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Pensées d'un mercanti

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PENSEES DISTRAITES

Quand j’ai commencé, je ne savais rien et je jouais n’importe quoi ; j’ai gagné de l’argent. Plus tard, j’ai voulu choisir et j’ai perdu de l’argent ; alors, je me suis remis à jouer n’importe quoi.


Si les acteurs étaient payés au prix qu’ils valent, et non à celui qu’ils croient valoir, les frais de plateau seraient considérablement diminués.


Quand on dit d’un directeur : « C’est un artiste ! » il est fichu !


J’ai toujours dépensé sans compter pour ce qui se voyait ; j’ai toujours lésiné sur ce qui ne se voyait pas. De là ma fortune ; j’allumais mille lampes sur la scène, et j’éteignais deux lampes sur trois dans les loges d’artistes.


Un directeur doit passer pour un homme à femmes, et se garder de l’être réellement.


Surveillance et douceur : il faut savoir ouvrir l’œil… et fermer les yeux !


Répétition générale ? Un amas de rancunes liguées contre un succès.


Les critiques : des gens qui n’aiment pas le théâtre des autres, parce qu’ils en font eux-mêmes, ou parce qu’ils ne peuvent pas en faire.


En terme de marine comme de théâtre, la vedette, c’est un bateau.


J’encourage beaucoup les jeunes, pourvu que ce soient mes confrères qui les jouent.


Etre eng…uirlandé, c’est la meilleure publicité, celle que l’on ne paie pas et qui ne s’arrête jamais.


Je n’ai détesté personne, mais je n’ai raté personne.


J’ai cru à la chance, jusqu’au jour où j’ai découvert que j’étais intelligent.


La chance, c’est l’art de ne pas contrarier les événements.


Quand je donnais une pièce nouvelle, je m’empressais au préalable de la débiner. On la faisait réussir, rien que pour m’embêter.


Un jour, j’ai failli mourir ; c’est la seule fois que l’on m’ait trouvé intéressant.


Mes auteurs favoris — j’entends ceux qui ont édifié ma richesse — ont été tour à tour mes amis et mes adversaires ; moi, je restais implacablement leur ami.


Je suis né à Amiens, mais j’ai laissé croire que j’étais du Midi ; cela rend la vie plus facile, car cela excuse tout.


Le meilleur moyen de dompter un ennemi, c’est d’en faire un complice.


J’ai toujours été honnête jusqu’au scrupule dans les affaires d’argent. Cela vous donne beaucoup de liberté pour les autres.


Je confie aux reporters : « Je vais bientôt me retirer des affaires ! » Pure coquetterie ! Je ne me reposerai qu’aux Champs-Élysées ; encore ne suis-je pas bien sûr de n’y pas monter un Théâtre d’Ombres.


Je n’aime pas l’argent, c’est l’argent qui m’aime.


La seule manière de plaire au public, c’est de le mépriser.


On a toujours besoin de plus d’argent qu’on n’en gagne.


Je ne suis pas aussi riche qu’on le suppose : j’ai mis beaucoup d’argent de côté… et d’autre ; j’en ai mis à côté ! Mais on me croit riche et c’est l’essentiel !


Je ne regrette pas mes fours : il faut faire envie et pitié.


Il y a dans tout grand succès une forte part de médiocrité ; sans cela, notre profession serait condamnée.


Un bon titre vaut mieux qu’un bon sujet et qu’une bonne pièce.


Un auteur « répandu » est généralement un auteur qui se liquéfie.


Nous avons plusieurs fléaux : la chaleur, le froid, la neige, la pluie, le soleil ! Allez donc vous y retrouver là-dedans !


Mon collègue X… m’a confié : « Je ne lis jamais une pièce, je joue le nom de l’auteur. » Quel gâcheur ! Et dire qu’il a fait fortune !


J’ai vendu du rire et j’ai vendu des larmes, avec la même pièce à peine modifiée.


Les acteurs sont insupportables ; il est plus difficile de faire une affiche que de faire un succès.


J’ai eu dans ma carrière deux ennemis terribles dont je ne suis venu à bout qu’au prix des plus grands sacrifices : moi, et mon homme de confiance.


Il n’y a qu’un désir que je n’ai pu satisfaire, celui de jouer la comédie.


Dans notre profession, on ne trouve que des « entrebailleurs de fonds ». La finesse du jeu consiste à s’en faire des commanditaires.


Les gens de théâtre se divisent en deux classes : ceux qui donnent de l’argent pour avoir de l’amour et ceux qui donnent de l’amour pour avoir de l’argent. Les premiers sont les commanditaires.


J’aurai bientôt la Légion d’honneur, et je me demande ce que Napoléon Ier aurait pensé de ça !


Le théâtre est-il un art ? Est-il un commerce ? C’est un art quand ça ne réussit pas.


Vanité de la critique, dont un placard de publicité peut reviser le jugement…


J’ai fréquenté les plus grands personnages, les plus puissants et les plus riches ; tous m’ont réclamé des billets de faveur. Ils en eussent trouvé chez le plus proche marchand de vins.


Je n’aime pas qu’on me lise des pièces, je préfère les lire moi-même ; au moins, je puis arrêter la lecture à mon gré.


Si je reçois une pièce finie, je la mets de côté ; au bout de deux mois, je n’y pense plus ; au bout de trois mois, je la prends en horreur et je n’ai plus qu’une idée : m’en débarrasser.


Une pièce reçue sur un vague scénario vous réserve de pures joies ; on la fabrique à l’avant-scène, chacun apporte sa contribution, fournit des idées ; et, somme toute, ce n’est pas plus mauvais qu’autre chose ; on a, en plus, le charme de l’imprévu.


Je n’ai jamais dit : « Je veux ! » Mais : « Vous voulez ? »


Quand un théâtre ne marche pas, vendez-le, vous ferez une bonne affaire ; quand il marche, vendez-le aussi ; c’est encore une bonne affaire !


Je travaille le matin, je travaille l’après-midi, je travaille le soir. Et notre métier passe pour une sinécure !


Le directeur de théâtre est le seul commerçant que la faillite ne puisse enrichir.


Ce qui juge notre profession, c’est qu’Antoine s’y est ruiné, alors que M. X… est devenu millionnaire.


Mercanti, tant que vous voudrez ! Mais voulez-vous ma place ? Tâchez de la prendre !


L’auteur remercie les artistes, le décorateur, le costumier, les machinistes ; il oublie généralement le directeur, à moins qu’il ne se brouille avec lui.


Je suis parti de rien, et je ne suis arrivé à rien ; comme Siéyès, j’ai vécu.


Pas d’auteur-directeur, ni de directeur-auteur ; chacun son métier, les Muses seront bien gardées.


Si Molière, Corneille et Racine se produisaient à notre époque, ils trouveraient toutes les portes fermées.


On a toujours une raison valable pour refuser un bon ouvrage ; il suffit de trouver les mots « à l’emporte-pièce ! »


Je me suis fait apprécier grâce à ma franchise, car je n’ai jamais hésité à dire aux gens tout le bien que je ne pensais pas d’eux.


« Il n’y a pas de claque à l’Opéra-Comique ! »… mais, heureusement, il y en a dans les environs.


Je ne sais rien de plus odieux qu’un homme modeste : c’est un vaniteux rentré.


C’est à tort que l’on m’a cru hardi et bien portant ; hélas ! j’ai sans cesse mal à l’estomac… que je n’ai pas.


Je ne veux pas me faire meilleur que je ne suis ; on en abuserait.


En général, un four n’est qu’un succès que l’on n’a pas su exploiter.


La pièce à thèse : une vieille roulure que l’on habille en bébé.


Il ne faut pas craindre les pièces ennuyeuses ; quand le public s’ennuie, il croit qu’il pense, et ça le flatte.


Le Théâtre a résisté aux taxes, aux impôts, au Cinéma, au Dancing, à la T. S. F. Faut-il qu’il ait la vie dure !


J’ai entendu un auteur adresser à une de ses interprètes ce madrigal : « Madame, vous êtes une étoile dont je voudrais faire une comète ! »


L’auteur devient, du même coup, l’amant de l’étoile et l’ennemi du Directeur.


Un jeune qui fait reconnaître son enfant par un vieux ; c’est l’histoire de bien des collaborations.


Une pièce n’est jamais finie ; l’auteur, les interprètes la modifient sans cesse ; et le jour de la dernière, ils y travaillent encore !


Un auteur, à qui je reprochais sa rosserie, me répondit : « Je n’ai jamais pu retenir une méchanceté ; il me semble, quand je l’ai dite, que je ne la pense plus ! »


Une collaboration résiste rarement à la prospérité.


Les collaborateurs se trompent l’un l’autre, comme les amants. Mais leur réconciliation donne toujours naissance à un bel ouvrage.


Au théâtre, il n’y a pas de haine durable, ni d’amour fidèle.


Un homme qui a « du caractère » l’a forcément mauvais.


La susceptibilité n’est qu’un sous-produit de la vanité. L’orgueil l’ignore.


Représentation de charité : tout le monde donne, sauf ceux qui l’organisent.


La claque est inutile, depuis qu’on a supprimé le sifflet.


Impossible d’apprécier : Mlle X… qui n’a aucun talent, « ne manque pourtant pas de talent ! »


Pourquoi chaque critique dramatique se termine-t-elle par l’éloge minutieux de toute la troupe ? Cela devrait se faire à part, ou ne pas se faire du tout. Vous donnez à l’acteur un certificat de collaboration ; s’il a été bon, il a rempli sa fonction, sans plus. La citation à l’ordre du jour ne devrait être réservée qu’aux artistes de génie.


Quand vous écrivez : « Les toilettes de Mme Z… étaient ravissantes », vous dédiez à Mme Z… un compliment dont elle se passerait volontiers.


Mettez tous mes confrères dans un sac, vous n’en tirerez qu’un sot.


Un directeur dit à une jeune artiste : « Vous fournissez vos toilettes, vous fournissez vos chaussures, vous fournissez vos chapeaux, vous fournissez vos bas et vos gants. — Et vous, répond l’autre, est-ce que vous fournissez l’amant qui paiera tout cela ? »


Un moyen sûr de faire de l’argent dans un théâtre, c’est de le transformer en banque. Et encore…


Épictète a dit : « La difficulté que nous éprouvons à obtenir les choses, objets de nos désirs, nous les rend plus précieuses quand nous les avons, et plus indifférentes quand nous en sommes privés ! » Après tout, est-ce Épictète qui a dit ça ?


Il faut s’emparer du bonheur.


Un de mes auteurs, assez pillard, paraphrasait ainsi un vers célèbre : « L’esprit qu’on veut avoir gâte celui qu’on vole ! »


N’abusez pas des pièces pornographiques ; tout cochon a dans le cœur un homme qui sommeille.


Le public vous sait peu gré des sacrifices que vous faites pour lui.


Petit dialogue : « Ma parole vaut mieux qu’un écrit, dit le Directeur. — Et qu’est-ce qui vaut mieux que votre parole ? » demande l’Auteur, inquiet.


On finit par avoir raison quand on se trompe avec décision.


T. B. me disait : « On a fêté ma centième, le jour de la quatre-vingtième, qui n’était d’ailleurs que la cinquantième !


Phraséologie qui ne trompe personne : une pièce est toujours interrompue « en plein succès et par suite de traités antérieurs ». De la sorte, auteurs, directeurs et spectateurs passent pour des idiots.


Une actrice vertueuse, c’est un fléau, même si elle est laide.


J’ai trouvé des Jeunes Premiers, des Comiques, des Ingénues ; mais que de mal j’eus à dénicher un bon souffleur !


On a multiplié les répétitions préventives : répétitions de costumiers, de modistes, de cordonniers, d’éclairage, etc. ; rien de tout cela n’empêche la Générale, où se concentre la malveillance parisienne.


Quand un spectateur entre dans un théâtre avec un billet de faveur, il prend aussitôt une âme de juge implacable. Il n’y a d’indulgent que le cochon de Payant.


L’Agent de publicité est un habile homme qui profite également de votre misère et de votre triomphe.


Le maître du théâtre contemporain, c’est le chasseur de restaurant.


Un ridicule voyant est la meilleure forme de la publicité.


Mon principal interprète a une écurie de courses ; moi, je n’ai jamais fait courir que des bruits, et j’ai gagné à tout coup.


J’ai fait la fête, et j’en suis réduit à l’eau de Vichy ; il ne faut pas dire : « Tonneau, je ne boirai pas à la fontaine ! »


Deux corps de métier odieux : les machinistes et les musiciens d’orchestre. La pièce rêvée est celle-ci : un seul décor, six personnages au plus, des costumes de ville et pas de musique.


La femme, a dit Pascal, est un roseau dépensant.


Un engagement est un papier timbré, signé par deux personnes également timbrées.


Il n’y a pas de métier plus fatigant que celui d’artiste dramatique : il faut tout le temps être debout… ou couché.


Capus conseillait à un jeune homme : « Ne sois pas antisémite, mais n’empêche personne de le devenir ! »


Ayez des ennemis ! Vos amis se lasseront de parler de vous ; vos ennemis, jamais !


L’esprit de dialogue est tout différent du véritable esprit ; ce n’est même pas de l’esprit. Je vous défie de lire une pièce qui vous a paru spirituelle ; c’est lamentable !


Compétence de cabots : une grande Sociétaire, Mlle R…, formulait son jugement sur une pièce que l’on venait de lire au Comité : « L’ouvrage est mal écrite ! »


Nous avons refusé l’entrée de notre Association à notre confrère S… Cela donnait à entendre qu’il n’y avait qu’un malhonnête homme dans notre corporation.


Il ne faut pas montrer trop de femmes nues aux spectateurs, comme il ne faut pas donner trop de viande aux chiens, ça les rend malades.


Une bonne pièce est toujours bien jouée.


Calculez exactement tous vos frais, après quoi vous pourrez ajouter un tiers de la somme trouvée, et vous ne serez pas loin de la vérité.


Pardonnez tant que vous voudrez, mais n’oubliez jamais !


Sarah disait jadis : « J’ai le théâtre le plus commode à diriger, parce que les deux sexes ne risquent pas de s’y battre ! »


Mettre les autres en colère, et garder son calme. Ne crier que si l’on n’a pas raison.


La profession d’artiste dramatique vieillit les hommes et rajeunit les femmes.


Les comiques les plus laids sont les mieux aimés.


Un proverbe dit : « Il faut prendre son mal en patience » : un autre : « Il faut prendre sa femelle en patience ! »


Une femme qui dirige un théâtre est parfois remarquable ; une femme qui dirige un directeur de théâtre est toujours néfaste.


On meurt un peu de chaque ambition réalisée.


Le directeur M… disait à Georges Feydeau : « Tu es resté bohème, tandis que moi, je suis arrivé. — Pardon ! rectifia Feydeau, tu veux dire parvenu ! »


Il y a un langage du théâtre.

Un auteur prend à part le principal interprète et lui explique longuement son personnage : l’autre n’y comprend goutte.

Survient le régisseur qui dit brutalement à son camarade : « Tu avances de deux pas vers le jardin, tu t’arrêtes et tu fais cette g…-là ! » L’autre a compris.


Une bonne affiche a souvent sauvé une mauvaise pièce.


Ne laissez pas un acteur vous apporter une pièce ; d’avance, c’est une mauvaise pièce où il y a un bon rôle.


Une lecture où les artistes font un succès à l’ouvrage : mauvais présage. Par contre, une lecture morne est d’excellent augure.


Traitez le spectateur comme un ami intime. Demandez-lui de l’argent, et de la complaisance.


Ne dites pas d’un auteur qui vous a quitté : « Il est fini ! » Il recommence ailleurs !…


Abstenez-vous de répondre aux calomnies et aux outrages ; on vous en servirait une nouvelle tournée.


Les deux premiers juges d’une pièce, et les plus sûrs sont le machiniste et le marchand de billets.


Affichez quelques superstitions, qui embelliront votre légende. Mais n’y croyez pas, sinon vous empoisonnerez votre vie.


Beaucoup d’« expériences » ne forment pas une expérience.


Les femmes sont le plus mauvais public ; elles viennent se montrer, regardent dans la salle, cherchent à se faire remarquer, bavardent entre elles, évaluent la beauté et les toilettes des actrices, et ne prêtent aucune attention à la pièce. Après quoi, elles quittent le théâtre en disant tout haut : « C’est idiot ! »


Ce que les femmes recherchent, dans l’opérette, c’est le dancing et le couturier.


Les amateurs de pièces gaies ont deux plaisirs : celui de rire d’abord, et celui de mépriser leur gaieté, ensuite.


Les mondains arrivent quand la pièce est commencée, ils ne l’écoutent pas parce qu’ils n’en ont pas connu la préparation, et ils s’en vont avant la fin. Et ce sont eux qui font la réputation de la pièce !


Une œuvre dramatique meurt avec son auteur ; on ne reprend pas les morts.


Depuis des siècles, c’est le même mouchoir que les auteurs se dérobent les uns aux autres ; quelques-uns ont la pudeur de le démarquer.


La tirade n’est plus de mode : on démolit tous les tunnels.


La maîtresse d’un auteur en vogue a nécessairement du talent.


Certaines actrices tiennent le haut du pavé ; elles n’ont eu qu’à descendre du trottoir.


Depuis l’impôt sur le revenu, on remet tous les ans à neuf la plupart des théâtres.


« On refuse du monde au bureau ! »… mais il y a quand même des places chez le marchand de billets, et des vides dans la salle.


La fonction d’acteur a ceci d’agréable qu’elle ne comporte pas de limite d’âge.


La vieillesse des Maîtres ! Halévy racontait cette anecdote : Il était allé voir Koning, le directeur du Gymnase, afin de lui parler d’une pièce. Au milieu de l’entretien, un nécessaire apporte une carte, et Koning s’écrie : « Dites à ce vieux raseur que je suis en voyage ! » Halévy jette un coup d’œil sur la carte, et lit : « Eugène Scribe, de l’Académie Française. »


On a multiplié les Théâtres de Jeunes ; pourquoi ne ferait-on pas un Théâtre de Vieux ?


Un dilemme se pose à tous les écrivains dramatiques : Pour être reçu, il faut avoir été joué, et pour être joué, il faut avoir été reçu.


L’auteur moderne : un monsieur qui est à la fois financier, directeur, comédien, metteur en scène, marchand de billets… et peut-être écrivain.


Ne confiez pas votre maîtresse, ne prêtez pas votre auto, ne sous-louez pas votre théâtre.


Ne faites pas de reprises ; ou bien changez le titre de la pièce. Ce sera du stoppage.


Mon collègue X… m’a soufflé le fameux comique Gédéon, dont je ne voulais plus ; je lui soufflerai Gédéon quand il n’en voudra plus ; le malheur c’est que, chaque fois, Gédéon augmente son cachet.


Mon ingénue est enceinte, ma coquette divorce, ma soubrette est lâchée par son milliardaire, ma duègne fait faire sa première communion à son amant, mon accessoiriste prend un cinéma, mon comique entre dans les ordres, ma rondeur est neurasthénique, et cependant mon succès en cours marche vers la millième.


Les cabots se détestent, le personnel se querelle, les employés se jalousent, mais tout cela est baigné par la bonhomie et l’esprit de corps.


Un machiniste me dit : « Sans moi, vous ne joueriez pas ! »

Un acteur me dit : « Sans moi, vous ne joueriez pas ! »

Un auteur me dit : « Sans moi, vous ne joueriez pas ! »

Mais, moi, je pense : « Sans moi, est-ce que vous joueriez ? »


Un maître chanteur est venu, qui m’a réclamé mille francs ; avec cent sous, j’en ai fait un mendiant.


Quand je n’avais pas de théâtre, on me refusait la moindre scène, même à prix de diamant ; maintenant que je gouverne les coulisses, on m’offre cent théâtres pour rien, pour le plaisir, et parce que je suis verni !


Pour fonder une dynastie, il ne me manque qu’un fils.


Je n’attends rien que du présent ; quel dommage qu’il se fane si vite !


Une bonne pièce finit à 23 h. 45. Ne cherchons pas minuit à deux heures !


L’indulgence est la pire forme de l’indifférence.


Je ne veux pas être bien élevé, je perdrais toute ma saveur.


Je ne rougis pas de mes origines, mais je n’aime pas qu’on me les rappelle.


De quoi demain sera-t-il fait ? Mais d’hier, tout simplement !


Je n’ai pas eu le temps de me payer un vice.


On compte ensemble les sommes qui reviennent aux Pauvres et aux Auteurs ; ce sont les pauvres qui sont assurés de toucher le plus, ils ne repassent pas de droits.


Le public est un fauve que l’auteur dramatique s’efforce de tenir en respect ; une minute d’inattention et le dompteur est dévoré.


Quelques rares auteurs ont la cote d’amour jusqu’au jour où, sans raison, ils tombent en discrédit ; le public est comme le Pape, il fait payer ses indulgences.


Les critiques-auteurs sont les plus susceptibles ; or, celui qui n’est pas capable d’entendre la vérité n’est pas digne de la dire aux autres.


Les hommes ne sont pas aussi honnêtes qu’ils le prétendent, ni aussi canailles qu’on les dit.


Des financiers m’ont prêté cent mille francs, qui ne m’eussent pas avancé cinq louis.


Quel que soit le triomphe d’une pièce, l’auteur regrette les dix représentations qu’il n’a pas eues.


Se défier de soi-même, et se méfier d’autrui.


On me dit : « Mon cher, vous êtes étonnant, vous rajeunissez ! » Et je découvre ainsi que je vieillis…


La bonté est la forme la plus évidente du gâtisme.


J’admets la religion de l’Amitié, à condition que j’en sois le Dieu.


Quand on désire violemment une chose, elle arrive.


Pour être Directeur de Théâtre officiel, il faut avoir une âme de laquais. C’est pourquoi nous ambitionnons tous cette situation.


C’est avec du sourire que l’on pêche le plus de dévouements.


L’argent ne sert qu’à fabriquer des ingrats.


Le succès et le four nous valent autant d’ennemis ; mais ils sont de qualité différente.


Le découragement n’est que l’excuse des imbéciles.


Vous m’attaquez, car vous espérez un sursaut de colère ? Vous ne l’aurez pas ; ma platitude guette vos excuses.


Celui qui meurt trop tôt se condamne ; s’il avait duré, il aurait eu raison.


J’aime la vie pour ce qu’elle me donne et pour ce qu’elle me refuse. En fin de compte, je t’aurai, garce !


Elle m’a aimé, et j’ai cru qu’elle ne m’aimait pas ; dès qu’elle ne m’a plus aimé, j’ai cru qu’elle m’aimait, et je l’ai aimée. Comme nous nous sommes fait souffrir inutilement !


Je lègue à mon successeur toutes les imperfections de ma maîtresse ; je ne garde que le souvenir de ses qualités.


Une femme m’a fait signe, dans mes songes. Je la cherche encore.


Comme j’ai souffert d’être brutal ! Et comme j’aurais souffert, si je ne l’avais été !


L’ambition n’est qu’un entraînement ; les plus paresseux se laissent tirer par l’action, et vont, en dépit de leur lassitude, vers des sommets où le vertige les affole ; il est plus facile de monter que de descendre.


Pour mépriser l’argent, il faut en avoir beaucoup ; or, on n’en a jamais assez.


Je me suis ruiné pour une femme à qui j’ai, plus tard, refusé cent sous. Quand ai-je été sincère ?


Il n’y a qu’un plaisir, celui de dominer.


Amour, Fortune : on m’a volé. A qui m’en prendrai-je, sinon à moi qui me suis laissé voler ? J’ai mieux aimé être dupe que dupeur, c’est moins fatigant.


La fortune seule confère la sérénité. L’absolue pauvreté seule confère le dédain ; je préfère la fortune.


Étais-je nécessaire ? Je ne le crois pas. Ai-je été inutile ? Je ne le crois pas non plus. J’ai été, cela suffit.


La volonté est une invention des philosophes ; les événements, les comparses veulent pour vous ; après quoi, vous dites : « Je veux ! » Et vous cédez.


J’ai connu un homme qui entendait composer d’avance sa vie comme une œuvre d’art. Il a fini par mourir, lui aussi ; il était bien avancé !


Quand j’ai pu me payer des noisettes, je n’avais plus de dents.


Dites que je suis un salaud, ça m’est égal. Mais ne dites pas que je suis un parfait honnête homme, vous me vexeriez.


J’ai acheté un nombre incalculable de livres que je n’avais pas le temps de lire. Je mettais ainsi de la science à la caisse d’épargne pour ma vieillesse ; mais je n’ai pas eu de vieillesse.


Je me regarde dans le miroir terni du Passé ; j’y vois des visages de moi-même qui me font horreur, et pourtant je les regrette.


Un génie est souvent un imbécile mal compris.


Sans le snobisme, il n’y aurait pas de littérature.


J’attends le jeune maître à son troisième ouvrage : quelle faillite !


Brûlez toutes les bibliothèques, il y aura encore des plagiaires.


Les plus fervents apôtres de la natalité sont les eunuques : qu’est-ce qu’ils risquent ?


Une pièce que l’on discute a donc assez de mérites pour être discutée ?


Mon métier me dégoûte ; pourquoi le fais-je ? Parce qu’il me dégoûte.


J’ai dirigé cent théâtres, j’ai dirigé deux cents auteurs, quatre cents artistes ; j’ai dirigé mille entreprises ; j’ai dirigé tout, « fors que moi-même. »


J’arrête ici cette psycholalie du Directeur ; je viens d’avoir environ deux cents pensées, à peu près ce que La Rochefoucauld eut durant toute sa vie. Je ne prétends pas m’aligner avec ce professionnel, je ne suis qu’un amateur désabusé. Je n’ai songé qu’à livrer le résultat d’une modeste expérience dont mes successeurs pourront, je l’espère, tirer profit. S’il m’est arrivé de mêler à des notes cursives des réflexions un peu ambitieuses, je m’empresse de m’en excuser. Pour être directeur on n’en est pas moins homme. Prenez là-dedans ce qui vous conviendra, puisque je suis couvert du linceul de l’anonyme.

2942-2-24. — Imp. Henry Maillet, 3, rue de Châtillon, Paris.

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