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Poèmes de Walt Whitman
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Je te veux pour mon chant,
Toi, telle que tu m’apparais à cet instant même, dans la bourrasque qui s’avance, la neige, le jour d’hiver qui décline,
Toi, avec ton armure, ta double palpitation cadencée et ton battement convulsif,
Ton corps noir et cylindrique, tes cuivres brillants comme de l’or, ton acier brillant comme de l’argent,
Tes lourdes barres latérales, tes bielles d’accouplement parallèles qui tournent et font la navette à tes flancs,
Ton halètement et ton grondement rythmiques, qui tantôt s’enflent, tantôt décroissent dans le lointain,
Ton grand réflecteur en saillie fixé à ton avant,
Tes oriflammes de vapeur qui flottent, longues et pâles, teintées de pourpre légère,
Tes épais nuages noirs vomis par ta cheminée,
Ton ossature bien jointe, tes ressorts et tes soupapes, le scintillement de tes roues qui tremblent,
Ton train de voitures derrière, qui te suivent gaiement obéissantes,
A travers la tempête ou le calme, tantôt rapides, tantôt ralenties, courant toujours et sans défaillances;
Type du monde moderne—emblème du mouvement et de la puissance—pouls du continent,
Viens cette fois seconder la Muse et t’amalgamer à cette strophe, telle qu’ici même je te vois,
Avec la bourrasque et les coups de vent qui cherchent à te refouler et la neige qui tombe,
Le jour, la cloche que tu fais sonner, pour avertir, jetant ses notes,
La nuit, tes lanternes muettes oscillant à ton front.
Toi, telle que tu m’apparais à cet instant même, dans la bourrasque qui s’avance, la neige, le jour d’hiver qui décline,
Toi, avec ton armure, ta double palpitation cadencée et ton battement convulsif,
Ton corps noir et cylindrique, tes cuivres brillants comme de l’or, ton acier brillant comme de l’argent,
Tes lourdes barres latérales, tes bielles d’accouplement parallèles qui tournent et font la navette à tes flancs,
Ton halètement et ton grondement rythmiques, qui tantôt s’enflent, tantôt décroissent dans le lointain,
Ton grand réflecteur en saillie fixé à ton avant,
Tes oriflammes de vapeur qui flottent, longues et pâles, teintées de pourpre légère,
Tes épais nuages noirs vomis par ta cheminée,
Ton ossature bien jointe, tes ressorts et tes soupapes, le scintillement de tes roues qui tremblent,
Ton train de voitures derrière, qui te suivent gaiement obéissantes,
A travers la tempête ou le calme, tantôt rapides, tantôt ralenties, courant toujours et sans défaillances;
Type du monde moderne—emblème du mouvement et de la puissance—pouls du continent,
Viens cette fois seconder la Muse et t’amalgamer à cette strophe, telle qu’ici même je te vois,
Avec la bourrasque et les coups de vent qui cherchent à te refouler et la neige qui tombe,
Le jour, la cloche que tu fais sonner, pour avertir, jetant ses notes,
La nuit, tes lanternes muettes oscillant à ton front.
Beauté à la voix féroce!
Roule à travers mon chant avec toute ta musique sauvage, avec tes lanternes oscillantes la nuit,
Avec ton rire au sifflement fou qui retentit et roule comme un tremblement de terre, réveillant tout,
Complète est la loi de toi-même, tu suis infrangiblement la voie qui est tienne,
(La douceur bonasse n’est pas tienne, ni le larmoiement des harpes ni les fadaises du piano),
Tes trilles de cris perçants, les rocs et les collines te les renvoient,
Tu les jettes par delà les prairies vastes, à travers les lacs,
Vers les cieux libres,—effrénés, joyeux et forts.
Roule à travers mon chant avec toute ta musique sauvage, avec tes lanternes oscillantes la nuit,
Avec ton rire au sifflement fou qui retentit et roule comme un tremblement de terre, réveillant tout,
Complète est la loi de toi-même, tu suis infrangiblement la voie qui est tienne,
(La douceur bonasse n’est pas tienne, ni le larmoiement des harpes ni les fadaises du piano),
Tes trilles de cris perçants, les rocs et les collines te les renvoient,
Tu les jettes par delà les prairies vastes, à travers les lacs,
Vers les cieux libres,—effrénés, joyeux et forts.
MANNAHATTA
Je demandais quelque chose de caractéristique et de parfait pour ma ville,
Lorsque, voyez! le nom que lui donnèrent les aborigènes à mes yeux surgit.
Lorsque, voyez! le nom que lui donnèrent les aborigènes à mes yeux surgit.
Je vois à présent ce que peut contenir un nom, un mot liquide, sain, réfractaire, musical, hautain,
Je vois que le nom qui convient à ma cité est ce mot venu de jadis,
Parce que je vois ce mot appuyé dans les creux des baies, superbe,
Opulent, tout autour ceinturé de voiliers et de vapeurs pressés l’un contre l’autre, je vois une île de vingt-cinq kilomètres de long, avec le plein roc comme base,
Les rues sans nombre avec leurs foules, les hauts végétaux de fer, sveltes, forts et légers, qui jaillissent splendidement de son sol vers les cieux clairs,
Les marées qui affluent rapides et amples, les marées tant aimées de moi, à l’heure où le soleil se couche,
Les courants marins qui s’épanchent, les petites îles, les grandes îles avoisinantes, les hauteurs, les villas,
Les mâts innombrables, les blancs côtiers, les allèges, les bacs, les noirs paquebots aux formes parfaites,
Les rues du bas de la ville, les boutiques des soldeurs, les bureaux des armateurs et des changeurs, les rues qui bordent la Rivière,
Les immigrants qui arrivent, quinze ou vingt mille en une semaine,
Les camions voiturant les marchandises, la mâle race des conducteurs de chevaux, les marins au visage halé,
L’air estival, le soleil qui brille éclatant, et les nuages qui flottent là-haut,
Les neiges de l’hiver, les clochettes des traîneaux, les glaçons dans la Rivière qu’apporte le flux ou qu’emporte le reflux,
Les ouvriers de la ville, les maîtres, aux nobles proportions, au visage magnifique, qui vous regardent bien en face,
Les trottoirs encombrés, les voitures, Broadway, les femmes, les magasins et les curiosités,
Un million d’habitants, aux manières libres et fières, à la voix franche, accueillants—les jeunes gens les plus braves et les plus cordiaux,
Ville des flots précipités et écumants! Ville des faîtes et des mâts!
Ville posée parmi les baies! Ma ville!
Je vois que le nom qui convient à ma cité est ce mot venu de jadis,
Parce que je vois ce mot appuyé dans les creux des baies, superbe,
Opulent, tout autour ceinturé de voiliers et de vapeurs pressés l’un contre l’autre, je vois une île de vingt-cinq kilomètres de long, avec le plein roc comme base,
Les rues sans nombre avec leurs foules, les hauts végétaux de fer, sveltes, forts et légers, qui jaillissent splendidement de son sol vers les cieux clairs,
Les marées qui affluent rapides et amples, les marées tant aimées de moi, à l’heure où le soleil se couche,
Les courants marins qui s’épanchent, les petites îles, les grandes îles avoisinantes, les hauteurs, les villas,
Les mâts innombrables, les blancs côtiers, les allèges, les bacs, les noirs paquebots aux formes parfaites,
Les rues du bas de la ville, les boutiques des soldeurs, les bureaux des armateurs et des changeurs, les rues qui bordent la Rivière,
Les immigrants qui arrivent, quinze ou vingt mille en une semaine,
Les camions voiturant les marchandises, la mâle race des conducteurs de chevaux, les marins au visage halé,
L’air estival, le soleil qui brille éclatant, et les nuages qui flottent là-haut,
Les neiges de l’hiver, les clochettes des traîneaux, les glaçons dans la Rivière qu’apporte le flux ou qu’emporte le reflux,
Les ouvriers de la ville, les maîtres, aux nobles proportions, au visage magnifique, qui vous regardent bien en face,
Les trottoirs encombrés, les voitures, Broadway, les femmes, les magasins et les curiosités,
Un million d’habitants, aux manières libres et fières, à la voix franche, accueillants—les jeunes gens les plus braves et les plus cordiaux,
Ville des flots précipités et écumants! Ville des faîtes et des mâts!
Ville posée parmi les baies! Ma ville!
TOUT EST VÉRITÉ
O l’homme de foi molle que je fus si longtemps,
Moi qui me suis tenu à l’écart, qui ai si longtemps refusé d’accepter tels détails,
Qui sais seulement aujourd’hui que la vérité est un tout compact et qu’elle est répandue dans tout,
Qui découvre aujourd’hui qu’il n’est pas de mensonge ni de forme de mensonge, et qu’il ne peut y en avoir, qui ne se développe de lui-même aussi fatalement que la vérité d’elle-même,
Ou qu’aucune loi de la terre ou qu’aucun produit naturel de la terre ne se développe.
Moi qui me suis tenu à l’écart, qui ai si longtemps refusé d’accepter tels détails,
Qui sais seulement aujourd’hui que la vérité est un tout compact et qu’elle est répandue dans tout,
Qui découvre aujourd’hui qu’il n’est pas de mensonge ni de forme de mensonge, et qu’il ne peut y en avoir, qui ne se développe de lui-même aussi fatalement que la vérité d’elle-même,
Ou qu’aucune loi de la terre ou qu’aucun produit naturel de la terre ne se développe.
(Chose singulière, que peut-être on ne peut comprendre immédiatement, mais qu’il faut comprendre,
Je sens moi-même que je représente les mensonges tout autant que le reste,
Et que l’univers les représente.)
Où donc un résultat parfait a-t-il manqué, sans souci des mensonges comme des vérités?
Est-ce sur la terre ou dans l’eau ou dans le feu? Est-ce dans l’esprit de l’homme? Ou dans la chair et le sang?
Je sens moi-même que je représente les mensonges tout autant que le reste,
Et que l’univers les représente.)
Où donc un résultat parfait a-t-il manqué, sans souci des mensonges comme des vérités?
Est-ce sur la terre ou dans l’eau ou dans le feu? Est-ce dans l’esprit de l’homme? Ou dans la chair et le sang?
EXCELSIOR
Quel est celui qui est allé le plus loin? Car je voudrais aller plus loin,
Et quel est celui qui a été le plus juste? Car je voudrais être l’homme le plus juste de la terre,
Et quel est celui qui a été le plus prudent? Car je voudrais être le plus prudent,
Et quel est celui qui a été le plus heureux? O je crois que c’est moi—je crois que personne n’a jamais été plus heureux que moi,
Et quel est celui qui a tout prodigué? Car je prodigue sans cesse ce que j’ai de plus précieux,
Et lequel, le plus fier? Car je crois que j’ai lieu d’être le plus fier fils vivant—car je suis le fils d’une cité où les muscles sont fermes et où les maisons dardent leurs faîtes altiers,
Et lequel, hardi et loyal? Car je voudrais être le vivant le plus hardi et le plus loyal de l’univers,
Et lequel, bienveillant? Car je voudrais montrer plus de bienveillance que tous les autres,
Et quel est celui qui a éprouvé l’affection du plus grand nombre d’amis? Car je sais ce que c’est que d’éprouver l’affection passionnée d’amis nombreux,
Et quel est celui qui possède un corps parfait et énamouré?
Car je ne crois pas que quelqu’un possède un corps plus parfait et plus énamouré que le mien,
Et quel est celui qui pense les plus vastes pensées? Car je voudrais embrasser ces pensées,
Et quel est celui qui a fait des hymnes à la mesure de la terre? Car un désir fou me possède jusqu’à l’extase dévorante de faire des hymnes de joie pour la terre entière.
Et quel est celui qui a été le plus juste? Car je voudrais être l’homme le plus juste de la terre,
Et quel est celui qui a été le plus prudent? Car je voudrais être le plus prudent,
Et quel est celui qui a été le plus heureux? O je crois que c’est moi—je crois que personne n’a jamais été plus heureux que moi,
Et quel est celui qui a tout prodigué? Car je prodigue sans cesse ce que j’ai de plus précieux,
Et lequel, le plus fier? Car je crois que j’ai lieu d’être le plus fier fils vivant—car je suis le fils d’une cité où les muscles sont fermes et où les maisons dardent leurs faîtes altiers,
Et lequel, hardi et loyal? Car je voudrais être le vivant le plus hardi et le plus loyal de l’univers,
Et lequel, bienveillant? Car je voudrais montrer plus de bienveillance que tous les autres,
Et quel est celui qui a éprouvé l’affection du plus grand nombre d’amis? Car je sais ce que c’est que d’éprouver l’affection passionnée d’amis nombreux,
Et quel est celui qui possède un corps parfait et énamouré?
Car je ne crois pas que quelqu’un possède un corps plus parfait et plus énamouré que le mien,
Et quel est celui qui pense les plus vastes pensées? Car je voudrais embrasser ces pensées,
Et quel est celui qui a fait des hymnes à la mesure de la terre? Car un désir fou me possède jusqu’à l’extase dévorante de faire des hymnes de joie pour la terre entière.
PENSÉES
Je songe à l’opinion publique,
Au commandement tôt ou tard prononcé d’une voix calme et froide, (combien impassible! combien sûr et final!)
Au Président, le visage pâle, se demandant en secret: Que dira le peuple à la fin?
Aux Juges frivoles, aux Parlementaires, aux Gouverneurs, aux Maires corrompus—à tous ces gens se voyant un jour impuissants et à découvert,
Aux prêtres marmonnant et pleurnichant, (bientôt, bientôt abandonnés de tous),
Au déclin, d’une année à l’autre, du respect religieux, et des sentences émanées des fonctionnaires, des codes, des écoles,
A la montée toujours plus haute et plus forte et plus large des intuitions des hommes et des femmes, à la montée du sentiment de la haute Estime de Soi-même et de la Personnalité;
Je songe au vrai Nouveau Monde—aux Démocraties resplendissantes dans leur totalité,
A la politique, aux armées, aux marines se conformant à elles,
A leur rayonnement solaire—à leur lumière inhérente, supérieure à toutes les autres,
A l’enveloppement de toute chose par elles, d’où toute chose émanera.
Au commandement tôt ou tard prononcé d’une voix calme et froide, (combien impassible! combien sûr et final!)
Au Président, le visage pâle, se demandant en secret: Que dira le peuple à la fin?
Aux Juges frivoles, aux Parlementaires, aux Gouverneurs, aux Maires corrompus—à tous ces gens se voyant un jour impuissants et à découvert,
Aux prêtres marmonnant et pleurnichant, (bientôt, bientôt abandonnés de tous),
Au déclin, d’une année à l’autre, du respect religieux, et des sentences émanées des fonctionnaires, des codes, des écoles,
A la montée toujours plus haute et plus forte et plus large des intuitions des hommes et des femmes, à la montée du sentiment de la haute Estime de Soi-même et de la Personnalité;
Je songe au vrai Nouveau Monde—aux Démocraties resplendissantes dans leur totalité,
A la politique, aux armées, aux marines se conformant à elles,
A leur rayonnement solaire—à leur lumière inhérente, supérieure à toutes les autres,
A l’enveloppement de toute chose par elles, d’où toute chose émanera.
INTERMÉDIAIRES
Ils surgiront en ces Etats,
Ils traduiront la Nature, les lois, la vie du corps et le bonheur,
Ils illustreront la Démocratie et le Cosmos,
Ils absorberont les nourritures, ils aimeront, ils recevront l’impression des choses,
Ils seront des femmes et des hommes complets, ils seront souples et musclés dans leur attitude, l’eau sera leur breuvage, pur et limpide sera leur sang,
Ils aimeront immensément les matérialités et la vue des produits, ils aimeront à voir les quartiers de bœuf, le bois de construction, les farines de Chicago, la grande cité,
Ils s’entraîneront à paraître en public pour devenir des orateurs et des oratrices,
Fortes et douces seront leurs paroles, des poèmes et des matériaux de poèmes découleront de leurs vies, ils seront des créateurs et des découvreurs,
D’eux et de leurs ouvrages sortiront de divins messagers pour communiquer des évangiles,
Les personnes, les événements, les souvenirs seront communiqués en des évangiles, les arbres, les animaux, les eaux le seront également,
La mort, l’avenir, la foi invisible, tout sera communiqué.
Ils traduiront la Nature, les lois, la vie du corps et le bonheur,
Ils illustreront la Démocratie et le Cosmos,
Ils absorberont les nourritures, ils aimeront, ils recevront l’impression des choses,
Ils seront des femmes et des hommes complets, ils seront souples et musclés dans leur attitude, l’eau sera leur breuvage, pur et limpide sera leur sang,
Ils aimeront immensément les matérialités et la vue des produits, ils aimeront à voir les quartiers de bœuf, le bois de construction, les farines de Chicago, la grande cité,
Ils s’entraîneront à paraître en public pour devenir des orateurs et des oratrices,
Fortes et douces seront leurs paroles, des poèmes et des matériaux de poèmes découleront de leurs vies, ils seront des créateurs et des découvreurs,
D’eux et de leurs ouvrages sortiront de divins messagers pour communiquer des évangiles,
Les personnes, les événements, les souvenirs seront communiqués en des évangiles, les arbres, les animaux, les eaux le seront également,
La mort, l’avenir, la foi invisible, tout sera communiqué.
ESPRIT QUI AS FAÇONNÉ CETTE NATURE
(Ecrit à Platte Cañon, Colorado)
Esprit qui as façonné cette nature,
Ces farouches et rouges entassements de rocs éboulés,
Ces pics téméraires aspirant à escalader le ciel,
Ces gorges, ces ruisseaux clairs et turbulents, cette fraîcheur nue,
Cette ordonnance barbare et chaotique, dictée par des raisons qui sont en elle,
Je te connais, esprit sauvage—nous avons intimement conversé ensemble,
Car en moi aussi apparaît cette même ordonnance barbare, dictée par des raisons qui sont en elle;
N’a-t-on pas porté contre mes poèmes l’accusation qu’ils avaient négligé l’art?
Qu’ils ne s’étaient pas souciés de fondre en eux-mêmes ses règles précises et sa délicatesse?
Qu’ils avaient oublié la cadence des lyriques, la grâce du temple ouvragé à l’infini, avec ses colonnes et ses arceaux polis?
Mais toi qui te révèles ici—esprit qui as façonné cette nature,
Mes chants ne t’ont pas oublié.
Ces farouches et rouges entassements de rocs éboulés,
Ces pics téméraires aspirant à escalader le ciel,
Ces gorges, ces ruisseaux clairs et turbulents, cette fraîcheur nue,
Cette ordonnance barbare et chaotique, dictée par des raisons qui sont en elle,
Je te connais, esprit sauvage—nous avons intimement conversé ensemble,
Car en moi aussi apparaît cette même ordonnance barbare, dictée par des raisons qui sont en elle;
N’a-t-on pas porté contre mes poèmes l’accusation qu’ils avaient négligé l’art?
Qu’ils ne s’étaient pas souciés de fondre en eux-mêmes ses règles précises et sa délicatesse?
Qu’ils avaient oublié la cadence des lyriques, la grâce du temple ouvragé à l’infini, avec ses colonnes et ses arceaux polis?
Mais toi qui te révèles ici—esprit qui as façonné cette nature,
Mes chants ne t’ont pas oublié.
AU SOLEIL COUCHANT
Splendeur du jour qui s’achève, splendeur qui me porte et m’emplit,
Heure prophétique, heure ressuscitant le passé,
Moment qui m’enfle la gorge, pour que toi, divine moyenne,
Vous, terre et vie, jusqu’à ce que le dernier rayon luise, je vous chante.
Heure prophétique, heure ressuscitant le passé,
Moment qui m’enfle la gorge, pour que toi, divine moyenne,
Vous, terre et vie, jusqu’à ce que le dernier rayon luise, je vous chante.
La bouche entr’ouverte de mon âme publie le bonheur,
Les yeux de mon âme contemplent la perfection,
La vie naturelle de mon être loue fidèlement les choses,
Confirme à jamais le triomphe des choses.
Les yeux de mon âme contemplent la perfection,
La vie naturelle de mon être loue fidèlement les choses,
Confirme à jamais le triomphe des choses.
Glorieuse est toute existence!
Glorieux ce que nous nommons l’espace, sphère hantée par des esprits sans nombre,
Glorieux le mystère du mouvement chez les êtres, même chez le plus chétif insecte,
Glorieux l’attribut de la parole, les sens et le corps,
Glorieuse la lumière qui passe en cet instant—glorieux le pâle reflet qu’elle jette sur la nouvelle lune dans l’ouest du ciel,
Glorieux tout ce que je vois, entends ou touche, jusqu’à la dernière chose.
Le bien est dans tout,
Dans le contentement et l’équilibre des animaux,
Dans le retour annuel des saisons,
Dans la jovialité de la jeunesse,
Dans la force et l’ardeur épanouie de l’âge viril,
Dans la grandeur et l’exquise perfection de la vieillesse,
Dans les perspectives magnifiques de la mort.
Glorieux ce que nous nommons l’espace, sphère hantée par des esprits sans nombre,
Glorieux le mystère du mouvement chez les êtres, même chez le plus chétif insecte,
Glorieux l’attribut de la parole, les sens et le corps,
Glorieuse la lumière qui passe en cet instant—glorieux le pâle reflet qu’elle jette sur la nouvelle lune dans l’ouest du ciel,
Glorieux tout ce que je vois, entends ou touche, jusqu’à la dernière chose.
Le bien est dans tout,
Dans le contentement et l’équilibre des animaux,
Dans le retour annuel des saisons,
Dans la jovialité de la jeunesse,
Dans la force et l’ardeur épanouie de l’âge viril,
Dans la grandeur et l’exquise perfection de la vieillesse,
Dans les perspectives magnifiques de la mort.
L’émerveillement de voir comme je profère la louange exaltée de vous et de moi-même!
Comme mes pensées jouent subtilement en face des spectacles qui m’environnent!
Comme les nuages passent silencieusement au-dessus de ma tête!
Comme la terre précipite sa course toujours et toujours!
Comme l’eau joue et chante! (elle est sûrement douée de vie!)
Comme mes pensées jouent subtilement en face des spectacles qui m’environnent!
Comme les nuages passent silencieusement au-dessus de ma tête!
Comme la terre précipite sa course toujours et toujours!
Comme l’eau joue et chante! (elle est sûrement douée de vie!)
J’ai descendu le Mississipi sur un vapeur,
J’ai vagué par les prairies,
J’ai vécu, j’ai regardé par les fenêtres de mes yeux,
J’ai marché dans le matin, j’ai regardé la lumière poindre à l’orient,
Je me suis baigné sur la plage de la mer du Levant, puis sur la plage de la mer du Ponant,
J’ai flâné dans les rues de Chicago, la cité de l’intérieur, et en quelque rue que j’aie porté mes pas,
Que ce soit dans les villes ou les bois silencieux, ou même au milieu des spectacles de la guerre,
Partout où j’ai été, je me suis saturé de contentement et de triomphe.
J’ai vagué par les prairies,
J’ai vécu, j’ai regardé par les fenêtres de mes yeux,
J’ai marché dans le matin, j’ai regardé la lumière poindre à l’orient,
Je me suis baigné sur la plage de la mer du Levant, puis sur la plage de la mer du Ponant,
J’ai flâné dans les rues de Chicago, la cité de l’intérieur, et en quelque rue que j’aie porté mes pas,
Que ce soit dans les villes ou les bois silencieux, ou même au milieu des spectacles de la guerre,
Partout où j’ai été, je me suis saturé de contentement et de triomphe.
AU MOMENT OU ILS TIRENT A LEUR FIN
Au moment où ils tirent à leur fin,
Je songe à ce que renferment, en leurs dessous, les poèmes qui précèdent—à ce à quoi j’ai visé en eux,
A la graine que j’ai cherché à planter en eux,
A la joie, la joie délicieuse, qu’à travers maintes années j’ai mise en eux,
(C’est pour eux, oui, pour eux que j’ai vécu, c’est en eux que ma tâche est accomplie),
Je songe à maintes aspirations chéries, à maints rêves et projets:
A travers l’Espace et le Temps fondus en un chant, à travers l’identité éternelle s’écoulant comme un flot,
A la Nature qui, dans sa circonférence, les embrasse, qui embrasse Dieu, au tout joyeux, électrique,
A la compréhension de la Mort, et à l’acceptation exultante de la Mort à son tour autant que de la vie,
De chanter l’accession de l’homme;
De vous unir, vous, existences diverses et séparées,
D’établir la concordance des montagnes et des rocs et des eaux,
Et des vents du septentrion et des forêts de chêne et de sapin,
Avec toi, ô âme.
Je songe à ce que renferment, en leurs dessous, les poèmes qui précèdent—à ce à quoi j’ai visé en eux,
A la graine que j’ai cherché à planter en eux,
A la joie, la joie délicieuse, qu’à travers maintes années j’ai mise en eux,
(C’est pour eux, oui, pour eux que j’ai vécu, c’est en eux que ma tâche est accomplie),
Je songe à maintes aspirations chéries, à maints rêves et projets:
A travers l’Espace et le Temps fondus en un chant, à travers l’identité éternelle s’écoulant comme un flot,
A la Nature qui, dans sa circonférence, les embrasse, qui embrasse Dieu, au tout joyeux, électrique,
A la compréhension de la Mort, et à l’acceptation exultante de la Mort à son tour autant que de la vie,
De chanter l’accession de l’homme;
De vous unir, vous, existences diverses et séparées,
D’établir la concordance des montagnes et des rocs et des eaux,
Et des vents du septentrion et des forêts de chêne et de sapin,
Avec toi, ô âme.
ADIEU!
Pour conclure, j’annonce ce qui viendra après moi.
Je me rappelle ce que j’ai dit avant que mes feuilles ne jaillissent,
Que je voulais élever ma voix joyeuse et forte par rapport aux fins.
Que je voulais élever ma voix joyeuse et forte par rapport aux fins.
Quand l’Amérique fera ce qui a été promis,
Quand à travers ces Etats marcheront cent millions de superbes individus,
Quand les autres s’ouvriront pour donner naissance à des individus superbes et y collaborer,
Quand des rejetons sortis des mères les plus accomplies caractériseront l’Amérique,
Alors pour moi et mes poèmes sera réalisée notre attente, comme elle le doit.
Quand à travers ces Etats marcheront cent millions de superbes individus,
Quand les autres s’ouvriront pour donner naissance à des individus superbes et y collaborer,
Quand des rejetons sortis des mères les plus accomplies caractériseront l’Amérique,
Alors pour moi et mes poèmes sera réalisée notre attente, comme elle le doit.
J’ai poussé en avant de mon propre chef,
J’ai chanté le corps et l’âme, j’ai chanté la guerre et la paix, et les hymnes de la vie et de la mort,
Et les hymnes de la naissance, et j’ai montré que multiples étaient les naissances.
J’ai chanté le corps et l’âme, j’ai chanté la guerre et la paix, et les hymnes de la vie et de la mort,
Et les hymnes de la naissance, et j’ai montré que multiples étaient les naissances.
J’ai proposé mon style à chacun, j’ai pérégriné d’un pas confiant;
Pendant que mon plaisir est encore à son plein, je murmure: Adieu!
Et prends la main de la jeune femme et la main du jeune homme pour la dernière fois.
Pendant que mon plaisir est encore à son plein, je murmure: Adieu!
Et prends la main de la jeune femme et la main du jeune homme pour la dernière fois.
J’annonce une vie qui sera copieuse, véhémente, spirituelle, hardie,
J’annonce une fin qui, d’un cœur léger et allègre, accueillera son transfert.
J’annonce des myriades de jeunes gens, superbes, géants, au sang pur,
J’annonce une race de splendides et sauvages vieillards.
J’annonce une fin qui, d’un cœur léger et allègre, accueillera son transfert.
J’annonce des myriades de jeunes gens, superbes, géants, au sang pur,
J’annonce une race de splendides et sauvages vieillards.
Je jette mon cri électrique, je mets à contribution l’atmosphère,
Je lance un coup d’œil au hasard, au fur et à mesure que je remarque chacun, je l’absorbe en moi,
Je vais d’une allure rapide, mais je m’arrête un petit moment,
Je remets de curieux messages enveloppés,
Je laisse tomber dans la poussière, comme une semence éthérée, des étincelles brûlantes,
Je m’ignore, j’obéis à l’ordre reçu sans me hasarder jamais à le discuter,
Je laisse aux âges et à d’autres après eux la germination de la semence,
Aux troupes venues de la guerre qui surgira—et c’est eux qui promulgueront les tâches que j’ai assignées,
Je lègue aux femmes certains murmures de moi-même, et leur affection m’expliquera plus clairement,
Aux jeunes hommes j’offre mes problèmes—je ne suis pas un auteur badin—j’éprouve les muscles de leur cerveau;
Et c’est ainsi que je passe, faisant entendre un peu de temps ma voix, visible, paradoxal;
Après cela je ne serai plus qu’un écho mélodieux, que pour saisir on se penchera ardemment, (la mort m’aura rendu réellement immortel),
Le meilleur de moi apparaîtra alors que je ne serai plus visible, car c’est en vue de ce futur que je me suis préparé sans relâche.
Je lance un coup d’œil au hasard, au fur et à mesure que je remarque chacun, je l’absorbe en moi,
Je vais d’une allure rapide, mais je m’arrête un petit moment,
Je remets de curieux messages enveloppés,
Je laisse tomber dans la poussière, comme une semence éthérée, des étincelles brûlantes,
Je m’ignore, j’obéis à l’ordre reçu sans me hasarder jamais à le discuter,
Je laisse aux âges et à d’autres après eux la germination de la semence,
Aux troupes venues de la guerre qui surgira—et c’est eux qui promulgueront les tâches que j’ai assignées,
Je lègue aux femmes certains murmures de moi-même, et leur affection m’expliquera plus clairement,
Aux jeunes hommes j’offre mes problèmes—je ne suis pas un auteur badin—j’éprouve les muscles de leur cerveau;
Et c’est ainsi que je passe, faisant entendre un peu de temps ma voix, visible, paradoxal;
Après cela je ne serai plus qu’un écho mélodieux, que pour saisir on se penchera ardemment, (la mort m’aura rendu réellement immortel),
Le meilleur de moi apparaîtra alors que je ne serai plus visible, car c’est en vue de ce futur que je me suis préparé sans relâche.
HAUTAINES TES LÈVRES, RAUQUE TA VOIX, O MER
Hautaines tes lèvres, rauque ta voix, ô mer, qui te confies à moi!
Jour et nuit je parcours ta plage battue par les vagues,
Représentant à mon esprit tes suggestions étranges, variées,
(Car ici je te vois et t’entends clairement bavarder et confabuler),
Tes troupes de coursiers à la crinière blanche galopant vers le but de leur course,
Ton visage ample et souriant, éclaboussé par le soleil qui le marque de fossettes scintillantes,
Ta méditation farouche et sombre—tes ouragans déchaînés,
Ton insoumission, tes caprices, ton entêtement;
Grande comme tu l’es, d’une grandeur qui t’élèves au-dessus de tout le reste, tu as tes larmes abondantes—il est quelque chose qui, de toute éternité, manque à ton contentement,
(Il a fallu les plus énormes luttes, injustices, défaites, pour faire de toi la plus grande—il n’a pas fallu moins),
Tu es esseulée—il est quelque chose que tu cherches toujours, toujours à atteindre, et que tu n’atteins jamais,
Sûrement quelque droit te fut dénié—il y a, dans ta fureur colossale et monotone, la voix d’un libertaire enfermé,
Un vaste cœur, comme celui d’une planète, s’irrite d’être enchaîné et se débat parmi ces lames;
Et par cette houle qui s’allonge et ce spasme et ce souffle haletant,
Ce grattement rythmique de tes sables et de tes vagues,
Ces sifflements de serpent et ces sauvages éclats de rire,
Et ces murmures comme un rugissement de lion dans le lointain,
(Qui retentissent, jettent leur appel à la sourde oreille des cieux, mais qui à cette heure se trouvent en correspondance,
Car un fantôme dans la nuit est cette fois ton confident),
La confession première et ultime du globe,
S’enfle et déborde, murmure du fond des abîmes de ton âme,
Et c’est l’histoire de la passion cosmique élémentaire,
Que tu racontes à une âme parente.
Jour et nuit je parcours ta plage battue par les vagues,
Représentant à mon esprit tes suggestions étranges, variées,
(Car ici je te vois et t’entends clairement bavarder et confabuler),
Tes troupes de coursiers à la crinière blanche galopant vers le but de leur course,
Ton visage ample et souriant, éclaboussé par le soleil qui le marque de fossettes scintillantes,
Ta méditation farouche et sombre—tes ouragans déchaînés,
Ton insoumission, tes caprices, ton entêtement;
Grande comme tu l’es, d’une grandeur qui t’élèves au-dessus de tout le reste, tu as tes larmes abondantes—il est quelque chose qui, de toute éternité, manque à ton contentement,
(Il a fallu les plus énormes luttes, injustices, défaites, pour faire de toi la plus grande—il n’a pas fallu moins),
Tu es esseulée—il est quelque chose que tu cherches toujours, toujours à atteindre, et que tu n’atteins jamais,
Sûrement quelque droit te fut dénié—il y a, dans ta fureur colossale et monotone, la voix d’un libertaire enfermé,
Un vaste cœur, comme celui d’une planète, s’irrite d’être enchaîné et se débat parmi ces lames;
Et par cette houle qui s’allonge et ce spasme et ce souffle haletant,
Ce grattement rythmique de tes sables et de tes vagues,
Ces sifflements de serpent et ces sauvages éclats de rire,
Et ces murmures comme un rugissement de lion dans le lointain,
(Qui retentissent, jettent leur appel à la sourde oreille des cieux, mais qui à cette heure se trouvent en correspondance,
Car un fantôme dans la nuit est cette fois ton confident),
La confession première et ultime du globe,
S’enfle et déborde, murmure du fond des abîmes de ton âme,
Et c’est l’histoire de la passion cosmique élémentaire,
Que tu racontes à une âme parente.
REMERCIEMENTS DANS MA VIEILLESSE
Des remerciements dans ma vieillesse—des remerciements avant que je m’en aille,
Pour la santé, le soleil de midi, l’air impalpable—pour la vie et rien autre,
Pour les précieux souvenirs qui toujours me hantent, (souvenirs de vous, ma mère chérie—de vous, mon père, de vous, frères, sœurs, amis),
Pour tous les jours de mon existence—non seulement les jours de paix—les jours de guerre pareillement,
Pour les douces paroles, les marques d’affection, les présents venus de pays étrangers,
Pour l’abri, le pain et la viande—pour les suaves témoignages d’appréciation,
(Vous, lecteurs bien-aimés—lointains, inconnus, perdus dans l’ombre—jeunes ou vieux—lecteurs innombrables, non spécifiés,
Nous ne nous sommes jamais vus et nous ne nous verrons jamais,—et pourtant nos âmes longuement s’étreignent, étroitement et longuement);
Des remerciements pour les êtres, les groupes, l’affection, les actes, les paroles, les livres—pour les couleurs et les formes,
Pour tous les hommes vigoureux et braves—les hommes dévoués et audacieux—ceux qui ont bondi au secours de la liberté dans tous les siècles et dans tous les pays,
Pour d’autres hommes, plus vigoureux encore, plus braves, plus dévoués—(des lauriers spéciaux, avant que je disparaisse, aux élus des batailles de la vie,
Les canonniers de la poésie et de la pensée—les grands artilleurs—la tête de l’avant-garde, les capitaines de l’âme);
Et comme un soldat revenu d’une guerre terminée—comme un voyageur parmi des myriades d’autres voyageurs, je dis à la longue procession passée:
Merci—joyeux merci!—le merci d’un soldat, d’un voyageur.
Pour la santé, le soleil de midi, l’air impalpable—pour la vie et rien autre,
Pour les précieux souvenirs qui toujours me hantent, (souvenirs de vous, ma mère chérie—de vous, mon père, de vous, frères, sœurs, amis),
Pour tous les jours de mon existence—non seulement les jours de paix—les jours de guerre pareillement,
Pour les douces paroles, les marques d’affection, les présents venus de pays étrangers,
Pour l’abri, le pain et la viande—pour les suaves témoignages d’appréciation,
(Vous, lecteurs bien-aimés—lointains, inconnus, perdus dans l’ombre—jeunes ou vieux—lecteurs innombrables, non spécifiés,
Nous ne nous sommes jamais vus et nous ne nous verrons jamais,—et pourtant nos âmes longuement s’étreignent, étroitement et longuement);
Des remerciements pour les êtres, les groupes, l’affection, les actes, les paroles, les livres—pour les couleurs et les formes,
Pour tous les hommes vigoureux et braves—les hommes dévoués et audacieux—ceux qui ont bondi au secours de la liberté dans tous les siècles et dans tous les pays,
Pour d’autres hommes, plus vigoureux encore, plus braves, plus dévoués—(des lauriers spéciaux, avant que je disparaisse, aux élus des batailles de la vie,
Les canonniers de la poésie et de la pensée—les grands artilleurs—la tête de l’avant-garde, les capitaines de l’âme);
Et comme un soldat revenu d’une guerre terminée—comme un voyageur parmi des myriades d’autres voyageurs, je dis à la longue procession passée:
Merci—joyeux merci!—le merci d’un soldat, d’un voyageur.
VOUS N’ÊTES PAS, O MES CHANTS,
QUE DE MAIGRES RAMEAUX
Vous n’êtes pas, ô mes chants, que de maigres rameaux où la vie subsiste, latente, (chants écailleux et nus, comme des serres d’aigle),
Mais peut-être bien qu’en quelque jour de soleil (qui sait?), en quelque printemps futur, en quelque été, vous éclaterez,
Vous vous couvrirez de feuilles verdoyantes, vous verserez une ombre où l’on s’abritera—vous donnerez des fruits nourrissants,
Des pommes et des raisins—et les branches d’arbre sortiront vigoureuses—dans le plein air, libre et pur,
Et l’amour et la foi s’épanouiront, telles des roses parfumées.
Mais peut-être bien qu’en quelque jour de soleil (qui sait?), en quelque printemps futur, en quelque été, vous éclaterez,
Vous vous couvrirez de feuilles verdoyantes, vous verserez une ombre où l’on s’abritera—vous donnerez des fruits nourrissants,
Des pommes et des raisins—et les branches d’arbre sortiront vigoureuses—dans le plein air, libre et pur,
Et l’amour et la foi s’épanouiront, telles des roses parfumées.
APRÈS LE SOUPER ET LA CAUSERIE
Après le souper et la causerie—après la journée finie,
Me voici comme un ami qui prolonge le moment où il lui faut quitter pour la dernière fois ses amis,
Qui dit Adieu et encore Adieu de ses lèvres émues,
(Il est si dur pour sa main de lâcher ces mains—jamais plus ils ne se reverront,
Jamais plus pour communier dans la douleur et la joie, jeunes et vieux,
Un immense voyage l’attend, d’où il ne reviendra plus),
Qui fuit, qui recule l’instant de la séparation—qui cherche à différer si peu que ce soit le dernier mot,
Qui, même à la porte de la rue, se retourne—revient sur des recommandations superflues—qui, même lorsqu’il descend les marches du perron,
Cherche quelque chose pour allonger d’une minute son adieu—tandis que les ombres du soir s’épaississent,
Que les adieux, les mots échangés diminuent—et que le visage et la silhouette du partant de plus en plus se fondent,
Pour bientôt se perdre à jamais dans la nuit—du partant à qui il en coûte, ô tellement! de s’en aller,
Qui bavarde jusqu’au suprême instant.
Me voici comme un ami qui prolonge le moment où il lui faut quitter pour la dernière fois ses amis,
Qui dit Adieu et encore Adieu de ses lèvres émues,
(Il est si dur pour sa main de lâcher ces mains—jamais plus ils ne se reverront,
Jamais plus pour communier dans la douleur et la joie, jeunes et vieux,
Un immense voyage l’attend, d’où il ne reviendra plus),
Qui fuit, qui recule l’instant de la séparation—qui cherche à différer si peu que ce soit le dernier mot,
Qui, même à la porte de la rue, se retourne—revient sur des recommandations superflues—qui, même lorsqu’il descend les marches du perron,
Cherche quelque chose pour allonger d’une minute son adieu—tandis que les ombres du soir s’épaississent,
Que les adieux, les mots échangés diminuent—et que le visage et la silhouette du partant de plus en plus se fondent,
Pour bientôt se perdre à jamais dans la nuit—du partant à qui il en coûte, ô tellement! de s’en aller,
Qui bavarde jusqu’au suprême instant.
A LA BRISE DU COUCHANT
Ah! tu m’apportes quelque chose encore, chuchoteuse, invisible,
En ce jour fiévreux où, tard, tu entres par ma fenêtre, par ma porte,
Toi qui viens tout baigner, adoucir, qui viens rafraîchir, tendrement revivifier
L’homme vieux, solitaire, malade, débile, fondu de sueur que je suis;
Toi qui contre moi te serres, qui m’enveloppes étroitement d’une étreinte ferme et cependant molle, tu es une compagne meilleure que la causerie, les livres ou l’art,
(Tu as, ô Nature! vous avez, ô éléments! un langage qui me va au cœur plus que tous les autres—et ceci en fait partie),
Si suave est ton goût primitif que j’aspire au dedans de moi—si doux tes doigts balsamiques sur mon visage et mes mains,
Toi, magique messagère, tu apportes des réconforts étranges à mon corps et à mon esprit,
(Les distances sont vaincues—d’occultes remèdes me pénètrent de la tête aux pieds),
Je sens, comme s’ils me touchaient, le ciel, les prairies vastes—je sens les grands lacs du Nord,
Je sens l’océan et la forêt—je sens en quelque sorte le globe lui-même glissant rapide dans l’espace;
Toi, soufflée de lèvres chéries de moi, à présent disparues—peut-être d’une réserve sans fin, toi, que Dieu m’envoie,
(Car tu es spirituelle, Divine, surtout perçue par mon sens),
Ministre qui viens prononcer pour moi, ici et à cette heure, ce que les mots n’ont jamais pu dire et ne peuvent dire,
N’es-tu pas l’essence de l’universel concret? le suprême raffinement de la Loi, de toute Harmonie des astres?
N’as-tu pas une âme? Ne puis-je te connaître, t’identifier?
En ce jour fiévreux où, tard, tu entres par ma fenêtre, par ma porte,
Toi qui viens tout baigner, adoucir, qui viens rafraîchir, tendrement revivifier
L’homme vieux, solitaire, malade, débile, fondu de sueur que je suis;
Toi qui contre moi te serres, qui m’enveloppes étroitement d’une étreinte ferme et cependant molle, tu es une compagne meilleure que la causerie, les livres ou l’art,
(Tu as, ô Nature! vous avez, ô éléments! un langage qui me va au cœur plus que tous les autres—et ceci en fait partie),
Si suave est ton goût primitif que j’aspire au dedans de moi—si doux tes doigts balsamiques sur mon visage et mes mains,
Toi, magique messagère, tu apportes des réconforts étranges à mon corps et à mon esprit,
(Les distances sont vaincues—d’occultes remèdes me pénètrent de la tête aux pieds),
Je sens, comme s’ils me touchaient, le ciel, les prairies vastes—je sens les grands lacs du Nord,
Je sens l’océan et la forêt—je sens en quelque sorte le globe lui-même glissant rapide dans l’espace;
Toi, soufflée de lèvres chéries de moi, à présent disparues—peut-être d’une réserve sans fin, toi, que Dieu m’envoie,
(Car tu es spirituelle, Divine, surtout perçue par mon sens),
Ministre qui viens prononcer pour moi, ici et à cette heure, ce que les mots n’ont jamais pu dire et ne peuvent dire,
N’es-tu pas l’essence de l’universel concret? le suprême raffinement de la Loi, de toute Harmonie des astres?
N’as-tu pas une âme? Ne puis-je te connaître, t’identifier?
L’ORDINAIRE
Je chante l’ordinaire;
Comme peu dispendieuse est la santé! comme peu dispendieuse est la noblesse!
La sobriété, ni mensonge, ni voracité, ni convoitise;
Je chante le plein air, la liberté, la tolérance,
(Recevez ici la leçon capitale—cherchez-la moins dans les livres—moins dans les écoles),
Le jour et la nuit communs à tous—la terre et l’eau communes à tous,
Votre ferme—votre ouvrage, votre métier, votre emploi,
La sagesse démocratique en-dessous, comme un terrain solide pour tous.
Comme peu dispendieuse est la santé! comme peu dispendieuse est la noblesse!
La sobriété, ni mensonge, ni voracité, ni convoitise;
Je chante le plein air, la liberté, la tolérance,
(Recevez ici la leçon capitale—cherchez-la moins dans les livres—moins dans les écoles),
Le jour et la nuit communs à tous—la terre et l’eau communes à tous,
Votre ferme—votre ouvrage, votre métier, votre emploi,
La sagesse démocratique en-dessous, comme un terrain solide pour tous.
TABLE
ACHEVÉ D’IMPRIMER
EN JUIN MIL NEUF CENT QUATORZE
POUR LES ÉDITIONS DE L’EFFORT LIBRE
PAR G. SUPOT, A ALENÇON
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