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Sais-tu? Oui.--Retiens. Non.--Apprends.: Recueil de poésies simples et faciles destinées à servir d'exercices élémentaires de mémoire

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The Project Gutenberg eBook of Sais-tu? Oui.--Retiens. Non.--Apprends.

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Title: Sais-tu? Oui.--Retiens. Non.--Apprends.

Author: Victor Juhlin

Release date: December 31, 2010 [eBook #34800]

Language: French

Credits: Produced by Mireille Harmelin, Hélène de Mink, and the
Online Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net
(This file was produced from images generously made
available by the Bibliothèque nationale de France
(BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK SAIS-TU? OUI.--RETIENS. NON.--APPRENDS. ***

Note sur la transcription: Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées. L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée. Les numéros de pages blanches n'ont pas été repris dans cette version électronique.

SAIS-TU?

OUI.—RETIENS NON.—APPRENDS

RECUEIL DE POÉSIES

SIMPLES ET FACILES

DESTINÉES A SERVIR

D'EXERCICES ÉLÉMENTAIRES

DE MÉMOIRE ET DE DÉCLAMATION

OUVRAGE SPÉCIALEMENT UTILE AUX ÉCOLES, AUX FAMILLES
AUX ÉTRANGERS
ET AUX SOCIÉTÉS D'APPRENTIS

5e ÉDITION

PARIS
GRASSART, LIBRAIRE-ÉDITEUR
2, RUE DE LA PAIX, 2


1887

PRÉFACE

Exercer graduellement la mémoire de l'enfant et du jeune homme; développer l'important organe de la voix; meubler l'esprit de pensées justes, d'expressions heureuses, de tournures élégantes; commencer l'éducation littéraire de l'élève par la fréquentation des bons auteurs, tels sont entre mille les principaux avantages d'un semblable recueil.

Comment s'étonner, après cela, qu'un but si utile ait tenté un grand nombre d'auteurs attirés suffisamment d'ailleurs par la facilité apparente de l'entreprise?

Étonnons-nous plutôt que parmi tant de recueils qui tous ont, avec beaucoup de qualités, quelques défauts, il n'y en ait aucun qui réunisse les conditions suivantes:

Bon marché et moralité.—Bonne poésie et simplicité. Par conséquent, aucun qui puisse servir avec avantage dans les familles, dans les classes élémentaires, dans les sociétés d'apprentis, et, en général, dans tous les cas où les conditions énoncées plus haut sont d'une nécessité absolue.

La plupart des recueils sont trop chers et trop volumineux. Le nôtre, en évitant ces deux inconvénients, devient facile à acheter, commode à remplacer, et rentre, sous ce rapport, dans la catégorie des livres classiques.

Ce qui manque surtout dans beaucoup de recueils destinés à l'enfance, c'est un langage à sa portée. Longtemps on a cru que pour qu'un recueil convînt au jeune âge, il suffisait qu'il fût moral et religieux; il n'en est rien. Outre ces deux qualités indispensables, nous en avons recherché une non moins nécessaire: la simplicité.

On se met trop peu à la portée des enfants; de là vient que si souvent nous perdons notre temps à les fatiguer ou à les ennuyer inutilement.

Mais la simplicité dans les termes ne doit pas exclure la beauté dans la forme, la pureté de la diction, la correction du style. Aussi, nous sommes-nous fait un devoir de ne puiser nos citations qu'à bonnes sources, et de n'admettre d'entre les productions contemporaines que celles qui sont généralement estimées.

Nous sommes heureux d'ajouter que nous avons reçu bien des conseils et que nous les avons mis à profit. Nous comptons que la bienveillance de nos collègues et de nos supérieurs ne nous fera pas défaut, qu'elle nous suggérera encore quelques bonnes idées, et, s'il le faut, nous éclairera par une critique affectueuse, mais sincère.

Victor JUHLIN.

LE PÈRE ET L'ENFANT

—Père, apprenez-moi, je vous prie,
Ce qu'on trouve après le coteau
Qui borne à mes yeux la prairie?

—On trouve un espace nouveau:
Comme ici, des bois, des campagnes,
Des hameaux, enfin des montagnes.

—Et plus loin?

—D'autres monts encor.

—Après ces monts?

—La mer immense.

—Après la mer?

—Un autre bord.

—Et puis?

On avance, on avance,
Et l'on va si loin, mon petit,
Si loin, toujours faisant sa ronde,
Qu'on trouve enfin le bout du monde...
Au même lieu d'où l'on partit.

J.-J. PORCHAT.

UNE BONNE SEMAINE

Mon Dieu, pendant cette semaine,
Dans mes leçons et dans mes jeux
Garde-moi de faute et de peine;
Car qui dit l'un, dit tous les deux.
Donne-moi cette humeur docile
Qui rend le devoir plus facile;
Et si ma mère m'avertit,
Au lieu de cet esprit frivole
Que distrait la mouche qui vole,
Seigneur, donne-moi ton esprit.

MmeAMABLE TASTU.

AUX JEUNES GENS

SONNET

Jeunesse, ne suis point ton caprice volage:
Au plus beau de tes jours souviens-toi de ta fin.
Peut-être verras-tu ton soir dans ton matin;
Et l'hiver de ta vie au printemps de ton âge.

La plus verte saison est sujette à l'orage:
De la certaine mort le temps est incertain;
Et de la fleur des champs le fragile destin
Exprime de ton sort la véritable image.

Mais veux-tu dans le ciel refleurir pour toujours?
Ne garde point à Dieu l'hiver qui des vieux jours
Tient, sous ses dures lois, la faiblesse asservie;

Consacre-lui les fleurs de ton jeune printemps,
L'élite de tes jours, la force de ta vie,
Puisqu'il est et l'arbitre et l'auteur de tes ans.

DRELINCOURT.

LA FEUILLE DU CHÊNE

Reposons-nous sous la feuille du chêne.

Je vous dirai l'histoire qu'autrefois,
En revenant de la cité prochaine,
Mon père, un soir, me conta dans les bois:
(O mes amis, que Dieu vous garde un père!
Le mien n'est plus.)—De la terre étrangère,
Seul, dans la nuit, et pâle de frayeur,
S'en revenait un riche voyageur.

Un meurtrier sort du taillis voisin.
O voyageur! Ta perte est trop certaine;
Ta femme est veuve et ton fils orphelin.
«Traître, a-t-il dit, nous sommes seuls dans l'ombre;
«Mais, près de nous, vois-tu ce chêne sombre?
«Il est témoin: au tribunal vengeur
«Il redira la mort du voyageur!»

Le meurtrier dépouilla l'inconnu;
Il emporta dans sa maison lointaine
Cet or sanglant, par le crime obtenu.
Près d'une épouse industrieuse et sage,
Il oublia le chêne et son feuillage;
Et seulement une fois la rougeur
Couvrit ses traits, au nom du voyageur.

Un jour enfin, assis tranquillement
Sous la ramée, au bord d'une fontaine,
Il s'abreuvait d'un laitage écumant.
Soudain le vent fraîchit; avant l'automne,
Au sein des airs la feuille tourbillonne:
Sur le laitage elle tombe... O terreur!
C'était ta feuille, arbre du voyageur!

Le meurtrier devint pâle et tremblant:
La verte feuille et la claire fontaine,
Et le lait pur, tout lui parut sanglant.
Il se trahit; on l'écoute, on l'enchaîne;
Devant le juge en tumulte on l'entraîne;
Tout se révèle et l'échafaud vengeur
Réclame, hélas! le sang du voyageur.

Reposons-nous sous la feuille du chêne.

MILLEVOYE.

LE SÉJOUR DANS LE PAYS NATAL

Il est un pays fortuné:
Un doux ciel rit à ses campagnes;
Et d'un beau lac son sol baigné
S'appuie à de blanches montagnes:
Vraie image du paradis,
C'est mon pays, mon cher pays!

Là mon enfance a pris l'essor,
De mon aïeul là dort la cendre;
Là ma mère possède encor
Un bon père, une mère tendre.
Combien d'attraits tu réunis,
O mon pays, mon cher pays!

Là des soins tendres, maternels,
Sont prodigués à ma faiblesse;
De mes intérêts éternels
C'est là qu'on instruit ma jeunesse;
Oh! combien mes jours sont bénis
Dans mon pays, mon cher pays!

Bien loin de toi j'ai vu le jour,
Mais mon père, à chaque veillée,
Te vantait avec tant d'amour,
Que je pleurais comme exilée.
Quel bonheur quand je te revis,
O mon pays, mon cher pays!

Loin de toi s'il faut me bannir,
Je garde, ô terre de mes pères,
Dans mon cœur ton doux souvenir,
Et ton doux nom dans mes prières.
Oui, je prierai pour tous tes fils,
O mon pays, mon cher pays!

Que par les soins de l'Éternel,
Ta terre soit fertilisée,
Et que la parole du ciel
Y pleuve comme une rosée.
Sois d'avance un vrai paradis,
O mon pays, mon cher pays!

A. VINET.

PRIÈRE D'ESTHER

O mon souverain roi,
Me voici donc tremblante et seule devant toi.
Mon père mille fois m'a dit dans mon enfance,
Qu'avec nous tu juras une sainte alliance
Quand, pour te faire un peuple agréable à tes yeux,
Il plut à ton amour de choisir nos aïeux:
Même tu leur promis de ta bouche sacrée
Une postérité d'éternelle durée.

Hélas! ce peuple ingrat a méprisé ta loi;
La nation chérie a violé sa foi;
Elle a répudié son époux et son père,
Pour rendre à d'autres dieux un honneur adultère:
Maintenant elle sert sous un maître étranger.

Mais c'est peu d'être esclave, on la veut égorger:
Nos superbes vainqueurs, insultant à nos larmes,
Imputent à leurs dieux le bonheur de leurs armes,
Et veulent aujourd'hui qu'un même coup mortel
Abolisse ton nom, ton peuple et ton autel.

Ainsi donc un perfide, après tant de miracles,
Pourrait anéantir la foi de tes oracles,
Ravirait aux mortels le plus cher de tes dons,
Le saint que tu promets, et que nous attendons!
Non, non, ne souffre pas que ces peuples farouches,
Ivres de notre sang, ferment les seules bouches
Qui dans tout l'univers célèbrent tes bienfaits;
Et confonds tous ces dieux qui ne furent jamais.

Pour moi, que tu retiens parmi ces infidèles,
Tu sais combien je hais leurs fêtes criminelles,
Et que je mets au rang des profanations
Leur table, leurs festins et leurs libations;
Que même cette pompe où je suis condamnée,
Ce bandeau dont il faut que je paraisse ornée,
Dans ces jours solennels à l'orgueil dédiés,
Seule et dans le secret je les foule à mes pieds;
Qu'à ces vains ornements je préfère la cendre
Et n'ai de goût qu'aux pleurs que tu me vois répandre.

J'attendais le moment marqué dans ton arrêt
Pour oser de ton peuple embrasser l'intérêt.
Ce moment est venu: ma prompte obéissance
Va d'un roi redoutable affronter la présence.
C'est pour toi que je marche: accompagne mes pas
Devant ce fier lion qui ne te connaît pas;
Commande en me voyant que son courroux s'apaise,
Et prête à mes discours un charme qui lui plaise;
Les orages, les vents, les cieux te sont soumis.
Tourne enfin sa fureur contre nos ennemis.

RACINE.

LES HIRONDELLES

Captif au rivage du Maure,
Un guerrier, courbé sous ses fers,
Disait: Je vous revois encore
Oiseaux ennemis des hivers.
Hirondelles que l'espérance
Suit jusqu'en ces brûlants climats,
Sans doute vous quittez la France.
De mon pays ne me parlez-vous pas?

Depuis trois ans je vous conjure
De m'apporter un souvenir
Du vallon où ma vie obscure
Se berçait d'un doux avenir.
Au détour d'une eau qui chemine
A flots purs, sous de frais lilas,
Vous avez vu notre chaumine.
De ce vallon ne me parlez-vous pas?

L'une de vous peut-être est née
Au toit où je reçus le jour;
Là, d'une mère infortunée,
Vous avez dû plaindre l'amour.
Mourante, elle croit à toute heure
Entendre le bruit de mes pas.
Elle écoute et puis elle pleure.
De son amour ne me parlez-vous pas?

Ma sœur est-elle mariée?
Avez-vous vu de nos garçons
La foule aux noces conviée
La célébrer dans leurs chansons?
Et ces compagnons du jeune âge
Qui m'ont suivi dans les combats,
Ont-ils tous revu le village?
De tant d'amis ne me parlez-vous pas?

Sur leurs corps l'étranger peut-être
Du vallon reprend le chemin.
Sous mon chaume il commande en maître,
De ma sœur il trouble l'hymen.
Pour moi, plus de mère qui prie,
Et partout des fers ici-bas!
Hirondelles, de ma patrie,
De ses malheurs ne me parlez-vous pas?

BÉRANGER.

LA PAUVRE FILLE

J'ai fui ce pénible sommeil
Qu'aucun songe heureux n'accompagne;
J'ai devancé sur la montagne
Les premiers rayons du soleil.
S'éveillant avec la nature,
Le jeune oiseau chantait sur l'aubépine en fleurs;
Sa mère lui portait la douce nourriture;
Mes yeux se sont baignés de pleurs!

Oh! pourquoi n'ai-je pas de mère?
Pourquoi ne suis-je pas semblable au jeune oiseau
Dont le nid se balance aux branches de l'ormeau?
Rien ne m'appartient sur la terre;
Je n'ai pas même de berceau;
Et je suis un enfant trouvé sur une pierre,
Devant l'église du hameau.
Loin de mes parents exilée,
De leurs embrassements j'ignore la douceur,
Et les enfants de la vallée
Ne m'appellent jamais leur sœur!

Je ne partage point les jeux de la veillée;
Jamais sous un toit de feuillée
Le joyeux laboureur ne m'invite à m'asseoir.
Et de loin je vois sa famille,
Autour du sarment qui pétille
Chercher sur ses genoux les caresses du soir.

Vers la chapelle hospitalière
En pleurant j'adresse mes pas,
La seule demeure ici-bas
Où je ne sois pas étrangère,
La seule devant moi qui ne se ferme pas!
Souvent je contemple la pierre
Où commencèrent mes douleurs:
Je cherche la trace des pleurs
Qu'en m'y laissant peut-être y répandit ma mère!

Souvent aussi mes pas errants
Parcourent des tombeaux l'asile solitaire;
Mais pour moi les tombeaux sont tous indifférents,
La pauvre fille est sans parents
Au milieu des cercueils ainsi que sur la terre.

J'ai pleuré quatorze printemps,
Loin des bras qui m'ont repoussée;
Reviens, ma mère: je t'attends
Sur la pierre où tu m'as laissée.

A. SOUMET.

LE COLPORTEUR VAUDOIS

Oh! regardez, ma noble et belle dame,
Ces chaînes d'or, ces joyaux précieux.
Les voyez-vous, ces perles dont la flamme
Effacerait un éclair de vos yeux?
Voyez encor ces vêtements de soie
Qui pourraient plaire à plus d'un souverain.
Quand près de vous un heureux sort m'envoie,
Achetez donc au pauvre pèlerin!

La noble dame, à l'âge où l'on est vaine,
Prit les joyaux, les quitta, les reprit,
Les enlaça dans ses cheveux d'ébène,
Se trouva belle, et puis elle sourit.
—«Que te faut-il, vieillard? des mains d'un page
«Dans un instant tu vas le recevoir.
«Oh! pense à moi, si ton pèlerinage
«Te reconduit auprès de ce manoir.»

Mais l'étranger d'une voix plus austère,
Lui dit: «Ma fille, il me reste un trésor
«Plus précieux que les biens de la terre,
«Plus éclatant que les perles et l'or.
«On voit pâlir aux clartés dont il brille,
«Les diamants dont les rois sont épris.
«Quels jours heureux luiraient pour vous, ma fille,
«Si vous aviez ma perle de grand prix

—«Montre-la-moi, vieillard, je t'en conjure;
«Ne puis-je pas te l'acheter aussi?»
Et l'étranger, sous son manteau de bure,
Chercha longtemps un vieux livre noirci.
—«Ce bien, dit-il, vaut mieux qu'une couronne;
«Nous l'appelons la Parole de Dieu.
«Je ne vends pas ce trésor, je le donne;
«Il est à vous: le Ciel vous aide! Adieu!»

Il s'éloigna. Bientôt la noble dame
Lut et relut le livre du Vaudois,
La vérité pénétra dans son âme,
Et du Sauveur elle comprit la voix;
Puis, un matin, loin des tours crénelées,
Loin des plaisirs que le monde chérit,
On l'aperçut dans les humbles vallées
Où les Vaudois adoraient Jésus-Christ.

G. DE FÉLICE.

LA PAUVRE VEUVE MALADE

Viens, mon enfant, près de ta mère.
Élevons nos mains vers le ciel;
Prions que dans ta coupe amère
Le Seigneur verse un peu de miel!

Je n'ai plus rien, mon fils, pour soulager ta peine,
Rien pour sécher tes yeux qui se baignent de pleurs,
Je suis pauvre et débile, et la fièvre m'enchaîne
Sur cette couche de douleurs.

Les amis qui naguère égayaient ma jeunesse,
Ont déjà de mon chaume oublié le chemin.
Hélas! le monde fuit au jour de la détresse
Et ne vient plus le lendemain.

Par pitié, mon enfant, n'appelle point ton père!
Ton père, s'il vivait, protégerait tes jours;
Mais son âme est au ciel et son corps sous la pierre;
Il nous a quittés pour toujours!

Mon toit des vents du nord ne sait point te défendre;
Tu trembles sur mon sein qui ne peut te couvrir,
Si jeune encor, mon fils, te faut-il donc apprendre
Qu'ici-bas l'homme doit souffrir?

Que dis-je! Ah! loin de moi, loin d'indignes murmures!
Dieu n'exauce-t-il pas le cri des opprimés?
N'est-il pas avec nous pour guérir nos blessures,
Celui qui nous a tant aimés?

Viens, mon enfant, près de ta mère,
Élevons nos mains vers le ciel;
Prions que dans ta coupe amère
Le Seigneur verse un peu de miel!

Oui, tu seras toujours son guide et sa défense;
Mon fils peut regarder l'avenir sans effroi:
Il a deux titres saints, le malheur et l'enfance,
Grand Dieu, pour espérer en toi!

Oui, comme tu répands une fraîche rosée
Sur la fleur qui s'incline aux feux brûlants du jour,
Tu répandras, Seigneur, sur son âme brisée,
Les eaux vives de ton amour.

Mais n'attends plus! Déjà pâlissante et flétrie,
Sa tête s'est penchée au souffle des revers.
Oh! viens, il en est temps, l'orphelin qui te prie
N'a que toi seul dans l'univers.

Rends-lui, Dieu juste et bon, les plaisirs du jeune âge,
Rends-lui le doux espoir d'un heureux avenir;
Et, parmi les écueils de son pèlerinage,
Veille sur lui pour le bénir!

Viens, mon enfant, près de ta mère,
Élevons nos mains vers le ciel;
Prions que dans ta coupe amère
Le Seigneur verse un peu de miel!

Ainsi parlait la veuve et son regard humide
Sollicitait encor la céleste bonté.
Quand déjà sous les traits d'une vierge timide
Accourait l'humble Charité.

Elle connaît l'asile où gémit la souffrance;
Au foyer qu'on oublie elle sème des fleurs;
Et près d'elle s'assied la riante Espérance,
Heureuse d'essuyer des pleurs.

«Ne crains plus,» lui disait l'humble fille chrétienne,
«Dieu ne veut pas briser le fragile roseau.
«Il envoie une sœur, pour que sa main soutienne
«Une moitié de ton fardeau.»

Et la veuve, attendrie à ces douces paroles,
Montrait du doigt son fils qui priait à genoux;
Puis elle dit: «C'est toi, mon Dieu, qui nous consoles,
«Ton ange descend parmi nous!»

Viens, mon enfant, près de ta mère,
Bénissons le Maître du ciel;
N'a-t-il pas, dans ta coupe amère,
Daigné répandre un peu de miel?

G. DE FÉLICE.

LE DÉPART DU PETIT SAVOYARD

Pauvre petit, pars pour la France;
Que te sert mon amour? je ne possède rien;
On vit heureux ailleurs, ici dans la souffrance:
Pars, mon enfant; c'est pour ton bien.

Tant que mon lait put te suffire,
Tant qu'un travail utile à mes bras fut permis,
Heureuse et délassée en te voyant sourire,
Jamais on n'eût osé me dire:
Renonce aux baisers de ton fils.

Mais je suis veuve, on perd la force avec la joie.
Triste et malade, où recourir ici,
Où mendier pour toi? Chez des pauvres aussi.
Laisse ta pauvre mère, enfant de la Savoie;
Va, mon enfant, où Dieu t'envoie.

Vois-tu ce grand chêne là-bas?
Je pourrai jusque-là t'accompagner, j'espère;
Quatre ans déjà passés, j'y conduisis ton père;
Mais lui, mon fils, ne revint pas.

Encor s'il était là pour guider ton enfance,
Il m'en coûterait moins de t'éloigner de moi;
Mais tu n'as pas dix ans, et tu pars sans défense.
Que je vais prier Dieu pour toi!

Que feras-tu, mon fils, si Dieu ne te seconde,
Seul, parmi les méchants (car il en est au monde),
Sans ta mère, du moins, pour t'apprendre à souffrir?..
Oh! que n'ai-je du pain, mon fils pour te nourrir!

Mais Dieu le veut ainsi; nous devons nous soumettre.
Ne pleure pas en me quittant;
Porte au seuil des palais un visage content.
Parfois mon souvenir t'affligera peut-être...
Pour distraire le riche, il faut chanter pourtant!

Chante, tant que la vie est pour toi moins amère;
Enfant, prends ta marmotte et ton léger trousseau,
Répète, en cheminant, les chansons de ta mère,
Quand ta mère chantait autour de ton berceau.

Si ma force première encor m'était donnée,
J'irais te conduisant moi-même par la main!
Mais je n'atteindrais pas la troisième journée;
Il faudrait me laisser bientôt sur ton chemin;
Et moi je veux mourir aux lieux où je suis née.

Maintenant de ta mère entends le dernier vœu:
Souviens-toi, si tu veux que Dieu ne t'abandonne,
Que le seul bien du pauvre est le peu qu'on lui donne;
Prie et demande au riche, il donne au nom de Dieu;
Ton père le disait: sois plus heureux, adieu.

Mais le soleil tombait des montagnes prochaines;
Et la mère avait dit: Il faut nous séparer;
Et l'enfant s'en allait à travers les grands chênes,
Se tournant quelquefois et n'osant pas pleurer.

A. GUIRAUD.

LE PETIT SAVOYARD A PARIS

J'ai faim: vous qui passez, daignez me secourir.
Voyez, la neige tombe et la terre est glacée;
J'ai froid: le vent se lève et l'heure est avancée...
Et je n'ai rien pour me couvrir.

Tandis qu'en vos palais tout flatte votre envie,
A genoux sur le seuil, j'y pleure bien souvent;
Donnez, peu me suffit, je ne suis qu'un enfant,
Un petit sou me rend la vie.

On m'a dit qu'à Paris je trouverais du pain:
Plusieurs ont raconté dans nos forêts lointaines,
Qu'ici le riche aidait le pauvre dans ses peines:
Eh bien! moi je suis pauvre, et je vous tends la main.

Faites-moi gagner mon salaire:
Où me faut-il courir? dites, j'y volerai;
Ma voix tremble de froid: eh bien! je chanterai,
Si mes chansons peuvent vous plaire.

Il ne m'écoute pas, il fuit,
Il court dans une fête (et j'en entends le bruit)
Finir son heureuse journée!
Et moi je vais chercher, pour y passer la nuit,
Cette guérite abandonnée.

Au foyer paternel quand pourrai-je m'asseoir?
Rendez-moi ma pauvre chaumière,
Le laitage durci qu'on partageait le soir,
Et, quand la nuit tombait, l'heure de la prière,
Qui ne s'achevait pas sans laisser quelque espoir.

Ma mère, tu m'as dit, quand j'ai fui ta demeure:
Pars, grandis et prospère, et reviens près de moi.
Hélas! et tout petit faudra-t-il que je meure,
Sans avoir rien gagné pour toi?...

Non, l'on ne meurt pas à mon âge;
Quelque chose me dit de reprendre courage...
Eh! que sert d'espérer? Que puis-je attendre enfin?...
J'avais une marmotte, elle est morte de faim.

Et, faible, sur la terre il reposait sa tête;
Et la neige, en tombant, le couvrait à demi;
Lorsqu'une douce voix, à travers la tempête,
Vint réveiller l'enfant par le froid endormi.

«Qu'il vienne à nous, celui qui pleure,»
Disait la voix mêlée au murmure des vents;
«L'heure du péril est notre heure;
«Les orphelins sont nos enfants.»

Et deux femmes en deuil recueillaient sa misère;
Lui, docile et confus, se levait à leur voix.
Il s'étonnait d'abord! mais il vit à leurs doigts
Briller la croix d'argent, au bout du long rosaire;
Et l'enfant les suivit en se signant deux fois.

A. GUIRAUD.

LE RETOUR DU PETIT SAVOYARD

Avec leurs grands sommets, leurs glaces éternelles,
Par un soleil d'été, que les Alpes sont belles!
Tout, dans leurs frais vallons, sert à nous enchanter,
La verdure, les eaux, les bois, les fleurs nouvelles.
Heureux qui sur ces bords peut longtemps s'arrêter!
Heureux qui les revoit, s'il a pu les quitter!

Quel est ce voyageur que l'été leur renvoie,
Seul, loin de la vallée, un bâton à la main?
C'est un enfant... il marche, il suit le long chemin
Qui va de France à la Savoie.

Bientôt de la colline il prend l'étroit sentier;
Il a mis ce matin la bure du dimanche;
Et dans un sac de toile blanche
Est un pain de froment qu'il garde tout entier.

Pourquoi tant se hâter à sa course dernière?
C'est que le pauvre enfant veut gravir le coteau
Et ne point s'arrêter qu'il n'ait vu son hameau,
Et n'ait reconnu sa chaumière.

Les voilà... tels encor qu'il les a vus toujours,
Ces grands bois, ce ruisseau qui fuit sous le feuillage;
Il ne se souvient plus qu'il a marché dix jours,
Il est si près de son village!

Tout joyeux il arrive, il regarde... mais quoi?
Personne ne l'attend! Sa chaumière est fermée!
Pourtant du toit aigu sort un peu de fumée;
Et l'enfant plein de trouble: Ouvrez, dit il, c'est moi...

La porte cède, il entre, et sa mère attendrie,
Sa mère qu'un long mal près du foyer retient,
Se relève à moitié, tend les bras et s'écrie:
N'est-ce pas mon fils qui revient?

Son fils est dans ses bras, qui pleure et qui l'appelle.
—Je suis infirme, hélas! Dieu m'afflige, dit-elle,
Et depuis quelques jours je te l'ai fait savoir;
Car je ne voulais pas mourir sans te revoir.

Mais lui: De votre enfant vous étiez éloignée;
Le voilà qui revient, ayez des jours contents;
Vivez, je suis grandi, vous serez bien soignée,
Nous sommes riches pour longtemps.

Et les mains de l'enfant, des siennes détachées,
Jetaient sur ses genoux tout ce qu'il possédait,
Les trois pièces d'argent dans sa veste cachées,
Et le pain de froment que pour elle il gardait.

Sa mère l'embrassait et respirait à peine,
Et son œil se fixait, de larmes obscurci,
Sur un grand crucifix de chêne,
Suspendu devant elle et par le temps noirci.

«C'est lui, je le savais, le Dieu des pauvres mères
«Et des petits enfants, qui du mien a pris soin;
«Lui qui me consolait quand mes plaintes amères
«Appelaient mon fils de si loin.

«C'est le Christ du foyer que les mères implorent,
«Qui sauve nos enfants du froid et de la faim,
«Nous gardons nos agneaux, et les loups les dévorent,
«Nos fils s'en vont tout seuls... et reviennent enfin.

«Toi, mon fils, maintenant me seras-tu fidèle?
«Ta pauvre mère infirme a besoin de secours;
«Elle mourrait, sans toi.»—L'enfant à ce discours
Grave et joignant les mains, tombe à genoux près d'elle
Disant: «Que le bon Dieu vous fasse de longs jours!»

A. GUIRAUD.

L'ÉCOLIER

Un tout petit enfant s'en allait à l'école.
On avait dit: Allez! Il tâchait d'obéir;
Mais son livre était lourd; il ne pouvait courir;
Il pleure et suit des yeux une abeille qui vole.
«—Abeille! lui dit-il, voulez-vous me parler?
«Moi, je vais à l'école, il faut apprendre à lire.
«Mais le maître est tout noir et je n'ose pas rire.
«Voulez-vous rire, abeille, et m'apprendre à voler?»
«Non, dit-elle, j'arrive, et je suis très pressée.
«J'avais froid, l'aquilon m'a longtemps oppressée,
«Enfin j'ai vu des fleurs; je redescends du ciel,
«Et je vais commencer mon doux rayon de miel.
«Voyez! j'en ai déjà puisé dans quatre roses;
«Avant une heure encor nous en aurons d'écloses.
«Vite, vite, à la ruche. On ne rit pas toujours:
«C'est pour faire le miel qu'on nous rend les beaux jours.»
Elle fuit, et se perd sur la route embaumée.
Le frais lilas sortait d'un vieux mur entr'ouvert:
Il saluait l'aurore, et l'aurore charmée
Se montrait sans nuage et riait de l'hiver.
Une hirondelle passe; elle offense la joue
Du petit nonchalant qui s'attriste et qui joue,
Et dans l'air suspendue, en redoublant sa voix,
Fait tressaillir l'écho qui dort au fond des bois.
«—Oh! bonjour, dit l'enfant qui se souvenait d'elle.
«Je t'ai vue à l'automne; oh! bonjour, hirondelle!
«Viens; tu portais bonheur à ma maison, et moi
«Je voudrais du bonheur: veux-tu m'en donner, toi?
«Jouons!»—Je le voudrais, répond la voyageuse;
«Mais j'ai beaucoup d'amis qui doutent du printemps;
«Ils rêveraient ma mort, si je tardais longtemps.
«Oh! je ne puis jouer. Pour finir leur souffrance,
«J'emporte un brin de mousse, en signe d'espérance.
«Nous allons relever nos palais dégarnis:
«L'herbe croît, c'est l'instant des amours et des nids,
«J'ai tout vu. Maintenant, fidèle messagère,
«Je vais chercher mes sœurs là-bas sur le chemin.
«Ainsi que nous, enfant, la vie est passagère,
«Il en faut profiter. Je me sauve: à demain.»
L'enfant reste muet, et, la tête baissée,
Rêve, et compte ses pas pour tromper son ennui,
Quand le livre importun, dont sa main est lassée,
Rompt ses fragiles nœuds, et tombe auprès de lui.
Un dogue l'observait du seuil de sa demeure.
Stentor, gardien sévère et prudent à la fois,
De peur de l'effrayer retient sa grosse voix.
Hélas! peut-on crier contre un enfant qui pleure?
«—Bon dogue, voulez vous que je m'approche un peu?
«Dit l'écolier plaintif; je n'aime pas mon livre.
«Voyez! ma main est rouge: il en est cause. Au jeu
«Rien ne fatigue, on rit, et moi je voudrais vivre
«Sans aller à l'école, où l'on tremble toujours.
«Je m'en plains tous les soirs et j'y vais tous les jours,
«J'en suis très mécontent; je n'aime aucune affaire;
«Le sort d'un chien me plaît, car il n'a rien à faire.»
«—Écolier, voyez-vous ce laboureur aux champs?
«Eh bien! ce laboureur, dit Stentor, c'est mon maître:
«Il est très vigilant, je le suis plus, peut-être:
«Il dort la nuit, et moi j'écarte les méchants;
«J'éveille aussi ce bœuf, qui d'un pied lent, mais ferme,
«Va creuser les sillons quand je garde la ferme.
«Pour vous-même on travaille, et grâce à nos brebis,
«Votre mère en chantant vous file des habits.
«Par le travail tout plaît, tout s'unit, tout s'arrange.
«Allez donc à l'école, allez, mon petit ange.
«Les chiens ne lisent pas, mais la chaîne est pour eux:
«L'ignorance toujours mène à la servitude;
«L'homme est fin...
L'homme est sage: il nous défend l'étude.
«Enfant, vous serez homme, et vous serez heureux.
«Les chiens vous serviront.» L'enfant l'écouta dire,
Et même il le baisa. Son livre était moins lourd.
En quittant le bon dogue, il pense, il marche, il court;
L'espoir d'être homme un jour lui ramène un sourire.
A l'école, un peu tard, il arrive gaiement,
Et dans le mois des fruits il lisait couramment.

Mme DESBORDES-VALMORE.

LES DIX FRANCS D'ALFRED

Alfred était, je pense,
Un enfant tel que vous ayant huit à neuf ans.
Bien, bien riche, il avait dans sa bourse dix francs,
Dix francs beaux et tout neufs! C'était la récompense
Donnée à sa sagesse, à ses petits travaux,
Ce qui rendait encor ces dix francs-là plus beaux.
Mais l'idée arriva d'en chercher la dépense,
Car c'eût été vilain de les garder toujours.
L'argent qui ne sert pas est sans valeur aucune,
Le point est de savoir lui donner un bon cours.
On avait fait Alfred maître de sa fortune;
Tantôt il la voyait en beau cheval de bois...
Tantôt c'était un livre... Un livre... Alors sa mère
Souriait de plaisir sans l'aider toutefois,
Lui laissant tout l'honneur de ce qu'il allait faire.
Sur un livre son choix à la fin se fixa.
Charmant enfant! combien sa mère l'embrassa!
C'était un jour d'hiver quand la neige et le givre
Des arbres effeuillés blanchissent les rameaux,
Quand vous, heureux enfants, dans de larges manteaux,
Dans de bons gants fourrés, du froid on vous délivre.
Alfred courait joyeux pour acheter son livre.
Mais voici tout à coup qu'il s'arrête surpris...
Deux enfants étaient là, tels hélas! qu'à Paris
Si souvent on en voit sur les ponts de la Seine.
Dans les bras l'un de l'autre ils étaient enlacés.
L'un, de son petit frère, avec sa froide haleine,
Cherchait à réchauffer les pauvres doigts glacés.
Ils grelottaient bien fort, car leurs habits percés
Presque à nu les laissaient étendus sur la pierre.
Tournant vers les passants un regard de prière,
Ensemble ils répétaient:
J'ai grand froid, j'ai grand faim.
Mais les riches passaient sans leur donner du pain;
Et leurs yeux se gonflaient, et puis de grosses larmes
Roulaient dans leur paupière et sillonnaient leur sein.
Certes, vous eussiez pris pitié de leurs alarmes.
Or, vers le petit pauvre Alfred porta ses pas,
Voilà des maux cuisants que vous ne saviez pas.
«Pourquoi, dit-il, tous deux restez-vous dans la neige?
Vous n'avez donc pas, vous, de maman comme moi
Qui vous donne du pain, du feu; qui vous protège?
—Oh! nous en avons une aussi, monsieur.—Pourquoi
Vous laisse-t-elle ainsi sans elle ou votre bonne,
Les pieds nus sur la terre? Elle n'est donc pas bonne,
Votre maman à vous?—Si fait, elle avait faim,
Elle nous a donné ce qu'elle avait de pain.
Et voilà deux grands jours, hélas! qu'elle est couchée.
Comme il ne restait plus chez nous une bouchée,
Elle nous embrassa, disant: Pauvres petits,
Allez et mendiez! et nous sommes sortis:
Et nous sommes venus nous coucher sur la pierre;
Et personne, ô mon Dieu, n'entend notre prière;
Et voilà que bientôt mon frère va mourir,
Car le froid, car la faim nous ont tant fait souffrir!
—Vous n'avez donc pas, vous, reprit Alfred, un père
Qui donne tous les jours de l'or à votre mère?»
Le pauvre enfant se prit à sangloter plus fort.
«Hélas! répondit-il, notre père... il est mort...
«Il est mort et c'est lui qui nous faisait tous vivre!»
Alfred, pleurant aussi, ne songea plus au livre,
Et dans la main du pauvre il glissa ses dix francs.
Sa mère le saisit dans ses bras triomphants
Et lui dit: «Mon Alfred, un livre pour apprendre,
C'était déjà bien beau; mais tu m'as fait comprendre,
Mon fils, que mieux encore est de donner du pain
A ceux qui vont mourir et de froid et de faim.»
Et moi, je dis: «Heureux est l'enfant charitable
Qui donne à l'indigent le peu qu'il reçoit d'or,
Et qui, des miettes de la table,
S'il ne peut rien de plus, sait faire aumône encor.»

A. GUÉRIN.

LA VACHE PERDUE

Ah! ah!... de la montagne
Reviens, Néra, reviens!
Réponds-moi, ma compagne,
Ma vache, mon seul bien!
La voix d'un si bon maître,
Néra,
Peux-tu la méconnaître?
Ah! Ah!
Néra!

Reviens, reviens! c'est l'heure
Où le loup sort des bois.
Ma chienne qui te pleure,
Répond seule à ma voix.
Hors l'ami qui t'appelle,
Néra,
Qui t'aimera comme elle?
Ah! Ah!
Néra!

Dis-moi si dans la crèche,
Où tu léchais ma main,
Tu manquas d'herbe fraîche,
Quand je manquais de pain?
Nous n'en avions qu'à peine,
Néra,
Et ta crèche était pleine,
Ah! Ah!
Néra?

Hélas! c'est bien sans cause
Que tu m'as délaissé.
T'ai-je dit quelque chose,
Hors un mot, l'an passé!
Oui, quand mourut ma femme,
Néra!
J'avais la mort dans l'âme.
Ah! Ah!
Néra!

De ta mamelle avide,
Mon pauvre enfant criera;
S'il voit l'étable vide,
Qui le consolera?
Toi, sa chère nourrice,
Néra,
Veux-tu donc qu'il périsse?
Ah! Ah!
Néra!

Quand les miens en famille
Tiraient les rois entre eux,
Je te disais: «Ma fille,
Ma part est à nous deux.»
A la fève prochaine,
Néra,
Tu ne seras pas reine.
Ah! Ah!
Néra!

Ingrate, quand la fièvre
Glaçait mes doigts raidis,
Otant mon poil de chèvre,
Sur vous je l'étendis.
Faut-il que le froid vienne,
Néra,
Pour qu'il vous en souvienne?
Ah! Ah!
Néra!

Adieu, sous mon vieux hêtre
Je m'en reviens sans vous.
Allez chercher pour maître
Un plus riche que nous!
Allez, mon cœur se brise,
Néra!...
Pourtant, Dieu te conduise!
Ah! Ah!
Néra!

Je n'ai pas le courage
De te vouloir du mal:
Sur nos monts crains l'orage!
Crains l'ombre dans le val!
Pais longtemps l'herbe verte,
Néra!
Nous mourrons de ta perte,
Ah! Ah!
Néra!

Un soir, à ma fenêtre,
Néra, pour t'abriter,
De la corne peut-être
Tu reviendras heurter.
Si la famille est morte,
Néra,
Qui t'ouvrira la porte?
Ah! Ah!
Néra!

CASIMIR DELAVIGNE.

ATHALIE INTERROGEANT JOAS

ATHALIE (à part).

O ciel! plus j'examine, et plus je le regarde...
C'est lui! D'horreur encor tous mes sens sont saisis.

(A Josabet en lui montrant Joas).

Épouse de Joad, est-ce là votre fils?

JOSABET.

Qui? lui, madame?

ATHALIE.

Lui.

JOSABET.

Je ne suis point sa mère.

(Montrant Zacharie.)

Voilà mon fils.

ATHALIE à Joas.

Et vous, quel est donc votre père?
Jeune enfant, répondez.

JOSABET.

Le ciel jusqu'aujourd'hui...

ATHALIE à Josabet.

Pourquoi vous pressez-vous de répondre pour lui!
C'est à lui de parler.

JOSABET.

Dans un âge si tendre,
Quel éclaircissement en pouvez-vous attendre?

ATHALIE.

Cet âge est innocent; son ingénuité
N'altère point encor la simple vérité:
Laissez-le s'expliquer sur tout ce qui le touche.

JOSABET (à part).

Daigne mettre, grand Dieu! ta sagesse en sa bouche.

ATHALIE.

Comment vous nommez-vous?

JOAS.

J'ai nom Éliacin.

ATHALIE.

Votre père?

JOAS.

Je suis, dit-on, un orphelin,
Entre les bras de Dieu jeté dès ma naissance,
Et qui de mes parents n'eus jamais connaissance.

ATHALIE.

Vous êtes sans parents?

JOAS.

Ils m'ont abandonné.

ATHALIE.

Comment et depuis quand?

JOAS.

Depuis que je suis né.

ATHALIE.

Ne sait-on pas au moins quel pays est le vôtre?

JOAS.

Ce temple est mon pays, je n'en connais point d'autre.

ATHALIE.

Où dit-on que le sort vous a fait rencontrer?

JOAS.

Parmi des loups cruels prêts à me dévorer.

ATHALIE.

Qui vous mit dans ce temple?

JOAS.

Une femme inconnue,
Qui ne dit point son nom, et qu'on n'a point revue.

ATHALIE.

Mais de vos premiers ans quelles mains ont pris soin?

JOAS.

Dieu laissa-t-il jamais ses enfants au besoin?
Aux petits des oiseaux il donne leur pâture,
Et sa bonté s'étend sur toute la nature.
Tous les jours je l'invoque, et d'un soin paternel
Il me nourrit des dons offerts sur son autel.

ATHALIE (à part).

Quel prodige nouveau me trouble et m'embarrasse!
La douceur de sa voix, son enfance, sa grâce,
Font insensiblement à mon inimitié
Succéder... Je serais sensible à la pitié!

(A Joas.)

..... Quel est tous les jours votre emploi?

JOAS.

J'adore le Seigneur; on m'explique sa loi;
Dans son livre divin on m'apprend à la lire,
Et déjà de ma main je commence à l'écrire.

ATHALIE.

Que vous dit cette loi?

JOAS.

Que Dieu veut être aimé.
Qu'il venge tôt ou tard son saint nom blasphémé;
Qu'il est le défenseur de l'orphelin timide;
Qu'il résiste au superbe et punit l'homicide.

ATHALIE.

J'entends. Mais tout ce peuple enfermé dans ce lieu,
A quoi s'occupe-t-il?

JOAS.

Il loue et bénit Dieu.

ATHALIE.

Dieu veut-il qu'à toute heure on prie, on le contemple?

JOAS.

Tout profane exercice est banni de son temple.

ATHALIE.

Quels sont donc vos plaisirs?

JOAS.

Quelquefois à l'autel,
Je présente au grand-prêtre ou l'encens ou le sel;
J'entends chanter de Dieu les grandeurs infinies;
Je vois l'ordre pompeux de ses cérémonies.

ATHALIE.

Hé quoi! vous n'avez pas de passe-temps plus doux?
Je plains le triste sort d'un enfant tel que vous.
Venez dans mon palais, vous y verrez ma gloire.

JOAS.

Moi! des bienfaits de Dieu je perdrais la mémoire!

ATHALIE.

Non, je ne vous veux pas contraindre à l'oublier.

JOAS.

Vous ne le priez point.

ATHALIE.

Vous pourrez le prier.

JOAS.

Je verrais cependant en invoquer un autre.

ATHALIE.

J'ai mon Dieu que je sers: vous servirez le vôtre:
Ce sont deux puissants dieux.

JOAS.

Il faut craindre le mien:
Lui seul est Dieu, madame, et le vôtre n'est rien.

ATHALIE.

Les plaisirs près de moi vous chercheront en foule.

JOAS.

Le bonheur des méchants comme un torrent s'écoule.

ATHALIE.

Ces méchants, qui sont-ils?

JOSABET.

Hé, madame! excusez
Un enfant...

ATHALIE (à Josabet).

J'aime à voir comme vous l'instruisez.

(A Joas.)

Enfin, Éliacin, vous avez su me plaire;
Vous n'êtes point sans doute un enfant ordinaire.
Vous voyez, je suis reine, et n'ai point d'héritier;
Laissez là cet habit, quittez ce vil métier:
Je veux vous faire part de toutes mes richesses.
Essayez dès ce jour l'effet de mes promesses;
A ma table, partout, à mes côtés assis,
Je prétends vous traiter comme mon propre fils.

JOAS.

Comme votre fils!

ATHALIE.

Oui.. Vous vous taisez?

JOAS.

Quel père
Je quitterais! et pour...

ATHALIE.

Hé bien?

JOAS.

Pour quelle mère!

(Athalie, acte II, scène VII.)

RACINE.

BONHEUR DE L'ENFANT PIEUX

Oh! bienheureux mille fois
L'enfant que le Seigneur aime,
Qui de bonne heure entend sa voix,
Et que ce Dieu daigne instruire lui-même!
Loin du monde élevé, de tous les dons des cieux
Il est orné dès son enfance,
Et du méchant l'abord contagieux
N'altère point son innocence.
Tel en un secret vallon,
Sur le bord d'une onde pure,
Croît à l'abri de l'aquilon
Un jeune lis, l'amour de la nature,
Heureux, heureux mille fois
L'enfant que le Seigneur rend docile à ses lois!

J. RACINE.

L'ENFANT ET LA FAUVETTE

Si j'étais toi, ma fauvette,
Toi qui becquettes le pain
Que pour toi répand ma main
Aux abords de ma chambrette;
Si j'étais toi, je prendrais
Mon vol bien loin de la terre:
Adieu! dirais-je à ma mère;
Et j'irais, je monterais
Bien haut, par-dessus les nues;
Je franchirais ces sommets
Où l'homme n'atteint jamais,
Par des routes inconnues
J'irais au fond du ciel bleu,
Plus haut qu'où l'astre étincelle;
Je n'arrêterais mon aile
Qu'après avoir trouvé Dieu.
Mon ami, dit la fauvette,
Pour cela point n'est besoin
D'aller si haut ni si loin:
Cherche Dieu dans ta chambrette!

L. TOURNIER.

L'HIRONDELLE

«Où va ce petit oiseau
Quand il quitte le hameau?
Disait un fils à sa mère.
«Va-t-il en terre étrangère,
Chercher un toit plus béni
Pour y suspendre son nid?
Pourquoi, dans cette saison,
Quitte-t-il notre maison?
—«Mon enfant, reprit la mère,
Regarde vers ces grands bois;
Les feuilles jonchent la terre;
Les oiseaux n'ont plus de voix.
Dans l'air plus de doux murmure,
Plus de chants mélodieux:
C'est le deuil de la nature:
Vois, tout est mort sous les cieux!
Voilà pourquoi l'hirondelle,
Quand tout meurt autour de nous,
Au loin fuit à tire-d'aile,
Pour chercher des cieux plus doux.»
De notre vie, enfant, l'hirondelle est l'image:
Nous sommes ici-bas des oiseaux de passage,
Et quand le long sommeil vient nous fermer les yeux,
Nous prenons notre essor vers le séjour des cieux.

P.-T. GONTARD.

ÉLÉGIE

SUR UNE JEUNE FILLE TOMBÉE A LA MER

Pleurez, doux alcyons! ô vous, oiseaux sacrés,
Oiseaux chers à Thétis; doux alcyons, pleurez!
Elle a vécu, Myrto, la jeune Tarentine!
Un vaisseau la portait aux bords de Camarine:
Là, l'hymen, les chansons, les flûtes, lentement
Devaient la reconduire au seuil de son amant.
Une clef vigilante a, pour cette journée,
Sous le cèdre enfermé sa robe d'hyménée,
Et l'or dont au festin ses bras seront parés,
Et pour ses blonds cheveux, les parfums préparés.
Mais seule sur la proue invoquant les étoiles,
Le vent impétueux qui soufflait dans ses voiles
L'enveloppe: étonnée et loin des matelots,
Elle tombe, elle crie, elle est au sein des flots...

Elle est au sein des flots, la jeune Tarentine!
Son beau corps a roulé sous la vague marine.
Thétis, les yeux en pleurs, dans le creux d'un rocher,
Aux monstres dévorants eut soin de le cacher.
Par son ordre bientôt les belles Néréides
S'élèvent au-dessus des demeures humides,
Le poussent au rivage, et dans ce monument
L'ont au cap du Zéphyr déposé mollement;
Et de loin à grands cris appelant leurs compagnes,
Et les Nymphes des bois, des sources, des montagnes,
Toutes, frappant leur sein et traînant un long deuil,
Répétèrent, hélas! autour de son cercueil:
Hélas! chez ton amant tu n'es point ramenée,
Tu n'as point revêtu ta robe d'hyménée.
L'or autour de ton bras n'a point serré de nœuds,
Et le bandeau d'hymen n'orna point tes cheveux.

ANDRÉ CHÉNIER.

LE PETIT ENFANT

Pour le bon Dieu que puis-je faire?
Je suis si petit, si petit!
Voici ce que mon cœur me dit:
J'aimerai bien ma bonne mère;
Je puis l'aimer quoique petit!

Pour Dieu, que puis-je faire encore?
Puisque c'est Dieu qui nous bénit,
Je prierai bien, près de mon lit,
Ce bon Dieu que ma mère adore.
On peut prier, quoique petit!

Et puis-je faire davantage?
A l'école où l'on me conduit,
Attentif à tout ce qu'on dit,
Je m'efforcerai d'être sage:
On peut l'être, quoique petit!

Et quoi d'autre enfin?... Si ma mère
Me réprimande ou m'avertit,
J'y veillerai quoique petit,
Pour corriger mon caractère:
C'est comme cela qu'on grandit!

L. TOURNIER.

LE PETIT ESPIÈGLE

Au loup! au loup! à moi! criait un jeune pâtre,
Et les bergers entre eux suspendaient leurs discours,
Trompés par les clameurs du rustique folâtre;
Tout venait, jusqu'au chien, tout volait au secours.
Ayant de tant de cœurs éveillé le courage,
Tirant l'un du sommeil et l'autre de l'ouvrage,
Il se mettait à rire, il se croyait bien fin.
Je suis loup, disait-il; mais attendez la fin.
Un jour que les bergers, au fond de la vallée,
Appelant la gaieté sur leurs aigres pipeaux,
Confondaient leurs repas, leurs chansons, leurs troupeaux
Et de leurs pieds joyeux pressaient l'herbe foulée:
«Au loup! au loup! à moi!» dit le jeune garçon,
«Au loup!» répéta-t-il d'une voix lamentable:

Pas un n'abandonna la danse ni la table.
«Il est loup,» dirent-ils, «à d'autres la leçon.»
Et toutefois le loup dévorait la plus belle
De ses belles brebis;
Et pour punir l'enfant qu'il traitait de rebelle,
Il lui montrait les dents, déchirait ses habits:
Et le pauvre menteur, élevant ses prières,
N'attristait que l'écho: ses cris n'amenaient rien,
Tout riait, tout dansait au loin sur les bruyères.
«Eh quoi! pas un ami,» dit-il, «pas même un chien!»
On ajoute (et vraiment c'est pitié de le croire)
Qu'il serrait la brebis dans ses deux bras tremblants;
Et quand il vint en pleurs raconter son histoire,
On vit que ses deux bras étaient nus et sanglants.
«Il ne ment pas, dit-on; il tremble! il saigne! il pleure.
«Quoi! c'est donc vrai, Colas!» il s'appelait Colas,
«Nous avons bien ri tout à l'heure,
«Et la brebis est morte, elle est mangée... hélas!»
On le plaignit. Un rustre insensible à ses larmes
Lui dit: «Tu fus menteur, tu trompas notre effroi;
«Or, s'il m'avait trompé, le menteur fut-il roi,
«Me crierait vainement: Aux armes!»

Mme DESBORDES-VALMORE.

L'ENFANT AVEUGLE

Quel est donc, dites-moi, ce qu'on nomme lumière,
Dont je ne peux jamais espérer de jouir?
A votre pauvre enfant, dites, dites, ma mère,
La vue est-ce bien doux? quel en est le plaisir?

Tout ce que vous voyez n'est pour moi que mystère;
Ce soleil si brillant, il éclaire vos pas;
Je sens bien sa chaleur, mais comment il éclaire,
Quels sont le jour, la nuit, je ne le comprends pas.

Je m'amuse le jour et la nuit je sommeille;
Si je ne dormais pas, sans cesse il serait jour.
Oh? dites, du soleil est-ce là la merveille?
Fait-il ainsi le jour et la nuit tour à tour?

Je vous entends gémir, vous plaignez mon jeune âge:
Ménagez des soupirs et des pleurs superflus;
Si la vue est un bien j'en ignore l'usage:
On ne peut regretter que le bien qu'on n'a plus.

Le ciel à ce que j'ai borne ma jouissance;
Ne me dérobez pas ce qu'il a mis en moi:
Je suis un pauvre enfant aveugle de naissance;
Mais, avec ma gaieté, je chante, je suis roi.

J.-F. CHATELAIN.

L'ENFANT DU SOLDAT

Je n'ai plus d'appui sur la terre,
Je suis errant, abandonné:
Mon seul espoir était mon père,
Et les combats l'ont moissonné!
Mais avec orgueil je m'écrie:
Il tomba fidèle et vaillant!
Ah! secourez le pauvre enfant
Du soldat mort pour sa patrie!

Au malheur son destin me livre
Et j'implore en vain la pitié;
Quand le brave a cessé de vivre,
Serait-il si tôt oublié?
Songez, vous que ma voix supplie,
Qu'il mourut en vous défendant;
Ah! secourez le pauvre enfant
Du soldat mort pour sa patrie!

Voilà cette étoile éclatante
Que je vis briller sur son sein:
Faudra-t-il d'une main tremblante
La vendre pour avoir du pain?
Garde qu'elle ne soit flétrie!
Me disait-il en expirant...
Ah! secourez le pauvre enfant
Du soldat mort pour sa patrie!

Déjà mon jeune cœur tressaille,
Quand je vois flotter nos drapeaux;
Au seul récit d'une bataille
Je me sens le fils d'un héros:
Je l'espère, ô France chérie!
Un jour je t'offrirai mon sang...
Ah! secourez le pauvre enfant
Du soldat mort pour sa patrie!

CONSOLATION

Composé en 1669.A M. du Perrier.

Ta douleur, du Perrier, sera donc éternelle?
Et les tristes discours
Que te met en l'esprit l'amitié paternelle
L'augmenteront toujours?

Le malheur de ta fille au tombeau descendue
Par un commun trépas,
Est-ce quelque dédale où ta raison perdue
Ne se retrouve pas?

Je sais de quels appas son enfance était pleine,
Et n'ai pas entrepris,
Injurieux ami, de soulager ta peine
Avecque son mépris.

Mais elle était du monde, où les plus belles choses
Ont le pire destin;
Et rose elle a vécu ce que vivent les roses,
L'espace d'un matin.

Puis quand ainsi serait que, selon ta prière,
Elle aurait obtenu
D'avoir en cheveux blancs terminé sa carrière,
Qu'en fût-il advenu?

Penses-tu que plus vieille en sa maison céleste
Elle eût eu plus d'accueil,
Ou qu'elle eût moins senti la poussière funeste
Et les vers du cercueil?

La mort a des rigueurs à nulle autre pareilles:
On a beau la prier;
La cruelle qu'elle est se bouche les oreilles,
Et nous laisse crier.

Le pauvre en sa cabane où le chaume le couvre
Est sujet à ses lois;
Et la garde qui veille aux barrières du Louvre
N'en défend point les rois.

De murmurer contre elle et perdre patience
Il est mal à propos;
Vouloir ce que Dieu veut est la seule science
Qui nous met en repos.

MALHERBE.

L'ANGE ET L'ENFANT

Un ange au radieux visage,
Penché sur le bord d'un berceau,
Semblait contempler son image
Comme dans l'onde d'un ruisseau.

Charmant enfant qui me ressemble,
Oh! disait-il, viens avec moi;
Viens, nous serons heureux ensemble;
La terre est indigne de toi.

Là, jamais entière allégresse;
L'âme y souffre de ses plaisirs;
Les cris de joie ont leur tristesse,
Et les voluptés leurs soupirs.

La crainte est de toutes les fêtes;
Jamais un jour calme et serein
Du choc ténébreux des tempêtes
N'a garanti le lendemain.

Eh quoi! les chagrins, les alarmes,
Viendraient troubler ce front si pur,
Et par l'amertume des larmes
Se terniraient ces yeux d'azur!

Non, non, dans les champs de l'espace
Avec moi tu vas t'envoler:
La Providence te fait grâce
Des jours que tu devais couler.

Que personne dans ta demeure
N'obscurcisse ses vêtements;
Qu'on accueille ta dernière heure,
Ainsi que tes premiers moments.

Que les fronts y soient sans nuage,
Que rien n'y révèle un tombeau.
Quand on est pur comme à ton âge,
Le dernier jour est le plus beau.

Et secouant ses blanches ailes,
L'ange, à ces mots, prit son essor
Vers les demeures éternelles.
Pauvre mère!... ton fils est mort.

REBOUL.

LA FAUVETTE ET SES PETITS

Aux branches d'un tilleul une jeune fauvette
Avait de ses petits suspendu le berceau.
D'écoliers turbulents une troupe inquiète,
Cherchant quelque plaisir nouveau,
Aperçut en passant le nid de la pauvrette:
Le voir, être tenté, l'assaillir à l'instant,
Chez ce peuple enclin à mal faire
Ce fut l'ouvrage d'un moment.
Tous sans pitié lui déclarent la guerre,
Le pauvre nid vingt fois pensa faire le saut,
Il n'était si petit marmot
Qui ne fît de son mieux pour y lancer sa pierre.
L'alarme cependant était grande au logis,
La fauvette voyait l'instant où ses petits
Allaient périr ou subir l'esclavage.
Un esclavage, hélas! pire que le trépas.
Les gens qu'elle voyait là-bas
Étaient assurément quelque peuple sauvage
Qui ne les épargnerait pas.
Que faire en ce péril extrême?
Mais que ne fait-on pas pour sauver ce qu'on aime?
Elle vole au-devant des coups:
Pour sa famille elle se sacrifie,
Espérant que ces gens, dans leur affreux courroux,
Se contenteront de sa vie.
Aux yeux du peuple scélérat,
Elle va, vient, vole et revole,
S'élève tout à coup, et tout à coup s'abat,
Fait tant qu'enfin cette race frivole
Court après elle et laisse là le nid.
Elle amusa longtemps cette maudite engeance,
Les mena loin, fatigua leur constance,
Et pas un d'eux ne l'atteignit.
L'amour sauva le nid, le ciel sauva la mère,
A ses petits elle en devint plus chère.
Dieu sait la joie et tout ce qu'on lui dit,
A son retour, de touchant et de tendre!
Comme ils avaient passé tout ce temps sans rien prendre,
Elle apaisa leur faim, puis chacun s'endormit.

AUBERT.

ADIEUX A LA VIE

—1780—

J'ai révélé mon cœur au Dieu de l'innocence,
Il a vu mes pleurs pénitents;
Il guérit mes remords, il m'arme de constance;
Les malheureux sont ses enfants.

Mes ennemis, riant, ont dit dans leur colère:
Qu'il meure et sa gloire avec lui!
Mais à mon cœur calmé le Seigneur dit en père:
Leur haine sera ton appui.


A tes plus chers amis ils ont prêté leur rage;
Tout trompe la simplicité!
Celui que tu nourris court vendre ton image
Noire de sa méchanceté.

Mais Dieu t'entend gémir, Dieu vers qui te ramène
Un vrai remords né de douleurs;
Dieu qui pardonne enfin à la nature humaine
D'être faible dans les malheurs.

J'éveillerai pour toi la pitié, la justice
De l'incorruptible avenir;
Eux-mêmes épureront, par leur long artifice,
Ton honneur qu'ils pensent ternir.

Soyez béni, mon Dieu! vous qui daignez me rendre
La paix et l'espoir sans orgueil;
Vous qui, pour protéger le repos de ma cendre,
Veillerez près de mon cercueil!

Au banquet de la vie, infortuné convive,
J'apparus un jour et je meurs:
Je meurs, et sur ma tombe, où lentement j'arrive,
Nul ne viendra verser des pleurs.

Salut, champs que j'aimais, et vous, douce verdure,
Et vous, riant exil des bois!
Ciel, pavillon de l'homme, admirable nature,
Salut pour la dernière fois!

Ah! puissent voir longtemps votre beauté sacrée
Tant d'amis sourds à mes adieux!
Qu'ils meurent pleins de jours, que leur mort soit pleurée!
Qu'un ami leur ferme les yeux!

GILBERT.

LES TROIS JOURS DE CHRISTOPHE COLOMB

En Europe! en Europe!—Espérez! Plus d'espoir!
«Trois jours, leur dit Colomb, et je vous donne un monde.»
Et son doigt le montrait, et son œil, pour le voir,
Perçait de l'horizon l'immensité profonde.

Il marche, et des trois jours le premier jour a lui;
Il marche, et l'horizon recule devant lui;
Il marche, et le jour baisse. Avec l'azur de l'onde
L'azur d'un ciel sans borne à ses yeux se confond.
Il marche, il marche encore, et toujours; et la sonde
Plonge et replonge en vain dans une mer sans fond.

Le pilote, en silence, appuyé tristement
Sur la barre qui crie au milieu des ténèbres,
Écoute du roulis le sourd mugissement,
Et des mâts fatigués les craquements funèbres.
Les astres de l'Europe ont disparu des cieux;
L'ardente croix du sud épouvante ses yeux.
Enfin l'aube attendue, et trop lente à paraître,
Blanchit le pavillon de sa douce clarté:
«Colomb! voici le jour! le jour vient de renaître!
«—Le jour! et que vois-tu?—Je vois l'immensité.»

Le second jour a lui. Que fait Colomb? il dort;
La fatigue l'accable, et dans l'ombre on conspire.
«Périra-t-il? Aux voix!—La mort! la mort! la mort!
«—Qu'il triomphe demain, ou, parjure, il expire.»
Les ingrats! quoi! demain, il aura pour tombeau
Les mers où son audace ouvre un chemin nouveau!
Et peut-être demain leurs flots impitoyables
Le poussant vers ces bords que cherchait son regard,
Les lui feront toucher, en roulant sur les sables
L'aventurier Colomb, grand homme un jour plus tard!
Soudain du haut des mâts descendit une voix:
Terre! s'écria-t-on, terre! terre!... Il s'éveille:
Il court. Oui, la voilà, c'est elle, tu la vois,
La terre!... ô doux spectacle! ô transports! ô merveille!
O généreux sanglots qu'il ne peut retenir!
Que dira Ferdinand, l'Europe, l'avenir?
Il la donne à son roi, cette terre féconde;

Son roi va le payer des maux qu'il a soufferts:
Des trésors, des honneurs en échange d'un monde,
Un trône, ah! c'était peu!... Que reçut-il? des fers.

CASIMIR DELAVIGNE.

L'AUMONE

Donnez, riches! l'aumône est sœur de la prière.
Hélas! quand un vieillard, sur votre seuil de pierre,
Tout raidi par l'hiver, en vain tombe à genoux;
Quand les petits enfants, les mains de froid rougies,
Ramassent sous vos pieds les miettes des orgies,
La face du Seigneur se détourne de vous.

Donnez! afin que Dieu qui dote les familles,
Donne à vos fils la force, et la grâce à vos filles;
Afin que votre vigne ait toujours un doux fruit;
Afin qu'un blé plus mûr fasse plier vos granges;
Afin d'être meilleurs; afin de voir des anges
Passer dans vos rêves la nuit.

Donnez! il vient un jour où le monde nous laisse.
Vos aumônes là-haut vous font une richesse.
Donnez afin qu'on dise: «Il a pitié de nous!»
Afin que l'indigent que glacent les tempêtes,
Que le pauvre qui souffre à côté de vos fêtes,
Au seuil de vos palais fixe un œil moins jaloux.

Donnez! pour être aimés du Dieu qui se fit homme,
Pour que le méchant même, en s'inclinant, vous nomme,
Pour que votre foyer soit calme et fraternel;
Donnez! afin qu'un jour à votre heure dernière,
Contre tous vos péchés vous ayez la prière
D'un mendiant puissant au ciel.

VICTOR HUGO.

LA CHUTE DES FEUILLES

De la dépouille de nos bois
L'automne avait jonché la terre;
Le bocage était sans mystère,
Le rossignol était sans voix.
Triste, et mourant, à son aurore,
Un jeune malade à pas lents
Parcourait une fois encore
Le bois cher à ses premiers ans.

«Bois que j'aime, adieu, je succombe:
Votre deuil me prédit mon sort;
Et dans chaque feuille qui tombe
Je vois un présage de mort.
Fatal oracle d'Épidaure,
Tu m'as dit: «Les feuilles des bois
«A tes yeux jauniront encore,
«Mais c'est pour la dernière fois.

«L'éternel cyprès se balance;
«Déjà sur sa tête en silence
«Il incline ses longs rameaux;
«Ta jeunesse sera flétrie
«Avant l'herbe de la prairie,
«Avant les pampres des coteaux.»

Et je meurs... de leur froide haleine
M'ont touché les sombres autans;
Et j'ai vu comme une ombre vaine
S'évanouir mon beau printemps!
Tombe, tombe, feuille éphémère!
Voile aux yeux ce triste chemin;
Cache au désespoir de ma mère
La place où je serai demain.

Mais vers la solitaire allée,
Si mon amante désolée
Venait pleurer quand le jour fuit,
Éveille par ton léger bruit
Mon ombre un instant consolée.
Il dit, s'éloigne, et sans retour,
La dernière feuille qui tombe
A signalé son dernier jour.

Sous le chêne on creusa sa tombe...
Mais son amante ne vint pas
Visiter la pierre isolée;
Et le pâtre de la vallée
Troubla seul du bruit de ses pas
Le silence du mausolée.

MILLEVOYE.

LE COIN DU GRAND-PÈRE

Ce coin près du foyer, c'est le coin du grand-père.
C'est là, je m'en souviens, qu'il aimait à s'asseoir,
Les pieds sur les chenets, dans sa vieille bergère,
Là qu'il lisait le jour et sommeillait le soir.

Je crois le voir encor. Sa tête couronnée
De beaux cheveux blanchis par l'âge et le chagrin,
Se penchait en avant, doucement inclinée;
Son visage était grave à la fois et serein.

Son cœur était ouvert à tous. On pouvait lire
Le calme sur son front, la bonté dans ses yeux;
Et lorsque sur sa bouche il passait un sourire,
On croyait voir briller comme un rayon des cieux.

Puis, il était si bon pour moi! Dès que décembre,
Neigeux, humide et froid, me fermait le jardin,
Souvent à ses côtés, je jouais dans la chambre:
Vénérable grand-père et petit-fils mutin!

Je vous laisse à penser le tapage et la fête,
Quand le ronfle à mon gré sifflait sur le plancher,
Quand mes soldats de plomb, rangés tambour en tête,
Sous mon commandement semblaient prêts à marcher.

—Regarde donc! regarde, oh! regarde, grand-père!
Il souriait, et moi, m'excitant, par des cris,
Au combat, d'un seul coup je culbutais à terre
Tous ces pauvres soldats disloqués et meurtris!

Puis, lorsque j'étais las de jouer:—Une histoire.
Grand-père!—et me voilà sur ses genoux assis.
Lui, cherchant un moment dans sa vieille mémoire,
Et me baisant au front, commençait ses récits.

C'étaient des souvenirs de l'enfance lointaine,
Ou bien quelque beau conte, un conte d'autrefois,
Terrible... et j'écoutais, ne respirant qu'à peine,
Mon oreille et mon cœur suspendus à sa voix?

Souvent, dans la veillée, il prenait son gros livre;
—Un vieillard, disait-il, est l'ami du vieillard,—
Et tandis qu'il ouvrait ses deux fermoirs de cuivre,
Un céleste bonheur animait son regard.

Les mains jointes, le front recueilli, son visage
Reflétait tout son cœur, ce cœur humble et pieux,
Et rarement son doigt tournait la sainte page,
Sans qu'une douce larme y tombât de ses yeux!

Ainsi Dieu le reprit, lisant sa vieille Bible?
Un soir, je l'appelais, le croyant endormi...
Il n'était plus: la mort, comme un sommeil paisible,
L'avait couché, serein, auprès de son ami!

Maintenant, son fauteuil est vide. Le grand-père
Ne viendra plus jamais s'asseoir au coin du feu!
Mais sa place est meilleure au ciel que sur la terre:
Il ne nous a quittés que pour aller à Dieu!

L. TOURNIER.

HYMNE DE L'ENFANT A SON RÉVEIL

O père qu'adore mon père!
Toi qu'on ne nomme qu'à genoux!
Toi, dont le nom terrible et doux
Fait courber le front de ma mère!

On dit que ce brillant soleil
N'est qu'un jouet de ta puissance;
Que sous tes pieds il se balance
Comme une lampe de vermeil.

On dit que c'est toi qui fais naître
Les petits oiseaux dans les champs,
Et qui donnes aux petits enfants
Une âme aussi pour te connaître.

On dit que c'est toi qui produis
Les fleurs dont le jardin se pare,
Et que, sans toi, toujours avare,
Le verger n'aurait point de fruits.

Aux dons que ta bonté mesure
Tout l'univers est convié:
Nul insecte n'est oublié
A ce festin de la nature.

L'agneau broute le serpolet,
La chèvre s'attache au cytise,
La mouche au bord du vase puise
Les blanches gouttes de mon lait!

L'alouette a la graine amère
Que laisse envoler le glaneur,
Le passereau suit le vanneur,
Et l'enfant s'attache à sa mère.

Et pour obtenir chaque don
Que chaque jour tu fais éclore,
A midi, le soir, à l'aurore,
Que faut-il? Prononcer ton nom!

O Dieu! ma bouche balbutie
Ce nom des anges redouté;
Un enfant même est écouté
Dans le chœur qui te glorifie!...

Ah! puisqu'il entend de si loin
Les vœux que notre bouche adresse,
Je veux lui demander sans cesse
Ce dont les autres ont besoin.

Mon Dieu, donne l'onde aux fontaines,
Donne la plume aux passereaux,
Et la laine aux petits agneaux,
Et l'ombre et la rosée aux plaines.

Donne au malade la santé,
Au mendiant le pain qu'il pleure,
A l'orphelin une demeure,
Au prisonnier la liberté.

Donne une famille nombreuse
Au père qui craint le Seigneur;
Donne à moi sagesse et bonheur,
Pour que ma mère soit heureuse!...

LAMARTINE.

DERNIER CHŒUR D'ESTHER

—1689—

Dieu fait triompher l'innocence,
Chantons, célébrons sa puissance.

Il a vu contre nous les méchants s'assembler,
Et notre sang prêt à couler;
Comme l'eau sur la terre ils allaient le répandre:
Du haut du ciel sa voix s'est fait entendre;
L'homme superbe est renversé,
Ses propres flèches l'ont percé.

J'ai vu l'impie adoré sur la terre,
Pareil au cèdre, il cachait dans les cieux
Son front audacieux;
Il semblait à son gré gouverner le tonnerre,
Foulait aux pieds ses ennemis vaincus:
Je n'ai fait que passer, il n'était déjà plus.

Comment s'est calmé l'orage?
Quelle main salutaire a chassé le nuage?
L'aimable Esther a fait ce grand ouvrage.
De l'amour de son Dieu son cœur s'est embrasé.
Au péril d'une mort funeste
Son zèle ardent s'est exposé;
Elle a parlé: le ciel a fait le reste.

Esther a triomphé des filles des Persans:
La nature et le ciel à l'envi l'ont ornée.
Tout ressent de ses yeux les charmes innocents,
Jamais tant de beauté fut-elle couronnée?
Les charmes de son cœur sont encor plus puissants,
Jamais tant de vertu fut-elle couronnée?

Ton Dieu n'est plus irrité:
Réjouis-toi, Sion, et sors de la poussière,
Quitte les vêtements de ta captivité,
Et reprends ta splendeur première.
Les chemins de Sion à la fin sont ouverts:
Rompez vos fers,
Tribus captives;
Troupes fugitives,
Repassez les monts et les mers,
Rassemblez-vous des bouts de l'univers.

Je reverrai ces campagnes si chères,
J'irai pleurer au tombeau de mes pères.
Relevez, relevez les superbes portiques
Du temple où notre Dieu se plaît d'être adoré:
Que de l'or le plus pur son autel soit paré,
Et que du sein des monts le marbre soit tiré.
Prêtres sacrés, préparez vos cantiques.
Liban, dépouille-toi de tes cèdres antiques:

Dieu descend et vient habiter parmi nous:
Terre, frémis d'allégresse et de crainte;
Et vous, sous sa majesté sainte,
Cieux, abaissez-vous.

Que le Seigneur est bon! que son joug est aimable!
Heureux qui dès l'enfance en connaît la douceur!
Jeune peuple, courez à ce maître adorable.
Les biens les plus charmants n'ont rien de comparable
Aux torrents de plaisirs qu'il répand dans un cœur.
Que le Seigneur est bon! que son joug est aimable!
Heureux qui dès l'enfance en connaît la douceur!
Il s'apaise, il pardonne;
Du cœur ingrat qui l'abandonne
Il attend le retour;
Il excuse notre faiblesse,
A nous chercher même il s'empresse;
Pour l'enfant qu'elle a mis au jour
Une mère a moins de tendresse.
Ah! qui peut avec lui partager notre amour?

Il nous fait remporter une illustre victoire.
Il nous a révélé sa gloire.
Ah! qui peut avec lui partager notre amour?
Que son nom soit béni, que son nom soit chanté;

Que l'on célèbre ses ouvrages
Au delà des temps et des âges,
Au delà de l'éternité.

J. RACINE.

LE NID

Moins on tient de place, plus on est à couvert:
une feuille suffit au nid de l'oiseau-mouche.
Bernardin de Saint-Pierre.

De ce buisson de fleurs approchons-nous ensemble:
Vois-tu ce nid posé sur la branche qui tremble?
Pour le couvrir, vois-tu les rameaux se ployer?
Les petits sont cachés sous leur couche de mousse;
Ils sont tous endormis!... Oh! viens, ta voix est douce:
Ne crains pas de les effrayer.

De ses ailes encore la mère les recouvre;
Son œil appesanti se referme et s'entr'ouvre,
Et son amour souvent lutte avec le sommeil:
Elle s'endort enfin... Vois comme elle repose!
Elle n'a rien pourtant qu'un nid sous une rose,
Et sa part de notre soleil.

Vois, il n'est point de vide en son étroit asile,
A peine s'il contient sa famille tranquille;
Mais là le jour est pur, là le sommeil est doux,
C'est assez!... Elle n'est ici que passagère;
Chacun de ses petits peut réchauffer son frère,
Et son aile les couvre tous.

Et nous, pourtant, mortels, nous passagers comme elle,
Nous fondons des palais quand la mort nous appelle;
Le présent est flétri par nos vœux d'avenir;
Nous demandons plus d'air, plus de jour, plus d'espace,
Des champs, un toit plus grand!... Ah! faut-il tant de place
Pour aimer un jour... et mourir!

E. SOUVESTRE.

LE MONTAGNARD ÉMIGRÉ

Combien j'ai douce souvenance
Du joli lieu de ma naissance!
Ma sœur, qu'ils étaient beaux les jours
De France!
O mon pays, sois mes amours
Toujours.

Te souvient-il que notre mère
Au foyer de notre chaumière
Nous pressait sur son sein joyeux,
Ma chère!
Et nous baisions ses blancs cheveux
Tous deux.

Ma sœur, te souvient-il encore
Du château que baignait la Dore?
Et de cette tant vieille tour
Du Maure,
Où l'airain sonnait le retour
Du jour?

Te souvient-il du lac tranquille
Qu'effleurait l'hirondelle agile,
Du vent qui courbait le roseau
Mobile,
Et du soleil couchant sur l'eau
Si beau?

Oh! qui me rendra mon Hélène
Et ma montagne et le grand chêne!
Leur souvenir fait tous les jours
Ma peine.
Mon pays sera mes amours
Toujours!

CHATEAUBRIAND.

LE RETOUR DANS LA PATRIE

Qu'il va lentement, le navire
A qui j'ai confié mon sort!
Au rivage où mon cœur aspire
Qu'il est lent à trouver un port!
France adorée?
Douce contrée,
Mes yeux cent fois ont cru te découvrir;
Qu'un vent rapide
Soudain nous guide
Aux bords sacrés où je reviens mourir.
Mais enfin le matelot crie:
Terre! terre! là-bas, voyez!
Ah! tous mes maux sont oubliés:
Salut à ma patrie!

Oui, voilà les rives de France;
Oui, voilà le port vaste et sûr,
Voisin des champs où mon enfance
S'écoula sous un chaume obscur.
France adorée!
Douce contrée!
Après vingt ans, enfin, je te revois.
De mon village
Je vois la plage;
Je vois fumer la cime de nos toits.
Combien mon âme est attendrie!
Là furent mes premiers amours;
Là ma mère m'attend toujours;
Salut à ma patrie!

Loin de mon berceau, jeune encore,
L'inconstance emporta mes pas
Jusqu'au sein des mers où l'aurore
Sourit aux plus riches climats.
France adorée!
Douce contrée!
Dieu te devait leurs fécondes chaleurs.
Toute l'année,
Là, brille ornée
De fleurs, de fruits, et de fruits et de fleurs.
Mais là, ma jeunesse flétrie
Rêvait à des climats plus chers:
Là, je regrettais nos hivers.
Salut à ma patrie!

Poussé chez des peuples sauvages
Qui m'offraient de régner sur eux,
J'ai su défendre leurs rivages
Contre des ennemis nombreux.
France adorée!
Douce contrée!
Tes champs alors gémissaient envahis.
Puissance et gloire,
Cris de victoire,
Rien n'étouffa la voix de mon pays:
De tout quitter mon cœur me prie;
Je reviens pauvre, mais constant.
Une bêche est là qui m'attend.
Salut à ma patrie!

Au bruit des transports d'allégresse
Enfin le navire entre au port.
Dans cette barque où l'on se presse,
Hâtons-nous d'atteindre le bord.
France adorée!
Douce contrée!
Puissent tes fils te revoir ainsi tous!
Enfin j'arrive,
Et sur la rive
Je rends au ciel, je rends grâce à genoux.
Je t'embrasse, ô terre chérie!
Dieu! qu'un exilé doit souffrir!
Moi désormais, je puis mourir;
Salut à ma patrie!

BÉRANGER.

AH! SI J'ÉTAIS PETIT OISEAU!

C'était le plus beau jour de tous les jours d'automne,
Un de ces jours brillants, jours aux mille couleurs,
Où la terre ravie, effeuillant sa couronne,
Nous jette ses fruits et ses fleurs.

La mère travaillait à la fenêtre assise,
Mère au front gracieux, au regard calme, doux,
Et l'enfant apprenait, en silence et soumise,
Une leçon sur ses genoux.

Relevant quelquefois sa tête rose et blanche,
Pour sourire au soleil, au splendide horizon,
Elle écoutait l'oiseau qui sautait sur la branche,
En chantant gaiement sa chanson.

La pauvre mère alors, et bonne et généreuse,
Pour ne pas la gronder, feignait de ne rien voir,
Ou ramenait d'un mot sa chère paresseuse
Au doux sentiment du devoir.

Que sa voix était tendre et pleine d'indulgence!
«Allons, chère Marie, allons, tu n'apprends pas.
Ton livre déchiré trahit ta négligence,
Que vois-tu de si beau là-bas?»

Elle invitait encor la gentille rêveuse
A reprendre courage, à lire de nouveau,
Quand l'enfant s'écria: «Que je suis malheureuse!
Ah! si j'étais petit oiseau!

Ah! si j'étais l'oiseau qui toujours saute et chante;
Qui n'a souci de rien, qu'on voit toujours joyeux;
Si j'étais cet oiseau, que je serais contente,
Et que mon sort serait heureux!

Plus de livre ennuyeux, plus de leçon sévère;
Voltiger tout le jour, courir et s'amuser,
Causer avec les fleurs, caresser la bruyère,
Sur le gazon se reposer;

Toujours nouveau plaisir, toujours nouvelle fête;
Sous les arbres touffus, j'arrêterais mon vol,
Et m'en irais souvent appeler la fauvette,
Pour rire avec le rossignol.

Tu dis que c'est là-haut qu'on chante les louanges,
Que la terre répète en tout temps, en tout lieu:
J'y volerais aussi pour entendre les anges
Chanter dans le ciel du bon Dieu.

Sans regrets, sans chagrins, toujours libre et ravie,
Chaque jour le soleil me paraîtrait plus beau;
Ainsi s'écouleraient tous les jours de ma vie.
Ah! si j'étais petit oiseau!»

—«Sans doute, chère enfant, cette vie a des charmes,
Mais elle compte aussi plus d'un jour douloureux.
L'oiseau n'est pas exempt de craintes ni d'alarmes,
Il est souvent bien malheureux.

Quand l'hiver couvre tout de glace et de tristesse,
Lorsque tu dors, enfant, sous de légers rideaux,
On n'entend plus dans l'air que les cris de détresse
Poussés par les petits oiseaux.

Oh! que leur voix alors est touchante et plaintive!
Ils vont mourir de faim, de froid et de douleur.
Car ils n'ont plus de mère inquiète, attentive,
Pour les réchauffer sur son cœur.

Plus heureux que l'oiseau, dont la vie est amère,
L'enfant reçoit du ciel un regard plein de feu,
Un cœur intelligent pour comprendre sa mère,
Une âme pour adorer Dieu.

Regarde celui-ci qui frôle de son aile
Et la branche de l'arbre et le gazon fleuri;
Il va nous faire entendre une chanson nouvelle;
Qu'il est mignon, qu'il est joli!

Il paraît bien joyeux, les airs sont sa patrie!
Sans craindre le péril, sans songer à son sort,
Il chante, court, s'envole, et légère est sa vie;
Demain, peut-être, il sera mort.»

La mère encor parlait quand soudain l'éclair brille.
Bientôt l'air retentit sous le grand peuplier,
Et l'oiseau qui chantait tombe sous la charmille,
Frappé par le plomb meurtrier.

On s'élance, on accourt, de terreur palpitantes.
Hélas! il est trop tard! Oh! le cruel chasseur!
L'oiseau fermait déjà ses paupières mourantes:
Que de regrets! que de douleur!

On essaya pourtant de rappeler la vie;
Longtemps on espéra qu'il rouvrirait les yeux:
Tout en le réchauffant, la gentille Marie
Versa bien des pleurs douloureux.

Elle lui dit tout bas beaucoup de douces choses
(Car l'enfant sut de Dieu comprendre la leçon),
Puis on l'ensevelit sous des feuilles de roses
Que l'on cacha sous le gazon.

Elle revint alors désolée et pensive,
Le cœur gros de soupirs, rêvant au pauvre oiseau;
Et puis, sans dire un mot, sérieuse, attentive,
Elle étudia de nouveau.

Puis, un moment après, elle dit en prière:
«Seigneur! Seigneur mon Dieu! de ton ciel triomphant,
Oh! conserve toujours un enfant à sa mère,
Et garde la mère à l'enfant!»

Mlle ISABELLE RODIER.

UNE PROMENADE DE FÉNELON

Victime de l'intrigue et de la calomnie,
Et par un noble exil expiant son génie,
Fénelon, dans Cambrai, regrettant peu la cour,
Répandait les bienfaits et recueillait l'amour;
Instruisait, consolait, donnait à tous l'exemple;
Son peuple pour l'entendre accourait dans le temple.
Il parlait, et les cœurs s'ouvraient tous à sa voix.
Quand du saint ministère ayant porté le poids,
Il cherchait, vers le soir, le repos, la retraite,
Alors, aux champs aimés du sage et du poète,
Solitaire et rêveur, il allait s'égarer.
De quel charme à leur vue il se sent pénétrer!
Il médite, il compose, et son âme l'inspire!
Jamais un vain orgueil ne le presse d'écrire;
Sa gloire est d'être utile; heureux quand il a pu
Montrer la vérité, faire aimer la vertu!

Ses regards, animés d'une flamme céleste,
Relèvent de ses traits la majesté modeste,
Sa taille est haute et noble; un bâton à la main,
Seul, sans faste et sans crainte, il poursuit son chemin,
Contemple la nature et jouit de Dieu même.
Il visite souvent les villageois qu'il aime,
Et chez ces bonnes gens, de le voir tout joyeux,
Vient sans être attendu, s'assied au milieu d'eux,
Écoute le récit des peines qu'il soulage,
Joue avec les enfants, et goûte le laitage.
Un jour, loin de la ville ayant longtemps erré,
Il arrive aux confins d'un hameau retiré,
Et sous un toit de chaume, indigente demeure,
La pitié le conduit; une famille y pleure.

Il entre, et sur-le-champ, faisant place au respect,
La douleur, un moment, se tait à son aspect.
O ciel! c'est monseigneur!... On se lève, on s'empresse;
Il voit avec plaisir éclater leur tendresse.

«Qu'avez-vous, mes enfants? d'où naît votre chagrin?
«Ne puis-je le calmer? Versez-le dans mon sein;
«Je n'abuserai point de votre confiance.»

On s'enhardit alors et la mère commence:
«Pardonnez, monseigneur, mais vous n'y pouvez rien;
«Ce que nous regrettons, c'était tout notre bien;
«Nous n'avions qu'une vache!... hélas! elle est perdue;
«Depuis trois jours entiers nous ne l'avons point vue.
«Notre pauvre Brunon!.. nous l'attendons en vain;
«Les loups l'auront mangée, et nous mourrons de faim.
«Peut-il être un malheur au nôtre comparable?

—«Ce malheur, mes amis, est-il irréparable?»
Dit le prélat, «et moi ne puis-je vous offrir,
«Touché de vos regrets, de quoi les adoucir?
«En place de Brunon, si j'en trouvais une autre?...»

—«L'aimerions-nous autant que nous aimons la nôtre?
«Pour oublier Brunon il faudra bien du temps!
«Eh! comment l'oublier?... Ni nous ni nos enfants
«Nous ne serons ingrats. C'était notre nourrice!
«Nous l'avions achetée étant encor génisse!
«Accoutumée à nous, elle nous entendait,
«Et même à sa manière elle nous répondait;
«Son poil était si beau, d'une couleur si noire;
«Trois marques seulement, plus blanches que l'ivoire,
«Ornaient son large front et ses pieds de devant;
«Avec mon petit Claude elle jouait souvent;
«Il montait sur son dos, elle le laissait faire;
«Je riais... A présent nous pleurons, au contraire!
«Non, monseigneur, jamais, il n'y faut pas penser,
«Une autre ne pourra chez nous la remplacer.»

Fénelon écoutait cette plainte naïve;
Mais pendant l'entretien, bientôt le soir arrive.
Quand on est occupé de sujets importants,
On ne s'aperçoit pas de la fuite du temps.
Il promet en partant de revoir la famille...
«Ah! monseigneur, lui dit la plus petite fille,
«Si vous vouliez pour nous la demander à Dieu,
«Nous la retrouverions.»—«Ne pleurez plus; adieu.»

Il reprend son chemin, il reprend ses pensées,
Achève en son esprit des pages commencées;
Il marche; mais déjà l'ombre croît, le jour fuit.
Ce reste de clarté qui devance la nuit
Guide encore ses pas à travers les prairies,
Et le calme du soir nourrit ses rêveries.

Tout à coup un objet à ses yeux s'est montré;
Il regarde... il croit voir.., il distingue en un pré,
Seule, errante et sans guide, une vache... C'est elle
Dont on lui fit tantôt un portrait si fidèle...
Il ne peut s'y tromper; et soudain, empressé,
Il court dans l'herbe humide, il franchit un fossé,
Arrive haletant; et Brunon complaisante,
Loin de le fuir, vers lui s'avance et se présente.
Lui-même, satisfait, la flatte de la main.

Mais que faire? Va-t-il poursuivre son chemin?
Retourner sur ses pas, ou regagner la ville?
Déjà, pour revenir, il a fait plus d'un mille.
«Ils l'auront dès ce soir, dit-il, et par mes soins
«Elle leur coûtera quelques larmes de moins.»
Il saisit à ces mots la corde qu'elle traîne,
Et marchant lentement, derrière lui l'emmène.
Venez, mortels, si fiers d'un vain et mince éclat;
Voyez, en ce moment, ce digne et saint prélat,
Que son nom, son génie, et son titre décore,
Mais que tant de bonté révèle plus encore.
Ce qui fait votre orgueil vaut-il un trait si beau?
Le voilà fatigué, de retour au hameau.
Hélas! à la clarté d'une faible lumière,
On veille, on pleure encor dans la triste chaumière.
Il arrive à la porte: «Ouvrez-moi, mes enfants,
«Ouvrez-moi; c'est Brunon, Brunon que je vous rends.»

On accourt; ô surprise! ô joie! ô doux spectacle!
La fille croit que Dieu fait pour elle un miracle:
«Ce n'est point monseigneur, c'est un ange des cieux
«Qui, sous ses traits chéris, se présente à nos yeux,
«Pour nous faire plaisir il a pris sa figure:
«Aussi je n'ai pas peur... Oh! non, je vous assure,
«Bon ange!...» En ce moment, de leurs larmes noyés,
Père, mère, enfants, tous sont tombés à ses pieds.
«Levez-vous, mes amis; mais quelle erreur étrange!
«Je suis votre archevêque et ne suis point un ange;
«J'ai retrouvé Brunon, et pour vous consoler
«Je revenais vers vous; que n'ai-je pu voler!
«Reprenez-la; je suis heureux de vous la rendre.»

«—Quoi! tant de peine! ô ciel! avez-vous pu la prendre,
Mais il faut bien aussi que Brunon ait son tour.

On lui parle. «C'est donc ainsi que tu nous laisses?
«Mais te voilà!» Je donne à penser les caresses!
Brunon semble répondre à l'accueil qu'on lui fait.
Tel au retour d'Ulysse, son chien le reconnaît.
«Il faut, dit Fénelon, que je reparte encore;
«A peine dans Cambrai serai-je avant l'aurore;
«Je crains d'inquiéter mes amis, ma maison...
«—Oui, dit le villageois, oui, vous avez raison;
«On pleurerait ailleurs quand vous séchez nos larmes!
«Vous êtes tant aimé!... Prévenez leurs alarmes
«Mais comment retourner? car vous êtes bien las!
«Monseigneur, permettez... nous vous offrons nos bras.
«Oui, sans vous fatiguer, vous ferez le voyage.»

D'un peuplier voisin on abat le branchage.
Mais au hameau déjà le bruit s'est répandu.
Monseigneur est ici!... Chacun est accouru,
Chacun veut le servir. De bois et de ramée
Une civière agreste aussitôt est formée,
Qu'on tapisse partout de fleurs, d'herbages frais;
Des branches au-dessus s'arrondissent en dais;
Le bon prélat s'y place, et mille cris de joie
Volent au loin; l'écho les double et les renvoie.
Il part: tout le hameau l'environne, le suit;
La clarté des flambeaux brille à travers la nuit,
Le cortège bruyant qu'égaye un chant rustique,
Marche... Honneurs innocents et gloire pacifique!
Ainsi par leur amour Fénelon escorté,
Jusque dans son palais en triomphe est porté.

ANDRIEUX.

QUATRAINS MORAUX

1.
Tout annonce d'un Dieu l'éternelle existence;
On ne peut le comprendre, on ne peut l'ignorer:
La voix de l'univers annonce sa puissance,
Et la voix de nos cœurs dit qu'il faut l'adorer.

2.
Contre la conscience il n'est point de refuge:
Elle parle en nos cœurs; rien n'étouffe sa voix,
Et de nos actions elle est tout à la fois
La loi, l'accusateur, le témoin et le juge.

"3.
Enfants, quelque irrité que vous paraisse un père,
Croyez qu'il est toujours votre ami le plus doux,
Son cœur en vous montrant un courroux nécessaire,
Le fait pour votre bien, et souffre plus que vous.

4.
Que vous devez aimer cette maman si chère,
Qui souffrit tant pour vous, qui vous rend tant de soins,
Et qui prévoit si bien vos peines, vos besoins!
Est-il assez d'amour pour payer une mère?

5
Soyez doux, complaisants, d'un caractère affable:
On est toujours aimé quand on est sans humeur;
L'esprit ne suffit pas, enfants, pour être aimable;
Il faut y joindre encor l'indulgente douceur.

6
Offensez-vous quelqu'un, votre orgueil vous refuse
A demander pardon de votre emportement.
Eh! pourquoi donc rougir de ce beau mouvement?
La honte est dans l'offense, et non pas dans l'excuse.

7.
Notre vie est si courte! Il la faut employer;
Instruisez-vous, enfants, dès l'âge le plus tendre.
Vous serez malheureux si vous cessez d'apprendre
Et c'est un jour perdu qu'un jour sans travailler.

LE BON EMPLOI DU TEMPS

Comme la bienfaisante pluie
Féconde la terre en été
Dieu fit pour féconder la vie,
Le travail et l'activité.
Ne laissons point d'heure inutile:
Songeons que la paille stérile
Est foulée aux pieds du glaneur;
Puissent s'amasser nos journées,
Comme les gerbes moissonnées,
Dans le grenier du laboureur!

Mme AMABLE TASTU.

LE CÈDRE DU LIBAN

Le cèdre du Liban s'était dit en lui-même:
«Je règne sur les monts; ma tête est dans les cieux,
«J'étends sur les forêts mon vaste diadème;
«Je prête un noble asile à l'aigle audacieux.

«A mes pieds l'homme rampe...» Et l'homme qu'il outrage
Rit, se lève, et d'un bras trop longtemps dédaigné
Fait tomber sous la hache et la tête et l'ombrage
De ce roi des forêts, de sa chute indigné...

Vainement il s'exhale en des plaintes amères;
Les arbres d'alentour sont joyeux de son deuil:
Affranchis de son ombre, ils s'élèvent en frères,
Et du géant superbe un ver punit l'orgueil.

LE BRUN.

LA FEUILLE

De ta tige détachée,
Pauvre feuille desséchée,
Où vas-tu?—Je n'en sais rien:
L'orage a brisé le chêne
Qui seul était mon soutien.
De son inconstante haleine
Le zéphir ou l'aquilon
Depuis ce jour me promène
De la forêt à la plaine,
De la montagne au vallon.
Je vais où le vent me mène,
Sans me plaindre ou m'effrayer,
Je vais où va toute chose,
Où va la feuille de rose
Et la feuille de laurier.

ARNAULT.

LE PLUS DOUX NOM

«Emmanuel... Dieu avec nous!»

Plus doux qu'est au printemps le parfum de la rose,
Quand l'aube luit;
Que le sein maternel où l'enfant se repose,
Quand vient la nuit;
Plus doux et plus touchant que le doux nom de père
Pour l'orphelin;
Plus doux qu'est à nos yeux l'éclat de la lumière
A son déclin;
Plus douce qu'est au cœur que le bruit empoisonne
La paix du soir;
Plus doux qu'est au mourant que la vie abandonne
Le mot d'espoir;
Plus doux qu'est le regard du jeune enfant qui prie
Près de son lit;
Plus doux qu'est dans l'exil le doux nom de patrie
Pour le proscrit;
Plus doux qu'est au rocher battu par la tempête
L'aspect du port;
Plus doux qu'est le duvet où l'oiseau met sa tête
Quand il s'endort;
Plus doux qu'au pèlerin arrivant de la terre
Est le chant des élus,
—Plus doux est au pécheur perdu dans sa misère
Le doux nom de Jésus!

THÉOPHILE GONTARD.

DANDOLO

Venise aux Byzantins demandait un traité.
Auprès de l'empereur part comme député
Un des plus nobles fils de Venise la belle,
Dandolo!... L'empereur ordonne qu'on l'appelle.
Il entre!... Le traité l'attendait tout écrit:
«Lisez, lui dit le prince, et puis signez...» Il lit.
Mais soudain, pâlissant de colère, il s'écrie:
«Ce traité flétrirait mon nom et ma patrie,
«Je ne signerai pas!» L'impétueux César
Se lève! Dandolo l'écrase d'un regard.
Le prince veut parler de présents, il s'indigne!
De bourreaux, il sourit; de prêtres, il se signe!
Alors tout écumant de honte et de fureur:
«Si tu ne consens pas, traître, dit l'empereur,
«J'appelle ici soudain quatre esclaves fidèles,
«Je te fais garrotter, et là, dans tes prunelles,
«Un fer rouge éteindra le feu évanoui;
«Ainsi, hâte-toi donc, et réponds enfin... oui!»
Il se tait!.. On apporte une lame brûlante!
Il se tait!.. On l'applique à sa paupière ardente:
Il se tait!.. De ses yeux où le fer s'enfonçait,
Le sang coule: il se tait! la chair fume: il se tait!..
Et quand de ses bourreaux l'œuvre fut achevée,
Tranquille et ferme il dit: «La patrie est sauvée!»
Eh bien! ce front d'airain, inflexible aux douleurs,
Ces yeux qui torturés n'ont que du sang pour pleurs,
Cet immobile front où pas un pli ne bouge,
Qui ne sourcille pas sous le feu d'un fer rouge,
Ces yeux, ce front, ce cœur, avaient quatre-vingts ans!
Jeune aurait-il mieux fait? Vit-on ses faibles sens
Le trahir, et son corps manqua-t-il à son âme?
Va, va, fouille l'histoire avec des yeux de flamme,
Jeune homme, et trouve un trait plus beau que ce trait-là.
Auprès de Dandolo, qu'est-ce que Scevola?

E. LEGOUVÉ.

L'OREILLER D'UNE PETITE FILLE

Cher petit oreiller, doux et chaud sous ma tête,
Plein de plume choisie, et blanc, et fait pour moi!
Quand on a peur du vent, des loups, de la tempête,
Cher petit oreiller, que je dors bien sur toi!
Beaucoup, beaucoup d'enfants, pauvres, nus et sans mère,
Sans maison, n'ont jamais d'oreiller pour dormir;
Ils ont toujours sommeil! O destinée amère!
Maman, douce maman, cela me fait gémir,
Et quand j'ai prié Dieu pour tous ces petits anges
Qui n'ont pas d'oreiller, moi, j'embrasse le mien;
Seule dans mon doux nid qu'à tes pieds tu m'arranges,
Je te bénis, ma mère, et je touche le tien.
Je ne m'éveillerai qu'à la lueur première
De l'aube au rideau bleu; c'est si gai de la voir!
Je vais dire tout bas ma plus tendre prière;
Donne encore un baiser, bonne maman! Bonsoir.

PRIÈRE

Dieu des enfants, le cœur d'une petite fille,
Plein de prière, écoute! est ici sous mes mains;
On me parle souvent d'orphelins sans famille;
Dans l'avenir, mon Dieu! ne fais plus d'orphelins!
Laisse descendre au soir un ange qui pardonne,
Pour répondre à des voix que l'on entend gémir;
Mets sous l'enfant perdu, que la mère abandonne,
Un petit oreiller qui le fasse dormir.

Mme DESBORDES-VALMORE.

PARAPHRASE DU PSAUME CXLVI

N'espérons plus, mon âme, aux promesses du monde,
Sa lumière est un verre, et sa faveur une onde
Que toujours quelque vent empêche de calmer;
Quittons ces vanités, lassons-nous de les suivre:
C'est Dieu qui nous fait vivre,
C'est Dieu qu'il faut aimer.

En vain, pour satisfaire à nos lâches envies,
Nous passons près des rois tout le temps de nos vies
A souffrir des mépris et ployer les genoux:
Ce qu'ils peuvent n'est rien; ils sont, ce que nous sommes,
Véritablement hommes,
Et meurent comme nous.

Ont-ils rendu l'esprit, ce n'est plus que poussière
Que cette majesté si pompeuse et si fière
Dont l'éclat orgueilleux étonnait l'univers,
Et, dans ces grands tombeaux où leurs âmes hautaines
Font encore les vaines,
Ils sont mangés des vers.

Là se perdent ces noms de maîtres de la terre,
D'arbitres de la paix, de foudres de la guerre;
Comme ils n'ont plus de sceptre, ils n'ont plus de flatteurs;
Et tombent avec eux d'une chute commune
Tous ceux que leur fortune
Faisait leurs serviteurs.

MALHERBE.

LE BONHEUR DU CHRÉTIEN

Que ne puis-je, ô mon Dieu, Dieu de ma délivrance,
Remplir de ta louange et la terre et les cieux,
Les prendre pour témoins de ma reconnaissance,
Et dire au monde entier combien je suis heureux!

Heureux quand je t'écoute et que cette parole
Qui dit: «Lumière sois!» et la lumière fut,
S'abaisse jusqu'à moi, m'instruit et me console,
Et me dit: «C'est ici le chemin du salut!»

Heureux quand je te parle, et que de ma poussière,
Je fais monter vers toi mon hommage et mon vœu,
Avec la liberté d'un fils devant son père,
Et le saint tremblement d'un pécheur devant Dieu.

Heureux lorsque ton jour, ce jour qui vit éclore
Ton œuvre du néant et ton fils du tombeau,
Vient m'ouvrir les parvis où ton peuple t'adore,
Et de mon zèle éteint rallumer le flambeau.

Heureux quand sous les coups de ta verge fidèle,
Avec amour battu, je souffre avec amour:
Pleurant, mais sans douter de ta main paternelle,
Pleurant, mais sous la croix, pleurant, mais pour un jour.

Heureux, lorsque, attaqué par l'Ange de la chute,
Prenant la Croix pour arme et l'Agneau pour Sauveur,
Je triomphe à genoux et sors de cette lutte
Vainqueur, mais tout meurtri, tout meurtri, mais vainqueur.

Heureux, toujours heureux! J'ai le Dieu fort pour père,
Pour frère Jésus-Christ, pour guide l'Esprit-Saint!
Que peut ôter l'enfer, que peut donner la terre
A qui jouit du ciel et du Dieu trois fois saint?

A. MONOD.

LE NID DE FAUVETTES

Je le tiens, ce nid de fauvettes!
Ils sont deux, trois, quatre petits!
Depuis si longtemps je vous guette;
Pauvres oiseaux, vous voilà pris!

Criez, sifflez, petits rebelles,
Débattez-vous; oh! c'est en vain,
Vous n'avez pas encor vos ailes,
Comment vous sauver de ma main?

Mais quoi! n'entends-je pas leur mère
Qui pousse des cris douloureux?
Oui, je le vois, oui, c'est leur père
Qui vient voltiger auprès d'eux.

Ah! pourrais-je causer leur peine,
Moi qui, l'été, dans les vallons,
Venais m'endormir sous un chêne,
Au bruit de leurs douces chansons?

Hélas! si du sein de ma mère
Un méchant venait me ravir,
Je le sens bien, dans sa misère,
Elle n'aurait plus qu'à mourir.

Et je serais assez barbare,
Pour vous arracher vos enfants?
Non, non, que rien ne vous sépare;
Non, les voici, je vous les rends.

Apprenez-leur, dans le bocage,
A voltiger auprès de vous;
Qu'ils écoutent votre ramage
Pour former des sons aussi doux.

Et moi, dans la saison prochaine,
Je reviendrai dans les vallons,
Dormir quelquefois sous un chêne,
Au bruit de leurs douces chansons.

BERQUIN.

A MES OISEAUX

Oh! que vous chantez bien, mes petits canaris!
C'est que vous avez tout à souhait: belle cage,
Grain nouveau, gai soleil, air pur et frais breuvage,
Et votre joie éclate en vos airs favoris!

Mais savez-vous, au moins, d'où vous vient cette fête?
Moi, j'achète ce grain dont vous êtes friands:
Mais qui l'a fait germer et mûrir dans les champs?
Je vous verse cette eau: mais cette eau, qui l'a faite?

Qui donc a fait couler le limpide ruisseau
Où, dans mon gobelet, pour vous je l'ai puisée?
C'est moi qui vous ai mis tout près de la croisée;
Quand j'ai vu ce jour pur et ce soleil si beau:

Mais d'où vient ce beau jour, et d'où vient l'astre même?
Qui l'a formé? Qui l'a suspendu dans les airs,
Pour être bienfaiteur et roi de l'univers?
Dites, le savez-vous?—C'est quelqu'un qui vous aime.

C'est Dieu, mes canaris!—La graine et le ruisseau,
L'azur et le soleil, et les cieux et la terre
Sont son œuvre: et c'est lui qui, comme un tendre père
S'occupe de l'enfant et prend soin de l'oiseau!

C'est Dieu qui vous a faits, c'est Dieu qui vous apprête
Ce repas, cet abri; c'est lui qui vous revêt,
Dans la saison d'hiver, de ce moelleux duvet
Où, pour vous endormir, vous cachez votre tête;

Lui qui vous a donné ces jolis petits yeux,
Et cette douce voix aux sémillants ramages!
A lui donc tous vos chants, à lui tous vos hommages!
Chantez, dès que l'aurore apparaît dans les cieux;

Chantez, lorsqu'à midi ruisselle la lumière;
Chantez, quand le jour baisse et meurt à l'horizon!
Ensemble, rendons grâce et gloire à son saint nom;
Au bon Dieu votre chant, au bon Dieu ma prière!

L. TOURNIER.

LE VAISSEAU LE VENGEUR

Ah! des flots fût-on la victime,
Ainsi que le Vengeur il est beau de périr:
Il est beau, quand le sort vous plonge dans l'abîme,
De paraître le conquérir.

Trahi par le sort infidèle,
Comme un lion pressé de nombreux léopards,
Seul au milieu de tous, sa fureur étincelle;
Il les combat de toutes parts.


L'airain lui déclare la guerre;
Le fer, l'onde, la flamme entourent ses héros,
Sans doute ils triomphaient; mais leur dernier tonnerre
Vient de s'éteindre dans les flots.

Captifs, la vie est un outrage:
Ils préfèrent le gouffre à ce bienfait honteux,
L'Anglais en frémissant admire leur courage;
Albion pâlit devant eux.

Plus fiers d'une mort infaillible,
Sans peur, sans désespoir, calmes dans leurs combats,
De ces républicains l'âme n'est plus sensible
Qu'à l'ivresse d'un beau trépas.

Près de se voir réduits en poudre,
Ils défendent leurs bords enflammés et sanglants.
Voyez-les défier et la vague et la foudre,
Sous des mâts rompus et brûlants.

Voyez ce drapeau tricolore,
Qu'élève en périssant leur courage indompté;
Sous le flot qui le couvre, entendez-vous encore
Ce cri: Vive la liberté!

Ce cri... c'est en vain qu'il expire,
Étouffé par la mort et par les flots jaloux;
Sans cesse il revivra répété par ma lyre;
Siècles, il planera sur vous!

Et vous, héros de Salamine,
Dont Thétis vante encor les exploits glorieux,
Non, vous n'égalez point cette auguste ruine,
Ce naufrage victorieux.

E. LEBRUN.

LA MORT DES TEMPLIERS

Un immense bûcher dressé pour leur supplice,
S'élève en échafaud, et chaque chevalier
Croit mériter l'honneur d'y monter le premier;
Mais le grand maître arrive: il monte, il les devance;
Son front est rayonnant de gloire et d'espérance;
Il lève vers les cieux un regard inspiré.
D'une voix formidable aussitôt il s'écrie:
«Nul de nous n'a trahi son Dieu, ni sa patrie.
«Français, souvenez-vous de nos derniers accents:
«Nous sommes innocents, nous mourons innocents.
«L'arrêt qui nous condamne est un arrêt injuste;
«Mais il est dans le ciel un tribunal auguste
«Que le faible opprimé jamais n'implore en vain;
«Et j'ose t'y citer, ô pontife romain!
«Encor quarante jours!.. je t'y vois comparaître.»
Chacun en frémissant écoutait le grand maître:
Mais quel étonnement! quel trouble! quel effroi
Quand il dit: «O Philippe! ô mon maître! ô mon roi!
«Je te pardonne en vain, ta vie est condamnée;
«Au tribunal de Dieu je t'attends dans l'année.»
Les nombreux spectateurs, émus et consternés,
Versent des pleurs sur vous, sur ces infortunés.
De tous côtés s'étend la terreur, le silence:
Il semble que du ciel descende la vengeance.
Les bourreaux interdits n'osent plus approcher;
Ils jettent en tremblant le feu sur le bûcher,
Et détournent la tête... Une fumée épaisse
Entoure l'échafaud, roule et grossit sans cesse.
Tout à coup le feu brille... A l'aspect du trépas
Ces braves chevaliers ne se démentent pas.
On ne les voyait plus, mais leurs voix héroïques
Chantaient de l'Éternel les sublimes cantiques;
Plus la flamme montait, plus ce concert pieux
S'élevait avec elle et montait vers les cieux.
Votre envoyé paraît, s'écrie... Un peuple immense,
Proclamant avec lui votre auguste clémence,
Aux pieds de l'échafaud soudain s'est élancé...
Mais il n'était plus temps... Les chants avaient cessé.

RAYNOUARD.

LA SAINTE ALLIANCE DES PEUPLES

—1818—

J'ai vu la paix descendre sur la terre,
Semant de l'or, des fleurs et des épis.
L'air était calme et du dieu de la guerre
Elle étouffait les foudres assoupis.
«Ah! disait-elle, égaux par la vaillance,
«Français, Anglais, Belge, Russe ou Germain,
«Peuples, formez une sainte alliance,
«Et donnez-vous la main.

«Pauvres mortels, tant de haine vous lasse;
«Vous ne goûtez qu'un pénible sommeil.
«D'un globe étroit divisez mieux l'espace;
«Chacun de vous aura place au soleil.
«Tous attelés au char de la puissance,
«Du vrai bonheur vous quittez le chemin.
«Peuples, formez une sainte alliance,
«Et donnez-vous la main.

«Chez vos voisins vous portez l'incendie;
«L'aquilon souffle, et vos toits sont brûlés;
«Et quand la terre est enfin refroidie,
«Le soc languit sous des bras mutilés.
«Près de la borne où chaque État commence,
«Aucun épi n'est pur de sang humain.
«Peuples, formez une sainte alliance,
«Et donnez-vous la main.

«Des potentats, dans vos cités en flammes,
«Osent du bout de leur sceptre insolent
«Marquer, compter et recompter les âmes
«Que leur adjuge un triomphe sanglant.
«Faibles troupeaux, vous passez sans défense
«D'un joug pesant sous un joug inhumain.
«Peuples, formez une sainte alliance,
«Et donnez-vous la main.

«Que Mars en vain n'arrête point sa course:
«Fondez des lois dans vos pays souffrants.
«De votre sang ne livrez plus la source
«Aux rois ingrats, aux vastes conquérants.
«Des astres faux conjurez l'influence;
«Effroi d'un jour, ils pâliront demain.
«Peuples, formez une sainte alliance,
«Et donnez-vous la main.

«Oui, libre enfin, que le monde respire;
«Sur le passé jetez un voile épais;
«Semez vos champs aux accords de la lyre;
«L'encens des arts doit brûler pour la paix.
«L'espoir riant, au sein de l'abondance,
«Accueillera les doux fruits de l'hymen,
«Peuples, formez une sainte alliance,
«Et donnez-vous la main.»

Ainsi parlait cette vierge adorée,
Et plus d'un roi répétait ses discours.
Comme au printemps la terre était parée;
L'automne en fleurs rappelait les amours.
Pour l'étranger, coulez, bons vins de France;
De sa frontière il reprend le chemin.
Peuples, formons une sainte alliance,
Et donnons-nous la main.

BÉRANGER.

MORT DE COLIGNY

Cependant tout s'apprête et l'heure est arrivée
Qu'au fatal dénouement la reine a réservée.
Le signal est donné sans tumulte et sans bruit.
C'était à la faveur des ombres de la nuit.
De ce mois malheureux l'inégale courrière
Semblait cacher d'effroi sa tremblante lumière.
Coligny languissait dans les bras du repos,
Et le sommeil trompeur lui versait ses pavots.
Soudain de mille cris le bruit épouvantable
Vient arracher ses sens à ce calme agréable:
Il se lève, il regarde, il voit de tous côtés
Courir des assassins à pas précipités;
Il voit briller partout les flambeaux et les armes,
Son palais embrasé, tout un peuple en alarmes,
Ses serviteurs sanglants dans la flamme étouffés,
Les meurtriers en foule au carnage échauffés,
Criant à haute voix: «Qu'on n'épargne personne;
«C'est Dieu, c'est Médicis, c'est le roi qui l'ordonne.»
Il entend retentir le nom de Coligny;
Il aperçoit de loin le jeune Téligni,
Téligni dont l'amour a mérité sa fille,
L'espoir de son parti, l'honneur de sa famille,
Qui, sanglant, déchiré, traîné par des soldats,
Lui demandait vengeance et lui tendait les bras.

Le héros malheureux, sans armes, sans défense,
Voyant qu'il faut périr, et périr sans vengeance,
Voulut mourir du moins comme il avait vécu,
Avec toute sa gloire et toute sa vertu.

Déjà des assassins la nombreuse cohorte
Du salon qui l'enferme allait briser la porte.
Il leur ouvre lui-même et se montre à leurs yeux
Avec cet œil serein, ce front majestueux,
Tel que dans les combats, maître de son courage,
Tranquille il arrêtait ou pressait le carnage.

A cet air vénérable, à cet auguste aspect,
Les meurtriers surpris sont saisis de respect:
Une force inconnue a suspendu leur rage.
«Compagnons, leur dit-il, achevez votre ouvrage,
«Et de mon sang glacé souillez ces cheveux blancs
«Que le sort des combats respecta quarante ans:
«Frappez, ne craignez rien, Coligny vous pardonne;
«Ma vie est peu de chose, et je vous l'abandonne...
«J'eusse aimé mieux la perdre en combattant pour vous...»
Ces tigres, à ces mots, tombent à ses genoux:
L'un, saisi d'épouvante, abandonne ses armes;
L'autre embrasse ses pieds qu'il trempe de ses larmes,
Et de ses assassins ce grand homme entouré
Semblait un roi puissant par son peuple adoré.
Besme, qui dans la cour attendait sa victime,
Monte, accourt, indigné qu'on diffère son crime;
Des assassins trop lents il veut hâter les coups;
Aux pieds de ce héros il les voit trembler tous.
A cet objet touchant lui seul est inflexible,
Lui seul, à la pitié toujours inaccessible,
Aurait cru faire un crime et trahir Médicis,
Si du moindre remords il se sentait surpris.
A travers les soldats il court d'un pas rapide:
Coligny l'attendait d'un visage intrépide,
Et bientôt dans le flanc ce monstre furieux
Lui plonge son épée en détournant les yeux,
De peur que d'un coup d'œil cet auguste visage
Ne fît trembler son bras, et glaçât son courage.

Du plus grand des Français tel fut le triste sort.
On l'insulte, on l'outrage encore après sa mort.
Son corps percé de coups, privé de sépulture,
Des oiseaux dévorants fut l'indigne pâture,
Et l'on porta sa tête aux pieds de Médicis,
Conquête digne d'elle et digne de son fils.
Médicis la reçut avec indifférence,
Sans paraître jouir du fruit de sa vengeance,
Sans remords, sans plaisir, maîtresse de ses sens,
Et comme accoutumée à de pareils présents.

VOLTAIRE.

LE MEUNIER SANS-SOUCI

L'homme est bien variable!.. et ces malheureux rois,
Dont on dit tant de mal, ont du bon quelquefois,
J'en conviendrai sans peine, et ferai mieux encore,
J'en citerai pour preuve un trait qui les honore:
Il est de ce héros, de Frédéric second,
Qui, tout roi qu'il était, fut un penseur profond,
Redouté de l'Autriche, envié dans Versailles,
Cultivant les beaux-arts au sortir des batailles,
D'un royaume nouveau la gloire et le soutien,
Grand roi, bon philosophe, et fort mauvais chrétien.

Il voulait se construire un agréable aile,
Où, loin d'une étiquette arrogante et futile,
Il pût, non végéter, boire et courir les cerfs,
Mais des faibles humains méditer les travers,
Et, mêlant la sagesse à la plaisanterie,
Souper avec d'Argens, Voltaire et la Mettrie.

Sur le riant coteau par le prince choisi
S'élevait le moulin du meunier Sans-Souci.
Le vendeur de farine avait pour habitude
D'y vivre au jour le jour, exempt d'inquiétude;
Et, de quelque côté que vînt souffler le vent,
Il y tournait son aile, et s'endormait content.
Fort bien achalandé, grâce à son caractère,
Le moulin prit le nom de son propriétaire;
Et des hameaux voisins, les filles, les garçons,
Allaient à Sans-Souci pour danser aux chansons.
Sans-Souci!.. ce doux nom d'un favorable augure,
Devait plaire aux amis des dogmes d'Épicure.
Frédéric le trouva conforme à ses projets,
Et du nom d'un moulin honora son palais.
Hélas! est-ce une loi, sur notre pauvre terre,
Que toujours deux voisins auront entre eux la guerre?
Que la soif d'envahir et d'étendre ses droits
Tourmentera toujours les meuniers et les rois?
En cette occasion le roi fut le moins sage:
Il lorgna du voisin le modeste héritage.
On avait fait des plans, fort beaux sur le papier,
Où le chétif enclos se perdait tout entier.
Il fallait, sans cela, renoncer à la vue,
Rétrécir les jardins et masquer l'avenue.
Des bâtiments royaux l'ordinaire intendant
Fit venir le meunier, et d'un ton important:
«Il nous faut ton moulin; que veux-tu qu'on t'en donne?
—Rien du tout; car j'entends ne le vendre à personne.
Il vous faut est fort bon... mon moulin est à moi...
Tout aussi bien au moins que la Prusse est au roi.
—Allons, ton dernier mot, bonhomme, et prends-y garde.
—Faut-il vous parler clair?
—Oui.
—C'est que je le garde,
Voilà mon dernier mot.» Ce refus effronté
Avec un grand scandale au prince est raconté.
Il mande auprès de lui le meunier indocile,
Presse, flatte, promet; ce fut peine inutile.
Sans-Souci s'obstinait: «Entendez la raison,
Sire, je ne puis pas vous vendre ma maison:
Mon vieux père y mourut, mon fils y vient de naître,
C'est mon Potsdam à moi. Je suis tranchant peut-être:
Ne l'êtes-vous jamais? Tenez, mille ducats,
Au bout de vos discours, ne me tenteraient pas.
Il faut vous en passer, je l'ai dit, j'y persiste.»
Les rois malaisément souffrent qu'on leur résiste.
Frédéric un moment par l'humeur emporté:
«Parbleu! de ton moulin c'est bien être entêté!
Je suis bon de vouloir t'engager à le vendre;
Sais-tu que sans payer, je pourrais bien le prendre?
Je suis le maître!—Vous?.. de prendre mon moulin?
Oui, si nous n'avions pas des juges à Berlin!»
Le monarque, à ce mot, revint de son caprice.
Charmé que, sous son règne, on crût à la justice,
Il rit, et se tournant vers quelques courtisans:
«Ma foi, messieurs, je crois qu'il faut changer nos plans.
Voisin, garde ton bien; j'aime fort ta réplique.»
Qu'aurait-on fait de mieux dans une république?
Le plus sûr est pourtant de ne pas s'y fier.
Ce même Frédéric, juste envers un meunier,
Se permit maintes fois telle autre fantaisie:
Témoin ce certain jour qu'il prit la Silésie;
Qu'à peine sur le trône, avide de lauriers,
Épris du vain renom qui séduit les guerriers,
Il mit l'Europe en feu. Ce sont là jeux de prince:
On respecte un moulin, on vole une province.

ANDRIEUX.

LE CHIEN COUPABLE

«Mon frère, sais-tu la nouvelle?
Mouflard, le bon Mouflard, de nos chiens le modèle,
Si redouté des loups, si soumis au berger,
Mouflard vient, dit-on, de manger
Le petit agneau noir, puis la brebis sa mère,
Et puis sur le berger s'est jeté furieux.
—Serait-il vrai?—Très-vrai, mon frère.
A qui donc se fier? grands dieux!»
C'est ainsi que parlaient deux moutons dans la plaine;
Et la nouvelle était certaine.
Mouflard, sur le fait même pris,
N'attendait plus que le supplice;
Et le fermier voulait qu'une prompte justice
Effrayât les chiens du pays.
La procédure en un jour est finie,
Mille témoins pour un déposent l'attentat:
Récolés, confrontés, aucun d'eux ne varie;
Mouflard est convaincu du triple assassinat:
Mouflard recevra donc deux balles dans la tête
Sur le lieu même du délit.
A son supplice qui s'apprête,
Toute la ferme se rendit.
Les agneaux de Mouflard demandèrent la grâce;
Elle fut refusée. On leur fit prendre place:
Les chiens se rangèrent près d'eux,
Tristes, humiliés, mornes, l'oreille basse,
Plaignant, sans l'excuser, leur frère malheureux.
Tout le monde attendait dans un profond silence.
Mouflard paraît bientôt, conduit par deux pasteurs:
Il arrive; et, levant au ciel ses yeux en pleurs,
Il harangue ainsi l'assistance:
«O vous qu'en ce moment je n'ose et je ne puis
Nommer, comme autrefois, mes frères, mes amis,
Témoins de mon heure dernière,
Voyez où peut conduire un coupable désir!
De la vertu quinze ans j'ai suivi la carrière,
Un faux pas m'en a fait sortir;

Apprenez mes forfaits: Au lever de l'aurore,
Seul auprès du grand bois, je gardais le troupeau,
Un loup vient, emporte un agneau,
Et tout en fuyant le dévore.
Je cours, j'atteins le loup, qui, laissant son festin,
Vient m'attaquer; je le terrasse,
Et je l'étrangle sur la place.

C'était bien jusque-là; mais, pressé par la faim,
De l'agneau dévoré je regarde le reste.
J'hésite, je balance..... A la fin cependant
J'y porte une coupable dent:
Voilà de mes malheurs l'origine funeste.
La brebis vient dans cet instant,
Elle jette des cris de mère.
La tête m'a tourné; j'ai craint que la brebis
Ne m'accusât d'avoir assassiné son fils;
Et, pour la forcer à se taire,
Je l'égorge dans ma colère.
Le berger accourait armé de son bâton:
N'espérant plus aucun pardon,
Je me jette sur lui; mais bientôt on m'enchaîne,
Et me voici prêt à subir
De mes crimes la juste peine.

Apprenez de moi tous, en me voyant mourir,
Que la plus légère injustice
Aux forfaits les plus grands peut conduire d'abord;
Et que, dans le chemin du vice,
On est au fond du précipice,
Dès qu'on met un pied sur le bord.»

FLORIAN.

STANCES DE RACAN

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