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Panouille

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A POL NEVEUX

PREMIÈRE PARTIE

I

— Fixe !

— Repos.

Les hommes ayant pris l’attitude commandée, le lieutenant Calorgne salua, s’immobilisa, pieds joints, au milieu de la chambre, regarda l’un après l’autre les canonniers en bourgeron fichés sur place, parut satisfait, puis se donna un coup de cravache sur la jambière et, n’ayant dans la voix ni dans l’allure plus rien d’un chef qui veut imposer, il prononça :

— Autour de moi, rassemblement.

Il s’était assis au pied du lit le plus proche.

— Vise-le ! murmura Rechin derrière le brigadier. Il va faire son petit capitaine.

Le capitaine Joussert avait en effet accoutumé de s’asseoir au pied d’un lit, lorsque, passant dans les chambres, il désirait haranguer familièrement ses canonniers. Mais, ce que les hommes acceptaient de leur capitaine comme une marque spontanée de bienveillance, ils le tournaient à singerie de la part du lieutenant. Car ils savaient que le lieutenant Calorgne n’était sorti ni de Polytechnique ni de Versailles et qu’il n’avait dû son galon de sous-lieutenant qu’aux hasards de la guerre, où il n’avait accompli aucune action d’éclat.

Un bruit de voix venait de la pièce voisine.

— Fermez la porte ! cria le lieutenant Calorgne.

Et il sacra pour souligner son ordre.

Une vingtaine d’hommes, le calot à la main, se pressaient devant lui, curieux. Il eut un geste découragé.

— Mes amis, commença-t-il.

Pour la troisième fois, il recommençait le discours qu’il avait déjà tenu devant les hommes de la première, de la deuxième et de la troisième pièce.

— Mes amis, dit-il sans enthousiasme, vous connaissez les événements du Sud-Algérien. Les dernières nouvelles sont excellentes. L’attaque des Beni-Aïn a échoué complètement.

Il répéta :

— Complètement.

Et il ôta son képi noir galonné d’or qu’il posa à côté de lui.

— Néanmoins, continua-t-il, et il avait l’air ragaillardi de se servir de ce mot, la situation ne laisse pas d’être sérieuse.

Rien ne fixe l’attention d’une assemblée mieux qu’une phrase vague, sourde, chargée de menaces et de réticences, et qui dupe d’abord celui qui la lâche avec une circonspection inquiétante. Devant le lieutenant Calorgne, les vingt hommes de la quatrième pièce ouvraient des yeux inquiets. Il y retrouva un peu d’assurance pour achever sans variantes notables le discours qu’il avait déjà tenu aux hommes de la première, de la deuxième et de la troisième pièce. A quoi tendait-il ? A recruter des volontaires pour la campagne du Sud-Algérien.

Les visages demeuraient impénétrables. Le lieutenant Calorgne pataugeait dans de longues considérations sur la qualité des armements du caïd Abd El Kracine.

— Abd El Kracine, disait-il à chaque retour de phrase.

Et il prononçait ce nom comme on prononçait en France le nom de Guillaume II au début de la guerre de 1914.

— La guerre ! disait aussi le lieutenant Calorgne.

Et il prononçait ce mot comme d’autres prononcent le mot Dieu. Après quoi, il s’oubliait à rappeler un des premiers engagements de 1914 auxquels il avait assisté, en Belgique, près de Roselies. Ce qui l’amenait à célébrer la fraternité véritable des soldats de la grande guerre, puis, par une pente naturelle, à demander que l’exemple des aînés fût suivi et que de nombreux volontaires se fissent inscrire, afin d’aider à la relève nécessaire des troupes du Sud-Algérien et pour permettre aux camarades harassés de goûter un repos qui leur était bien dû.

A mesure qu’il parlait, le lieutenant Calorgne, en dépit des lieux communs qu’il dévidait avec application, s’échauffait et devenait pressant. Pas un homme cependant ne levait la main ou ne faisait un pas vers lui.

— Réfléchissez, dit le lieutenant Calorgne. Agissez selon votre conscience. La patrie a besoin de vous.

Il se leva. Les hommes s’écartèrent pour le laisser partir.

— Rompez ! commanda-t-il.

Puis, s’étant recoiffé, et plus familièrement :

— Au revoir, dit-il.

Mais il ne semblait pas ravi de son succès.

Or, comme il allait sortir, un canonnier entra, qui avait poussé la porte avec violence. L’homme traînait un paquet de brides et de bricoles. Il paraissait furieux. En apercevant le lieutenant, il s’immobilisa.

— Hé ! Panouille ! lui cria Rechin, au milieu du brouhaha que provoquaient le départ du lieutenant et l’arrivée brusque de ce Panouille. Tu veux aller en Algérie ?

Troublé, mais toujours furieux, Panouille, sans hésiter, répondit :

— Du flan.

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