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Recherches sur les substances radioactives

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Les deux plateaux d'un condensateur PP et P'P' (fig. 8) sont horizontaux et abrités dans une boîte métallique BBBB en relation avec la terre. Le corps actif A, situé dans une boîte métallique épaisse CCCC faisant corps avec le plateau P'P', agit sur l'air du condensateur au travers d'une toile métallique T; les rayons qui traversent la toile sont seuls utilisés pour la production du courant, le champ électrique s'arrêtant à la toile. On peut faire varier la distance AT du corps actif à la toile. Le champ entre les plateaux est établi au moyen d'une pile; la mesure du courant se fait au moyen d'un électromètre et d'un quartz piézoélectrique.

Fig. 8.

En plaçant en A sur le corps actif divers écrans et en modifiant la distance AT, on peut mesurer l'absorption des rayons qui font dans l'air des chemins plus ou moins grands.

Voici les résultats obtenus avec le polonium:

Pour une certaine valeur de la distance AT (4cm et au-dessus), aucun courant ne passe: les rayons ne pénètrent pas dans le condensateur. Quand on diminue la distance AT, l'apparition des rayons dans le condensateur se fait d'une manière assez brusque, de telle sorte que, pour une petite diminution de la distance, on passe d'un courant très faible à un courant très notable; ensuite le courant s'accroît régulièrement quand on continue à rapprocher le corps radiant de la toile T.

Quand on recouvre la substance radiante d'une lame d'aluminium laminé de 1/100 de millimètre d'épaisseur, l'absorption produite par la lame est d'autant plus forte que la distance AT est plus grande.

Si l'on place sur la première lame d'aluminium une deuxième lame pareille, chaque lame absorbe une fraction du rayonnement qu'elle reçoit, et cette fraction est plus grande pour la deuxième lame que pour la première, de telle façon que c'est la deuxième lame qui semble plus absorbante.

Dans le Tableau qui suit, j'ai fait figurer: dans la première ligne, les distances en centimètres entre le polonium et la toile T; dans la deuxième ligne, la proportion de rayons pour 100 transmise par une lame d'aluminium; dans la troisième ligne, la proportion de rayons pour 100 transmise par deux lames du même aluminium.

Distance AT 3,5 2,5 1,9 1,45 0,5
Pour 100 de rayons transmis par une lame 0    0    5    10       25    
Pour 100 de rayons transmis par deux lames 0    0    0    5    0,7

Dans ces expériences, la distance des plateaux P et P' était de 3cm. On voit que l'interposition de la lame d'aluminium diminue l'intensité du rayonnement en plus forte proportion dans les régions éloignées que dans les régions rapprochées.

Cet effet est encore plus marqué que ne l'indiquent les nombres qui précèdent. Ainsi, la pénétration de 25 pour 100, pour la distance 0cm,5, représente la moyenne de pénétration pour tous les rayons qui dépassent cette distance, ceux extrêmes ayant une pénétration très faible. Si l'on ne recueillait que les rayons compris entre 0cm,5 et 1cm, par exemple, on aurait une pénétration plus grande encore. Et, en effet, si l'on rapproche le plateau P à une distance 0cm,5 de P', la fraction du rayonnement transmise par la lame d'aluminium (pour AT = 0cm,5) est de 47 pour 100 et, à travers deux lames, elle est de 5 pour 100 du rayonnement primitif.

J'ai fait récemment une deuxième série d'expériences avec ces mêmes échantillons de polonium dont l'activité était considérablement diminuée, l'intervalle de temps qui sépare les deux séries d'expériences étant de 3 ans.

Dans les expériences anciennes, le polonium était à l'état de sous-nitrate; dans celles récentes il était à l'état de grains métalliques, obtenus par fusion du sous-nitrate avec le cyanure de potassium.

J'ai constaté que le rayonnement du polonium avait conservé les mêmes caractères essentiels, et j'ai trouvé quelques résultats nouveaux. Voici, pour diverses valeurs de la distance AT, la fraction du rayonnement transmise par un écran formé par 4 feuilles très minces d'aluminium battu superposées:

Distance AT en centimètres   0      1,5      2,6
Pour 100 de rayons transmis par l'écran 76 66 39

J'ai constaté de même que la fraction du rayonnement absorbée par un écran donné croît avec l'épaisseur de matière qui a déjà été traversée par le rayonnement, mais cela a lieu seulement à partir d'une certaine valeur de la distance AT. Quand cette distance est nulle (le polonium étant tout contre la toile, en dehors ou en dedans du condensateur), on observe que, de plusieurs écrans identiques superposés, chacun absorbe la même fraction du rayonnement qu'il reçoit, autrement dit, l'intensité du rayonnement diminue alors suivant une loi exponentielle en fonction de l'épaisseur de matière traversée, comme cela aurait lieu pour un rayonnement homogène et transmis par la lame sans changement de nature.

Voici quelques résultats numériques relatifs à ces expériences:

Pour une distance AT égale à 1cm,5, un écran en aluminium mince transmet la fraction 0,51 du rayonnement qu'il reçoit quand il agit seul, et la fraction 0,34 seulement du rayonnement qu'il reçoit quand il est précédé par un autre écran pareil à lui.

Au contraire, pour une distance AT égale à 0, ce même écran transmet dans les deux cas considérés la même fraction du rayonnement qu'il reçoit et cette fraction est égale à 0,71; elle est donc plus grande que dans le cas précédent.

Voici, pour une distance AT égale à 0 et pour une succession d'écrans très minces superposés, des nombres qui indiquent pour chaque écran le rapport du rayonnement transmis au rayonnement reçu:

Série
de 9 feuilles de cuivre
très minces.
Série
de 7 feuilles d'aluminium
très minces.
0,72 0,69
0,78 0,94
0,75 0,95
0,77 0,91
0,70 0,92
0,77 0,93
0,69 0,91
0,79  
0,68  

Étant données les difficultés d'emploi d'écrans très minces et de la superposition d'écrans au contact, les nombres de chaque colonne peuvent être considérés comme constants; seul, le premier nombre de la colonne relative à l'aluminium indique une absorption plus forte que celle indiquée par les nombres suivants.

Les rayons α du radium se comportent comme les rayons du polonium. On peut étudier ces rayons à peu près seuls en renvoyant les rayons bien plus déviables β de côté par l'emploi d'un champ magnétique; les rayons γ semblent, en effet, peu importants par rapport aux rayons α. Toutefois, on ne peut opérer ainsi qu'à partir d'une certaine distance de la source radiante. Voici les résultats d'une expérience de ce genre. On mesurait la fraction du rayonnement transmise par une lame d'aluminium de 0mm,1 d'épaisseur; cette lame était placée toujours au même endroit, au-dessus et à petite distance de la source radiante. On observait, au moyen de l'appareil de la figure 5, le courant produit dans le condensateur pour diverses valeurs de la distance AD, en présence et en absence de la lame.

Distance AD 6,0 5,1 3,4
Pour 100 de rayons transmis par l'aluminium 3   7   24     

Ce sont encore les rayons qui allaient le plus loin dans l'air qui sont le plus absorbés par l'aluminium. Il y a donc une grande analogie entre la partie absorbable α du rayonnement du radium et les rayons du polonium.

Les rayons déviables β et les rayons non déviables pénétrants γ sont, au contraire, de nature différente. Les expériences de divers physiciens, notamment de MM. Meyer et von Schweidler[69], montrent clairement que, si l'on considère l'ensemble du rayonnement du radium, le pouvoir pénétrant de ce rayonnement augmente avec l'épaisseur de matière traversée, comme cela a lieu pour les rayons de Röntgen. Dans ces expériences, les rayons α interviennent à peine, parce que ces rayons sont pratiquement supprimés par des écrans absorbants très minces. Ce qui traverse, ce sont, d'une part, les rayons β plus ou moins diffusés, d'autre part, les rayons γ, qui semblent analogues aux rayons de Röntgen.

Voici les résultats de quelques-unes de mes expériences à ce sujet:

Le radium est enfermé dans une ampoule de verre. Les rayons qui sortent de l'ampoule traversent 30cm d'air et sont reçus sur une série de plaques de verre d'épaisseur de 1mm,3 chacune; la première plaque transmet 49 pour 100 du rayonnement qu'elle reçoit, la deuxième transmet 84 pour 100 du rayonnement qu'elle reçoit, la troisième transmet 85 pour 100 du rayonnement qu'elle reçoit.

Dans une autre série d'expériences, le radium était enfermé dans une ampoule de verre placée à 10cm du condensateur qui recevait les rayons. On plaçait sur l'ampoule une série d'écrans de plomb identiques dont chacun avait une épaisseur de 0mm,115.

Le rapport du rayonnement transmis au rayonnement reçu est donné pour chacune des lames successives par la série des nombres suivants:

0,40 0,60 0,72 0,79 0,89 0,92 0,94 0,94 0,97

Pour une série de 4 écrans en plomb dont chacun avait 1mm,5 d'épaisseur, le rapport du rayonnement transmis au rayonnement reçu était donné pour les lames successives par les nombres suivants:

0,09 0,78 0,84 0,82

De ces expériences il résulte que, quand l'épaisseur de plomb traversée croît de 0mm,1 à 6mm, le pouvoir pénétrant du rayonnement va en augmentant.

J'ai constaté que, dans les conditions expérimentales indiquées, un écran de plomb de 1cm,8 d'épaisseur transmet 2 pour 100 du rayonnement qu'il reçoit; un écran de plomb de 5cm,3 d'épaisseur transmet encore 0,4 pour 100 du rayonnement qu'il reçoit. J'ai constaté également que le rayonnement transmis par une épaisseur de plomb égale à 1mm,5 comprend une forte proportion de rayons déviables (genre cathodique). Ces derniers sont donc capables de traverser non seulement de grandes distances dans l'air, mais aussi des épaisseurs notables de substances solides très absorbantes telles que le plomb.

Quand on étudie avec l'appareil de la figure 2 l'absorption exercée par une lame d'aluminium de 0mm,01 d'épaisseur sur l'ensemble du rayonnement du radium, la lame étant toujours placée à la même distance de la substance radiante, et le condensateur étant placé à une distance variable AD, les résultats obtenus sont la superposition de ce qui est dû aux trois groupes du rayonnement. Si l'on observe à grande distance, les rayons pénétrants dominent et l'absorption est faible; si l'on observe à petite distance, les rayons α dominent et l'absorption est d'autant plus faible qu'on se rapproche plus de la substance; pour une distance intermédiaire, l'absorption passe par un maximum et la pénétration par un minimum.

Distance AD 7,1 6,5 6,0 5,1 3,4
Pour 100 de rayons transmis par l'aluminium 91     82     58     41     48    

Toutefois, certaines expériences relatives à l'absorption mettent en évidence une certaine analogie entre les rayons α et les rayons déviables β. C'est ainsi que M. Becquerel a trouvé que l'action absorbante d'un écran solide sur les rayons β augmente avec la distance de l'écran à la source, de sorte que, si les rayons sont soumis à un champ magnétique comme dans la figure 4, un écran placé contre la source radiante laisse subsister une portion plus grande du spectre magnétique que le même écran placé sur la plaque photographique. Cette variation de l'effet absorbant de l'écran avec la distance de cet écran à la source est analogue à ce qui a lieu pour les rayons α; elle a été vérifiée par MM. Meyer et von Schweidler, qui opéraient par la méthode fluoroscopique; M. Curie et moi nous avons observé le même fait en nous servant de la méthode électrique. Les conditions de production de ce phénomène n'ont pas encore été étudiées. Cependant, quand le radium est enfermé dans un tube de verre et placé à assez grande distance d'un condensateur qui est lui-même enfermé dans une boîte d'aluminium mince, il est indifférent de placer l'écran contre la source ou contre le condensateur; le courant obtenu est alors le même dans les deux cas.

L'étude des rayons α m'avait amenée à considérer que ces rayons se comportent comme des projectiles lancés avec une certaine vitesse et qui perdent de leur force vive en franchissant des obstacles[70]. Ces rayons jouissent pourtant de la propagation rectiligne comme l'a montré M. Becquerel dans l'expérience suivante. Le polonium émettant les rayons était placé dans une cavité linéaire très étroite, creusée dans une feuille de carton. On avait ainsi une source linéaire de rayons. Un fil de cuivre de 1mm,5 de diamètre était placé parallèlement en face de la source à une distance de 4mm,9. Une plaque photographique était placée parallèlement à une distance de 8mm,65 au delà. Après une pose de 10 minutes, l'ombre géométrique du fil était reproduite d'une façon parfaite, avec les dimensions prévues et une pénombre très étroite de chaque côté correspondant bien à la largeur de la source. La même expérience réussit également bien en plaçant contre le fil une double feuille d'aluminium battu que les rayons sont obligés de traverser.

Il s'agit donc bien de rayons capables de donner des ombres géométriques parfaites. L'expérience avec l'aluminium montre que ces rayons ne sont pas diffusés en traversant la lame, et que cette lame n'émet pas, tout au moins en quantité importante, des rayons secondaires analogues aux rayons secondaires des rayons de Röntgen.

Les rayons α sont ceux qui semblent actifs dans la très belle expérience réalisée dans le spinthariscope de M. Crookes[71]. Cet appareil se compose essentiellement d'un grain de sel de radium maintenu à l'extrémité d'un fil métallique en face d'un écran au sulfure de zinc phosphorescent. Le grain de radium est à une très petite distance de l'écran (0mm,5, par exemple), et l'on regarde au moyen d'une loupe la face de l'écran tournée vers le radium. Dans ces conditions l'œil aperçoit sur l'écran une véritable pluie de points lumineux qui apparaissent et disparaissent continuellement. L'écran présente l'aspect d'un ciel étoilé. Les points brillants sont plus rapprochés dans les régions de l'écran voisines du radium, et dans le voisinage immédiat de celui-ci la lueur paraît continue. Le phénomène ne semble pas altéré par les courants d'air; il se produit dans le vide; un écran même très mince placé entre le radium et l'écran phosphorescent le supprime; il semble donc bien que le phénomène soit dû à l'action des rayons α les plus absorbables du radium.

On peut imaginer que l'apparition d'un des points lumineux sur l'écran phosphorescent est provoquée par le choc d'un projectile isolé. Dans cette manière de voir, on aurait affaire, pour la première fois, à un phénomène permettant de distinguer l'action individuelle d'une particule dont les dimensions sont du même ordre de grandeur que celles d'un atome.

L'aspect des points lumineux est le même que celui des étoiles ou des objets ultra-microscopiques fortement éclairés qui ne produisent pas sur la rétine des images nettes, mais des taches de diffraction; et ceci est bien en accord avec la conception que chaque point lumineux extrêmement petit est produit par le choc d'un seul atome.

Les rayons pénétrants non déviables γ semblent être de tout autre nature et semblent analogues aux rayons Röntgen. Rien ne prouve, d'ailleurs, que des rayons peu pénétrants de même nature ne puissent exister dans le rayonnement du radium, car ils pourraient être masqués par le rayonnement corpusculaire.

On vient de voir combien le rayonnement des corps radioactifs est un phénomène complexe. Les difficultés de son étude viennent s'augmenter par cette circonstance, qu'il y a lieu de rechercher si ce rayonnement éprouve de la part de la matière une absorption sélective seulement, ou bien aussi une transformation plus ou moins profonde.

On ne sait encore que peu de choses relativement à cette question. Toutefois, si l'on admet que le rayonnement du radium comporte à la fois des rayons genre cathodique et des rayons genre Röntgen, on peut s'attendre à ce que ce rayonnement éprouve des transformations en traversant les écrans. On sait, en effet: 1º que les rayons cathodiques qui sortent du tube de Crookes à travers une fenêtre d'aluminium (expérience de Lenard) sont fortement diffusés par l'aluminium, et que, de plus, la traversée de l'écran entraîne une diminution de la vitesse des rayons; c'est ainsi que des rayons cathodiques d'une vitesse égale à 1,4 × 1010 centimètres perdent 10 pour 100 de leur vitesse en traversant 0mm,01 d'aluminium[72]; 2º les rayons cathodiques, en frappant un obstacle, donnent lieu à la production de rayons Röntgen; 3º les rayons Röntgen, en frappant un obstacle solide, donnent lieu à une production de rayons secondaires, qui sont en partie des rayons cathodiques[73].

On peut donc, par analogie, prévoir l'existence de tous les phénomènes précédents pour les rayons des substances radioactives.

En étudiant la transmission des rayons du polonium à travers un écran d'aluminium, M. Becquerel n'a observé ni production de rayons secondaires ni transformation en rayons genre cathodique[74].

J'ai cherché à mettre en évidence une transformation des rayons du polonium, en employant la méthode de l'interversion des écrans: deux écrans superposés E1 et E2 étant traversés par les rayons, l'ordre dans lequel ils sont traversés doit être indifférent, si le passage au travers des écrans ne transforme pas les rayons; si, au contraire, chaque écran transforme les rayons en les transmettant, l'ordre des écrans n'est pas indifférent. Si, par exemple, les rayons se transforment en rayons plus absorbables en traversant du plomb, et que l'aluminium ne produise pas un effet du même genre avec la même importance, alors le système plomb-aluminium paraîtra plus opaque que le système aluminium-plomb; c'est ce qui a lieu pour les rayons Röntgen.

Mes expériences indiquent que ce phénomène se produit avec les rayons du polonium. L'appareil employé était celui de la figure 8. Le polonium était placé dans la boîte CCCC et les écrans absorbants, nécessairement très minces, étaient placés sur la toile métallique T.

Écrans employés. Épaisseur.
mm
  Courant observé.
Aluminium 0,01       17,9
Laiton 0,005
Laiton 0,005       6,7
Aluminium 0,01  
Aluminium 0,01   150
Étain 0,005
Étain 0,005 125
Aluminium 0,01  
Étain 0,005     13,9
Laiton 0,005
Laiton 0,005      4,4
Étain 0,005

Les résultats obtenus prouvent que le rayonnement est modifié en traversant un écran solide. Cette conclusion est d'accord avec les expériences dans lesquelles, de deux lames métalliques identiques et superposées, la première se montre moins absorbante que la suivante. Il est probable, d'après cela, que l'action transformatrice d'un écran est d'autant plus grande que cet écran est plus loin de la source. Ce point n'a pas été vérifié, et la nature de la transformation n'a pas encore été étudiée en détail.

J'ai répété les mêmes expériences avec un sel de radium très actif. Le résultat a été négatif. Je n'ai observé que des variations insignifiantes dans l'intensité de la radiation transmise lors de l'interversion de l'ordre des écrans. Les systèmes d'écrans essayés ont été les suivants:

  mm   mm
Aluminium, épaisseur 0,55 Platine, épaisseur 0,01  
        »              » 0,55 Plomb          » 0,1    
        »              » 0,55 Étain            » 0,005
        »              » 1,07 Cuivre         » 0,05  
        »              » 0,55 Laiton          » 0,005
        »              » 1,07 Laiton          » 0,005
        »              » 0,15 Platine         » 0,01  
        »              » 0,15 Zinc             » 0,05  
        »              » 0,15 Plomb          » 0,1    

Le système plomb-aluminium s'est montré légèrement plus opaque que celui aluminium-plomb, mais la différence n'est pas grande.

Je n'ai pu mettre ainsi en évidence une transformation notable des rayons du radium. Cependant, dans diverses expériences radiographiques, M. Becquerel a observé des effets très intenses dus aux rayons diffusés ou secondaires, émis par les écrans solides qui recevaient les rayons du radium. La substance la plus active, au point de vue de ces émissions secondaires, semble être le plomb.

Action ionisante des rayons du radium sur les liquides isolants.—M. Curie a montré que les rayons du radium et les rayons de Röntgen agissent sur les diélectriques liquides comme sur l'air, en leur communiquant une certaine conductibilité électrique[75]. Voici comment était disposée l'expérience (fig. 9).

Fig. 9.

Le liquide à expérimenter est placé dans un vase métallique CDEF, dans lequel plonge un tube de cuivre mince AB; ces deux pièces métalliques servent d'électrodes. Le vase est maintenu à un potentiel connu, au moyen d'une batterie de petits accumulateurs, dont un pôle est à terre. Le tube AB est en relation avec l'électromètre. Lorsqu'un courant traverse le liquide, on maintient l'électromètre au zéro à l'aide d'un quartz piézoélectrique qui donne la mesure du courant. Le tube de cuivre MNM'N', relié au sol, sert de tube de garde pour empêcher le passage du courant à travers l'air. Une ampoule contenant le sel de baryum radifère peut être placée au fond du tube AB; les rayons agissent sur le liquide après avoir traversé le verre de l'ampoule et les parois du tube métallique. On peut encore faire agir le radium en plaçant l'ampoule en dessous de la paroi DE.

Pour agir avec les rayons de Röntgen, on fait arriver ces rayons au travers de la paroi DE.

L'accroissement de conductibilité par l'action des rayons du radium ou des rayons de Röntgen semble se produire pour tous les diélectriques liquides; mais, pour constater cet accroissement, il est nécessaire que la conductibilité propre du liquide soit assez faible pour ne pas masquer l'effet des rayons.

En opérant avec le radium et les rayons de Röntgen, M. Curie a obtenu des effets du même ordre de grandeur.

Quand on étudie avec le même dispositif la conductibilité de l'air ou d'un autre gaz sous l'action des rayons de Becquerel, on trouve que l'intensité du courant obtenu est proportionnelle à la différence de potentiel entre les électrodes, tant que celle-ci ne dépasse pas quelques volts; mais pour des tensions plus élevées, l'intensité du courant croît de moins en moins vite, et le courant de saturation est sensiblement atteint pour une tension de 100 volts.

Les liquides étudiés avec le même appareil et avec le même produit radiant très actif se comportent différemment; l'intensité du courant est proportionnelle à la tension quand celle-ci varie entre 0 et 450 volts, et cela même quand la distance des électrodes ne dépasse pas 6mm. On peut alors considérer la conductivité provoquée dans divers liquides par le rayonnement d'un sel de radium agissant dans les mêmes conditions.

Les nombres du Tableau suivant multiplié par 10-14 donnent la conductivité en mhos (inverse d'ohm) pour 1cm³:

Sulfure de carbone 20
Éther de pétrole 15
Amylène 14
Chlorure de carbone   8
Benzine   4
Air liquide     1,3
Huile de vaseline     1,6

On peut cependant supposer que les liquides et les gaz se comportent d'une façon analogue, mais que, pour les liquides, le courant reste proportionnel à la tension jusqu'à une limite bien plus élevée que pour les gaz. On pouvait, par analogie avec ce qui a lieu pour les gaz, chercher à abaisser la limite de proportionnalité en employant un rayonnement beaucoup plus faible. L'expérience a vérifié cette prévision; le produit radiant employé était 150 fois moins actif que celui qui avait servi pour les premières expériences. Pour des tensions de 50, 100, 200, 400 volts, les intensités du courant étaient représentées respectivement par les nombres 109, 185, 255, 335. La proportionnalité ne se maintient plus, mais le courant varie encore fortement quand on double la différence de potentiel.

Quelques-uns des liquides examinés sont des isolants à peu près parfaits, quand ils sont maintenus à température constante, et qu'ils sont à l'abri de l'action des rayons. Tels sont: l'air liquide, l'éther de pétrole, l'huile de vaseline, l'amylène. Il est alors très facile d'étudier l'effet des rayons. L'huile de vaseline est beaucoup moins sensible à l'action des rayons que l'éther de pétrole. Il convient peut-être de rapprocher ce fait de la différence de volatilité qui existe entre ces deux hydrocarbures. L'air liquide qui a bouilli pendant quelque temps dans le vase d'expérience est plus sensible à l'action des rayons que celui que l'on vient d'y verser; la conductivité produite par les rayons est de 1/4 plus grande dans le premier cas. M. Curie a étudié sur l'amylène et sur l'éther de pétrole l'action des rayons aux températures de + 10° et de - 17°. La conductivité due au rayonnement diminue de 1/10 seulement de sa valeur, quand on passe de 10° à - 17°.

Dans les expériences où l'on fait varier la température du liquide on peut soit maintenir le radium à la température ambiante, soit le porter à la même température que le liquide; on obtient le même résultat dans les deux cas. Cela tient à ce que le rayonnement du radium ne varie pas avec la température, et conserve encore la même valeur même à la température de l'air liquide. Ce fait a été vérifié directement par des mesures.

Divers effets et applications de l'action ionisante des rayons émis par les substances radioactives.—Les rayons des nouvelles substances radioactives ionisent l'air fortement. On peut, par l'action du radium, provoquer facilement la condensation de la vapeur d'eau sursaturée, absolument comme cela a lieu par l'action des rayons cathodiques et des rayons Röntgen.

Sous l'influence des rayons émis par les substances radioactives nouvelles, la distance explosive entre deux conducteurs métalliques pour une différence de potentiel donnée se trouve augmentée; autrement dit, le passage de l'étincelle est facilité par l'action des rayons. Ce phénomène est dû à l'action des rayons les plus pénétrants. Si, en effet, on entoure le radium d'une enveloppe en plomb de 2cm, l'action du radium sur l'étincelle n'est pas considérablement affaiblie, alors que le rayonnement qui traverse n'est qu'une très faible fraction du rayonnement total.

En rendant conducteur, par l'action des substances radioactives, l'air au voisinage de deux conducteurs métalliques, dont l'un est relié au sol et l'autre à un électromètre bien isolé, on voit l'électromètre prendre une déviation permanente, qui permet de mesurer la force électromotrice de la pile formée par l'air et les deux métaux (force électromotrice de contact des deux métaux, quand ils sont séparés par l'air). Cette méthode de mesures a été employée par lord Kelwin et ses élèves, la substance radiante étant l'uranium[76]; une méthode analogue avait été antérieurement employée par M. Perrin qui utilisait l'action ionisante des rayons Röntgen[77].

On peut se servir des substances radioactives dans l'étude de l'électricité atmosphérique. La substance active est enfermée dans une petite boîte en aluminium mince, fixée à l'extrémité d'une tige métallique en relation avec l'électromètre. L'air est rendu conducteur au voisinage de l'extrémité de la tige, et celle-ci prend le potentiel de l'air qui l'entoure. Le radium remplace ainsi avec avantage les flammes ou les appareils à écoulement d'eau de lord Kelwin, généralement employés jusqu'à présent dans l'étude de l'électricité atmosphérique[78].

Effets de fluorescence, effets lumineux.—Les rayons émis par les nouvelles substances radioactives provoquent la fluorescence de certains corps. M. Curie et moi, nous avons tout d'abord découvert ce phénomène en faisant agir le polonium au travers d'une feuille d'aluminium sur une couche de platinocyanure de baryum. La même expérience réussit encore plus facilement avec du baryum radifère suffisamment actif. Quand la substance est fortement radioactive, la fluorescence produite est très belle.

Un grand nombre de substances sont susceptibles de devenir phosphorescentes ou fluorescentes par l'action des rayons de Becquerel. M. Becquerel a étudié l'action sur les sels d'urane, le diamant, la blende, etc. M. Bary a montré que les sels des métaux alcalins et alcalino-terreux, qui sont tous fluorescents sous l'action des rayons lumineux et des rayons Röntgen, sont également fluorescents sous l'action des rayons du radium[79]. On peut également observer la fluorescence du papier, du coton, du verre, etc., au voisinage du radium. Parmi les différentes espèces de verre, le verre de Thuringe est particulièrement lumineux. Les métaux ne semblent pas devenir lumineux.

Le platinocyanure de baryum convient le mieux quand on veut étudier le rayonnement des corps radioactifs par la méthode fluoroscopique. On peut suivre l'effet des rayons du radium à des distances supérieures à 2m. Le sulfure de zinc phosphorescent est rendu extrêmement lumineux, mais ce corps a l'inconvénient de conserver la luminosité pendant quelque temps, après que l'action des rayons a été supprimée.

On peut observer la fluorescence produite par le radium quand l'écran fluorescent est séparé du radium par des écrans absorbants. Nous avons pu observer l'éclairement d'un écran au platinocyanure de baryum à travers le corps humain. Cependant, l'action est incomparablement plus intense, quand l'écran est placé tout contre le radium et qu'il n'en est séparé par aucun écran solide. Tous les groupes de rayons semblent capables de produire la fluorescence.

Pour observer l'action du polonium il est nécessaire de mettre la substance tout près de l'écran fluorescent sans interposition d'écran solide, ou tout au moins avec interposition d'un écran très mince seulement.

La luminosité des substances fluorescentes exposées à l'action des substances radioactives baisse avec le temps. En même temps la substance fluorescente subit une transformation. En voici quelques exemples:

Les rayons du radium transforment le platinocyanure de baryum en une variété brune moins lumineuse (action analogue à celle produite par les rayons Röntgen et décrite par M. Villard). Ils altèrent également le sulfate d'uranyle et de potassium en le faisant jaunir. Le platinocyanure de baryum transformé est régénéré partiellement par l'action de la lumière. Plaçons le radium au-dessous d'une couche de platinocyanure de baryum étalée sur du papier, le platinocyanure devient lumineux; si l'on maintient le système dans l'obscurité, le platinocyanure s'altère, et sa luminosité baisse considérablement. Mais, exposons le tout à la lumière; le platinocyanure est partiellement régénéré, et si l'on reporte le tout dans l'obscurité, la luminosité reparaît assez forte. On a donc, au moyen d'un corps fluorescent et d'un corps radioactif, réalisé un système qui fonctionne comme un corps phosphorescent à longue durée de phosphorescence.

Le verre, qui est rendu fluorescent par l'action du radium, se colore en brun ou en violet. En même temps, il devient moins fluorescent. Si l'on chauffe ce verre ainsi altéré, il se décolore et, en même temps que la décoloration se produit, le verre émet de la lumière. Après cela le verre a repris la propriété d'être fluorescent au même degré qu'avant la transformation.

Le sulfure de zinc qui a été exposé à l'action du radium pendant un temps suffisant s'épuise peu à peu et perd la faculté d'être phosphorescent, soit sous l'action du radium, soit sous celle de la lumière.

Le diamant est rendu phosphorescent par l'action du radium et peut être distingué ainsi des imitations en strass, dont la luminosité est très faible.

Tous les composés de baryum radifère sont spontanément lumineux[80]. Les sels haloïdes, anhydres et secs, émettent une lumière particulièrement intense. Cette luminosité ne peut être vue à la grande lumière du jour, mais on la voit facilement dans la demi-obscurité ou dans une pièce éclairée à la lumière du gaz. La lumière émise peut être assez forte pour que l'on puisse lire en s'éclairant avec un peu de produit dans l'obscurité. La lumière émise émane de toute la masse du produit, tandis que, pour un corps phosphorescent ordinaire, la lumière émane surtout de la partie de la surface qui a été éclairée. A l'air humide les produits radifères perdent en grande partie leur luminosité, mais ils la reprennent par desséchement (Giesel). La luminosité semble se conserver. Au bout de plusieurs années aucune modification sensible ne semble s'être produite dans la luminosité de produits faiblement actifs, gardés en tubes scellés à l'obscurité. Avec du chlorure de baryum radifère, très actif et très lumineux, la lumière change de teinte au bout de quelques mois; elle devient plus violacée et s'affaiblit beaucoup; en même temps le produit subit certaines transformations; en redissolvant le sel dans l'eau et en le séchant à nouveau, on obtient la luminosité primitive.

Les solutions de sels de baryum radifères, qui contiennent une forte proportion de radium, sont également lumineuses; on peut observer ce fait en plaçant la solution dans une capsule de platine qui, n'étant pas lumineuse elle-même, permet d'apercevoir la luminosité faible de la solution.

Quand une solution de sel de baryum radifère contient des cristaux qui s'y sont déposés, ces cristaux sont lumineux au sein de la solution, et ils le sont bien plus que la solution elle-même, de sorte que, dans ces conditions, ils semblent seuls lumineux.

M. Giesel a préparé du platinocyanure de baryum radifère. Quand ce sel vient de cristalliser, il a l'aspect du platinocyanure de baryum ordinaire, et il est très lumineux. Mais peu à peu le sel se colore spontanément et prend une teinte brune, en même temps que les cristaux deviennent dichroïques. A cet état, le sel est bien moins lumineux, quoique sa radioactivité ait augmenté[81]. Le platinocyanure de radium, préparé par M. Giesel, s'altère encore bien plus rapidement.

Les composés de radium constituent le premier exemple de substances spontanément lumineuses.

Dégagement de chaleur par les sels de radium.—Tout récemment MM. Curie et Laborde ont trouvé que les sels de radium sont le siège d'un dégagement de chaleur spontané et continu[82]. Ce dégagement de chaleur a pour effet de maintenir les sels de radium à une température plus élevée que la température ambiante; l'excès de température dépend d'ailleurs de l'isolement thermique de la substance. Cet excès de température peut être mis en évidence par une expérience grossière faite au moyen de deux thermomètres à mercure ordinaires. On utilise deux vases isolateurs thermiques à vide, identiques entre eux. Dans l'un des vases on place une ampoule de verre contenant 7dg de bromure de radium pur; dans le deuxième vase on place une autre ampoule de verre toute pareille qui contient une substance inactive quelconque, par exemple du chlorure de baryum. La température de chaque enceinte est indiquée par un thermomètre dont le réservoir est placé au voisinage immédiat de l'ampoule. L'ouverture des isolateurs est fermée par du coton. Quand l'équilibre de température est établi, le thermomètre qui se trouve dans le même vase que le radium indique constamment une température supérieure à celle indiquée par l'autre thermomètre; l'excès de température observé était de 3°.

On peut évaluer la quantité de chaleur dégagée par le radium à l'aide du calorimètre à glace de Bunsen. En plaçant dans ce calorimètre une ampoule de verre qui contient le sel de radium, on constate un apport continu de chaleur qui s'arrête dès qu'on éloigne le radium. La mesure faite avec un sel de radium préparé depuis longtemps indique que chaque gramme de radium dégage environ 80 petites calories pendant chaque heure. Le radium dégage donc pendant une heure une quantité de chaleur suffisante pour fondre son poids de glace, et un atome gramme (225g) de radium dégagerait en une heure 18000cal, soit une quantité de chaleur comparable à celle qui est produite par la combustion d'un atome gramme (1g) d'hydrogène. Un débit de chaleur aussi considérable ne saurait être expliqué par aucune réaction chimique ordinaire, et cela d'autant plus que l'état du radium semble rester le même pendant des années. On pourrait penser que le dégagement de chaleur est dû à une transformation de l'atome de radium lui-même, transformation nécessairement très lente. S'il en était ainsi, on serait amené à conclure que les quantités d'énergie mises en jeu dans la formation et dans la transformation des atomes sont considérables et dépassent tout ce qui nous est connu.

On peut encore évaluer la chaleur dégagée par le radium à diverses températures en l'utilisant pour faire bouillir un gaz liquéfié et en mesurant le volume du gaz qui se dégage. On peut faire cette expérience avec du chlorure de méthyle (à - 21°). L'expérience a été faite par MM. Dewar et Curie avec l'oxygène liquide (à - 180°) et avec l'hydrogène liquide (à - 252°). Ce dernier corps convient particulièrement bien pour réaliser l'expérience. Une éprouvette A, entourée d'un isolateur thermique à vide, contient de l'hydrogène liquide H (fig. 10); elle est munie d'un tube de dégagement t qui permet de recueillir le gaz dans une éprouvette graduée E remplie d'eau. L'éprouvette A et son isolateur plongent dans un bain d'hydrogène liquide H'. Dans ces conditions aucun dégagement gazeux ne se produit dans l'éprouvette A. Lorsque l'on introduit, dans l'hydrogène liquide contenu dans cette éprouvette, une ampoule qui contient 7dg de bromure de radium, il se fait un dégagement continu de gaz, et l'on recueille 73cm³ de gaz par minute.

Fig. 10.

Un sel de radium solide qui vient d'être préparé dégage une quantité de chaleur relativement faible; mais ce débit de chaleur augmente continuellement et tend vers une valeur déterminée qui n'est pas encore tout à fait atteinte au bout d'un mois. Quand on dissout dans l'eau un sel de radium et qu'on enferme la solution en tube scellé, la quantité de chaleur dégagée par la solution est d'abord faible; elle augmente ensuite et tend à devenir constante au bout d'un mois; le débit de chaleur est alors le même que celui dû au même sel à l'état solide.

Quand on a mesuré à l'aide du calorimètre Bunsen la chaleur dégagée par un sel de radium contenu dans une ampoule de verre, certains rayons pénétrants du radium traversent l'ampoule et le calorimètre sans y être absorbés. Pour voir si ces rayons emportent une quantité d'énergie appréciable, on peut refaire une mesure en entourant l'ampoule d'une feuille de plomb de 2mm d'épaisseur; on trouve que, dans ces conditions, le dégagement de chaleur est augmenté de 4 pour 100 environ de sa valeur; l'énergie émise par le radium sous forme de rayons pénétrants n'est donc nullement négligeable.

Effets chimiques produits par les nouvelles substances radioactives. Colorations.—Les radiations émises par les substances fortement radioactives sont susceptibles de provoquer certaines transformations, certaines réactions chimiques. Les rayons émis par les produits radifères exercent des actions colorantes sur le verre et la porcelaine[83].

La coloration du verre, généralement brune ou violette, est très intense; elle se produit dans la masse même du verre, elle persiste après l'éloignement du radium. Tous les verres se colorent en un temps plus ou moins long, et la présence du plomb n'est pas nécessaire. Il convient de rapprocher ce fait de celui, observé récemment, de la coloration des verres des tubes à vide producteurs des rayons de Röntgen après un long usage.

M. Giesel a montré que les sels haloïdes cristallisés des métaux alcalins (sel gemme, sylvine) se colorent sous l'influence du radium, comme sous l'action des rayons cathodiques. M. Giesel montre que l'on obtient des colorations du même genre en faisant séjourner les sels alcalins dans la vapeur de sodium[84].

J'ai étudié la coloration d'une collection de verres de composition connue, qui m'a été obligeamment prêtée à cet effet par M. Le Chatelier. Je n'ai pas observé de grande variété dans la coloration. Elle est généralement violette, jaune, brune ou grise. Elle semble liée à la présence des métaux alcalins.

Avec les sels alcalins purs cristallisés on obtient des colorations plus variées et plus vives; le sel, primitivement blanc, devient bleu, vert, jaune brun, etc.

M. Becquerel a montré que le phosphore blanc est transformé en phosphore rouge par l'action du radium.

Le papier est altéré et coloré par l'action du radium. Il devient fragile, s'effrite et ressemble enfin à une passoire criblée de trous.

Dans certaines circonstances il y a production d'ozone dans le voisinage de composés très actifs. Les rayons qui sortent d'une ampoule scellée, renfermant du radium, ne produisent pas d'ozone dans l'air qu'ils traversent. Au contraire, une forte odeur d'ozone se dégage quand on ouvre l'ampoule. D'une manière générale l'ozone se produit dans l'air, quand il y a communication directe entre celui-ci et le radium. La communication par un conduit même extrêmement étroit est suffisante; il semble que la production d'ozone soit liée à la propagation de la radioactivité induite, dont il sera question plus loin.

Les composés radifères semblent s'altérer avec le temps, sans doute sous l'action de leur propre radiation. On a vu plus haut que les cristaux de chlorure de baryum radifères qui sont incolores au moment du dépôt prennent peu à peu une coloration tantôt jaune ou orangée, tantôt rose; cette coloration disparaît par la dissolution. Le chlorure de baryum radifère dégage des composés oxygénés du chlore: le bromure dégage du brome. Ces transformations lentes s'affirment généralement quelque temps après la préparation du produit solide, lequel, en même temps, change d'aspect et de couleur, en prenant une teinte jaune ou violacée. La lumière émise devient aussi plus violacée.

Les sels de radium purs semblent éprouver les mêmes transformations que ceux qui contiennent du baryum. Toutefois les cristaux de chlorure, déposés en solution acide, ne se colorent pas sensiblement pendant un temps qui est suffisant, pour que les cristaux de chlorure de baryum radifères, riches en radium, prennent une coloration intense.

Dégagement de gaz en présence des sels de radium.—Une solution de bromure de radium dégage des gaz d'une manière continue[85]. Ces gaz sont principalement de l'hydrogène et de l'oxygène, et la composition du mélange est voisine de celle de l'eau; on peut admettre qu'il y a décomposition de l'eau en présence du sel de radium.

Les sels solides de radium (chlorure, bromure) donnent aussi lieu à un dégagement continu de gaz. Ces gaz remplissent les pores du sel solide et se dégagent assez abondamment quand on dissout le sel. On trouve dans le mélange gazeux de l'hydrogène, de l'oxygène, de l'acide carbonique, de l'hélium; le spectre des gaz présente aussi quelques raies inconnues[86].

On peut attribuer à des dégagements gazeux deux accidents qui se sont produits dans les expériences de M. Curie. Une ampoule de verre mince scellée, remplie presque complètement par du bromure de radium solide et sec, a fait explosion deux mois après la fermeture sous l'effet d'un faible échauffement; l'explosion était probablement due à la pression du gaz intérieur. Dans une autre expérience une ampoule contenant du chlorure de radium préparé depuis longtemps communiquait avec un réservoir d'assez grand volume dans lequel on maintenait un vide très parfait. L'ampoule ayant été soumise à un échauffement assez rapide vers 300°, le sel fit explosion; l'ampoule fut brisée, et le sel fut projeté à distance; il ne pouvait y avoir de pression notable dans l'ampoule au moment de l'explosion. L'appareil avait d'ailleurs été soumis à un essai de chauffage dans les mêmes conditions en l'absence du sel de radium, et aucun accident ne s'était produit.

Ces expériences montrent qu'il y a danger à chauffer du sel de radium préparé depuis longtemps et qu'il y a aussi danger à conserver pendant longtemps du radium en tube scellé.

Production de thermoluminescence.—Certains corps, tels que la fluorine, deviennent lumineux quand on les chauffe; ils sont thermoluminescents; leur luminosité s'épuise au bout de quelque temps; mais la faculté de devenir de nouveau lumineux par la chaleur est restituée à ces corps par l'action d'une étincelle et aussi par l'action du radium. Le radium peut donc restituer à ces corps leurs propriétés thermoluminescentes[87]. Lors de la chauffe la fluorine éprouve une transformation qui est accompagnée d'une émission de lumière. Quand la fluorine est ensuite soumise à l'action du radium, une transformation se refait en sens inverse, et elle est encore accompagnée d'une émission de lumière.

Un phénomène absolument analogue se produit pour le verre exposé aux rayons du radium. Là aussi une transformation se produit dans le verre, pendant qu'il est lumineux sous l'action des rayons du radium; cette transformation est mise en évidence par la coloration qui apparaît et augmente progressivement. Quand on chauffe ensuite le verre ainsi modifié, la transformation inverse se produit, la coloration disparaît, et ce phénomène est accompagné de production de lumière. Il paraît fort probable qu'il y a là une modification de nature chimique, et la production de lumière est liée à cette modification. Ce phénomène pourrait être général. Il pourrait se faire que la production de fluorescence par l'action du radium et la luminosité des substances radifères fussent nécessairement liées à un phénomène de transformation chimique ou physique de la substance qui émet la lumière.

Radiographies.—L'action radiographique des nouvelles substances radioactives est très intense. Toutefois la manière d'opérer doit être très différente avec le polonium et le radium. Le polonium n'agit qu'à très petite distance, et son action est considérablement affaiblie par des écrans solides; il est facile de la supprimer pratiquement au moyen d'un écran peu épais (1mm de verre). Le radium agit à des distances considérablement plus grandes. L'action radiographique des rayons du radium s'observe à plus de 2m de distance dans l'air, et cela même quand le produit radiant est enfermé dans une ampoule de verre. Les rayons qui agissent dans ces conditions appartiennent aux groupes β et γ. Grâce aux différences qui existent entre la transparence de diverses matières pour les rayons, on peut, comme avec les rayons Röntgen, obtenir des radiographies de divers objets. Les métaux sont, en général, opaques, sauf l'aluminium qui est très transparent. Il n'existe pas de différence de transparence notable entre les chairs et les os. On peut opérer à grande distance et avec des sources de très petites dimensions; on a alors des radiographies très fines. Il est très avantageux, pour la beauté des radiographies, de renvoyer les rayons β de côté, au moyen d'un champ magnétique, et de n'utiliser que les rayons γ. Les rayons β, en traversant l'objet à radiographier, éprouvent, en effet, une certaine diffusion et occasionnent un certain flou. En les supprimant, on est obligé d'employer des temps de pose plus grands, mais les résultats sont meilleurs. La radiographie d'un objet, tel qu'un porte-monnaie, demande un jour avec une source radiante constituée par quelques centigrammes de sel de radium, enfermé dans une ampoule de verre et placé à 1m de la plaque sensible, devant laquelle se trouve l'objet. Si la source est à 20cm de distance de la plaque, le même résultat est obtenu en une heure. Au voisinage immédiat de la source radiante, une plaque sensible est instantanément impressionnée.

Fig. 11.

Radiographie obtenue avec les rayons du radium.

Effets physiologiques.—Les rayons du radium exercent une action sur l'épiderme. Cette action a été observée par M. Walkhoff et confirmée par M. Giesel, puis par MM. Becquerel et Curie[88].

Si l'on place sur la peau une capsule en celluloïd ou en caoutchouc mince renfermant un sel de radium très actif et qu'on l'y laisse pendant quelque temps, une rougeur se produit sur la peau, soit de suite, soit au bout d'un temps qui est d'autant plus long que l'action a été plus faible et moins prolongée; cette tache rouge apparaît à l'endroit qui a été exposé à l'action; l'altération locale de la peau se manifeste et évolue comme une brûlure. Dans certains cas il se forme une ampoule. Si l'exposition a été prolongée, il se produit une ulcération très longue à guérir. Dans une expérience, M. Curie a fait agir sur son bras un produit radiant relativement peu actif pendant 10 heures. La rougeur se manifesta de suite, et il se forma plus tard une plaie qui mit 4 mois à guérir. L'épiderme a été détruit localement, et n'a pu se reconstituer à l'état sain que lentement et péniblement avec formation d'une cicatrice très marquée. Une brûlure au radium avec exposition d'une demi-heure apparut au bout de 15 jours, forma une ampoule et guérit en 15 jours. Une autre brûlure, faite avec une exposition de 8 minutes seulement, occasionna une tache rouge qui apparut au bout de 2 mois seulement et son effet fut insignifiant.

L'action du radium sur la peau peut se produire à travers les métaux, mais elle est affaiblie. Pour se garantir de l'action, il faut éviter de garder longtemps le radium sur soi autrement qu'enveloppé dans une feuille de plomb.

L'action du radium sur la peau a été étudiée par M. le Dr Danlos, à l'hôpital Saint-Louis, comme procédé de traitement de certaines maladies de la peau, procédé comparable au traitement par les rayons Röntgen ou la lumière ultra-violette. Le radium donne à ce point de vue des résultats encourageants; l'épiderme partiellement détruit par l'action du radium se reforme à l'état sain. L'action du radium est plus profonde que celle de la lumière, et son emploi est plus facile que celui de la lumière ou des rayons Röntgen. L'étude des conditions de l'application est nécessairement un peu longue, parce qu'on ne peut se rendre compte immédiatement de l'effet de l'application.

M. Giesel a remarqué l'action du radium sur les feuilles des plantes. Les feuilles soumises à l'action jaunissent et s'effritent.

M. Giesel a également découvert l'action des rayons du radium sur l'œil[89]. Quand on place dans l'obscurité un produit radiant au voisinage de la paupière fermée ou de la tempe, on a la sensation d'une lumière qui remplit l'œil. Ce phénomène a été étudié par MM. Himstedt et Nagel[90]. Ces physiciens ont montré que tous les milieux de l'œil deviennent fluorescents par l'action du radium, et c'est ce qui explique la sensation de lumière perçue. Les aveugles chez lesquels la rétine est intacte, sont sensibles à l'action du radium, tandis que ceux dont la rétine est malade n'éprouvent pas la sensation lumineuse due aux rayons.

Les rayons du radium empêchent ou entravent le développement des colonies microbiennes, mais cette action n'est pas très intense[91].

Récemment, M. Danysz a montré que les rayons du radium agissent énergiquement sur la moelle et sur le cerveau. Après une action d'une heure, des paralysies se produisent chez les animaux soumis aux expériences, et ceux-ci meurent généralement au bout de quelques jours[92].

Action de la température sur le rayonnement.—On n'a encore que peu de renseignements sur la manière dont varie l'émission des corps radioactifs avec la température. Nous savons cependant que l'émission subsiste aux basses températures. M. Curie a placé dans l'air liquide un tube de verre qui contenait du chlorure de baryum radifère[93]. La luminosité du produit radiant persiste dans ces conditions. Au moment où l'on retire le tube de l'enceinte froide, il paraît même plus lumineux qu'à la température ambiante. A la température de l'air liquide, le radium continue à exciter la fluorescence du sulfate d'uranyle et de potassium. M. Curie a vérifié par des mesures électriques que le rayonnement, mesuré à une certaine distance de la source radiante, possède la même intensité quand le radium est à la température ambiante, ou quand il est dans une enceinte à la température de l'air liquide. Dans ces expériences, le radium était placé au fond d'un tube fermé à un bout. Les rayons sortaient du tube par le bout ouvert, traversaient un certain espace d'air et étaient recueillis dans un condensateur. On mesurait l'action des rayons sur l'air du condensateur, soit en laissant le tube dans l'air, soit en l'entourant d'air liquide jusqu'à une certaine hauteur. Le résultat obtenu était le même dans les deux cas.

Quand on porte le radium à une température élevée, sa radioactivité subsiste. Le chlorure de baryum radifère qui vient d'être fondu (vers 800°) est radioactif et lumineux. Toutefois, une chauffe prolongée à température élevée a pour effet d'abaisser temporairement la radioactivité du produit. La baisse est très importante, elle peut constituer 75 pour 100 du rayonnement total. La baisse proportionnelle est moins grande sur les rayons absorbables que sur les rayons pénétrants, qui sont sensiblement supprimés par la chauffe. Avec le temps, le rayonnement du produit reprend l'intensité et la composition qu'il avait avant la chauffe; ce résultat est atteint au bout de 2 mois environ à partir de la chauffe.

CHAPITRE IV.
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LA RADIOACTIVITÉ INDUITE.

Communication de la radioactivité à des substances primitivement inactives.—Au cours de nos recherches sur les substances radioactives, nous avons remarqué, M. Curie et moi, que toute substance qui séjourne pendant quelque temps au voisinage d'un sel radifère devient elle-même radioactive[94]. Dans notre première publication à ce sujet, nous nous sommes attachés à prouver que la radioactivité, ainsi acquise par des substances primitivement inactives, n'est pas due à un transport de poussières radioactives qui seraient venues se poser à la surface de ces substances. Ce fait, actuellement certain, est prouvé en toute évidence par l'ensemble des expériences qui seront décrites ici, et notamment par les lois suivant lesquelles la radioactivité provoquée dans les substances naturellement inactives disparaît quand on soustrait ces substances à l'action du radium.

Nous avons donné au phénomène nouveau ainsi découvert le nom de radioactivité induite.

Dans la même publication, nous avons indiqué les caractères essentiels de la radioactivité induite. Nous avons activé des lames de substances diverses, en les plaçant au voisinage de sels radifères solides et nous avons étudié la radioactivité de ces lames par la méthode électrique. Nous avons observé ainsi les faits suivants:

1º L'activité d'une lame exposée à l'action du radium augmente avec le temps de l'exposition en se rapprochant d'une certaine limite, suivant une loi asymptotique.

2º L'activité d'une lame qui a été activée par l'action du radium et qui a été ensuite soustraite à cette action disparaît en quelques jours. Cette activité induite tend vers zéro en fonction du temps, suivant une loi asymptotique.

3º Toutes conditions égales d'ailleurs, la radioactivité induite par un même produit radifère sur diverses lames est indépendante de la nature de la lame. Le verre, le papier, les métaux s'activent avec la même intensité.

4º La radioactivité induite sur une même lame par divers produits radifères a une valeur limite d'autant plus élevée que le produit est plus actif.

Peu de temps après, M. Rutherford publia un travail, duquel il résulte que les composés du thorium sont capables de produire le phénomène de la radioactivité induite[95]. M. Rutherford trouva pour ce phénomène les mêmes lois que celles qui viennent d'être exposées, et il découvrit en plus ce fait important, que les corps chargés d'électricité négative s'activent plus énergiquement que les autres. M. Rutherford observa d'ailleurs que l'air qui a passé sur de l'oxyde de thorium conserve pendant 10 minutes environ une conductibilité notable. L'air qui est dans cet état communique la radioactivité induite à des substances inactives, surtout à celles chargées négativement. M. Rutherford interprète ses expériences en admettant que les composés du thorium, et surtout l'oxyde, émettent une émanation radioactive particulière, susceptible d'être entraînée par les courants d'air et chargée d'électricité positive. Cette émanation serait la cause de la radioactivité induite. M. Dorn a reproduit, avec les sels de baryum radifères, les expériences que M. Rutherford avait faites avec de l'oxyde de thorium[96].

M. Debierne a montré que l'actinium provoque, d'une façon extrêmement intense, l'activité induite des corps placés dans son voisinage. De même que pour le thorium, il se produit un entraînement considérable de l'activité par les courants d'air[97].

La radioactivité induite se présente sous des aspects très variés, et quand on produit l'activation d'une substance au voisinage du radium à l'air libre, on obtient des résultats irréguliers. MM. Curie et Debierne ont remarqué que le phénomène est, au contraire, très régulier quand on opère en vase clos; ils ont donc étudié l'activation en enceinte fermée[98].

Activation en enceinte fermée.—La radioactivité induite est à la fois plus intense et plus régulière quand on opère en vase clos. La matière active est placée dans une petite ampoule en verre a ouverte en o (fig. 11) au milieu d'une enceinte close. Diverses plaques A, B, C, D, E placées dans l'enceinte deviennent radioactives au bout d'un jour d'exposition. L'activité est la même, quelle que soit la nature de la plaque, à dimensions égales plomb, cuivre, aluminium, verre, ébonite, cire, carton, paraffine. L'activité d'une face de l'une des lames est d'autant plus grande, que l'espace libre en regard de cette face est plus grand.

Si l'on répète l'expérience précédente avec l'ampoule a complètement fermée, on n'obtient aucune activité induite.

Le rayonnement du radium n'intervient pas directement dans la production de la radioactivité induite. C'est ainsi que, dans l'expérience précédente, la lame D, protégée du rayonnement par l'écran en plomb épais PP, est activée autant que B et E.

Fig. 12.

La radioactivité se transmet par l'air de proche en proche depuis la matière radiante jusqu'au corps à activer. Elle peut même se transmettre au loin par des tubes capillaires très étroits.

La radioactivité induite est à la fois plus intense et plus régulière, si l'on remplace le sel radifère activant solide par sa dissolution aqueuse.

Les liquides sont susceptibles d'acquérir la radioactivité induite. On peut, par exemple, rendre radioactive l'eau pure, en la plaçant dans un vase à l'intérieur d'une enceinte close qui renferme également une solution d'un sel radifère.

Certaines substances deviennent lumineuses, quand on les place dans une enceinte activante (corps phosphorescents et fluorescents, verre, papier, coton, eau, solutions salines). Le sulfure de zinc phosphorescent est particulièrement brillant dans ces conditions. La radioactivité de ces corps lumineux est cependant la même que celle d'un morceau de métal ou autre corps qui s'active dans les mêmes conditions sans devenir lumineux.

Quelle que soit la substance que l'on active en vase clos, cette substance prend une activité qui augmente avec le temps et finit par atteindre une valeur limite, toujours la même, quand on opère avec la même matière activante et le même dispositif expérimental.

La radioactivité induite limite est indépendante de la nature et de la pression du gaz qui se trouve dans l'enceinte activante (air, hydrogène, acide carbonique).

La radioactivité induite limite dans une même enceinte dépend seulement de la quantité de radium qui s'y trouve à l'état de solution, et semble lui être proportionnelle.

Rôle des gaz dans les phénomènes de radioactivité induite. Émanation.—Les gaz présents dans une enceinte qui renferme un sel solide ou une solution de sel de radium sont radioactifs. Cette radioactivité persiste si l'on aspire les gaz avec une trompe et qu'on les recueille dans une éprouvette. Les parois de l'éprouvette deviennent alors elles-mêmes radioactives, et le verre de l'éprouvette est lumineux dans l'obscurité. L'activité et la luminosité de l'éprouvette disparaissent ensuite complètement, mais fort lentement, et l'on peut au bout d'un mois constater encore la radioactivité.

Dès le début de nos recherches, nous avons, M. Curie et moi, extrait en chauffant la pechblende un gaz fortement radioactif, mais, comme dans l'expérience précédente, l'activité de ce gaz avait fini par disparaître complètement[99].

Ainsi, pour le thorium, le radium, l'actinium, la radioactivité induite se propage de proche en proche à travers les gaz, depuis le corps actif jusqu'aux parois de l'enceinte qui le renferme, et la propriété activante est entraînée avec le gaz lui-même, quand on extrait celui-ci de l'enceinte.

Quand on mesure la radioactivité de matières radifères par la méthode électrique au moyen de l'appareil (fig. 1) l'air entre les plateaux devient également radioactif; cependant, en envoyant un courant d'air entre les plateaux, on n'observe pas de baisse notable dans l'intensité du courant, ce qui prouve que la radioactivité répandue dans l'espace entre les plateaux est peu importante par rapport à celle du radium lui-même à l'état solide.

Il en est tout autrement dans le cas du thorium. Les irrégularités que j'avais observées en mesurant la radioactivité des composés du thorium provenaient du fait qu'à cette époque je travaillais avec un condensateur ouvert à l'air; or le moindre courant d'air produit un changement considérable dans l'intensité du courant, parce que la radioactivité répandue dans l'espace au voisinage du thorium est importante par rapport à la radioactivité de la substance.

Cet effet est encore bien plus marqué pour l'actinium. Un composé très actif d'actinium paraît beaucoup moins actif quand on envoie un courant d'air sur la substance.

L'énergie radioactive est donc renfermée dans les gaz sous une forme spéciale. M. Rutherford suppose que certains corps radioactifs dégagent constamment un gaz matériel radioactif qu'il appelle émanation. C'est ce gaz qui aurait la propriété de rendre radioactifs les corps qui se trouvent dans l'espace où il est répandu. Les corps qui émettent de l'émanation sont le radium, le thorium et l'actinium.

Désactivation à l'air libre des corps solides activés.—Un corps solide, qui a été activé par le radium dans une enceinte activante pendant un temps suffisant, et qui a été ensuite retiré de l'enceinte, se désactive à l'air libre suivant une loi d'allure exponentielle qui est la même pour tous les corps et qui est représentée par la formule suivante[100]:

I0 étant l'intensité initiale du rayonnement au moment où l'on retire la lame de l'enceinte, I l'intensité au temps t; a est un coefficient numérique a = 4.20; Θ1 et Θ2 sont des constantes de temps: Θ1 = 2420 secondes, Θ2 = 1860 secondes. Au bout de 2 ou 3 heures cette loi se réduit sensiblement à une exponentielle simple: l'influence de la seconde exponentielle sur la valeur de I ne se fait plus sentir. La loi de désactivation est alors telle que l'intensité du rayonnement baisse de la moitié de sa valeur en 28 minutes. Cette loi finale peut être considérée comme caractéristique de la désactivation à l'air libre des corps solides activés par le radium.

Les corps solides activés par l'actinium se désactivent à l'air libre suivant une loi exponentielle voisine de la précédente. Mais cependant la désactivation est un peu plus lente[101].

Les corps solides activés par le thorium se désactivent beaucoup plus lentement; l'intensité du rayonnement baisse de moitié en 11 heures[102].

Désactivation en enceinte close. Vitesse de destruction de l'émanation[103].—Une enceinte fermée activée par le radium et soustraite ensuite à son action, se désactive suivant une loi beaucoup moins rapide que celle de la désactivation à l'air libre. On peut, par exemple, faire l'expérience avec un tube en verre que l'on active intérieurement, en le mettant pendant un certain temps en communication avec une solution d'un sel de radium. On scelle ensuite le tube à la lampe, et l'on mesure l'intensité du rayonnement émis à l'extérieur par les parois du tube, pendant que la désactivation se produit.

La loi de désactivation est une loi exponentielle. Elle est donnée avec une grande exactitude par la formule

I0 intensité du rayonnement initial;

I, intensité du rayonnement au temps t;

Θ, une constante de temps Θ = 4.970 × 105 secondes.

L'intensité du rayonnement diminue de moitié en 4 jours.

Cette loi de désactivation est absolument invariable, quelles que soient les conditions de l'expérience (dimensions de l'enceinte, nature des parois, nature du gaz dans l'enceinte, durée de l'activation, etc.). La loi de désactivation reste la même, quelle que soit la température entre - 180° et + 450°. Cette loi de désactivation est donc tout à fait caractéristique et pourrait servir à définir un étalon de temps absolument indépendant.

Dans ces expériences, c'est l'énergie radioactive accumulée dans le gaz qui entretient l'activité des parois. Si, en effet, on supprime le gaz en faisant le vide dans l'enceinte, on constate que les parois se désactivent ensuite suivant le mode rapide de désactivation, l'intensité du rayonnement diminuant de moitié en 28 minutes. Ce même résultat est obtenu en substituant dans l'enceinte de l'air ordinaire à l'air activé.

La loi de désactivation avec baisse de moitié en 4 jours est donc caractéristique de la disparition de l'énergie radioactive accumulée dans le gaz. Si l'on se sert de l'expression adoptée par M. Rutherford, on peut dire que l'émanation du radium disparaît spontanément en fonction du temps avec baisse de moitié en 4 jours.

L'émanation du thorium est d'une autre nature et disparaît beaucoup plus rapidement. Le pouvoir d'activation diminue de moitié en 1 minute 10 secondes environ.

L'émanation de l'actinium disparaît encore plus rapidement; la baisse de moitié a lieu en quelques secondes.

MM. Elster et Geitel ont montré qu'il existe toujours dans l'air atmosphérique, en très faible proportion, une émanation radioactive analogue à celles émises par les corps radioactifs. Des fils métalliques tendus dans l'air et maintenus à un potentiel négatif s'activent sous l'influence de cette émanation. L'air que l'on aspire au moyen d'un tube enfoncé dans le sol est particulièrement chargé d'émanation[104]. L'origine de cette émanation est encore inconnue.

L'air extrait de certaines eaux minérales contient de l'émanation tandis que l'air contenu dans l'eau de la mer et des rivières en est à peu près exempt.

Nature des émanations.—Suivant M. Rutherford l'émanation d'un corps radioactif est un gaz matériel radioactif qui s'échappe de ce corps. En effet, à bien des points de vue, l'émanation du radium se comporte comme un gaz ordinaire.

Quand on met en communication deux réservoirs en verre dont l'un contient de l'émanation tandis que l'autre n'en contient pas, l'émanation passe en se diffusant dans le deuxième réservoir, et quand l'équilibre est établi, on constate que l'émanation s'est partagée entre les deux réservoirs comme le ferait un gaz ordinaire: si les deux réservoirs sont à la même température, l'émanation se partage entre eux dans le rapport de leurs volumes; s'ils sont à des températures différentes, elle se partage entre eux comme un gaz parfait obéissant aux lois de Mariotte et de Gay-Lussac. Pour établir ce résultat il suffit de mesurer le rayonnement du premier réservoir avant et après le partage; ce rayonnement est proportionnel à la quantité d'émanation contenue dans le réservoir. Mais, comme la diffusion de l'émanation demande un certain temps jusqu'à ce que l'équilibre soit établi, il est nécessaire, pour l'exactitude du calcul relatif à l'expérience, de tenir compte de la destruction spontanée de l'émanation avec le temps[105].

L'émanation du radium se diffuse le long d'un tube étroit suivant les lois de la diffusion des gaz, et son coefficient de diffusion est comparable à celui de l'acide carbonique[106].

MM. Rutherford et Soddy ont montré que les émanations du radium et du thorium se condensent à la température de l'air liquide, comme le feraient des gaz qui seraient liquéfiables à cette température. Un courant d'air chargé d'émanation perd ses propriétés radioactives en traversant un serpentin qui plonge dans l'air liquide; l'émanation reste condensée dans le serpentin, et elle se retrouve à l'état gazeux quand on réchauffe celui-ci. L'émanation du radium se condense à - 150°, celle du thorium à une température comprise entre - 100° et - 150°[107]. On peut faire l'expérience suivante: deux réservoirs de verre fermés, l'un grand, l'autre petit, communiquent ensemble par un tube court muni d'un robinet; ils sont remplis de gaz activé par le radium et sont par suite tous les deux lumineux. On plonge le petit réservoir dans l'air liquide, toute l'émanation s'y condense; au bout d'un certain temps on sépare les deux réservoirs l'un de l'autre en fermant le robinet, et l'on retire ensuite le petit réservoir de l'air liquide. On constate que c'est le petit réservoir qui contient toute l'activité. Pour s'en assurer il suffit d'observer la phosphorescence du verre des deux réservoirs. Le grand réservoir n'est plus lumineux, tandis que le petit est plus lumineux qu'au début de l'expérience. L'expérience est particulièrement brillante si l'on a eu soin d'enduire les parois des deux réservoirs de sulfure de zinc phosphorescent.

Toutefois, si l'émanation du radium est tout à fait comparable à un gaz liquéfiable, la température de condensation par refroidissement devrait être fonction de la quantité d'émanation contenue dans un certain volume d'air; ce qui n'a pas été signalé.

On doit aussi faire remarquer que l'émanation passe avec une grande facilité à travers les trous ou les fissures les plus ténues des corps solides, dans des conditions où les gaz matériels ordinaires ne peuvent circuler qu'avec une lenteur extrême.

Enfin, l'émanation du radium se distingue d'un gaz matériel ordinaire en ce qu'elle se détruit spontanément quand elle est enfermée en tube de verre scellé; tout au moins observe-t-on, dans ces conditions, la disparition de la propriété radioactive. Cette propriété radioactive est d'ailleurs encore actuellement la seule qui caractérise l'émanation à notre connaissance, car jusqu'à présent on n'a encore établi avec certitude ni l'existence d'un spectre caractéristique de l'émanation, ni une pression due à l'émanation.

Toutefois tout récemment MM. Ramsay et Soddy ont observé, dans le spectre des gaz extraits du radium, des raies nouvelles qui pourraient, à leur avis, appartenir à l'émanation du radium. Ils ont aussi constaté que les gaz extraits du radium contiennent de l'hélium, et que ce dernier gaz se forme spontanément en présence de l'émanation du radium[108]. Si ces résultats, dont l'importance est considérable, se confirment, on pourra être amené à considérer l'émanation comme un gaz matériel instable, et l'hélium serait peut-être un des produits de la désagrégation de ce gaz.

Les émanations du radium et du thorium ne semblent pas être altérées par divers agents chimiques très énergiques, et pour cette raison MM. Rutherford et Soddy les assimilent à des gaz de la famille de l'argon[109].

Variation d'activité des liquides activés et des solutions radifères.—Un liquide quelconque devient radioactif lorsqu'il est placé dans un vase dans une enceinte activante. Si l'on retire le liquide de l'enceinte et qu'on le laisse à l'air libre, il se désactive rapidement en transmettant son activité aux gaz et aux corps solides qui l'entourent. Si l'on enferme un liquide activé dans un flacon fermé, il se désactive bien plus lentement et l'activité baisse alors de moitié en 4 jours, comme cela arriverait pour un gaz activé enfermé dans un vase clos. On peut expliquer ce fait en admettant que l'énergie radioactive est emmagasinée dans les liquides sous une forme identique à celle sous laquelle elle est emmagasinée dans un gaz (sous forme d'émanation).

Une dissolution d'un sel radifère se comporte en partie d'une façon analogue. Tout d'abord, il est fort remarquable que la solution d'un sel de radium, qui est placée depuis quelque temps dans une enceinte close, n'est pas plus active que de l'eau pure placée dans un vase contenu dans la même enceinte, lorsque l'équilibre d'activité s'est établi. Si l'on retire de l'enceinte la solution radifère et qu'on la laisse à l'air dans un vase largement ouvert, l'activité se répand dans l'espace, et la solution devient à peu près inactive, bien qu'elle contienne toujours le radium. Si alors on enferme cette solution désactivée dans un flacon fermé, elle reprend peu à peu, en une quinzaine de jours, une activité limite qui peut être considérable. Au contraire, un liquide activé qui ne renferme pas de radium et qui a été désactivé à l'air libre, ne reprend pas son activité quand on le met dans un flacon fermé.

Théorie de la radioactivité.—Voici, d'après MM. Curie et Debierne, une théorie très générale qui permet de coordonner les résultats de l'étude de la radioactivité induite, résultats que je viens d'exposer et qui constituent des faits indépendants de toute hypothèse[110].

On peut admettre que chaque atome de radium fonctionne comme une source continue et constante d'énergie, sans qu'il soit, d'ailleurs, nécessaire de préciser d'où vient cette énergie. L'énergie radioactive qui s'accumule dans le radium tend à se dissiper de deux façons différentes: 1º par rayonnement (rayons chargés et non chargés d'électricité); 2º par conduction, c'est-à-dire par transmission de proche en proche aux corps environnants, par l'intermédiaire des gaz et des liquides (dégagement d'émanation et transformation en radioactivité induite).

La perte d'énergie radioactive, tant par rayonnement que par conduction, croît avec la quantité d'énergie accumulée dans le corps radioactif. Un équilibre de régime doit s'établir nécessairement quand, la double perte, dont je viens de parler, compense l'apport continu fait par le radium. Cette manière de voir est analogue à celle qui est en usage dans les phénomènes calorifiques. Si, dans l'intérieur d'un corps, il se fait, pour une raison quelconque, un dégagement continu et constant de chaleur, la chaleur s'accumule dans le corps, et la température s'élève, jusqu'à ce que la perte de chaleur par rayonnement et par conduction fasse équilibre à l'apport continu de chaleur.

En général, sauf dans certaines conditions spéciales, l'activité ne se transmet pas de proche en proche à travers les corps solides. Lorsqu'on conserve une dissolution en tube scellé, la perte par rayonnement subsiste seule, et l'activité radiante de la dissolution prend une valeur élevée.

Si, au contraire, la dissolution se trouve dans un vase ouvert, la perte d'activité de proche en proche, par conduction, devient considérable, et, lorsque l'état de régime est atteint, l'activité radiante de la dissolution est très faible.

L'activité radiante d'un sel radifère solide, laissé à l'air libre, ne diminue pas sensiblement, parce que, la propagation de la radioactivité par conduction ne se faisant pas à travers les corps solides, c'est seulement une couche superficielle très mince qui produit la radioactivité induite. On constate, en effet, que la dissolution du même sel produit des phénomènes de radioactivité induite beaucoup plus intenses. Avec un sel solide l'énergie radioactive s'accumule dans le sel et se dissipe surtout par rayonnement. Au contraire, lorsque le sel est en dissolution dans l'eau depuis quelques jours, l'énergie radioactive est répartie entre l'eau et le sel, et si on les sépare par distillation, l'eau entraîne une grande partie de l'activité, et le sel solide est beaucoup moins actif (10 ou 15 fois) qu'avant dissolution. Ensuite le sel solide reprend peu à peu son activité primitive.

On peut chercher à préciser encore davantage la théorie qui précède, en imaginant que la radioactivité du radium lui-même se produit au moins en grande partie par l'intermédiaire de l'énergie radioactive émise sous forme d'émanation.

On peut admettre que chaque atome de radium est une source continue et constante d'émanation. En même temps que cette forme d'énergie se produit, elle éprouve progressivement une transformation en énergie radioactive de rayonnement Becquerel; la vitesse de cette transformation est proportionnelle à la quantité d'émanation accumulée.

Quand une solution radifère est enfermée dans une enceinte, l'émanation peut se répandre dans l'enceinte et sur les parois. C'est donc là qu'elle est transformée en rayonnement, tandis que la solution n'émet que peu de rayons Becquerel,—le rayonnement est, en quelque sorte, extériorisé. Au contraire, dans le radium solide, l'émanation, ne pouvant s'échapper facilement, s'accumule et se transforme sur place en rayonnement Becquerel; ce rayonnement atteint donc une valeur élevée[111].

Si cette théorie de la radioactivité était générale, il faudrait admettre que tous les corps radioactifs émettent de l'émanation. Or, cette émission a été constatée pour le radium, le thorium et l'actinium; ce dernier corps en émet énormément même à l'état solide. L'uranium et le polonium ne semblent pas émettre d'émanation, bien qu'ils émettent des rayons Becquerel. Ces corps ne produisent pas la radioactivité induite en vase clos comme les corps radioactifs cités précédemment. Ce fait n'est pas en contradiction absolue avec la théorie qui précède. Si, en effet, l'uranium et le polonium émettaient des émanations qui se détruisent avec une très grande rapidité, il serait très difficile d'observer l'entraînement de ces émanations par l'air et les effets de radioactivité induite produits par elles sur les corps voisins. Une telle hypothèse n'est nullement invraisemblable, puisque les temps pendant lesquels les quantités d'émanation du radium et du thorium diminuent de moitié sont entre eux comme 5000 est à 1. On verra d'ailleurs que dans certaines conditions l'uranium peut provoquer la radioactivité induite.

Autre forme de la radioactivité induite.—D'après la loi de désactivation à l'air libre des corps solides activés par le radium, l'activité radiante au bout d'une journée est à peu près insensible.

Certains corps cependant font exception: tels sont le celluloïd, la paraffine, le caoutchouc, etc. Quand ces corps ont été activés assez longtemps, ils se désactivent plus lentement que ne le veut la loi, et il faut souvent quinze ou vingt jours pour que l'activité devienne insensible. Il semble que ces corps aient la propriété de s'imprégner de l'énergie radioactive sous forme d'émanation; ils la perdent ensuite peu à peu en produisant la radioactivité induite dans leur voisinage.

Radioactivité induite à évolution lente.—On observe encore une tout autre forme de radioactivité induite, qui semble se produire sur tous les corps, quand ils ont séjourné pendant des mois dans une enceinte activante. Quand ces corps sont retirés de l'enceinte, leur activité diminue d'abord jusqu'à une valeur très faible suivant la loi ordinaire (diminution de moitié en une demi-heure); mais, quand l'activité est tombée à 1/20000 environ de la valeur initiale, elle ne diminue plus ou du moins elle évolue avec une lenteur extrême, quelquefois même elle va en augmentant. Nous avons des lames de cuivre, d'aluminium, de verre qui conservent ainsi une activité résiduelle depuis plus de six mois.

Ces phénomènes d'activité induite semblent être d'une tout autre nature que ceux ordinaires, et ils offrent une évolution beaucoup plus lente.

Un temps considérable est nécessaire aussi bien pour la production que pour la disparition de cette forme de radioactivité induite.

Radioactivité induite sur des substances qui séjournent en dissolution avec le radium.—Quand on traite un minerai radioactif contenant du radium, pour en extraire ce corps, et tant que le travail n'est pas avancé, on réalise des séparations chimiques, après lesquelles la radioactivité se trouve entièrement avec l'un des produits de la réaction, l'autre produit étant entièrement inactif. On sépare ainsi d'un côté des produits radiants qui peuvent être plusieurs centaines de fois plus actifs que l'uranium, de l'autre côté du cuivre, de l'antimoine, de l'arsenic, etc., absolument inactifs. Certains autres corps (le fer, le plomb) n'étaient jamais séparés à l'état complètement inactif. A mesure que les corps radiants se concentrent, il n'en est plus de même; aucune séparation chimique ne fournit plus de produits absolument inactifs; toutes les portions résultant d'une séparation sont toujours actives à des degrés variables.

Après la découverte de la radioactivité induite, M. Giesel essaya le premier d'activer le bismuth inactif ordinaire en le maintenant en solution avec du radium très actif. Il obtint ainsi du bismuth radioactif[112], et il en conclut que le polonium extrait de la pechblende était probablement du bismuth activé par le voisinage du radium contenu dans la pechblende.

J'ai également préparé du bismuth activé en maintenant le bismuth en dissolution avec un sel radifère très actif.

Les difficultés de cette expérience consistent dans les soins extrêmes qu'il faut prendre pour éliminer le radium de la dissolution. Si l'on songe à la quantité infinitésimale de radium qui suffit pour produire dans un gramme de matière une radioactivité très notable, on ne croit jamais avoir assez lavé et purifié le produit activé. Or, chaque purification entraîne une baisse d'activité du produit activé, soit que réellement on en retire des traces de radium, soit que la radioactivité induite dans ces conditions ne résiste pas aux transformations chimiques.

Les résultats que j'obtiens semblent cependant établir avec certitude que l'activation se produit et persiste après que l'on a séparé le radium. C'est ainsi qu'en fractionnant le nitrate de mon bismuth activé par précipitation de la solution azotique par l'eau, je trouve que, après purification très soigneuse, il se fractionne comme le polonium, la partie la plus active étant précipitée en premier.

Si la purification est insuffisante, c'est le contraire qui se produit, indiquant que des traces de radium se trouvaient encore avec le bismuth activé. J'ai obtenu ainsi du bismuth activé pour lequel le sens du fractionnement indiquait une grande pureté et qui était 2000 fois plus actif que l'uranium. Ce bismuth diminue d'activité avec le temps. Mais une autre partie du même produit, préparée avec les mêmes précautions et se fractionnant dans le même sens, conserve son activité sans diminution sensible depuis un temps qui est actuellement de trois ans environ.

Cette activité est 150 fois plus grande que celle de l'uranium.

J'ai activé également du plomb et de l'argent en les laissant en dissolution avec le radium. Le plus souvent la radioactivité induite ainsi obtenue ne diminue guère avec le temps, mais elle ne résiste généralement pas à plusieurs transformations chimiques successives du corps activé.

M. Debierne[113] a activé du baryum en le laissant en solution avec l'actinium. Ce baryum activé reste actif après diverses transformations chimiques, son activité est donc une propriété atomique assez stable. Le chlorure de baryum activé se fractionne comme le chlorure de baryum radifère, les parties les plus actives étant les moins solubles dans l'eau et l'acide chlorhydrique étendu. Le chlorure sec est spontanément lumineux; son rayonnement Becquerel est analogue à celui du chlorure de baryum radifère. M. Debierne a obtenu du chlorure de baryum activé 1000 fois plus actif que l'uranium. Ce baryum n'avait cependant pas acquis tous les caractères du radium, car il ne montrait au spectroscope aucune des raies les plus fortes du radium. De plus son activité diminua avec le temps, et au bout de trois semaines elle était devenue trois fois plus faible qu'au début.

Il y a toute une étude à faire sur l'activation des substances en dissolution avec les corps radioactifs. Il semble que, suivant les conditions de l'expérience, on puisse obtenir des formes de radioactivité induite atomique plus ou moins stables. La radioactivité induite dans ces conditions est peut-être la même que la forme à évolution lente que l'on obtient par activation prolongée à distance dans une enceinte activante. Il y a lieu de se demander jusqu'à quel degré la radioactivité induite atomique affecte la nature chimique de l'atome, et si elle peut modifier les propriétés chimiques de celui-ci, soit d'une façon passagère, soit d'une façon stable.

L'étude chimique des corps activés à distance est rendue difficile par ce fait que l'activation est limitée à une couche superficielle très mince, et que, par suite, la proportion de matière qui a pu être atteinte par la transformation est extrêmement faible.

La radioactivité induite peut aussi être obtenue en laissant certaines substances en dissolution avec l'uranium. L'expérience réussit avec le baryum. Si, comme l'a fait M. Debierne, on ajoute de l'acide sulfurique à une solution qui contient de l'uranium et du baryum, le sulfate de baryum précipité entraîne de l'activité; en même temps le sel d'uranium perd une partie de la sienne. M. Becquerel a trouvé qu'en répétant cette opération plusieurs fois, on obtient de l'uranium à peine actif. On pourrait croire, d'après cela, que dans cette opération on a réussi à séparer de l'uranium un corps radioactif différent de ce métal, et dont la présence produisait la radioactivité de l'uranium. Cependant il n'en est rien, car au bout de quelques mois l'uranium reprend son activité primitive; au contraire, le sulfate de baryum précipité perd celle qu'il avait acquise.

Un phénomène analogue se produit avec le thorium. M. Rutherford précipite une solution de sel de thorium par l'ammoniaque; il sépare la solution et l'évapore à sec. Il obtient ainsi un petit résidu très actif, et le thorium précipité se montre moins actif qu'auparavant. Ce résidu actif, auquel M. Rutherford donne le nom de thorium x, perd son activité avec le temps, tandis que le thorium reprend son activité primitive[114].

Il semble qu'en ce qui concerne la radioactivité induite en dissolution, les divers corps ne se comportent pas tous de la même façon, et que certains d'entre eux sont bien plus susceptibles de s'activer que les autres.

Dissémination des poussières radioactives et radioactivité induite du laboratoire.—Lorsqu'on fait des études sur les substances fortement radioactives, il faut prendre des précautions particulières si l'on veut pouvoir continuer à faire des mesures délicates. Les divers objets employés dans le laboratoire de chimie, et ceux qui servent pour les expériences de physique, ne tardent pas à être tous radioactifs et à agir sur les plaques photographiques au travers du papier noir. Les poussières, l'air de la pièce, les vêtements sont radioactifs. L'air de la pièce est conducteur. Dans le laboratoire, où nous travaillons, le mal est arrivé à l'état aigu, et nous ne pouvons plus avoir un appareil bien isolé.

Il y a donc lieu de prendre des précautions particulières pour éviter autant que possible la dissémination des poussières actives, et pour éviter aussi les phénomènes d'activité induite.

Les objets employés en chimie ne doivent jamais être emportés dans la salle d'études physiques, et il faut autant que possible éviter de laisser séjourner inutilement dans cette salle les substances actives. Avant de commencer ces études nous avions coutume, dans les travaux d'électricité statique, d'établir la communication entre les divers appareils par des fils métalliques isolés protégés par des cylindres métalliques en relation avec le sol, qui préservaient les fils contre toute influence électrique extérieure. Dans les études sur les corps radioactifs, cette disposition est absolument défectueuse; l'air étant conducteur, l'isolement entre le fil et le cylindre est mauvais, et la force électromotrice de contact inévitable entre le fil et le cylindre tend à produire un courant à travers l'air et à faire dévier l'électromètre. Nous mettons maintenant tous les fils de communication à l'abri de l'air en les plaçant, par exemple, au milieu de cylindres remplis de paraffine ou d'une autre matière isolante. Il y aurait aussi avantage à faire usage, dans ces études, d'électromètres rigoureusement clos.

Activation en dehors de l'action des substances radioactives.—Des essais ont été faits en vue de produire la radioactivité induite en dehors de l'action des substances radioactives.

M. Villard[115] a soumis à l'action des rayons cathodiques un morceau de bismuth placé comme anticathode dans un tube de Crookes; ce bismuth a été ainsi rendu actif, à vrai dire, d'une façon extrêmement faible, car il fallait 8 jours de pose pour obtenir une impression photographique.

M. Mac Lennan expose divers sels à l'action des rayons cathodiques et les chauffe ensuite légèrement. Ces sels acquièrent alors la propriété de décharger les corps chargés positivement[116].

Les études de ce genre offrent un grand intérêt. Si, en se servant d'agents physiques connus, il était possible de créer dans des corps primitivement inactifs une radioactivité notable, nous pourrions espérer de trouver ainsi la cause de la radioactivité spontanée de certaines matières.

Variations d'activité des corps radioactifs. Effets de dissolution.—Le polonium, comme je l'ai dit plus haut, diminue d'activité avec le temps. Cette baisse est lente, elle ne semble pas se faire avec la même vitesse pour tous les échantillons. Un échantillon de nitrate de bismuth à polonium a perdu la moitié de son activité en 11 mois et 95 pour 100 de son activité en 33 mois. D'autres échantillons ont éprouvé des baisses analogues.

Un échantillon de bismuth à polonium métallique fut préparé avec un sous-nitrate, lequel, après sa préparation, était 100000 fois plus actif que l'uranium. Ce métal n'est plus maintenant qu'un corps moyennement radioactif 2000 fois plus actif que l'uranium. Sa radioactivité est mesurée de temps en temps. Pendant 6 mois ce métal a perdu 67 pour 100 de son activité.

La perte d'activité ne semble pas être facilitée par les réactions chimiques. Dans des opérations chimiques rapides on ne constate généralement pas de perte considérable d'activité.

Contrairement à ce qui se passe pour le polonium, les sels radifères possèdent une radioactivité permanente qui ne présente pas de baisse appréciable au bout de quelques années.

Quand on vient de préparer un sel de radium à l'état solide, ce sel n'a pas tout d'abord une activité constante. Son activité va en augmentant à partir de la préparation et atteint une valeur limite sensiblement invariable au bout d'un mois environ. Le contraire a lieu pour la solution. Quand on vient de la préparer, elle est d'abord très active, mais laissée à l'air libre elle se désactive rapidement, et prend finalement une activité limite qui peut être considérablement plus faible que la valeur initiale. Ces variations d'activité ont été tout d'abord observées par M. Giesel[117]. Elles s'expliquent fort bien en se plaçant au point de vue de l'émanation. La diminution de l'activité de la solution correspond à la perte de l'émanation qui s'échappe dans l'espace; cette baisse est bien moindre si la dissolution est en tube scellé. Une solution désactivée à l'air libre reprend une activité plus grande quand on l'enferme en tube scellé. La période de l'accroissement de l'activité du sel qui, après dissolution, vient d'être ramené à l'état solide, est celle pendant laquelle l'émanation s'emmagasine à nouveau dans le radium solide.

Voici quelques expériences à ce sujet:

Une solution de chlorure de baryum radifère laissée à l'air libre pendant 2 jours devient 300 fois moins active.

Une solution est enfermée en vase clos; on ouvre le vase, on verse la solution dans une cuve et l'on mesure l'activité:

Activité mesurée immédiatement 67
          »               au bout de 2 heures 20
          »                      »        2 jours         0,25

Une solution de chlorure de baryum radifère qui est restée à l'air libre est enfermée dans un tube de verre scellé, et l'on mesure le rayonnement de ce tube. On trouve les résultats suivants:

Activité mesurée immédiatement   27
          »              après 2 jours   61
           »                 »   3 jours   70
           »                 »   4 jours   81
           »                 »   7 jours 100
           »                 » 11 jours 100

L'activité initiale d'un sel solide après sa préparation est d'autant plus faible que le temps de dissolution a été plus long. Une plus forte proportion de l'activité est alors transmise au dissolvant. Voici les activités initiales obtenues avec un chlorure dont l'activité limite est 800 et que l'on maintenait en dissolution pendant un temps donné; puis on séchait le sel et l'on mesurait son activité immédiatement:

Activité limite 800
Activité initiale après dissolution et dessiccation immédiate 440
Activité initiale après que le sel est resté dissous 5 jours 120
                        »                     »                        18 jours 130
                        »                     »                        32 jours 114

Dans cette expérience le sel dissous se trouvait dans un vase simplement couvert d'un verre de montre.

J'ai fait avec le même sel deux dissolutions que j'ai conservées en tube scellé pendant 13 mois; l'une de ces dissolutions était 8 fois plus concentrée que l'autre:

Activité initiale du sel de la solution concentrée après dessiccation 200
Activité initiale du sel de la solution étendue après dessiccation 100

La désactivation du sel est donc d'autant plus grande que la proportion du dissolvant est plus grande, l'énergie radioactive transmise au liquide ayant alors un plus grand volume de liquide à saturer et un plus grand espace à remplir. Les deux échantillons du même sel, qui avaient ainsi une activité initiale différente, ont d'ailleurs augmenté d'activité avec une vitesse très différente au début; au bout d'un jour ils avaient la même activité, et l'accroissement d'activité se continua exactement de la même façon pour tous les deux jusqu'à la limite.

Quand la dissolution est étendue, la désactivation du sel est très rapide; c'est ce que montrent les expériences suivantes: trois portions égales d'un même sel radifère sont dissoutes dans des quantités égales d'eau. La première dissolution a est laissée à l'air libre pendant une heure, puis séchée. La deuxième dissolution b est traversée pendant une heure par un courant d'air, puis séchée. La troisième dissolution c est laissée pendant 13 jours à l'air libre, puis séchée. Les activités initiales des trois sels sont:

Pour la portion a 145,2
          »            b 141,6
          »            c 102,6

L'activité limite du même sel est environ 470. On voit donc qu'au bout d'une heure la plus grande partie de l'effet était produite. De plus, le courant d'air qui a barboté pendant une heure dans la dissolution b n'a produit que peu d'effet. La proportion du sel dans la dissolution était d'environ 0,5 pour 100.

L'énergie radioactive sous forme d'émanation se propage difficilement du radium solide dans l'air; elle éprouve de même une résistance au passage du radium solide dans un liquide. Quand on agite du sulfate radifère avec de l'eau pendant une journée entière, son activité après celle opération est sensiblement la même que celle d'une portion du même sulfate laissée à l'air libre.

En faisant le vide sur du sel radifère on retire toute l'émanation disponible. Toutefois la radioactivité d'un chlorure radifère sur lequel nous avions fait le vide pendant 6 jours ne fut pas sensiblement modifiée par cette opération. Cette expérience montre que la radioactivité du sel est due principalement à l'énergie radioactive utilisée dans l'intérieur des grains, laquelle ne peut être enlevée en faisant le vide.

La perte d'activité que le radium éprouve quand on le fait passer par l'état dissous est relativement plus grande pour les rayons pénétrants que pour les rayons absorbables. Voici quelques exemples:

Un chlorure radifère, qui avait atteint son activité limite 470 est dissous et reste en dissolution pendant une heure; on le sèche ensuite et l'on mesure sa radioactivité initiale par la méthode électrique. On trouve que le rayonnement initial total est égal à la fraction 0,3 du rayonnement total limite. Si l'on fait la mesure de l'intensité du rayonnement en recouvrant la substance active d'un écran d'aluminium de 0mm,01 d'épaisseur, on trouve que le rayonnement initial qui traverse cet écran n'est que la fraction 0,17 du rayonnement limite traversant le même écran.

Quand le sel est resté en dissolution pendant 13 jours, on trouve pour le rayonnement initial total la fraction 0,22 du rayonnement limite total et pour le rayonnement qui traverse 0mm,01 d'aluminium la fraction 0,13 du rayonnement limite.

Dans les deux cas le rapport du rayonnement initial après dissolution au rayonnement limite est de 1,7 fois plus grand pour le rayonnement total que pour le rayonnement qui traverse 0mm,01 d'aluminium.

Il faut d'ailleurs remarquer que, en séchant le produit après dissolution, on ne peut éviter une période de temps pendant laquelle le produit se trouve à un état mal défini, ni entièrement solide, ni entièrement liquide. On ne peut non plus éviter de chauffer le produit pour enlever l'eau rapidement.

Pour ces deux raisons il n'est guère possible de déterminer la vraie activité initiale du produit qui passe de l'état dissous à l'état solide. Dans les expériences qui viennent d'être citées des quantités égales de substances radiantes étaient dissoutes dans la même quantité d'eau, et ensuite les dissolutions étaient évaporées à sec dans des conditions aussi identiques que possible et sans chauffer au-dessus de 120° ou 130°.

Fig. 13.

J'ai étudié la loi suivant laquelle augmente l'activité d'un sel radifère solide, à partir du moment où ce sel est séché après dissolution, jusqu'au moment où il atteint son activité limite. Dans les Tableaux qui suivent j'indique l'intensité du rayonnement I en fonction du temps, l'intensité limite étant supposée égale à 100, et le temps étant compté à partir du moment où le produit a été séché. Le Tableau I (fig. 13, courbe I) est relatif au rayonnement total. Le Tableau II (fig. 13, courbe II) est relatif seulement aux rayons pénétrants (rayons qui ont traversé 3cm d'air et 0mm,01 d'aluminium).

Tableau I. Tableau II.
Temps. I. Temps. I.
0         21 0         1,3
1 jour   25 1 jour 19
3   »     44 3   »   43
5   »     60 6   »   60
10  »     78 15  »   70
19  »     93 23  »   86
33  »   100 46  »   94
67  »   100    

J'ai fait plusieurs autres séries de mesures du même genre, mais elle ne sont pas absolument en accord les unes avec les autres, bien que le caractère général des courbes obtenues reste le même. Il est difficile d'obtenir des résultats bien réguliers. On peut cependant remarquer que la reprise d'activité met plus d'un mois à se produire, et que les rayons les plus pénétrants sont ceux qui sont le plus profondément atteints par l'effet de la dissolution.

L'intensité initiale du rayonnement qui peut traverser 3cm d'air et 0mm,01 d'aluminium n'est que 1 pour 100 de l'intensité limite, alors que l'intensité initiale du rayonnement total est 21 pour 100 du rayonnement total limite.

Un sel radifère, qui a été dissous et qui vient d'être séché, possède le même pouvoir pour provoquer l'activité induite (et, par conséquent, laisse échapper au dehors autant d'émanation) qu'un échantillon du même sel qui, après avoir été préparé à l'état solide est resté dans cet état un temps suffisant pour atteindre la radioactivité limite. L'activité radiante de ces deux produits est pourtant extrêmement différente; le premier est, par exemple, 5 fois moins actif que le second.

Variations d'activité des sels de radium par la chauffe.—Quand on chauffe un composé radifère, ce composé dégage de l'émanation et perd de l'activité. La perte d'activité est d'autant plus grande que la chauffe est à la fois plus intense et plus prolongée. C'est ainsi qu'en chauffant un sel radifère pendant 1 heure à 130° on lui fait perdre 10 pour 100 de son rayonnement total: au contraire, une chauffe de 10 minutes à 400° ne produit pas d'effet sensible. Une chauffe au rouge de quelques heures de durée détruit 77 pour 100 du rayonnement total.

La perte d'activité par la chauffe est plus importante pour les rayons pénétrants que pour les rayons absorbables. C'est ainsi qu'une chauffe de quelques heures de durée détruit environ 77 pour 100 du rayonnement total, mais la même chauffe détruit la presque totalité (99 pour 100) du rayonnement qui est capable de traverser 3cm d'air et 0mm,1 d'aluminium. En maintenant le chlorure de baryum radifère en fusion pendant quelques heures (vers 800°), on détruit 98 pour 100 du rayonnement capable de traverser 0mm,3 d'aluminium. On peut dire que les rayons pénétrants n'existent sensiblement pas après une chauffe forte et prolongée.

Quand un sel radifère a perdu une partie de son activité par la chauffe, cette baisse d'activité ne persiste pas: l'activité du sel se régénère spontanément à la température ordinaire et tend vers une certaine valeur limite. J'ai observé le fait fort curieux que cette limite est plus élevée que l'activité limite du sel avant la chauffe, du moins en est-il ainsi pour le chlorure. En voici des exemples: un échantillon de chlorure de baryum radifère qui, après avoir été préparé à l'état solide, a atteint depuis longtemps son activité limite, possède un rayonnement total représenté par le nombre 470, et un rayonnement capable de traverser 0mm,01 d'aluminium, représenté par le nombre 157. Cet échantillon est soumis à une chauffe au rouge pendant quelques heures. Deux mois après la chauffe, il atteint une activité limite avec un rayonnement total égal à 690, et un rayonnement à travers 0mm,01 d'aluminium égal à 227. Le rayonnement total et le rayonnement qui traverse l'aluminium sont donc augmentés respectivement dans le rapport 690/470 et 227/156. Ces deux rapports sont sensiblement égaux entre eux et égaux à 1,45.

Fig. 14.

Un échantillon de chlorure de baryum radifère qui, après avoir été préparé à l'état solide, a atteint une activité limite égale à 62, est maintenu en fusion pendant quelques heures; puis le produit fondu est pulvérisé. Ce produit reprend une nouvelle activité limite égale à 140, soit plus de 2 fois plus grande que celle qu'il pouvait atteindre, quand il avait été préparé à l'état solide sans avoir été notablement chauffé pendant la dessiccation.

J'ai étudié la loi de l'augmentation de l'activité des composés radifères après la chauffe. Voici, à titre d'exemple, les résultats de deux séries de mesures. Les nombres des Tableaux I et II indiquent l'intensité du rayonnement I en fonction du temps, l'intensité limite étant supposée égale à 100, et le temps étant compté à partir de la fin de la chauffe. Le Tableau I (fig. 14, courbe I) est relatif au rayonnement total d'un échantillon de chlorure de baryum radifère. Le Tableau II (fig. 3, courbe II) est relatif au rayonnement pénétrant d'un échantillon de sulfate de baryum radifère, car on mesurait l'intensité du rayonnement qui traversait 3cm d'air et 0mm,01 d'aluminium. Les deux produits ont subi une chauffe au rouge cerise pendant 7 heures.

Tableau I. Tableau II.
Temps. I. Temps. I.
 0   16,2   0     0,8
 0,6 jour   25,4   0,7 jour   13
 1     »   27,4   1     »   18
 2     »   38   1,9  »   26,4
 3     »   46,3   6     »   46,2
 4     »   54 10     »   55,5
 6     »   67,5 14     »   64
10    »   84 18     »   71,8
24    »   95 27     »   81
57    » 100 36     »   91
    50     »   95,5
57     »   99
84     » 100

J'ai fait encore plusieurs autres séries de déterminations, mais, de même que pour la reprise d'activité après dissolution, les résultats des diverses séries ne sont pas bien concordants.

L'effet de la chauffe ne persiste pas quand on dissout la substance radifère chauffée. De deux échantillons d'une même substance radifère d'activité 1800, l'un a été fortement chauffé, et son activité a été réduite par la chauffe à 670. Les deux échantillons ayant été à ce moment dissous et laissés en dissolution pendant 20 heures, leurs activités initiales à l'état solide ont été 460 pour le produit non chauffé et 420 pour celui chauffé; il n'y avait donc pas de différence considérable entre l'activité de ces deux produits. Mais, si les deux produits ne restent pas en dissolution un temps suffisant, si, par exemple, on les sèche immédiatement après les avoir dissous, le produit non chauffé est beaucoup plus actif que le produit chauffé; un certain temps est nécessaire pour que l'état de dissolution fasse disparaître l'effet de la chauffe. Un produit d'activité 3200 a été chauffé et n'avait plus après la chauffe qu'une activité de 1030. Ce produit a été dissous en même temps qu'une portion du même produit non chauffée, et les deux portions ont été séchées immédiatement. L'activité initiale était de 1450 pour le produit non chauffé et de 760 pour celui chauffé.

Pour les sels radifères solides, le pouvoir de provoquer la radioactivité induite est fortement influencé par la chauffe. Pendant que l'on chauffe les composés radifères, ils dégagent plus d'émanation qu'à la température ordinaire; mais, quand ils sont ensuite ramenés à la température ordinaire, non seulement leur radioactivité est bien inférieure à celle qu'ils avaient avant la chauffe, mais aussi leur pouvoir activant est considérablement diminué. Pendant le temps qui suit la chauffe, la radioactivité du produit va en augmentant et peut même dépasser la valeur primitive. Le pouvoir activant se rétablit aussi partiellement; cependant, après une chauffe prolongée au rouge, la presque totalité du pouvoir activant se trouve supprimée, sans être susceptible de reparaître spontanément avec le temps. On peut restituer au sel radifère son pouvoir activant primitif en le dissolvant dans l'eau et en le séchant à l'étuve à une température de 120°. Il semble donc que la calcination ait pour effet de mettre le sel dans un état physique particulier, dans lequel l'émanation se dégage bien plus difficilement que cela n'a lieu pour le même produit solide qui n'a pas été chauffé à température élevée, et il en résulte tout naturellement que le sel atteint une radioactivité limite plus élevée que celle qu'il avait avant la chauffe. Pour remettre le sel dans l'état physique qu'il avait avant la chauffe, il suffit de le dissoudre et de le sécher, sans le chauffer, au-dessus de 150°.

Voici quelques exemples numériques à ce sujet:

Je désigne par a l'activité induite limite provoquée en vase clos sur une lame de cuivre par un échantillon de carbonate de baryum radifère d'activité 1600.

Posons pour le produit non chauffé:

a = 100.

On trouve:

  1 jour après la chauffe a =   3,3
  4    »        » a =   7,1
10    »        » a = 15
20    »        » a = 15
37    »        » a = 15

La radioactivité du produit avait diminué de 90 pour 100 par la chauffe, mais, au bout d'un mois, elle avait déjà repris la valeur primitive.

Voici une expérience du même genre faite avec un chlorure de baryum radifère d'activité 3000. Le pouvoir activant est déterminé de la même façon que dans l'expérience précédente.

Pouvoir activant du produit non chauffé:

a = 100.

Pouvoir activant du produit après une chauffe au rouge de trois heures:

  2 jours après chauffe    2,3
  5    »        »    7,0
11    »        »    8,2
18    »        »    8,2
Pouvoir activant du produit non chauffé qui a été dissous, puis séché à 150°  92
Pouvoir activant du produit chauffé qui a été dissous, puis séché à 150° 105

Interprétation théorique des causes des variations d'activité des sels radifères, après dissolution et après chauffe.—Les faits qui viennent d'être exposés peuvent être, en partie, expliqués par la théorie d'après laquelle le radium produit l'énergie sous forme d'émanation, cette dernière se transformant ensuite en énergie de rayonnement. Quand on dissout un sel de radium, l'émanation qu'il produit se répand au dehors de la solution et provoque la radioactivité en dehors de la source dont elle provient; lorsqu'on évapore la dissolution, le sel solide obtenu est peu actif, car il ne contient que peu d'émanation. Peu à peu l'émanation s'accumule dans le sel, dont l'activité augmente jusqu'à une valeur limite, qui est obtenue quand la production d'émanation par le radium compense la perte qui se fait par débit extérieur et par transformation sur place en rayons de Becquerel.

Lorsqu'on chauffe un sel de radium, le débit d'émanation en dehors du sel est fortement augmenté, et les phénomènes de radioactivité induite sont plus intenses que quand le sel est à la température ordinaire. Mais quand le sel revient à la température ordinaire, il est épuisé, comme dans le cas où on l'avait dissous, il ne contient que peu d'émanation, l'activité est devenue très faible. Peu à peu l'émanation s'accumule de nouveau dans le sel solide et le rayonnement va en augmentant.

On peut admettre que le radium donne lieu à un débit constant d'émanation, dont une partie s'échappe à l'extérieur, tandis que la partie restante est transformée, dans le radium lui-même, en rayons de Becquerel. Lorsque le radium a été chauffé au rouge, il perd la plus grande partie de son pouvoir d'activation; autrement dit, le débit d'émanation à l'extérieur est diminué. Par suite, la proportion d'émanation utilisée dans le radium lui-même doit être plus forte, et le produit atteint une radioactivité limite plus élevée.

On peut se proposer d'établir théoriquement la loi de l'augmentation de l'activité d'un sel radifère solide qui a été dissous ou qui a été chauffé. Nous admettrons que l'intensité du rayonnement du radium est, à chaque instant, proportionnelle à la quantité d'émanation q présente dans le radium. Nous savons que l'émanation se détruit spontanément suivant une loi telle que l'on ait, à chaque instant,

(1)     

q0 étant la quantité d'émanation à l'origine du temps, et θ la constante de temps égale à 4,97 × 105 sec.

Soit, d'autre part, Δ le débit d'émanation fourni par le radium, quantité que je supposerai constante. Voyons ce qui se passerait, s'il ne s'échappait pas d'émanation dans l'espace ambiant. L'émanation produite serait alors entièrement utilisée dans le radium pour y produire le rayonnement. On a d'ailleurs, d'après la formule (1),

et, par suite, à l'état d'équilibre, le radium contiendrait une certaine quantité d'émanation Q telle que l'on ait

(2)     

et le rayonnement du radium serait alors proportionnel à Q.

Supposons qu'on mette le radium dans des conditions où il perd de l'émanation au dehors; c'est ce que l'on peut obtenir en dissolvant le composé radifère ou en le chauffant. L'équilibre sera troublé et l'activité du radium diminuera. Mais aussitôt que la cause de la perte d'émanation a été supprimée (le corps est revenu à l'état solide, ou bien on a cessé de chauffer), l'émanation s'accumule à nouveau dans le radium, et nous avons une période, pendant laquelle le débit Δ l'emporte sur la vitesse de destruction q/θ. On a alors

d'où

(3)     

q0 étant la quantité d'émanation présente dans le radium au temps t = 0.

D'après la formule (3) l'excès de la quantité d'émanation Q que le radium contient à l'état d'équilibre sur la quantité q qu'il contient à un moment donné, décroît en fonction du temps suivant une loi exponentielle qui est la loi même de la disparition spontanée de l'émanation. Le rayonnement du radium étant d'ailleurs proportionnel à la quantité d'émanation, l'excès de l'intensité du rayonnement limite sur l'intensité actuelle doit décroître en fonction du temps suivant cette même loi; cet excès doit donc diminuer de moitié en 4 jours environ.

La théorie qui précède est incomplète, puisqu'on a négligé la perte d'émanation par débit à l'extérieur. Il est, d'ailleurs, difficile de savoir comment celle-ci intervient en fonction du temps. En comparant les résultats de l'expérience à ceux de cette théorie incomplète, on ne trouve pas un accord satisfaisant; on retire cependant la conviction que la théorie en question contient une part de vérité. La loi d'après laquelle l'excès de l'activité limite sur l'activité actuelle diminue de moitié en 4 jours représente, avec une certaine approximation, la marche de la reprise d'activité après chauffe pendant une dizaine de jours. Dans le cas de la reprise d'activité après dissolution cette même loi semble convenir à peu près pendant une certaine période de temps, qui commence deux ou trois jours après la dessiccation du produit et se poursuit pendant 10 à 15 jours. Les phénomènes sont d'ailleurs complexes; la théorie indiquée n'explique pas pourquoi les rayons pénétrants sont supprimés en plus forte proportion que les rayons absorbables.

NATURE ET CAUSE DES PHÉNOMÈNES DE RADIOACTIVITÉ.

Dès le début des recherches sur les corps radioactifs, et alors que les propriétés de ces corps étaient encore à peine connues, la spontanéité de leur rayonnement s'est posée comme un problème, ayant pour les physiciens le plus grand intérêt. Aujourd'hui, nous sommes plus avancés au point de vue de la connaissance des corps radioactifs, et nous savons isoler un corps radioactif d'une très grande puissance, le radium. L'utilisation des propriétés remarquables du radium a permis de faire une étude approfondie des rayons émis par les corps radioactifs; les divers groupes de rayons qui ont été étudiés jusqu'ici présentent des analogies avec les groupes de rayons qui existent dans les tubes de Crookes: rayons cathodiques, rayons Röntgen, rayons canaux. Ce sont encore les mêmes groupes de rayons que l'on retrouve dans le rayonnement secondaire produit par les rayons Röntgen[118], et dans le rayonnement des corps qui ont acquis la radioactivité induite.

Mais si la nature du rayonnement est actuellement mieux connue, la cause de la radioactivité spontanée reste mystérieuse et ce phénomène est toujours pour nous une énigme et un sujet d'étonnement profond.

Les corps spontanément radioactifs, en premier lieu le radium, constituent des sources d'énergie. Le débit d'énergie auquel ils donnent lieu nous est révélé par le rayonnement de Becquerel, par les effets chimiques et lumineux et par le dégagement continu de chaleur.

On s'est souvent demandé si l'énergie est créée dans les corps radioactifs eux-mêmes ou bien si elle est empruntée par ces corps à des sources extérieures. Aucune des nombreuses hypothèses, qui résultent de ces deux manières de voir, n'a encore reçu de confirmation expérimentale.

On peut supposer que l'énergie radioactive a été emmagasinée antérieurement et qu'elle s'épuise peu à peu comme cela arrive pour une phosphorescence de très longue durée. On peut imaginer que le dégagement d'énergie radioactive correspond à une transformation de la nature même de l'atome du corps radiant qui serait en voie d'évolution; le fait que le radium dégage de la chaleur d'une manière continue plaide en faveur de cette hypothèse. On peut supposer que la transformation est accompagnée d'une perte de poids et d'une émission de particules matérielles qui constitue le rayonnement. La source d'énergie peut encore être cherchée dans l'énergie de gravitation. Enfin, on peut imaginer que l'espace est constamment traversé par des rayonnements encore inconnus qui sont arrêtés à leur passage au travers des corps radioactifs et transformés en énergie radioactive.

Bien des raisons sont à invoquer pour et contre ces diverses manières de voir, et le plus souvent les essais de vérification expérimentale des conséquences de ces hypothèses ont donné des résultats négatifs. L'énergie radioactive de l'uranium et du radium ne semble pas jusqu'ici s'épuiser ni même éprouver une variation appréciable avec le temps. Demarçay a examiné au spectroscope un échantillon de chlorure de radium pur à 5 mois d'intervalle; il n'a observé aucun changement dans le spectre au bout de ces 5 mois. La raie principale du baryum qui se voyait dans le spectre et indiquait la présence du baryum à l'état de trace, ne s'était pas renforcée pendant l'intervalle de temps considéré; le radium ne s'était donc pas transformé en baryum d'une manière sensible.

Les variations de poids signalées par M. Heydweiller pour les composés du radium[119] ne peuvent pas encore être considérées comme un fait établi.

MM. Elster et Geitel ont trouvé que la radioactivité de l'uranium n'est pas changée au fond d'un puits de mine de 850m de profondeur; une couche de terre de cette épaisseur ne modifierait donc pas le rayonnement primaire hypothétique qui provoquerait la radioactivité de l'uranium.

Nous avons mesuré la radioactivité de l'uranium à midi et à minuit, pensant que si le rayonnement primaire hypothétique avait sa source dans le soleil, il pourrait être en partie absorbé en traversant la terre. L'expérience n'a donné aucune différence pour les deux mesures.

Les recherches les plus récentes sont favorables à l'hypothèse d'une transformation atomique du radium. Cette hypothèse a été mise dès le début des recherches sur la radioactivité[120]; elle a été franchement adoptée par M. Rutherford qui a admis que l'émanation du radium est un gaz matériel qui est un des produits de la désagrégation de l'atome du radium[121]. Les expériences récentes de MM. Ramsay et Soddy tendent à prouver que l'émanation est un gaz instable qui se détruit en donnant lieu à une production d'hélium. D'autre part, le débit continu de chaleur fourni par le radium ne saurait s'expliquer par une réaction chimique ordinaire, mais pourrait peut-être avoir son origine dans une transformation de l'atome.

Rappelons enfin que les substances radioactives nouvelles se trouvent toujours dans les minerais d'urane; nous avons vainement cherché du radium dans le baryum du commerce (voir page 46). La présence du radium semble donc liée à celle de l'uranium. Les minerais d'urane contiennent d'ailleurs de l'argon et de l'hélium, et cette coïncidence n'est probablement pas non plus due au hasard. La présence simultanée de ces divers corps dans les mêmes minerais fait songer que la présence des uns est peut-être nécessaire pour la formation des autres.

Il est toutefois nécessaire de remarquer que les faits qui viennent à l'appui de l'idée d'une transformation atomique du radium peuvent aussi recevoir une interprétation différente. Au lieu d'admettre que l'atome de radium se transforme, on pourrait admettre que cet atome est lui-même stable, mais qu'il agit sur le milieu qui l'entoure (atomes matériels voisins ou éther du vide) de manière à donner lieu à des transformations atomiques. Cette hypothèse conduit tout aussi bien à admettre la possibilité de la transformation des éléments, mais le radium lui-même ne serait plus alors un élément en voie de destruction.

FIN.


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