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Panouille

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DEUXIÈME PARTIE

I

Il n’est pas besoin de motifs extraordinaires pour qu’un homme devienne célèbre. Désirant la gloire que dispensent les journaux, Panouille ne l’eût probablement pas obtenue. Elle vint à lui, généreuse et bruyante. Huit jours après les incidents minimes qui avaient troublé une chambre d’artilleurs, puis une batterie, puis un régiment, puis toute la garnison et toute cette ville de province dont la population industrielle affectait de ne pas aimer les militaires, le nom de Panouille avait été imprimé par le plus petit des hebdomadaires de France et livré à la curiosité publique. Et, selon la couleur des gazettes, Panouille avait été présenté comme un martyr ou comme un misérable, et une partie de l’opinion l’élevait au rang des héros du prolétariat, tandis qu’une autre le rabaissait au niveau des tristes individus qui ne valent pas la corde dont on doit les pendre.

L’affaire, étant obscure, excitait les passions. Certains parlaient des temps proches sur un ton d’amertume et de menace, et certains déploraient la faiblesse d’un gouvernement qui mettait le pays à la merci d’aventuriers dangereux. Les deux communiqués que le Ministère de la Guerre avait rédigés afin de dissiper le malentendu naissant, n’avaient rien dissipé.

— On sait bien, se disait-on, qu’un démenti officiel n’est qu’un aveu.

Et les journaux des différents partis politiques s’étaient enflammés de plus belle.

Les détails de l’affaire, il est vrai, pouvaient permettre toutes les hypothèses et toutes les déductions. Dès le début, un homme était mort, tué, à cause de Panouille, de chaque côté de la barricade : un ouvrier, et le capitaine qui connaissait mieux que personne la vérité. Les différents partis en profitèrent de leur mieux.

Pendant trois semaines, la ville, qu’un simple mot lancé par Panouille avait placée en vedette, fut animée de manifestations et de patrouilles. Des cortèges d’ouvriers en grève parcouraient les rues désertes dont les maisons bourgeoises, volets clos, semblaient inhabitées. Ou bien des pelotons de chasseurs faisaient sonner les fers de leurs chevaux sur les pavés, tandis qu’à d’autres heures des sections d’infanterie se hâtaient en cadence ; mais soldats et grévistes évitaient de se rencontrer. Et, malgré l’arrivée de deux nouveaux bataillons, ce bonheur des rencontres évitées avait peu à peu fatigué l’arrogance des grévistes et la colère des soldats. Après trois semaines de cortèges, de chants, de défilés, de cris, les ouvriers avaient repris le chemin des usines, et l’on ne voyait plus de patrouilles dans les rues qui se réveillaient timidement. Si bien qu’on put de part et d’autre se féliciter que les obsèques rivales des deux victimes du début se fussent déroulées dignement, sans bagarre ; et le succès avait été d’autant plus difficile que, par déférence, le maire et le général s’étaient fait représenter à l’enterrement du manifestant tué, tandis qu’une délégation d’ouvriers avait suivi le corbillard du capitaine, — double déférence qui, dans de telles conjonctures, risquait d’être de part et d’autre mal accueillie et d’entraîner des protestations mauvaises.

Le Gouvernement était d’ailleurs intervenu. A la Chambre des Députés, le Président du Conseil déclarant qu’une enquête sévère était menée et que la justice suivrait son cours, la demande d’interpellation du communiste Vaillant-Couturier avait été renvoyée à la suite.

D’être nommé par de si hauts personnages à la tribune de la Chambre, pouvait enorgueillir dans sa cellule l’humble Panouille. Panouille en fut plutôt d’abord vaguement effrayé. De tant de complications imprévues, il n’augurait rien de bon. Il savait de science plus certaine qu’il passerait devant les officiers du conseil de guerre et il eût préféré passer devant eux en accusé moins illustre. A ce bruit dont on entourait sa chétive personnalité, il dut cependant un avantage : transféré des locaux disciplinaires du régiment à la prison militaire de la ville, il fut traité avec plus d’égards assurément que s’il n’eût été qu’un soldat entre les soldats, au lieu d’être Panouille. Mais il était Panouille.

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