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Petite légende dorée de la Haute-Bretagne

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The Project Gutenberg eBook of Petite légende dorée de la Haute-Bretagne

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Title: Petite légende dorée de la Haute-Bretagne

Author: Paul Sébillot

Release date: October 5, 2008 [eBook #26780]

Language: French

Credits: Produced by Pierre Lacaze, Chuck Greif and the Online
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file was produced from images generously made available
by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica) at
http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK PETITE LÉGENDE DORÉE DE LA HAUTE-BRETAGNE ***

PETITE BIBLIOTHÈQUE BRETONNE

PAUL SÉBILLOT

PETITE

LÉGENDE DORÉE

DE LA

HAUTE-BRETAGNE

image pas disponible

NANTES

SOCIÉTÉ DES BIBLIOPHILES BRETONS
ET DE L'HISTOIRE DE BRETAGNE
——
M.DCCC.XCVII

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TIRÉ À 400 EXEMPLAIRES NUMÉROTÉS

Pour la Société des Bibliophiles bretons

Exemplaire nº

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Les «sentes» de la mer, dessin de Paul Chardin.

TABLE

La sainte marchant sur les eaux, frontispice, dessin de Paul Chardin  
Préface i.
Croix du Morbihan (xvie siècle) viii.
Sources ix.
I. Sainte Blanche et les Anglais 1
    Sainte Blanche marchant sur les eaux, dessin de Paul Chardin 3
II. La statue de sainte Blanche 5
III. Les taches de la mer et les saints 9
IV. Saint Riowen marchant sur les eaux 12
V. Saint Clément 14
VI. Saint Clément et les vents 16
VII. Saint Clément et la tempête 21
VIII. Pourquoi Saint-Jacut n'est plus une île 24
IX. Saint Cieux 28
    Ancienne statue de saint Briac, dans l'église de ce nom, dessin d'Auguste Lemoine 29
X. Le pied de saint Cast 31
XI. Saint Lunaire 34
    Saint Lunaire et la colombe 35
    Tombeau de saint Lunaire 37
XII. Saint Goustan 38
XIII. Les pas de la Vierge 40
XIV. Le saut de saint Valay 43
XV. Les saints et les mégalithes 45
XVI. Saint Guillaume 52
XVII. Pierre Morin 54
XVIII. Le grés saint Méen 55
    Statue de Saint-Méen, église de Paimpont 55
    Saint Méen, statuette à Notre-Dame du Haut 57
XIX. La chasse saint Hubert 58
XX. La pierre de saint Lyphard 60
XXI. Saint Convoyon et la roche aboyante 62
XXII. Saint Roch 64
XXIII. La fontaine du Pas de Saint 67
XXIV. Saint Maudez, saint André et saint Fiacre 70
XXV. Pourquoi on offre des clous à saint Maudez 72
XXVI. Pourquoi on offre du chanvre à saint André 74
XXVII. Le cochon de saint Antoine 75
XXVIII. Saint Jean, saint Antoine et les cochons 77
XXIX. Saint Mathurin, saint Eutrope et saint Amateur 79
    Saint Mathurin, image populaire 80
    Ancien plomb de saint Mathurin 81
    Ancienne médaille de saint Mathurin, en plomb 82
XXX. Sainte Anne et sainte Pitié 83
XXXI. Le départ de saint Pabu 85
XXXII. Saint Robert d'Arbrissel 88
XXXIII. La chapelle du Bois-Picard 89
XXXIV. La croix des sept loups 91
XXXV. Les chapelles de Champeaux 93
XXXVI. Les Notre-Dame de l'Épine 95
XXXVII. Notre-Dame du Nid de Merles 100
XXXVIII. La chapelle de Notre-Dame à Bovel 103
XXXIX. Le prieuré de Notre-Dame à Montreuil 104
    Pierre sculptée de la façade du prieuré 105
XL. La statue qu'on ne peut emmener 106
XLI. Saint Samson et la cathédrale de Dol 107
XLII. Saint Benoît de Macerac 109
    Tombeau de saint Benoît 110
    Fontaine de saint Benoît 111
XLIII. Saint Lin 113
XLIV. Notre-Dame du Pont d'Ars 114
XLV. La cane de sainte Brigitte 115
    La cane et ses canetons, ancienne verrière de Montfort 121
XLVI. Les fées chrétiennes 122
XLVII. La croix des fées 125
XLVIII. Comment Notre-Dame de Lamballe fut bâtie par les fées 126
XLIX. Les fées et les chapelles 129
L. Les canonisations populaires 132
LI. La fosse à Gendrot 138
LII. Saint Lénard 141
LIII. Saint Méloir 144
LIV. Les sept saints 146
LV. Saint Mauron 152
LVI. Les saints et les Corbeaux 156
LVII. Pourquoi les veuves de Landebla ne se remarient pas 158
LVIII. Le fossé de saint Aaron 162
LIX. Saint Jugon 164
    Statuette de saint Jugon, à Carentoir 167
LX. Légende de Rieux 171
LXI. Saint Guillaume au Chemin-Chaussée 174
    Le tombeau de saint Guillaume à Saint-Brieuc 176
LXII. Les aboyeuses de Josselin 177
LXIII. Les vengeances de saint Yves 179
LXIV. Saint Yves et les couturiers 182
    Saint Yves, image populaire 183
LXV. Pourquoi les gars de Saint-Servan n'ont plus de fesses 185
    Statuette de saint Gobrien 186
LXVI. Saint Guyomard 188
LXVII. Saint Quay et les femmes 189
LXVIII. Saint Melaine 195
    Saint Melaine et les prisonniers, dessin de Busnel 198
LXIX. Saint Marcoul 200
LXX. Saint Suliac et les ânes 202
LXXI. La submersion d'Herbauge 205
LXXII. Le voleur puni 208
LXXIII. Saint Eustache 210
LXXIV. Saint Georges 214
LXXV. La Vierge sauve Lamballe 216
LXXVI. La Vierge de la Grand'Porte à Saint-Malo 220
LXXVII. La Vierge du Temple et les Anglais..... 224
    Table alphabétique des personnages sacrés qui
figurent dans la Petite Légende dorée
225

PRÉFACE

Les légendes qui figurent dans ce petit recueil ont un caractère très nettement déterminé: elles sont avant tout locales, ou tout au moins localisées par les conteurs, qui ne manquent pas d'indiquer les lieux où se sont passés les actes, dont le souvenir n'a souvent survécu qu'à l'état fragmentaire: la mer conserve la trace des saints qui l'ont parcourue, les rochers portent à jamais les empreintes qu'ils y ont laissées; des fontaines ont jailli sous leurs pas, et la piété populaire a jalonné leur passage en construisant des chapelles ou en érigeant des croix. Leurs sanctuaires sont le centre d'un culte qui est particulier à une région et auxquels ses fidèles, parfois assez rares, demeurent très attachés.

Parmi ces saints que l'on pourrait appeler nationaux en raison de leur naturalisation populaire, il en est que l'Église ne reconnaît pas, d'autres qui ne sont même pas mentionnés dans la Vie des saints de Bretagne, pourtant si profondément légendaire; parfois le clergé du diocèse où se trouve la petite chapelle placée sous leur vocable, la petite croix qui leur est dédiée, ou la fontaine qui porte leur nom, ne leur rend aucun culte et ignore même presque leur existence.

Le peuple, lui, les connaît, et jusqu'à ces derniers temps il a conservé dans sa mémoire leur petite légende dorée, souvent plus intéressante au point de vue des traditions que celle de beaucoup de bienheureux célèbres. Mais elle n'est guère racontée que dans le voisinage du petit monument qui porte le nom du saint obscur, mais pourtant aimé, que l'on regarde dans le pays comme une sorte de divinité locale. Toutefois si le culte persiste encore, la légende va s'effaçant un peu tous les jours, comme ces pierres tombales des églises, jadis sculptées en relief, dont le pied des passants a rongé peu à peu les ornements et les inscriptions. Celles qu'on peut encore retrouver aujourd'hui,—j'allais dire déchiffrer,—sont généralement courtes; au lieu d'une vie entière, il ne subsiste plus que des épisodes, ou une sorte d'abrégé d'une tradition, sans doute mieux sue jadis et plus développée.

J'ai fait de mon mieux pour sauver tout au moins les débris qui en subsistent encore. Les quelques récits qui ont paru en 1885 dans la Revue de l'histoire des religions m'ont attiré de précieuses communications; j'ai continué à enquêter autour de moi, et en réunissant aux récits ainsi recueillis ceux puisés par divers auteurs dans la tradition orale, je suis parvenu à réunir environ quatre-vingts légendes.

Comme beaucoup de ces saints sont souvent à peu près inconnus dès qu'on s'éloigne du lieu qui leur est consacré, leur légende n'est sue que de bien peu de gens, dont le nombre va en diminuant tous les jours; ce sont surtout les vieillards qui la connaissent: la jeune génération l'ignore ou la traite avec dédain. Il faut beaucoup de patience et un peu de bonheur pour arriver à rencontrer la personne, peut-être unique, qui la conserve encore avec quelque précision. Il m'a été relativement plus facile de recueillir en Haute-Bretagne près d'un millier de contes populaires que de trouver le demi-cent de courtes légendes de ce volume qui sont dues à mon enquête personnelle. Sans que j'aie fait porter spécialement sur elles l'effort de mon exploration, je puis dire sans exagérer que je m'en suis occupé pendant une vingtaine d'années. Mais les conteurs sont, en ce qui regarde ces légendes, assez défiants; ils ne les disent pas volontiers, craignant sans doute qu'on ne se moque des récits naïfs, transmis de génération en génération, qui racontent des épisodes de la vie des petits saints. Presque toujours ils s'expriment avec un certain respect, même quand ils rapportent des traits, assez rares d'ailleurs, qui n'ont pas toute la gravité qui convient à la légende dorée. Mais il n'est que juste de remarquer que tel passage, qui nous paraît vulgaire ou bizarre, semble tout naturel au conteur, qui n'y entend pas malice. Dans deux ou trois récits seulement intervient la note comique, et même un peu irrévérencieuse en apparence; mais il ne faudrait pas y voir une idée de moquerie ou de scepticisme à l'égard des bienheureux populaires. Presque toujours ceux qui leur ont manqué de respect sont, ainsi qu'on le verra dans toute une série de récits, trop punis, même pour des fautes assez vénielles, pour que les conteurs se permettent autre chose qu'une plaisanterie, qui ne leur semble pas déplacée.

Dans les légendes que j'ai recueillies moi-même comme dans celles que j'ai empruntées à divers auteurs, il en est qui forment des récits à peu près complets, le plus souvent assez courts, où l'on rencontre des épisodes poétiques ou gracieux dans leur naïveté, qui ne dépareraient pas une Vie des Saints de Bretagne; d'autres ne présentent plus guère que des fragments assez frustes: en historien fidèle, je les ai rapportés sans essayer de les restaurer. Ce sont en quelque sorte des pièces d'un musée hagiographique de la Haute-Bretagne: à côté de statuettes entières ou à peu près, il en est d'autres qui ont gravement souffert des outrages du temps, et dont il ne reste guère que des tronçons.

Si mutilées qu'elles soient, quelques-unes de ces légendes ont conservé des détails qui méritent d'être notés. Plusieurs se retrouvent dans ce fonds de merveilleux antérieur au christianisme, qui a fini par se mêler au merveilleux chrétien. Parfois le saint paraît avoir emprunté des épisodes entiers de sa vie à d'anciennes et obscures divinités locales, de même qu'aux yeux du peuple, il a gardé les vertus de protection, de bonheur ou de guérison, que les petits dieux inconnus auxquels il a succédé passaient pour posséder il y a deux mille ans.

Dans mes notes j'ai relevé, aussi exactement que je l'ai pu, les particularités physiques qui se trouvent dans le voisinage des lieux où l'on rend à ces saints locaux un culte, soit public, soit clandestin; là où il existe on constate presque toujours la présence d'une fontaine, parfois elle est dans le sanctuaire lui-même; peut-être quelques-unes cachent-elles encore dans leur couche séculaire de vase, des témoignages des offrandes variées qui leur ont été faites aux différents âges.

J'aurais voulu pouvoir donner, à côté des récits, des représentations iconographiques; je n'ai guère pu en trouver plus d'une douzaine. Cela tient sans doute à ce que les petits saints sont surtout honorés dans de modestes chapelles, et que ceux qui les ont bâties étaient plus riches de piété que d'écus. Peut-être aussi n'a-t-on pas recherché avec assez de soin les statuettes, les vieux tableaux ou les vitraux qui ont eu pour but d'honorer ces humbles bienheureux. C'est un peu dans l'espoir de provoquer des recherches que j'ai accompagné les récits de quelques images; en cherchant bien il est probable qu'on en rencontrera plusieurs qui ont jusqu'ici échappé aux investigations de l'auteur ou des écrivains dont il a consulté les livres.

La Petite Légende dorée, telle que je la présente aujourd'hui, est loin de contenir tout ce que le peuple raconte dans cet ordre d'idées.

Les lecteurs que ces récits intéresseront, s'ils ont la patience de rechercher autour d'eux, en trouveront sans doute bien d'autres, peut-être même de très jolis. Je m'estimerais très heureux si ce petit volume devenait le point de départ d'un supplément d'enquête sur les saints, pour ainsi dire nationaux, de la Haute-Bretagne.

Partie supérieure d'une croix du...
Partie supérieure d'une croix du XVIe siècle,
partie française du Morbihan, d'après Rosenzweig.

SOURCES ET OUVRAGES CITÉS

Albert le Grand. La vie des saints de Bretagne, édition Kerdanet, 1837, in-4.

Amézeuil (Ce d'). Légendes bretonnes. Dentu, 1863, in-18.

Annuaire de Bretagne, par René Kerviler et Paul Sébillot. Rennes, Plihon et Hervé, 1897, in-8.

(Pour les fêtes des saints et leurs patronages).

Bézier (P.). Inventaire des mégalithes de l'Ille-et-Vilaine. Rennes, H. Caillière, 1883, in-8.

Supplément à l'inventaire des mégalithes de l'Ille-et-Vilaine. Rennes, H. Caillière, 1884, in-8.

A. de la Borderie. Saint-Lunaire, son histoire, ses monuments. Rennes, Plihon, 1881, in-8.

Histoire de Bretagne, t. I. Rennes, Plihon, 1896, in-4.

Cayot-Delandre. Le Morbihan. Vannes, Cauderan, 1847, in-8.

Cerny (Elvire de). Saint-Suliac et ses traditions. Dinan, Huart, 1861, in-18.

(Ducrest de Villeneuve). Le château et la commune. Rennes, 1842, in-18.

Dulaurens de la Barre. Nouveaux fantômes bretons. Paris, Dillet, 1881, in-18.

Ernoul de la Chenelière. Inventaire des monuments mégalithiques des Côtes-du-Nord. Saint-Brieuc, 1881, in-8.

Estourbeillon (Comte Régis de l'). Légendes du pays d'Avessac, 1882, in-18.

----Saint Benoît de Macerac et ses légendes, 1883, in-8.

----Itinéraire des moines de Landévennec. Saint-Brieuc, 1889, in-8.

Fouquet (Docteur). Légendes du Morbihan. Vannes, Cauderan, 1857, in-12.

(Goudé: Le chanoine). Histoires et légendes du pays de Châteaubriant. Châteaubriant, 1879, in-8.

Guillotin de Corson. Récits historiques, traditions et légendes de la Haute-Bretagne. Rennes, Gaillet, 1870, in-12.

----Statistique des cantons de Bains, Redon, etc. (Mém. de la Soc. arch. d'Ille-et-Vilaine, 1878).

Habasque. Notions historiques sur le littoral des Côtes-du-Nord. Saint-Brieuc, Guyon, 1832-1836, 3 in-8.

Herpin (Eugène). La Côte d'Emeraude. Rennes, II. Caillière, 1894, in-8.

Jollivet (B.). Les Côtes-du-Nord, Histoire et Géographie. Guingamp, B. Jollivet, 1854 et suiv., in-8.

Joüon des Longrais. Jacques Doremet, suivi de la Cane de Montfort. Rennes, Plihon, 1894, in-18.

Kerbeuzec (Henri de). La légende de saint Rou. Rennes, Simon, 1894, in-18.

Le Claire (abbé). L'ancienne paroisse de Carentoir. Vannes, Lafolye, 1895, in-8.

Ogée. Dictionnaire de Bretagne, éd. Marteville. Rennes, 1843-1853, 2 in-8.

Oheix (Robert). Bretagne et Bretons. Saint-Brieuc, 1886, in-18.

Orain (A.). Curiosités, Croyances, etc. de l'Ille-et-Vilaine, Rennes, p. in-12.

Pitre de l'Isle du Dreneuc. Dictionnaire archéologique de la Loire-Inférieure. (Saint-Nazaire), Nantes, 1884, in-8.

Revue de Bretagne, de Vendée et d'Anjou (passim).

Revue des Traditions populaires (passim).

Sébillot (Paul). Contes populaires de la Haute-Bretagne, 1re série. Paris, Charpentier, 1880, in-18.

Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne. Paris, Maisonneuve, 1882, 2 in-12 elzévir.

Petites légendes chrétiennes de la Haute-Bretagne. Paris, Leroux, 1885, in-8. (Extr. de la Revue de l'histoire des Religions).

Légendes I, II, V, IX, X, XI, XXII, XXIV-XXIX.

Légendes, croyances et superstitions de la Mer. Paris, Charpentier, 1886-1887, 2 in-18.

Coutumes populaires de la Haute-Bretagne. Paris, Maisonneuve, 1880, in-12 elzévir.

Semaine religieuse du diocèse de Rennes.

Société d'émulation des Côtes-du-Nord.

Société polymathique du Morbihan.

I

Sainte Blanche et les Anglais

Il était une fois un petit garçon dont la mère mourut; son père, qui était capitaine de navire, resta avec lui et cessa de naviguer pour l'élever de son mieux. Mais quand ses économies eurent été mangées, il recommença à naviguer, après avoir mis son fils au collège. Celui-ci, qui apprenait tout ce qu'il voulait, entra à l'école navale, en sortit officier, et, en se battant contre les Anglais, il devint capitaine de vaisseau.

Cependant les Anglais débarquèrent en France; partout où ils passaient, ils dévastaient tout, brûlaient les églises et les châteaux, éventraient les couettes pour mettre les plumes au vent, et quand ils ne pouvaient plus boire, ils défonçaient les tonneaux pour s'amuser à voir le cidre courir dans les ruisseaux.

Il y avait dans ce temps-là, au village de l'Isle en Saint-Cast, une jeune fille, nommée Blanche, qui était un modèle de sainteté. Plusieurs fois ce pays avait été envahi par les Anglais, qui prenaient aux pauvres pêcheurs leurs bateaux et leurs filets. Un jour qu'ils étaient débarqués à l'Isle, ils surprirent Blanche qui disait ses prières du soir dans une vieille chapelle. Ses voisins eurent beaucoup de chagrin de la voir ainsi emmenée, car elle était aimée de tout le monde; mais elle leur dit de ne pas pleurer, parce que dans huit jours elle serait de retour à Saint-Cast.

Blanche fut conduite à bord d'un des vaisseaux, et l'escadre anglaise mit à la voile; quand elle fut arrivée dans le port de Londres, tous les Bretons qui avaient été enlevés furent désignés pour être guillotinés. L'exécution devait avoir lieu devant le Palais du roi, et on embarqua les condamnés dans des chaloupes pour les y conduire. Blanche, qui était avec les autres, s'écria tout d'un coup, en sautant à la mer:

—Je ne suis plus en votre pouvoir, Dieu m'appelle, et je retourne en Bretagne.

Un des Anglais essaya de la retenir, et il lui coupa même deux doigts de la main gauche; mais Blanche se dégagea, et elle se mit à marcher sur l'eau, où sa trace reste marquée par un ruban de mer plus blanc que l'eau voisine. Quelques heures après elle était de retour dans son pays.

image: Le chemin de sainte Blanche
Le chemin de sainte Blanche, dessin de Paul Chardin

Les habitants furent bien étonnés de la voir revenir sur l'eau, et tous les journaux du temps (sic) racontèrent comment Blanche s'était sauvée des mains des Anglais. Le capitaine de vaisseau, qui était aussi du pays, vint pour la voir, et s'apercevant que c'était une sainte, il lui demanda comment faire pour battre les Anglais; car il devait prochainement prendre le commandement d'une expédition contre eux: Blanche lui donna des conseils, et lui assura que dans quinze jours il reviendrait vainqueur.

Le capitaine suivit les avis de la jeune fille, et quand, après avoir battu les Anglais, il revint pour la remercier, il tomba amoureux d'elle, et Blanche consentit à l'épouser. Elle suivait son mari partout, même à la guerre. Un jour leur navire fut entouré d'ennemis; le capitaine fut tué à son poste, et le découragement se mit parmi l'équipage. Mais Blanche sauta à la mer, et, marchant sur les eaux, elle se dirigea vers les Anglais. Ceux-ci eurent tant de peur qu'ils s'enfuirent. Alors Blanche revint à bord, et ramena le vaisseau en France.

Elle pleura beaucoup son mari, et avec les sept enfants qu'elle avait eus de son mariage, elle se retira dans son village, où elle continua la vie d'une sainte. Quand elle mourut, on l'enterra dans la chapelle où elle avait coutume de prier, et depuis les gens du pays l'invoquent sous le nom de sainte Blanche.

Ses enfants furent tous les sept des évêques et des saints, et s'ils ne sont pas morts ils vivent encore.

(Conté en 1884, par François Marquer, de Saint-Cast).

Dans cette légende, où l'on trouve un singulier mélange d'anachronismes et d'emprunts à l'histoire populaire des guerres avec les Anglais, sainte Blanche est un personnage en chair et en os, une sorte de Jeanne d'Arc maritime: dans le récit suivant, ce n'est plus une sainte, c'est la statue elle-même, qui est funeste aux Anglais et opère des miracles.

II

La statue de sainte Blanche

Au temps jadis, lorsque les Anglais enlevaient les pêcheurs avec leurs bateaux, et qu'ils volaient les saints dans les églises, la statue de sainte Blanche, qui se trouvait à sa chapelle de l'Isle en Saint-Cast, fut mise sur un de leurs navires pour être transportée en Angleterre.

Pendant la traversée, les Anglais lui firent mille affronts, et même ils lui coupèrent deux doigts, au moment où le navire entrait dans le port de Londres. Mais la statue sauta par dessus le bord, et elle se mit à marcher sur l'eau comme une personne vivante. À cette vue, les Anglais furent saisis d'épouvante, et ils firent feu sur elle; mais au même instant le tonnerre tomba sur le vaisseau, qui fut mis en pièces, et les hommes qui le montaient furent brûlés ou noyés. C'est alors que les Anglais crurent que sainte Blanche était vraiment puissante, et qu'il ne faisait pas bon se moquer d'elle.

Cependant la statue continua sa route pour retourner à sa chapelle, et partout où ses pieds ont touché la mer, les traces sont restées sur l'eau, qui est plus claire que partout ailleurs; c'est ce qu'on appelle encore aujourd'hui le «Chemin de sainte Blanche».

Quand les habitants de Saint-Cast apprirent que leur sainte avait échappé aux Anglais, ils coururent à la chapelle, et furent bien heureux de la retrouver à la place même où elle était avant d'avoir été enlevée.

Mais les Anglais étaient furieux contre elle, parce qu'elle avait fait tomber le tonnerre sur leurs compagnons, et ils revinrent à Saint-Cast pour enlever de nouveau sainte Blanche et la brûler. Alors, la statue qui connaissait leurs projets, se cacha dans une cheminée, et ils ne purent la trouver. Quand les Anglais furent partis, elle sortit de sa cachette et alla se remettre à sa place; mais la fumée l'avait noircie, et les gens de l'Isle, qui croyaient que leur sainte revenait encore d'Angleterre disaient: «Ce n'est plus sainte Blanche, mais sainte Noire».

(Conté en 1883 par François Marquer).

D'après une autre version, dès que la sainte eut mis le pied en Angleterre, elle disparut si subitement qu'on ne sut ce qu'elle était devenue. Elle traversa pourtant la mer, et de Saint-Cast on la vit marcher sur l'eau. Quand elle aborda, elle n'avait point les pieds mouillés, et elle alla d'elle-même se replacer dans sa niche, qui était alors dans une vieille maison. Celle-ci s'écroula, mais la statue n'eut d'autre mal qu'une égratignure au doigt. Depuis le lieu de la côte anglaise d'où elle partit jusqu'à Saint-Cast, il y a sur la mer une trace blanche qu'on appelle le chemin de Sainte-Blanche.

La Vie des saints de Bretagne fait mention d'une sainte Blanche, épouse de saint Fracan, qui vivait à Ploufragan au Ve siècle, et qui est fêtée le 30 octobre; aucun des épisodes de notre légende n'y figure.

On raconte que jadis un habitant de Saint-Cast, étant tombé dangereusement malade, fit un vœu à sainte Blanche, et lui promit de faire repeindre sa statue que la fumée avait toute noircie. Dès qu'il fut guéri, il porta la statue chez un peintre auquel il raconta sa maladie et son vœu. Le peintre lui dit que ce n'était pas difficile, et il assura à son client que dans huit jours la statue serait aussi fraîche que lorsqu'elle était neuve. Le lendemain il se mit à l'ouvrage, et ayant voulu placer un peu de peinture rose sur les joues de la sainte, il lui fut impossible de la faire tenir; après avoir essayé à plusieurs reprises, il vit bien que la sainte voulait garder son nom et qu'elle ne voulait souffrir ni rose ni rouge sur sa figure.

La statuette de sainte Blanche est encore à l'Isle de Saint-Cast; elle se trouve dans une maison située auprès de l'endroit où était sa chapelle. Elle a soixante centimètres environ de hauteur, et elle tient à la main une petite baguette. On voit souvent à côté, de petits bonnets que les mères offrent pour que leurs enfants soient préservés des croûtes à la tête.

Sainte Blanche est invoquée à Saint-Cast pour la guérison du mal blanc, qui se nomme aussi le mal Sainte-Blanche; il consiste en une infinité de petits boutons qui couvrent entièrement le corps. On vient tremper les chemises des malades à une fontaine dite de sainte Blanche, au bas de la falaise. Une chapelle et une fontaine, qui sont dédiées à cette sainte, se trouvent près de l'abbaye en ruine de Lantenac, dans la forêt de Loudéac. Elle a tous les jours de nombreux visiteurs. On y vient de fort loin, tellement l'eau est réputée favorable à la guérison de cette maladie. Il faut boire un peu de cette eau et porter une chemise qui ait été trempée dans la fontaine, et toujours séchée à l'ombre: il ne faut pas oublier une prière et l'offrande à la bienheureuse. Il est recommandé aussi de ne pas négliger le culte de saint Froumi et de saint Pontin dont les images se trouvent aux côtés de sainte Blanche. (Revue des Traditions populaires, t. IV, p. 164).

III

Les taches de la mer et les saints

Les légendes qui attribuent à des épisodes de la vie des saints les taches qui se voient sur la mer sont assez nombreuses en Haute-Bretagne. Aux environs de Saint-Malo on appelle «Sentes de la Vierge», des espèces de sentiers d'une couleur plus blanche, dont la teinte laiteuse tranche sur le bleu de la mer; quand on les voit distinctement, les pêcheurs se réjouissent, parce que l'on croit que c'est la trace du passage de la bonne Vierge, qui descend sur les flots agités, et passe rapidement un peu partout pour les calmer.

M. E. Herpin a inséré dans son livre la Côte d'Emeraude, une légende qui se rattache au fait historique de la bataille de 1758. Bien que j'aie longtemps séjourné à Saint-Cast, je ne l'y ai jamais entendue, ce qui ne veut pas dire qu'elle y soit inconnue.

Au moment de la bataille, une belle dame blanche s'éleva dans l'air, sortant du vieux puits de Saint-Cast; c'était la sainte Vierge qui jusqu'alors avait vécu sous la forme d'une petite statue dans la niche étroite creusée dans la pierre du vieux puits. Elle s'envolait vers la mer, si vite, si vite, allant et venant au bord du rivage, qu'on eût dit un long voile de mousseline qui se déroulait sans fin, une étrange traînée de brouillard planant au ras du flot, mystérieuse, indécise, impalpable. Et à distance, ce long voile de mousseline, cette étrange traînée de brouillard semblait être la crête des dunes. Voilà pourquoi tous les canons anglais tirèrent trop haut, durant la bataille.

Les longues traînées blanches qui se croisent, s'entrelacent et se déroulent sont, dit la légende, l'ineffaçable sillage qu'a laissé sur l'azur du flot la robe miraculeuse de la Vierge lorsqu'elle glissait comme une céleste apparition, au long des vaisseaux anglais, pour leur voiler nos gars embusqués dans les dunes.

Dans la baie de Fresnaye (Côtes-du-Nord), quand le temps est calme et la mer haute, on voit une marque blanche qu'on appelle le «Sillon de saint Germain». Voici son origine: au temps jadis la statue de ce saint, auquel est dédiée, à l'extrémité de la commune de Matignon, une chapelle, débris d'une ancienne église paroissiale et but d'un pèlerinage annuel, se trouvait à Plévenon, le jour où devait avoir lieu le pèlerinage; il faisait si mauvais temps qu'aucun bateau ne pouvait se risquer sur la mer. Pour ne pas contrarier les fidèles qui étaient venus à sa chapelle, la statue du saint se mit en mouvement, et traversa la mer toute seule. Le sillon blanc est la trace de ses pas. Dans la même baie une autre raie se nomme «Chemin de saint Jean».

À Frégéac, vers l'embouchure de la Vilaine, est la petite chapelle de saint Jacques: quelquefois, lorsque le vent souffle vers l'amont de la rivière de Vilaine, il pousse devant lui un rouleau d'écumes que les habitants du pays appellent le «Chemin de saint Jacques»: c'est la route que suivit le saint lorsque remontant la Vilaine en marchant sur les eaux, il voulut s'arrêter à Rieux.

(Paul Sébillot. Légendes de la mer, t. I, p. 184).

On trouvera un peu plus loin une version de cette légende plus détaillée.

IV

Saint Riowen marchant sur les eaux

Saint Riowen, moine du monastère de Redon, vers l'an 837, est devenu depuis une époque très reculée, patron de la frairie de la Haye, en Avessac, où son souvenir est encore conservé dans la dénomination du village de Rozrion (tertre de Rion ou Riowen) et dans celle du Domaine de saint Riowen (matrice cadastrale, section B, nº 1593).

Saint Riowen, dit la tradition locale, aimait tout particulièrement Avessac et surtout les bords de la Vilaine, qu'il remontait souvent pour venir soulager ou soigner les malheureux.

Un jour que les eaux, grossies par la marée et la tempête, avaient emporté sa petite barque pendant qu'il était à soigner un pauvre, on le vit, après une courte prière, marcher sur les eaux à pied sec, et, s'avançant sur les flots, gagner ainsi sans crainte son monastère de Redon. Aussi, est-il souvent invoqué, dans les mauvais temps, par les bateliers du Don et de la Vilaine et les pêcheurs d'anguilles de Murain.

(Traditions locales recueillies par le marquis de l'Estourbeillon).

La Vie des saints de Bretagne relate plusieurs miracles de personnages marchant sur l'eau, et parmi eux celui de Riowen, moine de la suite de saint Convoyon qui, n'ayant pas trouvé de bateau, traverse ainsi la Vilaine; saint Guénolé frappe la mer avec son bourdon et elle devient solide comme un chemin.

V

Saint Clément

Un jour saint Clément, portant son ancre au cou, voulut traverser la grève entre Saint-Servan et Saint-Malo; mais la grande marée le surprit, et comme le poids de son ancre l'empêchait de se sauver, il se noya.

Un an après, la mer se retira plus que d'habitude, et une femme, qui pêchait au bas de l'eau, vit le corps de saint Clément étendu auprès d'un rocher, et aussi frais que s'il venait de se noyer. Elle reconnut qu'il était saint, et posant son enfant, qu'elle avait amené avec elle, elle s'agenouilla auprès du cadavre et pria jusqu'à ce que la mer vint mouiller ses pieds. Elle n'eut que le temps de s'enfuir en toute hâte, oubliant son enfant près du corps du saint.

L'année suivante la mer se retira encore, et la femme vint au bas de l'eau, à l'endroit où elle avait vu le corps de saint Clément. Lorsqu'elle y arriva, son fils dormait à la place où elle l'avait laissé un an auparavant; bientôt il se réveilla, se frotta les yeux et se mit à appeler sa mère.

On assure aussi que lorsque saint Clément fut noyé il surgit une chapelle auprès de son corps.

Ce récit, qui a été recueilli dans les environs de Saint-Malo, diffère, par les détails seulement, d'un épisode de la vie de saint Clément qu'on peut lire dans la Légende dorée (éd. Brunet, t. II, p. 205-6). Dans la version de Jacques de Voragine, le saint, au lieu de se noyer par accident, est jeté à la mer par un persécuteur. Le miracle de la mer qui se retire a disparu du récit populaire, qui l'a remplacé par le phénomène beaucoup plus naturel des marées d'équinoxe qui découvrent de si vastes espaces; l'épisode de l'enfant est, aux détails près, semblable à celui de la légende du littoral, qui pourrait bien avoir été empruntée à la vie de saint Clément, très populaire comme on le sait parmi les gens de la mer. Peut-être aussi a-t-il circulé un livret de colportage où la vie du saint, extraite de la Légende dorée, aura surtout reproduit les épisodes de la vie de saint Clément qui sont en relation avec la mer.

VI

Saint Clément et les vents

Il y avait une fois un capitaine de Saint-Cast qui sortit du port de Saint-Malo pour se rendre à Terre-Neuve. Comme il passait près du Légeon, il vit sur le rocher un homme qui appelait au secours. Il fit aussitôt mettre la chaloupe a l'eau et le naufragé fut amené à bord.

En ce temps-là il n'y avait pas de vent sur la mer, et les navires étaient obligés d'aller dans le sens du courant, ou bien on les faisait marcher à force de rames. On avait jeté l'ancre pour recueillir le naufragé, et le capitaine dit à ses matelots d'aller se coucher en attendant que la marée permît de recommencer la route. Il se trouva alors seul avec l'homme qu'il venait de sauver, et celui-ci lui dit:

—Où allez-vous, capitaine?

—À Terre-Neuve.

—À Terre-Neuve! je ne vous vois pas arrivé.

—J'arriverai avec le temps, et j'espère faire une bonne année.

—Je puis vous porter chance, dit le naufragé; mais il faut que pour cette fois, vous renonciez au voyage de Terre-Neuve.

—Quelle idée avez-vous là! s'écria le capitaine, si je ne vais pas au banc, que deviendront ma femme et mes enfants?

—Ils n'y perdront rien, bien au contraire; ramenez-moi à Saint-Malo et je vous enseignerai mon secret.

Le capitaine fit lever l'ancre et revint à Saint-Malo. Le naufragé lui dit alors:

—Vous avez entendu parler des vents, capitaine?

—Oui, et j'ai même ouï dire que le roi donnerait son plus beau vaisseau au marin qui pourrait les amener sur l'Océan.

—Hé bien! si vous voulez m'écouter, c'est vous qui aurez le beau vaisseau du roi. Vous allez partir pour le pays des vents, et ils vous suivront; mais auparavant, il faut que je vous dévoile mon secret. Lorsque j'étais sur le rocher, je me serais bien sauvé tout seul si j'avais voulu, car je suis un saint puissant et je m'appelle saint Clément; mais j'ai voulu voir si vous aviez bon cœur, et, puisque vous m'avez secouru, il est juste que je vous récompense. Approchez votre bouche de la mienne.

Le capitaine obéit, le saint lui souffla dans la bouche et lui dit:

—Depuis que les vents sont vents, c'est moi qui les gouverne et ils m'obéissent. Quand vous serez en leur présence, vous n'aurez qu'à siffler, et il vous obéiront comme à moi. Vous les ferez monter à votre bord, et quand ils seront sur l'Océan, vous aurez le beau navire du roi.

Le capitaine remercia le saint, qui disparut aussitôt. Il partit pour le pays des vents, et il fut longtemps à aller, car les marées n'étaient pas toujours favorables et les matelots se lassaient de ramer sans cesse. Enfin on arriva au pays des vents. Le capitaine descendit à terre, et quand il fut en présence des vents, il dit à Nord, leur chef:

—Capitaine, il y a longtemps que vous êtes dans ce pays, ainsi que vos matelots; j'ai reçu l'ordre de vous emmener ailleurs et je viens vous chercher.

Nord, qui ne voulait pas suivre le capitaine, se mit en colère, et lui et tous ses matelots soufflèrent sur le pauvre capitaine, qu'ils faisaient tourbillonner en l'air comme une feuille morte. Il se rappela alors le pouvoir que lui avait donné saint Clément, et il siffla de toute sa force; aussitôt les vents s'apaisèrent, devinrent doux comme des moutons, et le suivirent à bord.

Le navire ne mit pas grand temps à se rendre en France, car les vents soufflèrent constamment sur les voiles; on marchait aussi bien de flot que de jusant, et les matelots étaient joliment contents de n'avoir plus à tirer sur les avirons.

Le capitaine débarqua les vents à terre; ils se dispersèrent sur l'Océan, où depuis ils ont toujours soufflé, et grâce à eux les matelots n'ont plus besoin de ramer pour faire avancer les navires.

Le roi de France était bien content; il fit venir le capitaine et lui donna son plus beau vaisseau. Le capitaine cessa de naviguer peu de temps après, et il resta à vivre à Saint-Cast, avec sa femme et ses enfants. En reconnaissance du service que saint Clément lui avait rendu, il fit placer sa statue dans l'église paroissiale où elle est toujours restée depuis.

(Paul Sébillot. Légendes de la Mer, t. II, p. 136).

Lorsqu'il fait tout calme les matelots de la Haute-Bretagne invoquent souvent

Saint Clément
Qui gouverne la mer et le vent.

et ils lui disent:

Bien heureux saint Clément
Donnez-nous du vent.

Après avoir sifflé, ils lui font une petite prière; s'il ne se hâte pas de faire souffler la brise, ils se mettent à jurer, l'insultant et l'appelant Pierrot.

Autrefois à Saint-Cast, lorsque les marins avaient fait bonne pêche, ou s'ils n'avaient pas été contrariés dans leur voyage, ils allaient porter de la raie à saint Clément. Cette coutume est tombée en désuétude.

On racontait naguère à Saint-Cast que les marins avaient acheté une ancre à saint Clément, leur patron. Un matin, le recteur, en entrant dans l'église, s'aperçut que l'ancre était tombée des mains du saint. Il cria au miracle et sermonna ses paroissiens, leur disant que le saint abandonnait les marins. Ils vinrent tous se jeter aux pieds du saint, le priant de ne pas leur retirer sa protection. Depuis ce moment ils l'ont pris pour leur patron définitif et ne cessent de l'invoquer dans les plus grands périls. Saint Clément a sa statue dans plusieurs églises de la côte: celle qu'on voit à Saint-Cast a environ un mètre de hauteur; elle est en bois, le saint est représenté en costume de pape; il a une croix dans la main droite et une ancre à la main gauche.

VII

Saint Clément et la tempête

Au temps jadis, saint Clément résolut de traverser la mer pour aller chez les infidèles prêcher la religion chrétienne. Il se fit construire un petit bateau, à bord duquel il s'embarqua.

Pendant qu'il était sur mer, il s'éleva une violente tempête. Saint Clément tint vaillamment tête à l'ouragan et continua son voyage sans s'émouvoir. Sur sa route il rencontra un navire, et les marins qui le montaient, voyant ce petit bateau avec un seul homme dedans, crurent que c'était un naufragé; ils mirent le cap dessus, et quand ils furent à portée, le capitaine proposa au marin de le prendre à son bord. Saint Clément accepta, à la condition qu'on embarquerait aussi son canot. Le petit bateau fut hissé à bord et saint Clément monta sur le navire qui, revenant des mers de Chine, se dirigeait vers les côtes de France.

Ce n'était pas la France que saint Clément désirait visiter; mais comme le capitaine et les matelots parmi lesquels il se trouvait n'étaient pas chrétiens, il résolut, avant de les quitter, de les convertir. Il se fit d'abord connaître à eux en leur racontant la mission qu'il avait reçu de Dieu. En l'entendant ainsi parler, le capitaine et les matelots pensèrent qu'ils avaient affaire à un vieux marin que la tempête qu'il avait essuyée à bord de son petit bateau avait rendu fou; et comme le vent continuait à souffler avec rage et qu'ils avaient fort à faire, ils le laissèrent et ne firent plus attention à lui.

Le lendemain l'homme de vigie aperçut la terre, et le capitaine reconnut qu'il longeait la côte de Bretagne. La mer à cet endroit était plus houleuse qu'au large, et le vent soufflait avec plus de force que jamais. Le capitaine commanda de virer de bord, et les matelots exécutèrent la manœuvre; mais le navire manqua à virer: ils essayèrent une seconde fois, puis une troisième; mais ce fut en vain. Le capitaine voyant qu'il était impossible de lutter contre la tempête, fit jeter les ancres dehors et amener et carguer partout; cela ne servit pas à grand'chose, car le navire une fois mouillé traînait ses ancres, et la mer et le vent le poussaient violemment vers la côte. Tout le monde à bord se considérait déjà comme perdu; seul saint Clément ne paraissait même pas y faire attention. Cependant il se dirigea vers son canot, qui était toujours sur le pont du navire, en tira une petite ancre de quinze a vingt livres qu'il étalingua (attacha) à un bout de corde et lança à la mer; les matelots le regardèrent avec pitié, car ils croyaient réellement avoir affaire à un fou; mais un moment après, à leur grande surprise, ils s'aperçurent que le navire ne bougeait plus; l'ancre de saint Clément avait mordu le fond, et de plus la tempête était calmée, et la mer, d'agitée qu'elle était, était devenue droite comme un papier. Surpris de ce miracle, le capitaine et les matelots tombèrent à genoux devant saint Clément et lui demandèrent pardon de s'être moqués de lui. Ils se convertirent tous à la foi chrétienne, et aussitôt débarqués, le capitaine emmena saint Clément à sa maison et le pria de rester avec lui, mais il refusa et quitta le pays.

Le capitaine reconnaissant envers ce saint fit bâtir une chapelle en son honneur.

(Conté en 1892 par François Marquer).

VIII

Pourquoi Saint-Jacut n'est plus une île

Au temps jadis, Saint-Jacut-de-la-Mer était une île, et le principal village, qui porte encore le nom de l'Isle, était de tous côtés entouré par l'eau. Quand il faisait mauvais temps, les Jaguens ne pouvaient communiquer avec la terre ferme et ils en étaient bien marris.

Un jour que la mer était grosse, un pêcheur de Saint-Jacut essaya d'aller en bateau à Trégon; mais il ne put y réussir, et il ramena son embarcation dans le havre. Après l'avoir solidement amarrée, il se disposait à s'en aller, quand il rencontra un bonhomme qui avait la mine d'un ancien pécheur, et qui lui demanda la charité.

—Je ne sé (suis) pas riche, répondit le Jaguen, et je n'ai brin de pain sez ma (pas de pain chez moi); mais si tu veux veni' o ma, (venir avec moi), tu mangeras des patates.

Le bonhomme accepta, et pendant trois jours le Jaguen le traita de son mieux: au bout de ce temps, l'homme se disposa à partir, et il demanda à son hôte combien il lui devait pour l'avoir nourri et couché.

—Je ne vous demande ren, répondit le pêcheur, car vous n'ez (n'avez) pas la mine pu' riche que ma, et entre pauvres gens i' faut s'entraider.

—Eh bien, mon ami, c'est Dieu qui vous récompensera, répondit le bonhomme.

Et comme le pêcheur partait pour la pêche, le saint toucha un de ses filets, et lui dit:

—Adieu, mon ami, je vous souhaite bonne chance; tâchez de prendre beaucoup de poissons; je reviendrai vous voir.

Le saint disparut, et le pêcheur alla à la mer, en maugréant un peu, car on sait qu'il ne faut pas souhaiter bonne chance à ceux qui vont à la pêche.

Pourtant à cette marée, il prit beaucoup de poissons; le lendemain il en prit encore davantage, et toutes les fois qu'il sortait, par bon ou mauvais temps, il avait autant de poissons qu'il en pouvait porter. Il était bien content, et il remarquait que les poissons se prenaient toujours dans les mêmes filets—ceux que le saint avait touchés,—et qu'ils n'avaient jamais besoin de réparation.

Bientôt il fut à l'aise, et il devint même l'homme le plus riche du pays. Il attendait toujours la visite du bonhomme, qui avait promis de venir le voir.

Un jour il le trouva à sa porte et il fut bien content; il lui offrit de demeurer pour toujours avec lui, et il lui demanda qui il était. Le saint lui raconta alors sa vie, et lui dit que Dieu l'envoyait prêcher la religion aux infidèles.

—Vous aurez besoin de courage, grand saint, lui répondit le Jaguen; car, à coup sûr, vous serez persécuté.

Le lendemain saint Jacut commença ses prédications; mais les Jaguens ne voulurent pas l'écouter, et ils le dénoncèrent au seigneur du pays, qui envoya des soldats pour se saisir de lui.

Le saint, en voyant cette troupe de gens armés, eut peur, et il s'enfuit; mais comme la mer était haute et qu'elle entourait l'île, il ne savait comment s'échapper. Arrivé sur le bord, il se mit en prière, et posant la main sur l'eau, il dit: «Je désire qu'une terre relie cette île au continent.»

Aussitôt une langue de terrain sembla sortir du fond de la mer, et forma une sorte de route, sur laquelle le saint marcha à pied sec.

Quand il fut passé sur la terre ferme, il se retourna et dit:

—Tant que le monde sera monde, ceci existera.

C'est depuis ce temps que la paroisse de Saint-Jacut est devenue une presqu'île.

À la vue de ce miracle, les Jaguens cessèrent de persécuter le saint, et quand il mourut, ils les avait presque tous convertis à la foi chrétienne.

(Recueilli à Saint-Cast par François Marquer.)

On m'a montré à Saint-Jacut, il y a environ vingt-cinq ans, un rocher isolé qui, vers son milieu, avait une dépression, et l'on disait que c'était la marque de la corde du bateau de saint Jacut.

Saint Jacut, prince de Domnonée, premier abbé du monastère qui porte son nom, Ve siècle (5 mars), est le patron de Saint-Jacut-du-Mené, de Saint-Jacut-de-la-Mer, de Saint-Jacut-sur-Ars; ancien patron de Gicquelleau, il a des chapelles à Dirinon et à Plestin.

Ce saint figure aussi dans une légende du Morbihan, intitulée les Sept Saints, qu'on trouvera plus loin.

IX

Saint Cieux

On trouva saint Cieux dans un rocher, où l'on montre encore son berceau et l'empreinte de son premier pas. Il était en effet tout petit, et personne ne savait d'où il venait.

Quand il fut en âge de gagner sa vie, il devint pêcheur, et tout en faisant son métier, il se mit à prêcher la religion chrétienne, mais il rencontra de mauvaises gens qui le tuèrent sur la falaise vis-à-vis la pointe Saint-Martin.

À l'endroit où tomba saint Cieux, il y avait une grande tache de sang, et l'on y voit encore une traînée rouge; on dit dans le pays que c'est le sang de saint Cieux.

Au temps jadis, on y planta une croix; mais comme la mer rongeait la falaise, on la transporta plus haut, à l'endroit où on la voit actuellement, et qui est un peu plus éloigné du rivage.

(Tradition orale de Lancieux).

D'après Jollivet (Les Côtes-du-Nord, t. II, p. 338), on montre près du rocher appelé Berceau de saint Cieux, le sentier qu'il gravit, sur le bord duquel est placée une croix qui porte son nom. Tout près sont un port et une fontaine, dits aussi de saint Cieux. La fontaine se nomme aussi «mine d'eau», et comme l'eau qui s'en échappe tombe en gouttes ressemblant à des pleurs, on a nommé celles-ci «les larmes de saint Cieux».

On raconte à Lancieux une autre légende assez différente:

image: Ancienne statue de saint Briac.
Ancienne statue
de saint Briac.

Il y avait une fois huit frères qui vinrent d'Angleterre en Bretagne, pour y prêcher la religion chrétienne: c'étaient saint Cast, saint Jacut, saint Cieux, saint Briac, saint Lunaire, saint Enogat, saint Malo et saint Servan. Saint Cieux débarqua à l'endroit qu'on appelle le port Saint-Cieux.

Il bâtit l'église de Lancieux, qui était jadis sur une butte, auprès du moulin de la Touche, sur la route de Ploubalay. Quelque temps après la mort de saint Cieux, on transporta son corps dans l'église qu'il avait bâtie; mais le lendemain, on le trouva sur le bord de la falaise. On le rapporta plusieurs fois dans l'église, mais comme on le retrouvait toujours le lendemain au bord de la mer, on comprit qu'il voulait que l'église fût à l'endroit où on la voit aujourd'hui; dès que le corps du saint eut été mis dans l'église neuve, il resta tranquille dans sa tombe.

Pendant la Révolution, toutes les statues des saints qui ornaient l'église furent brûlées, mais on eut beau mettre dans le feu celle de saint Cieux qui est au-dessus de l'autel, on ne put parvenir à la brûler.

Les récits relatifs à saint Cieux et à saint Lunaire, ont été recueillis en 1884, à Lancieux, par Mlle Marthe Gesnys, ma nièce, alors âgée de treize ans.

L'épisode du saint qui ne veut rester que dans le lieu qu'il a choisi, est fréquent dans les légendes religieuses de tous les pays; ici cette préférence sert à expliquer pourquoi l'église actuelle est à l'une des extrémités de la paroisse. On remarquera que les huit frères prétendus sont exactement dans l'ordre qu'occupent—en partant de Saint-Cast—les paroisses qui portent leur nom. Le nom de saint Servan a peut-être été ajouté à une époque moderne; comme dans les légendes similaires les saints devaient être au nombre de sept.

Saint Cieux, ou Cieu, disciple de saint Brieuc, VIe siècle (26 mars), est invoqué dans les nécessités publiques. Il est le patron de Lancieux.

X

Le pied de saint Cast

Il était une fois un saint qui vint de l'Irlande en Bretagne pour y prêcher la religion chrétienne. Il débarqua au pays qui porte maintenant le nom de Saint-Cast, mais les habitants, le prenant pour un pirate, voulurent le chasser. Le saint les rassura et se fit connaître à eux.

Alors le seigneur du pays le fit appeler et lui dit:

—Puisque tu es saint et que tu te prétends envoyé par Dieu, opère un miracle et nous croirons en toi.

—Hé bien, répondit saint Cast, pour prouver la vérité de ce que j'ai dit, j'imprimerai mon pied sur le rocher, à l'endroit où je suis débarqué.

Suivi du seigneur et d'une foule de gens, il descendit la falaise et, étant arrivé au rocher sur lequel il était sauté en abordant, il frappa du pied, et la marque resta empreinte sur le rocher.

—Tant que le monde sera monde, dit saint Cast, mes pieds resteront marqués ici.

Le seigneur fut si étonné de ce prodige, qu'il emmena saint Cast à son château, et lui donna un terrain sur lequel il fit bâtir l'église.

(Conté en 1885, par François Marquer, de Saint-Cast).

En haut du sentier qui monte de la belle grève de Saint-Cast au village de l'Isle, on voit sur le rocher une empreinte longue de cinquante centimètres environ, dont la forme rappelle en effet celle d'un grand pied. Dans le Morbihan, saint Cado, évêque et martyr, VIe siècle (1er novembre), a laissé, près d'Étel, une empreinte ayant à peu près la forme d'un pied de grandeur plus qu'humaine; elle est entourée d'une grille et l'on a élevé à côté une croix; c'est la glissade que fit saint Cado lorsqu'il s'élança, pour empêcher le diable de détruire le pont que Satan avait bâti.

La légende suivante attribue à l'empreinte du pied de saint Cast une origine moins élevée.

Un jour saint Cast se promenait sur les rochers de l'Isle en compagnie d'un cordonnier, son ami. Comme il sautait d'une pierre sur l'autre, ses souliers, qui s'étaient usés à l'eau de mer, se déchirèrent et il resta les pieds nus. Il dit à son cordonnier:

—Il faudra me faire une paire de souliers, prends-moi mesure avant de me quitter.

Alors saint Cast posa le pied sur un rocher de la falaise, et il dit au cordonnier de marquer, car il n'avait pas de mesure avec lui; mais le cordonnier ne pouvait rien tracer sur le rocher. Saint Cast frappa du pied sur la pierre, qui s'enfonça comme de la vase mouillée, et il dit:

—Maintenant, tu peux mesurer à ton aise la longueur et la largeur de mon pied; car, tant que le monde sera monde, sa marque restera ici.

(Conté en 1888 par François Marquer).

Le calendrier breton place au 5 juillet saint Cast, évêque. Il y a une assemblée assez fréquentée au bourg de Saint-Cast, le second dimanche après la Saint-Pierre, elle porte le nom de la «Saint-Cast-Saint-Lunaire;» ce saint est le deuxième patron de la paroisse. Tout près de l'église est une fontaine dite de saint Cast; autrefois en y allait puiser de l'eau pour les personnes qui avaient mal aux yeux. Cette pratique, qui semble tombée en désuétude, se rattachait peut-être au culte de saint Lunaire, l'autre patron de la paroisse.

XI

Saint Lunaire

Lorsque saint Lunaire quitta l'Irlande pour venir prêcher l'Évangile en Bretagne, il s'embarqua seul sur un petit navire, et mit le cap sur la côte bretonne. Pendant trois jours il vécut heureux comme un roi; mais, le quatrième, il fut entouré d'une brume si épaisse, qu'il ne pouvait plus reconnaître son chemin. Il se mit fort en colère contre la brume qui lui barrait la route, et, prenant son sabre, il le lui lança comme à une ennemie. Aussitôt elle disparut, et saint Lunaire put arriver à l'endroit qui porte aujourd'hui son nom; et il aborda sur les rochers du Décollé, où l'on aperçoit l'empreinte de ses souliers.

Depuis ce temps les marins le nomment le patron de la brume, et ils l'invoquent quand elle les incommode.

(Conté en 1888 par Pierre Le Clerc, de Saint-Cast).

Voici l'incantation que les marins adressent à la brume:

Brume, disparais de la mer,
Ou tu seras coupée par la moitié,
Avec un couteau d'acier.

Au hameau de Pontual, en Saint-Lunaire, on montre une pierre qui servit à amarrer le bateau du saint quand il vint évangéliser ce pays; une autre pierre en forme de prie-Dieu, au-dessus du village des Landes, passe pour avoir servi au même usage. (P. Bézier. Inventaire des mégalithes de l'Ille-et-Vilaine, p, 70-71).

image:Partie supérieure de la pierre tombale de saint Lunaire
Partie supérieure
de la pierre tombale
de saint Lunaire

Sur le littoral on raconte encore l'épisode suivant de la vie du saint:

Au temps jadis, quand saint Lunaire vint prêcher la religion chrétienne sur les côtes de Bretagne, il apportait avec lui une pierre sacrée, pour la placer sur l'autel qu'il voulait ériger. Mais il la perdit, et comme il ne pouvait la retrouver, il était chagrin et se tourmentait beaucoup. Alors il se mit à prier Dieu, et une colombe la lui rapporta. C'est alors qu'il commença à construire une église.

Dans la vie de saint Lunaire, cet épisode figure aussi, avec quelques variantes: Pendant l'ouragan qui assaillit son navire, Lunaire dormait, et les matelots jetèrent à la mer son bagage, parmi lequel se trouvait son autel portatif. Le saint en fut vivement affligé; mais quand il prit terre, en Armorique, deux colombes plus blanches que neige arrivèrent de la mer, tenant entre leurs pattes son autel qu'elles déposèrent à ses pieds. Au dernier siècle, le trésor de la paroisse conservait encore cette pierre sacrée, et pendant tout le moyen âge, on crut qu'un faux serment fait sur cette relique entraînait dans l'année même la mort

M. A. de la Borderie a publié en 1881, sous le titre de: Saint-Lunaire, son histoire, son église, ses monuments, une monographie extrêmement intéressante, dans laquelle il fait ressortir le rôle civilisateur et défricheur du saint, rôle que la tradition populaire a oublié. C'est à cet ouvrage que nous avons emprunté ceux des détails ci-dessus qui ne figurent pas dans la tradition orale. Il est orné de gravures représentant, vu de face et de profil, le tombeau de saint Lunaire, dans l'ancienne église. Nous avons reproduit en entier la vue du profil, et seulement la partie supérieure de l'effigie vue de face, celle où la colombe rapporte l'autel; le bâton épiscopal s'enfonce dans la gueule d'un monstre.

D'après la légende locale, on a maintes fois essayé de soulever la pierre tombale du saint; elle paraissait si lourde que l'on était contraint toujours d'y renoncer.

Le culte de ce saint est très répandu en Haute-Bretagne; lorsque les marins de Saint-Cast passent devant le dangereux passage du Décollé, ils récitent un Pater et un Ave, et disent:

Saint Lunaire,
Préservez-nous du naufrage en mer.

Il est le patron des églises paroissiales de Saint-Lunaire, Le Loscouët, Miniac-sous-Bécherel, Saint-Lormel, second patron de Saint-Cast, et il a une chapelle à Plouër; à la Chapelle-Blanche (Côtes-du-Nord) est un ruisseau dit de saint Lunaire, et une croix qui porte son nom a été récemment érigée sur la pointe du Décollé. Sa fête est célébrée en général le premier jour de juillet ou le premier dimanche de juillet, et il est invoqué pour les maux d'yeux; au Quiou, près Dinan, à Saint-Lunaire et au Loscouët, les malades viennent se laver à des fontaines placées sous son invocation; à Saint-Lormel, l'eau dont ils se servent provient d'un puits placé sous la chaire de l'église.

Au Loscouët, la statuette du saint était dans une niche située sous le pont du Men; elle fut enlevée par une crue d'eau, et une bonne femme, qui la trouva dans un saule, l'emporta pieusement chez elle; mais le saint ne voulut pas y rester, et quelque temps après on le retrouva dans sa niche où il était retourné de lui-même. (Revue des Traditions populaires, t. VII, p. 91, 105).

image:Statue de saint Lunaire
Statue de saint Lunaire sur son tombeau dans
l'ancienne église paroissiale.

XII

Saint Goustan

Au temps jadis, saint Goustan arriva à la côte du Croisic au milieu d'une tempête; il se noya, et son cadavre fut trouvé sur le rocher qui supporte le pignon Nord-Ouest de la vieille chapelle.

On reconnut qu'il était saint, et l'on voulut lui élever une chapelle à cet endroit même; d'abord on la construisit de façon qu'elle entourait le rocher; mais les murs tombèrent. On en bâtit ensuite une autre qui n'était pas sur le rocher; elle ne résista pas d'avantage. C'est alors qu'on prit le parti de construire un des pignons sur le rocher même, de façon qu'une partie du rocher se trouve en dedans et une autre partie en dehors. Depuis ce temps la chapelle a résisté.

On voit à l'intérieur une cavité qui est l'endroit où le corps du saint a été trouvé, et on y remarque l'empreinte de ses pieds.

Les habitants des environs du Croisic (Bourg-de-Batz et villages voisins), viennent encore rouler leurs petits enfants sur la partie extérieure du rocher, puis les portant dans les bras, font trois fois le tour de la chapelle en récitant des prières, afin que par l'intervention du saint leurs enfants se mettent à marcher.

Le lundi de Pâques, les jeunes gens et les jeunes filles, placés à deux pas de l'ouverture, viennent jeter une épingle dans une fente du volet d'une des petites ouvertures de la chapelle. Si l'épingle passe du premier coup dans la fente, le mariage doit avoir lieu dans l'année, sinon il est reculé d'autant d'années que l'on a essayé en vain de faire passer l'épingle.

(Recueilli en 1892 par M. Maillard, conducteur des Ponts-et-Chaussées au Croisic, et communiqué par M. René Kerviler).

Ogée rapporte, d'après Caillo jeune, que l'on avait voulu construire la chapelle ailleurs que sur le rocher, mais que chaque nuit l'ouvrage était détruit. On comprit qu'il fallait la bâtir sur le rocher où saint Goustan abordant au Croisic avait laissé l'empreinte de son corps.

Les femmes des marins y viennent en pèlerinage, bien qu'elle soit au milieu du corps-de-garde, quand elles veulent obtenir que les vents cessent de souffler du sud. Quand, au contraire, elles veulent que le vent cesse de souffler du nord, c'est au Crucifix que se font les neuvaines. Cette chapelle a été démolie l'an dernier.

Saint Goustan, solitaire, VIIe siècle (28 novembre), est le patron d'Auray, d'Hœdic, de Saint-Gildas de Ruys.

XIII

Les pas de la Vierge

Après avoir franchi la chaussée de l'étang Priou, à la sortie de Moncontour, on gravit, pour atteindre le haut de la colline sur laquelle est bâtie la chapelle de Notre-Dame-du-Haut, un sentier qui passe sur les rochers qui s'étagent tout le long du coteau. La sainte famille fuyant la colère d'Hérode, a suivi ce chemin pour se rendre en Egypte, et elle y a laissé des traces de son passage; sur le premier rocher on remarque une empreinte de pied d'enfant: la sainte Vierge, fatiguée de porter le petit Jésus, le déposa un instant à terre, et l'empreinte du petit pied y est restée gravée.

Un peu plus loin, la Vierge tomba de fatigue sur un rocher, et sa jambe y est restée empreinte; la marque toutefois affecte la forme d'une cuisse plutôt que celle d'une jambe. Autrefois les vieillards se mettaient à genoux dans ces deux endroits, et après avoir nettoyé les deux empreintes, ils les baisaient respectueusement. J'ai, dans mon enfance, été maintes fois témoin de cette scène de dévotion, qui est aujourd'hui tombée en désuétude. Du reste un exhaussement du chemin a enfoui cette empreinte.

À quelques pas de là on voit une pierre en forme de chaise; la sainte Vierge s'y reposa, et y donna à boire à l'enfant Jésus: une goutte de lait qui tomba sur le granit s'y est pétrifiée; c'est elle qui a produit la tache blanche que l'on remarque sur la paroi du rocher.

(Recueilli par M. J. Carlo).

À Cesson le pas de la Vierge est un étroit sentier pratiqué dans la montagne, que l'herbe ne recouvre jamais et par lequel la mère de notre Seigneur gravit un jour la côte. Elle était rendue de fatigue, et s'arrêtant au lieu où depuis on lui bâtit une chapelle, elle dit à saint Syphorien qui l'accompagnait: «Nous avons bien assez monté, cessons», d'où le nom de la commune de Cesson.

(Habasque. Notions historiques sur les Côtes-du-Nord, t. II, p. 313).

Habasque ajoute que de son temps cette tradition était connue de tous les habitants du bourg; mes amis de Saint-Brieuc m'ont assuré qu'elle était encore populaire.

À Ménéac on montre trois vestiges que les pieds de la sainte Vierge ont imprimés sur une roche, et, quand les petits enfants tardent trop à marcher, on leur met les pieds dans ce creux.

(Mahé, Antiquités du Morbihan, p. 445.)

XIV

Le saut de saint Valay

Un jour que le bienheureux saint Valay était venu reprocher aux femmes de la rue Saint-Malo leur mauvaise langue et leur conduite légère, celles-ci se mirent en colère et elles prirent des pierres pour les lui jeter.

Le saint s'enfuit le plus vite qu'il put; mais les femmes couraient aussi bien que lui, et elles étaient sur le point de l'atteindre, quand il arriva sur le bord de la vallée des Réhories; alors il invoqua le bon Dieu, prit son élan, et franchissant d'un bond la vallée, il alla retomber de l'autre côté sur un rocher où l'on montre encore l'empreinte de ses pieds.

Mais les femmes le poursuivaient toujours; alors il prit un autre élan, et, traversant la vallée où coule la Rance, il alla tomber de l'autre côté de la rivière, à Lanvallay. C'est en mémoire de ce saut que Lanvallay porte ce nom; car on l'appela d'abord l'Élan Vallay, en mémoire de l'élan prodigieux que le saint avait dû prendre pour franchir cette distance.

(Recueilli à Dinan en 1885.)

Suivant un autre récit, des voleurs poursuivaient saint Valay, et ils étaient sur le point de l'atteindre, quand il se recommanda à Dieu et s'élança pour franchir la vallée; des anges le soutinrent, et il se trouva, debout, sans avoir éprouvé aucun mal, à l'endroit où son pied est encore marqué.

(Paul Sébillot, Traditions et superstitions de la Haute-Bretagne,
t. I, p. 335).

Saint Valay, religieux de Landévennec, Ve siècle (12 juillet), est le patron primitif de Lanvallay, de Ploubalay, et d'un village à Hénon, canton de Moncontour, appelé la ville Balay. Une chapelle, aujourd'hui détruite, lui était dédiée, non loin de l'endroit où est bâtie la maison de campagne de Saint-Valay, près Dinan. Je n'ai pas besoin de dire que l'étymologie donnée par le premier conte est fantaisiste.

La légende attribue à saint Michel un saut encore plus miraculeux. Lorsqu'il se disputait avec le diable pour savoir qui nommerait le Mont, ils convinrent de faire l'essai de leur puissance. L'épreuve consistait à franchir d'un bond l'espace qui sépare le Mont-Dol du Mont Saint-Michel. Le diable tomba dans l'eau, mais l'archange, soutenu par ses ailes, alla se placer sans effort sur le sommet du mont. On montre au Mont-Dol l'empreinte du pied de l'archange sur un bloc de rocher, et à côté, la marque du pied fourchu de Satan.

XV

Les saints et les mégalithes

Plusieurs des nombreux mégalithes ou des pierres à légendes de la Haute-Bretagne portent des noms de saints, et des récits populaires attribuent à l'intervention des bienheureux les circonstances merveilleuses de leur érection, les particularités remarquables qu'ils présentent, ou les empreintes naturelles ou artificielles que l'on y remarque.

J'ai personnellement recueilli peu de ces légendes; la plupart de celles qui figurent ici ont été relevées au cours de leurs investigations par les auteurs des Inventaires des mégalithes des Côtes-du-Nord, de l'Ille-et-Vilaine et de la Loire-Inférieure, qui leur ont, avec beaucoup de raison, donné place dans leurs publications. Les deux principaux saints qui figurent dans les fragments que je réunis ici sont saint Michel et saint Martin.

La beauté et l'importance du Mont Saint-Michel ont assez frappé les esprits, pour que, sur les deux rives du Couesnon, on en ait attribué la construction, soit au diable, soit à la collaboration de l'Archange et de Satan, les deux rivaux qui représentent le dualisme du bien et du mal, du ciel et de l'enfer. Suivant une légende très connue en Haute-Bretagne et en Basse-Normandie, le Mont aurait été bâti par le diable à la suite d'une gageure avec saint Michel, où chacun d'eux devait montrer sa puissance; saint Michel bâtit en une nuit un merveilleux palais de glace, le diable construit le Mont; saint Michel trompe le diable, soit en lui proposant un échange, comme dans la légende normande, soit en dessinant avec le bras une croix qui chasse à jamais le démon de l'édifice qu'il avait bâti[1].

Pour construire sa merveilleuse bâtisse, Satan avait eu besoin de puiser dans beaucoup de carrières; c'est pour cela que l'on rencontre un assez grand nombre de pierres qui étaient destinées au Mont, et qui, pour des raisons diverses, n'ont point été transportées à pied d'œuvre.

À Bazouges-sous-Hédé et à Dingé, des menhirs passent pour être des matériaux que le diable y portait. Les empreintes sont celles de la sangle qui se rompit et le força à les laisser où on les voit aujourd'hui, de son dos et de ses doigts; à Plerguer, un rocher présente des creux qui sont les marques laissées par le diable lorsqu'il essaya de l'emporter; à Vieuxviel un menhir est tombé de son bissac; à Mellé, à Saint-Étienne-en-Coglès, à Parigné, des pierres ont été laissées par le diable lorsqu'il bâtissait le Mont Saint-Michel, et qu'on lui eut crié qu'il n'en fallait plus; une pierre du diable, à Louvigné-du-Désert, porte l'empreinte des efforts inutiles que le démon fit alors pour la détacher.

(P. Bézier, Inventaire des Mégalithes de l'Ille-et-Villaine, p. 9, 62, 110, 114, 115, 99).

En Haute-Bretagne saint Martin n'a pas la prodigieuse popularité dont il jouit encore dans une grande partie de la France, surtout vers le centre; on rencontre toutefois son nom, associé à certains mégalithes. Comme dans une partie de la Haute-Bretagne saint Martin de Vertou est très connu, il est possible qu'il s'agisse parfois de ce dernier saint et non du grand apôtre des Gaules.

La pierre du diable, à Orgères d'après une légende, très suspecte en ce qui concerne tout au moins le nom du discobole, fut lancée par la druidesse Irmanda contre saint Martin évangélisant le pays et les creux que l'on remarque sur la pierre sont l'empreinte des mains de la druidesse.

À Iffendic une pierre à bassin, située à la queue de l'étang de Tromelin, est connue sous le nom de Pas-de-Saint-Martin; les gens du pays prétendent que l'excavation que l'on voit dans sa partie médiane est l'empreinte de l'un des pieds du saint. On s'y rend en pèlerinage pour la guérison de la fièvre, et l'on dépose dans le pas des pièces de monnaie et de petites croix de bois.

(P. Bézier, l. c., p. 9, 222).

Entre le Clion et Pornic, se trouve une vallée très agréable, où l'on voit la fontaine dite de Saint-Martin, lieu de pèlerinage pour beaucoup de gens de la région. On lui attribue des propriétés merveilleuses et multiples. Une quantité considérable de petites croix de bois entoure la source qui sort du rocher.

D'après la légende, saint Martin vint visiter le pays, monté sur son cheval; celui-ci frappa la terre d'un coup de sabot et la source jaillit sous le choc.

(Revue des Traditions populaires, t. IX, p. 619).

À Mégrit, une pierre posée à la surface du sol porte le nom de Pierre de Saint-Patrice; elle est percée dans toute sa longueur. C'est dans ce trou que, d'après la légende, saint Patrice s'est caché pendant longtemps.

(E. de la Chenelière. Inventaire des Mégalithes des Côtes-du-Nord, p. 3).

À Noyal-sous-Bazouges, une pierre, située à six cents mètres du village de Saint-Léger, dans le champ de l'Autel, est connue dans le pays sous le nom d'Autel de saint Léger. La face supérieure présente, à quelques centimètres du bord extérieur, une rainure encadrant la partie centrale, sur laquelle sont ébauchées à coups de ciseaux, de petites croix.

Une tradition locale rapporte que c'est sur cette pierre que saint Léger, patron de la paroisse voisine, célébrait la messe.

(P. Bézier, Inventaire, p. 86).

La sainte Vierge se promenait sur les landes de Pléchâtel, filant sa quenouille, et portant sur sa tête Pierre-Longue et dans son tablier les Pierres Blanches, lorsque son fuseau tomba à terre. Elle se baissa pour le relever et, dans le mouvement qu'elle fit, la pierre qu'elle portait sur la tête glissa et se ficha en terre dans la place même où était tombé le fuseau, puis celles du tablier «s'envolèrent» et allèrent former dans le champ des Meules, un cordon pour le fuseau de Pierre-Longue. Telle est l'origine légendaire d'un alignement autrefois considérable, dont il ne reste plus que quelques fragments.

(P. Bézier, l. c., p. 179).

À quelque distance du bourg de Saint-Viaud est un rocher dans lequel on montre une grotte qu'on assure avoir été la demeure de saint Viau; cet endroit nommé Pierre Cantin et aussi la «Pierre qu'a nom» est en grande vénération dans le pays et l'on y vient en pèlerinage pour les maux de reins; les habitants s'imaginent y voir, tracée sur la pierre, l'empreinte des pieds du saint, de son bâton, de son livre, de son bonnet, etc. On y fait de pieux pèlerinages.

(Girault de Saint-Fargeau. Géographie de la Loire-Inférieure, 1829.—Ogée. Dictionnaire de Bretagne).

En la paroisse de Bains (Ille-et-Vilaine), sur le sommet de la colline de Guerchomin, appelée peut-être jadis: Guerc'h er men, la pierre de la Vierge, se voient quatre gros blocs de quartz, dont l'un mesure plus de deux mètres de haut et qui proviennent d'un cromlech ruiné.

Chaque année, pendant la nuit de Noël, quatre évêques venus des quatre points de l'horizon, s'y réunissent au coup de minuit et officient sur cette pierre toujours respectée. Puis, aussitôt leur office terminé, ils s'en vont ensemble vers l'occident, après avoir fait par trois fois le tour d'une autre grosse pierre celtique située non loin de là et nommée la Roche-Aboyante[2]. Ils sont désignés parfois sous le nom de: «Saints des quatre saisons» auxquelles chacun doit présider pour sa part au cours de l'année nouvelle.

(Dermars, Redon et ses environs, 1860, et traditions locales communiquées par le marquis de l'Estourbeillon).

XVI

Saint Guillaume

À Louvigné-du-Désert sont des pierres à bassins dites Roches Saint-Guillaume; les bassins et les entailles ont, d'après la légende, été à l'usage de saint Guillaume qui fit pendant quelque temps son séjour en ce lieu. L'un était son douet (lavoir), l'autre sa fontaine, une autre plus petite son écuelle; deux autres qui se touchent sont l'empreinte de ses genoux; une entaille à quatre branches est celle où il déposait sa croix. Les intervalles qui séparent ces blocs portent le nom de rues du Paradis, du Purgatoire et de l'Enfer. Le lit du saint qu'on montre est une sorte de grotte formée par l'éboulement d'un bloc qui, dans sa chute, a été retenu en avant, à une petite distance du sol, par d'autres blocs.

Saint Guillaume vécut fort pauvrement en cet endroit pendant sept années, nourri par la charité des gens du pays. Il envoyait à la quête son âne, qui par un instinct surnaturel, allait se présenter dans tous les villages des environs: on lui donnait du pain, qu'il portait ensuite au saint. Un jour les habitants, trouvant peut-être qu'il était trop onéreux de le nourrir, chargèrent l'animal quêteur d'une telle quantité de pierres qu'il ne pouvait plus marcher. Le solitaire n'ayant plus rien pour subsister, s'en alla, dit-on, à Mortain, où il trouva, à ce qu'on assure, «plus de roches que de pain».

Les habitants du village de la Loriais, qui avaient chargé l'âne de pierres, ne tardèrent pas à être punis. Ils furent pris par la soif, toutes les sources ayant tari; aujourd'hui encore, on n'en saurait trouver une, quoique le lieu soit bas et humide.

(P. Bézier. Inventaire, p. 90-91).

M. Jules Louail a publié dans le Vieux Corsaire, mars 1802, sous une forme non populaire, une version de cette légende qui ne diffère pas beaucoup de celle qu'a rapportée M. Bézier; le dénouement seul est changé: le saint ayant rencontré à Mortain «plus de beurre que de pain», revint à son ermitage; les gens de Louvigné lui demandèrent pardon et le saint implora la clémence divine: la pluie tomba et la campagne redevint fertile.

XVII

Pierre Morin

À l'époque où l'on construisait l'ancienne église de Guiguen, un moine allait chercher, assez loin du pays, la pierre nécessaire à la construction et l'amenait à l'aide d'un attelage composé de deux petits bœufs et d'un âne.

Un jour que son attelage, suant et soufflant, transportait la plus grosse pierre dont on l'eût encore chargé, il entendit, en passant devant le village de la Perchère, une voix céleste qui lui criait que l'église était achevée, et qu'on n'avait plus besoin de matériaux. Pierre Morin saisit la pierre d'une main, et la lança sur le pâtis où elle est encore. Sa main s'enfonça dans la roche comme dans un bloc d'argile, et y laissa une empreinte ineffaçable.

(P. Bézier. Supplément, p. 87).

XVIII

Le grès saint Méen

À la lisière de la forêt de Talensac, près du hameau de la Chapelle-ès-Oresve, se trouve un bloc de schiste ferrugineux ayant la forme d'un affiloir. Sa face supérieure porte un certain nombre de perforations cylindriques et de rayures transversales incontestablement dues à l'industrie humaine. Les rayures sont analogues à celles que l'on obtiendrait en frappant vigoureusement, du tranchant d'une forte hache, et perpendiculairement à la direction des feuillets, la surface d'une masse schisteuse. On dit dans le pays que les gravures dont cette pierre est ornée sont dues à saint Méen, qui était charpentier et aiguisait ses outils sur cette roche.

image:>Statue de saint Méen
Statue de saint Méen,
église de Paimpont
xve siècle.

Un jour saint Méen, après avoir aiguisé sa hache sur son grès, et l'avoir balancée dans l'espace, dit:

Où ma hache tombera
Méen bâtira.

La hache tomba à Talensac, à deux kilomètres de cet endroit. L'église de cette paroisse est dédiée à saint Méen.

(P. Bézier, Inventaire, p. 223).

Cette légende avait été rapportée sous une forme très voisine par Theuvenot. Notes sur quelques monuments anciens de l'Ille-et-Vilaine, etc. Congrès de la Soc. française d'archéologie. Laval, 1878; qui ajoute ce détail: les bûcherons du voisinage ne se font pas faute encore aujourd'hui d'imiter saint Méen; la rouille et les traces du fer sont très apparentes, sans avoir rien de commun avec les traces primitives.

Saint Méen, abbé, VIe siècle (21 juin), est invoqué contre la fièvre, la gale dite aussi «Mal saint Méen» et les maladies des yeux; sa fontaine la plus renommée est près de Gaël; le saint la fit jaillir d'une terre jusque-là aride. Il est patron de la ville de ce nom, de Cancale, la Fresnaye, Lanvallay, Plélan, Talensac, etc. Il a de nombreuses chapelles, entre autres à Bains, Beignon et à Cancale. À Rennes un hôpital porte son nom; il y a à Bourseul et à Monteneuf, des villages de Saint-Méen, à la Chapelle-sous-Ploërmel, une lande est dite Lande de Saint-Méen.

La statue que nous reproduisons est dans l'église de Paimpont, abbaye qui dépendait de celle de saint Méen; elle porte sur sa base les armoiries de l'abbé Olivier Guiho qui est agenouillé aux pieds du saint. Dans la sacristie un reliquaire d'argent renferme des reliques du saint: il a la forme d'une main avec l'avant-bras, tenant un livre à fermoirs dont les sculptures sont dorées. L'autre statuette que l'on voit ci-dessous en compagnie de celles de saint Lubin et de saint Mamère est dans la chapelle de N.-D. du Haut prés Moncontour.

image pas disponible

XIX

La chasse saint Hubert

À Guémené-Penfao un monument bizarre composé d'une longue série de pierres alignées du nord-ouest au sud-ouest, est connu sous le nom de Chasse de Saint Hubert. Cette chasse débouche d'un vallon sauvage, puis elle se lance à travers les landes du Lugançon, les bois du Luc et du Pont. Le cerf, très en avant de la meute, est arrivé jusqu'aux bords de l'Isac, c'est le menhir de Lau-sé. J'ai suivi cette chasse fantastique, toujours guidé par les gens du pays, qui l'avaient connue autrefois, toujours déçu dans mes recherches, grâce au défrichement des landes. Plus loin, de l'autre côté du bois du Luc, on m'indiqua, dans la forêt du Pont, un monument formé de plusieurs blocs maintenant brisés que les gens du pays appellent la Voiture de la chasse.

(Pitre de Lisle du Dreneuc, Saint-Nazaire, p. 67).

Suivant une tradition recueillie par M. J. Desmars, Redon et ses environs, citée par Bézier, Inv. p. 181, les menhirs qui composaient l'alignement, aujourd'hui très mutilé, de la Chasse Saint Hubert dans les landes de Lugançon (Loire-Inférieure) avaient eu vie, et rappelaient la punition infligée par saint Hubert à un chasseur du pays, qui avait juré de forcer un cerf avant la grand'messe le jour de Pâques. Emporté par l'ardeur de la chasse, il n'avait pas entendu sonner l'office, et au moment de l'élévation, il avait été pétrifié avec ses compagnons, sa meute et la bête qu'il poursuivait.

XX

La Pierre de saint Lyphard

Au temps où saint Lyphard habitait le bord de la Brière, un dragon monstrueux désolait la contrée; déjà onze jeunes filles avaient été dévorées, lorsque que le monstre réclama la fille du saint. Lyphard saisit alors son épée, et pour en essayer la trempe, il asséna un coup sur une pierre plantée près de là, et qui devint la pierre fendue, puis dégageant la lame prise dans cette fente, il court au monstre et lui tranche la tête.

On voyait encore, il y a peu d'années, cette roche fendue dont l'ouverture béante était assez large pour qu'un homme pût y passer; sur la paroi nord étaient marqués les quatre doigts et le pouce du saint qui s'étaient enfoncés, dans l'effort qu'il fit pour dégager sa lame.

(Pitre de Lisle du Dreneuc, Saint-Nazaire, p. 131).

La chapelle de saint Lyphard en Thourie était jadis le lieu de réunion d'une assemblée le Vendredi-Saint de chaque année. Elle a été détruite vers 1830. On venait de fort loin prier saint Lyphard, ou comme on le prononce saint Liphord, «pour la vie ou pour la mort,» c'est-à-dire que l'on invoquait le saint, pour qu'il obtint une guérison immédiate du malade ou une prompte mort, afin d'abréger les souffrances du moribond.

(P. Bézier, Supplément, p. 74).

XXI

Saint Convoyon et la roche aboyante

La roche aboyante est un menhir à demi-renversé que l'on voit dans la commune de Bains. On dit que c'est en cet endroit que saint Convoyon, abbé de Redon, et saint Fiacre, qui habitait Trobert, village de Renac, aimaient à se reposer et à converser lorsqu'ils se visitaient. Un jour qu'ils étaient importunés par les aboiements d'un chien de berger du voisinage et qu'ils ne pouvaient obtenir son silence, ils le maudirent, et aussitôt l'animal fut changé en la Roche Aboyante.

Près de là se trouve un sentier sur lequel Dieu, dit-on, n'a pas voulu qu'il poussât un brin d'herbe qui pût effacer la trace du passage des saints.

(P. Bézier, Inventaire, p. 159).

Voici sur ce dernier sentier d'autres récits:

Entre la Lande de Guerchomin et le village de Trobert, en Carentoir, se trouve un sentier toujours dénudé qui se dirige vers la limite de Renac en passant par le village de Boëd'hors en Bains. «Jamais de mémoire d'hommes un brin d'herbe n'y a poussé et cela, disent les gens du pays, par la permission toute spéciale de Dieu, qui n'a pas voulu que, même un brin d'herbe, pût effacer les traces du grand saint Convoyon qui passait toujours par là pour aller visiter saint Fiacre dans son ermitage de Trobert.»

Il n'y a plus aucune trace de l'ermitage de saint Fiacre, mais sur la limite de Renac, près d'une source réputée miraculeuse, se voit encore la chapelle de saint Fiacre d'où l'on vient de fort loin pour se guérir de la colique et de la dyssenterie.

(Desmars, Redon et ses environs, 1869, et traditions locales communiquées par le marquis de l'Estourbeillon).

Saint Victor de Campbon passe pour avoir eu des rapports fréquents avec un autre solitaire voisin, saint Laumer, en l'honneur duquel fut élevée une chapelle encore subsistante. Chaque jour ils se rencontraient pour converser et prier, à une fontaine toujours vénérée. On montre le sentier qu'ils suivaient, et tout ce qu'on sème des deux côtés de la voyette, pousse, prétend-on, plus vigoureusement que dans le reste du champ.

(R. Oheix, Bretagne et Bretons, p. 53).

XXII

Saint Roch

Un jour saint Roch se promenait dans la forêt de Bosquen; un homme de la Ville-Heu[3] le rencontra, qui avait son petit chien auprès de lui. Il avait l'air si malheureux que le bonhomme l'invita à venir chez lui.

Le saint accepta, et il se plut tant dans ce pays, qu'il voulut s'y faire bâtir une petite maison. Mais les maçons ne trouvaient point d'eau aux environs, ce qui les incommodait beaucoup, car pour faire du mortier ils étaient obligés d'aller en chercher à plus d'une demi-lieue. Saint Roch eut pitié d'eux, et il fit jaillir une source auprès de leur chantier; elle tarit quand les travaux furent terminés, et alors il dit aux maçons qui il était.

Depuis ce temps, saint Roch est fêté tous les ans dans la chapelle qui porte son nom. Il a la vertu de guérir la dyssenterie. Lorsque dernièrement une épidémie se déclara à Langourla, beaucoup de gens allèrent se recommander à sa chapelle.

(Conté en 1884 par J. M. Comault, du Gouray).

Saint Roch, ou saint Ro', est un saint très populaire en Haute-Bretagne; nombre de chapelles sont placées sous son invocation; voici deux autres récits où il figure:

Un jour un pauvre voyageur, les habits en lambeaux et couvert de poussière, s'arrêta dans le village de la Baillerie en Chelun et demanda un verre d'eau pour apaiser sa soif. Il n'y en avait pas une goutte à la ferme; mais une femme s'empressa d'en aller chercher à plusieurs kilomètres de là, à la Fontaine d'Anjou, dans la Mayenne. Après s'être désaltéré, le voyageur, voulant remercier la paysanne de son acte charitable, piqua la terre de l'extrémité de son bâton, et une source intarissable jaillit aussitôt. Ce voyageur était saint Roch.

(P. Bézier, Inventaire, p. 130-1).

Jadis on alla chercher la statue de saint Roch et on la plaça dans l'église du Gouray; mais peu de temps après les prêtres et la plupart des habitants furent atteints de dyssenterie: on comprit que le saint voulait être dans sa chapelle; dès qu'il y fut, la maladie cessa.

Un jour un habitant d'une paroisse voisine du Gouray rencontra un de ses amis qui allait au pardon de saint Roch, et il lui donna deux sous pour les remettre comme offrande en son nom, parce qu'il les lui avait promis étant malade. L'ami s'amusa bien au pardon, et but un bon coup; au moment de partir, il se ressouvint des deux sous de son camarade, et il alla à la chapelle, où il les jeta à saint Roch en disant: «Tiens, saint Roch, voilà pour le derrière de X.» En s'en retournant, il fut atteint de dyssenterie, et il ne fut guéri qu'après être retourné faire un pèlerinage à la chapelle du saint auquel il avait mal parlé.

(Conté en 1892 par Ange Rault, de Saint-Glen.)

Il y a une fontaine miraculeuse auprès de la chapelle de saint Roch; la statue de saint Fiacre est dans cette chapelle; quand on va quêter, on demande toujours pour saint Fiacre et pour saint Roch.

On affirme dans plusieurs pays que le choléra et les autres épidémies de même nature ne peuvent régner dans les paroisses qui ont une chapelle dédiée à saint Roch. Ogée dit que vers la fin du XVIIe siècle, Dinan ayant été affligée de la peste, le corps politique, se voua à saint Roch, jusqu'à la Révolution, il se fit tous les ans une procession suivie d'une messe à l'autel de ce patron en l'église Saint-Sauveur. Dans beaucoup d'églises on voit saint Roch en costume de pèlerin, montrant une plaie à sa jambe; à côté de lui est son chien fidèle.

XXIII

La fontaine du pas de saint

Saint Guingalois, disent nos paysans, a passé par Pierric, non pendant sa vie, mais après sa mort. Son corps, renfermé dans une châsse très lourde et portée par des hommes tout noirs, vint du côté du soleil couchant et traversa la paroisse en suivant à peu près une ancienne route qui côtoyait la rive gauche de la Chère.

Ceci se passait dans la saison d'été, car les arbres étaient entièrement feuillés et il faisait très chaud. Le corps arriva avec de grandes fatigues pour les porteurs à une suite de rochers élevés et de difficile accès, situés sur le territoire de Pierric, loin de toute habitation et de toute eau potable. Les bons moines qui le portaient éprouvèrent un besoin pressant de se désaltérer et ne le pouvant faire, le religieux qui dirigeait la marche, un saint, pria saint Guingalois d'obtenir du bon Dieu qu'il leur procurât de l'eau, et aussitôt après, animé de la foi la plus vive, il frappa le rocher de son pied qui, en s'enfonçant, forma un pas profond, un creux, d'où sortit une eau claire et fraîche qui permit aux porteurs et à ceux qui les accompagnaient d'étancher leur soif.

Il n'y avait alors qu'une chapelle à Pierric, dont une grande partie du territoire était en landes et en bois; mais plus tard, on y bâtit une église, à laquelle on donna saint Guingâ ou Guingalois pour patron, en mémoire du miracle qui avait eu lieu aux rochers de Pengré, dont le creux, devenu une petite fontaine, avait pris le nom de Fontaine du Pas du Saint, ou plutôt de Pas de Saint, qu'il porte encore aujourd'hui.

(Comte Régis de l'Estourbeillon. Itinéraire des moines de Landévennec, 1889, p. 7, d'après des notes de l'abbé Picou et la tradition orale).

Dans un de ces rochers, ajoute l'Itinéraire, on trouve un pas parfaitement moulé, de grande dimension, qui présente toutes les parties d'un pied, dont la direction est orientée du côté du bourg. Cette cavité, qui peut avoir de 20 à 25 centimètres de profondeur, contient toujours de l'eau, même à l'époque des plus grandes sécheresses.

Saint Guingalois est populaire dans les environs de Pierric, dont il est le patron; les membres de la frairie de Nillac, en la paroisse de Derval, limitrophe de Pierric, vont prier au pied de la croix de saint Guingalois, située à l'un des carrefours, et les petits pâtours de Luzanger et Derval, chantent encore en gardant leurs bestiaux:

Saint Guingalois
Du fond des bois,
Veille sur nous
Et sur nos toits.

Saint Guingalois, en latin Guingaloëns ou Winwaloëus, est le même que saint Gwenole, premier abbé de Landévennec, Ve siècle (3 mars), et il est invoqué par les femmes des marins pour les maris absents. Il est le patron du Bourg-de-Batz, du Croisic, de Pierric, en Haute-Bretagne; de Concarneau, de Landévennec, de l'île de Sein, de Loeguénolé. Il a de nombreuses chapelles en pays bretonnant, où beaucoup de fontaines portent son nom.

XXIV

Saint Maudez, saint André et saint Fiacre

Quand saint Maudez, saint André et saint Fiacre eurent fini de bâtir leur chapelle, ils résolurent de faire un grand dîner; ils envoyèrent une femme des environs leur chercher de la viande, puis il lui dirent de préparer le repas.

Pendant qu'il cuisait, les trois saints allèrent faire un tour de promenade, chacun de son côté, en attendant le moment de se mettre à table.

Les ouvriers qui venaient de finir leur ouvrage, aperçurent de beaux plats de viande dans la maison, et, profitant de ce que la cuisinière s'était un peu éloignée, ils convinrent entre eux de les prendre et de les manger. Ils les dévorèrent en peu de temps.

Quand les saints revinrent de leur promenade, ils furent bien surpris de ne rien trouver pour dîner; ils s'accusèrent les uns les autres d'avoir mangé la viande, et il s'éleva même une dispute entre eux à ce sujet.

Saint Maudez et saint André sortirent de la chapelle pour aller se promener encore; saint Fiacre y resta seul et s'endormit profondément dans un coin. Les ouvriers qui revenaient pour ramasser leurs outils, ayant aperçu le saint, qui ronflait comme un bienheureux qu'il était, lui embeurrèrent la bouche avec du jus de viande et des petits morceaux, puis ils s'en allèrent sans faire de bruit.

Quand les deux saints furent de retour, et qu'ils virent saint Fiacre, ils l'accusèrent de nouveau d'avoir mangé toute la viande pendant que la cuisinière avait le dos tourné, et ils l'accablèrent de reproches.

Saint Fiacre, qui n'aimait pas le bruit, s'avoua coupable pour avoir la paix, et les autres saints le laissèrent tranquille.

(Conté en 1883 par François Ramel, du Gouray, âgé de 50 ans).

Cette légende, assez irrespectueuse, a emprunté un des traits de la fin à un épisode, très populaire en Bretagne et ailleurs, des tours joués au loup par le renard. Celui-ci, ayant mangé les provisions qui appartenaient à tous deux, on convient que le coupable sera celui qui aura autour de la bouche des traces du larcin; le loup s'endort et le renard lui embeurre aussi la bouche pendant son sommeil.

XXV

Pourquoi on offre des clous à saint Maudez

Quand saint Maudez voulut attacher les ardoises sur la couverture de sa chapelle, il n'avait pas de clous, et il se désolait, parce qu'il ne savait comment s'en procurer.

Un homme du pays, ayant appris que le pauvre saint Maudez n'avait pas de clous, lui en porta tout ce qui lui en fallait. Or, cet homme avait des clous (furoncles) dans une fesse, qui le faisaient beaucoup souffrir et l'empêchaient de travailler; saint Maudez pour le récompenser du service qu'il lui avait rendu, lui guérit aussitôt ses clous.

C'est depuis ce temps qu'on s'adresse à saint Maudez quand on a des clous aux membres, et qu'on lui offre des clous de fer en mémoire du miracle qu'il fit en guérissant le bonhomme.

(Conté en 1883 par François Ramet, du Gouray, âgé de 50 ans).

Une commune de l'arrondissement de Dinan porte le nom de saint Maudez. D'après Kerdanet, ce saint est, avec saint Yves, celui auquel on a élevé le plus de chapelles en Bretagne, au moins trente, dit-il; la seule de la Haute-Bretagne qu'il cite est celle de Trébry, à laquelle précisément se rattache la petite légende ci-dessus. C'était un édifice du XVIe siècle, situé près d'un dolmen dit de saint Maudez. Elle a été démolie il y a une quinzaine d'années; mais on a mis de côté toutes les pierres qui portaient des sculptures. Le pardon avait lieu le jour de la Trinité. Auprès de la chapelle est une fontaine où l'on va en pèlerinage pour les clous (furoncles); l'offrande consiste en une poignée de clous à lattes qui ne doivent avoir été ni comptés ni pesés. La statue de saint Maudez est maintenant dans l'église de Trébry, ainsi que celles de saint André, et de sainte Mamère qui se trouvaient dans l'ancienne chapelle; cette dernière était implorée pour les maux de tête.

D'autres chapelles sont dédiées à saint Maudez, à Plérin, à Plourhau, à la limite des deux langues, où a lieu un pardon, et au Mottay en Evron. À la Croix-Helléan une foire a lieu au village de Saint-Maudez. Il avait une chapelle qui est maintenant convertie en ferme à Saint-Pôtan, près de la Ville-Even; tout près est une fontaine, dite aussi de saint Maudez; l'eau en est excellente, mais elle n'est actuellement l'objet d'aucun culte. Elle doit la bonté de son eau, non à un saint, mais à une fée qui y habite sous la forme d'une anguille.

Je ne connais en Haute-Bretagne aucune représentation iconographique de saint Maudez qui soit digne d'intérêt; à Plogonnec, sa vie est représentée sur des volets sculptés. (Soc. arch. du Finistère, t. XIII, p. 338).

XXVI

Pourquoi on offre du chanvre à saint André

Lorsque saint André eut terminé sa chapelle, il vit qu'il ne lui manquait rien, si ce n'est une corde pour mettre à la cloche. Il en demanda une à une bonne femme, mais celle-ci la lui refusa.

Alors il se mit à genoux et appela Dieu à son aide. Sa prière fut exaucée, car en arrivant à la porte de la chapelle, il y trouva assez de chanvre pour faire une belle corde.

C'est depuis ce temps qu'on offre du chanvre à saint André, afin que par ses prières le chanvre devienne beau.

(Conté en 1883 par François Ramet, du Gouray, âgé de 50 ans).

Cette coutume subsiste encore. Saint André avait autrefois en Trébry, canton de Moncontour, une chapelle; les cordes des cloches étaient tressées avec le chanvre des offrandes.

(Paul Sébillot, Coutumes, p. 210).

XXVII

Le cochon de saint Antoine

Un jour que saint Antoine se promenait dans le pays breton avec un autre saint, il fit rencontre d'un cochon, en vous respectant. Comme il n'avait point de domestique, il lui prit envie d'en avoir un et il dit à son compagnon:

—Il faut que je transforme ce cochon en Breton; c'est lui qui sera mon domestique.

Il prit le cochon par les jambes de devant et le fit se planter sur ses jambes de derrière, puis il récita une prière, et aussitôt le cochon devint semblable aux Bretons qui viennent en pèlerinage à Saint-Mathurin de Moncontour.

C'est depuis ce temps qu'on appelle saint Antoine le patron des cochons, et c'est aussi depuis cette époque qu'on dit en sobriquet en parlant des Bas-Bretons:

Bretons Cochons. (Conté en 1883, par J.-M. Comault).

En Haute-Bretagne, saint Antoine est toujours accompagné de son cochon; on y dit en proverbe: «Tu vas de porte en porte comme le pourcé de saint Antoine», ce n'est qu'une forme patoisée d'un dicton très usité au moyen-âge.

Leroux de Lincy, Livre des Proverbes, cite un dicton apparenté à celui que les Gallos adressent aux Bas-Bretons:

Breton, cochon, Français, polisson. Français, polisson.

XXVIII

Saint Jean, saint Antoine et les cochons

Au temps jadis, les habitants de Saint-Cast avaient coutume de vouer leurs cochons à saint Jean, lui promettant un morceau d'échine, si leur bête n'avait pas d'accident.

Mais il arriva qu'une année, presque tous les cochons qui avaient été ainsi voués, furent enlevés par une épidémie, et les Câtins se dirent:

—Saint Jean a laissé crever nos cochons; il paraît qu'il n'a plus de pouvoir ou qu'il est tombé en enfance, ce qui ne serait pas étonnant, car il est bien vieux. Nous vouerons les premiers que nous achèterons au bienheureux saint Antoine; il ne les oubliera pas, car on dit qu'il a toujours avec lui son petit cochon.

Qui fut dit fut fait: ils achetèrent d'autres cochons et promirent, s'il ne leur arrivait pas d'accident, de porter à saint Antoine un pied et une oreille. Les cochons profitèrent cette année-la, et ils venaient comme la pâte dans la met (huche). Aussi les Câtins étaient joyeux, et ils portèrent des pieds et des oreilles au bienheureux saint Antoine qui se trouve à la chapelle de Saint-Sébastien en Pléhérel.

Cependant saint Jean était bien navré; car il ne recevait plus un seul morceau d'échine; il se colèra bien fort, et il envoya une maladie sur les cochons, qui les fit presque tous crever. Quand les gens virent que le saint était fâché, il lui promirent de nouveau des échines, et maintenant il en a plus que saint Antoine n'a de pieds et d'oreilles.

(Conté en 1883 par Cotti, de Saint-Jacut, boulanger).

Ce récit constate une coutume encore en vigueur: pour que les cochons profitent, sur le littoral entre Saint-Cast et Erquy, on offre un morceau de lard à saint Jean (Saint-Cast), à saint Antoine (Plurien).

En Muzillac (Morbihan), en Saint-Melaine (Ille-et-Vilaine), ont lieu des pèlerinages et des assemblées de saint Antoine très fréquentés.

Dans l'ancienne église de Bédée on voyait une statue de saint Antoine entourée de fers à cheval; les gens du pays venaient invoquer le saint quand leurs animaux étaient malades, et lui offraient un fer à cheval, une motte de beurre, ou de la laine, etc., suivant l'animal dont ils demandaient la guérison.

XXIX

Saint Mathurin, saint Eutrope et saint Amateur

Saint Mathurin, saint Eutrope et saint Amateur étaient frères, et depuis longtemps ils voyageaient ensemble sans avoir jamais eu envie de se séparer. Mais ils arrivèrent à Bréhand-Moncontour vers minuit; ils virent des linceux (draps de lit) étendus dans une prairie; saint Amateur, qui ne savait ce que c'était, eut tellement peur qu'il s'enfuit et alla jusqu'à Lamballe sans s'arrêter, et sans oser regarder derrière lui. Saint Eutrope s'évanouit, et il resta à Bréhand où il fit sa résidence, et saint Mathurin retourna tranquillement à Moncontour où il s'établit, et où il est toujours resté depuis.

(Recueilli aux environs de Moncontour).

Ces trois saints ont en effet des chapelles ou des églises dans ces communes. Saint Mathurin de Moncontour est l'un des saints les plus populaires dans les deux Bretagnes; son principal sanctuaire est à Moncontour, et sa légende est retracée sur les belles verrières de cette église. On pourra consulter pour les détails de son pardon la Revue des Traditions populaires, t. III, p. 278, et la monographie de M. E. Thoison. Saint Mathurin, étude historique et iconographique. Paris, 1889, in-8. Cet auteur ne compte pas moins de 43 églises ou chapelles qui sont consacrées à saint Mathurin dans la partie française de la Bretagne. Malgré ce culte si étendu et encore si florissant, saint Mathurin n'a point de légende, et le court récit qui précède est le seul qui le fasse voyager corporellement en Bretagne.

Saint Mathurin, image populaire
Saint Mathurin, image populaire
de la fabrique de Pierret à Rennes
(Collection Lucien Decombe)]

Un pèlerinage moins célèbre, mais pourtant assez fréquenté, a lieu à la chapelle de saint Mathurin, à Maure; on l'y invoque pour obtenir la cessation des épidémies et en particulier du choléra. Une ancienne croyance, rapportée par M. E. Thoison, affirme que le choléra ne peut exister dans un pays qui possède soit une chapelle de saint Mathurin, soit une de saint Roch. Saint Mathurin l'empêche d'entrer ou saint Roch le renvoie (p. 156-7).

Plomb de saint Mathurin
Plomb de saint Mathurin
Il est représenté vu de face et de dos avec le Saint-Esprit,
c'est le modèle ancien et il n'est plus en usage.]

Saint Eutrope (30 avril) a des chapelles à Saint-Brandan, à Noyal-sur-Vilaine et à Malensac; il ne jouit pas d'une bien grande popularité en Haute-Bretagne; cependant il guérit de l'enfle (enflure) ceux qui frottent la partie malade avec une motte de terre prise au-dessous de sa statue à Bréhand.

Saint Amateur n'est honoré à Lamballe que depuis le siècle dernier (1762), époque à laquelle ses reliques furent envoyées de Rome. À la procession de saint Amateur (11 juillet), dont le culte est très populaire à Lamballe, beaucoup de pèlerins portent des imitations de membres humains en cire. Le membre choisi correspond naturellement à celui dont souffre le pèlerin, ou la personne pour laquelle il est venu en pèlerinage. On trouve à acheter ces objets chez les ciriers de la ville; après la procession, ils sont offerts à l'église. (Revue des Trad. pop., t. IV, p. 166).

Saint Amateur guérit aussi les enfants du mal Saint-Aragon. On voit dans l'église de Bléruais (Ille-et-Vilaine) une statue de saint Amateur, à laquelle on fait des pèlerinages le 15 août; il guérit des rhumatismes.

image pas disponible
Ancienne médaille de saint Mathurin en plomb.
(Pèlerinage de la Pentecôte à Moncontour).

XXX

Sainte Anne et sainte Pitié

Les habitants de Merléac, canton d'Uzel, assurent que sainte Anne est née chez eux, au village du Vau-Gaillard. Elle avait une sœur qui s'appelait Pitié. Toutes les deux vivaient dans la crainte du Seigneur, et elles observaient religieusement ses commandements. Alors il n'en était pas de même de la plupart des habitants du voisinage, qui avaient en particulier la mauvaise habitude de jurer.

Sainte Anne et sa sœur essayèrent de les convertir et de les empêcher de blasphémer; mais voyant qu'elles ne pouvaient y parvenir, elles résolurent d'aller vivre dans un pays où leurs oreilles n'entendraient plus de semblables jurements.

Elles se mirent en route, et elles marchèrent longtemps: un jour l'une d'elles épuisée de fatigue déclara qu'elle ne pourrait aller plus loin; c'était Pitié. Sainte Anne, se croyant plus forte que sa sœur, continua sa route, mais elle ne tarda pas à ralentir sa marche. Elle put faire encore une lieue, puis elle vit qu'il lui était impossible de continuer.

Voilà pourquoi sainte Anne d'Auray et Notre-Dame de Pitié sont dans le Morbihan; voilà pourquoi leurs chapelles sont peu éloignées l'une de l'autre.

(Recueilli par M. J. Carlo, de Moncontour)

XXXI

Le départ de saint Pabu

Saint Pabu étant venu un jour visiter sa chapelle, qui est près de Kerganton en Saint-Guen, entendit une jeune fille qui se disputait avec sa mère, fermière du Port-Thomas, et elle finit par traiter sa mère de «bougresse», tant elle était en colère.

Saint Pabu se montra alors, et après avoir reproché à la jeune fille les mauvaises paroles qu'elle avait adressées à sa mère, il ajouta:

—Ta race sera maudite. Je voulais venir habiter dans ma chapelle, mais après ce que je viens d'entendre, je vais partir et je ne reviendrai qu'après que Port Thomas aura brûlé trois fois, que le paillu (seuil) de la porte des femmes sera usé, et que la dernière personne de ta race aura disparu.

(Recueilli à Saint-Guen par M. Émile Enaud, notaire).

D'après cette prédiction, m'écrit M. Enaud, le bienheureux saint Pabu ne tardera pas à revenir, car le Port-Thomas a brûlé deux fois, le paillu de la porte réservé pour les femmes est presque coupé en deux par l'usure, et la dernière survivante de la fille qui appela sa mère irrévérencieusement est très âgée et vieille fille.

Rober Oheix a, de son côté, recueilli une curieuse variante qu'il a donnée dans son livre Bretagne et Bretons, p. 26.

En Saint-Guen existe une chapelle Saint-Pabu, qui porte aussi le nom de Saint-Tugdual; elle a un intéressant jubé et des fragments de verrières. Si vous demandez aux habitants de Saint-Guen ce qu'était saint Pabu, ils vous répondront qu'il fut ermite, compagnon de saint Elouan dont la chapelle est voisine; qu'il est sorti de son sanctuaire indigné de voir une fille battre sa mère dans une maison située tout près de là, et que caché dans un arbre des environs (un gros if) il attend pour rentrer dans le lieu saint l'accomplissement de quatre évènements: le complet anéantissement de la famille, l'incendie trois fois répété de la maison où le scandale s'est produit, l'arrivée de la mer à Saint-Guen, et enfin l'usure complète du seuil de sa chapelle par les pieds des pèlerins. L'histoire ne serait pas jolie, si l'on n'ajoutait en vous contant cela: le seuil est usé, Saint-Guen n'est pas encore port de mer, mais la rigole alimentaire du canal de Nantes à Brest y passe, et c'est tout comme; la maison en question a déjà été brûlée deux fois, la famille n'est plus représentée que par une vieille fort âgée. Saint Pabu ne peut donc tarder à revenir.

Saint Pabu ou Tugdual, Tudual ou Tual, évêque de Tréguier, VIe siècle (30 novembre), invoqué pour les maladies de poitrine, est surtout un saint populaire dans la Bretagne bretonnante; en Haute-Bretagne, il est le patron de Saint-Tual (Ille-et-Vilaine). Il y a à Erquy une chapelle de saint Tudual; à Saint-Lunaire sont un village et un bois dits de Pontual.

XXXII

Saint Robert d'Arbrissel

Dans la paroisse d'Arbrissel il est un champ qui ne porte pas de fougère, chose rare dans le pays. Cependant, au temps du bienheureux Robert, il y en avait en cet endroit, disent les bonnes gens, et même beaucoup plus qu'ailleurs, si bien que la fermière ne se gênait pas pour la couper le dimanche.

—Eh quoi! s'écriait le saint, vous violez le jour du Seigneur!

—Hélas, monsieur Robert, j'en ai grand regret, mais les six jours de la semaine ne suffisent point à détruire cette malheureuse plante.

—Voyons, si vous me promettez d'observer les commandements, la fougère ne vous embarrassera plus.

La paysanne jura d'être fidèle à la loi de Dieu et depuis ce jour son champ fut délivré des mauvaises herbes.

(Abbé F. Duynes, Revue des Traditions populaires, t. IX, p. 618).

XXXIII

La chapelle du Bois-Picard

Lorsque l'on va de Montauban à Boisgervilly, à mi-route, on trouve une petite chapelle. Sans aucune architecture, cette humble construction ne ressemble point à ses voisines: aux chapelles de Lannelou et de Saint-Maurice. Voici la légende que me conta un jour une personne pour qui cette histoire était une tradition de famille.

Il y avait une fois un riche fermier au Boisgervilly qui s'appelait Giau[4]. Une après-midi, il s'en fut comme d'habitude chercher son troupeau dans la lande; après avoir regardé de tous côtés, il ne trouva aucune de ses bêtes. Le lendemain il en fut de même, celui d'après aussi. Désespéré, Giau promit alors à saint Antoine de lui sculpter une statue avec un vieux poirier qui se trouvait dans son jardin. À peine avait-il fait ce vœu, qu'il lui sembla qu'un bandeau lui tombait des yeux, et, à son grand ébahissement, il vit son troupeau broutant paisiblement autour de lui.

Giau se rappela sa promesse et fit faire une statue à saint Antoine avec son poirier et la fit placer dans l'endroit témoin de ce prodige. Un jour cependant on voulut l'enlever pour la transporter à l'église de Boisgervilly. Mais arrivé à moitié route, il fut impossible d'aller plus loin: la statue devint tout à coup tellement pesante que sept chevaux ne purent même la remuer. À cette vue, les habitants du Boisgervilly résolurent de ramener la statue. Cette fois un seul cheval suffit et saint Antoine revint dans sa lande.

Depuis on bâtit une chapelle et ce lieu devint un pèlerinage.

(Recueilli à Montauban-de-Bretagne, en 1890, par M. Louis de Villers).

XXXIV

Les croix des sept loups

Par une froide nuit en mois de décembre, un voyageur cheminait sur la route en Médréac. C'était un riche filassier des environs. Depuis quelque temps déjà, il regardait avec inquiétude autour de lui.

Soudain, il s'imagine entendre derrière lui un léger craquement sur la neige. D'abord il croit se tromper, mais le même bruit s'étant reproduit, notre homme se retourne: une bande de sept loups lui fait la conduite. Que faire? Pour toute arme il n'a qu'un bâton. Cependant il ne perd point courage, il s'adresse au Ciel et fait vœu d'élever une croix de pierre en cet endroit, s'il arrive sain et sauf à Médréac.

À peine notre filassier a-t-il fait cette promesse, qu'un loup, plus audacieux que les autres, s'élance vers lui. Rassemblant toute son énergie il l'abat d'un vigoureux coup de bâton. Aussitôt les autres loups se mettent à dévorer leur camarade.

Pendant ce moment de répit, notre voyageur continue sa route, disant toutes les prières qu'il savait et s'adressant à tous les saints du Paradis. Mais les affreuses bêtes ne tardent pas à le rejoindre. De nouveau il promet une seconde croix et un second loup tombe par terre. Il en fut ainsi jusqu'au près du bourg de Médréac où le septième loup fut abattu, après la promesse de la septième croix.

Il existe encore de nos jours quelques-unes de ces vieilles croix en granit que le temps a malheureusement peu respectées.

(Recueilli à Médréac (I.-et-V.) en 1889, par M. Louis de Villers).

XXXV

Les chapelles de Champeaux

Lorsqu'on va de Champeaux au château de l'Espinay, qui n'est qu'à un kilomètre du bourg, on longe une vallée encaissée entre deux coteaux. Sur chacun de ces deux coteaux se dressent, en face l'une de l'autre, deux petites chapelles dédiées l'une à saint Job et l'autre à saint Abraham. Elles sont dans le pays l'objet de la légende suivante:

En 1512, Guy d'Espinay, en guerre avec un de ses voisins, fut un jour poursuivi de si près qu'il se vit sur le point d'être prisonnier. Cerné de tous côtés, il ne lui restait plus qu'à franchir l'immense espace compris entre les deux collines. Invoquant saint Abraham et saint Job, il fit vœu de leur élever à chacun une chapelle, s'il échappait à son ennemi. Aussitôt, éperonnant son cheval, il le fit s'élancer du haut du rocher de saint Job sur le coteau voisin. Les chapelles indiquent la distance du saut accompli par le coursier de Guy d'Espinay.

On ajoute que les deux maçons chargés de la construction de ces petits oratoires n'avaient qu'un marteau et qu'une truelle, qu'ils se lançaient de l'un à l'autre quand ils en avaient besoin.

(Ad. Orain. Curiosités de l'Ille-et-Vilaine, 1884, p. 9).

Il y a dans le Morbihan une paroisse de Saint Abraham.

XXXVI

Les Notre-Dame de l'Épine

Une pauvre femme, pleine de piété, gardait un jour son troupeau dans un champ de Hirel, voisin du bourg de Ruca; tout en le surveillant, elle adressait une fervente prière à la bonne Vierge, lorsqu'elle aperçut devant elle une minuscule statuette de la mère de Dieu, au milieu d'un buisson d'épines fleuries. Elle continua sa prière avec encore plus de dévotion, mais lorsque vint la nuit, elle se dit à elle-même: «Vais-je laisser là cette jolie petite Vierge? Si mal logée qu'elle soit chez moi, elle y sera mieux pourtant qu'ici, exposée sur son épine aux injures de l'air et de la saison.» Alors elle s'approcha de l'aubépine, prit avec dévotion la statuette et l'emporta dans sa chaumière.

La statue revint d'elle-même dans le buisson d'aubépine, et l'on fut forcé de construire dans ce lieu béni la chapelle d'Hirel.

(Journal de Rennes, 20 février 1802).

On a emporté plusieurs fois la statuette de Notre-Dame de Hirel; mais elle ne se plaisait pas loin de son épine, et toujours elle y est revenue d'elle-même.

Un jour des paysans apportèrent, au seigneur de Laillé une statue de la Vierge qu'ils avaient trouvée dans un buisson d'aubépine sur la Lande du Désert.

Le seigneur de Laillé voulut qu'on la déposât dans sa chapelle dédiée à saint Michel, et qui se trouvait située à la porte du château.

Le lendemain, quelle ne fut pas la surprise de tous en n'apercevant pas la statue de la Vierge dans la chapelle de Laillé. À quelques jours de là, des pâtres la virent de nouveau sur la lande et sous le même buisson. Lorsque le seigneur de Laillé eut connaissance de ce miracle, il ne douta pas que la sainte Vierge voulût une chapelle sur la Lande du Désert, et il fit édifier celle qu'on voit aujourd'hui et qui occupe la place de l'aubépine abritant la statue.

(A. Orain. Curiosités de l'Ille-et-Vilaine, 1800).

Il y avait à Saint-Briac une statue de la Vierge placée dans une épine, et qui faisait des miracles. Le recteur la fit enlever et transporter en son église, parce que les Briacais ne voulaient pas lui faire bâtir une chapelle. Mais dès le lendemain la statue se retrouva sur son épine, et les Briacais lui élevèrent une chapelle à l'endroit où elle se plaisait.

Un fermier du même pays, en labourant son champ, trouva une petite bonne Vierge. Il l'emporta à la maison et l'enferma dans son coffre. Le lendemain, quand il l'ouvrit, il s'aperçut qu'elle avait disparu, et pourtant la serrure n'avait pas été ouverte, et il en avait la clé dans sa poche. Il se mit à chercher dans les environs et finit par la découvrir dans le haut d'une épine; il l'emporta de nouveau et la renferma dans son coffre. Mais le lendemain matin, on la retrouvait dans le haut de l'épine.

(Recueilli à Saint-Briac par M. Charles Sébillot).

Dans les légendes populaires, ainsi qu'on l'a déjà vu, et on en trouvera plus loin d'autres exemples, les saints ont des endroits de prédilection dont ils n'aiment pas à être dérangés.

Lorsque Saint-Germain-de-la-Mer cessa d'être paroisse on chargea sur une charrette la statue du saint pour l'emporter à Matignon; quand on arriva au Pont-au-Prouvoire, le saint s'échappa et retourna à travers champs jusqu'à sa chapelle; dans ceux par où il a passé la récolte est plus belle que dans les autres.

(Paul Sébillot, Traditions, t. I, p. 324).

À côté du Pont-Ruellan, en la commune de Hénanbihen, se voit une statuette dite de saint Mirli. Elle est en pierre et présente cette particularité que la tête, ayant été séparée du tronc, y était autrefois réunie par une tige. Celle-ci n'était pas fixe, et on pouvait faire tourner la tête. Si on peut l'embrasser un certain nombre de fois, on se marie dans l'année. La tête de saint Mirli a été plusieurs fois emportée, soit par des incrédules, soit par des personnes désireuses d'avoir chez eux ce saint: elle est toujours revenue d'elle-même à sa place.

Dans ses Légendes du Morbihan, le docteur Fouquet a raconté la découverte de la statue miraculeuse à laquelle Notre-Dame du Roncier de Josselin doit son origine; bien que son récit ne soit pas emprunté directement à la tradition populaire, je le donne ici, en l'abrégeant un peu, parce qu'il se rattache à un ordre d'idées voisin des Notre-Dame de l'Épine.

Longtemps avant que Josselin fût une ville, des paysans avaient remarqué, là même où dans les XIVe et XVe siècles fut élevée son église collégiale, une ronce que les neiges et les verglas des plus rudes hivers ne pouvaient dépouiller de ses feuilles toujours fraîches et toujours vertes. Surpris de ce phénomène et guidés par un pressentiment religieux, ils fouillèrent le sol sous cette ronce et amenèrent au jour une statue de la Vierge qu'ils reconnurent pour miraculeuse, car aucune tradition du pays ne mentionnait l'existence en ce lieu d'une ancienne statue.

À la nouvelle de cette découverte, des flots de fidèles accoururent, les mains pleines d'offrandes, pour obtenir les grâces et la protection de Notre-Dame du Roncier, qui dans ce lieu d'élection, opérait chaque jour des merveilles. Alors une sainte chapelle fut construite pour y déposer la statue vénérée et bientôt des maisons s'élevèrent dans ce lieu béni.

L'ancienne édition d'Ogée reproduit des passages d'un livre, probablement du XVIIe siècle, intitulé Le Lis fleurissant parmi les épines ou Notre-Dame du Roncier triomphante dans la ville de Josselin, par le P. I. de I. M.

Vers l'an 808, un paysan cultivant la terre, au lieu même où l'on a bâti l'église de Notre-Dame, et coupant des ronces avec un faucillon que l'on voit encore suspendu à la voûte de l'autel, y déterra l'image consacrée. Le P. I. assure que rien n'extirperait les ronces attachées à l'un des pignons de l'église, et que le faucillon, suspendu au-dessus de l'image miraculeuse, paraît neuf comme s'il sortait de la main du maréchal. Il y a aussi à Rostronen une église de Notre-Dame du Roncier.

XXXVII

Notre-Dame du Nid de Merle

La forêt de Rennes portait au XIIe siècle le nom de forêt du Nid de Merle. Il y a bien longtemps un jeune garçon qui gardait son troupeau dans la forêt, aperçut une lumière dans le feuillage d'un buisson. L'enfant s'arrête étonné; il regarde plus attentivement et reconnaît que cette lueur sort d'un nid construit là par un merle; il écarte les branches, et trouve couchée sur un lit de mousse une toute petite statue de la sainte Vierge jetant autour d'elle une céleste clarté. Il l'enlève doucement et va la porter chez le curé de la paroisse, qui la place dans son église. Le lendemain, il n'y trouve plus la statue. Le pâtre s'enfonça dans la forêt et la retrouva dans le nid de merle qu'elle avait choisi pour demeure. Trois fois il rapporta au curé ce précieux trésor, trois fois la Vierge retourna dans le petit nid. On prit alors le parti d'y construire une chapelle qui reçut le nom de Notre-Dame du Nid de Merle; non loin de là s'éleva l'abbaye de Saint-Sulpice, dont les bénédictins conservèrent avec soin la petite statue.

(Guillotin de Corson. Semaine religieuse du 31 mai 1873).

M. le chanoine Guillotin de Corson m'écrit que cette légende lui a été racontée dans le pays; il y avait à Rennes, dans la rue du Griffon, une statuette assez fruste qui retraçait ce miracle.

À Sulniac, au hameau de la Vraie-Croix, où l'on parle français, alors que dans le reste de la commune le breton est usité, est une chapelle dont la légende raconte ainsi l'origine:

Un croisé rapportant un fragment de la vraie croix s'arrêta à cet endroit et y perdit sa relique; il la rechercha vainement, et partit. Peu après, on vit au haut d'une aubépine un nid de pie qui jetait pendant la nuit une vive clarté. La pie avait volé le fragment de la vraie croix. On fit construire une chapelle pour la recevoir; mais toujours la relique retournait au nid de pie, et l'on finit par comprendre qu'elle voulait y rester. Alors on bâtit une seconde chapelle, de façon à ce que le fragment de la vraie croix fût placé à la hauteur même où était le nid.

(Cayot-Delandre, Le Morbihan, p. 384).

Voici encore une autre légende qui se rattache aux emplacements préférés par les saints pour les édifices qu'on leur élève:

Très anciennement, dit une tradition reléguée dans la mémoire des vieillards, l'église de Vieux-Bourg Quintin étant venue à tomber de vétusté, les habitants résolurent de la reconstruire sur le même emplacement. Mais, la nuit, les travaux exécutés pendant le jour étaient renversés par une main invisible. Ils comprirent que Dieu ne voulait pas qu'on reconstruisit l'église dans l'endroit où elle était primitivement; mais où la placer? L'embarras était grand quand on vit des pies s'abattre sur les murs, en détacher la chaux et la porter à l'endroit où se trouve actuellement l'église de Vieux-Bourg, c'est-à-dire à environ quatre kilomètres de distance.

(B. Jollivet, Géographie des Côtes-du-Nord, t. I, p. 384).

XXXVIII

La chapelle de Notre-Dame à Bovel

À Bovel, on raconte qu'on aperçut un jour sur les vastes landes d'Anast une statue de la sainte Vierge posée sur la bruyère. Quelqu'un la plaça sur une charrette traînée par des bœufs, se promettant de la conduire à l'église de sa paroisse. Mais à peine l'attelage se fut-il engagé dans la vallée marécageuse dominée par le manoir du Bois-Denart que les bœufs s'arrêtent subitement, et ni les menaces ni les coups ne purent les faire avancer. On comprit que Notre-Dame voulait être honorée en ce lieu et Dieu permit qu'une fontaine jaillit à côté de l'endroit choisi par la sainte Vierge. On éleva un sanctuaire en l'honneur de Marie, et l'on y posa dévotement la statue que l'on y vénère encore maintenant.

(Guillotin de Corson. Récits historiques, p. 144).

Le jour de la Nativité, les pèlerins vont boire de l'eau à la fontaine, jettent une pièce de monnaie dans la source, vont prier aux pieds de la statue, puis déposent une seule offrande dans le tronc béni.

XXXIX

Le prieuré de Notre-Dame de Montreuil

Il y avait une fois un riche seigneur qui avait fait vœu de bâtir une chapelle dédiée à la sainte Vierge dans un endroit appelé Montreuil, sur la lisière de la forêt de Montauban. Bientôt les matériaux furent à pied d'œuvre et on jeta les fondements. Le soir de la première journée, les ouvriers avaient choisi les plus grosses pierres pour asseoir solidement les fondations. Quel ne fut pas leur étonnement, le lendemain matin, lorsqu'ils virent leur travail défait et les matériaux transportés quelques champs plus loin.

Ils se remirent pourtant à l'ouvrage avec une nouvelle ardeur. L'un d'eux, qui était un malin, dit à ses compagnons:

—Il y a quelque sorcellerie là-dessous, m'attends je; si vous voulez m'en croire, vous autres, nous veillerons cette nuit.

Le soir venu, ils se cachèrent dans les broussailles; vers le milieu de la nuit, ils aperçurent deux anges resplendissants de lumière, qui enlevaient les pierres et les transportaient dans l'endroit où la veille les ouvriers les avaient retrouvés.

Le seigneur comprit que c'était le lieu choisi par la sainte Vierge, et c'est là qu'il fit construire la chapelle. Des moines vinrent s'établir auprès et construisirent un prieuré qui s'appela le Prieuré de Notre-Dame de Montreuil. Il n'en existe plus aujourd'hui que quelques vestiges.

(Recueilli au village de Montreuil, près Montauban, en 1891, par M. Louis de Villers).

Pierre sculptée sur la façade du prieuré
Pierre sculptée sur la façade du prieuré
actuellement converti en ferme,
d'après un croquis de M. L. de Villers.

XL

La statue qu'on ne peut emmener

Il y avait autrefois, non loin de l'antique église de Guiguen (XIIe siècle) une chapelle que l'on prétendait avoir été bâtie par le P. Morin, célèbre prédicateur du XVe siècle, né à Guiguen. Les gens du pays appelaient ce petit oratoire «la Chapelle du bon Père Pierre Morin». Voici une légende qu'on raconte encore aujourd'hui à son sujet. Un jour quelques mauvais garnements du bourg volèrent un fromage de cochon, et, le soir venu, se rendirent sur une lande voisine du bourg pour y faire ripaille. En passant devant la chapelle, il vint à l'idée de l'un d'eux d'inviter Pierre Morin. Il entra dans la chapelle et chargeant la statue sur son épaule, il lui dit:

—Tu vas v'ni quanté nous, Pierrot, tu vas manger du fricot.

Mais au moment où les jeunes gens allaient entamer le plat de fromage, la statue se démena tant et si bien, qu'ils furent obligés de la rapporter dans la chapelle et de la remettre à la place où ils l'avaient prise.

(L. Decombe, dans Bézier. Supplément à l'Inventaire, p. 87).

XLI

Saint Samson et la cathédrale de Dol

Un puissant seigneur ayant rencontré le thaumaturge Samson lui dit: «Homme de Dieu, tu vois cette grosse pierre; lance-la; autant d'espace elle parcourra, autant de terrain je le concéderai.»

Alors le saint, s'étant placé à l'extrémité de la chapelle qui porte encore son nom, projeta la pierre vers l'Occident. Elle tomba juste à l'endroit où se termine aujourd'hui la cathédrale.

Lorsque l'emplacement fut ainsi obtenu, le pieux évêque construisit sa basilique avec un âne et un bœuf.

Cependant, si actif que fût le fondateur de la cité doloise, il ne put achever la tour imposante du Nord. Depuis, l'on a bien essayé de poursuivre l'œuvre du saint, mais c'est inutile, car une main mystérieuse fait tomber toutes les pierres que l'on est tenté de placer sur la tant vieille tour.

L'église possède un souterrain merveilleux. Il part de la tour du sud, fait trois kilomètres sous les marais et débouche à Mont-Dol, au bas du tertre.

(Abbé F. Duynes, Revue des Traditions populaires, t. VIII, p. 36).

Deux villages voisins de Dol, (Mont-Dol et Carfantain) possèdent chacun une fontaine à laquelle est attaché le nom de saint Samson. Il n'existe pas d'autre tradition orale sur le célèbre thaumaturge dans le pays même qu'il a évangélisé.

Ici, comme en mainte circonstance, ajoute M. Duynes, l'imagination populaire a poétisé les explications prosaïques de l'histoire. Cette tour du Nord fut commencée au XVe siècle sur les ruines d'une autre beaucoup plus ancienne. Pendant plusieurs années les travaux s'effectuèrent vigoureusement, mais les fonds ne tardèrent pas à manquer et l'entreprise est demeurée dès lors dans l'abandon le plus complet. Il ne faut voir là qu'une traduction hyperbolique de la réalité. Jadis demi-forteresse, la vieille cathédrale de Dol possédait nécessairement des communications dérobées avec les fortifications et les palais de l'antique cité.

Samson, évêque de Dol, VIe siècle, (28 juillet) est le patron de Bobital, Cadélac, Dol, Illifaut, La Fontenelle, Kerity, Lanvellec, Lanvézéac, Saint-Samson, Saint-Ideuc, et on lui a élevé de nombreuses chapelles.

Saint Samson était invoqué pour guérir de la folie. Encore aujourd'hui les personnes qui redoutent cette maladie pour leurs proches viennent implorer ce saint en sa chapelle absidale. La raison de ces pèlerinages particuliers tient aux détails de la vie du célèbre thaumaturge. Tous ses anciens biographes nous le montrent ayant une puissance extraordinaire d'exorcisme. Aussi au XIIIe siècle, dans la splendide verrière de la cathédrale, l'artiste peignait «un prince et une princesse couronnés, qui implorent le saint pour une jeune fille, vêtue d'une robe jaune, dont les yeux hagards et les mains liées indiquent assez une possédée.»

XLII

Saint Benoît de Macerac

Saint Benoît, disent les paroissiens, voulut construire une église près de son héritage favori, au village de Pen-Bu; mais bientôt, il ne put donner suite à son pieux désir. À peine les fondations commençaient-elles à sortir de terre, que des milliers de grenouilles commencèrent à coasser sans relâche dans les marais voisins et troublèrent grandement les prières et les méditations de notre saint. Néanmoins, confiant en la bonté de Dieu, il supporta ce contre-temps avec patience et se mit en devoir de continuer son œuvre. Mais bientôt, les eaux étant devenues plus grandes, les grenouilles poussèrent l'audace jusqu'à venir établir leur demeure dans les constructions destinées à devenir l'église, malgré saint Benoît qui ne put les chasser et les détruire complètement. Alors, croyant voir un avertissement dans ce fait de la Providence, il se résigna à bâtir plus loin son oratoire, et alla en poser les premières pierres, non loin de sa fontaine, dans un lieu qui, dit-on, n'était alors que forêt, et près de l'endroit où avaient été construites tout d'abord les cellules de ses neuf compagnons. Ainsi prirent naissance le prieuré et le bourg de Macerac.

Tombeau de saint Benoît
Tombeau de saint Benoît, dans le cimietière de Macerac.

Dans son intéressante monographie Saint Benoît de Macerac, M. de l'Estourbeillon relate encore d'autres souvenirs: dans la paroisse de Macerac, sur un coteau qui domine la vallée de la Vilaine, on voit une masse de rochers, appelés dans le pays la chaire de saint Benoît: «C'est là, disent les paysans, que sainct Benoist preschait au paouvre monde, et disait à nos anciens de tant si belles chaouses sur noutre divin seigneur Dieu.» Une procession s'y rend le 28 octobre. Les meilleurs champs de la paroisse aux environs du bourg s'appellent la Benoîterie. Non loin de l'ancienne église, au nord de la paroisse et au bord du marais, existe une ancienne fontaine, dite de Saint-Benoît; elle est construite en gros appareil, dans le genre du XIIIe siècle; et, est surmontée d'une croix de granit. Au centre de son excavation existe encore une antique statue de saint Benoît en bois peint, de trente centimètres de hauteur environ. Elle représente un moine imberbe, vêtu de bure, la tête recouverte du capuce; la main droite retient, appuyé sur la poitrine, un livre peint en rouge, la gauche brisée au poignet, est tendue en avant, et semble avoir tenu une crosse. On vient prier devant cette petite statue, et plus d'un ancien, après avoir bu de l'eau de la fontaine, embrasse la statue avec une religieuse ferveur. Le tombeau est dans le cimetière, il est composé d'un seul bloc de granit posé sur un massif de maçonnerie; le couvercle en partie brisé, porte les empreintes d'une sorte d'étole gravée sur la pierre, et en tête une croix de saint André très distincte entre les deux bras de l'étole. C'est près de ce tombeau que les habitants viennent en pèlerinage «et l'on a jamais oueï prescheu, disent les anciens, qu'aôcun de ceulx qui'taint venüs besouëgner près de ly en preieres s'en fut retourné mécontent et marri.»

image pas disponible
Cette fontaine a été reconstruite l'an dernier
par le curé de Saint-Benoît,
et la statuette haute de quarante centimètres environ
a été remplacée par une autre plus moderne.

Saint-Benoît de Masserac ou Macerac (23 octobre, aliàs 22 octobre), pénitent, XIe siècle, a son tombeau à Masserac, dont il est le patron.

XLIII

Saint Lin

Lorsque saint Lin vint en Bretagne, il était monté sur une charrette attelée de quatre bœufs qui portait aussi son mobilier. Il n'avait pas dit au conducteur où il voulait s'arrêter; mais quand on arriva à l'endroit où est bâtie la chapelle de saint Lin, les bœufs refusèrent d'avancer; le conducteur eut beau les piquer et les frapper, ils ne bougèrent pas de place, et les bœufs de limon opposèrent une telle résistance, que maintenant on montre encore sur le rocher l'empreinte de leurs pieds.

(Recueilli en 1884, aux environs de Moncontour).

La commune de Saint-Vran, canton de Merdrignac, a une chapelle de saint Lin, d'origine ancienne, et qui a été reconstruite il y a quelques années. C'est à elle que se rapporte cette légende. On voit auprès une fontaine, à laquelle on se rend pour la guérison de la goutte et des rhumatismes.

XLIV

Notre-Dame du Pont d'Ars

De son temps le grand saint Martin était chait en amour de sa vésine, et par un biau jou, i fut la demander en mariage. Mais Notre-Dame du Pont d'Ars li répondit:

—Je sai toute marrie, mon brave homme, de vous faire offense, mais vey'ous, je tiens à demeurer comme je sai, et à mourir vierge; recevez-en ben mes excuses.

Et comme saint Martin insistait fort, la Vierge du Pont d'Ars li dit:

—Je ne saurais épouser personne, mon bonhomme, et j'vous l'dis sans feinte, car sans ça j's'rais la vot', ben sûr:... vous m'plaisez ben, m'est avis; aussi pour vous consoler, j'vous donne gage de vous accorder tout c'que vous me d'manderez.

(Dr Focquet. Bulletins de la Société polymathique du Morbihan, 1860-61, p. 127).

Cette courte légende sert à un conteur à expliquer la dévotion particulière des gens de Saint-Martin pour Notre-Dame du Pont d'Ars, à qui ils vont processionnellement demander la cessation de la pluie.

XLV

La cane de sainte Brigitte

Il était une fois une princesse qui s'appelait Brigitte, et elle avait douze enfants. Pendant qu'elle voyageait avec eux sur mer, le navire qui les portait fit naufrage, et la princesse, se voyant sur le point de périr, invoqua sainte Brigitte et la supplia de la sauver ainsi que sa famille. La sainte exauça sa prière et ils furent changés en cane et en canetons.

Ils gagnèrent facilement la terre ferme, et, quand ils furent sur le rivage, sainte Brigitte leur apparut et leur dit qu'elle ne pourrait leur rendre leur forme première qu'au bout d'un certain temps: jusque-là ils devaient se rendre en pèlerinage à sa chapelle le jour de l'assemblée et le jour des Rogations, pour demander à Dieu le pardon de tous leurs péchés.

Lorsque leur pénitence fut terminée, sainte Brigitte put leur faire reprendre la forme humaine, et c'est depuis cette époque que l'on ne voit plus venir à sa chapelle la cane et ses douze canetons.

(Conté en 1897, par François Marquer, de Saint-Cast).

Il était une fois une princesse que poursuivait un méchant capitaine qui en voulait à son honneur. Sur le point d'être atteinte par lui, elle se jeta à la mer, et elle allait périr, quand elle invoqua sainte Brigitte, sa patronne. Sa prière fut exaucée, et elle fut à l'instant changée en cane, de sorte qu'il lui fut facile de s'éloigner en nageant.

La sainte ne borna pas là sa protection: un peu plus loin la princesse rencontra un génie des eaux, qui la recueillit dans son palais sous-marin; elle y redevint femme et plus tard, il l'épousa.

En reconnaissance de cette miraculeuse intervention, chaque année, le jour anniversaire de celui où elle avait été sauvée, la princesse venait avec ses enfants remercier sainte Brigitte en sa chapelle. Mais pour éviter toute relation avec les hommes, elle se montrait alors sous la forme de cane, que la sainte lui avait donnée quand elle était en danger de se noyer, et ses enfants devenaient pareillement des canetons.

(Recueilli par Mme Lucie de V. H.)

La légende qui suit est beaucoup plus tronquée, et les conteurs ont oublié le commencement; mais elle explique pourquoi les apparitions ont cessé, et relate en même temps une vengeance de sainte Brigitte à l'égard d'une pèlerine irrespectueuse:

Du temps des fées, on voyait tous les ans, à l'assemblée de Sainte-Brigitte, arriver une cane suivie de douze canetons, qui se rendait à sa chapelle.

Elle y vint plusieurs années de suite; mais un jour un méchant garçon tua l'un des canetons d'un coup de pierre, et depuis ce temps, la cane ne reparut plus. Celui qui avait commis ce meurtre en fut puni, car à partir de ce moment lui et les siens n'éprouvèrent que du malheur.

Il ne faisait pas bon se moquer de sainte Brigitte. Un jour deux jeunes filles étaient venues en pèlerinage à sa chapelle, et l'une d'elle s'écria en voyant la statue:

—Oh! la vilaine sainte! pour tout l'argent du monde, je ne voudrais pas l'embrasser!

À peine eut-elle achevé ces paroles, que par la permission de la sainte sa tête fut changée de côté.

(Conté en 1885, par J. M. Comault).

La cane et les canetons suivaient aussi la procession des Rogations.

D'après une autre version, le jeune homme qui avait tué l'un des canetons fut aussitôt transformé en épervier, et peu après il fut tué d'un coup de fusil, au moment où il se disposait à enlever un poulet dans la cour d'une ferme.

D'autres disent qu'il fut changé en cochon, et qu'il se mit à suivre la procession en grognant. Un fermier l'emmena; mais ayant essayé vainement de l'engraisser, il lui cassa la tête d'un coup de hache et l'enterra dans un coin de son jardin.

Sainte Brigide ou Brigitte, vierge et abbesse, VIe siècle (8 septembre), est invoquée par les femmes en couches en Basse-Bretagne, et en Haute-Bretagne elle donne du lait aux nourrices. Elle est la patronne de Berhet, Kermoroch, Loperhet, Noyalo, Perguet, Sainte-Brigitte, et elle y a de nombreuses chapelles. En Haute-Bretagne, je ne connais que celle qui est près de Merdrignac et celle à laquelle se rattachent les légendes ci-dessus. Elle est située dans la commune de Notre-Dame du Guildo; la statue de la sainte est fort laide en effet, et l'on comprend en la voyant l'exclamation de la pèlerine; il y a à côté une statuette de sainte Marguerite, plus petite, et derrière la chapelle sont deux fontaines dont l'eau est de bonne qualité et très abondante, qui portent le nom des deux saintes.

Sainte Brigitte de Merdrignac est invoquée par les nourrices pour avoir du lait. Près de sa chapelle est aussi une fontaine. On raconte à Laurenan qu'un homme du village de l'Erignac qui se rendait au marché, ayant entendu les lamentations d'une femme qui suppliait la sainte de lui donner du lait, entra dans la chapelle et se mit à se moquer d'elle.

Mal lui en prit, car à peine fut-il sorti qu'il lui sembla qu'on lui tenaillait les seins, et quand il rentra chez lui il était plus gonflé de lait que ne le fut jamais vache laitière.

On m'a plusieurs fois raconté ces légendes, mais elles ne sont plus connues de tout le monde dans le voisinage, ainsi que j'ai pu m'en convaincre par l'enquête que j'ai faite. Les deux premières versions sont assez étroitement apparentées avec la célèbre légende de la cane de Montfort.

Je n'ai jamais trouvé celle-ci dans la tradition orale, tout au moins à l'état de récit en prose. M. Joüon des Longrais, qui a réimprimé le «Recit veritable de la venue d'une Canne sauvage en la ville de Montfort», composé en 1652 par le père Barleuf, ne connaissait que des versions en vers de cette légende[5], qu'il a étudiée dans sa curieuse introduction. Mais il y reproduit plusieurs variantes de la chanson populaire dont Châteaubriand cite quelques vers dans ses Mémoires d'outre-tombe et que sa mère lui chantait, il y a plus d'un siècle; le docteur Roulin a recueilli, vers 1850, deux versions qui sont reproduites dans les Chansons populaires d'Ille-et-Vilaine de Lucien Decombe, et j'ai moi-même rencontré plusieurs chansons qui parlent d'une «fille du pais du Maine», transformée en cane. Vers 1820, M. Poignand a donné dans ses Antiquités historiques et monumentales, une chanson qui, au contraire, localise l'aventure aux environs de Montfort. C'est à ce titre que je la reproduis ci-dessous, et aussi parce que c'est la seule chanson populaire qui, à ma connaissance, se rattache à la légende dorée de la Haute-Bretagne.

Une fille du bourg de Saint-Gilles,
Des plus belles et des plus gentilles,
Un dimanche la matinée
Par des soldats fut enlevée.

Lui ont lié si dur les veines
Qu'elle ne peut avoir son haleine,
Et l'ont malgré tous ses efforts,
Conduite au château de Montfort.

L'officier la voyant venir
De joie ne pouvait se tenir:
«Faites-la monter dans ma chambre,
Nous dînerons tantôt ensemble.»

À chaque marche qu'elle montait,
Son pauvre cœur (il) soupirait.
«C'est donc ici la belle chambre
Où il faut que mon Dieu j'offense.»

Le capitaine assura bien
Que son Dieu n'offenserait point,
Qu'il lui donnait son cœur pour gage
Et la prendrait en mariage.

«Oh! monsieur, permettez-moi donc
Que je fasse mon oraison.»
Elle a prié Dieu, Notre-Dame
Et Saint-Nicolas d'être cane.

Quand la prière fut achevée,
En cane elle a pris sa volée,
Elle s'envola par une grille
Dans un étang plein de lentilles.

Quand le capitaine vit cela,
Tous ses soldats il appela,
Ont bien douné cinq cent coups d'armes
N'ont jamais pu toucher la cane.

Le capitaine au désespoir,
Ne veut rien entendre ni voir,
Ne veut plus être capitaine,
Dans un couvent se fera moine.

image:La cane et ses canetons
La cane et ses canetons, partie de la grande verrière de
l'église Saint-Nicolas de Montfort, aujourd'hui détruite, et qui avait
été donnée au XVIe siècle par Guy comte de Laval. (Réduction de la
gravure publiée par M. Joüon des Longrais.)

XLVI

Les fées chrétiennes

Les esprits dont la croyance populaire a peuplé les lieux remarquables par leur disposition singulière, les vieux édifices, les cavernes et même les maisons, ne sont pas tous vus du même œil par les gens de campagne. S'ils craignent les maléfices des démons, les espiègleries des lutins et des animaux fantastiques, les fées leur semblent mériter des égards particuliers. Dans les légendes, elles jouent presque toujours un rôle bienfaisant: ce sont elles qui douent les enfants, qui protègent contre l'ogre ou l'homme fort; le petit garçon faible, mais courageux, qui, grâce à leur aide, finit par triompher; ce sont elles qui font aux pauvres gens des présents bien précieux, du pain qui ne diminue pas, des vêtements, ce qu'il faut pour les mettre à l'abri du besoin.

Les paysans leur sont reconnaissants; on les entend rarement les traiter de sorcières, de maudites. Ils emploient au contraire des expressions qui témoignent de la sympathie qu'ils leur gardent. Ils les nomment les bonnes dames, nos bonnes mères les fées, et semblent regretter qu'elles aient disparu au commencement de ce siècle. Plusieurs—en Haute-Bretagne du moins—espèrent que leur départ n'est pas définitif et qu'on les reverra le siècle prochain.

Une des preuves les plus convaincantes de la sympathie que leur garde le peuple est la manière dont il envisage les fées au point de vue de la religion. Il lui répugnerait de savoir païennes et damnées les dames bienfaisantes des cavernes et des bois. Cependant il est dangereux pour elles de devenir chrétiennes; car pour tuer les fées, il suffit de leur mettre du sel dans la bouche. C'est de cette manière que, d'après les conteurs, les fées de Plévenon ont cessé d'être immortelles[6], et, comme le sel est un des ingrédients usités dans la cérémonie du baptême, il est presque impossible qu'elles soient baptisées. Cependant elles peuvent entrer dans les églises, être marraines et assister à des mariages. Elles ne sont ni tout à fait chrétiennes ni tout à fait païennes. Ce sont, d'après une croyance assez répandue en Haute-Bretagne, des esprits, des espèces d'anges condamnés à une pénitence qui doit être accomplie sur terre, et au bout de laquelle ils reprendront leur rang dans le paradis.

Le peuple va parfois plus loin: il leur fait construire des églises, et, ainsi qu'on le verra plus loin, ériger des croix. Par là sans doute elles font œuvre chrétienne et leur pénitence est abrégée.

Les légendes qui suivent montrent des fées—ce sont toujours des fées auxquelles on assigne une résidence dans le pays et non les fées innommées des contes—qui touchent de près au christianisme; parfois même elles font des actes chrétiens. Faut-il y voir un souvenir lointain de l'époque où les prêtresses gauloises devinrent chrétiennes, ou ce rôle leur est-il attribué uniquement par sympathie? C'est une question que l'on peut poser, mais non résoudre, surtout en présence du très petit nombre de documents qui montrent ce rôle particulier des fées.

XLVII

La croix des fées

Il y a en Nazareth, près de Plancoët (Côtes-du-Nord), une croix qui, à ce qu'on assure, a été plantée par les fées; il y a dessous trois barriques d'argent. Si quelqu'un allait à minuit juste à cet endroit le jour d'une grande fête, il pourrait facilement avoir cet argent; car à minuit cette croix se lève de terre d'un côté, et est penchée tout d'un bord, et l'on pourrait voir et prendre le trésor; mais après minuit, elle revient à sa place.

(Recueilli par M. Charles Sébillot.)

XLVIII

Comment Notre-Dame de Lamballe fut bâtie par les fées

Le chœur de l'église Notre-Dame de Lamballe est bâti sur de belles caves s'ouvrant au-dehors par une porte basse, située au pied du mur côté nord. Si vous interrogiez les plus vieux des habitants de cette ville au sujet de cette porte à l'air mystérieux et qu'ils n'ont jamais vu s'ouvrir, ils vous répondraient invariablement, que c'est l'entrée d'un souterrain reliant Notre-Dame au château de La Hunaudaye, avec ramification jusqu'à la Caillibotière[7].

Ce souterrain a été construit par les fées en même temps que le chœur de l'église: la meilleure preuve, c'est que les galeries du chœur conduisent dans la chambre à Margot, comble du côté nord, justement au-dessus de la porte du souterrain, et qu'on voyait encore ces dernières années sa quenouille pétrifiée dans un coin de la chambre. Tous les trésors de Margot sont dans le souterrain: il y a des monceaux de pièces de six francs.

Si les prêtres parvenaient jusqu'au tas d'argent, qui est maintenant gardé par un suppôt du diable, il leur suffirait d'y jeter quelques gouttes d'eau bénite et le trésor appartiendrait à l'église. Ils ont bien essayé à diverses reprises: la dernière fois, il n'y a pas plus de cent ans; mais c'est impossible. Ils étaient entrés dans le souterrain avec la croix, la bannière, chacun ayant un cierge béni à la main pour éclairer la route, le recteur ayant ses étoles et un goupillon; mais, avant d'avoir fait cent pas, ils virent une nuée de guibettes (variété de cousins) voltigeant autour de la flamme des cierges et s'y brûlant en si grand nombre qu'elles finirent par tout éteindre. La procession eut bien de la peine à sortir du souterrain: depuis, on a condamné la porte et il est défendu d'y entrer.

Quant aux galeries du chœur, c'est une vraie chance qu'elles soient finies. Si vous avez passé sur le tertre de Caliguet, un des contreforts de la colline de Bel-Air, en Trébry, vous avez dû remarquer un grand nombre de pierres de toutes dimensions, accumulées là comme à plaisir: c'est la dernière devantelée (charge d'un tablier) de Margot apportant des pierres à ses sœurs, qui bâtissaient Notre-Dame et la tour de Cesson.

Quand elle arriva, ses sœurs donnaient le dernier coup de truelle, ce qui l'étonna, car l'église n'était commencée que depuis dix heures, et elle n'avait apporté que trois devantelées de pierres. Voilà comment Notre-Dame a été bâtie en deux heures, et avec les trois devantelées à Margot.

(Recueilli par M. Cauret, professeur au lycée de Saint-Brieuc).

Suivant la légende, on aurait aperçu, il y a bien longtemps, dans les rochers sur lesquels s'élève Notre-Dame, au milieu des ronces, sous un bouquet d'aubépines toujours fleuries, une statuette de la Vierge Mère, conservée dans cette église sous le vocable de Vierge miraculeuse. Les habitants la portèrent inutilement dans leur église paroissiale et dans chacune de leurs chapelles; la nuit suivante, la statue retournait invariablement sur son rocher; c'était dire clairement aux Lamballais qu'elle voulait une chapelle en ce lieu.

Ils se décidèrent à construire une église, mais les travaux étaient à peine commencés que les fées achevèrent le tout dans une seule nuit, sans oublier la tour.

D'après un autre récit (Sébillot, Gargantua, p. 70), c'est après avoir laissé inachevé le portrait de saint Jacques le Majeur en Saint-Alban, par la peur que Gargantua leur avait faite, que les fées vinrent construire la cathédrale de Lamballe.

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