Nouveau manuel complet de marine, seconde partie: manoeuvres
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Title: Nouveau manuel complet de marine, seconde partie: manoeuvres
Author: Phocion-Aristide-Paulin Verdier
Release date: October 13, 2012 [eBook #41039]
Most recently updated: October 23, 2024
Language: French
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Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Une note plus détaillée se trouve à la fin de ce volume.
NOUVEAU MANUEL
COMPLET
DE MARINE.
SECONDE PARTIE.
MANŒUVRES.
NOUVEAU MANUEL
COMPLET
DE MARINE.
SECONDE PARTIE.
MANŒUVRES DU NAVIRE
ET DE L'ARTILLERIE.
Par M. Verdier,
Capitaine de Corvette.
PARIS,
A LA LIBRAIRIE ENCYCLOPÉDIQUE DE RORET,
Rue Hautefeuille, nº 10 bis.
1837.
AVERTISSEMENT.
Les ouvrages qui traitent de la manœuvre du navire s'appuient sur des vérités mathématiques trop élevées pour être à la portée de toutes les classes des navigateurs.
Nous avons pensé qu'il pouvait être utile d'offrir un Manuel pour la Manœuvre, dépouillé de toute démonstration théorique, qui ne repose que sur la seule pratique, et qui, par conséquent, peut être lu par le marin le plus illettré.
Il est plus facile, et surtout plus utile en marine, d'aller du simple au composé que du composé au simple. Le marin instruit, qui connaîtra pratiquement la manœuvre, lira ensuite avec bien plus de fruit les ouvrages de théorie.
Si nous pouvons rendre plus facile à quelques jeunes navigateurs l'étude de la manœuvre, notre but sera atteint.
NOUVEAU MANUEL
DE MARINE.
SECONDE PARTIE.
MANOEUVRES.
CHAPITRE PREMIER.
Du Navire.
Le navire est un corps flottant, il doit, par conséquent, occuper dans le fluide un espace tel que son poids soit égal à celui du volume d'eau qu'il déplace. C'est la partie submergée qui éprouve la force de résistance du fluide dans le cas du mouvement, et la puissance destinée à lui donner ce mouvement doit donc être en proportion avec la résistance éprouvée.
Les voiles sont des surfaces planes autant que possible, qui, étant exposées à l'impulsion du vent, en sont frappées, et communiquent ainsi du mouvement au navire auquel elles sont assujetties.
Elles agissent dans le sens latéral et dans le sens direct.
Le centre de gravité d'un corps est le point par lequel ce corps étant suspendu, reste en équilibre et ne change pas de position.
Ce point sera au milieu du corps, si le corps est régulier; et s'il est irrégulier, il sera dans la partie qui a le plus de pesanteur, par rapport au point qui marque le milieu de la longueur du solide.
Si un corps étant ainsi suspendu en équilibre, on veut lui imprimer un mouvement de rotation, il est évident qu'il faut lui appliquer une force déterminée à un point quelconque; que cette force, supposée la même, agira d'autant plus qu'elle sera plus éloignée du centre de gravité, et qu'elle imprimera au corps un mouvement contraire à son application.
Le centre de gravité d'un navire est toujours sur l'avant du milieu de sa longueur absolue, parce que l'avant a plus de capacité, et par conséquent plus de pesanteur que l'arrière.
Si nous considérons le navire comme un corps en suspension par son centre de gravité, nous pouvons imaginer, sans grande erreur pour la pratique, que son point de rotation sera sur l'axe vertical qui passe par le centre de gravité; et que la force appliquée sur l'arrière ou l'avant de ce point lui fera éprouver un mouvement de rotation de l'avant sur l'arrière ou de l'arrière sur l'avant; c'est-à-dire que si la force est appliquée sur l'arrière, l'angle que l'avant fait avec la direction de la force diminuera, et que si elle est appliquée sur l'avant, ce sera l'angle formé par la direction de cette force et l'arrière qui diminuera.
Le mouvement est communiqué au navire par le moyen des voiles qui y sont assujetties, et qui reçoivent l'impulsion du vent. La direction de la force appliquée sera donc la ligne suivant laquelle souffle le vent.
Il est évident, d'après ce que nous avons dit du corps en suspension, que si nous l'appliquons au navire, le vent soufflant dans les voiles de l'arrière, rapprochera l'avant de sa direction: c'est ce qu'on appelle venir au vent ou lofer; et le vent soufflant dans les voiles de l'avant, rapprochera l'arrière de sa direction; ce qu'on appelle arriver.
Les voiles de l'avant tendent donc à faire arriver le navire; celles de l'arrière à le faire lofer. C'est en combinant ces deux effets et en les tenant en équilibre, qu'on imprime au navire une vitesse sur une ligne donnée, qu'on appelle route. Ce sera donc en augmentant aussi ou détruisant un de ces deux effets, qu'on fera arriver ou lofer le navire, en un mot qu'on le fera évoluer.
On voit donc que si les voiles étaient exposées d'une manière convenable, et que la force et la direction du vent restassent les mêmes, le navire conserverait une vitesse égale, et suivrait une route donnée.
Mais cet équilibre, qu'il est si important de conserver, est fréquemment troublé, et on a inventé le gouvernail pour le rétablir et forcer le navire à suivre une ligne déterminée.
Les lames sont une cause de la perturbation de l'équilibre, en frappant le navire et lui imprimant un mouvement de rotation sur l'axe vertical de son centre de gravité, suivant le point sur lequel elles le frappent, et leur direction, qui n'est pas toujours celle du vent. A chaque lame le navire fait deux oscillations: l'une de chute, vers la partie opposée à celle que choque la lame, et l'autre de réaction à l'instant où elle se sépare du navire.
Outre les effets de la lame, il est encore des actions qui agissent pour faire tourner le navire sur l'axe vertical qui passe par son centre de gravité. C'est en premier lieu l'action produite par la résistance de l'eau, dans le sens latéral, ou perpendiculaire à la quille, sur les différens points de la carène qui y sont exposés; secondement l'action que le vent exerce sur les voiles dans le sens latéral; et troisièmement, enfin, l'action que le vent exerce sur les voiles dans le sens direct. Quoique cette action paraisse coïncider avec le plan vertical qui passe par le centre de gravité, et ne devoir pas produire un mouvement de rotation, cependant lorsque le vaisseau incline, il n'en est pas ainsi.
Si ces trois actions pouvaient être en équilibre, le navire n'aurait pas de mouvement de rotation, et obéirait à l'impulsion dans le sens de sa quille; mais ces actions varient à chaque instant par l'état de la mer ou du vent.
Ce défaut d'équilibre se corrige par un changement de voilure, et enfin par le gouvernail.
Du Gouvernail.
Nous ne décrirons pas le gouvernail que tout le monde connaît, nous dirons seulement que par sa position à peu près verticale à la poupe, et par le moyen de sa barre, il peut se porter d'un côté ou de l'autre du navire, et que s'opposant au courant du fluide de ce côté, il fait naître une nouvelle force qui oblige le navire à tourner, ou dont l'effet est de faire équilibre aux forces contraires dont nous avons parlé, et qui tendraient à faire tourner le navire dans un sens opposé.
Si le fluide, coulant le long des flancs du navire, rencontre le gouvernail faisant un angle avec la quille, il le choquera, et poussera la poupe dans le sens opposé au choc; alors l'avant obéissant à ce mouvement se rangera nécessairement du côté où le choc a eu lieu, c'est-à-dire vers celui où a été mis le gouvernail, ou enfin du bord opposé à celui où l'on a placé la barre.
Mais si le fluide, au lieu de couler de l'avant à l'arrière, coulait de l'arrière à l'avant, l'effet serait évidemment contraire; car le fluide qui vient alors de l'arrière, rencontrant le gouvernail faisant un angle avec la quille, le choquera en poussant la poupe dans la direction de ce choc; l'avant tournera donc dans le sens opposé, c'est-à-dire dans le sens opposé au côté où le gouvernail aura été mis, ou enfin du côté où sera la barre.
Il n'entre pas dans le plan que nous nous sommes tracé, de démontrer mathématiquement les effets et la puissance du gouvernail. Nous dirons seulement que son effet est d'autant plus grand que la vitesse augmente, et qu'à même angle il suit la progression du carré des vitesses.
Si le gouvernail fait avec la quille un angle de 45 degrés, il est dans la position la plus favorable pour opérer les mouvemens de rotation; mais on ne peut obtenir cette position, et il est rare que l'angle soit de plus de 35°.
Le gouvernail agissant en s'opposant au fluide qui coule le long des flancs du navire, doit nécessairement diminuer sa vitesse; il faut donc balancer sa voilure de telle manière, qu'on soit obligé de le mettre en mouvement le moins possible. Et règle générale, toutes les fois que pour conserver le navire en route, on sera obligé de faire un usage fréquent du gouvernail, ce sera une preuve que la voilure sera mal établie, ou mal balancée.
Nous observerons à cette occasion, que souvent étant au plus près, et la brise fraîchissant, le navire a une grande tendance à venir au vent, et qu'on est obligé d'y avoir une partie de la barre. Il suffirait, à notre avis, de diminuer de voiles, en se débarrassant des voiles hautes, pour rendre le navire bien gouvernant, et loin de diminuer le sillage, il est fort possible qu'il augmente.
L'inclinaison diminuant, la submersion de la carène sera moins considérable, et sa résistance moins forte; le navire moins chargé gouvernera avec la barre droite, et le gouvernail ne sera plus un obstacle au sillage; n'est-il pas possible que ces deux causes qui tendent à augmenter la vitesse, compensent, et au-delà, la diminution produite par la suppression des perroquets?
Le temps que deux navires semblables emploient à évoluer, est en raison de leur longueur.
CHAPITRE II.
Appareillages.
Lorsqu'un navire a reçu tout ce dont il a besoin pour prendre la mer, on le mouille sur rade sur une ancre, s'il doit profiter du premier moment favorable; mais s'il peut y prolonger son séjour, on le mouille sur deux.
Amarré de la première manière, il est dit sur un pied; mais on concevra facilement qu'il ne peut rester long-temps dans cette position, puisque à chaque changement de vent et surtout de marée il doit courir sur son ancre et peut la surjoaler.
Cependant, depuis l'adoption presque générale des câbles-chaînes, sur les rades qui n'ont que peu ou point de marée, on peut, en filant une grande quantité de chaîne, rester sur un pied. Car, par son poids, la chaîne portant sur le fond, bien de l'arrière de l'ancre, offre au navire un point d'appui sur lequel il peut tourner sans passer sur son ancre. Mais il ne faut pas être mouillé près d'autres navires, qu'on pourrait aborder en décrivant ainsi un cercle autour de son ancre.
Il est donc plus prudent de mouiller deux ancres, ce qu'on appelle affourcher.
On affourche en mettant deux ancres sur une ligne perpendiculaire à celle des vents les plus dangereux. Ainsi, sur une rade où les vents les plus dangereux sont le N. E. et le S. O., les ancres doivent être mouillées sur une ligne N. O. et S. E. Il faut aussi avoir l'attention d'affourcher de manière que les câbles ne soient pas croisés pour le vent du large, qui est celui qui amène la plus grosse mer, parce qu'alors ils fatigueraient davantage et ragueraient les sous-barbes. Ainsi, si on affourche N. O. et S. E., c'est-à-dire pour les vents de N. E. et de S. O., ou que les vents du large soient ceux du S. O., les câbles doivent être croisés lorsqu'on évitera au N. E.
On affourche, soit avec le navire, soit avec la chaloupe; mais dans le premier cas, il faut avoir un point d'appui pour touer le navire jusqu'au point où il doit laisser tomber la deuxième ancre.
Pour cela, après que le navire a mouillé sa première ancre et qu'il a filé une quantité de câble suffisante, on embarque dans la chaloupe une ancre à jet, garnie de son orin et de sa bouée, à laquelle on étalingue un grelin et plus s'il est nécessaire, qu'on embarque dans la chaloupe et dont on garde le bout à bord, ou dont on lui donne le bout qu'elle rapportera à bord après avoir mouillé l'ancre à jet, si, ayant à remonter contre le vent ou le courant, on craint que le poids du grelin resté à bord ne la charge trop et ne la fasse dériver sous le vent du point où l'ancre à jet doit être mouillée.
La chaloupe convenablement remorquée, se dirige dans le rhumb de vent où l'ancre doit être placée, et lorsqu'elle est parvenue un peu au-delà du point qu'elle doit occuper, elle mouille l'ancre à jet. Elle porte le bout du grelin à bord, où on le raidit aussitôt.
On garnit ensuite ce grelin au cabestan, et on vire en filant à la demande du câble de l'ancre mouillée. Lorsqu'on a dehors une quantité de ce câble égale à deux fois la longueur qu'on veut donner à chaque amarre d'affourche, on cesse de virer, on laisse perdre l'aire du navire, et on mouille en choquant le grelin afin que le navire puisse culer et ne pas surjoaler.
Pendant que la chaloupe va lever l'ancre à jet, on vire sur le premier câble mouillé en filant du second. Lorsqu'on a filé de ce dernier la quantité qu'on veut avoir dehors, on prend le tour de bitte, et on vire jusqu'à ce qu'ils soient également raides, et qu'il n'y ait que peu de mou. On dégarnit et on prend le tour de bitte du câble sur lequel on virait, on les garnit l'un et l'autre de paillets, et l'on est affourché.
Si on fait porter l'ancre d'affourche par la chaloupe, il faut aussi lui ménager un point d'appui sur lequel elle pourra se tenir lorsqu'elle sera chargée. Car si en théorie on peut envoyer une chaloupe ainsi, en la faisant remorquer, il n'en est pas de même en pratique. Une chaloupe portant une ancre de bossoir en cravate, son orin et sa bouée, ayant sur son avant la moitié de son câble lové pour contre-balancer le poids de l'ancre, est déjà privée de l'usage de plus de la moitié de ses avirons; il faut qu'elle supporte encore le poids du câble qu'on file du bord, et que des canots placés de distance en distance le soutiennent, pour qu'il ne touche pas au fond avant que l'ancre ne soit mouillée. Quel est le navire qui a une assez grande quantité de canots pour pouvoir remorquer convenablement une chaloupe ainsi chargée, et la diriger à un point fixe, s'il y a surtout de la mer et du courant.
Il faut donc, pendant que l'ancre de bossoir est suspendue en cravate, de l'arrière de la chaloupe, et qu'on y embarque le câble, faire élonger par un canot une petite ancre à jet dans la direction où l'ancre d'affourche doit être mouillée. Le bout de l'aussière de cette ancre à jet étant à bord, la chaloupe le place sur le rouleau de son étrave et se hale dessus. Elle est suivie d'embarcations qui portent le restant du câble dont le bout est à bord.
Lorsque le canot qui porte les premiers plis du câble, les a filés à mesure que la chaloupe à laquelle il tient par une remorque se hale, il le saisit en dehors du bord par une bosse qui fait dormant à son grand banc, et qui s'y amarre après avoir embrassé le câble; un homme tient à la main le bout de la bosse pour la larguer au signal de la chaloupe.
Les canots ayant ainsi filé et soutenu le câble, la chaloupe file celui qu'elle a à bord, et lorsqu'enfin elle l'a raidi autant que possible en se halant, elle fait un signal aux canots qui larguent les bosses lorsqu'elle mouille.
On dérape l'ancre à jet, on raidit le câble, on prend le tour de bitte, et on fait les paillets.
Depuis l'usage à peu près général des câbles-chaînes, il est bien difficile, pour ne pas dire impossible, d'élonger une ancre amarrée sur un câble-chaîne. La difficulté de ne le filer qu'au fur et à mesure que la chaloupe s'éloigne du bord, son poids qui augmente la résistance qu'elle doit vaincre pour se haler, l'impossibilité par conséquent de le raidir suffisamment avant de mouiller, doivent faire abandonner cette manière d'amarrer, et il faut affourcher avec le navire lui-même.
Mais comme il est une foule de circonstances qui obligent à envoyer une grosse ancre au large par le moyen de la chaloupe, surtout dans les échouages, tout navire doit, outre ses câbles-chaînes des ancres de bossoir, avoir un ou deux câbles en chanvre pour élonger dans les circonstances imprévues.
On désaffourche avec le navire ou la chaloupe. Avec le navire, on vire sur une ancre en filant du câble de celle sur laquelle on veut appareiller. Parvenu à pic, on cesse de filer, on dérape, et aussitôt l'ancre à l'écubier, pendant qu'on la caponne et la traverse, on garnit le câble de l'autre ancre, et on abraque dessus jusqu'à ce qu'il n'en reste plus à la mer que la quantité suffisante pour tenir le navire.
Si on désaffourche avec la chaloupe, on la munit de deux caliornes de braguets, de poulies de retour et des amarrages nécessaires à l'opération; on lui donne aussi un bon cordage de la grosseur de l'orin pour faire un maillon. Car il ne serait pas prudent de lever une ancre de bossoir par son orin, sans avoir coulé un maillon, car si l'orin casse et que le navire ne puisse venir chercher son ancre, on est obligé de la draguer, ce qui est souvent bien long et oblige à faire le sacrifice de l'ancre si on n'a pas le temps nécessaire à cette opération.
La chaloupe parvenue à l'ancre qu'elle doit déraper, saisit la bosse, place l'orin sur le davier et le raidit. On coule le long de l'orin un maillon à nœud coulant, destiné à saisir la patte de l'ancre en dessous de ses ailerons, et à soulager et renforcer l'orin. Lorsque, par la hauteur du fond, on s'aperçoit que le maillon est rendu à sa patte, on s'assure si elle a été saisie en pesant dessus; s'il résiste, elle est prise; dans le cas contraire, il remonte le long de l'orin et on le coule de nouveau.
Lorsqu'il est en place on le raidit, et si on ne compte pas sur l'orin, on les réunit et on frappe dessus la caliorne de braguet, dont une poulie est crochée à un piton d'étrave et dont le garant revient sur l'arrière dans une poulie de retour, afin de pouvoir élonger dessus la plus grande quantité possible de matelots.
L'ancre détachée du fond, on vire sur son câble à bord, ce qui amène sous l'écubier la chaloupe qui la tient suspendue. Rendue là, on la met à poste comme nous l'avons dit, et on vire sur le câble de l'ancre qui doit servir à l'appareillage.
Le navire désaffourché, on embarque sa chaloupe avec un appareil composé de deux caliornes frappées l'une sur la grande vergue, et la seconde sur la vergue de misaine, et deux caliornes servant de palans d'étai. Les basses vergues portent, pendant cette opération, un poids considérable, et fatiguent beaucoup, quoiqu'on les renforce par une fausse balancine.
Pour les soulager, on fait les caliornes à pendeur. Ce pendeur passe sur le chouc du bas mât et se marie, par le moyen d'un burin, à une estrope qui embrasse deux ou trois haubans du côté opposé à celui où l'on hisse. Ce pendeur se frappe sur la vergue au moyen d'une estrope à burin. La vergue alors ne fait plus que l'office d'arc-boutant, et la plus grande partie de l'effort a lieu sur le chouc du bas mât.
Appareiller, le Navire évité le bout au vent.
On vire à long pic; on largue les voiles carrées, le grand foc et la brigantine, on borde et hisse les huniers. Si on veut abattre sur tribord, on brasse bâbord devant tribord derrière, en effaçant bien le petit hunier par sa bouline de revers; on pèse le gui et on le porte sur tribord. On ferait le contraire si on devait abattre sur bâbord.
On dérape. Le navire étant évité le bout au vent, ayant son petit hunier brassé bâbord et bien effacé par sa bouline, faisant avec la quille l'angle le plus aigu qu'il puisse faire, l'avant du navire tombera sur tribord. Mais pendant ce mouvement il cule, puisque le vent est sur les voiles, on met alors la barre à tribord pour accélérer le mouvement d'abattée, qu'on peut encore augmenter en hissant le grand foc aussitôt que le mouvement est prononcé.
Lorsque le vent commence à prendre dans les voiles de l'arrière, on dresse la barre et on change le phare de l'avant qu'on oriente. Si l'abattée continue encore, ce qui arrive ordinairement, parce que le navire n'ayant pas d'aire ne pourra ranger au vent que lorsqu'il en aura pris, que du reste la barre a été dressée en changeant devant, on choque l'écoute de foc et on borde la brigantine.
Si les circonstances le permettent, on laisse le petit hunier masqué pendant le temps qu'on travaille à mettre l'ancre à poste. Si les abattées sont trop grandes, on borde la brigantine. Si le foc était dehors, son écoute a dû être filée aussitôt que le vent a pris dans les voiles de l'arrière.
L'ancre à poste, on dresse la barre, on borde le foc, on cargue la brigantine, et on change le phare de l'avant qu'on oriente.
Si la position du navire a exigé qu'il fît de la route aussitôt que l'ancre a quitté le fond, pour éviter un danger, ou un bâtiment mouillé à petite distance, il ne faut faire que la voile absolument nécessaire pour assurer la promptitude des mouvemens; car, avec un sillage rapide, il est bien difficile, surtout s'il y a un peu de mer, de mettre l'ancre à poste, et il peut en résulter de graves inconvéniens.
Lorsque le vent est frais, qu'on juge qu'après l'appareillage on ne pourra porter les huniers qu'avec un ou plusieurs ris, il faut le prendre en larguant les voiles, avant de le border. Il est même plus prudent de le prendre avant de virer, pour ne pas s'exposer à chasser étant à long pic.
Si le vent est assez fort pour ne pas permettre d'établir les huniers, même avec des ris, lorsqu'on est à long pic, alors il faut se contenter de contre-brasser les voiles de l'avant et de larguer les fonds du petit hunier; on doit aussi larguer le petit foc pour pouvoir le hisser aussitôt que le phare de l'avant contre-brassé a fait prononcer l'abattée. Les vergues du grand mât et du mât d'artimon sont orientées et leurs huniers prêts à être largués et établis; lorsque l'abattée n'est plus incertaine, l'artimon est largué pour être bordé afin de la modérer.
Observations.
Quelque simple que soit un appareillage de temps maniable, il est une foule de précautions préparatoires et à prendre après cette manœuvre, dont il est peut-être utile de parler.
Si on est amarré avec des câbles et mouillé sur un fond de vase, il faut les laver avec soin à mesure qu'on vire, ou après que les ancres sont dérapées, les frotter avec des brosses à pont ou des balais pour en détacher la vase, les élonger autant que possible dans la batterie ou sur le pont, en faire autant pour les garcettes et la tournevire, et ne les envoyer dans la cale que lorsqu'ils sont parfaitement secs. Si on est amarré avec des câbles-chaînes, il faut aussi les laver, car étant mis immédiatement dans leurs puits, la vase qui y est attachée ne tarderait pas, sans cela, à répandre une odeur fétide et malsaine.
Aussitôt qu'une ancre est dérapée, elle doit être mise en mouillage, un navire ne devant jamais appareiller sans être disposé à mouiller, si les circonstances l'y obligent.
Lorsqu'on est hors de vue de terre, on soulage les pattes des ancres à hauteur du plat bord, on double les bosses de bout et les serres-bosses, et à cinquante lieues au large on détalingue les câbles et câbles-chaînes pour les envoyer dans la cale et soulager l'avant du navire.
En appareillant, les canots des porte-manteaux doivent être disposés de manière à être immédiatement amenés pour remorquer le navire en cas de calme, et défier un abordage. A la mer, on les établit sur bosses, et on décroche les palans, afin de pouvoir les amener avec leur équipage, pour porter secours à un homme tombé à la mer. Ils seront donc toujours munis du gouvernail et de la barre, des avirons et d'une gaffe.
Avant d'appareiller, une visite générale doit avoir lieu. La barre et sa drosse doivent être visitées, celles de rechange dégagées, les palans qui, en cas de rupture de la drosse, les remplacent momentanément, disposés à leurs pitons.
On s'assure que les mâts de hune et de perroquet sont coïncés dans leurs choucs; que les objets amovibles, tels que coffres, cuisines, etc., sont saisis; que la chaloupe et les drômes ont leurs saisines raidies; que l'artillerie est amarrée à garans doubles[1].
Les gabiers dégenopent les manœuvres et les lovent auprès de leurs poulies de retour. Ils visitent les écoutes, drisses et itagues. Les paillets de brasséiage et d'étais sont mis en place; les arcs-boutans, pour pousser les galhaubans volans, disposés dans les hunes.
Un navire, devant toujours être disposé à faire toute la voile que les circonstances exigent, doit appareiller avec les perroquets croisés et garnis, lorsque le temps le permet. S'il porte des catacois, les drisses seront passées, le gréement des bonnettes sera en place, les drisses frappées au point des huniers, et les amures lovées aux bouts des vergues.
Les étais des mâts de hune et de perroquet sont bossés; les bosses des amures et écoutes des basses voiles, celles des drisses des huniers et des focs, sont mises en place.
Enfin, suivant la saison et la traversée, et s'ils n'ont pas été gréés en rade, on place et on raidit les pataras, l'étai de tangage du mât de misaine, les haubans de beaupré et sa fausse sous-barbe.
Appareiller, le Navire évité au courant.
Le navire, évité le bout au courant, peut l'être en même temps au vent; alors l'appareillage est celui que nous venons de décrire, avec cette différence que le courant agissant sur le gouvernail, comme si le navire allait de l'avant, il faut mettre la barre du bord opposé à celui sur lequel on veut abattre.
Si cependant le mouvement d'aculée était plus fort que celui du courant, la différence de ces deux mouvemens, agissant alors dans le sens du plus fort, qui est celui de l'aculée, on mettrait la barre du bord où on veut abattre.
Le navire, évité le bout au courant, peut recevoir le vent sur ses voiles, ou dans ses voiles. Il le recevra sur ses voiles, si l'angle qu'il fait avec la quille est moindre que l'angle du plus près. Dans ce cas il est impossible, par la seule manœuvre des voiles, de faire passer son avant dans le lit du vent. On ne peut donc que prendre les amures du bord où vient le vent. Il suffit pour cela de le faire abattre d'une quantité assez grande pour que le vent prenne dans les voiles.
Supposons que le vent venant de bâbord fasse avec la quille un angle moindre que celui du plus près. Etant à long pic, on établit les huniers, on largue le grand foc et la brigantine, on met la barre à bâbord, et on brasse bâbord devant et tribord derrière. Au moment où l'ancre dérape, on hisse et borde le grand foc; l'avant du navire doit nécessairement tomber sur tribord par l'action du foc, du petit hunier masqué et du gouvernail qui, par l'effet du courant, porte l'arrière sur bâbord, puisqu'on y a mis la barre. Lorsque par suite de l'abattée le grand hunier et le perroquet de fougue reçoivent le vent, on change le petit hunier, on dresse la barre, et s'il est utile de modérer l'abattée, on borde la brigantine en filant l'écoute du grand foc.
Si la route exigeait qu'on changeât d'amures, on le ferait comme nous le dirons en parlant des viremens de bord vent arrière.
Mais si les localités étaient telles qu'on ne pût prendre les amures du bord du vent, ou qu'on n'eût pas l'espace nécessaire pour en changer après avoir dérapé, il faudrait trouver un point fixe, soit à terre, soit sur un navire, soit en élongeant une ancre à jet, de manière qu'en virant sur ce point, sur lequel on aurait porté un grelin qu'on passerait à tribord derrière, on pût porter l'arrière sur tribord, et par conséquent l'avant sur bâbord.
Le navire étant à pic, on hale sur le grelin jusqu'à ce que l'avant du navire ait dépassé le lit du vent, c'est-à-dire que le vent qui était de bâbord soit maintenant à tribord. On tourne le grelin, on établit les huniers qu'on brasse tribord devant et bâbord derrière, on largue le grand foc et la brigantine; on dérape, on met la barre à tribord, et lorsque l'avant du navire tombe sur bâbord, on largue le grelin, et on continue les manœuvres comme nous l'avons indiqué déjà.
Si le navire n'était que le bout au vent, il faudrait, au moment de déraper, haler sur le grelin pour assurer l'abattée.
Lorsque le navire, évité au courant, reçoit le vent dans les voiles, l'appareillage est bien simple; il suffit d'établir assez de voiles pour que, au moment où l'ancre dérape, le navire puisse refouler le courant, car sans cela il risquerait de masquer, si dans un élan le courant venait à prendre par la joue sous le vent.
Pour parer à cet inconvénient, non-seulement il faut avoir une assez grande quantité de voiles dehors, mais il faut augmenter celles du phare de l'avant pour être certain que le navire ne viendra pas au vent.
Le navire ayant pris de l'aire, on manœuvre suivant les localités, pour mettre l'ancre à poste le plus lestement possible.
Appareiller en faisant embossure.
Il arrive quelquefois qu'un navire est obligé d'appareiller, sans pouvoir lever son ancre, lorsqu'il a été obligé de mouiller sur une côte, sur laquelle il était affalé. La violence du vent ne lui permet pas de virer sur l'ancre, car en chassant il s'approcherait encore de la côte qu'il doit éviter, et s'y perdrait.
S'il peut indifféremment abattre sur un bord ou sur l'autre, après avoir pris dans les huniers les ris que la force du vent exige, et les avoir serrés, il faut brasser bâbord devant et tribord derrière, si on doit abattre sur tribord et larguer l'artimon, le foc d'artimon et le petit foc, dont on abraque l'écoute à tribord.
On se dispose à couper le câble sur la bitte, ou à filer le câble-chaîne qu'on démaillone sur l'arrière de la bitte. On largue le fond du petit hunier, on met la barre à tribord, et au moment où on s'aperçoit que l'avant tombe sur tribord par l'effet du petit hunier masqué, on coupe le câble et on accélère l'abattée en hissant le petit foc. L'aculée étant très forte, aussitôt que le câble est coupé, le gouvernail dont la barre est à tribord agit alors avec une grande puissance, et assure le mouvement d'abattée, qu'on modérera en bordant l'artimon et le foc d'artimon, pour soutenir le navire, puis on établit toutes les voiles carrées que le temps permet de porter.
Si la configuration de la côte exige qu'on abatte impérieusement d'un bord, on ne peut se hasarder à manœuvrer comme nous venons de le dire; car quoique tout ait été disposé pour abattre sur un bord plutôt que sur l'autre, il peut arriver telle circonstance imprévue qui fasse manquer la manœuvre, et alors le salut du navire est compromis.
Dans ce cas il faut manœuvrer avec certitude. Pour cela, on fait embossure sur le câble du bord opposé à celui où l'on veut abattre, et on garnit l'embossure au cabestan après l'avoir fait passer par le sabord ou le chaumard le plus arrière.
Le câble et les voiles étant disposés comme nous l'avons dit plus haut, on brasse la misaine et le petit hunier du bord de l'embossure, et les vergues du grand mât et du mât d'artimon au sens contraire, on largue le petit foc, l'artimon et le foc d'artimon, on déferle les fonds du petit hunier.
On vire sur l'embossure, ce qui approche l'arrière du lit du vent et en éloigne l'avant de la même quantité; on hisse le petit foc en continuant à virer; lorsque l'abattée est assez prononcée, on coupe le câble, et on file l'embossure immédiatement après. Car aussitôt que le câble est coupé, l'arrivée est considérable, et si on ne filait pas l'embossure, le navire viendrait vent arrière, ce qu'il faut empêcher.
L'embossure filée, on borde l'artimon et le foc d'artimon, et on établit toute la voile que le temps permet pour s'éloigner de la terre.
CHAPITRE III.
Manœuvrer les voiles de mauvais temps.
Prendre des ris aux huniers.
Rien n'est plus simple et plus facile que de prendre des ris sur rade ou de beau temps à la mer; mais il n'en est pas de même par une grosse mer et un vent violent, une foule de circonstances non prévues par la théorie rendent cette opération longue et difficile.
Le premier ris, désigné vulgairement par le nom de ris de chasse, n'est qu'un ris de précaution qu'on prend tous les soirs au coucher du soleil, à bord des navires de guerre, et généralement à bord de tous les navires de grande dimension lorsqu'ils naviguent au plus près. Les garcettes sont moins fortes et plus espacées que celles des autres ris; il a aussi moins de hauteur.
Le second ris se prend ordinairement après avoir serré les perroquets; cependant les vaisseaux et frégates peuvent porter leur grand et leur petit perroquet avec le deuxième ris. Si la mer est forte lorsqu'on prend le deuxième ris, on rentre le grand foc à mi-bâton, et on remplace la brigantine par l'artimon[2].
Le troisième ris est un ris de mauvais temps. Le grand foc est remplacé par le petit foc, et souvent le foc d'artimon remplace la grande voile. Si la mer est grosse on dégrée les perroquets.
Si la violence du vent oblige de prendre le quatrième ris, le perroquet de fougue est serré.
Pour prendre un ris aux huniers, on les brasse au vent en larguant les boulines, et on les amène lorsqu'ils sont en ralingue. Quand les vergues reposent sur les paillets des choucs des bas mâts, on s'assure que les balancines sont raides, on abraque fortement les bras des deux bords et les palans de roulis pour que la vergue n'ait aucun mouvement. On pèse le palanquin et le faux-palanquin du vent, ensuite ceux sous le vent. Le palanquin doit être assez pesé pour que la ralingue entre lui et la vergue soit molle, et que le faux-palanquin puisse ainsi facilement rendre la cosse d'empointure au taquet de la vergue.
Nous dirons à ce sujet que le faux-palanquin ne doit pas être frappé à demeure comme cela a lieu sur plusieurs navires, mais amovible, afin qu'on puisse toujours le crocher au ris à prendre, lorsque le supérieur vient de l'être. Il nous paraît aussi simple que facile de faire servir à cet usage les drisses de bonnettes de hune qu'on doit établir à croc.
Les hommes élongés sur les vergues saisissent les garcettes et portent la toile au vent, afin que son empointure soit mise à joindre. Lorsqu'elle y est, ils portent la toile sous le vent pour faire prendre celle sous le vent. Les empointures prises, ils laissent tomber la toile, la reprennent pli par pli pour la porter sur la vergue, puis ils saisissent les garcettes, les souquent sur l'arrière de manière que le ris couvre et soit sur l'arrière de ceux pris antérieurement. Pendant qu'on amarre les garcettes on double les empointures.
On affale les palanquins, faux-palanquins et cargues, on choque les palans de roulis, les bras sous le vent, et on hisse les huniers, en ne filant les bras du vent qu'au fur et à mesure que la vergue monte, car sans cela elle raguerait les haubans de hune sous le vent, et le vent prenant dans la voile et l'effaçant, augmenterait l'effort qu'on est obligé de faire sur la drisse. Quand le hunier est rendu, on fait descendre au-dessus de son racage le racage du galhauban volant, pour pouvoir le raidir et pousser l'arc-boutant avant que le hunier ne soit orienté.
Lorsqu'on prend le troisième ris, on est obligé quelquefois de choquer les écoutes; sans cela, non-seulement les palanquins ne pourraient être convenablement pesés, mais ils fatigueraient trop la voile qu'ils déchireraient peut-être; avarie bien dangereuse, si sur une côte elle obligeait à changer un hunier. Les écoutes ne doivent être choquées qu'à retour sur leurs bittes, et amarrées lorsque les palanquins sont à poste.
Il est évident que si en prenant le troisième ou quatrième ris, les basses voiles ne sont pas appareillées, on peut se dispenser de choquer les écoutes en brassant les basses vergues au vent d'une quantité suffisante pour donner du mou dans les ralingues.
Lorsqu'on prend le troisième et le quatrième ris d'un temps forcé au plus près, on peut tenir les huniers en ralingue pour faciliter cette opération; mais il n'en est pas ainsi lorsqu'on court grand largue et vent arrière. Les huniers, sous ces allures, ne peuvent être déventés, à moins qu'on ne range le navire au vent, et comme, vu l'état de la mer, cette manœuvre peut être dangereuse, il est quelquefois préférable de ne pas déranger le navire de sa route, et de carguer les huniers pour y prendre le dernier ris.
Carguer un Hunier de mauvais temps.
On a discuté long-temps, et on discute encore pour savoir s'il est plus convenable de carguer, dans un mauvais temps, les huniers au vent ou sous le vent.
Quant à nous, nous avouerons avec franchise que non-seulement nous n'avons jamais trouvé une bonne raison pour les carguer au vent, mais que même nous ne nous sommes jamais trouvé dans une circonstance où cette manœuvre n'eût été une faute.
Nous accordons que lorsqu'on se débarrasse d'un hunier par précaution, on peut le carguer au vent, en ne mollissant la bouline et l'écoute du vent qu'à retour, à la demande de la cargue-point et de la cargue-fond. Que ces cargues rendues et amarrées, on choque l'écoute sous le vent à retour, pour rendre les cargues sous le vent à joindre, et que le hunier peut être ainsi cargué sans avaries. Mais même dans ce cas, qui est le plus favorable puisque toutes les dispositions ont été prises à l'avance, peut-on nier que lorsqu'on carguera la portion sous le vent de la voile, il y aura une plus grande quantité de toile dans laquelle le vent s'engouffrera, et qui pourra se capeler et se déchirer sur le bout de la vergue, que si on avait commencé par la partie sous le vent, car alors celle du vent retenue par l'écoute et la bouline ne pourrait se porter en partie sous le vent, quoique retenue par ses cargues?
Le plus souvent lorsqu'on se débarrasse d'un hunier, c'est parce que le vent augmente de fureur, et qu'on a été surpris par une pesante rafale, ou qu'un grain violent charge le navire qu'il faut soulager immédiatement. Peut-on alors carguer au vent? Non, et si dans les circonstances les plus défavorables on parvient à sauver la voile, n'est-on pas en droit de conclure qu'il faut toujours agir ainsi?
On doit donc, pour carguer un hunier de mauvais temps, peser fortement sur le bras du vent et la cargue-point du même bord pour le faire amener, mais sans le déventer, car il pourrait masquer, et pour cela ne pas larguer la bouline; choquer l'écoute sous le vent en abraquant la cargue-point et la cargue-fond; lorsque ces cargues sont rendues, filer à retour l'écoute du vent et la bouline, en pesant les cargues et brassant seulement alors en ralingue.
Il arrive quelquefois que naviguant au plus près, l'écoute du vent d'un hunier casse, alors, malgré son bras, la vergue s'efface, poussée par la voile qui se porte sous le vent, et on ne peut la brasser et par conséquent l'amener, quelque effort qu'on fasse sur le bras, parce qu'alors l'angle sous lequel il agit est trop aigu. Dans cette circonstance il faut choquer l'écoute sous le vent, ce qui fait ralinguer la voile et permet de la brasser et de l'amener.
Prendre les Ris aux basses Voiles.
Les basses voiles n'ont pas de palanquins de ris, on les remplace par des cartahus qu'on frappe avant l'opération. Simples, ils font dormant à la patte de la ralingue, en dessous de celle de l'empointure, passent dans une poulie au bout de la vergue, dans une seconde aiguilletée au ton, et se manœuvrent au pied du mât. Doubles, ils font dormant au bout de la vergue, passent dans une poulie crochée à la patte et continuent comme nous venons de le dire.
Pour prendre le ris aux basses voiles, on les cargue, on pèse les cartahus; les hommes élongés sur la vergue saisissent les garcettes, et portent la toile au vent pour faire prendre l'empointure, puis ils la portent sous le vent, pour prendre celle sous le vent; ils larguent les garcettes, prennent la toile pli par pli pour l'élonger sur la vergue, souquent les garcettes sur l'arrière et les amarrent. On double les empointures.
Comme il est difficile, à bord des grands navires, aux hommes qui prennent le ris, de saisir d'une main la garcette sur l'avant de la voile, et de la prendre avec l'autre main sous la vergue et sur son arrière, on a imaginé de prendre le ris sur filière, ce qui est plus facile et diminue considérablement le poids inutile des garcettes, réduites alors à 12 ou 15 pouces.
Cette filière est placée comme celle d'envergure, mais sur son arrière. Les garcettes sont sur l'avant de la voile, et sont fixées sur son arrière par un menu filin qui passe dans leurs œillets et fait dormant sur les deux ralingues; un quarantenier est disposé de la même manière sur l'avant. Lorsque les empointures sont prises, on saisit les garcettes, on porte la bande du ris à toucher la filière, en laissant tomber la toile du ris entre la vergue et la voile; on passe les garcettes sous la filière de dessous en dessus, et on les amarre deux à deux sur l'arrière.
Carguer une basse Voile de mauvais temps.
Lorsque le temps est mauvais, les basses voiles se carguent sous le vent comme les huniers.
On dispose les hommes sur les cargues sous le vent, et on ne file l'écoute sur son taquet qu'à la demande des cargues; quand elles sont à joindre, on passe au vent et on cargue en ne filant aussi l'amure qu'à retour, car si elle était larguée en bande, la toile portée et collée sur le grand étai par la violence du vent, n'en serait retirée qu'en lambeaux.
Pour l'établir, on commence par l'amure, en ne filant les cargues qu'à sa demande. La voile, dans cet instant, doit être tenue en ralingue, sans cependant trop battre, ce qui pourrait la masquer ou la déchirer. Le point du vent rendu, on borde l'écoute d'après les mêmes principes.
En amurant une basse voile, il faut larguer la balancine du vent de la basse vergue, la cargue-point et la bouline du hunier, afin qu'elles ne s'opposent pas à l'effet de l'amure; et aussitôt qu'elle est établie, appuyer fortement le bras du vent en larguant celui sous le vent.
Car si les deux bras étaient amarrés, dans le coup de tangage, la mâture tombant sur l'avant, la vergue ne pourrait suivre ce mouvement, et l'effort que supporterait alors le milieu de la vergue pourrait la faire casser; tandis que si le bras sous le vent est largue, la vergue, par son mouvement de rotation, échappe à l'effort du mât.
Les huniers s'établissent de mauvais temps, comme les basses voiles, c'est-à-dire qu'on commence par l'écoute du vent, en ne filant les cargues qu'autant qu'il est nécessaire pour faire agir l'écoute, on borde ensuite sous le vent de la même manière.
CHAPITRE IV.
Des Viremens de bord.
Un navire vire de bord ou change d'amure, en faisant passer son avant, ou son arrière, dans le lit du vent, de là les viremens de bord vent devant, et vent arrière, ou lof pour lof.
Mais chacune de ces manières de virer se modifie quelquefois par les circonstances, soit qu'il faille accélérer l'évolution, soit qu'un espace limité oblige de la circonscrire.
Virer de bord vent devant en gagnant au vent.
Si le navire n'est pas au plus près, il faut l'y ranger, et bien faire attention qu'au moment où on commence l'évolution il ne soit ni arrivé, ni lancé au vent.
On met la barre dessous sans précipitation, et pour augmenter le mouvement d'aulofée qu'elle communique au navire, on borde la brigantine et on file l'écoute des focs.
Aussitôt que le navire est assez rangé au vent pour faire ralinguer les basses voiles, on lève les lofs, et quand il est presque vent devant, on change vivement les voiles de l'arrière en les orientant de l'autre bord; on change le gui, et on dresse la barre.
Lorsque les voiles de l'arrière commencent à porter, c'est-à-dire lorsque le navire a fait une abattée de quatre quarts, on change lestement les voiles de l'avant, on borde les focs et on oriente au plus près.
Si, avant l'instant de changer le phare de l'arrière, le navire a perdu son aire, on dresse la barre, mais s'il cule on la change, puisqu'elle produit un effet contraire.
Observations.
Le navire, au moment où on veut le faire virer vent devant, ne doit être ni au vent ni arrivé. Dans le premier cas, son aire diminué ralentira et pourra faire manquer la manœuvre; dans le second, le mouvement d'aulofée devant être plus long, le navire y perdra le surcroît de vitesse qu'on lui a fait acquérir en arrivant, et l'évolution sera prolongée, sans pour cela être plus certaine.
Il faut donc éviter avec le plus grand soin les mouvemens d'arrivée avant de virer, surtout si la brise est faible; car, dans cette position, la petite augmentation de vitesse qu'on procure est bien promptement annulée par celle de l'angle d'aulofée, et l'aire est perdu avant que les voiles soient assez masquées pour assurer l'évolution. Le navire incertain n'est plus maîtrisé par son gouvernail; ses voiles en ralingue ne lui impriment pas un mouvement d'aculée assez fort pour que la barre, quoique changée, puisse le faire obéir, et au lieu de venir au vent, il arrive et manque son évolution.
Pour assurer, autant que possible, la manœuvre lorsque la brise est faible, on doit tenir le navire au plus près et haler bas les focs en mettant la barre sous le vent, et bordant la brigantine. De cette manière, en détruisant l'effet des voiles qui s'opposent le plus à l'aulofée, on peut plus facilement parvenir à masquer, et par conséquent à virer.
Si la brise est fraîche et la mer belle, une arrivée, avant de virer, n'aurait d'autre inconvénient que de prolonger l'évolution, parce qu'alors le navire, quoique ayant un plus grand angle à parcourir pour masquer, le franchira à l'aide de son gouvernail; mais comme on doit se piquer de manœuvrer avec le plus de précision possible, il faut éviter ce mouvement qui n'est qu'une fausse manœuvre.
Si la mer est forte, il faut choisir pour envoyer un moment favorable, c'est-à-dire celui où l'aire du navire n'a pas été cassé par un coup de tangage, et où il possède toute sa vitesse.
Si, lorsque la brise est faible, il est prudent, pour assurer l'évolution, de haler bas les focs, on peut, lorsqu'elle est fraîche, ne filer leurs écoutes que lorsque les basses voiles commencent à ralinguer, parce que, jusqu'à ce moment, ils concourent à augmenter la vitesse, et que le gouvernail suffit pour ranger au vent. Il est quelques navires qui, en filant les écoutes des focs, choquent aussi l'écoute de misaine. Cette méthode, qui accélère l'évolution, empêche nécessairement de gagner au vent puisqu'elle diminue l'aire, et c'est en général ce qu'on se propose en virant vent devant.
Quand on lève le lof des basses voiles, on doit abraquer les écoutes et amures de revers, afin qu'elles ne s'engagent pas dans les porte-haubans, et que le changement des phares puisse se faire avec la plus grande promptitude. En même temps on largue les galhaubans du vent, et on les affale pour pouvoir les passer sur l'arrière des hunes quand on orientera. A mesure que les phares sont orientés on raidit leurs galhaubans, et on pousse les arcs-boutans.
Si le vent est frais, le phare de l'arrière reste long-temps sur le mât avant d'être changé, fait culer le navire, et lui fait ainsi perdre du chemin au vent; on augmenterait peut-être la célérité de l'évolution, et on perdrait moins en carguant la grande voile en levant ses lofs. On l'établit dans ce cas après avoir changé d'arrière ou d'avant.
Le moment de changer d'arrière, qui n'est pas toujours indiqué d'une manière convenable par la girouette, l'est positivement par la brigantine. Lorsqu'elle est entièrement déventée, c'est une preuve que le vent est entre les vergues de l'avant et le beaupré; que le phare de l'avant fait ranger le navire au vent, et que les voiles de l'arrière, inutiles à cette partie de l'évolution, peuvent être disposées à l'autre bord.
Lorsque, par suite de la force de la brise, les phares de l'arrière ont été changés avec lenteur, il arrive souvent qu'on se croit obligé de changer devant lorsque l'abattée est suffisamment prononcée et qu'on se trouve à l'autre bord sans avoir une seule voile orientée, si ce n'est la brigantine. Dans cette position, le navire tombe sous le vent, ne peut sentir l'effet de son gouvernail, puisque ses voiles en ralingue ne lui communiquent aucune vitesse, il peut masquer, ou du moins il est très-lent à arriver, est obligé de gouverner largue pour faire porter ses voiles, et ne peut ranger au plus près que lorsqu'elles sont orientées, ce qui lui fait perdre beaucoup au vent.
Dans ce cas il nous semble bien préférable d'orienter parfaitement les phares de l'arrière, ou au moins d'en brasser les vergues convenablement, d'amurer et border la grande voile avant de toucher aux voiles de l'avant, en mettant la barre dessous pour modérer l'abattée; puis changer les voiles de l'avant, qui seront bientôt démasquées, le navire étant plus arrivé qu'il ne le serait si on avait fait le mouvement comme ci-dessus; dresser la barre et border les focs. On sent que le navire prenant immédiatement de l'aire, rangera au plus près bien plus immédiatement, et perdra moins au vent.
Le gouvernail étant un des principaux agens de cette évolution, sa manœuvre doit être surveillée avec le plus grand soin.
La barre ayant été mise sous le vent aussitôt qu'on a voulu lancer au vent, est dressée lorsque le navire a entièrement perdu son aire. S'il cule, on la change, parce qu'alors le gouvernail agit en sens contraire, ou comme si on l'imaginait placé de l'avant. Si la barre n'a pas été dressée avant le moment où l'on change les phares de l'arrière, on la dresse alors, parce que celui de l'avant suffit pour achever l'évolution. Mais si l'abattée est trop forte, on la met dessous pour la modérer pendant qu'on change les voiles de l'avant.
Si après avoir pris l'autre bord, on ne peut pas orienter tout à la fois, on commencera par l'arrière ou l'avant, suivant que le navire aura besoin de lofer ou d'arriver pour être au plus près.
Si, ayant changé les voiles de l'avant, le navire venait au vent malgré que les focs fussent bordés, ce qui peut arriver parce qu'on a changé trop tôt, ou parce que la mer houleuse d'un vent qui a régné, une lame a pris le navire par la joue sous le vent, il faut remasquer devant, carguer la brigantine pour faire prononcer l'abattée.
Dans le virement de bord vent devant, nous n'avons pas parlé des voiles d'étai, parce que dans notre opinion ces voiles ne peuvent être que nuisibles sous cette allure, à bord des bâtimens à voiles carrées.
Virer de bord, vent devant, le plus promptement possible.
Dans le virement de bord que nous venons de décrire, nous avons supposé que rien ne gênait l'évolution, et que son but était de changer d'amure en gagnant au vent le plus qu'il est possible.
Mais il peut se faire que le navire, arrêté par un obstacle imprévu, soit obligé de virer immédiatement sans s'en approcher et sans tomber sous le vent.
Il faut alors amortir brusquement l'aire du navire, en mettant en même temps et très-vivement la barre dessous, bordant le gui, filant les écoutes des focs et de la misaine. Si la vitesse était considérable avant la manœuvre, il est probable que le navire prendra vent devant, et alors on terminera l'évolution comme nous l'avons dit plus haut.
Mais s'il ne pouvait prendre, on masquerait partout en larguant les boulines, carguant la brigantine et la grande voile, afin de culer, puis on change d'amures, comme nous le dirons en parlant des viremens de bord vent arrière.
Virer de bord vent arrière.
On cargue la brigantine et la grande voile, on largue les boulines d'arrière, et on en brasse les voiles en ralingue. Aussitôt qu'elles y sont, on met la barre au vent. L'effet des voiles de l'arrière étant détruit, l'arrivée est prompte, et pour qu'elle ne se ralentisse pas, on continue à brasser en ralingue à mesure que le bâtiment arrive.
Lorsque le vent est de la hanche, on lève les lofs de la misaine, et on brasse son phare de manière qu'il soit carré lorsque le vent est de l'arrière.
Les vergues du grand mât et du mât d'artimon ont été aussi brassées de la même manière. Mais comme il faut faire venir le navire sur l'autre bord avec promptitude, ce à quoi il est déjà porté par sa barre, qui ayant été mise au vent se trouve sous le vent et du bord opposé à celui où on veut prendre les amures, on file les écoutes des focs, on continue à brasser derrière. Dès que le vent est de la hanche, on borde la brigantine à mesure que le navire range au vent, on amure la grande voile. Lorsque le vent est du travers, on doit être orienté derrière, alors on oriente devant en bordant les focs et dressant la barre pour modérer l'aulofée qui doit être vive si la brise est fraîche.
Observations.
Le virement de bord vent arrière ne s'exécute à bord d'un navire naviguant isolément, que lorsque l'état du vent et de la mer ne lui permet pas de virer vent devant; c'est donc le plus souvent avec un vent violent et une grosse mer que cette manœuvre a lieu. Il faut y apporter le plus grand soin pour ne pas faire d'avaries.
Si la grande voile est remplacée par le foc d'artimon, on le hale bas en carguant l'artimon, et on passe immédiatement son écoute de l'autre bord pour l'empêcher de battre lorsqu'on le hissera.
A mesure qu'on brasse, on doit abraquer les drosses et les palans de roulis, de manière qu'ils soient raides lorsque le navire est vent arrière, car c'est alors le moment des plus violens roulis. Par la même raison, on ne largue pas les galhaubans du vent; ceux sous le vent sont raidis aussitôt que le mouvement des vergues le permet, en sorte qu'ils le sont des deux bords lorsque le vent souffle de l'arrière.
Il faut haler bas le petit foc et non filer son écoute, car il serait probablement emporté si on le laissait battre pendant que le navire vient au vent; il faut même le border avant de le hisser, pour l'établir à l'autre bord.
Lorsque le vent est violent, le navire a acquis une grande vitesse au moment où il est vent arrière, et il serait imprudent de ranger immédiatement au vent. On doit dresser la barre et choisir le moment favorable en donnant le temps nécessaire pour établir les voiles convenablement.
Virer de bord vent arrière en masquant.
Cette manœuvre doit être exécutée avec la plus grande promptitude, puisqu'elle ne se fait que dans des circonstances imprévues, lorsqu'il faut instantanément s'éloigner d'un objet.
Il faut, en même temps, s'il est possible, mettre la barre dessous, carguer la brigantine et la grande voile, filer les écoutes des focs et de la misaine, larguer toutes les boulines et contre-brasser devant en levant les lofs de misaine et orientant son phare à l'autre bord.
Le navire dont l'aire a été promptement amorti, puisque l'effet de toutes ses voiles a été détruit et que l'aire acquis a été brisé en venant au vent, cule avec rapidité en abattant; son phare de l'avant étant contre-brassé, et ceux de l'arrière en ralingue, on continue à les tenir ainsi pendant l'arrivée; et s'il est nécessaire de rendre l'aculée plus vive, on les masque, mais en ne les brassant que carrément pour qu'ils ne s'opposent pas à l'abattée. Lorsqu'elle sera de 90°, c'est-à-dire lorsque le vent sera du travers, les voiles de l'arrière se trouveront en ralingue, et malgré cela, si la brise est fraîche, le gouvernail suffira pour faire dépasser ce point au navire qui prendra le vent dans ses voiles de l'arrière, et acquerra de la vitesse, alors on bordera les focs en changeant la barre. Le vent étant de l'arrière, on filera les écoutes des focs et de la misaine, on suivra le vent en brassant convenablement les voiles de l'arrière, puis on bordera la brigantine, on amurera la grande voile, et les vents étant du travers, on bordera les focs et la misaine en dressant la barre et rangeant au plus près.
Si l'abattée étant de 90°, le mouvement d'aculée n'est pas assez fort pour que le gouvernail fasse franchir le point où les voiles de l'arrière sont en ralingue, il faut border les focs et éventer derrière pour donner de l'aire au navire en dressant la barre, puis en la mettant au vent dès qu'il en a acquis pour terminer l'évolution.
CHAPITRE V.
De la Panne.
Un navire est en panne, lorsque ses voiles sont disposées de telle sorte que se contrariant mutuellement dans leurs effets, leur résultat est nul. Alors le navire est presque immobile, et n'obéit plus qu'au mouvement de la lame et du courant.
On réduit ordinairement la voilure aux huniers, à la brigantine et au grand foc, lorsqu'on veut mettre en panne, quoique dans quelques circonstances on puisse, comme nous le dirons, garder toutes les voiles du plus près.
Mettre en panne, vent dessus, vent dedans.
On réduit la voilure aux huniers, grand foc et brigantine, on serre le vent au plus près, puis on masque le grand hunier en mettant la barre dessous en douceur, et filant l'écoute du foc, quand l'aulofée commence à se ralentir.
On peut aussi, au lieu de masquer le grand hunier, masquer le petit hunier et le perroquet de fougue, ou seulement le petit hunier.
Observations.
L'habitude du bâtiment doit indiquer quelle est la panne sous laquelle il se comporte le mieux, c'est-à-dire celle où il fait les moins grandes abattées, et où il dérive par conséquent le moins. Car, quoique la théorie soit la même pour tous les navires, il n'en est nullement ainsi pour la pratique, quoiqu'on en puisse dire.
Tel navire fait de grandes embardées, ayant son grand hunier masqué, et ne revient au vent que lorsqu'il ralingue, tandis qu'un autre, parfaitement semblable, ne fait dans cette position que des embardées de deux quarts.
Le petit hunier masqué oblige tel navire à faire des arrivées, à prendre le vent par la hanche, tandis que tel autre, non-seulement ne fait que de faibles abattées, mais même peut ne pas mettre toute sa barre dessous, ainsi que nous l'avons vu nous-même.
Quoique la connaissance parfaite du navire indique suffisamment la panne qui lui est la plus favorable, il est des données générales que nous devons faire connaître.
Si on met en panne au vent d'un objet qu'on ne veut pas approcher, il faut disposer sa voilure de manière à pouvoir prendre de l'aire et lofer le plus promptement possible. Pour cela, il faut masquer le petit hunier, et laisser éventer le grand hunier et le perroquet de fougue.
Il est évident que si dans cette position il est nécessaire de prendre de l'aire pour lofer et doubler l'objet sous le vent, les voiles de l'arrière étant orientées, il n'y aura qu'à dresser la barre en brassant devant, et aussitôt que le petit hunier sera démasqué on pourra lofer avec la barre et border le foc. Tandis que si le grand hunier avait été masqué, le navire aurait été plus lent à ranger au vent, n'ayant pas son phare du grand mât orienté aussi promptement, et aurait décrit sous le vent un arc plus grand, qui l'aurait rapproché de l'objet qu'on doit éviter.
Si, au contraire, on met en panne sous le vent d'un navire, et qu'on veuille être prêt à arriver s'il venait à vous approcher, on doit masquer le grand hunier et le perroquet de fougue, en ne les brassant que carrément.
Dans cette position, l'arrivée sera bien prompte, puisqu'il suffira de carguer la brigantine et de border le foc en dressant la barre. Le grand hunier et le perroquet de fougue n'étant brassés que carrément, seront mis en ralingue par le seul mouvement imprimé au navire en carguant la brigantine et bordant le foc; d'ailleurs on les brassera, mais on est sûr que l'arrivée sera déjà prononcée.
Lorsqu'on mettra en panne, il est inutile d'arrêter tout à fait le navire. On peut se contenter de brasser carrément un des deux huniers; comme alors il conserve un peu d'aire, un tour de barre dessous suffit pour le maintenir au vent, et on peut manœuvrer dans toutes les circonstances avec plus de célérité.
Mettre en panne sous toutes les voiles du plus près.
Si on n'a pas long-temps à rester en panne, si la brise est maniable et la mer belle, on peut se dispenser de réduire la voilure aux huniers.
On cargue la brigantine, on file en bande l'écoute de grande voile, on largue la bouline du perroquet de fougue, et on met la barre dessous en douceur; on amarre les bras sous le vent.
Une partie de l'effet des voiles de l'arrière étant détruite, la vitesse diminue, et d'autant mieux que la barre étant mise sous le vent peu à peu, le navire perd son aire en rangeant au vent, et ne peut masquer puisqu'il a ses focs et le phare de l'avant orientés, qui par conséquent s'opposent à ce mouvement. Toutes les voiles se trouveront en ralingue, et l'aire étant perdu, le navire arrivera, jusqu'au moment où le vent reprenant dans les voiles, lui donnera de la vitesse, qui, par la disposition du gouvernail, le fera de nouveau ranger au vent.
On se sert du perroquet de fougue pour accélérer ou modérer les abattées, en abraquant sa bouline, ou en le masquant.
On amarre les bras sous le vent en commençant l'évolution, afin que les voiles étant en ralingue, leurs vergues ne se portent pas au vent, ce qui arriverait si elles n'étaient tenues que par leurs boulines, et pourrait faire masquer.
Si malgré toutes ces précautions le navire masquait, il faudrait aussitôt contre-brasser le phare de l'avant pour le faire arriver; mais on n'aura jamais cette crainte à avoir si la barre n'est mise dessous qu'en douceur, car alors l'aire sera cassé avant qu'on puisse masquer.
Cette manœuvre, ainsi que nous le verrons plus bas, est souvent employée pour sonder de beau temps par un petit fond.
Faire servir, lorsqu'on est en panne, le vent sur le petit hunier.
Le petit hunier étant masqué pour mettre en route, on cargue la brigantine, on borde le petit foc et on dresse la barre. Si l'abattée se prononce, ainsi que cela arrive souvent, on attend que les vents soient à peu près de travers, et alors on change le petit hunier qu'on oriente; lorsqu'il l'est et que la vitesse augmente on borde la brigantine.
Si l'abattée ne se prononce pas, après avoir cargué la brigantine, bordé le foc et dressé la barre, on ralingue le perroquet de fougue et même le grand hunier si cela est nécessaire; puis on les oriente en démasquant le petit hunier, comme nous venons de le dire.
Si on devait courir largue, on ralinguerait le grand hunier et le perroquet de fougue en dressant la barre, parce que non-seulement ils accéléreraient l'arrivée, mais encore parce qu'ils se trouveraient plus promptement disposés pour la route qu'on doit suivre.
Faire servir, lorsqu'on est en panne, le vent sur le grand hunier.
Pour mettre en route, le grand hunier étant masqué, on cargue la brigantine, on borde le foc, on dresse la barre et on ralingue le grand hunier. Lorsque le navire prend de l'aire, on l'oriente en bordant la brigantine, si on doit serrer le vent.
Dans le cas contraire, on continue à tenir le grand hunier en ralingue, jusqu'à ce que le navire soit arrivé au rhumb où l'on veut gouverner, puis on l'établit suivant cette allure.
Si on choisit le moment d'une abattée pour border le foc et dresser la barre, il est inutile de carguer la brigantine, si on doit continuer à tenir le plus près, parce que dans ce moment le navire a de l'aire, qu'on augmente promptement en démasquant et orientant le grand hunier.
Faire servir, lorsqu'on est en panne, sous toutes les voiles du plus près.
Il faut profiter d'un mouvement d'abattée pour dresser la barre. Dans cette position, le navire doit prendre de l'aire, et aussitôt qu'il en a, on met un peu de barre au vent pour l'augmenter, sans lui faire faire une grande arrivée; puis on rétablit successivement la voilure en bordant la grande voile, la brigantine en halant la bouline du perroquet de fougue.
Si le mouvement d'arrivée ne se prononce pas, on ralingue le perroquet de fougue, et s'il ne suffit pas, on masque devant.
Observations.
Nous avons entendu parler d'une manière de mettre en panne le vent sur toutes les voiles, qui consiste à haler bas les focs, contre-brassant partout à la fois en orientant à l'autre bord, bordant la brigantine et mettant la barre au vent.
Non-seulement nous n'avons jamais vu employer cette manœuvre, mais en y réfléchissant, il nous a été impossible de nous rendre raison de son utilité, de trouver des cas dans lesquels on peut l'employer avec succès, et d'imaginer comment une évolution, qui nécessitait un changement total de disposition dans toute la voilure, et qui en nécessitait un second aussi ou presque aussi total pour revenir en route, a pu être employée.
CHAPITRE VI.
Sonder.
Pour sonder, il faut arrêter le navire afin qu'il puisse connaître la profondeur du fond; il ne s'agit que de mettre en panne, suivant l'état du vent et de la mer.
Sonder de beau temps.
Si on court au plus près, on cargue la brigantine, on file l'écoute de la grande voile en bande, on largue la bouline de perroquet de fougue, et on met sa barre dessous en douceur. Le plomb ayant été porté au vent de l'avant et la ligne élongée, on le mouille aussitôt que le navire a perdu son aire, puis on le retire après avoir eu le fond, et on met en route.
Cette manœuvre n'étant que la panne sous toutes les voiles du plus près, nous n'en parlerons pas plus longuement.
Si on court largue, on rentre les bonnettes, on abraque les écoutes des focs et de la misaine, on cargue la brigantine et on met la barre dessous, en amarrant les bras sous le vent.
Le navire rangera avec assez de rapidité au vent, mais ses voiles étant orientées pour le largue ne tarderont pas à ralinguer; et comme la brigantine est carguée et les focs établis, il n'est pas possible qu'il prenne vent devant. Si cependant on pouvait concevoir quelque crainte, il faudrait mettre la barre dessous, peu à peu, de manière à rompre l'aire.
Si on est grand largue ou vent arrière, on rentre les bonnettes, on borde plat les focs, on met la barre dessous ou du bord opposé à celui où on veut venir. Si le fond était considérable, il serait mieux d'ouvrir le phare de l'avant, afin que l'aculée ne fût pas aussi forte.
Sonder de mauvais temps.
Si on est au plus près, on se débarrasse de la misaine et de la grande voile, si elle est établie; mais si elle est remplacée par le foc d'artimon, on n'y touche pas. Puis on met en panne, comme nous l'avons dit plus haut, en halant bas le foc, car si on filait son écoute, il se déchirerait, et on mouille le plomb aussitôt que le navire a perdu son aire. Lorsqu'il a été retiré, on met en route comme nous l'avons dit en parlant de la panne.
Mais si on court largue ou vent arrière, les huniers ayant moins de ris que si on était au plus près, il faudrait les prendre avant de mettre en panne, pour ne pas compromettre la mâture.
Si le vent est trop violent pour porter les huniers, on les serre et on vient au vent sous le petit foc, le foc d'artimon et l'artimon.
Observations.
On a imaginé plusieurs instrumens pour avoir le fond lorsque le navire conserve son sillage.
Le meilleur, sans contredit, est la bouée à stopeur, connue de tous les marins, mais que beaucoup ont abandonnée, parce que la ligne, fortement souquée entre le montant de la bouée et le stopeur en fer, était fréquemment coupée.
Lorsqu'on navigue par de petits fonds qu'il est important de connaître pour diriger la route du navire, on place un sondeur dans chacun des porte-haubans du grand mât, qui lancent à la main le plomb sur l'avant, et annoncent successivement le fond. Mais on conçoit qu'ils ne peuvent le faire avec exactitude que si le plomb a pu toucher le fond dans le temps qui s'écoule entre le moment où le plomb tombe à l'eau et celui où le grand porte-hauban arrive par le travers, ou à peu près de ce point. La vitesse du sillage doit donc être réglée en conséquence.
CHAPITRE VII.
DE LA CAPE.
Des différentes espèces de Cape.
Un navire est à la cape, lorsque la violence du vent et sa direction l'empêchant de faire route, il présente une petite quantité de voiles, en gardant sa barre dessous, pour perdre le moins possible.
Nous disons la direction du vent, parce que, quel que soit sa violence, si le navire fait route, fût-il à sec de voiles, il n'est pas à la cape, il fuit devant le temps.
La voilure à conserver pendant la cape dépend autant des qualités du navire que des circonstances dans lesquelles on se trouve, et le manœuvrier doit observer son navire avec soin, pour connaître quelle est celle qui lui convient le mieux.
Les capes les plus usitées sont:
- Le grand hunier au bas ris, la misaine, le petit foc et l'artimon;
- Le grand hunier au bas ris, le petit foc et l'artimon;
- La misaine, le petit foc, le foc d'artimon et l'artimon;
- Le petit foc, la pouillouse, le foc d'artimon et l'artimon;
- Le petit foc, le foc d'artimon et l'artimon;
- Enfin, la cape à sec.
La première, celle du grand hunier et de la misaine, est une cape de beau temps. Le navire a de la vitesse, il sent par conséquent sa barre, on ne la met pas entièrement dessous, il suffit, dans les arrivées un peu grandes, de l'y mettre en partie. On peut ainsi défier la lame, puisque le navire gouverne, et les coups de mer sont moins dangereux.
Avant d'aller plus loin, nous ferons observer que, quoique nous ayons dit en commençant ce chapitre, que la cape était l'état du navire présentant une petite quantité de voiles à la violence du vent en gardant sa barre dessous, notre opinion n'est pas qu'on doive toujours en agir ainsi, bien au contraire; le navire doit être tenu autant que possible gouvernant, et nous ne voyons que la cape à sec où la barre puisse être amarrée sous le vent.
Dans toutes les autres circonstances, il faut gouverner, afin de pouvoir dresser la barre à l'encontre d'une lame qui vient briser avec violence. Si on gouverne, le navire est moins bridé, ses mouvemens sont moins violens, le gouvernail ne fatigue pas autant et risque moins de s'avarier, soit dans ses ferrures, dans sa barre ou dans sa drosse.
La cape sous le grand hunier et la misaine, est celle qu'on prend lorsque le vent a augmenté graduellement. On doit la garder autant que possible, puisqu'elle tient le navire gouvernant, et qu'elle permet par conséquent de le faire obéir aux mouvemens qu'on peut avoir besoin de lui imprimer. Mais si le temps est à violentes rafales, et surtout s'il y a de fréquentes sautes de vent, il faut y renoncer, parce qu'en masquant on compromettrait la mâture.
Si, étant sous cette voilure, le vent augmente encore, on serre le grand hunier, si le navire est ardent, c'est-à-dire si ses mouvemens d'arrivée sont lents et difficiles; et on serre la misaine s'il est mou, c'est-à-dire s'il présente difficilement au vent. En serrant le grand hunier, on le remplace par le foc d'artimon de cape.
Sous la misaine, le navire sera mieux disposé pour arriver, ce qui peut être d'une grande utilité; mais ses abattées sont plus grandes, il acquiert plus de vitesse dans ce moment, et revenant au vent par l'effet du gouvernail, choque la lame avec plus de force et peut recevoir des coups de mer dangereux, quelque soin qu'on mette à les défier en mollissant la barre. D'ailleurs cette voile, placée sur l'avant du navire, le fait plonger et augmente le tangage.
Avec le grand hunier, les abattées sont moins grandes, le navire a donc moins de vitesse, il choque la lame avec moins de force, et rend les coups de mer moins dangereux. Il ne charge pas l'avant, diminue les tangages et modère les roulis en appuyant mieux le navire que la misaine. Mais l'arrivée est plus difficile, et sa vergue, bien moins appuyée que la misaine, peut occasionner des avaries plus fréquentes.
Entre les tropiques, dans la saison des ouragans, des tornados et des typhons, où les sautes de vent sont violentes et instantanées, il faut prendre la cape sous les voiles latines, parce que les sautes de vent sont alors sans danger, ne compromettant ni la mâture ni le navire, et qu'il n'en peut résulter que la perte de voiles de peu d'importance.
Sous cette voilure, le navire est mal appuyé, surtout si la mer est grosse, parce que ces voiles sont souvent déventées dans les mouvemens de roulis. Il reste alors sans vitesse, ne sent plus son gouvernail, et peut recevoir des coups de mer dangereux. Les arrivées sont promptes, puisque la plus grande partie du système de voilure est de l'avant du centre de gravité, et qu'il est toujours facile de se débarrasser du foc d'artimon de cape et de l'artimon.
Au sujet de cette dernière voile, nous ferons observer que, dans de pareilles circonstances, il faut éviter de se servir de l'artimon envergué sur la corne, très-difficile à carguer, et dont la toile se collant sous le vent sur les haubans d'artimon, peut rendre l'arrivée impossible, que la corne fatigue le mât et qu'elle amène difficilement. On doit le remplacer par un artimon triangulaire ou à petite corne de deux ou trois pieds, qui n'est retenu que par une seule drisse simple, dont la voile n'est pas lacée au mât, et qui par conséquent s'amène et se hisse avec la plus grande facilité.
Cette cape, sous les voiles latines, se compose du petit foc ou du tourmentin, de la pouillouse, du foc d'artimon de cape et de l'artimon. Mais la pouillouse, si elle offre une partie des avantages de la misaine en rendant les arrivées plus promptes, a aussi une partie de ses inconvéniens. Elle occasionne de fortes abattées, charge l'avant qu'elle fait plonger, et fait embarquer beaucoup d'eau. Aussi est-elle souvent supprimée, et on reste alors sous le petit foc, le foc d'artimon et l'artimon.
Les navires se comportent en général bien sous cette voilure, et nous en avons vu un qui, dans cette position, perdit son foc, continua à capeyer sous son foc d'artimon de cape, et se comporta encore mieux qu'il ne le faisait son petit foc dehors. C'était cependant un bâtiment à fonds très-fins, et qui était ordinairement ardent.
La cape à sec ne se prend que rarement, et le plus souvent que lorsqu'on a perdu les voiles latines qu'on avait appareillées. Il faut toujours avoir un foc prêt à être hissé si on a besoin d'arriver.
Observations.
Avant de mettre à la cape, il est une foule de précautions à prendre, qui importent à la sûreté du navire; nous indiquerons les principales.
Si les bâtimens portent de l'artillerie, on doit s'assurer que toutes les pièces sont bien amarrées, que les sabords des batteries sont hermétiquement fermés.
Il faut visiter les amarrages des coffres, cuisines, etc.; assurer les drômes en les liant entr'elles par de forts palans; doubler les saisines de la chaloupe et la consolider par des palans qu'on frappe sur son avant et son arrière, en les crochant sur les serre-gouttière; renforcer les bosses de bout et serre-bosses des ancres, tant de celles des bossoirs que de celles qui sont dans les porte-haubans; soulager les canots de porte-manteaux.
Saisir le gui sur son support; si la corne est amenée, la brider sur le gui en bien paquetant la voile, pour qu'elle ne puisse se déferler.
Débarrasser les haubans de tout ce qu'on y place dans les temps ordinaires, tels que vergues de perroquets, de catacois, bonnettes; les élonger sur les drômes et les y saisir; soulager les hunes des poids inutiles, comme bonnettes de perroquets, gréement des bonnettes, etc.
Les faux bras, les fausses amures et écoutes de misaine, l'étai de tangage, ont dû être mis en place dans les premiers momens du mauvais temps.
On condamne les panneaux, qu'on recouvre d'un prélart cloué sur l'hiloire, et on n'en laisse qu'un de libre, ouvert sous le vent, pour communiquer dans l'intérieur du navire.
On dégage la barre de rechange, et on met en place les palans qui doivent remplacer la drosse si elle cassait. Mais cette précaution doit toujours être prise en appareillant.
Lorsque le coup de vent mollit, il faut faire de la voile pour appuyer le navire, car la mer ne tombe pas en même temps, surtout lorsque la tempête est arrivée subitement, parce qu'alors elle comprime la mer par sa violence, et la lame n'acquiert tout son développement que lorsque le vent diminue de force.
C'est en général dans ces circonstances qu'on fait les plus grandes avaries dans la mâture, si on n'a pas le soin de faire toute la voile convenable.
Arriver, ou virer, lorsqu'on est à la Cape.
Si on est sous la misaine, on profite d'une abattée pour dresser promptement la barre, on hâle-bas le foc d'artimon et l'artimon, et on met la barre vivement au vent.
Le navire doit nécessairement arriver, car en profitant d'une abattée, il avait déjà une vitesse acquise; en dressant la barre dans ce moment, on l'a augmentée; en détruisant l'effet des voiles derrière et mettant la barre au vent, on a concouru aussi à l'augmenter, et par suite l'arrivée a dû se prononcer.
Si on veut virer, lorsque le vent est de l'arrière du travers, on choque à retour l'écoute de misaine, et on largue sa bouline; on brasse au vent de manière qu'étant vent arrière elle soit carrément; mais en levant ses lofs, il faut avoir bien soin de ne filer l'amure qu'à retour, de manière que la voile soit tenue sur l'arrière par ses écoutes, sans cela elle se collerait sur les étais, et il serait impossible de s'en rendre maître. On la perdrait probablement.
Lorsqu'on est vent arrière, on hâle-bas le petit foc et on le borde sur l'autre bord. Si on filait son écoute, il serait emporté en venant au vent. On dispose aussi le foc d'artimon qu'on borde.
Si on craint de ranger trop vite au vent, ce qui pourrait arriver puisque le navire a une grande vitesse, on dresse la barre et on gouverne largue pour établir la misaine et choisir le moment favorable pour ranger au vent. Dès qu'on l'a trouvé, on hisse le foc d'artimon et l'artimon, et on met la barre dessous.
Si on est sous le grand hunier, il faut profiter d'un mouvement d'abattée, dresser la barre, carguer l'artimon, larguer la bouline du grand hunier, appuyer les bras du vent, et mettre la barre au vent.
L'abattée déjà commencée se continuera, puisqu'on dresse la barre et qu'en même temps on détruit l'effet de l'artimon et celui du grand hunier, en larguant sa bouline et le brassant au vent. On continue de le brasser à mesure que le navire arrive. Lorsqu'il est vent arrière, on hâle-bas le petit foc, on borde son écoute à l'autre bord, et on ouvre le grand hunier. On modère l'aulofée en dressant la barre, si on ne juge pas le moment favorable pour venir au vent; dans le cas contraire, lorsqu'il est de la hanche, on établit l'artimon en orientant le grand hunier, puis on hisse le petit foc.
Il faut avoir le plus grand soin, en manœuvrant le grand hunier, de ne filer les bras qu'à retour, d'abraquer à mesure les balancines, les drosses et les palans de roulis, et d'avoir les galhaubans volans raides des deux bords, lorsqu'on est vent arrière.
Sous les voiles latines, la voilure étant mieux distribuée, l'arrivée sera prompte en dressant la barre, se débarrassant du foc d'artimon, de l'artimon, puis mettant la barre au vent. Lorsqu'on est à peu près vent arrière, on hâle-bas la pouillouse et le petit foc, qu'on dispose pour être hissés sur l'autre bord. Le bâtiment est alors sans voiles, mais la violence du vent lui communique assez de vitesse pour se présenter à l'autre bord au moyen de sa barre, alors on établit l'artimon et le foc d'artimon, et quand l'aulofée devient rapide, le petit foc et la pouillouse.
A sec de voiles, si le navire n'arrive pas avec sa barre, on hisse un petit foc et on manœuvre les vergues comme si elles avaient leurs voiles. Si l'arrivée ne se prononce pas, il faut faire déferler, s'il est possible, une voile ou un prélart dans les haubans de misaine, y faire monter les hommes qui se trouvent sur le pont, afin d'offrir une surface sur laquelle le vent puisse agir. S'il n'arrive pas, il faut quelquefois sacrifier le mât d'artimon ou le grand mât de hune, pour soulager l'arrière, diminuer la quantité de vent qui le frappe et qui s'oppose par conséquent à l'arrivée.
Mais cette question si terrible et qui peut entraîner la perte du navire, n'a lieu que lorsqu'il est chargé subitement par une augmentation instantanée dans la violence du vent, qui le couche, le prive de vitesse et annule l'effet du gouvernail. Elle peut arriver lorsqu'il capeye sous une des voilures dont nous avons parlé, et peut avoir des résultats moins funestes, puisqu'en sacrifiant les voiles qui sont appareillées on peut faire redresser le navire et le faire arriver.
Si le grand hunier est dehors, on file ses écoutes en bande, et comme il ne tardera pas à être emporté, le navire peut se relever, sentir alors l'effet du gouvernail, et arriver d'autant mieux que l'artimon a dû être hâlé-bas, ou éventré si on ne peut le hâler-bas.
Si on est sous la misaine, on choque son écoute en se débarrassant du foc d'artimon et de l'artimon. En choquant l'écoute de misaine, on décharge le navire qui se redresse et sent alors l'effet du gouvernail. Mais si tous ces moyens étaient insuffisans, il faudrait couper le mât d'artimon.
Il faut toujours avoir des haches sur le pont lorsqu'on est à la cape.
CHAPITRE VIII.
Mouillages.
La manière dont on vient au mouillage dépend non-seulement du temps et des localités, mais encore de l'emploi des câbles ou des câbles-chaînes. Pour s'amarrer avec les câbles, il faut mouiller en culant pour ne pas surjoualer l'ancre; avec les câbles-chaînes il faut au contraire mouiller avec de l'aire, sans cela la chaîne filant avec rapidité pourrait tomber sur l'ancre et la casser, ce que nous avons vu arriver plusieurs fois. Si on mouillait en culant, il faudrait culer avec une grande rapidité.
Mouiller de beau temps.
Si l'on est au plus près, après avoir choisi le point où l'on veut mouiller, on met le navire sous une voilure maniable, ordinairement les huniers, les perroquets, le grand foc et la brigantine. On fait route un peu sous le vent de ce point, lorsqu'on en est à une ou deux encâblures, suivant les qualités qu'on connaît à son navire, on hâle-bas le foc, on cargue les huniers et les perroquets, on court ainsi un instant, puis on met la barre dessous pour venir amortir l'aire au point où on veut laisser tomber l'ancre, et on mouille aussitôt que le navire cule. La bitture file, le navire fait tête, et on cargue la brigantine.
Si on se sert de câbles-chaînes, on passe avec de l'aire sur le point où l'ancre doit tomber, on la mouille et on ne revient au vent que lorsque la chaîne en filant sur la bitte casse l'aire et force le navire à faire tête. Le mouvement est assez vif pour qu'il soit inutile de l'augmenter en conservant la brigantine. On peut la carguer en même temps que les autres voiles.
Si on vient largue, après s'être mis sous une voilure maniable, on se dirige sous le vent du point où on veut mouiller, mais de manière à laisser assez d'espace au navire pour ranger au vent sur son aire. Parvenu à une distance convenable, on hâle-bas les focs, on cargue les voiles moins la brigantine, qu'on met dehors si on ne l'a pas, et on met la barre dessous. Le navire range au vent, et vient s'amortir sur le point désigné, où on laisse tomber l'ancre aussitôt qu'il cule. Si on a rangé au vent trop tôt, on coupe l'aire en brassant sur le mât les voiles carguées.
On voit qu'il est impossible de fixer le moment où on doit carguer et lancer au vent, puisqu'il dépend de la force du vent, de la vitesse ou de la dimension des navires qui conservent leur aire d'autant plus que leur masse est plus considérable.
Pour mouiller avec les câbles-chaînes, comme il est inutile de culer, il ne s'agit plus que de venir sur le point où on veut mouiller avec une vitesse convenable, et à moins d'une faible brise, il faut carguer les voiles avant de laisser tomber l'ancre, ou on pourrait fatiguer la chaîne et les bittes outre mesure.
Si après avoir mouillé on devait éviter au courant et non au vent, il faudrait mouiller de manière à ne pas passer sur son ancre en évitant au courant, dont on connaît la direction, ou garder assez de voiles, après avoir mouillé, pour faire passer le navire sous le vent de son ancre en les masquant.
Mouiller de mauvais temps.
La manœuvre à faire pour mouiller de mauvais temps ne diffère en rien de celle qu'on exécute pour mouiller d'un temps maniable; il est seulement quelques précautions que nécessitent l'état du vent et de la mer.
Avec des chaînes, la manœuvre est absolument semblable, puisque tout consiste à venir sur le lieu où on veut laisser tomber l'ancre avec une vitesse convenable, et à se débarrasser promptement des voiles pour ne pas fatiguer les chaînes. On doit serrer immédiatement après avoir cargué.
Si on mouille vent arrière, il faut, en laissant tomber l'ancre, mettre un peu de barre du côté opposé à l'ancre, pour détacher la chaîne de la joue du navire, qui sans cela raguerait le cuivre du doublage.
En mouillant avec des câbles, l'aulofée sera bientôt limitée, surtout si la mer est forte, et le navire, au lieu de ranger au vent et de culer, dérivera par le travers et tombera sous le vent; c'est alors qu'il faudra mouiller, en serrant s'il est possible les voiles, afin que le navire ne traîne pas son ancre après lui.
Si on vient grand largue ou vent arrière d'un temps forcé, on cargue et on serre les voiles avant d'arriver au point où l'on veut mouiller. Quand on est à petite distance, on met la barre dessous, ou du bord opposé à celui du lieu où on veut mouiller si on est vent arrière, et on borde l'artimon. Le navire prendra le vent par le travers, perdra sa vitesse et dérivera, alors on mouillera, en ayant eu le soin de placer des bosses cassantes sur le câble, pour modérer l'aculée du navire et diminuer la secousse qu'il imprimera à son câble en faisant tête.
Mouiller avec embossure.
On mouille en faisant embossure, lorsqu'on veut présenter le travers à un point déterminé, ce qu'on ne pourrait faire en évitant au vent régnant ou au courant.
Avant d'aller au mouillage, on étalingue à l'organeau de l'ancre qu'on doit mouiller, un grelin qu'on dispose de manière à pouvoir filer en mouillant l'ancre.
Après avoir manœuvré comme nous l'avons dit et filé la quantité de câble ou de chaîne nécessaire, on passe le grelin par-dehors dans une poulie de retour placée dans le sabord de l'arrière ou dans le chaumar d'embossage du bord qu'on veut présenter au vent ou au courant, et on le vire au cabestan, où on le tourne lorsque le travers est bien effacé au point désigné.
Il est inutile de dire que lors même que le vent ou le courant permettrait de présenter le travers au point désigné, il n'en faudrait pas moins venir au mouillage avec une embossure pour s'en servir en cas de changement de vent.
Observations.
L'adoption à peu près générale des câbles-chaînes a singulièrement simplifié la manœuvre à faire pour mouiller avec précision dans un espace resserré par des dangers ou des navires. L'habitude et la connaissance parfaite des qualités du navire, l'appréciation exacte de l'influence que telle ou telle circonstance avait sur la vitesse et la rapidité de ses mouvemens, pouvaient seules donner au manœuvrier la certitude de venir porter son ancre à un point désigné. On en jugera facilement si on réfléchit à la difficulté qu'on éprouve souvent à prendre des corps morts sur une rade, sans être obligé de laisser tomber une ancre.
Les câbles-chaînes qu'on peut mouiller sans se déranger de sa route et qui n'exigent ainsi pour la manœuvre qu'un bien moins grand espace, évitent, dans les rades resserrées et encombrées de navires, des avaries autrefois très-fréquentes.
On doit toujours venir au mouillage avec les deux ancres des bossoirs disposées, c'est-à-dire qu'elles sont garnies de leurs bouées et de leurs orins; que les bittures des câbles sont prises et élongées, ou que les puits sont ouverts et que les chaînes ont été tournées aux bittes, après avoir laissé de l'avant un mou de trois à quatre brasses.
Si on mouille de gros temps, l'ancre de veille des porte-haubans de misaine doit être étalinguée.
En approchant de terre, aussitôt que la profondeur de l'eau rend le mouillage possible, on débouche les écubiers.
Dès que la sonde à la main peut donner le fond, on place des sondeurs dans les grands porte-haubans, qui donnent alternativement la profondeur et la nature.
CHAPITRE IX.
Affourcher à la voile.
Cette manœuvre ne peut s'exécuter que lorsque le vent permet de courir avec au moins un quart de largue sur la ligne où on doit laisser tomber les ancres. Elle exige de grandes précautions, car si le câble ou la chaîne était retenu en filant, le navire rappellerait et manquerait sa manœuvre.
Supposons qu'on veuille affourcher S. E. et N. O., et qu'on vienne du sud, la première ancre qu'on laissera tomber sera celle du S. E. On se met sous une voilure convenable, mais il vaut mieux avoir trop que trop peu de voiles, car si on n'a pas assez de vitesse, le câble et surtout la chaîne seront mal élongés; leur poids fera dériver le navire, il tombera sous le vent, et la deuxième ancre ne sera pas dans le relèvement voulu.
Venant donc avec une vitesse suffisante, on gouverne au vent de N. O., on laisse tomber l'ancre du vent qui sera celle du S. E., puis on arrive promptement un peu sous le vent du N. O.; on court ainsi jusqu'à ce que la touée de S. E. soit presque filée, et on lance au vent en carguant vivement les voiles et mouillant la deuxième ancre.
On vire sur l'amarre du S. E. en filant celle du N. O., jusqu'à ce qu'il y ait dehors une égale quantité de chacune d'elles.
Observations.
Après avoir mouillé l'ancre du S. E., on gouverne un peu sous le vent du N. O., parce que si on gouvernait au N. O., en lançant au vent pour mouiller la deuxième ancre, on dépasserait la ligne du relèvement.
Le câble de la touée de la première ancre doit être entièrement élongé sur le pont par plis dans toute la longueur, afin de pouvoir filer avec la plus grande facilité.
Si on affourche avec des chaînes, on ouvre leurs puits et on met sur l'avant de la bitte de la première ancre, une quantité de chaînes plus considérable que dans les mouillages ordinaires, afin que le choc occasionné par la chute de l'ancre imprime une assez grande force pour faire filer avec rapidité la chaîne sur sa bitte.
Si la brise était faible, on pourrait décapeler le tour de bitte et laisser filer la chaîne sur son rouleau, ayant bien soin de l'étrangler à temps pour qu'elle ne file pas jusqu'à l'étalingure de la cale, afin d'éviter de se servir de la tournevire pour se haler dessus.
Si on avait le vent de l'arrière pour affourcher, on mouillerait sa première ancre, puis, rappelant au vent, on culerait en mettant les voiles sur le mât, et on irait ainsi laisser tomber la seconde.
On ne peut affourcher à la voile qu'avec une brise maniable et une belle mer; il serait dangereux de le tenter avec un vent frais et une grosse mer, car alors on est moins sûr de la précision des mouvemens du navire, qui sont dans cette manœuvre de la plus grande importance, pour ne pas la manquer.
Il faut aussi se bien rendre compte de l'action des courans, parce que s'ils sont violens, ils auront une grande influence sur le navire dans le moment où il ira porter sa deuxième ancre, puisque, bridé par le câble, il ne sent plus aussi bien l'effet de la voilure et de son gouvernail.
Si les courans sont sur la perpendiculaire de la ligne du relèvement, on les neutralise facilement en gouvernant pour mouiller la deuxième ancre au vent ou sous le vent de la ligne. S'ils suivent la ligne du relèvement, ils accélèrent ou retardent le mouvement, il n'y a donc qu'à diminuer ou augmenter de voiles. Enfin s'ils sont sur une ligne oblique, il faut faire entrer leur appréciation dans la route qu'il faut faire suivre au navire pour parvenir exactement au point désigné.
CHAPITRE X.
Des Abordages.
L'abordage est la manœuvre qui joint d'assez près deux navires ennemis, pour que, liés entr'eux par les grappins jetés par l'abordeur, son équipage puisse passer sur le navire abordé, afin de l'enlever.
Celui des deux navires qui juge que l'abordage peut lui être favorable, doit avoir une marche supérieure à son ennemi; sans cela, celui-ci sera toujours le maître d'éviter l'abordage, à moins que des avaries dans sa mâture ne lui aient donné une infériorité de vitesse.
Quelle que soit la supériorité de marche de l'abordeur, si l'abordé est manœuvré par un capitaine de sang-froid et expérimenté, il lui sera souvent facile non-seulement d'éviter l'abordage, mais encore de mettre son ennemi dans une position dangereuse.
L'abordeur doit veiller non-seulement à sa manœuvre, mais encore prévoir, s'il est possible, celle de son ennemi, ou au moins l'imiter promptement pour paralyser ses tentatives et parer aux inconvéniens et aux dangers qu'il pourrait courir par une manœuvre habile du navire abordé.
Aborder au vent, en courant au plus près.
L'abordeur ayant une supériorité de marche, se place dans la hanche du vent de son ennemi; lorsqu'il juge le moment favorable, il fait une petite arrivée sur la hanche du vent, et le prolonge en revenant vivement à la même route que lui en lui lançant ses grappins.
Mais si aussitôt que les grappins sont jetés, l'abordé contre-brasse devant, brasse carré derrière, cargue la brigantine et met la barre dessous, il culera avec rapidité, fera casser les cartahus des grappins, et se trouvera bientôt de l'arrière de son ennemi, qu'il pourra inquiéter en virant lof pour lof sous sa poupe.
L'abordeur sera obligé d'imiter cette manœuvre, et s'il la fait en temps opportun, il virera en même temps que son ennemi, et ils se trouveront encore abordés quoique ayant changé d'amures.
Mais comme l'abordé a primé de manœuvre, qu'il entraîne avec lui son adversaire, que ses voiles seront plutôt orientées à l'autre bord, il lui sera facile, en forçant de voiles, d'acquérir une vitesse plus grande, de faire casser les cartahus des grappins, et de se détacher.
Aborder sous le vent, en courant au plus près.
L'abordeur se place dans les eaux de son ennemi, et même un peu au vent; à une demi-encâblure environ, il arrive de manière à raser sa bouteille avec la civadière, puis redresse sa route et élonge sous le vent en jetant les grappins.
Mais cette manœuvre dont la réussite est assurée par l'avantage de marche, peut avoir les conséquences les plus terribles pour l'abordeur.
Si l'abordé a bien jugé la manœuvre de son adversaire, il a tout disposé pour évoluer avec célérité, et au moment où il voit son ennemi faire une arrivée pour le prolonger sous le vent, il contre-brasse devant, brasse à culer derrière, cargue la brigantine et met la barre dessous. Amortissant son aire ainsi promptement, et arrivant avec célérité par l'effet de ses voiles de l'avant contre-brassées, il tombe en travers sur le beaupré de son ennemi, l'engage dans ses haubans, et dans cette position l'enfile avec toute son artillerie.
Les rôles peuvent alors changer, et l'abordé devenir abordeur, s'il manœuvre avec habileté et sang-froid. Protégé par son artillerie, il peut lancer son équipage sur le pont de son ennemi, que cette manœuvre a dû étonner, et peut-être décourager. Il profite du moment où le beaupré est engagé pour en hacher toutes les manœuvres, surtout les sous-barbes et les étais, et s'il y a réussi et que son équipage soit numériquement trop faible pour lutter avec avantage, il évente force de voiles pour se dégager et se fait chasser au plus près, en virant fréquemment de bord vent devant, manœuvre que son ennemi ne pourra imiter si ses étais ont été coupés.
Si cette manœuvre est bien exécutée, elle mettra toujours l'abordeur dans une position critique, ou au moins le fera renoncer à son projet; car quelle que soit sa promptitude à imiter les mouvemens de son ennemi, il sera dans cette circonstance trop primé de manœuvre pour pouvoir en paralyser les résultats par une évolution semblable. Le seul parti à prendre, peut-être, serait, s'il en était temps encore, de lancer au vent pour prendre à l'autre bord.
Aborder sur l'avant, en courant au plus près.
L'abordeur passe au vent de son ennemi, à petite distance, et parvenu à une ou deux longueurs de sa joue du vent, il arrête son aire en brassant carré derrière; contre-brasse de vent et cargue la brigantine pour abattre; met la barre dessous aussitôt que l'aire est amorti, et tombe ainsi en travers sur le beaupré de son adversaire, qui ne peut trouver d'autres moyens de l'éviter qu'en imitant sa manœuvre, mais qui étant primé dans le mouvement, pourra difficilement se soustraire à un abordage dangereux.
Cependant, s'il a prévu le mouvement à temps, il peut mettre tout à culer, hâler-bas les focs; mettre la barre dessous, puis la dresser, et la changer lorsque le navire cule. Il est possible que si l'aculée se prononce promptement, l'abordeur dépasse le beaupré et soit alors obligé de manœuvrer pour prolonger sous le vent.
Cet abordage est sans contredit le plus terrible pour l'abordé, celui auquel il se soustrait le plus difficilement, et dont la non-réussite offre le moins de désavantage à l'abordeur.
Aborder en courant largue.
Si on veut aborder en courant largue, la manœuvre ne diffère pas essentiellement de celles que nous avons décrites pour aborder au vent ou sous le vent, courant au plus près.
Pour aborder au vent, l'abordeur se placera dans la hanche du vent, et par sa supériorité de marche prolongera son adversaire d'aussi près qu'il voudra pour lui lancer ses grappins. Mais celui-ci qui court largue, peut en rangeant vivement au vent, ce à quoi il doit être préparé, ou dépasser l'abordeur, ou mieux encore engager son beaupré.
Cette manœuvre oblige l'abordeur à lofer pour prolonger l'ennemi sous le vent, ou à mettre tout à culer pour dégager son beaupré.
Pour aborder sous le vent, l'abordeur se place dans les eaux, range à toucher la hanche sous le vent, et lofant le prolonge en jetant les grappins. L'abordé, par une arrivée prompte, peut parvenir à lui engager son beaupré comme nous l'avons dit en parlant du plus près.
Si on veut aborder en engageant le beaupré de son ennemi, on le prolonge au vent, et parvenu à petite distance de sa joue, on arrive promptement en ralinguant derrière et mettant la barre au vent. Mais ce mouvement doit se faire très-près de l'ennemi, sans quoi on pourrait le dépasser, si on ne le serrait pas pour l'empêcher de lofer et le mettre dans la nécessité d'accepter l'abordage, ou d'imiter le mouvement en arrivant lui-même, et alors, quelle que soit la vivacité de sa manœuvre, on parviendra au moins à l'aborder par le travers.
Il est inutile de parler de la différence qui existera dans la manœuvre, si les deux navires couraient vent arrière. Elle sera facilement saisie.
Aborder à l'ancre.
On peut vouloir aborder un navire à l'ancre, mouillé dans une rade non défendue, car s'il en était autrement, on aurait à essuyer le feu des batteries de côte, qui pourraient occasionner de graves avaries dans la mâture, et qui compromettraient la sortie.
Il ne faudrait dans ce cas tenter l'attaque qu'avec un vent fait, qui permît d'entrer et de sortir de la bordée.
Mais si la rade n'est pas défendue, ne vaut-il pas mieux réduire l'ennemi par le canon, surtout si le navire surpris par l'attaque n'a pas d'embossure pour se traverser, car alors on peut prendre une position telle, que son artillerie lui soit inutile.
Si on veut aborder, on peut le faire soit en élongeant le navire au vent, ou sous le vent, comme nous l'avons déjà dit; ou mieux encore lui passer de l'avant et engager son beaupré dans les haubans du grand mât, manœuvre qui alors n'offre aucune difficulté. L'abordé, s'il est affourché, filera une de ses amarres pour rappeler sur l'autre, au moment où la manœuvre de son ennemi sera marquée, et la fera manquer, s'il peut parvenir à embarder avec célérité. Mais si ce moyen ne lui suffit pas, il ne reste plus qu'à couper ses câbles et se jeter à la côte en tâchant d'y entraîner son ennemi, qui doit toujours être prêt, pour l'éviter, à laisser tomber une ancre.
L'abordeur peut aussi venir mouiller son ancre sur la bouée de son adversaire, et laissant culer, il l'élongera en jetant à bord ses grappins et arrêtant son câble. Mais il faut mouiller avec une bien grande précision pour être sûr de sa manœuvre.
CHAPITRE XI.
De la Chasse.
On ne peut chasser un navire avec avantage que si on a sur lui une supériorité de marche, ce dont on s'assure facilement en se mettant aux mêmes amures, et le relevant au compas. Si l'angle de relèvement augmente, c'est une preuve qu'on marche mieux, et on sera sûr alors de le joindre si on manœuvre avec précision et habileté.
Le bâtiment chassé doit profiter avec le plus grand soin de toutes les chances favorables que lui offrent ses qualités et les changemens de temps et de vent. Etant plus faible, et par conséquent moins long que son adversaire, il peut le fatiguer et lui faire perdre du temps, en virant fréquemment de bord vent devant s'il est au vent, puisque le temps des évolutions est en rapport de la longueur des navires. Il peut prendre l'allure qui lui est la plus favorable, changer souvent de route avec promptitude pour primer de manœuvre sur son adversaire, qui est obligé de l'imiter, et qui ne pouvant toujours prévoir ces changemens, perdra ainsi beaucoup de temps.
Si la mer est forte, il ne doit pas balancer à compromettre sa mâture, en virant vent devant pour forcer son ennemi à courir les mêmes risques, ou à virer vent arrière, ce qui lui fera perdre du temps et du chemin.
S'il a reconnu que sa vitesse augmentait par tels ou tels changemens opérés à bord dans la distribution des poids de l'arrimage, il doit les exécuter, s'alléger s'il le faut pour prolonger la chasse, afin de pouvoir atteindre la nuit, car alors une fausse route peut le sauver.
Chasser au vent.
Le chasseur doit relever le bâtiment qu'il veut chasser, et aussitôt qu'il le trouve sur la perpendiculaire à sa route, il vire et continue l'autre bord jusqu'à ce qu'il ait encore ramené le navire chassé sur la perpendiculaire à sa nouvelle route.
Il continue ainsi et doit infailliblement l'atteindre, puisqu'il a un avantage de marche et qu'il vire pour s'en rapprocher dans la position la plus convenable.
La raison de cette manœuvre est bien facile à saisir. Le chasseur virant, lorsqu'il relève le chassé dans la perpendiculaire à sa route, est alors à la plus petite distance possible de son adversaire; virant alors, il gagne sur cette distance la quantité dont il gagne au vent, jusqu'au moment où il le relève encore dans la perpendiculaire de sa nouvelle route. Là, il a encore atteint la plus petite distance qui le sépare, et gagne de nouveau en virant la quantité dont il va s'élever au vent dans cette nouvelle bordée. Cette différence qui, comme on le voit, est l'excédant de marche, finira par les faire trouver bord à bord si les circonstances ne changent pas.
Si le chasseur dépassait la perpendiculaire à sa route, il s'éloignerait et perdrait du chemin nécessairement. S'il commettait la faute grave de chasser dans les eaux et d'y virer à grande distance, le chassé, en virant immédiatement, se retrouverait alors au vent du chasseur de toute la distance qui les sépare, puisque les routes sont parallèles.
C'est dans cette position que le navire chassé doit user de tous les moyens pour gagner au vent; et quoiqu'il paraisse, à la première vue, plus prudent pour lui de conserver toujours le même bord, il peut arriver telle circonstance, comme nous l'avons dit, où il lui soit avantageux de virer fréquemment si ses mouvemens sont plus prompts que ceux de son adversaire, et surtout s'il peut le forcer, en l'imitant, à compromettre sa mâture, car quant à lui il n'a rien à perdre et doit tout tenter pour s'échapper.
Chasser sous le vent.
Si le chasseur est au vent, il relève son adversaire avec un compas, et gouverne de manière à le tenir toujours au même aire de vent, en ne se dérangeant pas de sa route; car il est évident qu'en continuant ainsi ils viendront se rencontrer au même point. Si le chasseur s'aperçoit que l'angle de relèvement augmente ou diminue, c'est une preuve qu'il est trop au vent ou trop arrivé, et il rectifie sa route, sans quoi il passerait de l'avant ou de l'arrière du vaisseau chassé.
Dans cette position, le navire chassé doit prendre l'allure qui lui est la plus favorable; faire toute la voile possible; s'il a un équipage nombreux, changer souvent d'amures, car il prime de manœuvre et oblige ainsi son adversaire à l'imiter, et lui fait perdre du temps, son évolution étant plus longue et non prévue.
Si le temps est à grains, il ne doit diminuer de voile qu'à la dernière extrémité, et même compromettre sa mâture, s'il peut forcer ainsi son adversaire à l'imiter.
On ne doit pas balancer à se débarrasser de tous les objets qui gênent la manœuvre et qui peuvent retarder la rapidité des évolutions.
Une mâture trop fortement tenue nuit souvent à la marche; et si la brise n'est pas violente, il peut y avoir de l'avantage à donner du mou dans les haubans et les galhaubans. Au plus près, il faudrait se débarrasser de tous les objets qui augmentent l'élévation des œuvres mortes.
De la Tactique Navale.
Il ne peut entrer dans le plan que nous nous sommes tracé, de donner un traité complet de tactique navale, qui ne pourrait être que la copie du traité publié par le gouvernement pour les navires de l'état. Nous nous contenterons d'y prendre quelques définitions et l'indication des ordres.
La tactique navale est l'art de faire mouvoir des vaisseaux réunis en corps d'armée.
On entend par évolutions les mouvemens d'une armée, ou partie d'une armée, pour s'établir dans un arrangement ou un ordre convenu. On comprend sous la classification générale d'évolutions, la formation des ordres; le passage de l'un à l'autre; enfin, leur rétablissement lorsqu'ils viennent à être troublés.
La ligne du plus près est celle que tiennent des vaisseaux qui s'approchent le plus possible du lit du vent. En tactique, cette ligne est réputée faire avec la direction du vent un angle de 67° 30', ou de six des trente-deux divisions de la boussole.
On distingue deux lignes du plus près: un vaisseau court sur la ligne du plus près bâbord, s'il est au plus près, les amures à bâbord; il court sur la ligne du plus près tribord, s'il est au plus près, les amures à tribord.
Des vaisseaux rangés dans les eaux les uns des autres, et faisant la même route, sont en ligne de file. Dans ce cas le relèvement et la route sont représentés par le même rhumb de vent.
Si des vaisseaux en ligne de file gouvernent au plus près, cette ligne de file prend alors le nom de ligne de bataille.
Si des vaisseaux en ligne de file courent, non au plus près, mais deux quarts largue seulement, cette disposition particulière de la ligne de file, qui convient souvent pour combattre, s'appelle ligne de file sur la perpendiculaire du vent.
Mais si des vaisseaux déployés sur une ligne se relèvent les uns les autres sur une aire de vent donnée, et gouvernent sur une autre, ils sont établis sur une ligne de relèvement.
L'ordre en général est la manière déterminée dont les vaisseaux d'une armée doivent être rangés. Il y a différens ordres, selon les circonstances dans lesquelles une armée doit naviguer et peut se trouver.
L'ordre est appelé naturel toutes les fois que chaque vaisseau suit le matelot d'avant qui lui a été assigné par l'ordre de bataille de l'amiral.
L'ordre est dit renversé toutes les fois que les matelots d'avant deviennent matelots d'arrière; ce qui arrive lorsque les queues deviennent têtes par des changemens de position ou par inversion d'ordre.
La transposition des escadres dans une ligne de bataille ne change pas la dénomination de l'ordre, qui sera appelé naturel si dans chaque escadre les têtes mènent les queues; et il sera renversé, si au contraire dans chaque escadre, les queues mènent les têtes, quand même les escadres seraient à leur poste naturel, c'est-à-dire la seconde escadre à l'avant-garde, la première au corps de bataille, et la troisième à l'arrière-garde.
Les ordres sont: les ordres de marche et les ordres de bataille, que l'on est convenu de distribuer de la manière suivante:
Ordres de marche,
- 1º Par colonnes et ligne de file, c'est-à-dire sur trois ou deux colonnes, ou sur une seule ligne;
- 2º Sur une des lignes du plus près;
- 3º Sur la perpendiculaire du vent;
- 4º Sur la perpendiculaire de la route ou ligne de front;
- 5º En échiquier.
Les ordres ou ligne de bataille,
- 1º Au plus près du vent;
- 2º En ligne de file sur la perpendiculaire du vent.
L'ordre de marche sur trois colonnes réunit le mieux les bâtimens sans les exposer aux abordages; il facilite la prompte formation de la ligne de bataille aussi bien que la surveillance de l'amiral et la transmission des signaux.
Cet ordre suppose que les trois escadres de l'armée se placent sur trois lignes égales et parallèles, dans les conditions ci-après:
- 1º Les vaisseaux de la première escadre qui est au centre, et à la tête de laquelle marchera l'amiral pour marquer la route, seront exactement dans les eaux les uns des autres, et à la distance qui aura été prescrite;
- 2º Les chefs de file des deux autres escadres ou colonnes étant placés par le travers du chef de file de la colonne du centre, relèveront le serre-file de cette colonne à deux rhumbs de la route;
- 3º Les serre-files des colonnes des ailes étant dans les eaux de leurs colonnes, se tiendront par le travers du serre-file de la colonne du centre, d'où ils doivent relever le chef de file de cette dernière à deux rhumbs de la route.
On peut appliquer à l'ordre de marche sur deux colonnes ce qui vient d'être dit sur les trois colonnes, les conditions de formation et d'évolution étant, par analogie, les mêmes pour ces deux ordres.
L'ordre de marche sur une ligne de file, grand largue ou vent arrière, s'appelle généralement ordre ou ligne de convoi. C'est la condition de la route vent arrière ou grand largue qui constitue la différence entre cet ordre et la ligne de bataille.
L'ordre de marche sur une des lignes du plus près, est celui dans lequel les vaisseaux courant largue ou vent arrière se relèvent sur une des lignes du plus près.
Ainsi l'on distingue cet ordre en ordre de marche sur la ligne du plus près tribord, et ordre de marche sur la ligne du plus près bâbord, selon que les vaisseaux se relèvent sur l'une ou l'autre de ces deux lignes.
Dans l'ordre de marche sur la perpendiculaire du vent, les vaisseaux courant grand largue, ou vent arrière, se relèvent sur la perpendiculaire du vent.
Des vaisseaux faisant une route quelconque, s'ils se relèvent sur la perpendiculaire de cette route, sont dits en ordre de marche sur cette perpendiculaire, ou en ordre de front.
Des vaisseaux qui tiennent l'amure d'une des lignes du plus près, et qui se relèvent sur l'autre, sont dits en échiquier sur cette ligne.
C'est le relèvement et non pas l'amure qui donne le nom à l'échiquier; ainsi on dit échiquier sur la ligne du plus près tribord, pour exprimer la position des vaisseaux qui se relèvent sous cette ligne et ont les amures à bâbord; et échiquier sur la ligne du plus près bâbord, si les vaisseaux se relèvent sur cette ligne et courent les amures à tribord.
Des vaisseaux rangés en ligne de file au plus près du vent, ou sur la perpendiculaire du vent, sont en ligne de bataille. Cette ligne peut être formée tribord ou bâbord amures, ordre naturel ou ordre renversé.
Mais on entend plus particulièrement par ligne de bataille, la ligne de file dont les vaisseaux courent au plus près du vent. S'il s'agit d'exprimer la ligne de bataille deux quarts largue, on doit dire ligne de file sur la perpendiculaire du vent.
Dans toute formation d'ordre, le vaisseau amiral, ou celui qui est au centre de l'armée, est le régulateur, c'est-à-dire le point sur lequel se règle le mouvement.
Chaque vaisseau doit connaître son relèvement et sa distance par rapport au régulateur.
Si l'armée est en ligne et que l'amiral fasse le signal de forcer ou d'augmenter de voiles, c'est au chef de file à exécuter l'ordre le premier; et s'il s'agit au contraire de diminuer de voiles, le mouvement doit commencer par le serre-file.
Il est établi en tactique, que tout mouvement tout à la fois commence, en ligne de file, par le serre-file, c'est-à-dire que, lorsqu'une armée en bataille ou en ordre de convoi devra virer de bord, arriver ou tenir le vent tout à la fois, aucun vaisseau ne virera, n'arrivera, ou ne tiendra le vent, qu'après que son matelot d'arrière aura commencé le mouvement; ce qu'on exprime en disant qu'il aura marqué sa manœuvre.
S'il s'agit au contraire d'un mouvement successif, c'est au chef de file à commencer.
On dit tenir le vent, arriver par un mouvement successif, lorsque des vaisseaux viennent au vent ou arrivent l'un après l'autre, en suivant le chef de file qui règle la route; s'il est question d'un virement de bord opéré successivement, l'usage le plus général est alors de virer par la contre-marche.
Le principe général est qu'en ligne de bataille, ou dans un ordre de marche quelconque, le mouvement, quel qu'il soit, doit commencer par le vaisseau qui n'en voit pas d'autre du côté où l'on va mettre le cap.
La contre-marche est le mouvement d'une ligne dont les vaisseaux virent successivement de bord, vent devant ou vent arrière, pour prendre les eaux du chef de file. Ainsi l'on dit, pour exprimer cette double évolution, virer de bord vent devant par la contre-marche; virer de bord lof pour lof par la contre-marche.
MANŒUVRE DE L'ARTILLERIE.
CHAPITRE 1er.
Définitions et Nomenclature.
Les pièces d'artillerie dont on se sert dans la marine sont les canons, les caronades, les pierriers et les espingoles. Ces deux dernières armes ne s'emploient guère que sur les hunes et les embarcations.
Les canons et les caronades sont en fer coulé; les caronades ne sont autre chose que des canons courts, légers, modifiés en quelques parties accessoires, installés différemment, et qui, dans certains cas, ont plusieurs avantages sur les canons.
Elles se manœuvrent plus facilement et avec moins de monde; elles se chargent plus vite; elles laissent plus d'espace libre dans les batteries, et elles fatiguent moins les ponts.
De leur côté, les canons ont leurs avantages particuliers. Ainsi, ils portent plus loin dans les mêmes circonstances; à distance égale, ils percent les vaisseaux ennemis plus facilement que les caronades, mais font moins d'éclats lorsqu'on se bat de près, et sont par conséquent moins dangereux. Ils sont plus longs, par conséquent d'un pointage plus sûr et d'un danger moindre sous le rapport de l'incendie; la rupture de la brague n'est ni aussi fréquente ni aussi grave, enfin leur recul adoucit davantage les secousses communiquées à la muraille des vaisseaux.
On désigne les canons et les caronades par le nombre de livres que pèsent les boulets ou projectiles ronds qu'ils sont destinés à lancer; le diamètre de ces boulets détermine celui du creux du cylindre de la pièce; et ce poids, ou indifféremment ce dernier diamètre, est ce qu'on appelle le calibre de la bouche à feu.
Les canons en usage à bord sont ceux des calibres de 36, 30, 24, 18, 12 et 8, c'est-à-dire dont les boulets pèsent à très-peu près ce même nombre de livres; les caronades ont les mêmes calibres, à l'exception de celui de 8.
Pour diminuer la confusion et les inconvéniens d'avoir plusieurs calibres à un même bord, on tend à généraliser celui de 30.
Pour chaque calibre de canons il y a deux sortes de pièces, savoir: les longues et les courtes, et celles-ci n'ont d'autre différence avec les premières, que d'avoir moins de longueur et plus de légèreté.
On trouve dans le tableau ci-dessous la longueur totale, le poids de ces diverses pièces, et le diamètre de leurs boulets.