Selections from Saint-Simon
Cambray vaquoit, comme on l’a vu naguère, par la mort à Rome du cardinal de la Trémoïlle[261], c’est-à-dire le plus riche archevêché[262] et un des plus grands postes de l’Église. L’abbé du Bois n’étoit que tonsuré; cent cinquante mille livres de rente le tentèrent, et peut-être bien autant ce degré pour s’élever moins difficilement au cardinalat. Quelque impudent qu’il fût, quel que fût l’empire qu’il avoit pris sur son maître, il se trouva fort embarrassé et masqua son effronterie de ruse; il dit à M. le duc d’Orléans qu’il avoit fait un plaisant rêve, et lui conta qu’il avoit rêvé qu’il étoit archevêque de Cambray. Le Régent, qui sentit où cela alloit, fit la pirouette et ne répondit rien. Du Bois, de plus en plus embarrassé, bégaya et paraphrasa son rêve; puis, se rassurant d’effort, demanda brusquement pourquoi il ne l’obtiendroit pas, Son Altesse Royale, de sa seule volonté, pouvant faire ainsi sa fortune. M. le duc d’Orléans fut indigné, même effrayé, quelque peu scrupuleux qu’il fût au choix des évêques, et d’un ton de mépris, lui répondit: “Qui? toi, archevêque de Cambray?” en lui faisant sentir sa bassesse et plus encore le débordement et le scandale de sa vie. Du Bois s’étoit trop avancé pour demeurer en si beau chemin; lui cita des exemples. Malheureusement il n’y en avoit que trop, et en bassesse et en étranges mœurs, grâces, comme on l’a vu ailleurs, à Godet, évêque de Chartres, avec ses séminaristes de néant et ignorants dont il remplit les évêchés, au P. Tellier et à la constitution, pour bassesse, ignorance, et mauvaises mœurs tout à la fois, et à ceux qui l’ont suivi.
M. le duc d’Orléans, moins touché de raisons si mauvaises qu’embarrassé de résister à l’ardeur de la poursuite d’un homme qu’il n’avoit plus accoutumé à contredire sur rien, chercha à se tirer d’affaire, et lui dit: “Mais tu es un sacre, et qui est l’autre sacre qui voudra te sacrer?—Ah! s’il ne tient qu’à cela, reprit vivement l’abbé, l’affaire est faite; je sais bien qui me sacrera, il n’est pas loin d’ici.—Et qui diable est celui-là, répondit le Régent, qui osera te sacrer?—Voulez-vous le savoir? répliqua l’abbé; et ne tient-il qu’à cela encore une fois?—Hé bien! qui? dit le Régent.—Votre premier aumônier, reprit du Bois, qui est là dehors; il ne demandera pas mieux; je m’en vais le lui dire”; embrasse les jambes de M. le duc d’Orléans, qui demeure court et pris sans avoir la force du refus, sort, tire l’évêque de Nantes à part, lui dit qu’il a Cambray, le prie de le sacrer, qui le lui promet à l’instant; rentre, caracole, dit à M. le duc d’Orléans qu’il vient de parler à son premier aumônier, qui lui a promis de le sacrer, remercie, loue, admire, scelle de plus en plus son affaire, en la comptant faite et en persuadant le Régent, qui n’osa jamais dire que non. C’est de la sorte que du Bois se fit archevêque de Cambray.
Du Bois, sous prétexte des affaires dont il étoit chargé, obtint un bref pour recevoir à la fois tous les ordres, et se dispensa lui-même de toute retraite pour s’y préparer. Il alla donc un matin à quatre ou cinq lieues de Paris, où dans une église paroissiale du diocèse de Rouen, du grand vicariat de Pontoise, Tressan[263], évêque de Nantes, premier aumônier de M. le duc d’Orléans, donna dans la même messe basse, qu’il célébra extra tempora, le sous-diaconat, le diaconat et la prêtrise à l’abbé du Bois, et en fut après récompensé de l’archevêché de Rouen et des économats à la mort de Besons, qui avoit l’un et l’autre, et qui ne le fit pas longtemps attendre.
J’achèverai tout de suite ce qui regarde cette matière pour ne la pas séparer, et n’avoir pas à y revenir. On y trouvera une anecdote curieuse sur l’autorité de l’abbé du Bois sur son maître, et sur la frayeur et le danger de lui déplaire. Il eut ses bulles au commencement de mai, et fut sacré le dimanche 9 juin. Tout Paris et toute la cour y fut conviée. Je ne le fus point; j’étois lors mal avec lui, parce que je ne le ménageois guère avec M. le duc d’Orléans, sur ses vues du cardinalat et sur son abandon dans les affaires à ce qui convenoit aux Anglois et à l’Empereur, par lesquels il comptoit d’arriver à la pourpre romaine. Comme il redoutoit ma liberté, ma franchise, ma façon de parler à M. le duc d’Orléans qui lui faisoit de fréquentes impressions, quoique je m’en donnasse assez rarement la peine, et qu’il avoit celle de les effacer, il revenoit à moi de temps en temps, me ménageoit, me courtisoit, toujours pourtant détournant tant qu’il pouvoit la confiance de M. le duc d’Orléans en moi, qu’il resserroit sans cesse, mais qu’il ne pouvoit arrêter totalement ni même longtemps, quoique, comme je l’ai dit, je me retirasse beaucoup par le dégoût de tout ce que je voyois. Ainsi nous étions bien en apparence quelquefois, et souvent mal.
Ce sacre devoit être magnifique, et M. le duc d’Orléans y devoit assister. J’en dirai quelques mots dans la suite. Plus la nomination et l’ordination de l’abbé du Bois avoit fait de bruit, de scandale et d’horreur, plus les préparatifs superbes de son sacre les augmentoient, et plus l’indignation en éclatoit contre M. le duc d’Orléans. Je fus donc le trouver la veille de cet étrange sacre, et d’abordée je lui dis ce qui m’amenoit. Je le fis souvenir que je ne lui avois jamais parlé de la nomination de l’abbé du Bois à Cambray, parce qu’il savoit bien que je ne lui parlois jamais des choses faites; que je ne lui en parlerois pas encore, si je n’avois appris qu’il devoit aller le lendemain à son sacre; que je me tairois avec lui de la façon dont il se faisoit, telle qu’il ne pourroit mieux, si l’usage étoit encore de faire des princes du sang évêques, et qu’il fût question de son second fils, parce [que] je regardois cela comme chose déjà faite, mais que mon attachement pour lui ne me permettoit pas de lui cacher l’épouvantable effet que faisoit universellement une nomination de tous points si scandaleuse, une ordination si sacrilège, des préparatifs de sacre si inouïs pour un homme de l’extraction, de l’état, des mœurs et de la vie de l’abbé du Bois, non pour lui reprocher ce qui n’étoit plus réparable, mais pour qu’il sût à quel point en étoit la générale indignation contre lui, et que de là il conclût ce que ce seroit pour lui d’y mettre le comble en allant lui-même à ce sacre; je le conjurai de sentir quel seroit ce contraste avec l’usage, non-seulement des fils de France, mais des princes du sang, de n’aller jamais à aucun sacre, parce que je n’appelois pas y aller la curiosité d’en voir un une fois en leur vie, que les rois et les personnes royales avoient eue quelquefois; j’ajoutai qu’à l’opinion que sa vie et ses discours ne donnoient que trop continuellement de son défaut de toute religion, on ne manqueroit pas de dire, de croire et de répandre qu’il alloit à ce sacre pour se moquer de Dieu et insulter son Église; que l’effet de cela étoit horrible et toujours fort à craindre, et qu’on y ajouteroit avec raison que l’orgueil de l’abbé du Bois abusoit de lui en tout, et que ce trait public de dépendance, par une démarche si étrangement nouvelle et déplacée, lui attireroit une haine, un mépris, une honte dont les suites étoient à redouter, que je ne lui en parlois qu’en serviteur entièrement désintéressé; que son absence ou sa présence à ce sacre ne changeroit rien à la fortune de l’abbé du Bois, qui ne seroit ni plus ni moins archevêque de Cambray, et n’obscurciroit en rien la splendeur préparée pour ce sacre, telle qu’elle ne pourroit être plus grande, si on avoit un fils de France à sacrer; qu’en vérité c’en étoit bien assez pour un du Bois, sans prostituer son maître aux yeux de toute la France, et bientôt après de toute l’Europe, par la bassesse inouïe d’une démarche où on verroit bien que l’extrême pouvoir de du Bois sur lui l’auroit entraîné de force. Je finis par le conjurer de n’y point aller, et par lui dire qu’il savoit en quels termes actuels l’abbé du Bois et moi étions ensemble; que j’étois le seul homme de marque qu’il n’eût point convié; que nonobstant tout cela, s’il me vouloit promettre et me tenir sa parole de n’aller point à ce sacre, je lui donnois la mienne d’y aller, moi, et d’y demeurer tout du long, quelque horreur que j’en eusse et quelque blessé que je fusse de ce que cela feroit sûrement débiter que ce trait de courtisan étoit pour me raccommoder avec lui, moi si éloigné d’une pareille misère et qui osai me vanter, puisqu’il le falloit aujourd’hui, d’avoir jusqu’à ce moment conservé chèrement toute ma vie mon pucelage entier sur les bassesses.
Ce propos, vivement prononcé et encore plus librement et plus énergiquement étendu, fut écouté d’un bout à l’autre. Je fus surpris qu’il me dit que j’avois raison, que je lui ouvrais les yeux, plus encore qu’il m’embrassa, me dit que je lui parlois en véritable ami, et qu’il me donnoit sa parole et me la tiendrait de n’y point aller. Nous nous séparâmes là-dessus, moi le confirmant encore, lui promettant de nouveau que j’irois, et lui me remerciant de cet effort. Il n’eut nulle impatience, nulle envie que je m’en allasse, car je le connoissois bien, et je l’examinois jusqu’au fond de l’âme, et ce fut moi qui le quittai, bien content de l’avoir détourné d’une si honteuse démarche et si extraordinaire. Qui n’eût dit qu’il ne m’eût tenu parole? car on va voir qu’il le vouloit; mais voici ce qui arriva[264].
[Note: these two pages do not appear in the printed book.]
APPENDIX A
1. The Councils.
In the reign of Louis XIV there were four chief councils, the Conseil d’État known unofficially as the Conseil d’en haut, the Conseil des dépêches, the Conseil des finances, and the Conseil des parties.
Of these the Conseil d’État was by far the most important. It consisted of not less than four and not more than five members, nominated by the King at his pleasure without any formality. They were chosen from the Secretaries of State, the Controller-General and the Chef du Conseil des finances, but no office carried with it a seat in the council. They had the title of Ministre d’État, or briefly Ministre. The appointment was for life, but might be terminated by dismissal or resignation.
The following are the names of those who sat in the Conseil d’État from the death of Mazarin to the death of Louis XIV: Fouquet, Le Tellier, Lionne, Colbert, Villeroy père, Pomponne, Louvois, Croissy, Le Peletier, Seignelay, Pontchartrain, Beauvillier, Torcy, Chamillart, Desmaretz, Voysin, Villeroy fils. Of these seventeen, eight were fathers and sons, viz. the two Villeroys, Le Tellier and Louvois, Colbert and Seignelay, Croissy and Torcy. Only three, the Villeroys and Beauvillier, were ducs et pairs, or even belonged to the old nobility.
The Council met in the presence of the King every Sunday, Wednesday and Thursday, and every other Monday.
The Conseil des dépêches, also presided over by the King, met once a fortnight. It was composed of the Chancellor, the Ministers, and the Secretaries of State.
The Conseil royal des finances, also presided over by the King, consisted of the Chancellor, the Chef du Conseil des finances, the Controller-General, and two councillors.
The Conseil des parties, also called the Conseil privé, sat, not in the royal apartments, but in the Palais de justice. It was usually presided over, not by the King, but by the Chancellor, and was composed of thirty conseillers d’État and over eighty masters of requests. It was the supreme judicial and administrative body of the kingdom.
(See A. de Boislisle, Les Conseils sous Louis XIV, Appendices to vols. IV.-VII. of his edition of Saint-Simon’s Memoirs, and separately, 1901.)
2. The Secretaries of State.
The four Secretaries of State divided between them the administration of the Provinces. In addition each had his special department. These were four—Foreign Affairs, War, the King’s Household and the Navy, and the Protestants (La Religion prétendue réformée), of which the last became less and less important.
APPENDIX B
From Vauban’s Projet d’une dîme royale.
Par toutes les recherches que j’ai pu faire, depuis plusieurs années que je m’y applique, j’ai fort bien remarqué que dans ces derniers temps, près de la dixième partie du peuple est réduite à la mendicité, et mendie effectivement; que des neuf autres parties, il y en a cinq qui ne sont pas en état de faire l’aumône à celle-là, parce qu’eux-mêmes sont réduits, à très-peu de chose près, à cette malheureuse condition; que des quatre autres parties qui restent, les trois sont fort malaisées, et embarrassées de dettes et de procès; et que, dans la dixième, où je mets tous les gens d’épée, de robe, ecclésiastiques et laïques, toute la noblesse haute, la noblesse distinguée, et les gens en charge militaire et civile, les bons marchands, les bourgeois rentés et les plus accommodés, on ne peut pas compter sur cent mille familles; et je ne croirais pas mentir quand je dirais qu’il n’y en a pas dix mille, petites ou grandes, qu’on puisse dire être fort à leur aise; et qui en ôterait les gens d’affaires, leurs alliés et adhérents couverts et découverts, et ceux que le roi soutient par ses bienfaits, quelques marchands, etc., je m’assure que le reste serait en petit nombre[265].
Je me sens encore obligé d’honneur et de conscience de représenter à Sa Majesté qu’il m’a paru que de tout temps on n’avait pas eu assez d’égard en France pour le menu peuple, et qu’on en avait fait trop peu de cas; aussi c’est la partie la plus ruinée et la plus misérable du royaume; c’est elle, cependant, qui est la plus considérable par son nombre et par les services réels et effectifs qu’elle lui rend; car c’est elle qui porte toutes les charges, qui a toujours le plus souffert, et qui souffre encore le plus; et c’est sur elle aussi que tombe toute la diminution des hommes qui arrive dans le royaume.