Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne
TRAITÉ
DE LA VERITÉ
DE LA
RELIGION
CHRÉTIENNE.
LIVRE TROISIEME.
Où l'on prouve l'autorité de l'Écriture.
Preuve générale de l'autorité des Livres du Nouveau Testament.
I.
e but des preuves que
nous avons déduites
jusqu'ici, & de toutes
les autres qu'on pourroit
ajoûter, est de persuader aux Incrédules
& à ceux qui sont encore
dans l'incertitude, que la Religion,
dont les Chrétiens font profession,
est très-véritable & très-bonne. Mais
ce n'est pas assez. Après les avoir
convaincus de cette vérité, il faut les
conduire à ces Livres très-anciens où
cette Religion est renfermée, & que
nous apellons les Livres du Nouveau
Testament, ou pour parler plus exactement,
les Livres de la Nouvelle Alliance.
Il y auroit de l'injustice à nier que ce soit à ces livres que l'on se doive adresser pour connoître nôtre Religion, & à n'en pas croire là-dessus le témoignage constant de tous les Chrétiens. Quelle que soit une Secte, bonne ou mauvaise, l'équité veut qu'on croye sur sa parole, que ses sentimens sont contenus dans les Livres où elle nous renvoye pour en être instruits. C'est sur ce Principe que nous recevons sans dificulté l'assurance que les Mahométans nous donnent, que leur Religion se trouve dans l'Alcoran. Puis donc qu'il paroît par les argumens que nous venons de proposer, que la Religion Chrétienne est véritable, & qu'il n'est pas moins évident par la raison que nous venons d'alleguer, que cette Religion est enseignée dans nos Livres sacrez; il n'en faut pas davantage pour établir solidement l'autorité de ces Livres. Si pourtant on souhaite que nous en aportions des preuves plus particuliéres, nous le ferons volontiers: mais ce sera après avoir posé une Régle qui est connue & suivie de tout ce qu'il y a de Juges équitables. C'est que quand on entreprend d'ataquer un Livre qui est reçû depuis plusieurs siécles, on s'engage nécessairement à produire des objections capables de lui ôter toute créance: au défaut de quoi, il est censé digne de cette autorité, dont il a été jusqu'alors en possession.
Preuves
plus particulières.
I. Que
ceux d'entre
ces Livres
qui portent
le nom de
quelque Auteur,
sont
véritablement
de cet
Auteur.
+ S. Cyllir.
L. X.
II. Nous disons donc, que les Écrits qui sont reçus unanimement par tous les Chrétiens, & atribuez aux Auteurs dont ils portent le nom, sont éfectivement de ces Auteurs. La raison en est, que les Docteurs des premiers siécles, comme Justin, Irénée, Clément, & ceux qui les ont suivis, ont cité ces Écrits sous les mêmes noms d'Auteurs qu'ils portent aujourd'hui:1 Que Tertullien dit que les Originaux de quelques-uns de ces Livres se voyoient encore de son tems: Que toutes les Eglises les ont reçus comme les Ouvrages de ces mêmes Auteurs, & avant qu'elles eussent encore assemblé de Conciles: Que jamais les Payens ni les Juifs ne leur ont fait d'afaire sur cet article:
Que Julien [+ marg.] même avoue que les Écrits qui sont atribuez à S. Pierre, à S. Paul, à S. Mathieu, à S. Marc, & à S. Luc, ont été écrits par ces Auteurs: Qu'enfin, si le témoignage des Grecs & des Latins paroît à tout homme de bon sens, une raison de ne pas douter que les Poëmes que l'on atribue à Homére & à Virgile, ne soient véritablement d'eux: à plus forte raison le témoignage constant de presque toutes les Nations, prouve invinciblement que les Livres du Nouveau Testament ont été composez, par ceux dont ils portent le nom sur leurs Titres.
Note 1: (retour) Que Tertullien dit &c. Liv. de la prescription contre les Hérétiques, «Vous qui voulez exercer plus utilement votre curiosité dans l'afaire du Salut, parcourez les Eglises où les Apôtres ont particulièrement résidé, vous y verrez encore leurs Chaires; vous y entendrez encore lire leurs Épîtres sur les Originaux mêmes.» Cela n'est pas étonnant, puis que Quintilien dit que de son tems on voyoit encore les Originaux des Livres de Cicéron, & qu'Aulu-Gelle dit la même chose de ceux de Virgile.
Qu'on n'a pas lieu de douter de ceux qui autrefois ne furent pas généralement reçus.
III. Ce n'est pas qu'entre ces Livres il n'y en ait quelques-uns qui n'ont pas été d'abord reçus de tous les Chrétiens. On a douté de la seconde Épître de S. Pierre, de l'Épître de S. Jude, des deux que nous avons sous le nom de Jean l'Ancien, de l'Apocalypse, & de l'Épître aux Hébreux. Mais ces Écrits étoient d'autre côté reconnus par un grand nombre d'Eglises, comme il paroît par l'usage qu'en font les plus anciens Docteurs, qui en citent des passages pour prouver nos Dogmes. Il y a donc aparence que si quelques Eglises ne s'en servoient pas, c'étoit ou parce qu'elles ne les connoissoient pas, ou parce qu'elles n'étoient pas assez persuadées de leur autorité; & que si dans la suite elles se conformérent à celles qui les recevoient pour divins, c'est parce qu'elles s'instruisirent plus à fonds là-dessus, & reconnurent leur ignorance ou leur erreur. Et en éfet il n'y a presque plus de lieux où l'autorité de ces Livres ne soit à présent établie. Si l'on dit qu'ils ont été suposez, on le dira sans preuve, & même contre la vrai-semblance. Car quel intérêt auroit pû obliger à les suposer, puis qu'ils ne nous aprennent rien qui ne se trouve amplement dans ceux dont personne n'a jamais douté?
Qu'à l'égard de ce que quelques-uns ne portent aucun nom d'auteur, cela ne leur préjudicie point.
IV. Le peu de connoissance que l'on a du véritable Auteur de l'Épître aux Hébreux, & le doute où quelques-uns ont été si les deux derniéres Épîtres de S. Jean, & l'Apocalypse, sont de S. Jean l'Apôtre, ou de quelqu'autre qui ait eu le même nom, ne peuvent aucunement préjudicier à l'autorité de ces Écrits. On sait qu'en matiére d'Auteurs, il faut faire plus d'atention à leurs qualitez qu'à leur nom. Nous recevons comme vrais plusieurs Livres historiques, quoi que nous ne sachions pas le nom de ceux qui les ont écrit. Le Livre de la Guerre d'Alexandrie est de ce nombre. On n'en connoit pas l'Auteur, mais parce qu'on voit que, qui que ce soit qui l'ait écrit, il vivoit dans le temps de cette Guerre, & que même il y a eu part, cela paroît sufisant pour autoriser cette Histoire. On ne doit donc pas être plus dificile à l'égard des Livres donc nous parlons, puis que ceux qui nous les donnent, assurent qu'ils ont vécu dans le commencement du Christianisme, & qu'ils avoient reçu les dons extraordinaires que Dieu conféra aux Apôtres. Si l'on dit qu'ils ont pu s'atribuer faussement ces avantages, & qu'à l'égard même des autres Livres, on leur a peut-être suposé de grans noms, pour leur donner plus de poids: nous répondons qu'il est tout-à-fait incroyable, que des Personnes qui ne prêchent par tout que la sincérité & la piété, ayent voulu sans sujet se charger du crime de faussaires; crime que tout honnête homme déteste, & que les Loix de Rome punissoient du dernier suplice.
Que tous ces Auteurs n'ont pu écrire que des choses vrayes.
V. Il demeure donc constant que les Livres de la nouvelle Alliance, ont été composez par ceux dont ils portent le nom, & que les qualitez que ces Auteurs se sont atribuées, leur convenoient éfectivement. Si l'on considére outre cela, qu'il n'est pas moins certain qu'ils n'ont rien écrit dont ils n'eussent une connoissance parfaite, & qu'ils n'ont pû se mettre en l'esprit de vouloir tromper le monde, on conclura invinciblement, que ce qu'ils ont écrit est vrai & indubitable, puis qu'on ne peut dire des choses fausses que par l'un ou l'autre de ces deux principes, ou l'ignorance, ou la malice. Mais n'avançons rien sans preuve, & faisons voir que ces Auteurs ont su ce qu'ils disoient, & qu'ils n'ont rien dit que ce qu'ils croyoient véritable: qu'en un mot ils n'ont été, ni trompez, ni trompeurs.
Preuve: on ne les peut accuser d'ignorance.
VI. S. Matthieu, S. Jean, S. Pierre, S. Jude étoient du Collége de ces douze, que Jésus-Christ avoit choisis pour témoins de sa vie & de sa doctrine. Ainsi il est impossible qu'ils n'ayent pas bien sû les choses qu'ils nous racontent. C'est ce qu'on doit dire aussi de S. Jaques, qui a été, ou Apôtre, ou, selon le sentiment de quelques-uns,2 proche parent de Nôtre Seigneur, & de plus, Évêque de Jérusalem par les sufrages des Apôtres. Pour ce qui regarde S. Paul, on ne peut pas croire qu'il se soit imaginé sans fondement, que Jésus-Christ lui ait révélé du Ciel les véritez qu'il a enseignées; ni qu'il se soit figuré vainement qu'il ait fait toutes les grandes choses dont il se glorifie; ni que S. Luc, le fidéle compagnon de ses voyages ait donné dans les mêmes visions. Ce seroient là d'agréables songes, mais dont des personnes aussi sensées que S. Paul & S. Luc, n'étoient assurément point capables. Quoi que S. Luc ne fût pas du nombre de ceux qui avoient vécu avec Jésus-Christ, son témoignage néanmoins ne nous doit pas être suspect de crédulité. Il étoit né sur les lieux; il avoit voyagé par la Palestine; 3il s'étoit informé exactement de la vérité des Faits qu'il a écrits, & il en avoit conféré avec ceux qui en avoient été témoins oculaires, comme il paroît par le premier verset de son Évangile. Il ne faut pas douter qu'outre les Apôtres, avec qui il avoit des liaisons fort étroites, il n'ait parlé à plusieurs de ceux qui avoient été guéris par Jésus-Christ, & de ceux qui l'avoient vû mourir, & qui l'avoient aussi vû après sa Résurrection. Si la confiance que nous avons sur les recherches exactes de Tacite & de Suétone, fait que nous croyons sur leur raport, des choses qui se sont passées long tems avant qu'ils fussent nez; à plus forte raison devons-nous ajouter foi à un Écrivain qui nous assure qu'il n'avance rien que sur le récit de témoins oculaires.4 Pour ce qui est de S. Marc, comme on n'a point douté dans les premiers tems qu'il n'ait toûjours vécu avec S. Pierre, on doit avoir autant de foi pour son Evangile que s'il lui avoit été dicté par cet Apôtre, & c'est dire assez, puis que cet Apôtre devoit savoir avec certitude toutes les choses que S. Marc a écrites dans son Evangile. Outre cela cet Evangile n'a rien écrit qui ne se trouve dans les Ouvrages des Apôtres. Enfin ni l'Auteur de l'Apocalypse n'a pu se mettre faussement dans l'esprit qu'il avoit avoit eu toutes ces Visions dont il dit que Dieu l'a honoré: ni celui de l'Épître aux Hébreux n'a pu se figurer sans raison, que l'Esprit de Dieu ou les autres Apôtres lui avoient apris les choses dont il a traité dans cette Épître.
Qu'on ne peut les accuser de mauvaise foi.
VII. Nous avons posé en second lieu que nos Auteurs sacrez n'ont pu avoir dessein de mentir. Nous l'avons déjà prouvé lors que nous avons établi la vérité de la Religion Chrétienne en général & qu'en particulier nous avons montré la certitude de la résurrection de Nôtre Seigneur. Quand on récuse des témoins parce qu'on les croit de mauvaise foi, on est obligé de donner quelques raisons de ce soupçon, & de dire par quels motifs ils ont pu se laisser aller au mensonge & à la fourbe. Or c'est ce qu'on ne peut pas faire en cette rencontre. Car si l'on objecte qu'ils ont pu mentir parce que l'intérêt de leur Cause le demandoit; il faudra un peu examiner pourquoi ils se sont embarquez dans cette cause, & sont entrez dans ces intérêts. Certes, ce n'a été ni pour l'espérance de quelques avantages, ni pour la crainte de tomber dans quelques disgraces: puis que cette Cause, dont ils entreprenoient la défense, les privoit de toutes commoditez, & les jettoit dans toutes sortes de périls. Ils ne se sont donc chargez d'une Commission si dangereuse, que par la crainte de Dieu. Or cette crainte peut-elle porter un homme à mentir, principalement dans une chose dont dépend le salut éternel de tous les hommes? Si l'on considére que leurs Écrits ne respirent que la piété; que leur vie n'a jamais donné prise aux acusations de leurs ennemis, que tout ce que ces ennemis leur ont pu reprocher a été leur ignorance, défaut qui ne s'acorde guére avec la qualité d'imposteurs, on sera contraint d'avouer qu'ils n'étoient pas capables d'une impiété aussi horrible, que celle d'apuyer les intérêts de Dieu sur le mensonge & sur la fourberie. Ajoûtez à cela, que pour peu qu'ils eussent eu de mauvaise foi, ils n'auroient eu garde de laisser dans leurs Écrits des monumens éternels de leurs fautes, telles que furent, & leur fuite dans les dangers de leur Maître, & la triple abnégation de S. Pierre.
Preuve, tirée des miracles que ces Auteurs ont faits.
VIII. Si l'on veut une preuve authentique de leur bonne foi, Dieu lui-même nous la fournit dans les miracles qu'il a opérez par leur ministére. Eux & leurs Disciples les ont publiez en présence de tout un grand Peuple, avec beaucoup de confiance. Ils ont marqué les noms des Personnes, & toutes les circonstances les plus propres ou à prouver le Fait, s'il étoit véritable, ou à fournir aux Magistrats des moyens de les convaincre de mensonge, s'il eût été suposé. Il faut sur tout faire quelque atention à ce qu'ils ont très-constamment dit & écrit, qu'en présence de plusieurs milliers de personnes, ils s'étoient énoncez en quantité de Langues qu'ils n'avoient pas aprises, & qu'à la vûe du Peuple de Jérusalem ils avoient guéri sur le champ un homme qui étoit né boiteux. Ils ne pouvoient pas ignorer que les Magistrats du Peuple Juif les haïssoient à mort, & s'oposoient à tous leurs desseins; que ceux des Romains ne leur vouloient pas de bien; & que les uns & les autres les regardant comme auteurs d'une nouvelle Religion, ne manqueroient pas de profiter de toutes leurs fausses démarches, & d'embrasser avec joye les moindres ocasions de leur faire des afaires, & de les acuser. Cependant ils n'ont rien rabatu pour cela de leur fermeté, & de leur hardiesse à publier leurs miracles. Il faut donc croire qu'ils avoient raison, & que ces miracles étoient très-véritables. Ni les Juifs, ni les Payens de ces tems-là n'ont jamais ose les nier: 5même Phlégona, Afranchi de l'Empereur Adrien, a fait mention de ceux de S. Pierre dans ses Annales. 6Dans les Livres où les premiers Chrétiens rendoient raison de leur Foi aux Empereurs, au Sénat, & aux Gouverneurs de Provinces, ils parlent de ces miracles comme de choses qui étoient de notoriété publique, & dont on ne pouvoir pas douter, ils disent même ouvertement que les Apôtres avoient conservé jusqu'après leur mort le pouvoir de faire des miracles, & qu'il s'en faisoit auprès de leurs sépulchres par l'atouchement de leurs os. Ils pouvoient bien juger cependant que si cela eût été faux, les Magistrats les en eussent bien-tôt convaincus, & leur en auroient fait porter la peine, en les couvrant de honte, & en les faisant mourir. Mais ils parloient à coup sûr: les miracles faits auprès des sépulchres étoient en si grand nombre, & atestez par tant de personnes, que Porphyre même fut forcé d'en convenir.
Cyril: cont. Jul. L. X.
Note a: (retour) Phlégon surnommé Trallien de Tralles Ville d'Asie, où il étoit né, fleurissoit dans le second siécle, vers le milieu. L'Empereur Adrien l'aimoit & vouloit l'avoir presque toujours auprès de lui. C'étoit en effet un fort bel esprit, & un savant à qui une profonde érudition n'avoit rien ôté de sa politesse: il avoit composé une Histoire des Olympiades dont il ne nous reste que des Fragments. C'est dans cet Ouvrage où Phlégon, tout Païen qu'il étoit, dit que Jésus-Christ a été un vrai Prophète, qu'il a connu l'avenir, qu'il l'a prédit, & que ses prédictions ont eu leur effet. Il rend le même témoignage à celles de S. Pierre sur la ruine de Jérusalem. Enfin Phlégon parle des ténèbres qui couvrirent toute la Terre à la mort de Jésus-Christ; nous avons encore les propres paroles de ce Païen. TRAD. DE PAR.
Quoi que ce que nous venons de dire sufise pour établir la vérité des Livres du Nouveau Testament, nous ne laisserons pas d'y ajoûter quelque autres argumens; comme par abondance de droit.
3 Preuve, prise des prédictions que ses Livres renferment.
IX. Il y a dans ces Livres quantité de prédictions ausquelles l'événement a admirablement répondu, & qui ne pouvoient être l'éfet d'une prévoyance humaine. Telles sont celles b des grands & des rapides progrès de la Religion Chrétienne; [c] de sa durée non interrompue; [d] du refus que devoient faire les Juifs de la recevoir; [e] de l'entrée des Nations étrangéres dans l'Église; [f] de la haine des Juifs contre ceux qui feroient profession de cette Religion; [g] des suplices très-cruels que ceux-ci soufriroient pour sa défense; [h] du siége & de la ruine de Jérusalem & du Temple; & [i] des malheurs éfroyables qui devoient tomber sur les Juifs.
4 Preuve, qu'il n'étoit pas de la bonté de Dieu de permettre que l'on trompât tant de gens de bien.
X. Ceux qui reconnoissent que Dieu prend soin des choses qui regardent les hommes, & particuliérement de celles qui concernent son Culte; & où sa gloire est intéressée, doivent aussi reconnoître qu'il étoit impossible qu'il permît que l'on trompât par des Livres suposez & pleins de mensonges, un nombre infini de personnes, qui n'avoient en vue que sa gloire & son service.
Notes [b] à [i]: (retour) [b] Matt. XIII. 33. [c]: Luc X. 18. Luc I. 33. Matt. XXVIII. 20. Jean XIV. 16. [d]: Matt. XXI. 33. &c. XXII. Luc. XV. 11. &c. [e]: Ibid. Matt. VIII. 2. XII. 21. XXI. 43. [f]: Matt. X. 17. [g]: Matt. X. 21. 39. XXIII. 34. [h]: Matt. XXIII. 38. XXIV. 16. Luc XIII. 34. XXI. 24. [i]: Matt. XXI. 33. XXIII. 34. XXIV. 20.
5. Preuve, tirée du consentement de tant de Sectes opposées.
Après que le Christianisme fut partagé en une infinité de Sectes, à peine s'en est-il trouvé qui n'ait reçu tous les Livres du Nouveau Testament; & s'il y en a eu qui en rejettoient quelques-uns, ils ne contenoient rien qui ne se trouvât dans ceux qu'elles admettoient. Preuve assez forte, qu'on a toûjours reconnu dans ces Écrits une autorité à laquelle on ne pouvoit rien oposer de raisonnable; puisque ces Sectes qui les ont reçûs, étoient d'ailleurs si animées les unes contre les autres; qu'il sufisoit qu'une chose plût aux unes, pour être par cela même rejettée, par les autres.
Objection, que quelques Sectes ont rejetté plusieurs de ces Livres.
XI. Entre ceux qui faisant profession du Christianisme refusoient leur créance aux Livres du Nouveau Testament où ils voyoient leurs sentimens combatus, il y a eu deux espéces de gens directement oposez; 7les uns, en haine des Juifs, blasphémoient le Dieu que ceux-ci reconnoissoient comme le Créateur du Monde, & ils traitoient fort indignement la Loi de Moyse. Les autres, au contraire, par la crainte des maux ausquels les Chrétiens étoient exposez, tâchoient de s'y dérober 8en se confondant avec les Juifs, 9qui avoient alors une entiére liberté de conscience. Mais il faut savoir 10que ni les uns ni les autres n'étoient reconnus pour vrais Chrétiens par aucune des autres Sociétez du Christianisme; 11& cela, dans le tems que l'Église suportoit avec beaucoup de patience, selon l'ordre établi par les Apôtres, tous ceux dont les erreurs ne choquoient pas les fondemens de la Religion. A l'égard de la premiére sorte d'Errans, nous croyons les avoir sufisamment refutez, lors que nous avons prouvé dans le premier Livre, qu'il n'y a qu'un seul Dieu dont l'Univers est l'ouvrage. Mais sans cela, il paroît évidemment par les autres Livres du Nouveau Testament, lesquels ils n'osoient rejetter de peur de ne pas passer pour Chrétiens, entr'autres par l'Evangile de S. Luc, que Jésus-Christ a annoncé aux hommes le même Dieu que Moyse & les Hébreux ont adoré. Pour ce qui est de ceux qui se tenoient à l'abri du Judaïsme pour se garantir des persécutions, & qui se disoient Juifs sans l'être, nous aurons ocasion de les combatre, lors que nous disputerons contre ceux qui se disent Juifs & qui le sont en éfet. Nous remarquerons cependant que c'étoit avoir beaucoup de hardiesse & d'impudence, que d'afoiblir l'autorité de S. Paul, sur ce qu'il prêchoit aux Juifs l'afranchissement du joug des Cérémonies. Car I. il est celui de tous les Apôtres qui a fondé le plus d'Églises, & qui a le plus contribué à l'avancement du Christianisme par ce nombre infini de miracles qu'il a faits dans un tems auquel il étoit aisé d'examiner s'ils étoient vrais ou faux. S'il a fait des miracles, pourquoi ne croirions-nous pas ce qu'il nous dit des admirables Visions qu'il a eues, & de son installation dans l'Apostolat par Jésus-Christ? S'il a été si chéri & si favorisé par Nôtre Seigneur, il est impossible qu'il ait enseigné des choses désagréables à son divin Maître, c'est-à-dire, des faussetez.
Act. XVI. 3. XX. 6. XXI. &c.
II. S'il a travaillé à l'abolition des Rites Mosaïques, il faut bien qu'il y ait été forcé par la Vérité; puis qu'il étoit circoncis; qu'il observoit volontairement plusieurs cérémonies de la Loi; que pour la gloire de la Religion Chrétienne il faisoit beaucoup de choses plus dificiles que la Loi ne lui en commandoit, & en enduroit de plus fâcheuses qu'elle ne lui en eût atiré; & qu'il portoit toit ses Disciples à faire & à soufrir les mêmes choses. Ce qui fait voir que s'il leur prêchoit la liberté, ce n'étoit pas pour s'acommoder à leur goût, & pour ménager le crédit qu'il avoit parmi eux, en leur traçant des routes commodes. Bien loin de cela, ce qu'il leur imposoit, étoit bien plus pénible que ce dont il les afranchissoit. Les Juifs destinoient le Sabbat au service de Dieu: S. Paul veut que ses Disciples y consacrent tous les jours. La Loi obligeoit à quelques dépenses: S. Paul leur ordonne de perdre en tems & lieu tous leurs biens. La Loi exigeoit des Sacrifices de bêtes: S. Paul veut qu'ils se sacrifient eux-mêmes. Enfin cet Apôtre dit hautement que S. Pierre, S. Jean, & S. Jaques lui avoient donné la main d'association; ce qu'il n'eût pas osé dire, si cela eût été faux, puis que le disant du vivant de ces trois Apôtres, il devoit craindre qu'ils ne relevassent un pareil mensonge.
Je conclus, que puis qu'à l'exception de ces deux sortes de personnes, de l'erreur de qui j'ai parlé, & qui à peine pouvoient passer pour Chrétiens, toutes les autres Sociétez s'acordoient manifestement à recevoir les Livres du Nouveau Testament; que d'ailleurs ceux qui les ont écrits ont eu le pouvoir de faire des miracles; qu'ils ont prédit beaucoup de choses qui ont été confirmées par l'événement; qu'enfin la Providence très-particuliére qui veille sur les afaires des hommes, n'eût pas soufert qu'ils eussent trompé le monde par des Écrits fabuleux: il est de la dernière évidence, du moins pour des Personnes équitables, que ces Livres jouïssent à juste tître de l'autorité où ils sont parmi les Chrétiens. Car, encore une fois, il y a peu d'Histoires qu'on ne croye véritables, toutes destituées qu'elles sont de ces preuves, & simplement sur ce qu'on ne peut aporter de raison solide pour en ébranler la certitude. Or je pose en fait qu'on ne peut en proposer aucune, qui puisse balancer les solides preuves de la vérité des Livres du Nouveau Testament. C'est ce que nous alons voir dans le détail.
Ce que l'on peut dire contre la vérité de ces Livres, se réduit à ces cinq objections. I. Qu'ils contiennent des choses impossibles. Il. Contraires à la Raison. III. Contraires entr'elles. IV. Contraires au témoignage des Auteurs profanes. V. Qu'enfin il est arrivé à ces Livres des changemens qui nous les ont laissez tout autres qu'ils n'étoient, lors qu'ils sont sortis des mains de leurs Auteurs. Examinons ces objections par ordre.
1. Obj. que les Livres du N. T. contiennent des choses impossibles.
XII. I. Nous avons déjà répondu à la premiére dans le second Livre, lors que nous avons fait voir qu'il ne s'ensuit pas de ce qu'une chose est impossible à l'homme, qu'elle le soit par raport à Dieu; que Dieu peut faire celles qui n'impliquent pas contradiction; & que de ce nombre sont les actions miraculeuses, & en particulier la résurrection des morts.
2. De
choses contraires
à la Raison.
Cette Reponse
donne une
idée trop vague
du Christianisme
&
ne touchant
pas à nos
mystéres
laisse à cet
égard l'Object
dans son
entier.
Voyez M.
Abbadie Tr.
de la Ver.
&c. IX.
Tableau de
la R. Chr.
P. 446. du
2 Tome seconde
édit.
REM DU
TRAD.
XIII. 2. On n'est pas mieux fondé à dire que dans ces Livres il y a de certains Dogmes qui ne s'acordent pas avec la droite Raison. I. Cela se réfute, parce qu'une infinité de personnes savantes & éclairées, qui ont vécu depuis le commencement du Christianisme jusques à ce siécle, ont reconnu l'autorité de ces Livres nonobstant ces prétendues absurditez. II. On y trouve très-clairement enseignées toutes les choses, que nous avons fait voir dans le premier Livre être conformes à la Raison saine & dégagée de préjugez; savoir qu'il y a un Dieu; qu'il n'y en a qu'un; qu'il est très-parfait, tout-puissant, vivant aux siécles des siécles, infiniment sage & bon, auteur de tout ce qui existe réellement; que sa Providence s'étend sur toutes choses, mais particuliérement sur les hommes; qu'il peut récompenser après cette vie ceux qui lui obéïssent; qu'il faut mettre un frein à la cupidité; que tous les hommes sont d'un même sang, & par conséquent obligez à s'aimer reciproquement. Si quelqu'un par les seules lumiéres de la Raison prétend aller plus loin, & donner pour certaines ses spéculations sur l'essence de Dieu, & sur sa volonté, il s'engage par là dans une route périlleuse, & s'expose à mille égaremens; comme il paroît par la diversité presqu'infinie de sentimens que l'on remarque tant entre une Secte & l'autre, qu'entre ceux qui sont d'une même Secte. Et cela n'est pas étonnant. Car si lorsque les Savans entreprennent de discourir sur l'essence de l'ame, ils s'écartent infiniment les uns des autres, combien moins peuvent-ils s'acorder, lorsqu'ils veulent discourir à fonds de l'essence de cette Intelligence suprême, auprès de laquelle nôtre ame n'est qu'un point imperceptible? Si ceux qui connoissent le mieux les Maximes de la Politique, disent qu'il est dangereux de fonder les secrets desseins des Rois, & presque impossible d'y bien réüssir; y a-t-il quelqu'un qui puisse s'assûrer assez sur sa pénétration pour oser le flater de découvrir par ses conjectures, quels sont les desseins de Dieu dans des choses qui sont purement libres? C'est ce qui faisoit dire à Platon, avec beaucoup de justice, 12que l'homme ne pouvoit connoître les desseins de Dieu que par le moyen des Oracles. Or il est sûr que l'Antiquité n'en a point eu de mieux avérez que ceux des Livres du Nouveau Testament. Et bien loin qu'on prouve que Dieu par quelques autres Oracles a révélé touchant son essence, des choses qui répugnent à ce qu'il nous en a apris dans ces Livres, on ne l'a même jamais prétendu. À l'égard de la manifestation de ses volontez, on n'en peut alléguer aucune qui soit postérieure à celle qu'il nous a faite, & qui ait quelque vraisemblance. Si avant les tems du Messie, Dieu a donné de certaines régles, ou a toléré de certaines choses qu'il n'a ni prescrites ni permises dans la Révélation nouvelle, cela ne fait aucun tort à cette Révélation; puis que c'étoient des choses indiférentes; ou du moins qui n'étoient ni nécessaires par elles-mêmes, ni contraires à la Vertu; & qu'en pareil cas, 13les derniéres Loix annullent les premiéres.
3. Obj. Qu'il y a dans ces Livres des choses contradictoires.
XIV. 3. Venons à la troisiéme objection tirée des contradictions que l'on croit apercevoir dans les Écrits du Nouveau Testament. Cette objection, bien loin de faire quelque tort à leur autorité, presente à tout esprit équitable un nouvel argument pour la divinité de ces Livres, puis qu'elle donne lieu de remarquer que dans les choses ou dogmatiques ou historiques, qui sont de quelque importance, il y a entre les Auteurs sacrez un acord si visible & si parfait, qu'il ne se trouve rien d'aprochant entre les Écrivains de quelqu'autre Secte que ce soit. Si on jette les yeux sur les Docteurs Juifs, sur les Philosophes Grecs, sur ceux qui ont écrit de la Médecine, & sur les Jurisconsultes Romains, on verra que non seulement ceux qui suivent une même Secte, Platon par exemple & Xénophon, sont très-souvent oposez; mais aussi que le même Auteur, comme s'il s'oublioit soi-même, ou comme s'il ne savoit pas bien à quoi se déterminer, avance souvent des choses contraires. Mais ceux dont il s'agit, parlent de ce que nous devons croire & pratiquer, & sont l'histoire de la vie, de la mort, & de la résurrection de Jésus Christ avec une uniformité si parfaite, que le précis de leurs enseignemens est par tout absolument le même. Pour ce qui regarde quelques circonstances de fort peu de poids, & qui ne regardent pas le fonds des choses; s'il y a quelque contrariété, il est très-possible qu'il y ait une maniére commode & sure de la lever; mais que nous l'ignorons, ou parce que certaines choses semblables sont arrivées en des tems diférens, ou parce qu'un même nom signifie plusieurs choses; ou parce qu'un même homme, ou un même lieu sont quelquefois marquez par plusieurs noms, ou enfin pour quelque autre raison.A Je dirai même qu'à le bien prendre; ces diversitez sont à quelque égard avantageuses à nos Auteurs, & qu'elles sont très-propres à dissiper le soupçon qu'il y eût de la collusion entr'eux, & qu'ils eussent conspiré à nous en faire acroire;14 puis que ceux qui forment de pareils desseins, ont coutume de concerter si bien leurs récits, qu'ils n'y laissent pas même les moindres aparences de diversité. Que si quelques légères contradictions qu'on ne peut pas bien concilier, étoient capables de renverser tout un Livre qui d'ailleurs a de beaux caractéres de vérité, ce seroit fait de tous les Livres, & sur tout de toutes les Histoires. Mais on sait trop bien raisonner pour aller dans de tels excès: on a assez d'équité pour faire grace là-dessus à Polybe, à Denys d'Halicarnasse, à Tite Live, à Plutarque, & à d'autres, & pour n'en pas tirer des argumens contre leurs Ouvrages entiers. N'est-il donc pas sans comparaison plus juste, que puis que nos Auteurs font voir par tout un si grand atachement à la piété & à la Vérité, on les traite avec cette raisonnable condescendance, & qu'on passe par dessus ces petits embarras, en faveur des choses sures & indubitables dont leurs Livres sont remplis?
4. Objection: Qu'il y a des choses combatuës par les Auteurs étrangers.
XV. 4. On dit en quatrième lieu qu'il y a dans le Nouveau Testament des choses démenties par les Auteurs étrangers. Mais je soutiens hautement que cela n'est pas, si ce n'est peut-être que l'on entendît par ces Auteurs; ceux qui sont venus long tems après la naissance du Christianisme, & qui en étant les ennemis déclarez, sont dès là même absolument récusables. Pour ce qui est des Auteurs contemporains, ou de ceux qui ont écrit peu de tems après, bien loin qu'ils contredisent nos Livres, on pourroit, si cela étoit nécessaire, produire de leurs Écrits plusieurs témoignages qui confirment les principaux Points de l'Histoire sacrée. Nous avons déjà vû dès l'entrée du second Livre, que les Écrivains du Judaïsme & du Paganisme font mention de la crucifixion de Jésus-Christ, de ses miracles, & de ceux de ses Disciples. Dans les Livres que Joséphe a écrits environ quarante ans depuis l'ascension de Jésus Christ, il a parlé fort amplement d'Hérode, de Pilate, de Festus, de Félix, & de la ruïne de Jérusalem. Les Auteurs du Talmud s'acordent sur tout cela avec lui & avec nous. Tacite nous aprend la cruauté que Néron exerça contre les Chrétiens. On avoit autrefois tant dans les Écrits de quelques Particuliers, 15comme de Phlégon, 16que dans les Registre publics, des confirmations de ce que nous lisons dans l'Évangile, 17de l'Étoile qui parut après la naissance de Jésus-Christ, du tremblement de terre que l'on sentit dans le tems de son crucifiement, & de l'éclipse de Soleil qui arriva dans le même tems contre le cours ordinaire de la Nature, puis qu'alors la Lune étoit en son plein. Et les Chrétiens, comme nous l'avons déjà remarqué, ne manquoient pas d'en apeller à ces Écrits, tant d'Auteurs particuliers, que de personnes publiques.
Note 15: (retour) Comme Phlégon &c. Chroniques, liv. XIII. «La quatrième année de la CCII. Olympiade, il y eut une Éclipse de Soleil plus remarquable qu'aucune de celles qui fussent encore arrivées. À midi le jour s'obscurcit tellement, que l'on vit les Etoiles. Et un tremblement de terre renversa beaucoup de maisons à Nicée ville de Bithynie.» Ces paroles se trouvent dans la Chronique d'Eusébe & de St. Jérôme, & dans Origéne.
Note 17: (retour) De l'Étoile qui parut &c. Chalcidius, Philosophe Platonicien, dans son Commentaire sur le Timée de Platon. «Une autre Histoire plus digne de respect raporte qu'une nouvelle Étoile avoit paru, non pour présager des maladies ou la mort de plusieurs personnes, mais pour annoncer la descente d'un Dieu souverainement vénérable, qui devoit venir pour le salut des hommes; que cette Etoile ayant été vûe par des Chaldéens, hommes sages, & bons Astronomes, ils cherchérent le Dieu naissant, & que l'ayant trouvé dans la personne d'un enfant plein de majesté, ils lui rendirent leurs hommages, & lui firent des voeux très-dignes de sa Grandeur».
5. Objection Que ces Livres ont été corrompus.
XVI. 5. On objecte en cinquième lieu, que nos Livres sacrez ne sont pas tels qu'ils étoient dans le commencement. Il faut avouer qu'ils peuvent avoir eu, & qu'ils ont eu en éfet, le même sort que les autres Livres. C'est-à-dire que la négligence des Copistes, ou même leur fausse exactitude y a pu introduire quelques changemens, quelques omissions, & quelques additions de lettres, de syllabes & de mots. Mais il feroit injuste que cette diversité de copies, qui étoit inévitable dans un si grand nombre de siécles, fît douter de l'autorité de ces Livres. Ce que l'on fait ordinairement en pareil cas, & avec beaucoup de raison, c'est de choisir entre toutes les copies, celles qui sont les plus anciennes, & dont il y a le plus. Mais on ne prouvera jamais qu'elles ayent toutes été corrompues, ou par la malice des hommes, ou de quelque autre maniére que ce puisse être, & cela, dans les Dogmes, ou dans les Points considérables de l'Histoire. Cela ne se peut justifier, ni par aucun Acte authentique, ni par le témoignage d'aucun Auteur contemporain. Et si, long tems après, cela fut reproché aux Chrétiens par leurs ennemis mortels, cela doit passer pour une injure que la passion leur suggéroit, plutôt que pour un témoignage valable.
Cette réponse pourroit sufire, puis que c'est à ceux qui font de ces sortes d'objections, sur tout lors qu'il s'agit de Livres qui ont pour eux l'avantage d'une longue durée, & d'une autorité reconnue par tout, c'est, dis-je, à ceux qui les ataquent par cet endroit là, à prouver ce qu'ils avancent. Cependant afin de mieux faire sentir le peu de fondement de cette dificulté, nous allons prouver que ce qu'ils nous objectent, n'est ni véritable ni possible.
I. Nous avons déjà fait voir que ces Livres ont été composez par ceux dont ils portent le nom; donc ils ne sont pas suposez. Mais, au moins, n'est-il pas arrivé quelque changement à une partie de ces Livres? Non: car puis que les auteurs d'un tel changement auroient dû se proposer en cela quelque but, on devroit remarquer, une diférence assez grande entre les Livres qu'ils auroient ou ajoûtez ou substituez à d'autres, & ceux ausquels ils n'auroient pas touché. Or c'est ce qui ne se voit en aucun de ces Écrits, qui au contraire ont entr'eux un raport admirable. II. Il ne faut pas douter que dès qu'un Apôtre ou un homme Apostolique publioit quelque Livre, la piété, & le désir de conserver les Véritez salutaires, & de les faire passer entre les mains de la Postérité, n'ayent porté les Chrétiens à en multiplier les copies avec toute la diligence possible, & que ces copies ne se soient ensuite répandues dans l'Europe, dans l'Asie, & dans l'Égypte; car dans toutes ces parties il y avoit des Chrétiens, & la Langue Gréque y étoit connue. On a même conservé quelques Originaux jusques à la fin du second siécle, comme nous l'avons déjà remarqué. Or il étoit impossible que des Livres dont on a tiré tant de copies, & qui ont été conservez par la vigilance des Particuliers & des Églises, courussent même le risque d'être falsifiez. III. Dans les siécles immédiatement suivans, ces Livres furent traduits en Syriaque, en Éthiopien, en Arabe, & en Latin. Ces Versions subsistent encore aujourd'hui & ne diférent de l'Original Grec en rien qui soit de quelque importance. IV. Nous avons les Écrits de ceux qui ont été instruits ou par les Apôtres ou par leurs Disciples, & dans ces Écrits on lit quantité de passages citez au même sens où ils sont dans les Livres du Nouveau Testament. V. Ceux qui avoient le plus d'autorité dans l'Eglise des premiers siécles, n'en auroient jamais eu assez pour faire recevoir quelques changements dans l'Écriture; comme il paroît par la liberté que S. Irénée, S. Cyprien, & Tertullien ont prise de s'oposer quelquefois à ceux qui tenoient le premier rang. VI. Depuis ces premiers tems il s'est trouvé plusieurs personnes fort savantes & d'un esprit fort juste, qui, en suite d'un examen très-particulier, ont reconnu que ces Livres étoient demeurez dans leur premiére pureté. VII. On peut encore apliquer ici ce que nous disions tantôt, que de la maniére dont les diverses Sectes du Christianisme s'en sont servies, il paroît qu'elles les avoient tout tels qu'ils sont aujourd'hui. J'excepte, encore une fois, celles qui ne regardoient pas le Dieu des Juifs comme Créateur du Monde, ou qui ne reconnoissoient pas que Jésus-Christ eût donné une Loi qui dût abolir une partie de celles de Moyse. VIII. Ajoûtons à tout cela, que si quelques-unes eussent eu la témérité de changer quelque chose dans le Nouveau Testament, on n'eût pas manqué de se récrier contr'eux, comme contre des faussaires. IX. Toutes les Sectes tiroient de ces Écrits des arguments en leur faveur contre celles qui leur étoient oposées: ce qui fait voir qu'aucune n'a jamais osé entreprendre de les changer pour les ajuster avec ses sentimens. X. Enfin, nous pouvons dire ici des principaux endroits de nos Livres, ce que nous avons dit des Livres entiers: c'est qu'il n'étoit nullement convenable à la Providence divine de permettre que tant de milliers d'hommes, qui ne se proposoient que d'avancer dans la piété, & de faire leur salut, fussent engagez dans une erreur dont il ne leur eût pas été possible de se défendre.
Nous n'en dirons pas davantage pour la défense des Livres du Nouveau Testament. Nous croyons les avoir assez munis contre la Chicane, & avoir ainsi démontré que ce sont là les véritables sources d'où l'on doit puiser la Religion Chrétienne. Mais parce que ces sources, toutes sufisantes qu'elles peuvent être, ne sont pas les seules que nous ayons, & qu'il a plu à Dieu de nous mettre entre les mains les Livres qui servent de fondement à la Religion Judaïque, qui fut autrefois véritable, & qui fait aujourd'hui l'une des grandes preuves du Christianisme, il est à propos que nous fassions voir la certitude de ces Livres.
Preuves de l'autorité des Livres du V. T.
XVII. Qu'ils ayent été écrits par les Auteurs dont ils portent le nom, c'est ce qui se prouve par les mêmes raisons, sur lesquelles nous avons établi la même chose à l'égard des Livres du Nouveau Testament. Or ces Auteurs ont été ou des Prophétes, ou des personnes très-dignes de foi; tel que fut par exemple Esdras, qui comme l'on croit, ramassa les Livres du vieux Testament en un seul Volume, dans le tems que les Prophétes Aggée, Malachie, & Zacharie vivoient encore. Je ne répéterai pas ce que j'ai dit dans le premier Livre à l'avantage de Moyse; je dirai seulement que l'Histoire sacrée des tems suivans se confirme, aussi bien que celle de Moyse, par des témoignages tirez des Auteurs Payens. 18Les Annales des Phéniciens faisoient mention de David & de Salomon & de leurs Alliances avec les Tyriens. 19Bérose a parlé de Nabuchodonosor, 20 & des autres Rois des Chaldéens, dont les noms se trouvent dans l'Écriture. Le Roi d'Égypte 21Vaphrès, est l'Apriès d'Hérodote 22Cyrus & ses Successeurs 23jusqu'à Darius Codomanus, remplissent les Livres des Auteurs Grecs. Joséphe dans ce qu'il a écrit contre Appion, en cite un grand nombre sur plusieurs Points de l'Histoire des Juifs, & nous avons entendu sur le même sujet les témoignages de Strabon & de Trogus. Les Chrétiens n'ont pas le moindre sujet de douter de la divinité des Livres du Vieux Testament, puis qu'à peine y en a-t-il un dont il n'y ait quelque passage dans ceux du Nouveau. Et comme Jésus-Christ, Christ, qui a censuré en mille choses les Docteurs de la Loi & les Pharisiens de son tems, ne les a jamais acusé d'avoir falsifié les Livres de Moyse & des Prophétes, ou de n'avoir que des Livres suposez ou corrompus; il est visible que ceux qui se lisoient de son tems étoient les mêmes que ceux que Moyse & les Prophétes avoient composez. Mais peut-être ont-ils été corrompus depuis Jésus-Christ dans des endroits importans. C'est ce qu'on ne sauroit prouver, & c'est même ce qui paroît tout à fait incroyable. Les Juifs, dépositaires de ces Livres, étoient répandus presque par toute la Terre. On sait que dès le commencement des malheurs de ce Peuple, dix de ses Tribus furent transportées dans la Médie par les Assyriens: Que quelque temps après les deux autres furent amenées captives en Babylone: Que de ces deux il y eut quantité de personnes qui ne voulurent pas profiter de la liberté que Cyrus donna aux juifs de retourner dans leur païs, & qui aimérent mieux s'arrêter dans ces terres étrangéres: Que les Macédoniens atirérent un grand nombre de juifs24 à Alexandrie par les grands avantages, qu'ils leur y firent trouver: Que la cruauté d'Antiochus, les troubles domestiques causez par les Asmonéens, les Guerres de Pompée & de Sossius, en obligérent plusieurs à chercher ailleurs des habitations plus tranquilles: Que cette Nation remplissoit25 la Province de Cyréne, les villes de l'Asie, de la Macédoine, de la Lycaonie, les Iles de Cypre, de Créte, & d'autres: Qu'enfin la Ville de Rome en étoit pleine, comme il paroît par ce qu'en ont dit Horace, Juvénal, & Martial. Or peut-on concevoir que les Juifs étant divisez en tant de corps si éloignez les uns des autres, eussent pu se laisser surprendre par des supositions de Livres & par des changemens de quelque importance, ou conspirer unanimement à falsifier l'Écriture?
Note 18: (retour)Les Annales des Phéniciens &c. Voyez Joséphe Antiq. Jud. liv. VIII. ch. 2. où il en cite quelques passages. Il ajoûte que si quelqu'un veut avoir copie des Lettres que Salomon & Irom se sont écrites, il n'a qu'à s'adresser aux Gardiens des Archives de Tyr. Il cite aussi liv. VII. ch. 9. ce passage tiré de Nicolas de Damas, liv. XV. «Long tems après, le plus puissant de tous les Princes de ce païs, nommé Adad, régnoit en Damas, & dans toute la Syrie, excepté la Phénicie. Il entra en guerre avec David, Roi des Juifs, & après divers combats, fut vaincu par lui dans une grande Bataille qui se donna auprès de l'Euphrate, où il fit des actions dignes d'un grand Capitaine, & d'un grand Roi. Après la mort de ce Prince, ses Descendans, qui portoient tous son nom, de même que les Ptolomées en Égypte, régnérent jusqu'à la dixième génération, & ne succédérent pas moins à sa gloire qu'à sa Couronne. Le troisiéme d'entr'eux qui fut le plus illustre de tous, voulant vanger la perte qu'avoit fait son Ayeul, ataqua les Juifs sous le Régne du Roi Achab; & ravagea tout le païs des environs de Samarie.» La premiére partie de cette histoire se lit II. Samuel, VIII. 5. Le seconde I. Rois. XX. C'est cet Adad que Justin, après Trogue-Pompée, apelle Adofis. Joséphe liv. VIII. ch. II. cite ce passage de l'hist. Phénicienne de Dius. «Le Roi Abibal étant mort, Irom son fils lui succéda, j acrut les villes de son Royaume qui étoient du côté de l'Orient, de beaucoup celle de Tyr, & par le moyen des grandes chaussées qu'il fit, y joignit le Temple de Jupiter Olympien, & l'enrichit de plusieurs ouvrages d'or. Il fit couper sur le mont Liban, des forêts pour l'édification des Temples, & l'on tient que Salomon Roi de Jérusalem lui envoya quelques énigmes, & lui manda que s'il ne les pouvoit expliquer, il lui payeroit une certaine somme; & qu'Irom confessant qu'il ne les entendoit pas, la lui paya. kMais qu'Irom lui ayant depuis envoyé proposer d'autres énigmes par un nommé Abdémon, qu'il ne peut non plus expliquer, Salomon lui paya à son tour aussi de grandes sommes.» Dans le même chapitre l'Historien Juif produit ce passage de Ménandre Éphésien, qui, dit-il, a écrit les actions de plusieurs Rois tant Grecs que Barbares «Il succéda au Roi Abibal son pére & régna 34 ans. Il joignit à la ville de Tyr par une grande chaussée l'île d'Eurychore, & y consacra unel colomne d'or à l'honneur de Jupiter. Il fit couper sur le mont Liban quantité de bois de cédre pour couvrir des Temples, ruina les anciens & en bâtit de nouveaux à Hercule, & à la Déesse Astarte, dont il dédia le premier dans le mois de Péritheus, & l'autre, lors qu'il marchoit avec son Armée contre les Tyriens, pour les obliger, comme il fit, à s'aquiter du tribut qu'ils lui devoient & qu'ils refusoient de lui payer. Un de ses Sujets, nommé Abdémon, quoi qu'il fût encore jeune, expliquoit les énigmes que Salomon lui envoyoit. mOr pour connoître combien il s'est passé de tems depuis ce Roi jusqu'à la construction de Carthage, on compte de cette sorte. Le successeur d'Irom fût:
1 Baleazar son fils qui régna 7 ans.
2 Abdastarte frére de Baleazar, 9 ans: les quatre fréres de sa nourrice, le tuérent en trahison.
3 L'ainé de ces 4 régna 12 ans.
4 Astartus frére de Déléastartus 12 ans.
5 Azerim frére d'Astartus: 9 ans. Il fut tué par son frére.
6 Péles qui régna 8 mois: il fut tué par..
7 Ithobalus Sacrificateur de la Déesse Astarte, lequel régna 32 ans.
8 Badezor frére d'Ithobalus 6 ans.
9 Margénus frére de Badezor 9 ans.
10 Pygmalion 47 ans: ce fut en la 7° année de son Régne que Didon sa soeur s'enfuit en Afrique, où elle bâtit Carthage dans la Libye. En suputant ces années, on voit que depuis le commencement d'Irom jusqu'à construction de cette fameuse Ville, il y a eu; 137 ans. Alexandre Polyhistor, Ménandre de Pergame, & Lætus dans son Histoire de Phénicie, ont aussi parlé d'Irom, & de Salomon son contemporain.
Joféphe Antiq. Jud; liv. IX. ch. 2. parlant d'Asaël, qui succéda à Adad I. Rois XIX. 15. dit que les Syriens le mettoient encore de son tems au nombre de leurs Divinitez, Liv. IX. ch. 14. il raporte ce passage de Ménandre d'Éphése, où il est parlé de la guerre que les Tyriens ont eue contre le même Salmanasar qui vainquit Samarie, & emmena les 10. Tribus captives, a II. Rois. XVII. 3, & XVIII. 9. «Eluleus régna 36 ans. Et les Cittiens s'étant révoltés, il alla contr'eux avec une flotte, & les réduisit sous son obéissance. Le Roi d'Assyrie envoya aussi une armée contr'eux, se rendit maître de toute la Phénicie, & ayant fait la paix s'en retourna en son païs. Et voilà, ajoûte Joséphe, ce que l'on trouve dans les Annales des Phéniciens touchant Salmanasar, Roi d'Assyrie.
Liv. X. ch. 1. Il nous aprend que Bérose a fait mention de Sennachérib dans l'Hist des Chaldéens: qu'il a dit de lui qu'il étoit Roi des Assyriens, & qu'il avoit fait la guerre dans toute l'Asie & dans l'Égypte. Hérodote liv. II. en a aussi parlé.
Liv C. ch. 3. Il dit que Bérose a aussi parlé de Balad, ou Baladan, Roi des Babyloniens, dont il est fait mention II. Rois XX. 12. Es. XXXIX.
Hérodote liv. II. Nécos en étant venu aux mains avec les Syriens dans la campagne de Magdolon, remporta la victoire. Par les Syriens il entend les Juifs, qu'il n'appelle jamais autrement. Or c'est cette même bataille de II. Chron. XXXV. 22.
Note m: (retour) Dans cet endroit il y a une grosse faute dans la Version que je suis. Mais je crois qu'elle n'est pas de cet Illustre Traducteur. Voici comme mon exemplaire porte. «Or pour connoître combien il s'est passé de tems depuis la construction de Carthage» &c. Ce qui ne signifie rien du tout.
Note 19: (retour)Bérose a parlé de Nabuchodonozor. Joséphe Antiq. Jud. XX. & Rép. à Appion, liv. I. Eusébe Chron. & Prépar. I. Ce Bérose étoit Prêtre de Belus, un peu après le tems d'Alexandre le Grand. Pline raporte liv. VII. ch. 37. que les Athéniens, en mémoire de ses divines prédictions lui érigèrent dans une École publique, une Statue dont la langue étoit dorée. Athénée liv. XV. apelle, le Livre Auteur, Babylonica, ou Histoire de Babylone; Tatien & Clément, Chaldaïca, ou Histoire des Chaldéens. Tatien remarque que le Roi Juba avouoit qu'il avoit pris de Bérose, de quoi composer son Histoire d'Assyrie. Je joindrai ici trois passages d'Abydéne qui a aussi fait une Histoire d'Assyrie. C'est Eusébe qui nous les a conservez.
Eusébe, Chron. & Prépar. liv. IX. ch. 40. 41. «Nabopolassar, pére de Nabuchodonozor, ayant apris que le Gouverneur qu'il avoit établi dans l'Égypte, la Célésyrie & la Phénicie, s'étoit révolté, & se voyant trop âgé pour agir en personne contre lui, en donna la commission à son fils qui étoit encore dans la fleur de son âge, & qui s'en aquita si bien qu'il vainquit le rebelle, le prit, & remit ces païs dans l'obéïssance. Dans ce même tems Nabopolassar étant tombé malade à Babylone, mourut après 29 ans de Régne. Nabuchodonozor n'eut pas plutôt su la maladie de son Pére, qu'il donna ordre aux affaires d'Égypte & des Peuples voisins, donna charge à une personne en qui il avoit de la confiance, de ramener à Babylone l'Armée & les prisonniers de guerre, Juifs, Phéniciens, Syriens & Égyptiens; & y revint avec fort peu de ses gens par le chemin le plus court, qui est celui du désert. Il trouva les afaires en bon état entre les mains des Chaldéens, le plus considérable d'entr'eux en ayant pris le maniement en atendant son retour. Ainsi il succéda à son Pére dans toute l'étendue de ses États. Il dispersa les prisonniers en diférens endroits de son Empire, leur assignant de bonnes terres à cultiver. Il employa le butin qu'il avoit remporté de son Expédition, à orner le Temple de Bélus & des autres Dieux. Il agrandit l'ancienne Babylone en y joignant une seconde Ville. Il pourvut à ce qu'en cas de siége les Ennemis ne pussent plus détourner le cours du fleuve pour faciliter les aproches. Il environna la Ville intérieure & la Ville extérieure, chacune d'une triple enceinte de murailles, qu'il fit en partie de brique & de bitume, en partie de brique seulement. Après l'avoir si bien fortifiée, il y fit des portes fort superbes. Ensuite ne se contentant pas du Palais de son pére, il en fit bâtir un infiniment plus somptueux, tant pour la grandeur de l'édifice, que pour la beauté de la structure, & pour les ornemens. Ce qu'il y a de plus admirable, c'est qu'un ouvrage & si grand & si beau, fut achevé en 15. jours. Il fit aussi bâtir des galeries si massives & si élevées, que d'un peu loin elles sembloient des montagnes, & il y planta des arbres de toutes les espéces. Ce sont là ces jardins suspendus qu'on a mis au nombre des merveilles du Monde. Il les fit pour plaire à la Reine sa Femme, qui ayant été élevée dans la Médie, païs fort montagneux, aimoit extrémement la vûe des montagnes & des forêts. Étant tombé malade, il mourut avant que ces ouvrages fussent achevez après 43 ans de Régne.» Cette Femme de Nabuchodonozor, est celle qu'Hérodote appelle Nitocris comme Scaliger l'a prouvé.
Euséb. Prépar. liv. IX. sur la fin, «Mégasthéne dit (c'est Abydéne qui parle) que Nabuchodonozor a surpassé Hercule en courage & par la grandeur de ses actions: qu'il a poussé ses Conquêtes jusques dans l'Afrique & dans l'Espagne, & qu'il avoit envoyé sur le rivage droit du Pont Euxin, des Colonies composées de ceux qu'il avoit fait prisonniers dans ces guerres. Outre cela les Chaldéens racontent que le Roi étant un jour monté sur le haut de son Palais, tint ce discours prophétique en présence d'un grand nombre de personnes. Écoutez vous habitans de Babylone. Moi Nabuchodonozor ai à vous annoncer une calamité extrême, qui est prête à vous acabler, & sur laquelle ni Bélus le chef de nôtre race, ni la Reine Beltis, n'ont jamais pu fléchir les Parques. Il viendra un mulet de Perse, qui aidé de vos Dieux mêmes, vous réduira en servitude. Un Méde, qui avoit été jusques là aux Assyriens un sujet de se glorifier, se joindra à lui pour vous perdre. Ah, plût aux Dieux qu'avant qu'il nous trahît, il fût plongé au fond de la mer, ou qu'entraîné malgré lui dans des lieux déserts & inhabitez, receptacles des bêtes & des oiseaux, il y errât parmi les rochers le cette de ses jours! Que les Dieux ne m'ont-ils retiré avant que de me faire entrevoir un avenir si funeste! Après qu'il eut prononcé ces paroles, il disparut tout d'un coup.»
Le même Eusébe dans un autre endroit raporte encore ces paroles d'Abydéne. «On dit qu'autrefois l'endroit où Babylone est bâtie, étoit un grand amas d'eaux, auquel on donnoit le nom de Mer: que Belus l'ayant asséché, partagea le fonds entre plusieurs de ses Sujets, y bâtit Babylone, qu'il entoura de murailles: que ces murailles ayant été consumées par le tems, Nabuchodonozor en fit de nouvelles, dont les portes étoient d'airain, & qui demeurérent sur pié jusqu'au tems d'Alexandre le Grand.»
Joséphe Rép. à Appion liv. I. ch. 7. produit un passage de l'Histoire des Phéniciens, qui est digne d'être raporté ici, tant parce qu'il parle de Nabuchodonozor, que parce qu'il contient la suite des Rois & des Juges de Tyr, depuis Ithobal jusqu'à Irom, c'est-à-dire, jusqu'au tems de Cyrus. «Durant le Régne d'Ithobal, Nabuchodonozor assiégea la Ville de Tyr. Baal succéda à Ithobal, & régna dix ans. Après sa mort le Gouvernement passa des Rois à des Juges. Ecnibal fils de Baslach, exercea cette Dignité durant deux mois. Chelbés fils d'Abdée l'exercea dix mois; le Pontife Abdar deux mois; Mytgon & Gerastrate fils d'Abdebyme 6 ans; Balator 1 an. Après on envoya querir en Babylone Merbal qui régna 4 ans, & Irom son frére qui lui succéda régna 20 ans. Cyrus Roi de Perse régnoit aussi alors: & tous ces tems ajoûtez ensemble reviennent à 54 ans, trois mois. Ce fut en la septième année du Régne de Nabuchodonozor que commença le siége de Tyr, & en la quatorzième année du Régne d'Irom que Cyrus Roi de Perse vint à la Couronne.» On voit aussi dans Joséphe un passage d'Hécatée qui porte que les Perses (par où il entend les Babyloniens) avoient emmené en Babylone, plusieurs milliers de Juifs. Clément, Stromat. I. raporte un témoignage de Demétrius sur ce même événement, & sur la guerre de Sennachérib.
Note 20: (retour) Et des autres Rois Chaldéens. Rép. à Appion liv. I. ch. 6. «Evimérodach son fils (savoir fils de Nabuchodonosor) lui succéda: ses méchancetez & ses vices le rendirent si odieux, que n'ayant encore régné que deux ans, Nériglissor, qui avoit épouse sa soeur, le tua en trahison, & régna 4 ans. Sou fils Laborosoarchod, qui étoit encore fort jeune, régna seulement neuf mois. Car ceux mêmes qui avoient été amis de son pére, reconnoissant qu'il avoit de très-méchantes inclinations, trouvérent moyen de s'en défaire: & après sa mort choisirent d'un commun consentement pour régner sur eux, Nabonnid, qui étoit de Babylone, & B étoit de la même race que lui. Ce fut sous son Régne que l'on bâtit le long du fleuve, avec de la brique enduite de bitume, ces grands murs qui enferment la Ville de Babylone. Et en la dix-septiéme année de son Régne, Cyrus Roi de Perse après avoir conquis le reste de l'Asie, marcha vers cette Ville. Nabonnid alla à sa rencontre, perdit la bataille, & se sauva avec peu de gens dans la Ville de Borsippe. C Cyrus assiégea en suite Babylone dans la créance qu'après avoir forcé le premier mur, il pourroit se rendre maître de cette Place. Mais l'ayant trouvée beaucoup plus forte qu'il ne pensoit, il changea de dessein, & alla pour assiéger Nabonnid dans Borsippe. Ce Prince ne se voyant pas en état de soutenir le siége, eut recours à la clémence du Vainqueur, qui le traita fort humainement, & qui lui donna de quoi vivre à son aise dans la Caramanie, où il passa le reste de ses jours dans une condition privée. C'est cette retraite de Nabonnid à Borsippe qui est marquée, Jérémie LI. 30. Les forts de Babylone se sont déportez de combatre; Ils se sont tenus dans les forteresses &c. Eusébe donne un passage d'Abydéne qui dit la même chose, mais en abrégé. La seule diférence est dans les noms, Evilmaluruchus, par exemple, au lieu d'Evilmérodach, Le nom d'Evilmérodach se trouve dans le Livre second des Rois XXV. 27. Hérodote parlant du siège de Babylone dit «que Cyrus détourna le fleuve de son cours ordinaire faisant écouler ses eaux dans un Lac marécageux; & que par ce moyen il se fit un chemin au travers du lit de ce fleuve.» Cela est marqué Jérém. LI. 32. Ses quais sont surpris, ses marais sont brûlez au feu.
Liv. II 11.
Note a: Ville de Thrace.
Note 23: (retour) Jusqu'à Darius Codomannus. C'est celui qu'Alexandre le Grand vainquit. Sous le Régne de ce Roi les Juifs avoient pour Souverain Sacrificateur, Jaddus qui alla au devant d'Alexandre le Grand. Dans ce même tems vivoit Hécatée, natif [a]d'Abdére, qui a fait un Livre d'Histoire Judaïque. Joséphe (réponse à Appion liv. I.) en a tiré une très-belle description de Jérusalem & du Temple. C'est là qu'il raporte aussi quelques discours d'Aristote à l'avantage des Juifs: à quoi il ajoûte 7 ou 8 Auteurs Grecs qui ont parlé de ce qui concerne cette Nation (car dans tout ce Livre son grand but est de montrer qu'elle est fort ancienne & de répondre à Appion qui lui objectoit contre cette antiquité le silence des Auteurs étrangers. C'est dans cette vue qu'il fait venir sur les rangs des Auteurs Egyptiens, Phéniciens, Chaldéens, & Grecs, & qu'il en raporte plusieurs passages dont Grotius a transcrit une partie.)
Note 25: (retour) La Province de Cyrène.. qu'enfin la Ville de Rome &c. Cela paroît par toute l'Histoire des Actes des Apôtres. Horace parle des Juifs dans trois de ses Satyres, Juvénal dans sa quatorziéme Satyre, Martial en plusieurs de ses Épigrammes. Rutilius Itinér. liv. I. «Plût aux Dieux que ni Pompée ni Titus n'eussent jamais subjugué les Juifs. Cette Nation dangereuse semble trouver dans ses pertes mêmes des forces pour pulluler de nouveau; & ses Vainqueurs sentent plus qu'elle-même le poids du joug qu'ils lui imposent. Avant lui, Sénéque en avoit dit autant: «Les coutumes de ce peuple scélérat ont pris de si fortes racines, qu'il n'y a pas de Païs où elles ne se soient répandues. Par là il a su donner des loix à ceux sous le pouvoir desquels le fort de la Guerre l'avoit réduit.» Nous avons tantôt vu quelle est la source de ces paroles injurieuses & de ces marques de haine. Philon dans l'histoire de son Ambassade, «Combien nombreuse doit être cette Nation qui habite, non dans un certain Païs, comme les autres Peuples, mais presque dans le Monde entier? Elle est répandue & dans la Terre ferme, & dans les Iles: & par tout où elle se trouve, elle paroît presque aussi forte en nombre que les habitans naturels.
Joseph. L. X. II. 1.
Ajoûtons à cela que près de trois cens ans avant Jésus-Christ, la Version des Septante Interprétes, de laquelle on est redevable aux soins de Ptolomée Roi d'Égypte, mit l'Écriture entre les mains des Grecs, avec quelques petites diférences qui n'empêchoient pas que ce ne fût en gros le même Livre; & que c'étoit encore un moyen très-propre à prévenir les fabrications. Outre cette Version il en parut une Chaldaïque, & une autre dans le Langage particulier de Jérusalem, qui n'étoit autre chose qu'un demi-Syriaque; 26l'une avant & 27l'autre après la naissance Jésus-Christ. Elles furent suivies des Versions Gréques d'Aquilan, de Symmaqueo & de Théodotionp, lesquelles Origéne, & d'autres après lui, examinérent en les confrontant avec celle des Septante, & trouvérent très-conformes, avec cette Version, soit dans l'Histoire, foit dans les choses qui étoient de quelque conséquence. Philon & Joséphe, dont le premier fleurissoit du tems de Caligula, & l'autre a vécu jusqu'au Régne de Vespasien, citent l'Écriture dans les mêmes termes où nous l'avons aujourd'hui. Parmi les Chrétiens, dont le nombre augmentoit alors extrêmement, il y en avoit beaucoup 28 qui étoient nés Juifs, 29 ou qui aprenoient l'Hébreu, & qui, si les Juifs avoient introduit dans le Texte quelques changemens & quelques corruptions un peu considérables, n'eussent pas eu de peine à les découvrir par la collation des plus anciens Originaux, & l'eussent infailliblement publié. Or non seulement ils ne le font pas, mais ils en raportent même plusieurs passages précisement dans le même sens qu'ils ont dans l'Hébreu. Remarquons encore qu'on ne pourrait guére intenter contre les Juifs, d'acusation plus mal fondée que celle d'avoir corrompu le Texte, ou d'y avoir donné lieu par leur négligence; puis qu'on n'ignore pas 30avec quelle aplication & avec quel scrupule ils décrivent le Texte sacré, & le collationnent avec les meilleurs Exemplaires, Leur exactitude va même jusqu'à compter combien de fois chaque lettre se trouve dans toute l'Écriture. Pour derniére preuve que les Juifs n'ont pas même tâché de gâter le Texte, on peut aporter l'usage que les Chrétiens font du vieux Testament contre eux. Ceux-ci croyent y trouver des raisons convainquantes pour prouver que Jésus est le Messie, qui avoit été promis aux Ancêtres de ce Peuple. Si donc les Juifs eussent pu faire dans le Texte tels changemens qu'ils auroient trouvé à propos, il ne faut pas douter que depuis cette grande dispute qu'ils ont avec les Chrétiens, ils n'eussent fait disparoître ces preuves, ou que du moins ils ne les eussent obscurcies, en falsifiant les passages dont nous apuyons ce Dogme fondamental de nôtre Religion.
Note 30: (retour) Avec quelle aplication &c. Joséphe, Rép. à App. liv. I. L'expérience même fait voir combien est forte la persuasion que nous avons de la vérité de nos Livres; puis que depuis tant de siécles personne n'a osé ou y ajoûter, ou en ôter, ou y faire quelques changemens. Voy: Deuter. IV. 1.
TRAITÉ
DE LA VERITÉ
DE LA
RELIGION
CHRÉTIENNE.
LIVRE QUATRIÈME
Réfutation du Paganisme.
I.
ors qu'on est à l'abri
d'un péril où l'on voit
d'autres personnes engagées,
on ne peut guére
se défendre de quelque sentiment
de plaisir à cette vue toute triste
qu'elle peut être. Comme ce plaisir
ne naît pas du malheur d'autrui, mais
de ce que l'on s'en voit exemt, il est
sans malignité, & n'a rien de blâmable.
Un Chrétien donc qui du chemin
sûr où Dieu l'a mis voit le reste
des hommes ne tenir aucune route certaine,
& s'égarer en mille maniéres,
peut s'abandonner à toute la joye que
lui inspire le bonheur qu'il a d'être
dans la bonne voye. Mais il ne s'en
doit pas tenir là; il est dans la plus étroite
obligation de travailler pendant
toute sa vie à secourir les Errans autant
qu'il lui est possible, à leur tendre la
main, à les atirer dans le bon parti,
& à leur faire part de son bonheur.
C'est à ce devoir que nous avons tâché
de satisfaire dans les Livres précédens;
où, par cela-même que nous avons
établi la Vérité, nous avons réfuté
toutes les Erreurs.
Mais parce que le Paganisme, le Judaïsme, & le Mahométisme, qui sont les trois grandes Religions qui s'oposent à celle que nous avons prouvée, outre ce qu'elles ont de commun entr'elles, ont chacune leurs erreurs particuliéres, & chacune leurs preuves diférentes pour se défendre & pour nous ataquer; nous croyons ne rien faire d'inutile, si nous les combatons chacune à son tour. C'est à quoi nous destinons les trois livres suivans, que nous ne commencerons qu'après avoir prié les Lecteurs d'aporter ici un esprit libre de passion, & de ces préjugez que forme une longue habitude; & de se mettre par là en état de bien juger de ce que nous allons dire.
Contre le culte des Espris créez.
II. Nous commençons par les Payens. S'ils croyent plusieurs Dieux éternels & égaux à tous égards, nous les avons déjà refutez dans le premier Livre, lors que nous avons prouvé qu'il n'y a qu'un Dieu, Cause unique de toutes les choses du Monde. S'ils donnent ce nom à des Intelligences créées, supérieures à l'Homme, qu'ils nous disent si elles sont bonnes ou mauvaises. S'ils disent qu'elles sont bonnes, je leur demande s'ils en sont bien assurez, &1 s'ils ne seroient pas là-dessus dans une erreur dangereuse, s'ils n'adoreroient point par hazard de mauvais génies, dans le tems qu'ils croyent en adorer de bons; & s'ils ne prendroient pas peut-être des Esprits rebelles au Dieu souverain, pour ses Ministres, & des Transfuges pour des Envoyez? De plus, le bon sens dicte qu'ils doivent mettre quelque diférence entre les honneurs divins qu'ils rendent au Souverain & à ses Ministres. En fin, ne devroient-ils pas savoir quelle est la subordination, qui est entre ces Intelligences médiatrices; quels sont les biens que chacune d'elles peut leur faire; & quel est le culte qu'elle doit exiger d'eux en vertu de l'ordre du Dieu souverain? Leur Religion n'a rien de sûr ni de réglé sur tout cela; & dès là même elle est très-imparfaite & très-dangereuse, Il y auroit donc plus de sureté pour eux à se renfermer dans le Culte d'un seul Dieu. En cela ils ne feraient 2que suivre Platon, qui met cette adoration d'un seul Être suprême entre les premiers devoirs du Sage; & ils n'y pourroient rien perdre, puis que ces bons Génies étant dans la dépendance du grand Dieu, ils les mettraient dans leur parti, par cela même qu'ils se rendroient Dieu favorable.
Note 1: (retour) S'il ne seroient pas là-dessus dans une erreur dangereuse. Porphyre, de l'abstinence des choses animées liv. II. «Les Esprits, ennemis des Dieux, sont ceux par qui s'exécutent toutes les impostures, & tous les enchantemens des Magiciens. Car ceux qui font métier de tromper les hommes, & de leur nuire par les Sciences magiques, servent ces Esprits, & sur tout celui qui est leur Chef; sachant bien qu'ils ont le pouvoir d'imposer aux hommes par des prodiges aparens. C'est d'eux qu'ils tirent les philtres, & tous les autres moyens de faire naître de l'amour. C'est par leurs suggestions qu'ils se rendent infames par l'impureté, par l'avidité du gain, ou de je ne sai quelle gloire, mais principalement, par les fourberies, qui sont le plus particulier caractére de ces Esprits, comme il paroît en ce qu'eux & leur Chef, veulent passer pour Dieux.» Ensuite parlant des Prêtres d'Égypte, «Ils assurent, dit-il, qu'il y a une certaine espéce d'Esprits, qui sont trompeurs & fins, qui prennent tantôt une forme & tantôt une autre, qui quelquefois veulent être regardez comme Dieux, quelquefois comme Démons, & quelquefois aussi se disent être les ames de personnes mortes: & qui peuvent envoyer aux hommes ou des biens ou des maux. Mais que pour ce qui est des vrais biens, qui sont ceux de l'ame, bien loin de les pouvoir procurer, ils ne les connoissent même pas: mais que tout ce dont ils sont capables, c'est d'abuser de leur loisir, en séduisant, ou en arrêtant ceux qui sont dans le chemin de la vertu: qu'enfin ils sont pleins de faste, & qu'ils n'aiment rien tant que l'odeur des Victimes que l'on brûle.»
Que les Esprits qui étoient adorez par les Payens, étoient les Démons.
III. Ce n'est pas tout. On peut les jetter encore dans de bien plus grans embarras, en leur montrant, que ces Dieux qu'ils adoraient, étoient de malins Esprits. Cela se recueille, I de ce que ces Esprits soufroient patiemment l'honneur que les Payens leur faisoient, sans jamais les renvoyer à celui qui étoit le commun Maître des uns & des autres; & de ce qu'ils s'oposoient même de toutes leurs forces à ce qu'il fût adoré, ou que du moins ils tâchoient de partager également avec lui les honneurs de l'Adoration. II. Cela paroît encore parce qu'ils ont suscité les plus terribles traverses aux Adorateurs d'un seul Dieu, & ont animé à leur perte & les Peuples & les Magistrats. Pendant que d'un côte les Poëtes chantoient impunément les parricides & les adultéres de leurs Dieux; que les Épicuriens nioient la Providence; que toutes les Sectes les plus oposées du Paganisme se toléroient mutuellement, & se donnoient la main les unes aux autres; que Rome recevoit également les Cérémonies & les Dieux des Égyptiens; des Phrygiens, des Grecs, & des Peuples de l'Etrurie: les seuls Juifs étoient l'objet de leurs railleries, de leurs Satyres, & d'une haine qui alloit quelquefois jusqu'à les bannir de la Société; & leur fureur contre les Chrétiens ne se pouvoit assouvir que par les derniers suplices. On ne peut rendre, sans doute, d'autre raison de cette inégalité, sinon que ces Religions ne reconnoissoient qu'un seul Dieu, de l'honneur duquel les Dieux du Paganisme étoient beaucoup plus jaloux, que chacun en particulier ne l'étoit de celui que les autres Dieux recevoient. III. Cela paroît enfin par la nature du culte que les Payens leur rendoient, qui étoit si contraire à la vertu & à l'honnêteté, qu'il ne pouvoit que choquer un esprit sage & vertueux. Toutes les plus grandes inhumanitez, & les saletez les plus grossiéres y entroient. On leur immoloit des hommes: 3on couroit nud dans leurs Temples: on célébroit en leur honneur des jeux qui n'avoient rien en eux-mêmes qui portât à la piété: 4on les honoroit par des danses impures & lascives. Et c'est ainsi qu'aujourd'hui encore les Payens de l'Amérique & de l'Afrique servent leurs Divinitez.
Mais qu'est-il besoin de prouver aux Payens que leurs Dieux n'étoient autre chose que les Démons; puis qu'il y a eu autrefois, & qu'il y a encore présentement des Peuples qui en font hautement profession. C'est sous cette idée que les Perses adoroient Arimanius. Les Grecs servoient leurs Cacodémons, ou, mauvais Démons. Les Romains avoient leur méchant Jupiter, aussi bien que leur Jupiter très-bon & très-grand: & quelques Nations de l'Éthiopie & des Indes rendent leurs hommages à des Dieux qu'elles conçoivent comme malfaisans.
Impiété de ce Culte.
IV. Après avoir prouvé une chose si flétrissante pour le Paganisme, il faut en montrer l'impiété & l'horreur. Le Service religieux n'est autre chose qu'un acte de l'esprit par lequel il reconnoit une bonté infinie dans l'objet de son adoration. Ainsi le culte des Démons n'est pas seulement absurde & contradictoire; mais il contient aussi une rebellion manifeste, qui prive le Dieu souverain de l'honneur qui lui est du, pour le déférer tout entier à ses Sujets révoltez & à ses Ennemis. Car ce seroit une extravagance, que de se promettre l'impunité de cette félonnie, sous prétexte que Dieu est souverainement bon. 5La clémence a ses bornes, qu'elle ne peut passer sans dégénérer en une véritable molesse. Et lors que l'outrage est excessif, la Justice ne seroit plus Justice, si elle ne le punissoit. Les Payens ne raisonnent pas plus sagement, lors qu'ils fondent le service qu'ils rendent volontairement aux Démons, sur ce qu'ils craignent les éfets de leur malice. L'Être suprême étant souverainement communicatif, par cela-même qu'il est souverainement bon, c'est lui qui doit produire, & qui produit en éfet, tous les autres Êtres. S'il les produit, il a donc sur eux le droit absolu qu'un Ouvrier a sur ses ouvrages: & par conséquent ils ne peuvent rien faire que ce qu'il ne veut pas empêcher. Cela posé, il est évident que celui qui est sous la protection du Dieu souverain & infiniment bon, ne doit plus rien apréhender de la part de ces malins Esprits, que ce que Dieu, par un principe même de bonté, veut bien permettre qu'il en soufre. Ajoûtons à cela que ces Esprits ne peuvent rien acorder à l'homme, qui ne lui doive être fort suspect, & qu'il ne doive même me rejetter. Jamais ceux qui se conduisent par un principe de malignité ne sont plus à craindre, que lors qu'ils se revêtent d'une aparence de bonté. Et quelqu'un a fort bien remarqué que les présens des ennemis cachent toûjours quelque perfidie.
Contre le culte que les Payens rendoient aux Héros après leur mort.
V. Il y a eu de tout temps des Payens, & l'on en voit encore, qui font profession d'adorer des Héros après leur mort. Mais I. ils eussent dû distinguer ce culte de celui du Dieu souverain, par des caractéres évidens. II. Les priéres qu'ils leur adressoient étoient vaines & inutiles, si les Esprits de ces Héros ne pouvoient les exaucer. Or ils n'avoient aucune certitude que ces Esprits le pussent, & ils n'avoient pas plus de raison de les en croire capables, qu'ils en avoient du contraire. III. Mais ce qu'il y a de plus vicieux dans ce culte, c'est qu'ils le rendoient à des hommes qui pendant leur vie avoient été souillez de diférens crimes. Bacchus avoit été un homme plongé dans les débauches du vin. Hercule avoit aimé les femmes. Romulus & Jupiter avoient donné des marques d'un coeur dénaturé; l'un par le meurtre de son frére; & l'autre par celui de son pére. Les hommages qu'on leur rendoit ne pouvoient donc que deshonorer infiniment le vrai Dieu, en outrageant la Sainteté qui lui est si chére, 6& en autorisant, par les principes sacrez de la Religion, des crimes qui d'eux-mêmes n'ont que trop de charmes pour des coeurs naturellement corrompus.
Note 6: (retour) &c. S. Cyprien, lettre: les crimes qu'ils commettent à l'exemple de leurs Dieux, deviennent par là des crimes sacrez. S. Aug. lett, CLII. «Rien n'est plus capable de troubler la Société & de corrompre les moeurs, que l'imitation des Dieux tels que sont ceux des Payens, selon l'idée qu'ils en donnent eux-mêmes.»
Contre le culte des Astres & des Éléments.
VI. Les objets les plus anciens de l'Idolatrie furent les Astres & les Élémens, c'est-à-dire, le Feu, l'Eau, l'Air, & la Terre. Mais cette espéce d'Idolatrie n'étoit pas moins criminelle que les précédentes. L'Invocation fait la partie la plus essentielle du Service religieux. Or c'est une folie que de l'adresser à des Natures destituées d'intelligence. Les Sens sufisent, en quelque maniére, pour nous convaincre que les Élémens sont de cet ordre. Et rien ne prouve que les Astres n'en soient pas. On juge de la nature d'un sujet par ses opérations. Celles des Astres ne marquent point du tout un Principe intelligent; 7& même, la régularité de leurs mouvemens, qui suivent toûjours de certaines loix, démontre assez le contraire, puis que les mouvemens qui partent d'une volonté libre se ressentent de leur principe, & varient très-souvent. De plus, nous avons fait voir ailleurs que le cours des Astres est proportionné aux besoins de l'Homme. Et cela le devoit convaincre qu'il porte dans son ame de plus vifs traits de ressemblance avec Dieu, & qu'il lui est beaucoup plus cher, que ces autres Créatures; qu'ainsi c'est faire tort à l'excellence de la nature, que de se soumettre à des choses que Dieu lui avoit soumise; & que ce qu'il doit faire, est de s'aquiter des devoirs de reconnoissance, ausquels on ne peut pas prouver qu'elles soient capables de satisfaire.
Contre le culte que les Payens rendoient aux animaux.
VII. Ce qu'il y a de plus honteux, c'est que les hommes se soient abaissez jusqu'à adorer des animaux. 8Les Egyptiens ont poussé ce culte plus loin qu'aucuns autres Peuples. Il est vrai qu'il y a des animaux dans lesquels on aperçoit quelque chose qui ressemble assez à ce qu'on apelle Esprit & Connoissance. Mais ce n'est rien, si on le compare à l'Ame raisonnable. Ils ne peuvent expliquer leurs conceptions, ni en parlant ni en écrivant. Ils sont bornez à une certaine espéce d'actions & de maniéres d'agir. Combien moins pourroient-ils connoître les nombres, les mesures, & le cours des corps célestes. L'Homme qui a tous ces avantages, 9a, de plus, celui de se rendre maître par son adresse, de toutes sortes d'animaux, depuis les plus foibles jusqu'aux plus robustes. Les bêtes farouches, les oiseaux, les poissons, rien n'évite de tomber entre ses mains. Il sait en aprivoiser quelques-uns, les rendre dociles, & en tirer divers usages. Il sait mettre à profit les plus nuisibles; & trouver des remèdes dans les plus venimeux. En général, il reçoit de toutes les bêtes une utilité où elles ne peuvent avoir part: c'est qu'étudiant l'assemblage & l'arrangement de leurs parties, il en fait l'objet d'une Science qui lui fournit beaucoup de lumières; & que les comparant entr'elles genre avec genre, & espéce avec espéce, il voit combien elles lui sont inférieures pour la beauté & la perfection de la structure du corps. Si l'on pense sérieusement à ce que nous venons de dire, on verra que l'Homme, bien loin de se devoir faire des animaux brutes un objet d'adoration, se doit plutôt regarder en quelque sorte comme leur Dieu, mais subordonné au Souverain du Monde, & élevé par son ordre à cette Dignité subalterne.
Note 9: (retour) A, de plus, celui de se rendre maître par son adresse &c. Euripide dans la Tragédie d'Æole, «la Nature a donné peu de force à l'Homme, mais il dompte par son adresse les animaux aquatiques, & terrestres, & ceux qui vivent dans l'air.». Antiphon, «L'Art nous fait surmonter les bêtes qui nous surmontent par les forces de la Nature.» On pourroit expliquer par là la Domination que l'Homme a reçue sur les animaux. Gen I.26. Pseau. VIII. 8. Claude le Néapolitain dans Porphyre. L'Homme n'est pas moins le maître de tous les animaux, que Dieu l'est de l'homme.
Contre le culte qu'ils rendoient aux Passions, à la Vertu &c.
VIII. Les Livres des Payens nous aprennent que les Grecs, les Latins, & d'autres Peuples, adoroient certaines choses qui ne sont que de simples accidens. Pour ne pas parler de la Fiévre, de l'Impudence, & de telles autres choses ou afligeantes ou vicieuses; la Santé, dont ils faisoient une Déesse, n'est que la bonne température des parties du corps. Le Bonheur n'est que la conformité des événemens avec les désirs de l'homme. Les Passions, comme l'amour, la colére, l'espérance, & d'autres, qui naissent toutes de la vûe du bien ou du mal, & de la facilité des choses vers lesquelles nous nous portons, ne sont que des mouvemens dans cette partie de l'ame qui a le plus de liaison avec le corps par le moyen du sang. Or. ces mouvemens ne sont pas libres & indépendans, mais soumis à nôtre volonté, comme à une maîtresse dont ils suivent les ordres, du moins dans leur durée & dans leur détermination vers un certain objet. La Vertu, qui prend diférens noms selon la diversité des sujets où elle s'exerce, & qui s'apelle Prudence, lors qu'elle s'ocupe au choix de ce qui est utile; Vaillance, lors qu'elle nous porte à braver le péril; Justice, lors qu'elle nous empêche de mettre la main sur ce qui ne nous apartient pas; & Tempérance, lorsqu'elle modére la passion que l'Homme a pour les plaisirs: la Vertu, dis-je, n'est qu'un penchant vers la droiture, lequel se fortifie dans le coeur par une longue habitude, & peut diminuer & se détruire même par nôtre négligence. L'Honneur, ou la Gloire, à qui nous lisons que l'on consacroit aussi des Temples, n'est autre chose que le jugement que nous faisons d'une personne, & par lequel nous reconnoissons en elle de la vertu & du mérite. Mais comme, par un malheur qui nous est naturel, nous sommes extrémement sujets à errer, nous nous trompons souvent dans l'opinion que nous avons des autres; soit en estimant ceux qui n'ont aucun vrai mérite, soit en n'estimant pas ceux qui en ont. Puis donc que toutes ces choses sont, ou dépendantes, comme les passions; ou sujettes à hausser & à baisser, comme la vertu; ou souvent fausses & mal fondées comme la gloire; que toutes en général ne subsistent pas par elles-mêmes, & sont fort éloignées de la dignité des substances; qu'enfin elles ne peuvent entendre nos priéres ni recevoir nos hommages, il est aussi absurde de les honorer comme des Divinitez, qu'il est raisonnable & nécessaire d'adorer celui dont la puissance les produit & les conserve.
Il faut avouer que dans cette dispute les Payens ne sont pas tout à fait réduits au silence. Ils ont leurs preuves, qu'il nous faut examiner. Elles se réduisent à deux, les Miracles, & les Prédictions.
Réfutation de la preuve que les Payens tiroient de leurs Miracles.
IX. Je dis contre les premiers, 10que les plus sages Payens les ont rejettez pour la plûpart, comme n'étant apuyez sur la foi d'aucun témoin irréprochable, & comme étant suposez. Quelques-uns de ces miracles se sont faits de nuit, dans des lieux écartez, en présence d'une ou de deux personnes à qui l'artifice des Prêtres pouvoit aisément faire illusion par des aparences trompeuses. D'autres n'étoient miracles que pour ceux qui ignoroient la force de la Nature & la vertu secrette de certains corps. C'est ainsi que la force qu'a l'aiman d'atirer le fer passeroit pour un miracle dans l'esprit de ceux, qui n'en ayant jamais ouï parler en verroient l'éfet pour la premiére fois. C'est par ces secrets purement naturels que Simon & aApollonius de Tyane s'étoient rendus si fameux, comme plusieurs l'ont écrit. Je ne voudrois pas cependant nier qu'on n'ait pu voir quelques éfets, que l'Homme seul ne pouvoit produire par l'aplication des causes naturelles. Mais je dis aussi qu'il n'est pas nécessaire de remonter jusqu'à une force toute-puissante & divine pour en rendre raison; & qu'on doit les atribuer aux Esprits qui tiennent en quelque sorte le milieu entre Dieu & l'Homme, & qui par leur agilité, leur force, & leur adresse; peuvent raprocher les choses éloignées, & unir celles qui sont diférentes, d'où résultent ces éfets extraordinaires qui frapent & qui ravissent. Mais il paroît par ce que nous avons déjà dit, que les Esprits qui opéroient ces prodiges n'étoient que les Démons, & que par conséquent la Religion confirmée par ces moyens étoit une fausse Religion. Cela se prouve encore par ce que ces Esprits disoient, 11qu'ils se sentoient entraînez malgré eux par la force des enchantemens, qui consistoient en de certains Vers. Ce qui est faux & ridicule, puis que selon l'aveu même des sages Payens, les paroles n'ont aucune vertu que celle de persuader, & qu'elles ne l'ont pas par elles-mêmes, mais par les choses qu'elles signifient. On ne doutera pas que ces Esprits n'ayent été très-impurs, si l'on fait réflexion que quelquefois ils se chargeoient d'inspirer de l'amour à des personnes, pour d'autres qui ne s'en pouvoient faire aimer. Si ces promesses étoient vaines, ces Esprits étoient trompeurs: si elles ne l'étoient pas, ils outrageoient ceux qu'ils forçoient à aimer. Ce qui est un crime condamné par les Loix humaines, qui le mettent au rang des Sortilèges.
Note 10: (retour) Que les plus sages Payens &c. Tite-Live, «Pour ce qui est de ces merveilles que contient l'Histoire des temps qui ont précédé la naissance de Rome, & qui ont plus l'air de fictions poëtiques, que de véritez historiques, mon dessein n'est pas ni de les donner pour vrayes, ni d'en faire voir la fausseté. Je tiens qu'il faut pardonner aux Anciens la bonne intention qu'ils ont eue de rendre plus auguste la naissance des Villes, en y faisant intervenir les Dieux.»
Note a: (retour) C'étoit un fameux Magicien qui vivoit sous Neron, il faisoit profession de la Philosophie Pythagoricienne. L'on raconte de lui des choses surprenantes, mais l'on n'a pour garant que Philostrate, natif de Lemnos, aujourd'hui Statimene, Ille de la mer Égée dans la Grèce. C'étoit un bel Esprit, mais qui ne composa la Vie d'Apollonius, que pour plaire à l'Empereur Sévére & à l'Impératrice Julie, qui étoient amoureux du merveilleux. D'ailleurs il vivoit plus d'un siécle après Apollonius, & tout son récit n'est fondé que sur des ouï dire. TRAD. DE PAR.
Note 11: (retour) Qu'ils se sentoient entraînez &c. Dans l'Oracle d'Hécube que Porphyre raporte, Je viens, dit cette Déesse, après y avoir été invitée par ces sages priéres que les hommes ont inventées par le secours des Dieux. Dans un autre endroit, De quoi avez-vous besoin, vous qui m'avez atirée du Ciel, en me liant par des vers qui ont la force de dompter les Dieux?
Deut. XIII. 3. 2. Thess. II. 9.
Qu'on ne soit pas surpris de voir que Dieu ait soufert que les malins Esprits fissent certaines choses qui tenoient du miracle. Il étoit juste qu'il abandonnât à ces illusions ceux qui depuis long tems refusoient de l'adorer. Outre cela, il y a entre ses miracles & ceux des Démons une diférence qui empêchoit qu'on ne les prît les uns pour les autres: c'est que jamais la puissance de ces Esprits n'est allée jusqu'à faire aucun bien considérable par ces actions surnaturelles. Et s'il leur est arrivé de ressusciter des personnes mortes, ce n'étoit qu'une apparence de résurrection, puis que cette vie qu'elles avoient recouvrée ne duroit pas longtemps, et que même elles ne faisoient aucune des fonctions de personnes véritablement vivantes.
Si le Paganisme a eu quelquefois de véritables miracles, produits par la Puissance divine, ils ne font rien pour cette Religion, puisqu'ils n'avoient été précédez d'aucunes prédictions qui marquassent que ces miracles tendroient à l'établir. Ainsi rien n'empêche qu'ils n'ayent eu dans le dessein de Dieu quelque usage fort diférent de celui là. S'il est vrai, par exemple, que Vespasien ait rendu la vûe à un Aveugle, je ne doute pas 12 que Dieu n'ait eu en vûe de lui frayer un chemin à l'Empire en lui atirant la vénération des Romains, & de le mettre par là en état d'exécuter l'Arrêt que Jésus Christ avoit prononcé contre les Juifs. Les autres miracles du Paganisme ont pu aussi avoir leurs raisons, qui n'avoient rien de commun avec le dessein de prouver cette Religion.
Réfutation de la preuve qu'ils tiroient de leurs Oracles
Il faut apliquer presque tout cela à la preuve que les Payens tirent de leurs Oracles: sur tout, ce que nous avons dit, que ces Peuples ayant négligé les connoissances que la Raison et la Tradition la plus ancienne leur donnoient sur le Culte du vrai Dieu, ils avoient bien mérité d'être le jouet des Démons. De plus, il faut considérer qu'il y avoit presque toûjours dans ces Oracles une ambiguité, qui faisoit que de quelque maniére que les choses tournassent, ils se trouvoient véritables. S'il y en a eu qui marquant l'avenir précisement & sans équivoque ayant eu leur acomplissement, rien n'oblige à les atribuer à une Science infinie, telle qu'est celle de Dieu: puis que les choses qu'ils prédisoient, par exemple, des sécheresses, des stérilitez, des maladies contagieuses, des inondations, sont de celles qui ayant leurs causes naturelles & fixes, s'y peuvent découvrir par le secours des Sciences. C'est ainsi qu'il y a eu des Médecins qui ont prédit de certaines maladies. Si ces prédictions regardoient des événemens fortuits, & dépendans d'une cause libre, ce n'étoient que d'heureuses conjectures, tirées du cours ordinaire des afaires du Monde. L'Histoire nous parle de certaines [Cicéron, Solon, Thalès, Périclès.] personnes habiles dans la Politique, qui par les seules lumiéres qu'elle leur fournissoit, ont prédit avec beaucoup de justesse le tour que devoient prendre les afaires publiques.
S'il est arrivé parmi les Payens, que Dieu, par le ministére de quelques personnes, ait prédit certains événemens, dont les causes n'étoient ailleurs qu'en lui-même & dans sa volonté; ce n'étoit nullement dans le dessein de confirmer la Religion que nous combatons ici, mais plutôt, de préparer les choses à sa ruïne. Qu'on lise, par exemple, ce bel endroit que Virgile a tiré des Oracles de la Sibylle de Cumes, & inséré dans sa quatriéme Eclogue, & l'on y verra que ce Poëte a dépeint sans le savoir, l'avénement de Jésus Christ & les biens que le Sauveur aporteroit aux hommes. D'autres endroits des Vers des Sibylles, ordonnoient 13que l'on eût à reconnoître pour Roi, celui qui seroit véritablement nôtre Roi, [Suet. Vie de Vespas. ch. IV.] & marquoient qu'il viendroit de l'Orient un homme qui régneroit sur tout l'Univers. On lit dans Porphyre 14un Oracle d'Apollon qui porte, qu'il ne faloit adorer que le Dieu des Hébreux, & que pour ce qui est des autres Dieux, ce n'étoient que des Esprits Aeriens, c'est-à-dire, habitans dans l'air. Or je demande à un Payen qui reconnoit Apollon pour un Dieu véritable, s'il ajoûte foi à cet Oracle, ou non: le premier détruit directement la Divinité d'Apollon, & de tous les autres Dieux; le second, le fait indirectement, en acusant de mensonge ou d'erreur un Dieu si pénétrant & si éclairé.
Note 14: (retour) Un Oracle d'Apollon &c. Voyez Eusébe Prép. liv. IV. chap. 4. Dans l'exhortation aux Grecs qui est dans les Ouvrages de Justin Martyr, on voit aussi cet Oracle; La véritable sagesse ne se trouve que dans les Chaldéens & dans les Hébreux, qui adorent d'un coeur pur une Divinité éternelle. Et cet autre, Dieu qui a formé le premier homme & qui l'a apellé Adam &c. Eusébe Demonst. Evang. a cité de Porphyre ces deux Oracles qui regardent Jésus Christ. «Celui dont la sagesse fait toute la gloire, a connu que l'ame est immortelle: & son ame excelle en piété sur celles de tous les autres hommes. Son corps a soufert des douleurs extrémes, mais son ame a été reçue dans l'assemblée des personnes pieuses.»
Mais un défaut général de tous les Oracles des Payens, & qui fait voir que les Esprits qui en sont les auteurs, n'ont pas eu dessein de travailler par là au bonheur des hommes, c'est que ces Esprits n'ont, ni proposé des Régles générales de bien vivre, ni promis avec certitude une récompense après la mort. Même, comme si c'eût été peu que de laisser leurs Adorateurs dans l'ignorance de ces choses si nécessaires, ils semblent ne leur avoir parlé que pour donner de l'encens aux Rois, quelque indignes qu'ils en fussent; que pour décerner les honneurs divins à des Athlétes; que pour engager les hommes dans un amour impur, & dans la passion basse & sordide d'un gain illégitime; ou enfin, pour les animer à se détruire les uns les autres.
Après avoir réfuté l'objection tirée des miracles & des prédictions dont le Paganisme se fait honneur, continuons à le combatre par quelques autres preuves.
Que le Paganisme est tombé de lui-même, lors que les secours humains lui ont manqué.
X. Si cette Religion étoit fondée sur la puissance & sur la volonté de Dieu, on ne l'auroit pas vû tomber & périr absolument dans tous les lieux où les apuis humains sont venus à lui manquer. C'est pourtant ce qui lui est arrivé. Que l'on jette les yeux sur tous les États Chrétiens ou Mahométans, l'on n'y apercevra aucune trace de l'ancien Paganisme, & l'on ignoreroit ce que c'est, si l'Histoire ne nous en instruisoit. C'est elle aussi qui nous aprend que lors même que les premiers Empereurs employoient la force ouverte & les suplices, pour maintenir cette Religion, ou lors que Julien se servoit pour cela de toute sa Science & de tout son artifice, elle perdoit tous les jours quelque chose de son crédit & de son autorité, sans que le Christianisme la combatît ni par des voyes de fait, puis qu'il n'avoit pour toutes armes que la dispute & la fermetê, ni par l'éclat d'une naissance distinguée, puis que son Auteur même passoit pour le fils d'un Charpentier; ni par le secours des Belles Lettres & des Sciences, puis qu'il n'en paroissoit aucuns traits dans les discours des premiers Docteurs de nôtre Religion; ni par des présens, puis que ces premiers Docteurs étoient pauvres; ni enfin par des maniéres flateuses, puis qu'au contraire, entr'autres dispositions qu'ils demandoient à leurs Disciples, ils vouloient qu'ils méprisassent toutes les douceurs de la vie, & qu'ils se résolussent à soufrir tout pour cette nouvelle Doctrine. Certes il faut bien dire que le Paganisme étoit extrémement foible, puis qu'il a sucombé sous une Religion si dénuée de secours. Cette Religion nouvelle, qui lui a succédé, n'a pas seulement banni du coeur des Payens la crédulité qui les atachoit au service de leurs Dieux, mais elle a même, au seul nom de Jésus-Christ, fermé la bouche à ces faux Dieux, ou pour mieux dire, aux Démons. Elle les a chassez des corps qu'ils possédoient, & les a forcez de dire, lors qu'on leur demandoit la raison de leur silence, qu'ils ne pouvoient rien dans les lieux où le nom de Jésus-Christ étoit invoqué.
Que les Astres n'ont aucune influence sur la Religion.
XI. Il y a eu des Philosophes qui atribuoient à la vertu des Astres la naissance & la ruïne de toutes les Religions du Monde. Mais ce n'est là qu'une conjecture, qui n'a de fondement que dans la plus trompeuse de toutes les Sciences, je veux dire, l'Astrologie judiciaire, que ces Philosophes se vantoient de savoir. Les Régles en sont si peu uniformes & si mal liées, qu'on peut dire de cette Science qu'elle n'a rien de certain que son incertitude. Non que je prétende que les Astres ne puissent produire certains éfets naturels & nécessaires. Mais je dis qu'ils ne peuvent rien sur nos actions ni sur les mouvemens de nôtre volonté, qui est si essentiellement libre, qu'elle ne peut être déterminée nécessairement par aucune cause extérieure. Autrement, que deviendroit la force que nous sentons bien qu'a nôtre ame de délibérer & de choisir? 15Que deviendroit l'équité des Loix & la justice des récompenses & des peines, puis qu'on ne peut mériter ni les unes ni les autres, quand on agit en conséquence d'une nécessité inévitable? De plus, si les actions mauvaises partoient d'une influence céleste, qui les produisit nécessairement par l'éficace que Dieu auroit donnée aux Corps célestes, qui ne voit que Dieu seroit la cause du péché? Qui ne voit même que puis que d'un côté, il le condamne par des Loix positives, & que de l'autre il en auroit établi dans la Nature certaines causes nécessaires, & d'une force insurmontable, il voudroit deux choses oposées, c'est-à-dire, qu'il voudroit, le crime, & qu'il ne le voudroit pas? Qui ne voit qu'en ce cas-là il y auroit du peché dans des choses que l'homme ne feroit, que par suite d'une impression dont Dieu seroit l'auteur? Il y a une absurdité moins grossiére dans ce que disent quelques-uns, que l'éficace des Astres se déploye sur nos corps par le moyen de l'air, qui ayant reçu des Astres de certaines dispositions, les fait passer jusques sur le corps; que ces dispositions du corps peuvent exciter dans l'ame les mouvemens & les desirs avec quoi elles ont quelque raport; & que que ces mouvemens & ces desirs peuvent entraîner, & déterminer la volonté. Mais quand on admettroit toutes ces opérations successives, on ne pourroit en conclure ce que l'on prétend ici, qui est, que les Astres ont pu concourir à l'établissement d'une Religion, encore moins, qu'ils ayent contribué à celui de la Religion Chrétienne. Un des principaux éfets de celle-ci étant de détourner les hommes de toutes les choses qui plaisent à la chair, elle n'a pû s'établir en vertu de nos dispositions corporelles, ni par conséquent, par l'impression des Astres, qui, comme nous l'avons dit, ne peuvent agir sur l'ame que par l'entremise du corps. Les plus habiles Astrologues16 on soustrait le Sage & l'Homme de bien aux lois de l'Astrologie, & à l'influence des Cieux. Or les premiers Chrétiens ont eu ces deux caractéres, comme leur vie le prouve. Si l'on reconnoit que les Sciences & l'érudition sont capables de munir l'Esprit contre les éfets de la disposition du corps, on ne peut nier qu'il n'y ait toûjours eu parmi les Chrétiens des personnes habiles & savantes. Enfin, selon l'aveu des plus éclairez, l'éficace des corps célestes ne regarde que certains climats, & ses éfets ne durent pas toûjours: or la Religion Chrétienne a déjà duré plus de 1600 ans; & elle regne, non dans un certain endroit de la Terre, mais dans plusieurs très-éloignez les uns des autres, & à l'égard desquels les Astres sont dans une situation très-diférente.
Que les principaux Points de la R. Ch. se trouvent dans les Écrits des Sages Payens. Et que les Payens croyoient des choses aussi dificiles à croire que nos Mystéres.
XII. Le dernier avantage que nous nous remarquerons dans la Religion Chrétienne sur le Paganisme, c'est que tous ses Articles sont si conformes aux Régles naturelles de la vertu, qu'ils portent par eux-mêmes dans l'Esprit une lumiére qui le convainc & qui le persuade; & qu'ils ont été même enseignez par plusieurs Auteurs Payens. Quelques-uns d'entr'eux ont dit,17 que la Religion ne consiste pas dans les cérémonies, mais dans les mouvemens du coeur:18 que le seul dessein d'atenter à la pudicité d'une femme me rend un homme adultère:19 qu'il n'est pas permis de venger une injure par une autre injure: qu'un homme ne doit épouser qu'une femme:20 qu'il ne la doit jamais répudier:21 qu'il est du devoir de l'homme de faire du bien à tout le monde,22 mais sur tout, à ceux qui sont dans l'indigence;23 qu'il n'en faut venir au serment que dans une ne extrême nécessité: que pour la vie & le vêtement,24 le nécessaire doit sufire. Si la Religion Chrétienne nous enseigne des choses dificiles à croire, la Religion Payenne en a cru une partie, & en a d'autres qui ne font pas moins de peine. Nous avons déjà vu que quelques-uns de ses Docteurs ont cru l'immortalité de l'ame & la résurrection.25 Platon instruit par les Chaldéens, distingue la Nature divine en trois, le Pére, l'Entendement du Pére, qu'il nomme aussi le Germe de Dieu, & l'Ouvrier du Monde, & l'Ame qui contient toutes choses. Julien le plus grand ennemi des Chrétiens a cru que la Nature divine se pouvoit unir avec la Nature humaine: & en a donné pour exemple Esculape, qu'il prétendoit être venu du Ciel pour enseigner aux hommes l'art de la Médecine. La Croix de Jésus-Christ étoit aux Payens un sujet d'achopement: mais que ne racontoient-ils pas de leurs Dieux? Est-ce une chose fort aisée à digérer, que quelques-uns d'entr'eux ayent été foudroyez, d'autres coupez en piéces, & d'autres blessez? De plus, leurs Sages ont assuré que la vertu n'est jamais plus brillante, que lors qu'elle est éprouvée & combatue par de grandes miséres.26 Il semble que Platon dans son second Livre de la République, ait parlé par un Esprit prophétique, lors qu'il a dit, qu'afin que le Juste paroisse bien ce qu'il est, il faut que sa vertu soit dépouillée de tous ses ornemens, qu'il passe lui-même pour un scélérat, qu'il soufre la raillerie & [Suspendatur.] l'insulte, & qu'il finisse sa vie par un honteux suplice. En éfet, ce n'est que dans ces ocasions, qu'un homme de bien peut devenir un exemple de patience à toute épreuve.
Note 17: (retour) Que la Religion ne consiste pas &c. Ménandre. Ne sacrifiez jamais aux Dieux qu'avec un coeur juste, & éforcez-vous de briller par l'éclat de la Sainteté, plutôt que par celui de vos habits. Cicér. de la Nat. des Dieux, liv. II. La maniére la plus parfaite, la plus chaste, la plus sainte, & la plus pieuse de servir les Dieux, c'est de joindre la pureté & l'intégrité du coeur à celle des hymnes & des priéres. Dans son II. liv. des Loix. Lors que la loi nous ordonne de nous présenter aux Dieux avec des dispositions saintes & chastes, cela regarde l'ame plutôt que le corps; car qui dit l'ame, dit tout. Porphyre liv. II. de l'abstinence de la chair des animaux. «Ils disent que celui dont l'habit n'est pas net & sans taches, n'est pas en état de sacrifier purement. Ils ne demandent que cela pour être bien disposé à faire le Service divin, & n'insistent point du tout sur la pureté de l'ame. Comme si Dieu ne se plaisoit pas infiniment à voir dans un bon état, cette partie de nous-mêmes, par laquelle nous lui ressemblons, & sommes participans de sa nature. Cette Inscription qui se lisoit dans le Temple d'Épidaure étoit bien plus raisonnable, N'entrez dans ce Temple qu'avec la pureté d'un coeur chaste: or cette chasteté n'est autre chose que la sainteté des pensées. Et ailleurs. Celui qui est persuadé que les Dieux n'ont pas besoin des victimes qu'on leur présente, qu'ils n'ont égard qu'au coeur de ceux qui les leur ofrent, & que le sacrifice qui leur est le plus agréable, c'est que l'on ait une droite opinion tant d'eux, que de tout ce qui les concerne, un homme, dis-je, qui est dans cette persuasion, peut-il ne pas devenir tempérant, pieux & juste?» Voila précisément le sobrement, justement, & religieusement de Tite, II. 2. Sénéque cité par Lactance, Instit. liv. V. ch. 25. «Dès que vous vous serez représenté Dieu comme grand, plein d'une Majesté aussi terrible qu'aimable, & toujours prêt à vous secourir, vous ne vous mettrez plus en peine de le servir par un grand nombre de sacrifices, mais par un Esprit pur, & par de justes desseins, & vous concevrez que les véritables Temples ne sont pas ces édifices somptueux & élevez avec beaucoup de peine, mais les coeurs de ceux qui l'adorent.» Thucydide liv. I. Un jour de fête n'est autre qu'un jour auquel on fait son devoir. Diogéne, Tous. les jours ne sont-ils pas des jours de fête pour un homme de bien?
Note 18: (retour) Que le seul dessein d'atenter &c. Ovide, «Une Femme, qui ne fait rien contre le devoir de chasteté, que parce que les moyens ou les occasions lui manquent, est dans le fond une Femme impudique, son corps est pur, mais son coeur est souillé; & dans le tems, que les dehors sont bien gardez, l'adultére est le maître de l'intérieur.»
Note 19: (retour) Qu'il n'est jamais permis de vanger &c. Platon, Maxime de Tyr, Ménandre. Le plus vertueux de tous les hommes est celui qui sait le mieux suporter un afront. Dans Plutarque, Dion le Libérateur de la Sicile, dit, que la marque la plus sûre d'un coeur véritablement Philosophe, c'est, non d'être bon à ses Amis; mais d'être doux & facile à apaiser, lors qu'on a reçu quelque outrage.
Note 23: (retour) Qu'il n'en faut venir au serment &c. Pythagore, Il ne faut pas jurer par les Dieux, mais il faut tâcher à se faire croire sans serment. Marc Antonin entr'autres caractéres qu'il donne à l'homme de bien, c'est un homme, dit-il, qui n'a pas besoin de jurer. Sophocle, je ne te crois pas assez méchant pour le vouloir faire jurer. Clinias Pythagoricien aima mieux perdre un Procés, où il s'agissoit de 3B talens, que de le gagner par un serment.
Note 25: (retour) Platon instruit par les Chaldeens &c. Platon pose deux Principes, dont il appelle le premier, le Pere, & le second, la cause & le directeur de toutes choses. Numénius appelle le second, le Fils, & Amélius, la Raison. Chalcidius sur le Timée de Platon, en établit trois, savoir, le Dieu Souverain, l'Esprit ou la Providence, & l'Ame du Monde ou le second Esprit: ailleurs, il les apelle, celui qui projette, celui qui commande, & celui exécute, en s'insinuant sur les sujets sur lesquels il travaille, ordinans, jubens, insinuans.
TRAITÉ
DE LA VERITÉ
DE LA
RELIGION
CHRÉTIENNE.
LIVRE CINQUIÈME
Réfutation du Judaïsme.
elle qu'est cette foible
lueur qui se fait voir peu
à peu, lors que l'on aproche
de l'issue d'un
antre obscur & profond, telle paroît la
Religion Judaïque, lors qu'on vient
à y jetter les yeux, après avoir parcouru
les ténèbres épaisses du Paganisme.
C'est là que l'on découvre
ces grandes véritez, qui font partie du
corps des Véritez salutaires, & qui en
sont le Principe & la semence. Nous
prions les Juifs, que cet aveu que nous
faisons, les dispose un peu à nous écouter
favorablement. Nous savons
qu'ils sont la Postérité de ces sains hommes
que Dieu visitoit autrefois par ses
Prophétes & par ses Anges: que c'est
d'entr'eux que nous est né le Messie, &
que sont venus les premiers Docteurs de
nôtre Religion: qu'ils sont l'arbre auquel
nous avons été entez: qu'ils sont les
dépositaires des Oracles divins pour
lesquels nous n'avons pas moins de vénération
qu'eux. C'est ce qui nous
oblige à pousser vers Dieu avec saint
Paul des soupirs véhémens pour eux,
& à le prier qu'il veuille faire bientôt
luire ce jour, auquel le voile, qui
leur couvre le visage, étant écarté,
ils verront aussi clairement que nous,
l'accomplissement de leur Loi: cet
heureux jour marqué par les Prophétes,
auquel chacun de nous, qui naturellement
sommes étrangers, empoignera
& tiendra ferme le pan de la
robe d'un Juif, pour aller adorer d'un même
coeur, & par les mouvemens
d'une même piété, le seul vrai Dieu,
le Dieu d'Abraham, d'Isaac, & de
Jacob.
Que les Juifs ne doivent pas douter des miracles de Jésus-Christ.
II. La premiére chose que nous les prions de nous acorder, c'est qu'ils ne regardent pas en nous comme une chose injuste & déraisonnable, ce qu'ils se croyent permis dans leur propre Cause. Si un Payen leur demandoit pourquoi ils croyent les miracles qu'ils disent que Moyse a faits, ils ne répondroient autre chose, sinon que leur Nation les a toujours crûs si constamment & si fermement, qu'il est impossible que cette persuasion vienne d'ailleurs que du témoignage de ceux qui les ont vus. En éfet s'ils ne doutent point qu'Elisée, par exemple, n'ait augmenté l'huile d'une femme veuve, qu'il n'ait guéri tout d'un coup un Syrien lépreux, qu'il n'ait ressuscité le fils d'une femme chez qui il logeoit, si, dis-je, ils n'en doutent point, c'est uniquement sur ce que ces Faits ont été écrits & laissez à la Postérité par des témoins fidèles & sûrs. S'ils croyent qu'Elie a été enlevé au Ciel; ce n'est que sur le raport du seul Elisée, comme d'un témoin irréprochable. Et pour nous, nous mettons en avant douze témoins de l'ascension de Jesus-Christ, & douze témoins d'une vie irrépréhensible. Nous en citons un nombre beaucoup plus grand, qui ont vû Jésus-Christ vivant après sa mort. Et si ces deux choses sont vrayes, il faut nécessairement que la Religion Chrétienne le soit aussi. En un mot, tout ce que les Juifs peuvent aporter pour établir la certitude de leurs miracles, nous avons autant de droit, & même plus de droit qu'eux, de le faire servir à confirmer les nôtres. Mais qu'est-il besoin d'agir par preuves & par témoignages, puis que les Auteurs du Talmud, & tous les Juifs, avouent que Jésus-Christ a fait les miracles raportez dans l'Histoire sainte: ce qui, encore une fois, prouve nôtre Religion, puis que la maniére la plus authentique & la plus éficace dont Dieu puisse autoriser une Religion, c'est de faire des miracles en sa faveur.
Que ces miracles n'ont pas été faits par le secours des Démons.
III. Quelques-uns ont dit que Jésus-Christ avoit fait des miracles par le secours des Démons. Mais cette Chicane a déjà été réfutée par la remarque que nous avons faite, que dans les lieux où la Religion Chrétienne s'est fait connoître, elle a anéanti tout le pouvoir des Démons.
Ce que d'autres disent, que Jésus-Christ avoit apris la Magie en Égypte, est beaucoup moins vrai-semblable qu'une pareille acusation que Pline & Apulée font contre Moyse. Car les mêmes Auteurs sacrez qui nous aprennent le voyage de Jésus-Christ en Égypte, marquent aussi qu'il en revint encore enfant. Au lieu qu'on voit par les Écrits de Moyse,1 & de plusieurs autres, que ce Législateur a passé dans ce Païs une grande partie de sa vie. Mais il ne faut que jetter les yeux sur la Loi de Moyse & sur celle de Jésus-Christ, pour les absoudre tous deux de ce crime, puis que ces Loix défendent expressément les Arts magiques comme très-désagréables à Dieu. Outre cela, si dans le tems de Jésus-Christ & de ses Disciples, il y eût eu en Égypte, ou ailleurs, quelque art magique assez éficace pour produire les grands éfets que nous atribuons à la Puissance de Jésus-Christ, telle qu'est, la guérison promte des muets, des boiteux, & des aveugles, il est sûr qu'un tel art n'auroit pas échapé à la connoissance de Tibère, 2 de Néron, & de quelques autres Empereurs, qui n'épargnoient ni soin ni dépense pour découvrir les secrets de la Magie. Et s'il est vrai ce que disent les Juifs, que les Membres du grand Sanhédrin, c'est-à-dire du grand Conseil, convainquoient les Criminels par le moyen de cet art; on ne doit pas douter qu'étant ennemis de Jésus-Christ & jaloux de sa réputation qui croissoit tous les jours par ses miracles, ils n'en eussent fait de semblables par le secours du même art, par lequel on veut que Jésus-Christ ait fait les siens, & qu'ils n'eussent montré par là que ses miracles n'étoient que l'éfet de cet art illicite.
Ni par la force de quelques paroles.
IV. A l'égard de ce que quelques Docteurs Juifs ont dit que Jésus-Christ a fait tous ses miracles par la vertu d'un certain nom secret, qu'il trouva moyen d'enlever du Temple de Jérusalem, où Salomon l'avoit mis en réserve, & qui y avoit été conservé par deux Lions pendant plus de mille ans; je dis que c'est là un mensonge grossier & impudent. Non seulement les Livres des Rois, ni l'Histoire de Joséphe ne disent rien de ces Lions, gardiens d'un nom si merveilleux, ce qui pourtant étoit assez considérable pour n'être pas omis; mais les Romains mêmes qui entrérent dans ce Temple avec Pompée, avant que Jésus-Christ naquît, n'y aperçurent rien de semblable.
Preuve de la divinité de ces miracles, par la Doctrine de Jésus-Christ.
V. S'il est vrai, comme nous l'avons établi, & comme les Juifs mêmes l'avouent, que Jésus-Christ ait fait des miracles; nous disons qu'il s'ensuit nécessairement de là, par la Loi même de Moyse, qu'on ne peut plus se dispenser de croire en lui. Dieu dit au Chapitre XVIII du Deutéronome, qu'après Moyse il susciteroit d'autres Prophétes, à qui le Peuple ple seroit obligé, sous des peines très-rigoureuses, de se soumettre & d'obéïr.3 Or les marques les plus certaines de la Charge de Prophéte sont assurément les miracles; & l'on ne sauroit en concevoir de plus éclatantes. Au Chap. XXIII. il est dit, que si un homme se disant être Prophéte, apuye par des miracles cette prétention, il ne mérite néanmoins aucune créance, s'il veut atirer le Peuple au culte des faux Dieux; & que Dieu n'a permis ces prodiges que dans le dessein d'éprouver si son Peuple lui est fidèle. De ces deux passages comparez l'un avec l'autre, les Interprétes Juifs ont fort bien conclu, qu'il faut toûjours ajoûter foi à tous ceux qui font des miracles, si ce n'est lors qu'ils veulent séduire le Peuple, & le détourner du service du vrai Dieu, parce que c'est là le seul cas que la Loi excepte, sans faire grace même aux plus grands miracles. Or non seulement Jésus-Christ n'a pas enseigné qu'il falût adorer de faux Dieux, mais il l'a même expressément défendu, comme le plus atroce de tous les crimes. Outre cela, il nous inspire par tout du respect pour les Écrits de Moyse & des Prophétes.
Reponse à l'Objection tirée de la diférence entre la Loi de Moyse & celle de Jésus-Christ.
VI. Mais dira-t-on, la Loi de Jésus-Christ n'est pas conforme en tous les Points à celle de Moyse, & il y a de l'une à l'autre des diférences assez notables pour faire dire que ce n'est pas la même Loi. Les Docteurs Juifs nous fournissent eux-mêmes la réponse à cette objection, par cette Régle qu'ils ont posée; c'est qu'à l'exception du Commandement qui ordonne de servir un seul Dieu, il n'y en a aucun dans la Loi que l'on ne puisse violer4 sur la parole d'un Prophéte qui fait des miracles. Cela est fondé sur cette Maxime, que Dieu n'a pu perdre ni quiter le pouvoir législatif qu'il avoit lors qu'il donna sa Loi à Moyse, & que le droit qu'un homme a eu d'établir des Loix, n'exclut pas celui d'en établir d'autres, mêmes tout oposées. Mais Dieu, disent-ils, est immuable, & par cela même obligé de maintenir les Loix qu'il a faites. Je répons qu'à la vérité Dieu est immuable en son essence, mais que cela n'empêche pas que ce qu'il fait hors de lui-même, ne soit sujet à la révolution & au changement. La lumiére & les ténèbres, la jeunesse & la vieillesse, l'été & l'hiver, qui sont les Ouvrages de Dieu, sont dans une vicissitude perpétuelle. Dieu permit au premier homme de manger de tous les fruits du jardin d'Eden, excepté d'un seul, qu'il lui défendit par un éfet de sa liberté. Il a condamné le meurtre en général; & il a commandé à Abraham de sacrifier son fils. Les victimes qu'on lui présentoit hors du Tabernacle, lui étoient désagréables; quelquefois pourtant il les a acceptées. J'ajoûte, que de ce que la Loi de Moyse étoit bonne, il ne s'ensuit pas qu'il ne pût y en avoir une meilleure. Elle étoit telle qu'elle devoit être selon les desseins de Dieu, & selon la disposition de son Peuple. Il faisoit en cela ce que font les Péres à l'égard de leurs enfans encore jeunes. Ils bégayent avec eux; ils dissimulent les défauts inséparables de leur âge; ils les engagent par de petites douceurs à faire leur devoir, & à recevoir de l'instruction. Mais à mesure que leurs enfans croissent, ils corrigent le bégayement de leur langue, ils leur inspirent les sentimens de la vertu, ils leur en donnent les Régles, & leur en font voir la beauté & les récompenses.
Note 4: (retour) Sur la parole d'un Prophéte qui fait des miracles. Cette Régle se trouve dans le Talmud. C'est ainsi que Josué viola la Loi du Sabbat, Jos. VI. Et que quelques Prophétes comme Samuel, I Sam. VII, & Elie I Rois XVIII. 38. ont sacrifié dans d'autres lieux que celui que la Loi avoit marqué.
Qu'il y peut avoir une Loi plus parfaite que celle de Moyse.
VII. Une preuve que les Précepteurs de la Loi n'étoient pas d'une souveraine perfection, c'est que beaucoup de saints hommes, qui ont vécu sous sa Discipline, se sont élevez, pour ainsi dire, au dessus de ses Préceptes, & ont été plus loin que la Loi ne les menoit. Le même Moyse qui permet de se faire raison, tant par voye de fait, que par voye de justice, des injures que l'on a reçues, s'est rendu intercesseur auprès de Dieu pour ses ennemis, après en avoir été outragé de la maniére la plus indigne. David voulut que l'on épargnât son fils, quoi que rebelle, & soufrit patiemment les paroles injurieuses de Semeï. L'on ne lit nulle part que ceux d'entre ce Peuple qui avoient de la vertu & de la piété, ayent fait divorce avec leurs femmes, bien que la Loi le permît.
La raison de cette imperfection est, qu'un sage5 Législateur proportionne ordinairement ses Loix à la portée de la plus grande partie du Peuple, & qu'ainsi, dans l'état où étoient les Israélites, il étoit à propos que Dieu laissât passer certains défauts ausquels ils avoient du penchant; se réservant le droit de les retrancher par des Régles plus sévéres, lors que par une plus grande éfusion de son Esprit, il se feroit un Peuple nouveau, recueilli d'entre tous les Peuples du Monde. On voit aussi que les récompenses que la Loi propose clairement, regardent toutes cette vie; ce qui montre qu'elle n'étoit pas absolument parfaite, & qu'elle l'étoit moins qu'une autre Loi qui présenteroit à découvert & sans envelope une récompense éternelle: & c'est ce que fait la Loi de Jesus Christ.
Note 5: (retour) Un sage Législateur proportionne &c. Origéne contre Celsus, Liv. III. Un Législateur à qui on demandoit ce qu'il pensoit lui-même des Loix qu'il avoit données à ses Concitoyens, répondit qu'il croyoit bien qu'il s'en pouvoit trouver de plus parfaites, mais que les siennes étoient les meilleures qu'il eût cru devoir donner.
Que Jésus-Christ a observé la Loi.
VIII. Il faut remarquer en passant, pour convaincre de la plus grande injustice du monde les Juifs qui ont vécu du tems de Jésus-Christ, que quoi qu'ils lui ayent fait tous les mauvais traitemens imaginables, & l'ayent livré au dernier suplice, ils n'ont pu néanmoins l'acuser, avec quelque fondement, d'avoir violé aucun des Commandemens de la Loi. Il étoit circoncis. Il mangeoit & s'habilloit à la maniere des Juifs. Il renvoyoit aux Sacrificateurs ceux qu'il avoit guéris de la lèpre. Il observoit religieusement la Pâque & les autres fêtes. S'il a fait des guérisons le jour du Sabbat, il a prouvé non seulement par la Loi, mais aussi par des Maximes reçues de tous les Juifs, que ces sortes d'actions n'étoient pas défendues en ce jour-là. Il n'a commencé à faire publier l'abolition de quelques Loix, que lors qu'après avoir vaincu la Mort, & s'être élevé dans le Ciel, il eut enrichi ses Disciples des dons éclatans du saint Esprit, & prouvé par là qu'il avoit aquis une autorité royale, dont une partie consiste dans le pouvoir de faire des Loix. Tout cela, conformément aux Oracles de Daniel, qui avoit prédit qu'un peu après la destruction des Royaumes de Syrie & d'Égypte, dont le dernier prit fin sous Auguste, Ch. VII. 13, Dieu donneroit6 à un homme qui passeroit pour être d'une naissance obscure, une Domination éternelle sur tous les Peuples de toute Langue & de tout Païs.
Que cette partie des Loix de Moyse qui a été abolie, ne contenoit rien que d'indiférens par soi-même.
IX. Mais il y a plus; cette partie de la Loi que Jésus Christ a abolie, ne contenoit rien qui fût essentiellement bon & juste. Ce n'étoient que des Observances indiférentes par elles-mêmes, & qui par conséquent n'étoient pas immuables. Si elles eussent été nécessairement bonnes, Dieu Dieu les auroit prescrites,7 non à un seul Peuple, mais à tous; & cela, dès le commencement du Monde, & non, plus de deux mille ans après qu'il l'eut créé. Elles ont été inconnues à Abel, à Enoch, à Noé, à Melchisédec, à Job, à Abraham, à Isaac, à Jacob, personnes pieuses, aimées de Dieu, & qui ont reçu de Dieu même le glorieux témoignage d'avoir cru en lui, & d'avoir été les objets de son amour. On ne voit pas que Moyse ait exhorté Jéthro son beau-Pére à recevoir ces cérémonies, ni que Jonas y ait voulu porter les Ninivites. Dans l'énumération exacte que les Prophétes font des péchez des Chaldéens, des Egyptiens, des Sidoniens, des Tyriens, des Iduméens, & des Moabites, à qui ils se sont quelquefois adressez, ils ne marquent pas le mépris ou l'inobservation de ces Loix. Il faut donc convenir qu'elles étoient particulières aux Israëlites, & que leur usage étoit,8 ou de prévenir quelques péchez à quoi ils étoient naturellement fort portez, ou d'éprouver leur obéïssance, ou de préfigurer l'avenir. Et il n'est pas plus étonnant qu'elles ayent pu être abolies, qu'il ne l'est, qu'un Roi voulant établir un même Droit & les mêmes Loix dans toute l'étendue de ses États, casse quelques Ordonnances particuliéres à certaines Communautez.
Note 7: (retour) Non à un seul Peuple, mais à tous. Dans les Loix de Moyse, il y en a quelques-unes qui bien loin de pouvoir être universelles, ne pouvoient avoir lieu que dans la Judée; par exemple, celles des prémices, des dîmes, des saintes Congrégations du Peuple aux jours de Fêtes. Car il étoit impossible que toutes les Nations s'assemblassent dans la Judée pour s'y aquiter de ces devoirs. Le Talmud même enseigne que les Loix des Sacrifices ne regardoient que les Hébreux.
L'on ne peut rien aporter qui prouve, que Dieu se soit engagé à ne jamais abolir ces Préceptes, dont l'Evangile a fait cesser l'observation. Car si l'on dit que dans l'Écriture ils sont apellez perpétuels, ne sait-on pas que les hommes donnent souvent ce nom à leurs Arrêts, pour marquer qu'ils ne sont pas pour une seule année,9 ou pour de certains tems, comme de guerre, de paix, de cherté de vivres &c. & que ce tître qu'ils leur donnent, n'empêche pas qu'ils ne leur en puissent substituer d'autres tout diférens, lors que le bien public l'exige? De même, comme entre les Loix que Dieu donnoit à son Peuple, les unes étoient à tems, & ne devoient avoir vigueur que [A-marg.]tant qu'il seroit dans le desert, & d'autres étoient pour ce même Peuple, lors qu'il [B-marg.]seroit habitué dans la terre de Canaan, l'Ecriture apelle ces derniéres éternelles, pour les distinguer des autres, & pour marquer aussi, qu'elles devoient être observées en tous lieux & en tous tems, à moins que Dieu même n'en dispensât par une Révélation expresse. Au reste, le tître d'éternelles donné à ces Loix, n'est pas seulement ordinaire parmi les autres Nations, dans le sens que nous avons marqué, mais les Juifs mêmes savent qu'il est donné dans leur Loi,10 à un droit & à une servitude qui duroit depuis un Jubilé jusqu'à l'autre.
Note A: Exod.
XXVII. Deut.
XXIII. 12.
Note B: Deut.
XII. I. 20.
XXVI. I.
Nomb.
XXXII. 52.
Et puisqu'ils nomment l'avènement du Messie, l'acomplissement du Jubilé, ou le grand Jubilé, ils doivent reconnoître qu'une Loi mérite assez le nom de perpétuelle, lors qu'elle dure jusqu'à cet avénement.
Mais à quoi bon disputer là-dessus, puis que dans le Vieux Testament Dieu promet qu'il fera une nouvelle Alliance avec son Peuple: qu'il l'écrira dans les coeurs: qu'il y expliquera si clairement sa volonté, qu'on n'aura plus besoin de s'instruire les uns les autres: & qu'en vertu de cette nouvelle Alliance, il acordera à son Peuple le pardon de ses péchez précédens. A peu près comme si un Roi après de longues & de cruelles divisions qui auraient partagé ses Sujets, vouloit rétablir entr'eux une paix durable, en ôtant la diversité des Loix selon lesquelles il les avoit gouvernez, que dans ce dessein, il fît une Loi très parfaite & commune à tous; & qu'il y ajoutât une promesse d'impunité générale pour le passé, à condition qu'ils se corrigeassent à l'avenir.
Note 9: (retour) Ou pour de certains tems, &c. Lucius Valerius dans T. Live, remarque «que les Loix que l'on fait selon l'exigence de certains tems, ne sont aussi qu'à tems; que celles qui se font en tems de paix, s'abolissent souvent en tems de guerre, & que la paix fait aussi disparoître celles qui s'étoient établies pendant la guerre.»
Quoi que ce que nous venons de dire sufise; nous ne laisserons pas de parcourir toutes les parties de la Loi qui a été abolie par l'Evangile, & de montrer en détail qu'elles n'étoient pas de nature à plaire à Dieu par elles-mêmes, ou à être irrévocables.
Que les Sacrifices n'étoient, ni agréables à Dieu par eux-mêmes, ni irrévocables.
X. Nous commencerons par les Sacrifices, qui sont ce qu'il y a de principal dans cette Loi, & qui saute le plus aux yeux. La plûpart des Juifs croyent11 que les hommes en avoient inventé la pratique avant que Dieu l'ordonnât. Que cela soit vrai ou ou faux, du moins est-il constant que ce Peuple avoit une extrême passion pour les Cérémonies religieuses: que cet atachement fut une des raisons qui obligérent Dieu à en établir un très-grand nombre; & que cette institution avoit encore un autre usage, qui étoit d'empêcher que le souvenir du Culte religieux que ce Peuple avoit vû pratiquer aux Egyptiens, ne le portât à les imiter, &12 ne le fît insensiblement passer du Culte du vrai Dieu à celui des fausses Divinitez. Mais comme dans la suite il eut conçu une trop haute idée des sacrifices, & se fut imaginé qu'ils étoient par eux-mêmes agréables à Dieu, & qu'ils faisoient partie de la véritable piété: les Prophétes ne manquérent pas de leur en faire des reproches. Je ne te reprendrai point de tes sacrifices, dit Dieu par la bouche de David au Ps. L. Je ne t'obligerai point à me sacrifier holocaustes sur holocaustes, & à m'ofrir des bouveaux ou des boucs pris de dedans tes parcs. Toutes les bêtes qui paissent dans les forêts, ou qui errent par les montagnes, sont à moi. Je sai le nombre des oiseaux & des bêtes sauvages: de sorte que si j'avois faim, je n'aurois pas besoin de m'adresser à toi; car la terre, & tout ce quelle renferme, m'apartient. Penses-tu que je mange la chair des bêtes grasses, ou que je boive le sang des boucs? Non: mais je veux que tu me sacrifies des louanges, & que tu me rendes tes voeux. Quelques Rabbins répondent que ce mépris que Dieu fait paroître là pour les Sacrifices, ne vient que de ce que ceux qui les ofroient, étoient des gens souillez de coeur, & dont la vie étoit impure. Mais les paroles que nous venons de citer ne disent pas cela: elles marquent clairement que les Sacrifices n'étoient pas agréables à Dieu par eux-mêmes. C'est ce qu'on verra encore mieux, si l'on jette les yeux sur l'enchaînure des parties de ce Psaume, où l'on découvrira que Dieu parle aux personnes pieuses dans tout ce passage. Assemblez-moi mes bien-aimés, avait-il dit d'abord, ensuite de quoi il ajoute, Ecoute mon peuple, paroles qui vont d'ordinaire à la tête d'un enseignement. Après cela vient le discours que nous avons rapporté, et que le Psalmite, selon la coutume de ceux qui enseignent, conclut en se tournant vers les Impies; Mais Dieu dit à l'impie, &c.
Note 11: (retour) Que les hommes en avoient inventé la pratique &c. C'est aussi le sentiment de St. Chrysostome; «Abel, dit-il, presenta un sacrifice à Dieu, non en vertu de quelque enseignement qu'il eût reçu là-dessus, ou de quelque Loi qui lui ordonnât d'ofrir les prémices de son revenu, mais par les seuls mouvemens de sa conscience». La même chose se voit dans les réponses aux Orthodoxes qui sont parmi les Ouvrages de Justin Martyr «Aucun de ceux qui avant la Loi ont ofert des bêtes à Dieu, ne l'a fait par un commandement divin, quoi qu'il soit aisé de voir que ce culte & ceux qui le pratiquoient ont été agréables à Dieu».
Note 12: (retour) Ne le fît insensiblement passer du Culte du vrai Dieu &c. Maimonides & Tertullien rendent cette raison des Cérémonies religieuses. Voici comme l'explique celui-ci, liv. III. contre Marcion chap. «Que l'on ne blâme ni les sacrifices, ni toutes ces petites circonstances gênantes, qui se trouvoient dans les oblations, & qu'on ne se figure pas que Dieu les ait souhaitées pour leur excellence. Ne voit-on pas avec quelle évidence il déclare ce qu'il en pense, dans ces exclamations, Qu'ai-je à faire de la multitude de vos sacrifices, & qui a requis cela de vos mains? Qu'on admire plutôt sa sagesse, en ce que voyant son Peuple porté à l'Idolatrie & à la transgression de ses Loix, il l'a ataché à la véritable Religion, par ces sortes de devoirs qui étoient si fort du goût de ces tems-là, afin que par des pratiques superstitieuses en aparence, il les détournât de la superstition, & que paroissant les desirer, il bornât à ces choses leur inclination, qui sans cela n'auroit pû se contenter que par l'Idolatrie.»
On a suivi dans ces passages & dans tous les autres le Latin de Grotius.
Il y a encore plusieurs autres passages qui confirment le sens que nous donnons à celui que je viens de citer. Tu ne souhaites pas, dit David au Ps. LI. que je te fasse des sacrifices, & tu ne prends pas plaisir aux holocaustes. Le sacrifice qui t'est véritablement agréable, c'est une âme abbatue par le sentiment de son crime. Ô Dieu tu ne méprises point le coeur froissé et brisé. Tu ne prends point plaisir aux victimes et aux gâteaux, dit le même Psalmite aux Ps. XL. Mais tu me rends ton esclave en me perçant l'oreille. Tu n'exiges de moi ni holocauste ni sacrifice pour le péché. C'est pourquoi j'ai répondu, me voici, je ferai ta volonté, comme en vertu d'un acord traité & enregistré. Cette volonté est tout mon plaisir. Car ta loi est au dedans de moi. Je ne renferme pas les louanges de ta justice dans mon coeur, mais je prêche par tout ta vérité & ta bonté; sur tout je célèbre ta miséricorde & ta fidélité au milieu d'une grande assemblée. Esaïe au Chap. I. de ses Révélations introduit Dieu parlant ainsi. A quoi bon tant de victimes? Je suis las d'holocaustes de moutons, & de graisse de bêtes grasses. Je ne prens point assez de plaisir au sang des bouveaux, ni des agneaux ni des boucs, pour souhaiter que vous paroissiez avec ce sang en ma présence. Car qui a requis de vous que vous souillassiez ainsi mes parvis? Au Ch. VII. de Jérémie, il y a un passage tout semblable à celui là, & qui lui sert de Commentaire. Ainsi a dit le Seigneur des Anges, le Dieu d'Israël, amassez vos holocaustes avec vos sacrifices, & mangez de leur chair. Car depuis que j'ai fait sortir vos péres du païs d'Égypte, je n'ai rien exigé d'eux, & je ne leur ai point donné ordre touchant les holocaustes ni les sacrifices. Mais voici ce que je leur ai sérieusement commandé; c'est qu'ils eussent à m'obéir; qu'ainsi je serois leur Dieu, & qu'ils seroient mon peuple: qu'ils eussent à marcher dans le chemin que je leur prescrirois; & qu'alors ils seroient heureux. Au Ch. VI. d'Osée, Dieu parle ainsi. J'aime beaucoup mieux que l'on fasse du bien aux hommes, que ce qu'on me présente des sacrifices; bien penser de Dieu, vaut mieux que tous les holocaustes. Michée au Ch. VI. de sa Prophétie, introduit le Peuple demandant de quelle maniére il pourroit se rendre Dieu favorable; si c'étoit par un grand nombre de moutons, ou par une grande quantité d'huile, ou par des veaux d'un an: à quoi Dieu répond par son Prophéte, Je te dirai ce qui est véritablement bon, & agréable à mes yeux;13 c'est que tu rendes à chacun ce qui lui apartient, que tu fasses du bien aux autres, & que tu t'humilies devant moi.
Tous ces passages faisant voir que les Sacrifices ne sont pas de ces choses que Dieu veut principalement, & à cause d'elles-mêmes; & d'ailleurs le Peuple, par une superstition qui s'introduisit peu à peu, étant venu à regarder ces cérémonies comme le fonds de la Piété, & à croire que les victimes qu'il ofroit, faisoient une compensation assez exacte de ses péchez; faut-il s'étonner que Dieu ait aboli une chose, indiférente par elle-même, & devenue criminelle par l'abus que son Peuple en faisoit? Tout sacré que pouvoit être le serpent d'airain que Moyse avoit dressé, Ezéchias ne laissa pas de le briser, lors qu'il vit que le Peuple commençoit à le regarder avec un peu trop de vénération.
Outre ces raisons il y a quelques Oracles qui ont marqué, par une conséquence fort claire, la cessation des sacrifices. C'est ce que l'on comprendra aisément, si l'on considére que selon la Loi de Moyse, les sacrifices ne se devoient faire que par la Postérité d'Aaron, & que dans la Judée. Or dans le Ps. CX. Dieu promet un Roi qui aura un Empire d'une très-grande étendue; un Roi qui commencera à régner en Sion, & qui régnera éternellement; qui de plus possédera un Sacerdoce éternel, & selon l'ordre de Melchisédec. Esaïe Ch. XIX. dit que l'on verra un autel en Égypte, où non seulement les habitans de ce païs, mais les Assyriens & les Israëlites viendront adorer Dieu. Au Ch. LXVI. il dit que les nations les plus éloignées & les peuples de toute langue ofriront des dons à Dieu aussi bien que les Israëlites, & que d'entr'eux on prendra des Lévites & des Sacrificateurs.14 Or tout cela ne se pouvoit acomplir, tant que la Loi de Moyse étoit sur pié. Au Ch. I. de Malachie, Dieu prédisant les choses à venir dit qu'il avoit du dégoût pour les ofrandes des Juifs, que de l'Orient à l'Occident son nom seroit grand dans toutes les nations, qu'on lui ofriroit du parfum, & qu'on lui présenteroit des victimes pures. Et Daniel raportant au Ch. IX. l'Oracle de l'Ange Gabriel touchant le Christ, Il abolira, dit-il, le sacrifice & l'oblation. Mais sans toutes ces preuves, la chose parle d'elle-même, Dieu a fait assez voir par l'événement, qu'il n'aprouve plus les sacrifices prescrits par la Loi de Moyse; puis qu'il soufre depuis plus de 1600 ans que les Juifs n'ayent ni Temple, ni Autel, ni aucun dénombrement de Familles, par lequel ils pourroient connoître quelles sont celles qui ont le droit de faire les fonctions de la Sacrificature.
Preuve de la même vérité, à l'égard de la diférence des viandes.
XI. Après avoir prouvé que la Loi qui ordonnoit les sacrifices n'étoit pas nécessaire en elle-même, & que Dieu Dieu ne l'avoit donnée que pour un tems, prouvons la même chose à l'égard de la Loi qui défendoit certaines viandes. Il est constant qu'après le déluge, 15Noé reçut de Dieu le droit de manger de tout indiféremment: & que non seulement Japhet & Cham, mais aussi Sem & ses Descendans, Abraham, Isaac, & Jacob, jouïrent du même droit. Mais après que le Peuple d'Israël eut pris goût aux superstitions des Égyptiens, pendant le séjour qu'il fit parmi eux, Dieu, pour la premiére fois, lui défendit de manger de certains animaux; 16soit que ces animaux fussent de ceux que les Égyptiens sacrifioient à leurs fausses Divinitez, & dont ils tiroient des présages & des auspices; soit que Dieu dans une Loi toute figurative, voulût corriger certains vices, en interdisant quelques animaux, 17dont le naturel avoit du raport avec ces vices. Mais il n'est pas dificile de montrer que toutes les Loix qui réglent cette diférence de viandes, ne sont pas universelles. Cela paroît premiérement par la Loi du Ch. XIV. du Deutéronome, selon laquelle il n'est pas, à la vérité, permis aux Israëlites de manger d'une bête morte d'elle-même: mais il l'est 18à ceux d'entre les Cananéens à qui les Israëlites étoient obligez de rendre toutes sortes de bons ofices, comme à leurs Fréres, & comme à ceux qui adoroient le même Dieu. II. 19Les anciens Docteurs Juifs ont aussi enseigné clairement, que dans les tems du Messie, la Loi qui mettoit de la diférence entre les viandes, cesseroit, & que la chair de porc ne seroit pas moins pure que celle de boeuf. III. En éfet, lors que Dieu s'est voulu faire un Peuple d'entre toutes les Nations, il étoit plus raisonnable qu'il donnât à tous ceux qui constituoient ce nouveau Peuple, une entiére liberté à l'égard de ces sortes de Loix, que de leur imposer à tous un même joug.
Note 15: (retour) Noé reçut de Dieu le droit de manger &c. On pourroit objecter que dans l'Histoire du Déluge il est parlé de bêtes nettes, & d'autres qui ne le sont pas. Mais, ou cela est dit par anticipation, comme à des gens qui connoissoient déjà cette distinction par la Loi, ou l'on doit entendre par bêtes qui ne sont pas nettes, celles dont les hommes s'abstiennent par une aversion naturelle, auquel sens Tacite Hist. liv. VI. apelle ces bêtes profanes; ou enfin il faudra entendre par celles qui sont nettes, celles qui se nourrissent d'herbes, & par les impures, celles qui vivent de la chair d'autres animaux.
Note 16: (retour) Soit que ces Animaux fussent de ceux que les Égyptiens sacrifioient &c. Origéne contre Celsus liv. IV. «Les Démons ayant quelque pénétration pour les choses à venir, tant parce qu'ils ne sont pas engagez dans des corps terrestres, que parce qu'ils ont beaucoup d'expérience, & d'ailleurs faisant leur unique étude de détourner les hommes du vrai Dieu, se glissent dans les bêtes les plus féroces, & dans celles où l'on voit le plus de finesse & de ruse, les font mouvoir où il leur plait, & autant de fois qu'il leur plait; ou même, ils excitent l'imagination de ces bêtes à prendre leur vol, ou à marcher vers ce lieu-ci, ou vers un autre. Leur dessein est, que les hommes surpris par les présages que ces diférens mouvemens leur fournissent, cessent de chercher Dieu qui contient toutes, choses, qu'ils abandonnent la piété, & prennent les objets de leur culte dans des choses terrestres, dans les oiseaux les dragons, les renards & les loups. En éfet les Devins ont remarqué que les plus considérables présages se tirent de ces animaux que je viens de nommer: ce qui vient aparemment de ce que les Démons ne peuvent pas aussi bien venir à leurs fins par les animaux d'un naturel plus doux, que par ces autres qui ont quelque image de vice & de méchanceté. C'est pourquoi entre toutes les choses que j'ai admirées dans Moyse, celle-ci est une des plus grandes: C'est qu'ayant une parfaite connoissance de la nature des animaux & de la conformité de quelques-uns avec la génie des Démons, soit qu'il ait eu cette connoissance par révélation, soit qu'il l'ait eue par lui-même, il a déclaré impurs tous les animaux, dont les Égyptiens & les autres Peuples se servoient pour deviner, & purs ceux qui n'étoient pas de ce nombre.» C'est à cela que se raportent ces paroles de Manéthon, Moyse établit plusieurs Observances contraires à celles des Égyptiens.
Note 17: (retour) Dont le naturel avoit du raport avec ces vices. St. Barnabé dans son Épître fait un long raisonnement là-dessus, dont voici l'abrégé. «Toutes les défenses que Moyse a faites de manger de certains animaux, & de s'abstenir des autres, ont un sens spirituel. Ne mangez pas de Chair de pourceau, dit-il; cela veut dire, ne soyez pas semblables à ceux qui lors qu'ils sont dans l'abondance, oublient leur Seigneur, & qui ne le reconnoissent que dans l'adversité; en éfet, lors que le pourceau a faim, il crie, mais il se tait après qu'on lui a donné à manger. Ne mangez point d'aigle, de milan, de corbeau, c'est-à-dire, ne vivez point de rapine, mais gagnez vôtre vie en travaillant. Ne mangez point de lamproye, de polype, ni de sèche, c'est-à-dire, ne vous rendez pas semblables à ceux qui vivent toûjours dans l'impiété, & qui sont réservez à la mort éternelle. Car ces poissons qui sont les seuls qui soient défendus, ne s'élévent jamais vers la surface de l'eau, & demeurent toûjours dans le fond. Ne mangez point d'hyène, c'est-à-dire ne soyez pas adultére. La raison de ce sens est, que cette bête change de sexe tous les ans. Vous mangerez des bêtes qui ruminent; cela signifie qu'il faut se joindre à ceux qui méditent dans leurs coeurs les Préceptes qu'ils ont reçus de vive voix; qui parlent des Ordonnances de Dieu, & qui les gardent, qui savent que la méditation remplit un coeur de joye, & qui en un mot ruminent la parole de Dieu. Vous mangerez de celles qui ont le pié fourchu: c'est que les Justes, dans le tems même qu'ils cheminent dans ce siécle, atendent celui qui est à venir. Admirez par cet échantillon la beauté des loix de Moyse.» Philon & Aristée citez par Eusébe ont fait les mêmes réflexions.
Note 19 (retour) Les anciens Docteurs Juifs &c. Le Rabbin Samuel. Le Talmud dit en général que la Loi ne durera que jusqu'au tems du Messie. Le R. Béchaï & quelques-autres, croyent que la Loi qui défendoit de certaines viandes, n'obligeoit que les Juifs qui demeuroient dans la Palestine. Il est même à remarquer que les Juifs ignorent ce que signifient la plûpart des noms d'animaux qui sont marquez dans la Loi, & qu'il y en a beaucoup d'autres sur lesquels ils disputent. Or il n'y a pas d'aparence que Dieu les eût laissez dans cette ignorance, si cette Loi eût dû durer jusques à ce jour.
2. De la diférence des jours.
XII. Pour ce qui est des jours solemnels, & distinguez des autres jours, ils furent tous instituez en mémoire de la grace que Dieu fit à son Peuple, de le délivrer du cruel esclavage qu'il soufroit en Égypte, & de le mener dans la Terre promise. Or Jérémie dit au Ch. XVI. & XVIII. qu'un jour viendroit auquel de nouvelles graces infiniment plus excellentes, obscurciroient tellement celle-là, qu'à peine en seroit-il plus parlé. Outre cela les jours de fête eurent aussi le même sort que les sacrifices. Le Peuple vint à les estimer plus qu'il ne devoit, & à croire que pourvu qu'il les observât exactement, les péchez qu'il pourroit commettre d'ailleurs, seroient extrêmement légers. C'est là-dessus que Dieu déclare au Ch. I. d'Esaïe, qu'il avoit du dégoût pour leurs nouvelles lunes, & pour leurs fêtes; & qu'elles lui étoient tellement à charge, qu'à peine pouvoit-il plus les suporter.
Mais, au moins, dit-on, la Loi du Sabbat est une Loi universelle & irrévocable, puis qu'elle a été donnée, non à un seul Peuple, mais à Adam, le Pére de tous les hommes du Monde; & cela, immédiatement après la Création. Je répons que de l'aveu même des plus savans d'entre les Juifs, il y a là-dessus deux Loix diférentes: l'une qui ordonne que l'on se souvienne du jour du Sabbat, Exode XX. 8: l'autre qui porte qu'on le doit sanctifier, Exode XXX, 31. On obéït à la premiére en repassant religieusement dans son esprit la création du Monde. On observe la seconde, en s'abstenant de toute sorte de travail. La premiére a été établie dès le commencement du Monde, 20& observée par les Patriarches, & par toutes les personnes pieuses qui ont vécu avant la Loi; telles qu'ont été Enoch, Noé, Abraham, Isaac, & Jacob. Mais on ne voit pas 21que dans le grand nombre de voyages que ces derniers ont faits, ils se soient jamais reposez pour célébrer le Sabbat; au lieu qu'on trouve dans l'Histoire sainte plusieurs exemples de cette interruption de voyage, depuis la sortie d'Égypte. Car après que les Israëlites eurent été tirez de ce Païs, & qu'ils eurent heureusement passé la mer rouge, la premiére chose qu'ils firent, fut de célébrer tranquillement ce grand jour de leur délivrance, en chantant à Dieu un Cantique de victoire. Ce fut alors que la seconde Loi du Sabbat fut établie. Depuis cela, les Israëlites eurent ordre de le célébrer par un parfait repos. Le premier passage qui en fait mention, est celui où il est parlé de la Manne, & de ce que les Israëlites devoient observer en la recueillant, Ex. XXXV. 2. Lev. XXIII. 3. Mais ce qui fait voir que cette maniére d'observer le Sabbat avoit eu lieu dès le jour du passage de la mer rouge, c'est qu'au Ch. V. du Deut. vers. 15, Dieu donne pour raison de cette observation exacte & religieuse, la délivrance d'Égypte. On voit aussi dans les passages que j'ai alléguez, que dans cette seconde Loi Dieu avoit égard aux Esclaves, & qu'il vouloit adoucir leur condition, que leurs Maîtres rendoient extrêmement dure, par le travail sans relâche auquel ils les obligeoient: ce qui a un raport manifeste à la maniére dure & tyrannique dont les Israëlites avoient été traitez en Égypte, & à leur afranchissement. Il est vrai que 22cette Loi obligeoit aussi les Habitans de Canaan, qui étoient mêlez avec les Israëlites. Mais c'étoit afin que le repos fût égal dans tout ce Païs-là, étant observé par tous ceux qui y habitoient. Il y a, au reste, une preuve très-solide, qui fait voir que cette Loi n'étoit imposée qu'aux Israëlites, & nullement aux autres Nations: c'est qu'en plusieurs endroits de l'Écriture, elle est apellée un signe, & même une Alliance particuliére entre Dieu & son Peuple comme Exod. XXXI. 13. 16.
Cela posé; je dis, que toutes les choses qui ont été instituées pour servir vir de mémorial à la sortie d'Égypte, n'étoient pas telles qu'elles dussent toûjours durer. Nous l'avons déjà montré par les promesses que Dieu fait de plusieurs graces beaucoup plus considérables que celles-là. Ajoûtez à cela, que si la Loi qui ordonne de se reposer le septiéme jour, eût été établie dès le commencement du Monde, & qu'en vertu de cela elle fût irrévocable, elle auroit toûjours dû l'emporter sur d'autres Loix qui lui étoient oposées, & qu'on ne pouvoit garder qu'en la violant; & c'est précisement le contraire de ce qui est arrivé. 23Les Juifs ont toûjours circoncis leurs enfans en ce jour; & lors que le Temple subsistoit, on y égorgeoit des victimes le jour du Sabbat, de même que les autres jours. Les Docteurs juifs mêmes font bien connoître qu'ils ne croyent pas cette Loi indispensable, lors qu'ils disent qu'il étoit permis de violer le Sabbat par l'ordre d'un Prophéte; ce qu'ils confirment par l'exemple de la prise de Jericho, qui arriva à pareil jour sous la direction de Josué. Quelques-uns d'entr'eux voyant qu'Esaïe prédit au Ch. LXVI. 23. que le Culte de Dieu ne seroit plus afecté aux Sabbats, & aux nouvelles Lunes, & qu'il auroit lieu dans tous les jours qui coulent d'un Sabbat à l'autre, & depuis une nouvelle Lune jusqu'à celle qui suit, en ont conclu assez à propos, que lors que le Messie seroit venu, toute diférence de jours seroit entiérement abolie.
3. A l'égard de la Circoncision.
XIII. Je viens à la Circoncision. Il faut avouer qu'elle est plus ancienne que Moyse, puis qu'elle a été ordonnée à Abraham & à sa Postérité. Mais on doit savoir qu'elle lui fut ordonnée comme un commencement & comme une ébauche de l'Alliance Mosaïque. Cela paroît par les termes mêmes de l'Institution, Je te donnerai, dit Dieu à Abraham, Gen. XVII. Je te donnerai, & à ta postérité, le païs auquel tu as demeuré comme étranger, le païs, dis-je, de Canaan, en possession perpétuelle. Garde donc mon Alliance, toi, & ta postérité à jamais. C'est ici l'Alliance entre moi, & vous & ta postérité; c'est que tout mâle sera circoncis. Or nous avons déjà vu qu'à cette Alliance il devoit y en succéder une nouvelle, qui seroit commune à tous les Peuples, & par conséquent la Circoncision, qui étoit un caractére de distinction entre les Israëlites & les autres Nations, devoit nécessairement prendre fin. D'ailleurs il est clair que la Circoncision renfermoit un sens mystique, & beaucoup plus excellent que celui qu'on y apercevoit d'abord. C'est ce que veulent dire les Prophétes, lorsqu'ils commandent que l'on circoncise son coeur. Or c'est à cette circoncision intérieure que tendent tous les Préceptes de Jésus-Christ. Ce sens mystique nous oblige d'en chercher aussi un dans les promesses que Dieu atacha à la Circoncision. Selon ce sens, la Terre promise signifioit la Vie éternelle: or personne ne l'a plus clairement révélée que Jésus Christ. Et selon ce même sens, la promesse que Dieu fait à Abraham de le constituer le Pére de plusieurs Nations, devoit avoir son principal acomplissement, lors qu'au lieu de quelques Peuples, dont il étoit le pére selon la chair, toutes les Nations du Monde viendroient à imiter sa foi. Or c'est ce qui n'est arrivé que par l'Évangile. Cela posé, il n'y a plus lieu d'être surpris que ce qui servoit à préfigurer ces choses spirituelles, ait été aboli lors qu'elles ont été acomplies. 24Si l'on pense que les grâces de Dieu étoient atachées à ce Sceau, on n'a qu'à considérer qu'Abraham même, avant qu'il l'eût reçu, n'a pas laissé d'être agréable à Dieu; & que dans tout le tems que les Israëlites voyagérent par les déserts de l'Arabie, ils ont omis cette cérémonie [+ marge] religieuse, sans que Dieu ait témoigné que cela lui déplaisoit.
+ Jos. V. 5. 6.
Note 24: (retour) Si l'on pense que les graces de Dieu étoient atachées à ce Sceau &c. Justin Martyr, Entretien avec Tryphon. «Vôtre circoncision n'a pas été établie comme une oeuvre de Justice, mais comme un signe de la Justice, & comme un symbole qui distinguoit la race d'Abraham des autres Peuples du Monde. Car Dieu a dit à Abraham, Tout mâle d'entre vous sera circoncis.. & ce sera un signe d'Alliance entre moi & vous.
Après cela, n'est-il pas surprenant que les Juifs ayent rejetté Jésus-Christ & ses Apôtres, au lieu de leur rendre graces de se qu'ils les afranchissoient du Fardeau pesant des cérémonies; puis que d'ailleurs les miracles qu'ils leur voyoient faire, & 25qui ne cédoient en rien à ceux de Moyse, ne leur permettoient pas de douter qu'ils n'eussent l'autorité nécessaire pour les délivrer de ce joug. Ils devoient être d'autant plus portez à recevoir favorablement ces premiers Docteurs de nôtre Religion, que ceux-ci n'exigeoient pas d'eux absolument qu'ils acceptassent cette délivrance, & qu'ils leur laissoient une entiére liberté de vivre comme il leur plairoit, pourvu seulement qu'ils suivissent les saintes Régles de l'Évangile, & que, d'ailleurs, ils ne prétendissent pas astreindre+ à l'observation ces cérémonies, les Étrangers à qui elle n'avoit jamais été ordonnée. Cela seul sufit pour faire voir avec quelle injustice les Juifs rejettérent Jésus-Christ, sous prétexte qu'il abolissoit la Loi cérémonielle.
+Act. XV. Gal. I.
Act.
XVI. 1. 3.
Rom.
XIV. 1.
3. 5. 15.
IV. 10.
Après avoir répondu à cette objection, qui est presque la seule que les Juifs ayent à faire contre les miracles de Jésus-Christ, je viens aux autres Argumens qui sont propres à les convaincre de la vérité du Christianisme.
Que les Juifs conviennent qu'un Messie a été promis.
XIV. Ils demeurent d'acord avec nous, que dans les Oracles des Prophétes, Dieu promet un homme infiniment plus excellent que tous les autres par le ministére de qui Dieu leur a fait quelques graces signalées. Ils apellent cet homme, Messie, nom commun à tous ceux qui ont reçu quelque Onction, mais qui lui convient d'une maniére infiniment plus grande & plus sublime qu'à tous les autres. Nous assurons que cet homme est venu: ils prétendent qu'il doit venir. Voilà le grand procès que nous avons les uns contre les autres. Mais qui prendrons nous pour nos Juges, sinon les Livres qu'eux & nous tenons également pour divins? Consultons-les donc, & voyons s'ils ne décident pas la chose en nôtre faveur.
Que ce Messie est venu. I. Preuve; le tems marqué pour la venue est expiré.
XV. 26Daniel, à qui le Prophéte Ezéchiel a rendu le témoignage d'une piété éminente, n'a pas eu sans doute dessein de nous tromper. Et l'on ne peut pas dire non plus qu'il ait été trompé par l'Ange Gabriel. Or c'est en qualité de Disciple de cet Ange, qu'il nous dit au Ch. IX. de sa Prophétie, que depuis l'Édit en vertu duquel les Juifs rebâtiroient Jérusalem, 27il s'écouleroit moins de 500 ans, avant que le Messie parût. Depuis cet Édit jusqu'à nôtre siécle plus de 2000 ans se sont passez. Cependant le Messie que les Juifs atendent n'est pas encore venu: & ils ne peuvent nommer personne qui soit venu en cette qualité dans le tems marqué par Daniel. D'ailleurs, Jésus-Christ est venu si précisément dans ce terme, que Néhumias, Docteur Juif, qui vivoit 50 ans avant lui, disoit, qu'avant que 50 ans se fussent écoulez, on verroit l'acomplissement de cet Oracle.
Note 26: (retour) Daniel, à qui le Prophéte Ezéchiel &c. Ezéch. XIV. 14. XXXVIII. 3. Joséphe liv. X sur la fin; «Je ne trouve rien de plus admirable en ce grand Prophéte, que ce bonheur tout particulier & presque incroyable qu'il a eu au dessus de tous les autres, d'avoir durant sa vie été honoré des Rois & des Peuples, & d'avoir laissé après sa mort une mémoire immortelle. Car les Livres qu'il a écrits, & qu'on nous lit encore maintenant, font connoître que Dieu même lui a parlé.»
Une seconde marque du tems, auquel le Messie devoit paroître, & qui s'acorde avec la premiére, c'est 28l'établissement que le même Prophéte prédit que Dieu feroit d'un Empire universel, après que la Postérité de Séleucusa & de Lagusb auroit cessé de régner. Or le Royaume d'Égypte, qui finit sous Cléopâtrec, la dernière Personne de la race de Lagus, finit un peu avant la naissance de Jésus-Christ. Une troisiéme marque du tems de l'avénement du Messie, se trouve au Ch. IX. de Daniel, où il est dit, que peu après cet avénement la Ville de Jérusalem seroit détruite, 29& Joséphe même a entendu cet Oracle de cette totale destruction qui arriva de son tems: donc le tems marqué pour cet avénement étoit alors passé. La derniére marque du tems que nous cherchons, se recueille du Ch. II. d'Aggée. Zorobabel Chef des Juifs & Jésus fils de Josédec souverain Sacrificateur ne pouvoient voir sans une extrême afliction que le Temple qu'ils bâtissoient, ne répondît pas à la magnificence du premier. Dieu les console, en leur promettant que la gloire de ce second Temple seroit plus grande que celle de l'autre. Or si l'on confronte la description de ce Temple, telle qu'elle se trouve dans l'Histoire sainte de ces tems-là, & dans les Écrits de Joséphe, avec la description que l'Écriture fait du Temple de Salomon; on verra, que l'avantage du nouveau Temple sur l'ancien ne consistoit ni dans la grandeur du bâtiment, ni dans la perfecfection de l'architecture, ni dans la magnificence des ornemens. Les Docteurs Juifs mêmes ont remarqué qu'il manquoit au second Temple deux choses très-avantageuses qui se trouvoient dans le premier; l'une étoit une lumiére éclatante, qui marquoit visiblement la présence de la Majesté divine. Mais il n'est pas besoin de sortir du Texte que nous avons cité, pour découvrir en quoi le second Temple devoit être plus excellent que l'autre; puis que Dieu y promet 30qu'il y afermira sa paix, c'est-à-dire sa grace & sa bienveillance, comme par une Alliance ferme & perpétuelle. La même promesse est expliquée un peu plus au long au Ch. III. de Malachie, Voici, j'envoyerai mon Ange qui préparera mes voyes, & aussi tôt après, 31le Seigneur que vous désirez, le messager de l'Alliance, lequel fait votre joye, entrera dans son Temple. Or dans le tems que Malachie vivoit, le second Temple étoit bâti: donc le Messie a dû venir pendant que le second Temple subsistoit. Sur quoi il faut remarquer, que lors que les Juifs désignent le tems par la durée du second Temple, ils entendent par là tout le tems qui a coulé depuis Zorobabel jusqu'à Vespasien. Et la raison de cela est que sous Hérode le Grand, le Temple ne fut pas, à proprement parler, relevé de ses ruïnes, mais rebâti peu à peu, & partie après partie: 32ce qui ne devoit pas empêcher qu'on ne l'apellât le même Temple. Toutes ces marques qui caractérisoient le tems du Messie, firent tant d'impression sur les Juifs du tems de Jésus-Christ & sur les Peuples voisins, & elles produisirent une atente si ferme & si constante, te, que plusieurs d'entr'eux 33regargardérent Hérode comme le Messie, d'autres le crurent voir en la personne de d Judas le Gaulonite; & d'autres tombérent dans la même erreur à l'égard de quelques autres personnes un peu distinguées.
Note c: (retour) Cleopatre étoit Reine d'Égypte, fille de Ptolomée Auletes, soeur & femme du dernier Ptolomée: Elle se livra à Jules Cesar qui en étoit devenu amoureux. Ensuite Antoine aïant repudié la soeur d'Auguste qu'il avoit épousée, prit Cleopatre pour Femme. Auguste irrité, lui livra la guerre, le vainquit, l'obligea à se donner la mort: Cleopatre craignant de tomber entre les mains des ennemis, imita son exemple. Le même.
Note 30: (retour) Qu'il y afermira sa paix. Il faut faire atention sur ces paroles précédentes, le désir des Nations viendra, & j'emplirai cette maison de gloire. Cela s'acord merveilleusement avec ce que nous avons raporté de Malachie, & il semble que ces deux Prophétes se servent d'interpréte l'un à l'autre. Le Rab. Akiba & plusieurs autres ont cru que le Messie devoit venir dans le second Temple.
Note 33: (retour) Regardèrent Hérode &c. Matth. XXII. 16. Marc. III. 6. Dans un ancien Commentateur de Perse on lit ces paroles: «Hérode régnoit du tems d'Auguste dans une Contrée de Syrie. Une sorte de gens qui s'appeloit Hérodiens célébroit le jour de sa naissance, & au jour du Sabbat ils mettoient sur leurs fenêtres à son honneur, des lampes allumées & couronnées de violettes.»
Note d: (retour) Judas le Gaulonite, dit Joseph, Hist. des Juifs, L. 18. étoit de la Ville de Gamala; affilié d'un Pharisien nommé Sadoc, il sollicita le Peuple à se soulever, disant que le dénombrement ordonné par Auguste, montroit clairement qu'on vouloit le réduire en servitude. Dans le second Livre de la guerre des Juifs, il dit encore: Un Galiléen nommé Judas porta les Juifs à se révolter, en leur reprochant qu'en païant le tribut aux Romains, ils égaloient les hommes à Dieu, puisqu'ils les reconnoissoient pour maîtres aussi bien que lui. Les Actes des Apôtres, ch. 9, ont parlé aussi de cet imposteur. Judas de Galilée, disent-ils, s'éleva lorsque se fit le dénombrement du peuple, & il attira à son parti beaucoup de monde; mais il périt, & ceux qui avoient cru en lui se dissiperent. TRAD. DE P. L. E.
Réponse
à l'objection
que l'avénement
a été
diféré à
cause des
péchez du
Peuple.
Note A: Dan,
IX, 24.
Note A: Es.
LIII. 4.
Jer. XXXI.
31. &c.
XVI. Comme les Juifs se sentent extrémement pressez par ces argumens, qui prouvent que le Messie est venu; quelques-uns pour les éluder, disent que les péchez des Juifs, sont cause qu'il n'est pas venu dans le tems auquel Dieu avoit promis de l'envoyer.34 Mais pour ne pas dire que la promesse que Dieu en fait, marque un dessein absolu, & non pas un dessein conditionnel, c'est-à-dire, que Dieu ne promet pas de donner le Messie, au cas que son Peuple demeure saint & juste, mais qu'il promet absolument qu'il le lui donnera: sans cette réponse, dis-je, comment la venue du Messie auroit-elle pu être diferée à cause des péchez du Peuple; puis que Dieu, dans les mêmes Oracles, avoit aussi prédit[A-marg.], qu'en punition du grand nombre de péchez énormes que le Peuple avoit commis, il détruiroit Jérusalem peu de tems après que le Messie se seroit présenté à ce Peuple? Mais ce qu'il y a de plus fort, c'est que la raison même pour laquelle il devoit venir, c'étoit afin qu'il remédiât[B-marg.] à la corruption extrême du siécle auquel il paroîtroit; & qu'avec des Loix propres à corriger les moeurs, il aportât aux hommes le pardon de leurs crimes. C'est dans cette vue que Zacharie dit au Ch. XIII. qu'il y auroit une source ouverte à la maison de David & à tous les habitans de Jérusalem, pour les nettoyer de leurs péchez; Les Juifs mêmes apellent souvent le Messie35 ISCH COPHER, c'est-à-dire, Celui qui apaise ou qui expie. Or il est de la derniére absurdité de dire, que parce qu'une certaine maladie est survenue, on a diféré d'aporter le reméde qui étoit précisément destiné à la guérir.
Note 34: (retour) Mais pour ne pas dire que &c. Joséphe liv. X. chap. 12. parlant de Daniel, remarque fort à propos «qu'il n'avoit pas seulement prédit en général comme les autres Prophétes, les choses qui devoient arriver, mais qu'il a aussi marqué les tems ausquels elles arriveroient.» On voit par Mal. 3. que le dessein d'envoyer le Messie n'étoit pas conditionnel. De plus comme le Messie devoit être Auteur d'une nouvelle Alliance, comme cela paroît par les Prophétes, il est absurde de dire que son avénement dépendoit de l'observation de l'ancienne Alliance laquelle il devoit abolir.
2. Preuve. Comparaison de l'état présent des Juifs avec ce que la Loi leur promettoit.
XVII. Outre tous les passages qui marquent expressément le tems du Messie, & d'où nous concluons invinciblement que ce tems est passé, les Juifs n'ont qu'à jetter les yeux sur leur état présent pour en être convaincus. Lors que Dieu traita Alliance avec eux par Moyse, il leur promit qu'ils posséderoient la Palestine tranquillement & heureusement, tant qu'ils méneroient une vie conforme à ses Préceptes. A quoi il ajoûta des menaces de bannissement, & de plusieurs autres maux de cette espéce, au cas qu'ils vinssent à violer ses Loix. Mais il leur promit, cependant, que si après avoir quelque tems gémi sous la pesanteur de ces maux, ils venoient à se repentir de leurs crimes, & qu'ils rentrassent dans les bornes de leur devoir, il se laisseroit toucher de compassion pour eux, & les feroit retourner en leur Païs, quand même ils auroient été dispersez jusqu'aux extrémitez de la Terre. Cela se voit en plusieurs passages, particuliérement au Ch. XXX du Deuter. & au I. de Néhémie. Or depuis plus de 1500 ans les Juifs sont bannis de leur Païs; ils n'ont plus de Temple;36 & si quelquefois ils ont entrepris d'en rebâtir un, ils ont rencontré des obstacles insurmontables: jusques-là que sous Julien à peine eurent-ils mis la main à l'oeuvre, qu'il sortit de terre, auprès des fondemens, de grands tourbillons de flammes, qui dévorèrent ceux qui travailloient. C'est ce que nous apprenons d'Ammien Marcelline Auteur Payen. Autrefois, le Peuple s'étant plongé dans les plus grands vices, & étant allé jusqu'à sacrifier les enfants à Saturne, à compter l'adultère pour rien, à piller la Veuve & le Pupille, à répandre en abondance le sang innocent, crimes que les Prophètes leur ont souvent reprochés; toute la peine que Dieu leur infligea, fut un exil de 70 ans, pendant lequel, encore, il ne cessa de s'adresser à eux par les Prophètes, & de les consoler par l'espérance du retour, dont il leur marqua même le temps. En vérité cette peine est bien légère, au prix de ce qu'ils souffrent depuis la dernière dissipation qui leur arriva sous les Empereurs Romains. Ils ne sont pas seulement privez de leur Patrie, ils sont l'objet du mépris de tout le monde. Aucun Prophète ne s'élève parmi eux. De quelque côté qu'ils se tournent, ils n'aperçoivent aucune marque qui leur fasse espérer d'être rétablis dans leur leur Païs. Leurs Docteurs, comme s'ils étoient frapez de vertige, se sont laissé aller à ces Contes bas, & à ces opinions ridicules dont le Talmud est rempli, ausquelles ils osent donner le nom de Loi Orale, & qu'ils mettent en parallèle avec la Loi que Moyse a écrite, pour ne pas dire qu'ils la préférent à cette Loi. Qu'y a-t-il par exemple, de plus ridicule que ce qu'ils disent, que Dieu pleura de ce qu'il avoit laissé détruire Jérusalem, & qu'il lit exactement la Loi tous les jours? Qu'y a-t-il de plus puéril, que ce qu'ils content du Béhémoth & du Leviathan, & que je ne puis m'amuser à raporter, non plus que cent autres rêveries? Quel est donc le grand crime qui a atiré sur eux de si terribles malheurs? Certes, ce n'est pas l'Idolatrie, à laquelle ils étoient autrefois si sujets, & qui fut cause de leur captivité. Ce ne sont pas aussi ni les homicides ni les adultéres. Ils sont assez innocens à cet égard; ils tâchent même, à l'envi les uns des autres, 37de se rendre Dieu propice des priéres, & par des jeûnes: mais Dieu n'y a aucun égard. Il faut donc nécessairement dire l'une ou l'autre de ces deux choses; ou que l'Alliance Mosaïque a été entiérement abolie, ou que le Corps entier de la Nation Judaïque s'est rendu coupable de quelque crime bien énorme & dont la punition n'est pas encore achevée. Si c'est la seconde de ces deux choses, qu'ils nous disent quel est ce crime, & s'ils ne le peuvent, qu'ils commencent donc à ajoûter foi à ce que nous disons, que ce crime n'est autre que celui d'avoir rejetté le Messie, qui est venu avant que ces malheurs leur arrivassent.
Jer. xxv. 13
Que Jésus
est le
Messie.
Preuves tirées
des prédictions.
Note A: Ps.
LXXXIX. 4.
Es. IV. 2.
&c.
Note B: Mich.
V. 2.
Note C: Es.
IV. 1.
Note D: Es.
XXXV. 5.
Note E: Ps. II.
8. XXII. 18.
Es. II.
18. 20.
XXXI. 7.
XVIII. Jusqu'ici j'ai prouvé que le Messie doit être venu: je vais présentement montrer qu'il n'est autre que le Jésus que nous adorons. Tous les autres qui se sont vantez d'être le Messie, ou qui ont même passé pour tels n'ont laissé aucune Secte qui conservât ce sentiment. Nous n'en voyons aujourd'hui aucune qui fasse profession de reconnoître pour tel, ni Hérode, ni Judas le Gaulonite, ni Barchochébas, qui sous l'Empire d'Adrien se dit être le Messie, & qui trompa les plus éclairez. Mais depuis que Jésus-Christ est venu au Monde, jusqu'à nôtre siécle, il y a toujours eu dans toute l'étendue de la Terre, & il y a encore aujourd'hui un nombre infini de personnes qui suivent sa Doctrine, & qui le révérent comme le Christ. Je pourrois aporter ici beaucoup de choses, qui ont été autrefois ou prédites ou crues touchant le Messie, lesquelles nous croyons avoir été vérifiées en la personne de Jésus-Christ, & qu'on ne prétend pas même avoir été acomplies en aucun autre. En voici quelques-unes. Jésus-Christ étoit de la Famille de David[A]: il est né d'une Vierge, comme l'aprit par révélation celui qui avoit épousé Marie, & qui l'auroit renvoyée, s'il eût cru qu'elle fût enceinte d'un autre selon les voyes ordinaires: il est né à Bethléhem[B], il a commencé[C] à prêcher en Galilée:[D] il a guéri toutes sortes de maladies: il a rendu la vue aux Aveugles, & redressé les Boiteux. Mais je me contente de remarquer une chose que[E] David, Esaïe, Zacharie, & Osée avoient prédite, & dont l'acomplissement subsiste encore aujourd'hui; c'est que le Messie devoit être le Docteur non seulement des Juifs, mais aussi des autres Nations: qu'il anéantiroit le culte des fausses Divinitez, & qu'il rangeroit au service d'un seul Dieu une grande multitude d'Etrangers. Avant la venue de Jésus-Christ, presque tout le monde étoit plongé dans l'Idolatrie. A peine a-t-il paru, qu'elle commença à s'évanouïr peu à peu, & que non seulement plusieurs Particuliers, mais des Rois, & des Nations entiéres quitérent les faux Dieux, pour ne plus adorer que le seul vrai Dieu. Cet heureux changement n'est pas l'éfet des enseignements des Docteurs Juifs, mais de la Doctrine que les Disciples de Jésus-Christ, & ceux qui vinrent après eux, prêchérent par tout le Monde. Par là, ceux qui n'étoient pas encore le Peuple de Dieu, le devinrent; & l'on vit acompli ce que Jacob avoit prophétisé au Ch. XLIX de la Genése, qu'avant que l'autorité du Gouvernement civil fût entiérement ôtée à la Postérité de Juda, le Silo, c'est-à-dire le Messie, selon la Paraphrase Chaldaïque, 38 & selon tous les Interprétes, le Silo, dis-je, viendroit, & que les Nations étrangéres mêmes se viendroient soumettre à lui.
Es. XI. 10.
Réponse à
l'objection
que quelques-unes
de ces
prédictions
n'ont pas été
accomplies.
Esaïe.
XXIX. 2.
Dan. XXII.
4. 9.
XIX. Les Juifs nous objectent ici, que certaines choses qui ont été prédites touchant le tems du Messie, n'ont pas encore eu leur acomplissement. Je répons que les prédictions qu'ils aportent pour exemple, sont ou obscures, ou sujettes à diverses interprétations, & que par conséquent elles ne nous doivent pas faire renoncer à des choses qui sont très-intelligibles & très-claires, telles que sont, la sainteté de la Morale de Jésus-Christ, la grandeur de la récompense qu'il a promise à ses Fidéles; la clarté & l'évidence des termes dans lesquels il la propose. A quoi si l'on ajoûte les miracles, qui ne voit que ce devoient être des raisons sufisantes pour faire embrasser sa Doctrine? Pour ce qui est des Prophéties, leur obscurité, qui leur a fait donner le nom de Livres fermez, est telle qu'on ne peut souvent les entendre sans le secours de la Grace. Or il est juste que Dieu refuse ce secours à ceux qui n'ont pas voulu profiter des lumiéres plus vives & plus convainquantes que ne sont les Oracles. Pour ce qui est des passages qu'ils nous objectent, ils savent bien eux-mêmes qu'ils peuvent recevoir plusieurs explications. Si quelqu'un veut se donner la peine de confronter les anciens Interprétes, qui ont vécu pendant la captivité de Babylone, ou dans les tems de Jésus-Christ, avec ceux qui ont écrit depuis que le nom de Chrétiens est devenu odieux aux Juifs, il trouvera que les premiers ont expliqué les passages controversez, d'une maniére assez conforme au sens que nous leur donnons; & il en conclura avec raison, que si les Nouveaux Interprétes ont inventé d'autres sens, éloignez de ceux que les anciens Juifs recevoient aussi bien que nous, ils ne l'ont fait que par passion, & dans le dessein de se faire des armes contre nous.
Es. XI.6.
Mais pour dire quelque chose de plus particulier sur ces prédictions non acomplies, les Juifs, tout atachez qu'ils sont à la lettre & au sens propre des mots, n'ignorent pas qu'il y a quantité d'endroits dans l'Écriture, qui se doivent entendre dans un sens de métaphore & de figure. Tels sont ceux qui atribuent à Dieu des choses qui n'apartiennent qu'à l'Homme, qui disent qu'il est descendu, & qui lui donnent une bouche, des oreilles, des narines &c. Pourquoi donc ne pourrions-nous pas aussi expliquer dans un sens de figure la plûpart des choses qui sont prédites touchant les tems du Messie? Pourquoi n'entendrions-nous pas ainsi ce qui est dit, qu'alors le loup paîtra avec l'agneau, le léopard avec le chevreau, & le lion avec le bétail; que l'enfant se jouera avec l'aspic; que la montagne de Dieu s'élévera au dessus des autres montagnes & que les étrangers y aborderont pour y sacrifier. Enfin, il y a certaines promesses qui paroissent absolues, mais qui dans le fond renferment une condition; & cette condition se peut découvrir ou dans ce qui précéde, ou dans ce qui suit, ou dans le sens même de la promesse. C'est ainsi que Dieu a promis beaucoup de choses aux Juifs, au cas qu'ils reçussent le Messie, & qu'ils lui voulussent obéir. Et si l'événement n'y a pas répondu, c'est à eux-mêmes, & non pas à Dieu, qu'ils s'en doivent prendre. S'il y a quelques promesses absolues & indépendantes de cette condition, qui ne soient pas encore acomplies, il ne s'ensuit pas de là qu'elles soient vaines, ou que nous les apliquions mal, mais que nous en devons encore atendre l'éfet. Car les Juifs tiennent pour constant que le tems, ou si l'on veut, le Régne du Messie, doit durer jusqu'à la consommation des siécles.
Réponse à l'objection prise de la bassesse & de la mort de Jésus-Christ.
XX. La plûpart des Juifs sont choquez de la condition obscure & basse de Jésus-Christ; mais à tort. Ils devroient avoir apris en mille endroits de l'Écriture que Dieu éléve les humbles, & qu'il abaisse les orgueilleux. Ils devroient y avoir remarqué que Jacob, qui avoit passé le Jourdain sans autre équipage que son bâton, le repassa quelque tems après avec une quantité incroyable de bétail; que Moyse étoit exilé, pauvre, & réduit à la condition de berger, lors que Dieu lui aparut dans le buisson, & lui donna la conduite de son Peuple; que David fut tiré d'entre les troupeaux pour être élevé sur le Trône; qu'en un mot l'Écriture sainte est pleine d'exemples qui prouvent cette vérité. À l'égard du Messie, les Prophétes disent que la nouvelle de sa venue seroit agréable aux Pauvres; qu'il n'exciteroit ni querelles ni disputes; qu'il agiroit d'une maniére pleine de douceur; qu'il épargneroit le roseau cassé, & qu'il n'éteindroit pas dans le lumignon fumant ce qu'il y resteroit de chaleur.