Paula Monti, Tome II: ou L'Hôtel Lambert - histoire contemporaine
CHAPITRE XV.
LE LIVRE NOIR.
Deux jours après la première entrevue de madame de Hansfeld et de M. de Morville au bal de l'Opéra, Iris avait apporté, selon sa promesse, le livre noir à M. de Brévannes; celui-ci y avait lu les lignes suivantes, attribuées à la princesse:
«Je suis si troublée de cet entretien, que je puis à peine rassembler mes souvenirs; j'ai peur de me rappeler ce que j'ai promis à M. de Brévannes, ce que je lui ai laissé deviner, peut-être....
«Quelle est donc la puissance de cet homme? J'étais allée là bien résolue d'être pour lui d'une froideur impitoyable; à peine l'ai-je vu... que j'ai oublié tout... jusqu'à ses menaces....
«Quelle fatalité l'a donc, pour mon malheur, ramené ici?...
«Non, non, je ne l'aimerai pas....
«Je me fais horreur à moi-même.... Comment! en présence du meurtrier de Raphaël... je n'ai ressenti ni haine ni fureur.... Oh! honte sur moi! il a remarqué ma faiblesse....
«Hélas! que faire?... Lorsque j'entends sa voix, lorsque son ardent regard... s'attache sur moi... mes résolutions les plus fermes m'abandonnent... je ne pense qu'à l'écouter... qu'à le contempler....
«Il est si beau de cette beauté virile et hardie qui, la première fois que je l'ai vu, m'a laissé une impression profonde... ineffaçable.... Tout en lui, annonce un de ces hommes passionnément énergiques qui aiment... comme je saurais aimer... comme je n'ai jamais été aimée.... Oh! si ma volonté et la sienne étaient unies... à quel terme de félicité n'arriverions-nous pas!...
«Béni soit ce livre... je puis lui dire ce que je n'oserais dire à aucune créature humaine... ce que je n'oserais même relire tout haut....
«Il m'a demandé de me présenter sa femme.... D'avance, je la hais... c'est pourtant à elle que je devrai de recevoir un jour son mari... mais cette obligation m'irrite contre elle; c'est son bonheur que j'envie... elle porte le nom de cet homme qui exerce sur moi une si incroyable influence... ce nom que maintenant je ne puis entendre sans trouble.... Oh! cette femme, je la hais, je la hais... elle est trop heureuse!
«Après tout, pourquoi rougir de mon amour? Il ne sera jamais coupable... car il ne sera jamais heureux....
«Mon ambition de cœur est trop grande... jamais lui ne saura ce qu'il aurait pu être pour moi, si tous deux nous eussions été libres! Oh! quel rêve! quel paradis!
«La passion que j'éprouve est trop puissante, trop immense, pour descendre jusqu'aux mensonges auxquels nous serions réduits, lui et moi, si nous cherchions les plaisirs d'un amour vulgaire.... Non, non... lui appartenir au grand jour, à la face de tous, porter noblement et fièrement son nom... ou ensevelir mon malheureux amour au plus profond de mon cœur... aucune puissance humaine ne me fera sortir de l'une de ces deux alternatives....
«Or, comme lui et moi portons les chaînes du mariage... chaînes bien lourdes!... or, comme le hasard; en libérant l'un de nous deux, ne libérerait pas l'autre... ma vie ne sera qu'un long regret, qu'un long supplice.... Ce que je dis est vrai; je n'ai aucun intérêt à me mentir à moi-même.... Je connais assez la fermeté de mon caractère pour être sûre de ma résolution....
«Et puis, lui aussi a tant de volonté, tant d'énergie, que c'est être digne de lui que de l'imiter dans son énergie, dans sa volonté, lors même qu'elles seraient employées à lui résister....
«Oh! il ne sait pas ce que c'est de pouvoir se dire qu'on a résisté à un homme comme lui.
«J'éprouve un charme étrange à me rendre ainsi compte des pensées qu'il ignorera toujours, à être dans ces confidences muettes aussi tendre, aussi passionnée pour lui que je serai froide, réservée en sa présence; je suis contente de ma dernière épreuve a ce sujet.... De quel air glacial je l'ai reçu!
«Mais aussi quel courage il m'a fallu!... Sans la présence d'Iris, j'eusse été plus froide encore; mais, la sachant là, j'étais rassurée contre moi-même.
«Cette jeune fille m'inquiète, elle m'entoure de soins; pourtant je ne sais quel vague pressentiment me dit qu'il y a de l'hypocrisie dans sa conduite. Elle est sombre, distraite, préoccupée; que lui ai-je fait? Quelquefois, il est vrai, dans un accès de tristesse et de morosité, je la rudoie.... J'y songerai... je la surveillerai.
«Que viens-je d'apprendre?... Non, non, c'est impossible... l'enfer n'a pas voulu cela....
«Sa femme.... Berthe de Brévannes, lui serait infidèle!...
«Si les preuves qu'on vient de m'apporter étaient vraies....
«Oh! il est indignement joué... La misérable!... avec son air doux et candide... elle ne sent donc pas ce que c'est que d'être assez heureuse, assez honorée pour porter son nom? Lui!... lui trompé... comme le dernier des hommes... lui raillé, moqué peut-être.... Je ne sais ce que je ressens à cette idée, qui ne m'était jamais venue.
«Oh! je suis folle... folle... ce n'est pas de l'amour, c'est de l'idolâtrie.»
Le mémento supposé de madame de Hansfeld avait été perfidement interrompu à cet endroit.
En lisant les derniers mots, qui avaient rapport à une prétendue infidélité de Berthe, M. de Brévannes bondit de douleur et de rage.
Par cela même que la lecture de la première partie de ce journal l'avait plongé dans tous les ravissements de l'orgueil, et de l'orgueil exalté jusqu'à sa dernière puissance, ce contre-coup lui fut plus douloureux encore; il ne se posséda pas de fureur en pensant qu'il jouait peut-être un rôle ridicule aux yeux de Paula; il connaissait assez les femmes pour savoir que s'il leur est doux, très doux, d'enlever un mari ou un amant à un cœur fidèle, elles se soucient médiocrement de servir de vengeance, de représailles à un homme qu'on a trompé.
Iris elle-même avait été effrayée de l'expression de colère et de haine qui contracta les traits de M. de Brévannes lorsqu'il eut lu ce passage du livre noir; elle quitta le mari de Berthe, bien certaine d'avoir frappé où elle voulait frapper.
En effet, elle laissa M. de Brévannes dans un état d'exaltation impossible à décrire.
D'un côté, il se flattait d'être aimé par madame de Hansfeld avec une incroyable énergie; mais il avait presque la certitude de ne pouvoir rien obtenir d'une femme si résolue, qui puisait dans la violence même de son amour la force de résistance qu'elle comptait déployer, voulant et croyant fermement prouver sa passion par des refus opiniâtres dont elle se glorifiait.
D'un autre côté, son sang bouillonnait de courroux en songeant que Berthe le trompait, qu'il était peut-être déjà l'objet des sarcasmes du monde. Les moindres circonstances de son entretien avec sa femme lui revinrent à l'esprit, il y trouva la confirmation des soupçons que quelques lignes du livre noir venaient d'éveiller.
Il ne savait que résoudre. Le lendemain il devait présenter sa femme chez madame de Hansfeld; il lui fallait donc ménager Berthe jusqu'après cette présentation, qu'il regardait comme si importante pour l'avenir de son amour; mais comment se contraindrait-il jusque là, lui toujours habitué de faire sous le moindre prétexte supporter à sa femme ses accès d'humeur?
Il s'épuisait à chercher quel pouvait être le complice de madame de Brévannes; après de mûres réflexions, se souvenant des goûts retirés que Berthe avait récemment affectés, il se persuada que celle-ci s'abandonnait à quelque obscur et vulgaire amour.
Iris, avec une infernale sagacité, avait justement dans le livre noir fait insister Paula sur le bonheur et sur l'orgueil qu'elle aurait à porter le nom de M. de Brévannes.... Et c'était ce nom que Berthe déshonorait.
Le piège était trop habilement tendu pour que cet homme vain, jaloux, orgueilleux, et d'une méchanceté cruelle lorsqu'on blessait son amour-propre, pour que cet homme, disons-nous, n'y tombât pas, et n'entrât pas ainsi dans un ordre d'idées nécessaires au plan diabolique d'Iris....
En effet, après avoir passé par tous les degrés de la colère et s'être mentalement abandonné aux menaces les plus violentes contre Berthe et son complice inconnu, tout à coup M. de Brévannes sourit avec une sorte de joie féroce; il se calma, s'apaisa, plus que satisfait de la trahison de Berthe; il n'eut plus qu'une crainte... celle de ne pas pouvoir se procurer des preuves flagrantes de son déshonneur.
Il jugea nécessaire à ses projets de cacher à madame de Brévannes la dénonciation qu'il avait reçue, pour épier ses moindres démarches; il voulait l'endormir dans la plus profonde sécurité.
Aussi, le lendemain (jour de la présentation de Berthe à madame de Hansfeld) M. de Brévannes entra chez sa femme, après s'être fait précéder d'un énorme bouquet et d'une charmante parure de fleurs naturelles.
CHAPITRE XVI.
CONVERSATION.
Berthe, peu accoutumée à de telles prévenances de la part de M. de Brévannes, fut doublement surprise de ce cadeau de fleurs, surtout après la scène de la veille, scène dans laquelle son mari s'était montré si grossier.
Elle fut non moins étonnée de son air contrit et doucereux; mais dans son ingénuité elle se laissa bientôt prendre au faux sourire de bonté qui tempérait à ce moment la rudesse habituelle des traits de M. de Brévannes.
Quoiqu'elle eût fait son possible pour ne pas aller à l'hôtel Lambert dans la crainte d'y rencontrer M. de Hansfeld, Berthe se sentait intérieurement coupable de cacher à son mari les entrevues qu'elle avait eues chez Pierre Raimond avec Arnold; aussi s'exagérait-elle encore ses torts à la moindre bonne parole de M. de Brévannes.
Ce fut donc presque avec confusion qu'elle le remercia des fleurs qu'il lui avait envoyées.
—En vérité, Charles—lui dit-elle—vous êtes mille fois bon, vous me gâtez... ce bouquet était magnifique, cette parure de camélias est de trop.
—Vous avez raison, ma chère amie, vous n'avez pas besoin de tout cela pour être charmante... mais je n'ai pu résister au désir de vous envoyer ces fleurs, malgré leur inutilité; je suis ravi que cette légère attention vous ait fait plaisir.... J'ai tant à me faire pardonner....
—Que voulez-vous dire?
—Sans doute: hier, n'ai-je pas été brusque, grondeur?... N'ai-je pas enfin fait tout ce qu'il fallait faire pour être exécré? Mais les maris sont toujours ainsi.
—Je vous assure, Charles, que j'avais complètement oublié....
—Vous êtes si bonne et si généreuse.... Vraiment quelquefois je ne sais comment j'ai pu méconnaître tant de précieuses qualités....
—Charles... de grâce.
—Non vraiment... cela m'explique l'incroyable, l'aveugle confiance que j'ai toujours eue en vous, à part quelques accès de jalousie sans motif, bien entendu.... Tenez, vous ne sauriez croire combien surtout notre conversation d'hier a augmenté ma confiance en vous.
—Mon ami....
—Dans le premier moment, je l'avoue... la franchise de vos craintes m'a un peu effrayé; mais depuis, en y réfléchissant, j'y ai trouvé au contraire les plus sérieuses garanties pour l'avenir, et une preuve de plus de votre excellente conduite....
—Je vous en prie, ne parlons plus de cela—dit Berthe avec un embarras qui n'échappa pas à son mari.
—Au contraire, parlons-en beaucoup, ce sera ma punition, car j'avoue mes torts.... J'étais stupide de me fâcher de votre loyauté! Pourquoi n'aurait-on pas la modestie de l'honneur comme la modestie du talent? Si je vous avais priée de chanter dans un salon, devant un nombreux public, m'auriez-vous dit:—Je suis certaine de chanter admirablement bien?... Non, vous eussiez manifesté toutes sortes de craintes.... Et pourtant il est certain que peu de talents égalent le vôtre.... Eh bien! vous m'avez parlé avec la même modestie de votre future condition dans le monde où je vous oblige d'aller, vous m'avez dit avec raison: «—J'ai le désir de rester fidèle à mes devoirs, mais je redoute les séductions et les périls qui entourent ordinairement une jeune femme, et j'aime mieux fuir ces dangers que les combattre....»
—Encore une fois, je vous en prie, oublions tout ceci—dit Berthe véritablement émue et touchée de la bonté de son mari.
—Oh! je ne vous céderai pas sur ce point—reprit celui-ci—je vous prouverai que je m'obstine dans le bien comme dans le mal; ma franchise égalera votre loyauté... ce qui n'est pas peu dire, et vous saurez aujourd'hui ce que je vous ai tu hier.
—Quoi donc?
—Je vous parle rarement de mes affaires... mais cette fois vous m'excuserez si j'entre dans quelques détails.
—Mon Dieu... je vous prie....
—Un des parents de madame la princesse de Hansfeld est très haut placé en Autriche et peut me servir beaucoup en faisant obtenir d'importants priviléges à une compagnie industrielle qui se forme à Vienne et dans laquelle j'ai des capitaux engagés. En me faisant présenter à la princesse, en vous priant d'être aimable pour elle, vous le voyez, j'agis un peu par intérêt... mais cet intérêt est le vôtre... puisqu'il s'agit de notre fortune.
—Mon Dieu, pourquoi ne m'avoir pas dit cela hier?
—Je vous l'aurais dit probablement; mais la persistance de vos refus à propos de cette présentation m'a contrarié. Vous savez que j'ai un très mauvais caractère; ma tête est partie... nous nous sommes séparés presque fâchés, et je n'ai pas eu l'occasion de vous apprendre ce que je voulais vous dire.
—S'il en est ainsi, Charles, croyez que je ferai tout mon possible pour être agréable à la princesse, puisqu'il s'agit de vos intérêts; j'aurai de la sorte un but en allant chez elle, et je redouterai beaucoup moins les périls que j'ai la vanité de craindre.
—Voyez, ma chère enfant, ce que c'est que de s'entendre, comme toutes les difficultés s'aplanissent.... Oh! que je m'en veux de ma vivacité; on s'explique si mal quand on est fâché! Mais tenez, puisque nous sommes en confiance, laissez-moi vous parler à cœur ouvert.
—Je vous en prie... si vous saviez combien je suis touchée de ce langage si nouveau pour moi.
—C'est que le sentiment que j'éprouve pour vous est aussi presque nouveau pour moi.
—Charles, je ne vous comprends pas.
Après un moment de silence, M. de Brévannes reprit:
—Écoutez-moi, ma chère enfant. On aime sa femme de deux façons, comme maîtresse ou comme amie. Pendant longtemps je vous ai aimée de la première façon. Des torts que je ne veux pas nier, mais que vous avez punis par une décision irrévocable, ne me permettent plus de vous aimer que comme amie; mais pour passer de l'un à l'autre de ces deux sentiments, la transition est pénible... surtout lorsqu'il faut renoncer à une aussi charmante maîtresse.
—De grâce....
—Le sacrifice est fait... c'est à mon amie, à ma sincère amie que je parle, que je parlerai désormais.
M. de Brévannes dissimula si parfaitement ses mauvais desseins, et dit ces mots d'une voix si pénétrante, qu'une larme roula dans les yeux de Berthe; un aveu de ses torts lui vint aux lèvres. Elle prit la main de son mari, la serra cordialement entre les siennes et répondit:
—Et désormais votre amie fera tout au monde pour être digne de....
—Assez, ma chère enfant—dit M. de Brévannes en interrompant Berthe;—je sais tout ce que vous valez... et qu'on est toujours sûr d'être entendu lorsqu'on s'adresse à votre délicatesse.... Mais permettez-moi de terminer ce que j'ai à vous dire.... Par cela même qu'il y a deux manières d'aimer sa femme, il y a deux manières d'en être jaloux..
—Je ne vous comprends pas, mon ami.
C'est ce que je crains, surtout à propos de quelques-unes de mes paroles d'hier que vous avez peut-être mal interprétées.
—Comment?
—Sans doute; malheureusement notre entretien est monté tout à coup sur un ton si haut que tout s'est élevé en proportion; quand je vous parlais de la différence de la jalousie, de l'amour et de l'amour-propre, je voulais dire que l'on n'est pas jaloux de la même façon lorsque votre femme est votre amie au lieu d'être votre maîtresse; dans le premier cas, le cœur souffre; dans le second, c'est l'orgueil; et malheureusement l'orgueil n'a pas, comme l'amour, de ces retours de tendresse qui calment et adoucissent les blessures les plus douloureuses... me comprenez-vous?
—Mais....
—Pas encore, je le vois. Je voudrais vous parler plus franchement... mais je crains de mal m'expliquer et de vous choquer peut-être.
—Parlez... ne craignez rien.
—Eh bien, écoutez-moi, ma chère enfant. Depuis longtemps vous n'êtes plus pour moi qu'une amie; mais vous avez à peine vingt-deux ans. Ces séductions dont vous parlez, vous avez raison de les craindre; personne plus que vous ne peut y être exposée... car ma conduite envers vous, je ne le nie pas, pourrait sinon autoriser, du moins excuser vos fautes.
—Ah! monsieur... pouvez-vous penser?...
—Laissez-moi achever.... Si j'ai toujours le droit d'être, comme je le suis, horriblement jaloux par orgueil, c'est-à-dire jaloux des dehors, des apparences de votre conduite, j'ai malheureusement perdu le droit d'être jaloux de votre cœur; j'ai seul causé votre refroidissement par mes infidélités, par mes duretés. Il serait donc souverainement injuste et absurde de ma part, je ne dirai pas d'exiger, mais d'espérer qu'à votre âge votre cœur soit à tout jamais mort pour l'amour.
Berthe regarda son mari avec stupeur.
—Tout ce que je demande, tout ce que j'ai le droit d'attendre de mon amie—reprit-il—et à ce sujet elle me trouverait inexorable, c'est, par sa conduite extérieure, de respecter aussi scrupuleusement l'honneur de mon nom que si elle m'aimait comme le plus aimé des amants; en un mot, ma chère enfant, votre vie publique m'appartient parce que vous portez mon nom... la vie de votre cœur doit être murée pour moi, puisque j'ai perdu le droit d'y être intéressé. Tout ce que je vous dis semble vous étonner; pourtant, réfléchissez bien; souvenez-vous de notre conversation d'hier, et vous verrez que je vous dis à peu près les mêmes choses... le ton seul diffère.... Pour me résumer en deux mots, de ce jour vous avez votre liberté complète, absolue; vous vous appartenez tout entière... nous sommes séparés sinon de droit, du moins de fait. Mais par cela même que cette liberté intime est plus absolue, vous devez pousser jusqu'au dernier scrupule la stricte observation de vos devoirs apparents; et, je vous le répète, autant vous me trouverez tolérant ou plutôt ignorant à propos de vos intérêts de cœur, autant vous me trouverez rigoureux, impitoyable à l'endroit du respect des convenances. Méditez bien ceci, ma chère enfant; dès aujourd'hui nos positions sont nettement tranchées. J'aurai sans doute plutôt besoin que vous de cette tolérance mutuelle à laquelle nous venons de nous engager pour nos affaires de cœur... mais je n'en suis pas encore aux confidences; et plus tard j'aurai peut-être à solliciter l'indulgence de mon amie. A propos d'indulgence, je vous demanderai bientôt la permission de vous quitter et de vous laisser seule.... D'ici à peu de jours je partirai pour un voyage très court, mais très important....
—Vous partez... vous partez... dans ce moment?...
—Pour très peu de temps, vous dis-je, une ou deux semaines au plus.... Des affaires urgentes.... Mais pendant ce temps je vous confierai mes intérêts auprès de madame de Hansfeld, bien certain qu'ils ne peuvent être mieux placés qu'entre vos mains.... Allons, ma chère enfant, à tantôt. Faites-vous bien belle; car si je n'ai plus ma vanité d'amant, j'ai ma vanité de mari.
Ce disant, M. de Brévannes baisa Berthe au front et sortit.
Quelques moments de plus, sa haine et sa rage éclataient malgré lui.
Les mille émotions qui s'étaient peintes sur la candide physionomie de Berthe pendant que son mari parlait, l'espèce de joie involontaire dont elle avait eu honte un moment après, mais qu'elle n'avait d'abord pu cacher lorsqu'il lui avait rendu sa liberté; son inquiétude vague, ses espérances tour à tour éveillées et contenues, tout avait éclairé M. de Brévannes sur la position du cœur de Berthe.
Il n'en doutait plus, elle aimait; il était trop sagace pour s'y tromper.
Il avait un rival... sa femme le trompait.
Ce fut donc avec une secrète et sombre satisfaction qu'il s'applaudit d'avoir plongé madame de Brévannes dans la plus complète, dans la plus profonde sécurité.
FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE.
TROISIÈME PARTIE.
CHAPITRE XVII.
RÉSOLUTION.
La passion de madame de Hansfeld pour M. de Morville avait encore augmenté depuis sa dernière entrevue au bal de l'Opéra.
Cet amour était chez Paula un bizarre mélange de nobles exaltations et de funestes arrière-pensées. Elle aurait cru avilir l'homme qu'elle aimait, en souffrant qu'il se parjurât, et elle était résolue sinon d'ourdir, du moins de laisser tramer par Iris un complot infernal contre les jours de son mari, pour pouvoir épouser M. de Morville, sans que celui-ci faillît à son serment.
En vain Paula restait étrangère à cette machination, dont elle entrevoyait à peine les résultats; elle sentait, à la violence même de ses hésitations, de ses craintes, de ses remords anticipés, quelle part criminelle elle prenait dans cette épouvantable action, uniquement conçue dans l'intérêt de son amour.
Chose étrange pourtant!... Si les révélations d'Iris avaient eu lieu quelques mois plus tôt, alors, que le prince éprouvait toute la première ardeur de sa passion pour Paula, passion à la fois si aveugle et si clairvoyante, qu'elle ne pouvait s'affaiblir par l'apparente évidence des crimes de sa femme, dont il pressentait l'innocence; si les révélations d'Iris, disons-nous, avaient eu lieu, lorsque le seul obstacle que Paula pût opposer à l'amour du prince était le souvenir de Raphaël.... Raphaël toujours regretté, toujours adoré; qu'arrivait-il?
Arnold apprenait l'innocence de Paula; Paula, l'indigne tromperie de Raphaël.
Que de chances alors pour que madame de Hansfeld partageât l'amour du prince qui méritait tant d'être aimé, qui s'était montré si vaillamment épris! A force de soins, de tendresse, il se serait fait pardonner des soupçons dont il avait le premier si généreusement souffert; Paula eût reconnu combien il avait, en effet, fallu de passion, d'opiniâtre passion à son mari pour continuer de l'aimer malgré de si funestes apparences: la vie la plus heureuse se fût alors ouverte devant elle, devant lui.
Malheureusement, les révélations d'Iris avaient été trop tardivement forcées; plus malheureusement encore M. de Hansfeld aimait Berthe, et madame de Hansfeld M. de Morville. Ce double et fatal amour rendait leur position intolérable.
Madame de Hansfeld devait rester à jamais enchaînée à un homme qui ne l'aimait plus; cet homme aimait une autre femme; et pour faire oublier à Paula les odieux soupçons dont elle avait été victime, il ne pouvait que l'entourer d'égards froids et contraints.
Et séparée de lui par un obstacle insurmontable, elle voyait à travers le prisme enchanteur de l'amour un homme jeune, beau, spirituel, passionné... si passionné qu'il avait voulu lui sacrifier ces deux religions de toute sa vie: sa parole! sa mère! et Paula n'avait pas même la consolation de songer que l'accomplissement de ses devoirs ferait au moins le bonheur de M. de Hansfeld.
Celui-ci, trouvant de son côté réunies chez Berthe les grâces et les qualités les plus séduisantes, se livrait sans remords à cet amour. Paula lui ayant toujours manifesté son indifférence.
Telle était la position de M. et de madame de Hansfeld, au moment où celle-ci, pour ménager M. de Brévannes, qui pouvait la calomnier si dangereusement, allait le recevoir à l'hôtel Lambert, ainsi que Berthe.
L'exaltation de Paula était arrivée à ce point qu'elle ne pouvait supporter plus longtemps sa position. Elle avait fixé à M. de Morville le terme de huit jours pour lui faire part de sa résolution suprême, parce qu'elle voulait qu'avant huit jours le sort de sa vie entière fût décidé.
Ou elle aurait le courage de profiter des offres d'Iris, ou elle se tuerait... si le projet de la jeune fille lui semblait exiger une complicité pour ainsi dire trop directe, trop personnelle.
Rien ne semble plus étrange, et rien n'est pourtant plus réel que ces compositions, que ces attermoiements avec le crime.... Les juges ne sont pas les seuls à y trouver des circonstances atténuantes.
Madame de Hansfeld venait de faire demander Iris: celle-ci entra.
CHAPITRE XVIII.
L'ÉPINGLE.
—Vous m'avez demandée, marraine?—dit Iris.
—Oui.... Fermez la porte... et voyez si personne ne peut nous entendre. Iris sortit un instant et revint.
—Personne, marraine.
Le cœur de Paula battait d'une façon étrange; elle baissait les yeux devant le regard pénétrant de la bohémienne; enfin elle lui dit avec effort:
—Écoutez bien; la conversation que je vais avoir avec vous sera la dernière que nous aurons au sujet de... ce que vous savez. Vous m'avez dit, il y a quelques jours: Un mot, un signe de vous... cette épingle... je suppose, et....
Paula ne put achever.
Iris reprit:
—Et vous êtes libre!...
—Vous m'avez dit cela....
—Je le répète....
—Vous prétendez m'être dévouée?
—Autrefois, maintenant, toujours.
—Donnez-m'en une preuve.
—Parlez, marraine.
—Dites-moi par quel moyen vous prétendez me rendre libre...
La voix de madame de Hansfeld s'altéra; elle reprit aussitôt et plus vivement:—Sans que ni vous ni moi soyons complices de... ce... ce qu'il faut faire pour cela.
Ces mots semblèrent brûler les lèvres de madame de Hansfeld.
—Pourquoi cette question?
—Je ne crois pas à la possibilité de ce que vous m'avez proposé; je ne songe pas à en profiter; mais je veux connaître par quels moyens... vous prétendez... enfin, vous me comprenez....
—A quoi bon vous en instruire?...
—S'ils me paraissent moins horribles que je ne le suppose... peut-être... je ne sais...—Puis la princesse, épouvantée de ce qu'elle venait de dire, mit la main sur ses yeux et s'écria:—Non, non, laissez-moi... allez-vous-en, ne revenez plus, je ne veux plus vous voir... sortez....
—Marraine, en grâce!...
—Non... sortez, vous dis-je....
—Eh bien! je vais vous dire par quels moyens....
Et Iris baissa la voix, attendant avec anxiété une nouvelle injonction de sortir.
Paula resta muette.
Iris continua:
—Oui, je puis, si vous l'exigez, vous dire par quels moyens vous pouvez être libre.... Mais prenez garde... prenez garde....
Madame de Hansfeld regarda fixement Iris.
—Que je prenne garde?
—Oui... vous pourrez amèrement regretter de m'avoir interrogée à ce sujet.... Vous avez des scrupules, ils deviendront plus grands encore si vous êtes instruite de mes desseins.... Sans la parole que vous m'avez fait donner de ne pas agir à votre insu... je vous aurais épargné ces angoisses.... Quelquefois même je me demande s'il n'est pas insensé à moi de vous obéir pour cela.... Je n'ai d'autre but que votre bonheur.... L'odieux du parjure ne retomberait que sur moi... peu importe... vous seriez heureuse.
—Oseriez-vous manquer à ce que vous m'avez promis?
—Malheureusement je ne l'ose pas; un mot de vous est une loi pour moi.... Au moins que cette soumission à vos volontés vous donne une foi profonde, aveugle, dans ma parole....
—Dans votre parole?—dit amèrement Paula.
—Oui... et je vous jure que les événements ont marché de telle sorte, sans que vous y soyez mêlée en rien, vous le savez mieux que personne... qu'avant huit jours... vous serez peut-être libre... et non seulement aucun soupçon ne vous atteindra, mais l'intérêt, mais les sympathies du monde seront pour vous..
Madame de Hansfeld regarda Iris avec surprise, presque avec stupeur.
—Mais, s'il en est ainsi, pourquoi ne pas me faire part de ces événements, puisque j'y suis, dites-vous, absolument étrangère?
—A cause de vos scrupules, marraine.
—De mes scrupules! pourquoi en aurais-je? Ne suis-je pas innocente de ce qui se passe?
—Vos scrupules naîtront... quoique insensés.... Ils naîtront, vous dis-je, et vous les écouterez.
—Comment cela?
—Supposez-vous instruite, par je ne sais quel prodige, de l'avenir d'une personne qui vous soit absolument indifférente... que vous ne connaissez même pas.... Cette prescience vous apprend que cette personne doit mourir dans huit jours... mourir fatalement, sans que vous soyez pour rien dans les causes de cette mort, sans qu'elle vous profite en rien... sans que vous puissiez changer le cours des événements qui l'amènent.... N'éprouverez-vous pas une sorte d'angoisse à cette révélation? ne vous regarderez-vous pas pour ainsi dire comme complice du destin en voyant cette personne ignorante du sort terrible qui l'attend, tandis que vous en êtes instruite... vous?
—Je ne me croirais pas complice de cette mort, mais j'éprouverais de la terreur en voyant cette personne marcher, confiante et paisible, vers un abîme qu'elle ignore.
—Eh bien! cette terreur ne deviendra-t-elle pas un remords s'il s'agit de votre mari, si sa mort comble tous vos vœux, réalise toutes vos espérances?
—Que dites-vous?
—Quelque innocente que vous fussiez d'une telle catastrophe, ne vous regarderiez-vous pas presque comme criminelle... seulement parce que vous étiez instruite à l'avance? Encore une fois, ne m'interrogez pas davantage... ne me forcez pas à parler... vous vous en repentiriez, il serait trop tard.... Confiez-vous à moi.
—Me confier à vous... non, non, je sais ce dont vous êtes capable.... J'étais certainement innocente de vos affreuses tentatives sur M. de Hansfeld... et les apparences me condamnaient. Pourtant je vous dis que je veux tout savoir.
—Êtes-vous décidée à renoncer à M. de Morville?
—Que vous importe?...
—Il faut que je le sache... dans ce cas seulement je dois parler.... Il serait cruel de laisser périr pour rien... deux créatures de Dieu....
—La vie de deux personnes serait donc en danger?—s'écria madame de Hansfeld.
—Malheur sur moi! malheur sur vous!—dit Iris désolée ou paraissant l'être de l'indiscrétion qui lui échappait.—Vous me faites dire ce que je ne voulais pas dire. Eh bien! oui, à cette heure, la vie de deux personnes est en danger....
—Béni soit Dieu qui t'a fait parler; jamais je n'achèterai le bonheur de ma vie entière à un tel prix.... Je renonce à M. de Morville, et que je sois maudite si jamais....
—Arrêtez... marraine. Je sais la puissance de vos scrupules... mais je sais aussi la puissance de votre amour.... Quoiqu'il s'agisse de la vie de deux personnes... vous pourriez être maudite....
—Malheureuse....
—Tenez, marraine, laissons les événements suivre leur cours... ce qui sera... sera....
—Maintenant que tu m'as rempli l'âme de terreur, car je sais ce dont tu es capable, tu veux le taire.... Non, non, parle... je l'exige....
—Eh bien donc, puisque vous m'y forcez, apprenez tout.... Le prince aime Berthe et il en est aimé... Vous savez la jalousie féroce de M. de Brévannes.... Il hait déjà le prince parce qu'il est votre mari.... Maintenant qu'il le sait aimé de sa femme, il le hait à la mort.... Supposez Berthe assez imprudente pour accorder un rendez-vous à M. de Hansfeld, rendez-vous innocent ou coupable, volontaire ou forcé, peu importe; M. de Brévannes en est instruit, il les surprend tous deux par la ruse: les apparences sont contre eux.... Que fait-il? dites, que fait-il?
—Mon Dieu!... mon Dieu!...
—Que fait-il! Il se croit aimé de vous, il croit qu'en vous rendant libres, vous et lui, par le double meurtre qu'il peut commettre impunément, il obtiendra votre main....
—Mais c'est une machination infernale....
—Mais seriez-vous libre... ou non?... Et en quoi auriez-vous participé à tout ceci?... Votre mari vous trompe... pour la femme d'un homme que vous haïssez.... Qu'y pouvez-vous?... Cet homme les tue tous les deux... Êtes-vous sa complice? Qui vous empêche ensuite d'épouser M. de Morville?... En quoi lui-même peut-il jamais vous soupçonner d'avoir trempé dans cette machination?... Bien plus, ainsi que je vous le disais, l'intérêt, les sympathies du monde ne seront-ils pas pour vous?...
—Vous êtes folle.... A peine M. de Brévannes se porterait-il à une si terrible extrémité s'il se croyait aimé de moi, et encore il n'oserait pas m'offrir une main... teinte du sang de mon mari....
—Cet homme est d'une jalousie d'orgueil si sauvage, que dans aucune circonstance il n'aurait hésité à tuer sa femme et son séducteur; mais comme il vous aime avec d'autant plus d'ardeur qu'il se croit follement aimé de vous, il ne doute pas que vous ne braviez les convenances jusqu'à lui donner votre main, et il se hâte à cette heure de tendre le piége où sa femme et votre mari doivent infailliblement périr.
—Mais vous perdez la raison. Cet homme, si vaniteux qu'il soit, ne se croira jamais aimé de moi. A peine lui ai-je dit quelques paroles bienveillantes pour conjurer le mal qu'il pouvait me faire.
—Mais... j'ai parlé pour vous... moi!
—Vous avez parlé pour moi?
Et Iris raconta à madame de Hansfeld l'histoire du livre noir.
Paula resta muette, anéantie, à cette révélation.
Elle ne pouvait croire à tant d'audace, à une combinaison si diabolique.
—Mais c'est épouvantable!—s'écria-t-elle.
Iris regarda sa maîtresse en souriant d'un air étrange, et lui dit:
—Vous m'aviez jusqu'ici reproché d'agir sans votre consentement... j'ai eu tort.... Je voulais vous cacher le fil des événements qui se préparaient, vous m'avez forcée de vous le découvrir.... Vous devez vous en repentir, maintenant que vous savez tout.... Ignorante de cette trame, son succès était pour vous un coup du hasard, vous en profitiez sans remords; maintenant vous en êtes instruite... si vous ne la dévoilez pas, vous en êtes complice.
—Et pourquoi m'avez vous obéi?—s'écria machinalement madame de Hansfeld.—Pourquoi m'avez-vous appris ces horreurs?
Ce mot était odieux, il révélait la secrète et homicide pensée de Paula.
—Je vous ai obéi—reprit amèrement Iris—parce que j'attendais cet ordre avec impatience, et que si vous ne me l'aviez pas donné je vous aurais de moi-même instruite de tout ceci....
—Que dit-elle?
—Je ne m'abuse pas; en travaillant à votre bonheur, c'est à ma perte que je cours: lorsque vous aurez épousé M. de Morville, je ne serai plus pour vous qu'un objet de mépris et d'horreur.... Certes, j'aurais pu agir en silence, sans vous prévenir, et vous laisser recueillir innocemment le fruit de cette sanglante combinaison. Mais je l'avoue... je n'ai pas eu ce courage; je veux bien mourir pour vous, mais à condition que vous me disiez au moins:—Meurs pour moi!
—Étrange et abominable créature!
—Votre bonheur causera ma perte, je le sais; mais au moins, au sein de votre heureux amour, peut-être aurez-vous un souvenir pour moi....
—Si vous vous sacrifiiez ainsi dans mon intérêt, vous eussiez attendu que ce que vous appelez mon bonheur fût assuré pour me faire cette nouvelle révélation....
—Non, marraine; il se peut que vous ayez plus de vertu que d'amour, et alors votre bonheur eût été à tout jamais empoisonné. A cette heure, au contraire, en apprenant à quel prix vous auriez épousé M. de Morville, vous pouvez choisir, vous avez entre vos mains l'avenir de votre amour pour M. de Morville, le sort de Berthe de Brévannes et de votre mari.... Un mot de vous à M. de Brévannes au sujet du livre noir... et il sait que vous ne l'aimez pas, qu'il est dupe d'une fourberie dont je suis l'auteur, et qu'au lieu de conduire sa femme à l'hôtel Lambert pour la faire plus sûrement tomber dans le piége qu'il lui tend ainsi qu'à M. de Hansfeld, il doit arracher Berthe à cet amour innocent encore... puisque la mort de sa femme et du prince lui est inutile; tel est votre devoir, marraine, faites-le. Sans doute, M. de Brévannes, furieux, répandra contre vous les plus atroces calomnies.... Que vous importe?... ce sont des calomnies.... Sans doute, M. de Morville pourra s'en affliger, y croire, et sourire amèrement en songeant à l'amour idéal et romanesque qu'il avait pour vous; cela est triste; que vous importe?... pendant la longue vie qu'il vous reste à passer auprès du prince que vous n'aimez pas, et qui ne vous aime plus... vous pourrez vous répéter glorieusement chaque jour: J'ai fait mon devoir.
—Oh! maudite sois-tu, démon vomi par l'enfer!... s'écria madame de Hansfeld avec égarement;—laisse-moi... laisse-moi.... Pourquoi viens-tu m'enfermer dans un cercle affreux dont je ne puis sortir sans causer la mort de deux infortunés, ou sans me jeter dans l'abîme d'un désespoir sans fin?
—Vous assombrissez bien les couleurs du tableau, marraine; vous pouvez sortir du cercle affreux dont vous parlez... mais pour aller le front haut et fier à l'autel avec M. de Morville, pour passer auprès de lui la vie la plus belle et la plus honorée.
—Oh! tais-toi... tais-toi!
—Et cela sans lui faire parjurer ses serments, et cela sans le rendre coupable envers sa mère, car elle bénirait ce mariage, que vous pouvez contracter avec joie... sans honte, sans crime, en restant paisible à attendre les événements... ne provoquant rien, ne faisant rien, ne sachant rien....
—Tais-toi! oh! tais-toi!
—N'encourageant pas même par un mot hypocrite la vengeance féroce et intéressée de M. de Brévannes, en étant toujours avec lui froidement polie.... Tout est prévu.... Le livre noir parlera pour vous: le livre noir dira que, pour rendre plus tard votre mariage possible, il ne faut pas qu'on soupçonne M. de Brévannes de vous aimer et d'avoir calculé la vengeance qu'il aura tirée du prince et de Berthe.... Cela vous épargne encore une assiduité qui, remarquée dans le monde, aurait pu éveiller la jalousie de M. de Morville.... Je vous dis que tout était prévu... soigneusement prévu, marraine.
—Mon Dieu!... mon Dieu, délivrez-moi de l'obsession de cette créature!
—De sorte qu'après le tragique événement—reprit imperturbablement Iris—M. de Brévannes n'a aucun reproche à vous faire, et vous lui fermez votre porte sans un mot d'explication. Brévannes éclatera... que pourra t-il faire ou dire? Le livre noir est entre mes mains, il n'a pas une lettre de vous; d'ailleurs, pour se plaindre, il lui faudrait avouer l'infâme calcul qui lui a presque fait provoquer son déshonneur pour avoir le droit de tuer sa femme et votre mari.... Mais il n'oserait, car il inspirerait autant de mépris que d'horreur, qu'en dites-vous, marraine?
—Laisse-moi... te dis-je... va-t'en... va-t'en... tu m'épouvantes!
—Mon Dieu! que fais-je autre chose que de vous exposer le bien et le mal?... Maintenant vous êtes libre... choisissez!
—Monstre!... tu sais bien la portée de les paroles... et des criminelles espérances que tu évoques à ma pensée.
—Suis-je un monstre... pour vous dire de choisir entre le bien et le mal? La vertu est donc une terrible chose à pratiquer, qu'elle coûte autant de larmes que le crime?...
—Seigneur, ayez pitié de moi!
—Un dernier mot, marraine. J'ai pu mettre en jeu certaines passions, préparer certains événements... mais il ne dépend plus de moi de modérer leur marche; car... ils semblent se précipiter... demain, peut-être, il serait trop tard.... Si vous êtes décidée au bien... c'est-à-dire à prévenir votre mari du danger qu'il va courir, et M. de Brévannes de la mystification dont il est dupe... agissez sans délai, aujourd'hui même, à l'instant.... Une heure de retard peut tout perdre... c'est-à dire tout gagner dans l'intérêt de votre amour....
A ce moment, un valet de chambre entra, après avoir frappé, chez Paula.
—Qu'est-ce?—dit-elle à cet homme.
—Ne sachant pas si madame la princesse recevait, j'ai prié M. et madame de Brévannes d'attendre.
—Ils sont là?—s'écria madame de Hansfeld en tressaillant.
—Oui, princesse.
—Madame a oublié qu'elle avait donné rendez-vous à M. et madame de Brévannes ce matin...—dit Iris.
—En effet—reprit Paula d'une voix émue—je... oui... sans doute.
—La princesse reçoit—se hâta de dire Iris.—Priez seulement M. et madame de Brévannes d'attendre... un moment.
Le valet de chambre sortit.
CHAPITRE XIX.
DÉCISION.
—Jamais... jamais... je n'aurai le courage de recevoir monsieur et madame de Brévannes—s'écria la princesse avec désespoir—car....
La voix du prince interrompit Paula.
Le salon où elle se trouvait était séparé des autres appartements par une longue galerie semblable à celle que M. de Hansfeld occupait à l'étage supérieur.
Des portières de velours remplaçaient les portes; Paula entendit son mari demander au valet de chambre, qui se tenait à l'extrémité de cette galerie, si la princesse était chez elle.
—C'est le prince!—s'écria Iris.
—Il va se rencontrer avec cette jeune femme...—dit Paula.—Tous deux ignorent que M. de Brévannes est instruit de leur amour, et que par un affreux calcul il doit feindre d'ignorer cet amour.... Oh! c'est horrible... les laisser dans cette funeste confiance....
Iris se hâta de lui dire:
—Vous voulez épargner ces malheureux et renoncer à M. de Morville? Soit; tout à l'heure, au moment où M. de Brévannes sortira de l'hôtel, je trouverai moyen de lui parler, et en deux mots je lui apprends la fourberie du livre noir.
Paula fit un mouvement.
—N'est-ce pas là votre volonté, marraine?
—Oui, oui.
—Pourtant, si par hasard cette volonté changeait, si vous vouliez profiter des événements que cette rencontre du prince et de Berthe chez vous va précipiter encore... à moins que vous ne vous y opposiez lorsque vous me verrez me lever pour aller attendre M. de Brévannes, donnez-moi cette épingle en me disant de la serrer... cela voudra dire que M. de Brévannes doit rester dans son erreur....
—Mais....
—Voici le prince.... Tout à l'heure donnez-moi cette épingle... et dans huit jours vous êtes libre, sinon... renoncez à jamais à M. de Morville.
M. de Hansfeld entra chez sa femme.
Iris avait l'habitude de rester auprès de sa maîtresse, lors même que celle-ci recevait des visites. Sa présence à la scène suivante parut donc au prince fort naturelle.
CHAPITRE XX.
LA CHASSE AU MARAIS.
M. de Hansfeld était à la fois surpris, ému, troublé.
Il venait de voir Berthe descendre de voiture avec M. de Brévannes, Berthe à qui il avait cru dire à tout jamais adieu lors de sa dernière entrevue avec elle chez Pierre Raimond.
Ayant toujours ignoré que Paula connaissait M. de Brévannes, Arnold ne pouvait concevoir pourquoi celui-ci conduisait sa femme à l'hôtel Lambert, et comment madame de Hansfeld s'était liée avec Berthe, dont elle le savait épris. Paula, pour échapper au voyage d'Allemagne dont son mari la menaçait, ne l'avait-elle pas menacé à son tour de révéler les entrevues qu'il avait avec Berthe chez le graveur, de les révéler, disons-nous, à M. de Brévannes?
Quel était donc le but de Paula en recevant Berthe à l'hôtel Lambert? Était-ce affectation, indifférence?
Arnold se perdait en conjectures; en songeant qu'il allait revoir Berthe, l'étonnement, le bonheur, la crainte l'agitaient malgré lui. Il dit à Paula, d'une voix légèrement émue:
—Il me semble que je viens de voir entrer une visite pour vous?
—Oui...—répondit madame de Hansfeld avec embarras.—Une femme de mes amies m'a présenté dans le monde madame de Brévannes, que l'on dit charmante et que vous trouvez telle...—ajouta-t-elle en riant d'un air forcé.—Madame de Brévannes m'a demandé quand je restais chez moi, je lui ai dit aujourd'hui et je l'avais oublié... On l'a fait un moment attendre avec son mari.... Ne vous ayant pas vu, il m'a été impossible de vous prévenir de cette visite... qui, je le crois, ne pouvait d'ailleurs vous être désagréable.
—Ma marraine me permettra-t-elle de lui faire observer que voilà déjà bien longtemps que les personnes attendent?—dit Iris avec une sorte de familiarité respectueuse à laquelle on était habitué.
—Elle a raison—dit M. de Hansfeld, imprudemment entraîné par le désir de revoir Berthe; il sonna.
Un laquais parut.
—Faites entrer—dit le prince.
Le laquais sortit.
Iris et Paula échangèrent un regard.
Pour l'intelligence de la scène suivante, nous dirons que quelques lignes du livre noir, toujours écrites au nom de Paula et communiquées le matin même par Iris à M. de Brévannes, apprenaient à celui-ci que l'objet de l'amour de Berthe était le prince de Hansfeld, et que très souvent elle avait eu des entrevues avec lui, sous un nom supposé, chez Pierre Raimond.
Quelques mots expressifs indiquaient le parti terrible que M. de Brévannes pouvait tirer de cet amour, dont la punition, s'il devenait coupable et flagrant, pouvait assurer la liberté de M. de Brévannes et de Paula.
Après cette découverte, M. de Brévannes redoubla d'hypocrisie afin d'augmenter encore la sécurité de sa femme, qu'il se promit néanmoins d'observer attentivement, quoiqu'il ne doutât pas qu'elle aimât le prince.
Le premier refus de Berthe de se rendre à l'hôtel Lambert, son émotion croissante en approchant des lieux où elle allait revoir Arnold, étaient des preuves convaincantes de cet amour. M. de Brévannes s'étant d'ailleurs informé auprès du portier de Pierre Raimond des visites que recevait le graveur, M. de Hansfeld lui avait été si exactement dépeint qu'il n'attendait que l'occasion de voir le prince pour s'assurer de son identité avec le visiteur assidu de Pierre Raimond.
Paula, assise auprès de la cheminée, avait à côté d'elle une petite table sur laquelle était placée la fatale épingle qui, remise à Iris, devait l'empêcher de dévoiler à M. de Brévannes la fourberie dont il était dupe, et le laisser dans la créance qu'en se débarrassant de sa femme et du prince il pourrait épouser Paula.
La bohémienne, occupée d'un travail de tapisserie, était demi-cachée par les rideaux de la fenêtre auprès de laquelle elle se tenait; mais elle pouvait néanmoins ne pas quitter sa maîtresse du regard.
Et il faut le dire, ce regard semblait quelquefois exercer sur Paula une sorte de fascination.
Enfin M. de Hansfeld, debout devant la cheminée, dissimulait à peine son émotion.
La porte s'ouvre, un valet de chambre annonce:
—M. et madame de Brévannes.
Peut-être trouvera-t-on un contraste assez dramatique entre la conversation futile, oiseuse, désintéressée des quatre acteurs de cette scène, et les anxiétés, les passions diverses et profondes qui les agitaient.
Madame de Hansfeld se leva, fit quelques pas au-devant de Berthe, et lui dit avec grâce:
—Vous êtes, madame, mille fois aimable d'avoir bien voulu vous rappeler que je restais chez moi aujourd'hui.
—Madame... vous... êtes bien bonne—balbutia Berthe, en baissant les yeux de peur de rencontrer ceux d'Arnold.
La malheureuse femme se sentait défaillir.
La princesse ajouta:
—Voulez-vous me permettre, madame, de vous présenter monsieur de Hansfeld, qui n'a pas eu, jusqu'à présent, l'honneur de vous rencontrer?
Arnold s'avança, salua profondément et dit à Berthe:
—Je regrette toujours de ne pas accompagner madame de Hansfeld dans le monde aussi souvent que je le désirerais; mais après la bonne fortune qu'elle vous a due, madame, je le regrette doublement; pourtant je me console, puisque je suis assez heureux pour pouvoir vous présenter mes... hommages.
Voulant venir au secours de Berthe, qui de plus en plus troublée ne trouvait pas un mot à répondre à Arnold, madame de Hansfeld dit à celui-ci en lui présentant M. de Brévannes d'un geste:
—Monsieur de Brévannes....
Ce dernier salua.
Le prince lui rendit ce salut et lui dit avec affabilité:
—Je serai toujours enchanté, monsieur, de vous rencontrer chez madame de Hansfeld, et j'espère que j'aurai le plaisir de vous y voir souvent.
—Aussi souvent, monsieur, qu'il me sera possible de profiter d'une offre si aimable sans en abuser....
Après ces préliminaires indispensables, les quatre personnages s'assirent. Paula à sa place, à droite de la cheminée, Berthe à gauche, M. de Brévannes à côté de madame de Hansfeld, et Arnold auprès de la fille du graveur.
Le prince, sentant la nécessité de vaincre son émotion, faisait les honneurs de chez lui avec la plus parfaite dignité.
Berthe, de son côté, se rassurait peu à peu; Paula tâchait de ne pas céder aux terribles préoccupations que devait lui causer son dernier entretien avec Iris.
M. de Brévannes, qui avait toujours entendu parler du prince de Hansfeld comme d'une sorte d'original, farouche, bizarre, à demi-insensé, et qui s'était demandé comment sa femme avait pu s'éprendre d'un tel homme, M. de Brévannes resta stupéfait de la distinction et de la gracieuse urbanité du prince, dont la figure juvénile et douce était des plus charmantes.
Alors il comprit parfaitement l'amour de Berthe, et sa rage s'en augmenta contre elle et contre M. de Hansfeld. Aussi, jetait-il quelquefois sur celui-ci à la dérobée des regards de tigre; puis il cherchait les yeux de Paula avec un air d'intelligence tour à tour sombre et passionné qui prouva à madame de Hansfeld qu'Iris ne l'avait pas trompée au sujet du livre noir.
Un silence assez embarrassant avait succédé aux premières banalités de la conversation.
Le prince le rompit en disant à Berthe:
—Vous avez dû, madame, avoir bien de la peine à trouver cette demeure isolée au milieu de ce quartier désert?
—Non, monsieur,—répondit Berthe en rougissant jusqu'aux yeux;—mon père... habite très près d'ici.
Cette réponse, que la jeune femme avait, pour ainsi dire, faite involontairement, redoubla sa confusion en lui rappelant les premiers temps de son amour pour Arnold. Celui-ci se hâta d'ajouter:
—C'est différent, madame; mais venir à l'île Saint-Louis, c'est toujours une espèce de voyage pour les véritables Parisiens.
—Du moins—dit M. de Brévannes—on est bien dédommagé de ce voyage... comme vous dites, monsieur, en pouvant admirer cet hôtel... un véritable palais!...
—En effet—dit Paula pour prendre part à la conversation—dans le faubourg Saint-Germain, ce quartier des beaux hôtels que nous avons habité pendant quelque temps, on ne trouve rien de comparable à cette demeure véritablement grandiose.
—On ne peut plus bâtir des palais maintenant—dit M. de Brévannes—les fortunes sont beaucoup trop divisées.... Vous avez beaucoup plus de bon sens que nous, messieurs les étrangers; en Angleterre, en Russie, en Allemagne aussi, je le suppose, le droit d'aînesse a sagement maintenu le principe de la grande propriété.
—Je suis sûr, monsieur—dit en souriant M. de Hansfeld—que vous n'avez jamais eu de frère ou de sœur?
—C'est vrai, monsieur; mais qui vous donne cette certitude?
—Votre admiration pour l'excellence du droit d'aînesse.
M. de Brévannes ne comprit pas ce qu'il y avait d'aimable dans les paroles du prince, et il répondit:
—Vous croyez, monsieur, que si je n'étais pas fils unique j'aurais eu d'autres manières de voir à ce sujet?
—Je crois, monsieur, que votre manière d'aimer vos frères et vos sœurs aurait complètement changé votre manière de voir à ce sujet. Mais, pardonnez-nous, madame—dit le prince en s'adressant à Berthe—de parler pour ainsi dire politique; ainsi, sans transition aucune, je vous demanderai ce que vous pensez de la nouvelle comédie... donnée au Théâtre-Français. Madame de Hansfeld et moi, nous avons eu le plaisir de vous y voir, je n'ose dire de vous y remarquer.
—Cela ne pouvait guère être autrement—dit Berthe en reprenant un peu d'assurance—j'étais à côté de madame Girard, qui avait une coiffure si singulière qu'elle attirait tous les regards.
—Je vous assure, madame—reprit Paula—qu'en jetant les yeux dans votre loge nous n'avons vu le singulier bonnet... le sobieska de madame Girard, que par hasard.
—Cette comédie m'a paru charmante et remplie d'intérêt—dit Berthe—et, sans connaître l'auteur, M. de Gercourt, j'ai été enchantée de son succès... il avait tant d'envieux!
—L'auteur, M. de Gercourt, est tout à fait un homme du monde?...—demanda madame de Hansfeld.
—Oui, madame—reprit M. de Brévannes—il a été l'un des cinq ou six hommes des plus à la mode de Paris; on le classait même immédiatement après le beau Morville, cet astre qui a longtemps brillé d'un éclat sans égal; entre nous, je ne sais pas trop pourquoi; c'était un engouement ridicule, rien de plus, car Gercourt et beaucoup d'autres ont mille fois plus d'agréments que ce prétentieux M. de Morville.
Paula tressaillit en entendant prononcer un nom si cher à son cœur.
Le regard de la princesse rencontra le regard d'Iris... ce regard lui pesa sur le cœur comme du plomb.
Ignorant complètement l'amour de Paula pour M. de Morville, et croyant d'un bon effet aux yeux de madame de Hansfeld, de faire montre de dédain à l'endroit d'un des hommes les plus recherchés de Paris; cédant d'ailleurs à un sentiment d'envie et à une habitude de dénigrement qu'il avait depuis longtemps prise à l'égard de M. de Morville, qu'il détestait, sans autre motif qu'une basse jalousie, M. de Brévannes, continua:
—Ce M. de Morville a une jolie figure, si l'on veut; mais il a l'air si stupidement satisfait de lui-même, qu'il en fait mal au cœur. On parle de ses succès; après tout, il n'a jamais réussi qu'auprès de ces femmes faciles auxquelles on peut prétendre, pourvu qu'on soit du monde dont elles sont.... On a fait beaucoup de bruit de sa liaison avec cette Anglaise: il en était fort épris, soit; mais elle se moquait de lui, comme fera toute femme de bon goût; car ne trouvez-vous pas, madame, qu'on peut toujours à peu près juger de la valeur d'une femme par la valeur de l'homme qu'elle distingue?
—C'est généralement vrai, monsieur—dit Paula en se contenant.
—Eh bien! madame, vous venez d'apprécier les sots et ridicules enthousiastes de ce sot et ridicule Morville.
Rien de plus vulgaire que ce dicton: Les petites causes produisent souvent de grands effets. Mais aussi rien de plus vrai que cette vulgarité.
En voici une nouvelle preuve:
M. de Hansfeld ne connaissait pas M. de Morville, il lui était donc indifférent d'en entendre parler en mal ou en bien; mais cédant, malgré lui sans doute, à un vague désir de se mettre bien avec M. de Brévannes, il crut lui être agréable en partageant son avis au sujet de M. de Morville.
Enfin, la pauvre Berthe elle-même, autant par envie de complaire à son mari que par suite de cette déférence, de cet acquiescement involontaire qu'une femme accorde toujours au jugement de celui qu'elle aime, la pauvre Berthe, disons-nous, fut, pour ainsi dire, le naïf et timide écho du prince dans la conversation suivante.
Cette conversation fut la cause; nous dirons tout à l'heure l'effet.
M. de Hansfeld reprit donc:
—Je ne connais pas M. de Morville, je l'ai aperçu deux ou trois fois; il m'a paru beau, mais d'une affectation presque ridicule, et j'ai entendu dire que l'on exagérait beaucoup son mérite....
—C'est aussi ce que j'ai entendu dire...—ajouta la malheureuse Berthe;—il a, ce me semble, une figure très régulière... mais peut-être un peu insignifiante.
Paula ne dit pas un mot; elle prit sur la petite table l'épingle fatale et se mit à jouer avec ce bijou.
Iris ne quittait pas sa maîtresse du regard.
Elle tressaillit d'une sombre joie au mouvement de sa maîtresse.
On le voit, la petite cause commençait à produire son effet.
—Je suis enchanté de voir une personne de goût comme vous, monsieur—dit M. de Brévannes au prince—rendre mon jugement décisif en l'approuvant.
Arnold, pour achever de se mettre tout à fait dans les bonnes grâces du mari de Berthe, hasarda un léger mensonge et reprit:
—Je me souviens même d'avoir un jour écouté sa conversation, et je l'ai trouvée au-dessous du médiocre....
—Il est vrai que M. de Morville ne passe pas, dit-on, pour avoir infiniment d'esprit...—ajouta le doux et tendre écho en baissant ses grands yeux bleus, et en rougissant à la fois et de mentir et de faire une sorte de bassesse pour être agréable à M. de Brévannes.
La petite cause continuait de produire son effet.
Tenant dans sa main droite l'épingle constellée madame de Hansfeld battait pour ainsi dire sur sa main gauche la mesure du crescendo de colère qui l'agitait, et qui enveloppait Berthe, M. de Brévannes et le prince.
Dans ce moment elle rencontra les yeux d'Iris, et, au lieu de détourner son regard de celui de la bohémienne, elle la regarda un moment d'un air tellement significatif, qu'Iris crut qu'elle allait lui donner l'épingle.
M. de Brévannes reprit, en s'adressant à madame de Hansfeld:
—Mais vous-même, madame, que pensez-vous de M. de Morville? N'avons-nous pas raison de nous révolter un peu contre l'admiration moutonnière qui fait une idole d'un homme nul?
—Certainement, monsieur—dit Paula—il est très bien de ne pas accepter des renommées par cela seulement qu'elles sont des renommées....
—C'est qu'aussi jamais renommée ne fut moins méritée; et je ne suis pas le seul, je vous le jure, qui proteste contre elle.... Beaucoup de personnes pensent comme moi; et ce qui indispose contre ce M. de Morville, c'est qu'il prétend à tous les succès. A l'entendre, il monte à cheval mieux que personne, il fait des armes mieux que personne, il lire à la chasse mieux que personne....
—Est-ce que M. de Morville est grand chasseur?—dit Arnold.
—Il en a du moins la prétention, car il les a toutes; mais je suis sûr qu'il justifie aussi peu celle-là que les autres, et qu'il chasse par ton et non par plaisir.
—Il a tort—dit Arnold—car c'est un des plus vifs plaisirs que je connaisse....
—Vous êtes chasseur, monsieur?—dit M. de Brévannes.
—Nous avons de si belles chasses en Allemagne, qu'il est impossible de ne pas avoir ce goût. Il est surtout une chasse que j'aimais beaucoup, et qui n'est peut-être pas très connue en France....
—Quelle chasse, monsieur?... Je puis vous renseigner, car j'ai aimé, j'aime encore passionnément la chasse....
—La chasse au marais. Nous avons en Allemagne d'admirables passages d'oiseaux aquatiques.
—Vous aimez la chasse au marais!...—s'écria M. de Brévannes après un moment de réflexion, et comme éclairé par une idée subite.
—A la folie... monsieur.... Mais avez-vous en France beaucoup de ces chasses?
—Nous en avons, et je puis même dire que j'en ai une chez moi, en Lorraine, des plus belles de la province....
—Certainement—dit naïvement Berthe—ce matin même encore le régisseur de M. de Brévannes lui a annoncé qu'il y avait en ce moment un passage extraordinaire de...—je ne me rappelle pas le nom de ces oiseaux—dit Berthe en souriant.
—Un passage de halbrans; ils sont venus s'abattre sur nos étangs par nuées... et, tenez, monsieur—dit M. de Brévannes avec une expression de franche cordialité—si je ne craignais pas de passer pour un vrai paysan du Danube... pour un homme par trop sans façon....
Le prince regardait M. de Brévannes avec surprise.
—En vérité, monsieur—lui dit-il—je ne comprends pas....
—Eh bien, ma foi, arrière la honte, entre chasseurs la franchise avant tout. Le passage des halbrans est magnifique cette année, il dure toujours au moins une huitaine. J'ai quatre cents arpents d'étangs; ma maison est confortablement arrangée pour l'hiver.... Permettez-moi de vous offrir d'y venir tirer quelques coups de fusil; en trente-six heures nous serons chez moi.... Et, si par un hasard inespéré, madame de Hansfeld n'avait pas trop d'aversion pour la campagne pendant quelques jours d'hiver, madame de Brévannes tâcherait de lui en rendre le séjour le moins désagréable possible. Vous le voyez, monsieur, lorsque je me mets à être indiscret, je ne le suis pas à demi....
A cette proposition si brusque, si inattendue, si en dehors des habitudes et des usages reçus, et qui, acceptée par M. de Hansfeld pouvait avoir de si terribles résultats, la princesse tressaillit.
Berthe rougit et frissonna.
Iris bondit sur sa chaise. M. de Hansfeld put à peine dissimuler sa joie; pourtant, avant d'accepter, il tâcha, mais en vain, de rencontrer le regard de Berthe. La jeune femme n'osait lever les yeux.
Arnold interpréta cette expression négative en sa faveur, et répondit:
—En vérité, monsieur, cette offre est si aimable et faite avec tant de bonne grâce... que je craindrais de vous laisser voir tout le plaisir qu'elle me fait, si, comme vous le dites, entre chasseurs on ne devait pas avant tout accepter franchement ce qu'on vous offre franchement.
—Vous acceptez donc, monsieur?—s'écria M. de Brévannes.—Puis, s'adressant à Paula:—Puis-je espérer, madame, que l'exemple de M. de Hansfeld vous encouragera, si sauvage que soit mon invitation, si insolite que soit en plein hiver, je n'ose dire... une telle partie de plaisir. Je suis sûr que madame de Brévannes ferait de son mieux pour vous faire trouver moins longs ces quelques jours de solitude au milieu de nos bois.
—Croyez, madame—dit Berthe d'une voix altérée—que je serais bien heureuse si vous daigniez nous accorder cette faveur.
—Vous êtes mille fois aimable, madame; mais je crains de vous causer un tel dérangement...—dit Paula dans une inexprimable angoisse. Elle sentait que de son consentement allait dépendre son avenir, celui de M. de Morville, celui de Berthe et d'Arnold; car, ainsi que l'avait prévu Iris, sans s'attendre pourtant à cet incident si peu prévu, elle sentait que les événements allaient se précipiter d'une manière effrayante.
—Soyez généreuse, madame—dit M. de Brévannes;—nous tâcherons de vous distraire... nous organiserons pour vous de véritables chasses de demoiselles; j'ai des furets excellents.... Si vous ne connaissez pas le divertissement du furetage, cela vous amusera, je le crois.... Le temps est assez doux cet hiver... je puis vous promettre une pêche aux flambeaux.... Enfin, j'ai une réserve bien peuplée de daims et de chevreuils; vous en verrez prendre quelques-uns dans les toiles. Je me hâte de vous dire que cette chasse n'a rien de barbare, car les victimes restent vivantes. Je sais, madame, que ce sont là de rustiques et simples amusements; mais le contraste même qu'ils offrent avec la ville de Paris pendant l'hiver peut leur donner quelque piquant... de même qu'après les avoir goûtés vous trouverez peut-être plus de saveur aux brillants plaisirs du monde.
—Croyez, monsieur—répondit Paula, dans une anxiété de plus en plus profonde—que cette partie de plaisir improvisée me serait extrêmement agréable par la seule présence de madame de Brévannes; mais je crains vraiment qu'elle ne consente à ce voyage impromptu que par considération pour moi.
—Oh! non, madame, j'y trouverai, je vous assure, le plus grand charme... le plus grand plaisir....
Encore un effet important causé par une petite cause.
Ces paroles furent prononcées par Berthe avec une si naïve expression de bonheur et de joie... le regard qu'elle échangea en ce moment avec Arnold (regard rapidement intercepté par Paula) trahissait une passion si profonde, si ineffable, si radieuse, que tous les serpents de l'envie et de la rage mordirent madame de Hansfeld au cœur.
Paula aussi aimait avec passion, avec enivrement... et cet amour ne devait jamais être heureux. La vue d'un bonheur qui lui était interdit redoubla sa colère; elle se souvint de la malveillance presque méprisante avec laquelle M. de Brévannes, M. de Hansfeld et Berthe avaient parlé de M. de Morville; elle les enveloppa tous trois dans le même sentiment de haine; dans ce moment d'exaspération, d'autant plus violente qu'elle était plus contrainte, elle accepta l'offre de M. de Brévannes, et dit à Berthe d'une voix dont elle sut parfaitement dissimuler l'émotion:
—Eh bien, madame, au risque d'être véritablement fâcheuse en me rendant à votre aimable insistance... j'accepte.
—Oh! que vous êtes bonne, madame!—s'écria Berthe.
—Et quand partons-nous, monsieur de Brévannes?—dit le prince sans pouvoir dissimuler sa joie;—je me fais une fête de cette chasse.
—Je serai aux ordres de madame de Hansfeld—dit M. de Brévannes;—seulement je lui ferai observer que le séjour des oiseaux de passage est ordinairement assez court, et que nous devrions nous rendre chez moi le plus tôt possible.
—Qu'en pensez-vous, madame?—dit M. de Hansfeld à sa femme.
—Mais si demain... convient à madame de Brévannes....
—A merveille—dit M. de Brévannes.—Moi et ma femme, nous partirons ce soir pour vous précéder de quelques heures, et avoir au moins le plaisir de vous attendre.
A ce moment, Iris se leva.
Ce mouvement rappela à madame de Hansfeld toute la terrible réalité de sa position.
Un nuage lui passa devant les yeux, sa respiration se suspendit un moment sous la violence des battements de son cœur; elle frissonna comme si une main de glace eût passé dans ses cheveux.
Le moment fatal était arrivé.
Il s'agissait pour elle de faire le premier pas dans la voie du crime.
Si elle laissait sortir Iris sans lui donner l'épingle, Iris allait tout révéler à M. de Brévannes, et Paula renonçait à l'espoir alors si prochain, si probable, d'épouser M. de Morville, en profitant d'un double meurtre dont elle serait toujours complètement innocente aux yeux du monde.
Iris rangea assez bruyamment quelques objets sur sa table, pour donner un avertissement à sa maîtresse.
Paula hésitait encore....
Iris fit un pas vers la porte....
Une lutte terrible s'engagea dans l'âme de madame de Hansfeld entre son bon et son mauvais ange.
Iris fit encore un pas, atteignit la porte, leva lentement la main pour la poser sur le bouton de la serrure.
Le pêne cria....
Le mauvais ange de Paula eut le dessus dans la lutte; madame de Hansfeld dit d'une voix si basse, si basse:—Iris!... qu'il fallut toute l'attention que prêtait la bohémienne à cette scène pour que ce mot parvînt jusqu'à elle.
Iris fut en deux pas auprès de sa maîtresse.
—Tenez... allez, je vous en prie, serrer cette épingle...—dit Paula d'une voix défaillante....
Et elle remit l'épingle à la bohémienne.
Iris, en touchant la main de sa maîtresse pour prendre ce bijou, la sentit humide et glacée.
CHAPITRE XXI.
LE CHATEAU DE BRÉVANNES.
La terre de M. de Brévannes, située en Lorraine près de Longueville, à quelques lieues de Bar-le-Duc, était une confortable résidence. Beau parc, belles réserves de bois, magnifiques étangs alimentés par quelques effluvions de l'Ornain, maison d'habitation vaste et commode, tout, dans cette propriété, répondait au tableau que M. de Brévannes en avait tracé à M. de Hansfeld.
Depuis trois jours Berthe, son mari, le prince et Paula sont arrivés au château; Iris a été nécessairement comprise dans l'invitation de M. de Brévannes, invitation que chacun de nos personnages avait de trop puissantes raisons d'accepter pour s'arrêter à la singularité d'un tel voyage dans cette saison.
Paula avait continuellement évité toute occasion de se rencontrer seule avec M. de Brévannes. Ce dernier, selon les prévisions d'Iris, avait imité madame de Hansfeld, afin de ne pas donner une apparence de préméditation à la vengeance qu'il calculait avec un atroce sang-froid.
Berthe était pourtant agitée de sinistres pressentiments. Pendant toute la route de Paris à Brévannes, son mari avait été tour à tour d'une gaieté forcée et d'une si obséquieuse prévenance, que la défiance de Berthe s'était vaguement éveillée.
Un moment elle avait songé à prier son mari de la laisser à Paris; mais après l'engagement formel pris avec le prince et la princesse de Hansfeld, elle abandonna cette idée.
En arrivant à Brévannes, elle s'occupa des soins de la réception de ses hôtes. Chose étrange! il ne lui vint pas un moment à la pensée que son mari pût être épris de madame de Hansfeld; cette conviction l'eût peut-être rassurée. Quoique la manière dont cette partie de campagne s'était engagée eût été assez naturelle, un secret instinct disait à Berthe que ce voyage avait un autre but que la chasse au marais.
La seule personne complètement heureuse, et heureuse sans crainte et sans arrière-pensée, était Arnold. Un hasard inattendu servait si bien son amour naguère inespéré, qu'il se laissait aller au bonheur de passer quelques jours avec Berthe dans une intimité de chaque instant.
Iris observait tout et épiait surtout les moindres démarches d'Arnold et de madame de Brévannes. Malheureusement pour la bohémienne, ces derniers, malgré les soins incessants que M. de Brévannes avait mis à leur ménager des occasions de tête-à-tête, les avaient constamment évitées.
Il restait à Iris un dernier et immanquable moyen de forcer Berthe et M. de Hansfeld à une entrevue secrète et d'une apparence compromettante: dès que la nuit approcherait, elle irait dire à Berthe que son père, horriblement inquiet de son départ précipité, s'était mis en route, et que, pour ne pas rencontrer M. de Brévannes, il priait Berthe d'aller l'attendre dans le chalet où, l'été, celle-ci passait ordinairement ses journées. Cette maisonnette, située au milieu d'un massif de bois, était proche de la grille du parc; rien de plus vraisemblable que l'arrivée de Pierre Raimond; Berthe irait l'attendre au pavillon: au lieu du vieux graveur, elle verrait arriver Arnold; puis... prévenu par Iris, M. de Brévannes surviendrait.... Le reste se devine.
Le troisième jour de son arrivée à Brévannes, la bohémienne, lassée d'épier en vain, cherchait Berthe pour la rendre victime de la machination qu'elle avait méditée, lorsqu'elle aperçut celle-ci venant du côté du pavillon dont il est question, et un peu plus loin, derrière elle, M. de Hansfeld.
Iris se glissa dans un fourré de houx et de buis énormes qui ombrageaient le parc en cet endroit et formaient une allée sinueuse qui, longeant les murs, allait de la grille au chalet.
Il est bon de dire que cette fabrique, située à l'angle des murs du parc, se composait de deux pièces de rez-de-chaussée.
Il était quatre heures environ, le jour très bas, le ciel pluvieux et menaçant. Au moment où Iris se cacha dans les buis, Arnold rejoignait Berthe.
Celle-ci tressaillit à la vue du prince et fit quelques pas pour retourner au château; mais Arnold, la prenant par la main d'un air suppliant, lui dit:
—Enfin... je puis avoir un moment d'entretien avec vous... depuis deux jours! On dirait, en vérité, que vous me fuyez... moi, si heureux de ce voyage improvisé... Tenez, Berthe, j'ai peine à croire à mon bonheur....
—Je vous en supplie... laissez-moi.... Je vous évite parce que j'ai peur....
—Peur... et de quoi, mon Dieu?...
—Tenez, monsieur de Hansfeld... vous m'aimez, n'est-ce pas?—s'écria tout à coup Berthe.
—Si je vous aime!...
—Eh bien!... ne me refusez pas la seule grâce que je vous aie demandée....
—Que voulez-vous dire?...
—Partez....
—Partir... à peine arrivé... lorsque....
—Je vous dis que si vous m'aimez vous prendrez, bon ou mauvais, le premier prétexte venu... et vous quitterez cette maison.
—Mais je ne vous comprends pas.... Pourquoi... lorsque votre mari?...
—Ah! ici... ne prononcez pas son nom....
Rassurez-vous.... Je partage vos scrupules.... Je suis ici chez lui.... Je ne vous parlerai pas d'amour; je ne vous dirai rien que votre père ne pût entendre s'il était là. Ce que je vous demande, Berthe, ce sont quelques-unes de ces bonnes et tendres paroles que vous adressiez à votre frère Arnold dans ces longues causeries que nous faisions en tiers avec votre père.
—Silence... quelqu'un a marché dans le taillis...—dit Berthe avec inquiétude.
—Que vous êtes enfant.... C'est le vent qui agite les arbres. Tenez!... voilà le givre et la pluie qui tombent... et vous sortez sans votre manteau africain; c'est un double tort; ce burnous à capuchon vous rend si jolie....
—Je l'ai laissé dans le vestibule... mais je vous en prie, rentrons au château....
—Il est trop loin, la pluie tombe... pourquoi ne pas aller dans le chalet, là-bas, attendre que cette averse soit passée?
—Non, non....
—Oubliez-vous votre promesse de me faire visiter ce pavillon, votre retraite chérie? Oh! je n'abandonne pas cette bonne occasion de vous forcer à remplir votre promesse.... Tenez, la pluie augmente; venez... de grâce? Mais qu'avez-vous donc, vous me répondez à peine.... Vous tremblez, c'est de froid, sans doute... imprudente!...
—Je ne puis vous dire ce que j'éprouve, mais je ressens une terreur vague, involontaire.... Je vous en supplie, malgré la pluie, retournons au château.
—Mais c'est un enfantillage auquel je ne consentirai pas. Vous vous trouvez un peu souffrante, il ne faut donc pas vous exposer davantage.... Cette pluie est glacée, le chalet est à vingt pas.
—Eh bien! promettez-moi de partir demain.
—Encore?
—Oui.... Ne me demandez pas pourquoi; j'ai peur pour vous, pour moi; je ne serai tranquille que lorsque vous serez éloigné d'ici. Je ne m'explique pas ces craintes... mais je les éprouve cruellement.
—Mais enfin... admettez que votre mari soit jaloux.. qu'avez-vous à redouter? quel mal faisons-nous? Il est d'ailleurs plein d'attentions pour vous, il ne soupçonne rien.
—Ce sont justement ses bontés... si nouvelles pour moi... et sa douceur hypocrite qui m'épouvantent.... Lui, autrefois si brusque.... Et un jour...—Berthe tressaillit et s'écria en s'interrompant et en mettant une main tremblante sur le bras d'Arnold:—Encore!!! je vous assure qu'on marche dans ce taillis.... On nous suit.
Arnold prêta l'oreille, entendit en effet quelques branches crier dans l'épais fourré de buis et de houx; malgré la difficulté de pénétrer dans ce massif inextricable, Arnold allait s'y enfoncer, lorsque le bruit augmenta, le feuillage frémit, et à quelques pas un chevreuil bondit et sauta sur la route.
Arnold ne put retenir un éclat de rire, et dit à Berthe:
—Voyez-vous votre espion?
La jeune femme, un peu rassurée, reprit le bras d'Arnold; ils n'étaient plus qu'à quelques pas du chalet.
—Eh bien! pauvre peureuse—dit Arnold.
—Je vous en supplie, ne plaisantez pas, je crois aux pressentiments, Dieu nous les envoie.
—Mais comment, parce que votre mari semble revenir envers vous à de meilleurs sentiments, vous vous effrayez? Admettez même qu'il feigne cette bienveillance hypocrite pour vous tendre un piége, qu'avez-vous à redouter? que peut-il surprendre? Après tout, que demandé-je, sinon de jouir loyalement de ce qu'il m'a offert loyalement, de passer quelques jours auprès de vous? Je vous le jure, je ne sais pas quels seront mes vœux dans l'avenir... mais je me trouve à cette heure le plus heureux des hommes, je ne veux rien de plus; le présent est si beau, si doux, que ce serait le profaner que de songer à autre chose....
La pluie redoublait de violence.
Le jour, très sombre, commençait à baisser.
Berthe et le prince entrèrent dans le chalet.
CHAPITRE XXII.
LE CHALET.
Berthe, pour faire honneur à ses hôtes, avait fait disposer ce petit pavillon de la même manière que lorsqu'elle l'habitait.
Sur les murs on voyait quelques gravures dues au burin de son père, des aquarelles peintes par Berthe, ses livres, son piano. Un bon feu flamboyait dans la cheminée, ses vives lueurs luttaient contre l'obscurité croissante.... Une fenêtre carrée, semblable à celles des chaumières suisses, garnie de plomb et composée de petits carreaux verdâtres, grands comme la paume de la main, laissait voir l'allée du bois qui conduisait de la grille au chalet; la porte était restée entr'ouverte; Berthe, debout près de la cheminée, appuyait son front sur sa main, ne pouvant vaincre l'émotion qui l'accablait. Arnold, plein d'une joie d'enfant, ou plutôt d'amant, examinait avec une sorte de tendre curiosité tous les objets dont Berthe s'entourait habituellement.
—Quel bonheur pour moi—lui dit-il—de pouvoir emporter ce souvenir des lieux que vous habitez! et ce tableau sera toujours vivant dans ma pensée.... Voilà votre piano, cet ami des longues heures de rêverie et de tristesse... ces belles gravures, œuvres de votre père, où vous avez dû souvent attacher vos yeux attendris, en vous reportant par la pensée auprès de lui, dans sa modeste retraite....
—Oui, sans-doute—dit Berthe avec distraction;—mais, mon Dieu, qu'ai-je donc? je ne sais pourquoi mes idées roulent dans un cercle sinistre. Savez-vous à quoi je pense à toute heure? aux tentatives de meurtre auxquelles vous avez si miraculeusement échappé... Ne savez-vous donc rien de nouveau? avez-vous pu découvrir l'auteur de ces criminelles tentatives?
M. de Hansfeld tenait à ce moment un volume des Ballades de Victor Hugo et ouvrait curieusement le livre à une page marquée par Berthe.
Il retourna à demi la tête, sans fermer le livre, et dit à la jeune femme avec un sourire d'une étrange sérénité:
—Je crois connaître... ce... meurtrier.... Et il ajouta:—Quel plaisir de lire les lignes où vos yeux se sont arrêtés... ma sœur!
—Vous le connaissez?... s'écria Berthe.
—Je le crois.... Vous avez passé la journée d'hier et celle d'aujourd'hui avec cette homicide personne.—Puis s'interrompant encore:—Que je suis aise que vous partagiez mon admiration pour cette ravissante ballade la Grand'mère... une des plus touchantes inspirations de l'illustre poëte.... Vous avez, entre autres, souligné ces vers, d'une naïveté enchanteresse, que j'aime autant que vous les aimez....
Berthe croyait rêver en voyant le sang-froid du prince.—Que dites-vous?—reprit-elle—j'ai passé la journée d'hier et d'aujourd'hui avec....
—Avec une meurtrière.... Oui.... Mais écoutez, que ces vers sont adorables.... Pauvres petits enfants!
Tu nous trouveras morts près de la lampe éteinte;
Alors que diras-tu?
Quand tu t'éveilleras,
Tes enfants à leur tour seront sourds à ta plainte.
Pour nous rendre la vie...
—Grand Dieu! s'écria Berthe, en interrompant Arnold;—mais c'est donc votre femme qui est coupable de ces tentatives de meurtre? Pourtant vous nous aviez dit....
—Ce n'est pas ma femme,—reprit le prince en replaçant le livre sur la tablette;—mais c'est, si je ne me trompe... son âme damnée... cette jeune fille au teint cuivré...
—Iris!...
—Iris... j'en suis même à peu près sûr.
—Et votre femme?
—Ignorait tout.. j'aime à le croire.
—Et vous gardez ce monstre auprès de vous, dans votre maison? Mais si elle renouvelait ses tentatives?
—Eh bien!—dit Arnold avec un sourire à la fois si mélancolique, si calme et si doux, que les yeux de Berthe se mouillèrent de larmes.
—Comment, eh bien! s'écria-t-elle;—et si...; mais cette idée est horrible....
—Si elle recommençait ses expériences, ma chère sœur..., et qu'elle réussît, je lui en saurais gré.
—Que dites-vous?
—Franchement, quelle est ma vie désormais? Pendant ces quelques jours passés près de vous, l'ivresse du présent m'empêchera de songer à l'avenir; mais après? De deux choses l'une..., ou nous serons heureux.... Et, malgré votre indifférence pour votre mari, mon bonheur vous coûtera tant de larmes... tant de remords..., noble et loyale comme vous l'êtes, que mon amour vous causera autant de chagrins que les cruautés de votre mari.... Si, au contraire, les circonstances nous forcent de nous séparer, que restera-t-il? l'oubli!!! Malgré les serments de se souvenir toujours, hélas! il y a quelque chose de plus horrible que la mort de ceux que nous aimons... c'est l'oubli de cette mort! Vous le voyez... quel avenir! Avec vous, il n'y en aurait eu qu'un de possible pour votre bonheur et pour le mien... c'était de vous épouser.... Mais c'est un rêve! eh bien! ne vaut-il pas mieux que cette bonne et prévoyante bohémienne soit là comme une providence mortuaire, et qu'elle fasse de moi ce que, je l'avoue, je n'aurais peut-être pas le courage de faire moi-même... quelque chose qui a vécu!...
—Oh! ce que vous dites est affreux; mais dans quel but, mon Dieu, commettrait-elle ce crime?
—Que sais-je? je ne lui ai jamais fait de mal... je l'ai toujours comblée.... Mais les bohémiens sont si bizarres.... Une superstition... un rien... que sais-je! La pauvre enfant se donne bien du mal peut-être pour machiner son coup, tandis qu'après ces huit jours, bien entendu, je serais très disposé à faire la moitié du chemin.
A ce moment, la porte se ferma brusquement.
Berthe poussa un cri de frayeur.
—Cette porte... qui la ferme?
—Le vent...—dit Arnold.
La clef tourna deux fois dans la serrure.
—On nous enferme—s'écria Berthe.
Arnold courut à la porte, l'ébranla; ce fut en vain.
—Mon Dieu! je suis perdue.... La nuit est presque venue... et enfermée avec vous au bout de ce parc....
—Mais la fenêtre...—s'écria Arnold.
Il y courut.
—Il regarda. Il ne vit personne.
Il voulut la briser.... Impossible. Le treillis de plomb était si serré qu'il courbait, mais qu'il ne cassait pas; et puis cette fenêtre était à châssis fixe et immobile. Celle qui éclairait la porte du fond avait le même inconvénient.
Mon Dieu! ayez pitié de moi!—dit Berthe en tombant agenouillée.
CHAPITRE XXIII.
LE DOUBLE MEURTRE.
Iris, cachée dans le taillis, avait suivi Berthe et Arnold depuis le commencement de leur entretien jusqu'à leur entrée dans le chalet.
De grands massifs de buis et de houx dérobaient la bohémienne aux regards de ceux qu'elle épiait. C'était elle qui avait mis sur pied et fait bondir le chevreuil qui avait franchi l'allée devant Berthe. Après s'être approchée peu à peu du pavillon, Iris ferma la porte à double tour, et triomphante alla retrouver M. de Brévannes, qui l'attendait à une assez grande distance.
Si le hasard n'eût pas servi le détestable dessein d'Iris en réunissant Berthe et Arnold, elle se servait de la ruse qu'elle avait projetée en attirant la jeune femme dans le pavillon sous le prétexte de lui faire rencontrer Pierre Raimond.
M. de Brévannes était armé d'un fusil à deux coups et vêtu d'un costume de chasse; le choix de son arme éloignait toute idée de préméditation, rien de plus naturel que sa conduite. En rentrant de la chasse, il surprenait chez lui sa femme et M. de Hansfeld, renfermés dans un pavillon écarté à la nuit tombante. Il les tuait.
Qui pourrait dire qu'il n'y avait rien de coupable dans leur entretien?
Personne....
Qui pourrait dire que la porte était fermée en dehors?
Personne....
Malgré sa résolution, M. de Brévannes frémit à la vue d'Iris.
Le moment décisif était venu.
La bohémienne dissimula sa joie féroce, et lui dit avec un accent de douleur profonde:
—Je les ai suivis à leur insu, ainsi que je faisais d'après vos ordres depuis leur arrivée ici. Ils se parlaient bas; leurs lèvres se touchaient presque... Lui avait un bras passé autour de la taille de votre femme. Tout à l'heure ils sont entrés ainsi dans le chalet; alors j'ai fermé la porte... et je suis venue....
M. de Brévannes ne répondit rien.
On entendit seulement le bruit sec des deux batteries de son fusil qu'il arma, et ses pas précipités qui bruirent sur les feuilles sèches dont l'allée était jonchée.
La nuit était sombre.
Il lui fallait environ un quart d'heure pour arriver au pavillon.
Nous devons dire qu'à ce moment cet homme était autant poussé au meurtre par les fureurs de la jalousie que par le calcul atroce et insensé de tuer M. de Hansfeld afin d'épouser ensuite sa veuve.... Il croyait Berthe et le prince coupables.
En ce moment M. de Brévannes était, ivre de rage; le sang lui battait aux tempes.
Après une assez longue marche, il aperçut au bout de l'allée les faibles lueurs que jetait le feu allumé dans la cheminée du chalet à travers la fenêtre treillagée de plomb.
Il hâta le pas.
La pluie et le givre tombaient à torrents.
A mesure qu'il approchait du pavillon, il se sentait tour à tour baigné d'une sueur froide ou brûlant de tous les feux de la fièvre.
Enfin... il arriva, marchant légèrement et avec précaution: il approcha l'œil des carreaux verdâtres.
A la lueur expirante du foyer, il reconnut l'espèce de manteau blanc à capuchon que Berthe portait ordinairement.
Assise sur un divan, la jeune femme lui tournait le dos; elle appuyait ses lèvres sur le front d'un homme agenouillé à ses pieds qui l'entourait de ses deux bras.
Par un mouvement plus rapide que la pensée, M. de Brévannes ouvrit la porte, entra, appuya le canon de son fusil entre les deux épaules de sa victime et tira.
Elle tomba sans pousser un cri sur l'épaule de celui qui la tenait embrassée.
—Maintenant à vous, beau prince, coup double!...—s'écria M. de Brévannes en dirigeant le canon de son fusil sur le crâne de l'homme qui tâchait de se relever.
Au moment où il allait tirer, la porte de la seconde chambre du chalet s'ouvrit violemment derrière lui.
Quelqu'un qu'il ne voyait pas lui saisit le bras, détourna le fusil et l'empêcha de commettre un second crime. M. de Brévannes se retourna et vit.... M. de Hansfeld!
A ce moment, l'homme agenouillé devant la femme se releva, se précipita sur M. de Brévannes en criant:
—Assassin!
—M. de Morville!—s'écria M. de Brévannes en reconnaissant ce dernier à la lueur d'un jet de flammes.
—Tu as tué madame de Hansfeld, assassin!—répéta M. de Morville.
M. de Brévannes recula d'un pas, tenant toujours son fusil à la main; ses cheveux se dressaient de terreur. Il se précipita vers la femme dont le corps avait glissé à terre, mais dont la tête reposait sur le sofa....
Il reconnut Paula.
En s'apercevant de cette sanglante méprise, qui le rendait coupable d'un assassinat que rien ne pouvait excuser, en trouvant M. de Morville auprès de la femme dont il se croyait passionnément aimé, un vertige furieux saisit M. de Brévannes; il poussa un éclat de rire féroce et disparut.
Le prince, M. de Morville, bouleversés par cette scène horrible, ne s'opposèrent pas à son départ.
Quelques secondes après, on entendit une détonation.
M. de Brévannes venait de se tuer.
CHAPITRE XXIV.
EXPLICATION.
Il nous reste à expliquer l'arrivée de M. de Morville au château de Brévannes, et sa présence, ainsi que celle de Paula dans le chalet, où se trouvaient Berthe et Arnold un quart d'heure auparavant.
M. de Morville avait appris par madame de Lormoy, sa tante, que Paula était subitement partie avec son mari pour la Lorraine, au milieu de l'hiver, pour aller passer quelque temps chez M. de Brévannes.
M. de Morville ignorait complètement que Paula connût M. de Brévannes; ce départ si subit, si extraordinaire en cette saison, annonçait une intimité bien grande. De plus, il se souvenait de quelques mots, de quelques réticences de Paula lors de sa dernière entrevue avec elle au bal masqué. Il se crut sacrifié, trahi, ou plutôt il ne put trouver une raison plausible au départ de Paula; sa raison se perdit. Au risque de compromettre Paula par l'invraisemblance du prétexte de son voyage, il partit pour la Lorraine, décidé à parler à tout prix à madame de Hansfeld et à éclaircir ce mystère.
Il arriva en effet sur les quatre heures du soir, fit arrêter sa voiture à la grille du parc qui avoisinait le chalet, ainsi que nous l'avons dit, et envoya son domestique à madame de Hansfeld avec ces mots:
«Madame,
«Par suite d'un pari avec ma tante, madame de Lormoy, qui, surprise de votre brusque départ et assez inquiète sur votre santé, désirait vivement savoir de vos nouvelles, j'ai gagé que je viendrais m'en informer auprès de vous, et que je retournerais à l'instant à Paris rassurer madame de Lormoy. Si vous êtes assez bonne pour vous intéresser à mon pari, veuillez me le faire savoir. N'ayant pas l'honneur de connaître M. de Brévannes, et ayant promis de ne pas même descendre de voiture, j'attends votre réponse à la grille du parc.»
Paula reçut ce billet au moment où elle rentrait de la promenade. Il pleuvait. Prendre à l'instant le premier manteau venu (ce fut celui de Berthe, il se trouvait dans un vestibule), courir auprès de M. de Morville, tel fut le premier mouvement de Paula.
Au milieu de ses terribles angoisses, elle voulait à tout prix éloigner M. de Morville d'un lieu où pourrait se passer un événement si tragique.
M. de Morville descendit de voiture à la vue de Paula, entra dans le parc, prit son bras et lui fit de tendres reproches sur son départ si brusque, la suppliant de lui expliquer cette détermination si bizarre.
Craignant d'être rencontrés dans le parc, quoique la nuit commençât à venir, Paula conduisit, tout en marchant, M. de Morville vers le pavillon où se trouvaient enfermés Berthe et M. de Hansfeld.
En entendant ouvrir la porte, Berthe, par un mouvement de frayeur involontaire, se réfugia dans la seconde pièce du pavillon; Arnold la suivit et put, en entendant le rapide entretien de M. de Morville et de Paula, s'assurer que du moins Paula n'avait jamais oublié ses devoirs.
M. de Morville, rassuré par les plus tendres protestations de Paula qui le pressait de partir, venait de lui demander un seul baiser sur le front... lorsque M. de Brévannes la tua, trompé par l'obscurité, par le manteau de Berthe, et surtout par la conviction qu'il avait de la présence de celle-ci dans le pavillon.
On retrouva, le lendemain, le châle d'Iris flottant sur un des étangs.
On se souvient que M. de Morville avait dit à Paula qu'un serment sacré le forçait de fuir toutes les occasions de la voir.
C'était encore une machination d'Iris.
Jalouse de ce nouvel attachement de sa maîtresse, elle était allée trouver madame de Morville, lui avait fait un effrayant tableau de la jalousie cruelle et soupçonneuse du prince de Hansfeld, capable, dit-elle, de faire tomber M. de Morville dans un sanglant guet-apens s'il s'occupait plus longtemps de la princesse.
Madame de Morville, épouvantée des dangers que courait son fils, lui fit jurer, sans lui découvrir la cause de son effroi, de ne plus songer à madame de Hansfeld à moins que celle-ci ne devînt veuve. M. de Morville, quoique ce serment lui coutât beaucoup, vit sa mère qu'il adorait, si émue, si suppliante, elle était d'une santé si chancelante, qu'il sentit que la refuser serait lui porter un coup terrible, peut-être mortel. Il céda... il promit.
Dix-huit mois après ces événements, Berthe Raimond, princesse de Hansfeld, partit avec Arnold et le vieux graveur pour habiter l'Allemagne, où ils se fixèrent tous trois.