Observations Géologiques sur les Îles Volcaniques Explorées par l'Expédition du "Beagle": Et Notes sur la Géologie de l'Australie et du Cap de Bonne-Espérance
The Project Gutenberg eBook of Observations Géologiques sur les Îles Volcaniques Explorées par l'Expédition du "Beagle"
Title: Observations Géologiques sur les Îles Volcaniques Explorées par l'Expédition du "Beagle"
Author: Charles Darwin
Translator: Alphonse-François Renard
Release date: February 1, 2006 [eBook #9824]
Most recently updated: December 26, 2020
Language: French
Credits: Produced by David Starner, Anne Dreze, Marc D'Hooghe and the PG Online Distributed Proofreaders
Produced by David Starner, Anne Dreze, Marc D'Hooghe and
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OBSERVATIONS GÉOLOGIQUES SUR LES ILES VOLCANIQUES
EXPLORÉES PAR L'EXPÉDITION DU «BEAGLE»
ET NOTES SUR LA GÉOLOGIE DE L'AUSTRALIE ET DU CAP DE BONNE-ESPÉRANCE
PAR
Charles DARWIN
TRADUIT DE L'ANGLAIS SUR LA TROISIÈME ÉDITION
PAR
A.-F. RENARD
AVANT-PROPOS DU TRADUCTEUR
L'oeuvre de Darwin comprend, outre ses travaux biologiques, trois ouvrages consacrés spécialement à la géologie. Ils ont paru sous le titre général de Géologie du Voyage du Beagle[1] et forment comme une trilogie embrassant l'étude des constructions coralliennes, des îles volcaniques et de la géologie de l'Amérique méridionale. De ces publications, la seule qui ait été traduite en français est celle sur les îles coralliennes, étude magistrale où se sont révélées pour la première fois la grandeur de conception, la puissance et la pénétration de cet incomparable observateur[2].
Je me suis proposé de compléter la traduction des oeuvres géologiques de Darwin et je publie aujourd'hui ses Observations sur les îles volcaniques, qui seront suivies par ses études sur la géologie de l'Amérique du Sud. Ces ouvrages, qui ont paru en 1844 et 1846, constituent un ensemble avec le Journal d'un Naturaliste, dont ils développent les passages essentiels sous une forme plus technique. Ces pages, moins descriptives et pittoresques de facture, réclamées telles en quelque sorte par les sujets plus spéciaux dont elles traitent, n'ont pas, quoique d'une portée assez haute cependant pour consacrer, à elles seules, la réputation de l'Auteur, attiré l'attention générale comme l'ont fait son attachant Journal d'un Naturaliste et son livre sur la Structure et la Distribution des îles coralliennes. D'autre part, ces recherches géologiques sont de Darwin avant le Darwinisme: elles ont précédé de près de quinze ans l'Origine des espèces et ses travaux biologiques qui marquent une date dans l'histoire des sciences.
Ces oeuvres révélatrices dévoilaient la nature organique sous un jour où elle avait été à peine entrevue; il en découlait des conclusions d'une si considérable portée dans tous les ordres d'idées, elles ébranlaient si profondément les préjugés et l'erreur, elles projetaient de si vives clartés sur tant de problèmes restés insolubles, que durant la dernière moitié du XIXe siècle aucune conception ne s'imposa davantage à la pensée, n'y laissa une impression plus profonde et ne suscita des controverses plus passionnées. On comprend qu'au milieu du déchaînement d'injures et de sarcasmes qui accueillirent l'idée de l'évolution telle que la formulait le Maître, dans l'ardeur de la courageuse défense dont elle fut l'objet et dans le triomphe final de la théorie évolutionniste, on perdit peut-être trop de vue le rôle prépondérant que Darwin a joué comme l'un des fondateurs des sciences géologiques. Les recherches du début de sa carrière furent comme noyées dans la gloire de ses plus récentes découvertes.
Cependant ces études et ces travaux géologiques ont eu une influence directrice sur la pensée du naturaliste anglais, et peut-être n'est-il pas hors de propos, en présentant cette traduction, d'insister sur ce fait. On peut dire, en effet, que les recherches géologiques auxquelles ce savant s'est livré avant d'aborder la publication de l'Origine des espèces l'avaient admirablement préparé à la conception de l'oeuvre capitale qu'il devait édifier. Il est incontestable que c'est dans la connaissance du monde inorganique et de son développement, dans l'observation immédiate des phénomènes géologiques, dans l'application constante des principes de l'école de Hutton et de Lyell dont il fut un des premiers adeptes, qu'on peut voir, sinon le point de départ et l'orientation de ses théories biologiques, du moins une des bases sur lesquelles il les établit.
C'est du reste ce qu'il déclare lui-même, avec cette noble modestie qui a caractérisé toute son existence, quand il écrit en tête de son Journal, dans sa dédicace à Lyell, que le mérite principal de ses oeuvres a sa source dans l'étude qu'il a faite des Principes de Géologie. C'est là qu'il a pu puiser, en effet, cette notion des causes actuelles, fondamentale pour sa doctrine, suivre leur action dans les périodes anciennes et rattacher l'un à l'autre les phénomènes dont la terre fut le théâtre. C'est à la lumière nouvelle que ce livre avait faite dans son esprit qu'il a pu embrasser, comme nul autre avant lui, l'immense durée des temps géologiques et de la succession des faunes et des flores. Or, ces considérations constituent quelques-unes des pierres angulaires du grandiose édifice qu'est le Darwinisme.
Tous les naturalistes connaissent les deux chapitres X et XI de l'Origine des Espèces, sur l'insuffisance des données paléontologiques et sur la succession géologique des êtres organisés, où Darwin traite des questions qui mettent en relation ses doctrines avec les données géologiques. L'une des plus hautes autorités contemporaines, Sir Archibald Geikie, les apprécie en ces termes: «Ces chapitres ont provoqué, dans les théories géologiques admises, la révolution la plus profonde qui se soit produite à notre époque»[3]. Peu d'hommes de science, toutefois, savent quelles études avaient préparé l'Auteur à ces conceptions géniales sur l'histoire de la terre. Pour retrouver la marche de ces études, de cette longue et difficile préparation, il faut remonter aux travaux de Darwin sur la Géologie du Beagle. C'est là qu'on peut apprécier, dans leur expression technique, ces connaissances spéciales sur la nature des roches et sur la structure du globe qui servirent de base à ces généralisations. Quand on a lu et médité ces mémoires, fruit de tant de recherches faites dans un contact direct avec la nature, on comprend comment l'Auteur a pu résoudre ces problèmes fondamentaux avec le savoir et l'autorité incontestée qui le placent au premier rang parmi les initiateurs de la géologie.
Et ce qui témoigne hautement de la valeur de ces travaux de géologie pure, c'est qu'à côté de tant d'oeuvres de cette époque tombées dans l'oubli ils ont résisté aux attaques du temps. Certes il y a mis son inévitable patine; mais ils demeurent des modèles dont la matière d'un pur métal et la ligne harmonieuse et sévère commandent l'admiration. Ces mémoires témoignent à tous comment une intelligence maîtresse d'elle- même, en possession des connaissances spéciales réclamées par les sujets qu'elle aborde, douée d'une incomparable pénétration, s'entend à scruter la nature, à édifier la synthèse des faits et à la traduire d'une manière claire, concise qui frappe par sa simplicité même. Et pour ceux que leurs études ont préparés à pénétrer le détail de ces oeuvres, qui peuvent se rendre compte des efforts qui accompagnent l'exploration de régions encore vierges, juger des procédés et des méthodes suivis pour atteindre les résultats, se replacer par la pensée au point où en était la science lorsque ces recherches furent faites, saisir le caractère original et neuf des considérations qui devancèrent leur temps et ont servi de point de départ aux généralisations futures, pour ceux-là l'oeuvre géologique de Darwin sera placée parmi celles qui appartiennent à l'histoire de la géologie; ils reliront ces pages avec admiration et fruit.
Chargé de décrire les matériaux recueillis par l'expédition du Challenger, j'ai été amené à me livrer à une étude attentive de l'oeuvre géologique du naturaliste anglais: ce fut le cas, en particulier, pour ses Observations sur les îles volcaniques. Les savants qui avaient organisé cette célèbre croisière s'étaient assigné la mission d'aller explorer, à un demi-siècle d'intervalle, les îles de l'Atlantique étudiées lors du voyage du Beagle. Le Challenger aborda donc aux principaux points illustrés par les premières recherches de Darwin: les naturalistes de l'expédition, MM. Murray, Moseley, Buchanan et le Dr Maclean, purent se livrer ainsi sur le terrain à la constatation des faits signalés par Darwin et, se guidant par ses mémoires, recueillir aux gisements qu'il avait explorés des séries de roches analogues à celles sur lesquelles avaient porté ses investigations. On me fit l'honneur de me confier ces matériaux, et je les étudiai avec les ressources qu'offraient, au moment où j'abordai ce travail, les procédés modernes de la lithologie[4]. Je dus, en me livrant à ces recherches, suivre ligne par ligne les divers chapitres des Observations géologiques consacrées aux îles de l'Atlantique, obligé que j'étais de comparer d'une manière suivie les résultats auxquels j'étais conduit avec ceux de Darwin, qui servaient de contrôle à mes constatations. Je ne tardai pas à éprouver une vive admiration pour ce chercheur qui, sans autre appareil que la loupe, sans autre réaction que quelques essais pyrognostiques, plus rarement quelques mesures au goniomètre, parvenait à discerner la nature des agrégats minéralogiques les plus complexes et les plus variés. Ce coup d'oeil qui savait embrasser de si vastes horizons, pénètre ici profondément tous les détails lithologiques. Avec quelle sûreté et quelle exactitude la structure et la composition des roches ne sont-elles pas déterminées, l'origine de ces masses minérales déduite et confirmée par l'étude comparée des manifestations volcaniques d'autres régions; avec quelle science les relations entre les faits qu'il découvre et ceux signalés ailleurs par ses devanciers ne sont-elles pas établies, et comme voici ébranlées les hypothèses régnantes, admises sans preuves, celles, par exemple, des cratères de soulèvement et de la différenciation radicale des phénomènes plutoniques et volcaniques! Ce qui achève de donner à ce livre un incomparable mérite, ce sont les idées nouvelles qui s'y trouvent en germe et jetées là comme au hasard ainsi qu'un superflu d'abondance intellectuelle inépuisable.
Et l'impression que j'exprime ici est celle qu'éprouvent tous ceux qui se sont familiarisés avec les études de Darwin sur les phénomènes volcaniques. On s'en convaincra dans les pages qui suivent et par lesquelles M. J. W. Judd a fait précéder l'oeuvre géologique du grand naturaliste éditée dans The Minerva Library of famous Books[5]. Parmi les géologues actuels, personne peut-être n'a mieux connu Darwin et n'est plus à même de se prononcer sur ses travaux que M. Judd: ses recherches sur le volcanisme dans ses manifestations à l'époque présente et aux périodes anciennes de l'histoire du globe sont si hautement appréciées qu'elles le désignaient pour la mission que lui ont confiée les éditeurs de cette publication. Je tiens à les remercier ici, ainsi que mon savant ami M. Judd de l'autorisation qu'ils m'ont si obligeamment accordée de placer cette Introduction en tête du volume que je publie aujourd'hui. Elle m'a paru présenter un intérêt très vif en rappelant, comme elle le fait, les circonstances dans lesquelles fut écrit ce livre.
Je me suis efforcé de conserver religieusement à cette traduction la simplicité de l'original et j'ai mis tous mes soins à rendre la pensée de l'Auteur avec une scrupuleuse exactitude. J'ai maintenu les dénominations lithologiques qu'il avait adoptées, considérant qu'il s'agissait en cela d'un aspect historique à conserver.
En publiant cette traduction, mon but n'a pas été seulement de rappeler la haute valeur et la portée de l'oeuvre géologique de Darwin, de compléter ainsi pour les lecteurs français la collection des oeuvres de l'immortel naturaliste: j'ai voulu aussi, par mon modeste travail, rendre hommage à ce libérateur de la pensée qu'est Darwin, à ce paisible chercheur qui marcha simplement vers la vérité malgré les cris et les clameurs dont on essaya d'étouffer sa voix, à ce caractère vraiment élevé qui n'eut jamais en réponse aux insultes ineptes et haineuses que des paroles sereines. Mais la vérité marcha cette fois d'un pas rapide, et, durant les dernières années de sa noble et laborieuse existence, il put voir le triomphe de l'évolution, et assister à ce mouvement émancipateur des sciences naturelles qu'avaient provoqué ses doctrines.
Darwin a tracé la route qui menait vers des horizons nouveaux: le monde intellectuel tout entier s'y est engagé et ceux-là même qui le déclaraient jadis un esprit faux et superficiel, qui criaient bien haut que ses théories étaient radicalement inconciliables avec les dogmes et la morale, se sentant vaincus par l'universalité de la poussée évolutionniste, en sont réduits à une honteuse capitulation. Pour ceux- là, la marche triomphale du Darwinisme est une nouvelle et terrible défaite.
J'estime qu'il est bon de rappeler aux consciences ces héros de la vérité qui n'eurent d'autres armes que leur intelligence libérée des préjugés, leur raison éclairée, leur travail opiniâtre et calme et qui surent remplir au prix d'amertumes sans nombre la si difficile tâche d'avoir fait accomplir à la pensée humaine un pas en avant. Entre eux, Darwin est des premiers.
A.-F. RENARD.
Notes:
[1] La mise en oeuvre des observations et des matériaux géologiques amassés par Darwin pendant l'Expédition du Beagle (décembre 1831 à octobre 1836) s'étend sur une période de quatre ans, de 1842 à 1846. Son livre sur les îles volcaniques, commencé en été 1842, fut terminé en janvier 1844; six mois après, il mettait sur le métier ses observations sur la géologie de l'Amérique du Sud, qu'il achevait d'écrire en avril 1845. Durant la période qui s'étend de 1846 à 1854, il fit paraître une série de travaux secondaires se rattachant à la géologie et qui portent sur les poussières tombées sur les navires dans l'Océan Atlantique (Geol. Soc. Journ. II, 1846, pp. 26-30), sur la géologie des îles Falkland (Geol. Soc. Journ. II, 1846, pp. 267-274), sur le transport des blocs erratiques, etc. (Geol. Soc. Journ. IV, 1848, pp. 315-323), sur l'analogie de structure de certaines roches volcaniques avec celles des glaciers (Edinb. Roy. Soc. Proc. II, 1851, pp. 17-18). Les deux volumes de son mémoire sur les Cirripèdes parurent en 1851 et 1854 ainsi que ses monographies des Balanidés et des Vérrucidés fossiles de la Grande-Bretagne.
[2] Darvin, les Récifs de corail, leur structure et leur distribution. Trad. de l'anglais d'après la 2e édition, par L. Cosserat, Paris, 1878.
[3] Sir Archibald Geikie, The Founders of Geology, p. 282. 1897.
[4] Les mémoires que j'ai publiés sur la lithologie des îles explorées par Darwin lors du voyage du Beagle et par les naturalistes du Challenger, ont paru dans la collection des Reports of the scientific Results of the voyage of H.M.S. Challenger sous les titres Petrology of Saint-Paul's Rocks (Narr. vol. II, appendice B), 1882, Petrology of volcanic Islands (Phys. Chem. Part. VII) (vol. II, 1889). Les chapitres suivants de ce dernier mémoire portent spécialement sur les roches décrites dans Geological Observations on volcanic Islands de Darwin: II, Rocks of the Cape de Verde Islands, p. 13. IV, Rocks of Fernando Noronha, p. 29. V, Rocks of Ascension, p. 39. VII, Rocks of the Falkland Islands, p. 97.
[5] Distribution and Structure of coral rocks, Geological
Observations on volcanic Island and parts of South America, by Ch.
Darwin, with Introduction by J.W. Judd, Professor of Geology in the
Normal School of Science, South Kensington.
INTRODUCTION
Pendant les dix années qui suivirent son retour en Angleterre, après son voyage autour du Monde, Darwin se consacra surtout à la préparation de la série d'ouvrages qui furent publiés sous le titre général de Géologie du Voyage du Beagle. Le second volume de la série comprend les Observations géologiques sur les îles volcaniques, et les notes sur la géologie de l'Australie et du Cap de Bonne-Espérance, il parut en 1844. Les matériaux de ce volume ont été réunis en partie au commencement du voyage, lorsque le Beagle fit escale à San Thiago dans l'archipel du Cap-Vert, aux Rochers de Saint-Paul et à Fernando Noronha; mais surtout durant la croisière de retour; c'est alors que Darwin étudia les îles Galapagos, qu'il traversa l'archipel des îles Pomotou et visita Tahiti. Après avoir touché à la Baie des Iles dans la Nouvelle-Zélande, ainsi qu'à Sydney, à Hobart-Town et à King George's Sound en Australie, le Beagle, traversant l'Océan Indien, fit voile vers le petit groupe des îles Keeling ou Cocos, célèbre par les observations qu'y a faites Darwin, et se dirigea ensuite vers l'île Maurice. Après une escale au Cap de Bonne-Espérance, le navire arriva successivement à Sainte-Hélène et à l'Ascension, et visita une seconde fois les îles du Cap-Vert avant de rentrer en Angleterre.
Le voyage pendant lequel Darwin eut l'occasion d'étudier tant de centres volcaniques intéressants, lui réservait au début une amère déception. Durant la dernière année de son séjour à Cambridge il avait lu le Personal Narrative de Humboldt et en avait extrait de longs passages relatifs à Ténériffe. Il avait recueilli un ensemble de renseignements en vue d'une exploration de cette île, lorsqu'on lui proposa d'accompagner le capitaine Fitzroy à bord du Beagle. Son ami Henslow lui avait conseillé, en le quittant, de se procurer le premier volume des Principes de Géologie qui venait de paraître, tout en le prémunissant contre les idées de l'auteur de cet ouvrage. Au commencement du voyage, Darwin, accablé par un violent mal de mer qui le confinait dans sa cabine, consacrait tous les instants de répit que lui laissait la maladie à étudier Humboldt et Lyell. On se figure sa déception, quand, au moment où le navire atteignait Santa-Cruz et où le Pic de Ténériffe apparaissait au milieu des nuages, on reçut la nouvelle que le choléra régnait dans l'île et empêchait tout débarquement.
Une ample compensation lui était réservée, cependant, quand le Beagle arriva à Porto-Praya dans l'île de San Thiago, la plus grande de l'archipel du Cap-Vert. Darwin y passa trois semaines dans des conditions favorables et c'est là qu'il commença, à proprement parler, son oeuvre de géologue et de naturaliste. «Faire de la géologie dans une contrée volcanique, écrit-il à son père, est chose charmante; outre l'intérêt qui s'attache à cette étude en elle-même, elle vous conduit dans les sites les plus beaux et les plus solitaires. Un amateur passionné d'histoire naturelle peut seul se représenter le plaisir qu'on éprouve à errer parmi les cocotiers, les bananiers, les caféiers et d'innombrables fleurs sauvages. Et cette île, qui a été pour moi si instructive et m'a prodigué tant de jouissances, est cependant l'endroit le moins intéressant, peut-être, de tous ceux que nous explorerons pendant notre voyage. Certes, elle est, en général, assez stérile, mais le contraste même fait apparaître les vallées admirablement belles. Il serait inutile de tenter la description de ce tableau; aussi facile serait-il d'expliquer à un aveugle ce que sont les couleurs, que de faire comprendre à quiconque n'a jamais quitté l'Europe la différence frappante qui existe entre les paysages tropicaux et ceux de nos contrées. Chaque fois qu'une chose attire mon attention admirative, je la note soit dans mon journal (dont le volume augmente), soit dans mes lettres; excusez mon enthousiasme mal traduit par des mots. Je constate que mes échantillons s'accroissent en nombre d'une manière étonnante, et je crois que je serai obligé d'en expédier, de Rio, une collection en Angleterre.»
Un passage remarquable de l'Autobiographie, écrite par Darwin en 1876, témoigne de l'impression ineffaçable que lui laissa cette première visite à une île volcanique. «La structure géologique de San Thiago est très frappante, quoique d'une grande simplicité. Une coulée de lave s'est étalée autrefois sur le fond de la mer, constitué par des débris de coraux et de coquilles récentes; ces couches calcaires ont été soumises comme à une cuisson et transformées en une roche blanche et dure. L'île entière a été soulevée depuis cette époque, mais l'allure de la zone de roche blanche m'a révélé un fait nouveau et important: c'est qu'il s'est produit, plus tard, un affaissement autour des cratères qui avaient été en activité depuis le soulèvement. L'idée me vint alors, pour la première fois, que je pourrais peut-être écrire un livre sur la géologie des contrées que nous allions explorer, et cette pensée me fit tressaillir de joie. Ce fut pour moi une heure mémorable; avec quelle netteté je me rappelle la petite falaise de lave sous laquelle je me tenais, le soleil éblouissant et torride, quelques plantes étranges du désert croissant aux alentours, et à mes pieds des coraux vivants, dans les lagunes inondées par la marée.»
Au moment de cette exploration, cinq années seulement s'étaient écoulées depuis l'époque où il suivait à Édimbourg les leçons du professeur Jameson, qui enseignait encore la doctrine Wernerienne. Darwin avait trouvé ces leçons «incroyablement ennuyeuses». «Le seul effet qu'elles produisent sur moi, déclarait-il, c'est de me faire prendre la résolution de ne lire de ma vie un livre de géologie, ni d'étudier cette science de quelque manière que ce soit.»
Quel contraste avec les expressions dont il se sert en parlant de ses recherches géologiques, dans les lettres écrites à ses parents à bord du Beagle! Après avoir fait allusion au plaisir qu'il éprouve à rassembler et à étudier les animaux marins, il s'écrie: «Mais la géologie l'emporte sur le reste!» Dans une lettre à Henslow, il dit: «La géologie m'entraîne; mais, comme l'intelligent animal placé entre deux bottes de foin, je ne sais à laquelle donner la préférence: étudierai-je les roches cristallines anciennes ou les couches moins cohérentes et plus fossilifères?» Et, lorsque son long voyage va se terminer, il écrit encore: «Je trouve à la géologie un intérêt qui ne faiblit jamais; et, comme on l'a dit déjà, elle nous inspire des idées aussi vastes sur notre monde que celles que l'astronomie nous suggère sur l'ensemble des mondes.» Darwin fait évidemment allusion ici à un passage de Sir John Herschel dans son admirable Introduction à l'étude de la philosophie naturelle, oeuvre qui exerça une influence très profonde et très heureuse sur l'esprit du jeune naturaliste.
La prédilection marquée que professait Darwin, durant et après le célèbre voyage du Beagle, pour les études géologiques, ne peut laisser aucun doute; comme il est facile aussi de reconnaître quelle est l'école géologique dont il suivait les doctrines et dont l'enseignement, malgré les avertissements de Sedgwick et de Henslow, le dominait tout entier. Il écrivit en 1876: «La première contrée que j'ai étudiée, l'île de San Thiago dans l'archipel du Cap Vert, m'a démontré clairement la remarquable supériorité de Lyell, au point de vue géologique, sur tous les auteurs dont j'avais emporté les oeuvres ou que j'ai étudiés depuis.» Et il ajoute: «La science géologique a contracté une grande dette envers Lyell, elle lui doit plus, je crois, qu'à personne au monde… Je suis fier de me rappeler que la première contrée dont j'étudiai la constitution géologique, San Thiago dans l'archipel du Cap Vert, m'a convaincu de la supériorité infinie des idées de Lyell sur celles que j'avais pu puiser dans tout autre livre que les siens.»
Les passages que j'ai cités montrent dans quel esprit Darwin commença ses études géologiques, et les pages qui suivent fourniront des preuves nombreuses de l'enthousiasme, de la pénétration et du soin avec lesquels ses recherches furent poursuivies.
Les collections de roches et de minéraux recueillies par Darwin furent, au cours même de son voyage, envoyées à Cambridge et confiées à son fidèle ami Henslow. A son retour en Angleterre, après avoir revu sa famille et ses amis, le premier soin de Darwin fut de commencer l'étude de ces matériaux. Vers la fin de 1836, il alla se fixer, pendant trois mois, dans un appartement de Fitzwilliam street à Cambridge: il se rapprochait ainsi d'Henslow et pouvait se livrer à l'examen des roches et des minéraux qu'il avait réunis. Il fut puissamment secondé dans cette étude par le professeur William Hallows Miller, l'éminent cristallographe et minéralogiste.
Darwin ne commença réellement à écrire son livre sur les îles volcaniques qu'en 1843, après s'être établi dans la maison qu'il habita le reste de sa vie, sa célèbre résidence de Down dans le Kent. Dans une lettre du 28 mars 1843 à son ami M. Fox, il dit: «J'avance très lentement dans la rédaction d'un livre, ou plutôt d'une brochure sur les îles volcaniques que nous avons explorées; je n'y consacre qu'une couple d'heures chaque jour, et encore d'une manière assez peu régulière. C'est une besogne ingrate que d'écrire des livres dont la publication coûte de l'argent et que personne ne lit, pas même les géologues.»
Cette étude occupa Darwin pendant toute l'année 1843, et le livre fut publié au printemps de l'année suivante. D'après une note de son journal, le temps réellement consacré à la préparation de cet ouvrage s'étendit de l'été de 1842 jusqu'en janvier 1844. Lorsqu'il fut achevé, Darwin ne parut nullement satisfait du résultat obtenu. Il écrivait à Lyell: «Vous m'avez fait un grand plaisir en disant que vous aviez l'intention de parcourir mes Iles volcaniques; ce livre m'a coûté dix-huit mois de travail! Et à ma connaissance, rares sont les gens qui l'ont lu. Je sens cependant que le peu que renferme cet ouvrage, et c'est peu de chose en effet, aura son utilité en confirmant des hypothèses anciennes ou nouvelles, et que mon travail ne sera pas perdu.» Il écrivait à Sir Joseph Hooker: «Je viens de terminer un petit volume sur les îles volcaniques que nous avons explorées. J'ignore jusqu'à quel point la géologie pure et simple vous intéresse, mais j'espère que vous m'autoriserez à vous envoyer un exemplaire de mon ouvrage.»
Tout géologue sait combien ce livre de Darwin sur les îles volcaniques est intéressant et suggestif. La satisfaction médiocre qu'il semble inspirer à son auteur doit être probablement attribuée au contraste que Darwin sentait exister entre le souvenir des vives jouissances qu'il éprouvait lorsque, le marteau à la main, il errait dans des contrées nouvelles et intéressantes, et la tâche lente, laborieuse et moins conforme à ses goûts que lui imposaient la transcription et l'arrangement de ses notes sous forme de livre.
Lorsqu'en 1874 je décrivais les anciens volcans des îles Hébrides, j'eus fréquemment l'occasion de rappeler les observations de M. Darwin sur les volcans de l'Atlantique, pour expliquer les faits que nous montrent, dans nos propres îles, les restes de volcans anciens. Darwin, écrivant à son fidèle ami Sir Charles Lyell au sujet de mon travail, lui dit: «J'ai éprouvé une satisfaction bien vive en voyant citer mon livre sur les volcans, je le croyais mort et oublié.»
Deux ans plus tard, en 1876, on proposa à Darwin de publier une nouvelle édition des Observations sur les îles volcaniques et sur l'Amérique du Sud. Il hésita d'abord, car il lui semblait que ces ouvrages n'offraient plus actuellement qu'un intérêt médiocre; il me consulta sur ce point au cours d'une des conversations que nous avions souvent ensemble à cette époque, et j'insistai fortement auprès de lui pour la réédition de ces livres. J'éprouvai une vive satisfaction lorsque, se rendant à mes instances, il consentit à ce qu'ils fussent publiés sans aucune modification du texte. Il écrit dans la préface de cette nouvelle édition: «Par suite des progrès récents de la géologie, mes idées sur quelques points pourront paraître un peu vieillies, mais j'ai cru préférable de les laisser telles qu'elles ont été publiées originairement.»
Peut-être ne sera-t-il pas sans intérêt d'indiquer brièvement les principaux problèmes géologiques sur lesquels le livre de Darwin les Iles volcaniques a jeté une nouvelle et vive lumière. Le principal mérite de ces recherches est d'avoir fourni des observations qui, non seulement, présentent un haut intérêt scientifique, mais dont quelques-unes ont permis de faire rejeter des erreurs couramment admises; d'appeler l'attention sur des phénomènes et des considérations qui avaient été complètement négligés par les géologues, mais qui ont exercé depuis lors une grande influence sur la genèse des théories géologiques; et, enfin, de faire ressortir l'importance qui s'attache à des causes faibles et insignifiantes en apparence, mais dont quelques-unes donnent la clef de problèmes géologiques du plus haut intérêt.
En visitant des contrées où von Buch et d'autres géologues avaient cru trouver la preuve de la théorie des «cratères de soulèvement», Darwin fut amené à démontrer que les faits pouvaient recevoir une interprétation tout à fait différente. Les idées émises d'abord par le célèbre géologue et explorateur allemand, et presque universellement admises par ses compatriotes, avaient été soutenues par Élie de Beaumont et par Dufrénoy, les chefs du mouvement géologique en France. Elles étaient pourtant vigoureusement combattues par Scrope et par Lyell en Angleterre, et par Constant Prévost et Virlet de l'autre côté de la Manche. Dans cet ouvrage, Darwin nous montre sur quelles faibles bases repose cette théorie d'après laquelle les grands cratères circulaires des îles de l'Atlantique devraient leur origine à des ampoules gigantesques de la croûte terrestre, qui, en crevant à leur sommet, auraient donné naissance aux cratères. Reconnaissant l'influence que l'injection de la lave exerce sur la structure des cônes volcaniques, en accroissant leur masse et leur hauteur, il montre qu'en général les volcans sont édifiés par des éjaculations répétées qui amènent une accumulation de matières éruptives autour de l'orifice.
Cependant, quoiqu'il arrivât aux mêmes vues générales que Scrope et que Lyell sur l'origine des cratères volcaniques ordinaires, Darwin vit clairement que, dans certains cas, de grands cratères peuvent s'être formés ou s'être agrandis par l'affaissement du plancher, à la suite d'éruptions. L'importance de ce facteur auquel les géologues avaient accordé trop peu d'attention, a été montrée récemment par le professeur Dana dans son admirable ouvrage sur le Kilauea et d'autres grands volcans de l'archipel hawaïen.
L'affaissement qui se produit autour d'un centre volcanique, et qui détermine le plongement des couches environnantes, a été mis en lumière pour la première fois par Darwin, comme résultat de son premier travail sur les îles du Cap-Vert. Des exemples frappants du même fait ont été signalés depuis en Islande par M. Robert et par d'autres, dans la Nouvelle-Zélande par M. Heaphy, et dans les îles occidentales de l'Ecosse par moi-même.
A diverses reprises, Darwin appela l'attention des géologues sur le fait que les orifices volcaniques présentent entre eux des relations qu'on ne saurait expliquer sans admettre l'existence, dans la croûte terrestre, de lignes de fracture le long desquelles les laves se sont frayé un chemin vers la surface. Mais en même temps il vit clairement qu'il n'existait pas de preuves du passage de grands torrents de laves le long de ces fractures; il montra comment les plateaux les plus remarquables, formés de nappes de laves successives, peuvent avoir été construits par des émissions répétées et modérées, émanant d'orifices volcaniques nombreux, distincts les uns des autres. Il insiste expressément sur la rapidité avec laquelle la dénudation peut faire disparaître les cônes de cendres formés autour des orifices d'éjaculation, et les traces d'émissions successives de laves.
L'un des chapitres les plus remarquables du livre est celui où l'auteur traite des effets de la dénudation déterminant l'érosion de l'appareil volcanique, au point de ne plus laisser subsister que des épaves ou tronçons ruinés de volcans. Il a eu l'occasion d'étudier une série de cas permettant de suivre toutes les gradations des formes volcaniques, depuis les cônes complets jusqu'aux masses bouchant les cratères, où elles s'étaient solidifiées. Les observations de Darwin sur ce sujet ont été de la plus haute valeur et du plus grand secours pour tous ceux qui se sont efforcés d'étudier les effets de l'action volcanique pendant les périodes anciennes de l'histoire de la terre.
Comme Lyell, Darwin était fermement convaincu de la continuité des actions géologiques, et c'était toujours avec une vive satisfaction qu'il constatait que les phénomènes du passé pouvaient s'interpréter par des causes actuelles. Au moment où Lyell se livrait, quelques mois avant sa mort, à ses derniers travaux géologiques sur les environs de sa résidence dans le Forfarshire, il écrivit à Darwin: «Toutes mes recherches ont confirmé ma conviction que la seule différence entre les roches volcaniques paléozoïques et récentes se réduit aux modifications qui ont dû se produire en raison de l'immense période de temps pendant laquelle les produits des volcans les plus anciens ont été soumis à des transformations chimiques.»
Lorsqu'après avoir achevé ses études sur les phénomènes volcaniques, Darwin entreprit l'examen des grandes masses granitiques des Andes, il fut vivement frappé des relations qui unissent les roches dites plutoniques et les roches d'origine incontestablement volcanique. On doit dire à ce sujet que les circonstances mêmes dans lesquelles se fit la croisière du Beagle furent très favorables à Darwin dans ses études sur les roches éruptives. Après avoir observé des types nettement caractérisés de la série récente, il alla étudier dans l'Amérique du Sud de remarquables gisements de masses ignées anciennes très cristallines et, dans le voyage de retour, il put revoir les roches volcaniques récentes, raviver ainsi ses premières impressions et établir des relations entre ces deux types lithologiques.
Il exposa quelques-unes des considérations générales que ces observations lui avaient suggérées, dans un travail qu'il lut à la Société Géologique le 17 mars 1838, et qui portait comme titre: Du rapport de certains phénomènes volcaniques, de la formation des chaînes de montagnes, et des effets des soulèvements continentaux. La relation entre ces deux ordres de faits est discutée d'une manière plus approfondie dans son livre sur la géologie de l'Amérique du Sud.
Les preuves d'un soulèvement récent constatées sur les côtes d'un grand nombre d'îles volcaniques amenèrent Darwin à conclure qu'en général les aires volcaniques sont des régions de soulèvement; et il fut conduit, naturellement, à les opposer aux aires dans lesquelles, comme il le montra, la présence d'atolls, de récifs frangeants et de récifs-barrières, offre les preuves d'un affaissement. Il parvint de cette manière à dresser une carte des aires océaniques, les répartissant en zones soumises à des mouvements de soulèvement ou d'affaissement. Ses conclusions à cet égard étaient aussi neuves que suggestives.
Darwin reconnut très clairement le fait que la plupart des îles océaniques semblent être d'origine volcanique, quoiqu'il prît soin de signaler les exceptions importantes qui infirment, dans une certaine mesure, la généralisation de cette règle. Dans son Origine des espèces il a développé l'idée et émis la théorie de la permanence des bassins océaniques, que d'autres auteurs ont adoptée après lui et ont étendue plus loin, pensons-nous, que Darwin n'avait cru devoir le faire. Sa prudence sur ce point et sur les questions spéculatives du même genre était bien connue de tous ceux qui avaient l'habitude de les discuter avec lui.
Quelques années avant le voyage du Beagle, M. Poulett Scrope avait signalé les analogies remarquables qui existent entre certaines roches ignées à structure rubanée, telles qu'on en rencontre aux îles Ponces, et les schistes cristallins feuilletés. Il ne semble pas que Darwin ait eu connaissance du remarquable mémoire de Scrope, mais il appela l'attention, d'une manière toute spontanée, sur les mêmes phénomènes lorsqu'il entreprit l'étude de roches fort analogues qu'on observe à l'île de l'Ascension. Comme il venait d'étudier les grandes masses de schistes cristallins du continent Sud-Américain, il fut frappé du fait que les roches incontestablement ignées de l'Ascension offrent une répartition identique des minéraux constitutifs, le long de «feuillets» parallèles. Ces observations conduisirent Darwin à la même conclusion que celle à laquelle Scrope était arrivé quelque temps auparavant, c'est-à-dire que, lorsque la cristallisation s'opère dans des masses rocheuses soumises à des forces déformatrices très puissantes, il se produit une séparation et une distribution des minéraux constitutifs, suivant des plans parallèles. On a reconnu pleinement aujourd'hui que ce processus doit avoir été un facteur important dans la formation des roches métamorphiques, que les auteurs récents désignent sous le nom de dynamo-métamorphisme.
Dans l'étude de ce problème et d'un grand nombre d'autres analogues, exigeant des connaissances minéralogiques très exactes, il est remarquable de voir à quel point Darwin réussissait à découvrir la vérité au sujet des roches qu'il étudiait, à l'aide seulement d'un canif, d'une simple loupe, de quelques essais chimiques et du chalumeau. Depuis Darwin l'étude des roches en sections minces sous le microscope a été inventée, et est aujourd'hui du plus grand secours dans toutes les recherches pétrographiques. Plusieurs des îles étudiées par Darwin ont été explorées à nouveau, et des échantillons de leurs roches ont été recueillis pendant le voyage du navire de la Marine Royale le Challenger. Les résultats de l'étude qu'en a faite un des maîtres de la microscopie des roches, le Professeur Renard, de Bruxelles, ont été publiés récemment dans un des volumes des Rapports sur l'Expédition du Challenger. Il est intéressant de constater que, tandis que ces recherches récentes ont enrichi la science géologique d'un grand nombre de faits nouveaux et précieux, et que des changements nombreux ont été apportés à la nomenclature et à d'autres points de détail, tous les faits principaux décrits par Darwin et par son ami le professeur Miller ont résisté à l'épreuve du temps et d'une étude plus approfondie, et demeurent comme un monument de la sagacité et de la justesse d'observation de ces pionniers des recherches géologiques.
JOHN W. JUDD.
OBSERVATIONS GÉOLOGIQUES SUR LES ILES VOLCANIQUES
CHAPITRE PREMIER
SAN THIAGO, ARCHIPEL DU CAP VERT
Roches des assises inférieures.—Dépôt sédimentaire calcareux avec coquilles récentes métamorphisé au contact de laves surincombantes; allure horizontale et étendue en surface de ces couches.—Roches volcaniques postérieures associées à une matière calcaire terreuse et fibreuse, et fréquemment renfermée dans les vacuoles des scories.—Anciens orifices d'éruption oblitérés, de petite dimension.—Difficulté que présente la détermination de coulées de laves récentes sur une plaine unie.—Collines de l'intérieur de l'île, constituées par des roches volcaniques plus anciennes.—Grandes masses d'olivine décomposée.—Roches feldspathiques situées sous les couches de basalte cristallin.—Uniformité de structure et d'aspect des collines volcaniques les plus anciennes.—Forme des vallées voisines de la côte.—Conglomérat en voie de formation sur la plage.
L'île de San Thiago s'étend du N.-N.-W. au S.-S.-E. sur une longueur de trente milles et une largeur de douze milles environ. Les observations auxquelles je me suis livré pendant mes deux visites à cette île ont toutes été faites dans sa partie méridionale et dans un rayon de quelques lieues seulement autour de Porto-Praya.—Vue de la mer, la contrée offre une configuration variée: des collines coniques à pentes douces, de couleur rougeâtre (telle que la colline désignée sous le nom de Red Hill et représentée dans la figure intercalée dans le texte)[1] et d'autres collines moins régulières, d'une couleur noirâtre et à sommet plat (marquées A, B, C, dans la même figure), s'élèvent au-dessus de plaines de lave qui s'étagent en gradins successifs. On aperçoit dans le lointain une chaîne de montagnes, hautes de plusieurs milliers de pieds, qui traverse l'intérieur de l'île. Il n'y a pas de volcan actif à San Thiago, et il n'en existe qu'un seul dans tout l'archipel, celui de Fogo. L'île n'a été éprouvée par aucun tremblement de terre violent depuis qu'elle est habitée.
[Illustration: FIG. I.—Vue d'une partie de San Thiago, l'une des îles du Cap Vert.]
Les roches inférieures que l'on voit sur la côte près de Porto-Praya sont très cristallines et fort compactes; elles semblent appartenir à des masses volcaniques anciennes et d'origine sous-marine. Fréquemment elles sont recouvertes, en stratification discordante, par un dépôt calcaire irrégulier, d'une faible épaisseur, où abondent des coquilles appartenant à une des dernières périodes de l'ère tertiaire; ce dépôt est recouvert, à son tour, par une grande nappe de lave basaltique, qui, partie du centre de l'île, s'est répandue en coulées successives entre les collines à sommet plat marquées A, B, C, etc. Des coulées plus récentes ont été éjaculées par les cônes disséminés dans l'île, tels que Red Hill et Signal-Post Hill. Les couches supérieures des collines à sommet plat présentent, au point de vue de la constitution minéralogique et à d'autres égards encore, un rapport intime avec les assises inférieures des couches de la côte, qui semblent former avec elles une masse continue.
Description minéralogique des roches formant les assises inférieures.—Le caractère de ces roches est extrêmement variable. Elles sont formées d'une masse fondamentale basaltique compacte, noire, brune ou grise, renfermant de nombreux cristaux d'augite, de hornblende, d'olivine, de mica, et parfois du feldspath vitreux. On rencontre fréquemment une variété presque entièrement composée de cristaux d'augite et d'olivine. On sait que le mica se présente rarement là où l'augite abonde, et vraisemblablement la roche qui nous occupe n'offre pas une exception manifeste à cette règle, car le mica y est arrondi aussi parfaitement qu'un caillou dans un conglomérat (tout au moins dans le plus caractéristique de mes spécimens, où l'on voit un nodule de mica long d'un demi-pouce); il n'a évidemment pas cristallisé dans la pâte qui le renferme aujourd'hui, mais il doit avoir été formé par la fusion d'une roche plus ancienne. Ces laves compactes alternent avec des tufs, des roches amygdaloïdes et des wackes, et, à certains endroits, avec des conglomérats grossiers. Parmi les wackes argileuses, les unes sont vert foncé, d'autre vert jaunâtre pâle, d autres enfin presque blanches. Je constatai avec étonnement qu'un certain nombre de ces dernières roches, même les plus blanches, fondaient en un émail noir de jais, tandis que plusieurs échantillons des variétés vertes ne donnaient qu'un globule gris pâle. De nombreux dikes formés essentiellement de roches augitiques très compactes et de variétés amygdaloïdes grises coupent les couches; en divers endroits celles-ci ont été violemment disloquées et fortement redressées. Une ligne de dislocation coupe l'extrémité septentrionale de Quailland, îlot de la baie de Porto-Praya, et on peut le suivre jusqu'à l'île principale. Ces dislocations se sont produites avant le dépôt de la couche sédimentaire récente, et la surface de l'île a subi, antérieurement à ce dépôt, une dénudation importante, comme l'attestent de nombreux dikes tronqués.
Description du dépôt calcaire qui recouvre les roches volcaniques dont il vient d'être question.—Cette couche peut être facilement reconnue à cause de sa couleur blanche et de l'extrême régularité avec laquelle elle s'étend le long de la côte, sur une ligne horizontale pendant plusieurs milles. Sa hauteur moyenne au-dessus de la mer, mesurée depuis sa ligne de contact avec les laves basaltiques qui la recouvrent, est de 60 pieds environ; et son épaisseur, fort variable à cause des inégalités de la formation sur laquelle elle repose, peut être évaluée à environ 20 pieds. Cette couche est formée d'une substance calcaire parfaitement blanche, constituée en partie par des débris organiques et en partie par une substance que l'on pourrait comparer, pour l'aspect, à du mortier. Des fragments de roches et des cailloux sont disséminés dans toute cette couche, et se réunissent souvent en conglomérat, surtout vers la base. Un grand nombre de ces fragments sont comme badigeonnés d'une couche peu épaisse de matière calcareuse blanchâtre. A Quail-island, la partie inférieure du dépôt calcaire est remplacée par un tuf terreux tendre, de couleur brune, plein de turritelles, et qui est surmonté d'un lit de cailloux passant au grès et contenant des fragments d'échinides, des pinces de crabes et des coquilles; les coquilles d'huîtres adhèrent encore aux roches sur lesquelles elles vivaient. Le dépôt renferme un grand nombre de sphérules blanches ressemblant à des concrétions pisolitiques, et dont la grosseur varie de celle d'une noix à celle d'une pomme; elles renferment ordinairement un petit caillou en leur centre. Je me suis assuré par un examen minutieux que ces soi-disant concrétions étaient des nullipores conservant leur forme propre, mais dont la surface était légèrement usée par le frottement; ces corps (considérés généralement aujourd'hui comme des végétaux) n'offrent aucune trace d'organisation intérieure, quand on les étudie sous un microscope de puissance moyenne. M. Georges R. Sowerby a bien voulu examiner les coquilles que j'ai rassemblées; elles appartiennent à quatorze espèces, dont les caractères sont assez bien conservés pour qu'il soit possible de les déterminer avec un degré de certitude suffisant, et à quatre espèces dont on ne peut établir que le genre. Parmi les quatorze mollusques dont la liste se trouve à l'appendice, onze appartiennent à des espèces récentes; un, non encore décrit, pourrait être identique à une espèce vivante que j'ai trouvée dans le port de Porto-Praya; les deux autres espèces sont nouvelles et ont été décrites par M. Sowerby. Les connaissances que nous possédons sur les mollusques de cet archipel et des côtes voisines ne sont pas encore assez complètes pour nous permettre d'affirmer que ces coquilles, même les deux dernières, appartiennent à des espèces éteintes. Parmi ces coquilles, celles qui se rapportent incontestablement à des espèces vivantes ne sont pas nombreuses, mais elles suffisent cependant pour démontrer que le dépôt appartient à une période tertiaire récente. Les caractères minéralogiques de la formation, le nombre et les dimensions des fragments qu'elle renferme, et l'abondance des patelles et des autres coquilles littorales, démontrent que tout l'ensemble s'est accumulé dans une mer peu profonde, près d'un ancien rivage.
Effets produits par la coulée de lave basaltique qui s'est répandue sur le dépôt calcaire.—Ces effets sont très remarquables. Cette matière calcareuse est modifiée jusqu'à une profondeur d'environ un pied sous la ligne de contact, et on peut suivre le passage, tout à fait insensible, de petits fragments de coquilles, de corallines et de nullipores à peine agrégés, jusqu'à une roche, où l'on ne peut trouver aucune trace d'une origine mécanique, même au microscope. Aux points où les modifications métamorphiques ont été les plus intenses, on observe deux variétés de roches. La première variété est dure et compacte, finement grenue et blanche, sillonnée par quelques lignes parallèles formées de particules volcaniques noirâtres; cette roche ressemble à un grès, mais un examen plus minutieux montre qu'elle est complètement cristalline, avec des faces de clivage si parfaites qu'on peut les mesurer facilement au goniomètre à réflexion. Si, après les avoir mouillés, on examine, à l'aide d'une forte loupe, les échantillons qui ont subi un métamorphisme moins complet, on peut constater une transformation graduelle très intéressante; quelques-unes des particules arrondies qui les constituent conservent leur forme propre, tandis que d'autres se fusionnent insensiblement dans la masse granulo-cristalline. Les surfaces décomposées de cette roche revêtent une couleur rouge-brique, comme c'est souvent le cas pour les calcaires ordinaires.
La seconde variété métamorphique est, de même, une roche dure mais sans trace de structure cristalline. C'est une pierre calcaire blanche, opaque et compacte, fortement mouchetée de taches, irrégulièrement arrondies, d'une matière terreuse, ocreuse et tendre. Cette matière terreuse présente une couleur brun-jaunâtre pâle, et paraît être un mélange de fer et de carbonate de chaux; elle fait effervescence avec les acides, elle est infusible mais noircit au chalumeau et devient magnétique. La forme arrondie des petites taches de substance terreuse, ainsi que les diverses étapes qu'on peut constater jusqu'à leur isolement parfait, et qu'on peut suivre en examinant une série d'échantillons, montrent clairement qu'elles ont été formées, soit par l'attraction des particules terreuses entre elles, soit plus vraisemblablement par une attraction réciproque des atomes de carbonate de chaux amenant alors la ségrégation de ces impuretés terreuses étrangères. Ce fait m'a vivement intéressé, car j'avais observé souvent des roches quartzeuses (par exemple aux îles Falkland, et dans les couches siluriennes inférieures des Stiper-Stones dans le Shropshire) mouchetées, d'une manière précisément analogue, par de petites taches d'une substance terreuse blanchâtre (feldspath terreux?); on avait déjà toutes raisons de croire alors que ces roches avaient été modifiées ainsi sous l'action de la chaleur, et cette hypothèse reçoit maintenant sa confirmation. Cette texture tachetée pourrait fournir peut-être quelques indications pour distinguer les roches quartzeuses, qui doivent leur structure actuelle à une action ignée, de celles formées par voie purement aqueuse; distinction qui doit avoir fait hésiter bien des géologues dans l'étude des régions arénacéo-quartzeuses, si j'en juge par ma propre expérience.
En s'épanchant sur les sédiments étalés au fond de la mer, les parties inférieures et les plus scoriacées de la lave ont empâté une grande quantité de matière calcaire, qui forme maintenant la pâte très cristalline et blanche comme neige, d'une brèche renfermant de petits fragments de scories noires et brillantes. Un peu au-dessus de cette couche, là où le calcaire est moins abondant et la lave plus compacte, les interstices de la masse de lave sont remplis d'un grand nombre de petites sphères, formées de spicules de calcaire spathique, qui rayonnent autour d'un centre commun. Dans une certaine partie de Quail-island, où les laves surincombantes n'ont pas plus de 14 pieds d'épaisseur, le calcaire a pu cristalliser sous l'influence de la chaleur dégagée par ces matières éruptives; on ne peut pas admettre que cette faible couche de lave ait été plus épaisse à l'origine, et que son épaisseur ait été réduite par une érosion postérieure, l'état celluleux de sa surface nous le montre. J'ai déjà fait observer que la mer où le dépôt calcaire s'est opéré devait être peu profonde; le dégagement de l'anhydride carbonique a donc été entravé par une pression de loin inférieure à celle, équivalant à une colonne d'eau haute de 1.708 pieds, que Sir James Hall considérait comme nécessaire pour empêcher ce dégagement. Depuis l'époque de ses expériences on a découvert que c'est moins la pression que la nature de l'atmosphère ambiante qui intervient pour retenir l'acide carbonique gazeux. Ainsi, il résulte d'expériences de M. Faraday[2] que des masses importantes de calcaire se fondent quelquefois et cristallisent, même dans des fours à chaux ordinaires. Suivant M. Faraday, le carbonate de chaux peut être chauffé, pour ainsi dire, à toute température dans une atmosphère d'acide carbonique, sans se décomposer; et Gay-Lussac a montré que des fragments de calcaire, chauffés dans un tube à une température insuffisante par elle-même pour provoquer leur décomposition, dégageaient cependant l'acide carbonique dès qu'on faisait passer au travers du tube un courant d'air ou de vapeur d'eau: Gay-Lussac attribue ce phénomène au déplacement de l'acide carbonique naissant. La matière calcaire, qui se trouve sous la lave, surtout celle qui forme les aiguilles cristallines renfermées dans les vacuoles des scories, ne peut pas avoir subi l'action du passage d'un courant gazeux, quoiqu'elle ait été chauffée dans une atmosphère contenant vraisemblablement une très forte proportion de vapeur d'eau. Peut-être est-ce pour cette raison qu'elle a conservé son acide carbonique sous cette pression relativement faible.
Les fragments de scories renfermés dans la pâte calcaire cristalline sont d'un noir de jais, à cassure brillante comme celle de la rétinite. Cependant leur surface est recouverte d'une couche d'une substance translucide orange-rougeâtre, que l'on peut gratter facilement au canif; ces fragments apparaissent alors comme s'ils étaient recouverts d'une couche mince de matière résineuse. Les plus petits d'entre eux présentent des parties complètement transformées en cette substance; transformation qui semble tout à fait différente d'une décomposition ordinaire. Nous verrons dans un autre chapitre qu'à l'archipel des Galapagos de grandes couches de cendres volcaniques, avec particules scoriacées, ont subi une transformation à peu près identique.
Extension et horizontalité du dépôt calcaire.—La limite supérieure du dépôt calcaire, si nettement marquée à cause de la couleur blanche de cette roche, et si voisine de l'horizontale, court le long de la côte sur une distance de plusieurs milles, à l'altitude de 60 pieds environ au-dessus du niveau de la mer. La nappe de basalte qui la recouvre présente une épaisseur moyenne de 80 pieds. A l'ouest de Porto-Praya, au-delà de Red Hill, la couche blanche avec le basalte qui la surmonte, sont recouverts par des coulées plus récentes. J'ai pu la suivre de l'oeil, au nord de Signal-Post Hill, s'étendant au loin sur une distance de plusieurs milles, le long des falaises de la côte. Mes observations ont porté sur une étendue d'environ 7 milles le long de la côte, mais la régularité de cette couche me porterait à croire qu'elle s'étend beaucoup plus loin. Dans des ravins perpendiculaires à la côte, on la voit plonger doucement vers la mer, probablement suivant l'inclinaison qu'elle présentait lors de son dépôt sur les anciens rivages de l'île. Je n'ai trouvé dans l'intérieur de l'île qu'une seule coupe où cette couche fût visible, à la hauteur de quelques centaines de pieds, c'est à la base de la colline marquée A; elle y repose, comme d'habitude, sur la roche augitique compacte associée avec de la wacke, et elle y est recouverte par la grande nappe de lave basaltique récente. En certains points cependant cette couche blanche ne conserve pas son horizontalité; à Quail-island sa surface supérieure ne s'élève qu'à 40 pieds au-dessus du niveau de la mer; ici également la nappe de lave qui la recouvre n'a que 12 à 15 pieds d'épaisseur; d'autre part, au nord-est du port de Porto-Praya, la couche calcaire ainsi que la roche sur laquelle elle repose atteignent une hauteur supérieure au niveau moyen. Je crois que dans ces deux cas la différence de niveau ne provient pas d'un exhaussement inégal, mais de l'irrégularité primitive du fond de la mer. Ce fait peut être démontré à Quail-island, car le dépôt calcaire y offre en un certain point une épaisseur de beaucoup supérieure à la moyenne, alors qu'en d'autres points cette roche ne se montre pas; dans ce dernier cas les laves basaltiques récentes reposent directement sur les laves plus anciennes.
[Illustration: FIG. 2.—Signal-Post Hill;—A. Roches volcaniques anciennes;—B. Dépôt calcareux;—C. Lave basaltique supérieure.]
Sous Signal-Post Hill la couche blanche plonge dans la mer d'une manière bien intéressante. Cette colline est conique, haute de 450 pieds, et offre encore quelques traces de structure cratériforme; elle est constituée en majeure partie de matières éruptives émises postérieurement au soulèvement de la grande plaine basaltique, mais en partie aussi de laves très anciennes, probablement de formation sous-marine. La plaine environnante et le flanc oriental de la colline ont été découpés par l'érosion en falaises escarpées surplombant la mer. La couche calcaire blanche est visible dans ces ravinements à la hauteur de 70 pieds environ au-dessus du rivage, et s'étend au nord et au sud de la colline, sur une longueur de plusieurs milles, en dessinant une ligne qui paraît parfaitement horizontale; mais, au-dessous de la colline, elle plonge dans la mer et disparaît sur une longueur d'environ un quart de mille. Le plongement est graduel du côté du sud, et plus brusque du côté du nord, comme le montre la figure. Ni la couche calcaire ni la lave basaltique surincombante (pour autant qu'on puisse distinguer cette dernière des coulées plus récentes) n'augmentent d'épaisseur à mesure qu'elles plongent; j'en conclus que ces couches n'ont pas été originairement accumulées dans une dépression dont le centre serait devenu plus tard un point d'éruption, mais qu'elles ont été dérangées et ployées postérieurement à leur dépôt. Nous pouvons supposer, ou bien que Signal-Post Hill, après son soulèvement, s'est abaissé avec la région environnante, ou bien qu'il n'a jamais été soulevé à la même hauteur qu'elle. Cette dernière hypothèse me paraît la plus vraisemblable, car, durant le soulèvement lent et uniforme de cette partie de l'île, l'énergie souterraine, affaiblie par des éruptions répétées de matières volcaniques émises au-dessous de ce point, devait nécessairement conserver moins de puissance pour le soulever. Un fait analogue semble s'être produit près de Red Hill, car, en remontant les coulées de lave qui affleurent, des environs de Porto-Praya vers l'intérieur de l'île, j'ai été amené à supposer que la pente de la région a été légèrement modifiée depuis que la lave y a coulé, soit qu'il y ait eu un léger affaissement près de Red Hill, soit que cette partie de la plaine ait été portée à une hauteur moins considérable que le reste de la contrée, lors du soulèvement général.
Lave basaltique qui surmonte le dépôt calcaire.—Cette lave, d'un gris pâle, est fusible en un émail noir; sa cassure est terreuse et concrétionnée, elle contient de petits grains d'olivine. Les parties centrales de la masse sont compactes, ou parsemées tout au plus de quelques petites cavités, et elles sont souvent colonnaires. Cette structure se présente d'une manière saillante à Quail-island où la lave a été divisée, d'une part, en lamelles horizontales et, d'autre part, découpée par des fissures verticales en plaques pentagonales; celles-ci étant à leur tour empilées les unes sur les autres, se sont insensiblement soudées, de manière à former de belles colonnes symétriques. La surface inférieure de la lave est vésiculaire, mais parfois sur une épaisseur de quelques pouces seulement; la surface supérieure, qui est également vésiculaire, est divisée en sphères formées de couches concentriques, et dont le diamètre atteint souvent 3 pieds. La masse est formée de plus d'une coulée; son épaisseur totale étant, en moyenne, de 80 pieds. La partie inférieure s'est certainement étalée en coulées sous-marines, et il en est probablement de même pour la partie supérieure. Cette lave provient en majeure partie des régions centrales de l'île, comprises entre les collines marquées A, B, C, etc., dans la figure. La surface de la contrée est unie et stérile près de la côte; le pays s'élève vers l'intérieur par des terrasses successives; lorsqu'on les observe de loin, on en distingue nettement quatre superposées.
Éruptions volcaniques postérieures au soulèvement de la côte; matières éruptives associées avec du calcaire terreux.—Ces laves récentes proviennent des collines coniques à teinte brun-rouge, disséminées dans l'île et qui s'élèvent brusquement dans la plaine près de la côte. J'en ai gravi plusieurs, mais je n'en décrirai qu'une seule, Red Hill, qui peut servir de type pour ce groupe et dont certaines particularités sont remarquables. Sa hauteur est de 600 pieds environ; elle est constituée par des roches de nature basaltique, très scoriacées et d'un rouge vif; elle présente sur l'un des côtés de son sommet une cavité qui est probablement le dernier vestige d'un cratère. Plusieurs autres collines de la même catégorie sont, à en juger par leur forme extérieure, surmontées de cratères beaucoup mieux conservés. Lorsqu'on longe la côte par mer, on voit clairement qu'une masse considérable de lave, partie de Red Hill, s'est écoulée dans la mer en passant au-dessus d'une ligne de rochers haute d'environ 120 pieds. Cette ligne de rochers constitue le prolongement de celle qui forme la côte et qui borne la plaine de deux côtés de la colline; ces coulées ont donc été émises par Red Hill postérieurement à la formation des rochers de la côte, et à une époque où la colline se trouvait, comme aujourd'hui, au-dessus du niveau de la mer. Cette conclusion concorde avec la nature très scoriacée de toutes les roches de Red Hill, qui semblent être de formation subaérienne; et ce fait est important, car il existe près du sommet quelques bancs d'une matière calcaire, qu'à première vue on pourrait prendre à tort pour un dépôt sous-marin. Ces bancs sont formés de carbonate de chaux, blanc, terreux, et tellement friable qu'il s'écrase sous le moindre effort, les spécimens les plus compacts même ne résistant pas à la pression des doigts. Quelques-unes de ces masses sont blanches comme la chaux vive, et paraissent absolument pures, mais on peut toujours y découvrir à la loupe de petites particules de scories, et je n'ai pu en trouver une seule qui ne laissât pas de résidu de cette nature quand on la dissolvait dans les acides. Il est difficile, pour cette raison, de découvrir une particule de calcaire qui ne change pas de couleur au chalumeau; la plupart d'entre elles s'y vitrifient même. Les fragments scoriacés et la matière calcaire sont associés de la manière la plus irrégulière, parfois en lits peu distincts, mais plus fréquemment en une brèche confuse, où le calcaire prédomine d'un côté et les scories de l'autre. Sir H. De La Beche a bien voulu faire analyser quelques-uns des spécimens les plus purs, dans le but de découvrir si, en raison de leur origine volcanique, ils contenaient beaucoup de magnésie; mais on n'en a décelé qu'une faible quantité, analogue à celle qui existe dans la plupart des calcaires.
Quand on brise les fragments de scories engagés dans la masse calcaire, on voit qu'un grand nombre de leurs vacuoles sont tapissées et même partiellement remplies d'un réseau de carbonate de chaux, blanc, délicat, excessivement fragile et semblable à de la mousse, ou plutôt à des conferves. Ces fibres, observées à l'aide d'une loupe dont la distance focale est d'un dixième de pouce, se montrent cylindriques; leur diamètre est légèrement supérieur à un millième de pouce; elles sont ou simplement ramifiées, ou plus communément unies en un réseau formant une masse irrégulière, à mailles de dimension et de forme très variables. Quelques fibres sont recouvertes d'une couche épaisse de spicules extrêmement fins, parfois agrégés en houppes minuscules, ce qui leur donne un aspect velu. Ces spicules ont un diamètre uniforme sur toute leur longueur; ils se détachent facilement, de sorte que le porte-objet du microscope en est bientôt recouvert. Le calcaire offre cette structure fibreuse dans les vacuoles d'un grand nombre de fragments des scories, mais généralement à un degré moins parfait. Ces vacuoles ne semblent pas être reliées l'une à l'autre. Il n'est pas douteux, comme nous allons le montrer, que le calcaire ait été éjaculé à l'état fluide, intimement mélangé à la lave, et c'est pour cette raison que j'ai cru devoir m'arrêter à décrire cette curieuse structure fibreuse, dont je ne connais aucun analogue. A cause de la nature terreuse des fibres, cette structure ne semble pas pouvoir être attribuée à la cristallisation.
D'autres fragments de la roche scoriacée de cette colline, quand on les brise, se montrent rayés de traits blancs, courts et irréguliers, qui proviennent d'une rangée de vacuoles séparées, entièrement ou partiellement remplies d'une poudre calcareuse blanche. Cette structure m'a rappelé immédiatement les petites boules et les filaments étirés de farine, dans une pâte mal pétrie, avec laquelle ils ne se sont pas mélangés, et je suis porté à penser que, de la même manière, de petites masses de calcaire n'ayant pas été incorporées dans la lave liquide, ont été étirées, lorsque toute la masse était en mouvement. J'ai examiné soigneusement, en les broyant et en les dissolvant dans les acides, des fragments de scories prises à moins d'un demi-pouce de cellules qui étaient pleines de la poussière en question, et je n'y ai pas trouvé de traces de calcaire. Il est clair que la lave et le calcaire n'ont été que très imparfaitement mélangés. Lorsque de petites masses de calcaire ont été empâtées dans la lave encore visqueuse, où on les observe comme une matière pulvérulente, ou en fibres réticulées tapissant les vacuoles, je suis porté à penser que les gaz absorbés ont pu se dilater plus facilement aux points où ce calcaire pulvérulent rendait la lave moins résistante.
A un mille à l'est de la ville de Praya on observe une gorge aux parois escarpées, large de 150 yards environ, coupant la plaine basaltique et les bancs sous-jacents, mais qui a été comblée par une coulée de lave plus moderne. Cette lave est d'un gris sombre, et présente presque partout une structure compacte et une disposition imparfaitement colonnaire; mais, à une petite distance de la côte, elle renferme, irrégulièrement disposée, une masse bréchiforme de scories rouges, mélangées d'une quantité considérable de calcaire blanc, terreux, friable, et en certains points, presque pur, comme celui du sommet de Red Hill. Cette lave avec le calcaire qu'elle empâte doit certainement avoir coulé comme une nappe régulière; à en juger par la forme de la gorge, vers laquelle convergent encore les précipitations atmosphériques actuellement peu abondantes dans cette région, et par l'aspect de la couche de blocs incohérents ressemblant aux quartiers de rochers du lit d'un torrent, et sur laquelle repose la lave, nous pouvons conclure que la coulée était d'origine subaérienne. Je n'ai pu suivre cette coulée jusqu'à son origine, mais, d'après sa direction, elle paraît être descendue de Signal-Post Hill, éloigné d'un mille un quart, et qui, comme Red Hill, a été un centre d'éruption postérieure au soulèvement de la grande plaine basaltique. Un fait qui concorde avec cette manière de voir, c'est que j'ai trouvé sur Signal-Post Hill une masse de matière calcaire terreuse, de la même nature, mélangée avec des scories. Il importe de faire observer ici qu'une partie de la matière calcaire qui constitue le banc sédimentaire horizontal, et spécialement la matière fine recouvrant d'une couche blanche les fragments de roches engagés dans le banc, doit son origine, suivant toute probabilité, à la fois à des éruptions volcaniques et à la trituration de restes d'organismes. Les roches cristallines anciennes sous-jacentes sont associées avec beaucoup de carbonate de chaux sous la forme d'amygdaloïdes et de masses irrégulières, dont je n'ai pu comprendre la nature.
En tenant compte de l'abondance du calcaire terreux près du sommet de Red Hill, cône volcanique haut de 600 pieds et de formation subaérienne, du mélange intime de petits fragments et de volumineux amas de scories empâtés dans des masses d'un calcaire presque pur, et de la manière dont de petits noyaux et des traînées de poussière calcaire sont renfermés dans des fragments massifs de scories, en tenant compte enfin d'une association identique de calcaire et de scories, constatée dans une coulée de lave qu'on a toutes raisons de croire moderne et subaérienne, et qui est descendue d'une colline où l'on rencontre également du calcaire terreux, je pense que, sans aucun doute, le calcaire a été éjaculé à l'état de mélange avec la lave fondue. Je ne sache pas qu'aucun fait semblable ait été décrit, et il me paraît intéressant de le signaler, d'autant plus qu'un grand nombre de géologues ont certainement cherché à déterminer les actions qui doivent se produire dans un foyer volcanique prenant naissance dans des couches profondes, de composition minéralogique variée. La grande abondance de silice libre dans les trachytes de certaines régions (tels que ceux de Hongrie décrits par Beudant, et des îles Ponza par P. Scrope) résout peut-être la question pour le cas où les roches sous-jacentes seraient quartzeuses, et nous trouvons probablement ici la solution du problème dans le cas où les produits volcaniques ont traversé des masses sous-jacentes de calcaire. On est porté, naturellement, à se demander à quel état se trouvait le carbonate de chaux, actuellement terreux, au moment où il a été éjaculé avec la lave dont la température était très élevée; l'état extrêmement celluleux des scories de Red Hill prouve que la pression ne peut avoir été bien considérable, et comme la plupart des éruptions volcaniques sont accompagnées du dégagement de grandes quantités de vapeur d'eau et d'autres gaz, nous trouvons ici réunies les conditions qui, suivant les idées actuelles des chimistes, sont les plus favorables pour l'élimination de l'acide carbonique[3]. On peut se demander si la lente réabsorption de ce gaz n'a pas donné au calcaire renfermé dans les vacuoles de la lave cette structure fibreuse si particulière, semblable à celle d'un sel efflorescent. Enfin je ferai remarquer la grande différence d'aspect constatée entre ce calcaire terreux, qui doit avoir été porté à une haute température dans une atmosphère de vapeur d'eau et de gaz divers, et le calcaire spathique, blanc, cristallin, qui a été formé sous une nappe de lave peu épaisse (comme à Quail-island) s'étalant sur un calcaire terreux et sur les débris d'organismes tapissant le fond d'une mer peu profonde.
Signal-Post Hill.—Nous avons déjà parlé de cette colline à diverses reprises, notamment lorsque nous avons signalé la manière remarquable dont la couche calcaire blanche, en d'autres points parfaitement horizontale, plonge dans la mer sous la colline (figure 2). Son sommet est large et offre des traces peu nettes de structure cratériforme; il est formé de roches basaltiques[4], compactes ou celluleuses, avec des bancs inclinés de scories incohérentes dont quelques-uns sont associés à du calcaire terreux. Comme Red Hill, cette colline a été le foyer d'éruptions postérieures au soulèvement de la plaine basaltique environnante; mais, contrairement à la première colline, elle a subi des dénudations importantes et a été le siège d'actions volcaniques à une période très reculée, quand elle était encore sous-marine. Pour établir ce point, je me base sur l'existence des derniers vestiges de trois petits centres d'éruption que j'ai découverts sur le flanc qui regarde l'intérieur des terres. Ils sont formés de scories luisantes cimentées par du spath calcaire cristallin, exactement comme le grand dépôt calcaire sous-marin, aux endroits où la lave, encore à haute température, s'est étalée; leur aspect ruiniforme ne peut être expliqué, je pense, que par l'action dénudatrice des vagues de la mer. Ce qui m'a mené au premier orifice, c'est que j'ai observé une couche de lave de 200 yards carrés environ, à bords abrupts, étalée sur la plaine basaltique sans qu'il y eût à proximité quelque monticule d'où elle aurait pu être éjaculée; et le seul vestige d'un cratère que je sois parvenu à découvrir consistait en quelques bancs obliques de scories, à l'une de ses extrémités. A 50 yards d'un second amas de lave à sommet plat comme le premier, mais beaucoup plus petit, je découvris un groupe circulaire irrégulier de plusieurs masses d'une brèche formée de scories cimentées, hautes d'environ 6 pieds, et qui sans doute ont constitué autrefois le centre d'éruption. Le troisième orifice n'est plus indiqué aujourd'hui que par un cercle irrégulier de scories cimentées, de 4 yards de diamètre environ, et ne s'élevant, en son point culminant, qu'à 3 pieds à peine au-dessus du niveau de la plaine, dont la surface présente son aspect habituel et n'offre aucune solution de continuité aux environs; nous avons ici une section horizontale de la base d'un orifice volcanique qui a été presque entièrement rasé avec toutes les matières éjaculées.
A en juger par sa direction, la coulée de lave qui comble la gorge étroite[5] située à l'est de la ville de Praya, paraît être descendue de Signal-Post Hill, comme nous l'avons fait remarquer plus haut, et s'être répandue sur la plaine après que celle-ci eut été soulevée; la même observation s'applique à une coulée (qui n'est peut-être qu'une portion de la première) recouvrant les rochers du rivage, à peu de distance à l'est de la gorge. Lorsque je m'efforçai de suivre ces coulées sur la surface rocheuse de la plaine presque entièrement privée de terre arable et de végétation, je fus fort surpris de constater que toute trace distincte de ces coulées disparaissait bientôt complètement, quoiqu'elles soient constituées par une matière basaltique dure et qu'elles n'aient pas été exposées à l'action dénudatrice de la mer. Mais j'ai observé depuis, à l'archipel des Galapagos, qu'il est souvent impossible de suivre des coulées de laves même très récentes et de très grande dimension, au travers de coulées plus anciennes, si ce n'est en se guidant sur la dimension des buissons qui les recouvrent, ou en comparant l'état plus ou moins luisant de leur surface,—caractères qu'un laps de temps fort court suffit à effacer entièrement. Je dois faire remarquer que dans une région à surface unie, à climat sec, et où le vent souffle toujours dans la même direction (comme à l'archipel du Cap Vert), les effets de dégradation dus à l'action atmosphérique sont probablement beaucoup plus considérables qu'on ne le supposerait, car dans ce cas le sol meuble s'accumule uniquement dans quelques dépressions protégées contre le vent, et étant toujours poussé dans une même direction, il chemine constamment vers la mer sous forme d'une poussière fine, laissant la surface des rochers découverte et exposée sans défense à l'action continue des agents atmosphériques.
Collines de l'intérieur de l'île constituées par des roches volcaniques plus anciennes.—Ces collines sont reportées approximativement sur la carte et marquées des lettres A, B, C, etc. Leur constitution minéralogique les rapproche des roches inférieures visibles sur la côte, et elles sont probablement en continuité directe avec ces dernières. Vues de loin, ces collines semblent avoir fait partie autrefois d'un plateau irrégulier, ce qui paraît probable en raison de l'uniformité de leur structure et de leur composition. Leur sommet est plat, légèrement incliné et elles ont, en moyenne, environ 600 pieds de hauteur. Leur versant le plus abrupt est dirigé vers l'intérieur de l'île, point d'où elles rayonnent vers l'extérieur, et elles sont séparées l'une de l'autre par des vallées larges et profondes, au travers desquelles sont descendues de grandes coulées de lave qui ont formé les plaines du rivage. Leurs flancs tournés vers l'intérieur de l'île et qui sont les plus abrupts, comme nous venons de le dire, dessinent une courbe irrégulière à peu près parallèle à la ligne du rivage, dont elle est éloignée de 2 ou 3 milles vers l'intérieur. J'ai gravi quelques-unes de ces collines et, grâce à l'amabilité de M. Kent, chirurgien-adjoint du Beagle, j'ai obtenu des spécimens provenant de celles des autres collines que j'ai pu apercevoir à l'aide d'une longue-vue. Quoiqu'il ne m'ait été possible d'étudier, à l'aide de ces divers éléments, qu'une partie de la chaîne, 5 à 6 milles seulement, je n'hésite pas à affirmer, d'après l'uniformité de structure de ces collines, qu'elles appartiennent à une grande formation s'étendant sur la majeure partie de la circonférence de l'île.
Les couches supérieures de ces collines diffèrent considérablement des couches inférieures par leur composition. Les couches supérieures sont basaltiques, généralement compactes, mais parfois scoriacées et amygdaloïdes, et sont associées à des masses de wacke. Là où le basalte est compact, il est tantôt finement grenu et tantôt très grossièrement cristallin; dans ce dernier cas il passe à une roche augitique renfermant beaucoup d'olivine; celle-ci est incolore ou présente les teintes ordinaires: jaune et rougeâtre terne. Sur certaines collines, les couches basaltiques sont associées à des bancs d'une matière calcaire, terreuse ou cristalline, englobant des fragments de scories vitreuses. Les couches dont nous parlons en ce moment ne diffèrent des coulées de lave basaltique qui constituent la plaine côtière que par une plus grande compacité, par la présence de cristaux d'augite et par les dimensions plus fortes des grains d'olivine;—caractères qui, joints à l'aspect des bancs calcaires associés avec ces couches, me portent à croire qu'elles sont de formation sous-marine.
Quelques masses importantes de wacke sont fort curieuses. Les unes sont associées à ces couches basaltiques, les autres se montrent sur la côte, et spécialement à Quail-island où elles constituent les assises inférieures. Ces roches consistent en une substance argileuse d'un vert-jaunâtre pâle, à structure arénacée lorsqu'elle est sèche, mais onctueuse quand elle est humide; dans son état de plus grande pureté, elle est d'une belle teinte verte, translucide sur les bords, et présente accidentellement des traces vagues d'un clivage originel. Elle se fond très facilement au chalumeau en un globule gris-sombre, parfois même noir, légèrement magnétique. Ces caractères m'ont conduit naturellement à croire que cette matière était un produit de décomposition d'un pyroxène faiblement coloré; cette manière de voir est appuyée par le fait que la roche non altérée se montre pleine de grands cristaux isolés d'augite noire, ainsi que de sphères et de traînées d'une roche augitique gris foncé. Le basalte étant ordinairement formé d'augite et d'olivine souvent altérée et de couleur rouge sombre, je fus amené à examiner les phases de décomposition de ce dernier minéral, et je m'aperçus avec étonnement que je pouvais suivre une gradation presque parfaite entre l'olivine inaltérée et la wacke verte. Dans certains cas, des fragments provenant d'un même grain se comportaient au chalumeau comme de l'olivine, à part un léger changement de couleur, ou donnaient un globule magnétique noir. Je ne puis donc douter que la wacke verdâtre n'était à l'origine autre chose que de l'olivine, et que des modifications chimiques très profondes aient dû se produire au cours de la décomposition pour avoir pu transformer un minéral très dur, transparent, infusible, en une substance argileuse, tendre, onctueuse et facilement fusible[6].
Les couches de la base de ces collines, ainsi que quelques monticules isolés, dénudés et de forme arrondie, sont constitués par des roches feldspathiques ferrugineuses compactes, finement grenues, non cristallines (ou dont la nature cristalline est à peine perceptible); ces roches sont généralement à demi décomposées. Leur cassure est extrêmement irrégulière et esquilleuse, et même les petits fragments sont souvent très résistants. Elles renferment une forte proportion de matière ferrugineuse, soit en petits grains à éclat métallique, soit en fibres capillaires brunes; en ce dernier cas, la roche prend une structure pseudo-bréchiforme. Ces roches renferment parfois du mica et des veines d'agate. Leur couleur brun de rouille ou jaunâtre est due partiellement aux oxydes de fer, mais surtout à d'innombrables taches microscopiques noires, qui fondent facilement lorsqu'on chauffe un fragment de roche, et sont évidemment formées de hornblende ou d'augite. Ces roches contiennent donc tous les éléments essentiels du trachyte, quoiqu'elles offrent, à première vue, l'aspect d'argile cuite ou de quelque dépôt sédimentaire modifié. Elles ne diffèrent du trachyte que parce qu'elles ne sont pas rudes au toucher et qu'elles ne renferment pas de cristaux de feldspath vitreux. Ainsi que le cas s'en présente si souvent pour les formations trachytiques, on ne voit ici aucune trace de stratification. On croirait difficilement que ces roches ont pu couler à l'état de laves; il existe pourtant à Sainte-Hélène des coulées bien caractérisées, dont la composition est presque identique à celle de ces roches, ainsi que je le montrerai dans un autre chapitre. J'ai rencontré en trois endroits, parmi les monticules constitués par ces roches, des collines coniques, à pentes douces, formées de phonolite contenant de nombreux cristaux de feldspath vitreux bien formés, et des aiguilles de hornblende. Je crois que ces cônes de phonolite ont le même rapport avec les couches feldspathiques environnantes, que certaines masses d'une roche augitique grossièrement cristallisée ont avec le basalte qui les entoure, dans une autre partie de l'île, c'est-à-dire que dans les deux cas ces roches ont été injectées. Les roches de nature feldspathique étant plus anciennes que les nappes basaltiques qui les recouvrent et que les coulées basaltiques de la plaine côtière, obéissent à l'ordre de succession habituel de ces deux grandes divisions de la série volcanique.
Ce n'est qu'à la partie supérieure des couches de la plupart de ces collines qu'on peut distinguer les plans de séparation; les couches s'inclinent faiblement du centre de l'île vers la côte. L'inclinaison n'est pas identique dans toutes les collines; elle est plus faible dans la colline marquée A que dans les collines B, D ou E; les couches de la colline C s'écartent à peine d'un plan horizontal; et celles de la colline F (pour autant que j'ai pu en juger sans la gravir) sont faiblement inclinées en sens inverse, c'est-à-dire vers l'intérieur et vers le centre de l'île. Malgré ces différences d'inclinaison, leur similitude de forme extérieure et de constitution tant au sommet qu'à la base, leur disposition en une ligne courbe en présentant le flanc le plus escarpé vers l'intérieur de l'île, tout semble prouver qu'elles faisaient originairement partie d'un plateau qui s'étendait probablement autour d'une grande partie de la circonférence de l'île, comme je l'ai fait remarquer plus haut. Les couches supérieures ont coulé bien certainement à l'état de lave, et se sont probablement étalées sous la mer, comme c'est aussi le cas pour les masses feldspathiques inférieures. Comment donc ces couches ont-elles été amenées à prendre leur position actuelle, et d'où ont-elles fait éruption?
Au centre de l'île il existe des montagnes élevées[7], mais elles sont séparées du flanc escarpé intérieur de ces collines par une large étendue de pays de moindre altitude; d'ailleurs les montagnes de l'intérieur paraissent avoir été le centre d'éjaculation de grandes coulées de lave basaltique qui, se rétrécissant pour passer entre les pieds de ces collines, s'étalent ensuite sur la plaine côtière. Des roches basaltiques forment un cercle grossièrement dessiné autour des côtes de Sainte-Hélène, et à l'île Maurice on voit les restes d'un cercle semblable entourant tout au moins une partie de l'île, sinon l'île entière; la même question revient immédiatement se poser ici: comment ces masses ont-elles été amenées à prendre leur position actuelle et de quel centre éruptif proviennent-elles? Quelle que puisse être la réponse, elle s'applique probablement à ces trois cas. Nous reviendrons sur ce sujet dans un autre chapitre.
Vallées voisines de la côte.—Elles sont larges, très-plates et bordées ordinairement de falaises peu élevées. Certaines parties de la plaine basaltique sont parfois isolées par ces vallées, soit en partie, soit même complètement; l'espace où la ville de Praya est bâtie offre un exemple de ce fait. Le fond de la grande vallée qui s'étend à l'ouest de la ville est rempli, jusqu'à la profondeur de plus de 20 pieds, de galets bien arrondis, qui sont solidement cimentés, en certains endroits, par une matière calcaire blanche. La forme de ces vallées démontre à toute évidence qu'elles ont été creusées par les vagues de la mer, pendant la durée de ce soulèvement uniforme du pays attesté par le dépôt calcaire horizontal avec restes d'organismes marins actuels. En tenant compte de la conservation parfaite des coquilles contenues dans cette couche, il est étrange que je n'aie pu trouver un seul fragment de coquille dans le conglomérat qui occupe le fond des vallées. Dans la vallée qui se trouve à l'ouest de la ville, le lit de galets est coupé par une seconde vallée se greffant à la première sous forme d'affluent; mais cette dernière vallée même paraît beaucoup trop large et présente un fond beaucoup trop plat pour avoir été creusée par la petite quantité d'eau qui peut tomber pendant la saison humide, fort courte en cette contrée, car pendant le reste de l'année ces vallées sont absolument à sec.
Conglomérats récents.—J'ai trouvé sur les rivages de Quail-island des fragments de briques, des morceaux de fer, des galets et de grands fragments de basalte, unis en un conglomérat solide par un ciment peu abondant, formé d'une matière calcaire impure. Je puis dire, comme preuve de l'extrême solidité de ce conglomérat récent, que je me suis efforcé de dégager, à l'aide d'un lourd marteau de géologue, un gros morceau de fer enchâssé dans le banc un peu au-dessus de la laisse de basse mer, mais que j'ai été absolument incapable d'y parvenir.
Notes:
[1] La configuration de la côte, la position des villages, des ruisseaux et de la plupart des collines représentés dans cette figure, ont été copiées de la carte dressée à bord du H.M.S. Leven. Les collines à sommet plat (A B C, etc.) y ont été reportées d'une manière purement approximative, pour rendre ma description plus claire.
[2] Je suis fort reconnaissant à M. E.-W. Brayley de m'avoir indiqué à ce sujet les travaux suivants: Faraday: Edinburgh, New philosophical Journal, vol. XV, p. 398;—Gay-Lussac: Annales de chimie et de physique, tome I, chap. XIII, p. 210, dont la traduction a paru dans le London and Edinburgh philosophical Magazine, vol. X, p. 496.
[3] Je pense qu'à une grande profondeur au-dessous de la surface du sol, le carbonate de chaux était à l'état liquide. On sait que Hutton attribuait la formation de toutes les roches amygdaloïdes à des gouttes de calcaire fondu flottant dans le trapp comme de l'huile dans l'eau; cette théorie est certainement fausse, mais si les roches qui constituent le sommet de Red Hill s'étaient refroidies sous la pression des eaux d'une mer peu profonde, ou entre les parois d'un dike, nous aurions, selon toute probabilité, une roche trappéenne associée avec de grandes masses de calcaire spathique compacte et cristallin. Or, d'après la manière de voir de beaucoup de géologues aujourd'hui, la présence de ce calcaire aurait été attribuée, à tort, à des infiltrations postérieures.
[4] Ces roches offrent fréquemment une variété remarquable, remplie de petits fragments d'un minéral terreux, rouge jaspe foncé, qui montre, quand on l'examine attentivement, un clivage peu net; les petits fragments sont allongés, tendres, magnétiques avant comme après caléfaction, et difficilement fusibles en un émail terne. Ce minéral est évidemment très voisin des oxydes de fer, mais je ne saurais le déterminer avec certitude. La roche qui renferme ce minéral est criblée de petites cavités anguleuses tapissées et remplies de cristaux jaunâtres de carbonate de chaux.
[5] Aux endroits où la nappe basaltique supérieure est interrompue, les parois de cette gorge sont presque verticales. La lave qui l'a remplie ultérieurement adhère à ces parois presque aussi fortement qu'un dike à ses murs. Lorsqu'une nappe de lave s'est écoulée le long d'une vallée, elle est souvent bordée, de chaque côté, par des masses de scories incohérentes.
[6] D'Aubuisson, dans son Traité de Géognosie (tome II, p. 569), indique, d'après M. Marcel de Serres, que des masses de terre verte existent près de Montpellier, et sont considérées comme dues à la décomposition de l'olivine. Je ne sache pas cependant que l'action du chalumeau sur ce minéral se trouve modifiée lorsqu'il présente un commencement de décomposition. Ce fait est important, car, à première vue, il semble invraisemblable qu'un minéral dur, transparent, réfractaire, se soit transformé en une argile tendre et facilement fusible comme celle de San Thiago. Je décrirai plus loin une substance verte formant des filaments dans l'intérieur des vacuoles de certaines roches basaltiques vésiculaires au Van Diemen's Land, qui se comporte au chalumeau comme la wacke verte de San Thiago, mais cette forme cylindrique des filaments prouve qu'elle ne peut pas avoir été formée par la décomposition de l'olivine, minéral se présentant toujours en grains ou en cristaux.
[7] Je n'ai presque rien vu de l'intérieur de l'île. Près du village de Saint-Domingo il y a de magnifiques rochers de lave basaltique à gros grains cristallins. A 1 mille environ en amont du village, le long du petit ruisseau qui parcourt la vallée, la base du grand rocher est formée d'un basalte compact à grain fin, surmonté, en stratification concordante, d'un lit de galets. J'ai rencontré, près de Fuentes, des collines mamelonnées constituées par des roches feldspathiques compactes.
CHAPITRE II
FERNANDO NORONHA, TERCEIRA, TAHITI, MAURICE ROCHERS DE SAINT-PAUL
Fernando Noronha, colline escarpée de phonolite.—Terceira, roches trachytiques; leur décomposition remarquable par l'action de la vapeur à haute température.—Tahiti, passage de la wacke au trapp: roche volcanique intéressante à vacuoles tapissées de mésotype.—Maurice, preuves de son émersion récente; structure de ses plus anciennes montagnes; analogie avec San Thiago.—Rochers de Saint-Paul. Ils ne sont pas d'origine volcanique, leur composition minéralogique singulière.
Fernando Noronha.—J'ai observé fort peu de choses dignes d'une description pendant notre courte visite à cette île et aux quatre îles suivantes. Fernando Noronha est située dans l'océan Atlantique, par 3°50' lat. S., et à 230 milles de la côte de l'Amérique méridionale. Ce groupe est formé de divers îlots, ayant ensemble 9 milles de longueur sur 3 de largeur. Tout l'ensemble paraît être d'origine volcanique; bien qu'il n'y ait de trace d'aucun cratère ni d'aucune éminence centrale. Le trait le plus remarquable de l'île est une colline haute de 1.000 pieds, dont la partie supérieure, comprenant 400 pieds, constitue un cône escarpé d'une forme étrange, composé de phonolite colonnaire contenant de nombreux cristaux de feldspath vitreux et quelques aiguilles de hornblende. Du point le plus élevé qu'il m'ait été possible d'atteindre sur cette colline, j'ai pu apercevoir, dans différentes parties du groupe, plusieurs autres collines coniques, qui sont probablement de la même nature.
Il y a à Sainte-Hélène de grandes masses protubérantes et coniques de phonolite, hautes d'environ 1.000 pieds, formées par l'injection de lave feldspathique fluide dans des couches qui ont cédé sous la pression. Si, comme tout le fait supposer, cette colline a une origine semblable, la dénudation doit s'être produite ici sur une très grande échelle. Près de la base de la colline, j'ai observé des lits de tuf blanc coupés par de nombreux dikes de basalte amygdaloïde ou de trachyte, et des lits de phonolite schisteux avec plans de feuilletage orientés N.-W. et S.-E. Certaines parties de cette roche, où les cristaux étaient rares, ressemblaient beaucoup à une ardoise ordinaire modifiée au contact d'un dike de trapp. Ce feuilletage de roches qui ont été incontestablement fluides me semble un sujet bien digne d'attention. Sur la plage il y avait de nombreux fragments de basalte compact, et à distance on voyait comme une façade à colonnes formées par cette roche.
Terceira dans les Açores.—La partie centrale de cette île est constituée par des montagnes irrégulièrement arrondies, assez peu élevées, formées de trachyte dont le caractère général se rapproche beaucoup de celui du trachyte de l'Ascension que nous décrirons plus loin. Cette formation est recouverte en bien des points, et suivant l'ordre de superposition ordinaire, par des coulées de lave basaltique, qui, près de la côte, constituent la surface du sol presque tout entière. On peut souvent suivre de l'oeil la route que ces coulées ont parcourue à partir de leurs cratères. La ville d'Angra est dominée par une colline cratériforme (Mount Brazil), entièrement constituée par des couches minces d'un tuf à grain fin, rude au toucher et coloré en brun. Les couches supérieures paraissent recouvrir les coulées basaltiques sur lesquelles la ville est bâtie. Cette colline est presque identique, au point de vue de la structure et de la composition, à un grand nombre de collines cratériformes de l'archipel des Galapagos.
Action de la vapeur d'eau sur les roches trachytiques.—Dans la partie centrale de l'île, on observe en un point des vapeurs qui s'échappent constamment, en jets, du fond d'une petite dépression en forme de ravin sans issue, et qui est accolée à une chaîne de montagnes trachytiques. La vapeur est projetée de plusieurs fentes irrégulières; elle est inodore, noircit rapidement le fer, et possède une température beaucoup trop élevée pour que la main puisse la supporter. Le trachyte compact est altéré d'une manière fort curieuse sur les bords de ces orifices: la base devient d'abord terreuse, avec des taches rouges dues évidemment à l'oxydation de particules de fer; ensuite elle devient tendre, et enfin les cristaux de feldspath vitreux cèdent eux-mêmes à l'agent de décomposition. Lorsque toute la masse est transformée en argile, l'oxyde de fer semble entièrement éliminé de certaines parties de la roche qui sont parfaitement blanches, tandis qu'il paraît s'être déposé en grande quantité sur des parties voisines colorées d'un rouge éclatant; d'autres masses sont marbrées de ces deux couleurs. Certains échantillons de cette argile blanche, maintenant desséchés, ne sauraient être distingués à l'oeil nu de la craie lavée la plus fine; et broyés sous la dent, ils présentent l'impression d'une finesse de grain uniforme; les habitants se servent de cette substance pour badigeonner leurs maisons. La cause pour laquelle le fer a été dissous dans certaines parties de la roche et déposé à peu de distance de là, est obscure, mais le fait a été observé en plusieurs autres points[1]. J'ai trouvé, dans des échantillons à moitié décomposés, de petits agrégats globulaires d'hyalite jaune, ressemblant à de la gomme arabique, et qui a été, sans aucun doute, déposée par la vapeur.
Comme il n'y a pas d'issue pour l'eau de pluie, qui ruisselle le long des parois de la cavité en forme de ravin d'où s'échappe la vapeur, toute la masse doit passer au travers des fissures qui sont au fond de cette cavité et s'infiltrer dans le sol. Quelques habitants m'ont rapporté que, d'après la tradition, des flammes (un phénomène lumineux?) s'étaient échappées autrefois de ces fissures, et qu'aux flammes avaient succédé des émanations de vapeur; mais il m'a été impossible d'obtenir des renseignements certains, quant à la date à laquelle ces faits se seraient produits, ni sur les faits eux-mêmes.
L'étude des lieux m'a conduit à supposer que l'injection d'une grande masse rocheuse semi-fluide, comme serait le cône de phonolite à Fernando Noronha, en soulevant en voûte la surface du sol, peut avoir déterminé la formation d'une cavité en forme de coin à fond crevassé, et que l'eau des pluies, pénétrant jusqu'au voisinage des masses à haute température, a été transformée en vapeur et expulsée sous cette forme pendant une longue suite d'années.
Tahiti (Otaheite).—Je n'ai visité qu'une partie de la région nord-ouest de cette île, elle est entièrement formée de roches volcaniques. Près de la côte on observe plusieurs variétés de basalte, dont les unes abondent en grands cristaux d'augite et en olivine altérée, et dont d'autres sont compactes et terreuses;—quelques-unes sont légèrement vésiculaires, et d'autres parfois amygdaloïdes. Ces roches sont d'habitude fortement décomposées, et, à ma grande surprise, je remarquai que dans plusieurs coupes il était impossible de distinguer, même approximativement, la ligne de séparation entre la lave décomposée et les lits de tuf alternant avec elle. Depuis que les échantillons se sont desséchés, il est cependant plus facile de distinguer les roches ignées décomposées des tufs sédimentaires. Je pense que l'on peut expliquer cette transition de caractères entre des roches dont l'origine est aussi différente, par le fait que les parois des cavités vésiculaires, qui occupent une grande partie de la masse dans plusieurs roches volcaniques, ont cédé sous la pression, lorsqu'elles étaient ramollies par l'action de la chaleur. Comme le nombre et la dimension des vacuoles s'accroissent généralement dans les parties supérieures d'une coulée de lave, les effets de leur compression s'accroîtront en même temps. En outre, chaque vacuole située plus bas doit contribuer, en cédant sous la pression, à déranger toute la masse pâteuse qui la surmonte. Nous pouvons donc nous attendre à trouver une gradation complète depuis une roche cristalline non modifiée jusqu'à une roche dont toutes les particules (quoique faisant partie, à l'origine, d'une même masse solide) ont subi un déplacement mécanique; et ces particules pourront être difficilement distinguées d'autres dont la composition est la même, mais qui ont été déposées comme matières sédimentaires. Puisque des laves sont quelquefois laminées à leur partie supérieure, on comprend que des lignes horizontales, rappelant celles des dépôts aqueux, ne peuvent pas dans tous les cas être envisagées comme une preuve d'origine sédimentaire. Si l'on tient compte de ces considérations, on ne sera pas surpris qu'autrefois beaucoup de géologues aient cru qu'il existait des transitions réelles réunissant les dépôts aqueux, en passant par la wacke, aux trapps ignés.
Dans la vallée de Tia-auru, les roches les plus fréquentes sont des basaltes riches en olivine, et parfois presque entièrement composés de grands cristaux d'augite. J'ai recueilli quelques spécimens contenant beaucoup de feldspath vitreux et dont le caractère se rapproche de celui du trachyte. On rencontre aussi un grand nombre de gros blocs de basalte scoriacé dont les cavités sont tapissées de chabasie (?) et de mésotype fibro-rayonné. Quelques-uns de ces spécimens offraient une apparence singulière, due à ce qu'une partie des vacuoles étaient à moitié remplies d'un minéral mésotypique blanc, tendre et terreux, qui gonflait sous le chalumeau d'une manière remarquable. Comme les surfaces supérieures, dans toutes les vacuoles à moitié remplies, sont exactement parallèles, il est évident que cette substance est descendue au fond de chaque vacuole sous l'action de son propre poids. Parfois cependant les vacuoles sont complètement remplies. D'autres vacuoles sont ou bien remplies, ou bien tapissées de petits cristaux qui paraissent être de la chabasie; fréquemment aussi ces cristaux tapissent la moitié supérieure des vacuoles qui sont partiellement remplies par le minéral terreux, ainsi que la surface supérieure de cette dernière substance; dans ce cas les deux minéraux semblent se fondre l'un dans l'autre. Je n'ai jamais vu une roche amygdaloïdale[2] dont les vacuoles fussent à moitié remplies comme celles que nous venons de décrire; il est difficile de découvrir la cause pour laquelle ce minéral terreux s'est déposé au fond des vacuoles sous l'influence de son propre poids, et pour quelle raison le minéral cristallin s'est déposé en enduit d'épaisseur uniforme sur les parois des vacuoles.
Sur les flancs de la vallée, les bancs basaltiques sont doucement inclinés vers la mer, et je n'ai observé nulle part qu'ils fussent dérangés de leur position normale; ils sont séparés l'un de l'autre par des lits épais et compacts de conglomérats à fragments volumineux, quelquefois arrondis, mais généralement anguleux. Le caractère de ces bancs, l'état compact et la nature cristalline de la plupart des laves, ainsi que la nature des minéraux qui s'y sont formés par infiltration, me portent à croire que la coulée s'est étalée primitivement sous la mer. Cette conclusion s'accorde avec le fait que le Rév. W. Ellis a rencontré, à une altitude considérable, des restes d'organismes marins dans des couches qu'il croit interstratifiées avec des matières volcaniques. De plus, MM. Tyermann et Bennet ont signalé des faits semblables à Huaheine, autre île de cet archipel; en outre, M. Stutchbury a découvert une couche de corail semi-fossile au sommet d'une des montagnes les plus élevées de Tahiti, à l'altitude de plusieurs milliers de pieds. Aucun de ces restes fossiles n'a été déterminé spécifiquement. J'ai vainement cherché la trace d'un soulèvement récent sur la côte, où les grandes masses coraliennes qui s'y trouvent en auraient fourni des preuves irréfutables. Je renvoie le lecteur à mon ouvrage sur la Structure et la Distribution des récifs coraliens, pour les citations des auteurs dont j'ai parlé et pour l'exposition détaillée des raisons qui m'empêchent de croire que Tahiti a subi un soulèvement récent.
Maurice.—Lorsqu'on approche de cette île du côté du N. ou du N.-W., on voit une chaîne recourbée de montagnes escarpées, surmontées de pics très abrupts, dont le pied surgit d'une zone unie de terrain cultivé, qui s'incline doucement jusqu'à la côte. La première impression qu'on éprouve est que la mer atteignait, à une époque peu reculée, le pied de ces montagnes, et après un examen attentif cette impression se confirme, au moins pour la partie inférieure de cette zone. Divers auteurs[3] ont décrit des masses de roche corallienne soulevées sur la plus grande partie de la circonférence de l'île. Entre Tamarin Bay et Great Black River j'ai observé avec le capitaine Lloyd deux monticules de roche corallienne, dont la partie inférieure est formée de grès calcareux dur, et la partie supérieure, de grands blocs à peine agrégés, constitués par des Astrées, des Madrépores et des fragments de basalte; ils étaient disposés en bancs plongeant vers la mer sous un angle qui dans un cas était de 8 et dans un autre de 18°; ils semblaient avoir été exposés à l'action des vagues, et ils s'élevaient brusquement à la hauteur d'environ 20 pieds, d'une surface unie jonchée de débris organiques roulés. L'Officier du Roi a décrit dans son intéressant voyage autour de l'île, en 1768, des masses de roches coralliennes soulevées, conservant encore cette structure en forme de fossé (V. mon ouvrage sur les récifs coralliens, p. 54) caractéristique pour les récifs vivants. J'ai observé sur la côte, au nord de Port-Louis, que la lave était cachée, sur une distance considérable dans la direction du centre de l'île, par un conglomérat de coraux et de coquilles, semblables à ceux de la plage, mais cimentés par une matière ferrugineuse rouge. M. Bory de Saint-Vincent a décrit des lits calcareux semblables s'étendant sur la plaine de Pamplemousses presque tout entière. En retournant de grandes pierres qui gisaient dans le lit d'une rivière, à l'extrémité d'une crique abritée, près de Port-Louis et à quelques yards au-dessus du niveau des fortes marées, j'ai trouvé plusieurs coquilles de serpules encore adhérentes à la face inférieure de ces pierres.
Les montagnes dentelées voisines de Port-Louis s'élèvent à la hauteur de 2 à 3.000 pieds; elles sont constituées par des couches de basalte, séparées les unes des autres, d'une manière peu nette, par des bancs de matières fragmentaires fortement agrégés, et elles sont coupées par quelques dikes verticaux. Ce basalte, généralement compact, abonde dans certaines parties en grands cristaux d'augite et d'olivine. L'intérieur de l'île est une plaine, élevée probablement d'environ 1.000 pieds au-dessus du niveau de la mer, et formée par des nappes de lave qui se sont répandues autour des montagnes basaltiques ravinées et ont comblé les vallées qui les séparent. Ces laves plus récentes sont également basaltiques, mais moins compactes, et un certain nombre d'entre elles abondent en feldspath au point qu'elles fondent en un verre de couleur pâle. Sur les bords de Great River on peut voir une coupe d'environ 500 pieds de hauteur, qui met à découvert de nombreuses nappes minces de lave basaltique séparées les unes des autres par des lits de scories. Ces laves paraissent d'origine subaérienne et semblent s'être écoulées de divers points d'éruption situés sur le plateau central, dont le plus important est, dit-on, le Piton du Milieu. Il y a aussi plusieurs cônes volcaniques qui sont probablement de cette même période moderne, répartis sur le pourtour de l'île, spécialement à l'extrémité septentrionale, où ils forment des îlots séparés.
L'ossature principale de l'île est formée par les montagnes de basalte plus compact et plus riche en cristaux. M. Bailly[4] affirme que toutes ces montagnes «se développent autour d'elle comme une ceinture d'immenses remparts, toutes affectant une pente plus ou moins inclinée vers le rivage de la mer, tandis que, au contraire, vers le centre de l'île elles présentent une coupe abrupte et souvent taillée à pic. Toutes ces montagnes sont formées de couches parallèles inclinées du centre de l'île vers la mer». Ces observations ont été discutées d'une manière générale par M. Quoy, dans le Voyage de Freycinet. J'ai constaté leur parfaite exactitude pour autant que les moyens d'observation insuffisants dont je disposais m'aient permis de le faire[5]. Les montagnes que j'ai visitées dans le nord-ouest de l'île, notamment La Pouce, Peter Botts, Corps de Garde, Les Mamelles, et probablement une autre encore située plus au sud, offrent précisément la forme externe et la disposition des couches décrites par M. Bailly. Elles constituent le quart environ de sa ceinture de remparts. Quoique ces montagnes soient aujourd'hui isolées, et séparées les unes des autres par des brèches, dont la largeur atteint même plusieurs milles, au travers desquelles se sont répandus des déluges de lave partis de l'intérieur de l'île, pourtant en voyant les grandes analogies qu'elles présentent, on reste convaincu qu'elles ont fait partie, à l'origine, d'une seule masse continue. A en juger d'après la belle carte de l'île Maurice publiée par l'Amirauté d'après un manuscrit français, il existe à l'autre extrémité de l'île une chaîne de montagnes (M. Bambou) correspondant comme hauteur, position relative et forme extérieure, à celle que je viens de décrire. Il est douteux que la ceinture ait jamais été complète, mais on peut conclure avec certitude de ce qu'avance M. Bailly et de mes propres observations, qu'à une certaine époque des montagnes, formées de couches inclinées vers l'extérieur et présentant vers l'intérieur des flancs à pic, s'étendaient sur une grande partie de la circonférence de l'île. La ceinture semble avoir été ovale et de très grandes dimensions, car son petit axe, mesuré entre la partie interne des montagnes voisines de Port-Louis et celles des environs de Grand-Port, n'a pas moins de 13 milles géographiques de longueur. M. Bailly ne craint pas d'admettre que ce vaste golfe, comblé ultérieurement en grande partie par des coulées de lave modernes, a été formé par l'affaissement de toute la partie supérieure d'un grand volcan.
Il est singulier de voir sous combien de rapports concorde l'histoire géologique de ces parties des îles San Thiago et Maurice que j'ai visitées. Dans les deux îles la ligne des côtes est suivie par une chaîne courbe de montagnes présentant la même forme extérieure, la même stratification et la même composition (tout au moins en ce qui concerne les couches supérieures). Dans les deux cas ces montagnes semblent avoir fait partie, à l'origine, d'une masse continue. Si on compare la structure compacte et cristalline des couches de basalte qui les constituent avec celle des coulées basaltiques voisines, de formation subaérienne, on est conduit à admettre que les premières se sont étalées en nappes sur le fond de la mer et qu'elles ont été émergées ensuite. Nous pouvons supposer que les larges brèches entre les montagnes ont été, dans les deux cas, ouvertes par l'action des vagues, pendant leur soulèvement graduel, phénomène qui a continué à se produire encore à une période relativement récente, dans chacune de ces îles, ainsi que le montrent des preuves évidentes qu'on peut constater sur leurs rivages. Dans ces deux îles, de grandes coulées de laves basaltiques plus récentes, émises du centre de l'île, se sont étalées autour des anciennes collines basaltiques et ont comblé les vallées qui les séparaient; en outre, des cônes d'éruptions récentes ont surgi sporadiquement sur le pourtour des deux îles; enfin, pas plus à San Thiago qu'à Maurice on ne constate d'éruption durant la période historique. Comme on l'a fait remarquer dans le dernier chapitre, il est probable que ces anciennes montagnes basaltiques, qui ressemblent, à bien des égards, à la partie inférieure ruinée de deux énormes volcans, doivent leur forme actuelle, leur structure et leur position à l'action de causes semblables.
Rochers de Saint-Paul.—Cette petite île est située dans l'océan Atlantique, à 1° environ, au nord de l'Équateur, et à 540 milles de l'Amérique du Sud, par 29°15' de longitude ouest. Son point culminant ne s'élève qu'à 50 pieds à peine au-dessus du niveau de la mer; ses contours sont irréguliers, et sa circonférence entière ne mesure que trois quarts de mille. Cette petite pointe rocheuse s'élève à pic dans l'Océan; et, sauf sur sa côte ouest, les sondages qu'on a opérés n'ont pas atteint le fond, même à la faible distance d'un quart de mille du rivage. Elle n'est pas d'origine volcanique, et à cause de ce fait, qui est le plus saillant de son histoire comme nous le verrons plus loin, il n'y aurait pas lieu d'en traiter dans cet ouvrage. Cette île est formée de roches qui diffèrent de toutes celles que j'ai rencontrées, et je ne saurais les caractériser par aucun nom; je dois donc les décrire.
La variété la plus simple, et qui est aussi l'une des plus abondantes, est une roche très compacte, lourde, d'un noir verdâtre, à cassure anguleuse et irrégulière; certaines arêtes sont assez dures pour rayer le verre, et la roche est infusible. Cette variété passe à d'autres d'un vert plus pâle, moins dures, mais dont la cassure est plus cristalline, translucides sur les bords et qui sont fusibles en un émail vert. Plusieurs variétés sont caractérisées principalement par le fait qu'elles contiennent d'innombrables filaments de serpentine vert sombre, et que leurs interstices sont remplis par une matière calcaire. Ces roches ont une structure concrétionnée peu visible, et sont remplies de pseudo-fragments anguleux de coloration variée. Ces pseudo-fragments anguleux sont formés par la roche vert sombre décrite en premier lieu, par une variété brune, plus tendre, de serpentine et par une roche jaunâtre, rude au toucher, et qui doit probablement être rapportée à une roche serpentineuse. Il y a encore dans l'île d'autres roches, tendres, vésiculaires et de nature calcaréo-ferrugineuse. On n'observe pas de stratification bien distincte, mais une partie des roches est imparfaitement laminaire, et tout l'ensemble est veiné par des filons de diverses dimensions et des masses ressemblant à des veines, dont quelques-unes, qui sont calcaires et renferment de petits fragments de coquilles, sont incontestablement d'origine postérieure aux autres.
Incrustation luisante.—Une grande partie de ces roches sont revêtues d'une substance polie et luisante, à éclat perlé, blanc-grisâtre; cet enduit suit toutes les irrégularités de la surface à laquelle il adhère fortement. En examinant cette substance à la loupe, on reconnaît qu'elle est formée d'un grand nombre de couches excessivement minces, dont l'épaisseur totale atteint environ un dixième de pouce. Cette matière est beaucoup plus dure que le spath calcaire, mais elle peut être rayée au couteau. Au chalumeau elle s'exfolie, décrépite, noircit légèrement, émet une odeur fétide et devient fortement alcaline; elle ne fait pas effervescence aux acides[6]. Je suppose que cette substance a été déposée par l'eau qui filtre au travers des excréments d'oiseaux dont les rochers sont couverts. J'ai observé à l'île de l'Ascension des masses stalactitiques irrégulières paraissant être de la même nature, près d'une cavité de la roche qui était remplie d'une masse lamelleuse formée de fiente d'oiseaux amenée là par l'infiltration. Lorsqu'on les casse, ces masses offrent une texture terreuse, mais, à la partie externe et surtout à leur extrémité, elles sont formées d'une substance perlée, ordinairement disposée en petits globules, ressemblant à l'émail des dents, mais plus fortement translucide, et assez dure pour rayer le verre. Cette substance noircit légèrement au chalumeau, dégage une odeur désagréable, devient ensuite absolument blanche en se boursouflant un peu, et fond en un émail blanc terne; elle ne devient pas alcaline et ne fait pas effervescence aux acides. Toute la masse offre un aspect ridé, comme si elle s'était fortement contractée lors de la formation de la croûte dure et luisante. Aux îles Abrolhos sur la côte du Brésil, où le guano abonde, j'ai trouvé, en grande quantité, une substance brune, arborescente, adhérant à une roche trappéenne. Cette substance ressemble beaucoup, sous sa forme arborescente, à quelques-unes des variétés ramifiées de Nullipores. Elle présente, au chalumeau, les mêmes caractères que les spécimens provenant de l'Ascension; mais elle est moins dure et moins brillante, et sa surface n'a pas l'aspect ridé.
Notes:
[1] Spallanzani, Dolomieu et Hoffmann ont décrit des faits analogues dans les îles volcaniques d'Italie. Dolomieu dit (Mémoire sur les Isles Ponces, p. 86) qu'aux îles Ponta le fer a été redéposé sous forme de veines. Ces auteurs croient aussi que la vapeur dépose de la silice; il est démontré expérimentalement aujourd'hui qu'à haute température la vapeur peut dissoudre la silice.
[2] Cependant Mac-Culloch a décrit et a figuré (Geolog. Trans. 1st series, vol. IV, p. 225) un trapp dont les cavités étaient remplies de quartz et de calcédoine disposés en zones horizontales. La moitié supérieure de ces cavités est souvent remplie par des couches qui suivent toutes les irrégularités de la surface, et par de petites stalactites suspendues, formées des mêmes substances siliceuses.
[3] Dans Hooker, Bot. Misc., vol. II, p. 301, le capitaine Carmichael. Le capitaine Lloyd a décrit récemment quelques-unes de ces masses avec beaucoup de soin dans les Proceedings of the geological Society (vol. III, p. 317). Plusieurs faits intéressants sont rapportés sur ce sujet dans le Voyage à l'Isle de France, par un Officier du Roi. Consulter aussi Voyage aux quatre Isles d'Afrique par M. Bory de Saint-Vincent.
[4] Voyages aux Terres australes, t. I, p. 54.
[5] M. Lesson semble admettre les idées de M. Bailly dans la déscription qu'il a faite de l'île dans le Voyage de la «Coquille».
[6] J'ai décrit cette substance dans mon Journal. Je la croyais alors constituée par un phosphate de chaux impur.
CHAPITRE III
ASCENSION
Laves basaltiques.—Nombreux cratères tronqués du même côté.—Structure singulière de bombes volcaniques.—Explosions de masses gazeuses.—Fragments granitiques éjaculés.—Roches trachytiques.—Veines remarquables.—Jaspe, son mode de formation.—Concrétions dans le tuf ponceux.—Dépôts calcaires et incrustations dendritiques sur la côte.—Couches laminées alternant avec de l'obsidienne et passant à cette roche.—Origine de l'obsidienne.—Lamination des roches volcaniques.
Cette île est située dans l'océan Atlantique, par 8° lat. S. et 14° long. W. Elle a la forme d'un triangle irrégulier (Voir la carte ci-jointe), dont chaque côté mesure environ 6 milles de longueur. Son point culminant se trouve à 2.870 pieds[1] au-dessus du niveau de la mer. Elle est entièrement volcanique, et, vu l'absence de preuves contraires, je la crois d'origine subaérienne. La roche fondamentale est de nature feldspathique, elle offre partout une couleur pâle, et elle est généralement compacte. Dans la région sud-est de l'île, qui est aussi la plus élevée, on trouve du trachyte bien caractérisé et d'autres roches analogues appartenant à cette famille lithologique si variée. La circonférence presque tout entière est couverte de coulées de lave basaltique noire et rugueuse: on y voit poindre de-ci de-là une colline ou une simple pointe de rocher constituées par du trachyte qui n'a pas été recouvert. L'un de ces pointements, près du bord de la mer, au nord du fort, n'a que 2 ou 3 yards de diamètre.
Roches basaltique.—La lave basaltique sous-jacente est extrêmement celluleuse en certains points, beaucoup moins en d'autres; sa couleur est noire, mais elle contient quelquefois des cristaux de feldspath vitreux, parfois aussi, mais rarement, une grande quantité d'olivine. Ces coulées semblent avoir été singulièrement peu fluides; leurs parois et leur extrémité sont très escarpées, et n'ont pas moins de 20 à 30 pieds de haut. Leur surface est extraordinairement raboteuse, et à distance elle paraît parsemée d'un grand nombre de petits cratères. Ces intumescences sont des monticules larges, irrégulièrement coniques, traversés de fissures, et formés par un basalte plus ou moins scoriacé, comme les coulées environnantes, mais possédant une structure colonnaire mal définie: leur hauteur au-dessus de la surface générale varie de 8 à 30 pieds, et ils ont été formés, je pense, par l'accumulation de la lave visqueuse aux points où elle rencontrait une plus grande résistance. A la base de plusieurs de ces monticules, et parfois aussi en des parties plus horizontales de la coulée, des côtes épaisses s'élèvent à 2 ou 3 pieds au-dessus de la surface; elles sont formées de masses de basalte angulo-globulaires, ressemblant par leur forme et par leur dimension à des tuyaux de terre cuite recourbés, ou à des gouttières de la même matière, mais elles ne sont pas creuses: j'ignore quelle peut avoir été leur origine. Un grand nombre de fragments superficiels de ces coulées basaltiques offrent des formes singulièrement contournées, et plusieurs spécimens ressemblent, à s'y méprendre, à des blocs de bois de couleur sombre sans écorce.
Plusieurs des coulées basaltiques peuvent être suivies, soit jusqu'aux points d'éruption à la base de la grande masse centrale de trachyte, soit jusqu'à des collines isolées, coniques, de teinte rougeâtre, qui sont éparpillées sur le littoral du nord et de l'ouest de l'île. Du haut de l'éminence centrale, j'ai compté vingt à trente de ces cônes d'éruption. Le sommet tronqué de la plupart d'entre eux est coupé obliquement, et tous présentent une pente vers le sud-est, point d'où souffle le vent alizé[2]. Cette structure est due, sans aucun doute, à l'action du vent, qui a poussé en plus grande quantité dans un sens que dans l'autre les fragments et les cendres rejetés pendant les éruptions. M. Moreau de Jonnès a fait une observation semblable pour les volcans des Antilles.
Bombes volcaniques.—On les rencontre en grand nombre, répandues sur le sol, et quelques-unes d'entre elles se trouvent à une distance considérable de tout point d'éruption. Leur dimension varie de celle d'une pomme à celle du corps d'un homme; elles sont sphériques ou pyriformes, et l'extrémité postérieure (qui répondrait à la queue d'une comète) est irrégulière et hérissée de pointes saillantes; elle peut même être concave. Leur surface est rugueuse et traversée de fentes ramifiées; leur structure interne est irrégulièrement scoriacée et compacte, ou offre un aspect symétrique fort remarquable. La gravure représente très exactement un segment irrégulier d'une bombe appartenant à cette dernière espèce, et dont j'ai trouvé plusieurs spécimens. Elle avait à peu près la grandeur d'une tête d'homme. La partie interne tout entière est grossièrement celluleuse; le diamètre moyen des vacuoles est d'un dixième de pouce environ, mais leur dimension décroît graduellement vers la partie externe de la bombe. Cette partie interne est entourée d'une croûte de lave compacte, nettement limitée, offrant une épaisseur presque uniforme d'environ un tiers de pouce. La croûte est recouverte d'une enveloppe un peu plus épaisse de lave finement celluleuse (dont les vacuoles varient en diamètre d'un cinquantième à un centième de pouce), et qui forme la surface extérieure. La limite qui sépare la croûte de lave compacte de l'enduit scoriacé externe est nettement définie. On peut facilement se rendre compte de cette structure en supposant qu'une masse de matière visqueuse et scoriacée soit projetée dans l'air, et animée d'un mouvement rotatoire rapide. En effet, pendant que la croûte extérieure se solidifiait par refroidissement (et prenait l'état où nous la voyons aujourd'hui), la force centrifuge, en réduisant la pression à l'intérieur de la bombe, devait permettre aux vapeurs chaudes de dilater les vacuoles, mais celles-ci, comprimées par la même force contre la croûte déjà solidifiée, devaient diminuer graduellement de volume, et à mesure qu'elles étaient plus rapprochées de cette croûte externe, leur volume devait toujours aller se réduisant jusqu'au moment où la partie interne était emprisonnée dans une croûte massive concentrique. Nous savons que des éclats peuvent être projetés d'une meule[3] lorsqu'elle est animée d'un mouvement de rotation assez rapide, nous ne devons donc pas douter que la force centrifuge soit assez puissante pour modifier, comme nous le supposons ici, la structure d'une bombe encore à l'état plastique. Des géologues ont fait observer que la forme extérieure d'une bombe nous révèle immédiatement l'histoire de sa course aérienne, et nous constatons maintenant que sa structure interne peut nous redire presque aussi clairement le mouvement rotatoire dont elle était animée.
[Illustration: Fig. 3.—Fragment d'une bombe volcanique sphérique, dont la partie interne grossièrement celluleuse est entourée d'une couche de lave compacte recouverte d'une croûte formée par une roche finement celluleuse.]
M. Bory de Saint-Vincent[4] a décrit des masses arrondies de lave trouvées à l'île Bourbon, qui ont une structure tout à fait semblable; pourtant son interprétation (si je la comprends bien) est fort différente de celle que j'ai donnée, car il suppose que ces corps ont roulé, comme des boules de neige, le long des flancs du cratère.
M. Beudant[5] a décrit de singulières petites sphères d'obsidienne, dont le diamètre ne dépasse jamais 6 à 8 pouces, et qu'il a trouvées répandues à la surface du sol. Elles sont toujours de forme ovale, parfois elles sont fortement renflées par le milieu, et même fusiformes; leur surface est recouverte de crêtes et de sillons concentriques, disposés avec une certaine régularité, et qui sont tous perpendiculaires à un axe du globule; la partie interne est compacte et vitreuse. M. Beudant suppose que des masses de lave encore plastique ont été projetées dans l'air et animées d'un mouvement rotatoire autour d'un même axe, ce qui a déterminé la forme de la bombe et des côtes superficielles. Sir Thomas Mitchell m'a donné un échantillon qui semble être, à première vue, la moitié d'un globe d'obsidienne fortement aplati; il a singulièrement l'aspect d'un objet artificiel, et cet aspect est exactement représenté (en grandeur naturelle) dans la gravure ci-jointe. Cet échantillon a été trouvé, tel que nous le voyons, dans une grande plaine sablonneuse, entre les rivières Darling et Murray en Australie, et à plusieurs centaines de milles de toute région volcanique connue. Il paraît avoir été enfoui dans une matière tufacée rougeâtre, et peut-être a-t-il été transporté par les aborigènes ou par des agents naturels. La coupe ou enveloppe externe est formée d'obsidienne compacte, de couleur vert bouteille, et elle est remplie de lave noire finement celluleuse beaucoup moins transparente et moins vitreuse que l'obsidienne. La surface extérieure porte quatre ou cinq côtes assez peu nettes, que dans la figure on a peut-être représentées en les exagérant. Nous avons donc ici la structure externe décrite par M. Beudant et la nature celluleuse interne des bombes de l'Ascension. La lèvre de la coupe extérieure est légèrement concave, exactement comme le bord d'une assiette creuse, et son bord interne surplombe un peu de lave cellulaire centrale. Cette structure est tellement symétrique sur toute la circonférence, qu'on est obligé d'admettre que la bombe a fait explosion pendant sa course aérienne, alors qu'elle était encore animée d'un mouvement de rotation, avant d'être entièrement solidifiée, et que la lèvre et les bords ont été ainsi légèrement modifiés et infléchis vers l'intérieur. On peut observer que les côtes extérieures sont situées dans des plans perpendiculaires à un axe oblique au grand axe de l'ovoïde aplati: nous devons supposer, pour expliquer ce fait, que, lors de l'explosion de la bombe, l'axe de rotation a subi un déplacement.
[Illustration: FIG. 4.—Bombe volcanique d'obsidienne d'Australie, vue de face dans la figure supérieure et de profil dans la figure inférieure.]
Explosions de masses gazeuses.—Les flancs de Green Mountain et la contrée environnante sont couverts d'une grande quantité de fragments incohérents, formant une masse épaisse de quelques centaines de pieds. Les couches inférieures consistent généralement en tufs à grain fin à peine consolidés[6], et les lits supérieurs en grands fragments détachés, alternant avec des lits de matières moins grossières[7]. Une couche blanche rubanée de brèche ponceuse décomposée était reployée d'une façon remarquable en fortes courbes ininterrompues, au-dessous de chacun des grands fragments du banc surincombant. Je suppose, d'après la position relative de ces bancs, qu'un cratère à orifice étroit, occupant à peu près l'emplacement de Green Mountain, a lancé comme un énorme fusil à air, avant son extinction finale, cette vaste accumulation de matériaux meubles. Des dislocations très importantes se sont produites postérieurement à cet événement, et un cirque ovale a été formé par affaissement. Cet espace affaissé se trouve au pied nord-est de Green Mountain, et il est nettement indiqué sur la carte qui accompagne cet ouvrage. Son grand axe, répondant à une ligne de fissure dirigée N.-E.-S.-W., a une longueur de trois cinquièmes de mille marin; les bords de ce cirque sont presque verticaux, sauf en un seul point, et ont à peu près 400 pieds de hauteur; à la partie inférieure ils sont constitués par un basalte feldspathique de couleur pâle, et à la partie supérieure par du tuf et par des fragments projetés à l'état incohérent; le fond est uni, et sous tout autre climat il se serait formé en cet endroit un lac profond. A juger par l'épaisseur du banc de fragments incohérents qui recouvre la contrée environnante, la masse de matière gazeuse qui les a projetés doit avoir été énorme. Nous pouvons conclure vraisemblablement de ces faits, qu'après l'explosion, de vastes cavernes auront été formées sous le sol, et que l'écroulement de la voûte de l'une d'entre elles a formé la cavité que nous venons de décrire. Dans l'archipel des Galapagos on rencontre souvent des fosses d'un caractère semblable, mais de dimension beaucoup moindre, à la base de petits cônes d'éruption.
Fragments granitiques projetés.—Il n'est pas rare de trouver dans le voisinage de Green Mountain des fragments de roches hétérogènes empâtés dans des masses de scories. Le lieutenant Evans, à l'amabilité duquel je dois un grand nombre de renseignements, m'en a donné plusieurs spécimens, et j'en ai trouvé d'autres moi-même. Ils ont presque tous une structure granitique, ils sont cassants, rudes au toucher, et leur couleur est évidemment altérée: 1. Une syénite blanche, rayée et tachetée de rouge, elle est formée de feldspath bien cristallisé, de nombreux grains de quartz et de cristaux de hornblende brillants quoique petits. Le feldspath et la hornblende de cet échantillon et de ceux dont on parlera dans la suite ont été déterminés à l'aide du goniomètre à réflexion, et le quartz par sa manière d'être au chalumeau. D'après son clivage, le feldspath de ces fragments projetés ainsi que la variété vitreuse que l'on trouve dans le trachyte, est un feldspath potassique.—2. Une masse rouge brique de feldspath, de quartz et de petites plages d'un minéral décomposé dont un petit fragment m'a montré le clivage de la hornblende.—3. Une masse de feldspath blanc à cristallisation confuse, avec de petits nids d'un minéral de couleur sombre, souvent cariés, arrondis sur les bords, à cassure luisante, mais sans clivage distinct; sa comparaison avec le second spécimen m'a démontré que c'était de la hornblende fondue.—4. Une roche qui, à première vue, semble être une simple agrégation de grands cristaux distincts de Labrador gris[8]; mais dans les interstices de ces cristaux il y a un peu de feldspath grenu blanc, de nombreuses paillettes de mica, et un peu de hornblende altérée; je ne crois pas qu'il y ait du quartz. J'ai décrit ces fragments en détail parce qu'on rencontre rarement[9] des roches granitiques projetées par des volcans et dont les minéraux n'aient pas subi de modifications, comme c'est le cas pour le premier spécimen, et dans une certaine mesure pour le second. Un autre grand bloc trouvé ailleurs mérite d'être signalé; c'est un conglomérat contenant de petits fragments de roches granitiques, celluleuses et jaspeuses, et de porphyre pétro-siliceux empâtés dans une masse fondamentale de wacke et traversés d'un grand nombre de couches minces de rétinite concrétionnée passant à l'obsidienne. Ces couches sont parallèles, peu étendues, et légèrement incurvées, elles s'amincissent à leurs extrémités et rappellent par leur forme les couches de quartz dans le gneiss. Il est probable que ces petits fragments empâtés n'ont pas été projetés à l'état isolé, mais qu'ils étaient empâtés dans une roche volcanique fluide, voisine de l'obsidienne; nous allons voir que plusieurs variétés appartenant à la série de cette dernière roche possèdent une structure laminaire.
Roches trachytiques.—Elles occupent la partie la plus élevée et la plus centrale de l'île, ainsi que la région du sud-est. Le trachyte est ordinairement d'une couleur brun pâle, tachetée de points plus foncés; il contient des cristaux de feldspath vitreux brisés et ployés, des grains de fer spéculaire et des points microscopiques noirs que je considère comme étant de la hornblende parce qu'ils sont aisément fusibles et qu'alors ils deviennent magnétiques. Cependant la plupart des collines sont formées d'une pierre très blanche, friable, et qui semble être un tuf trachytique. L'obsidienne, le hornstone et diverses espèces de roches feldspathiques laminaires sont associés au trachyte. On n'observe pas de stratification distincte, et je n'ai pu découvrir de structure cratériforme dans aucune des collines de cette série. Il s'est produit des dislocations considérables, et plusieurs des crevasses de ces roches sont encore béantes, ou ne sont que partiellement comblées par des fragments détachés. Quelques coulées basaltiques se sont avancées sur l'aire[10] où s'étale le trachyte; et non loin du sommet de Green Mountain on voit une coulée de basalte vésiculaire absolument noir, contenant de petits cristaux de feldspath vitreux d'aspect arrondi.
La pierre blanche tendre, mentionnée plus haut, est remarquable par la ressemblance frappante qu'elle offre avec un tuf sédimentaire lorsqu'on la voit en masse; j'ai été longtemps sans pouvoir me convaincre que telle n'était pas son origine, et d'autres géologues ont éprouvé les mêmes hésitations pour des formations presque identiques, dans des régions trachytiques. En deux points, cette pierre blanche terreuse forme des collines isolées, en un troisième elle est associée à du trachyte colonnaire et laminaire, mais je n'ai pu reconnaître la trace d'un contact. Cette roche contient de nombreux cristaux de feldspath vitreux et des points noirs microscopiques, et elle est mouchetée de petites taches plus foncées, exactement comme le trachyte environnant. Pourtant sa pâte vue au microscope, paraît généralement terreuse, mais parfois elle offre une structure nettement cristalline. Sur la colline désignée sous le nom de Crater of an old volcano, elle passe à une variété d'un gris verdâtre pâle, qui n'en diffère que par la couleur, et parce qu'elle n'est pas aussi terreuse; en un endroit, le passage s'opère insensiblement; en un autre, il se fait par l'intermédiaire de nombreuses masses anguleuses et arrondies de la variété verdâtre englobées dans la variété blanche;—dans ce dernier cas, l'aspect ressemble beaucoup à celui d'un dépôt sédimentaire disloqué et érodé pendant la formation d'une couche plus récente. Ces deux variétés de roches sont traversées d'innombrables veines tortueuses (que je décrirai plus loin); elles ne ressemblent en rien aux dikes injectés ni aux veines que j'ai pu observer ailleurs. Les deux variétés renferment quelques fragments isolés, et de dimension variable, de roches scoriacées à teinte foncée; les vacuoles d'un certain nombre de ces fragments sont partiellement remplies par la pierre blanche terreuse. Les deux variétés renferment aussi d'énormes blocs d'un porphyre cellulaire[11]. Ces fragments font saillie au-dessus de la surface de la roche altérée, et ressemblent tout à fait à des fragments empâtés dans un tuf sédimentaire. Mais ce fait n'est pas un argument sérieux en faveur de l'origine sédimentaire de la pierre blanche terreuse[12] car on sait que le trachyte colonnaire, la phonolite[13] et d'autres laves compactes renferment quelquefois des fragments étrangers de roches celluleuses. Le passage insensible de la variété verdâtre à la variété blanche, et de même, le passage plus brusque d'une roche à l'autre déterminé par la présence de fragments de la première, empâtés dans la seconde, peut provenir de légères différences dans la composition d'une même masse de pierre fondue, et de l'action d'arasion exercée par une masse encore fluide sur une autre masse déjà solidifiée. Je crois que les singulières veines dont il a été question plus haut ont été formées par une substance siliceuse qui s'est postérieurement isolée de la masse. Mais la principale raison qui me porte à croire que ces roches terreuses tendres, avec leurs fragments étrangers, ne sont pas d'origine sédimentaire, c'est qu'il est très peu probable que des cristaux de feldspath, des points noirs microscopiques et de petites taches de couleur foncée puissent se présenter en même proportion dans un sédiment aqueux et dans des masses de trachyte compact. En outre, comme je l'ai fait observer plus haut, le microscope décèle parfois une structure cristalline dans la masse fondamentale d'apparence terreuse. D'un autre côté, il est certainement fort difficile d'expliquer la décomposition partielle de masses de trachyte aussi considérables et formant des montagnes entières.
Veines dans les masses trachytiques terreuses.—Ces veines sont extrêmement nombreuses, elles traversent avec une allure très complexe les variétés blanche et verte de trachyte terreux; c'est sur les flancs du Crater of the old volcano qu'on les observe le mieux. Elles renferment des cristaux de feldspath vitreux, des points noirs microscopiques et de petites tâches foncées, absolument comme la roche qui les environne, mais la base est fort différente, car elle est excessivement dure, compacte, assez cassante, et un peu moins fusible. L'épaisseur des veines varie beaucoup et très brusquement, d'un dixième de pouce à un pouce; fréquemment elles s'amincissent au point de disparaître tout à fait, non seulement à leur extrémité, mais leur partie centrale s'évide parfois en laissant ainsi des ouvertures rondes, irrégulières; leur surface est rugueuse. Elles sont orientées dans tous les sens ou sont horizontales, généralement curvilignes, et souvent elles se ramifient entre elles. Par suite de leur dureté, elles résistent à l'altération; elles s'élèvent de deux ou trois pieds au-dessus du sol, et s'étendent parfois sur une longueur de quelques yards; quand on frappe ces plaques de pierre, elles produisent un son analogue à celui du tambour, et on les voit distinctement vibrer, leurs fragments répandus sur le sol résonnent comme des morceaux de fer quand on les entre-choque. Elles affectent souvent les formes les plus singulières; j'ai vu un piédestal de trachyte terreux recouvert par une portion hémisphérique d'une veine, semblable à un grand parapluie, et assez large pour abriter deux personnes. Je n'ai jamais rencontré de veines semblables à celles-ci et n'en ai vu la description nulle part, mais elles ressemblent par leur forme aux veines ferrugineuses produites par ségrégation, et qui ne sont pas rares dans les grès, par exemple dans le nouveau grès rouge d'Angleterre.
Des veines nombreuses de jaspe et d'une matière siliceuse, qu'on rencontre au sommet de la même colline, prouvent qu'une source abondante de silice a existé en cet endroit, et comme ces veines en forme de plaques ne diffèrent du trachyte que parce qu'elles sont plus dures, plus cassantes et moins fusibles, il semble probable que leur origine est due à la ségrégation ou à l'infiltration de matière siliceuse, de la même manière que s'opère le dépôt des oxydes de fer dans plusieurs roches sédimentaires.
Dépôt siliceux et jaspe.—Ce dépôt siliceux est tantôt tout à fait blanc, léger, sa cassure présente un éclat légèrement perlé et il passe au quartz rose perlé, ou bien il est d'un blanc jaunâtre, à cassure rude, et renferme alors, dans de petites cavités, une poudre terreuse. Les deux variétés se présentent, soit en grandes masses irrégulières dans le trachyte décomposé, soit en couches renfermées dans de grandes veines verticales, tortueuses et irrégulières d'une pierre compacte, rude, rouge sombre, et ressemblant à un grès. Cependant cette roche n'est autre chose qu'un trachyte décomposé; une variété à peu près semblable, mais qui affecte souvent la forme d'un gâteau de miel adhère fréquemment aux veines plates en saillie qui ont été décrites dans le paragraphe précédent. Ce jaspe a une couleur jaune d'ocre ou rouge; il se présente en grandes masses irrégulières, et quelquefois en veines, dans le trachyte décomposé et dans la masse de basalte scoriacé qui lui est associée. Les vacuoles de cette dernière roche sont tapissées ou remplies de fines couches concentriques de calcédoine, recouvertes et parsemées d'oxyde de fer rouge vif. Cette roche renferme, spécialement en ses parties les plus compactes, de petits fragments irréguliers et anguleux de jaspe rouge dont les bords se confondent insensiblement avec la masse entourante; on trouve aussi d'autres fragments, d'une nature intermédiaire entre le jaspe proprement dit et la base basaltique ferrugineuse décomposée. Dans ces fragments ainsi que dans les grandes masses de jaspe en forme de veines, on remarque de petites cavités arrondies; ces cavités sont exactement de la même dimension et de la même forme que celles du basalte scoriacé remplies ou tapissées de couches de calcédoine. De petits fragments de jaspe, vus au microscope, paraissent ressembler à une calcédoine dont le pigment n'aurait pas été déposé en couches, mais serait resté mélangé avec quelques impuretés à la pâte siliceuse. Le passage insensible du jaspe au basalte à moitié décomposé, sa présence en plages anguleuses qui n'occupent évidemment pas des cavités préexistantes de la roche, et l'existence dans ce jaspe de petites vésicules remplies de calcédoine comme celles de la lave scoriacée ne peuvent s'expliquer que dans l'hypothèse qu'un liquide, probablement le même qui a déposé la calcédoine dans les vacuoles, a enlevé aux parties de la roche basaltique ne renfermant pas de cavités les éléments constitutifs de cette roche, a déposé à leur place de la silice et du fer, et a formé ainsi le jaspe. J'ai observé, dans certains échantillons de bois silicifié, que, tout comme dans le basalte, les parties solides étaient transformées en une matière pierreuse homogène de couleur sombre, tandis que les cavités formées par les plus gros vaisseaux conducteurs de la sève (qu'on peut comparer aux vacuoles de la lave basaltique) et d'autres cavités irrégulières, produites apparemment par la décomposition du bois, étaient remplies de couches concentriques de calcédoine; il n'est pas douteux que, dans ce cas, la substance fondamentale homogène et les couches concentriques de calcédoine aient été déposées par un même liquide.
D'après ces considérations, je ne puis douter que le jaspe de l'île de l'Ascension doive être considéré comme une roche volcanique silicifiée, en donnant à ce mot absolument le même sens qu'on y attache quand on l'applique au bois silicifié: nous ignorons aussi bien la manière dont chaque atome de bois, alors qu'il est encore dans son état normal, puisse être enlevé et remplacé par des atomes de silice, que nous ignorons comment les parties constituantes d'une roche volcanique ont pu subir la même modification[14]. J'ai été amené à faire un examen minutieux de ces roches et à en tirer les conclusions que je viens d'exposer, en entendant exprimer par le Rev. Professeur Henslow une opinion analogue au sujet de l'origine d'un grand nombre de calcédoines et d'agates dans des roches trappéennes. Les dépôts siliceux paraissent être très fréquents, sinon tout à fait constants, dans les tufs trachytiques partiellement décomposés[15]; et comme ces collines, ainsi que nous l'avons exposé plus haut, sont formées de trachyte ayant perdu sa dureté et décomposé in situ, la présence, en ce cas, de silice libre constitue un exemple de plus de ce phénomène.
Concrétions dans le tuf ponceux.—La colline que la carte indique sous le nom de «Crater of an old volcano» est désignée improprement; rien dans tout ce que j'ai pu observer ne justifie cette appellation, sauf que la colline se termine en un sommet circulaire ayant la forme d'une soucoupe très évasée, et d'environ un demi-mille de diamètre. Cette dépression a été presque entièrement comblée par un grand nombre de couches successives de cendres et de scories, diversement colorées et faiblement consolidées. Chaque couche cupuliforme successive se montre sur toute la périphérie, de sorte qu'il se produit plusieurs anneaux de couleur différente, donnant à la colline un aspect fantastique. L'anneau extérieur est large et de couleur blanche, ce qui le fait ressembler à une piste où l'on aurait exercé des chevaux, et lui a valu le nom de Manège du Diable, sous lequel il est le plus généralement connu. Ces couches superposées de cendres doivent être tombées sur toute la contrée environnante, mais elles ont été complètement enlevées par le vent, sauf dans cette seule dépression, où l'humidité s'accumulait sans doute, soit au cours d'une année exceptionnelle, lorsqu'il tombait de la pluie, soit pendant les orages qui accompagnent souvent les éruptions volcaniques. Une des couches, colorée en rose et formée principalement de petits fragments de ponce décomposée, est remarquable par le grand nombre de concrétions qu'elle renferme. Celles-ci sont généralement sphériques et mesurent d'un demi-pouce à trois pouces de diamètre, mais elles sont parfois cylindriques comme les concrétions de pyrite de fer que l'on trouve dans la craie d'Europe. Elles sont formées d'une pierre brun pâle, très tenace, compacte, à cassure unie et douce au toucher. Elles sont divisées en couches concentriques par de minces cloisons blanches ressemblant à la surface extérieure de la concrétion; vers la périphérie, six ou huit de ces couches sont nettement limitées, mais les couches qui se trouvent vers l'intérieur deviennent ordinairement indistinctes et se fusionnent en une masse homogène. Je pense que ces couches concentriques se sont formées par la contraction que la concrétion a subie lorsqu'elle est devenue compacte. La partie interne est généralement divisée par de petites fentes ou septaria, qui sont tapissées de taches les unes noires et métalliques, les autres blanches et cristallines, dont je n'ai pu déterminer la nature. Quelques-unes des concrétions les plus volumineuses ne sont autre chose qu'une croûte sphérique remplie de cendres faiblement consolidées. Les concrétions contiennent une petite quantité de carbonate de chaux; un fragment exposé au chalumeau décrépite, blanchit ensuite et fond en un émail globuleux, mais il ne devient pas caustique. Les cendres qui renferment les concrétions ne contiennent pas de carbonate de chaux; les concrétions ont donc été formées probablement par l'agrégation de cette substance, comme c'est souvent le cas. Je n'ai jamais rencontré de concrétions semblables à celles-ci, et, en considérant leur degré de ténacité et de compacité, leur disposition en un lit qui n'a probablement été exposé à aucune autre humidité que celle de l'atmosphère est fort remarquable.
Formation de roches calcaires sur la côte.—Il y a sur plusieurs points de la côte d'immenses accumulations de petits fragments bien arrondis de coquilles et de coraux blancs, jaunâtres et roses, entremêlés de quelques particules volcaniques. A la profondeur de quelques pieds on constate qu'ils sont cimentés et forment une pierre dont on utilise les variétés les plus tendres pour les constructions; d'autres variétés, les unes grossières et les autres à grain fin, sont trop dures pour cet usage, et j'ai vu une masse, divisée en couches uniformes d'un demi-pouce d'épaisseur et si compactes qu'elles rendaient un son semblable à celui du flint quand on les frappait avec un marteau. Les habitants croient que ces fragments sont cimentés au bout d'un an. Cette cimentation s'opère par une matière calcareuse, et dans les variétés les plus compactes on peut voir distinctement chaque fragment arrondi de coquille ou de roche volcanique entouré d'une enveloppe translucide de carbonate de chaux. Très peu de coquilles entières sont engagées dans ces masses agglutinées, et j'ai même examiné au microscope un grand fragment sans parvenir à découvrir le moindre vestige de stries, ou d'autres traces de forme extérieure; cela démontre que chaque particule doit avoir été roulée ça et là pendant bien longtemps avant que son tour vînt d'être engagée dans la masse et cimentée[16]. Une des variétés les plus compactes soumise à l'action d'un acide s'y est complètement dissoute, à l'exception d'un peu de matière organique floconneuse; son poids spécifique était 2,63. Le poids spécifique du calcaire ordinaire varie de 2,6 à 2,75; sir H. de la Bèche[17] a trouvé pour le carrare pur 2,7. C'est un fait remarquable que ces roches de l'île de l'Ascension, formées près de la surface de la mer, soient presque aussi compactes qu'un marbre qui a subi l'action de la chaleur et de la pression dans les régions plutoniques.
La grande accumulation de particules calcaires incohérentes sur le rivage, près du Settlement, commence au mois d'octobre en progressant vers le sud-ouest; ce fait est dû, d'après le lieutenant Evans, à un changement dans la direction des courants prédominants. A cette époque, les rochers exposés à l'action de la marée à l'extrémité sud-ouest de la côte, où s'accumule le sable calcareux, et qui sont baignés par les courants, se recouvrent peu à peu d'une incrustation calcaire épaisse d'un demi-pouce. Elle est absolument blanche, compacte, légèrement spathique en quelques parties, et elle adhère fortement aux rochers. Elle disparaît graduellement après un temps assez court, soit qu'elle se redissolve quand l'eau est moins chargée de calcaire, soit qu'elle soit enlevée mécaniquement, ce qui est plus vraisemblable. Le lieutenant Evans a observé ces faits pendant les six années de son séjour à l'Ascension. L'épaisseur de l'incrustation varie suivant les années; elle était exceptionnellement forte en 1831. Lors de ma visite, au mois de juillet, il n'y avait plus de trace d'incrustation, mais elle s'était parfaitement conservée sur un pointement de basalte d'où les ouvriers carriers avaient enlevé, peu auparavant, une masse de pierre de taille. En tenant compte de la position des rochers exposés à l'action de la marée, et de l'époque de l'année pendant laquelle ils se recouvrent d'incrustations, il n'est pas douteux que, par le déplacement et le bouleversement de cette vaste accumulation de particules calcaires dont un grand nombre avaient déjà été partiellement agglutinées, les eaux de la mer se chargent tellement de carbonate de chaux qu'elles le déposent sur les premiers objets avec lesquels elles viennent en contact. Le lieutenant Holland, R.N., m'a dit que ces incrustations se font en un grand nombre de points de la côte, sur la plupart desquels il y a aussi, je crois, de grandes masses de coquilles brisées en menus fragments.
Incrustation calcaire frondescente.—C'est un dépôt très remarquable à divers points de vue; il recouvre durant toute l'année les roches volcaniques exposées à la marée et qui surplombent des plages de coquilles brisées. Son aspect général est fidèlement reproduit dans la gravure, mais les frondes ou les disques dont il est formé sont ordinairement rapprochés au point de se toucher. Les bords sinueux de ces frondes sont finement découpés, et elles surplombent leurs piédestaux ou supports; leur surface supérieure est légèrement concave ou légèrement convexe; elles offrent un beau poli et une couleur gris-foncé ou noir de jais; leur forme est irrégulière, généralement circulaire, et leur diamètre varie d'un dixième de pouce à un pouce et demi; leur épaisseur ou la hauteur dont elles s'élèvent au-dessus du rocher qui les porte, varie beaucoup; elle est, le plus ordinairement peut-être, d'un quart de pouce. Parfois les frondes deviennent de plus en plus convexes, jusqu'à passer à l'état de masses botryoïdes, dont les sommets sont fissurés; lorsqu'elles affectent cette forme, elles sont luisantes et d'un noir intense, au point de ressembler à une matière métallique fondue. J'ai montré cette incrustation à plusieurs géologues, tant sous cette dernière forme que sous sa forme ordinaire, et aucun d'entre eux n'a pu lui assigner une origine, si ce n'est qu'elle était peut-être de nature volcanique!
[Illustration: FIG. 5.—Incrustation de calcaire et de matière organique tapissant les rochers exposés à l'action de la marée à l'île de l'Ascension.]
La cassure de la substance dont les frondes sont formées est très compacte et souvent presque cristalline, avec des bords translucides et assez durs pour rayer facilement le spath calcaire. Au chalumeau elle devient immédiatement blanche et émet une odeur animale très prononcée, semblable à celle de coquilles fraîches; elle est surtout composée de carbonate de chaux; traitée par l'acide chlorhydrique elle fait une vive effervescence et laisse un résidu de sulfate de chaux et d'oxyde de fer, mêlés à une poudre noire insoluble dans les acides à chaud. Cette dernière substance, qui est évidemment la matière colorante, paraît de nature charbonneuse. Le sulfate de chaux se trouve ici à l'état de matière étrangère, et il se présente en lamelles distinctes, excessivement petites, répandues à la surface des frondes et engagées entre les couches minces dont elles sont formées; quand on chauffe un fragment au chalumeau, ces lamelles deviennent immédiatement visibles. On peut souvent suivre le contour extérieur primitif des frondes, soit jusqu'à un petit fragment de coquille fixé dans une fente du rocher, soit jusqu'à une agglomération de ces fragments cimentés ensemble. On constate que tout d'abord l'action des vagues corrode profondément ces esquilles et les réduit à l'état de crêtes aiguës, et qu'elle les recouvre ensuite de couches successives du calcaire incrustant gris et luisant. Les inégalités du support primitif se trahissent à la surface de chaque couche successive, comme on le voit souvent dans les pierres de bézoard, lorsqu'un objet, tel qu'un clou, forme le centre de l'agrégation. Pourtant les découpures des bords paraissent dues à l'action corrosive que le ressac exerce sur son propre dépôt, alternant avec la formation de dépôts nouveaux. J'ai trouvé sur des roches basaltiques tendres de la côte de San Thiago une couche extrêmement mince de matière calcaire brune qui, vue à la loupe, ressemblait en miniature aux frondes découpées et polies de l'île de l'Ascension; dans ce dernier cas, il n'y avait pas de base constituée par des particules étrangères faisant saillie. Quoique l'incrustation persiste à l'Ascension durant toute l'année, l'aspect délabré de certaines parties et l'aspect frais de certaines autres parties font croire que tout l'ensemble subit un cycle de destruction et de renouvellement, dû sans doute aux modifications de forme de la plage qui se déplace et, par suite, aux modifications que subit l'action des brisants; c'est probablement pour cette raison que l'incrustation n'acquiert jamais une grande épaisseur. En considérant à la fois la composition de la matière incrustante et la situation des rochers qui la portent, au milieu d'une plage calcaire, je crois qu'il n'est pas douteux qu'elle est due à la dissolution et au dépôt subséquent de la matière qui forme les fragments arrondis de coquilles et de coraux[18]. C'est à cette source qu'elle puise la matière organique qui constitue évidemment le principe colorant.
On peut souvent discerner nettement la nature du dépôt, au début de sa formation, quand un fragment de coquille blanche se trouve serré entre deux frondes; le dépôt offre alors l'aspect d'une couche très mince de vernis gris pâle. Sa teinte plus ou moins foncée varie un peu, mais la couleur noir de jais qu'offrent les frondes et les masses botryoïdales paraît due à la translucidité des couches grises superposées. On constate pourtant ce fait singulier que, lorsque le dépôt s'opère sur la face inférieure des rochers en saillie, ou dans des fissures, il paraît être toujours d'une couleur gris-perle pâle, même quand il atteint une épaisseur considérable; on est amené ainsi à croire que l'action d'une lumière abondante est nécessaire au développement de la couleur foncée, ainsi que cela semble se produire pour les coquilles des mollusques vivants, dont la partie supérieure, tournée vers la lumière, est toujours d'une teinte plus foncée que la surface inférieure et que les parties ordinairement recouvertes par le manteau de l'animal. Cette circonstance, la décoloration immédiate et la production d'une odeur par l'action du chalumeau, le degré de dureté et de translucidité des bords, le beau poli de la surface[19], qui rivalise, lorsqu'elle est à l'état frais, avec celui des plus fines olives, tous ces faits établissent une analogie frappante entre cette incrustation inorganique et les coquilles de mollusques vivants[20]. Cela me paraît être un fait physiologique intéressant[21].
Bancs lamellaires remarquables alternant avec l'obsidienne et passant à cette roche.—On rencontre ces bancs dans la région trachytique, à la base occidentale de Green Mountain, sous laquelle ils plongent suivant des inclinaisons très fortes. Ils n'affleurent qu'en partie seulement, car ils sont recouverts par des produits d'éruption modernes; c'est pourquoi je n'ai pu constater leur contact avec le trachyte, ni déterminer s'ils se sont étalés comme des nappes de lave ou s'ils ont été injectés dans les strates surincombantes. On observe trois bancs principaux d'obsidienne, dont le plus puissant constitue la base de la coupe. Ces bancs pierreux alternants me paraissent fort intéressants; je les décrirai d'abord et m'occuperai ensuite de leur transition à l'obsidienne. Ils offrent un aspect très varié; on peut reconnaître cinq variétés principales, mais elles passent insensiblement l'une à l'autre par toutes les transitions.
1. Une roche gris-pâle, irrégulièrement et grossièrement lamellaire[22], rude au toucher, ressemblant à un phyllade qui aurait subi le contact d'un dike de trapp; sa cassure est à peu près la même que celle que donnerait une structure cristalline.
Cette roche et les variétés suivantes fondent facilement en un verre de couleur pâle.
La plus grande partie de la roche est disposée en forme de gâteau de miel à cavités irrégulières et anguleuses, de sorte que l'ensemble offre un aspect carié, et que certains fragments ressemblent d'une manière remarquable à des morceaux silicifiés de bois décomposé. Cette variété, surtout lorsqu'elle est compacte, est souvent traversée de fines raies blanchâtres; celles-ci sont droites ou elles ondulent les unes derrière les autres autour des vides allongés et cariés.
2. Une roche gris bleuâtre ou brun pâle, compacte, lourde, homogène, à cassure angulaire, inégale et terreuse; cependant, lorsqu'on l'examine avec une forte loupe, la cassure se montre nettement cristalline, et l'on peut même y reconnaître des minéraux individualisés.
3. Une roche de la même nature que la précédente, mais striée d'un grand nombre de lignes blanches, parallèles, légèrement ondulées, de l'épaisseur d'un cheveu. Ces lignes blanches sont d'une nature plus cristalline que les parties intercalées entre elles, et la roche se fend suivant leur direction; elles se dilatent fréquemment en formant alors de petites cavités qui sont souvent à peine visibles à la loupe. La matière dont les lignes blanches sont formées est mieux cristallisée dans ces cavités, et le professeur Miller est parvenu, après plusieurs essais, à déterminer que les cristaux blancs, les plus grands de tous, se rapportent au quartz[23], et que les petites aiguilles vertes transparentes sont de l'augite, ou suivant la dénomination qu'on leur donne le plus généralement, de la diopside. A côté de ces cristaux on observe de petits points de couleur foncée, sans trace de cristallisation, et une matière cristalline blanche, fine et grenue qui est probablement du feldspath. Les petits fragments de cette roche sont facilement fusibles.
4. Une roche cristalline compacte zonée de lignes très nombreuses, droites, blanches et grises, dont la largeur varie de 1/30e à 1/200e de pouce; ces couches semblent composées principalement de feldspath, et elles renferment un grand nombre de cristaux bien développés de feldspath vitreux orientés dans le sens de leur longueur; elles sont aussi abondamment parsemées de points noirs microscopiques et amorphes disposés en rangées, et isolés les uns des autres, ou plus fréquemment, réunis deux à deux, trois à trois, ou en plus grand nombre, et formant des lignes noires plus fines qu'un cheveu. Quand on chauffe au chalumeau un petit fragment de cette roche, les points noirs se fondent facilement en globules noirs brillants, qui deviennent magnétiques, caractères applicables à bien peu de minéraux, à l'exception de la hornblende et de l'augite. D'autres points, colorés en rouge, sont associés aux points noirs; ils sont magnétiques et sont certainement formés d'oxyde de fer. Dans un échantillon de cette variété, j'ai observé que les points noirs étaient agrégés sous forme de cristaux minuscules autour de deux petites cavités; ils ressemblaient à des cristaux d'augite ou de hornblende, mais ils étaient trop ternes et trop petits pour pouvoir être mesurés au goniomètre. J'ai pu distinguer aussi, dans le feldspath cristallin du même échantillon, des grains qui avaient l'aspect du quartz. J'ai constaté à l'aide d'une règle à parallèles que les couches grises minces et les lignes capillaires noires étaient absolument droites et parallèles entre elles. Il est impossible de suivre le passage de la roche grise homogène à ces variétés striées, ou même de comparer le caractère des différentes couches d'un échantillon sans se convaincre que la blancheur plus ou moins parfaite de la matière feldspathique cristalline dépend du degré d'agrégation plus ou moins complet de la matière diffuse, sous forme de taches noires et rouges de hornblende et d'oxyde de fer.
5. Une roche lourde et compacte, non lamellaire, à cassure irrégulière, anguleuse et très cristalline; elle contient un grand nombre de cristaux isolés de feldspath vitreux; la base feldspathique cristalline est tachetée par un minéral noir qui, sur la surface altérée, se montre agrégé en petits cristaux, dont quelques-uns sont bien développés, tandis que le plus grand nombre ne l'est pas. J'ai montré cet échantillon à un géologue expérimenté, et je lui ai demandé quelle en était la nature. Il m'a répondu, comme tout autre je pense l'eût fait à sa place, que c'était un greenstone primitif. De même, la surface altérée de la variété zonaire que nous avons étudiée tantôt (no. 4) ressemble d'une manière frappante à un fragment usé de gneiss finement lamellaire.
Ces cinq variétés, ainsi que plusieurs termes intermédiaires, passent et repassent l'une à l'autre. Comme les variétés compactes sont absolument subordonnées aux autres, tout l'ensemble peut être considéré comme lamellaire ou comme zonaire. En résumé, les lamelles sont tantôt tout à fait droites, tantôt légèrement ondulées et tantôt contournées; elles sont toutes parallèles entre elles et aux couches d'obsidienne intercalées, et sont d'ordinaire extrêmement minces. Ces lamelles consistent soit en une roche compacte d'apparence homogène, rayée de diverses nuances de gris et de brun, soit en couches cristallines de feldspath plus ou moins pur, dont l'épaisseur varie, et qui renferment des cristaux isolés de feldspath vitreux alignés suivant leur longueur; soit enfin en couches très minces composées en grande partie de petits cristaux de quartz et d'augite, ou de points noirs et rouges d'un minéral augitique et d'un oxyde de fer, amorphes ou imparfaitement cristallisés. Après cette description détaillée de l'obsidienne, je reviens à la lamellation des roches de la série trachytique.
Le passage des lits que nous venons de décrire aux couches d'obsidienne vitreuse s'opère de diverses manières: 1. des masses angulo-noduleuses d'obsidienne de dimensions très variables apparaissent brusquement, disséminées dans une roche feldspathique de couleur pâle, feuilletée ou amorphe, et à cassure plus ou moins perlée; 2. de petits nodules d'obsidienne, isolés ou réunis en couches dont l'épaisseur dépasse rarement un dixième de pouce, alternent à plusieurs reprises avec des couches très minces d'une roche feldspathique offrant, comme une agate, des zones parallèles de couleurs différentes, extrêmement fines, et passant parfois à la résinite; les interstices entre les nodules d'obsidienne sont généralement remplis par une matière blanche, tendre, ressemblant à des cendres ponceuses; 3. la roche encaissante tout entière passe brusquement à une masse concrétionnée et fragmentaire d'obsidienne. Ces masses d'obsidienne sont souvent vert pâle, comme les petits nodules, et généralement bigarrées de diverses nuances, parallèlement aux feuillets de la roche environnante; ainsi que les nodules, elles renferment généralement de petits sphérulites blancs dont une moitié est souvent empâtée dans une zone d'une nuance, et l'autre moitié dans une zone de nuance différente. L'obsidienne n'acquiert sa couleur noir de jais et sa cassure parfaitement conchoïdale que lorsqu'elle est en grandes masses; pourtant, par un examen minutieux, et en exposant les échantillons à la lumière sous différentes incidences, j'ai pu généralement discerner des zones parallèles de teinte plus au moins foncée, même quand la roche était en grandes masses.
L'une des roches de transition les plus communes mérite, à divers égards, une description détaillée. Sa nature est fort complexe; elle est formée d'un grand nombre de couches minces, légèrement ondulées, d'une matière feldspathique à teinte pâle, passant souvent à une rétinite imparfaite, alternant avec des couches constituées par d'innombrables petits globules de deux variétés d'obsidienne, et par deux variétés de sphérulites empâtés dans une pâte perlée dure ou tendre. Les sphérulites sont blancs et transparents ou brun foncé et opaques; les premiers sont parfaitement sphériques, de petite dimension, à structure nettement rayonnée. Les sphérulites brun foncé ne sont pas aussi exactement sphériques et leur diamètre varie de 1/20e à 1/30e de pouce; lorsqu'on les brise, ils montrent une structure vaguement rayonnée vers leur centre qui est blanchâtre. Quelquefois deux sphérulites unis n'ont qu'un seul centre d'où part la structure rayonnée; il existe parfois au centre comme un indice de cavité ou de crevasse. Ces sphérulites sont tantôt séparés et tantôt réunis par deux, par trois ou en plus grand nombre, et forment des groupes irréguliers, ou plus communément des couches parallèles à la stratification de la masse. L'agrégation est souvent si intime que les faces supérieure et inférieure de la couche formée par les sphérulites sont exactement planes. Lorsque ces couches deviennent moins brunes et moins opaques, on ne peut plus les distinguer des zones de la roche feldspathique à teinte pâle qui alternent avec elles. Quand les sphérulites ne sont pas agrégés, ils sont généralement comprimés dans le sens de la structure lamellaire de la masse, et dans ce même plan ils offrent souvent à l'intérieur des zones de différentes nuances de couleur, et à l'extérieur ils sont ornés de petites crêtes et de petits sillons. Les sphérulites avec leurs sillons et leurs crêtes parallèles sont représentés grossis dans la partie supérieure de la gravure ci-jointe, mais ils ne sont pas bien dessinés; leur mode ordinaire de groupement est indiqué dans la partie inférieure de cette figure. Dans un autre échantillon, une couche mince de sphérulites bruns, intimement unis, traverse une couche de même composition, comme le montre la figure 7, et cette traînée de sphérulites, après avoir suivi sur une faible longueur une direction légèrement courbe, la recoupe ainsi qu'une autre couche située un peu au-dessous de la première.
[Illustration: FIG. 6.—Sphérulites bruns opaques, grossis. Les sphérulites représentés dans la partie supérieure de la figure portent à la surface des sillons parallèles. La structure radiée interne des sphérulites du bas de la figure est accusée beaucoup trop fortement.]
Les petits nodules d'obsidienne portent aussi quelquefois des crêtes et des sillons externes, disposés parallèlement à la lamellation de la masse, mais toujours moins marqués que ceux des sphérulites. Les nodules d'obsidienne sont généralement anguleux, à bords émoussés; souvent ils portent l'empreinte des sphérulites adjacents qui sont toujours plus petits qu'eux. Les nodules isolés semblent rarement s'être rapprochés les uns des autres par attraction mutuelle. Si je n'avais pas trouvé quelquefois un centre d'attraction distinct dans ces nodules d'obsidienne, j'aurais été porté à les considérer comme un résidu de cristallisation qui s'est isolé durant la formation de la perlite qui les empâte et des globules sphérulitiques.
[Illustration: FIG. 7.—Couche formée par l'agrégation de petits sphérulites bruns, coupant deux autres couches semblables. L'ensemble est représenté à peu près en grandeur naturelle.]
Les sphérulites et les petits nodules d'obsidienne de ces roches ressemblent si bien par leur structure et leur forme générale aux concrétions des dépôts sédimentaires, qu'on est tenté, à première vue, de leur attribuer une origine analogue. Ils ressemblent aux concrétions ordinaires sous les rapports suivants: par leur forme extérieure; par l'agrégation de deux, de trois ou d'un plus grand nombre d'individus en une masse irrégulière ou en une couche à faces planes; parce qu'il arrive parfois qu'une de ces couches en coupe une autre comme on l'observe pour les silex de la craie; par la présence dans une même masse fondamentale de deux ou trois espèces de nodules souvent serrés les uns contre les autres; par leur structure fibreuse et radiée et l'existence accidentelle de cavités en leur centre; par la coexistence des structures lamelleuse, concrétionnée et radiée, si bien développées dans les concrétions de calcaire magnésien décrites par le professeur Sedgwick[24]. On sait que les concrétions des dépôts sédimentaires sont dues à la séparation partielle ou totale d'une substance minérale de la masse environnante, et à son agrégation autour de certains centres d'attraction. Guidé par ce fait, j'ai cherché à découvrir si l'obsidienne et les sphérulites (auxquels on peut ajouter la marékanite et la perlite qui se présentent toutes deux en concrétions noduleuses dans les roches trachytiques) diffèrent par leur composition des minéraux qui forment généralement les roches trachytiques. Les résultats de trois analyses ont démontré que l'obsidienne contient en moyenne 76 p. 100 de silice; d'après une analyse, les sphérulites en contiennent 79,12 p. 100; la marékanite 79,25 p. 100 (deux analyses) et la perlite 75,62 p. 100 (deux analyses)[25]. Or, pour autant qu'on puisse les déterminer, les éléments du trachyte sont le feldspath contenant 65,21 p. 100 de silice, ou l'albite, qui en contient 69,09 p. 100, la hornblende, qui en renferme 55,27 p. 100[26], et l'oxyde de fer; de sorte que les substances vitreuses concrétionnées que nous avons mentionnées plus haut contiennent toutes une proportion de silice supérieure à celle qui existe ordinairement dans les roches feldspathiques ou trachytiques. D'Aubuisson[27] a fait remarquer aussi combien la teneur en silice est forte relativement à celle de l'alumine dans six analyses d'obsidienne et de perlite données dans la Minéralogie de Brongniart. De tous ces faits je conclus que les concrétions susdites ont été formées par un procédé d'agrégation identique à celui dont on constate l'action dans les dépôts sédimentaires. Ce procédé agit principalement sur la silice, mais il exerce aussi son action sur une partie des autres éléments de la masse environnante, et produit ainsi les diverses variétés concrétionnées. En considérant l'influence bien connue du refroidissement rapide[28] sur la production de la texture vitreuse, il paraît nécessaire d'admettre que, dans des cas semblables à celui de l'Ascension, la masse entière a dû se refroidir uniformément, mais en tenant compte des alternances multiples et compliquées de nodules et de couches minces à texture vitreuse avec d'autres couches entièrement pierreuses ou cristallines, sur un espace de quelques pieds ou même de quelques pouces, il est possible, à la rigueur, que les diverses parties se soient refroidies avec des rapidités différentes, et qu'elles aient acquis ainsi leurs textures variées.
Les sphérulites naturelles de ces roches[29] ressemblent beaucoup à celles qui se produisent dans le verre lorsqu'il se refroidit lentement. Dans de beaux échantillons de verre partiellement dévitrifié appartenant à M. Stokes, on voit les sphérulites réunies en couches rectilignes à faces planes, parallèles les unes aux autres et à l'une des surfaces extérieures, absolument comme dans l'obsidienne. Ces couches se ramifient parfois et s'anastomosent; mais je n'ai constaté aucun cas de véritable intersection. Elles forment le passage des parties parfaitement vitreuses à celles qui sont presque entièrement homogènes et pierreuses, et qui ne présentent qu'une structure concrétionnée peu nette. Dans les mêmes échantillons, on observe aussi des sphérulites engagées dans la masse et très rapprochées les unes des autres, elles sont faiblement différenciées par leur structure et leur couleur. En présence de ces faits, les idées que nous avons exposées plus haut sur l'origine concrétionnaire de l'obsidienne et des sphérulites naturelles trouvent une confirmation dans l'intéressante notice que M. Dartigues[30] a publiée sur ce sujet et où il attribue la production des sphérulites dans le verre à ce que les divers éléments s'agrègent en obéissant chacun à son propre mode d'attraction. Il est amené à cette conclusion en observant la difficulté qu'on éprouve à refondre du verre sphérulitique sans avoir au préalable pilé soigneusement et mélangé toute la masse, et en considérant aussi le fait que la transformation s'opère le plus facilement dans du verre composé d'un grand nombre de substances. En confirmation des idées de M. Dartigues, je ferai remarquer que M. Fleuriau de Bellevue[31] a constaté que les parties sphérulitiques du verre dévitrifié se comportent autrement sous l'action de l'acide nitrique et au chalumeau que la pâte compacte dans laquelle elles étaient engagées.
Comparaison des bancs d'obsidienne et des couches alternantes de l'Ascension avec ceux d'autres contrées.—J'ai été frappé de voir à quel point les observations que j'ai faites à l'Ascension concordaient avec l'excellente description des roches d'obsidienne de Hongrie, qui a été donnée par Beudant[32], avec celle de la même formation au Mexique et au Pérou par de Humboldt[33], et avec les descriptions des régions trachytiques des îles italiennes données par divers auteurs[34]. Plusieurs passages auraient pu être copiés sans modifications dans les ouvrages des auteurs que je viens de citer, et auraient pu s'appliquer à notre île. Tous les auteurs s'accordent sur le caractère lamellaire et stratifié de la série entière, et de Humboldt parle de quelques bancs d'obsidienne qui sont rubanés comme du jaspe[35]. Tous constatent le caractère noduleux ou concrétionné de l'obsidienne, et le passage des nodules à des couches. Tous insistent sur les alternances répétées de couches vitreuses, perlées, lithoïdes et cristallines qui se produisent souvent suivant des surfaces ondulées. Pourtant les couches cristallines semblent beaucoup mieux développées à l'Ascension que dans les autres contrées désignées plus haut. D'après de Humboldt, un certain nombre des bancs lithoïdes ressemblent de loin à des couches de grès schisteux. Suivant ces auteurs, les sphérulites sont toujours abondantes, et elles paraissent marquer partout le passage des bancs parfaitement vitreux aux bancs lithoïdes et cristallins. La description que Beudant[36] donne de sa «perlite lithoïde globulaire» pourrait avoir été écrite, jusque dans ses moindres détails, pour les petits globules sphérulitiques bruns des roches de l'Ascension.
La grande ressemblance qui existe, sous tant de rapports, entre les formations d'obsidienne de Hongrie, du Mexique, du Pérou, de certaines îles italiennes et celles de l'Ascension, me fait croire qu'en toutes ces contrées l'obsidienne et les sphérulites doivent leur origine à un concrétionnement de la silice, et de quelques-uns des autres éléments constituants, s'opérant pendant que la masse liquéfiée se refroidissait avec la rapidité voulue. On sait cependant qu'en diverses localités l'obsidienne s'est répandue en coulées comme la lave, par exemple à Ténérife, aux îles Lipari et en Islande[37]. Les parties superficielles sont alors les plus parfaitement vitreuses, l'obsidienne se transformant à la profondeur de quelques pieds en une pierre opaque. Dans une analyse faite par Vauquelin d'un échantillon d'obsidienne de l'Hécla, qui avait probablement coulé comme une lave, la proportion de silice est à peu près la même que dans l'obsidienne noduleuse et concrétionnée du Mexique. Il serait intéressant de déterminer si les parties intérieures opaques et la surface vitreuse externe contiennent la même proportion d'éléments constitutifs. Nous savons, d'après M. Dufrénoy[38], que la composition des parties internes et externes d'une même coulée de lave est parfois fort différente. Quand même la masse totale de la coulée serait uniformément composée d'obsidienne noduleuse, il suffirait, d'après les faits que nous venons de rapporter, de supposer qu'au moment de l'émission de la lave ses éléments constituants étaient mélangés en même proportion que dans l'obsidienne concrétionnée.
Structure lamellaire de roches volcaniques de la série trachytique.—Nous avons vu que, dans des contrées diverses et fort éloignées les unes des autres, les strates qui alternent avec les lits d'obsidienne sont fortement lamellaires. En outre, les nodules de l'obsidienne, quelles que soient leurs dimensions, sont zonés de différentes nuances, et j'ai vu dans la collection de M. Stokes un échantillon provenant du Mexique dont la surface externe était décomposée[39] et portait des crêtes et des sillons correspondant à des zones plus ou moins vitreuses. En outre, de Humboldt[40] a trouvé au pic de Ténérife une coulée d'obsidienne subdivisée par des couches de ponce alternantes et très minces. Un grand nombre d'autres laves de la série feldspathique sont lamellaires; ainsi, à l'Ascension, des masses de trachyte ordinaire sont divisées par des lignes terreuses fines, suivant lesquelles la roche se divise et qui séparent de minces couches à couleurs peu tranchées. En outre, la plupart des cristaux empâtés de feldspath vitreux sont alignés suivant cette même direction. M.P. Scrope[41] a décrit un trachyte colonnaire remarquable des îles Ponza, qui paraît avoir été injecté dans une masse surincombante de conglomérat trachytique; il est rayé de zones souvent extrêmement fines se distinguant par la texture et la couleur; les zones les plus dures et les plus foncées paraissent contenir une plus grande proportion de silice. Dans une autre partie de l'île, il existe des couches de perlite et de rétinite ressemblant, sous beaucoup de rapports, à celles de l'Ascension. Dans le trachyte colonnaire, les zones sont ordinairement contournées; elles s'étendent sans interruption sur une grande longueur, suivant une direction verticale paraissant être parallèle aux faces latérales de la masse qui affecte la forme d'un dike. Von Buch[42] a décrit à Ténérife une coulée de lave contenant d'innombrables cristaux de feldspath minces et tabulaires, disposés comme des fils blancs, l'un derrière l'autre, et orientés pour la plupart suivant une même direction. Dolomieu[43] constate aussi que les laves grises du cône moderne de Vulcano, dont la texture est vitreuse, sont rayées de lignes blanches parallèles; il décrit ensuite une roche ponceuse résistante à structure fissile comme celle de certains schistes micacés. Le phonolite, qui, comme on le sait, est souvent, sinon toujours, une roche d'injection, a fréquemment aussi une structure fissile; cette structure est due généralement à l'orientation parallèle des cristaux de feldspath empâtés, mais semble parfois à peu près indépendante de leur présence, comme on l'observe à Fernando Noronha[44]. Ces faits nous montrent que des roches feldspathiques de diverses espèces présentent soit une structure lamellaire, soit une structure fissile, et que ces structures s'observent sur des masses injectées dans des strates surincombantes, et sur d'autres masses qui ont coulé comme des laves.
Les feuillets des bancs qui alternent avec l'obsidienne à l'Ascension plongent, suivant un angle très prononcé, sous la montagne au pied de laquelle les bancs se trouvent, et ils ne semblent pas devoir cette inclinaison à un mouvement violent. Au Mexique, au Pérou et dans certaines des îles italiennes[45], ces bancs offrent habituellement une forte inclinaison; en Hongrie, au contraire, les couches sont horizontales. En outre, si je comprends bien la description qui en a été donnée, les lamelles d'un certain nombre des coulées de lave citées plus haut semblent être fortement inclinées ou verticales. Je doute qu'en aucun de ces cas les feuillets aient été amenés à leur position actuelle postérieurement à leur formation, et dans certains exemples, comme dans celui du trachyte décrit par M. Scrope, il est presque certain qu'ils ont été formés originairement dans une position fortement inclinée. Dans plusieurs de ces cas, il est évident que la masse de roche liquéfiée s'est déplacée suivant la direction des lamelles. A l'Ascension, plusieurs des vacuoles paraissent étirées et sont traversées par des fibres grossières semi-vitreuses dirigées dans le sens des lamelles, et certaines couches qui séparent les globules sphéruliliques ont un aspect scoriacé qui paraît dû au frottement que les globules leur ont fait subir. J'ai vu dans la collection de M. Stokes un spécimen d'obsidienne zonée du Mexique, dans lequel les surfaces des couches les plus nettement définies étaient striées ou sillonnées de lignes parallèles, et ces lignes ou stries ressemblaient exactement à celles qui se produisent à la surface d'une masse de verre artificiel en fusion quand on le répand du vase qui le renferme. Humboldt aussi a décrit de petites cavités, qu'il compare à la queue des comètes et qui s'étalent derrière des sphérulites dans des obsidiennes lamellaires du Mexique; et M. Scrope a décrit d'autres cavités à la partie postérieure de fragments empâtés dans un trachyte lamellaire; il croit qu'elles se sont formées pendant que la masse était en mouvement[46]. D'après ces faits, plusieurs auteurs ont attribué la lamellation de ces roches volcaniques au mouvement qu'elles ont subi quand elles étaient à l'état liquide. Quoiqu'il soit facile de comprendre pourquoi chaque vacuole, ou chaque fibre de pierre ponce[47], doit être étirée dans le sens du mouvement de la masse, on ne voit nullement pour quelle raison le mouvement aurait disposé ces vacuoles et ces fibres dans les mêmes plans, et en lames absolument droites et parallèles entre elles qui sont souvent d'une finesse extrême; et l'on voit encore beaucoup moins pour quelle cause ces couches arrivent à présenter une composition presque semblable avec une structure différente.
Pour chercher à établir la cause qui a déterminé la lamellation de ces roches feldspathiques ignées, rappelons les faits décrits d'une manière si détaillée à l'Ascension. Nous voyons qu'un certain nombre des couches les plus minces sont constituées, en très grande partie, par de nombreux cristaux excessivement petits, quoique parfaits, de divers minéraux; que d'autres couches sont formées par la réunion de globules concrétionnés de différentes espèces, et que souvent on ne saurait distinguer les couches ainsi constituées des couches feldspathiques ordinaires et des couches de rétinite, dont la masse totale est constituée en grande partie. A en juger par plusieurs cas semblables, la structure fibro-radiée des sphérulites paraît allier la tendance à la concrétion avec la tendance à la cristallisation; en outre, les cristaux isolés de feldspath sont tous disposés dans les mêmes plans parallèles[48]. Ces forces en se combinant ont joué, par conséquent, un rôle important dans la lamellation de la masse, mais elles ne sauraient être considérées comme la force primordiale; car les nodules des différentes espèces, les petits aussi bien que les plus grands, sont striés intérieurement par des zones nuancées excessivement fines, parallèles à la lamellation de la masse totale; et un grand nombre d'entre eux portent aussi à la surface des sillons et des crêtes parallèles dirigés dans cette même direction, et qui n'ont pas été produits par décomposition.
On peut voir distinctement que quelques-unes des stries colorées les plus fines des couches lithoïdes alternant avec l'obsidienne sont dues à un commencement de cristallisation des minéraux constitutifs. On peut aussi constater avec certitude que le degré de cristallisation atteint par les minéraux est en rapport avec la dimension plus ou moins grande, et avec le nombre des fissures ou des petites vacuoles aplaties et échancrées. Des faits nombreux prouvent que la cristallisation est considérablement facilitée quand elle peut s'opérer dans un espace libre, comme le montrent les géodes, et les cavités du bois silicifié, des roches primaires et des filons. J'en conclus que si, pendant le refroidissement d'une masse rocheuse volcanique, une cause quelconque vient à provoquer la formation d'un certain nombre de petites fissures, ou de zones de moindre tension (qui pourront souvent se transformer par dilatation en vacuoles à contours irréguliers sous l'action des vapeurs comprimées), la cristallisation des parties constitutives et probablement la formation de concrétions s'opérera dans ces zones ou y sera notablement facilitée. Il se produira ainsi une structure lamellaire du genre de celle que nous étudions en ce moment.
Pour expliquer la formation des zones parallèles de moindre tension dans les roches volcaniques durant leur consolidation, nous devons admettre l'intervention d'une cause encore indéterminée; tel est le cas pour les couches minces alternantes d'obsidienne et de ponces décrites par de Humboldt, et pour les petites vacuoles aplaties et irrégulières qu'on observe dans les roches lamellaires de l'Ascension; car nous ne pouvons concevoir autrement pour quelle raison les vapeurs contenues dans la masse formeraient par leur expansion des vacuoles ou des fibres disposées en plans séparés parallèles, au lieu de se répandre irrégulièrement dans la roche tout entière. J'ai vu dans la collection de M. Stokes un bel exemple de cette structure dans un spécimen d'obsidienne du Mexique, nuancé et zoné comme la plus belle agate, de nombreuses couches droites et parallèles, plus ou moins blanches et opaques ou presque parfaitement vitreuses; le degré d'opacité et de vitrification dépendant de l'abondance plus ou moins grande de vacuoles aplaties microscopiques. Dans cet exemple il semble certain que la masse à laquelle appartenait le fragment a été soumise à quelque action, vraisemblablement prolongée, qui a déterminé une légère différence de tension entre les plans successifs.
Plusieurs causes paraissent pouvoir provoquer la formation de zones d'inégale tension dans des masses à demi liquéfiées par la chaleur. J'ai observé dans un fragment de verre dévitrifié des couches de sphérulites qui, d'après la manière dont elles étaient brusquement recourbées, semblaient formées par une simple contraction de la masse dans le vase où elle s'était refroidie. Pour certains dikes de l'Etna décrits par M. Élie de Beaumont[49], et qui sont bordés par des bandes alternantes de roches scoriacée et compacte, on est conduit à supposer que l'étirement des couches environnantes qui a provoqué la formation des fissures s'est continué pendant que la roche injectée demeurait fluide. Cependant, si on se laisse guider par la description si lucide donnée par le professeur Forbes[50] de la structure zonaire de la glace des glaciers, on arrive à admettre que l'interprétation la plus vraisemblable de la structure lamellaire de ces roches feldspathiques doit être cherchée dans l'étirement qu'elles ont subi lorsqu'elles s'écoulaient lentement suivant la pente alors qu'elles étaient encore à l'état pâteux[51], exactement comme la glace des glaciers en mouvement s'étend et se fissure. Dans les deux cas on peut comparer les zones à celles des plus fines agates; elles s'étendent toujours dans la direction suivant laquelle la masse a coulé, et celles qui sont visibles à la surface sont généralement verticales. Dans la glace les lames poreuses sont rendues distinctes par la congélation subséquente d'eau infiltrée, et dans les laves feldspathiques lithoïdes par l'intervention postérieure des actions cristalline et concrétionnaire. Le fragment d'obsidienne vitreuse de la collection de M. Stokes et qui est zoné de petites vacuoles, doit ressembler d'une manière frappante à un fragment de glace zonaire si on en juge d'après la description du professeur Forbes. Si le mode de refroidissement et la nature de la masse avaient favorisé sa cristallisation, ou le concrétionnement, nous aurions pu constater dans l'échantillon dont il s'agit, de belles zones parallèles différenciées par leur texture et leur composition. Dans les glaciers les zones de glace poreuse et de petites fissures paraissent dues à un commencement d'étirement provoqué par le fait que les parties centrales du glacier progressent plus rapidement que les parties latérales et que le fond, dont la marche est retardée par le frottement. C'est pour cette raison que les zones deviennent horizontales dans certains glaciers d'une forme déterminée, et à l'extrémité inférieure de presque tous les glaciers. On pourrait se demander si les laves feldspathiques à lamelles horizontales ne nous offrent pas un cas analogue. Tous les géologues qui ont étudié des régions trachytiques sont arrivés à conclure que les laves de cette série n'ont été qu'imparfaitement fluides. Il est évident, en outre, que les matières qui ont eu une faible fluidité sont les seules qui puissent se fissurer et où les différences de tension puissent provoquer la disposition zonaire, comme nous l'admettons ici. C'est peut-être pour cette raison que les laves augitiques, qui semblent généralement avoir joui d'un haut degré de fluidité, ne sont pas[52] divisées en lames de composition et de texture différentes, comme les laves feldspathiques. En outre, dans la série augitique, il ne paraît jamais exister de tendance à l'action concrétionnaire qui joue, comme nous l'avons vu, un rôle important dans la structure lamellaire des roches de la série trachytique, ou qui, tout au moins, contribue à rendre cette structure apparente.
Quelle que soit l'opinion qu'on puisse avoir sur l'interprétation que je viens de donner ici de la structure lamellaire des roches trachytiques, je me permets d'attirer l'attention des géologues sur ce seul fait, qu'à l'île de l'Ascension, dans une masse rocheuse d'origine incontestablement volcanique, il s'est produit des couches souvent très minces, absolument droites et parallèles entre elles. Une partie de ces couches sont composées de cristaux isolés de quartz et de diopside, auxquels s'ajoutent des taches amorphes de nature augitique et des grains de feldspath. D'autres couches sont entièrement constituées par ces taches augitiques noires avec des granules d'oxyde de fer. Enfin, un certain nombre de couches sont formées de feldspath cristallin plus ou moins pur, associé à de nombreux cristaux de feldspath orientés dans le sens de leur longueur. Il y a des raisons de croire que, dans cette île, les lamelles ont été formées originairement dans la position fortement inclinée qu'elles occupent aujourd'hui, et ce fait est parfaitement établi pour d'autres roches analogues. Les faits de ce genre sont incontestablement importants quant à l'origine de la structure de cette grande série de roches plutoniques qui, de même que les roches volcaniques, ont été soumises à l'action de la chaleur, et qui sont formées de couches alternantes de quartz, de feldspath, de mica et d'autres minéraux.
Notes:
[1] Geographical Journal, vol. V, p. 243.
[2] M. Lesson a observé ce fait (Voir la Zoologie du voyage de la «Coquille», p. 490). M. Hennah (Geolog. Proceedings, 1835, p. 189) fait observer en outre qu'à l'Ascension les lits de cendre les plus étendus se trouvent invariablement du côté sous le vent.
[3] Nichol, Architecture of Heavens.
[4] Voyage aux Quatre Isles d'Afrique, t. I, p. 222.
[5] Voyage en Hongrie, t. II, p. 214.
[6] Une variété de cette pépérine ou tuf est assez dure pour ne pouvoir être brisée même sous la pression la plus forte des doigts.
[7] A la partie nord de Green Mountain, on observe une couche mince d'oxyde de fer compacte, épaisse d'un pouce environ, qui s'étend sur une surface considérable; elle est en stratification concordante avec la partie inférieure de la masse stratifiée de cendres et de fragments. Cette substance est d'un brun rougeâtre, à éclat presque métallique; elle n'est pas magnétique, mais le devient lorsqu'elle a été chauffée au chalumeau, elle noircit alors et fond en partie. Cette roche compacte retient la petite quantité d'eau de pluie qui tombe dans l'île, et donne naissance ainsi à une petite source coulant goutte à goutte, que Dampier a découverte le premier. C'est la seule eau douce que l'on trouve dans l'île, de sorte qu'elle n'est habitable que grâce à l'existence de cette couche ferrugineuse.
[8] Le professeur Miller a bien voulu examiner ce minéral. Il a observé deux bons clivages de 86°30' et 86°50'. La moyenne de plusieurs clivages que j'ai mesurés était 86°30'. Le professeur Miller constate que ces cristaux, réduits en poudre fine, sont solubles dans l'acide chlorhydrique avec résidu de silice; l'addition d'oxalate d'ammonium donne un abondant précipité de chaux. Il fait remarquer, en outre, que, d'après von Kobell, l'anorthite (minéral qu'on rencontre dans les fragments projetés au Monte Somma) est toujours blanche et transparente, de sorte que, s'il en est ainsi, ces cristaux de l'Ascension doivent être considérés comme du feldspath Labrador. Le professeur Miller ajoute qu'il a vu dans Erdmann's Journal für technische Chemie la description d'un minéral rejeté par un volcan, qui offrait les caractères extérieurs du Labrador, mais dont la composition différait de celle donnée pour cette espèce par les minéralogistes. L'auteur attribuait cette différence à une erreur dans l'analyse du Labrador qui est fort ancienne.
[9] Daubeny remarque, dans son ouvrage sur les Volcans (p. 386), qu'il en est ainsi; et de Humboldt dit (Personal Narrative, vol. I, p. 236) qu' «en général les masses de roches primitives connues, je veux parler de celles qui ressemblent parfaitement à nos granites, gneiss et micaschistes, sont fort rares dans les laves; les substances que nous désignons généralement sous le nom de granite et qui ont été projetées par le Vésuve, sont des mélanges de néphéline, de mica et de pyroxène».
[10] Cette aire est limitée approximativement par une ligne embrassant Green Mountain et se prolongeant jusqu'aux collines désignées sous les noms de Weather Port Signal, Holyhead et the Crater of an old volcano (cette dernière appellation est inexacte dans le sens géologique du mot).
[11] Le porphyre est de couleur foncée; il contient de nombreux cristaux de feldspath blanc opaque, souvent brisés, et des cristaux d'oxyde de fer en décomposition; ses vacuoles renferment de petites masses cristallines capillaires qu'on pourrait rapporter à l'analcime.
[12] Le Dr Daubeny (On Volcanoes, p. 180) parait avoir été amené à croire que certaines formations trachytiques d'Ischia et du Puy-de-Dôme, qui ressemblent de très près à celles de l'Ascension, étaient d'origine sédimentaire; il basait principalement cette opinion sur la présence fréquente dans ces roches «de fragments scoriacés dont la teinte diffère de celle de la masse englobante». Le Dr Daubeny ajoute que, d'un autre côté, Brocchi et d'autres géologues éminents ont considéré ces lits comme des variétés terreuses de trachyte; d'après lui le sujet mérite de faire l'objet de nouvelles études.
[13] D'Aubuisson, Traité de Géognosie, t. II, p. 548.
[14] Beudant (Voyage en Hongrie, t. III, p. 502, 504) décrit des masses réniformes de jaspe opale, qui passent insensiblement au conglomérat trachytique environnant ou y sont empâtées comme des silex dans la craie, et il les compare aux fragments de bois opalisé qui abondent dans la même formation. Pourtant Beudant semble avoir considéré le processus de leur formation plutôt comme une simple infiltration que comme un échange moléculaire, mais la présence d'une concrétion différant absolument de la matière englobante me semble exiger un déplacement, soit chimique, soit mécanique, des atomes qui occupaient l'espace ultérieurement rempli par cette concrétion, si elle ne s'est pas formée dans une cavité préexistante. Le jaspe opale de Hongrie passe à la calcédoine, c'est pourquoi, dans ce cas comme dans celui de l'Ascension, l'origine du jaspe paraît être en rapport intime avec celle de la calcédoine.
[15] Beudant (Voyage minéralogique, t. III, p. 507) en cite des exemples en Hongrie, en Allemagne, au Plateau Central de France, en Italie, en Grèce et au Mexique.
[16] Les oeufs de tortues enfouis par ces animaux peuvent quelquefois être emprisonnés dans cette roche massive. M. Lyell a donné une figure (Principles of Geology, livre III, ch. xvii) représentant des oeufs ainsi empâtés dans la roche et renfermant le squelette de jeunes tortues.
[17] Researches in Theoretical Geology, p. 12.
[18] Ainsi que je l'ai fait remarquer, le sulfate de chaux constitue une matière étrangère et doit avoir été extrait de l'eau de mer. C'est donc un fait intéressant de voir les vagues de l'Océan assez chargées de sulfate de chaux pour le déposer sur les rochers contre lesquels elles se brisent à chaque marée. Le Dr Webster a décrit (Voyage of the Chanticleer, vol. II, p. 319) des lits de gypse et de sel marin atteignant deux pieds d'épaisseur, formés par l'évaporation des embruns sur les rochers de la côte exposés à l'action du vent dominant. De belles stalactites de gypse, ressemblant à des stalactites calcaires, se sont formées près de ces lits. On trouve aussi des masses amorphes de gypse dans des cavernes de l'intérieur de l'île, et j'ai vu à Cross Hill (un ancien cratère) une quantité considérable de sel suintant d'une pile de scories. Dans ces derniers cas le sel et le gypse semblent être des produits volcaniques.
[19] D'après le fait décrit dans mon Journal of Researches (p. 12), d'une couche d'oxyde de fer déposée par un ruisseau sur les roches de son lit (comme un revêtement à peu près semblable qui existe aux grandes cataractes de l'Orénoque et du Nil) et qui prend un beau poli aux endroits où le remous se fait sentir, je suppose que le polissage est produit ici également par la même cause.
[20] J'ai décrit, dans le chapitre consacré aux rochers de Saint-Paul, une substance luisante et perlée qui recouvre ces rochers, et une incrustation stalactitique, de l'île de l'Ascension, d'une nature analogue, dont la croûte ressemble à l'émail des dents, mais est assez dure pour rayer le verre. Ces deux substances renferment une matière organique qui paraît provenir de l'eau filtrant au travers d'amas de fiente d'oiseaux.
[21] M. Horner et sir David Brewster ont décrit (Philosophical Transactions, 1836, p. 65) une singulière «substance artificielle ressemblant à celle qui constitue les coquilles». Cette substance se dépose en lames fines de couleur brune, transparentes, présentant une surface très lisse et des propriétés optiques spéciales, à l'intérieur d'un vase contenant de l'eau, où l'on fait tourner rapidement un linge enduit d'une couche de colle et ensuite d'une couche de chaux. Cette substance est beaucoup plus tendre, plus transparente, et contient plus de matière organique que l'incrustation naturelle de l'Ascension; pourtant nous constatons encore une fois ici la forte tendance que manifestent le carbonate de chaux et la matière organique à former une substance solide voisine de celle de la coquille des mollusques.
[22] Ce terme peut prêter à un malentendu parce qu'on peut l'appliquer soit à des roches divisées en feuillets de composition identique, soit à des couches fortement adhérentes les unes aux autres sans tendance à la fissilité, mais constituées par des minéraux différents, ou présentant des zones de couleurs différentes. Au cours du présent chapitre le terme lamellaire est pris dans ce dernier sens, et j'ai employé le mot fissile lorsqu'une roche homogène se divise suivant une direction déterminée comme c'est le cas pour les ardoises.
[23] Le professeur Miller m'informe que les cristaux qu'il a mesurés présentaient les faces P, z, m de la figure 147 donnée par Haidinger dans sa traduction de Mohs; et il ajoute qu'il est remarquable qu'aucun de ces cristaux ne présente la moindre trace des faces r du prisme hexagonal régulier.
[24] Geological Transactions, vol. III, part. 1, p. 37.
[25] Ces analyses ont été prises dans le Traité de Minéralogie de Beudant, t. II, p. 113; et une analyse d'obsidienne dans Phillips's Mineralogy.
[26] Ces analyses sont prises dans von Kobell, Grundzüge der Mineralogie, 1838.
[27] Traité de géognosie, t. II, p. 535.
[28] On constate ces faits dans la fabrication du verre ordinaire, et dans les expériences de Gregory Watt sur le trapp fondu; on les observe aussi sur la surface naturelle des coulées de lave et sur les flancs latéraux des dikes.
[29] J'ignore s'il est généralement connu qu'on rencontre parfois dans les agates des corps présentant exactement le même aspect que les sphérulites. M. Robert Brown m'a montré une agate formée dans une cavité d'un morceau de bois silicifié, portant de petites taches à peine visibles à l'oeil nu; vues à l'aide d'une forte loupe, ces taches offraient un très bel aspect; elles étaient exactement circulaires et consistaient en fibres extrêmement fines, de couleur brune, rayonnant fort régulièrement autour d'un centre commun. Ces petites étoiles rayonnantes sont quelquefois coupées et partiellement entamées par les fines zones rubanées de l'agate. Dans l'obsidienne de l'Ascension, les deux moitiés d'une sphérulite sont souvent engagées dans des zones de couleur différente, mais elles ne sont pas entamées par ces dernières comme dans l'agate.
[30] Journal de physique, t. LIX (1804), pp. 10, 12.
[31] Id., t. LX (1805), p. 418.
[32] Voyage en Hongrie, t. I, p. 330; t. II, pp. 221 et 315; t. III, pp. 369, 371, 377, 381.
[33] Essais géognostiques, pp. 176, 326, 328.
[34] P. Scrope, Geological Transactions, vol. II (second series), p. 195. Consulter aussi: Dolomieu, Voyage aux Isles Lipari, et D'Aubuisson, Traité de géognosie, t. II, p. 534.
[35] J'ai observé que dans les obsidiennes du Mexique formant la belle collection de M. Stokes, les sphérulites sont ordinairement beaucoup plus grandes que celles de l'Ascension; elles sont généralement blanches, opaques, et sont accolées en couches distinctes. Plusieurs variétés remarquables diffèrent de toutes celles de l'Ascension. Les obsidiennes présentent des zones minces, absolument droites ou ondulées, qui ne se distinguent de la masse que par des différences extrêmement faibles de nuance, de porosité ou d'état vitreux plus ou moins parfait. En suivant un certain nombre des zones les moins nettement vitreuses, on constate qu'elles se montrent bientôt parsemées de sphérulites blanches très petites qui deviennent de plus en plus nombreuses et finissent par se réunir en une couche distincte. A l'Ascension, au contraire, les sphérulites brunes seules se réunissent et forment des couches; les blanches sont toujours disséminées irrégulièrement. Certains échantillons appartenant aux collections de la Société géologique, et rapportés à une formation d'obsidienne du Mexique, ont une cassure terreuse et sont divisés en lamelles extrêmement fines par des taches d'un minéral noir semblables aux taches d'augite et de hornblende des roches de l'Ascension.
[36] Voyage de Beudant, t. III, p. 373.
[37] Pour Ténérife, voir von Buch, Descript. des isles Canaries, p. 184 et 190; pour les îles Lipari, voir le Voyage de Dolomieu, p. 34; pour l'Islande, voir Mackenzie's Travels, p. 369.
[38] Mémoire pour servir à une description géologique de la France, t. IV, p. 371.
[39] Mac Culloch constate (Classification of Rocks, p. 531) que, sur les dikes de rétinite à l'île d'Arran, les surfaces exposées à l'air sont sillonnées «de lignes ondulées, ressemblant à certains genres de papier marbré et qui résultent évidemment d'une différence correspondante dans la structure lamellaire».
[40] Personal Narrative, vol. I, p. 222.
[41] Geological Transactions, vol. II (seconde série), p. 195.
[42] Description des îles Canaries, p. 184.
[43] Voyage aux îles de Lipari, pp. 35 et 85.
[44] Dans ce cas, comme dans celui de la pierre ponce fissile, la structure s'écarte beaucoup de celle des roches précédentes, dont les lamelles consistent en couches alternantes qui diffèrent de composition ou de texture. Cependant il y a des raisons de croire avec d'Aubuisson que dans certaines formations sédimentaires qui semblent homogènes et fissiles, par exemple, dans une ardoise à éclat micacé, les lamelles sont dues réellement à des couches alternantes de mica excessivement minces.
[45] Voir Phillips' Mineralogy, p. 136, pour les îles italiennes. Pour le Mexique et le Pérou, voir l'Essai géognostique, de de Humboldt. M. Edwards décrit aussi la forte inclinaison des obsidiennes de Cerro del Navaja, au Mexique, dans les Proc. of the geolog. Soc. de juin 1838.
[46] Geological Transactions, vol. II (seconde série), p. 200, etc. Dans certains cas, ces fragments empâtés consistent en trachyte lamellaire détaché de la masse «et enveloppé dans les parties qui restaient encore liquides». Beudant aussi, dans son grand ouvrage sur la Hongrie, cite plusieurs fois des roches trachytiques irrégulièrement tachetées de fragments appartenant aux variétés qui forment ailleurs les rubans parallèles. Dans ces divers cas, nous devons supposer qu'après qu'une partie de la masse fondue eût pris la structure lamellaire, une nouvelle éruption de lave vint la bouleverser et en envelopper les fragments, et que plus tard tout l'ensemble prit une nouvelle disposition lamellaire.
[47] Dolomieu, Voyage, p. 64.
[48] En effet, la formation d'un grand cristal d'un minéral quelconque dans une roche de composition complexe suppose la réunion des atomes nécessaires, en même temps qu'une action de concrétion. La cause pour laquelle tous les cristaux de feldspath sont orientés suivant le sens de leur longueur dans ces roches de l'Ascension est probablement la même que celle de l'allongement et de l'aplatissement dans cette même direction de tous les globules sphérulitiques bruns (qui offrent au chalumeau les caractères du feldspath).
[49] Mém. pour servir, etc., t. IV, p. 131.
[50] Edinburgh New Phil. Journal, 1842, p. 350.
[51] Je suppose que c'est à peu près la même explication que M. Scrope entendait donner en parlant (Geolog. Transact., vol. II, seconde série, p. 228) de la structure rubanée de ces roches trachytiques, qui provient d'une «extension linéaire de la masse imparfaitement liquide, accompagnée d'une action de concrétion».
[52] Il n'est pas rare que des laves basaltiques, ainsi que plusieurs autres roches, soient divisées en lames ou plaques épaisses, de même composition, et qui sont tantôt droites et tantôt courbées; ces lames, coupées par des lignes de fissure verticales, s'unissent quelquefois pour constituer des colonnes. Cette structure parait se rapprocher, quant à son origine, de celle que présentent un grand nombre de roches ignées et sédimentaires traversées par des systèmes de fissures parallèles.