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Observations Géologiques sur les Îles Volcaniques Explorées par l'Expédition du "Beagle": Et Notes sur la Géologie de l'Australie et du Cap de Bonne-Espérance

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CHAPITRE IV

SAINTE-HÉLÈNE

Laves des séries feldspathique, basaltique et sous-marine.—Coupe de Flagstaff Hill et du Barn.—Dikes.—Baies Turk's Cap et Prosperous.—Enceinte basaltique.—Crête centrale cratériforme avec rebord intérieur et parapet.—Cônes de phonolite.—Bancs superficiels de grès calcareux.—Coquilles terrestres éteintes.—Lits de détritus.—Soulèvement de la région.—Dénudation.—Cratères de soulèvement.

L'île tout entière est d'origine volcanique; suivant Beatson[1], sa circonférence est d'environ 28 milles. Le centre et la plus grande partie de l'île sont constitués par des roches de nature feldspathique, généralement très décomposées, et offrant alors une remarquable succession de lits argileux tendres, alternants, rouges, pourpres, bruns, jaunes et blancs. Par suite du peu de durée de notre séjour, je n'ai pu examiner ces lits avec soin; quelques-uns d'entre eux, spécialement ceux à nuances blanches, jaunes et brunes, constituaient originairement des coulées de lave, mais la plupart de ces lits ont probablement été éjaculés sous forme de scories et de cendres; d'autres lits, colorés en pourpre, avec des plages à contours cristallins constituées par une substance blanche tendre, semblent avoir été autrefois des porphyres argileux compacts et résistants; ils sont aujourd'hui onctueux au toucher, et donnent, comme la cire, une rayure luisante sous l'ongle. Les lits argileux rouges offrent généralement une structure bréchiforme, et ont été formés, sans aucun doute, par la décomposition de scories. Cependant, plusieurs coulées fort étendues, appartenant à cette série, conservent leur caractère lithoïde, elles sont soit d'une couleur vert-noirâtre avec de petits cristaux aciculaires de feldspath, soit d'une teinte très pâle; dans ce dernier cas, elles sont formées principalement de petits cristaux de feldspath souvent écailleux, portant un grand nombre de taches noires microscopiques. Ces coulées sont généralement compactes et lamellaires; pourtant d'autres coulées, d'une composition semblable, sont celluleuses et légèrement altérées. Aucune de ces roches ne renferme de grands cristaux de feldspath ni ne présente la cassure rugueuse caractéristique du trachyte. Ces laves et ces tufs feldspathiques recouvrent les autres roches et appartiennent donc à la dernière phase éruptive; cependant d'innombrables dikes et de grandes masses de roches fondues y ont été postérieurement injectés. Ils convergent, en s'élevant, vers la crête curviligne centrale, dont un point atteint l'altitude de 2.700 pieds. Cette crête est la partie la plus élevée de l'île, et elle a constitué autrefois le bord septentrional d'un grand cratère, d'où se sont écoulées les laves de cette série; la structure de ce cratère est rendue fort obscure par l'état de dégradation dans lequel il se trouve, par la disparition de sa partie méridionale et par les dislocations violentes que l'île a subies.

Série basaltique.—La côte de l'île consiste en un cercle, grossièrement dessiné, de grands remparts de basalte, noirs et stratifiés, s'inclinant vers la mer et que les flots ont transformés en falaises souvent presque perpendiculaires, dont la hauteur varie de quelques centaines de pieds à 2.000 pieds. Ce cercle, ou plutôt cette enceinte en forme de fer à cheval est ouverte du côté du sud et entamée par plusieurs autres grandes brèches. Son rebord supérieur ou sommet ne s'élève ordinairement qu'à une faible altitude au-dessus du niveau de la contrée intérieure voisine, et les laves feldspathiques plus récentes, descendant des hauteurs centrales, viennent généralement buter contre son plan interne qu'elles recouvrent; mais, dans la partie nord-ouest de l'île (pour autant qu'on en puisse juger de loin) les laves semblent avoir débordé cette barrière et l'avoir masquée en partie. En certains endroits où l'anneau basaltique est rompu et où cette enceinte noire est divisée en tronçons, les laves feldspathiques ont coulé entre ces derniers et surplombent aujourd'hui la côte sous forme de falaises élevées. Ces roches basaltiques ont une couleur noire et sont stratifiées en couches minces; elles sont habituellement très celluleuses, mais parfois compactes; quelques-unes d'entre elles renferment de nombreux cristaux de feldspath vitreux et des octaèdres de fer titanifère; d'autres abondent en cristaux d'augite et en grains d'olivine. Les vacuoles sont fréquemment tapissées de petits cristaux (de chabasie?), ce qui donne même parfois à la roche une structure amygdaloïdale. Les coulées de lave sont séparées les unes des autres par des cendres ou par un tuf salifère friable, d'un rouge vif, offrant des lignes superposées comme celles que provoque la sédimentation et qui présente parfois une structure concrétionnée mal définie. Les roches de la série basaltique ne se montrent que près de la côte. Dans la plupart des contrées volcaniques les laves trachytiques sont plus anciennes que les laves basaltiques; mais ici nous constatons qu'un grand amas de roches, dont la composition est très voisine de celle de la famille trachytique, a été éjaculé après les nappes basaltiques: cependant les nombreux dikes injectés dans les laves feldspathiques, et où abondent de grands cristaux d'augite, dévoilent peut-être une tendance au retour vers le mode ordinaire de superposition.

Laves sous-marines de la base.—Les laves de la série inférieure se trouvent immédiatement au-dessous des roches basaltiques et feldspathiques. Suivant M. Seale[2], on peut les observer, en divers points de la plage, sur le pourtour entier de l'île. Dans les coupes que j'ai étudiées, leur nature est fort variable; quelques-unes des couches abondent en cristaux d'augite; d'autres, colorées en brun, sont laminaires ou formées de galets, et plusieurs sections sont rendues fortement amygdaloïdes par la présence de matières calcaires. Les nappes successives sont intimement unies entre elles, ou séparées les unes des autres par des bancs de roches scoriacées ou de tuf laminaire renfermant souvent des fragments nettement arrondis. Les interstices de ces couches sont remplis de gypse et de sel; le gypse se présente parfois aussi en lits minces. L'abondance de ces deux substances, la présence de cailloux roulés dans les tufs et l'abondance des roches amygdaloïdes me portent à croire que ces couches volcaniques inférieures sont d'éruption sous-marine. Peut-être cette remarque doit-elle être appliquée aussi à une partie des roches basaltiques surincombantes; mais je n'ai pu trouver de preuve bien nette de ce dernier fait. Partout où j'ai examiné les couches de la série inférieure, j'ai constaté qu'elles étaient traversées par un très grand nombre de dikes.

Flagslaff Hill et le Barn.—Je décrirai maintenant quelques-unes des coupes les plus remarquables en commençant par ces deux collines qui constituent les traits les plus caractéristiques de la partie nord-est de l'île. Le profil carré et anguleux du Barn ainsi que sa couleur noire montrent au premier coup d'oeil qu'il appartient à la série basaltique, tandis que la surface adoucie et la forme conique de Flagstaff Hill, et ses teintes vives et variées prouvent avec la même évidence que cette dernière colline est formée des roches feldspathiques altérées, dont il a été question au commencement du chapitre. Ces deux hautes collines sont réunies (comme on le voit dans la figure no. 8) par une crête aiguë constituée par les laves à galets de la série inférieure. Les couches de cette crête plongent vers l'ouest sous un angle qui diminue graduellement à mesure qu'on s'avance vers le Flagstaff, et l'on peut constater, quoique assez difficilement, que les couches feldspathiques supérieures de cette colline plongent uniformément vers l'W.-S.-W. Près du Barn, les couches de la crête sont presque verticales, mais leur allure est masquée par d'innombrables dikes; leur inclinaison change probablement sous cette colline et, de verticales qu'elles étaient, les couches se montrent inclinées dans un sens opposé: en effet, les couches supérieures basaltiques, qui ont environ 800 à 1.000 pieds d'épaisseur, plongent vers le nord-est sous un angle de 30 à 40°.

[Illustration: FIG. 8. Les lignes épaisses représentent les couches basaltiques; les lignes fines, les couches sous-marines inférieures; les lignes pointillées, les couches feldspathiques supérieures. Les dikes sont indiqués par des hachures transversales.]

La crête ainsi que les collines de Flagstaff et de Barn sont sillonnées de dikes, dont plusieurs conservent un parallélisme remarquable suivant une direction N.-N.-W—S.-S.-E. Les dikes sont formés principalement d'une roche à laquelle de grands cristaux d'augite donnent la structure porphyrique, d'autres dikes sont formés d'un trapp brun à grains fins. La plupart de ces dikes sont recouverts d'une couche brillante[3], épaisse de un à deux dixièmes de pouce, fusible en un émail noir, contrairement à ce qui se produit pour la rétinite véritable. Cette couche est évidemment analogue au revêtement superficiel brillant qu'on observe sur un grand nombre de coulées de lave. On peut suivre souvent les dikes sur de grandes surfaces, tant dans le sens horizontal que dans le sens vertical, et ils paraissent conserver une épaisseur à peu près toujours uniforme[4]. M. Seale rapporte qu'un dike situé près du Barn ne décroît en largeur que de 4 pouces seulement sur toute sa hauteur, qui est de 1.260 pieds,—de 9 pieds à la base elle se réduit à 8 pieds 8 pouces au sommet. Dans cette crête la direction suivie par les dikes paraît avoir été surtout déterminée par l'alternance de couches tendres et dures; souvent ils sont intimement associés aux couches les plus dures, et restent parallèles sur des longueurs si considérables que fréquemment il devient impossible de distinguer les bancs qui sont de vrais dikes, des nappes de lave. Quoique les dikes soient si nombreux sur cette crête, ils sont plus nombreux encore dans les vallées voisines situées au sud, à tel point que je n'en ai vu nulle part un aussi grand nombre. Dans ces vallées ils ont une orientation moins régulière et couvrent le sol d'un réseau semblable à une toile d'araignée; en certains points la surface du sol paraît même exclusivement constituée par des dikes entrelacés.

Cette disposition complexe des dikes, la forte inclinaison et l'anticlinal des couches de la série inférieure recouvertes aux extrémités opposées de cette crête par deux grandes masses rocheuses, d'âge et de composition différents, devaient, à mon avis, conduire presque infailliblement à une fausse interprétation de cette coupe. On a même supposé que la région qui nous occupe avait fait partie d'un cratère, mais cette opinion s'écarte tellement de la vérité que le sommet de Flagstaff Hill a constitué autrefois l'extrémité inférieure d'une nappe de lave et de cendres éjaculées par la crête cratériforme centrale. A en juger par la pente des coulées contemporaines dans une partie voisine et non bouleversée de l'île, les couches de Flagstaff Hill doivent avoir été soulevées de 1.200 pieds au moins, et probablement d'une quantité beaucoup plus considérable encore, car les grands dikes tronqués qu'on observe au sommet de la colline démontrent qu'elle a été fortement dénudée. Le sommet de Flagstaff Hill atteint à peu près la même hauteur que la crête cratériforme, et, avant d'avoir subi une dénudation, il était probablement plus élevé que cette crête, dont il est séparé par une région fort étendue et beaucoup plus basse; par conséquent, nous constatons ici que l'extrémité inférieure d'un système de coulées de lave a été redressée de manière à atteindre une altitude égale ou même peut-être supérieure à celle du cratère sur les flancs duquel elles ont coulé originairement. Je crois que les dislocations de cette amplitude sont extrêmement rares[5] dans les régions volcaniques. La formation de dikes aussi nombreux dans cette partie de l'île prouve que la surface de la région doit avoir subi une dislocation tout à fait extraordinaire. Sur la crête entre les collines de Flagstaff et de Barn cette dislocation ou extension s'est probablement produite après le redressement des couches, ou a peut-être suivi immédiatement ce phénomène, car, si les couches avaient été alors horizontales, elles auraient fort probablement été fissurées et injectées dans le sens transversal et non suivant le plan de stratification. Quoique la contrée qui s'étend entre le Barn et Flagstaff Hill présente une ligne anticlinale bien nette dirigée du nord au sud, et quoique la plupart des dikes suivent cette même ligne avec beaucoup de régularité, les couches occupent cependant leur position primitive à un mille seulement au sud de la crête. Cela démontre que la force perturbatrice a exercé son action plutôt sur un point isolé que suivant une ligne. Son mode d'activité se trouve probablement expliqué par la structure du Little Stony-top, montagne de 2.000 pieds de hauteur, située à quelques milles au sud du Barn; nous distinguons là, même de loin, une sorte de coin aigu, formé d'une roche colonnaire compacte, de couleur sombre, et les couches feldspathiques aux teintes brillantes descendant sur ses deux flancs, à partir de son sommet dénudé. Ce coin, qui a fait donner à la montagne le nom de Stony-top, consiste en une masse rocheuse injectée à l'état liquide dans les couches surincombantes; et si nous supposons qu'une masse rocheuse semblable a été injectée sous la crête reliant le Barn et Flagstaff Hill, on pourrait expliquer ainsi la structure de cette région.

Baies Turks' Cap et Prospérous.—Prospérous Hill est une grande montagne noire et escarpée, située à 2 milles et demi au sud du Barn, et constituée de couches basaltiques comme cette dernière colline. Ces couches reposent d'un côté sur les bancs porphyriques bruns de la série inférieure, et d'un autre côté sur une masse fissurée d'une roche fortement scoriacée et amygdaloïde, qui paraît avoir constitué un centre d'éruption sous-marine peu étendu et contemporain de la série inférieure. Prosperous Hill est traversé, comme le Barn, par un grand nombre de dikes, dont la plupart courent du nord au sud, et ses couches plongent obliquement, peut-on dire, de l'île vers la mer, sous un angle d'environ 20°. Comme on le voit dans la figure no. 9, l'espace compris entre Prosperous Hill et le Barn est occupé par des falaises élevées, formées de laves de la série supérieure ou feldspathique, reposant en stratification discordante sur les strates sous-marines inférieures, comme nous avons vu qu'elles le font à Flagstaff Hill. Néanmoins, à l'opposé de ce qui se présente sur cette dernière colline, les couches supérieures sont presque horizontales et s'élèvent doucement vers l'intérieur de l'île. En outre, ces couches sont composées de laves compactes, noir-verdâtre, ou plus communément brun pâle, au lieu d'être constituées par des matériaux devenus tendres, et colorés de teintes vives. Ces laves compactes brunes sont formées presque entièrement de feldspath en petits éclats luisants ou en petits cristaux aciculaires très rapprochés les uns des autres et associés à de nombreuses petites taches noires qui sont probablement de la hornblende. Les strates basaltiques de Prosperous Hill ne s'élèvent qu'à une faible hauteur au-dessus du niveau des coulées feldspathiques doucement inclinées qui viennent buter contre leurs bords redressés et les entourent. L'inclinaison des couches basaltiques paraît trop prononcée pour être due au fait qu'elles auraient coulé sur une pente, et elles doivent avoir été amenées à leur position actuelle par un redressement survenu avant l'éruption des coulées feldspathiques.

[Illustration: FIG. 9.—Les lignes doubles représentent les couches basaltiques; les lignes simples, les couches sous-marines inférieures; les lignes pointillées, les couches feldspathiques supérieures.]

Enceinte basaltique.—En faisant le tour de l'île, on observe qu'au sud de Prosperous Hill les laves de la série supérieure forment des falaises très élevées surplombant la mer. Le cap désigné sous le nom de Great Stony-top, et qu'on rencontre ensuite, est composé, je crois, de basalte ainsi que le promontoire appelé Long Range Point, auquel aboutissent, du côté de la terre, les couches colorées. Sur la côte sud de l'île nous voyons les strates basaltiques de South Barn plonger obliquement vers la mer sous un angle très prononcé; ce cap dépasse légèrement aussi le niveau des laves feldspathiques plus modernes. Plus loin encore, la côte a été fortement dénudée sur une grande longueur, de chaque côté de Sandy Bay, et il ne semble plus être resté en cet endroit que les débris de la base du grand cratère central. Les couches basaltiques reparaissent avec leur inclinaison vers la mer, au pied de la colline appelée Man-and-Horse; et elles se poursuivent sur toute la longueur de la côte nord-ouest, depuis ce point jusqu'a Sugar-Loaf Hill, qui est situé près du Flagstaff. Ces coulées offrent partout la même inclinaison vers la mer, et elles reposent, en certains points au moins, sur les laves de la série inférieure. Nous voyons ainsi que la circonférence de l'île est formée par une enceinte de basalte fortement ébréchée, ou plutôt par des masses de basalte disposées en forme de fer à cheval ouvert vers le sud et coupé par plusieurs larges brèches du côté de l'est. La largeur de cette frange marginale paraît varier de 1 mille à 1 mille et demi du côté nord-ouest, qui est le seul où elle soit parfaitement complète. Les couches basaltiques et celles de la série inférieure, qu'elles recouvrent, sont faiblement inclinées vers la mer aux endroits où leur allure primitive n'a pas été modifiée. La dégradation plus prononcée de l'anneau basaltique autour de la moitié orientale de l'île qu'autour de sa moitié occidentale, est due évidemment à ce que la puissance érosive des vagues est beaucoup plus considérable sur la côte orientale, exposée au vent, que sur la côte placée sous le vent, c'est ce que prouve du reste la hauteur plus forte des falaises sur la première de ces côtes. On ne saurait affirmer si les brèches ont été ouvertes dans la bordure de basalte avant ou après l'éruption des laves de la série supérieure; mais, comme certaines parties détachées de l'enceinte basaltique paraissent avoir été redressées avant que ce phénomène se fût produit, et pour d'autres raison encore, il est fort probable que tout au moins un certain nombre des brèches sont antérieures à l'éruption. Si on reconstitue hypothétiquement cette enceinte circulaire de basalte, l'espace interne, ou la cavité, qui a été comblée ultérieurement par les matières éjaculées par le grand cratère central, paraît avoir présenté une forme ovale, longue de 8 à 9 milles sur 4 milles environ de largeur, et dont l'axe était dirigé suivant une ligne N.-E.-S.-W. coïncidant avec le grand axe actuel de l'île.

Crête centrale courbe.—Cette crête est formée, comme nous l'avons dit plus haut, de laves feldspathiques grises et de tufs argileux rouges, bréchiformes, semblables aux couches de la série supérieure colorées de teintes vives. Les laves grises renferment un grand nombre de petits points noirs, facilement fusibles, et quelques rares cristaux de feldspath de grande dimension. Elles sont généralement devenues fort tendres. Sauf ce caractère et la propriété d'être très vésiculaires en beaucoup d'endroits, elles sont entièrement semblables aux grandes nappes de lave qui surplombent la côte à Prosperous Bay. A en juger d'après les traces de dénudation, il s'est écoulé de longs intervalles de temps entre la formation des bancs successifs dont la crête est constituée. Sur le versant escarpé du nord j'ai observé dans plusieurs coupes une surface ondulée de tuf rouge fortement érodée, et recouverte de laves feldspathiques grises décomposées, sans autre interposition qu'une mince couche terreuse. En un point voisin j'ai remarqué un dike de trapp, large de 4 pieds, arasé et recouvert par la lave feldspathique comme le représente la figure. La crête se termine vers l'est en un crochet, qui n'est représenté avec une netteté suffisante sur aucune des cartes que j'ai vues. Vers son extrémité occidentale elle s'abaisse graduellement et se divise en plusieurs crêtes secondaires. La partie la mieux définie de la crête, entre Diana's Peak et Nest Lodge, sert de base à des pics dont la hauteur varie de 2.000 à 2.700 pieds, et qui sont les plus élevés de toute l'île; elle mesure un peu moins de 3 milles de longueur en ligne droite. Sur tout cet espace la crête offre un aspect et une structure uniformes; sa courbure rappelle la ligne de côte d'une grande baie, et elle est formée de plusieurs lignes courbes plus petites, dont la concavité est toujours ouverte vers le sud. Son versant septentrional et externe est renforcé par des crêtes étroites en arc-boutant qui s'abaissent vers la plaine environnante. Le côté interne est beaucoup plus escarpé et s'élève presque à pic; il est constitué par la tranche des couches qui s'inclinent doucement vers l'intérieur. Le long de certaines parties du versant interne, et près du sommet, s'étend une corniche unie ou rebord, dont le contour suit les courbes secondaires de la crête. Des rebords de ce genre ne sont pas rares dans les cratères volcaniques, et leur formation semble due à l'affaissement d'une nappe horizontale de lave durcie, dont les bords restent adhérer aux parois du cratère[6] (comme la glace aux bords d'un étang dont l'eau s'est retirée).

[Illustration: FIG. 10.—Dike. 1. Lave feldspathique grise.—2. Couche d'une matière terreuse rougeâtre épaisse d'un pouce.—3. Tuf argileux rouge bréchiforme.]

En certains endroits, la crête est surmontée d'un parapet dont les deux faces sont verticales. Près de Diana's Peak, ce mur est extrêmement étroit. J'ai observé à l'archipel des Galapagos des parapets dont la structure et l'aspect sont identiques à ceux des murs que nous venons de citer, et qui surmontent plusieurs des cratères; l'un d'eux, que j'ai plus particulièrement étudié, était composé de scories rouges, luisantes, fortement cimentées; comme il était vertical du côté externe et qu'il s'étendait sur la circonférence du cratère presque tout entière, il le rendait à peu près inaccessible. Suivant de Humboldt, le Pic de Ténérife et le Cotopaxi ont une structure analogue[7]; il dit «qu'à leur sommet un mur circulaire entoure le cratère; vu de loin ce mur offre l'aspect d'un petit cylindre posé sur un cône tronqué. Pour le Cotopaxi[8] cette structure spéciale est visible à l'oeil nu d'une distance de plus de 2.000 toises, et personne n'a jamais atteint son cratère. Sur le Pic de Ténérife le parapet est si élevé qu'il serait impossible d'atteindre la Caldera, si une crevasse ne s'ouvrait pas sur le côté oriental». L'origine de ces parapets circulaires est probablement due à la chaleur des vapeurs dégagées du cratère qui en pénètrent et en durcissent les parois sur une profondeur à peu près uniforme; et plus tard les actions atmosphériques attaquent lentement la montagne sans entamer la partie durcie; celle-ci se montre alors sous forme de cylindre ou de parapet circulaire.

En tenant compte des particularités de structure que nous venons de signaler dans la crête centrale: la convergence des couches de la série supérieure vers cette crête, l'état fortement vésiculaire que les laves y prennent, la corniche unie qui s'étend le long de son flanc concave et vertical, comme celle qu'on observe dans l'intérieur de certains volcans encore actifs, le mur en forme de parapet qui couronne son sommet, et enfin sa courbure spéciale qui se distingue de tous les profils habituels aux soulèvements, tous ces faits me prouvent que cette crête recourbée n'est autre chose que le dernier vestige d'un grand cratère. Cependant, quand on cherche à retrouver le contour primitif de ce cratère, on est bien vite désorienté; son extrémité occidentale s'abaisse graduellement, et s'étend vers la côte en se divisant en d'autres crêtes; l'extrémité orientale est plus fortement courbée, mais elle est à peine mieux définie. Quelques particularités me font supposer que le mur méridional du cratère rencontrait la crête actuelle près de Nest Lodge; s'il en est ainsi, le cratère doit avoir à peu près 3 milles de longueur sur 1 mille et demi de largeur environ. Nous aurions cherché vainement à reconnaître la véritable nature de la crête, si la dénudation qu'elle a subie et la décomposition des roches dont elle est formée avaient été un peu plus avancées qu'elles ne le sont, et si la crête avait été coupée par de grands dikes et par des masses considérables de matières injectées, comme l'ont été plusieurs autres parties de l'île. Même dans l'état actuel des choses, nous avons vu qu'à Flagstaff Hill l'extrémité inférieure d'une nappe de matière éruptive a été soulevée à une hauteur égale et probablement même supérieure à celle du cratère dont elle s'est écoulée. Il est intéressant de suivre ainsi les degrés par lesquels passe la structure d'une région volcanique en s'obscurcissant peu à peu pour finir par s'effacer. L'île de Sainte-Hélène se rapproche tellement de cette dernière phase que jusqu'ici personne, je crois, n'a supposé que la crête centrale ou l'axe de l'île fût la dernière épave du cratère dont les coulées volcaniques les plus récentes ont été éjaculées.

Le grand espace vide, ou la vallée, qui existe au sud de la crête centrale curviligne, et sur laquelle s'étendait autrefois la moitié du cratère, est formée de monticules et de crêtes dénudés et érodés, constitués par des roches rouges, jaunes et brunes, mêlées en une confusion cahotique, entrelacées de dikes, et sans aucune stratification régulière. La partie principale consiste en scories rouges en voie de décomposition, associées à des tufs de diverses variétés et à des lits argileux jaunâtres pleins de cristaux brisés, parmi lesquels ceux d'augite sont d'une grandeur remarquable. Ça et là surgissent des masses de lave très vésiculaires et très amygdaloïdes. Sur l'une des crêtes, au milieu de la vallée, se dresse brusquement une colline conique très escarpée, désignée sous le nom de Lot. C'est un trait saillant et singulier du paysage. Cette colline est formée de phonolite, dont une partie est en grands feuillets courbes, une autre partie est constituée de boules concrétionnées plus ou moins anguleuses, et la troisième consiste en colonnes disposées en rayons divergents. De sa base divergent, en s'inclinant dans toutes les directions, des couches de lave, de tuf et de scories[9]; la partie du cône qui émerge au-dessus de ces couches est haute de 197 pieds[10] et sa section horizontale est ovale. Le phonolite est gris verdâtre et plein de petits cristaux aciculaires de feldspath; il offre, dans la plupart des cas, une cassure conchoïdale, il est sonore et il est criblé de petites cavités. Au S.-W. de Lot, on observe plusieurs autres pics colonnaires fort remarquables, mais de forme moins régulière, notamment Lot's Wife, et les Asses' Ears, constitués d'une roche analogue. Leur forme aplatie et leur position relative démontrent clairement qu'ils se trouvent sur la même ligne de fissure. Il est intéressant de remarquer, en outre, que, si on prolongeait la ligne N.-E.-S.-W., joignant Lot et Lot's Wife, elle couperait Flagstaff Hill, qui est sillonné de nombreux dikes courant dans cette même direction, comme nous l'avons dit plus haut, et dont la structure bouleversée rend vraisemblable qu'une grande masse de roche autrefois liquide se trouve injectée sous cette colline.

Dans la même grande vallée on rencontre plusieurs autres masses coniques de roches injectées (j'ai observé que l'une d'entre elles était formée de greenstone compact), dont quelques-unes ne semblent avoir aucune relation avec la direction suivie par un dike, tandis que d'autres sont évidemment reliées par une de ces lignes. Trois ou quatre grandes lignes de dikes s'étendent au travers de la vallée suivant une direction N.-E.-S.-W., parallèle à celle qui joint les Asses' Ears et Lot's Wife, et probablement Lot. Le grand nombre de ces masses de roches injectées est un trait remarquable de la géologie de Sainte-Hélène. Outre celles que nous venons de citer, et la masse hypothétique qui s'étendrait sous Flagstaff Hill, mentionnons encore la masse qui forme Little-Stony-Top, et comme j'ai lieu de le croire, d'autres masses encore au Man-and-Horse et à High-Hill. La plupart de ces masses, sinon toutes, ont été injectées postérieurement aux dernières éruptions volcaniques du cratère central. La formation, sur des lignes de fissure, de saillies rocheuses coniques, dont les parois sont le plus souvent parallèles, peut être vraisemblablement attribuée à des inégalités de tension, provoquant la formation de petites fissures transversales; les bords des couches cèdent naturellement en ces points d'intersection, et sont facilement redressés. Je dois faire observer, enfin, que partout les éminences de phonolite ont une tendance[11] à prendre des formes singulières et même grotesques, comme celle de Lot; le pic de Fernando Noronha en offre un exemple; pourtant à San Thiago, les cônes de phonolite, quoique aigus, ont une forme régulière. En supposant, comme cela paraît probable, que tous les monticules ou obélisques de ce genre ont été originairement injectés à l'état liquide dans un moule formé par des couches qui ont cédé sous la pression des masses injectées, comme le fait s'est produit certainement pour Lot, on peut se demander d'où proviennent leurs formes si souvent escarpées et étranges en comparaison de celles des masses de greenstone et de basalte qui partagent avec les premières le même mode de formation. Ces formes seraient-elles dues à une fluidité moins parfaite que l'on considère généralement comme caractéristique des laves trachytiques voisines des phonolites?

Dépôts superficiels.—On rencontre, tant sur la côte septentrionale de l'île que sur sa côte méridionale, un grès calcarifère tendre, en bancs superficiels fort étendus quoique peu épais. Il consiste en très petits fragments roulés de coquilles et d'autres organismes d'une dimension uniforme, qui conservent en partie leurs couleurs jaune, brune et rose, et offrent parfois, mais très rarement, des traces vagues de leur forme externe primitive. Je me suis vainement efforcé de trouver un fragment de coquille qui ne fût pas roulé. La couleur des fragments est le caractère le plus net qui fasse reconnaître leur origine; l'action d'une chaleur modérée altère ces nuances et provoque le dégagement d'une odeur; ce sont donc des caractères identiques à ceux que présentent des coquilles fraîches. Ces fragments sont cimentés entre eux et sont mélangés d'une matière terreuse: d'après Beatson, les masses les plus pures contiennent 70 p. 100 de carbonate de chaux. Les bancs, dont l'épaisseur varie de 2 ou 3 pieds à 15 pieds, recouvrent la surface du sol; on les rencontre généralement sur celui des flancs de la vallée qui est protégé contre l'action du vent, et ils se trouvent à la hauteur de plusieurs centaines de pieds au-dessus du niveau de la mer. Leur position correspond à celle que le sable prendrait aujourd'hui sous l'action du vent alizé; et sans aucun doute ils ont été formés de cette manière, ce qui explique l'uniformité et la finesse des particules, ainsi que l'absence complète de coquilles entières ou même de fragments de dimension moyenne. C'est un fait remarquable que sur aucun point de la côte il n'existe aujourd'hui de bancs coquillers d'où la poussière calcaire aurait pu être enlevée et triée. Nous devons donc remonter à une période plus ancienne, antérieure aux bouleversements qui ont produit les grandes falaises actuelles, et durant laquelle une côte en pente douce, comme celle de l'Ascension, se prêtait à l'accumulation des débris de coquilles. Quelques-uns des bancs de ce calcaire se trouvent à l'altitude de 6 à 700 pieds au-dessus de la mer; mais cette altitude peut être due, en partie, à un soulèvement du sol postérieur à l'accumulation du sable calcaire.

L'infiltration de l'eau des pluies a consolidé certaines parties de ces bancs, les a transformés en une roche compacte, et a provoqué la formation de calcaires stalagmitiques brun foncé. A la carrière de Sugar-Loaf, des fragments de roches ont été recouverts, sur les pentes adjacentes[12], par des couches minces superposées de matière calcaire formant un revêtement épais. Un fait curieux, c'est qu'un grand nombre de ces cailloux sont recouverts sur toute leur surface, sans qu'aucun point indiquant leur contact avec une autre roche ait été laissé à nu; ces cailloux doivent donc avoir été soulevés par l'action du dépôt très lent qui s'opérait et les recouvrait de couches successives de carbonate de chaux. Des masses d'une roche blanche, finement oolitique, sont fixées à la surface externe d'un certain nombre de ces cailloux. Von Buch a décrit un calcaire compact de Lanzarote qui ressemble parfaitement au dépôt stalagmitique dont il s'agit; cet enduit recouvre des cailloux, et en certains endroits il est finement oolitique. Ce calcaire forme une couche très étendue dont l'épaisseur varie d'un pouce à 2 ou 3 pieds, et on le rencontre à la hauteur de 800 pieds au-dessus de la mer, mais uniquement sur celle des côtes de l'île qui est exposée aux vents violents du nord-ouest. Von Buch fait observer[13] qu'on ne le rencontre pas dans les cavités du sol, mais uniquement sur les flancs continus et inclinés de la montagne. Il croit que ce calcaire a été déposé par les embruns que ces vents violents portent au-dessus de l'île tout entière. Il me paraît cependant beaucoup plus vraisemblable que cette roche a été formée, comme à Sainte-Hélène, par l'infiltration de l'eau dans des amas de coquilles finement concassées; car lorsque le sable est transporté par le vent sur une côte très exposée, il tend toujours à s'accumuler sur des surfaces larges et unies offrant aux vents une résistance uniforme. En outre, à l'île voisine de Fuerteventura[14], il existe un calcaire terreux qui, d'après von Buch, est entièrement semblable aux spécimens provenant de Sainte-Hélène qu'il a vus, et qu'il croit formés par le transport de débris de coquilles sous l'action du vent.

Dans la carrière de Sugar-Loaf Hill, dont j'ai parlé plus haut, les bancs supérieurs de calcaire sont plus tendres, moins purs, et ont le grain plus fin que les bancs inférieurs. Les coquilles terrestres y abondent et quelques-unes sont intactes; ces bancs renferment aussi des ossements d'oiseaux et de grands oeufs[15] qui proviennent, selon toute probabilité, d'oiseaux aquatiques. Il est vraisemblable que ces couches supérieures sont restées longtemps à l'état meuble, et que c'est durant cette période que les produits terrestres y ont été renfermés. M. G.-R. Sowerby a bien voulu examiner trois espèces de coquilles terrestres, provenant de ces bancs, que je lui ai remises. La description qu'il en a faite se trouve à l'Appendice. L'une de ces coquilles est une Succinée, identique à une espèce actuellement vivante et qui abonde dans l'île; les deux autres, notamment Cochlogena fossilis et Hélix biplicata, ne sont pas connues comme organismes actuels; la dernière de ces espèces a été trouvée aussi dans une autre localité fort différente, où elle est associée à une espèce incontestablement éteinte du genre Cochlogena.

Lits de coquilles terrestres éteintes.—En diverses parties de l'île, on trouve, enfouies dans la terre, des coquilles terrestres qui paraissent appartenir toutes à des espèces éteintes. La plupart d'entre elles ont été trouvées sur Flagstaff-Hill, à une altitude considérable. Sur le versant nord-ouest de cette colline, un ravin creusé par la pluie a mis à découvert une coupe d'environ 20 pieds de puissance, dont la partie supérieure consiste en terre végétale noire, évidemment amenée des parties plus élevées de la colline par l'eau des pluies, et la partie inférieure en terre moins noire, où abondent des coquilles jeunes et vieilles entières ou brisées. Cette terre est faiblement consolidée en certains points par une matière calcareuse provenant probablement de la décomposition partielle d'une certaine quantité des coquilles. M. Seale, l'intelligent résident de Sainte-Hélène, qui a, le premier, appelé l'attention sur ces coquilles, m'en a donné une collection nombreuse provenant d'une autre localité, où elles semblent avoir été enfouies dans une terre fort noire. M. G.-R. Sowerby a étudié ces coquilles et les a décrites dans l'Appendice. Il y en a sept espèces, notamment une Cochlogena, deux espèces du genre Cochlicopa, et quatre du genre Hélix; aucune de ces espèces n'est connue comme vivante et n'a été trouvée ailleurs que là. De petites espèces ont été retirées de l'intérieur des grandes coquilles de Cochlogena auris-vulpina. Cette dernière espèce est fort singulière à divers égards. Lamarck lui-même l'a classée dans un genre marin, elle a été prise ainsi erronément pour une coquille marine, et les espèces plus petites qui l'accompagnent ayant passé inaperçues, on a mesuré l'altitude des endroits exactement déterminés où elle a été trouvée, et on a conclu ainsi au soulèvement de l'île! Il est bien remarquable que toutes les coquilles de cette espèce que j'ai trouvées en un même endroit forment, d'après M. Sowerby, une variété distincte de celle à laquelle appartiennent les coquilles provenant d'une autre localité et recueillies par M. Seale. Comme cette Cochlogena est une coquille grande et bien visible, j'ai soigneusement interrogé plusieurs habitants fort intelligents, sur le point de savoir s'ils avaient jamais vu cet animal à l'état vivant; ils m'ont tous affirmé que non, et même ils ne voulaient pas croire que ce fût un organisme terrestre; en outre, M. Seale, qui a collectionné des coquilles à Sainte-Hélène pendant toute sa vie, ne l'a jamais rencontrée à l'état vivant. Peut-être découvrira-t-on que quelques-unes des espèces les plus petites sont encore vivantes; mais, d'un autre côté, les deux mollusques terrestres vivant actuellement en abondance dans l'île n'ont jamais été trouvés, que je sache, associés dans les roches avec les espèces éteintes. J'ai montré dans mon journal[16] que l'extinction de ces mollusques terrestres pourrait n'être pas fort ancienne, car un grand changement s'est produit dans l'île il y a environ cent vingt ans; à cette époque, les vieux arbres moururent, et ils ne furent pas remplacés parce que les jeunes arbres étaient détruits au fur et à mesure de leur naissance par les chèvres et les porcs, qui vivaient dans l'île en grand nombre et à l'état de liberté depuis 1502. M. Seale affirme que sur Flagstaff-Hill, où les coquilles enfouies sont surtout abondantes, comme nous l'avons vu, on peut observer partout des traces qui démontrent clairement que cette colline a été couverte autrefois d'une épaisse forêt; aujourd'hui, il n'y croît pas même un buisson. La couche épaisse de terre végétale noire, qui recouvre le banc coquillier sur les flancs de cette colline, a été probablement amenée du sommet par les eaux dès que les arbres périrent et que l'abri qu'ils offraient disparut.

Soulèvement de l'île.—Après avoir constaté que les laves de la série inférieure, dont l'origine est sous-marine, ont été élevées au-dessus du niveau de la mer et atteignent en certains endroits une altitude de plusieurs centaines de pieds, je me suis efforcé de retrouver des signes superficiels du soulèvement de l'île. Le fond d'un certain nombre des gorges qui descendent vers la côte est comblé, sur une hauteur de 100 pieds environ, par des couches mal définies de sable, d'argile limoneuse et de masses fragmentaires. M. Seale a trouvé dans ces couches les os de l'Oiseau du Tropique et de l'Albatros; aujourd'hui le premier de ces oiseaux visite rarement l'île, et le second n'y vient jamais. La différence qui existe entre ces couches et les amas inclinés de débris qui les recouvrent me fait supposer qu'elles ont été déposées dans les gorges lorsque celles-ci se trouvaient au-dessous du niveau de la mer. En outre, M. Seale a montré que quelques-unes des gorges en forme de fissure[17] s'élargissent légèrement du sommet vers la base en offrant une section concave, et cette forme spéciale est due probablement à l'action érosive que la mer exerçait lorsqu'elle pénétrait dans la partie inférieure des gorges. A des altitudes plus considérables on n'a pas de preuves aussi évidentes du soulèvement de cette île; néanmoins, dans une dépression en forme de baie que présente le plateau s'étendant derrière Prosperous Bay, à l'altitude d'environ 1.000 pieds, on voit des masses rocheuses à sommet plat, dont on ne saurait concevoir la séparation d'avec les couches voisines semblables qu'en admettant qu'elles ont été exposées à l'érosion marine sur une plage. Il serait certainement bien difficile d'expliquer d'une autre manière un grand nombre de dénudations qui ont été produites à de grandes altitudes; ainsi, par exemple, le sommet aplati de la colline de Barn, dont l'altitude est de 2.000 pieds, présente, suivant M. Seale, un véritable réseau de dikes tronqués; sur des collines formées, comme le Flagstaff, d'une roche tendre nous pouvons supposer que les dikes ont été érodés et abattus par les agents atmosphériques, mais nous pouvons difficilement supposer que cela soit possible pour les couches basaltiques résistantes du Barn.

Dénudation de la côte.—Les énormes falaises, hautes, en certains endroits, de 1.000 à 2.000 pieds, dont cette île, semblable à une prison, est entourée de toutes parts, sauf en quelques points où d'étroites vallées descendent vers la côte, forment le trait le plus saillant du paysage. Nous avons vu que des segments de l'enceinte basaltique, longs de 2 à 3 milles sur 1 ou 2 milles de largeur et 1.000 à 2.000 pieds de hauteur, ont été complètement rasés. En outre, des récifs et des bancs de rochers s'élèvent dans la mer en des endroits où elle présente de grandes profondeurs, à 3 ou 4 milles de la côte actuelle. D'après M. Seale, on peut les suivre jusqu'au rivage et constater ainsi qu'ils forment le prolongement de certains grands dikes bien déterminés. La formation de ces rochers est due évidemment à l'action des vagues de l'Océan Atlantique, et il est intéressant de constater que les rochers situés sous le vent de l'île, du côté qui est partiellement protégé et qui s'étend de Sugar-Loaf Hill à South-West Point, présentent une hauteur moindre, quoique encore considérable, correspondant à une situation mieux abritée. Quand on songe à l'altitude relativement faible que présentent les côtes d'un grand nombre d'îles volcaniques, exposées comme Sainte-Hélène à l'action de la pleine mer, et dont l'origine semble remonter à une haute antiquité, l'esprit recule à l'idée d'évaluer le nombre de siècles nécessaires pour réduire en limon et disperser l'énorme volume de roches dures qui a été arraché au littoral de cette île. L'état de la surface de Sainte-Hélène offre un contraste frappant avec celle de l'île la plus voisine, l'Ascension. A l'Ascension les coulées de lave présentent une surface brillante, comme si elles venaient d'être éjaculées; leurs limites sont bien définies, et souvent on peut les suivre jusqu'aux cratères encore intacts qui les ont émises. Pendant mes nombreuses et longues promenades je n'ai pas observé un seul dike; et sur la circonférence presque entière de l'île la côte est basse et a été rongée au point de ne plus former qu'un petit mur dont la hauteur varie de 10 à 40 pieds (il ne faut pourtant pas attacher à ce fait une importance trop considérable, car l'île a pu s'affaisser). Cependant depuis trois cent quarante ans que l'île de l'Ascension est connue, on n'y a pas signalé le moindre symptôme d'action volcanique[18]. D'autre part, à Sainte-Hélène on ne saurait suivre le cours d'aucune coulée de lave, en se guidant soit par l'état de ses limites, soit par celui de la surface; il n'y reste que l'épave d'un grand cratère. Des dikes ruinés sillonnent non seulement les vallées, mais même la surface de quelques-unes des collines les plus élevées; et, en plusieurs endroits, les sommets dénudés de grands cônes de roche injectée sont exposés et découverts. Enfin, nous avons vu que le pourtour entier de l'île a été profondément érodé, de manière à former de gigantesques falaises.

Cratères de soulèvement.—Les îles de Sainte-Hélène, de San Thiago et Maurice offrent une grande ressemblance au point de vue de leur structure et de leur histoire géologique. Ces trois îles sont enfermées (tout au moins celles de leurs parties qu'il m'a été possible de visiter) dans un cercle de montagnes basaltiques fortement entamé aujourd'hui, mais qui a été évidemment continu autrefois. Le versant de ces montagnes, dirigé vers l'intérieur de l'île, est escarpé, ou paraît pour le moins l'avoir été autrefois, et les couches dont elles sont constituées plongent vers la mer. Je n'ai pu déterminer l'inclinaison des bancs que dans un petit nombre de cas seulement, et cette opération n'était pas facile, car la stratification paraissait généralement mal définie, si ce n'est quand on l'observait de loin. Cependant, je suis à peu près certain que, conformément aux recherches de M. Elie de Beaumont, leur inclinaison moyenne est supérieure à celle qu'ils auraient pu prendre en coulant sur une pente, étant données leur épaisseur et leur compacité. A Sainte-Hélène et à San Thiago les couches basaltiques reposent sur des bancs plus anciens, d'une composition différente, et qui sont probablement sous-marins. Dans les trois îles, des déluges de laves plus récentes se sont écoulés du centre de l'île vers les montagnes basaltiques et entre ces dernières; et à Sainte-Hélène la plate-forme centrale a été comblée par ces laves. Chacune des trois îles a été soulevée en masse. A l'île Maurice la mer doit avoir baigné le pied des montagnes basaltiques, à une période géologique éloignée, ainsi qu'elle le fait actuellement à Sainte-Hélène; à San Thiago la mer attaque aujourd'hui la plaine qui s'étend entre ces montagnes. Dans les trois îles, mais spécialement à San Thiago et à Maurice, l'observateur, placé au sommet d'une des anciennes montagnes basaltiques, cherche en vain à découvrir au centre de l'île (point vers lequel convergent approximativement les strates placées sous ses pieds et sous les montagnes situées à sa droite et à sa gauche), une source d'où ces coulées auraient pu être émises; mais il n'aperçoit qu'un vaste plateau concave s'étendant au-dessous de lui, ou des monceaux de matières d'origine plus récente.

Je pense que ces montagnes basaltiques doivent être classées avec les cratères de soulèvement; il importe peu que les enceintes aient été ou non complètes autrefois, car les segments qui en subsistent aujourd'hui ont une structure si uniforme que, s'ils ne constituent pas des fragments de véritables cratères, on ne peut pas les classer parmi les lignes de soulèvement ordinaires. En considérant leur origine, et après avoir lu les ouvrages de M. Lyell[19] et de MM. C. Prevost et Virlet, je ne puis croire que les grandes dépressions centrales aient été formées par un soulèvement en forme de dôme, provoquant le cintrage des couches. D'un autre côté il m'est bien difficile d'admettre que ces montagnes basaltiques ne soient que de simples fragments du pied de grands volcans dont le sommet aurait été enlevé par explosion, ou plus vraisemblablement englouti par affaissement. Ces enceintes ont parfois des dimensions tellement colossales, comme à San Thiago et à Maurice, et on les rencontre si souvent, que je puis difficilement me résoudre à adopter cette explication. En outre, la simultanéité fréquente des faits que je vais énumérer me porte à croire qu'ils ont, en quelque sorte, un rapport commun que n'implique ni l'une ni l'autre des théories rappelées plus haut: en premier lieu, l'état ruiné de l'enceinte qui démontre que les parties actuellement isolées ont été soumises à une dénudation puissante, et tend peut-être, en certains cas, à démontrer que l'enceinte n'a probablement jamais été fermée; en second lieu, la grande quantité de matière éjaculée par la partie centrale de l'île après la formation de l'enceinte ou pendant la durée de cette formation; et en troisième lieu, le soulèvement de l'île en masse. Quant au fait que l'inclinaison des couches est supérieure à celle que devraient offrir naturellement les fragments de la base de volcans ordinaires, j'admets volontiers que cette inclinaison a pu augmenter lentement par le soulèvement dont les nombreuses fissures comblées ou dikes donnent à la fois la preuve et la mesure, d'après M. Élie de Beaumont; théorie aussi neuve qu'importante que nous devons aux recherches de ce géologue à l'Etna.

Convaincu, comme je l'étais alors, par les phénomènes observés en 1835 dans l'Amérique du Sud[20], que les forces qui produisent l'éjaculation des matières par les orifices volcaniques sont identiques à celles qui soulèvent l'ensemble des continents, une hypothèse, embrassant les faits que je viens de citer, se présenta à mon esprit quand j'étudiai la partie de la côte de San Thiago où la couche calcaire soulevée horizontalement plonge dans la mer, immédiatement sous un cône de lave d'éruption postérieure. Cette hypothèse consiste à admettre que, pendant le soulèvement lent d'une contrée ou d'une île volcanique, au centre de laquelle un ou plusieurs orifices restent ouverts, neutralisant ainsi les forces souterraines, la périphérie est soulevée plus fortement que la partie centrale; et que les parties ainsi surélevées ne s'abaissent pas en pente douce vers la région centrale moins élevée [comme le fait la couche calcaire sous le cône à San Thiago, et comme une grande partie de la circonférence de l'Islande[21]; mais qu'elles en sont séparées par des failles courbes. D'après ce que nous constatons le long des failles ordinaires, nous pouvons nous attendre à ce que, sur la partie soulevée, les couches, déjà inclinées vers l'extérieur par le fait de leur formation primordiale en coulées de lave, seront relevées à partir du plan de la faille et prendront ainsi une inclinaison plus forte. Suivant cette hypothèse, que je suis tenté de n'appliquer qu'à quelques cas peu nombreux, il n'est pas probable que l'enceinte ait jamais été complète, et par suite de la lenteur du soulèvement, les parties soulevées auraient été généralement exposées à une dénudation puissante qui aurait provoqué la rupture de l'enceinte. Nous pouvons nous attendre aussi à constater des différences accidentelles d'inclinaison entre les masses soulevées, comme cela se produit à San Thiago. Cette hypothèse rattache également le soulèvement de l'ensemble de la région à l'écoulement de grands flots de lave provenant des plates-formes du centre. Dans cette théorie les montagnes basaltiques marginales des trois îles que nous avons citées plus haut peuvent encore être considérées comme formant des «cratères de soulèvement»; le genre de soulèvement que l'on suppose a été lent, et la dépression ou plate-forme centrale a été formée, non par le cintrage de la surface, mais simplement par suite d'un soulèvement moins considérable de cette partie de l'île.

Notes:

[1] Account of St-Helena by governor Beatson.

[2] Geognosy of the Island of Saint-Helena. M. Seale a construit un modèle à grande échelle de l'île de Sainte-Hélène, qui mérite une visite, et qui se trouve actuellement au Collège d'Addiscombe dans le Surrey.

[3] Ce fait a été observé (Lyell, Principles of Geology, vol. IV, chap. x, p. 9) dans les dikes de l'Atrio del Cavallo, mais il n'est probablement pas fort commun. Sir G. Mackensie affirme cependant (Travels in Iceland, p. 372) qu'en Islande toutes les veines présentent sur leurs bords «un revêtement noir vitreux». Le capitaine Carmichaël dit, en parlant des dikes de Tristan d'Acunha, île volcanique de l'Atlantique méridional, que leurs bords «sont invariablement semi-vitreux au contact de la roche encaissante». (Linnaean Transactions, vol. XII, p. 485.)

[4] Geognosy of the Island of Saint-Helena, pl. 5.

[5] M. Constant Prévost (Mémoires de la Société Géologique, t. II) fait observer que «les produits volcaniques n'ont que localement et rarement même dérangé le sol, à travers lequel ils se sont fait jour».

[6] Un exemple remarquable de cette structure est décrit dans les Polynesian Researches, de Ellis (seconde édition), où l'on trouve un dessin admirable des corniches et des terrasses successives qui s'étendent sur les bords de l'immense cratère d'Hawaï aux îles Sandwich.

[7] Personal Narrative, t. I, p. 171.

[8] De Humboldt, Pituresque Atlas, folio, pl. 10.

[9] Dans ses Views of Vesuvius (pl. VI), Abich a représenté la manière dont les couches sont relevées, dans des circonstances à peu près identiques. Les couches supérieures sont redressées plus fortement que les inférieures, et il explique ce fait en montrant que la lave s'introduit horizontalement entre les couches inférieures.

[10] Cette altitude est donnée par M. Seale dans sa Géognosie de l'île. La hauteur du sommet au-dessus du niveau de la mer est évaluée à 1.444 pieds.

[11] Dans son Traité de Géognosie (t. III, p. 540), d'Aubuisson insiste particulièrement sur ce fait.

[12] En plusieurs points de cette colline, on rencontre dans les détritus terreux des masses irrégulières de sulfate de chaux cristallisé et très impur. Comme cette substance se dépose actuellement en abondance à l'Ascension par l'effet du ressac, il est possible que ces masses aient la même origine; mais s'il en est ainsi, elles doivent s'être formées à une époque où l'île présentait une altitude de beaucoup inférieure à celle qu'elle possède aujourd'hui. Ce gypse terreux se trouve actuellement à une hauteur de 6 à 700 pieds.

[13] Description des îles Canaries, p. 293

[14] Id., pp. 314 et 374.

[15] Dans un catalogue présenté avec quelques spécimens à la Société géologique, le colonel Wilkes rapporte qu'une seule personne a trouvé jusqu'à dix oeufs. Le Dr Buckland a fait une communication sur ces oeufs (Geological Transactions, vol. V, p. 474).

[16] Journal of Researches, p. 582.

[17] D'après M. Seale, une gorge en forme de fissure, située près de Stony-top, mesure 840 pieds de profondeur sur 115 pieds de largeur seulement.

[18] Le Nautical Magazine de 1835, p. 642, celui de 1838, p. 361, et les Comptes rendus d'avril 1838, font connaître une série des phénomènes volcaniques: tremblements de terre, eaux troublées, scories flottantes et colonnes de fumée, qui ont été observés à divers intervalles depuis le milieu du siècle dernier, dans la région océanique comprise entre 20 et 22° de longitude ouest, à un demi-degré environ au sud de l'Equateur. Ces faits semblent prouver qu'une île ou qu'un archipel est en voie de formation au milieu de l'Atlantique; le prolongement de la ligne joignant Sainte-Hélène à l'Ascension coupe ce foyer volcanique lentement en voie de formation.

[19] Principles of Geology (5e édit.), vol. II, p. 171.

[20] J'ai donné en mars 1838 une relation détaillée de ces phénomènes, dans une communication à la Société géologique. Pendant qu'une surface immense était agitée et qu'une grande contrée se soulevait, les districts immédiatement contigus à plusieurs des grands orifices des Cordillères demeuraient tranquilles, les forces souterraines étant probablement neutralisées par les éruptions, qui recommencèrent alors avec une grande violence. Un événement d'une nature à peu près identique, mais se produisant sur une échelle infiniment moins grande, paraît avoir eu lieu, suivant Abich (Views of Vesuvius, pl. I et IX), à l'intérieur du grand cratère du Vésuve, où une plate-forme située sur un côté d'une fissure a été soulevée tout entière à la hauteur de 20 pieds, tandis qu'une traînée de petits volcans venaient faire éruption sur l'autre bord de cette fissure.]

[21] Suivant des informations qui m'ont été communiquées de la manière la plus obligeante par M.E. Robert, les segments de la circonférence de l'Islande, qui sont formés d'anciennes couches basaltiques alternant avec du tuf, plongent vers l'intérieur de l'île, en imitant ainsi une coupe gigantesque. M. Robert a observé que cette disposition se présente le long de la côte sur une distance de plusieurs centaines de milles, sauf quelques rares interruptions tout à fait locales. Cette observation est confirmée, au moins en ce qui concerne une partie de la circonférence, par Mackenzie, dans ses Travels (p. 377), et pour une autre localité par des notes manuscrites qui m'ont été complaisamment prêtées par le Dr Holland. La côte est fortement découpée par des anses, au fond desquelles le pays est généralement bas. M. Robert m'a communiqué que les couches qui plongent vers l'intérieur de l'île semblent s'étendre jusqu'à cette ligne, et que leur inclinaison correspond ordinairement à celle de la surface du sol, depuis les hautes montagnes côtières jusqu'à la contrée basse qui s'étend à l'extrémité des anses. Dans la coupe décrite par sir G. Mackenzie l'inclinaison est de 12°. L'intérieur de l'île, pour autant qu'on le connaisse, consiste principalement en produits d'éruption récents. Peut-être l'étendue considérable de l'Islande, qui est presque égale à celle de l'Angleterre, devrait-elle la faire exclure de la classe d'îles que nous avons étudiées, mais je ne puis m'empêcher de croire que, si les montagnes côtières, au lieu de s'incliner doucement vers la région centrale plus basse, en avaient été séparées par des failles irrégulièrement recourbées, les couches auraient été renversées de manière à plonger vers la mer, et qu'il se serait formé un «cratère de soulèvement» comme celui de San Thiago ou de l'île Maurice, mais de dimensions beaucoup plus vastes. Je me bornerai à faire observer en outre que l'existence fréquente de lacs très étendus au pied des grands volcans, et que l'association souvent constatée de nappes volcaniques et de dépôts d'eau douce paraissent démontrer que les régions voisines des volcans sont prédisposées à s'abaisser au-dessous du niveau général de la contrée environnante, soit qu'elles aient subi un soulèvement moins considérable, soit qu'elles se soient affaissées.

CHAPITRE V

ARCHIPEL DES GALAPAGOS

Ile Chatham.—Cratères formés d'une espèce particulière de tuf.—Petits cratères basaltiques avec cavités à leur base.—Ile Albemarle, laves liquides, leur composition.—Cratères de tuf, inclinaison de leurs couches divergentes externes, et structure de leurs couches convergentes internes.—Ile James, segment d'un petit cratère basaltique; fluidité et composition de ses coulées de lave et des fragments qu'il rejette.—Remarques finales sur les cratères de tuf et sur l'état délabré de leurs flancs méridionaux.—Composition minéralogique des roches de l'archipel.—Soulèvement de la contrée.—Direction des fissures d'éruption.

Cet archipel est situé sous l'Equateur, à la distance de 500 à 600 milles de la côte occidentale de l'Amérique du Sud. Il consiste en cinq îles principales et en plusieurs petites îles; leur ensemble est égal en surface[1] mais non en étendue de pays, à la Sicile jointe aux îles Ioniennes. Elles sont toutes volcaniques; on a vu des cratères en éruption sur deux d'entre elles, et dans plusieurs des autres îles il y a des coulées de lave qui paraissent récentes. Les îles les plus grandes sont formées principalement de roches compactes et elles s'élèvent à une altitude variant de 1.000 à 4.000 pieds, en présentant un profil peu accidenté. Parfois, elles sont surmontées d'un orifice principal, mais ce fait n'est pas général. La dimension des cratères varie, de simples orifices à d'immenses chaudières dont la circonférence mesure plusieurs milles; ces cratères sont extraordinairement nombreux, à tel point que, si on les comptait, on en trouverait, je crois, plus de deux mille; ils sont formés soit de scories et de laves, soit d'un tuf coloré en brun, et ces derniers cratères sont remarquables à divers égards. Le groupe entier a été levé par les officiers du Beagle. J'ai visité moi-même quatre des principales îles et j'ai reçu des échantillons provenant de toutes les autres. Je ne décrirai sous la mention des différentes îles que celle qui me paraît digne d'attention.

[Illustration: Fig 11.—Carte de l'archipel des Galapagos.]

ILE CHATHAM.—Cratères formés de tuf d'une espèce particulière. —Vers l'extrémité orientale de l'île on rencontre deux cratères formés de deux espèces différentes de tuf; l'une d'elles est friable comme des cendres faiblement consolidées; l'autre est compacte, et d'une nature différente de tout ce dont j'ai jamais lu la description. Aux endroits où cette dernière substance est le mieux caractérisée, elle est de couleur brun-jaunâtre, translucide, et elle offre un éclat plus ou moins résineux; elle est cassante, à cassure anguleuse, rude et très irrégulière; parfois pourtant légèrement grenue, et même vaguement cristalline; elle est facilement rayée par un couteau; certains points cependant sont assez durs pour rayer le verre; elle se fond avec facilité en un verre de couleur vert-noirâtre. La masse renferme de nombreux cristaux brisés d'olivine et d'augite, et de petites particules de scories noires et brunes; elle est souvent traversée par des veines minces d'une matière calcareuse. Elle affecte généralement une structure noduleuse ou concrétionnée. Un échantillon isolé de cette substance serait pris certainement pour une variété spéciale de résinite à teinte pâle; mais, quand on l'observe en masses, sa stratification et les nombreuses couches de fragments de basalte anguleux et arrondis démontrent à l'évidence, au premier coup d'oeil, qu'elle a été formée sous les eaux. L'examen d'une série de spécimens montre que cette substance résiniforme est le produit d'une transformation chimique subie par de petites particules de roches scoriacées à teintes pâles et foncées; et cette transformation peut être suivie distinctement, dans ses différentes phases, autour des bords d'une seule et même particule. D'après la situation voisine de la côte, de presque tous les cratères composés de cette espèce de tuf ou de pépérine, et d'après leur état délabré, il est probable qu'ils ont tous été formés sous la mer. En envisageant cette circonstance et le fait remarquable de l'absence de grands lits de cendres dans tout l'archipel, je considère comme fort probable que le tuf a été formé presque en totalité par la trituration des laves basaltiques grises dans les cratères immergés. On peut se demander si l'eau fortement échauffée contenue dans l'intérieur de ces cratères a produit cette singulière altération des particules scoriacées et leur a donné leur cassure translucide et résineuse; ou si la chaux qui s'y trouve associée a joué un rôle dans cette transformation. Je pose ces questions parce que j'ai observé à San Thiago, dans l'archipel du Cap Vert, que, lorsqu'un grand torrent de lave s'est écoulé vers la mer en passant sur des roches calcaires, sa surface externe, qui ressemble ailleurs à de la résinite, est transformée en une substance résiniforme exactement semblable aux spécimens les plus caractéristiques du tuf de l'archipel des Galapagos, probablement par suite de son contact avec le carbonate de chaux[2].

Pour en revenir aux deux cratères, l'un d'entre eux se trouve à une lieue de la côte, et la plaine qui l'en sépare est constituée par un tuf calcaire d'origine probablement sous-marine. Ce cratère consiste en un cercle de collines, dont quelques-unes sont entièrement séparées des autres, mais dont toutes les couches plongent très régulièrement vers l'extérieur, sous un angle de 30 à 40°. Les bancs inférieurs sont formés, sur une épaisseur de plusieurs centaines de pieds, par la roche à aspect résineux décrite plus haut, avec fragments de lave empâtés. Les bancs supérieurs, qui ont 30 à 40 pieds d'épaisseur, sont composés d'un tuf ou peperino[3] à grain fin, rude au toucher, friable, coloré en brun et disposé en couches minces. Une masse centrale sans stratification, qui doit avoir occupé autrefois la cavité du cratère, mais qui n'est reliée aujourd'hui qu'à un petit nombre des collines de la circonférence, consiste en tuf de caractère intermédiaire entre les tufs à cassure résiniforme et à cassure terreuse. Cette masse renferme une matière calcaire blanche répandue en petites plages. Le second cratère (haut de 520 pieds) doit avoir formé un îlot séparé jusqu'au moment de l'éjaculation d'une grande coulée de lave récente; dans une belle coupe, due à l'action de la mer, on voit une grande masse de basalte en forme d'entonnoir, entourée de tous côtés de parois abruptes formées par des tufs qui présentent quelquefois une cassure terreuse ou semi-résineuse. Le tuf est traversé par plusieurs larges dikes verticaux à parois unies et parallèles que j'ai considérés comme étant du basalte, jusqu'à ce que j'en eusse détaché des fragments. Ces dikes sont formés de tuf semblable à celui des couches environnantes, mais plus compacte et à cassure plus unie; nous devons en conclure qu'il s'est formé des fissures, et qu'elles se sont remplies de vase ou de tuf plus fins provenant du cratère, avant que sa cavité interne fût occupée, comme aujourd'hui, par un lac solidifié de basalte. D'autres fissures se sont formées plus tard parallèlement à ces singuliers dikes, et elles sont simplement comblées par des débris incohérents. La transformation des particules scoriacées normales en cette substance à cassure semi-résineuse pouvait se suivre avec une grande netteté dans certaines parties du tuf compact qui constitue ces dikes.

[Illustration: Fig. 12.—Kicker Rock.—Hauteur: 400 pieds.]

A quelques milles de ces deux cratères s'élève le rocher ou îlot de Kicker, remarquable par sa forme singulière. Il n'est pas stratifié et il est composé de tuf compact possédant en certains points la cassure résineuse. Cette masse amorphe, ainsi que la masse semblable dont nous avons parlé à propos du cratère décrit plus haut, remplissait probablement autrefois la cavité centrale d'un cratère et ses flancs ou ses parois inclinées ont sans doute été complètement enlevés plus tard par la mer qui l'entoure et à l'action de laquelle il se trouve exposé aujourd'hui.

Petits cratères basaltiques.—A l'extrémité orientale de l'île Chatham s'étend une zone ondulée dépourvue de végétation et remarquable par le nombre, par l'accumulation sur une surface restreinte et par la forme de petits cratères basaltiques dont elle est en quelque sorte criblée. Ces cratères consistent en une simple accumulation conique de scories luisantes, noires et rouges, partiellement cimentées, ou plus rarement, en un cercle formé de ces mêmes scories. Leur diamètre varie de 30 à 150 yards, et ils s'élèvent d'environ 50 à 100 pieds au-dessus du niveau de la plaine environnante. Du haut d'une petite éminence je comptai soixante de ces cratères; ils étaient tous éloignés les uns des autres d'un tiers de mille au plus, et plusieurs d'entre eux étaient beaucoup plus rapprochés. Je mesurai la distance entre deux très petits cratères, et je trouvai qu'elle n'était que de 30 yards, du bord du sommet de l'un au bord du sommet de l'autre. On constate qu'un certain nombre de ces cratères ont émis de petites coulées de lave basaltique noire contenant de l'olivine et beaucoup de feldspath vitreux. Les surfaces des coulées les plus récentes sont excessivement tourmentées et coupées de grandes fissures; les coulées plus anciennes sont simplement un peu moins rugueuses; ces coulées se confondent et s'enchevêtrent d'une manière inextricable. Pourtant l'état de croissance des arbres qui se sont établis sur les coulées indique souvent, d'une manière très nette, l'âge relatif de celles-ci. Sans ce dernier caractère on n'aurait su distinguer les coulées les unes des autres que dans un petit nombre de cas, et, par conséquent, cette grande plaine ondulée aurait pu être considérée erronément (ainsi que plusieurs plaines l'ont été sans doute) comme formée par un seul grand déluge de lave et non par une multitude de petites coulées émises par un grand nombre de petits orifices.

En plusieurs endroits de cette région, et principalement à la base des petits cratères, s'ouvrent des puits circulaires à parois verticales, profonds de 20 à 40 pieds. J'ai rencontré trois de ces puits à la base d'un petit cratère. Ils ont été probablement formés par l'écroulement de la voûte de petites cavernes[4]. On voit en d'autres points des monticules mamelonnés, ressemblant à de grandes bulles de lave, et dont les sommets sont fissurés par des crevasses irrégulières très profondes, comme on le constate quand on cherche à y pénétrer; ces monticules n'ont pas émis de lave. On rencontre aussi d'autres monticules mamelonnés, d'une forme très régulière, constitués par des laves stratifiées et portant à leur sommet une cavité circulaire à parois escarpées, formée, je pense, par une masse gazeuse qui a d'abord cintré les couches en leur donnant la forme d'un monticule en ampoule et a déterminé ensuite l'explosion du sommet. Les monticules de ces divers genres, les puits et les nombreux petits cratères scoriacés nous montrent tous que cette plaine a été pour ainsi dire pénétrée comme un crible par le passage des vapeurs échauffées. Les monticules les plus réguliers ne peuvent s'être soulevés que lorsque la lave était à l'état pâteux[5].

ILE ALBEMARLE.—Cette île porte cinq grands cratères à sommet plat, qui offrent entre eux et avec le cratère de l'île voisine de Narborough une ressemblance remarquable de forme et de hauteur. Le cratère méridional a 4.700 pieds de hauteur, deux autres ont 3.720 pieds, un troisième 50 pieds de plus que ce dernier, les autres semblent avoir à peu près la même hauteur. Trois d'entre eux sont situés sur une même ligne et sont allongés dans une direction presque identique. On a trouvé par des mesures trigonométriques que le cratère du nord, qui n'est pas le plus grand de tous, n'a pas moins de 3 milles 1/8 de diamètre extérieur. Des déluges de lave noire, débordant la crête de ces grandes et larges chaudières et s'échappant de petits orifices voisins de leur sommet, ont coulé le long de leurs flancs dénudés.

Fluidité de différentes laves.—Près de Tagus ou Banks-Cove j'ai étudié une de ces grandes coulées de lave, fort intéressante par les preuves qu'elle nous offre du haut degré de fluidité qu'elle a possédée, et qui est particulièrement remarquable quand on envisage la composition de la coulée. Sur la côte cette coulée a plusieurs milles de largeur. Elle est constituée par une base noire, compacte, facilement fusible en un globule noir, présentant des vacuoles anguleuses assez clairsemées, et criblée de grands cristaux brisés d'albite[6] vitreuse dont le diamètre varie de un à cinq dixièmes de pouce. Quoique cette lave semble, à première vue; éminemment porphyrique, elle ne peut être considérée comme telle, car il est évident que les cristaux ont été enveloppés, arrondis et pénétrés par la lave, comme des fragments de roche étrangère dans un dike de trapp. C'est ce qu'on voyait très clairement dans certains spécimens d'une lave analogue provenant de l'île Abingdon, avec la seule différence que ses vacuoles étaient sphériques et plus nombreuses. L'albite de ces laves se trouve dans les mêmes conditions que la leucite du Vésuve, et que l'olivine décrite par Von Buch[7], et qui fait saillie sous forme de grands globules dans le basalte de Lanzarote. Outre l'albite, cette lave contient des grains épars d'un minéral vert, sans clivage distinct, et qui ressemble beaucoup à l'olivine[8]; mais, comme il se fond facilement en un verre vert, il appartient probablement à la famille de l'augite: cependant, à l'île James une lave analogue contenait de l'olivine type. Je me suis procuré des échantillons provenant de la surface, et d'autres prélevés à 4 pieds de profondeur, mais ils n'offraient entre eux aucune différence. On pouvait constater avec évidence le haut degré de fluidité de cette lave par sa surface unie et doucement inclinée, par la subdivision du courant principal en petits ruisseaux, que de faibles inégalités du sol avaient suffi à produire, et surtout par la manière dont ses extrémités s'atténuaient et se réduisaient presque à rien en des points fort éloignés de sa source et où elle devait avoir subi un certain degré de refroidissement. Le bord actuel de la coulée consiste en fragments incohérents, dont la dimension dépasse rarement celle d'une tête d'homme. Le contraste est fort remarquable entre ce bord et les murs escarpés, hauts de plus de 20 pieds, qui limitent un grand nombre des coulées basaltiques de l'Ascension. On a cru généralement que les laves où abondent de grands cristaux et qui renferment des vacuoles anguleuses[9] ont présenté peu de fluidité, mais nous voyons qu'il en a été tout autrement à l'île Albemarle. Le degré de fluidité des laves ne semble pas correspondre à une différence apparente dans leur composition; à l'île Chatham certaines coulées qui contiennent beaucoup d'albite vitreuse et de l'olivine sont si rugueuses qu'on pourrai les comparer à de hautes vagues congelées, tandis que la grande coulée de l'île Albemarle est presque aussi unie qu'un lac ridé par la brise. A l'île James une lave basaltique noire où abondent de petits grains d'olivine offre un degré intermédiaire de rugosité; sa surface est brillante, et les fragments détachés ressemblent d'une manière fort singulière à des plis de draperies, à des câbles et à des morceaux d'écorces d'arbres[10].

Cratères de tuf.—A un mille environ au sud de Banks Cove on rencontre un beau cratère elliptique, profond de 500 pieds à peu près, et de 3/4 de mille de diamètre. Son fond est occupé par un lac d'eau salée, d'où s'élèvent quelques petites éminences cratériformes de tuf. Les couches inférieures sont un tuf compact présentant les caractères d'un dépôt formé sous l'eau, tandis que sur la circonférence entière les couches supérieures consistent en un tuf rude au toucher, friable, et dont le poids spécifique est peu élevé, mais qui contient souvent des fragments de roches disposés en couches. Ce tuf supérieur renferme de nombreuses sphères pisolitiques ayant à peu près la grandeur de petites balles, et qui ne diffèrent de la matière environnante que par une dureté un peu plus grande et un grain un peu plus fin. Les couches plongent très régulièrement dans toutes les directions, sous des angles variant de 25 à 30° d'après mes mesures. La surface externe du cratère offre une pente presque identique; elle est formée de côtes légèrement convexes, comme celle de la coquille d'un pecten ou d'un pétoncle, qui vont en s'élargissant de l'orifice du cratère jusqu'à sa base. Ces côtes ont, en général, de 8 à 20 pieds de large, mais parfois leur largeur atteint 40 pieds; elles ressemblent à d'anciennes voûtes fortement surbaissées, et dont le revêtement de plâtre s'écaille et tombe par plaques; elles sont séparées les unes des autres par des ravins que l'action érosive de l'eau a creusés. A leur extrémité supérieure, qui est fort étroite, près de la bouche du cratère ces côtes consistent souvent en véritables couloirs creux, un peu plus petits mais semblables à ceux qui se forment souvent par le refroidissement de la croûte d'un torrent de lave dont les parties internes se sont écoulées au dehors; structure dont j'ai rencontré plusieurs exemples à l'île Chatham. Il n'est pas douteux que ces côtes creuses ou ces voûtes se soient formées d'une manière analogue, c'est-à-dire par la consolidation, le durcissement d'une croûte superficielle sur des torrents de boue qui se sont écoulés de la partie supérieure du cratère. J'ai vu dans une autre partie du même cratère des rigoles concaves ouvertes, larges de 1 à 2 pieds, qui paraissent formées par le durcissement de la face inférieure d'un torrent de boue, au lieu de la surface supérieure comme dans le premier cas. D'après ces faits, je pense que le tuf a certainement coulé à l'état de boue[11]. Cette boue peut avoir été formée soit dans l'intérieur du cratère, soit par des cendres déposées sur la partie supérieure de ses flancs et entraînées ensuite par des torrents de pluie. Ce dernier mode de formation paraît le plus vraisemblable pour la plupart des cas; cependant à l'île James certaines couches du tuf de la variété friable s'étendent si uniformément sur une surface inégale, qu'il semble probable qu'elles ont été formées par la chute d'abondantes pluies de cendres.

Dans l'intérieur du même cratère, des strates de tuf grossier, formées principalement de fragments de lave, viennent butter contre les parois internes, comme un talus qui s'est consolidé. Elles s'élèvent à la hauteur de 100 à 150 pieds au-dessus de la surface du lac salé intérieur; elles plongent vers le centre du cratère et sont inclinées sous des angles variant de 30 à 36°. Elles paraissent avoir été formées sous les eaux, probablement à l'époque où la mer occupait la cavité du cratère. J'ai constaté avec surprise que l'épaisseur de couches qui offrent une inclinaison aussi forte n'augmentait pas vers leur extrémité inférieure, au moins sur toute la partie de leur longueur que j'ai pu suivre.

Bank's Cove.—Ce port occupe en partie l'intérieur d'un cratère de tuf ruiné, plus grand que celui que je viens de décrire. Tout le tuf de ce cratère est compact et renferme de nombreux fragments de lave; il offre l'aspect d'un dépôt qui s'est fait sous les eaux. Le trait le plus remarquable de ce cratère, c'est la grande extension des strates qui convergent vers l'intérieur sous une inclinaison très prononcée, comme dans le cas précédent, et qui sont souvent disposées en couches irrégulières courbes. Ces couches intérieures convergentes, de même que les bancs divergents qui constituent, à proprement parler, le cratère, sont représentés dans le croquis (fig. 13) donnant une coupe approximative des promontoires qui forment cette anse. Les couches internes et externes diffèrent fort peu au point de vue de la composition; les premières ont été évidemment formées par l'érosion, le transport et le dépôt final des matériaux qui constituent les couches cratériformes externes. Le grand développement de ces couches intérieures pourrait faire croire à un observateur parcourant la périphérie du cratère qu'il s'agit d'une crête anticlinale circulaire formée de grès et de conglomérats stratifiés. La mer attaque actuellement les couches intérieures et extérieures, ces dernières surtout, de sorte que d'ici à quelque temps tout ce qui restera ce seront les couches intérieures, et l'interprétation de ces faits serait bien de nature à embarrasser un géologue[12].

[Illustration: FIG. 13.—Coupe des promontoires qui forment Bank's Cove, montrant les strates divergentes qui constituent le cratère, et le talus à couches convergentes. Le point culminant de ces collines est à 817 pieds au-dessus du niveau de la mer.]

ILE JAMES.—Parmi les cratères de tuf existant encore dans cette île, il n'y en a que deux qui méritent une description. L'un d'eux est situé à un mille et demi de Puerto Grande, vers l'intérieur de l'île; il est circulaire et mesure environ un tiers de mille de diamètre, et 400 pieds de profondeur. Il diffère de tous les autres cratères de tuf que j'ai étudiés en ce que la partie la plus profonde de sa cavité est formée, jusqu'à la hauteur de 100 à 150 pieds, par un mur vertical de basalte, comme si le cratère s'était fait jour au travers d'une nappe rocheuse compacte. La partie supérieure de ce cratère consiste en couches du tuf altéré à cassure semi-résineuse que nous avons étudié plus haut. Son fond est occupé par un lac d'eau salée peu profond recouvrant des couches de sel qui reposent sur un lit très épais de boue noire. L'autre cratère, éloigné de quelques milles, n'est remarquable que par ses dimensions et parce qu'il est fort bien conservé. Son sommet est à 1200 pieds au-dessus du niveau de la mer, et la cavité intérieure est profonde de 600 pieds. Ses flancs externes inclinés offrent un aspect curieux dû à l'uniformité de la surface de ces grandes couches de tuf qui ressemblent à un vaste pavement cimenté. L'île Brattle est, je crois, le plus grand cratère de tuf qui existe dans l'archipel; son diamètre intérieur est de près de 1 mille marin. Ce cratère, aujourd'hui en ruines, est disposé sur un arc de cercle qui mesure un peu plus d'une demi-circonférence; il est ouvert du côté du sud, ses grandes dimensions sont probablement dues, pour une part notable, à l'érosion de l'intérieur du cratère par l'action de la mer.

Segment d'un petit cratère basaltique.—L'anse désignée sous le nom de Fresh-water Bay, dans l'île James, est limitée d'un côté par un promontoire qui constitue la dernière épave d'un grand cratère. Un segment, en forme de quart de cercle, ayant fait partie d'un petit centre d'éruption subordonné, se trouve à découvert sur le rivage de ce promontoire. Il consiste en neuf petites coulées de lave distinctes, accumulées les unes au-dessus des autres, et en une sorte de pic colonnaire irrégulier, haut de 15 pieds environ, formé de basalte celluleux brun-rougeâtre, et contenant en abondance de grands cristaux d'albite vitreuse et de l'augite fondue. Ce pic, avec quelques mamelons rocheux adjacents répandus sur le rivage, représente l'axe du cratère. Les coulées de lave peuvent être suivies dans un petit ravin, perpendiculairement à la côte, sur une longueur de 10 à 15 yards; elles sont cachées ensuite sous des débris. Le long du rivage on les voit sur un espace de près de 80 yards, et je ne crois pas qu'elles s'étendent beaucoup plus loin. Les trois coulées inférieures sont soudées à ce pic, et sont légèrement recourbées au point de jonction, comme si elles se répandaient encore par-dessus la lèvre du cratère (ainsi qu'on le voit dans le croquis grossièrement dessiné (fig. no. 14) qui a été pris sur place). Les six coulées supérieures étaient, sans aucun doute, primitivement unies à la même colonne avant que celle-ci eût été démolie par la mer. La lave de ces coulées a la même composition que celle de la colonne, sauf que les cristaux d'albite ne paraissent pas être réduits en fragments aussi petits, et que les grains d'augite fondue manquent. Chaque coulée est séparée de celle qui la surmonte par une couche, épaisse de quelques pouces ou tout au plus de 1 à 2 pieds, de scories en fragments incohérents, produites sans doute par la friction des coulées passant les unes au-dessus des autres. Toutes ces coulées sont fort remarquables par leur faible épaisseur. J'ai mesuré soigneusement plusieurs d'entre elles et j'en ai trouvé une de 8 pouces d'épaisseur, mais elle était recouverte sur les deux faces par une couche fortement adhérente d'une roche scoriacée rouge, épaisse de 3 pouces (comme cela se présente pour toutes les coulées); tout l'ensemble avait une épaisseur de 14 pouces qui demeurait très uniforme sur toute la longueur de la coupe. Une seconde coulée n'avait que 8 pouces d'épaisseur, en y comprenant les surfaces scoriacées inférieure et supérieure. Avant d'avoir vu cette coupe, je n'aurais pas cru possible que la lave pût se répandre en nappes aussi uniformément minces sur une surface qui est loin d'être unie. Ces petites coulées ressemblent beaucoup par leur composition aux grands flots de lave de l'île Albemarle qui doivent avoir présenté, eux aussi, un haut degré de fluidité.

[Illustration: FIG. 14—Segment d'un très petit centre d'éruption sur le rivage de Fresh-water Bay.]

Fragments d'apparence platonique rejetés par ce cratère.—Dans la lave et dans les scories de ce petit cratère j'ai trouvé plusieurs fragments qui, par leur forme anguleuse, leur structure grenue, leur fragilité, l'action calorifique qu'ils ont subie, et par l'absence de vacuoles, ressemblent beaucoup aux fragments de roches primitives que les volcans de l'île de l'Ascension rejettent quelquefois. Ces fragments consistent en albite vitreuse fortement usée et à clivages très imparfaits, mélangée d'un minéral bleu d'acier en grains semi-arrondis, à surface trouble et luisante. Les cristaux d'albite sont recouverts d'un oxyde de fer rouge qui semble être un résidu, et leurs plans de clivage sont parfois séparés aussi par des couches excessivement fines de cet oxyde, dessinant sur le cristal des lignes semblables à celles d'un micromètre de verre. Il n'y avait pas de quartz. Le minéral bleu d'acier qui abonde dans la partie colonnaire, mais qui est absent dans les coulées dérivant de ce pic, offre l'aspect d'un corps qui a subi une fusion, et présente rarement quelque trace de clivage. Pourtant j'ai pu démontrer par une mesure prise sur un échantillon que c'était de l'augite. Dans un autre fragment, qui se distinguait de ses congénères parce qu'il était légèrement celluleux et passait graduellement à la pâte de la roche, les petits grains d'augite étaient assez bien cristallisés. Quoiqu'il y ait, en apparence, une différence si considérable entre la lave des petites coulées, spécialement entre leur croûte scoriacée rouge, et un de ces fragments anguleux rejetés, que l'on pourrait prendre à première vue pour de la syénite, je crois cependant que la lave a été formée par la fusion et le mouvement d'écoulement d'une masse rocheuse dont la composition est absolument semblable à celle de ces fragments. Outre le spécimen dont il vient d'être question et où nous voyons un fragment devenir légèrement celluleux et se fondre dans la masse environnante, la surface de quelques-uns des grains d'augite bleu d'acier devient finement vacuolaire et passe à la pâte englobante; d'autres grains sont dans un état intermédiaire. La pâte semble consister en augite plus parfaitement fondue, ou, ce qui est plus probable, simplement modifiée par le mouvement de la masse, lorsque ce minéral était à l'état visqueux, et mélangée d'oxyde de fer et d'albite vitreuse réduite en très petits fragments. C'est probablement pour cette raison que l'augite fondue, abondante dans le pic, disparaît dans les coulées. L'albite se trouve exactement au même état dans la lave et dans les fragments empâtés, sauf que la plupart des cristaux sont plus petits, mais ils paraissent moins abondants dans les fragments. Ceci pourrait cependant se produire naturellement par l'intumescence de la base augitique donnant lieu à un accroissement apparent de son volume. Il est intéressant de suivre ainsi les phases par lesquelles passe une roche grenue et compacte pour se transformer d'abord en une lave celluleuse pseudo-porphyrique et finalement en scories rouges. La structure et la composition des fragments empâtés montrent qu'ils ont été détachés d'une roche primitive et ont subi des altérations considérables par l'action volcanique ou, plus probablement, qu'ils ont été arrachés à la croûte d'une masse de lave refroidie et cristallisée, ultérieurement brisée et refondue, et dont la croûte a été attaquée moins fortement que le reste de la masse par la nouvelle fusion et le nouveau mouvement qu'elle a subis.

Remarques finales sur les cratères de tuf.—Ces cratères constituent le trait le plus frappant de la géologie de l'archipel, par la présence d'une substance résiniforme qui intervient pour une grande part dans leur composition, par leur structure, leur dimension et leur nombre. La plupart d'entre eux forment des îlots séparés ou des promontoires reliés aux îles principales, et ceux qui se trouvent actuellement à une petite distance de la côte, dans l'intérieur des îles, sont ruinés et percés de brèches comme s'ils avaient été exposés à l'action de la mer. Je suis porté à conclure de cette condition générale de leur situation et de la faible quantité de cendres rejetées dans l'archipel, que le tuf a été formé principalement par le broyage mutuel de fragments de lave dans l'intérieur de cratères en activité qui communiquaient avec la mer. Par l'origine et la composition du tuf, et par la présence fréquente d'un lac central d'eau salée et de couches de sel, ces cratères représentent, sur une grande échelle, les «salses» ou monticules de boue qui existent en grand nombre dans certaines régions de l'Italie et dans d'autres contrées[13]. Cependant les rapports plus intimes des cratères de cet archipel avec les phénomènes ordinaires de l'action volcanique sont mis en évidence par ces masses de basalte solidifié qui les remplissent quelquefois jusqu'au bord.

Il semble fort singulier, à première vue, que dans tous les cratères formés de tuf le versant méridional soit, ou bien entièrement démoli et complètement emporté, ou bien beaucoup moins élevé que les autres versants. J'ai visité ou pris des renseignements sur vingt-huit de ces cratères; douze d'entre eux forment des îlots séparés[14] et se présentent aujourd'hui à l'état de simples croissants entièrement ouverts du côté du sud, avec, parfois, quelques pointes de rochers marquant leur circonférence primitive; parmi les seize cratères restants, quelques-uns forment des promontoires, et d'autres sont situés dans l'intérieur des îles, à une faible distance du rivage; mais pour tous le flanc méridional est plus bas que les autres ou complètement démoli. Pourtant le flanc septentrional de deux des seize cratères était également bas, tandis que les côtés de l'est et de l'ouest étaient intacts. Je n'ai rencontré ni entendu mentionner aucune exception à la règle d'après laquelle ces cratères sont ruinés ou présentent une paroi basse sur le côté qui fait face à un point de l'horizon situé entre le sud-est et le sud-ouest. Cette règle ne s'applique pas aux cratères formés de lave et de scories. L'explication en est simple: dans cet archipel la direction des vagues soulevées par les vents alizés coïncide avec celle de la houle venant des régions éloignées de l'océan largement ouvert (contrairement à ce qui se passe dans plusieurs parties du Pacifique) et attaquent la côte méridionale de toutes les îles, avec leurs forces réunies; il en résulte que le versant méridional est invariablement plus escarpé que le versant septentrional, même quand il est formé complètement de roches basaltiques dures. Comme les cratères de tuf sont constitués par une matière tendre, et que probablement ils ont tous ou presque tous traversé une période d'immersion, il n'est pas étonnant qu'ils montrent invariablement les effets de cette grande puissance érosive sur ceux de leurs flancs qui s'y sont trouvés exposés. Il est probable, d'après l'état ruiné d'un grand nombre d'entre eux, que plusieurs autres cratères ont été entièrement démolis par la mer. Nous n'avons aucune raison de supposer que les cratères constitués par des scories et des laves ont été formés dans la mer, et cela nous montre pourquoi la règle ne leur est pas applicable. Nous avons montré qu'à l'Ascension les orifices des cratères, qui sont tous d'origine terrestre, ont été attaqués par les vents alizés; ce même agent peut contribuer également ici à abaisser, dès le moment de leur formation, les flancs exposés au vent dans certains de ces cratères.

Composition minéralogique des roches.—Dans les îles septentrionales, les laves basaltiques paraissent généralement contenir plus d'albite que dans la moitié méridionale de l'archipel; mais presque toutes les coulées en renferment une quantité plus ou moins grande. L'albite est associée assez souvent à l'olivine. Je n'ai observé de cristaux déterminables d'augite ou de hornblende dans aucun échantillon, à l'exception des grains fondus contenus dans les fragments rejetés et dans le pic du petit cratère décrit plus haut. Je n'ai rencontré aucun spécimen de vrai trachyte, quoique quelques-unes des laves les plus pâles présentent une certaine ressemblance avec cette roche lorsqu'elles contiennent en abondance de grands cristaux d'albite vitreuse et rude au toucher; mais la pâte est toujours fusible en émail noir. Ainsi que nous l'avons constaté plus haut, les lits de cendres et les scories rejetées au loin manquent presque toujours; et je n'ai vu ni un fragment d'obsidienne ni de pierre ponce. Von Buch[15] croit que l'absence de ponce sur l'Etna provient de ce que le feldspath y appartient à la variété Labrador; si la présence de la ponce dépend de la nature du feldspath, il est singulier qu'elle manque dans cet archipel et abonde dans les Cordillères de l'Amérique méridionale, puisque dans ces deux régions le feldspath appartient à la variété albitique. Par suite de l'absence des cendres, et de la nature généralement inaltérable des laves de cet archipel, les îles se couvrent lentement d'une maigre végétation et le paysage présente un aspect désolé et sinistre.

Soulèvement de la région.—Les preuves du soulèvement de la contrée sont rares et peu nettes. J'ai remarqué à l'île Chatham de grands blocs de lave cimentés par une matière calcaire qui contenait des coquilles récentes; mais ils se trouvaient à la hauteur de quelques pieds seulement au-dessus de la laisse de haute mer. Un des officiers m'a donné des fragments de coquilles qu'il avait trouvées à plusieurs centaines de pieds au-dessus de la mer, empâtées dans le tuf de deux cratères fort éloignés l'un de l'autre. Il est possible que ces fragments aient été portés à l'altitude qu'ils occupent aujourd'hui, par une éruption de boue; mais comme sur l'un des cratères ils étaient associés à des coquilles d'huîtres brisées constituant en quelque sorte un banc, il est plus vraisemblable que le tuf a été soulevé en masse avec les coquilles. Les spécimens sont en si mauvais état que tout ce qu'on peut y reconnaître, c'est qu'ils appartiennent à des genres marins récents. Dans l'île Charles, j'ai observé une ligne de grands blocs arrondis, entassés au sommet d'une falaise verticale, à 15 pieds au-dessus de la ligne où la mer s'élève aujourd'hui pendant les tempêtes les plus violentes. Ce fait semblait d'abord constituer une preuve évidente du soulèvement de la région, mais il était absolument décevant, car je constatai plus tard sur une partie voisine de la même côte, et j'appris de témoins oculaires, que partout où une coulée récente de lave forme un plan incliné uni en entrant dans la mer, les vagues, durant les tempêtes, font rouler des blocs arrondis jusqu'à une grande hauteur au-dessus de la limite de leur action ordinaire. Comme la petite falaise est formée ici par une coulée de lave qui avant d'avoir été démolie devait plonger dans la mer en lui présentant une surface doucement inclinée, il est possible, ou plutôt il est probable que les blocs arrondis qui gisent maintenant à son sommet soient simplement les restes de ceux qui ont été élevés à leur altitude actuelle en roulant sur le plan incliné pendant les tempêtes.

Direction des fentes d'éruption.—Dans cet archipel, les orifices volcaniques ne peuvent pas être considérés comme distribués au hasard. Trois grands cratères de l'île Albemarle forment une ligne nette qui s'étend du N.-N.-W. au S.-S.-E. L'île Narborough et le grand cratère situé dans la partie rectangulaire de l'île Albemarle dessinent une seconde ligne parallèle à la première. Vers l'est, l'île Hood détermine, avec les îles et les rochers qui sont situés entre elle et l'île James, une autre ligne presque parallèle, dont le prolongement passe par les îles Culpepper et Wenman situées à 70 milles au nord. Les autres îles, qui se trouvent plus à l'est, forment une quatrième ligne moins régulière. Plusieurs d'entre elles et les orifices volcaniques de l'île Albemarle sont disposés de telle sorte qu'ils se trouvent sur une série de lignes approximativement parallèles, coupant les premières lignes à angles droits; il en résulte que les principaux cratères paraissent être situés aux points où deux séries de fissures se croisent. Les îles elles-mêmes, à l'exception de l'île Albemarle, ne sont pas allongées dans le même sens que les lignes sur lesquelles elles se trouvent. L'orientation de ces îles est à peu près la même que celle qui domine d'une manière si remarquable dans les nombreux archipels de l'océan Pacifique. Je dois faire observer, enfin, que dans les îles Galapagos il n'y a pas de cratère qui domine les autres, c'est-à-dire d'orifice volcanique principal beaucoup plus élevé que tous les autres cratères, comme on le remarque dans plusieurs archipels volcaniques; le cratère le plus élevé est le grand remblai situé à l'extrémité sud-ouest de l'île Albemarle, et qui ne dépasse que de 1.000 pieds seulement plusieurs autres cratères voisins.

Notes:

[1] Je ne comprends pas dans cette évaluation les petites îles volcaniques de Culpepper et de Wenman, situées à 70 milles au nord du groupe. On voit des cratères dans toutes les îles de l'archipel, sauf dans l'île Towers, qui est l'une des plus basses; cette île est formée, cependant, de roches volcaniques.

[2] Les concrétions contenant de la chaux, que j'ai décrites à l'Ascension comme formées dans un lit de cendres, offrent un certain degré de ressemblance avec cette substance, mais leur cassure n'est pas résineuse. J'ai trouvé également à Sainte-Hélène des veines d'une substance plus ou moins semblable; elle était compacte mais non résineuse, et se présentait dans un lit de cendres ponceuses qui ne contenait probablement pas de matière calcaire: l'action de la chaleur n'avait pu intervenir dans aucun de ces deux cas.

[3] Les géologues qui restreignent le terme de «tuf» aux cendres blanches provenant de la trituration de laves feldspathiques, donneraient le nom de «peperino» à ces couches colorées en brun.

[4] M. Elie de Beaumont a décrit (Mémoires pour servir, etc., t. VI, p. 113) plusieurs «petits cirques d'éboulement» qu'on observe sur l'Etna et dont l'origine est connue historiquement, au moins pour quelques-uns d'entre eux.

[5] Sir G. Mackensie (Travels in Iceland, p. 389 à 392) a décrit une plaine de lave s'étendant au pied de l'Hécla, et qui est soulevée de tous côtés en grandes bulles ou grandes ampoules. Sir George rapporte que cette lave caverneuse constitue la couche superficielle. Le même fait est affirmé par Von Buch (Description des îles Canaries, p. 139) au sujet de la coulée basaltique qui se trouve près de Rialejo à Ténérife. Il semble singulier que les coulées supérieures soient plus caverneuses que les autres, car on ne voit aucune raison pour que les coulées, tant les plus élevées que les plus inférieures, n'aient pas toutes subi une action identique, à des époques différentes.—Les coulées inférieures se sont-elles répandues sous la mer, et ont-elles été comprimées par sa pression au point de s'aplatir, postérieurement au passage des masses gazeuses qui les ont traversées?

[6] Dans les Cordillères du Chili j'ai vu des laves ressemblant beaucoup à cette variété de l'archipel des Galapagos. Elle renfermait pourtant, outre l'albite, des cristaux d'augite nettement formés, et la pâte offrait une couleur un peu plus pâle, due peut-être à l'agrégation des particules augitiques. Je dois faire remarquer ici que, dans tous les cas dont il s'agit, je désigne sous le nom d'albite les cristaux de feldspath dont les clivages, mesurés au goniomètre à réflexion, répondent à ceux de ce minéral. Cependant, comme on a découvert dans ces derniers temps que d'autres espèces de la même famille présentent des clivages très voisins de ceux de l'albite, cette détermination doit être considérée comme purement provisoire. J'ai étudié les cristaux contenus dans les laves de diverses parties de l'archipel des Galapagos, et j'ai reconnu que, sauf quelques cristaux provenant d'un seul point de l'île James, ils ne présentaient jamais les clivages de l'orthose ou feldspath potassique.

[7] Description des Isles Canaries, p. 295.

[8] De Humboldt rapporte qu'il prit pour de l'olivine un minéral augitique vert, que l'on trouve dans les roches volcaniques de la Cordillère de Quito.

[9] La forme irrégulière et anguleuse des vacuoles est probablement due à la manière irrégulière dont cède à la pression des gaz une masse formée de cristaux solides et de pâte visqueuse en proportions à peu près égales. Comme on pouvait s'y attendre, il semble certain que, dans la lave qui a possédé une grande fluidité ou un grain uniforme, les vacuoles sont sphériques et leurs parois intérieures lisses.

[10] Un spécimen de lave basaltique renfermant quelques petits cristaux d'albite brisés, et qui m'a été donné par un des officiers, mérite peut-être une description. Il consiste en ramifications cylindriques, dont quelques-unes n'ont que 1/20e de pouce de diamètre et sont étirées en pointes très aiguës. La masse n'a pas été formée, comme une stalactite, car les pointes sont dirigées tantôt vers le haut, tantôt vers le bas. Des globules dont le diamètre n'est que de 1/40e de pouce sont tombés de quelques-unes des pointes et adhèrent aux ramifications voisines. La lave est vésiculaire, mais les vacuoles n'atteignent jamais la surface des branches, qui sont unies et luisantes. Comme on croit généralement que les vacuoles sont toujours allongées suivant la direction du mouvement de la masse fluide, je dois faire observer que toutes les vacuoles sont sphériques dans ces branches cylindriques dont le diamètre varie de 1/4 à 1/20e de pouce.

[11] Cette conclusion offre un certain intérêt parce que M. Dufrénoy (Mémoires pour servir, etc., t. IV, p. 274) a soutenu que le Monte Nuovo et d'autres cratères de l'Italie méridionale ont été formés par soulèvement, en s'appuyant sur le fait que des couches de tuf, d'une composition probablement semblable à celle du tuf décrit plus haut, y sont inclinées sous des angles de 18 à 20°. En présence des faits que nous avons cités relativement à la disposition en voûte des côtes séparées, et à ce que les tufs ne s'étendent pas en nappes horizontales autour de ces collines cratériformes, personne ne supposera que les couches ont été formées ici par soulèvement; nous voyons cependant que leur inclinaison dépasse 20°, et atteint même souvent 30°. Les strates consolidées du talus interne plongent également d'un angle supérieur à 30°, comme nous allons le montrer à l'instant.

[12] Je crois que ce fait se présente actuellement aux îles Açores où le Dr Webster (Description, p. 185) a décrit une petite île en forme de bassin, constituée par des couches de tuf plongeant vers l'intérieur et limitées extérieurement par des falaises escarpées découpées par la mer. Le Dr Daubeny suppose (On Volcanoes, p. 266) que cette cavité a été formée par un affaissement circulaire. Il me paraît beaucoup plus vraisemblable que nous sommes ici en présence de couches déposées primitivement dans la cavité d'un cratère dont les parois externes ont été enlevées plus tard par érosion marine.

[13] Traité de Géognosie de D'Aubuisson, t. I, p. 189. Je dois faire observer que j'ai vu à Terceira, aux îles Açores, un cratère de tuf ou peperino ressemblant beaucoup à ceux de l'archipel des Galapagos. On en rencontre de semblables aux îles Sandwich, d'après la description qu'en donne le Voyage de Freycinet, et il est probable qu'il existe des cratères de ce genre dans plusieurs autres contrées.

[14] Ce sont: les trois îlots de Crossman dont le plus grand a 600 pieds de haut; l'île Enchantée; l'île Gardner (760 pieds de hauteur); l'île Champion (331 pieds de hauteur); l'île Enderby; l'île Brattle; deux îlots voisins de l'île Infatigable, et un îlot situé près de l'île James. Un second cratère voisin de l'île James (avec un lac salé au centre) présente du côté du sud une paroi haute de 20 pieds seulement, tandis que les autres parties de la circonférence atteignent 300 pieds de hauteur.

[15] Description des îles Canaries, p. 328.

CHAPITRE VI

TRACHYTE ET BASALTE.—DISTRIBUTION DES ILES VOLCANIQUES

Descente des cristaux au sein de la lave liquide.—Poids spécifique des éléments constituants du trachyte et du basalte; leur séparation subséquente.—Obsidienne.—Mélange apparent des éléments des roches plutoniques.—Origine des dikes de trapp plutoniques.—Distribution des îles volcaniques; leur prédominance dans les grands océans.—Elles sont généralement disposées en lignes.—Les volcans centraux de Von Buch sont problématiques.—Iles volcaniques bordant des continents.—Ancienneté des îles volcaniques et leur soulèvement en masse.—Eruptions sur des lignes de fissure parallèles durant une même période géologique.

Séparation des minéraux constituants de la lave suivant leur poids spécifique.—Un des côtés de Fresh-water Bay, à l'île James, est formé des débris d'un grand cratère, dont nous avons parlé dans le chapitre précédent, et dont l'intérieur a été comblé par une coulée de basalte présentant une puissance de 200 pieds environ. Ce basalte, de couleur grise, contient une grande quantité de cristaux d'albite vitreuse, qui deviennent beaucoup plus nombreux encore dans sa partie inférieure et scoriacée. C'est le contraire qu'on se serait attendu à voir, car, si à l'origine les cristaux avaient été répandus uniformément dans toute la masse, l'expansion plus considérable subie par cette partie scoriacée inférieure aurait dû faire paraître plus petit le nombre des cristaux qui s'y trouvent. Von Buch[1] a décrit une coulée d'obsidienne du Pic de Ténérife, dans laquelle les cristaux de feldspath deviennent de plus en plus nombreux au fur et à mesure que la profondeur ou l'épaisseur augmente, de sorte que, près de la surface inférieure de la coulée, la lave ressemble même à une roche primitive. Von Buch constate, en outre, que M. Drée a trouvé par ses expériences sur la fusion de la lave que les cristaux de feldspath tendaient toujours à descendre au fond du creuset. Je crois qu'il n'est pas douteux que dans ces exemples les cristaux descendent sollicités par leur poids[2]. Le poids spécifique du feldspath varie[3] de 2,4 à 2,58, tandis que celui de l'obsidienne parait être ordinairement 2,3 à 2,4; et il serait probablement moindre si la roche était à l'état liquide, ce qui faciliterait la descente des cristaux de feldspath. A l'île James, les cristaux d'albite, quoique incontestablement moins lourds que le basalte gris aux endroits où il est compact, peuvent facilement avoir un poids spécifique supérieur à celui de la masse scoriacée, qui est formée de lave fondue et de bulles de gaz surchauffés.

La chute des cristaux au sein d'une substance visqueuse comme celle des roches fondues, et qui est incontestablement démontrée par les expériences de M. Drée, mérite un examen plus attentif, car ce phénomène éclaire le problème de la séparation des laves trachytiques et basaltiques. M.P. Scrope a étudié cette question, mais il paraît n'avoir eu connaissance d'aucun fait positif, comme ceux que je viens de signaler, et il a perdu de vue un facteur qui me semble indispensable dans l'étude du phénomène, c'est-à-dire l'existence à l'état de globules ou de cristaux tantôt du minéral le moins dense et tantôt du minéral le plus dense. Il est difficilement admissible que la faible différence de densité des particules séparées infiniment petites de feldspath, d'augite ou de quelque autre minéral, suffise à vaincre le frottement produit par leur mouvement au sein d'une substance dont la fluidité est imparfaite, telle qu'une roche en fusion; mais, si les molécules d'un quelconque de ces minéraux se sont réunies en cristaux ou en granules pendant que les autres conservaient l'état liquide, on comprend facilement que la descente ou le flottage des minéraux auront été notablement facilités par suite de l'atténuation du frottement. D'un autre côté, si tous les minéraux ont pris l'état grenu au même instant, il est à peu près impossible qu'une séparation quelconque ait pu s'opérer, à cause de la résistance qu'ils devaient s'offrir mutuellement. On a fait dernièrement une découverte pratique importante qui montre le rôle que joue l'état grenu d'un élément contenu dans une masse fluide en favorisant la séparation de cette substance. Quand on agite d'une manière ininterrompue, pendant son refroidissement, du plomb fondu contenant une faible proportion d'argent, il devient grenu, et ces grains ou cristaux imparfaits de plomb presque pur descendent au fond du creuset en abandonnant un résidu de métal fondu beaucoup plus riche en argent; tandis que si on laisse reposer le mélange en le maintenant à l'état liquide pendant un certain temps, les deux métaux ne montrent aucune tendance à se séparer[4]. L'agitation paraît n'avoir d'autre effet que de provoquer la formation des grains séparés. Le poids spécifique de l'argent est 10,4 et celui du plomb 11,35; le plomb grenu qui tombe au fond du creuset n'est jamais absolument pur, et le résidu métallique liquide ne contient, au maximum, que 1/119 d'argent. Puisque la différence de densité due à la proportion très inégale suivant laquelle les deux métaux sont mélangés, est si excessivement faible, il est probable que celle qui existe entre le plomb liquide et le plomb grenu quoique encore chaud, intervient pour une grande part dans l'acte de la séparation.

D'après ces faits, si un des minéraux constitutifs d'une masse rocheuse volcanique liquéfiée qui repose pendant un certain temps sans subir aucune agitation violente, s'agrège en cristaux ou en grains, ou s'il a été arraché en cet état à quelque roche plus ancienne, nous pouvons nous attendre à ce que ces cristaux ou ces grains flotteront à des niveaux plus ou moins élevés suivant leur poids spécifique relatif. Or, nous avons la preuve évidente que des cristaux ont été empâtés dans un grand nombre de laves pendant que la pâte ou la base demeurait fluide. Il me suffira de rappeler comme exemples les diverses grandes coulées pseudo-porphyritiques des îles Galapagos, et les coulées trachytiques de diverses régions, dans lesquelles nous trouvons des cristaux de feldspath ployés et brisés par le mouvement de la masse semi-liquide environnante. Les laves sont composées, en majeure partie, de trois variétés de feldspath, dont la densité oscille entre 2,4 et 2,74; de hornblende et d'augite, allant de 3 à 3,4, d'olivine variant de 3,3 à 3,4 et enfin d'oxydes de fer avec un poids spécifique de 4,8 à 5,2. Il en résulte que les cristaux de feldspath nageant dans une lave liquide mais peu vésiculaire, tendront à s'élever vers la surface, et que les cristaux ou les grains des autres minéraux tendront à descendre. Nous ne devons pas nous attendre cependant à constater une séparation parfaite au sein de substances aussi visqueuses. Le trachyte, qui consiste principalement en feldspath avec un peu de hornblende et d'oxyde de fer, a un poids spécifique d'environ 2,45[5], tandis que le basalte, composé en majeure partie d'augite et de feldspath, auquel s'ajoute souvent une forte proportion de fer et d'olivine, atteint une densité de 3,0. Conséquemment nous remarquons que dans les endroits où des coulées basaltiques et trachytiques ont été émises d'un même cratère, les coulées de trachyte ont généralement fait éruption les premières, parce que, comme nous devons le supposer, la lave fondue appartenant à cette série s'était accumulée à la partie supérieure du foyer volcanique. Cette succession a été observée par Beudant, Scrope et d'autres auteurs, et j'en ai donné trois exemples dans cet ouvrage. Pourtant, comme les dernières éruptions d'un grand nombre de volcans se sont fait jour au travers des parties inférieures de ces montagnes, par suite de l'accroissement de la hauteur et du poids de la colonne interne de roche fondue, nous voyons pourquoi dans la plupart des cas les flancs inférieurs des masses trachytiques centrales sont seuls enveloppés de coulées basaltiques. Peut-être la séparation des éléments d'une masse lavique s'opère-t-elle quelquefois dans l'intérieur d'une montagne volcanique, dont la hauteur et les autres dimensions sont suffisamment grandes, au lieu de se faire dans le foyer souterrain. Dans ce cas, des coulées de trachyte provenant du sommet de ce volcan, et des coulées de basalte émanées de sa base peuvent être éjaculées presque simultanément ou à des intervalles très rapprochés; c'est ce qui paraît s'être produit à Ténérife[6]. Il me suffira de faire remarquer en outre que, naturellement, la séparation des deux séries doit souvent être entravée par suite de bouleversements violents, même quand les conditions lui sont favorables, et que, de même, leur ordre d'éruption ordinaire doit être interverti. En bien des cas, peut-être, les laves basaltiques ont seules atteint la surface, à cause du haut degré de fluidité de la plupart d'entre elles.

Nous avons vu dans l'exemple décrit par Von Buch que des cristaux de feldspath descendent au sein de l'obsidienne vers la partie inférieure de la masse, parce que leur poids spécifique est plus élevé, comme on le sait, que celui de cette roche; nous pouvons donc nous attendre à constater dans toute région trachytique où l'obsidienne a coulé à l'état de lave, qu'elle a été émise par les orifices supérieurs, ou occupant la plus grande altitude. D'après Von Buch, ce fait se confirme d'une manière remarquable, tant aux îles Lipari qu'au pic de Ténériffe. En ce dernier point l'obsidienne ne s'est jamais écoulée par des orifices situés à moins de 9.200 pieds de hauteur. L'obsidienne paraît avoir été éjaculée aussi par les pics les plus élevés de la Cordillère péruvienne. Je me borne à faire observer, en outre, que le poids spécifique du quartz varie de 2,6 à 2,8, et que par conséquent, lorsque ce minéral existe dans un foyer volcanique, il ne doit pas tendre à descendre avec la masse fondamentale basaltique; ceci explique peut-être la présence fréquente et l'abondance du quartz au sein des laves trachytiques, déjà signalées à plusieurs reprises dans cet ouvrage.

Peut-être objectera-t-on à la théorie que je viens d'exposer le fait que les roches plutoniques ne sont pas divisées en deux séries nettement distinctes et de pesanteur spécifique différente, quoiqu'elles aient passé par l'état liquide comme les roches volcaniques. Pour répondre à cette objection, il convient de faire remarquer d'abord qu'aucune preuve ne démontre que les atomes d'un quelconque des minéraux constitutifs des roches plutoniques se soient agrégés, tandis que les autres minéraux restaient fluides, ce qui est une condition presque indispensable de leur séparation, comme nous nous sommes efforcés de le prouver; au contraire, les cristaux se sont moulés généralement les uns sur les autres[7].

En second lieu, le calme absolu qui a présidé, selon toute probabilité, au refroidissement des masses plutoniques ensevelies à de grandes profondeurs, devait être très probablement fort défavorable à la séparation de leurs minéraux constitutifs, car, si la force attractive qui rapproche les molécules des divers minéraux pendant le refroidissement progressif de la masse est suffisante pour les maintenir réunies, le frottement entre ces cristaux à demi formés ou ces globules pâleux doit empêcher les plus lourds d'entre eux de descendre au fond du bain et les plus légers de monter. D'autre part, les petites perturbations qui doivent probablement se produire dans la plupart des foyers volcaniques, et qui ne suffiraient pas, comme nous l'avons vu, à empêcher la séparation de grains de plomb dans un mélange de plomb et d'argent en fusion ou de cristaux de feldspath dans une coulée de lave, pourraient pourtant amener la rupture et une nouvelle fusion des globules les moins bien formés, permettant aux cristaux les mieux formés, et qui pour cette raison ne se brisent pas, de descendre ou de monter suivant leur pesanteur spécifique.

Quoiqu'on ne constate pas dans les roches plutoniques l'existence des deux types distincts correspondant aux séries trachytique et basaltique, j'ai lieu de croire qu'il s'est produit souvent une séparation plus ou moins prononcée de leurs parties constitutives. Je soupçonne qu'il doit en être ainsi, parce que j'ai observé la grande fréquence avec laquelle des dikes de greenstone et de basalte coupent les formations étendues de granité et de roches métamorphiques qui s'y rattachent. Je n'ai jamais étudié un district d'une région granitique étendue sans y découvrir des dikes; je puis citer comme exemples les nombreux dikes de trapp que l'on rencontre dans plusieurs provinces du Brésil, du Chili, de l'Australie, et au cap de Bonne-Espérance; de même, il existe un grand nombre de dikes dans les vastes contrées granitiques de l'Inde, du nord de l'Europe et d'autres pays. D'où le greenstone et le basalte qui forment ces dikes sont-ils venus? Devons-nous supposer, avec quelques anciens géologues, qu'une zone de trapp s'étend uniformément sous les roches granitiques qui, suivant l'état actuel de nos connaissances, constituent la base de l'écorce du globe? N'est-il pas plus vraisemblable de croire que ces dikes sont dus à des fissures sillonnant des roches granitiques et métamorphiques imparfaitement refroidies, dont les éléments les plus fusibles consistant surtout en hornblende ont été en quelque sorte sollicités à monter dans ces fissures? A Bahia, au Brésil, j'ai vu dans une contrée de gneiss et de greenstone primitif, de nombreux dikes constitués par une roche à augite de couleur foncée (car un cristal que j'ai détaché appartenait incontestablement à ce minéral), ou par une roche amphibolique formée, comme plusieurs preuves le démontraient clairement, avant la solidification de la masse environnante, ou ayant subi plus tard un ramollissement complet simultanément avec cette masse[8]. Des deux côtés de l'un de ces dikes le gneiss était pénétré, à la profondeur de plusieurs yards, par de nombreux fils ou stries curvilignes d'une matière à teinte foncée et dont la forme ressemblait à celle des nuages désignés sous le nom de «cirrhi-comae»; on pouvait suivre quelques-uns de ces filaments jusqu'à leur point de jonction avec le dike. Lorsque je les examinai, il me parut douteux que des veines aussi fines et aussi curvilignes aient pu être injectées, et je crois maintenant, qu'au lieu d'avoir été injectées par le dike, elles ont été, au contraire, comme ses vaisseaux nourriciers. Si on admet comme vraisemblable cette théorie sur l'origine des dikes de trapp dans des régions granitiques très étendues, et loin de roches appartenant à quelque autre série, nous pouvons admettre aussi que, quand une grande masse de roche plutonique est poussée par des efforts répétés dans l'axe d'une chaîne de montagnes, ses éléments les plus liquides peuvent s'écouler dans des abîmes profonds et inconnus, pour être ultérieurement ramenés, peut-être, à la surface sous forme de masses injectées de greenstone, de porphyre augitique[9] ou d'éruptions basaltiques. La plupart des difficultés que les géologues ont rencontrées en comparant les roches volcaniques et plutoniques au point de vue de leur composition se trouvent résolues, je pense, si nous pouvons admettre que ces éléments relativement lourds et fusibles qui composent les roches basaltiques et trappéennes, ont été partiellement éliminés du plus grand nombre des masses plutoniques.

Distribution des îles volcaniques.—Au cours de mes recherches sur les récifs coralliens, j'ai eu l'occasion de consulter les écrits d'un grand nombre de voyageurs, et j'ai été constamment frappé du fait, qu'à peu d'exceptions près, les îles innombrables qui parsèment le Pacifique, l'océan Indien et l'Atlantique sont formées soit de roches volcaniques, soit de roches coralliennes récentes. Citer une longue liste de toutes les îles volcaniques serait fastidieux, mais il est facile d'énumérer les exceptions que j'ai rencontrées. Dans l'Atlantique nous avons les rochers de Saint-Paul décrits dans cet ouvrage, et les îles Falkland formées de schiste quartzeux et argileux; mais ces dernières îles sont fort grandes et ne sont pas très éloignées de la côte de l'Amérique méridionale[10]. Dans l'océan Indien, les Seychelles (situées sur une ligne qui prolonge Madagascar) consistent en granite et en quartz. Dans l'océan Pacifique, la Nouvelle-Calédonie, qui est une grande île, appartient (pour autant que sa constitution soit connue) à la classe des roches primitives; la Nouvelle-Zélande, qui possède beaucoup de roches volcaniques et quelques volcans en activité, est trop étendue pour que nous puissions la ranger parmi les petites îles dont nous nous occupons en ce moment. La présence de quelques roches non volcaniques, telles que des schistes argileux dans trois des Açores[11], de calcaire tertiaire à Madère, de schiste argileux à l'île Chatham dans le Pacifique, ou de lignite à l'île de Kerguelen, ne doit pas faire exclure ces îles ou ces archipels de la classe des îles volcaniques, si elles sont formées principalement de matières éruptives.

La constitution de ces nombreuses îles qui parsèment les grands océans, étant presque toujours volcanique à ces rares exceptions près, se rattache évidemment à la loi suivant laquelle presque tous les volcans actifs forment des îles ou sont situés près du rivage de la mer; elle est un effet des phénomènes chimiques ou mécaniques qui ont déterminé cette répartition des volcans. Le fait que les îles océaniques sont si généralement volcaniques est intéressant aussi au point de vue de la nature des chaînes de montagnes de nos continents, qui, à peu d'exceptions près, ne sont pas volcaniques, quoique cependant nous ayons des raisons de supposer qu'un océan s'étendait autrefois sur l'espace occupé aujourd'hui par les continents. Nous sommes amenés à nous demander si les éruptions volcaniques se produisent plus facilement au travers des fissures qui se sont formées pendant les premières phases de la transformation du lit de la mer en une surface terrestre.

Quand on examine les cartes des nombreux archipels volcaniques, on voit que les îles sont ordinairement disposées en rangées, simples, doubles ou triples, suivant des lignes souvent légèrement courbes[12]. Chacune des îles du groupe est arrondie, ou plus ordinairement allongée dans le même sens que le groupe dont elle fait partie, mais parfois transversalement à cette direction. Certains groupes dont l'allongement n'est pas fortement accentué offrent peu de symétrie dans leurs formes; M. Virlet[13] constate que ce cas se présente pour l'archipel grec; je suis porté à penser (car je sais combien il est facile de se tromper en ces matières) que les orifices volcaniques sont ordinairement alignés suivant une même droite ou sur une série de lignes parallèles peu longues, coupant presque à angle droit une autre ligne ou une autre série de lignes. L'archipel des Galapagos offre un exemple de cette structure, car la plupart des îles et les principaux cratères situés dans les plus grandes d'entre elles sont groupés de manière à se disposer sur un système de lignes orienté N.-N.-W. et sur un autre système dirigé W.-S.-W.; nous trouvons une structure du même genre, mais plus simple, dans l'archipel des Canaries. Dans le groupe du Cap Vert qui paraît être le moins symétrique de tous les archipels océaniques de nature volcanique, une ligne dessinée par plusieurs îles et courant N.-W.-S.-E. couperait presque à angle droit, si on la prolongeait, une courbe jalonnée par les autres îles.

Von Buch[14] a classé tous les volcans en deux catégories: les volcans centraux autour desquels des éruptions se sont produites en grand nombre, de tous côtés, d'une manière presque régulière, et les chaînes volcaniques. Dans les exemples que l'auteur donne pour les volcans de la première catégorie je ne puis découvrir, au point de vue de leur situation, aucune raison qui justifie la qualification de centraux, et il n'existe, à mon avis, aucune différence essentielle de constitution minéralogique entre les volcans centraux et les chaînes volcaniques. Sans doute, dans la plupart des petits archipels volcaniques l'une des îles peut être beaucoup plus élevée que les autres; de même que dans une île donnée un des orifices est généralement plus haut que tous les autres, quelle que puisse être la cause de ce fait. Von Buch ne range pas dans sa classe des chaînes volcaniques, de petits archipels dont il admet que les îles sont alignées, comme il le fait pour les Açores, mais il est difficile de croire qu'il existe quelque différence essentielle entre les chaînes volcaniques plus ou moins allongées. Si l'on jette un coup d'oeil sur une mappemonde, on constate combien sont parfaites les transitions qui unissent de petits groupes d'îles volcaniques alignées aux séries presque ininterrompues d'archipels se suivant en ligne droite, et finalement à une grande muraille comme la Cordillère américaine. Von Buch soutient[15] que des chaînes volcaniques couronnent des chaînes de montagnes de formation primitive, ou sont en rapport intime avec elles; mais si, dans le cours des temps, des archipels allongés sont transformés en chaînes de montagnes sous l'action prolongée des forces de soulèvement et éruptives, il en résultera naturellement que les roches primitives inférieures seront souvent soulevées et deviendront visibles.

Quelques auteurs ont fait remarquer que les îles volcaniques sont répandues, quoiqu'à des distances très inégales, le long des rivages des grands continents, comme si elles étaient, jusqu'à un certain point, en rapport avec eux. Pour l'île de Juan Fernandez, située à 330 milles de la côte du Chili, il existait indubitablement un rapport entre les forces volcaniques agissant sous cette île et celles qui agissaient sous le continent, comme cela a été montré par le tremblement de terre de 1835. En outre, les îles de quelques-uns des petits groupes volcaniques bordant des continents, comme nous venons de le dire, sont situées sur des lignes qui présentent une relation avec la direction que suivent les rivages voisins. Je citerai comme exemples les lignes d'intersection aux archipels des Galapagos et du Cap Vert, et la ligne la mieux définie des îles Canaries. Si ces faits ne sont pas purement fortuits, nous voyons qu'un grand nombre d'îles volcaniques éparpillées et de petits groupes sont mis en rapport avec les continents voisins, non seulement par leur proximité, mais encore par la direction des fentes d'éruption, relation que Von Buch considère comme caractéristique pour ses grandes chaînes volcaniques.

Dans les archipels volcaniques il est rare que les cratères soient en activité à la fois dans plus d'une île, et les grandes éruptions ne se produisent d'habitude qu'à de longs intervalles. En considérant le grand nombre de cratères que chaque île d'un groupe porte habituellement et la quantité énorme de matières qu'ils ont émises, on est porté à attribuer une très grande ancienneté à ces groupes, même à ceux dont l'origine paraît relativement récente, comme l'archipel des Galapagos. Cette conclusion concorde avec l'érosion prodigieuse que l'action lente de la mer doit avoir fait subir à leurs côtes, primitivement inclinées en pente douce et qui ont dû, si souvent, reculer en se transformant en hautes falaises. Nous ne devons pas croire, cependant, que la masse entière des matières qui forment une île volcanique ait été toujours émise au niveau qu'elle occupe actuellement; le grand nombre de dikes qui semblent invariablement sillonner l'intérieur de tout volcan prouve, d'après les principes exposés par M. Élie de Beaumont, que la masse entière a été soulevée et fissurée. En outre, je crois avoir démontré dans mon travail sur les récifs coralliens, qu'il existe un rapport entre les éruptions volcaniques et les soulèvements contemporains s'opérant en masse[16] et qui est attesté tant par la présence fréquente de débris organiques soulevés que par la structure des récifs coralliens établis sur les roches volcaniques. Je dois faire observer enfin que des éruptions se sont produites dans un même archipel, depuis le commencement des temps historiques, sur plus d'une des lignes de fissure parallèles; ainsi dans l'archipel des Galapagos on a signalé les éruptions d'un cratère de l'île Narborough et d'un cratère de l'île Albemarle, qui ne se trouvent pas sur la même ligne; aux îles Canaries des éruptions se sont produites à Ténériffe et à Lanzarote; et aux Açores sur les trois lignes parallèles de Pico, de Saint-Georges et de Terceira. Ce fait me paraît intéressant si nous admettons qu'il n'existe d'autre différence essentielle entre une chaîne de montagnes et un volcan que celle qui distingue une injection de roches plutoniques d'une éjaculation de matières volcaniques, car il nous permet d'admettre comme probable que lors du soulèvement des chaînes de montagnes deux ou plusieurs des lignes parallèles d'une chaîne puissent avoir été soulevées et injectées pendant une même période géologique.

Notes:

[1] Description des îles Canaries, pp. 190 et 191.

[2] On a trouvé que dans une masse de fer en fusion (Edinburgh New Philosophical Journal, vol. XXIV, p. 66) les substances dont l'affinité pour l'oxygène est plus grande que celle du fer pour ce même gaz s'élèvent de l'intérieur de la masse vers la surface. Mais il est difficile d'attribuer une cause analogue à la séparation des cristaux de ces coulées de lave. Le refroidissement parait avoir modifié dans certains cas la composition de la surface des laves, car Dufrenoy (Mém. pour servir, etc., t. IV, p. 271) a constaté que les parties internes d'une coulée située aux environs de Naples étaient formées pour les deux tiers par un minéral attaquable aux acides, tandis que la surface était composée principalement d'un minéral inattaquable par ces réactifs.

[3] J'ai donné les poids spécifiques des minéraux d'après Von Kobell, une des autorités les plus récentes et les meilleures, et celui des roches d'après divers auteurs. Suivant Phillips, le poids spécifique de l'obsidienne est 2.35, et Jameson affirme qu'il ne dépasse jamais 2.4; mais j'ai reconnu qu'il était de 2.42 pour un spécimen de l'Ascension.

[4] Une notice détaillée et intéressante sur cette découverte, par M. Pattinson, a été lue devant l'Association britannique en septembre 1838. Suivant Turner (Chemistry, p. 210), le métal le plus lourd de certains alliages descend au fond du creuset, et il paraît que ce phénomène se produit lorsque les métaux sont tous deux à l'état liquide. Lorsque la différence de densité est considérable, comme celle qui existe entre le fer et le laitier qui se forme pendant la fusion du minerai, il n'est pas étonnant que les atomes se séparent sans qu'aucune des deux substances soit à l'état grenu.

[5] Von Buch a trouvé 2,47 pour le trachyte de Java; De la Bèche 2,42 pour celui d'Auvergne, et moi-même 2,42 pour celui de l'Ascension. Jameson et d'autres auteurs attribuent au basalte un poids spécifique de 3,0, mais De la Bèche a trouvé qu'elle n'était que de 2,78 pour certains spécimens d'Auvergne, et de 2.91 pour des spécimens de la Chaussée des Géants.

[6] Consulter l'admirable Description physique si connue de cette île par Von Buch, qui peut être considérée comme un modèle de géologie descriptive.

[7] La pâte cristalline de la phonolite est souvent traversée de longues aiguilles de hornblende, ce qui prouve que ce minéral, quoique l'élément le plus fusible de la phonolite, a cristallisé avant ou en même temps qu'une substance plus réfractaire. Si mes observations sont exactes, la phonolite se présente toujours à l'état de roche injectée comme celles de la série plutonique; elle s'est donc probablement solidifiée comme ces dernières sans subir de dérangements violents ni répétés. Les géologues qui ont douté que le granite ait pu se former par liquéfaction ignée parce que des minéraux de fusibilité différente s'y moulent les uns sur les autres, doivent avoir ignoré le fait que la hornblende cristallisée pénètre la phonolite, roche dont l'origine ignée est incontestable. L'état visqueux que le quartz et le feldspath conservent tous deux à une température bien inférieure à leur point de fusion, comme on le sait aujourd'hui, explique facilement leur moulage mutuel. Voir à ce sujet le travail de M. Horner sur Bonn. Geolog. Transact., vol. IV, p. 439; et pour le quartz, l'Institut, 1839, p. 161.

[8] Des fragments de ces dikes ont été brisés et sont entourés maintenant par les roches primitives dont les feuillets les environnent en restant parallèles à eux-mêmes. Le Dr Hubbard a décrit aussi (Silliman's Journal, vol. XXXIV, p. 119) un entrecroisement de veines de trapp dans le granite des White Mountains, qui doit avoir été formé, selon lui, lorsque les deux roches étaient à l'état pâteux.

[9] M. Phillips (Lardner's Encyclop., vol. II, p. 115) cite l'opinion de Von Buch suivant laquelle le porphyre augitique s'étend parallèlement aux grandes chaînes de montagnes et se rencontre toujours à leur base. De Humboldt a constaté également l'existence fréquente de roches trappéennes dans une position géologique analogue; et moi-même j'ai observé plusieurs exemples de ce fait au pied de la Cordillère chilienne. L'existence du granite dans l'axe des grandes chaînes de montagnes est toujours probable, et je suis tenté de croire que les masses de porphyre augitique et de trapp injectées latéralement ont à peu près la même relation avec l'axe granitique que les laves basaltiques avec les masses trachytiques centrales, autour des flancs desquelles elles ont si souvent fait éruption.

[10] A en juger d'après les recherches incomplètes de Forster, il est possible que l'île Saint-Georges ne soit pas volcanique. En ce qui concerne les Seychelles je me base sur les affirmations du Dr Allan. J'ignore de quel genre de roches est formée l'île Rodriguez dans l'océan Indien.

[11] Ceci s'appuie sur l'autorité du comte V. de Bedemar pour Flores et Graciosa (Charlsworth Magazine of Nat. Hist., vol. I, p. 557). Suivant le capitaine Boyd, l'île Sainte-Marie n'a pas de roches volcaniques (Description de Von Buch, p. 365). L'île Chatham a été décrite par le Dr Dieffenbach dans le Geographical Journal, année 1841, p. 201. Jusqu'à présent l'expédition antarctique ne nous a fourni que des renseignements incomplets sur l'île Kerguelen.

[12] Dans un mémoire présenté récemment à l'American Association, les professeurs William et Henry Darwin Rogers ont insisté d'une manière spéciale sur les directions de soulèvement qui affectent une courbe régulière dans certaines parties de la chaîne des Appalaches.

[13] Bulletin de la Société Géologique, t. III, p. 110.

[14] Description des Isles Canaries, p. 324.

[15] Description des Iles Canaries, p. 393.

[16] Cette conclusion s'impose à la suite des phénomènes qui ont accompagné le tremblement de terre de 1835 à Conception, et qui sont décrits en détail dans la notice que j'ai publiée dans les Geological Transactions (vol. V, p. 601).

CHAPITRE VII

NOUVELLE-GALLES DU SUD, TERRE VAN DIEMEN, KING GEORGE'S SOUND, CAP DE BONNE-ESPÉRANCE

Nouvelle-Galles du Sud.—Formation de grès.—Pseudo-fragments de schiste empâtés.—Stratification.—Stratification entrecroisée.—Grandes vallées.—Terre Van Diemen.—Formation paléozoïque.—Formations plus récentes avec roches volcaniques.—Travertin avec feuilles de végétaux éteints.—Soulèvement de la contrée.—Nouvelle-Zélande.—King George's Sound.—Bancs ferrugineux superficiels.—Dépôts calcaires superficiels avec moules de branches.—Leur origine due à des particules de coquilles et de coraux amoncelées par le vent.—Leur extension.—Cap de Bonne- Espérance.—Contact du granite et du phyllade argileux.—Formation de grès.

Durant la seconde partie de son voyage, le Beagle toucha à la Nouvelle-Zélande, en Australie, à la Terre Van Diemen, et au cap de Bonne-Espérance. Désireux de consacrer la troisième partie de ces Observations Géologiques à l'Amérique méridionale seule, je décrirai brièvement ici tous les faits dignes de fixer l'attention des géologues, que j'ai observés dans les contrées que je viens de citer.

Nouvelle-Galles du Sud.—Mon champ d'observations se bornait au trajet de 90 milles géographiques que j'ai fait pour me rendre à Bathurst, à l'W.-N.-W. de Sidney. A partir de la côte, les trente premiers milles traversent une région de grès, coupée en plusieurs endroits par des rochers de trapp, et séparée du grand plateau de grès des Blue Mountains par un escarpement très élevé qui surplombe la rivière Nepean. Ce plateau supérieur mesure 1.000 pieds d'altitude au bord de l'escarpement, et à une distance de 26 milles de ce bord il s'élève jusqu'à 3.000 à 4.000 pieds au-dessus du niveau de la mer. De ce point la route descend vers une contrée moins élevée, et principalement formée de roches primitives. On y rencontre beaucoup de granite qui passe en un endroit à du porphyre rouge avec cristaux octogonaux de quartz, et qui est coupé ailleurs par des dikes de trapp. Près des Downs de Bathurst je traversai une grande étendue de pays constituée par des phyllades argileux luisants et d'un brun pâle, dont les feuillets altérés couraient du nord au sud. Je mentionne ce fait parce que le capitaine King m'a rapporté qu'aux environs du lac Georges, à une centaine de milles au sud, les micaschistes s'étendent du nord au sud d'une manière si constante que les habitants utilisent cette particularité pour se guider dans les forêts.

Le grès des Blue Mountains offre une puissance d'au moins 1.200 pieds, qui semble plus forte encore en certains endroits; il est formé de petits grains de quartz cimentés par une matière terreuse blanche, et traversé d'un grand nombre de veines ferrugineuses. Les couches inférieures alternent quelquefois avec des schistes et de la houille; à Wolgan j'ai trouvé dans le schiste des feuilles de Glossopteris Brownii, fougère qui est très abondante dans la houille d'Australie. Le grès contient des cailloux de quartz dont le nombre et la dimension s'accroissent généralement dans les couches supérieures (ils ont rarement, cependant, plus d'un ou deux pouces de diamètre); j'ai observé un fait semblable dans la grande formation de grès du Cap de Bonne-Espérance. Sur la côte de l'Amérique du Sud où des couches tertiaires ont été soulevées sur une grande étendue, j'ai remarqué à plusieurs reprises que les couches supérieures étaient formées d'éléments plus grossiers que les couches inférieures; cela semble indiquer que la puissance des vagues ou des courants augmentait à mesure que la mer devenait moins profonde. Pourtant, sur la plate-forme inférieure, entre les Blue Mountains et la côte, j'ai observé que les couches supérieures de grès passaient souvent au schiste, ce qui provient probablement de ce que cette région moins élevée a été protégée contre les forts courants pendant son soulèvement. Le grès de Blue Mountains étant évidemment d'origine élastique et n'ayant subi aucune action métamorphique, j'ai observé avec surprise que dans certains spécimens presque tous les grains de quartz offraient des facettes brillantes et qu'ils étaient cristallisés d'une manière si parfaite qu'ils n'avaient certainement pu être empâtés sous leur forme présente dans une roche préexistante[1]. Il est difficile d'imaginer comment ces cristaux ont pu se former; on peut à peine croire qu'ils aient cristallisé isolément au fond de la mer dans leur état actuel de cristallisation. Est-il possible que des grains de quartz arrondis aient pu être attaqués par un liquide qui a corrodé leur surface et y a déposé de la silice fraîche? Je dois faire observer que pour le grès du cap de Bonne-Espérance il est évident que de la silice a été déposée en abondance d'une solution aqueuse.

En plusieurs points du grès j'ai observé des enclaves de schiste qu'on aurait pu prendre, à première vue, pour des fragments étrangers; cependant leurs feuillets horizontaux parallèles à ceux du grès montraient que ces enclaves étaient les restes de lits minces continus. L'un de ces fragments (constitué probablement par la coupe transversale d'une bande longue et étroite) et qui se montrait sur la paroi d'un rocher, présentait une épaisseur verticale plus grande que sa largeur, ce qui prouve que ce lit de schiste doit s'être légèrement consolidé après son dépôt et avant d'avoir été entamé par les courants. Chaque enclave de schiste montre ainsi avec quelle lenteur un grand nombre des couches de grès se sont déposées. Ces pseudo-fragments de schiste expliqueront peut-être, dans certains cas, l'origine de fragments étrangers en apparence, empâtés dans des roches cristallines métamorphiques. Je mentionne ce fait parce que j'ai trouvé près de Rio-de-Janeiro un fragment anguleux nettement terminé, long de 7 yards et large de 2, constitué par du gneiss contenant des grenats et du mica disposés en couches, et empâté dans le gneiss porphyrique stratifié commun dans cette contrée. Les feuillets de ce fragment et ceux de la masse englobante suivaient exactement la même direction, mais ils plongeaient sous des angles différents. Je ne veux pas affirmer que ce fragment (constituant un cas isolé, à ma connaissance au moins) ait été originairement déposé à l'état de couche, comme le schiste des Blue Mountains, entre les strates du gneiss porphyrique, avant qu'elles aient subi le métamorphisme; mais il existe entre les deux cas une analogie suffisante pour rendre cette explication plausible.

Stratification de l'escarpement.—Les couches des Blue Mountains paraissent horizontales à première vue, mais elles ont probablement un plongement semblable à celui de la surface du plateau qui s'incline de l'ouest vers l'escarpement bordant la rivière Nepean, sous un angle de 1° ou de 100 pieds par mille[2]. Les strates de l'escarpement plongent presque exactement comme sa surface inclinée en pente rapide, et avec tant de régularité qu'elles semblent n'avoir jamais eu d'autre position; mais on voit, à un examen plus attentif, qu'elles s'épaississent d'un côté, et s'amincissent de l'autre au point de disparaître, et qu'à leur partie supérieure elles sont surmontées et pour ainsi dire coiffées par des bancs horizontaux. Il est probable, d'après cela, que nous sommes ici en présence d'un escarpement original qui n'est pas formé par l'érosion marine, mais par le fait qu'à l'origine les strates ne se sont pas étendues au-delà de ce point. Ceux qui ont l'habitude de consulter des cartes détaillées de côtes sur lesquelles s'accumulent des sédiments sauront que la surface des bancs ainsi formés s'incline, en général, fort lentement de la côte vers une certaine ligne du large au-delà de laquelle la profondeur devient brusquement très grande dans la plupart des cas. Je puis citer comme exemple les grands bancs de sédiments de l'archipel des Antilles[3] qui se terminent en pentes sous-marines inclinées de 30 à 40° et parfois même de plus de 40°; chacun sait combien une pente semblable paraîtrait escarpée sur terre. Si des bancs de ce genre étaient soulevés, ils auraient probablement la même forme extérieure, à peu près, que le plateau des Blue Mountains à l'endroit où il se termine brusquement au bord de la rivière Nepean.

Stratification entrecroisée.—Dans la région côtière basse et dans les Blue Mountains, les couches de grès sont souvent coupées par de petits lits obliques à leur direction, qui s'inclinent en divers sens souvent sous un angle de 45°. La plupart des auteurs ont attribué ces couches entrecroisées à de petites accumulations successives sur une surface inclinée; mais à la suite d'un examen minutieux que j'ai fait de quelques points du nouveau grès rouge d'Angleterre, je crois que les couches de ce genre font généralement partie d'une série de courbes, semblables à des vagues gigantesques, dont les sommets ont été arasés ultérieurement et remplacés, soit par des couches à peu près horizontales, soit par une autre série de grandes rides dont les plis ne coïncident pas exactement avec ceux des premières. Il est bien connu de ceux qui s'occupent du service hydrographique que, pendant les tempêtes, la vase et le sable sont bouleversés, au fond de la mer, à des profondeurs considérables, atteignant au moins 300 à 450 pieds[4], de sorte que la nature du sol y est même modifiée temporairement; on a observé aussi qu'à une profondeur de 60 à 70 pieds le fond de la mer est couvert de larges rides[5]. D'après les observations que j'ai faites relativement à la structure du nouveau grès rouge, et que je viens de mentionner, il est donc permis de croire qu'à des profondeurs plus considérables le fond de l'océan se recouvre pendant les tempêtes de crêtes et de dépressions semblables à de grandes rides, qui sont nivelées ensuite par les courants pendant les périodes plus tranquilles, et qui se reforment pendant les tempêtes.

Vallées dans les plateaux de grès.—Les grandes vallées qui coupent les Blue Mountains et les autres plateaux de grès de cette partie de l'Australie, et qui ont offert longtemps un obstacle insurmontable aux tentatives des colons les plus hardis pour atteindre l'intérieur de la contrée, constituent le trait principal de la géologie de la Nouvelle-Galles du Sud. Ces vallées sont très vastes et bordées par des lignes ininterrompues de hautes falaises. Il est difficile d'imaginer un spectacle plus majestueux que celui qui s'offre aux regards lorsqu'en s'avançant sur le plateau on arrive tout à coup au bord d'une de ces falaises dont la verticalité est telle qu'on peut atteindre d'un coup de pierre les arbres croissant à 1.000 et 1.500 pieds au-dessous de soi, comme j'en ai fait l'expérience. A droite et à gauche on aperçoit des promontoires se succédant à perte de vue sur la ligne fuyante de la falaise; et sur le versant opposé de la vallée, souvent éloigné de plusieurs milles, on voit une autre ligne s'élevant à la même hauteur que celle sur laquelle on se trouve, et formée des mêmes couches horizontales de grès pâle. Le fond de ces vallées est peu incliné, et, d'après sir T. Mitchell, la pente des rivières qui les parcourent est faible. Souvent les vallées principales envoient vers l'intérieur du plateau de grandes ramifications en forme de golfes, qui s'élargissent à leur extrémité supérieure; et, d'autre part, le plateau projette souvent des promontoires dans la vallée et y abandonne même de grandes masses presque entièrement détachées. Les lignes de falaises qui bordent les vallées sont si parfaitement continues que, pour descendre dans certaines d'entre elles, il est nécessaire de faire des détours de 20 milles, et ce n'est même que dernièrement que les officiers du service topographique ont pénétré dans quelques-unes de ces vallées, où les colons ne sont pas encore parvenus à faire entrer leur bétail. Mais le trait le plus remarquable de la structure de ces vallées, c'est que, malgré la largeur de plusieurs milles qu'elles présentent dans leur région supérieure, elles se rétrécissent ordinairement vers leur extrémité inférieure, à tel point qu'elles deviennent impraticables. Le Surveyor-general, Sir T. Mitchell[6], a tenté vainement de remonter la gorge par laquelle la rivière Grose rejoint le Nepean, en marchant d'abord, et en rampant ensuite entre les grands blocs de grès écroulés; la vallée de la Grose forme cependant vers sa partie supérieure, ainsi que je l'ai constaté de visu, un bassin magnifique large de plusieurs milles, et elle est entourée de tous côtés par des falaises dont les sommets atteignent, à ce que l'on croit, une altitude qui n'est pas inférieure à 3.000 pieds au-dessus du niveau de la mer. Lorsqu'on conduit des bestiaux dans la vallée de la Wolgan, par un sentier que j'ai descendu et qui a été, en partie, entaillé dans le roc par les colons, ils ne peuvent pas s'échapper, car cette vallée est entourée complètement par des falaises verticales, et à 8 milles plus bas elle se resserre au point que sa largeur, qui est d'un demi-mille en moyenne, se réduit à celle d'une simple fente dans laquelle ni homme ni bête ne saurait passer. Sir T. Mitchell[7] rapporte que la grande vallée où coule la rivière Cox avec toutes ses ramifications se resserre à son confluent avec le Nepean en une gorge large de 2.200 yards et profonde de 1.000 pieds environ. On pourrait citer encore d'autres exemples semblables.

La première impression qu'on éprouve en constatant la correspondance des couches horizontales sur les deux côtés de ces vallées et de ces grandes dépressions en amphithéâtre, c'est qu'elles ont été creusées principalement, comme les autres vallées, par l'action érosive des eaux; mais, quand on songe à la quantité énorme de roches qui, dans cette théorie, devraient avoir été transportées au travers de simples gorges, ou même de fentes, lors du creusement de la plupart des vallées dont nous venons de parler, on est porté à se demander si ces dépressions n'ont pas été formées par affaissement; pourtant, si nous considérons la forme des vallées avec leurs ramifications irrégulières et celle des promontoires étroits qui, partant des plateaux, s'avancent dans les vallées, nous sommes obligés d'abandonner cette manière de voir. Il serait absurde d'attribuer la formation de ces dépressions à l'action alluviale, et les eaux qui ruissellent du plateau ne descendent pas toujours dans la vallée au niveau le plus élevé, mais sur un des côtés de ses flancs en forme de golfe, comme je l'ai observé près de Weatherboard. Des habitants m'ont dit qu'ils ne voient jamais une de ces falaises dont l'allure rappelle celle d'une baie, avec leurs promontoires fuyant à droite et à gauche, sans être frappés de leur ressemblance avec une côte marine élevée. Il en est incontestablement ainsi; en outre, les beaux et nombreux ports de la côte actuelle de la Nouvelle-Galles du Sud avec leurs bras largement ramifiés, et qui sont ordinairement reliés à la mer par un étroit goulet large de 1 mille à un quart de mille traversant des falaises de grès, ressemblent aux grandes vallées de l'intérieur, en miniature il est vrai. Mais alors se présente immédiatement une grave difficulté: pourquoi la mer a-t-elle creusé ces dépressions si étendues quoique circonscrites, dans un vaste plateau et a-t-elle laissé intactes de simples gorges au travers desquelles l'énorme masse des matériaux broyés doit avoir été transportée tout entière? La seule lumière que je puisse apporter à la solution de cette énigme, c'est de faire observer que dans certaines mers il s'édifie des bancs affectant les formes les plus irrégulières, et que leurs bords sont si escarpés (comme nous l'avons vu plus haut) qu'il suffirait d'une érosion relativement faible pour les transformer en falaises. J'ai observé en plusieurs points de l'Amérique méridionale que les vagues peuvent former des falaises à pic, même dans les ports entourés de tous côtés par les terres. Dans la mer Rouge des bancs d'un contour extrêmement irrégulier, et formés de sédiments sont coupés par des criques aux formes les plus singulières et à embouchure étroite; le même cas se présente, mais sur une plus grande échelle, pour les bancs de Bahama. J'ai été amené à croire[8] que ces bancs ont été formés par des courants qui accumulaient des sédiments sur un fond de mer inégal. Quand on a étudié les cartes marines des Antilles, on est forcé de reconnaître que la mer accumule parfois des sédiments autour de rochers sous-marins et de certaines îles, au lieu de les étendre en une nappe uniforme. Appliquant ces théories aux plateaux de grès de la Nouvelle-Galles du Sud, je suppose que les strates peuvent avoir été accumulées sur un fond marin inégal par l'action de courants puissants et des vagues d'une mer largement ouverte, et que les flancs escarpés des espaces en forme de vallées demeurés vides peuvent avoir été transformées en falaises par l'érosion produite durant le soulèvement lent de la contrée; le grès enlevé par les flots a été emporté, soit au moment où la mer a creusé les gorges étroites en se retirant, soit plus tard par action alluviale.

Notes:

[1] J'ai lu dernièrement dans un travail de Smith (le père des géologues anglais), publié dans le Magazine of Natural History, que les grains de quartz du mill-stone grit d'Angleterre sont souvent cristallisés. Dans une notice présentée en 1840 à la British Association, Sir David Brewster affirme que, dans le verre ancien en voie de décomposition, la silice et les métaux se séparent et se disposent en anneaux concentriques, et que la silice reprend la structure cristalline, comme le prouvent ses propriétés optiques.

[2] Cette assertion est basée sur l'autorité de Sir T. Mitchell, dans ses Voyages, vol. II, p. 357.

[3] J'ai décrit ces bancs très curieux dans l'appendice (p. 196) à mon ouvrage sur la structure des récifs coralliens. J'ai déterminé l'inclinaison des parois des bancs d'après les renseignements que m'a donnés le capitaine B. Allen, l'un des hydrographes, et en mesurant soigneusement les distances horizontales comprises entre le dernier sondage situé sur le banc et le premier qui se trouve en eau profonde. Des bancs très étendus offrent la même forme générale de surface dans tout l'archipel des Antilles.

[4] Voir Martin White, Soundings in the British Channel, pp. 4 et 166.

[5] M. Siau, On the Action of Waves. Edin. New Phil. Journ., vol. XXXI, p. 245.

[6] Travels in Australia, vol. I, p. 154.—Je dois exprimer ma reconnaissance envers sir T. Mitchell pour plusieurs communications fort interessantes qu'il m'a faites personnellement au sujet de ces vallées de la Nouvelle-Galles du Sud.

[7] Travels in Australia, vol. II, p. 358.

[8] Voir l'appendice au travail sur les récifs coralliens (pp. 192 et 196). L'accumulation de vase, par l'action des flots, autour d'un noyau submergé est un fait digne d'attirer l'attention des géologues, car il se forme ainsi des couches extérieures au noyau offrant la même composition que les bancs qui constituent la côte, et si ces couches viennent plus tard à être soulevées et que les flots les transforment en falaises, on les considérera naturellement comme primitivement réunies aux couches de la côte elle-même.

TERRE VAN DIEMEN

La partie méridionale de cette île est constituée principalement par des montagnes de greenstone, qui prend un caractère syénitique et contient beaucoup d'hypersthène. Ces montagnes sont généralement enchâssées jusqu'à la moitié de leur hauteur dans des couches qui renferment une grande quantité de petits coraux et quelques coquilles. Ces coquilles ont été étudiées par M. G.-B. Sowerby et sont décrites dans l'appendice; elles consistent en deux espèces de productus et six de spirifères. Pour autant que l'état imparfait de leur conservation permette de les comparer, deux de ces coquilles, notamment P. Rugata et S. Rotundata, ressemblent à des coquilles du calcaire carbonifère d'Angleterre. M. Lonsdale a bien voulu étudier les coraux, ils consistent en six espèces non décrites appartenant à trois genres. Des espèces se rapportant à ces genres se trouvent dans les couches siluriennes, dévoniennes et carbonifères d'Europe. M. Lonsdale fait observer que tous ces fossiles ont incontestablement un caractère paléozoïque, et qu'ils correspondent, sous le rapport de l'âge, à une division du système, supérieure aux formations siluriennes.

Les couches qui renferment ces fossiles sont intéressantes par l'extrême variabilité de leur composition minéralogique. On y rencontre toutes les variétés intermédiaires entre le schiste siliceux, le schiste ardoisier passant à la grauwacke, le calcaire pur, le grès et une roche porcellanique; et l'on ne saurait décrire certains bancs qu'en disant qu'ils sont formés d'un schiste argileux calcaréo-siliceux. Pour autant que j'aie pu en juger, la puissance de cette formation est de 1.000 pieds au moins; la partie supérieure consiste ordinairement, sur une épaisseur de quelques centaines de pieds, en grès siliceux contenant des cailloux et sans fossiles. Les couches inférieures sont les plus variables; elles sont formées généralement d'un schiste siliceux de couleur pâle, et ce sont elles qui renferment le plus grand nombre de fossiles. Près de Newtown on exploite une couche d'une masse calcareuse blanche et tendre, qui se trouve comprise entre deux bancs de calcaire cristallin dur, et qu'on utilise pour badigeonner les maisons. Suivant les renseignements qui m'ont été donnés par le Surveyor General, M. Frankland, on rencontre cette formation paléozoïque en divers endroits dans l'île entière; je puis ajouter suivant la même autorité qu'il existe des dépôts primaires fort étendus sur la côte nord-est et dans le détroit de Bass.

Les rivages de Storm Bay sont bordés, jusqu'à la hauteur de quelques centaines de pieds, par des couches de grès contenant des galets appartenant à la formation que je viens de décrire, avec ses fossiles caractéristiques, et qui sont pour cette raison plus récentes que cette formation. Ces couches de grès passent souvent au schiste et alternent avec des couches de houille impure; elles ont été énergiquement bouleversées en certains endroits. J'ai observé près de Hobart-Town un dike large d'environ 100 yards, sur l'un des côtés duquel les couches étaient redressées sous un angle de 60°, tandis que de l'autre côté elles étaient verticales en certains endroits et modifiées par l'action de la chaleur. Sur la côte ouest de Storm Bay j'ai constaté que ces strates étaient surmontées par des coulées de lave basaltique contenant de l'olivine; et tout près de là on voyait une masse de scories bréchiformes renfermant des galets de lave, et indiquant probablement la place d'un ancien cratère sous-marin. Deux de ces coulées de basalte étaient séparées l'une de l'autre par une couche de wacke argileuse, dont on pouvait suivre le passage à des scories partiellement altérées. La wacke contenait un grand nombre de grains arrondis d'un minéral tendre, vert d'herbe, à éclat cireux et translucide sur les bords. Au chalumeau ce minéral devenait immédiatement noir, et ses arêtes aiguës se fondaient en un émail noir fortement magnétique; il ressemble par ces caractères aux masses d'olivine décomposée que j'ai décrites à San Thiago dans l'archipel du Cap Vert, et j'aurais cru qu'il avait la même origine, si je n'avais pas trouvé dans les vacuoles du basalte une substance[1] semblable en filaments cylindriques, état sous lequel l'olivine ne se présente jamais; je crois que cette substance serait rangée avec le bol par les minéralogistes.

Travertin avec plantes fossiles.—Il existe en arrière de Hobart-Town une petite carrière où l'on exploite un travertin dur, dont les bancs inférieurs offrent de nombreuses empreintes de feuilles bien nettes. M. Robert Brown a bien voulu étudier les échantillons que j'y ai recueillis; et il m'informe qu'il y a parmi eux quatre ou cinq variétés dont il n'en reconnaît aucune comme appartenant à des espèces actuelles. La feuille la plus remarquable est palmée comme celle d'un palmier-éventail, et jusqu'à présent on n'a découvert sur la Terre Van Diemen aucune plante dont les feuilles présentent cette structure. Les autres feuilles ne ressemblent ni à la forme la plus ordinaire de l'Eucalyptus (dont le genre compose, pour la plus grande partie, les forêts qui existent dans l'île), ni aux espèces faisant exception à la forme commune des feuilles de l'Eucalyptus et qui se rencontrent dans cette île. Le travertin contenant ces restes d'une flore éteinte est d'une couleur jaune pâle, dur, et même cristallin en certaines parties; mais il n'est pas compact, et il est pénétré dans toutes ses parties par des vacuoles étroites, cylindriques et tortueuses. Il contient quelques rares cailloux de quartz, et accidentellement des couches de nodules de calcédoine, comme les nodules de chert dans notre greensand. On a recherché cette roche calcaire en d'autres endroits, à cause de sa pureté, mais on ne l'a jamais trouvée. D'après ce fait et d'après la nature du dépôt, il est probable qu'il a été formé par une source calcareuse se répandant dans un petit étang ou dans une crique étroite. Plus tard les couches ont été redressées et fissurées, et la surface a été recouverte d'une masse de nature singulière qui a comblé aussi une grande crevasse voisine, et qui est formée de boules de trapp empâtées dans un mélange de wacke et d'une substance alumino-calcaire blanche et terreuse. Ceci ferait supposer que sur les bords de l'étang où se déposait la matière calcaire, il s'est produit une éruption volcanique qui l'a bouleversé et drainé.

Soulèvement de la contrée.—Aux environs de Hobart-Town les rives orientale et occidentale de la baie sont recouvertes toutes deux, en grande partie, de coquilles brisées mélangées de cailloux qui s'élèvent jusqu'à la hauteur de 30 pieds au-dessus de la laisse de haute mer. Les colons croient que ces coquilles ont été apportées là par les aborigènes pour s'en nourrir; il est incontestable que plusieurs grands monticules ont été formés de cette manière, comme M. Frankland me l'a fait remarquer; mais, d'après le nombre des coquilles, d'après l'abondance des espèces de petite taille, d'après la manière dont elles sont clairsemées, et d'après certains traits de la forme du pays, je crois que nous devons attribuer la présence du plus grand nombre de ces monticules à un léger soulèvement de la contrée. Sur le rivage de Ralph Bay (qui débouche dans Storm Bay) j'ai observé un banc continu, s'étendant à 15 pieds environ au-dessus de la laisse de haute mer, et qui était recouvert de végétation; en y fouillant, je trouvai des cailloux incrustés de serpules; j'ai trouvé aussi le long des bords de la rivière Derwent un lit de coquilles brisées au-dessus du niveau de la rivière, et à un endroit où l'eau est aujourd'hui beaucoup trop peu salée pour que des mollusques marins puissent y vivre; mais dans ces deux cas il est possible qu'avant la formation de certaines pointes de sable et de certains bancs de vase qui existent actuellement dans Storm Bay, les marées se soient élevées à la hauteur où nous trouvons les coquilles aujourd'hui[2].

On a découvert des preuves plus ou moins nettes d'un changement respectif de niveau entre les continents et la mer dans presque tous les pays situés dans cet hémisphère. Le capitaine Gray et d'autres voyageurs ont trouvé dans l'Australie méridionale des amas de coquilles soulevés appartenant à une époque géologique récente, ou à une des dernières périodes de l'ère tertiaire. Les naturalistes français de l'expédition de Baudin ont observé le même fait sur la côte sud-ouest de l'Australie. Le Rév. W.B. Clarke[3] trouve au cap de Bonne-Espérance des preuves du soulèvement de la région à une hauteur de 400 pieds. Dans les environs de Bay of Islands à la Nouvelle-Zélande[4] j'ai observé que, comme à la Terre Van Diemen, les rivages étaient parsemés, jusqu'à une certaine hauteur, de coquilles marines dont les colons attribuent la présence aux indigènes. Quelle que puisse être l'origine de ces coquilles, je ne puis douter, après avoir vu une coupe de la vallée de la Thames (37° S) dessinée par le Rév. W. Williams, que la contrée ait été soulevée en cet endroit. Trois terrasses disposées en gradins et formées d'une accumulation énorme de cailloux arrondis, se correspondent exactement sur les versants opposés de cette grande vallée; chaque terrasse a environ 50 pieds de hauteur. Quand on a étudié les terrasses que présentent les vallées des côtes occidentales de l'Amérique du Sud, parsemées de coquilles marines et formées pendant les intervalles de repos qu'a présentés le soulèvement lent de la contrée, on ne saurait douter que les terrasses de la Nouvelle-Zélande aient été formées de la même manière. J'ajoute que le Dr Diffenbach rapporte dans sa description des îles Chatham[5] (au sud-ouest de la Nouvelle-Zélande) qu'il est manifeste «que la mer a laissé à découvert bien des contrées, autrefois submergées».

Notes:

[1] La chlorophaeïte décrite par le Dr Mac Culloch (Western Islands, vol. 1, p. 504) comme se présentant dans une roche basaltique amygdaloïde, se distingue de cette substance parce qu'elle est inaltérable au chalumeau, et parce qu'elle noircit par l'exposition à l'air. Pouvons-nous supposer que l'olivine passe par différentes phases en subissant la transformation remarquable que nous avons décrite à San Thiago?

[2] Il semble que certains changements s'opèrent actuellement à Ralph Bay, car un fermier des environs, homme fort intelligent, m'a affirmé que les huîtres y abondaient autrefois, mais qu'elles ont disparu vers l'année 1884 sans cause apparente. Dans les Transactions of the Maryland Academic (vol. I, 1re part., p. 28) se trouve une note de M. Ducatel sur la destruction de vastes bancs d'huîtres et de cames par le comblement graduel des lagunes à faible profondeur et des canaux sur les côtes des États-Unis méridionaux. A Chiloe, dans l'Amérique du Sud, j'ai entendu parler d'une perte semblable subie par les habitants par la disparition d'une espèce comestible d'ascidie sur une partie de la côte.

[3] Proceedings of the Geological Society, vol. III, p. 420.

[4] Voici la liste des roches que j'ai rencontrées dans la Bay of Islands à la Nouvelle-Zélande: 1. Une grande quantité de lave basaltique et de roches scoriacées, formant des cratères distincts;—2. une colline crénelée formée de couches horizontales de calcaire couleur de chair, offrant dans la cassure des facettes cristallines nettes; la pluie a exercé une action remarquable sur cette roche, et a raviné sa surface de manière à la transformer en un modèle réduit d'une région alpestre. J'ai observé en cet endroit des bancs de chert et de limonite argileuse, et dans le lit d'un ruisseau des galets de phyllade argileux;—3. les rivages de Bay of Islands sont formés d'une roche feldspathique gris bleuâtre, souvent fort altérée, à cassure anguleuse, et sillonnée de nombreuses veines ferrugineuses, mais sans stratification ou clivage distincts. Certaines variétés sont très cristallines et pourraient être rapportées sans hésitation au trapp; d'autres variétés ressemblent d'une manière frappante à un schiste ardoisier faiblement modifié par la chaleur, je n'ai pu m'arrêter à une opinion définitive sur cette formation.

[5] Geographical Journal, vol. XI, pp. 202, 205.

KING GEORGE'S SOUND

Cet établissement colonial est situé à l'angle sud-ouest du continent australien: la contrée entière est granitique et les minéraux constitutifs de la roche sont parfois irrégulièrement disposés en zones droites ou courbes. De Humboldt aurait donné le nom de granite gneissique à la roche présentant cette particularité. Il est intéressant de constater que les collines dénudées et coniques, qui paraissent être formées par des couches à grands plis, ressemblent en petit d'une manière frappante aux collines de granite gneissique de Rio-de-Janeiro, et à celles du Venezuela qui ont été décrites par de Humboldt. Ces roches plutoniques sont coupées, en un grand nombre d'endroits, par des dikes de trapp, j'ai trouvé en un même point dix dikes parallèles s'étendant de l'est à l'ouest, et non loin de là un système de huit dikes, formés d'une autre variété de trapp et disposés dans une direction perpendiculaire à celle des premiers. J'ai observé en plusieurs régions formées de roches primaires des systèmes de dikes parallèles et rapprochés les uns des autres.

Bancs ferrugineux superficiels.—Les parties basses de la contrée sont uniformément recouvertes d'un banc de grès qui suit les inégalités de la surface, à structure cloisonnée comme un rayon de miel, et où abondent les oxydes de fer. Je crois que des bancs d'une composition à peu près semblable se rencontrent communément le long de toute la côte ouest de l'Australie et dans plusieurs des îles des Indes Orientales. Au cap de Bonne-Espérance, à la base des montagnes de granite surmontées de grès, le sol est recouvert partout soit d'une masse ocreuse formée de petits fragments à grain fin comme celle de King George's Sound, soit d'un grès plus grossier avec fragments de quartz, qu'une forte proportion d'hydrate de fer rend dur et lourd, et dont la cassure fraîche présente un éclat métallique. Dans ces deux variétés la roche possède une texture fort irrégulière et renferme des cavités arrondies ou anguleuses remplies de sable, de sorte que la surface est toujours cloisonnée. L'oxyde de fer est surtout abondant sur les parois des cavités, et c'est là seulement qu'il offre une cassure métallique. Il est évident que dans cette formation, comme dans un grand nombre de dépôts sédimentaires véritables le fer tend à se concrétionner, soit en affectant une structure géodique, soit en prenant une disposition rétiforme. Bien qu'elle soit fort obscure, l'origine de ces bancs superficiels paraît due à une action alluviale s'exerçant sur des détritus riches en fer.

Dépôt calcareux superficiel.—Un dépôt calcaire qui se trouve au sommet de Bald-Head et qui contient des corps ramifiés considérés par certains auteurs comme des coraux, est devenu célèbre par les descriptions de plusieurs explorateurs distingués[1]. Ce dépôt entoure et recouvre de petites éminences irrégulières de granite, à l'altitude de 600 pieds au-dessus du niveau de la mer. Son épaisseur est fort variable; là où il est stratifié, les bancs sont souvent fortement inclinés, et leur angle atteint parfois 30°; ils plongent dans toutes les directions. Ces bancs sont coupés quelquefois par des feuillets obliques à faces planes. Le dépôt consiste soit en une poudre calcareuse blanche et fine où l'on ne discerne aucune trace de structure, soit en grains arrondis excessivement petits, de couleur brune, jaunâtre ou pourprée; les deux variétés sont généralement, sinon toujours, mêlées de petites particules de quartz, et cimentées de manière à constituer une pierre plus ou moins compacte. Les grains calcareux arrondis perdent instantanément leurs couleurs quand on les chauffe légèrement; sous ce rapport comme sous tous les autres ils ressemblent beaucoup aux petits fragments réguliers de coquilles et de coraux qui ont été transportés sur les flancs des montagnes à Sainte-Hélène, et ont été ainsi débarrassés par vannage de tout fragment plus grossier. Je ne doute pas que les particules calcaires colorées aient eu ici une origine semblable. La poussière impalpable provient probablement de la destruction des particules arrondies, et cette interprétation est plausible, car sur la côte du Pérou j'ai suivi le passage graduel de grandes coquilles non brisées à une substance aussi fine que de la craie réduite en poudre. Les deux variétés de grès calcareux mentionnées plus haut alternent fréquemment avec des couches minces d'une roche substalagmitique[2] et se fondent avec elle; cette substance est entièrement dépourvue de quartz, même lorsque la roche qui se trouve en contact avec chacune de ses faces contient des particules de ce minéral; nous devons en conclure que ces couches, comme certaines masses en forme de veines, sont dues à l'action de la pluie qui a dissous la matière calcaire et l'a déposée ensuite, ainsi que cela s'est produit à Sainte-Hélène. Chaque couche marque probablement une surface fraîchement mise à nu à l'époque où les particules aujourd'hui solidement cimentées étaient à l'état de sable incohérent. La roche de ces couches est parfois bréchiforme avec fragments recimentés, comme si elle avait été brisée par suite de la disparition du sable à un moment où elle était encore tendre. Je n'ai pas trouvé un seul fragment de coquille marine, mais les coquilles blanchies d'Hélix mélo, espèce terrestre vivante, abondent dans toutes les couches, et j'ai trouvé aussi un autre Hélix et un Oniscus.

La forme des branches est absolument semblable à celle des tiges brisées et droites d'un buisson; leurs racines sont souvent à découvert et l'on voit qu'elles divergent dans tous les sens; ça et là une branche gît abattue. Les branches sont généralement formées de grès plus dur que la matière environnante, et leur partie centrale est remplie de matière calcaire friable ou d'une variété substalagmitique de cette roche; cette partie centrale est souvent aussi pénétrée de crevasses linéaires contenant parfois, mais rarement, une trace de matière ligneuse. Ces corps calcareux ramifiés paraissent avoir été formés par une matière calcaire fine entraînée par l'eau dans les moules ou cavités produits par la destruction de branches et de racines de buissons qui ont été ensevelis sous le sable accumulé par le vent. La surface entière de la colline se désagrège aujourd'hui, et il en résulte que les moules, qui sont durs et compacts, résistent mieux et font saillie au dehors. Au cap de Bonne-Espérance j'ai trouvé dans le sable calcareux les moules décrits par Abel entièrement semblables à ceux de Bald-Head; mais leur partie centrale est souvent remplie d'une matière charbonneuse noire non encore éliminée. Il n'est pas étonnant que la matière ligneuse ait été presque entièrement éliminée des moules de Bald-Head, car plusieurs siècles doivent certainement s'être écoulés depuis l'époque où les buissons ont été ensevelis. Par suite de la forme et de la hauteur de cet étroit promontoire il ne s'y accumule pas de sable actuellement, et la surface entière subit une érosion active comme je l'ai fait observer. Nous devons donc rapporter à une époque où l'altitude de la contrée était plus faible, l'amoncellement des sables calcareux et quartzeux au sommet de Bald-Head et l'ensevelissement des débris végétaux qui en a été la suite. Les naturalistes français[3] ont établi la réalité de ce fait par des coquilles soulevées appartenant à des espèces récentes. Une seule circonstance m'avait d'abord inspiré des doutes sur l'origine des moules, c'est que les racines les plus fines appartenant à des souches différentes s'unissaient parfois pour former des feuillets ou des veines verticales; mais cette circonstance ne constitue pas une objection sérieuse, si l'on se rappelle la manière dont ces radicelles remplissent souvent les crevasses formées dans une terre dure, et si l'on considère que ces racines se détruiront et laisseront des cavités aux endroits qu'elles occupaient, tout comme les souches. Outre les branches calcareuses du cap de Bonne-Espérance, j'ai vu des moules présentant des formes identiques et provenant de Madère[4] et des Bermudes; dans ces dernières îles, à en juger d'après les spécimens rassemblés par le lieutenant Nelson, les roches calcaires environnantes sont analogues à celles du Cap et d'origine subaérienne. Si l'on tient compte de la stratification des dépôts de Bald-Head,—des couches de roche substalagmitique qui alternent irrégulièrement,—des particules arrondies et de dimension uniforme provenant probablement de coquilles marines et de coraux,—de l'abondance des coquilles terrestres dans toute la masse,—et enfin de la ressemblance absolue des moules calcaires avec les souches, les racines et les branches des végétaux qui peuvent croître sur des collines de sable, je crois, malgré l'opinion différente de certains auteurs, que l'on ne peut mettre raisonnablement en doute la vérité de la théorie que je viens d'exposer sur leur origine.

Des dépôts calcaires semblables à ceux de King George's Sound occupent une vaste surface sur les côtes de l'Australie. Le Dr Fitton fait remarquer que «pendant le voyage de Baudin on a trouvé une brèche calcaire récente (terme par lequel il désigne tous ces dépôts) sur un espace qui ne mesure pas moins de 25° en latitude et une largeur égale en longitude, sur les côtes sud, ouest et nord-ouest»[5]. Suivant M. Péron, dont les observations et les opinions sur l'origine de la matière calcaire et des moules ramifiés concordent parfaitement avec les miennes, il paraît que le dépôt est généralement beaucoup plus continu qu'aux environs de King George's Sound. L'archidiacre Scott[6] rapporte qu'à Swan River le dépôt s'étend, en un point, à 10 milles dans l'intérieur des terres. En outre, le capitaine Winckham m'a raconté que, pendant sa dernière inspection de la côte occidentale, il a observé qu'en tous les points où le navire jetait l'ancre le fond de la mer était formé d'une matière calcaire blanche, ainsi qu'il s'en est assuré en faisant descendre au fond des pinces en fer. Il semble donc que le long de cette côte, comme aux Bermudes et à l'Atoll Keeling, il se forme simultanément des dépôts sous-marins et subaériens qui se produisent par la désintégration d'organismes marins. L'étendue de ces dépôts est très remarquable en égard à leur origine, et on ne peut les comparer sous ce rapport qu'aux grands récifs coralliens de l'océan Indien et du Pacifique. Dans d'autres parties du monde, dans l'Amérique du Sud par exemple, il existe des dépôts calcareux superficiels d'une grande étendue, dans lesquels on ne peut découvrir aucune trace de structure organique. Ces observations stimuleront peut-être les recherches quant à savoir si les dépôts de cette nature ne pourraient pas être formés aussi par des débris de coquilles et de coraux.

Notes:

[1] J'ai visité cette colline avec le capitaine Fitz-Roy, et nous sommes arrivés tous les deux à la même conclusion au sujet de ces corps ramifiés.

[2] J'adopte ce terme d'après l'excellent travail du lieutenant Nelson sur les îles Bermudes (Geolog. Transactions, vol. V, p. 106) pour la pierre dure, compacte, de couleur crème ou brune, sans aucune structure cristalline, qui accompagne si souvent les accumulations calcaires superficielles. J'ai observé des bancs superficiels semblables recouverts de roche substalagmitique au cap de Bonne-Espérance, dans plusieurs parties du Chili et sur de grandes étendues à la Plata et en Patagonie. Quelques-uns de ces bancs ont été formés par la destruction de coquilles, mais l'origine du plus grand nombre d'entre eux est fort obscure. Je pense que l'on ne connaît pas les causes pour lesquelles l'eau dissout du calcaire et le redépose peu après. La surface des couches substalagmitiques parait être toujours érodée par l'eau des pluies. Comme toutes les contrées mentionnées plus haut jouissent d'une saison sèche fort longue en comparaison de la saison pluvieuse, j'aurais cru que la présence des calcaires substalagmitiques était en rapport avec le climat si le lieutenant Nelson n'avait pas découvert cette substance en voie de formation sous la mer. Les coquilles décomposées paraissent extrêmement solubles; j'en ai trouvé une excellente preuve en observant une roche curieuse de Coquimbo au Chili qui était formée de petites carapaces vides et translucides cimentées. L'examen d'une série d'échantillons montrait clairement que ces carapaces avaient contenu primitivement de petits fragments arrondis de coquilles, cimentés et enveloppés par une matière calcaire (comme cela se produit fréquemment sur le rivage de la mer) et ensuite décomposés et dissous dans l'eau qui doit avoir traversé les enveloppes calcaires sans les attaquer.—On pouvait observer toutes les phases de ce phénomène.

[3] Voir Péron, Voyage, t. I, p. 204.

[4] Le Dr J. Macaulay a donné une description complète des moules de Madère (Edinb. New Phil. Jour., vol. XXIX, p. 350). Il considère ces corps comme des coraux (s'écartant ainsi de l'opinion de M. Smith de Jordan Hill) et le dépôt calcaire comme d'origine sous-marine. Les remarques qu'il fait relativement à la structure de ces corps sont peu précises. Ses arguments s'appuient principalement sur l'abondance de la matière calcareuse et sur le fait que les moules renferment une matière d'origine animale dont la présence est démontrée par l'ammoniaque qu'ils dégagent. Si le Dr Macaulay avait vu les masses énormes de fragments de coquilles roulés qui se trouvent sur le rivage de l'île de l'Ascension et surtout sur les récifs coralliens, et s'il avait songé aux effets que l'action longtemps prolongée de vents modérés peut produire par l'amoncellement de particules fines, il aurait hésité à produire l'argument relatif à la quantité de matière, qui est rarement admissible en géologie. Si la matière calcaire provient de la décomposition de coquilles et de coraux, il fallait s'attendre à la présence de matière organique. M. Anderson a analysé un fragment de moule pour le Dr Macaulay et il a trouvé qu'il était composé comme suit:

    Carbonate de chaux 73,15
    Silice 11,90
    Phosphate de chaux 8,81
    Matière organique 4,25
    Sulfate de chaux trace.
                         ———-
                           98,11

[5] Pour des détails plus complets sur cette formation, voir Appendix to the Voyage of capitain King par le Dr Fitton. Le Dr Fitton est porté à attribuer une origine concrétionnaire aux corps ramifiés; je ferai observer que j'ai vu à la Plata, dans des lits de sable, des tiges cylindriques qui avaient incontestablement cette origine, mais elles différaient beaucoup par leur aspect des tiges de Bald-Head et des autres localités citées plus haut.

[6] Proceedings of the Geological Society, vol. I, p. 320.

CAP DE BONNE-ESPÉRANCE

Après les descriptions géologiques de cette région données par Barrow, Carmichael, Basile Hall et W.-B. Clarke, je puis me borner á quelques observations sur le contact des trois formations principales. La roche fondamentale est le granite[1]; il est surmonté de phyllade argileux, généralement dur et luisant par suite de la présence de petites paillettes de mica; le phyllade alterne avec des couches d'une roche feldspathique à structure phylladeuse, faiblement cristalline, et passe à cette roche. Ce phyllade argileux est remarquable parce qu'à certains endroits (comme à Lion's Rump) il est décomposé jusqu'à une profondeur de vingt pieds, et transformé en une roche grésiforme de couleur pâle, que certains observateurs ont prise erronément, je crois, pour une formation distincte. Le Dr Andrew Smith m'a conduit à Green-Point où l'on voit un beau contact entre le granite et le phyllade argileux; ce dernier devient un peu plus dur et plus cristallin à un quart de mille du point où le granite apparaît sur la plage (mais le granite est probablement beaucoup plus rapproché en sous-sol). A une distance plus faible quelques-uns des bancs de phyllade argileux présentent une texture homogène et sont striés de zones peu distinctes de couleurs différentes, tandis que d'autres bancs offrent des taches mal définies. A 100 yards environ de la première veine de granite, le phyllade argileux commence à présenter différentes variétés, les unes sont compactes et d'une teinte pourpre, d'autres brillantes avec de nombreuses petites paillettes de mica et du feldspath imparfaitement cristallisé; quelques-unes sont vaguement grenues, d'autres porphyriques avec de petites taches allongées d'un minéral blanc, tendre et facilement attaquable, ce qui donne à cette variété un aspect vésiculaire. Tout près du granite le phyllade argileux est transformé en une roche feuilletée de couleur sombre dont la cassure est rendue grenue par la présence de cristaux imparfaits de feldspath recouverts de petites paillettes brillantes de mica.

La ligne de contact actuelle entre la région granitique et la région du phyllade argileux s'étend sur une longueur d'environ 200 yards, et consiste en masses irrégulières et en nombreux dikes de granite enchevêtrés dans le phyllade argileux et entourés par cette dernière roche; la plupart des dikes sont dirigés du N.-W. au S.-E. suivant une ligne parallèle à la schistosité des phyllades. Lorsqu'on s'éloigne du point de contact, on ne voit plus que de minces lits et plus loin que de simples pellicules de phyllade argileux altéré, entièrement isolées, comme si elles flottaient dans le granite grossièrement cristallisé; mais, quoique complètement isolées, elles conservent toutes des traces de la schistosité dirigée N.-W.-S.-E. Ce fait a été observé dans d'autres cas du même genre et a été cité par des géologues éminents[2], comme constituant une grave objection à la théorie, généralement admise, suivant laquelle le granite a été injecté à l'état liquide; mais, si nous songeons à l'état que doit vraisemblablement présenter la surface inférieure d'une masse feuilletée comme le phyllade argileux, après qu'elle a été violemment ployée en arche par un amas de granite fondu, nous pouvons admettre qu'elle doit être pleine de fissures parallèles aux plans de la schistosité, et que ces fissures doivent s'être remplies de granite, de sorte que, partout où les fissures étaient rapprochées les unes des autres, de simples couches en forme de cloison ou des coins de phyllade resteront comme suspendus dans le granite. Par conséquent, si, plus tard, la masse rocheuse entière se désagrège et est enlevée par dénudation, les extrémités inférieures de ces masses subordonnées ou de ces coins de phyllade demeureront entièrement isolées dans le granite, elles conserveront cependant leurs plans de schistosité propres parce qu'elles ont fait partie d'un revêtement continu de phyllade argileux à l'époque où le granite était liquide.

En suivant avec le Dr A. Smith la ligne de contact entre le granite et le phyllade qui s'étend vers l'intérieur du pays dans la direction du S.-E., nous arrivâmes à un endroit où le phyllade était transformé en un gneiss à grain fin parfaitement caractérisé, composé de feldspath grenu brun jaunâtre, d'une grande quantité de mica noir brillant, et de quelques couches minces de quartz. Nous devons conclure de l'abondance du mica dans ce gneiss comparée à la faible proportion qui s'en trouve dans le phyllade luisant, et de l'extrême petitesse de ses paillettes, qu'il a été formé ici par action métamorphique,—fait qui a été mis en doute par certains auteurs, dans des circonstances à peu près identiques. Les feuillets du phyllade argileux sont droits, et il était intéressant d'observer que, quand ils prenaient le caractère gneissique, ils devenaient onduleux et quelques-uns des plus petits plis étaient anguleux, comme c'est le cas pour les feuillets d'un grand nombre de schistes métamorphiques.

Formation de grès.—Cette formation constitue le trait le plus saillant de la géologie de l'Afrique australe. Les couches sont horizontales en un grand nombre de localités, et atteignent une puissance de 2.000 pieds environ. Le caractère du grès varie; la roche contient peu de matière terreuse, mais elle est souvent tachetée par du fer; certains bancs ont le grain très fin et sont tout à fait blancs; d'autres sont aussi compacts et aussi homogènes que du quartzite. En certains endroits j'ai observé une brèche de quartz dont les fragments étaient presque entièrement fondus dans une pâte siliceuse. Il existe des veines de quartz larges et très nombreuses qui renferment souvent de grands cristaux parfaitement développés, et il est évident que dans presque toutes les couches une quantité importante de silice s'est déposée par solution. Parmi ces variétés de quartzite, la plupart offrent exactement l'aspect de roches métamorphiques; mais, comme les couches supérieures sont aussi siliceuses que celles de la base et que les contacts avec le granite sont tout à fait normaux dans tous les points que j'ai pu observer, il me semble difficile de croire que ces couches de grès aient été exposées à l'action de la chaleur[3]. J'ai constaté en plusieurs points, sur les lignes de contact entre ces deux grandes formations, que le granite était décomposé à la profondeur de quelques pouces et qu'il était remplacé soit par une mince couche d'un schiste ferrugineux, soit par une couche, épaisse de 4 ou 5 pouces, constituée par les cristaux du granite recimentés et sur laquelle reposait immédiatement la grande masse de grès.

M. Schomburgh a décrit[4] une grande formation de grès du Brésil septentrional qui repose sur le granite et ressemble d'une manière remarquable, sous le rapport de la composition et sous celui de la forme extérieure de la contrée, à cette formation du cap de Bonne-Espérance. Les grès des grands plateaux de l'Australie orientale, qui reposent aussi sur le granite, diffèrent de ceux dont nous venons de parler parce qu'ils sont moins siliceux. On n'a pas découvert de fossiles dans ces trois vastes dépôts. J'ajoute enfin que je n'ai vu aucun caillou roulé provenant de roches amenées d'une grande distance au cap de Bonne-Espérance, sur les côtes orientales et occidentales de l'Australie, ni à la Terre Van Diemen. Dans l'ile septentrionale de la Nouvelle-Zélande j'ai observé de grands blocs de greenstone, mais je n'ai pas eu l'occasion de déterminer si la roche dont ils avaient été détachés se trouvait à une grande distance de ce point.

Notes:

[1] En plusieurs endroits j'ai observé dans le granite de petites sphères à couleur sombre composées de minuscules paillettes de mica noir, dans une pâte très résistante. En un autre point j'ai rencontré des cristaux de tourmaline noire rayonnant autour d'un centre commun. Le Dr Andrew Smith a découvert dans l'intérieur du pays de beaux spécimens de granite, avec du mica blanc d'argent rayonnant ou plutôt ramifié comme de la mousse autour de points centraux. Il existe dans les collections de la Société Géologique des échantillons de granite avec du feldspath cristallisé et radié de la même manière.

[2] Voir le travail de M. Keilhau «Theory on Granite», dans l'Edinburgh New Philosophical Journal, vol. XXIV, p. 402.

[3] Le Rév. W.-B. Clarke affirme cependant, à ma grande surprise (Geological Proceedings, vol. III, p. 422), qu'en certains endroits le grès est traversé par des dikes granitiques; ces dikes doivent appartenir à une période bien postérieure à celle où le granite fondu réagissait sur le phyllade argileux.

[4] Geographical Journal, vol. X, p. 246.

APPENDICE

DESCRIPTION DE COQUILLES FOSSILES

Par G.-B. SOWERBY, Esq. F.L.S.

Coquilles provenant d'un dépôt tertiaire situé au-dessous d'une grande coulée basaltique à San Thiago dans l'archipel du Cap Vert, et mentionné à la page 5 de ce volume.

1.—Littorina Planaxis, G. Sowerby.

Testâ subovatâ, crassâ, loevigatâ, anfractibus quatuor, spiraliter strialis; aperturâ subovatâ; labio columellari infimâque parte anfractûs ultimi planatis: long. 0,6. lat. 0,45, poll.

Cette coquille a la taille et à peu près la forme d'un petit bigorneau; elle en diffère essentiellement cependant, parce que la partie inférieure de la dernière spire et la lèvre columellaire sont coupées et aplaties, comme dans les Purpurées. Parmi les coquilles récentes de la même localité il y en a une qui ressemble beaucoup à celle-ci, et qui lui est peut-être identique, mais c'est une coquille très jeune, de sorte qu'elle ne se prête pas à une comparaison minutieuse.

2.—Cerithium Aemulum, G. Sowerby.

Testâ oblongo-turritâ, subventricosâ, apice subulato, anfractibus decem leviter spiraliter striatis, primis serie unicâ tuberculorum instructis, intermediis irregulariter obsolete tuberculiferis, ultimo longe majori absque tuberculis, sulcis duobus fere basalibus instructo: labii externi margine interno intùs crenulato: long. 1,8; lat. 0,7, poll.

Cette espèce ressemble tellement à l'une des coquilles réunies par Lamarck sous le nom de Cerithium Vertagus, qu'à première vue je croyais pouvoir l'identifier avec cette dernière coquille, mais elle s'en distingue facilement parce qu'elle n'offre pas, au centre de la columelle, le pli qui est si remarquable dans l'espèce de Lamarck. Il n'y en avait qu'un seul exemplaire, et la partie inférieure de la lèvre externe lui manquait, de sorte qu'il est impossible de décrire la forme de la bouche.

3.—Venus Simulans, G. Sowerby.

Testâ rotundatâ, ventricosâ, lviusculâ, crassâ; costis obtusis, latiusculis, concentricis, antice posticeque tuberculatim solulis; areâ cardinali posticâ altérae valvae latiusculâ; impressione subumbonali posticâ circulari: long. 1,8, lat. 1,5, poll.

Coquille à caractères intermédiaires, se plaçant entre la Venus verrucosa de la Manche et la V. rosalina Rang. de la côte occidentale d'Afrique, mais qui se distingue suffisamment de ces deux espèces par ses côtes concentriques larges et obtuses, divisées en tubercules tant en avant qu'en arrière. Sa forme est aussi plus arrondie que celle de ces deux espèces.

Les coquilles suivantes, provenant de la même couche, sont connues comme espèces récentes, pour autant qu'on puisse les déterminer.

4.—Purpura Fucus. 5.—Amphidesma australe, Sowerby. 6.—Conus venulatus, Lam. 7.—Fissurella coarctata, King. 8.—Perna. Deux valves dépareillées, en si mauvais état qu'on ne saurait les déterminer. 9.—Ostrea cornucopiae, Lam. 10.—Arca ovata, Lam. 11.—Patella nigrita, Budgin. 12.—Turritella bicingulata? Lam. 13.—Strombus. Trop usé et trop mutilé pour être déterminable. 14.—Hipponyx radiata, Gray. 15.—Natica uber, Valenciennes. 16.—Pecten. Ressemble par sa forme à P. opercularis, mais s'en distingue par divers caractères. Il n'y en a qu'une seule valve, de sorte que je n'ai pas les garanties nécessaires pour pouvoir le décrire. 17.—Pupa subdiaphana, King. 18.—Trochus. Indéterminable.

COQUILLES TERRESTRES FOSSILES DE SAINTE-HÉLÈNE

Les six espèces suivantes ont été trouvées ensemble à la partie inférieure d'un lit épais de terre végétale; les deux dernières espèces, c'est-à-dire le Cochlogena fossilis et l'Hélix biplicata, ont été trouvées dans un grès calcareux très récent, avec une espèce du genre Succinea vivant actuellement dans l'île. Ces coquilles sont mentionnées à la page 108 de ce volume.

1.—Cochlogena Auris-Vulpina, De Fer.

Cette espèce est bien décrite et figurée fort exactement dans le onzième volume de l'ouvrage de Martini et Chemnitz. Chemnitz exprime des doutes quant au genre auquel il convient de la rapporter, et l'avis fortement motivé que cette coquille ne doit pas être considérée comme terrestre. Les spécimens dont il disposait avaient été achetés dans une vente publique à Hambourg, où ils avaient été envoyés par feu G. Humphrey, qui paraît avoir fort bien connu leur véritable provenance, et qui les a vendues pour des coquilles terrestres. Chemnitz cite cependant un spécimen de la collection de Spengler qui était en meilleur état que les siens, et passait pour provenir de Chine. La figure qu'il a donnée est prise d'après cet individu, qui me semble être simplement un spécimen nettoyé de la coquille de Sainte-Hélène. On comprend facilement qu'après avoir passé par deux ou trois mains une coquille originaire de Sainte-Hélène puisse avoir été vendue comme provenant de Chine, soit fortuitement, soit dans un but intéressé. Je crois qu'il est impossible qu'une coquille appartenant à cette espèce puisse avoir été réellement trouvée en Chine; et je n'en ai jamais vu une seule parmi la quantité immense de coquilles qui nous arrivent du Céleste-Empire. Chemnitz n'a pu se décider à établir un nouveau genre pour cette remarquable coquille, quoiqu'il ne pût évidemment l'assimiler à aucun des genres connus à cette époque; et bien qu'il ne la considérât pas comme terrestre, il lui donna le nom d'Auris Vulpina. Lamarck en a fait la seconde espèce de son genre Struthiolaria, sous le nom de Crenulata. Elle ne présente cependant aucune affinité avec ce genre; et on ne saurait concevoir de doutes sur l'exactitude des idées de De Ferussac, qui place cette coquille dans la quatrième division de son genre Cochlogena; Lamarck se serait montré conséquent avec ses propres principes s'il l'avait placée parmi ses Auriculae. Cette espèce présente une variété qui peut être caractérisée comme suit:

Cochlogena auris-vulpina, Var.

Testâ subpyramidali, aperturâ breviori, labio tenuiori: long. 1,68, aperturae 0,77, lat. 0,86, poll.

OBSERVATIONS.—Les proportions diffèrent ici de celles de la variété ordinaire, qui sont: longueur 1,65, longueur de la bouche 1, largeur 0,96 pouces. Faisons observer que toutes les coquilles de cette variété provenaient d'une autre partie de l'île que les spécimens cités en premier lieu.

2.—Cochlogena fossilis, G. Sowerby.

Testâ oblongâ, crassiusculâ, spirâ subacuminatâ, obtusâ, anfractibus senis, subventricosis, leviter striatis, suturâ profunde impressâ; aperturâ subovatâ; peritremate continuo, subincrassato; umbilico parvo: long. 0,8, lat. 0,37, poll.

Cette espèce a la taille de C. Guadaloupensis, mais s'en distingue facilement par la forme des spires et parce que la suture est profondément marquée. Les proportions varient un peu pour les divers spécimens. Cette espèce n'a pas été trouvée par M. Darwin, mais provient de la collection de la Société géologique.

1.—Cochlicopa subplicata, G. Sowerby.

Testâ oblongâ, subacuminato-pyramidali, apice obtuso, anfractibus novem loevibus, postice subplicatis, suturâ crenulatâ; aperturâ ovatâ, postice acutâ, labio externo tenui; columellâ obsolete subtruncatâ; umbilico minimo: long. 0,93, lat. 0,28, poll.

Cette espèce et la suivante sont rangées dans le sous-genre Cochlicopa de De Ferussac, parce qu'elles se rapprochent beaucoup de sa Cochlicopa Folliculus. Elles en sont cependant toutes les deux parfaitement distinctes au point de vue spécifique, car elles sont beaucoup plus grandes que C. Folliculus et ne sont pas brillantes et lisses comme cette dernière coquille que l'on trouve dans le Midi de l'Europe et à Madère. On a trouvé quelques coquilles très jeunes et un oeuf qui appartiennent, je pense, à cette espèce.

2.—Cochlicopa terebellum, G. Sowerby.

Testâ oblongâ, cylindrâceo-pyramidali, apice obtusiusculo, anfractibus septenis, loevibus; suturâ postice crenulatâ; aperturâ ovali, postice acutâ, labio externo tenui; antice declivi; columellâ obsolete truncatâ, umbilico minimo: long. 0,77, lat. 0,29, poll.

Cette espèce diffère de la précédente parce que sa forme est plus cylindrique, et qu'à l'état de développement complet elle est presque entièrement débarrassée des plis obtus des spires postérieures; elle s'en distingue aussi par la forme de la bouche. Dans cette espèce les jeunes coquilles sont striées longitudinalement et elles présentent quelques plis longitudinaux fortement usés.

1.—Hélix Bilamellata, G. Sowerby.

Testâ orbiculato-depressâ, spirâ planâ, anfractibus senis, ultimo subtus ventricoso, superne angulari; umbilico parvo; aperturâ semilunari, superne extus angulatâ, labio externo tenui; interno plicis duabus spiralibus, posticâ majori: long, 0,15, lat. 0,33, poll.

Les jeunes coquilles de cette espèce ont des proportions très différentes de celles dont nous avons parlé plus haut, car leur axe est presque égal à leur longueur. Le plus grand spécimen est blanc avec des raies irrégulières couleur de rouille. Cette espèce s'écarte beaucoup de toutes les espèces récentes que nous connaissions, quoiqu'elle semble avoir quelque analogie avec plusieurs d'entre elles, telles que Hélix epistylium ou Cookiana, et H. gularis; pourtant, dans ces deux espèces, les plis spiraux internes sont placés sur la face interne de la paroi externe de la coquille, et non sur la lame interne comme chez l'Helix bilamellata. Il existe une autre espèce récente assez analogue à celle-ci; elle n'a pas encore été décrite et diffère de Bilamellata et de Cookiana parce qu'elle possède quatre plis spiraux internes dont deux sont placés sur la face interne de la paroi extérieure, et deux sur la paroi interne de la coquille; elle a été rapportée de Tahiti par le Beagle.

2.—Hélix polyodon, G. Sowerby.

Testa orbiculato-subdepressâ, anfractibus sex, rotundatis, striatis; aperturâ semilunari, labio interno, plicis tribus spiralibus, posticis gradatim majoribus, externo inlus dentibus quinque instructo; umbilico mediocri, long. 0,07, lat. 0,10, poll.

Cette espèce se rapproche plus ou moins de Hélix contorta de De Ferussac, Moll. terr. et fluv. Pl. 51. A, fig. 2; mais en diffère par plusieurs détails.

3.—Hélix spurca, G. Sowerby.

Testâ suborbiculari, spirâ subconoïdeâ, obtusâ; anfractibus quatuor turnidis, substriatis; aperturâ magnâ, peritremate tenui; umbilico parvo, profundo; long. 0,1, lat. 0,13, poll.

Se distingue facilement de l'Helix polyodon par sa bouche large et dépourvue de dents.

4.—Hélix biplicata, G. Sowerby.

Testâ orbiculato-depressâ, anfractibus quinque rotundatis, striatis; aperturâ semilunari, labio interno, plicis duobus spiralibus, posticâ majori; umbilico magno; long. 0,04, lat. 0,1, poll.

Cette espèce doit être considérée à cause de sa forme, comme parfaitement distincte de Hélix bilamellata; l'ombilic est beaucoup plus grand, le sommet n'est pas aplati, et le bord postérieur de chaque spire n'est pas; anguleux. Il convient de rapporter à cette espèce des spécimens qu'on a trouvés associés aux espèces précédentes, et à Coclogena fossilis qui est, à son tour, associée à une Succinée actuellement vivante, dans le grès calcarifère moderne.

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