← Retour

Mesdames Nos Aïeules: dix siècles d'élégances

16px
100%

Bourgeoise Louis XIII.

Changement radical, plus de surcharge d'ornements, plus d'étoffes à ramages, plus de fines dentelles de Venise ou de Bruxelles. La dame suivant l'édit d'Abraham Bosse porte sur une jupe plate, à plis tombant droit, sans le moindre soupçon de vertugade, un corsage à basques, à taille très haute serrée par un simple ruban, des manches larges, ouvertes sur une manche de dessous très simple sans la moindre broderie ni garniture.

La grande fraise, le grand collet monté ou rabattu est remplacé par un grand rabat de lingerie qui monte jusqu'au menton. Il n'y a plus dans ce costume aucun reste des modes du XVIe siècle définitivement trépassées.

Mais ce costume extrêmement simple, d'une sobriété qui touche à l'austérité, restera celui des toutes petites bourgeoises, des bonnes ménagères à qui les édits somptuaires ne causent pas grand souci ni douleur; c'est en somme dans les grandes lignes, le costume actuel des sœurs de Saint-Vincent de Paul, aux couleurs près.

Les belles dames vont prendre ce modeste costume d'après les édits et le transformer bien vite et en faire un des ensembles les plus élégants et les plus charmants que la mode ait inventés, un type vraiment remarquable de haute distinction, juste au moment où le costume masculin si dégagé, si cavalier des premiers temps de Callot, va se modifier en mal, devenir lourd et guindé avec les justaucorps à taille sous les bras et les hauts de chausses tombant au mollet.

Fin du règne de Louis XIII.

La robe s'ouvre du haut en bas, laissant voir un devant de corsage de satin clair orné d'aiguillettes et terminé en pointe arrondie sur une jupe de dessous de soie ou satin mordoré. La robe de dessus ainsi largement ouverte et assez longue, a tous ses plis sur les côtés ou par derrière.

Les manches bouffantes sont coupées en minces bandes du haut en bas, rattachées sur la saignée par un ruban ou simplement ouvertes sur une riche manche de dessous et garnies sur l'ouverture d'aiguillettes ou de nœuds de rubans.

Plus de collets montés, rien que des collets rabattus. Ces grands collets et rabats de lingerie ont bien vite repris quelques riches broderies, dont les pointes tombent maintenant très bas sur les épaules et sur les bras, en même temps que de hautes manchettes dentelées et découpées de la même broderie montent des poignets jusqu'au coude.

Et touffes et bouffettes de rubans partout, rosettes au corsage; guirlandes de rosettes à la ceinture, et colliers de perles tombant dans le corsage, carcans de bijouterie serrés au cou, diamants et pierres sur les aiguillettes et les ferrets. Voici la dame à la mode de 1635 qui s'en va promener ses riches atours à la Place Royale parmi les galants à moustaches retroussées, qui papillonnent sous les arcades.

Ce sera tout à l'heure le costume des héroïnes de la Fronde, des duchesses liguées contre Mazarin, et cela deviendra en se modifiant peu à peu le grand costume des fêtes éblouissantes de la cour de Louis XIV.

Elégante Louis XIII.


VII

SOUS LE ROI-SOLEIL

Les héroïnes de la Fronde.—De la Vallière à la Maintenon.—Les robes dites transparentes.—Triomphe de la dentelle.—Le roman de la mode.—Les Steinquerques.—La coiffure à la Fontanges.—Le règne de Mme de Maintenon ou trente-cinq ans de morosité.

Le règne du grand roi. Le règne des architectures étalant une somptuosité d'apparat, une solennité majestueuse et le règne des perruques également solennelles et majestueuses, des modes d'un luxe écrasant, où la superbe écrase un peu l'élégance!

Le grand siècle! la grandeur poussée jusqu'au gonflement et la splendeur jusqu'à la surcharge, la même lourde magnificence dans le style des hôtels ou des palais, demeures des nobles seigneurs emperruqués, dans le mobilier noble et pompeux que dans l'habillement masculin et féminin et dans les fantaisies raffinées du costume.

Le grand règne a un prologue légèrement agité, la Fronde, qui donne occasion aux belles dames de faire un peu de galante politique et de se donner une petite idée des émotions de leurs grand'mères du temps de la Ligue. La mort a desserré la forte main qui tenait les brides du royaume, Richelieu disparu, on peut caracoler.

Et à l'exemple de messieurs les ducs, les héroïnes de la Fronde ont caracolé! Ce commencement, quand le grand roi n'est encore que le petit roi, a une jolie allure romanesque.

Mmes les Duchesses, Mme de Chevreuse, Mme de Montbazon, Mme de Bouillon, Mme de Longueville et la duchesse de Montpensier, Mademoiselle, la Grande Mademoiselle, petite-fille d'Henri IV, qui aide à battre les soldats du roi à coups de canon, en attendant qu'elle soit, à coups de canne, battue par son mari, le beau Lauzun pris à défaut de Louis,—les belles et séduisantes rebelles aux libres allures, aux beaux yeux et aux belles tailles sans aller jusqu'à la casaque des gardes et la hongreline soldatesque, arborent avec crânerie des costumes semi-militaires.

Pendant les années de troubles et d'émeutes, de guerre civile à Paris et de cavalcades armées dans les provinces, n'assistent-elles pas aux parades des troupes levées par les princes contre les troupes du Roi, avec Condé ou contre Condé;—ces amazones, du haut du perron de l'Hôtel de Ville, ne haranguent-elles pas les Parisiens toujours en goût d'émeute, le populaire hérissé de vieilles hallebardes et d'arquebuses ligueuses, ne passent-elles pas en revue dans Paris un peu assiégé les forces de la Fronde, les milices parisiennes qui traînent bruyamment ce qui reste du pittoresque bric-à-brac guerrier du temps de M. de Guise, la Cavalerie des portes cochères et le régiment de Corinthe de M. le Coadjuteur,—et ne tirent-elles pas vaillamment, quand les affaires se gâtent, le canon de la Bastille sur l'armée royale? Quel joli prétexte à modes cavalières.

Tout est à la Fronde, les modes comme le reste. La mode pouvait avoir quelque motif d'en vouloir au Mazarin qui renouvelait les édits prohibitifs, ces éternels édits sans doute oubliés ou bravés aussitôt que publiés et qu'il fallait renouveler toujours, frappant alternativement les passementeries au profit des guipures, et les guipures au bénéfice de passementeries.

Louis a grandi, il règne.

Mais le roi est jeune, le grand siècle songe à se divertir, il aime la gloire, mais il aime aussi le plaisir. C'est sa première manière, plus tard le siècle et le roi, vieillis tous deux, tout en gardant le culte de la gloire, songeront à se repentir du plaisir.

Une Duchesse de la Fronde.

La dernière reine de la mode, reine austère et pincée qui mettra le siècle en pénitence pour le punir de toutes les frivoles inventions de son bel âge, ce sera la réfrigérante Mme de Maintenon.

En attendant, c'est Ninon de l'Enclos la séductrice qui traverse tout ce siècle, ou c'est la Vallière, c'est Montespan, c'est Fontanges, avec une foule de reines d'un jour ou de demi-reines.

Comme Louis dit: «l'Etat c'est moi», la marquise de Montespan peut dire: «la Mode c'est moi!» Cela n'empêche pas une foule de génies féminins de trouver chaque jour quelque idéal colifichet, quelque coquetterie jolie à faire tourner toutes les têtes, quelque arrangement nouveau que les marquis de Molière trouveront délicieux.

Pour les hommes c'est le temps des canons, des rhingraves, ces bizarres hauts de chausses en forme de jupons enrubannés, des petites oies en bouquets de rubans. Pour les femmes, nulle époque ne vit ajustements plus riches. Hommes et femmes se ruinent en déploiement de faste.

Pas trop de changements dans les grandes lignes, mais d'incessantes petites modifications de détails et d'ornementation. Ce fut un défilé de modes rapides, se succédant plus somptueuses ou élégantes les unes que les autres, et l'on trouva pour les désigner une foule d'appellations pittoresques: les galants, les échelles, les fanfreluches ou menues bouffettes de soie, les transparents, les falbalas, les prétintailles, les steinquerkes et les coiffures à la Fontanges, l'hurluberlu, etc.

Voyons les portraits des belles du siècle, des belles des commencements, du temps des ruelles et des précieuses de l'hôtel de Rambouillet, et des belles des Tuileries ou de Versailles, étoiles des fêtes du roi du Soleil. C'est la coiffure en largeur qui domine d'abord, ce sont pendant longtemps les cheveux frisés sur le front et tombant en frisures, en boucles très larges sur le côté ou en cadenettes suivant la mode inventée sous Louis XIII par M. de Cadenet, frère du connétable de Luynes, longues tresses nouées par des nœuds de rubans dénommés «galants». Avec cela des robes fort décolletées, laissant largement voir les épaules, des colliers de grosses perles, les derniers rabats de dentelles qui diminuent et disparaissent complètement, des corsages en pointe à belles et fines broderies, des manches courtes ouvrant sur des flots de linon ou des manchettes de dentelles.

Commencement du grand règne.

La première jupe se relève comme des courtines de rideaux et se rattache sur le côté par des agrafes enrichies de brillants ou par des nœuds de rubans, découvrant ainsi de merveilleuses, d'étincelantes robes de dessous.

Louis XIV a mis à la mode la bride sur le cou en laissant tomber les édits somptuaires de Mazarin. Les dentelles prohibées reparaissent, les somptueuses étoffes interdites reviennent au jour. Les tissus d'or et d'argent seuls sont interdits, le roi se les a réservés pour lui et pour la cour.

Le roi fait des cadeaux de pièces de ces précieuses étoffes d'une ornementation noble et touffue aux personnages en grande faveur, comme il accorde aux courtisans favorisés des justaucorps «à brevet».

Mme de Montespan règne après La Vallière. A certaine fête de la Cour, elle étincelle dans une robe «d'or sur or, rebrodé d'or, rebordé d'or, et par-dessus un or frisé, rebroché d'un or mêlé avec un certain or qui fait la plus divine étoffe qui ait jamais été imaginée», ainsi que le dit Mme de Sévigné.

Les robes «transparentes» ont un succès fou. Ce sont des robes d'étoffe transparente, mousseline ou linon, sur lesquelles de larges bouquets de fleurs multicolores ont été peints ou imprimés, portées sur un dessous de satin moiré et brillant,—ou bien c'est tout le contraire, des robes de brocart à grands ramages courant sur fond or ou azur, par-dessus lesquelles passe une robe d'un tissu léger transparent comme de la dentelle.

Une favorite du Roi-Soleil.

La dentelle s'accommode de toutes façons, du haut en bas du costume féminin, du corsage aux souliers, et s'allie avec les floches de rubans qui nouent les cheveux, forment des échelles de grands nœuds sur les corsages, chamarrent les jupes et flottent un peu partout.

Des manufactures de dentelles ont été créées de tous côtés, inventant les «points d'Alençon, Valenciennes, le Puy, Dieppe, Sedan, etc.»; les dentellières françaises produisent pour toutes les bourses, bourses de duchesses ou de procureuses, bourses de marquise ou de simple commerçante, depuis la riche guipure coûtant des centaines de pistoles, que portera la favorite aux fêtes de la cour, jusqu'aux dentelles dites gueuses ou neigeuses, qu'arboreront la toute petite bourgeoise ou même la dame de la halle aux jours de cérémonie.

En 1680, révolution dans la coiffure. Le vent décoiffe pendant une chasse royale la duchesse de Fontanges qui a pris le cœur de Louis après la Montespan. Pour rétablir l'harmonie de sa coiffure, la belle ébouriffée prend le ruban de sa jarretière et rattache ses cheveux avec une jolie rosette par devant. Tout ce que font les favorites n'est-il pas toujours exquis et délicieux? Les nobles seigneurs se pâment devant la gracieuse inspiration, les dames s'extasient, et dès le lendemain se décoiffent à la Fontanges.

Les coiffures à la Fontanges font fureur et règnent pendant des années, revues, modifiées et considérablement augmentées. Elles deviennent un édifice de dentelles, de rubans et de cheveux, avec la haute pointe de dentelles caractéristique qui, d'après Saint-Simon, monte à deux pieds de haut, soutenue par du fil d'archal,—ensemble composé de pièces diverses qui, toutes, avaient leurs noms.

La Fontanges, d'origine folâtre, dura longtemps, plus tard elle cessa de plaire au roi, qui n'aimait sans doute plus que les coiffures austères de la veuve de Scarron.

La princesse Palatine, la princesse Charlotte de Bavière, fille de l'Électeur palatin, qui vint en France en 1671 pour épouser Monsieur, frère du roi, ayant adopté une sorte de petit mantelet court pour couvrir un peu ses épaules trop découvertes par la mode des corsages très décolletés, ces petites mantes adoptées bien vite par toutes les dames, furent appelées palatines comme la princesse.

Le roman de la mode, toujours galant et héroïque, nous fournit encore pour ce temps les Steinkerques.

Epoque de chevalerie enrubannée et de bravoure empanachée à la mousquetaire.—La position sera dure à enlever, dit un colonel à sa troupe avant de charger, tant mieux, Messieurs, nous n'en aurons que plus de plaisir à raconter l'affaire à nos maîtresses!

A la bataille de Steinkerque gagnée sur Guillaume d'Orange par le maréchal de Luxembourg, les princes, Philippe d'Orléans alors âgé de quinze ans, le prince de Conti et le duc de Vendôme, avaient chargé avec la cavalerie, avec une foule de gentilshommes, tous un peu débraillés, leurs cravates de dentelles dénouées et flottantes. Dans la joie de la victoire, la mode adopta ces cravates négligemment passées et toutes les femmes portèrent des dentelles à la Steinkerque.

Premières coiffures à la Fontanges.

La riche provinciale et la dame de petite noblesse imitent les modes et les façons de la cour, et la bourgeoise les suit également d'un peu moins près seulement. Furetière dans son roman bourgeois et Sébastien Leclère dans ses eaux-fortes nous les dessinent avec leurs allures bourgeoises, mais coquettes, dédaignant le chaperon de leurs mères, portant grands rabats et colliers de perles, corsages chamarrés et presque autant de dentelles et de rubans qu'on en porte à Versailles. L'indiscret Furetière nous les montre même empruntant des diamants pour les cérémonies et entrant à l'église avec un laquais d'emprunt pour tenir la queue de la robe.

Pour la femme du peuple, faisons passer la servante de Molière, c'est une bonne fille. Sébastien Leclère l'a dessinée aussi avec sa coiffe assez simple, sa jupe relevée et sa camisole à larges basques qui est la hongreline des officiers de Louis XIII, adoptée plus tard par les dames.

Et les marchandes et les dames de la halle, qu'il a dessinées également, portent grands rabats et dentelles avec un air de dignité et de majesté qui montre qu'elles sont, elles aussi, du grand siècle.

La période épanouie et brillante du règne du grand roi fut en réalité la plus courte, le pivot tourna vers 1680 avec le commencement de l'influence de Mme de Maintenon, que le roi épousa secrètement en 1685.

Nous n'irons plus au bois, les roses sont coupées, ainsi que presque tous les lauriers.

Le règne de Mme de Maintenon dura le laps respectable de trente-cinq ans. Ainsi, le roi-soleil qu'on voit toujours dans le cadre pompeux de sa jeunesse, auréolé de gloire et de galanterie, au milieu de ses courtisans enrubannés, planant parmi les fêtes, les bals et les carrousels, sur des constellations d'étincelantes beautés, le grand roi fut de bonne heure un vieux roi morose et ennuyé, aimant toujours la pompe, mais avec une affectation de solennité compassée, quelque chose comme une somptueuse austérité.

Le grand siècle fut aussi le siècle ennuyeux, l'ennui doré en habit d'apparat et solennelle perruque. Le roi se repentant des galantises de sa jeunesse, tourné maintenant vers la dévotion et l'austérité, entendait que tout le monde fît comme lui.

La mode immédiatement changea. Le costume des hommes et des femmes se modifia dans le sens de la sévérité; les ornements trop éclatants ou trop pimpants, les vives couleurs, les grands ramages d'or qui jadis avaient ébloui la cour et la ville disparurent pour faire place à des ajustements plus sobres et plus discrets.

Fin du grand siècle.

Cela dura jusqu'au temps où Louis XIV lui-même, ayant eu près des coiffes austères de Mme de Maintenon son compte de morosité, jugea qu'il ne serait pas mauvais de prier grands seigneurs et grandes dames de rendre à sa cour l'éclat et la splendeur des jours d'autrefois, avant que la dévotion ne fût à la mode. Il est inutile de dire si l'invitation fut entendue et si les habillements luxueux tardèrent à reparaître.

Les dames de cette dernière période du grand siècle sont vêtues d'étoffes splendides chamarrées et ramagées de la plus étincelante façon, de robes ouvertes sur des devants de corsage des plus fines dentelles, de brocart ou de damas tissé d'or, avec les jupes relevées et drapées sous un petit tablier de dentelle qui n'est pas la pièce la plus heureuse de leur ajustement et qui ne va guère avec les toilettes de sortie.

Sur la tête, ce sont toujours les hautes pointes des coiffures à la Fontanges, édifice compliqué devenu tout à fait extravagant, avec brides de dentelle voltigeant par derrière.

Pour orner les jupes, la mode a les falbalas et les prétintailles; les falbalas, ce sont les rangs de volants bouillonnés étagés sur la jupe, sur la jupe tombante et non sur la grande jupe volante à queue, relevée sur le côté; ils ont été inventés par un personnage nommé Langlée, fils d'une femme de chambre de la reine, devenu à la cour l'arbitre du goût et l'oracle de la mode.

Quant aux prétintailles, c'était le nom donné à une nouvelle façon de chamarrer les robes au moyen de grandes découpures de fleurs de toutes les tailles et de toutes les couleurs, appliquées sur l'étoffe, décoration éclatante qui faisait que les dames semblaient s'être confectionné des robes avec des tapisseries ou des étoffes à fauteuils.


VIII

XVIIIe SIÈCLE

La Régence.—Folies et frivolités.—Cythère à Paris.—Les modes Watteau.—Les robes volantes.—Naissance des paniers.—Criardes. Considérations et Maîtres des requêtes.—Mme de Pompadour.—L'éventail.—Promenade de Longchamps.—Carrosses et chaises à porteurs.—Modes d'hiver.

La France, ayant connu—après toutes les gloires et toutes les magnificences—toutes les amertumes et tous les désenchantements, contemplait tristement le long et mélancolique crépuscule du roi-soleil.

Tenue depuis des années dans une atmosphère d'ennui pesant par le vieux monarque et la vieille dame au visage pincé, elle eut comme un poids de moins sur la poitrine lorsqu'elle vit Louis dans son caveau de Saint-Denis et Mme de Maintenon réfugiée à Saint-Cyr, et du jour au lendemain, il y eut une explosion: toute la jeunesse comprimée, toute la frivolité rentrée, toutes les aspirations au plaisir sortirent et le grand coup de folie de la Régence commença.

Le fringant XVIIIe siècle, tenu sous la férule de ce vieux XVIIe grondeur et impotent qui ne voulait pas finir, allait soudain comme un jeune page émancipé s'en donner jusque-là et jeter sa perruque bien haut par-dessus tous les moulins.

La mode que les moralistes disent fille de la frivolité, inventa pour faire honneur à sa mère mille folies nouvelles et comme ce n'était pas assez, on reprit parmi les anciennes ce qu'il y avait d'assez oublié pour paraître délicieux.

La caractéristique de la mode au XVIIIe siècle, dès la Régence, c'est l'ampleur, le retour aux considérables envergures des jupes du temps de Henri III, c'est-à-dire au vertugadin, avec toutes ses conséquences, l'ampleur des manches et l'ascension des coiffures qu'on sera bientôt amené à exagérer en vertu d'une loi d'équilibre et d'harmonie!

Sous Henri III, ce sont les fraises qui montent et mettent la tête dans un grandissime cornet; sous Louis XV et Louis XVI, c'est la coiffure qui se fait monumentale.

Les vertugadins reparaissent sous le nom de paniers. Ils viennent de l'autre côté de la Manche. Ce sont deux dames anglaises qui les apportent à Paris et les exhibent au jardin des Tuileries.

L'ampleur extravagante des robes de ces dames excita une telle surprise parmi les promeneurs et promeneuses que la foule s'amassa autour d'elles et les pressa tellement qu'elles coururent grand risque d'être étouffées ou tout au moins très aplaties. Il fallut l'intervention d'un officier de mousquetaires pour tirer ces dames et leurs paniers de ce mauvais pas.

Chasseresse Régence.

Les modes alors ne faisaient pas comme aujourd'hui le tour du monde civilisé en six mois pour disparaître pas usées complètement en moins de deux saisons. Elles mettaient du temps à naître et à se développer et avec les modifications, adjonctions ou améliorations que la fantaisie pouvait chaque matin leur apporter, elles duraient dans leurs lignes principales pendant de longues années.

Le panier vivra tout le long du siècle et il ne faudra rien moins que la Révolution pour le tuer.

Il fallut quelques années au vertugadin pour reconquérir Paris; sa restauration se fit lentement, timidement, par petits essais modestes; puis un beau jour, vers 1730, il domine, il règne sans conteste. Toutes les dames, laissant les demi-mesures et les demi-paniers, adoptent le grand panier de six pieds de diamètre dont le développement exige pour le moins dix aunes d'étoffe.

Panier était le nom tout indiqué puisque les premiers bouffants de jupes furent des ouvrages de vannerie composés de cerceaux d'osier ou de jonc, de véritables cages à poules qu'on arrangea plus tard avec une armature de baleines.

Robe volante.

Un maître des requêtes du nom de Pannier ayant péri dans un naufrage en revenant des Antilles, son infortune servit de prétexte à la mode cruelle pour donner un surnom au panier alors dans le commencement de sa gloire. Il y avait eu les petits paniers jansénistes descendant seulement au genou; les criardes, tournures de toile gommée et plissée, qui criaient au moindre mouvement; les boute-en-train, les tâtez-y, les gourgandines, les culbutes, des noms bien osés, trouvés par un temps peu bégueule, et les petits paniers, plus respectables sans doute, dits «Considérations». Les grands paniers furent quelque temps des «maîtres des requêtes».

La vogue des paniers amena naturellement un changement dans la façon des robes. Alors commencent ces modes très gracieuses, mais quelque peu cythéréennes, légèrement déshabillées, que nous avons baptisées du nom de modes Watteau, en l'honneur du grand peintre des fêtes galantes qui a jeté sur la toile tant de belles dames de ce temps folâtre, en paniers plus ou moins larges, rouge et mouches au visage, l'éventail ou la grande canne à la main, toujours prêtes à s'embarquer pour Cythère avec quelque galant seigneur à talon rouge.

Allez, belles dames, marquises ou filles d'opéra, figures gracieuses et folles, la vraie Cythère est à Paris, gouvernée par Monsieur le Régent ou par le roi Louis XV le Bien-Aimé. Le siècle a cinquante années devant lui pour s'amuser et folâtrer, cinquante années pour les jeux et les ris, mais le temps viendra où les larmes enlèveront le rouge et les mouches de vos joues.

La mode invente donc les robes volantes sans corsage ni ceinture du tout, tombant tout droit des épaules sur l'ampleur du panier, ou bien ajustées seulement par devant à la taille et laissées flottantes avec de larges plis par derrière, façon originale qui donne à la démarche un air de douce nonchalance et une grâce amollie, la marque du siècle.

Pour ces robes flottantes, pour draper l'immensité des paniers, on abandonne les lourdes étoffes de l'époque précédente et l'on adopte les tissus plus légers, linon, basin, mousseline, les fines étoffes piquées de petits bouquets, semées de fleurettes ou même de petits attributs champêtres.

Sur les promenades, par les beaux jours, on dirait une foule en déshabillé du matin, ce ne sont que manteaux volants, robes flottantes qui semblent des robes de chambre; les bras sortent des flots de dentelles, les visages sont encadrés de molles collerettes; les élégantes en corsage lâche qui se promènent ainsi jouant de l'éventail et faisant claquer languissamment leurs mules à hauts talons ont toutes, suivant un contemporain, un air de bonne fortune prochaine.

C'est la régence. Que de soupers, que d'orgies galantes au Palais-Royal et ailleurs et que de folles Parabère un peu partout dans la fièvre de plaisirs qui sévit, dans Paris surexcité encore par une fièvre nouvelle, la spéculation, qui du jour au lendemain avec Law, enrichit ou ruine, fait monter les uns jusqu'aux fabuleuses fortunes permettant toutes les jouissances, ou précipite les autres dans des détresses telles qu'il faut bien s'étourdir à tout prix.

Robes flottantes, paniers, coiffures, colifichets que la mode chaque jour invente, les satiristes de la plume et du crayon ont beau jeu. Les comédies et les chansons, le théâtre italien et le théâtre de la foire, les caricatures, les pamphlets, raillent de toutes les façons les extravagants paniers et les paniers triomphants se moquent des moqueurs, s'enflent de plus en plus démesurément.

Grands paniers.

Tout le monde en rit ou s'en plaint. Comment faire tenir plusieurs dames dans un carosse qu'une seule suffit à remplir de ses jupes outrageusement ballonnées? Tout est trop petit, les maisons sont trop étroites, il faut élargir les portes des salons pour livrer passage aux belles dames trop larges, comme plus tard il faudra les agrandir par en haut pour permettre aux gigantesques coiffures de passer sans anicroche.

Les fauteuils aussi manquent de largeur, comment s'asseoir avec ces immenses cerceaux qui refusent d'entrer entre les bras des sièges ou se relèvent indiscrètement?

Il n'importe, les paniers s'élargiront toujours jusqu'aux premiers temps de Marie-Antoinette et les jupes là-dessus se compliqueront de grands et petits volants, de treillis, de plissés, de lambrequins, de rubans arrangés dans tous les styles, de cent façons des plus gracieuses et des plus compliquées et des plus baroques aussi.

Sous la robe qui reste longtemps volante dans le dos, à la Watteau, le corps ou le corset emprisonne solidement le buste, le corsage de satin est en pointe descendant très bas; comme il est décolleté, un devant de gorge de dentelles et de rubans, protège la poitrine contre le froid.

Suivant la saison ou la température, on porte des mantelets, des coqueluchons, c'est-à-dire de coquets petits mantelets recouvrant les épaules, avec capuchon léger de soie ou de satin, ornés de festons et de plissés, coiffures et mantelets tout à la fois, ou bien des manteaux recouvrant toute la personne jusqu'aux talons, espèces de dominos avec le coqueluchon arrondi par un cerceau de fil de laiton autour de la tête.

En somme, la mode pour les robes conserve longtemps les mêmes formes, modifiées seulement par les accessoires. De 1725 à 1770 ou 75, ce sont, à peu de différences près, les mêmes dispositions et les mêmes lignes, le même ballonnement des jupes, toujours les flots de dentelles tombant des manches, toujours les floches de rubans.

La belle époque pour la mode XVIIIe siècle, celle qui fournit le plus joli type de costume Louis XV, c'est l'espace compris entre 1750 et 1770, époque de juste milieu entre les ampleurs exagérées de la Régence et celles non moins exagérées du temps de Louis XVI.

C'est le règne de Sa très belle, très fine, très artiste et très envahissante Majesté madame de Pompadour.

Petite Modiste.

Pour évoquer cette époque heureuse de vivre, pour en deviner tout le charme, il suffit de citer les noms de Boucher, Baudoin, La Tour, Lancret, Pater, Eisen, Gravelot, Saint-Aubin et de toute la pléiade des petits-maîtres si légers, si musqués, mais d'une grâce si délicieuse.

Certes il y a sous le parfum des roses une odeur de corruption, et il ne faut pas trop gratter le brillant de cette société au vernis Martin. Il y a partout un tel laisser-aller, un tel laisser-faire, une si remarquable difficulté à se scandaliser de quoi que ce soit.

Louis XV, après Pompadour tombe à Dubarry et il a son sérail, comme le grand Turc, au Parc-aux-Cerfs, mesdames ses filles Loque, Chiffe et Graille, font monter du corps de garde des pipes et de l'eau-de-vie. Grands seigneurs et financiers ont leurs «folies», où défilent grandes dames ou filles d'opéra, les marquises s'attablent à côté des gardes-françaises chez Ramponneau...

Mais que ce XVIIIe siècle a soigné son décor et qu'il s'est arrangé pour se faire une vie douce et charmante, sans se soucier et sans se douter de ce qui l'attendait au cinquième acte de sa féerie! Sa personnification la plus exquise est dans le grand pastel de Latour, dans le portrait de Mme de Pompadour, en négligé d'intérieur, un petit poème de satin, de rubans et de dentelles.

Toilette de sortie.

La femme règne et domine, le sceptre de cette souveraine, c'est l'éventail. Depuis longtemps l'éventail était en usage, le moyen âge l'appelait Esmouchoir; il y avait eu l'éventail carré en drapeau ou en girouette, l'éventail de plumes qu'une chaîne de bijouterie attachait à la ceinture des dames nobles du XVIe siècle, l'éventail plissé apporté d'Italie par Catherine de Médicis et adopté par Henri III.

Dès le temps de Louis XIV, l'éventail est le complément indispensable de la toilette des dames, mais sa grande époque, celle qui créa les plus jolis modèles, c'est le XVIIIe siècle.

D'après G. de Saint-Aubin.

Montures de nacre et d'ivoire miraculeusement découpées et ciselées, peintures exquises de Watteau, Lancret et des autres, les éventails Louis XV, sceptres galants d'une société musquée, poudrée et féminisée, sont dignes de mener, par les mains des favorites, monarque, ministres et généraux, les arts, les lettres, la politique et le monde.

L'estampe de Gabriel de Saint-Aubin, intitulée le Bal Paré, nous montre les élégantes de ce temps en grandes toilettes; encore les plis Watteau, les robes volantes ouvertes sur le corsage et sur la robe de dessous, rattachées à la ceinture par des rubans et relevées bien de côté sur le ballonnement des paniers; puis des garnitures voltigeantes, bordures de fourrures ou bandes plissées, des volants de satin ou de dentelle.

Les coiffures commencent bien à monter, mais elles sont toujours élégantes et seyantes, la chevelure poudrée est relevée sur le front bien dégagé, arrangée en coques et en rouleaux, mêlée avec des touffes de rubans, des plumes et des perles.

Voyons ces mêmes dames à la promenade de Longchamps, au grand défilé traditionnel de Pâques, dans les superbes carrosses peinturlurés et dorés,—véritable carrosserie de conte de fées, auprès de laquelle les plus somptueux équipages cirés, brossés et vernis de notre prosaïque époque, sembleraient de vilaines et funèbres boîtes, étalant un luxe croque-mort.

Dans ces imposants carrosses, menés par d'imposants cochers en perruques, soutachés et galonnés, avec de grands diables de laquais aux éclatantes livrées accrochés à l'arrière-train, dans toutes ces éblouissantes voitures, quel déploiement de toilettes luxueuses, de dentelles, de plumes et de rubans, de diamants et de perles!

Des heiduques galopent aux portières, des coureurs en bizarres costumes, jouent des jambes à travers le flot des équipages, des cavaliers et des belles amazones, tandis que sur les bas côtés de la route, dans la foule accourue pour admirer les beautés à la mode et la mode elle-même, dans le brouhaha des rencontres, des conversations avec les jeunes seigneurs, les petits-maîtres et les grands roués, la marquise et la présidente, la dame de qualité et la financière coudoient la demoiselle d'opéra, la folle actrice, coqueluche des jeunes galants de la comédie, qui se la disputent, ou l'impure échappée de quelque folie de grand seigneur ou de gros traitant, la courtisane qui sera peut-être la semaine prochaine Reine de la main gauche.

D'après Moreau le Jeune.

Vienne l'hiver, et ces élégantes laisseront leurs carrosses et leurs chaises à porteurs;—encore une des plus délicieuses créations de ce siècle charmant,—elles quitteront leurs chaises, peintes au vernis Martin de sujets galants et de bergeries à la Boucher ou à la Watteau; elles quitteront dentelles et rubans, s'habilleront, s'envelopperont et se coifferont de fourrures, et s'en iront, leur joli nez rose enfoui dans la zibeline ou le renard bleu, les mains enfoncées dans l'immense manchon gros comme un tambour, courir sur la neige dans les superbes traîneaux contournés, tarabiscotés et peinturlurés, ornés de figures sculptées et dorées, de la plus étonnante fantaisie.


IX

XVIIIe SIÈCLE—LOUIS XVI

Les coiffures colossales.—Le pouf au sentiment.—Parcs, jardins potagers et paysages animés de figures sur les têtes.—La coiffure à la Belle-Poule.—Les mouches.—Modes champêtres.—Les robes négligentes.—Couleurs à la mode.—Le Monument du costume.—Les amazones.—Modes anglaises.—Les bourgeoises.

Il vieillit, le siècle des grandes élégances poudrées et musquées, le siècle aux exquises coquetteries, il prend de l'âge et s'ennuie dans son papillotant décor rocaille.

Son goût s'est un peu fatigué, il ne se renouvelle plus que difficilement, depuis longtemps la mode est stationnaire et tourne toujours dans le même cercle.

Le style Louis XV est devenu aussi ennuyeux que jadis le style Louis XIV, le rococo paraît à son tour perruque et vieux jeu; mais attendez, la mode va essayer de donner un brusque coup d'aile et tout risquer, même de tomber dans le baroque,—ce qu'elle peut bien se permettre trois ou quatre fois par siècle, après tout.

Le grain de folie qui couve toujours au fond de la petite cervelle frivole et hurluberlue de la déesse de la mode, va donc faire des siennes. Conservant encore pour un temps les gracieuses façons Pompadour et Watteau, la mode va se rattraper sur les coiffures et prendre pour champ d'exercice de ses caprices les plus fous, pour théâtre de ses plus incroyables fantaisies la tête de la femme, qu'elle va charger, arranger, surcharger des plus folles inventions, sous prétexte de l'embellir, qu'elle—transformera en paysage champêtre ou même maritime, qu'elle empanachera et rehaussera fabuleusement, sur laquelle elle bâtira des édifices et ira même jusqu'à faire promener de petits bonshommes ou de petites bonnes femmes, des poupées de carton.

Paris alors pullulera de coiffeurs de génie, les Legros et les Léonard, Raphaëls et Rubens, ou plutôt Soufflots de la coiffure, qui tiendront des académies pour enseigner les principes de leur architecture capillaire; qui lutteront à qui trouvera, pour orner les têtes aristocratiques, le comble du ridicule et qui le trouveront plusieurs fois.

Les perruquiers avaient eu déjà leurs jours de gloire au grand siècle, avec les majestueuses perruques des hommes; devenus maintenant les Académiciens de la coiffure, ils vont triompher de nouveau, mais aux dépens de la grâce féminine.

Voyons la femme à sa toilette, se préparant pour les visites ou pour la sortie aux Tuileries, à l'heure du beau monde. C'est l'affaire importante de la journée, ce petit travail de laboratoire où l'art et la fantaisie accommodent la beauté toute simple au goût du jour. Cette heure de la toilette après le petit lever, Lancret, Baudoin et tous les peintres galants ou élégants du siècle, l'ont célébrée avec toutes les coquetteries de leur pinceau charmeur, et les caricaturistes ne se sont pas privés d'en sourire.

Dans le cabinet de toilette aux boiseries blanches, moulurées et sculptées dans le style rocaille, devant son miroir au cadre contourné, Madame a été habillée par ses suivantes, femmes de chambre ou soubrettes; elle a pu à son petit lever donner audience à ses galants et à ses modistes, au marquis et au financier, au poète qui célèbre ses charmes dans l'Almanach des Muses, au déluré chevalier et au galant abbé de Cour à petit collet.

—«Qu'en dit l'abbé?» L'abbé a du goût et ses avis sur tout ce qui touche aux fantaisies de la mode sont précieux.

Mais tout ce monde frivole a été renvoyé, c'est maintenant l'heure du coiffeur, le moment sérieux de la journée, le seul moment vraiment important.

L'artiste a besoin d'être seul pour ne pas effaroucher l'inspiration, et d'ailleurs l'œuvre est longue, difficile et demande tant de préparatifs et de soins pour être menée à bien! Une ou deux femmes de chambre qui le comprennent à demi-mot et lui passent tout ce qui lui est nécessaire lorsqu'il est dans le feu de la composition, c'est tout ce qu'il peut tolérer autour de lui.

Suivant le rang de la dame, c'est le grand artiste à la mode, venu en carrosse, courant d'hôtel en hôtel dans le noble faubourg, attendu aux Tuileries ou chez quelque princesse, ou bien c'est l'un de ses élèves qui opère, en frac et manchettes de dentelles et l'épée au côté.

L'inspiration vient, et sous les doigts, sous le peigne, sous le fer à friser de l'artiste, les plus étranges monuments de boucles naturelles, adroitement mélangées à d'énormes quantités de tresses rapportées, s'élèvent, se roulent en volutes, s'étagent, se superposent en coques, tapés, marrons, frisures, barrières, dragonnes, béquilles, etc.

Pendant vingt ans, c'est un défilé d'architectures étranges sous prétexte de coiffures. La folie a élu domicile sur la tête des dames. On peut citer, parmi les plus extravagantes inventions, les coiffures à la Quesaco, les coiffures à la Monte-au-ciel dont le nom indique assez les proportions, la coiffure à la Comète, le hérisson à quatre boucles inventé par Marie-Antoinette qui porta jusqu'à l'exagération de l'exagération l'empanachement des coiffures, le parterre galant, le chapeau en berceau d'amour, à la novice de Cythère...

Il y avait aussi les poufs, coiffures abracadabrantes, le pouf au sentiment, assemblage absurde de fleurs et de verdures poussées sur une haute colline chevelue, avec des oiseaux sur les branches, des papillons et des amours de carton voltigeant dans ce bocage ridicule; le pouf à la chancelière, le pouf à droite, le pouf à gauche.

Une impure, d'après Wille.

Le pouf au sentiment donne toute latitude possible aux combinaisons et à l'étalage des affections et des goûts, ne voit-on pas la duchesse de Chartres, mère du roi Louis-Philippe, porter sur son pouf un petit musée de figurines: son fils aîné dans les bras de sa nourrice, un petit nègre, un perroquet becquetant une cerise et des dessins exécutés avec les cheveux de ses parents les plus chers.

Toilette de Cour.

Après la coiffure jardin, on trouve la coiffure dite cascade de Saint-Cloud, avec une cascade de boucles poudrées tombant du sommet de la tête, la coiffure potager montrant quelques bottes de légumes accrochées aux frisons, la coiffure agreste, les paysages montrant une colline avec des moulins qui tournent, une prairie traversée par un ruisseau argenté avec une bergère gardant ses moutons, des montagnes, une forêt avec un chasseur et un chien faisant lever du gibier.

Puis viennent la coiffure au Colysée, à la candeur, aux clochettes, au mirliton,—la laitière, la baigneuse, la marmotte, la paysanne, le fichu, l'orientale, la circassienne,—le casque à la Minerve, le croissant, le bandeau d'amour,—le chapeau à l'énigme, au désir de plaire, la calèche retroussée, l'économe du siècle, la Vénus pèlerine, la baigneuse à la frivolité, etc., les frisures en sentiments soutenus et en sentiments repliés...

Les grandes coiffures d'apparat, fleuries, enguirlandées, empanachées, immenses et très lourds échafaudages, tenaient une telle place que les dames étaient forcées, dans les carosses où déjà elles avaient tant de peine à caser leurs paniers, de tenir la tête penchée de côté ou même de rester agenouillées.

Des caricatures représentent les dames ainsi coiffées, dans des chaises à porteurs dont le couvercle a été enlevé pour laisser passer le sommet, blanc comme une Alpe, de la gigantesque coiffure.

La plus étonnante de toutes ces grandes coiffures fut celle dite à la Belle-Poule, en l'honneur de la victoire remportée en 1778, par la frégate la Belle-Poule sur le navire anglais l'Aréthuse. Sous la masse des cheveux arrangés en grandes vagues, une frégate de belle taille, avec tous ses mâts, ses vergues, ses canons et ses petits matelots, naviguait toutes voiles dehors. Après avoir composé ce chef-d'œuvre, Léonard ou Dagé pouvaient se pendre, ils ne trouveraient jamais mieux.

Coiffure à la Belle-Poule.

Ce fut donc vraiment jusqu'en 89, un défilé d'inventions ridicules sur les têtes féminines. La plus haute donnait l'exemple. Hélas! elles devaient expier! La tête avait péché, la tête paya. Et si la plus haute tomba, ce fut justement par la faute de celui qui pendant les heureuses années avait prodigué pour elle les inventions excentriques.

Léonard, l'illustrissime coiffeur de la reine, était du voyage de Varennes. En ces jours terribles, dans le grand naufrage de la monarchie, que songe-t-on à sauver? L'indispensable Léonard! Et cette faiblesse dernière tourna mal pour la pauvre reine, car ce serait, dit-on, sur un renseignement erroné donné très innocemment par Léonard parti en avant, à un détachement des troupes du marquis de Bouillé, que le secours manqua à la famille royale arrêtée à Varennes.

Grand Pouf.

... Quand l'élégante était coiffée, quand elle avait, en s'abritant la figure dans un grand cornet de papier, été convenablement saupoudrée d'une couche épaisse de poudre—mode étrange qui depuis le commencement du siècle mettait la neige des ans sur tous les fronts, qui recouvrait des mêmes frimas toutes les têtes masculines et féminines—quand elle avait sur les joues une forte teinte de rouge, contrastant durement avec le blanc de la chevelure,—le rouge c'est la loi et les prophètes, avait dit Mme de Sévigné,—il n'y avait plus, pour que l'élégante fût irrésistible, qu'à placer les mouches destinées à relever certains détails de physionomie, à donner du piquant à l'expression.

Ces mouches que les femmes s'étudiaient à placer de la façon la plus avantageuse pour leur genre de beauté particulier, portaient suivant leur place les noms amusants que voici:

La majestueuse se pose sur le front et l'enjouée dans le coin de la bouche; sur les lèvres des brunes, c'est la friponne; sur le nez l'effrontée, légèrement comique; au milieu de la joue la galante, près de l'œil cette mouche qui fait le regard à volonté languissant ou passionné, c'est l'assassine, sans compter les fantaisies, les mouches en croissant, en étoile, en comète, en cœur...

Mais voici les derniers jours d'un monde qui va s'effondrer, d'une société qui va disparaître dans une soudaine catastrophe.

Dès 1785, l'ancien régime est atteint, la révolution est faite... dans les toilettes!

C'est une révolution complète, venue presque sans transition, le galant costume XVIIIe siècle est abandonné pour une série d'inventions nouvelles donnant des lignes tout à fait différentes.

Adieu paniers, vendanges sont faites. Les immenses paniers sont décédés, on a commencé par les remplacer par les paniers dits à coude, consistant en un simple renflement sur lequel on pouvait appuyer les coudes et par deux petits jupons rembourrés appelés bêtises portés sur les côtés et par un troisième placé tout à fait derrière et très crûment dénommé. Puis on les a rejetés complètement, et les femmes en jupes presque plates se sont acheminées peu à peu vers la robe fourreau et le trop simple appareil de la Révolution.

Coiffure d'intérieur.

Marie-Antoinette fermière de Trianon, amène un peu de paysannerie dans les modes, de la paysannerie d'opéra-comique, de la bergerie à la Florian ou au Devin du Village. On voit apparaître les chapeaux de paille, les tabliers, les caracos, les casaquins.

Léonard régnant sur les têtes et les gouvernant à sa fantaisie, pour le reste, l'arbitre du goût à la cour de Marie-Antoinette, c'est Mlle Rose Bertin, la grande marchande de modes de la reine, celle qu'on appelle son ministre des modes.

Grand Chapeau.

Rose Bertin ordonne et décrète, elle invente et elle compose, les femmes crient merveille à tout ce qui sort de ses mains, et les maris se plaignent de l'immensité de ses mémoires... comme toujours.

Vers 1780, la mode tourne et cherche des façons de robes nouvelles. On invente les robes polonaises et les robes circassiennes qui n'ont rien de polonais ni de circassien, des robes courtes d'abord, avec des relevés sur des paniers, puis de longues robes de dessus flottantes.

La tendance aux modes négligées va bientôt s'accentuant, on voit paraître les robes lévites qui sont l'occasion d'un scandale au jardin du Luxembourg; une comtesse se promène avec une lévite à queue de singe, c'est-à-dire à queue bizarrement coupée et tortillée, elle est suivie par une foule moqueuse, et il faut pour la dégager faire avancer la garde.

Après les lévites viennent les robes négligentes et demi-négligentes, les robes en chemise, les baigneuses et les déshabillés.

Pour ces toilettes déjà si singulièrement baptisées, les couleurs à la mode sont:

Couleurs queue de serin, cuisse de nymphe émue, carmélite.

Couleurs au Dauphin.

Couleurs de gens nouvellement arrivés.

Couleurs vive Bergère et Vert pomme.

Couleur soupir étouffé.

Robe lévite.

Une puce s'étant égarée à la cour,—la garde qui veille à la porte du Louvre n'en préserve pas l'épiderme des reines,—on a la série des couleurs puce: Ventre de puce, dos de puce, cuisse de puce, vieille puce, jeune puce, etc.

Ces couleurs puce font soudainement place à une autre couleur également née à la cour et plus gracieusement dénommée; c'est la couleur cheveu de la Reine, appellation trouvée par le comte d'Artois. Immédiatement toutes les étoffes doivent être couleur cheveu de la Reine.

L'amazone, le costume féminin pour la promenade à cheval n'était pas au XVIIIe siècle l'uniforme noir et lugubre infligé par le goût moderne avec l'affreux chapeau de haute forme pour complément et aggravation, aux élégantes de nos jours.

Moreau le jeune qui, dans la suite d'estampes du Monument du costume, a fait passer toute la belle société de son temps, vue au milieu de ses fêtes, de ses cérémonies et de ses plaisirs, au salon et au boudoir, au château, à la Cour, à l'Opéra et au bois de Boulogne, a dessiné les élégantes de 1780, en tenue de cheval, avec les longues jupes et les ceintures, les redingotes anglaises ou les petites vestes, les grands chapeaux à plumes ombrageant les catogans poudrés.

Elles étaient charmantes, et multicolores et variées, ces amazones XVIIIe siècle, et certes, la foule dans l'avenue des Champs-Elysées ne présentait pas alors le sombre aspect qu'elle garde aujourd'hui, même aux plus beaux jours de printemps.

Amazone d'après Moreau le Jeune.

Les dernières années de la monarchie voient, comme une revanche de la guerre d'Amérique, l'invasion des modes britanniques. Les formes sont bien nouvelles et tranchent complètement dans l'ensemble comme dans tous les détails des modes précédentes.

La toilette a des airs sans façon ou un cachet anglais tout à fait nouveau régime. On porte des vestes, des corsages à basques ouvrant sur des gilets, des fracs à gros boutons ou à lacets, et des redingotes à grands revers et triples collets, serrées à la taille et tombant très bas par derrière. Les boutons énormes et voyants de ces vestes et de ces redingotes sont en métal de toutes les formes possibles et quelquefois illustrés de peintures; il en existe de curieux échantillons dans les collections.

Les élégantes, comme les hommes à la mode, portent deux montres avec deux longues breloques tombant du gilet, elles ont des gilets, des cravates, des catogans et des cadenettes comme les hommes, elles portent de grandes cannes comme les hommes. Il est vrai que les hommes prennent bien le gros manchon à l'occasion.

Modes anglaises.

Et des fichus!... Toutes les femmes en portent avec toutes les toilettes, d'immenses fichus faisant au-dessus de la taille très longue et horriblement serrée, un gonflement de poitrine invraisemblable.

Ces toilettes arborent toutes les couleurs de l'arc-en-ciel les plus fraîches et les plus vives ou les plus bizarres; ce sont des satins, des taffetas, des draps citron, rose, vert pomme, jaune serin, des gourgourans changeants, des mousselines de tous les tons, unies ou rayées. Les rayures ont un immense succès en 1787 sur le dos des élégantes et sur celui des élégants. Pendant l'été de cette année-là, hommes, femmes et enfants, tout le monde est en toilettes rayées.

La coiffure aussi est révolutionnée, c'est déjà la coiffure comme le XIXe siècle va la comprendre, c'est la naissance du chapeau moderne.

Les femmes sont toujours poudrées, elles ont toujours sur la tête une immense quantité de cheveux arrangés en énormes perruques floconnantes autour de la figure, dans le genre de la perruque masculine, avec de grandes boucles tombant de chaque côté du corsage et dans le dos, ou, comme les hommes, un gros catogan par derrière.

Chapeau bonnette.

Les chapeaux sont de formes et de dimensions extraordinaires; bords immenses, fonds énormes avec d'extravagantes accumulations de garnitures. On ne se met plus une frégate, toutes voiles dehors, sur la tête, mais on se coiffe d'une espèce de galiote renversée, mise de travers et assez large pour servir de parapluie à l'occasion. On porte le chapeau bonnette et le demi-bonnette, un peu moins large mais aussi haut, garni de nœuds de rubans, de ruchés et de bouquets de plumes de coq, le chapeau turban, haut bonnet de janissaire rayé, avec écharpe de gaze et panache de plumes, le chapeau à la Caisse d'escompte, c'est-à-dire sans fonds, en panier percé comme cette caisse, le chapeau Cardinal sur la paille après l'affaire du Collier, chapeau en paille bordé d'un ruban rouge cardinal, le grandissime chapeau à la Tarare, le chapeau à la Basile inventé après le grand succès de Beaumarchais avec bien d'autres modes à la Figaro, le chapeau à la veuve du Malabar, les bonnets à la Montgolfier, au Globe fixé, au ballon, au moment des premières expériences aérostatiques, puis le bonnet aux trois ordres qui commence à la réunion des États généraux le grand défilé des modes révolutionnaires...

Le chapeau turban.

Mais dans ce dix-huitième siècle qui va finir si lugubrement, à côté des belles de la cour et de la ville, des dames plus ou moins grandes, car il y a déjà le demi-monde, les danseuses illustres et les courtisanes célèbres, à côté des reines de la mode qui vont à Longchamps accompagnées d'un heiduque à turban pour porter leur parasol, précédées d'un coureur en maillot et bonnet à plume, la grande canne à la main, à côté des élégantes empanachées qui suivent toutes les fantaisies de la capricieuse fée aux chiffons, il y a les adorables petites bourgeoises que l'on retrouve dans les vieux portraits et dans les petits mémoires, charmantes et tendres figures qui ne s'entourent pas, comme les autres, du même nuage de plumes et de dentelles, qui restent dans une note plus discrète, suivant la mode un peu de côté et conservant mieux les vieilles traditions et les vieux atours.

A elles les jolies petites coiffes si différentes des pyramides de cheveux et de colifichets à la Léonard, ces coiffes bien plus seyantes que l'on recouvre, pour sortir, d'un capuchon retenu par un fil de laiton, à elles les robes de coupe plus modeste et les petits paniers moins surchargés que les paniers à falbalas de vingt pieds de circonférence.

Jolies petites bourgeoises qui ont conservé dans un siècle licencieux l'honnêteté des bonnes vieilles mœurs, existences plus calmes se déroulant dans un cercle étroit d'occupations familiales et de plaisirs simples, allant tout doucement du sermon du dimanche à la paroisse,—aux réunions sans façon et aux bonnes parties champêtres.

C'est un monde qui s'en va finir aussi, dans la grande fusion et confusion des classes, au fond de la chaudière révolutionnaire, dans la révolution politique et ensuite dans la révolution industrielle et scientifique, bouleversement énorme qui aboutira pour tous à la vie fiévreuse et haletante de notre siècle.

En attendant, sans se douter des temps difficiles qu'il va falloir passer, sans voir l'effrayant nuage de sang qui monte à l'horizon, la petite bourgeoise gaie et insouciante dans son petit salon blanc, fredonne à son clavecin quelque joli petit air bien tendre, et bien différent de nos compliqués logarithmes musicaux.

Plaisir d'amour ne dure qu'un moment,
Chagrin d'amour dure toute la vie.

1789.


X

LA RÉVOLUTION ET L'EMPIRE

Modes dites à la Bastille.—Modes révolutionnaires.—Notre-Dame de Thermidor.—Incroyables et merveilleuses.—L'antiquité à Paris.—Athéniennes et Romaines.—Une livre de vêtements.—Tuniques diaphanes.—Maillots, bracelets et cothurnes.—Le réticule ou ridicule.—Le bal des Victimes.—Perruques blondes et oreilles de chien.—A la Titus.—Les robes-fourreau.—Petits bonnets et Chapeaux-Shakos.—Les turbans.

L'ouragan qui devait pendant vingt-cinq ans rouler comme un cyclone sur notre vieille Europe, souffle déjà sur Paris où il s'est formé. Il bouscule, il abat, il broie. Comme un château de cartes ou une Bastille, la monarchie séculaire va s'écrouler sur les décombres de la vieille société.

Et pendant ce temps, pendant que l'émeute ensanglante la rue fiévreuse, que les tueurs promènent de pâles têtes coupées fichées au bout des piques, pendant qu'à l'Assemblée ou à la Commune, les nouveaux maîtres de la France décident tumultueusement du sort des millions d'hommes que la guerre va jeter les uns sur les autres, pendant que déjà, dans l'aube sinistre, se dresse sur son peuple, toute rouge, ses deux bras levés tenant le glaive, la nouvelle reine, la Guillotine,—la mode imperturbable songe à des combinaisons nouvelles, elle modifie des jupes, elle arrange des corsages, elle chiffonne des rubans d'une façon inédite, elle a les inventions les plus fraîches et les plus charmantes, elle lance des toilettes idylliques d'une exquise nouveauté; à une nation nouvelle ne faut-il pas des costumes nouveaux?

Le mouvement commencé dès les dernières années tranquilles de Louis XVI, s'accélère et s'accentue. La mode est sur une voie nouvelle, et peu à peu disparaissent tous les caractères du costume d'antan, de l'ancien régime, comme on dit.

Dans la fameuse estampe de Debucourt, la Promenade publique, donnant la vision multicolore d'une foule élégante des premières années de la Révolution, dans cette charmante réunion de petites maîtresses et de muscadins qui ne semblent guère songer au grand drame, que reste-t-il des costumes et des modes du siècle? De la poudre, quelques tricornes sur des têtes de vieux bourgeois retardataires et c'est tout.

Les femmes ont un aspect tout à fait nouveau. Les modes anglaises ont prédominé d'abord, c'est-à-dire les vestes et les redingotes d'amazones, puis les robes se sont simplifiées comme façon et comme étoffes.

Oreilles de chien.

Les temps deviennent durs, adieu les riches tissus, les soies et les satins, adieu les falbalas coûteux de jadis! La toile de Jouy, l'indienne et le linon remplacent la soie et les couturières s'en tiennent aux formes droites avec très peu d'ornements et d'accessoires. On voit des corsages de linon forme chemise laissant les bras nus à partir du coude, des jupes toutes simples, presque plates, qui se portent avec des ceintures à longs rubans flottants. Pour relever cette extrême simplicité on a les rubans aux couleurs nationales, les trophées et les attributs révolutionnaires imprimés sur l'étoffe ou quelque maigre ruché ajouté au bas des jupes.

On continue à porter beaucoup de fichus de mousseline, et, pour les grandes occasions, la toilette se complète avec des bouquets de fleurs tricolores portés à gauche sur le cœur, des bijoux patriotiques, médaillons de cou, boucles de ceintures, d'acier ou de cuivre, cocardes, boucles d'oreilles, boutons à la Bastille, au Tiers-Etat, à la constitution, etc. Pendant un temps tout est à la Bastille, jusqu'aux chapeaux.

Les grands chapeaux, en cône démesuré, à très larges bords et surchargés de rubans, après avoir essayé de tenir quelque temps, ont disparu; il n'y a bientôt plus que des bonnets, des bonnets à grande coiffe bouillonnée enrubannés aussi, des bonnets ressemblant quelque peu à des coiffures du pays de Caux, et surtout des bonnets dits à la paysanne ou à la laitière, la jolie coiffe à grandes barbes de dentelle que nous appelons aujourd'hui bonnet Charlotte Corday, piquée d'une large cocarde tricolore.

Presque plus de poudre blanche,—on va en consommer tant de noire—on porte tous ses cheveux au naturel, avec un peu de supplément aussi car la vogue des perruques blondes commence.

Le chapeau Hussard.

Mais bientôt la tempête se déchaîne tout à fait, c'est la Terreur. Peut-il être encore question de frivolités luxueuses et de modes? Les rangs des élégantes s'éclaircissent, elles sont à l'Abbaye, à la Force, dans cent prisons, ou à Coblentz,—elles se cachent ou elles sont mortes.

L'extrême simplicité que chacun affecte dans sa mise par prudence ou garde par découragement, ne suffit pas toujours à préserver de ce titre de suspect ou de suspecte qui donne des droits immédiats à l'échafaud.

Talleyrand a dit qu'ils ne connaissaient pas la douceur de vivre, ceux-là qui n'avaient pas vécu dans la vieille société d'autrefois. En 93, le problème est de vivre, n'importe comment, caché dans un trou de souris, s'il le faut. La Loi sous ce doux règne de Liberté, ordonne que dans chaque maison une pancarte placardée porte les noms et prénoms de tous les habitants et même l'âge, dure contrainte. Que de braves gens qui ont connu des jours heureux et brillants essayent dans quelque rue tranquille, au fond d'un appartement silencieux, d'oublier l'orage qui gronde et le tumulte des rues et les horribles clameurs des clubs et des journaux.

Cependant un petit groupe s'obstine à tenir haut et ferme devant les sans-culottes le drapeau de l'élégance; des vaillants et des vaillantes montrent encore au Palais-Royal, sur les boulevards, aux promenades, dans les théâtres qui persistent à jouer, des toilettes élégantes et bravent les citoyens en carmagnole et bonnet rouge, et les mégères tricoteuses de la guillotine, mais à quels risques!

La mode n'ose plus lutter, la pauvrette a caché sa tête sous son aile et regarde éperdument le ciel, espérant toujours quelque éclaircie.

La guillotine fonctionne toujours, s'interrompant seulement de temps à autre pour quelque fête idyllique, fête de l'Être suprême, fête de l'agriculture ou de la vieillesse, avec théories de jeunes filles en blanc, déesses de la Liberté, chœur d'adolescents et de vieillards; pastorales charmantes, spectacles qui émeuvent doucement le cœur du bon Marat et du sensible Robespierre. On a jeté du sable sur le sang, le lendemain le ruisseau rouge recommence à couler. 9 thermidor! Pour les beaux yeux de la citoyenne Thérèse Cabarrus, astre qui va se lever, Tallien a bravé la mort suspendue sur toutes les têtes. Il a jeté bas Robespierre et l'a poussé à son tour dans les bras impassibles de la déesse Guillotine!

Mme Tallien devient Notre-Dame de Thermidor, celle qui sauve par la souveraine puissance de la beauté!

Un immense soupir de soulagement passa sur la France et immédiatement les élégances comprimées et terrorisées sortirent de terre, avec le luxe, avec la frivolité, la folie même, avec la joie, le rire, dont on semblait avoir un besoin furieux après tant de sang et tant de larmes.

Les incroyables et les merveilleuses qui s'étaient déjà montrés avant la Terreur remplissent soudain les promenades et les boulevards, et la mode, à qui le régime de Robespierre a sans doute tourné la tête, toute pâle encore de son émotion, se livre tout de suite à mille extravagances.

Tandis que les incroyables si bien nommés, les muscadins de la jeunesse dorée, avec leurs habits à grands collets, leurs immenses cravates et leurs gourdins si nécessaires contre les Jacobins et les sectionnaires terroristes, cherchaient leurs inspirations dans l'imitation des modes anglaises, les merveilleuses se vouaient toutes à l'antiquité. Pendant quelques années, plus de Parisiennes, rien que des Grecques et des Romaines.

Robes étroites sans taille, simples fourreaux serrés sur le sein même par une ceinture, courts par devant pour laisser voir le pied, un peu traînants par derrière, tel est le vêtement des merveilleuses. On ne connaît plus que l'antiquité. C'est un recommencement.

Dans ce passage sombre de la Terreur on a oublié la pudeur. Ces robes à l'athénienne ne sont que de simples deuxièmes chemises,—ce qui pourrait passer, n'étaient les bijoux, pour un symbole de la pauvreté de ces temps de ruine où le louis d'or valait huit cents livres en assignats,—ce sont des tuniques d'un linon transparent, qui plaquent sur le corps de la femme au moindre mouvement.

De plus les tuniques diaphanes des grandes élégantes ne sont-elles pas fendues sur les côtés à partir des hanches.

Notre Dame de Thermidor, Thérèse Cabarrus devenue la citoyenne Tallien, est la Reine de la Mode, elle se montre à Frascati, ainsi vêtue ou plutôt dévêtue, sa robe à l'athénienne fendue latéralement laissant voir ses jambes dans un maillot couleur chair, avec des cercles d'or à la place des jarretières et des cothurnes à l'antique et des bagues à chaque doigt de ses pieds de statue.

Dans les salons, dans les jardins d'été, aux promenades, ce ne sont plus que robes à l'antique ouvertes en haut comme en bas, portées avec chemises à la carthaginoise ou même sans chemise du tout, sandales et cothurnes attachés par des bandelettes rouges, cercles d'or enrichis de pierres précieuses, arrangements de tuniques et peplums, corsets-ceintures hauts de deux doigts seulement sous le sein et ornés de brillants.

Les robes en voltigeant laissent voir les jambes ou même, quand elles ne sont pas ouvertes sur le côté, se relèvent au-dessus du genou au moyen d'un camée en agrafe et montrent franchement la jambe gauche.

Très peu de manches, un simple bourrelet à l'épaule, ou même pas de manches du tout; des camées rattachent les épaulettes de la robe, des bracelets nombreux habillent le bras.

Merveilleuse.

Comme il était impossible d'adapter des poches à ces tuniques si légères, à ces voiles si minces, les dames avaient adopté l'usage de la balantine ou du réticule, nom ancien que l'on prononça tout de suite ridicule—d'un petit sac orné de paillettes ou de broderie, ayant surtout la forme d'une petite sabretache de hussard, qu'elles portaient à la main pour mettre leur bourse ou leur mouchoir.

Le bibliophile Jacob raconte que dans un salon de la Mode sous le Directoire, comme on se pâmait d'admiration devant un de ces costumes d'un goût si réellement antique qu'il n'y avait plus rien au delà, sinon les modes du Paradis terrestre, la merveilleuse qui le portait paria qu'il ne pesait pas deux livres. La preuve fut faite, la dame passa dans un petit boudoir et son costume tout entier, pesé avec les bijoux, ne dépassa pas de beaucoup le poids d'une livre.

Cette dame vêtue à l'athénienne pouvait se croire même très habillée, car d'autres trouvèrent le moyen de l'être encore moins et poussèrent l'audace jusqu'à oser s'exhiber, ce qui est le mot, dans le costume dit à la Sauvagesse. Ce costume à la sauvagesse était encore plus simple puisqu'il ne se composait que d'une chemise de gaze et d'un pantalon-maillot rose orné de cerclés d'or.

Des femmes se promenèrent aux Champs-Elysées dans des fourreaux d'une transparence presque absolue, ou même avec les seins complètement nus, et ces femmes n'étaient nullement des hétaïres quelconques, mais des femmes du monde officiel d'alors, des amies de Joséphine de Beauharnais!

Inconscience plutôt qu'impudeur, accès de folie, le délire des plaisirs après la folie furieuse et le délire du sang!

Ces merveilleuses qui avaient bravé la guillotine bravaient la maladie. Pleurésies et fluxions de poitrine frappaient pourtant ces folles élégantes au sortir des bals et des salons, quand après la danse elles partaient à peine couvertes dans le froid de la nuit, par-dessus leur quasi-nudité, d'un mince fichu ou d'un schall large comme une écharpe.

Ces merveilleuses demi-nues qui prenaient leurs modes à Athènes copiaient aussi leurs coiffures sur celles des statues grecques et portaient les cheveux frisottés dans un réseau, les tresses et les nattes piquées de bijoux. Mais la vogue fut surtout pour les perruques blondes. Mme Tallien en avait jusqu'à trente, de toutes les nuances du blond. Ces perruques blondes, légèrement poudrées, les Jacobins les avaient abhorrées et proscrites; après thermidor elles triomphaient et devenaient le symbole de sentiments contre-révolutionnaires.

Les coiffures à la victime ou à la sacrifiée eurent aussi leur temps de succès, on relevait les cheveux par derrière et on les ramenait en mèches folles sur le front; cette coiffure de guillotine, complétée par un terrifiant ruban rouge autour du cou, par un châle également rouge jeté sur les épaules, était indispensable pour se rendre au fameux et macabre Bal des Victimes, dont l'entrée n'était permise qu'aux danseurs ou aux danseuses pouvant justifier d'un ascendant ou de quelques proches parents morts sur les échafauds de la Terreur.

Paole d'honneu victimée, ces dames sont déliantes! disent les incroyables à chaque nouvelle invention plus délicieuse et plus antique des couturières à la mode, Mme Nancy et Mme Raimbaut, qui sont des modistes très érudites et très artistes, qui se font aider par les sculpteurs pour trouver des manières de se draper toujours plus grecques et des plis encore plus romains.

Coiffure à la Titus.

Les modes romaines un peu moins légères ont été adoptées par les dames que la trop grande transparence des tuniques à la Flore ou à la Diane effraie un peu.

Les robes à la romaine sont portées par les dames du monde officiel qui se croient tenues à un peu de réserve, mais les deux mondes fusionnent. Athéniennes légères et frivoles, débris de l'ancienne société et parvenus de la nouvelle, fournisseurs des armées ou spéculateurs subitement enrichis, muscadins et muscadines, victimes et bourreaux, jeunesse dorée, armée, politique, finances, tout cela forme, après la grande secousse, le plus incroyable des mélanges, et tout cela, malgré les misères présentes, l'avenir incertain, s'agite dans l'épanouissement du bonheur de vivre après la grande tuerie.

Soudain la mode a décrété la fin des perruques blondes et la coiffure à la Titus obligatoire pour toutes les élégantes; les belles du Directoire rejettent ces épaisses perruques et sacrifient aussi leur chevelure personnelle. Presque plus de cheveux ou le moins possible!

«La coiffure à la Titus, dit la Mésangère dans le Bon Genre, moniteur officiel de la mode, consiste à se faire couper les cheveux près de la racine pour rendre à la tige sa raideur naturelle qui la fait croître dans une direction perpendiculaire.» Merveilleuses et muscadins sont tous coiffés à la Titus, tous tondus avec quelques mèches très longues en désordre sur le front.

Il y a encore un autre type de Merveilleuse du Directoire, c'est la Merveilleuse à la Carle Vernet, légèrement vêtue encore, se serrant dans un mince jupon plaquant de couleur fifi pâle effarouché, mais portant au-dessus d'un corsage si petit qu'il est invisible, au-dessus des seins nus, le cou engoncé dans les plis et replis d'une formidable cravate, tout comme son pendant l'élégant Muscadin, et sous son grand chapeau à plumes, la figure encadrée comme la sienne de longues mèches pendantes en oreilles de chien.

C'est ainsi qu'à l'aurore de notre siècle sont habillées et coiffées les élégantes. Pendant le Consulat et les premières années de l'Empire, elles vont rester les Merveilleuses, un peu,—oh, pas beaucoup,—plus vêtues que sous le Directoire.

Sous le Consulat.

Ce sont toujours les mêmes robes, souvent transparentes, le décolletage règne souverainement malgré les saisons. Les femmes d'alors vont poitrine décolletée et bras nus dans la rue comme celles d'aujourd'hui au bal. C'est leur champ de bataille. Pour lutter contre le froid elles ont les écharpes, les châles,—le commencement des fameux cachemires qui jouent un si grand rôle dans la première moitié de notre siècle. On a inventé des vêtements particuliers, comme la petite veste de hussard qui vers l'an VIII se passe par-dessus le corsage décolleté et encadre les épaules de sa fourrure, ou le spencer, autre veste bien moins gracieuse.

Les célèbres portraits de Joséphine de Beauharnais par David, et de Mme Récamier par Gérard, allongées sur des lits de repos à l'antique, nous montrent deux belles Romaines du temps des empereurs, plutôt que des Françaises d'il n'y a pas cent ans. Elles étaient pourtant habillées ainsi, les élégantes des salons du Directoire, les belles Parisiennes qui faisaient cercle autour de Garat chantant ses romances, ou qui dansaient avec le beau Trénitz la gavotte ou la «walse» alors dans toute sa nouveauté.

Voilà que les coiffures à la Titus ne sont plus de mode en 1803 ou 1804, c'est vieux, c'est province. Et les cheveux qui ne se sont pas empressés de repousser immédiatement après le changement de goût! Les dames regrettent leurs belles tresses blondes, brunes ou rousses et sont bien forcées de recourir aux tours de tête et aux postiches pour montrer de nouveau de grandes boucles ou pour s'arranger des grands chignons étrusques avec nattes enroulées.

C'est un vilain moment qui commence pour le costume féminin, il semble que la mode, conquise elle aussi, ait gardé toute son imagination gracieuse pour habiller magnifiquement, arranger, soutacher, broder, passementer, empanacher, dorer les innombrables escadrons que S. M. l'Empereur et Roi allait faire galoper et tournoyer d'un bout de l'Europe à l'autre, les superbes sabreurs lancés sur les canons et les baïonnettes de tous les peuples réunis.

Salons de Frascati, jardins de Tivoli qui avez vu défiler les belles du Directoire si hardiment déshabillées dans leurs tuniques flottantes et transparentes, dans leurs fantaisies athéniennes si osées, que dites-vous des toilettes que vous voyez porter aujourd'hui à ces mêmes femmes ou à leurs sœurs cadettes, que pensez-vous de ces sacs disgracieux qu'elles appellent des robes, de ces fourreaux ridicules, de ces chapeaux en abat-jour, de ces visières en capote de cabriolet?

Les modes masculines ne sont pas plus jolies. Que ceux qui ne veulent pas consentir à les porter s'engagent dans les hussards! Les costumes des hommes sont laids déjà, comme ils vont l'être de plus en plus dans le courant du siècle.

Mais les femmes! voici une élégante de 1810:

Commencement du XIXe siècle.

La jupe d'abord,—il y a si peu de corsage que la jupe est à peu près tout le costume,—la jupe de percale ou d'étoffe assez commune commence sous les bras et tombe d'une façon inélégante jusqu'au bout des pieds, ou bien s'arrête assez haut au-dessus des bottines. Quelques plissés, quatre ou cinq rangs de garnitures découpées en dents de scie, quelques volants étagés ornent assez gauchement le bas de ces jupes.

Presque pas de corsage, la ceinture bride le sein; la robe n'a pas de manches, les bras sont nus sauf deux gros bourrelets aux épaules, les épaules sont décolletées. On porte des canezous brodés ou bien de grandes collerettes à plusieurs rangées de plis tuyautés. C'est la seule chose assez gracieuse de la toilette, encore arrange-t-on souvent ces collerettes d'une assez lourde façon, pour engoncer plutôt que pour orner.

Quant aux chapeaux, ils sont bien souvent ridicules. Comme toutes les idées sont tournées vers l'armée et la guerre, les dames, sur ces toilettes assez baroques, arborent quelquefois des espèces de casques empanachés et enguirlandés, de grands chapeaux en forme de shakos; on voit même de vrais casques, dits à la Clorinde qui ont l'intention de rappeler les casques des chevaliers des Croisades.

Attendant les Vainqueurs.

Un moment la mode est aux petits bonnets, des petits serre-têtes d'enfants ornés de dentelles qui donnent aux dames des airs naïvement enfantins, mais le triomphe de l'époque ce sont les grands chapeaux cabriolets, les capotes énormes qui s'allongent démesurément en avant de la figure enfoncée et dissimulée au plus profond de l'armature. Quelquefois ces capotes en cabriolet se compliquent d'un grand tube de haute forme, plus haut que le plus haut de tous les shakos des armées de sa Majesté.

Grand chapeau Empire.

Et pour qu'elles trouvent le moyen d'être gracieuses quand même là-dessous et d'être adorées par tous les étincelants officiers qui s'en viennent, entre deux victorieuses campagnes, brûler rapidement leurs cœurs à la flamme de leurs yeux, il faut que les femmes soient vraiment jolies.

Pour les bals et soirées, dans les salons où papillonnent les beaux officiers à côté des civils rejetés dans l'ombre, les femmes qui n'ont pas les allures triomphantes des Merveilleuses de la période précédente, mais qui au contraire, sous le regard des guerriers empanachés, prennent des allures de colombes timides, les belles ont des jupes extrêmement courtes ornées de bouquets de fleurs et laissant voir le bas de la jambe et le cothurne, non plus le cothurne antique de la belle Tallien, mais un cothurne soulier, attaché aussi par des cordons sur la cheville.

Ces belles de l'Empire, ces rêveuses Malvinas en robes sacs, qui songent aux beaux guerriers chargeant là-bas de l'autre côté du Rhin, se coiffent avec leurs tresses massées en casques, ou bien à la Chinoise, tous les cheveux tirés en l'air.

Les beautés sérieuses prennent le turban des Turcs. On connaît le célèbre portrait de Mme de Stael enturbannée, les salons se remplissent ainsi d'odalisques parisiennes et l'on trouve leur coiffure charmante. Après cela, qu'est-ce qu'une jolie figure et des yeux vifs ou langoureux ne sauraient faire passer?

Robe orientale et Turban.

Ces turbans prennent vite des proportions énormes et se surchargent de gazes, d'écharpes de couleurs variées et de plumes, ils deviennent sous la Restauration l'apanage des dames mûres, des mamans et belles mamans, et leur font ces figures d'un comique extravagant que nous ne pouvons regarder sans rire dans les gravures du temps.

Chapeau Empire.

Que dire aussi des spencers qui donnent un aspect si étriqué à ces toilettes déjà peu jolies de lignes, des lourds carricks, des redingotes fourrées et des Vitchouras? Les fourrures sont très à la mode, on porte astrakan, martre ou zibeline en vêtements de toutes sortes et en pelisses de toutes tailles.

Tout ce monde si bizarrement habillé, toutes ces femmes dont les costumes semblent séparés par des siècles des toilettes du XVIIIe siècle, des falbalas qu'ont portés leurs mères, s'agitent dans un décor également bien différent de celui qu'inventèrent les artistes et les peintres rococo.

Sommes-nous en France ou en Grèce, ou en Egypte, en Etrurie ou à Palmyre? Dans quel siècle vivons-nous, le XIXe après l'ère chrétienne ou avant? Ce décor antique donné tout à coup à la vie, date du Directoire, ce sont les architectes retour de Rome, Percier et Fontaine, qui l'ont implanté dans Paris et des hôtels des personnalités à la mode, il a passé bien vite dans les maisons de la classe bourgeoise.

On s'habillait à la grecque et à la romaine, avant Percier et Fontaine, le costume avait donc précédé l'architecture et influé sur la création d'un style.

Est-il rien de plus élégant qu'un salon qui ressemble à un temple grec ou qui figure un intérieur de tombeau étrusque? Garnitures de cheminée de style funéraire, trépieds imités de Pompéï, chaises curules, fauteuils incommodes mais ornés de lions, de cygnes, de cornes d'abondance, lits gardés par des sphinx, commodes chargées de glaives, somnos en forme de cippe funéraire ou d'autel, tables de nuit pompéïennes, etc. Partout des lignes rigides, des ornements froids, partout des palmettes, des entrelacs étrusques ou grecs, voire même des motifs égyptiens, quand l'expédition d'Egypte mit la terre des Pharaons à la mode.

Il fallait avoir dans l'esprit de considérables ressources de gaîté intérieure pour trouver la vie agréable parmi ces formes raides et dures, dans ce cadre sévère, solennel et antique, distillant une maussaderie et un ennui très modernes.

Coiffure Empire.


XI

LA RESTAURATION
ET LA MONARCHIE DE JUILLET

Manches bouffantes, manches à gigot.—Les collerettes.—Modes à la girafe.—Les coiffures et les grands chapeaux.—1830.—Epanouissement des modes romantiques.—Les derniers bonnets.—1840. Chastes bandeaux.—Modes Juste-milieu.

Sous la Restauration, d'année en année, les très laides et inélégantes modes de l'Empire s'améliorent et prennent un peu de grâce. Probablement la mode a cessé de consacrer toutes ses pensées et toutes les ressources de son génie aux beaux houzards et aux brillants aides de camp des armées françaises. Le goût féminin renaît.

Les costumes vont gagner tous les jours, perdre de leur raideur et leur indécision, prendre de l'ampleur ici, s'alléger là, et dès 1825, devenir pour une dizaine d'années, tout à fait charmants.

Une grâce aimable et distinguée, une exquise originalité, une élégance souple et naturelle, de belles ondulations de jupes, des coiffures extrêmement seyantes, très trouvées, les modes de ce temps-là sont vraiment délicieuses, et la femme de 1830 a droit à une belle place de choix dans les évocations des élégances d'antan, parmi les plus charmantes figures du passé.

Plus tard, quand notre pauvre XIXe siècle aura glissé avec les autres dans le gouffre qu'il peut, hélas, entrevoir déjà, quand les belles d'aujourd'hui seront à leur tour devenues des aïeules, lorsqu'on songera à se figurer les femmes de notre siècle, c'est avec les toilettes de 1830, pour la première moitié, et de... mettons 90... pour la seconde moitié, qu'on se les représentera.

C'est la bonne époque, les dessins et peintures d'alors, des Devéria, Gavarni et autres, sont là pour témoigner de la grâce des toilettes portées par les femmes de 1825 à 1835, de la seconde période de la Restauration aux premiers temps de la monarchie de Juillet, pendant le grand renouveau des idées et des arts.

Ah! celles-ci, nous les avons connues, elles nous intéressent plus que toutes, ce ne sont pas des figures vagues, estompées dans le recul des siècles! Nous les avons connues..., devenues de bonnes et charmantes vieilles, au visage encore encadré de boucles comme aux jours d'autrefois, mais de boucles blanches, avec des lunettes sur ces yeux jadis, paraît-il, vifs et rieurs...

Après la chute de l'Empire, l'anglomanie domine pendant quelques années dans les toilettes, et aussi un peu de cosaquomanie; les modes parisiennes sont des imitations des modes de Londres; mais peu à peu se dégagent, et de tâtonnements en tâtonnements, arrivent à réaliser de fort jolis types de toilettes.

Chapeau 1815.

C'est encore pendant quelques années la robe sac ou fourreau de parapluie de l'Empire, avec des essais de corsages, des tailles placées moins haut, des essais de manches à gros bouillons, et des chapeaux plus ou moins gracieux de formes tout à fait bizarres et toujours vastes de proportions, des chapeaux au fond desquels assez souvent la figure se dissimule presque complètement.

Le grand luxe revient pourtant avec la tranquillité, avec le repos qu'on n'a pas connu depuis vingt-cinq ans, avec la cour, dans les salons qui ont retrouvé l'éclat de jadis, et qui ne sont plus seulement des petites réunions de mécontents ou de simples parlottes, comme autrefois, discutant la dernière victoire ou le dernier revers de l'Empereur, unique sujet de conversation entre deux parties de whist.

Reprenons quelques-uns des vieux verres de la grande lanterne magique que le temps fait passer si rapidement et voici les élégantes de la Restauration, les belles romantiques et les lionnes de la monarchie de Juillet.

Toilette de soirée Restauration.

La robe de gros de Naples blanc, avec des volants jaunes au bas de la jupe élargie, la même garniture en pèlerine sur les épaules, des manches à gigot,—elles viennent de naître et triomphent concurremment avec les manches à l'éléphant et les manches à l'imbécile,—collerette tuyautée, grand chapeau de paille de riz avec rubans de satin et panaches de grandes plumes.

Jupes élargies garnies de bouillonnés de gaze et de coques de satin, de volants et d'entre-deux de dentelles, canezous, jupes écossaises, grands chapeaux décoratifs ornés de gros bouquets de fleurs,—ces chapeaux de Mme Herbault dont les chroniques et les romans d'alors coiffent toutes les belles,—immenses gants habillant tout le bras...

Cette dame qui joue rêveusement de la harpe dans une soirée élégante, les épaules drapées dans une écharpe de gaze rayée, est coiffée d'un grand béret qui va bien à son profil poétique; en sortant du salon, elle s'enveloppera dans une rotonde ou dans un de ces vastes manteaux de drap à palatine découpée, à grand collet et doublure de fourrures, pendant que Monsieur, le monsieur à toupet frisé, habit bleu à boutons d'or et pantalon collant, endossera son carrick.

Pour l'été, pour la campagne, pour la promenade, pour aller consulter le sorcier de Tivoli, canezous d'organdi ruchés de tulle, grands chapeaux de paille avec d'immenses rubans dressés.

Pour le théâtre, pour les sorties, pour tous les temps frais, on a les boas, ces boas que nous venons tout récemment de voir revenir et qui sont l'occasion de si jolis mouvements. Les serpents de fourrure s'enroulent sur les épaules nues et sertissent chaudement et voluptueusement les fraîches carnations.

En 1827, pour célébrer l'arrivée de la première girafe au jardin des Plantes, toute la mode est à la Girafe.

Ce qui reste de ces modes à la Girafe, c'est le grand peigne d'écaille qui se place tout en haut de la tête au sommet de l'édifice. Les coiffures sont très hautes, les cheveux se relèvent en plusieurs coques serrées avec un encadrement de boucles tombantes autour du visage, partagées irrégulièrement, trois d'un côté, quatre de l'autre...

Elle est charmante, l'élégante de 1830 en costume de soirée, avec le complet épanouissement des manches à gigot, ses épaules émergeant d'une ligne de fine dentelle, sa nuque bien découverte sous le grand peigne d'écaille planté triomphalement dans les masses blondes ou brunes, tordues et réunies au sommet de la tête.

Chapeau 1820.

Dans la rue ou sur les boulevards, aux promenades, aux Champs-Elysées, elle est décolletée encore et se drape sans se cacher dans un petit châle porté coquettement.

Chargement de la publicité...