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Souvenirs entomologiques - Livre I: Étude sur l'instinct et les moeurs des insectes

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La calotte sphérique formant l'embouchure de la nasse initiale est un travail à part, rajusté au corps principal du cocon. Si bien conduits que soient le raccordement et la soudure des deux pièces, la solidité n'est pas celle qu'obtiendrait la larve en maçonnant d'une manière continue l'ensemble de sa demeure. Il y a donc sur le pourtour du couvercle une ligne circulaire de moindre résistance. Mais ce n'est pas là vice de structure; c'est, au contraire, nouvelle perfection. Pour sortir plus tard de son coffre-fort, l'insecte éprouverait de graves difficultés, tant les parois sont résistantes. La ligne de jonction, plus faible que les autres, lui épargne apparemment bien des efforts, car c'est en majeure partie suivant cette ligne que se détache le couvercle, lorsque le Bembex sort de terre à l'état parfait.

J'ai appelé ce cocon coffre-fort. C'est, en effet, pièce très solide, tant à cause de sa configuration que de la nature de ses matériaux. Éboulements et tassements de terrain ne peuvent le déformer, car la plus forte pression des doigts ne parvient pas toujours à l'écraser. Peu importe donc à la larve que le plafond de son terrier, creusé dans un sol sans consistance, s'effondre tôt ou tard; peu lui importe même, sous sa mince couverture de sable, la pression du pied d'un passant; elle n'a plus rien à craindre du moment qu'elle est enclose dans son robuste abri. L'humidité ne la met pas davantage en péril. J'ai tenu des quinze jours des cocons de Bembex immergés dans l'eau sans leur trouver, après, la moindre trace d'humidité à l'intérieur. Que ne pouvons- nous disposer pour nos habitations d'un pareil hydrofuge! Enfin, par sa gracieuse forme d'oeuf, ce cocon semble plutôt le produit d'un art patient que celui d'un ver. Pour quelqu'un non au courant du mystère, les cocons que je fis construire avec du sable à sécher l'écriture, eussent été des bijoux d'une industrie inconnue, de grosses perles constellées de points d'or sur un fond bleu lapis, destinées au collier d'une élégante de la Polynésie.

CHAPITRE XIX RETOUR AU NID

L'Ammophile forant son puits à une heure tardive de la journée, abandonne son ouvrage après en avoir fermé l'orifice avec le couvercle d'une pierre, s'éloigne d'une fleur à l'autre, se dépayse, et sait néanmoins revenir le lendemain avec sa Chenille au domicile creusé la veille, malgré l'inconnu des lieux, souvent nouveaux pour elle; le Bembex, chargé de gibier, s'abat, avec une précision mathématique, sur le seuil de sa porte, obstruée de sable et confondue avec le reste de la nappe sablonneuse. Où mon regard et ma mémoire sont en défaut, leur coup d'oeil et leur souvenir ont une sûreté qui tient de l'infaillible. On dirait qu'il y a dans l'insecte quelque chose de plus subtil que le souvenir simple, une sorte d'intuition des lieux sans analogue en nous, enfin une faculté indéfinissable que je nomme mémoire, faute d'autre expression pour la désigner. L'inconnu ne peut avoir de nom. Afin de jeter, s'il est possible, un peu de jour sur ce point de la psychologie des bêtes, j'ai institué une série d'expériences que je vais exposer ici.

La première a pour objet le Cerceris tuberculé, le chasseur de Cléones. Vers dix heures du matin, je prends douze femelles occupées, dans le même talus, dans la même bourgade, soit à l'excavation, soit à l'approvisionnement des terriers. Chaque prisonnière est enfermée à part dans un cornet de papier, et le tout est mis dans une boîte. Je m'éloigne de l'emplacement des nids de deux kilomètres environ, et je relâche alors mes Cerceris, en ayant soin d'abord, pour les reconnaître plus tard, de les marquer d'un point blanc au milieu du thorax, avec un bout de paille trempé dans une couleur indélébile.

Les Hyménoptères s'envolent à quelques pas seulement, dans toutes les directions, qui d'ici, qui de là; ils se posent sur des brins d'herbe, se passent un moment les tarses antérieurs sur les yeux comme éblouis par le vif soleil qui leur est brusquement rendu, puis prennent l'essor les uns plus tôt, les autres plus tard, et se dirigent tous, sans hésitation aucune, en ligne droite vers le sud, c'est-à-dire dans la direction de leur domicile. Cinq heures plus tard, je reviens à l'emplacement commun des nids. À peine arrivé, je vois deux de mes Cerceris à marque blanche travaillant aux terriers; bientôt un troisième survient de la campagne avec un Charançon entre les pattes; un quatrième ne tarde pas à le suivre. Quatre sur douze, en moins d'un quart d'heure, c'était assez pour la conviction. Je jugeai inutile de prolonger mon attente. Ce que quatre ont su faire, les autres le feront s'ils ne l'ont déjà fait; et il est bien permis de supposer que les huit absents sont en course pour raison de chasse, ou bien retirés dans les profondeurs de leurs galeries. Ainsi, transportés à deux kilomètres, dans une direction et par une voie dont ils ne pouvaient avoir eu connaissance au fond de leur prison de papier, mes Cerceris étaient revenus, en partie du moins, à leur domicile.

J'ignore à quelle distance les Cerceris prolongent leurs domaines de chasse; et il peut se faire que, dans un rayon de deux kilomètres, le pays leur soit plus ou moins connu. Non suffisamment dépaysés au point où je les avais transportés, ils auraient alors regagné leur domicile par l'habitude acquise des lieux. L'expérience était à renouveler, avec un éloignement plus grand et un lieu de départ qu'on ne pût soupçonner être connu de l'Hyménoptère.

Au même groupe de terriers où j'ai puisé le matin, je prends donc neuf Cerceris femelles, dont trois venant de subir la précédente épreuve. Le transport se fait encore dans l'obscurité d'une boîte, chaque insecte reclus dans son cornet de papier. Le point de départ choisi est la ville voisine, Carpentras, à trois kilomètres environ du terrier. Je dois relâcher mes bêtes, non au milieu des champs, comme la première fois, mais en pleine rue, au centre d'un quartier populeux, où les Cerceris, avec leurs moeurs rustiques, n'ont certainement jamais pénétré. Comme la journée est déjà avancée, je diffère l'épreuve, et mes captifs passent la nuit dans leurs prisons cellulaires.

Le lendemain matin, vers les huit heures, je les marque sur le thorax d'un double point blanc pour les distinguer de ceux de la veille n'en portant qu'un seul; et je les rends à la liberté, l'un après l'autre, au milieu de la rue. Chaque Cerceris relâché monte d'abord verticalement entre les deux rangées de façades, comme pour se dégager au plus vite du défilé de la rue et gagner les larges horizons; puis, dominant les toits, il s'élance tout aussitôt, et d'un fougueux essor, vers le sud. Et c'est du sud que je les ai apportés dans la ville; c'est au sud que se trouvent leurs terriers. Neuf fois, avec mes neuf prisonniers, rendus libres l'un après l'autre, j'eus ce frappant exemple de l'insecte qui, totalement dépaysé, n'hésite pas dans la direction à suivre pour revenir au nid.

Quelques heures plus tard, j'étais moi-même aux terriers. Je vis plusieurs des Cerceris de la veille, reconnaissables à leur point blanc unique sur le thorax; mais je n'en vis aucun de ceux que je venais de relâcher. N'avaient-ils su retrouver leur domicile? Étaient-ils en expédition de chasse, ou bien se tenaient-ils cachés dans leurs galeries pour y calmer les émotions d'une telle épreuve? Je ne sais. Le lendemain, nouvelle visite de ma part; et cette fois, j'ai la satisfaction de trouver à l'ouvrage, aussi actifs que si rien d'extraordinaire ne s'était passé, cinq Cerceris à double point blanc sur le thorax. Trois kilomètres au moins de distance, la ville avec ses habitations, ses toitures, ses cheminées fumeuses, choses si nouvelles pour ces francs campagnards, n'avaient pu faire obstacle à leur retour au nid.

Enlevé de sa couvée, et transporté à des distances énormes, le Pigeon promptement revient au colombier. Si l'on voulait proportionner la longueur du trajet au volume de l'animal, combien le Cerceris, transporté à trois kilomètres et retrouvant son terrier, serait supérieur au Pigeon! Le volume de l'insecte ne fait pas un centimètre cube, et celui du Pigeon doit bien égaler le décimètre cube, s'il ne le dépasse pas. L'Oiseau, un millier de fois plus gros que l'Hyménoptère, devrait donc, pour rivaliser avec celui-ci, retrouver le colombier à une distance de 3000 kilomètres, trois fois la plus grande longueur de la France du nord au sud. Je ne sache pas qu'un Pigeon voyageur ait jamais accompli pareille prouesse. Mais puissance d'aile et encore moins lucidité d'instinct ne sont pas qualités se mesurant au mètre. Le rapport des volumes ne peut ici se prendre en considération; et l'on ne doit voir dans l'insecte qu'un digne émule de l'oiseau, sans décider à qui des deux revient l'avantage.

Pour revenir au colombier et au terrier, lorsqu'ils sont artificiellement dépaysés par l'homme, et transportés à de grandes distances, en des régions non encore visitées par eux et dans des directions inconnues, le Pigeon et le Cerceris sont-ils guidés par le souvenir? Ont-ils pour boussole la mémoire, quand, parvenus à une certaine hauteur, d'où ils relèvent en quelque sorte le point, ils s'élancent, de toute leur puissance d'essor, du côté de l'horizon où se trouvent leurs nids? Est-ce la mémoire qui leur trace la route dans les airs à travers de régions qu'ils voient pour la première fois? Évidemment non: il ne peut y avoir souvenir de l'inconnu. L'Hyménoptère et l'Oiseau ignorent les lieux où ils se trouvent; rien ne peut les avoir instruits de la direction générale suivant laquelle s'est effectué le déplacement, car c'est dans l'obscurité d'un panier clos ou d'une boîte que le voyage s'est accompli. Localité, orientation, tout leur est inconnu; et cependant ils se retrouvent. Ils ont donc pour guide mieux que le souvenir simple: ils ont une faculté spéciale, une sorte de sentiment topographique, dont il nous est impossible de nous faire une idée, n'ayant en nous rien d'analogue.

Je vais établir expérimentalement combien cette faculté est subtile, précise, dans le cycle étroit de ses attributions, et combien aussi elle est bornée, obtuse, s'il lui faut sortir des habituelles conditions où elle s'exerce. Telle est l'invariable antithèse de l'instinct.

Un Bembex, activement occupé de l'alimentation de sa larve, quitte le terrier. Il y reviendra tout à l'heure avec le produit de sa chasse. L'entrée est soigneusement bouchée avec du sable, que l'insecte y a balayé à reculons avant de partir; rien ne la distingue des autres points de la surface sablonneuse; mais ce n'est pas là du tout une difficulté pour l'Hyménoptère, qui retrouve sa porte avec un tact que j'ai déjà fait ressortir.

Méditons quelque perfidie, modifions l'état des lieux pour dérouter la bête. — Je recouvre l'entrée d'une pierre plate, large comme la main. Bientôt l'Hyménoptère arrive. Le changement profond qui s'est fait en son absence sur le seuil du logis, paraît ne lui causer la moindre hésitation; du moins le Bembex s'abat tout aussitôt sur la pierre, et cherche un moment à creuser, non au hasard sur la dalle, mais en un point qui correspond à l'orifice du terrier. La dureté de l'obstacle l'a promptement dissuadé de cette entreprise. Il parcourt alors la pierre en tous sens, la contourne, se glisse par dessous et se met à fouiller dans la direction précise du logis.

La pierre plate est trop peu pour dérouter la fine mouche: trouvons mieux que cela. Afin d'abréger, je ne laisse pas le Bembex continuer ses fouilles, qui, je le vois, aboutiraient promptement au succès; je le chasse au loin avec le mouchoir. L'absence assez longue de l'insecte effrayé me permettra de préparer à loisir mes embûches. Quels matériaux maintenant employer? En ces expérimentations improvisées, il faut savoir tirer parti de tout. Non loin, sur le chemin, est le crottin frais d'une bête de somme. Voilà du bois pour faire flèche. Le crottin est recueilli, mis en morceaux, émietté, puis répandu en une couche d'au moins un pouce d'épaisseur, sur le seuil du terrier et des alentours, dans une étendue d'un quart de mètre carré environ. Voilà certes une façade d'habitation comme jamais Bembex n'en connut de pareille. Coloration, nature des matériaux, effluves stercorales, tout concourt à donner le change à l'Hyménoptère. Prendra-t-il cela, cette nappe de fumier, cette ordure, pour le devant de sa porte? — Mais, oui: le voici qui arrive, examinant de haut l'état insolite des lieux, et prend pied au centre de la couche, précisément en face de l'entrée. Il fouille, se fait jour à travers la masse filandreuse, et pénètre jusqu'au sable où l'orifice du couloir est aussitôt trouvé. Je l'arrête, pour le chasser au loin une seconde fois.

Cette précision avec laquelle l'Hyménoptère s'abat devant sa porte, masquée cependant d'une façon si nouvelle pour lui, n'est- elle pas la preuve que la vue et le souvenir ne sont pas ici les seuls guides? Que peut-il y avoir de plus? Serait-ce l'odorat? C'est fort douteux, car les émanations du crottin n'ont pu mettre en défaut la perspicacité de l'insecte. Essayons néanmoins une autre odeur. J'ai sur moi précisément, faisant partie de mon bagage entomologique, un petit flacon d'éther. La nappe de fumier est balayée et remplacée par un matelas de mousse, peu épais mais à grande surface, et sur lequel je verse le contenu de mon flacon aussitôt que je vois le Bembex arriver. Trop fortes, les vapeurs éthérées tiennent d'abord l'Hyménoptère à distance. C'est l'affaire d'un instant. Puis l'Hyménoptère s'abat sur la mousse, répandant encore une odeur très sensible d'éther; il traverse l'obstacle et pénètre chez lui. Les effluves éthérés ne le déroutent pas mieux que les effluves stercoraux. Quelque chose de plus sûr que l'odorat lui dit où est son nid.

Fréquemment on a fait intervenir les antennes comme siège d'un sens spécial apte à guider les insectes. J'ai déjà montré comment la suppression de ces organes paraît n'entraver en rien les recherches des Hyménoptères. Essayons encore une fois, dans de plus larges conditions. Le Bembex est saisi, amputé de ses antennes jusqu'à la racine, et aussitôt relâché. Aiguillonné par la douleur, affolé par sa captivité entre mes doigts, l'insecte part plus rapide qu'un trait. Il me faut attendre une grosse heure, très incertain du retour. L'Hyménoptère arrive pourtant, et, avec son invariable précision, s'abat tout près de sa porte, dont j'ai pour la quatrième fois changé le décor. L'emplacement du nid est maintenant couvert d'une mosaïque de cailloux de la grosseur d'une noix. Mon travail qui, par rapport au Bembex, dépasse ce que sont pour nous les monuments mégalithiques de la Bretagne, les alignements de menhirs de Carnac, est inefficace pour tromper l'insecte mutilé. L'Hyménoptère privé d'antennes retrouve son entrée au milieu de ma mosaïque avec la même facilité que l'avait fait en d'autres conditions l'insecte pourvu de ces organes. Je laissai la fidèle mère rentrer en paix cette fois dans son logis.

Les lieux transformés d'aspect coup sur coup à quatre reprises; les devants de la demeure changés dans leur coloration, leur odeur, leurs matériaux; la douleur enfin d'une double blessure, tout avait échoué pour dérouter l'Hyménoptère, pour le faire simplement hésiter sur le point précis de sa porte. J'étais à bout de stratagèmes, et je comprenais moins que jamais comment l'insecte, s'il n'a pas un guide spécial dans quelque faculté de nous inconnue, peut se retrouver lorsque la vue et l'odorat sont mis en défaut par les artifices dont je viens de parler.

À quelques jours de là, une expérience me sourit pour reprendre le problème sous un nouveau point de vue. Il s'agit de mettre à découvert dans toute son étendue, sans trop le dénaturer, le terrier des Bembex, opération à laquelle se prêtent aisément le peu de profondeur de ce terrier, sa direction presque horizontale et la faible consistance du sol où il est creusé. À cet effet, le sable est peu à peu raclé avec la lame d'un couteau. Ainsi privé de sa toiture d'un bout à l'autre, la demeure souterraine devient un demi-canal, une rigole, droite ou courbe, d'une paire de décimètres de longueur, libre au point où était la porte d'entrée, terminée en cul-de-sac à l'autre bout, où gît la larve au milieu de ses victuailles.

Voilà le domicile à découvert, en pleine lumière, sous les rayons du soleil. Comment se comportera la mère à son retour? Divisons la question suivant le précepte scientifique: l'embarras pourrait être grand pour l'observateur; ce que j'ai déjà vu me le fait assez soupçonner. La mère survenant a pour mobile la nourriture de sa larve; mais pour arriver à cette larve, il faut premièrement trouver la porte. Ver et porte d'entrée, voilà dans la question les deux points qui me semblent mériter d'être examinés à part. J'enlève donc le ver ainsi que les provisions; et le fond du couloir devient place nette. Ces préparatifs faits, il n'y a plus qu'à s'armer de patience.

L'Hyménoptère survient enfin et va droit à sa porte absente, à cette porte dont il ne reste que le seuil. Là, pendant une bonne heure, je le vois fouiller superficiellement, balayer, faire voler le sable et s'obstiner, non à creuser une nouvelle galerie, mais à rechercher cette clôture mobile qui doit aisément céder sous la seule poussée de la tête et livrer passage à l'insecte. Au lieu de matériaux mouvants, il trouve sol ferme, non encore remué. Averti par cette résistance, il se borne à explorer la surface, toujours dans l'étroit voisinage de l'endroit où devrait se trouver l'entrée. Quelques pouces d'écart, c'est tout ce qu'il se permet. Les points qu'il a déjà sondés et balayés pour la vingtième fois, il revient les sonder, les balayer encore, sans pouvoir se décider à sortir de son étroit rayon, tant est tenace sa conviction que la porte devrait être là et pas ailleurs. Avec une paille, à diverses reprises, doucement je le pousse en un autre point. L'insecte ne s'y laisse prendre: il revient tout aussitôt à l'emplacement de sa porte. De loin en loin, la galerie, devenue demi-canal, paraît attirer son attention, mais bien faiblement. Le Bembex y fait quelques pas, toujours en râtelant; puis revient à l'entrée. Deux ou trois fois, je lui vois parcourir la rigole dans toute sa longueur; il atteint le cul-de-sac, demeure de la larve, y donne négligemment quelques coups de râteau et se hâte de regagner le point où fut l'entrée, pour y continuer ses recherches avec une persistance qui finit par lasser la mienne. Plus d'une heure s'était écoulée, et le tenace Hyménoptère cherchait toujours sur l'emplacement de la porte disparue.

Que se passera-t-il en présence de la larve? Tel est le second point de la question. Continuer l'expérimentation avec le même Bembex n'eût pas présenté les garanties désirables: l'insecte, rendu plus opiniâtre par ses vaines recherches, me semblait maintenant obsédé d'une idée fixe, cause certaine de troubles pour les faits que je désirais constater. Il me fallait un sujet nouveau, non surexcité, uniquement livré aux impulsions du premier moment. L'occasion ne tarda pas à se présenter.

Le terrier est mis à découvert d'un bout à l'autre, comme je viens de l'expliquer; mais je ne touche pas au contenu: la larve est laissée en place, les provisions sont respectées; tout est en ordre dans la maison, il n'y manque que la toiture. Et bien, devant ce domicile à jour, dont le regard saisit librement tous les détails, vestibule, galerie, chambre du fond avec le ver et son monceau de Diptères; devant cette demeure devenue rigole, à l'extrémité de laquelle s'agite la larve, sous les cuisants rayons du soleil, la mère ne change rien aux manoeuvres déjà décrites. Elle met pied à terre au point où fut l'entrée. C'est là qu'elle fouille, qu'elle balaie le sable; c'est là qu'elle revient toujours après quelques essais ailleurs, dans un rayon de quelques pouces. Nulle exploration de la galerie, nul souci de la larve en angoisse. Le ver, dont le délicat épiderme vient brusquement de passer de la douce moiteur d'un souterrain aux âpres ardeurs de l'insolation, se tord sur son monceau de Diptères mâchés; la mère ne s'en préoccupe. C'est pour elle le premier des objets venus épars sur le sol, petit caillou, motte de terre, lopin de boue sèche, et pas plus. Ça ne mérite pas attention. À cette tendre et fidèle mère, qui s'exténue pour arriver au berceau de son nourrisson, il faut pour le moment la porte d'entrée, l'habituelle porte et rien que cette porte. Ce qui remue ses entrailles maternelles, c'est le souci du passage connu. La voie est libre cependant: rien n'arrête la mère, et sous ses yeux se démène anxieusement le ver, but final de ses inquiétudes. D'un bond, elle serait au malheureux, qui réclame assistance. Que n'accourt-elle auprès du nourrisson chéri? Elle lui creuserait nouvelle demeure; rapidement elle le mettrait à l'abri sous terre. Mais non: la mère s'entête à la recherche d'un passage n'existant plus, tandis que le fils se grille au soleil sous ses yeux. Ma surprise n'a pas d'égale devant cette obtuse maternité, le plus puissant néanmoins, le plus fécond en ressources, de tous les sentiments qui agitent l'animal. À peine en croirais-je le témoignage de ma vue sans des épreuves répétées à satiété tant sur les Cerceris et les Philanthes que sur les Bembex de différentes espèces.

Il y a plus fort encore. La mère, après de longues hésitations, s'engage enfin dans la rigole, reste du primitif corridor. Elle avance, recule, avance de nouveau, donnant de ci de là, sans s'y arrêter, quelques négligents coups de balai. Guidée par de vagues réminiscences, et peut-être aussi par le fumet de venaison qu'exhale le tas de Diptères, elle atteint par moments le fond de la galerie, le point même où gît la larve. Voilà la mère et son fils. En ce moment de rencontre après de longues angoisses, y a-t- il soins empressés, effusion de tendresse, signe quelconque de maternelle joie? Qui le croirait n'a qu'à recommencer mes expériences pour se dissuader. Le Bembex ne reconnaît en rien sa larve, chose pour lui de valeur nulle, encombrante même, pur embarras. Il marche sur le ver, il le piétine sans ménagement, dans ses allées et venues précipitées. S'il veut essayer une fouille au fond de la chambre, il le refoule en arrière par de brutales ruades; il le pousse, le culbute, l'expulse. Il ne traiterait pas autrement un gravier volumineux qui le gênerait dans son travail. Ainsi rudoyée, la larve songe à la défense. Je l'ai vue saisir la mère par un tarse, sans plus de façon qu'elle en aurait mis à mordre la patte d'un Diptère, sa proie. La lutte fut vive, mais enfin les féroces mandibules lâchèrent prise, et la mère disparut affolée, en jetant un piaulement d'ailes des plus aigus. Cette scène dénaturée, le fils mordant la mère, essayant peut-être de la manger, est rare et amenée par des circonstances qu'il n'est pas permis à l'observateur de provoquer; ce à quoi il est toujours possible d'assister, c'est la profonde indifférence de l'Hyménoptère devant sa progéniture, et le dédain brutal avec lequel est traité cette masse encombrante, le ver. Une fois le fond du couloir exploré du râteau, ce qui est affaire d'un instant, le Bembex revient au point favori, le seuil de la demeure, où il reprend ses inutiles recherches. Quant au ver, il continue à se démener, à se tordre, où l'ont rejeté les maternelles ruades. Il périra sans secours aucun de sa mère, qui ne le reconnaît plus faute d'avoir trouvé l'habituel passage. Repassons par là le lendemain, et nous le verrons au fond de sa rigole, à demi cuit au soleil et déjà la proie des mouches, dont il faisait lui-même sa proie.

Telle est la liaison des actes de l'instinct, s'appelant l'un l'autre dans un ordre que les plus graves circonstances sont impuissantes à troubler. Que cherche le Bembex, en dernière analyse? La larve, évidemment. Mais pour arriver à cette larve, il faut pénétrer dans le terrier, et pour pénétrer dans ce terrier, il faut d'abord en trouver la porte. Et c'est à la recherche de cette porte que la mère s'obstine, devant sa galerie librement ouverte, devant ses provisions, devant sa larve elle-même. La maison en ruines, la famille en péril, pour le moment ne lui disent rien; il lui faut, avant tout, le passage connu, le passage à travers le sable mobile. Périsse tout, habitation et habitant, si ce passage n'est pas retrouvé! Ses actes sont comme une série d'échos qui s'éveillent l'un l'autre dans un ordre fixe, et dont le suivant ne parle que lorsque le précédent a parlé. Non pour cause d'obstacle, puisque la demeure est toute ouverte, mais faute de l'habituelle entrée, le premier acte ne peut s'accomplir. Cela suffit: les actes suivants ne s'accompliront pas; le premier écho est muet, et les autres se taisent. Quel abîme de séparation entre l'intelligence et l'instinct! À travers les décombres de l'habitation ruinée, la mère, guidée par l'intelligence, se précipite et va droit à son fils; guidée par l'instinct, elle s'arrête obstinément où fut la porte.

CHAPITRE XX LES CHALICODOMES

Réaumur a consacré l'un de ses mémoires à l'histoire du Chalicodome des murailles, qu'il appelle Abeille maçonne. Je me propose de reprendre ici cette histoire, de la compléter et de la considérer surtout sous un point de vue qu'a totalement négligé l'illustre observateur. Et tout d'abord, la tentation me vient de dire comment je fis connaissance avec cet Hyménoptère.

C'était à mes premiers débuts dans l'enseignement, vers 1843. Sorti depuis quelques mois de l'École normale de Vaucluse, avec mon brevet et les naïfs enthousiasmes de dix-huit ans, j'étais envoyé à Carpentras pour y diriger l'école primaire annexée au collège. Singulière école, ma foi, malgré son titre pompeux de supérieure. Une sorte de vaste cave, transpirant l'humidité qu'entretenait une fontaine adossée au dehors dans la rue. Pour jour, la porte ouverte au dehors lorsque la saison le permettait, et une étroite fenêtre de prison, avec barreaux de fer et petits losanges de verre enchâssés dans un réseau de plomb. Tout autour, pour sièges, une planche scellée dans le mur; au milieu, une chaise veuve de sa paille, un tableau noir et un bâton de craie.

Matin et soir, au son de la cloche; on lâchait là-dedans une cinquantaine de galopins, qui, n'ayant pu mordre au De Viris et à l_'Epitoine, _étaient voués, comme on disait alors, à quelques bonnes années de français. Le rebut de Rosa la rose venait chercher chez moi un peu d'orthographe.

Enfants et grands garçons étaient là pêle-mêle, d'instruction très diverse, mais d'une désespérante unanimité pour faire des niches au maître, au jeune maître dont quelques-uns avaient l'âge ou même le dépassaient.

Aux petits, j'enseignais à déchiffrer les syllabes; aux moyens, j'apprenais à tenir correctement la plume pour écrire quelques mots de dictée sur les genoux; aux grands, je dévoilais les secrets des fractions et même les arcanes de l'hypoténuse. Et pour tenir en respect ce monde remuant, donner à chaque intelligence travail suivant ses forces, tenir en éveil l'attention, chasser enfin l'ennui de la sombre salle, dont les murailles suaient la tristesse encore plus que l'humidité, j'avais pour unique ressource la parole, pour unique mobilier le bâton de craie.

Même dédain, du reste, dans les autres classes pour tout ce qui n'était pas latin ou grec. Un trait suffira pour montrer où en était l'enseignement des sciences physiques, à qui si large place est faite aujourd'hui. Le collège avait pour principal un excellent homme, le digne abbé X***, qui, peu soucieux d'administrer lui-même les pois verts et le lard, avait abandonné le commerce de la soupe à quelqu'un de sa parenté, et s'était chargé d'enseigner la physique.

Assistons à l'une de ses leçons. Il s'agit du baromètre. De fortune, l'établissement en possède un. C'est une vieille machine, toute poudreuse, appendue au mur, loin des mains profanes et portant inscrits, sur sa planchette en gros caractères, les mots tempête, pluie, beau temps.

«Le baromètre, fait le bon abbé s'adressant à ses disciples qu'il tutoie patriarcalement, le baromètre annonce le bon et le mauvais temps. Tu vois les mots écrits sur la planche, tempête, pluie; tu vois Bastien?»

«Je vois» répond Bastien, le plus malin de la bande. Il a déjà parcouru son livre; il est au courant du baromètre mieux que le professeur.

«Il se compose, continue l'abbé, d'un canal de verre recourbé, plein de mercure, qui monte ou qui descend suivant le temps qu'il fait. La petite branche de ce canal est ouverte; l'autre… l'autre… enfin nous allons voir. Toi, Bastien, qui es grand, monte sur la chaise et va voir un peu, du bout du doigt, si la longue branche est ouverte ou fermée. Je ne me rappelle plus bien.»

Bastien va à la chaise, s'y dresse tant qu'il peut sur la pointe des pieds, et du doigt palpe le sommet de la longue colonne. Puis avec un sourire fermement épanoui sous le poil follet de sa moustache naissante:

«Oui, fait-il, oui, c'est bien cela. La longue branche est ouverte par le haut. Voyez, je sens le creux.»

Et Bastien pour corroborer son fallacieux dire, continuait à remuer l'index sur le haut du tube. Ses condisciples complices de l'espièglerie, étouffaient du mieux leur envie de rire.

L'abbé, impassible: «Cela suffit. Descends, Bastien. Écrivez, messieurs, écrivez dans vos notes que la longue branche du baromètre est ouverte. Cela peut s'oublier; je l'avais oublié moi- même.»

Ainsi s'enseignait la physique. Les choses, cependant, s'améliorèrent: on eut un maître, un maître pour tout de bon, sachant que la longue branche d'un baromètre est fermée. Moi-même j'obtins des tables où mes élèves pouvaient écrire au lieu de griffonner sur leurs genoux; comme ma classe devenait chaque jour plus nombreuse, on finit par la dédoubler. Du moment que j'eus un aide pour avoir soin des plus jeunes, les choses changèrent de face.

Parmi les matières enseignées, une surtout nous souriait, tant au maître qu'aux élèves. C'était la géométrie en plein champ, l'arpentage pratique. Le collège n'avait rien de l'outillage nécessaire; mais avec mes gros émoluments, 7 francs s'il vous plaît, je ne pouvais hésiter à me mettre en dépense. Chaîne d'arpenteur et jalons, fiches et niveau, équerre et boussole, sont acquis à mes frais. Un graphomètre minuscule, guère plus large que la main et pouvant bien valoir cent sous, m'est fourni par l'établissement. Le trépied manquait; je le fis faire. Bref, me voilà outillé.

Le mois de mai venu, une fois par semaine, on quittait donc la sombre salle pour les champs. C'était fête. On se disputait l'honneur de porter les jalons, répartis par faisceaux de trois; et plus d'une épaule, en traversant la ville, se sentait glorifiée, à la vue de tous, par les doctes bâtons de la géométrie. Moi-même, pourquoi le cacher, je n'étais pas sans ressentir une certaine satisfaction de porter religieusement l'appareil le plus délicat, le plus précieux: le fameux graphomètre de cent sous. Les lieux d'opération étaient une plaine inculte, caillouteuse, un harmas comme on dit dans le pays. Là, nul rideau de haies vives ou d'arbustes ne m'empêchait de surveiller mon personnel; là, condition absolue, je n'avais à redouter pour mes écoliers la tentation irrésistible de l'abricot vert. La plaine s'étendait en long et en large, uniquement couverte de thym en fleurs et de cailloux roulés. Il y avait libre place pour tous les polygones imaginables; trapèzes et triangles pouvaient s'y marier de toutes les façons. Les distances inaccessibles s'y sentaient les coudées franches; et même une vieille masure, autrefois colombier, y prêtait sa verticale aux exploits du graphomètre.

Or, dès la première séance, quelque chose de suspect attira mon attention. Un écolier était-il envoyé au loin planter un jalon; je le voyais faire en chemin stations nombreuses, se baisser, se relever, chercher, se baisser encore, oublieux de l'alignement et des signaux. Un autre, chargé de relever les fiches, oubliait la brochette de fer et prenait à sa place un caillou; un troisième, sourd aux mesures d'angle, émiettait entre les mains une motte de terre. La plupart étaient surpris léchant un bout de paille Et le polygone chômait, les diagonales étaient en souffrance. Qu'était- ce donc que ce mystère?

Je m'informe, et tout s'explique. Né fureteur, observateur, l'écolier savait depuis longtemps ce qu'ignorait encore le maître. Sur les cailloux de l'harmas, une grosse Abeille noire fait des nids de terre. Dans ces nids, il y a du miel; et mes arpenteurs les ouvrent pour vider les cellules avec une paille. La manière d'opérer m'est enseignée. Le miel, quoique un peu fort, est très acceptable. J'y prends goût à mon tour, et me joins aux chercheurs de nids. On reprendra plus tard le polygone. C'est ainsi que, pour la première fois, je vis l'Abeille maçonne de Réaumur, ignorant son histoire, ignorant son historien.

Ce magnifique Hyménoptère, portant ailes d'un violet sombre et costume de velours noir, ses constructions rustiques sur les galets ensoleillés, parmi le thym, son miel apportant diversion aux sévérités de la boussole et de l'équerre d'arpenteur, firent impression vivace en mon esprit; et je désirai en savoir plus long que ne m'en avaient appris les écoliers: dévaliser les cellules de leur miel avec un bout de paille. Justement mon libraire avait en vente un magnifique ouvrage sur les insectes: _Histoire naturelle des animaux articulés, _par De Castelnau, E. Blanchard, Lucas. C'était riche d'une foule de figures qui vous prenaient par l'oeil; mais hélas! c'était aussi d'un prix! ah! d'un prix! Qu'importe: mes somptueux revenus, mes 7 francs ne devaient-ils pas suffire à tout, nourriture de l'esprit comme celle du corps. Ce que je donnerai de plus à l'une, je le retrancherai à l'autre, balance à laquelle doit fatalement se résigner quiconque prend la science pour gagne-pain. L'achat fut fait. Ce jour-là, ma prébende universitaire reçut saignée copieuse: je consacrai à l'acquisition du livre un mois de traitement. Un miracle de parcimonie devait combler plus tard l'énorme déficit.

Le livre fut dévoré, c'est le mot. J'y appris le nom de mon Abeille noire; j'y lus pour la première fois des détails de moeurs entomologiques; j'y trouvai, enveloppés à mes yeux d'une sorte d'auréole, les noms vénérés des Réaumur, des Huber, des Léon Dufour; et, tandis que je feuilletais l'ouvrage pour la centième fois, une voix intime vaguement en moi chuchotait: «Et toi aussi, tu seras historien des bêtes». — Naïves illusions qu'êtes-vous devenues! Mais refoulons ces souvenirs tristes et doux à la fois, pour arriver aux faits et gestes de notre Abeille noire.

_Chalicodome, _c'est-à-dire maison en cailloutage, en béton, en mortier; dénomination on ne peut mieux réussie, si ce n'était sa tournure bizarre pour qui n'est pas nourri de la moelle du grec. Ce nom s'applique, en effet, à des Hyménoptères qui bâtissent leurs cellules avec des matériaux analogues à ceux que nous employons pour nos demeures. L'ouvrage de ces insectes est travail de maçon, mais de maçon rustique plus versé dans le pisé que dans la pierre de taille. Étranger aux classifications scientifiques, ce qui jette grande obscurité dans plusieurs de ses mémoires, Réaumur a nommé l'ouvrier d'après l'ouvrage, et appelé nos bâtisseurs en pisé Abeilles maçonnes: ce qui les peint d'un mot.

Nos pays en ont deux: le Chalicodome des murailles (Chalicodoma muraria), celui dont Réaumur a magistralement donné l'histoire; et le Chalicodome de Sicile (Chalicodoma sicula), qui n'est pas spécial aux pays de l'Etna, comme son nom pourrait le faire croire, mais se retrouve en Grèce, en Algérie et dans la région méditerranéenne de la France, en particulier dans le département de Vaucluse, où il est un des Hyménoptères les plus abondants au mois de mai. Dans la première espèce, les deux sexes sont de coloration si différente, qu'un observateur novice, tout surpris de les voir sortir d'un même nid, les prend d'abord pour des étrangers l'un à l'autre. La femelle est d'un superbe noir velouté avec les ailes d'un violet sombre. Chez le mâle, ce velours noir est remplacé par une toison d'un roux ferrugineux assez vif. La seconde espèce, de taille bien moins grande, n'a pas cette opposition de couleurs; les deux sexes y portent même costume, mélange diffus de brun, de roux et de cendré. Enfin le bout de l'aile, lavé de violacé sur un fond rembruni, rappelle, mais de loin, la riche pourpre de la première. Les deux espèces commencent leur travail à la même époque, vers les premiers jours du mois de mai.

Comme support de son nid, le Chalicodome des murailles fait choix, dans les provinces du nord, ainsi que nous l'apprend Réaumur, d'une muraille bien exposée au soleil et non recouverte de crépi, qui, se détachant, compromettrait l'avenir des cellules. Il ne confie ses constructions qu'à des fondements solides, à la pierre nue. Dans le Midi, je lui reconnais même prudence; mais, j'ignore pour quel motif, à la pierre de la muraille, il préfère généralement ici une autre base. Un caillou roulé, souvent guère plus gros que le poing, un de ces galets dont les eaux de la débâcle glaciaire ont recouvert les terrasses de la vallée du Rhône, voilà le support de prédilection. L'extrême abondance de pareil emplacement pourrait bien être pour quelque chose dans le choix de l'Hyménoptère: tous nos plateaux de faible élévation, tous nos terrains arides à végétation de thym, ne sont qu'amoncellement de galets cimentés de terre rouge. Dans les vallées, le Chalicodome a de plus à sa disposition les pierrailles des torrents. Au voisinage d'Orange, par exemple, ses lieux préférés sont les alluvions de l'Aygues, avec leurs nappes de cailloux roulés que les eaux ne visitent plus. Enfin, à défaut de galet, l'Abeille maçonne s'établit sur une pierre quelconque, sur une borne de champs, sur un mur de clôture.

Le Chalicodome de Sicile met encore plus de variété dans ses choix. Son emplacement de prédilection est la face inférieure des tuiles en brique faisant saillie au bord d'une toiture. Il n'est petite habitation des champs qui n'abrite ses nids sous le rebord du toit. Là, tous les printemps, il s'établit par colonies populeuses, dont la maçonnerie, transmise d'une génération à l'autre, et chaque année amplifiée, finit par couvrir d'amples surfaces. J'ai vu tel de ces nids qui, sous les tuiles d'un hangar, occupait une superficie de cinq à six mètres carrés. En plein travail, c'était un monde étourdissant par le nombre et le bruissement des travailleurs. Le dessous d'un balcon plaît également au Chalicodome, ainsi que l'embrasure d'une fenêtre abandonnée, surtout si elle est close d'une persienne qui lui laisse libre passage. Mais ce sont là lieux de grands rendez-vous, où travaillent, chacun pour soi, des centaines et des milliers d'ouvriers. S'il est seul, ce qui n'est pas rare, le Chalicodome de Sicile s'établit dans le premier petit recoin venu, pourvu qu'il y trouve base fixe et chaleur. La nature de cette base lui est d'ailleurs fort indifférente. J'en ai vu bâtir sur la pierre nue, sur la brique, sur le bois des contrevents, et jusque sur les carreaux de vitre d'un hangar. Une seule chose ne lui va pas: le crépi de nos habitations. Aussi prudent que son congénère, il craindrait la ruine des cellules, s'il les confiait à un appui dont la chute est possible.

Enfin, pour des raisons que je ne peux m'expliquer encore d'une manière satisfaisante, le Chalicodome de Sicile change souvent, du tout au tout, l'assiette de sa bâtisse: de sa lourde maison de mortier, qui semblerait exiger le solide appui du roc, il fait demeure aérienne, appendue à un rameau. Un arbuste des haies, quel qu'il soit, aubépine, grenadier, paliure, lui fournit le support, habituellement à hauteur d'homme. Le chêne vert et l'orme lui donnent élévation plus grande. Dans le fourré buissonneux, il fait donc choix d'un rameau de la grosseur d'une paille; et, sur cette étroite base, il construit son édifice avec le même mortier qu'il mettrait en oeuvre sous un balcon ou le rebord d'un toit. Terminé, le nid est une boule de terre, traversée latéralement par le rameau. La grosseur en est celle d'un abricot si l'ouvrage est d'un seul, et celle du poing si plusieurs insectes y ont collaboré; mais ce dernier cas est rare.

Les deux Hyménoptères font emploi des mêmes matériaux: terre argilo-calcaire, mélangée d'un peu de sable et pétrie avec la salive même du maçon. Les lieux humides, qui faciliteraient l'exploitation et diminueraient la dépense en salive pour gâcher le mortier, sont dédaignés des Chalicodomes, qui refusent la terre fraîche pour bâtir, de même que nos constructeurs refusent plâtre éventé et chaux depuis longtemps éteinte. De pareils matériaux, gorgés d'humidité pure, ne feraient pas convenablement prise. Ce qu'il leur faut, c'est une poudre aride, qui s'imbibe avidement de la salive dégorgée et forme, avec les principes albumineux de ce liquide, une sorte de ciment romain prompt à durcir, quelque chose enfin de comparable au mastic que nous obtenons avec de la chaux vive et du blanc d'oeuf.

Une route fréquentée, dont l'empierrement de galets calcaires, broyés sous les roues, est devenu surface unie, semblable à une dalle continue, telle est la carrière à mortier qu'exploite de préférence le Chalicodome de Sicile. Qu'il s'établisse sur un rameau dans une haie, ou qu'il fasse élection de domicile sous le rebord du toit de quelque habitation rurale, c'est toujours au sentier voisin, au chemin, à la route, qu'il va récolter de quoi bâtir, sans se laisser distraire du travail par le continuel passage des gens et des bestiaux. Il faut voir l'active Abeille à l'oeuvre quand le chemin resplendit de blancheur sous les rayons d'un soleil ardent. Entre la ferme voisine, chantier où l'on construit, et la route, chantier où le mortier se prépare, bruit le grave murmure des arrivants et des partants qui se succèdent, se croisent sans interruption. L'air semble traversé par de continuels traits de fumée, tant l'essor des travailleurs est direct et rapide. Les partants s'en vont avec une pelote de mortier de la grosseur d'un grain de plomb à lièvre; les arrivants aussitôt s'installent aux endroits les plus durs, les plus secs. Tout le corps en vibration, ils grattent du bout des mandibules, ils ratissent avec les tarses antérieurs, pour extraire des atomes de terre et des granules de sable, qui, roulés entre les dents, s'imbibent de salive et se prennent en une masse commune. L'ardeur au travail est telle que l'ouvrier se laisse écraser sous les pieds des passants plutôt que d'abandonner son ouvrage.

Enfin le Chalicodome des murailles, qui recherche la solitude, loin des habitations de l'homme, se montre rarement sur les chemins battus, peut-être parce qu'ils sont trop éloignés des lieux où il construit. Pourvu qu'il trouve à proximité du galet adopté comme emplacement du nid, de la terre sèche, riche en menus graviers, cela lui suffit.

L'Hyménoptère peut construire tout à fait à neuf, sur un emplacement qui n'a pas encore été occupé; ou bien utiliser les cellules d'un vieux nid, après les avoir restaurées. Examinons d'abord le premier cas.

Après avoir fait le choix de son galet, le Chalicodome des murailles y arrive avec une pelote de mortier entre les mandibules, et la dispose en un bourrelet circulaire sur la surface du caillou. Les pattes antérieures et les mandibules surtout, premiers outils du maçon, mettent en oeuvre la matière, que maintient plastique l'humeur salivaire peu à peu dégorgée. Pour consolider le pisé, des graviers anguleux, de la grosseur d'une lentille, sont enchâssés un à un, mais seulement à l'extérieur, dans la masse encore molle. Voilà la fonction de l'édifice. À cette première assise en succèdent d'autres, jusqu'à ce que la cellule ait la hauteur voulue, de deux à trois centimètres.

Nos maçonneries sont formées de pierres superposées, et cimentées entre elles par la chaux. L'ouvrage du Chalicodome peut soutenir la comparaison avec le nôtre. Pour faire économie de main-d'oeuvre et de mortier, l'Hyménoptère, en effet, emploie de gros matériaux, de volumineux graviers, pour lui vraies pierres de taille. Il les choisit un par un avec soin, bien durs, presque toujours avec des angles qui, agencés les uns dans les autres, se prêtent mutuel appui et concourent à la solidité de l'ensemble. Des couches de mortier, interposées avec épargne, les maintiennent unis. Le dehors de la cellule prend lui l'aspect d'un travail d'architecture rustique, où les pierres font saillie avec leurs inégalités naturelles; mais l'intérieur, qui demande surface plus fine pour ne pas blesser la tendre peau du ver est revêtu d'un crépi de mortier pur. Du reste, cet enduit interne est déposé sans art, on pourrait dire à grands coups de truelle; aussi le ver a-t- il soin, lorsque la pâtée de miel est finie, de se faire un cocon et de tapisser de soie la grossière paroi de sa demeure. Au contraire, les Anthophores et les Halictes, dont les larves ne se tissent pas de cocon, glacent délicatement la face intérieure de leurs cellules de terre et lui donnent le poli de l'ivoire travaillé.

La construction, dont l'axe est toujours à peu près vertical et dont l'orifice regarde le haut, pour ne pas laisser écouler le miel, de nature assez fluide, diffère un peu de forme suivant la base qui la supporte. Assise sur une surface horizontale, elle s'élève en manière de petite tour ovalaire; fixée sur une surface verticale ou inclinée, elle ressemble à la moitié d'un dé à coudre coupé dans le sens de sa longueur. Dans ce cas, l'appui lui-même, le galet, complète la paroi d'enceinte.

La cellule terminée, l'Abeille s'occupe aussitôt de l'approvisionnement. Les fleurs du voisinage, en particulier celles du genêt épine fleuri (Genista scorpius), qui dorent au mois de mai les alluvions des torrents, lui fournissent liqueur sucrée et pollen. Elle arrive, le jabot gonflé de miel, et le ventre jauni en dessous de poussière pollinique. Elle plonge dans la cellule la tête la première et pendant quelques instants on la voit se livrer à des haut-le-corps, signe du dégorgement de la purée mielleuse. Le jabot vide, elle sort de la cellule pour y rentrer à l'instant même, mais cette fois à reculons. Maintenant, avec les deux pattes de derrière, l'Abeille se brosse la face inférieure du ventre et en fait tomber la charge de pollen. Nouvelle sortie et nouvelle rentrée la tête la première. Il s'agit de brasser la matière avec la cuiller des mandibules, et de faire du tout un mélange homogène. Ce travail de mixtion ne se répète pas à chaque voyage: il n'a lieu que de loin en loin, quand les matériaux sont amassés en quantité notable.

L'approvisionnement est au complet lorsque la cellule est à demi pleine. Il reste à pondre un oeuf à la surface de la pâtée et à fermer le domicile. Tout cela se fait sans délai. La clôture consiste en un couvercle de mortier pur, que l'Abeille construit progressivement de la circonférence au centre. Deux jours au plus m'ont paru nécessaires pour l'ensemble du travail, à la condition que le mauvais temps, ciel pluvieux ou simplement nuageux, ne vienne pas interrompre l'ouvrage. Puis, adossée à cette première cellule, une seconde est bâtie et approvisionnée de la même manière. Une troisième, une quatrième, etc., succèdent, toujours pourvues de miel, d'un oeuf, et clôturées avant la fondation de la suivante. Tout travail commencé est poursuivi jusqu'à parfaite exécution; l'Abeille n'entreprend nouvelle cellule que lorsque sont terminés, pour la précédente, les quatre actes de la construction, de l'approvisionnement, de la ponte et de la clôture.

Comme le Chalicodome des murailles travaille toujours solitaire sur le galet dont il a fait choix, et se montre même fort jaloux de son emplacement lorsque des voisins viennent s'y poser, le nombre des cellules adossées l'une à l'autre sur le même caillou n'est pas considérable, de six à dix le plus souvent. Huit larves environ, est-ce là toute la famille de l'Hyménoptère? ou bien celui-ci va-t-il établir après, sur d'autres galets, progéniture plus nombreuse? La surface de la même pierre est assez large pour fournir encore appui à d'autres cellules, si la ponte le réclamait; l'Abeille pourrait y bâtir très à l'aise, sans se mettre en recherche d'un autre emplacement, sans quitter le galet auquel attachent les habitudes, la longue fréquentation. Il me paraît donc fort probable que la famille, peu nombreuse, est établie au complet sur le même caillou, du moins lorsque le Chalicodome bâtit à neuf.

Les six à dix cellules composant le groupe sont certes demeure solide, avec leur revêtement rustique de graviers; mais l'épaisseur de leurs parois et de leurs couvercles, deux millimètres au plus, ne paraît guère suffisante pour défendre les larves quand viendront les intempéries. Assis sur sa pierre, en plein air, sans aucune espèce d'abri, le nid subira les ardeurs de l'été, qui feront de chaque cellule une étuve étouffante, puis les pluies de l'automne, qui lentement corroderont l'ouvrage; puis encore les gelées d'hiver, qui émietteront ce que les pluies auront respecté. Si dur que soit le ciment, pourra-t-il résister à toutes ces causes de destruction; et s'il résiste, les larves, abritées par une paroi trop mince, n'auront-elles pas à redouter chaleur trop forte en été, froid trop vif en hiver?

Sans avoir fait tous ces raisonnements, l'Abeille n'agit pas moins avec sagesse. Toutes les cellules terminées, elle maçonne sur le groupe un épais couvert, qui, formé d'une manière inattaquable par l'eau et conduisant mal la chaleur, à la fois défend de l'humidité, du chaud et du froid. Cette matière est l'habituel mortier, la terre gâchée avec de la salive; mais, cette fois, sans mélange de menus cailloux. L'Hyménoptère en applique, pelote par pelote, truelle par truelle, une couche d'un centimètre d'épaisseur sur l'amas des cellules, qui disparaissent complètement noyées au centre de la minérale couverture. Cela fait, le nid a la forme d'une sorte de dôme grossier, équivalant en grosseur à la moitié d'une orange. On le prendrait pour une boule de boue qui, lancée contre une pierre, s'y serait à demi écrasée et aurait séché sur place. Rien au dehors ne trahit le contenu, aucune apparence de cellules, aucune apparence de travail. Pour un oeil non exercé, c'est un éclat fortuit de boue, et rien de plus.

La dessiccation de ce couvert général est prompte à l'égal de celle de nos ciments hydrauliques; et alors la dureté du nid est presque comparable à celle d'une pierre. Il faut une solide lame de couteau pour entamer la construction. Disons, pour terminer, que, sous sa forme finale, le nid ne rappelle en rien l'ouvrage primitif, tellement que l'on prendrait pour travail de deux espèces différentes les cellules du début, élégantes tourelles, à revêtement de cailloutage, et le dôme de la fin, en apparence simple amas de boue. Mais grattons le couvert de ciment, et nous trouverons en dessous les cellules et leurs assises de menus cailloux parfaitement reconnaissables.

Au lieu de bâtir à neuf, sur un galet qui n'a pas été encore occupé, le Chalicodome des murailles volontiers utilise les vieux nids qui ont traversé l'année sans subir notables dommages. Le dôme de mortier est resté, bien peu s'en faut, ce qu'il était au début, tant la maçonnerie a été solidement construite; seulement, il est percé d'un certain nombre d'orifices ronds correspondant aux chambres, aux cellules qu'habitaient les larves de la génération passée. Pareilles demeures, qu'il suffit de réparer un peu pour les mettre en bon état, économisent grande dépense de temps et de fatigue; aussi les Abeilles maçonnes les recherchent et ne se décident pour des constructions nouvelles que lorsque les vieux nids viennent à leur manquer.

D'un même dôme il sort plusieurs habitants, frères et soeurs, mâles roux et femelles noires, tous lignée de la même Abeille. Les mâles, qui mènent vie insouciante, ignorent tout travail et ne reviennent aux maisons de pisé que pour faire un instant la cour aux dames, ne se soucient de la masure abandonnée. Ce qu'il leur faut, c'est le nectar dans l'amphore des fleurs, et non le mortier à gâcher entre les mandibules. Restent les jeunes mères, seules chargées de l'avenir de la famille. À qui d'entre elles reviendra l'immeuble, l'héritage du vieux nid? Comme soeurs, elles y ont droit égal: ainsi le déciderait notre justice, depuis que, progrès énorme, elle s'est affranchie de l'antique et sauvage droit d'aînesse. Mais les Chalicodomes en sont toujours à la base première de la propriété: le droit du premier occupant.

Lors donc que l'heure de la ponte approche, l'Abeille s'empare du premier nid libre à sa convenance, s'y établit; et malheur désormais à qui viendrait, voisine ou soeur, lui en disputer la possession. Des poursuites acharnées, de chaudes bourrades, auraient bientôt mis en fuite la nouvelle arrivée. Des diverses cellules qui bâillent, comme autant de puits, sur la rondeur du dôme, une seule pour le moment est nécessaire; mais l'Abeille calcule très bien que les autres auront plus tard leur utilité pour le restant des oeufs; et c'est avec une vigilance jalouse qu'elle les surveille toutes pour en chasser qui viendrait les visiter. Aussi n'ai-je pas souvenir d'avoir vu deux maçonnes travailler à la fois sur le même galet.

L'ouvrage est maintenant très simple. L'Hyménoptère examine l'intérieur de la vieille cellule pour reconnaître les points qui demandent réparation. Il arrache les lambeaux de cocon tapissant la paroi, extrait les débris terreux provenant de la voûte qu'a percée l'habitant pour sortir, crépit de mortier les endroits délabrés, restaure un peu l'orifice, et tout se borne là. Suivent l'approvisionnement, la ponte et la clôture de la chambre. Quand toutes les cellules, l'une après l'autre, sont ainsi garnies, le couvert général, le dôme de mortier, reçoit quelques réparations s'il en est besoin; et c'est fini.

À la vie solitaire, le Chalicodome de Sicile préfère compagnie nombreuse; et c'est par centaines, très souvent par nombreux milliers, qu'il s'établit à la face inférieure des tuiles d'un hangar ou du rebord d'un toit. Ce n'est pas ici véritable société, avec des intérêts communs, objet de l'attention de tous; mais simplement rassemblement, où chacun travaille pour soi et ne se préoccupe des autres; enfin une cohue de travailleurs rappelant l'essaim d'une ruche uniquement par le nombre et l'ardeur. Le mortier mis en oeuvre est le même que celui du Chalicodome des murailles, aussi résistant, aussi imperméable, mais plus fin et sans cailloutage. Les vieux nids sont d'abord utilisés. Toute chambre libre est restaurée, approvisionnée et scellée. Mais les anciennes cellules sont loin de suffire à la population, qui, d'une année à l'autre, s'accroît rapidement. Alors, à la surface du nid, dont les habitacles sont dissimulés sous l'ancien couvert général de mortier, d'autres cellules sont bâties, tant qu'en réclament les besoins de la ponte. Elles sont couchées horizontalement ou à peu près, les unes à côté des autres, sans ordre aucun dans leur disposition. Chaque constructeur a les coudées franches. Il bâtit où il veut, à la seule condition de ne pas gêner le travail des voisins; sinon les houspillages des intéressés le rappellent à l'ordre. Les cellules s'amoncellent donc au hasard sur ce chantier où ne règne aucun esprit d'ensemble. Leur forme est celle d'un dé à coudre partagé suivant l'axe, et leur enceinte se complète soit par les cellules adjacentes, soit par la surface du vieux nid. Au dehors, elles sont rugueuses et montrent une superposition de cordons noueux correspondant aux diverses assises de mortier. Au dedans, la paroi en est égalisée sans être lisse, le cocon du ver devant plus tard suppléer le poli qui manque.

À mesure qu'elle est bâtie, chaque cellule est immédiatement approvisionnée et murée, ainsi que vient de nous le montrer le Chalicodome des murailles. Semblable travail se poursuit pendant la majeure partie du mois de mai. Enfin tous les oeufs sont pondus, et les Abeilles, sans distinction de ce qui leur appartient et de ce qui ne leur appartient pas, entreprennent en commun l'abri général de la colonie. C'est une épaisse couche de mortier, qui remplit les intervalles et recouvre l'ensemble des cellules. Finalement, le nid commun a l'aspect d'une large plaque de boue sèche, très irrégulièrement bombée, plus épaisse au centre, noyau primitif de l'établissement, plus mince aux bords, où ne sont encore que des cellules de fondation nouvelle et d'une étendue fort variable suivant le nombre des travailleurs et, par conséquent, suivant l'âge du nid premier fondé. Tel de ces nids n'est guère plus grand que la main; tel autre occupe la majeure partie du rebord d'une toiture et se mesure par mètres carrés.

Travaillant seul, ce qui n'est pas rare, sur le contrevent d'une fenêtre abandonnée, sur une pierre, sur un rameau de haies, le Chalicodome de Sicile n'agit pas d'autre manière. S'il s'établit, par exemple, sur un rameau, l'Hyménoptère commence par mastiquer solidement sur l'étroit appui la base de sa cellule. Ensuite la construction s'élève et prend forme d'une tourelle verticale. À cette première cellule approvisionnée et scellée en succède une autre, ayant pour soutien, outre le rameau, le travail déjà fait. De six à dix cellules sont ainsi groupées l'une à côté de l'autre. Puis un couvert général de mortier enveloppe le tout et englobe dans son épaisseur le rameau, ce qui fournit solide point d'attache.

CHAPITRE XXI EXPÉRIENCES

Édifiés sur des galets de petit volume, que l'on peut transporter où bon vous semble, déplacer, échanger entre eux, sans troubler soit le travail du constructeur, soit le repos des habitants des cellules, les nids du Chalicodome des murailles se prêtent facilement à l'expérimentation, seule méthode qui puisse jeter un peu de clarté sur la nature de l'instinct. Pour étudier avec quelque fruit les facultés psychiques de la bête, il ne suffit pas de savoir profiter des circonstances qu'un heureux hasard présente à l'observation; il faut savoir en faire naître d'autres, les varier autant que possible, et les soumettre à un contrôle mutuel; il faut enfin expérimenter pour donner à la science une base solide de faits. Ainsi s'évanouiront un jour, en face de documents précis, les clichés fantaisistes dont nos livres sont encombrés: Scarabée conviant des collègues à lui prêter main-forte pour retirer sa pilule du fond d'une ornière, Sphex dépeçant sa mouche pour la transporter malgré l'obstacle du vent, et tant d'autres dont abuse qui veut trouver dans l'animal ce qui n'y est réellement pas. Ainsi encore se prépareront les matériaux qui, mis en oeuvre tôt ou tard par une main savante, rejetteront dans l'oubli des théories prématurées, assises sur le vide.

Réaumur, d'habitude, se borne à relever les faits tels qu'ils se présentent à lui dans le cours normal des choses, et ne songe à scruter plus avant le savoir-faire de l'insecte au moyen de conditions artificiellement réalisées. À son époque tout était à faire; et la moisson est si grande, que l'illustre moissonneur va au plus pressé, la rentrée de la récolte, et laisse à ses successeurs l'examen en détail du grain et de l'épi. Néanmoins, au sujet du Chalicodome des murailles, il mentionne une expérience entreprise par son ami Du Hamel. Il raconte comment un nid d'Abeille maçonne fut renfermé sous un entonnoir en verre, dont on avait eu soin de boucher le bout avec une simple gaze. Il en sortit trois mâles qui, étant venus à bout d'un mortier dur comme pierre, ne tentèrent pas de percer une fine gaze ou jugèrent ce travail au-dessus de leurs forces. Les trois Abeilles périrent sous l'entonnoir. Communément les insectes, ajoute Réaumur, ne savent faire que ce qu'ils ont besoin de faire dans l'ordre ordinaire de la nature.

L'expérience ne me satisfait pas, pour deux motifs. Et d'abord, donner à couper une gaze à des ouvriers outillés pour percer un pisé équivalent du tuf ne me paraît pas inspiration heureuse: on ne peut demander à la pioche d'un terrassier le travail des ciseaux d'une couturière. En second lieu, la transparente prison de verre me semble mal choisie. Dès qu'il s'est ouvert un passage à travers l'épaisseur de son dôme de terre, l'insecte se trouve au jour, à la lumière, et pour lui le jour, la lumière, c'est la délivrance finale, c'est la liberté. Il se heurte à un obstacle invisible, le verre; pour lui le verre est un rien qui arrête. Par-delà, il voit l'étendue libre, inondée de soleil. Il s'exténue en efforts pour y voler, incapable de comprendre l'inutilité de ses tentatives contre cette étrange barrière qui ne se voit pas. Il périt enfin épuisé, sans avoir donné, dans son obstination, un regard à la gaze fermant la cheminée conique. L'expérience est à refaire en de meilleures conditions.

L'obstacle que je choisis est du papier gris ordinaire, suffisamment opaque pour maintenir l'insecte dans l'obscurité, assez mince pour ne pas présenter de résistance sérieuse aux efforts du prisonnier. Comme il y a fort loin, en tant que nature de barrière, d'une cloison de papier à une voûte de pisé, informons-nous d'abord si le Chalicodome des murailles sait, ou, pour mieux dire, peut se faire jour à travers pareille cloison. Les mandibules, pioches aptes à percer le dur mortier, sont-elles également des ciseaux propres à couper une mince membrane? Voilà le point dont il faut avant tout s'informer.

En février, alors que l'insecte est déjà dans son état parfait, je retire, sans les endommager, un certain nombre de cocons de leurs cellules, et je les introduis, chacun à part, dans un bout de roseau, fermé à une extrémité par la cloison naturelle du noeud, ouvert à l'autre. Ces fragments de roseau représenteront les cellules du nid. Les cocons y sont introduits de manière que la tête de l'insecte soit tournée vers l'orifice. Enfin mes cellules artificielles sont clôturées de différentes manières. Les unes reçoivent dans leur ouverture un tampon de terre pétrie, qui, desséchée, équivaudra en épaisseur et en consistance au plafond de mortier du nid naturel. Les autres ont pour clôture un cylindre de sorgho à balai, épais au moins d'un centimètre; enfin quelques- unes sont bouchées avec une rondelle de papier gris solidement fixée par les bords. Tous ces bouts de roseau sont disposés à côté l'un de l'autre dans une boîte, verticalement, et la cloison de ma fabrique en haut. Les insectes sont donc dans la position exacte qu'ils avaient dans le nid. Pour s'ouvrir un passage, ils doivent faire ce qu'ils auraient fait sans mon intervention: fouiller la paroi située au-dessus de leur tête. J'abrite le tout sous une large cloche de verre, et j'attends le mois de mai, époque de la sortie.

Les résultats dépassent, et de beaucoup, mes prévisions. Le tampon de terre, oeuvre de mes doigts, est percé d'un trou rond, ne différant en rien de celui que le Chalicodome pratique à travers son dôme natal de mortier. La barrière végétale, si nouvelle pour mon prisonnier, c'est-à-dire le cylindre en tige de sorgho, s'ouvre pareillement d'un orifice que l'on dirait fait à l'emporte-pièce. Enfin l'opercule de papier gris livre passage à l'Hyménoptère, non par une effraction, une déchirure violente, mais encore au moyen d'un trou rond nettement délimité. Donc mes Abeilles sont capables d'un travail pour lequel elles n'étaient pas nées; elles font, pour sortir de leurs cellules de roseau, ce que leur race n'avait probablement jamais fait; elles perforent la paroi de moelle de sorgho, elles trouent la barrière de papier, comme elles auraient percé leur naturel plafond de pisé. Quand vient le moment de se libérer, la nature de l'obstacle ne les arrête pas, pourvu qu'il ne soit pas au-dessus de leurs forces; et, désormais, des raisons d'impuissance ne peuvent être invoquées s'il s'agit d'une simple barrière de papier.

En même temps que les cellules faites de bouts de roseau, étaient préparés et mis sous la cloche deux nids intacts assis sur leurs galets. Sur l'un d'eux j'ai fixé une feuille de papier gris étroitement appliquée contre le dôme de mortier. Pour sortir, l'insecte devra percer la cloche de terre, puis la feuille de papier, qui lui succède sans intervalle vide. Autour de l'autre, j'ai collé sur la pierre un petit cône du même papier gris; il y a donc ici, comme dans le premier cas, double enceinte, paroi de papier, avec cette différence que les deux enceintes ne font plus immédiatement suite l'une à l'autre, mais sont séparées par un intervalle vide, d'un centimètre environ à la base, et croissant à mesure que le cône s'élève.

Les résultats de ces deux préparations sont tout différents. Les Hyménoptères du nid à feuille de papier appliquée sur le dôme sans intervalle, sortent en perçant la double enceinte, dont la dernière, l'enveloppe de papier, est trouée d'un orifice rond bien net, comme nous en ont déjà montré les cellules en bout de roseau fermées d'un couvercle de même nature. Pour la seconde fois, nous reconnaissons ainsi que, si le Chalicodome s'arrête devant une barrière de papier, la cause n'en est pas son impuissance contre pareil obstacle. Au contraire, après s'être fait jour à travers le dôme de terre, les habitants du nid recouvert du cône, trouvant à distance la feuille de papier, n'essaient pas même de percer cet obstacle, dont ils auraient si facilement triomphé si la feuille eût été appliquée sur le nid. Sans tentative de libération, ils meurent sous le couvert. Ainsi avaient péri, dans l'entonnoir de verre, les Abeilles de Réaumur, n'ayant, pour être libres, qu'une gaze à percer.

Ce fait me paraît riche de conséquences. Comment! Voilà de robustes insectes, pour qui forer le tuf est un jeu, pour qui tampon de bois tendre et diaphragme de papier sont parois si faciles à trouer malgré la nouveauté de la matière, et ces vigoureux démolisseurs se laissent sottement périr dans la prison d'un cornet, qu'ils éventreraient en un seul coup de mandibules? Cet éventrement, ils le peuvent, mais ils n'y songent pas. Le motif de leur stupide inaction ne saurait être que celui-ci. — L'insecte est excellemment doué en outils et en facultés instinctives pour accomplir l'acte final de ses métamorphoses: l'issue du cocon et de la cellule. Il a dans ses mandibules ciseaux, lime, pic, levier, pour couper, ronger, abattre tant son cocon et sa muraille de mortier que toute autre enceinte, pas par trop tenace, substituée à la paroi naturelle du nid. De plus, condition majeure sans laquelle l'outillage resterait inutile, il a, je ne dirai pas la volonté de se servir de ses outils, mais bien un stimulant intime qui l'invite à les employer. L'heure de la sortie venue, ce stimulant s'éveille, et l'insecte se met au travail du forage.

Peu lui importe alors que la matière à trouer soit le mortier naturel, la moelle de sorgho, le papier: le couvercle qui l'emprisonne ne lui résiste pas longtemps. Peu lui importe même qu'un supplément d'épaisseur s'ajoute à l'obstacle, et qu'à l'enceinte de terre se superpose une enceinte de papier; les deux barrières, non séparées par un intervalle, ne font qu'un pour l'Hyménoptère, qui s'y fait jour parce que l'acte de la délivrance se maintient dans son unité. Avec le cône de papier, dont la paroi reste peu à distance, les conditions changent, bien que l'enceinte totale, au fond, soit la même. Une fois sorti de sa demeure de terre, l'insecte a fait tout ce qu'il était destiné à faire pour se libérer; circuler librement sur le dôme de mortier est pour lui la fin de la délivrance, la fin de l'acte où il faut trouer. Autour du nid une autre barrière se présente, la paroi du cornet; mais pour la percer il faudrait renouveler l'acte qui vient d'être accompli, cet acte auquel l'insecte ne doit se livrer qu'une fois en sa vie; il faudrait enfin doubler ce qui de sa nature est un, et l'animal ne le peut, uniquement parce qu'il n'en a pas le vouloir. L'Abeille maçonne périt faute de la moindre lueur d'intelligence. Et, dans ce singulier intellect, il est de mode aujourd'hui de voir un rudiment de la raison humaine! La mode passera, et les faits resteront, nous ramenant aux bonnes vieilleries de l'âme et de ses immortelles destinées.

Réaumur raconte encore comment son ami Du Hamel, ayant saisi avec des tenettes une Abeille maçonne qui était entrée en partie dans une cellule, la tête la première, pour la remplir de pâtée, la porta dans un cabinet assez éloigné de l'endroit où il l'avait prise. L'Abeille lui échappa dans ce cabinet et s'envola par la fenêtre. Sur-le-champ Du Hamel se rendit au nid. La maçonne y arriva presque aussitôt que lui, et reprit son travail. Elle en parut seulement un peu plus farouche, conclut le narrateur.

Que n'étiez-vous ici, vénéré maître, avec moi sur les bords de l'Aygues, vaste nappe de galets à sec les trois quarts de l'année, torrent énorme quand il pleut; je vous eusse montré incomparablement mieux que la fugitive échappée aux tenettes. Vous eussiez assisté, partageant ma surprise, non à un bref essor de la maçonne qui, transportée dans un cabinet voisin, se délivre et revient aussitôt au nid, dont les environs lui sont familiers; mais à de voyages de long cours et par des voies inconnues. Vous eussiez vu l'Abeille, dépaysée par mes soins à de grandes distances, rentrer chez elle avec un tact géographique que ne désavoueraient pas l'Hirondelle, le Martinet et le Pigeon voyageur; et vous vous seriez demandé, comme moi, quelle inexplicable connaissance de la carte des lieux guide cette mère en recherche du nid.

Venons au fait. Il s'agit de renouveler avec le Chalicodome des murailles mes expériences d'autrefois avec les Cerceris: transporter dans l'obscurité l'insecte fort loin de son nid et l'abandonner à lui-même après l'avoir marqué. Si quelqu'un se trouvait désireux de répéter l'épreuve, je lui transmets ma manière d'opérer, ce qui pourra abréger les hésitations du début.

L'insecte que l'on destine à long voyage doit être évidemment saisi avec certaines précautions. Pas de tenettes, pas de pinces, qui pourraient fausser une aile, donner une entorse, et compromettre la puissance d'essor. Tandis que l'Abeille est à sa cellule, absorbée dans son travail, je la recouvre d'une petite éprouvette de verre. En s'envolant, la maçonne s'y engouffre, ce qui me permet, sans la toucher, de la transvaser aussitôt dans un cornet de papier, que je me hâte de fermer. Une boite en fer- blanc, boîte d'herborisation, me sert au transport des prisonnières, chacune dans son cornet.

C'est sur les lieux choisis comme point de départ que le plus délicat reste à faire: marquer chaque captive avant sa mise en liberté. Je fais emploi de craie en poudre fine, délayée dans une forte dissolution de gomme arabique. La bouillie, déposée avec un bout de paillé sur un point de l'insecte, y laisse tache blanche, qui promptement se sèche et adhère à la toison. S'il s'agit de marquer un Chalicodome pour ne pas le confondre avec un autre dans des expériences de courte durée, comme j'en rapporterai plus loin, je me borne à toucher, de ma paille chargée de couleur, le bout de l'abdomen, tandis que l'insecte est à demi plongé dans la cellule, la tête en bas. Cet attouchement léger passe inaperçu de l'Hyménoptère, qui continue son travail sans dérangement aucun; mais la marque n'est pas bien solide, et de plus elle est en un point défavorable à sa conservation, car l'Abeille, avec ses fréquents coups de brosse sur le ventre pour détacher le pollen, tôt ou tard la fait disparaître. C'est donc au beau milieu du thorax, entre les ailes, que je dépose le point de craie gommée.

Dans ce travail, l'emploi de gants n'est guère possible: les doigts réclament toute leur dextérité pour saisir avec délicatesse la remuante Abeille et maîtriser ses efforts sans brutale pression. On voit déjà qu'à ce métier, s'il n'y a pas d'autre profit, il y a du moins gain assuré de piqûres. Un peu d'adresse fait éviter le dard, mais pas toujours. On s'y résigne. Du reste, la piqûre des Chalicodomes est loin d'être aussi cuisante que celle de l'Abeille domestique. Le point blanc est déposé sur le thorax; la maçonne part, et la marque se sèche en route.

Une première fois, je prends deux Chalicodomes des murailles occupés à leurs nids sur les galets des alluvions de l'Aygues, non loin de Sérignan; et je les transporte chez moi à Orange, où je les lâche après les avoir marquées. D'après la carte de l'état- major, la distance entre les deux points est d'environ quatre kilomètres en ligne droite. La mise en liberté des captives a lieu sur le soir, à une heure où les Hyménoptères commencent à mettre fin aux travaux de la journée. Il est alors probable que mes deux Abeilles passeront la nuit dans le voisinage.

Le lendemain matin, je me rends aux nids. La fraîcheur est encore trop grande, et les travaux chôment. Quand la rosée est dissipée, les Maçonnes se mettent à l'ouvrage. J'en vois une, mais sans tache blanche, qui apporte du pollen à l'un des deux nids d'où proviennent les voyageurs que j'attends. C'est une étrangère qui, trouvant inoccupée la cellule dont j'ai moi-même expatrié la propriétaire, s'y est établie et en a fait son bien, ignorant que c'est déjà le bien d'une autre. Depuis la veille, peut-être, elle travaille à l'approvisionnement. Sur les dix heures, au fort de la chaleur, la maîtresse de céans survient tout à coup: ses droits de premier occupant sont inscrits pour moi en caractères irrécusables sur le thorax, blanchi de craie. Voilà une de mes voyageuses de retour.

À travers les vagues des blés, à travers les champs roses de sainfoin, elle a franchi les quatre kilomètres; et la voilà de retour au nid, après avoir butiné en route, car elle arrive, la vaillante, avec le ventre tout jaune de pollen. Rentrer chez soi, du fond de l'horizon, c'est merveilleux; y rentrer la brosse à pollen bien garnie, c'est sublime d'économie. Un voyage, pour les Abeilles, serait-il voyage forcé, est toujours expédition de récolte. Elle trouve au nid l'étrangère — «Qu'est ceci? Tu vas voir!» Et la propriétaire fond furieuse sur l'autre, qui peut-être ne songeait à mal. C'est alors, entre les deux maçonnes, d'ardentes poursuites par les airs. De temps à autre, elles planent presque immobiles face à face, à une paire de pouces de distance, et, là sans doute, se mesurant du regard, s'injurient du bourdonnement. Puis, elles reviennent s'abattre sur le nid en litige, tantôt l'une, tantôt l'autre. Je m'attends à les voir se prendre corps à corps, à faire jouer le dard entre elles. Mon attente est déçue: les devoirs de la maternité parlent trop impérieusement en elles pour leur permettre de risquer la vie en lavant l'injure dans un duel à mort. Tout se borne à des démonstrations hostiles, à quelques bourrades sans gravité.

La vraie propriétaire néanmoins semble puiser double audace, double force dans le sentiment de son droit. Elle prend pied sur le nid, pour ne plus le quitter, et accueille l'autre, chaque fois qu'elle ose s'approcher, avec un frôlement d'ailes irrité, signe non équivoque de sa juste indignation. Découragée, l'étrangère finit par abandonner la place. À l'instant la maçonne se remet au travail, aussi active que si elle ne venait pas de subir les épreuves de son long voyage.

Encore un mot sur les rixes au sujet de la propriété. Quand un Chalicodome est en expédition, il n'est pas rare qu'un autre, vagabond sans domicile, visite le nid, le trouve à son gré et s'y mette au travail, tantôt à la même cellule, tantôt à la cellule voisine s'il y en a plusieurs de libres, cas habituels des vieux nids. À son retour, le premier occupant ne manque pas de pourchasser l'intrus, qui finit toujours par être délogé, tant est vif, indomptable chez le maître le sentiment de la propriété. Au rebours de la sauvage maxime prussienne, la force prime le droit, chez les Chalicodomes le droit prime la force; autrement ne pourrait s'expliquer la retraite constante de l'usurpateur, qui, pour la vigueur, ne le cède en rien au vrai propriétaire. S'il n'a pas autant d'audace, c'est qu'il ne se sent pas réconforté par cette puissance souveraine, le droit, qui fait autorité, entre pareils, jusque chez la brute.

Le second de mes deux voyageurs ne parut pas, ni le jour de l'arrivée du premier, ni les jours suivants.

Une autre épreuve est décidée, cette fois avec cinq sujets. Le lieu de départ, le lieu de l'arrivée, la distance, les heures, tout reste le même. Sur les cinq expérimentés, j'en retrouve trois à leurs nids le lendemain les deux autres font défaut.

Il est ainsi parfaitement reconnu que le Chalicodome des murailles, transporté à quatre kilomètres de distance et relâché dans des lieux qu'il n'a certes jamais vus, sait revenir au nid. Mais pourquoi en manque-t-il au rendez-vous, d'abord un sur deux, puis deux sur cinq? Ce que l'un sait faire, l'autre ne le pourrait-il? Y aurait-il disparité dans la faculté qui les guide au milieu de l'inconnu? Ne serait-ce pas plutôt disparité de puissance de vol? Le souvenir me revient que mes Hyménoptères n'étaient pas tous partis avec le même entrain. Les uns, à peine échappés de mes doigts, s'étaient fougueusement lancés dans les airs, où je les avais perdus tout aussitôt de vue; les autres s'étaient laissés choir à quelques pas de moi après courte volée. Ces derniers, la chose paraît certaine, ont souffert pendant le trajet, peut-être de la chaleur concentrée dans la fournaise de ma boîte. Je peux bien avoir endolori la jointure des ailes pendant l'opération de la marque, si difficile à conduire quand il faut veiller aux coups de dard. Ce sont des éclopés, des invalides, qui traîneront dans les sainfoins voisins, et non de vigoureux voiliers comme il en faut pour le voyage.

L'expérience est à refaire, en ne tenant compte que de ceux qui partiront aussitôt d'entre mes doigts, avec un essor franc et vigoureux. Les hésitants, les traînards qui s'arrêtent tout à côté sur un buisson, seront laissés hors de cause. En outre, j'essaierai d'évaluer de mon mieux le temps employé pour le retour au nid. Pour pareille expérience, il me faut un nombre considérable de sujets: les faibles et tous les éclopés, et ils seront peut-être nombreux, devant être mis au rebut. Le Chalicodome des murailles ne peut me fournir la collection désirée: il n'est pas assez fréquent et je tins à ne pas trop troubler la petite peuplade que je destine à d'autres observations sur les bords de l'Aygues. Heureusement j'ai chez moi, en pleine activité, sous le rebord de la toiture d'un hangar, un magnifique nid de Chalicodome de Sicile. Je peux, dans la cité populeuse, puiser en aussi grand nombre que je voudrai. L'insecte est petit, plus de moitié moindre que le Chalicodome des murailles; n'importe: il n'y aura que plus de mérite pour lui s'il sait franchir les quatre kilomètres que je lui réserve, et retrouver son nid. J'en prends quarante, isolés, comme d'habitude, dans des cornets.

Une échelle est dressée contre le mur pour arriver au nid: elle doit servir à ma fille Aglaé, et lui permettre de constater l'instant précis du retour de la première Abeille. La pendule de la cheminée et ma montre sont mises en concordance pour la comparaison du moment de départ et du moment d'arrivée. Les choses ainsi disposées, j'emporte mes quarante captives et me rends au point même où travaille le Chalicodome des murailles, dans les alluvions de l'Aygues. La course aura double but: observation de la maçonne de Réaumur et mise en liberté de la maçonne sicilienne. Pour le retour de celle-ci la distance sera donc encore de quatre kilomètres.

Enfin mes prisonniers sont relâchés, tous marqués d'abord d'un large point blanc au milieu du thorax. Ce n'est pas en vain que l'on manie du bout des doigts, un à un, quarante irascibles Hyménoptères, qui dégainent aussitôt et jouent du dard empoisonné. Avant que la marque soit faite, le coup de stylet n'est que trop souvent donné. Mes doigts endoloris ont des mouvements de défense que la volonté ne peut toujours réprimer. Je saisis avec plus de précaution pour moi que pour l'insecte, je serre parfois plus qu'il ne conviendrait pour ménager mes voyageurs. C'est une belle et noble chose, capable de faire braver bien des périls, que d'expérimenter afin de soulever, s'il se peut, un tout petit coin des voiles de la vérité; mais encore est-il permis de laisser poindre quelque impatience s'il s'agit de recevoir, en une courte séance, quarante coups d'aiguillon au bout des doigts. À qui me reprocherait mes coups de pouce non assez ménagés, je conseillerais de recommencer l'épreuve: il jugera par lui-même de la déplaisante situation.

Bref: soit à cause des fatigues du transport, soit par le fait de mes doigts qui ont trop appuyé et faussé peut-être quelques articulations, sur mes quarante Hyménoptères, il n'en part qu'une vingtaine d'un essor franc et vigoureux. Les autres vaguent sur les herbages voisins, inhabiles à conserver l'équilibre, ou se maintiennent sur les osiers où je les ai posés, sans se décider à prendre le vol, même quand je les excite avec une paille. Ces défaillants, ces estropiés à épaules luxées, ces impotents mis à mal par mes doigts, doivent être défalqués de la liste. Il en est parti vingt environ, d'un essor qui n'a pas hésité. Cela suffit et largement.

À l'instant même du départ, rien de précis dans l'orientation adoptée, rien de cet essor direct vers le nid que m'avaient autrefois montré les Cerceris en pareille circonstance. Aussitôt libres, les Chalicodomes fuient, comme effarés, qui dans une direction, qui dans la direction tout opposée. Autant que le permet leur vol fougueux, je crois néanmoins reconnaître un prompt retour des Abeilles lancées à l'opposé de leur demeure, et la majorité me semble se diriger du côté de l'horizon où se trouve le nid. Je laisse ce point avec des doutes, que rendent inévitables des insectes perdus de vue à une vingtaine de mètres de distance.

Jusqu'ici l'opération a été favorisée par un temps calme; mais voici qui vient compliquer les affaires. La chaleur est étouffante et le ciel se fait orageux. Un vent assez fort se lève, soufflant du sud, précisément la direction que doivent prendre mes Abeilles pour retourner au nid. Pourront-elles surmonter ce courant contraire, fendre de l'aile le torrent aérien? Si elles le tentent, il leur faudra voler près de terre, comme je le vois faire maintenant aux Hyménoptères qui continuent encore à butiner; mais l'essor dans les hautes régions, d'où elles pourraient prendre claire connaissance des lieux, leur est, ce me semble, interdit. C'est donc avec de vives appréhensions sur le succès de mon épreuve que je reviens à Orange, après avoir essayé de dérober encore quelque secret au Chalicodome des galets de l'Aygues.

À peine rentré chez moi, je vois Aglaé, la joue fleurie d'animation. — «Deux, fait-elle; deux arrivées à trois heures moins vingt, avec la charge de pollen sous le ventre.» — Un de mes amis était survenu, grave personnage de loi, qui, mis au courant de l'affaire, oubliant code et papier timbré, avait voulu assister, lui aussi, à l'arrivée de mes pigeons voyageurs. Le résultat l'intéressait plus que le procès du mur mitoyen. Par un soleil sénégalien et une chaleur de fournaise réverbérée par la muraille, de cinq minutes en cinq minutes, il montait à l'échelle, tête nue, sans autre abri contre l'insolation que sa crinière grise et touffue. Au lieu de l'unique observateur que j'avais aposté, je retrouvais deux bonnes paires d'yeux surveillant le retour.

J'avais relâché mes Hyménoptères sur les deux heures et les premiers arrivés rentraient au nid à trois heures moins vingt. Trois quarts d'heure à peu près leur avaient donc suffi pour franchir les quatre kilomètres; résultat bien frappant, surtout si l'on considère que les Abeilles butinaient en route, comme en témoignaient le ventre jauni de pollen, et que, d'autre part, l'essor des voyageurs devait être entravé par le souffle contraire du vent. Trois autres rentrèrent sous mes yeux, toujours avec la preuve du travail fait en chemin, la charge pollinique. La journée touchant à sa fin, l'observation ne pouvait être continuée. Lorsque le soleil baisse, les Chalicodomes quittent, en effet, le nid pour aller se réfugier je ne sais où, qui d'ici, qui de là; peut-être sous les tuiles des toits et dans les petits abris des murailles. Je ne pouvais compter sur l'arrivée des autres qu'à la reprise des travaux, au moment du plein soleil.

Le lendemain, quand le soleil rappela au nid les travailleurs dispersés, je repris le recensement des Abeilles à thorax marqué de blanc. Le succès dépassa toutes mes espérances: j'en comptai quinze, quinze des expatriées de la veille, approvisionnant ou maçonnant comme si rien d'extraordinaire ne s'était passé. Puis l'orage, dont les indices se multipliaient, éclata, et fut suivi d'une série de jours pluvieux qui m'empêchèrent de continuer.

Telle qu'elle est, l'expérience suffit. Sur une vingtaine d'Hyménoptères qui m'avaient paru en état de faire le voyage lorsque je les avais relâchés, quinze au moins étaient revenus: deux dans la première heure, trois dans la soirée, et les autres le lendemain matin. Ils étaient revenus malgré le vent contraire et, difficulté plus grave, malgré l'inconnu des lieux où je les avais transportés. Il est indubitable, en effet, qu'ils voyaient pour la première fois ces oseraies de l'Aygues, choisies par moi comme point de départ. Jamais d'eux-mêmes ils ne s'étaient éloignés à pareille distance, car pour bâtir et approvisionner sous le rebord du toit de mon hangar, tout le nécessaire est à portée. Le sentier au pied du mur fournit le mortier; les prairies émaillées de fleurs dont ma demeure est entourée fournissent nectar et pollen. Si économes de leur temps, ils ne vont pas chercher à quatre kilomètres de distance ce qui abonde à quelques pas du nid. Du reste, je les vois journellement prendre leurs matériaux de construction sur le sentier et faire leurs récoltes sur les fleurs des prairies, en particulier sur la sauge des prés. Suivant toute apparence, leurs expéditions ne dépassent pas une centaine de mètres à la ronde. Comment donc mes dépaysées sont- elles revenues? Quel est leur guide? Ce n'est certes pas la mémoire, mais une faculté spéciale qu'il faut se borner à constater par ses étonnants effets, sans prétendre l'expliquer, tant elle est en dehors de notre propre psychologie.

CHAPITRE XXII ÉCHANGE DE NIDS

Poursuivons la série des expériences sur le Chalicodome des murailles. Par sa position sur un galet que l'on déplace comme l'on veut, le nid de cet Hyménoptère se prête aux plus intéressantes épreuves. Voici la première.

Je change un nid de place, c'est-à-dire que je transporte à une paire de mètres plus loin le caillou qui lui sert de support. L'édifice et sa base ne faisant qu'un, le déménagement s'opère sans le moindre trouble dans les cellules. Le galet est déposé en lieu découvert et se trouve bien en vue comme il l'était sur son emplacement naturel. L'Hyménoptère, à son retour de la récolte, ne peut manquer de l'apercevoir.

Au bout de quelques minutes, le propriétaire arrive et va droit où était le nid. Il plane mollement au-dessus de l'emplacement vide, examine et s'abat au point précis où reposait la pierre. Là, recherches pédestres, obstinément prolongées; puis l'insecte prend l'essor et s'envole au loin. Son absence est de courte durée. Le voici revenu. Les recherches sont reprises, au vol ou à pied, et toujours sur l'emplacement que le nid occupait d'abord. Nouvel accès de dépit, c'est-à-dire brusque essor à travers l'oseraie; nouveau retour et reprise des vaines recherches, constamment sur l'empreinte même qu'a laissée le galet déplacé. Ces fuites soudaines, ces prompts retours, ces examens tenaces du lieu désert, longtemps, fort longtemps se répètent avant que la maçonne soit convaincue que son nid n'est plus là. Certainement elle a vu, elle a revu le nid déplacé, car parfois en volant elle a passé en dessus, à quelques pouces; mais elle n'en fait cas. Ce nid, pour elle, n'est pas le sien, mais la propriété d'une autre Abeille.

Souvent l'épreuve se termine sans qu'il y ait même simple visite au galet changé de place et porté à deux ou trois mètres plus loin: l'Abeille part et ne revient plus. Si la distance est moins considérable, un mètre par exemple, la maçonne prend pied, plus tôt ou plus tard, sur le caillou support de sa demeure. Elle visite la cellule qu'elle approvisionnait ou construisait peu auparavant; à diverses reprises elle y plonge la tête; elle examine pas à pas la surface du galet, et, après de longues hésitations, va reprendre ses recherches sur l'emplacement où la demeure devrait se trouver. Le nid qui n'est plus à sa place naturelle est définitivement abandonné, ne serait-il distant que d'un mètre du point primitif. En vain l'Abeille s'y pose à plusieurs reprises; elle ne peut le reconnaître pour sien. Je m'en suis convaincu en le retrouvant, plusieurs jours après l'épreuve, exactement dans le même état où il était lorsque je l'avais déplacé. La cellule ouverte et à demi garnie de miel était toujours ouverte et livrait son contenu au pillage des fourmis; la cellule en construction était restée inachevée, sans une nouvelle assise de plus. L'hyménoptère, la chose est évidente, pouvait y être revenu, mais n'y avait pas repris le travail. La demeure déplacée était pour toujours abandonnée.

Je n'en déduirai pas l'étrange paradoxe que l'Abeille maçonne, capable de retrouver son nid du bout de l'horizon, ne sait plus le retrouver à un mètre de distance: l'interprétation des faits n'amène nullement là. La conclusion me paraît celle-ci: l'Hyménoptère garde impression tenace de l'emplacement occupé par le nid. C'est là qu'il revient, même quand le nid n'y est plus, avec une obstination difficile à lasser. Mais il n'a que très vague idée du nid lui-même. Il ne reconnaît pas la maçonnerie qu'il a construite lui-même et pétrie de sa salive; il ne reconnaît pas la pâtée qu'il a lui-même amassée. En vain il visite sa cellule, son oeuvre; il l'abandonne, ne la prenant pas pour sienne du moment que l'endroit où repose le galet n'est plus le même.

Étrange mémoire, il faut l'avouer, que celle de l'insecte, si lucide dans la connaissance générale des lieux, si bornée dans la connaissance du chez soi. Volontiers je l'appellerai instinct topographique: la carte du pays lui est connue; et le nid chéri, la demeure elle-même, non. Les Bembex nous ont déjà conduits à pareille conclusion. Devant le nid mis à découvert, ils ne se préoccupent de la famille, de la larve qui se tord dans l'angoisse au soleil. Ils ne la reconnaissent pas. Ce qu'ils reconnaissent, ce qu'ils cherchent et trouvent avec une précision merveilleuse, c'est l'emplacement de la porte d'entrée dont il ne reste plus rien, pas même le seuil.

S'il restait des doutes sur l'impuissance où se trouve le Chalicodome des murailles de reconnaître son nid autrement que d'après la place que le galet occupe sur le sol, voici de quoi les lever. — Au nid de l'Abeille maçonne, j'en substitue un autre pris à quelque voisine, et pareil, autant que faire se peut, aussi bien sous le rapport de la maçonnerie que sous le rapport de l'approvisionnement. Cet échange et ceux dont il me reste à parler, se font en l'absence du propriétaire bien entendu. À ce nid qui n'est pas le sien, mais repose au point où était l'autre, l'Abeille s'établit sans hésitation. Si elle construisait, je lui offre une cellule en voie de construction. Elle y continue le travail de maçonnerie avec le même soin, le même zèle, que si l'ouvrage déjà fait était son propre ouvrage. Si elle apportait miel et pollen, je lui offre une cellule en partie approvisionnée. Ses voyages se continuent, avec miel dans le jabot et pollen sous le ventre, pour achever de garnir le magasin d'autrui.

L'Abeille ne soupçonne donc pas l'échange; elle ne distingue pas ce qui est sa propriété et ce qui ne l'est pas; elle croit toujours travailler à la cellule vraiment sienne. Après l'avoir laissée en possession un certain temps du nid étranger, je lui rends le sien. Ce nouveau changement est incompris de l'Hyménoptère: le travail se poursuit dans la cellule rendue, au point où il était dans la cellule substituée. Puis, second remplacement par le nid étranger; et même persistance de l'insecte à y continuer son ouvrage. Alternant ainsi, toujours à la même place, tantôt le nid d'autrui, tantôt le nid propre de l'Abeille, je me suis convaincu, à satiété, que l'Hyménoptère ne peut faire de différence entre ce qui est son oeuvre et ce qui ne l'est pas. Que la cellule lui appartienne ou non, il y travaille avec ferveur pareille, pourvu que le support de l'édifice, le galet, occupe toujours le primitif emplacement.

On peut donner à l'épreuve intérêt plus vif, en mettant à profit deux nids voisins dont le travail soit à peu près également avancé. Je les transporte l'un à la place de l'autre. La distance en est d'une coudée à peine. Malgré ce voisinage si rapproché, qui permet à l'insecte d'apercevoir à la fois les deux domiciles et de choisir entre eux, les deux Abeilles, à leur arrivée, se posent à l'instant chacune sur le nid substitué et y continuent leur ouvrage. Alternons les deux nids autant de fois que bon nous semblera, et nous verrons les deux Chalicodomes garder l'emplacement choisi par eux, et travailler à tour de rôle tantôt à leur propre cellule, tantôt à la cellule d'autrui.

On pourrait croire que cette confusion a pour cause une étroite ressemblance entre les deux nids, car m'attendant fort peu, en mes débuts, aux résultats que je devais obtenir, je choisissais aussi pareils que possible les deux nids à substituer l'un à l'autre, crainte à rebuter les Hyménoptères. Ma précaution supposait une clairvoyance que l'insecte n'a pas. Je prends maintenant, en effet, deux nids d'une dissemblance extrême à la seule condition que, de part et d'autre, l'ouvrier trouve une cellule conforme au travail qui l'occupe en ce moment. Le premier est un vieux nid dont le dôme est percé de huit trous, orifices des cellules de la précédente génération. Une de ces huit cellules a été restaurée, et l'Abeille y travaille à l'approvisionnement. Le second est un nid de fondation nouvelle, sans dôme de mortier et composé d'une seule cellule à revêtement de cailloutage. L'insecte s'y occupe pareillement de l'amas de pâtée. Voilà certes deux nids qui ne sauraient différer davantage, l'un avec ses huit chambres vides et son ample dôme de pisé; l'autre avec son unique cellule, toute nue, grosse au plus comme un gland.

Eh bien, devant ces nids échangés et distants d'un mètre à peine, les deux Chalicodomes n'hésitent pas longtemps. Chacun gagne l'emplacement de son domicile. L'un, propriétaire d'abord du vieux nid, ne trouve plus chez lui qu'une cellule. Il inspecte rapidement le galet, et, sans autre façon, plonge dans la cellule étrangère d'abord la tête pour y dégorger le miel, puis le ventre pour y déposer le pollen. Et ce n'est pas là action imposée par la nécessité de se débarrasser au plus vite, n'importe où, d'un pénible fardeau, car l'Hyménoptère s'envole et ne tarde pas à revenir avec une nouvelle récolte, qu'il emmagasine soigneusement. Cet apport de provisions dans le garde-manger d'autrui se répète autant de fois que je le permets. L'autre Hyménoptère, trouvant à la place de son unique cellule, la spacieuse construction à huit appartements, est d'abord assez embarrassé. Quelle est la bonne, parmi les huit cellules? Dans quelle est l'amas de pâtée commencé? L'Abeille donc visite une à une les chambres, y plonge jusqu'au fond, et finit par rencontrer ce qu'elle cherche, c'est-à-dire ce qu'il y avait dans son nid à son dernier voyage, un commencement de provisions. À partir de ce moment, elle fait comme sa voisine, et continue, dans le magasin qui n'est pas son ouvrage, l'apport du miel et du pollen.

Remettons les nids à leurs places naturelles, échangeons-les encore, et chaque Abeille, après de courtes hésitations qu'explique assez la différence si grande des deux nids, poursuivra le travail dans la cellule de son propre ouvrage, et dans la cellule étrangère, alternativement. Enfin l'oeuf est pondu et l'habitacle clôturé, quel que soit le nid occupé au moment où les provisions suffisent. De tels faits disent assez pourquoi j'hésite à donner le nom de mémoire à cette faculté singulière qui ramène l'insecte, avec tant de précision, à l'emplacement de son nid, et ne lui permet pas de distinguer son ouvrage de l'ouvrage d'un autre, si profondes qu'en soient les différences.

Expérimentons maintenant le Chalicodome des murailles sous un autre point de vue psychologique. — Voici une Abeille maçonne qui construit; elle en est à la première assise de sa cellule. Je lui donne en échange une cellule non seulement achevée comme édifice, mais encore garnie de miel presque au complet. Je viens de la dérober à sa propriétaire, qui n'aurait pas tardé à y déposer son oeuf. Que va faire la maçonne devant ce don de ma munificence, lui épargnant fatigues de bâtisse et de récolte? Laisser là le mortier, sans doute; achever l'amas de pâtée, pondre et sceller. - - Erreur, profonde erreur: notre logique est illogique pour la bête. L'insecte obéit à une incitation fatale, inconsciente. Il n'a pas le choix de ce qu'il doit faire; il n'a pas le discernement de ce qui convient et de ce qui ne convient pas; il glisse, en quelque sorte, suivant une pente irrésistible, déterminée d'avance pour l'amener au but. C'est ce qu'affirment hautement les faits qu'il me reste à rapporter.

L'Abeille qui bâtissait et à qui j'offre cellule toute bâtie et pleine de miel ne renonce nullement au mortier pour cela. Elle faisait travail de maçonne; et une fois sur cette pente, entraînée par l'inconsciente impulsion, elle doit maçonner, son travail serait-il inutile, superflu, contraire à ses intérêts. La cellule que je lui donne est certainement parfaite de construction, d'après l'avis du maître maçon lui-même, puisque l'Hyménoptère à qui je l'ai soustraite y achevait la provision de miel. Y faire des retouches, y ajouter surtout, est chose inutile et, qui plus est, absurde. C'est égal: l'Abeille qui maçonnait maçonnera. Sur l'orifice du magasin à miel, elle dispose un premier bourrelet de mortier, puis un autre, un autre encore, tant enfin que la cellule s'allonge du tiers de la hauteur réglementaire. Voilà l'oeuvre de maçonnerie accomplie, non aussi développée, il est vrai, que si l'Hyménoptère avait continué la cellule dont il jetait les fondations au moment de l'échange des nids; mais enfin d'une étendue plus que suffisante pour démontrer l'impulsion fatale à laquelle obéit le constructeur. Arrive alors l'approvisionnement, abrégé lui aussi, sinon le miel déborderait par l'addition des récoltes des deux Abeilles. Ainsi le Chalicodome qui commence à construire et à qui l'on donne cellule achevée et garnie de miel, ne change rien à la marche de son travail: il maçonne d'abord et puis approvisionne. Seulement il abrège, son instinct l'avertissant que les hauteurs de la cellule et la quantité de miel commencent à prendre des proportions par trop exagérées.

L'inverse n'est pas moins concluant. Au Chalicodome qui approvisionne, je donne un nid à cellule ébauchée, très insuffisante encore pour recevoir la pâtée. Cette cellule, humide en sa dernière assise de la salive de son constructeur, peut se trouver ou non accompagnée d'autres cellules contenant oeuf et miel et récemment scellées. L'Hyménoptère, dont elle remplace le magasin à miel en partie plein, se montre fort embarrassé quand il arrive avec sa récolte devant ce godet imparfait, sans profondeur, où l'approvisionnement ne pourrait trouver place. Il l'examine, la sonde du regard, la jauge avec les antennes et en reconnaît la capacité insuffisante. Longtemps il hésite, s'en va, revient, s'envole encore et retourne bientôt, pressé de déposer ses richesses. L'embarras de l'insecte est des plus manifestes. Prends du mortier, ne pouvais-je m'empêcher de dire en moi-même; prends du mortier et achève le magasin. C'est travail de quelques instants, et tu auras réservoir profond comme il convient. — L'Hyménoptère est d'un autre avis: il approvisionnait, il doit approvisionner quand même. Jamais il ne se décidera à quitter la brosse à pollen pour la truelle à mortier; jamais il ne suspendra la récolte qui l'occupe en ce moment pour se livrer au travail de construction dont l'heure n'est pas venue. Il ira plutôt à la recherche d'une cellule étrangère, en l'état qu'il désire, et s'y introduira pour y loger son miel, dût-il recevoir furieux accueil du propriétaire survenant. Il part, en effet, pour tenter l'aventure. Je lui souhaite succès, étant moi-même cause de cet acte désespéré. Ma curiosité vient de faire d'un honnête ouvrier un voleur.

Les choses peuvent prendre tournure encore plus grave, tant est inflexible, impérieux, le désir de mettre sans tarder la récolte en lieu sûr. La cellule incomplète, dont l'Hyménoptère ne veut pas à la place de son propre magasin achevé et garni de miel en partie, se trouve parfois, ai-je dit, avec d'autres cellules contenant oeuf, pâtée, et closes depuis peu. Dans ce cas, il m'est arrivé, mais non toujours, d'assister à ceci. L'insuffisance de la cellule inachevée bien reconnue, l'Abeille se met à ronger le couvercle de terre fermant l'une des cellules voisines. Avec de la salive, elle ramollit un point de l'opercule de mortier, et patiemment, atome par atome, elle creuse dans la dure cloison. L'opération marche avec une lenteur extrême. Une grosse demi-heure se passe avant que la fossette excavée ait l'ampleur nécessaire pour recevoir une tête d'épingle. J'attends encore. Puis l'impatience me gagne; et bien convaincu que l'Abeille cherche à ouvrir le magasin, je me décide à lui venir en aide pour abréger. De la pointe du couteau, je fais sauter le couvercle. Avec lui vient le couronnement de la cellule, qui reste avec le bord fortement ébréché. Dans ma maladresse, d'un vase gracieux j'ai fait un mauvais pot égueulé.

J'avais bien jugé: le dessein de l'Hyménoptère était de forcer la porte. Voici qu'en effet, sans se préoccuper des brèches de l'orifice, l'Abeille s'établit aussitôt à la cellule que je lui ai ouverte. À nombreuses reprises, elle y apporte miel et pollen, quoique les provisions y soient déjà au grand complet. Enfin dans cette cellule, renfermant déjà un oeuf qui n'est pas le sien, elle dépose son oeuf; puis elle clôture de son mieux l'embouchure égueulée. Donc cette Abeille qui approvisionnait n'a su, n'a pu reculer devant l'impossibilité où je l'avais mise de continuer son travail à moins d'achever la cellule incomplète remplaçant la sienne. Ce qu'elle faisait, elle a persisté à le faire en dépit des obstacles. Elle a jusqu'au bout accompli son oeuvre mais par les voies les plus absurdes: entrée avec effraction dans le bien d'une autre, approvisionnement continué dans un magasin qui déjà regorgeait, dépôt de l'oeuf dans une cellule où la vraie propriétaire avait déjà pondu, enfin clôture de l'orifice dont les brèches réclamaient sérieuses réparations. Quelle meilleure preuve désirer de cette pente irrésistible à laquelle obéit l'insecte?

Enfin il est certains actes rapides et consécutifs tellement liés l'un à l'autre, que l'exécution du second exige la répétition préalable du premier, alors même que celui-ci est devenu inutile. J'ai déjà raconté comment le Sphex à ailes jaunes s'obstine à descendre seul dans son terrier, après avoir rapproché le Grillon que j'ai la malice d'éloigner aussitôt. Ses déconvenues multipliées coup sur coup ne le font pas renoncer à la visite domiciliaire préalable, visite bien inutile quand il l'a répétée pour la dixième, pour la vingtième fois. Le Chalicodome des murailles nous montre, sous une autre forme, semblable répétition d'un acte sans utilité, mais prélude obligatoire de l'acte qui le suit. Quand elle arrive avec sa récolte, l'Abeille fait double opération d'emmagasinement. D'abord elle plonge, la tête première, dans la cellule pour y dégorger le contenu du jabot; puis elle sort et rentre tout aussitôt à reculons pour s'y brosser l'abdomen et en faire tomber la charge pollinique. Au moment où l'insecte va s'introduire dans la cellule, le ventre premier, je l'écarte doucement avec une paille. Le second acte est ainsi empêché. L'Abeille recommence le tout, c'est-à-dire plonge encore, la tête première au fond de la cellule, bien qu'elle n'ait plus rien à dégorger, le jabot venant d'être vidé. Cela fait, c'est le tour d'introduire le ventre. À l'instant, je l'écarte de nouveau. Reprise de la manoeuvre de l'insecte, toujours la tête en premier lieu; reprise aussi de mon coup de paille. Et cela se répète ainsi tant que le veut l'observateur. Écarté au moment où il va introduire le ventre dans la cellule, l'Hyménoptère vient à l'orifice et persiste à descendre chez lui d'abord la tête la première. Tantôt la descente est complète, tantôt l'Abeille se borne à descendre à demi, tantôt encore il y a simple simulacre de descente, c'est-à-dire flexion de la tête dans l'embouchure; mais complet ou non, cet acte qui n'a plus de raison d'être, le dégorgement du miel étant fini, précède invariablement l'entrée à reculons pour le dépôt du pollen. C'est ici presque mouvement de machine, dont un rouage ne marche que lorsque a commencé de tourner la roue qui le commande.

NOTES

Les Hyménoptères suivants me paraissent nouveaux pour notre faune.
En voici la description:

CERCERIS ANTONIA. — H. Fab.

Longueur de 16 à 18 mm. Noir, densément et fortement ponctué. Chaperon soulevé en manière de nez, c'est-à-dire formant une saillie convexe, large à la base, pointue au bout et semblable à la moitié d'un cône coupé dans le sens de sa longueur. Crête entre les antennes proéminente. Un trait linaire au-dessus de la crête, joues et un gros point derrière chaque oeil, jaunes. Chaperon jaune, avec la pointe noire. Mandibules d'un jaune ferrugineux, leur extrémité noire. Les 4-5 premiers articles des antennes d'un jaune ferrugineux, les autres bruns.

Deux points sur le prothorax, les écailles des ailes et le postécusson, jaunes. Premier segment de l'abdomen avec deux taches punctiformes. Les quatre segments suivants ayant à leur bord postérieur une bande jaune fortement échancrée en triangle, ou même interrompue et d'autant plus que le segment occupe un rang moins reculé.

Dessous du corps noir. Pattes en entier d'un jaune ferrugineux.
Ailes légèrement rembrunies à l'extrémité. FEMELLE.

Le mâle m'est inconnu.

Par la coloration, cette espèce se rapproche du Cerceris labiata, dont elle diffère surtout par la forme du chaperon et par sa taille beaucoup plus grande. Observée aux environs d'Avignon en juillet. Je dédie cette espèce à ma fille Antonia, dont le concours m'a été souvent précieux dans mes recherches entomologiques.

CERCERIS JULII. — H. Fab.

Longueur de 7 à 9 mm. Noir densément et fortement ponctué. Chaperon plan. Face couverte d'une fine pubescence argentée. Une étroite bande jaune de chaque côté au bord interne des yeux. Mandibules jaunes avec leur extrémité brune. Antennes noires en dessus, d'un roux pâle en dessous; face inférieure de leur article basilaire jaune.

Deux petits points distants sur le prothorax, les écailles des ailes et le postécusson, jaunes. Une bande jaune sur le troisième segment de l'abdomen, et une autre sur le cinquième; ces deux bandes profondément échancrées à leur bord antérieur, la première échancrée en demi-cercle, la seconde en triangle.

Dessous du corps entièrement noir. Hanches noires, cuisses postérieures en entier noires; celles des deux paires antérieures noires à la base, jaunes à l'extrémité. Jambes et tarses jaunes. Ailes un peu enfumées. FEMELLE.

Var.: 1° Prothorax sans points jaunes; 2° Deux petits points jaunes sur le second segment de l'abdomen; 3° Bande jaune au côté interne des yeux plus larges; 4° Chaperon antérieurement bordé de jaune.

Le mâle m'est inconnu.

Ce Cerceris, le plus petit de ma région, approvisionne ses larves avec des Curculionides de la moindre taille, Bruchus granarius et Apion gravidum. Observé aux environs de Carpentras, où il nidifie en septembre, dans le grès tendre, vulgairement safre.

BEMBEX JULII. — H. Fab.

Longueur de 18 à 20 mm. Noir, hérissé de poils blanchâtres sur la tête, le thorax et la base du premier segment de l'abdomen. Labre allongé, jaune. Chaperon en dos d'âne, formant comme un angle trièdre, dont une face, celle du bord antérieur, est en entier jaune, tandis que chacune des deux autres est marquée d'une large tache rectangulaire noire, contiguë avec sa voisine et formant avec celle-ci un chevron; ces deux taches, ainsi que les joues, couvertes d'un fin duvet argenté. Joues jaunes ainsi qu'une ligne médiane entre les antennes. Bord postérieur des yeux longuement marginé de jaune. Mandibules jaunes, brunes à l'extrémité. Les deux premiers articles des antennes jaunes en dessous, noirs en dessus; les autres noirs.

Prothorax noir, ses côtés et sa tranche dorsale jaunes. Mésothorax noir, le point calleux et un petit point de chaque côté, au-dessus de la base des pattes intermédiaires, jaunes. Métathorax noir, avec deux points jaunes en arrière, et un autre plus large, de chaque côté, au-dessus de la base des pattes postérieures. Les deux premiers points manquent parfois.

Abdomen en dessus d'un noir brillant; nu, si ce n'est à la base du premier segment, qui est hérissé de poils blanchâtres. Tous les segments avec une bande transversale ondulée, plus large sur les côtés qu'au milieu, et se rapprochant du bord postérieur à mesure que le segment est de rang plus reculé. Sur le cinquième segment, la bande jaune atteint le bord postérieur. Segment anal jaune, noir à la base, hérissé sur toute sa surface dorsale de papilles d'un roux ferrugineux, servant de base à des cils. Une rangée de pareils tubercules cilifères occupe aussi le bord postérieur du cinquième segment. En dessous, l'abdomen est d'un noir brillant, avec une tache jaune triangulaire de chaque côté des quatre segments intermédiaires.

Hanches noires, cuisses jaunes sur le devant, noires en arrière; jambes et tarses jaunes. Ailes transparentes.

MÂLE. — La tache en chevron du chaperon est plus étroite, ou même disparaît entièrement; face alors en entier jaune. Les bandes de l'abdomen sont d'un jaune très pâle presque blanc. Le sixième segment porte une bande comme les précédents, mais raccourcie et souvent réduite à deux points. Le deuxième segment a en dessous une carène longitudinale, relevée et spiniforme en arrière. Enfin le segment anal porte en dessous une saillie anguleuse assez épaisse. Le reste comme dans la femelle.

Cet Hyménoptère se rapproche beaucoup du Bembex rostrata pour la taille et la disposition des couleurs noire et jaune. Il en diffère surtout par les traits suivants. Le chaperon fait un angle trièdre, tandis qu'il est arrondi, convexe, dans les autres Bembex. Il présente en outre à sa base une large bande noire en chevron, formée de deux taches rectangulaires conjointes et veloutées d'un duvet argenté, très brillant sous une incidence convenable. Le segment anal est hérissé en dessus de papilles et de cils roux; il en est de même du bord postérieur du cinquième segment; enfin les mandibules ne sont tachées de noir qu'à l'extrémité, tandis que la base est en même temps noire dans le Bembex rostrata. Les moeurs ne diffèrent pas moins. Le Bembex rostrata chasse surtout des Taons; le Bembex Julii ne fait jamais gibier de gros Diptères, et s'adresse à des espèces de moindre taille, très variables du reste.

Il est fréquent dans les terrains sablonneux des Angles, aux environs d'Avignon, et sur la colline d'Orange.

AMMOPHILA JULII — H. Fab.

Longueur de 16 à 22 mm. Pétiole de l'abdomen composé du premier segment et de la moitié du second. Troisième cubitale rétrécie vers la radiale. Tête noire avec duvet argenté sur la face. Antennes noires. Thorax noir, strié transversalement sur ses trois segments, plus fortement sur le prothorax et le mésothorax. Deux taches sur les flancs, et une en arrière de chaque côté du métathorax, couvertes de duvet argenté. Abdomen nu, brillant. Premier segment noir. Deuxième segment rouge dans sa parti rétrécie en pétiole et dans sa partie élargie. Troisième segment en entier rouge. Les autres d'un beau bleu indigo métallique. Pattes noires, avec duvet argenté sur les hanches. Ailes légèrement roussâtres. Nidifie en octobre et approvisionne chaque cellule de deux médiocres Chenilles.

Se rapproche de l'Ammophila holosericea, dont elle a la taille, mais en diffère d'une manière nette par la coloration des pattes qui toutes sont noires, par sa tête et son thorax beaucoup moins velus, enfin par les stries transverses des trois segments du thorax.

* * *

Je désire que ces trois Hyménoptères portent le nom de mon fils
Jules, à qui je les dédie.

«Cher enfant, ravi si jeune à ton amour passionné des fleurs et des insectes, tu étais mon collaborateur, rien n'échappait à ton regard clairvoyant; pour toi, je devais écrire ce livre, dont les récits faisaient ta joie; et tu devais toi-même le continuer un jour. Hélas! tu es parti pour une meilleure demeure, ne connaissant encore du livre que les premières lignes! Que ton nom du moins y figure, porté par quelques-uns de ces industrieux et beaux Hyménoptères que tu aimais tant.

«Orange, 3 avril 1879

«J.-H. F.»

[1] Village du Gard, en face d'Avignon. [2] Les Scarabées portent aussi le nom d'Ateuchus. [3] Le Gymnopleure pilulaire est un bousier assez voisin du Scarabée mais de plus petite taille. Il roule comme lui des pilules de bouse ainsi que l'indique son nom. Le Gymnopleure est répandu partout, même dans le nord; tandis que le Scarabée sacré ne s'écarte guère des bords de la Méditerranée. [4] Voir Mulsant, Coléoptères de France, Lamellicornes. [5] Pour le mémoire complet, consulter Annales des Sciences naturelles, 2e série, tome XV [6] Les 450 Buprestes exhumés appartiennent aux espèces suivantes: Buprestis octo guttata; B. bifasciata; B. pruni; B. tarda; B. biguttata; B. micans; B. flavo maculata; B. chrysostigma; B. novem maculata. [7] Voir aux notes la description de cette espèce, nouvelle pour l'entomologie. [8] Annales des sciences naturelles, 3e série, tome V. [9] Voir les notes pour la description de cette espèce nouvelle.

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