salons et promenades de Paris, à charmer les Parisiennes et aussi les Parisiens, et à faire le tour du monde enfin, tout comme les pompons, les baïonnettes et les drapeaux des voltigeurs français de la même époque, qui furent des touristes forcenés.
—Vous demandez où sont les modes d'antan? m'a dit, répondant à ma ballade à la mode de François Villon, un autre philosophe paradoxal qui doit être un mari rendu légèrement grincheux par des notes de couturière, vous le demandez! mais elles sont sur les épaules des dames d'aujourd'hui, mon cher monsieur, comme elles le seront encore sur celles des dames de demain et d'après-demain! Vous ignorez donc que rien ne change, que tout le nouveau a été inventé il y a bel âge, vers les premiers temps où les dames ont commencé à s'habiller, c'est-à-dire que tout a été trouvé dans l'espace de quatre saisons, dans les premiers douze mois qui ont suivi la sortie de l'Eden.—C'est ce que je faisais observer encore hier à ma femme à propos de trois ou quatre costumes dont la soi-disant nouveauté l'avait frappée, et qu'elle allait se commander bien inutilement... Tout se porte, s'est porté et se portera! lui disais-je, alors pourquoi essayer de changer, pourquoi mettre de côté par pur caprice un ornement ou une toilette qu'on doit forcément reprendre...
—Oui, mais dans trois cents ans...
—Allez aux Champs-Elysées par un beau jour de soleil et dites-moi si vous n'avez point par moments des visions de la cour des Valois, devant certaines toilettes contemporaines, manches bouffantes Renaissance, collerettes Renaissance, étoffes à dessins Renaissance...
—Ou des illusions de Longchamps 1810 devant les robes Empire, les épaules bouffantes, le drapé des jupes, et les dessins, palmettes, grecques et autres ornements...
—Et les dames Louis XVI, ou moyen âge, ou Louis XV... Je déclare Monsieur, qu'une femme de n'importe quelle époque, des âges révolus, écoulés et enfoncés aussi loin que vous voudrez dans la nuit des temps, peut revenir et se montrer parmi nos contemporaines, et se trouver parfaitement à la mode, moyennant seulement quelques petites modifications à son costume antique... Oui, tenez, qu'Agnès Sorel ou Marguerite de Bourgogne daignent reparaître en costumes de leur temps et je leur changerai seulement leurs chapeaux, et l'on dira devant elles: «Jolie toilette de vernissage! Délicieux costume pour le Grand-Prix!»
—Arrêtez! n'exagérez-vous pas quelque peu, mon cher monsieur?
—Aucunement. Je vous dis que des mérovingiennes ou même des dames de l'âge de pierre, avec quelques petits arrangements de toilette, n'étonneraient pas trop les femmes actuelles qui les prendraient tout simplement pour des mondaines excentriques... La mode d'aujourd'hui, Monsieur, ce sont les modes d'autrefois reprises et refondues par le goût de l'heure présente. L'aiguille de la mode tourne comme l'aiguille d'une pendule toujours dans le même cercle, mais plus capricieusement, en avant ou en arrière, en sautant, en virant, en faisant des bonds soudains, d'un côté ou de l'autre... Quelle heure est-il à l'horloge de la mode? Six heures du matin ou huit heures du soir, peut-être toutes les heures à la fois comme en ce moment... Mais n'importe, c'est toujours une heure charmante.
La plus jolie mode, il n'y a pas à en douter et tout le monde est d'accord là-dessus, c'est toujours celle du temps présent, et il y a pour cela une raison bien simple: les modes passées ne sont que des souvenirs décolorés, dès qu'elles ne sont plus portées, nous apercevons facilement leurs défauts et leurs ridicules, nos yeux, indulgents quand elles régnaient, sont devenus froids et sévères, tandis que, sans peine, la mode d'aujourd'hui triomphe... Ce qui charme et séduit tout le monde, ce que nous apercevons en elle, Monsieur, ce qui nous semble si ravissant, c'est le rayonnement de la grâce féminine, c'est la femme elle-même.—Non, jamais on ne s'est mieux habillé qu'aujourd'hui! A toutes les époques, pour toutes les modes, les femmes l'ont déclaré de bonne foi en se regardant dans leur miroir, et les hommes, juges quelquefois difficiles, l'ont pensé aussi.
Notre aïeule de l'âge de pierre vêtue de peaux de bêtes trouvait son costume très seyant et souriait un peu de sa grand'mère habillée d'un vertugadin de sauvage. Ses contemporaines, les farouches habitantes des cavernes, pensaient de même.
La plus jolie mode, c'est celle qui s'épanouit aujourd'hui; il n'y a eu pour s'inscrire en faux contre cette formelle allégation de tous les temps, il n'y a eu, à toutes les époques également, que les messieurs d'un certain âge, tout à fait d'un certain âge, les vétérans ayant dépassé la soixantaine. Ceux-ci ont toujours protesté par une autre allégation:
—Les modes d'aujourd'hui sont ridicules, disent-ils en chœur, on ne s'habille plus comme de notre temps! C'est alors,—en 1830,—ou en 1730, en 1630, en 1530, etc., en l'an 30—que les modes étaient gracieuses, seyantes, élégantes, distinguées, charmantes... ah, 1830!—ou 1730, 1630, 1530 ou l'an 30!—Quelle belle époque!
—Il nous la baille belle le chœur des sexagénaires! oui, quelle belle époque! parce que c'était l'heureux temps où ces messieurs étaient jeunes, où le soleil leur semblait plus chaud, n'est-ce pas? le printemps plus verdoyant et les modes plus belles! Mais il n'importe, malgré tout ce que diront les vétérans et ce que nous dirons nous-mêmes plus tard, l'axiome suivant sera toujours proclamé:
—Jamais on ne s'est mieux habillé qu'aujourd'hui!
Mais puisque rien ne passe tout à fait et que dans le cercle que parcourt l'aiguille au cadran de la mode les heures passées peuvent renaître, il suffit peut-être, pour connaître les modes de demain, d'étudier tout simplement celles d'hier.
Fouillons donc ce passé disparu et donnons-nous ce plaisir, qui ne va pas sans quelque mélancolie, d'évoquer les élégances et les beautés d'autrefois, les lointaines élégances ensevelies sous des siècles d'inventions et de nouveautés accumulées, délaissées et oubliées, et les élégances toutes récentes et non moins oubliées des bonnes grand'mamans actuelles, qui, dans leurs songeries au fond de leurs grands fauteuils, sont seules à se revoir en fermant les yeux, brunes ou blondes, pimpantes et légères, dans les atours de leur bel âge... Chères grand'mamans!
Mais ce passé qui nous semble si lointain l'est-il tant que cela? Les grand'mères de nos grand'mères sont nées sous Louis XV au temps de la poudre et des falbalas.
Sept ou huit grand'mères additionnées, si nous osons nous permettre cette opération, nous conduisent au temps d'Agnès Sorel et des dames à grands hennins. C'était hier. Vous le voyez bien!
Un point qu'il faut établir d'abord, c'est que l'art de la toilette et l'art de construire sont de très proche parenté. Mode et architecture sont sœurs, mais la mode est peut-être bien l'aînée.
La maison est un vêtement, un habillement de pierre ou de bois que nous passons par-dessus l'habillement de toile, de laine, de velours ou de soie, pour nous protéger mieux contre les intempéries des saisons; c'est un second vêtement qui doit se plier à la forme du premier, à moins que ce ne soit le premier qui s'adapte aux nécessités du second.
En tout cas, sans remonter plus haut que le déluge, est-ce que les robes historiées et armoriées, les costumes tailladés et déchiquetés du moyen âge, ne sont pas de l'architecture gothique et de la plus flamboyante, de même que les modes plus simples et plus rudes de l'époque précédente tiennent du rude et sévère style roman.
Quand la pierre se découpe, se tord, flamboie presque en magnifiques efflorescences sculptées, l'étoffe plus souple se découpe, se tord et flamboie aussi. Les hautes coiffures que nous qualifions d'extravagantes, ce sont les toits effilés des tourelles qui montent partout vers le ciel. Tout est multicolore, les gens d'alors aiment les couleurs gaies, toute la gamme des jaunes, des rouges, des verts est employée.
Plus tard le costume se met plus au large en même temps que l'architecture. C'est la Renaissance et ses modes plus amples et plus molles; on cherche du nouveau dans le vieux, l'Italie influe sur les toilettes comme sur les édifices, il n'est pas jusqu'aux armures de guerre ou de parade des princes, aux vêtements de fer des riches seigneurs, qui ne recherchent quelques formes antiques et ne se couvrent de rinceaux, ou d'ornements à la romaine.
La sévérité, nous pouvons dire la maussaderie des modes de la fin du XVIe siècle, ne se retrouve-t-elle pas dans les édifices d'une époque assombrie par tant de troubles?
L'énormément ennuyeux et somptueux palais de Versailles, les grands hôtels solennels d'une architecture pleine de morgue, ce sont bien vraiment les couvercles qui convenaient aux énormes et solennelles perruques du grand Roi, aux corsages guindés et empesés, aux raides cornettes de madame de Maintenon. Et le XVIIIe siècle après l'ennuyeuse fin du XVIIe?
L'architecture et la toilette mettent de côté, en même temps, le pompeux et le solennel; toilette rococo, architecture à falbalas, c'est tout un.
Plus tard, les gens de la Révolution et de l'Empire se costumant à la grecque et à la romaine, édifices et maisons font de même. Puis les modes et les édifices sont absolument sans style et de toute banalité de 1840 à 1860, époque de transition et d'attente.
De nos jours enfin, époque de recherches et de fouilles archéologiques, d'essais et de reconstitutions, temps d'érudition plus que d'imagination et de création, nous voyons la mode et l'architecture, marchant toujours de conserve, fouiller ensemble dans les cartons du passé, essayer également l'un après l'autre tous les styles, s'éprendre successivement de toutes les époques, en adopter les formes pour les rejeter vite l'une après l'autre... Soyons donc de notre temps et plongeons nous aussi dans les cartons du passé à la recherche des jolies choses et des originalités de jadis.
Au delà d'une certaine époque, les documents certains n'abondent pas et nous devons nous contenter de suppositions. Qui nous dira vraiment ce qu'étaient le costume et la mode, et par cela l'aspect de la vie, aux temps mérovingiens et carlovingiens, lorsque:
Quatre bœufs attelés, d'un pas tranquille et lent,
Promenaient dans Paris le monarque indolent.
Qui nous dépeindra les élégances de ces époques nébuleuses? car, en dépit de la rudesse et de la barbarie, il devait s'en trouver tout de même, puisqu'en maints passages de leurs écrits, déjà les vieux chroniqueurs, évêques ou moines, fulminent contre le luxe effréné des femmes.
Qui nous dépeindra les contemporaines de Charlemagne et nous renseignera un peu sur les élégances du Xe siècle? Quelques statues peut-être, parvenues jusqu'à nous plus ou moins écornées, seront nos seuls documents; nous devrons nous en contenter et les rapprocher des vagues renseignements contenus dans les barbares illustrations des manuscrits d'alors, encore si éloignées des magnifiques miniatures que les enlumineurs du moyen âge prodigueront plus tard.
Le premier journal de modes, c'est donc pour nous quelque portail de cathédrale ou quelque statue tombale échappée par miracle aux ravages du temps et au marteau des iconoclastes huguenots ou sans-culottes.
Plus tard, les miniatures, les vitraux, les tapisseries nous apporteront des renseignements plus complets et plus certains, des figures bien plus précises; le document abondera.
D'ailleurs, dès le XIVe siècle, le vrai journal de modes existe; il n'a pas encore adopté la forme gazette que nous lui connaissons depuis cent ans seulement, mais c'est le journal de modes tout de même, le renseignement voyageant sous la forme de poupées qui portent des modèles de costumes d'un pays à un autre, de Paris surtout.
Car Paris tenait déjà le sceptre et gouvernait la mode, non pas, il est vrai, comme aujourd'hui, d'un pôle à l'autre, des confins de l'Amérique glaciale à l'Australie, vouée encore aux petits os passés dans les narines pour toute coquetterie, il y a cinquante ans à peine, de la cour des Radjahs d'Asie au sérail du Grand Turc et au palais de S. M. l'impératrice du Nippon fleuri.
Au moyen âge, des grandes dames, en notre cher petit coin d'Europe, s'envoyaient de petites poupées habillées à la dernière mode du jour par des coupeurs de robes, des couturières ou des couturiers dont le nom n'est point passé à la postérité.
Dans son château lointain, perdu dans les landes bretonnes ou perché sur quelque roc des bords du Rhin, la duchesse ou la margrave avait ainsi dans les grandes occasions, communication plus ou moins rapide des élégances à la mode dans les grands centres de luxe comme la cour de Paris ou la cour de Bourgogne, rivales en faste et en éblouissements, et dont les comptes remis au jour nous révèlent les grandes dépenses avec tous les détails de ces somptuosités dont les contemporains étaient éblouis et que tous les chroniqueurs ont rapportées.
Certaines villes importantes recevaient aussi de la même façon les décrets de la mode, puisque nous voyons, pendant des siècles, Venise, autre centre d'arts somptuaires, trait d'union entre le négoce de l'Orient et le luxe de l'Occident, recevoir chaque année une poupée parisienne. Dans la ville des doges, c'était un usage immémorial d'exposer, le jour de l'Ascension, sous les arcades de la Merceria, au bout de la place Saint-Marc, la toilette de l'année, cette image d'une parisienne à la dernière mode, pour l'édification des nobles vénitiennes qui se portaient en foule à l'exhibition.
III
MOYEN AGE
Les Gauloises teintes et tatouées.—Premiers corsets et premières fausses-nattes.—Premiers édits somptuaires.—Influence byzantine.—Bliauds, surcots, cottes hardies.—Les robes historiées et armoriées.—Les ordonnances de Philippe le Bel.—Hennins et Escoffions.—La croisade de frère Thomas Connecte contre les Hennins.—La dame de Beauté.
Il faut avoir le courage de l'avouer, ici même, dans ce Parisis qui porte et fait triompher partout l'étendard de l'élégance, les aïeules de Mesdames les Parisiennes, il y a quelque deux mille ans, se promenaient un peu attifées à la mode des élégantes Néo-Zélandaises d'aujourd'hui, dans la grande et sombre forêt qui des bords de la Seine remontait aux rives de l'Oise et s'en allait toucher aux Ardennes en un vaste et inextricable bois de Boulogne.
Ces Gauloises, belles et rudes, allant épaules découvertes et bras nus, étaient peinturlurées et probablement tatouées; dans tous les cas il est certain qu'elles se teignaient les cheveux.
Les nombreux bijoux parvenus jusqu'à nous, fibules, torques ou colliers, bracelets, agrafes en bronze et quelquefois en argent ou en or, témoignent que ces demi-sauvagesses primitives connaissaient un certain luxe. Tous ces objets présentent dans leur style une grande analogie avec le style d'ornementation qui s'est perpétué jusqu'à nos jours dans la Bretagne actuelle.
La vieille Gaule barbare devenue la Gaule romaine, les Gauloises se montrèrent vite, à l'imitation des Romaines, très raffinées en civilisation et en luxe. Le corset, mesdames, date de cette époque, corselet d'étoffe moulant le corps plutôt qu'instrument de torture violentant les lignes.
Le goût primitif pour la peinture éclatante ne se perdit pas tout à fait, la teinture devint du simple fard; déjà les essences pour entretenir la fraîcheur du visage étaient inventées et aussi les fausses nattes. Ces tresses d'un blond ardent,—couleur dès longtemps à la mode, on le voit,—étaient achetées aux paysannes de la Germanie, aux Gretchens du temps d'Arminius.
Un retour à la barbarie et à la simplicité suivit les invasions de ces Francs, dont les femmes, rudes gaillardes, étaient vêtues pour tout luxe d'une simple chemise à bandes de pourpre.
Les modes romaines, mélangées aux modes gauloises et franques, les modes mérovingiennes, dont quelques statues raides et hiératiques peuvent nous donner l'idée, se transformèrent peu à peu.
Au milieu de sa cour, parmi les femmes de ses ducs et de ses comtes, qui montraient le goût le plus effréné pour la parure, les étoffes somptueuses et les bijoux, le grand Empereur à la barbe fleurie, Charlemagne, affectait pour lui-même au contraire, une grande simplicité de vêtements, comme d'autres grands empereurs ou rois, Frédéric II et Napoléon. Choqué par le déploiement de faste des femmes de sa famille, Charlemagne dut édicter les premières lois somptuaires, lesquelles ne furent suivies naturellement que par les simples bourgeoises, par les bonnes dames qui n'avaient que faire de défenses et de prohibitions pour se priver de somptuosités qu'elles ne pouvaient songer à s'acheter, faute d'argent.
La société de ce temps-là, nous la voyons figée en grandes figures hiératiques, sculptées sous les porches romans de nos plus vieilles églises. Rangées de rois et de reines, raides et sévères, encadrés sous les vieilles arcatures, princes et princesses couchés sur les dalles funéraires, vieux spectres de pierre, taillés d'un rude et barbare ciseau, qui nous dira ce que vous étiez vraiment, ce qu'était, dans le mouvement et la vie, ce monde que vous dirigiez?
Vous vous taisez, vous gardez votre secret, fronts mystérieux de fantômes sculptés, debout aux façades que vous avez fondées, ou couchés dans les musées qui vous ont recueillis.
Nos villes où les gracieuses Françaises, filles de ces aïeules de pierre, se promènent dans le tourbillon pressé des foules, devant les brillants magasins de notre siècle vivant d'une vie si intense, nos vieilles cités existaient déjà toutes, mais combien de fois ont-elles fait peau neuve! Des vestiges de ces temps tout a disparu, les dernières pierres sont ensevelies sous les fondations des plus anciens monuments.
Nous en savons presque aussi peu, des façons de vivre d'alors, que de la civilisation des villages de l'ère des dolmens, et c'est dans les premiers et plus anciens poèmes ou romans chevaleresques qu'il nous faut chercher çà et là à travers coups de lance ou de hache, quelques détails intimes sur la vie sociale d'alors.
Voici le moyen âge. L'influence byzantine de la Rome transplantée sur le Bosphore, règne d'abord dans le vêtement des femmes comme dans celui des hommes et domine vers l'époque des premières croisades.
C'est alors le temps des longues robes à plis très fins, des doubles ceintures, une à la vraie taille et une sur les hanches, des voiles transparents.
C'est bien une époque de transition, on voit la mode tâtonner, retourner en arrière et reprendre, avec quelques modifications, des formes oubliées; le costume romain, modifié d'abord par Byzance, arrangé, rendu semi-oriental, revient presque au jour.
Puis soudain, à l'aurore du XIIIe siècle, quand les temps nouveaux commencent à sortir du crépuscule de la vieille barbarie, les modes nouvelles se dessinent, nettement, franchement.
C'est la vraie naissance de la mode française, du costume purement français, français comme l'architecture dégagée aussi des imitations, des emprunts et des souvenirs de Rome et de Byzance, français comme l'art ogival jaillissant de notre sol.
La statuaire, les vitraux et les tapisseries du moyen âge vont nous fournir les meilleurs documents. Ces figures sculptées en grand costume sur leurs tombeaux, sont de véritables évocations de nobles châtelaines, des portraits extrêmement remarquables avec tous les détails des ajustements, des robes et de la coiffure nettement indiqués, et quelquefois portant encore des traces de peinture qui nous donnent les couleurs du costume.
Les vitraux sont encore plus intéressants, on trouve là des représentations de toutes les classes de la société, depuis la grande dame noble jusqu'à la femme du peuple: dans les vitraux commémoratifs, dans les vitraux des chapelles seigneuriales ou des chapelles de corporations des villes, dans les grandes compositions qui nous présentent si souvent, au bas des fenestrages, les portraits des donataires,—les dames nobles à opulents costumes, agenouillées en face de bons chevaliers en armures, les riches bourgeoises en face de leurs maris échevins ou notables.
Les tapisseries sont quelquefois plus sujettes à caution comme vérité, l'artiste introduisant parfois des fantaisies décoratives dans ses compositions; néanmoins, que de figures donnant des indications précises et venant corroborer les autres renseignements et s'ajouter aux innombrables et merveilleuses illustrations des manuscrits.
Sur la robe de dessous, sur la jupe ou la cotte, la femme du XIe siècle portait le bliaud ou bliaut, espèce de robe parée, de fine étoffe, serrée par une ceinture. Confectionné tout d'abord d'étoffe simplement gaufrée, le bliaut s'enrichit bientôt de dessins et d'ornements d'un joli style.
On se perd dans les transformations du bliaut et de la cotte. La robe de dessous devient la cotte hardie et le surcot remplace le bliaud. Cette robe de dessous, très ajustée, est lacée par derrière ou par devant, et dessine bien les formes et contours du corps.
Dans le costume paré, un garde-corps, ou devant de corsage de fourrure s'ajoute au surcot et lui donne un supplément de somptuosité. Mais la forme générale se modifie par mille dispositions particulières, cottes et surcots varient de toutes les façons, suivant les fantaisies du jour, le goût particulier, suivant la mode des provinces ou des petites cours princières ou ducales, isolées par circonstances ou situation.
Elles sont superbes, les élégantes du moyen âge, avec leurs longues robes collantes, dont les dessins se répètent régulièrement, rosaces semées sur toute l'étoffe, carreaux alternés de couleurs différentes, faisant comme un damier de tout le corps, fleurs et ramages en larges dispositions, souvent tissées d'or ou d'argent. Ces étoffes font des plis superbes et drapent naturellement d'une façon sculpturale, des échantillons nous en restent dans les musées, nous pouvons juger de l'effet qu'elles devaient faire, coupées en belles robes traînantes.
Les armoiries, nées avec les premières organisations sociales, avec les premiers chefs de clan ou chefs de guerre, mais régularisées plus tard, paraissent sur les robes des dames, timbrées comme les pavois des maris, d'écussons symétriquement disposés. Cet usage se développe, cette mode prend, comme nous dirions maintenant, et bientôt les armoiries s'étalent plus largement sur les robes dites cottes historiées.
Voyons aux fêtes de la cour ou des châteaux, dans ces vastes salles ouvertes aujourd'hui aux vents des quatre points cardinaux, et hantées par les seuls corbeaux, derniers habitants des nobles ruines; voyons aux tables des festins d'apparat, entre les hautes cheminées et les tribunes des musiciens, ou bien encore sur les estrades ou eschaffaux, autour des lices où les chevaliers tournoient, ces nobles dames, aux robes du haut en bas armoriées et timbrées aux armes de leurs maris ou de leurs familles, arborant, ainsi que de superbes panonceaux vivants, toutes les belles inventions du blason, toutes les bêtes de la ménagerie héraldique, les lions et les léopards, les chimères et les griffons, les loups et les cerfs, les cygnes et les corbeaux, les sirènes et les dragons, les poissons et les licornes, tous d'allure fantastique, tous ailés, onglés, griffus, dentus et cornus, issant, passant ou rampant sur les champs les plus étincelants, gueules, azur, or ou sinople.
Et les robes non armoriées ne sont pas moins riches ni moins brillantes, semées de grandes fleurs contournées ou d'ornements d'un très large sentiment décoratif.
Les formes, en apparence très variées, dérivent cependant toutes du même principe. Le surcot n'a pas de manches, il est ouvert plus ou moins largement sur le côté depuis l'épaule jusqu'à la hanche pour laisser paraître la robe de dessous, d'une autre couleur s'harmonisant bien avec celle du dessus et semée de dessins, ou plus, ou moins que le surcot, de telle façon qu'il n'y ait pas égalité d'ornementation.
Un garde-corps ou devant de corsage d'hermine garnit le haut du surcot; la fourrure est échancrée sur les épaules pour laisser voir, bien et chaudement encadré, le haut de la poitrine garni de joyaux et, surtout dans les robes d'apparat, très libéralement décolleté. Une bande d'hermine borde ainsi toute l'échancrure du surcot sur les épaules et les hanches.
Grande variété dans les formes des corsages, des cottes ou des surcots, grande variété dans l'ornementation des épaules, dans l'encadrement du cou. Certains décolletages manquent de modestie, les prédicateurs tonnent en chaire contre l'immoralité de la mode et les conteurs des vieux fabliaux, qui ne sont pas prudes, s'en égayent largement.
Lors de l'invention de la toile de lin, les femmes non contentes de se décolleter pour montrer leurs gorgerettes de lin ou le haut des chemises, inventèrent, pour montrer un peu mieux ces chemises de lin, de fendre leurs robes sur le côté, faisant ainsi de l'épaule à la hanche, de longues ouvertures lacées.
Il y avait déjà,—il y a eu toujours,—des élégantes exagérées qui outraient les fantaisies de la mode. Ainsi certaines se montraient en robes si étroites et si collantes qu'elles semblaient cousues dedans; ou bien les surcots étaient beaucoup plus longs que ces dames, et il fallait porter ce qui dépassait au moyen de poches placées sur le devant des robes, dans lesquelles on passait les mains, ou bien relever la jupe et la rattacher à la ceinture, ce qui après tout était fort gracieux et faisait ces admirables plis cassés que nous voyons aux robes des statues.
Les manches de ces longs surcots, à traîne en queue de serpent, que les grandes dames pouvaient faire porter par un page, s'allongèrent aussi. Les manches de la robe de dessous descendent jusqu'au poignet, avec un évasement qui recouvre souvent une partie de la main. Par-dessus, les manches du surcot, plus larges, sont ouvertes quelquefois depuis l'épaule et tombent presque jusqu'à terre, parfois fendues du coude au poignet ou pourvues seulement d'une ouverture par laquelle passe l'avant-bras.
Il y a cent modifications différentes aux manches: les manches longues, amples ou serrées, les manches coupées et boutonnées en dessous du haut en bas, les manches échancrées ou renflées au coude, on voit même les manches dites à mitons, dont l'extrémité peut se relever en formant mitaines fermées, et les manches-poches fermées au bout, toutes inventions gracieuses ou commodes après tout.
Il y a enfin les grandes manches en ailes tailladées et découpées en dents de scie, en feuilles de chêne, ou bordées d'une mince ligne de fourrure.
La joaillerie prend une grande importance. Grandes dames ou bourgeoises, toutes les femmes enrichissent leurs costumes de joyaux et de bijoux plus ou moins coûteux: colliers, cercles de tête ornés de pierres précieuses joyaux sur le couvre-chef, gros bijoux en agrafes, ceintures de passementerie et d'orfèvrerie.
A la ceinture est attachée l'aumônière ou escarcelle, de riche étoffe bordée d'or, à fermoir et ornements dorés. Les grandes dames éblouissent, elles étincellent... Les lois somptuaires n'y peuvent rien. Philippe le Bel en 1194 a eu beau décréter et réglementer, interdire aux bourgeoises le vair et l'hermine, les ceintures d'or ornées de perles et de pierreries, il a eu beau arrêter que:
«Nulle damoiselle, si elle n'est chastelaine ou dame de deux mille livres de rente, n'aura qu'une paire de robbes par an, et si elle l'est, en aura deux paires et non plus.»
«De même que les ducs, comtes et barons de six mille livres de rente pourront faire faire quatre paires de robbes par an et non plus, et à leurs femmes autant.....»
Philippe le Bel a eu beau fixer un maximum du prix de l'aune d'étoffe pour les robes, en échelle descendante pour toutes les conditions, depuis vingt-cinq sols tournois l'aune pour les grands barons et leurs femmes, jusqu'à sept sols pour les écuyers, et—ce qui est assez remarquable et montre bien, même en ces temps lointains, la richesse des bourgeois et gros commerçants des Villes,—permettant aux femmes des bourgeois d'aller jusqu'à seize sols l'aune, Philippe le Bel a eu beau tout prévoir et tout réglementer, rien n'y a fait, pas même la menace des amendes. Grandes dames et riches bourgeoises ont bravé les défenses du roi tout aussi bien que les remontrances de messieurs les maris et les admonestations que le clergé se fatiguait de leur adresser à l'église.
C'est vainement que les prédicateurs s'attaquent à toutes les parties du costume, qualifiant de portes d'enfer, les crevés, parfois bien inconvenants du surcot, traitant les souliers à la poulaine d'outrages au créateur, et faisant surtout aux coiffures, hennins, cornes ou escoffions, une guerre acharnée; les femmes laissent dire et gardent imperturbablement les modes attaquées.
En fait de mode, elles ne relèvent que d'elles-mêmes et nient toute autorité, royale ou ecclésiastique, et même la suzeraineté maritale.
Les dames de ce temps-là portent aussi quelque peu les souliers à poulaines, les fameux souliers à bec relevés, dont les élégants de l'autre sexe s'étaient épris et qu'ils agrémentaient souvent d'un grelot tintinnabulant au bout.
Elles ne connaissaient pas encore les hauts talons, mais elles se grandissaient par des espèces de mules, ou par des quantités de semelles mises l'une sur l'autre.
Les coiffures des dames sont de proportions extravagantes. Le hennin triomphe entre toutes. Il y a l'escoffion qui affecte différentes formes, en turban, en croissant; il y a le bonnet en cœur, énorme coiffure d'étoffe brodée, treillissée de ganses, ornée de perles, avec un gros bourrelet relevé de joaillerie retombant en cœur sur le front. Mais c'est le grand escoffion à cornes qui, sur tous les autres, scandalise les prédicateurs, l'escoffion qui est une large carcasse ornée de pierreries emboîtant les oreilles et laissant tomber de chaque corne sur les épaules une fine mousseline flottante.
Ces escoffions venaient, dit-on, d'Angleterre, ainsi qu'à toutes les époques maintes excentricités de costumes; l'Anglomanie qui sévit de temps en temps, date de loin, on le voit. Viollet-le-Duc, dans son Dictionnaire du Mobilier, donne un exemple de grand escoffion pris sur une statue tombale d'une comtesse d'Arundel du commencement du XVe siècle.
Comparant les femmes ainsi coiffées à des figures sataniques, à des bêtes cornues, prédicateurs et moralistes déclarent que la femme douze fois infidèle va au Purgatoire, mais ils jettent directement et sans rémission à l'Enfer celles qui portent ces escoffions à cornes!
Le grand hennin est un immense cornet plaqué sur le front, emprisonnant complètement les cheveux, un tube conique en étoffe ramagée ornée de perles, avec une voilette plus ou moins longue sur le front, et tout en haut, à la pointe de l'édifice, un flot de légère mousseline retombante. Edifice extravagant, soit, incommode, mais non ridicule, monumental mais charmant, et que les femmes s'obstinèrent à porter pendant près d'un siècle, parce qu'il était en réalité très seyant et donnait à la physionomie, à l'ensemble d'une figure, de pied en cape un caractère très imposant. Et enfin, raison principale dont on ne se rendait pas compte peut-être, mais qu'on reconnaissait inconsciemment: parce que ces grands hennins cadraient avec les architectures d'alors.
Magnifique époque d'expansion et de montée! Fines et dardées haut, les flèches des églises escaladent le ciel, entraînant les âmes avec elles, toutes les lignes des architectures montent, s'épanouissent et fleurissent. Quand on songe que c'est le temps des merveilleuses façades de maisons ou de palais, des orfèvreries de pierre sculptée, des fines tourelles, des crêtes festonnées, le temps des villes hérissant mille clochers et mille pointes, l'ascension des hennins se comprend très bien. Comme toutes les ascensions, c'est encore une montée vers l'idéal, puisque ces grands hennins aux longs voiles flottants donnent forcément une réelle noblesse à l'attitude et à la démarche.
Guerre aux hennins! Tel fut cependant partout le cri des moines et des prédicateurs. Le plus violent de tous et celui qui fut le plus entendu, sinon écouté, c'était un carme de Rennes, nommé frère Thomas Connecte.
Il entreprit dans sa ville une véritable campagne contre le débordement du luxe, en particulier contre les pauvres hennins. De la Bretagne, il passa dans l'Anjou, en Normandie, en Ile-de-France, en Flandre, en Champagne, prêchant partout solennellement et dans chaque ville du haut d'une estrade dressée en plein air sur une place publique, accablant d'invectives celles qui se complaisaient aux raffinements de la toilette et les menaçant de la colère du ciel.
Tous les malheurs qui fondaient sur le monde, tous les vices du temps, toutes les hontes, tous les péchés, toutes les turpitudes de l'humanité, provenaient suivant lui de l'extravagance coupable des hennins et des escoffions démoniaques.
Et dans la chaleur de sa conviction, frère Thomas ne s'en tenait pas à la parole; à la fin de son sermon, le digne homme, enflammé d'une sainte ardeur, saisissait un bâton et passant à travers les rangs effarés des dames, nobles ou bourgeoises, venues pour l'entendre, il faisait sans pitié, malgré les cris et la bousculade, un grand massacre de hennins. —Au hennin! au hennin! A ce cri, les polissons ameutés par le frère poursuivaient par les rues toute femme dont le couvre-chef dépassait les modestes proportions d'une coiffe ordinaire.
Néanmoins, malgré sermons et voies de fait, les hennins ne s'en portaient pas plus mal et se relevaient après le passage du moine. De ville en ville, celui-ci continuant sa croisade contre le luxe, s'en fut à Rome, et là, le spectacle moins qu'édifiant offert alors par la capitale de la chrétienté, le surexcita tellement qu'il oublia toute mesure, et que, laissant les hennins tranquilles, il s'attaqua aux cardinaux et princes de l'Eglise. Ceci était jeu plus dangereux. Le pauvre homme, accusé d'hérésie, fut appréhendé et tout simplement brûlé en place publique.
Dans l'histoire de la mode, il y a le roman de la mode! Dans les annales de la coquetterie féminine, que d'épisodes curieux et aussi que de figures romanesques qui traversent la grande histoire, charmantes, attirantes, parfois étrangement poétiques, fleurs délicates parmi toute la ferraille remuée par le siècle—et parfois aussi, dangereuses sirènes qui donnent bien raison au frère Thomas Connecte!
L'histoire de la mode pourrait s'écrire avec une douzaine de portraits de femmes espacés de siècle en siècle, portraits de reines de la main droite et de reines de la main gauche,—plus souvent de la main gauche,—de grandes dames et de grandes courtisanes.
Il suffit d'écrire leurs noms, chacun d'eux c'est une page qui se tourne, un chapitre nouveau qui commence: Agnès Sorel, Diane de Poitiers, la reine Margot et Gabrielle d'Estrées, la première femme et la dernière mie du roi Henri, Marion Delorme, la Grande Mademoiselle, Montespan, première partie du règne du roi Soleil, Maintenon, seconde partie du règne du monarque renfrogné, Madame de Pompadour, triomphe du pimpant XVIIIe siècle, Marie-Antoinette, dernier et mélancolique éclat d'un monde qui finit, Madame Tallien, Joséphine..., etc.
Après Isabeau de Bavière, reine de France et reine de la mode, la gracieuse et magnifique épouse de Charles VI, d'abord reine des bals et des fêtes, mais qui devint bientôt la reine des guerres civiles, sans cesser, dans un temps de sombres horreurs, de rêver somptueux costumes et recherches d'élégance,—après les modes d'Isabeau, c'est le temps et ce sont les modes d'Agnès Sorel, la dame de Beauté de Charles VII.
Charles VII s'endort à Bourges et ne songe guère à reconquérir son royaume: ses maîtresses et ses plaisirs sont tout l'univers pour lui. La grande et sainte Jehanne a endossé le harnais des hommes de guerre pour combattre l'Anglais, elle a déjà reconquis au roi une forte partie de son royaume; une autre femme, ni grande ni sainte, va continuer son œuvre, Agnès Soreau de Saint-Géraud, la belle Agnès Sorel, blonde aux yeux bleus, par la puissance et l'ascendant de la beauté, enflamme le roi Charles, elle le lance contre l'Anglais, lui fait reprendre, ville à ville, le reste du domaine des fleurs de lys et mériter dans l'histoire le surnom de Victorieux.
C'est elle la victorieuse! Les pécunes qui sont les nerfs des guerres sont consacrées à payer les rudes gens d'armes, les lances et les bombardes du roi, ainsi qu'à entretenir le luxe coûteux de la belle, à payer les mille inventions de sa coquetterie. Ce sont dépenses de guerre aussi, puisque le roi bataille mieux quand Agnès l'ordonne, comme dit la vieille romance.
La vierge héroïque, la vaillante Jehanne, se couvrait de la cuirasse pour mener au combat ducs, seigneurs et gens d'armes; la belle Agnès, adorée par le roi, poursuivait d'une tout autre manière l'œuvre nationale, elle se découvrait les épaules, inventait des corsages indécemment décolletés jusqu'à la taille, outrait les proportions des grands hennins à barbes flottantes... Et les armées de Charles marchaient, emportant châteaux, villes et provinces, pourchassant les Anglais. Agnès, en somme, mourut à la bataille, puisqu'elle trépassa près de Jumièges pendant la reconquête de la Normandie où elle avait suivi le roi.
La cour de Bourgogne, rivale de celle de Paris en faste comme en tout le reste, introduit dans la mode française des éléments étrangers, de Flandre surtout. C'est la dernière époque pour le costume du moyen âge, l'éblouissement dernier, l'épanouissement et l'étincellement des plus étranges somptuosités.
Les gigantesques houppelandes des hommes et des femmes ressemblent à de grandes pièces de tapisserie,—les grandes lignes disparaissent sous la complication. La Renaissance va venir après une période de transition et de tâtonnements.
Que de jolies choses et de particularités intéressantes il y aurait encore à citer dans les atours, garnements et parements des femmes du moyen âge, dans les vêtements de cérémonie, de splendide étoffe et d'étincelante garniture, dans les vêtements d'intérieur ou de sortie de toutes les classes, aussi bien que dans les vêtements de voyage et de chasse portés par les nobles dames chevauchant sur des mules richement harnachées, ou enfourchant les grands palefrois pour courre le gibier le faucon sur le poing.
IV
LA RENAISSANCE
Modes en largeur.—Hocheplis, vertugalles, vertugadins.—La belle Ferronnière.—Eventails et manchons.—Les modes tristes de la Réforme.—L'escadron volant de Catherine.—Dentelles et guipures.—Etats de services du vertugadin.—Le masque et le touret de nez.—Fards et cosmétiques.
A la suite des expéditions de Charles VIII, un coup de vent souffle sur les modes du moyen âge. Les temps gothiques sont finis, le costume masculin se transforme tout à coup et le costume féminin va changer aussi. Ce coup de vent emporte, avec bien d'autres choses, avec notre architecture nationale, avec notre goût national, ces hennins qui, malgré l'apparence, tenaient si bien sur les têtes qu'ils avaient duré près d'un siècle.
Le costume s'amollit et se complique. Le corset ou corsage remplace le surcot, il est d'une autre couleur que la robe et tout chargé d'ornements et ramages dorés, sous plusieurs rangs de colliers couvrant le haut de la poitrine décolletée. Les manches aussi sont d'une autre couleur que le corsage, ce sont de grandes ailes tailladées et flottantes ou bien des manches de plusieurs pièces rattachées par des aiguillettes ou des rubans, laissant voir la chemise de fine toile de Frise bouffante aux épaules et aux coudes.
C'est le commencement des manches à bourrelets successifs et à crevés qui vont durer si longtemps.
Les souliers pattés ou à bouts carrés remplacent les souliers pointus; on va comme toujours d'une extrémité à l'autre.
Grande variété dans les coiffures très basses maintenant. Ce sont larges bourrelets ou turbans emboîtant l'occiput avec coiffes à dessins dorés encadrant le front et le visage; ces bourrelets et coiffes, ornés de réseaux perlés, se modifient dans les pays où l'influence flamande ou rhénane lutte contre l'influence italienne, par l'adjonction sur la coiffe d'une sorte de chapeau tailladé qui deviendra le grand béret découpé et largement déchiqueté des lansquenets suisses ou allemands.
Ce sont ces modes qui vont régner pendant tout le temps de François Ier, à la cour éblouissante du Roi Chevalier, et à la ville chez les nobles dames et les bourgeoises aisées.
L'innovation principale, celle qui doit influer sur le reste du vêtement, en déterminer en partie la coupe et les proportions, la dominante du costume d'alors, c'est le vertugadin, dit aussi vertugalle, vertugardien... Chose non vue encore, grande nouveauté qui va bouleverser le costume et changer toutes les lignes.
Le vertugadin, c'est-à-dire la jupe large soutenue par une armature quelconque, en voilà pour trois siècles, pendant trois cents ans, avec des interrègnes plus ou moins longs, il durera sous des noms différents, panier, crinoline, pouf, tournure, etc. Il dure encore et nous le reverrons.
Depuis trois cents ans la largeur des jupes suit un mouvement régulier, d'abord modeste, elle augmente peu à peu, lentement, en habituant progressivement l'œil à ses proportions, elle arrive à une envergure formidable, exagérée, impossible, puis elle diminue lentement reprenant l'une après l'autre ses étapes successives.
Les femmes, qu'elle a transformées pour un temps plus ou moins long en énormes cloches, redeviennent clochettes, elles diminuent et s'amincissent jusqu'à disparition complète de toute apparence de vertugadin. Les modes sont ultra collantes pour quelques années, puis un soupçon de tournure reparaît, une illusion de vertugadin se remontre et la progression recommence.
Vilipendé, chansonné, ridiculisé sans trêve ni merci à toutes les époques et quelque fut son nom, il a triomphé toujours, même des édits qui prétendaient diminuer son envergure. Et pourtant nulle puissance au monde n'a vu se liguer autant d'ennemis enflammés contre elle, aucune institution n'a été attaquée avec autant de vigueur et d'acharnement.
La Monarchie ou la République ont des adversaires, mais aussi des défenseurs. Vertugadins, paniers ou crinolines avaient contre eux tous les maris, tous les hommes! Le corset seul a eu presque autant d'ennemis—dont il a toujours également triomphé.
Le Vertugadin, né sous François Ier, vers 1530, marque la fin du moyen âge, mieux et plus complètement que n'importe quel changement politique. C'est la disparition des robes collantes ou flottantes à plis droits, si sculpturales. Un monde est fini.
Le vertugadin s'appelle premièrement hoche-plis. Ce nom s'applique d'abord seulement au bourrelet godronné soutenu par une carcasse de fils de fer qui s'attache à la taille pour donner de l'ampleur aux jupes. Puis le nom s'étend à tout un système de cerceaux de bois ou de baleine formant cage sous la jupe jusqu'en bas.
Le costume féminin sous François Ier est ample et majestueux plutôt que gracieux, les robes sont de velours, de satin, de brocatelle à fleurs de couleurs variées, avec de larges manches tombantes, doublées de zibeline ou des manches énormes engonçant les épaules et formant comme une succession de bourrelets jusqu'aux poignets, avec des crevés ouverts sur des bouillons de soie claire.
Le corset à busc appelé alors basquine apparaît. Très probablement ce n'était pas encore une armature dissimulée sous le corsage, mais bien le corsage lui-même raidi par des baleines, du moins les descriptions assez confuses donnent lieu de le penser.
Pour la coiffure, attifet, chaperon, toque ou toquet, ainsi que pour l'ornement du cou et des épaules qui sortent considérablement des corsages,—on a rapporté de la molle et licencieuse Italie de jolies ouvertures de corsages, que les maris pourtant auraient pu trouver offusquantes, mais les hommes se décolletent bien aussi—les élégantes dépensent en joaillerie et orfèvrerie plus que messieurs les maris ne voudraient. Reines, grandes dames, bourgeoises se ruinent en chaînes d'or, joyaux émaillés, perles, pierreries, escarboucles.
La belle Ferronnière, une des maîtresses du roi après le règne de la duchesse d'Etampes, invente de porter une escarboucle retenue par un fil au milieu du front. Un bijou de plus à porter quand on a déjà garni autant que l'on pouvait la coiffure, le corsage et la ceinture d'une étincelante joaillerie, quelle belle idée! La coiffure à la Ferronnière a vite un très grand succès.
Voici maintenant des accessoires de toilette inconnus. Pour l'été, c'est l'éventail de plumes, joli prétexte à garniture d'orfèvrerie, et le manchon pour l'hiver. Manchons noirs pour les bourgeoises et manchons de couleurs variées pour les dames nobles seulement, suivant les ordonnances royales. Les ombrelles aussi sont venues d'Italie, seulement elles sont trop lourdes et ne réussissent guère.
Mais voici sur l'éblouissante époque, l'éteignoir de la Réforme, les jours troublés et tristes.
Etincelante, chatoyante, superbe d'ampleur somptueuse et de richesse pendant tout le règne de François Ier, roi chevalier, prince brillant, prodigue et ostentatif en un temps de bravoure et de «braverie» et aussi de licence, —la mode va changer soudain de caractère et devenir aussi austère qu'elle a été fastueuse, aussi sombre et lugubre qu'elle a été éblouissante et multicolore.
C'est pendant le commencement du règne d'Henri II une véritable lutte entre les modes tristes et les modes gaies, mais bientôt les modes tristes triomphent et peu à peu l'éclat de l'élégance s'éteint, la mode tourne et va bien vite des couleurs ternes et maussades au noir pur.
Les temps deviennent difficiles et tournent au noir aussi. C'est la Réforme, les dissensions religieuses, guerres de sermons et de prêches d'abord, puis guerre effective à coups de canon et d'arquebuses, à coups de bûchers, ou de potences.
Le roi Henri II dès 1549 commença les hostilités contre le luxe; un édit interdisant un grand nombre d'ornements ou d'étoffes, passements, bordures, orfèvreries, cordons, canetilles, draps d'or ou d'argent, satins, etc., réglementa sévèrement la mode et détermina pour les différentes classes de la société les qualités des étoffes et jusqu'aux couleurs.
Le droit de porter habillement complet de dessous et de dessus en rouge cramoisi fut réservé aux princes et princesses; les dames nobles et leurs maris ne pouvaient prendre cette éclatante couleur que pour une seule pièce de leur costume.
Pour les dames de rang inférieur, elles avaient droit, d'abord les plus élevées en rang, aux robes de toutes couleurs sauf le cramoisi, et les autres au rouge éteint ou au noir. Même échelle descendante pour les étoffes, des satins et des velours au simple drap.
De longs cris de lamentation retentirent par toute la France, quand on voulut passer à l'exécution de l'édit.
Les dames de France, au nord comme au midi, à l'ouest comme à l'est, en bataille serrée, défendirent courageusement, pied à pied, leurs joyaux et leurs belles parures, leurs étoffes et leurs couleurs, discutant avec les agents de l'autorité et trouvant mille raisons ingénieuses pour tout sauver, pour tout garder.
Il fallut que le roi reprît la plume, qu'il complétât son édit par une série d'articles explicatifs et détaillât point à point ce qui était permis et ce qui était prohibé. Il faisait quelques concessions aux dames et permettait encore quelques petites coquetteries, mais pour le reste, ce qui fut défendu resta défendu et la loi somptuaire fut exécutée rigoureusement.
Le velours, trop commun en France,
Sous toy reprend son vieil honneur...
dit Ronsard dans une épître au Roi où il loue le monarque de ses ordonnances réformatrices.
La sombre Catherine, l'Italienne dont le sang a empoisonné celui de la race des Valois, l'empoisonneuse qui finira toute bouffie de crimes, domine la Cour de France encore brillante, comme un grand fantôme noir, emblème de l'ère de crimes et de massacres qui va s'ouvrir.
Elle laisse les recherches de la coquetterie aux dames de la Cour et à la maîtresse de son mari, à Diane de Poitiers, la suprême beauté, la déesse quasi mythologique de la Renaissance, que Jean Goujon sculpta comme plus tard Canova sculptera une autre beauté princière, Pauline Borghèse. Les plus jolies créations de l'époque, ce sont des toilettes à tons sobres, d'une élégance sévère composant des harmonies grises ou des harmonies en blanc et noir, les couleurs de Diane de Poitiers.
A la mort d'Henri, Catherine adopte, pour ne plus le quitter, le costume de veuve, et entourée pourtant d'un essaim de jeunes et brillantes beautés, de ses filles d'honneur qu'on appelle l'escadron volant de la Reine,—escadron qui, dans les mille intrigues qu'elle noue et dénoue, la sert plus avantageusement que des escadrons de reîtres,—elle traverse les trois règnes tourmentés des rois ses fils, noire des pieds à la tête, noire comme la nuit, noire comme son âme.
Large jupe noire, corsage noir en pointe, grandes ailes noires aux épaules, collet noir relevé en forme de fraise; et pour coiffure une sorte de chaperon ou de toquet à visière noire qui descend en pointe sur ce front aux pensées dures et sinistres.
Ce fut Catherine, paraît-il, qui importa en France, en arrivant de Florence pour son mariage, les fraises qu'adoptèrent rapidement les hommes et les femmes.
Il y en avait de toutes sortes, de modestes et d'inouïes, de très simples en linge godronné et d'autres en merveilleuses dentelles. Invention charmante et superbe, incommode sans doute comme bien d'autres inventions de la mode, mais qui encadrait si bien dans les rosaces et les rinceaux de la plus fine dentelle, qui sertissait comme un bijou précieux la figure de la femme.
C'étaient des chefs-d'œuvre de cet art si féminin de la dentelle où brillait toute l'élégance décorative de la Renaissance; les mêmes artistes qui ciselaient le bronze, l'argent et l'or, qui sculptaient ces fines décorations de pierre sur les façades des palais, fournissaient les dessins de ces fraises; la dentelle avait ses Benvenuto Cellini, à Bruxelles, à Gênes et surtout à Venise, premiers centres de fabrication.
Mais les fraises ne prirent pas tout de suite ces belles proportions, qu'elles n'atteignirent que sous Henri III. Elles furent d'abord de simples collerettes à plis ronds ou godrons qui enserraient le cou jusqu'aux oreilles, fraises austères et fermées d'un temps qui s'assombrissait de plus en plus; l'austérité protestante gagnait rapidement et si les catholiques conservaient leurs habitudes et leurs mœurs plus faciles, les querelles de religion avaient pris toute leur âpreté et la guerre civile planait sur la France.
Sous le règne éphémère de François II, qui vit passer à la cour de France la figure auréolée par le malheur de la pauvre Marie Stuart, sous celui de Charles IX, les costumes ont une élégance sobre et discrète. Comme les pourpoints des hommes, les corsages sont tailladés, ainsi que les manches raides et bouffantes en haut.
Les seuls bijoux sont quelques boucles et pendants de ces grandes ceintures dites cordelières, des garnitures d'aumônières, un collier sous la collerette, petite fraise à godrons qui se trouve aussi aux poignets.
Le chancelier de l'Hôpital, ennemi de la trop grande ampleur des vertugadins, les avait un peu dégonflés et diminués par une sévère ordonnance en 1563, par laquelle il interdisait également aux hommes les hauts de chausses rembourrés. Mais à un passage du roi Charles IX à Toulouse, les belles Toulousaines étant venues implorer un adoucissement aux rigueurs de l'austère chancelier, le roi, plus clément qu'il ne se montrera plus tard aux Huguenots, fit grâce au vertugadin et lui permit de reprendre ses monumentales proportions.
Ne nous moquons pas de cette ampleur des vertugadins, un jour elle sauva la France s'il est vrai, comme la chronique le dit, que Marguerite de Valois put préserver les jours d'Henri de Navarre son mari, en le cachant sous un immense vertugadin quand les massacreurs de la Saint-Barthélemy se mirent à dépêcher à coups de hallebarde les huguenots qu'on avait logés au Louvre à l'occasion des noces d'Henri et de Margot.
Les modes s'assombrissent comme le temps, comme l'architecture, comme le mobilier, comme tout. C'est une loi générale, l'architecture est sévère, ce n'est plus l'exubérance débordante, la gaieté païenne de la Renaissance, les formes sont plus contenues. Après une débauche d'inventions souriantes, l'architecture fait pénitence. Le mobilier qui garnit ces hôtels renfrognés est raide et gourmé.
Voyez ces tables et ces sièges carrés, sans ornements ni sculptures, de bois brut recouvert d'étoffe sombre semée de gros clous. C'est le style catafalque.
Dans ces architectures sévères, dans ces appartements qui semblent revêtus de tentures d'enterrement, s'agitent des gens à costumes tristes. Longues robes tombant sur de larges vertugadins et collets montants; le buste est emprisonné et comprimé durement dans un raide corset à busc fermant par derrière, dans une armature solide appelée un corps piqué, que recouvre un corsage d'étoffe raidie et baleinée aussi.
Pour sortir dans la rue, les femmes ajustent sous leurs chaussures des patins légers à semelles de liège, ce qui s'est déjà fait aux siècles précédents, mais on raille beaucoup les femmes de petite taille qui ont pris pour habitude de se jucher sur des patins formidables, ou de se hausser par des souliers à nombreuses semelles superposées.
Pour la coiffure, c'est la coiffe de réseau, la pointe sur le front faisant de la figure une sorte de cœur, ce que nous connaissons surtout sous le nom de coiffe à la Marie Stuart, ou bien c'est le chaperon de velours noir, une sorte de chapeau assez peu seyant.
Il est de mauvais ton pour les dames nobles et même pour les bourgeoises de sortir sans masque. Étrange mode, ce masque noir est encore une note triste ajoutée à un ensemble déjà bien sombre.
Les masques, de velours noir, sont courts, laissant voir le bas du visage, ou à mentonnière; ils s'attachent derrière les oreilles ou bien, ce qui est plus raffiné, se maintiennent au moyen d'un bouton de verre tenu avec les dents. Cette mode passant des femmes de qualité aux toutes petites bourgeoises durera longtemps, jusque sous Louis XIII.
Le masque cependant est coquet, il y avait moins joli, il y avait le touret de nez, pièce d'étoffe noire attachée par les côtés au chaperon, qui s'ajustait sous les yeux et cachait tout le bas du visage, invention bizarre et peu séduisante qui ressemblait, en laid, au voile de figure des femmes du Caire.
Ces tourets de nez, paraît-il, ont leur raison d'être et leur utilité. Ne les soulevons pas. Les dames se fardent outrageusement suivant une mode venue d'Italie avec Catherine de Médicis, elles se peignent comme de simples Caraïbes et s'appliquent sur les joues, sous le touret de nez, les couleurs les plus vives et les plus dangereuses pour l'épiderme. Les visages féminins sont enduits de plaques de vermillon, ou bien, sous prétexte d'entretenir la fraîcheur du teint, de pommades et de drogues vraiment peu ragoûtantes.
Horrible!
Une Instruction pour les jeunes dames donne des indications sur la composition de ces «oints» ou plutôt de ces fricassées déplorables où il entre de la térébenthine, des fleurs de lis, du miel, des œufs, des coquilles, du camphre, etc., le tout cuit dans l'intérieur d'un pigeon, trituré et distillé ensuite.
Pouah! le touret de nez paraît assez indispensable après cela.
Le florentin René, amené par Catherine, fournissait aux belles dames de la cour fards, parfums et cosmétiques; on sait qu'il cuisina souvent pour la reine mère d'autres fournitures plus nuisibles destinées à supprimer avec élégance et discrétion les gens embarrassants.
Quelle époque! d'un bout du royaume à l'autre, dans le mélange des partis en lutte, on se dispute, on se hait, on se bat. Pendant trente ans tout est bouleversé, les armées catholiques et huguenotes se poursuivent par les provinces, mettant tour à tour les villes à sac, brûlant les châteaux les uns des autres, guerre sans merci où les femmes et les enfants sont enveloppés, guerre de surprises et de massacres.
Les villes sont assiégées, les campagnes sont ravagées par les argoulets et arquebusiers catholiques, par les reîtres protestants, les châteaux et manoirs enlevés par de rapides coups de main... Il faut fuir quand on ne se sent pas le plus fort, ou périr...
On comprendrait, qu'en ces lugubres temps, les costumes des femmes se soient un peu masculinisés. Les pauvres femmes ont si souvent besoin, pour se tirer d'affaire dans les moments difficiles, d'enfourcher chevaux ou mules, de chevaucher comme les hommes!
Ainsi, en 1568, Condé surpris en pleine paix, dut, pour échapper aux troupes de Catherine, s'enfuir de son château de Noyers près d'Auxerre et courir jusqu'à la Rochelle, échapper aux partis de cavalerie, traverser la Loire à gué, avec sa femme enceinte portée dans une litière, avec trois enfants au berceau, la famille de l'amiral Coligny, celle d'Andelot, nombre d'enfants et de nourrices...
Les femmes empruntèrent au costume masculin une espèce de pourpoint à hauts de chausses qui se mettait sous la robe. Ces caleçons, ainsi s'appelaient-ils, permettaient, malgré les larges jupes, d'enfourcher plus commodément les arçons.
Les vertugadins continuaient à se porter et à grandir malgré tout
Et les dames ne sont pas bien accommodées
Si leur vertugadin n'est large dix coudées,
dira bientôt un satirique Discours sur la mode.
V
HENRI III
La cour du Roi-Femme.—Les grandes fraises plissées, godronnées ou en cornets.—Les femmes-cloches.—Les grandes manches.—Horribles méfaits du corset.—La reine Margot et ses pages blonds.
Le règne de Henri III n'apporte aucun changement dans la situation. Les temps furent plus sombres peut-être et le pays plus bouleversé. Cependant malgré la sainte Ligue, malgré le redoublement des guerres civiles, malgré l'incendie de ses provinces et le sang qui coulait de partout, Henri III, roi de la France tiraillée à quatre chevaux, prit en main le sceptre de la mode.
Après le sombre Charles IX, dédaigneux du luxe et des affiquets de la toilette, venait un roi mignard, frisé, fraisé, musqué, fardé, qui, tout en renouvelant les édits de Charles IX contre le luxe, lançait la cour, et après la cour tout ce qui peut suivre la mode, dans un débordement de folies luxueuses, de somptuosités excentriques et extravagantes.
Sous ce roi de l'île des Hermaphrodites, comme des pamphlets l'appelèrent, le roi-femme, et l'homme-Reine de d'Aubigné:
Son visage de blanc et de rouge empâté,
Son chef tout empoudré nous montrèrent l'idée
En la place d'un roi d'une fille fardée.
tout est désordonné et déréglé à la cour. «Le luxe et les débordements sont tels que la plus chaste Lucrèce y deviendrait une Faustine,» dit la chronique de l'Étoile.
Le royaume de la mode lui-même est bouleversé, il n'y a plus de frontières naturelles et les modes se confondent pour les deux sexes. Le roi, par un goût singulier, féminisa le plus possible ses costumes, cherchant ce qui pouvait se prendre aux modes féminines, depuis la coiffure jusqu'à l'éventail.
Comme les dames de la cour, le roi et ses mignons adoptèrent les colliers de perles, les boucles d'oreilles, les dentelles de Venise et les grandes fraises. Comme les dames, pour entretenir la fraîcheur de leur teint, ils se fardèrent et se cosmétiquèrent d'une façon ridicule, allant jusqu'à mettre la nuit des masques et des gants enduits de pommade; étranges modes efféminées pour un temps de poignards levés et de périls constants.
Ces mignons et popelirots ne portaient-ils pas comme les dames une sorte de corset pour faire taille fine, le pourpoint à busc descendant très bas en pointe, devenu bientôt le ridicule pourpoint à panse rembourrée formant une espèce de ventre pointu à la façon de Polichinelle. Ne se coiffaient-ils pas de la toque féminine ornée de plumes et de pierreries...
Les femmes ne prirent rien aux modes masculines, mais elles se rattrapèrent en exagérant considérablement les dimensions et l'ornementation de tous les éléments du costume, en recherchant la somptuosité des étoffes, en se surchargeant encore d'accessoires et de joaillerie. C'est Marguerite de Valois, sœur du Roi, la reine Margot d'Henri IV qui mène la mode, et moins le ridicule que la grâce féminine esquive, elle fait bien le pendant de l'étonnant Henri III, le satrape musqué et fardé qui empèse et godronne lui-même ses fraises et celles de la reine, et se promène avec des petits chiens sur les bras ou le bilboquet à la main.
Les fraises ont pris des proportions fantastiques, ce sont d'immenses cornets évasés, soutenus par des fils de laiton, de magnifiques dentelles ou broderies de point de Venise, qui partant du corsage, laissent voir les épaules et montent derrière la tête jusque par-dessus la coiffure. La figure fardée ainsi encadrée dans cette dentelle à pointes, c'est une fleur éclatante ou un fruit, ou plutôt c'est une tête d'idole, trop apprêtée, peinte et repeinte, ruisselante de bijouterie et de clinquant.
Encadrement de corsage en joaillerie, or, pierreries, perles, colliers, boucles d'oreilles, perles et diamants à la coiffure, les princesses et les grandes dames étincellent. Les coiffures sont très basses, les cheveux arrangés en pointe sur le front et relevés en rouleau sur les tempes, dessinent un cœur que couronne un simple cercle orné de pierres et de perles fines.
Sur les corsages et sur les jupes, des lignes de perles forment des quadrillés ou des losangés. La ceinture à pendants très longs, est en joaillerie également; à l'extrémité pend un petit miroir, précieusement encadré, que les dames ont à tout instant à la main, pour vérifier l'état de cette précieuse toilette si difficile à porter, de ces fraises immenses, d'une si haute et si majestueuse élégance, pour lesquelles les dames sont à la gêne dans les réunions et dans la presse des fêtes de la cour.
Il suffit pour en juger de voir au Louvre un tableau du temps, représentant un bal à la cour, aux fêtes données pour le mariage du duc de Joyeuse avec la belle-sœur du roi, noces fameuses, célébrées avec un faste inouï par vingt-cinq ou trente journées de festins, de joutes ou de mascarades, pendant lesquelles toute la cour, les princes et princesses, seigneurs et nobles dames rivalisèrent de richesses et de somptuosités folles, dans leurs toilettes renouvelées de fête en fête.
D'après ce tableau des noces de Joyeuse, attribué à Clouet, les seigneurs et les nobles dames rivalisèrent surtout de ridicule dans leurs ajustements. Ce ne sont que corsages à pointes, fantastiquement serrés ou pourpoints à abdomens pointus, qui donnent aux uns et aux autres, des apparences d'insectes, fines guêpes ou gros bourdons.
Ces corsages, dont les buscs n'en finissent pas, ont des manches énormes et rembourrées, aussi grosses aux épaules que le corps tout entier, formées d'une succession de gros bourrelets à crevés, bordés de perles ou de clinquant, avec des poignets de fine dentelle assortis à la fraise.
Quant aux vertugadins, ils ballonnent et s'élargissent considérablement, ce sont maintenant plus que des cloches, ce sont de vastes soupières renversées, sur lesquelles on porte deux robes superposées, la robe de dessus, de riche brocart ou d'étoffes chargées de mille broderies, s'ouvrant pour laisser voir l'autre, laquelle est de couleur différente et non moins ornementée.
Au plus épais des troubles et confusions, quand ligueurs, royaux et huguenots se heurtaient, s'arquebusaient et se pendaient d'un bout du royaume à l'autre, Damville, l'aîné des trois fils du connétable de Montmorency, qui avait levé la lance pour un quatrième parti, celui des politiques, allié dans le Midi aux huguenots, dut une belle chandelle à l'invention de ces encombrants vertugadins. Cerné dans Béziers, il allait être pris et courait grands risques, mais une de ses parentes, Louise de Montagnard, femme de François de Tressan, l'enleva dans son carrosse, caché sous l'étalement de son immense vertugadin, et le fit passer à la barbe de ses ennemis.
C'est le second sauvetage opéré par le vertugadin; peut-être aurait-il à faire valoir bien d'autres actes de service, si l'histoire avait daigné les enregistrer. La crinoline, que nous avons connue, n'a pas de haut fait pareil à son actif. Sa vaste envergure fut aussi utilisée, non pour de si dramatiques évasions, mais seulement par d'ingénieuses fraudeuses, qui se contentaient d'accrocher sous leurs jupes, à ses cerceaux, des objets soumis aux droits.
Le corset n'est plus la simple basquine, assez inoffensive des commencements, le corps piqué qu'endurent, sous prétexte de s'avantager la poitrine, les belles dames de ce temps, c'est un véritable instrument de torture, un moule dur et solide dans lequel il fallait entrer, souffrir et rester, malgré les éclisses de bois qui «entraient dans la chair, mettaient la taille à vif et faisaient chevaucher les côtes les unes par-dessus les autres,» ce sont Montaigne et Ambroise Paré qui le disent, et ce dernier pouvait en savoir quelque chose.
Comme le vertugadin et plus que le vertugadin, le corset passera les siècles, durera à travers toutes les modes, malgré toutes les attaques, malgré les médecins qui l'excommunient avec unanimité, victorieux de tous et de toutes, victorieux contre l'évidence. Les absurdes mignons d'Henri III l'ont bien un moment fait adopter par les hommes!
Les beautés célèbres du temps, Mme de Sauves, la reine Margot, dans leurs atours de cérémonie, avec tous leurs joyaux et pierreries, dans leurs corsages raidis et luisants, couverts de rinceaux d'or, ont l'air de déesses revêtues de cuirasses damasquinées. Ne m'approchez pas, disent les grandes fraises à pointes de ces beautés, qui pourtant ne sont guère inaccessibles.
Cette folie de luxe, à une époque si sombre pourtant, a gagné toutes les femmes. Il n'est pas de femme de petite noblesse, de femme de robin, de bourgeoise qui n'essaie d'approcher des grands modèles, au grand déplaisir des maris, au grand péril des fortunes déjà bien atteintes par les malheurs des temps.
Le brillant XVIe siècle, le siècle de la Renaissance, illustré par tant d'artistes et de lettrés, tant d'étincelants chevaliers et de dames éblouissantes, le XVIe siècle finit mal cependant. Il plane sur cette fin, sur cette époque d'Henri III, aux raffinements corrompus, sur la cour et la ville, sur ces belles et nobles dames, sur ces reines vénéneuses, sur ces mignons et ces raffinés, une telle odeur de sang, que dans ce bouleversement et dans cette corruption sociale, ce n'est pas de trop de tous les parfums violents dont on use, de ce musc et de cette ambre pour la masquer.
Marguerite de Valois, fleur au parfum dangereux, survivra à ce temps et finira en 1615, quelques années après Henri IV, son ex-mari; elle finira vieille coquette, fardée et musquée, essayant, malgré l'âge, malgré l'embonpoint qui détériore sa prestance d'ex-déesse, de garder les grâces solennelles et apprêtées de son beau temps et ses grands costumes d'apparat, traînant une petite cour de ses châteaux du Languedoc à son logis parisien de l'hôtel de Sens qui existe encore, distinguant de temps à autre quelque trop joli cavalier, ou quelque gentil jeune page, de ces pages qui occupaient déjà la chronique en ses belles années, quand on l'accusait de les faire tondre pour se fabriquer des perruques blondes avec leur toison.
Tout à la fin de cette reine, devenue la grotesque Margot, l'un de ces pages préférés ayant été dagué dans l'hôtel même par un jeune écuyer, jaloux de posséder les bonnes grâces de la vieille reine, Marguerite entra en fureur comme une lionne blessée, et pour venger l'objet de ses dernières amours, elle prétendit exercer féodalement le droit de haute justice dans sa maison; elle condamna le coupable à mort et le fit décapiter sans désemparer, sous ses yeux affamés de sang, devant le populaire assemblé dans le carrefour, sur la porte même de l'hôtel de Sens.
VI
HENRI IV ET LOUIS XIII
Retour à une simplicité relative.—Les femmes-tours.—Hautes coiffures.—Excommunication du décolletage.—Les robes à grands ramages de fleurs.—Collets montés et collets rabattus.—Tailles longues.—Les édits de Richelieu.—La dame suivant l'édit.—Tailles courtes.
Il y a des siècles qui ont la vie dure, et d'autres qui meurent avant l'âge, le XVIe siècle, de complexion sans doute particulièrement robuste, se prolongea jusqu'à la fin du règne du Béarnais, avec ses idées et ses mœurs, ses façons et ses modes. On verra plus tard le XVIIe durer de même avec Louis XIV au détriment du XVIIIe, et ce pauvre et charmant XVIIIe finir tristement avant l'âge, de mort subite en l'année 89.
Ces années de grâce du XVIe siècle sous le sceptre du roi Henri, sont une convalescence après les longues années de fièvre chaude; la France, que la maladie a mise si bas, renaît, le poison qu'elle avait dans les veines est expulsé, tout se répare, se nettoie et s'assainit.
Après les raffinements ridicules et maladifs du règne de Henri III, le costume prend un caractère sans façon, un aspect de bonne et simple franchise, s'il peut y avoir de la franchise dans le costume. C'est cependant presque le même costume, mais simplifié dans les lignes et débarrassé de ce qu'il avait de surabondant et de trop cherché dans les détails.
Les modes sont moins élégantes, certainement, celles des femmes comme celles des hommes; elles ont bien des ridicules aussi, mais ce sont des ridicules naïfs. On est sorti de la prétention excessive, de la grâce raffinée et corrompue; en allant dans la simplicité, on est tombé dans la lourdeur et la gaucherie, pourtant de cette lourdeur inélégante mais saine, se dégagera bientôt la grâce cavalière du costume Louis XIII. Il ne faut cependant pas prendre ce mot simplicité au pied de la lettre: hâtons-nous de dire que cette simplicité n'est que très relative.
Les jours d'apparat, les dames arboraient encore la même quantité de joailleries et de pierreries que par le passé. La reine qui a remplacé Marguerite de Valois après le divorce,—une deuxième alliance Médicis qui ne paraît pas avoir trop réussi au Béarnais, bien payé déjà pour se souvenir de Catherine—la reine de la main droite Marie de Médicis et la reine du côté cœur Gabrielle d'Estrées, duchesse de Verneuil, et les autres belles dames, se montraient «aux fêtes, ballets, mascarades et collations, richement parées et magnifiquement atournées et si fort chargées de pierres et pierreries qu'elles ne pouvaient se remuer».
La reine montra lors d'une grande occasion, une robe, «étoffée de trente-deux mille perles et trois mille diamants,» et à son exemple les grandes dames et les dames de moyenne étoffe dépensaient volontiers plus que leurs revenus, en somptuosités, en habillements de brocart, satins, damas admirables, ramagés et passementés d'or, chargés et surchargés de clinquant et de joailleries diverses.
Voilà une bien étrange simplicité, et pourtant quand on examine tableaux et estampes du temps, ces documents n'en montrent pas moins une grande différence entre les suprêmes raffinements des modes de Henri III et l'élégance un peu mastoque du temps de Henri IV.
Les coiffures sont plus hautes, les têtes se surchargent de cheveux achetés chez le coiffeur, à la couleur à la mode.
Pour un temps les perruques des règnes de Louis XIV et Louis XV apparaissent, mais sur la tête des dames: perruques brunes ou blondes, perruques de simple filasse même, pour celles qui ne pouvaient s'offrir mieux. Et avec les perruques la poudre aussi se montre. C'est plutôt un empois mélangeant la pommade aux poudres les plus diverses, depuis les fines poudres parfumées à la violette et à l'iris, jusqu'à la poudre de chêne pourri, et à la simple farine pour les naïves campagnardes.
Ce temps voit aussi éclore les mouches qui reparaîtront également au XVIIIe siècle, mais ce sont d'abord des mouches larges comme des emplâtres et d'un aspect moins séduisant que les coquettes «assassines» de plus tard.
Les femmes du peuple et de la petite bourgeoisie ont gardé l'ancien chaperon, coiffure modeste, pendant que les femmes de la haute classe, coiffées en cheveux avec perles et bijoux, adoptent pour sortir le chapeau ou la toque à petit bouquet de plumes.
Voici le portrait d'une dame à la mode:
En ces temps heureux de vivre et de respirer, après tant de sombres années, une élégante est sanglée et comprimée dans un corsage dur et rigide, fortement armé de baleines, une véritable gaine descendant tout d'une pièce, sans indication de modelé, en longue pointe sur la jupe.
Il faut dire qu'on se rattrape de cette mise à la gehenne par le décolletage du corsage, très libéralement échancré en pointe aussi, trop libéralement même, puisque Sa Sainteté le Pape se croit obligé d'intervenir et menace d'excommunication les belles qui continueront à se décolleter dans des proportions exagérées.
Cette menace d'excommunication—amende à payer seulement là-haut—n'a pas beaucoup d'effet, et les grandes fraises, les collets montés de magnifiques dentelles soutenues de fils d'archal, continuent à encadrer les opulences du corsage. La fine dentelle va si bien autour de la chair, elle fait si bien ressortir les épaules et les épaules font si bien valoir les merveilles des points de Venise ou de Flandre, cette délicate et si artistique orfèvrerie à l'aiguille!
D'énormes manches qui ne sont pas des manches tiennent au corsage. Ce sont des ailes ouvertes fendues dès l'épaule, descendant très bas, garnies de boutons serrés qui ne se boutonnent pas. La vraie manche paraît en dessous, toujours rembourrée et remontante aux épaules, terminée par des poignets en dentelles appelés rebras.
Les jupes sont moins ballonnées que jadis, le vertugadin est plus modeste, c'est une simple cloche lourde et tombant droit, ou plutôt cela ressemble à la grosse caisse bariolée d'un bataillon de Suisses, mais les hanches sont renflées en coupole et accusées de façon grotesque par un rang de tuyaux godronnés de la même étoffe que la robe.
Il est assez difficile aux femmes d'avoir avec cela une démarche élégante et légère; cependant les beautés de l'époque tiennent à ces jupes et l'idéal de la grâce est d'affecter en marchant un dandinement de canard pour leur donner un balancement rythmique.
Une dame élégante a sous la robe trois autres jupes qu'elle doit montrer en se retroussant élégamment, trois autres jupes d'ornementation et de couleurs différentes.
Dans la liste des étoffes et des couleurs à la mode, elle a de quoi
choisir, nous avons alors une série de noms aussi drolatiques que
ceux inventés plus tard par le capricieux XVIIIe siècle.
Couleur triste amie, ventre de biche, face grattée, couleur de rat,
fleur mourante, singe mourant, couleur de veuve réjouie, de temps
perdu, de trépassé revenu, Espagnol malade, péché mortel, jambon
commun, racleur de cheminée, etc.
Le temps de la régence de Marie de Médicis est une époque de transition entre les modes du XVIe et celles du XVIIe siècles; le vrai costume Louis XIII ne se dégagera complètement des derniers vestiges des modes de la Renaissance que vers 1630, à l'époque des édits réformateurs de Richelieu qui, prohibant draps et brocards d'or et d'argent, broderies et passementeries de fils d'or, dentelles, points coupés, forcèrent les élégants à se contenter d'étoffes et de lingeries plus simples et induisirent les tailleurs de robes et d'habits à chercher des formes nouvelles.
Pendant la première partie du règne, la mode se dégage lentement de sa lourdeur, le vertugadin diminue peu à peu et le si disgracieux renflement godronné au-dessus des hanches disparaît, remplacé par un retroussis à grands plis de la jupe de dessus.
Le vertugadin humilié a passé la frontière, il règne en Espagne où sous le nom de guarde infante, il prend de si colossales proportions que l'autorité veut par des édits, comme en France, arrêter leur développement. A l'amende s'ajoute la saisie et l'exposition publique des objets prohibés. L'édit, sévèrement appliqué, suscita des résistances violentes et des émeutes où le sang coula.
Le vertugadin eut la vie si longue de l'autre côté des Pyrénées que les galants de la cour de Louis XIV le revirent avec surprise porté par les dames de la cour espagnole lors de l'entrevue dans l'île de la Conférence pour le mariage de Louis avec Marie-Thérèse.
En France, la recherche, la richesse et le faste, la multiplicité des ornements, la surcharge de joaillerie se remettent à dominer dans la mode et toutes les dames, même celles de la plus simple bourgeoisie donnent dans l'abus des superfluités coûteuses et du clinquant.
Comment «une galante femme en habits se comporte,» un poète satirique va nous le dire:
Il lui faut des carcans, chaînes et bracelets,
Diamants, affiquets et montants de collets,
Pour charger un mulet, et voire davantage...
Il lui faut des rabats de la sorte que celles
Qui sont de cinq ou six villages damoiselles;
Cinq collets de dentelle haute de demi-pié
L'un sur l'autre montés...
Si les vertugadins ont diminué, les fraises ont plutôt gagné en hauteur et développement; les grands portraits de Rubens et ensuite ceux de Van Dick nous montrent ces fraises de la dernière période, en demi-circonférences s'évasant derrière la tête.
Mais les estampes de Callot et d'Abraham Bosse vont nous renseigner sur les modes parisiennes d'avant et d'après les édits de Richelieu.
Callot qui avant 1630 a dessiné de sa merveilleuse pointe tant d'élégants et pittoresques cavaliers en pourpoint de soie ou de buffle, tant d'officiers en hongreline, à petites bottes et grandes flamberges, de seigneurs bien XVIIe siècle, dans ces costumes si charmants et d'une si jolie crânerie, portés avec tant de prestance et de laisser-aller, a gravé aussi quelques costumes de femmes, qui, bien que de la même époque sont encore un peu dans le style des modes du siècle précédent.
Ces dames portent encore les robes à taille longue serrée dans le corps piqué rigide, les manches à bourrelets avec crevés tailladés en grande ou petite déchiquetade, de couleurs vives, les jupes relevées sur le vertugadin rétréci.
Elles sont chaussées de souliers à pont-levis, avec attaches sur le coup de pied, une mode nouvelle.
Les bourgeoises non plus que les dames ne vont
Nulle part maintenant, qu'avec soulier à pont,
Qui aye aux deux côtés une large ouverture
Pour faire voir leurs bas, et dessus pour parure
Un beau cordon de soie en nœud d'amour lié...
Ceci décrit suffisamment le soulier Louis XIII d'une si cavalière élégance. Le Musée de Cluny dans sa riche collection de chaussures en possède d'admirables, très découpés et décorés d'ornements noirs sur le cuir fauve et d'autres plus simples avec le nœud de rubans dit nœud d'amour.
Les découpures laissaient voir les bas de soie incarnat, couleur à la mode; pour sortir on ajoutait à ces souliers des patins de velours cramoisi à très hautes semelles.
Les gants des élégantes étaient non moins jolis, ornés de dessins sur le dos et d'arabesques brodés sur le grand crispin emboîtant le poignet.
De vives chamarrures, de grands ramages de fleurs courent sur toutes les robes comme ils couvrent toutes les étoffes du temps. Le jardin des plantes, autrefois jardin du Roi, doit sa création à cette mode; le noyau primitif fut sous Henri IV le jardin d'un horticulteur avisé où toutes les sortes de plantes françaises ou étrangères étaient cultivées en vue de fournir des modèles aux dessinateurs d'étoffes ou de broderies.
Les coiffures varient. Longtemps à cause des grands collets des fraises, elles sont restées très hautes, ondées ou frisées en bonnet d'astrakan et ornées seulement de bijoux. Plus tard les fraises s'abaissent tout à coup et se séparent en rabats de dentelle de point coupé, rabattus sur l'échancrure carrée du corsage, et en collets abaissés, sinon rabattus aussi.
La coiffure peut s'abaisser aussi avec ces fraises basses; on forme un petit chignon dit culebutte derrière la tête et on encadre la figure de jolies boucles tombantes ou frisées. Cette mode s'exagère un peu, les femmes se font avec leur coiffure frisottée et les petites mèches plaquées sur le front, une tête ronde comme une boule.
Viennent les édits de Richelieu qui veut empêcher l'or de France de s'en aller, au détriment du commerce français, enrichir les manufactures étrangères en achats de passementeries de soie de Milan et de dentelles ou broderies, les édits qui prohibent ensuite les galons et franges, parfilures et canetilles enrichies d'or et d'argent, en ne permettant que les galons étroits de simple étoffe; le costume va changer tout à coup,
Qui brillent de clinquants divers.
On a pris les dames pour dupes,
Leurs habits n'en seront point couverts,
dit une dame dessinée par Abraham Bosse en 1634 après les édits et la réformation du costume.