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Traité de la Vérité de la Religion Chrétienne

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Es. LXI, 1.

Es. XLII. 2. 3. 4

Les maux qu'il a souferts, & la mort même qu'il a subie, ne doivent pas le rendre plus odieux que cette condition peu relevée. Souvent Dieu permet que non seulement les gens de bien soient inquiétez & afligez par les méchans, comme Lot le fut par les habitans de Sodome; mais que ceux-ci même les fassent mourir. Abel fut massacré par son frére; 39Ésaïe fut scié; les fréres Macchabées & leur Mére expirérent au milieu des tourmens. Dans le Ps. LXXIX. que les Juifs chantent aussi bien que nous, on voit une triste description des cruautez que les Ennemis de ce Peuple avoient exercées contre lui. Ils ont donné, dit le Psalmiste, les corps morts de tes serviteurs aux oiseaux pour leur servir de pâture. Les restes de ceux que tu aimes, ô Dieu, ont servi de nourriture aux bêtes. Ils ont répandu leur sang aux piez de murs de Jérusalem, & il ne s'est trouvé personne qui les ensevelît, &c. Quand tous ces exemples nous manqueroient, 40le Ch. LIII d'Ésaïe prouveroit sufisamment à toute personne atentive, que le Messie a du parvenir à son Régne par les miséres, & par la mort; & aquerir ainsi le pouvoir d'enrichir les Fidèles des biens les plus excellens. Nous le mettrons ici tout entier Qui a cru à nôtre parole, & qui a reconnu la puissance de Dieu? La cause de cette incrédulité est, qu'Il s'est élevé comme un tendre rejetton sous les yeux de Dieu, & comme une herbe qui...

Note 39: (retour) Ésaïe fut scié. C'est ce que porte la Tradition des Juifs. Joséphe le dit aussi liv. X. 4. Chalcidius sur le Timée de Platon, Ces deux Prophétes ont été tuez par des scélérats, qui ont écartelé l'un & lapidé l'autre. C'est à cela qu'il faut raporter Héb. XII. 37.
Note 40: (retour) Le chapitre LIII. d'Ésaïe. La Paraphrase Chaldaïque & de la Gemara de Babylone ont expliqué ce chap. du Messie.

[Note du transcripteur: Les pages 329 et 330 manquent au document source.

...ra leurs péchez.. 46 Lors que les dépouilles se partageront entre les combatans, je lui en donnerai une part excellente; parce qu'il s'est livré à la mort; qu'il a été mis au rang des scélérats; & que portant la peine des péchez des autres, il s'est établi intercesseur pour ceux qui étoient coupables.

Note 46: (retour) Lors que les dépouilles se partageront. La Gemare de Babylone enseigne que cela se doit entendre dans un sens spirituel.

Nous défions ceux que nous combatons ici, de nous pouvoir marquer quelques-uns de leurs Rois ou de leurs Prophétes, à qui tout ce Chapitre se puisse apliquer. Les Juifs modernes se sont avisez de prétendre qu'il s'agissoit ici, non d'une personne singuliére, mais de leur Nation même dispersée dans tous les endroits du Monde; & qui à la faveur de cette dispersion, devoit faire par tout un grand nombre de Prosélytes par ses bons exemples, & par ses discours. Mais I. cette explication choque une infinité [Dan. IX. Neh. IX. &c.] de passages de l'Ecriture, qui disent clairement 47qu'il n'est rien arrivé de fâcheux aux Juifs, qu'ils n'ayent mérité par leurs crimes; rien même qui ne soit beaucoup au dessous de ce qu'ils ont mérité. II. La suite & l'enchaînure de ce Discours prophétique ne s'ajuste nullement avec cette interprétation. Le Prophéte, ou ce qui s'acorde mieux aux termes de ce passage, Dieu lui-même s'exprime ainsi, Ce mal lui est arrivé à cause des péchez de mon Peuple. Or le Peuple d'Esaïe, ou plutôt, celui de Dieu, par distinction, n'est autre que la Nation Juive: & par conséquent celui dont Esaïe dit qu'il a soufert de si terribles maux pour son Peuple, ne peut pas être le Peuple Hébreu. Les anciens Docteurs Juifs étoient donc beaucoup plus raisonnables que ceux d'aujourd'hui, lors qu'ils avouoient que tout ce Chapitre regarde le Messie. Cet aveu, & le respect de l'Antiquité, ont obligé quelques Juifs modernes de feindre deux Messies, l'un, disent-ils, fils de Joseph qui devoit soufrir beaucoup de maux, & même une mort sanglante; & l'autre, qui sera fils de David, qui régnera glorieusement; & dont toutes les entreprises auront un très-heureux succès. Mais on sent bien que c'est là une pure défaite, & qu'il eût été bien plus naturel & plus conforme aux Oracles des Prophétes, 48de reconnoître un seul Messie, à qui mille traverses terminées par le dernier suplice, ouvriroient un chemin à la Royauté. C'est ce que nous croyons à l'égard de Jésus-Christ, & c'est aussi ce que l'événement a parfaitement confirmé.

Note 47: (retour) Qu'il n'est rien arrivé de fâcheux aux Juifs. Cela paroît par les passages ci-dessus alléguez, & par Daniel IX & Néhémie IX. Outre que celui dont parle Esaïe devoit prier Dieu pour les Gentils, ce que les Juifs ne font pas.
Note 48: (retour) De reconnoître un seul Messie. C'est ce que fait Abarbanel sur le chapitre LIII. d'Esaïe.

Examen du préjugé favorable que beaucoup de Juifs ont pour ceux qui ont condamné Jésus-Christ.

XXI. Il y a bien des Juifs qui embrasseroient la Doctrine de l'Evangile, s'ils n'étoient retenus par une grande opinion qu'ils ont conçue de la vertu & de la probité de leurs Ancêtres, & sur tout des Sacrificateurs qui par un éfet de leurs préjugez, ont condamné Jésus-Christ & rejetté sa Doctrine. Je n'ai pas dessein de faire ici des reproches à ces sortes de Juifs. Cependant la nécessité d'une juste défense m'oblige à leur dépeindre ici ces Ancêtres, pour qui ils ont tant de vénération. Je ne le ferai que par les couleurs & par les traits que me fournissent les termes exprès de leur Loi, & des Livres de leurs Prophétes. C'est là qu'assez souvent ils sont traitez d'hommes incirconcis de coeur, & d'oreilles; de Peuple hypocrite, qui pendant qu'il honore Dieu de ses lèvres, & par tout l'apareil des cérémonies, le déshonore dans le fond par un Esprit profane & éloigné de lui. Ce sont leurs Ancêtres, qui en vinrent presque à un parricide contre la personne de Joseph, & qui changérent ce cruel dessein en celui de le vendre pour esclave. Ce sont leurs Ancêtres, qui par des revoltes continuelles rendirent la vie ennuyeuse à Moyse; à ce Moyse, qui étoit leur Chef & leur libérateur; & aux ordres de qui ils avoient vû plusieurs fois l'Air, la Terre, & la Mer obéïr sans résistance. Ce sont leurs Ancêtres, qui conçurent du dégoût pour le pain que Dieu leur envoya du Ciel, & qui dans le tems même qu'ils étoient encore pleins de la chair de ces oiseaux dont il les avoit nourris miraculeusement, furent assez insolens pour se plaindre, comme s'ils eussent été travaillez de la famine la plus cruelle. Ce sont leurs Ancêtres qui abandonnérent, avec la derniére perfidie, David l'un de leurs plus grands & de leurs meilleurs Rois, pour suivre son fils dans la rebellion. Ce sont leurs Ancêtres, qui tuérent dans le Parvis du Temple Zacharie fils de Jojada; & qui par là firent du Sacrificateur même la victime de leur cruauté. A l'égard de leurs souverains Sacrificateurs, c'est de ce rang que furent ceux qui par de fausses acusations atentérent à la vie de Jérémie le Prophéte, & qui l'auroient infailliblement perdu, si le crédit de quelques Grands ne l'eût arraché à leur fureur. Toûjours eurent-ils assez d'autorité pour extorquer du Roi une permission de renfermer ce Prophéte dans un cachot, où il demeura jusqu'à la prise de Jérusalem.

Si quelqu'un s'imaginoit que les Juifs qui vivoient du tems de Jésus-Christ, avoient beaucoup plus de probité que ceux dont nous venons de parler, il n'a, pour se détromper, qu'à lire l'Histoire de Joséphe. C'est là qu'il pourra voir dans les Juifs d'alors, les crimes les plus atroces, suivis des punitions les plus éfroyables, quoi que moindres que leurs crimes, 49au jugement même de cet Auteur. Le Sanhédrin ne valoit pas mieux que le Peuple; & cela n'est pas étonnant; puis qu'il étoit composé de personnes, que la faveur & le caprice de Grands élevoit à cette Dignité, contre la coutume ancienne, qui étoit d'élire librement & par l'imposition des mains. Je dis la même chose des Pontifes, dont la Charge devenue annuelle de perpétuelle qu'elle étoit, fut souvent livrée à celui qui en ofroit le plus.

Note 49: (retour) Au jugement même de cet Auteur. Il dit qu'aucune ville n'a soufert des maux si extrêmes, & qu'aucun siécle n'avoit vu tant de crimes dans les Juifs: qu'ils s'étoient fait plus de mal eux-mêmes, qu'ils n'en avoient soufert de la part des Romains, qui étoient venus pour expier leurs crimes.

Note b: Jer. III. 14. 17.

Note A: Es. VIII. 14. Psau. CXVIII.

Faut-il donc trouver étrange que des gens fiers & superbes, d'une ambition excessive, & d'une avarice insatiable, ayent été remplis de rage à la vûe d'un Homme, qui, quand même il n'auroit pas ouvert la bouche contre leurs défauts, les en reprenoit assez par la sainteté de ses Préceptes? Ils ne lui ont rien imputé dont ils n'ayent autrefois chargé les personnes les plus éminentes en piété & en vertu. C'est ainsi que celui des deux Michées qui vécut du tems de Josaphat, fut mis en prison pour avoir maintenu constamment la vérité contre les opositions des faux Prophétes. Achab fit à Élie le même reproche que les Sacrificateurs Juifs faisoient à Jésus-Christ; qu'il étoit un perturbateur du repos de la Nation. On intenta contre Jérémie la même acusation qui fut depuis intentée à Nôtre Seigneur; qu'il avoit prophétizé contre le Temple. Ajoûtons à cela ce que les anciens Docteurs d'Israël ont écrit des tems du Messie: Alors, disent-ils, les hommes égaleront les chiens en impudence, les ânes en opiniâtreté, & les bêtes féroces en cruauté. Enfin Dieu lui-même qui avoit prévû de tout tems quelle disposition de coeur auroient les Juifs, lors que le Messie viendroit au Monde, prédit par la bouche de ses Prophétes, fque le Peuple qu'il n'avoit pas jusques là compté pour sien deviendroit son Peuple;[b-marg.] qu'à peine de chaque ville & de chaque village y auroit-il un Juif ou deux qui allassent adorer sur la Montagne sainte: mais que les Etrangers supléroient ce qu'il manqueroit au nombre des Juifs fidéles & saints;[A-marg] que le Messie seroit aux Juifs un sujet de scandale, & une ocasion de ruïne; & que cette Pierre, après avoir été rejettée par ceux qui avoient la conduite du bâtiment de la maison, seroit mise dans le principal lieu, pour servir de base à tout l'édifice, & pour le rendre plus solide & plus durable.

Note f: (retour) Il y a eu deux Prophétes de ce nom, l'un qui vivoit du tems de Josaphat & d'Achab, & c'est celui dont il s'agit ici. L'autre a vécu environ 100 ans après, & c'est ce dernier dont nous avons un Livre de Prophéties. TRAD. DE PAR.

Réponse à l'Objection que les Chrétiens adorent plusieurs Dieux.

XXII. Il faut présentement répondre aux deux acusations que les Juifs mettent en avant contre le culte que nous rendons à Dieu. La premiére est, que nous adorons plusieurs Dieux. Mais cette acusation ne vient que d'une fausse explication de nos sentimens, qui leur est suggérée par la haine & par la préocupation. Car pourquoi nous objecter cela50 plutôt qu'à Philon Juif, qui en plusieurs endroits de ses Écrits, établit trois choses en Dieu, & qui par le nom de Dieu entend la Raison, ou la Parole de Dieu;51 laquelle; dit-il, a créé le Monde, & n'est pas sans principe, comme Dieu qui est le pére de tout, quoi qu'elle n'ait pas été produite de la même maniére que les hommes? Le même Philon, & un autre Docteur nomme52 Moyse, fils de Néhêman, apellent aussi cette parole, l'Ange, & le Lieutenant de Dieu dans le Gouvernement de l'Univers. Pourquoi, encore, nous faire cette objection plutôt qu'aux Cabalistes, qui distinguent en Dieu trois Lumiéres, que quelques-uns d'entr'eux appellent des mêmes noms que nous, Pére, Fils & St. Esprit? Pour ne parler ici que de ce qui est le plus universellement reconnu des Juifs: cet Esprit qui a rempli & inspire les Prophétes, n'est pas une chose créée, & il est néanmoins distingué de celui qui l'envoyoit. C'est aussi ce qu'il faut dire de cette merveille du premier Temple53 que les Juifs nomment Schekina.54 La plûpart des Docteurs de ce Peuple ont enseigné que cette vertu de Dieu, à laquelle ils donnent aussi le nom de Sagesse, habiteroit dans le Messie. Et c'est dans cette vue que l'Auteur de la Paraphrase Chaldaïque apelle le Messie, la Parole de Dieu; & que David, Esaïe, & quelques autres, lui atribuent55 le sacré nom de Dieu & de Seigneur.

Note 50: (retour) Plûtôt qu'à Philon Juif qui &c. Dans le Traité des sacrifices d'Abel & de Caïn, il représente Dieu comme accompagné de deux choses souverainement éficaces, sa puissance & sa bonté, au milieu desquelles il dit que Dieu étoit, ajoûtant que leur éficace est infinie, & que chacune d'elles équivaut à toute la Divinité. Maimonides & Joseph d'Albo distinguent trois choses en Dieu, ce qui connoit, ce par quoi Dieu connoit, & la connoissance même.
Note 51: (retour) Laquelle, dit-il, a créé le Monde. Dans ses Allégories, Il s'est servi de sa parole comme d'un instrument pour créer le Monde.
Note 52: (retour) Moyse fils de Néhéman. «Si nous voulons dire la chose comme elle est, cet Ange est l'Ange Rédempteur dont il est dit, mon nom est en lui: C'est ce même Ange qui disoit à Jacob. Je suis le Dieu de Béthel, & qui parloit à Moyse de dedans le buisson. La raison pourquoi il est apellé Ange, c'est parce qu'il gouverne le Monde. Car il est écrit, l'Eternel, c'est-à-dire le Seigneur Dieu nous a tirez d'Égypte: & ailleurs, Il a envoyé son Ange & nous a tirez d'Égypte. Outre cela il est écrit, & l'Ange de sa face les a délivrez.... Car cet Ange n'est autre que la face de Dieu, dans ce passage, Ma face ira devant eux & je te mettrai en repos. Enfin c'est cet Ange dont le Prophéte dit, Et aussi tôt le Seigneur que vous cherchez, & l'Ange de l'Alliance que vous desirez, entrera dans son Temple
Note 53: (retour) Que les Juifs nomment Schekina. La Gemare de Babylone & celle de Jérusalem disent que la Schekina s'est tenue pendant trois ans & demi sur la Montagne des Oliviers, en atendant la conversion des Juifs. Ce qui est vrai en un bon sens.
Note 54: (retour) La plûpart des Docteurs de ce Peuple &c. Entr'autres le Rabbin Salomon. Le même Rabbin sur le chapitre XIX. de la Genése vers. 18. reconnoit que Dieu peut prendre la nature humaine, & que cela est même arrivé autrefois pour un tems.
Note 55: (retour) Le sacré nom de Dieu &c. Jer. XXIII. 6. Zachar. XIV. 16. Ps. XIV. 7. Quelques Rabbins ont reconnu qu'il s'agit là du Messie. Dans toute cette Réponse, l'Auteur ne fonde l'adoration qui est duë à Jésus-Christ que sur son exaltation, sans doute afin de disputer plus commodément contre les Juifs. Cet endroit & celui que j'ai marqué p. 202 où l'Auteur réduit la Religion Chrétienne à fort peu de chefs, sont aparemment ce qui a fait dire à bien des gens, & entr'autres à l'illustre M. de Saumaise dans un Livre qu'il a fait contre l'Auteur sous le nom de Simplicius Verinus, que Grotius avoit fait paroître dans ce Traité qu'il panchoit déjà du côté des Sociniens. Mais ne pourroit-on pas dire pour sa justification, que voulant prouver la Rel. Chr. par la grande étendue du Christianisme, il l'a fait p. 163. & suiv. il s'est vu obligé de détourner les yeux des Lecteurs de dessus ses divisions, pour lui donner plus d'uniformité; & de dissimuler, par conséquent, toutes ses grandeurs, en la représentant dans une généralité qui embrasse toutes ses Sectes? Ce qui favorise cette conjecture, c'est que quoi qu'il ait écrit ce Traité dans un tems auquel selon l'aveu de tout le monde il ne panchoit pas vers la Communion Romaine, il ne laisse pas de ménager ceux de cette Communion, comme il paroît par l'endroit où il réfute le culte que les Payens rendoient aux Intelligences médiatrices, & subordonnées à Dieu, & celui des Héros après leur mort p. 234 235 &c. Il auroit pu renverser ces deux cultes par cette seule raison, que le culte religieux n'apartient qu'à l'Être infini. Il ne le fait pas, & il se contente de certaines raisons, qui sont bonnes contre les Payens, mais qui ne sont rien ou presque rien contre les Catholiques. TRAD.

Réponse à l'Objection que les Chrétiens adorent la nature humaine.



Note a: Jean, V. 19. 30.

Note b: I Cor. XV. 24.

Note c: Jean. XIII. 31. XIV. 13. Rom. XVI. 27.

XXIII. La seconde acusation dont les Juifs nous chargent, c'est que nous rendons à la créature le culte qui n'est dû qu'à Dieu seul. Mais elle n'est pas plus dificile à repousser que la précédente.[A] En éfet, nous ne déférons au Messie que l'honneur & que l'adoration qui nous est prescrite au Ps II. & au CX. Or David Kimchi même, grand ennemi des Chrétiens, reconnoit que le 1er de ces Pseaumes prophétiques n'a été acompli que très-imparfaitement en la personne de David; & qu'il regarde le Messie d'une maniére plus pleine & plus excellente. Pour ce qui est du Ps. CX. nous osons assurer qu'il porte uniquement sur le Messie. Rien n'est plus vain, ni plus frivole, que ce que disent là-dessus les Juifs modernes, dont les uns le raportent à Abraham, les autres à David, & quelques autres à Ezéchias. Ce Pseaume a été composé par David, comme il paroît par le tître. Ainsi, ce que le Prophéte déclare que Dieu dit à son Seigneur, ne peut être regardé comme étant dit à David, ni à Ezéchias qui a été l'un des Descendans de ce Roi, & qui n'a eu sur lui aucune prééminence qui obligeât David à l'apeller son Seigneur. À l'égard d'Abraham, il n'a pas possédé le Sacerdoce dans un degré qui l'élevât sur tous les autres Patriarches, & cela même qu'il fut béni par Melchisédec, prouve qu'il lui étoit inférieur dans la Charge de Sacrificateur, dont la bénédiction étoit une des principales fonctions. Il faut donc avouer que cette souveraine Sacrificature, aussi bien que ce Sceptre & cette autorité Royale qui devoit s'étendre de Sion jusqu'au bout du Monde, conviennent parfaitement au Messie. C'est ce qui paroît par d'autres passages, qui parlent incontestablement de lui, & par l'interprétation que les autres Paraphrastes Juifs ont donnée à ce Pseaume. La souveraine probité des Disciples de Jésus-Christ pourroit être un garand sufisant de la vérité de ce qu'ils avancent, que tous les traits de ce grand Oracle se trouvent exactement en la personne de leur divin Maître; puis que les Juifs reçoivent sur une raison semblable, ce que Moyse dit que Dieu lui a révélé en lui parlant face à face. Mais ce n'est là que la plus petite des preuves sur quoi nous croyons que Jésus-Christ a été élevé à l'autorité souveraine sur tout l'Univers. En voici de plus fortes, que nous avons déjà déduites dans le second Livre. Il a été vû vivant après avoir expiré sur la croix: il a été vu montant au Ciel: son nom seul a chassé les Démons des corps qu'ils possédoient, & guéri des maladies incurables: ses Disciples ont reçu de lui le don des Langues: & ce qu'il y a de considérable dans toutes ces merveilles, c'est que Jésus-Christ les avoit promises comme autant de marques sûres & infaillibles de son élévation sur le Trône. Il ne faut pas oublier ici, que conformément aux Pseaumes que nous avons citez, son Sceptre, qui n'est autre chose que la parole de l'Evangile, après être sorti de Sion, a passé sans aucun secours humain, & par la seule puissance de Dieu, jusqu'aux extrémitez de la Terre; & s'est également assujetti & les Peuples & les Rois. Les Juifs Cabalistes croyent sans aucun fondement qu'un certain personnage fils d'Enoch tient le milieu entre Dieu & les hommes. A plus forte raison pouvons-nous penser la même chose de Jésus-Christ, qui a donné des preuves si éclatantes de son élévation. Et qu'on ne dise pas que cette grandeur va à diminuer celle de Dieu le Pére: car [sn-a] c'est de lui qu'elle est émanée; [sn-b] c'est à lui qu'elle doit retourner; & [sn-c] elle tend uniquement à le glorifier.

Nous excéderions les bornes que nous nous sommes prescrites dans cet Ouvrage, si nous entrions dans une discussion plus particuliére de cette grande Controverse. Nous en aurions même dit moins, si nous n'avions eu dessein de faire voir qu'il n'y a dans nôtre Religion, ni impiété, ni absurdité, qui puisse fournir une juste raison de ne se pas rendre aux miracles qui lui servent d'apui, à la sainteté très-parfaite de ses Préceptes, & à la grandeur de ses promesses. Si quelqu'un touché de la force de ces preuves, & persuadé de la foiblesse des objections qu'on leur opose, embrasse la Religion Chrétienne, il doit aller plus loin, & travailler à s'informer des Articles de nôtre Créance: ce qu'il ne peut mieux faire qu'en consultant les Livres où nous avons prouvé qu'ils sont contenus & expliquez. Nous finissons en priant Dieu qu'il lui plaise de répandre ses lumiéres dans l'Esprit des Juifs, & d'exaucer encore aujourd'hui la priére que Jésus-Christ lui a présenté pour eux, lors même qu'il étoit ataché à la Croix.




TRAITÉ

DE LA VERITÉ

DE LA

RELIGION

CHRÉTIENNE.

LIVRE SIXIÈME

Réfutation du Mahométisme

Origine du Mahométisme.

I.
e destine ce sixième Livre à réfuter le Mahométisme. Avant la naissance de cette fausse Religion, Dieu avoit déployé sur l'Eglise Chrétienne de très-sévéres jugemens, qu'elle n'avoit que trop méritez. Cette piété solide & pure, qui avoit fleuri parmi les Chrétiens dans les cruelles persécutions, dont ils avoient été l'objet, s'étoit peu à peu altérée, depuis que la conversion de Constantin, & la profession que les Empereurs suivans firent du Christianisme, eurent fait succéder le calme au trouble, ataché de l'honneur & de la gloire à nôtre Religion, & confondu le Monde avec l'Eglise, en y introduisant la pompe & les maximes mondaines. On vit alors les Princes Chrétiens se consumer les uns les autres par des Guerres continuelles, qu'ils auroient souvent pu terminer par une heureuse Paix. Alors les Évêques commencérent à se disputer le rang avec une chaleur indigne de leur caractére. Alors il arriva ce qui étoit arrivé au premier homme. Il avoit préféré l'arbre de Science à l'arbre de Vie, & atiré par là sur lui & sur ses Descendans une infinité de maux. De même l'Eglise, dans ce période dont nous parlons, prit plus de goût à une Science curieuse & téméraire, qu'à la véritable piété, & fit de la Religion un Art méthodique & une matiére à raisonnement. Cette dépravation de goût eut bien tôt de fâcheuses suites. Dieu avoit autrefois confondu l'orgueil de ceux qui bâtissoient la Tour de Babel en confondant leur Langage. On vit alors quelque chose de semblable dans l'Eglise. Cette afectation hardie de connoître à fond les plus sublimes Mystéres de la Religion, mit de la diversité dans les expressions des Docteurs, & par cela même, des sentimens de désunion dans leur coeur. La vue de ces malheurs naissans jetta le Peuple dans le doute & dans l'incertitude sur les objets de sa Foi; & une fausse préocupation pour ses Maîtres le retenant dans le respect, il aima mieux chercher la cause de ces nouveaux troubles dans l'Ecriture même, que dans la témérité de ces Esprits inquiets & curieux. Il s'acoutuma donc à regarder la Parole de Dieu comme une chose qui cachoit un poison dangereux, & contre laquelle il faloit se tenir sur ses gardes. Ce mal fut suivi d'un autre. Comme si l'on eût voulu rapeller le Judaïsme, on commença à faire consister la Religion, non dans la pureté de l'ame, mais dans des Cérémonies. On l'apliqua à certaines choses plus propres à exercer le corps, qu'à corriger le coeur. On vint à élever le zéle de Parti, & l'atachement à certaines opinions, au dessus de toutes les autres vertus: ainsi le Christianisme intérieur & véritable devint aussi rare, que l'extérieur & l'aparent étoit ordinaire.

Dieu ne put voir cette corruption sans témoigner par ses châtimens combien elle lui étoit odieuse. Du fond de la Scythie & de l'Allemagne il tira des Armées innombrables, dont il couvrit le Monde Chrétien. Mais voyant que les ravages éfroyables que firent ces Armées, & les sanglantes victoires qu'elles remportérent sur les Chrétiens, n'étoient d'aucune éficace pour l'amendement de ceux qui échapérent à ces terribles Ennemis: il permit dans sa juste colére, qu'il s'élevât dans l'Arabie un faux Prophéte, le fameux Mahomet, & qu'il formât une nouvelle Religion, directement contraire à la Religion Chrétienne, mais assez conforme à la vie de la plûpart des Chrétiens de ce tems là. Les premiers qui embrassérent cette nouvelle Doctrine, furent les Sarrazins, qui s'étoient revoltez contre l'Empereur Héraclius. Ces Peuples subjuguérent en fort peu de tems l'Arabie, la Syrie, la Palestine, l'Égypte, & la Perse. L'Afrique & l'Espagne eurent aussi le même sort. Quelques siécles s'étant écoulez, les Turcs, Peuples très-belliqueux, vinrent enlever aux Sarrazins une bonne partie de ce qu'ils avoient conquis; & après plusieurs combats, ils acceptérent l'ofre que ceux-ci leur firent d'entrer par une Alliance dans les mêmes intérêts. Ils se laissérent ensuite aisément persuader de recevoir la Religion de leurs nouveaux Alliez: Religion commode, & qui flatoit par ses maximes la licence de leurs moeurs. Peu à peu ils devinrent les maîtres, & jettérent les fondemens d'un puissant Empire, qui ayant commencé par la prise des Villes de l'Asie, & continué par la conquête de la Grèce, s'est étendu par ses victoires jusqu'à la Hongrie, & jusqu'aux frontiéres de l'Allemagne.

Contre la soumission aveugle, qui est le fondement du Mahométisme.

II. Cette Religion a en général 2 caractéres, l'un d'inspirer la cruauté, & de porter ses Sectateurs à répandre du sang; l'autre, d'exiger une soumission aveugle, de défendre l'examen de ses Dogmes, & d'interdire au Peuple, par une suite naturelle de ce principe, la lecture des Livres qu'elle leur fait recevoir comme sacrez. Dès là, il est aisé de voir l'injustice & le peu de droiture de son Auteur, & l'on ne peut qu'on ne le tienne pour suspect. Cette conduite, en éfet, ressemble assez à celle d'un Marchand qui ne voudroit vendre ce dont il trafique, qu'à condition qu'on l'achetât sans le voir & sans l'examiner. Il est vrai qu'en matiére de Religion, tout le monde n'a pas les yeux également propres à discerner le vrai d'avec le faux; & que la présomption, les passions, & le préjugé de la coutume obscurcissent l'Esprit de la plûpart des hommes; & l'engagent dans l'erreur. Mais d'ailleurs, on ne sauroit, sans faire injure à la bonté de Dieu, s'imaginer qu'il ait rendu le chemin du salut inaccessible à ceux qui le cherchent préférablement aux avantages & à la gloire du Monde; qui pour y parvenir soumettent à Dieu, & leurs personnes, & tout ce qu'ils possédent, & lui demandent on secours. Et puis qu'il a donné à tous les hommes le pouvoir de juger des choses, pourquoi n'exerceroient-ils pas leur jugement sur les objets les plus dignes d'être connus, & que l'on ne peut ignorer sans courir le risque de perdre la félicité éternelle?

1. Preuve contre les Mahométans, tirée de l'Écriture Sainte dont ils avouent en partie la divinité.

III. Mahomet & ses Sectateurs avouent que Moyse & Jésus-Christ ont été envoyez de Dieu, & que ceux qui ont travaillé à répandre & à établir la Religion Chrétienne ont été des personnes saintes & pieuses. Cependant l'Alcoran, qui est la Loi de Mahomet, oblige à croire quantité de choses contraires à celles que Moyse & Jésus-Christ nous aprennent. Je n'en raporterai qu'un exemple. Tous les Apôtres & tous les Disciples de Jésus-Christ disent d'un commun consentement, qu'après que nôtre Seigneur fut mort sur la croix, il ressuscita le troisiéme jour, & fut vu par un grand nombre de personnes. Mahomet, au contraire, enseigne que Jésus-Christ fut enlevé secrettement dans le Ciel, & que ce ne fut qu'un Fantôme qui fut ataché à la croix; qu'ainsi il ne mourut pas, & qu'il trompa les Juifs par cette illusion.

Que l'Écriture n'a pas été corrompue.

IV. Les Mahométans ne peuvent répondre à cette objection, qu'en disant que les Livres de Moyse & des Disciples de Jésus-Christ ne sont pas demeurez tels qu'ils étoient du commencement, & qu'ils ont été corrompus. C'est précisement ce que répond Mahomet. Mais nous avons déjà fait voir la vanité de cette chicane dans nôtre troisiéme Livre. Si quelqu'un disoit aux Mahométans que leur Alcoran est corrompu, ils le nieroient, & prétendroient que cette réponse sufit; tant qu'on ne leur prouve pas cette corruption. D'ailleurs ils ne peuvent pas aporter en faveur de leurs Livres, les argumens que nous alléguons pour les nôtres. Nous disons, par exemple, qu'aussi tôt que nos Livres sacrez eurent été composez, il s'en répandit par tout le Monde une infinité de Copies; qu'ils furent traduits en plusieurs Langues, & fidélement conservez par toutes les Sectes du Christianisme fort éloignées les unes des autres par la diversité de leurs sentimens: & c'est, encore une fois, ce qu'ils ne peuvent prouver de leurs Livres.

Ils se persuadent que dans le Chapitre XIV. de l'Évangile de S. Jean où Jésus-Christ promet qu'il envoyera un Consolateur, il y avoit quelque chose touchant Mahomet, & que les Chrétiens l'ont fait éclipser. Là-dessus je leur demande, s'ils croyent que les Chrétiens ont commis cette fraude avant ou après le tems auquel Mahomet vint au Monde? S'ils disent que cela arriva après que Mahomet eut paru, je soutiens que c'étoit une chose absolument impossible; puisque, dès ce tems-là, il y avoit par tout le Monde un nombre presque infini d'Exemplaires du Nouveau Testament, en Grec, en Syriaque, en Arabe, en Éthiopique, en Latin même de plus d'une sorte de Version, & que tous ces Exemplaires s'acordent sur ce passage du Chap. XIV. sans qu'il y ait la moindre diversité de leçon. S'ils disent que cette corruption se fit avant que Mahomet vînt au Monde, je répons que cela ne se peut dire, puis qu'alors aucune raison n'obligeoit les Chrétiens à en user ainsi. Car comment auroient-ils pu prendre les devans, à moins que de savoir ce que Mahomet enseigneroit un jour? Et c'est ce qu'ils ignoroient tout à fait. De plus, si les Chrétiens eussent trouvé de la conformité entre la Doctrine de Mahomet & celle de Jésus-Christ, pourquoi auroient-ils fait plus de difficulté de recevoir les Livres de ce nouveau Docteur, qu'ils n'en avoient fait d'admettre ceux de Moyse & des autres Prophétes du Peuple Juif? Enfin suposons que ni les Mahométans ni nous, n'ayons aucuns Livres qui nous instruisent, eux, de la Doctrine de Mahomet, & nous, de celle de Jésus-Christ; l'équité voudroit sans doute, en ce cas, que l'on regardât comme Doctrine de Jésus-Christ, celle que tous les Chrétiens reconnoissent pour telle, & comme Doctrine de Mahomet, celle que les Mahométans disent qu'il a enseignée.

2. Preuve tirée de la comparaison de la Religion Chrétienne & de la Mahométane & 1. de la comparaison de Jésus-Christ.

V. Comparons à présent ces deux Religions dans ce qu'elles ont & d'essentiel & d'accessoire, & voyons laquelle est la meilleure. Je commence par les Auteurs de l'une & de l'autre. Mahomet même avoue que Jésus-Christ [avec Mahomet.] est le Messie qui avoit été promis dans la Loi & dans les Prophétes. Il l'apelle la Parole, l'Intelligence & la Sagesse de Dieu, & il dit qu'il n'a point eu proprement de Pére selon la chair: au lieu que pour lui, ses Sectateurs croyent qu'il est né selon les voyes ordinaires. Jésus-Christ a mené une vie pure & irrépréhensible: Mahomet a exercé long tems l'infame métier de Voleur, & pendant toute sa vie il s'est plongé dans les voluptez criminelles. Jésus-Christ a été élevé dans le Ciel, de l'aveu même de Mahomet: & pour ce qui est de lui, il est encore aujourd'hui renfermé dans un sépulcre, Qu'on juge après celà, lequel des deux mérite le plus d'être suivi.

2. De la comparaison des actions de l'un & de l'autre.

VI. Examinons ensuite les actions de l'un & de l'autre. Jésus-Christ a rendu la vue aux aveugles, & la santé aux malades; il a fait marcher les boiteux; il a fait revivre des personnes mortes, & Mahomet en tombe t'accord; Mahomet donne pour preuves de sa Mission, non le pouvoir de faire des miracles, mais l'heureux succès de ses Armes. Quelques-uns néanmoins de ses Disciples ont prétendu qu'il en avoit fait. Mais c'étoient, ou des choses que l'Art seul pouvoit produire, comme ce qu'ils disent d'un pigeon qui voloit à son oreille; ou des choses dont ils ne citent aucuns témoins, par exemple, qu'un chameau lui parloit de nuit; ou qui, enfin, sont si absurdes qu'il ne faut que les proposer pour en faire voir l'extravagance, comme ce que les mêmes Auteurs raportent, qu'une grande partie de la Lune étant tombée dans sa manche, il la renvoya au Ciel pour rendre à cet Astre la rondeur qu'il avoit perdue. Là dessus, qui ne prononcera que l'on doit s'en tenir à celle de ces deux Loix qui a de son côté les témoignages les plus certains de l'aprobation divine?

3. De la comparaison de ceux qui ont les premiers embrassé le Christianisme & le Mahométisme.

VII. Jettons aussi les yeux sur ceux qui ont les premiers embrassé ces deux Loix. Ceux qui se soumirent d'abord à l'Évangile étoient des personnes qui craignoient Dieu, & dont la vie étoit simple & sans faste. Or il est de la bonté de Dieu de ne pas soufrir que des personnes, qui ne tâchent qu'à lui plaire, soient trompées par des aparences de miracles. Les premiers Sectateurs de Mahomet étoient des Voleurs de grand chemin, & qui, bien loin d'avoir quelques sentimens de piété, n'avoient pas même ceux de l'humanité.


4. De la comparaison des moyens par lesquels ces 2. Religions se sont établies.

VIII. La Religion Chrétienne n'a pas moins d'avantage sur celle de Mahomet, à l'égard de la maniére dont l'une & l'autre se sont répandues dans le Monde. La premiére doit ses progrès tant aux Miracles de Jésus-Christ, & à ceux de ses Disciples & de leurs Successeurs, qu'à la confiance qu'ils témoignérent dans les suplices. Les Docteurs du Mahométisme n'ont fait aucuns miracles, & n'ont soufert ni miséres ni mort violente pour la défense de leurs sentimens. Cette Religion ne s'est étendue qu'à la faveur des Armes, & ses progrès se sont réglez sur le succès des guerres de ses Sectateurs; de sorte qu'elle servoit en quelque maniére d'accessoire aux victoires qu'ils remportoient. Cela est si vrai, que les Docteurs Mahométans ont fait de ces succès & de la grande étendue de Païs que leurs Princes ont subjuguée, l'unique preuve de la vérité de leur Religion. Mais qu'y a-t-il de plus équivoque & de moins sûr que cette espéce de preuve? Ils rejettent avec nous la Religion Payenne. Cependant personne n'ignore, ni les victoires signalées qu'ont remportées les Perses, les Macédoniens, & les Romains; ni la vaste étendue de leurs Empires. Ces grans succès mêmes, dont nos Adversaires se vantent, n'ont pas été constans & perpétuels. Sans parler des désavantages qu'ils ont eus dans leurs guerres tant par terre que par mer, on les a contraints d'abandonner l'Espagne dont ils s'étoient rendus maîtres. Or ce qui doit servir de caractére à la véritable Religion, ne doit être ni commun aux méchans & aux personnes vertueuses, ni sujet au changement. J'ajoûte que ce caractére ne doit avoir en lui-même rien d'injuste: c'est ce que les Mahométans ne peuvent pas dire de leurs guerres. Ils les ont entreprises pour la plûpart contre des Peuples qui ne les avoient pas inquiétez, & dont ils n'avoient aucun lieu de se plaindre; de sorte qu'ils en étoient réduits à colorer ces guerres du prétexte de la Religion: ce qui choque directement les fondements de la Religion même. Dieu ne peut agréer le service que les hommes lui rendent, à moins qu'il ne parte d'une volonté pleine & entiére. Or la volonté ne se peut fléchir, ni par les menaces, ni par la violence, mais par l'instruction & par la persuasion. Lors qu'on ne croit que parce qu'on y est contraint, on ne croit pas proprement, mais on fait semblant de croire pour se soustraire à la persécution. On peut dire aussi que ceux qui par la violence des maux ou par la terreur des menaces, veulent tirer des autres un consentement forcé, se font beaucoup plus de tort qu'ils ne pensent, puis qu'ils découvrent par là qu'ils se défient de la force de leurs raisons. Outre ce défaut que les Mahométans ont de commun avec tous les Persécuteurs, ils en ont un autre qui leur est particulier. C'est qu'après avoir pris pour prétexte de leurs guerres le désir d'étendre les bornes de leur Religion, ils détruisent ensuite ce prétexte par la permission qu'ils donnent aux Peuples qu'ils ont vaincus, de suivre telle Religion qu'il leur plait; & par l'aveu public que quelques-uns d'entr'eux font, que ceux qui vivent dans la profession du Christianisme peuvent être sauvez.

5. De la comparaison de la Morale Chrétienne avec celle de Mahomet.

IX. Comparons enfin la Morale de Jésus-Christ, avec celle de Mahomet. L'une nous ordonne de soufrir patiemment les maux, & d'aimer même ceux qui nous les causent: l'autre autorise la vangeance. L'une afermit l'union du Mari & de la Femme, en les obligeant à se suporter mutuellement: l'autre permet le divorce pour quelque raison que ce soit. L'une oblige le Mari à faire pour la Femme ce que la Femme fait pour le Mari, & veut qu'il lui montre par son exemple à ne partager pas son afection: l'autre veut bien qu'il prenne plusieurs Femmes, & qu'il ranime par là sa passion refroidie. La Loi de Jésus-Christ raméne la Religion de l'extérieur à l'intérieur, & la cultive dans le coeur pour lui faire produire des fruits propres à édifier le Prochain: la Loi de Mahomet borne presque tous ses Préceptes & toute son éficace à la Circoncision, & à d'autres choses indiférentes par elles-mêmes. Celle là permet l'usage du vin & de toutes sortes de viandes, pourvu que cet usage soit modéré: celle-ci défend de manger de la chair de porc, & de boire du vin: quoi que dans le fond le vin soit un don de Dieu, utile au corps & à l'esprit, lors qu'on en use avec sobriété. Il est vrai que la Loi de Jésus-Christ a été précédée de certains rudimens grossiers, & dont l'extérieur sembloit avoir quelque chose de puéril: ce qui ne doit pas plus nous surprendre que de voir une ébauche grossiére & imparfaite précéder un ouvrage très-parfait. Mais qu'après la publication de cette Loi excellente, on retourne encore aux ombres & aux figures, c'est en vérité un renversement bien étrange: à moins que l'on n'allégue de bonnes raisons qui prouvent, qu'après une Religion aussi parfaite que la Religion Chrétienne, il étoit de la sagesse de Dieu d'en donner une autre aux hommes.

Réponse à l'objection que les Mahométans tirent de la qualité de Fils de Dieu que nous donnons à Jésus-Christ.

X. Les Mahométans paroissent scandalisez, de ce que nous disons que Dieu a un Fils, puis que Dieu, disent-ils, n'a point de Femme. Mais ils ne prennent pas garde que nous donnons à Jésus-Christ le nom de Fils dans un sens digne de Dieu, & qui n'a rien de charnel. De plus, il ne leur sied guéres de nous faire de pareils reproches, après les choses basses & indignes que leur Prophéte atribue à Dieu. Il dit que les mains de Dieu sont froides, & qu'il le sait parce qu'il les a touchées; que Dieu se fait porter en chaise, & telles autres puérilitez. Lors que nous disons que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, nous n'entendons autre chose que ce que Mahomet dit lui-même, que Jésus-Christ est la Parole de Dieu. Car la Parole est en quelque façon engendrée par l'entendement. Deux autres raisons de ce tître de Fils de Dieu, sont que Nôtre Seigneur est né d'une Vierge par la seule puissance divine, qui lui a servi de Pére, & que par la même puissance, il a été élevé dans le Ciel. Mahomet ne le nie pas. Il doit donc reconnoître que ces glorieux priviléges fondent avec raison le nom de Fils de Dieu. que nous donnons à Jésus-Christ.

Que les Livres des Mahométans sont pleins d'absurditez.

XI. Si nous voulions user de récrimination, raporter ici tout ce qu'il y a de faux, de ridicule, & de contraire à la foi des Histoires dans les Écrits des Mahométans, nous aurions une ample matiére de leur insulter & de les couvrir de confusion. Tel est le Conte qu'ils font d'une certaine femme très-belle, à qui quelques Anges, après s'être enivrez, enseignérent une Chanson, par le moyen de laquelle on monte au Ciel, & l'on en descend: à quoi ils ajoûtent que cette femme s'étant déjà élevée extrémement haut par la vertu de cette Chanson, Dieu, qui s'en aperçut, l'arrêta tout court, & en fit l'Étoile de Venus. Tel est cet autre Conte, que dans l'Arche de Noé le rat naquit de la fiente de l'éléphant, & le chat de l'haleine du Lion. En voici encore quelques autres qui ne valent pas mieux. Ils disent que la mort sera métamorphosée en un bélier, qui aura son siége au milieu de l'espace qui séparera l'Enfer d'avec le Ciel: que dans la vie à venir, ce que l'on mangera se dissipera par les sueurs: qu'à chaque homme seront assignées des troupes de femmes pour assouvir sa passion. En vérité, il faut avoir irrité Dieu, & reçu une grande mesure de l'Esprit d'étourdissement, pour admettre des rêveries aussi grossiéres & aussi sales; sur tout, lors qu'on est environné de toutes parts, de la lumiére de l'Évangile.

Aplication de tout l'Ouvrage, adressée aux Chrétiens.

XII. Cette dispute achevée, il ne me reste plus rien à faire que de m'adresser aux Chrétiens de toutes les Nations & de toutes les Sectes, & de leur montrer en peu de mots quel usage ils doivent faire des choses que nous avons dites jusqu'ici; qui est en général d'embrasser ce qui est bon, & de se détourner de ce qui est mauvais & criminel.

Usage du I. Livre, pour la pratique.

XIII. Que premiérement donc, ils élévent leur mains pures à ce grand Dieu qui a fait de rien toutes les choses visibles & invisibles. Qu'ils croyent avec une parfaite certitude qu'il a soin de nous, puis qu'un passereau même ne tombe pas sans sa permission. Qu'ils craignent moins ceux qui ne peuvent nuire qu'au corps, que celui qui par le droit qu'il a sur le corps & sur l'ame, peut traiter l'un & l'autre avec la derniére sévérité.

Usage du II. Livre.

Qu'ils mettent leur confiance, non seulement en Dieu le Pére, mais aussi en Jésus-Christ, puis qu'il n'y a sur la Terre aucun autre nom qui nous puisse sauver. Qu'ils songent que pour être agréable & au Pére & au Fils, & pour aquerir la Vie éternelle, il ne sufit pas d'apeller l'un son Pére, & l'autre son Seigneur, mais qu'il faut régler sa vie sur leur volonté. Qu'ils conservent avec foin la sainte Doctrine de l'Évangile, comme un trésor d'un prix infini.

Usage du III. Livre.

Que pour y réüssir, ils lisent assidûment l'Écriture S. qui ne peut tromper, que ceux qui veulent se tromper eux-mêmes. Qu'ils considérent que ceux par les mains de qui Dieu nous l'a donnée, étoient trop fidéles & trop sûrement guidez par le saint Esprit, pour avoir eu dessein de nous cacher aucune vérité nécessaire au salut, ou de l'enveloper d'obscuritez impénétrables. Que pourvu qu'ils aportent à cette lecture un Esprit soumis & obéïssant, ils découvriront sans peine tout ce qu'ils doivent croire, espérer, & pratiquer: & que c'est là le moyen infaillible d'entretenir & de de réveiller en eux cet Esprit que Dieu donne à ses Enfans pour arrhe de la félicité éternelle.

Usage du IV. Livre.

Qu'ils se donnent de garde d'imiter les Payens, soit dans le Culte des faux Dieux, qui, à parler proprement, ne sont que de vains noms, dont les Démons se servent pour nous détourner du service du vrai Dieu: & qu'ils sachent qu'ils ne peuvent participer à ce faux Culte, sans perdre tout le fruit du Sacrifice de Jésus-Christ. Qu'ils s'éloignent aussi autant qu'ils le peuvent, de la vie impure & libertine des Idolâtres, qui ne suivent point d'autres Loix que celles de la cupidité.

Usage du V. Livre.

Rom. II. 28. 29

Qu'ils réfléchissent encore sur l'obligation où ils sont de vivre plus saintement, non seulement que les Payens, mais aussi que les Pharisiens & les Scribes, dont la justice ne consistant qu'en de certaines pratiques extérieures & visibles, n'est pas capable de conduire à la Vie. Qu'ils aprennent que ce n'est pas la Circoncision faite de main qui peut plaire à Dieu, mais la Circoncision du coeur, qui n'est autre chose que l'observation des Commandemens de Dieu, la nouvelle Créature, & une confiance qui produit l'amour; que c'est là la marque & le symbole du véritable Israélite, & du Juif mystique, c'est-à-dire, du Juif qui loue véritablement Dieu. Qu'ils recueillent enfin de ce que nous avons dit contre les Juifs, que la diférence des viandes, les sabbats, & les fêtes n'étoient que des ombres dont le corps se trouve dans Jésus-Christ, & dans les Fidéles.

Usage du VI. Livre.

Heb, I. v. 1, 2. &c.

Voici les réflexions que peut fournir nôtre dispute contre les Mahométans. C'est que Jésus-Christ notre Seigneur a prédit, qu'après son ascension, il s'éléveroit des personnes qui se vanteroient faussement d'être envoyez de Dieu. Mais que selon l'avis de saint Paul, quand un Ange même viendroit du Ciel pour annoncer une autre Doctrine que celle de Jésus-Christ, il le faudroit rejetter avec exécration, parce que cette Doctrine a été vérifiée & confirmée par des témoignages incontestables, & qu'elle est si parfaite, qu'on ne peut y rien ajoûter. En éfet, quel autre Législateur pourroit-on atendre après celui dont l'Ecriture nous fait cette magnifique description: Dieu, dit-elle, ayant autrefois parlé à son Peuple en beaucoup de maniéres fort diférentes, a bien voulu dans l'acomplissement des tems s'adresser à nous par son Fils, qui est Maître de toutes choses, la splendeur de sa gloire, l'image vive & expresse de sa personne; qui après avoir créé toutes choses, les soutient & les gouverne par sa parole puissante; qui enfin, après avoir fait l'expiation de nos péchez, s'est assis à la main droite de Dieu & est parvenu à une dignité infiniment plus excellente que celle des Anges.

Une autre réflexion que les Chrétiens doivent faire sur ce que nous avons dit contre les Mahométans, c'est que les armes que Dieu a données aux Soldats de Jésus-Christ, ne sont pas de la nature de celles sur lesquelles Mahomet a apuyé sa Religion: qu'elles sont uniquement spirituelles, & propres à détruire les forteresses qui s'élévent contre la connoissance de Dieu: que le bouclier des Chrétiens est la foi, qui est propre à repousser les dards enflammez du Démon: que leur cuirasse est la justice, la droiture, & l'intégrité de la vie: que leur casque est l'espérance du salut, laquelle couvre en éfet, aussi bien que cette sorte d'armes défensives, les endroits les plus foibles & les plus exposez: qu'enfin ils ont pour épée la Parole de Dieu, qui est assez éficace pour pénétrer jusqu'au fond de l'ame.

Après ces usages qui se retirent de ce Traité, j'exhorte sérieusement tous les Chrétiens à cette concorde mutuelle que Jésus-Christ recommanda si fortement aux siens un peu avant que de les quiter. Qu'ils considérent donc qu'il ne doit pas y avoir parmi eux plusieurs Docteurs, & qu'ils n'en ont qu'un, qui est Jésus-Christ, au seul nom de qui ils ont tous été batisez; qu'ainsi l'on ne devroit pas voir parmi eux cette diversité de Sectes, & cette désunion, qui sont si contraires à l'Evangile; & qu'il est tems de travailler à y aporter du reméde. Pour le faire avec succès, ils doivent toûjours avoir devant les yeux ces belles paroles des Apôtres: qu'il faut être sage avec sobriété, & selon la mesure de la connoissance que Dieu a distribuée à chacun de nous: que s'il y en a de moins éclairez, on doit suporter leur foiblesse & les engager par cette modération à se réünir avec nous, à entretenir la paix, & à bannir toutes disputes: qu'il est juste, d'ailleurs, que ceux qui excellent en lumiéres & en connoissance, excellent aussi en charité: qu'à l'égard de ceux qui sont dans quelque erreur, il faut atendre que Dieu leur découvre les véritez qu'ils ignorent: que jusqu'à ce que cela arrive, on doit retenir les Articles dont on convient, & y conformer sa vie: que maintenant nous ne connoissons qu'en partie, & qu'un tems viendra que nous connoîtrons toutes choses avec évidence & avec certitude.

Je prie aussi chaque Chrétien en particulier, qu'il ne garde pas inutilement le talent qui lui a été confié: qu'il travaille de toutes ses forces à gagner des ames à Jésus-Christ: qu'il employe à ce dessein, non seulement des discours salutaires & pieux, mais la pureté & la sainteté d'une vie exemplaire, afin de donner lieu aux Etrangers de juger de la bonté du Maître par celle des serviteurs, & de la pureté de ses Loix par celle de leurs actions.

Je finis en priant ceux pour qui j'ai dit dès l'entrée que j'ai composé cet Ouvrage, que s'ils y trouvent quelque chose de bon, ils en rendent graces à Dieu, & que s'il y a des choses qui ne soient pas de leur goût, ils veuillent bien avoir quelque égard, tant à la condition ordinaire des hommes, qui naturellement sont fort sujets à se tromper, qu'au lieu & au tems auquel ce Livre a été écrit, & qui ne m'a pas permis d'y aporter toute l'exactitude dont j'aurois été capable dans une plus heureuse conjoncture.






DU CHOIX

Qu'on doit faire entre les divers
Sentimens qui partagent les
CHRÉTIENS

par Mr. LE CLERC.


§ I.
u'on doit examiner qui sont ceux d'entre tous les Chrétiens, qui suivent aujourd'hui la Doctrine la plus pure de Jésus-Christ.

Il n'y a point d'homme sensé, qui ait lu les Livres du Nouveau Testament, pour s'instruire dans la connoissance de la Vérité, qui n'avoue que Grotius a renfermé dans ses 2. & 3. Livres les motifs de crédibilité les plus forts que la Vérité puisse présenter à l'Esprit. C'est pourquoi celui qui désire son salut, & d'arriver un jour à l'Immortalité bienheureuse, doit s'atacher à la Doctrine renfermée dans ces Livres pour en faire l'objet de sa foi; pratiquer les Préceptes qu'elle lui impose, & fixer toute son espérance, sur les biens qu'elle lui promet. Autrement celui qui paroîtroit convaincu de la vérité de la Religion Chrétienne, & qui n'auroit pour sa Doctrine, ses préceptes, & ses promesses ni l'obéissance, ni la foi, qui leur sont dues, tomberoit en contradiction avec soi-même, & prouveroit qu'il n'est Chrétien, ni de coeur, ni d'esprit.

Or entre les préceptes que Jésus-Christ & les Apôtres nous ont donné, il y en a un qui nous oblige à confesser publiquement 1devant les hommes, que nous sommes ses Disciples, si nous voulons qu'il nous reconnoisse au dernier jour lorsqu'il viendra pour juger les Vivans & les Morts; au contraire si nous refusons de le reconnoître devant les hommes pour notre Maître, il refusera de nous avouer pour ses disciples. 2Jésus-Christ n'a pas voulu que ceux qui s'atacheroient à lui fussent des Disciples cachés, qui parussent avoir honte de sa Doctrine, & sur qui l'estime des hommes ou leurs bienfaits, leurs menaces & les supplices mêmes fissent plus d'impression que ses préceptes, & les promesses qu'il leur fait de leur donner la Vie éternelle. Mais il a voulu que ceux qui sont Chrétiens en fissent une profession publique, pour porter tous les hommes à embrasser la vraye Religion, & que si la Providence le jugeoit à propos, ils scellassent par leur mort la profession de leur foi 3remettant leurs Ames entre les mains de Dieu, pour montrer qu'ils préférent ses préceptes à toutes choses. C'est ce qui a fait dire à St. Paul 4que si nous confessions le Seigneur Jésus de notre bouche, & que nous croyions dans nos coeurs que Dieu l'a ressuscité d'entre les morts, nous serons sauvés; car de coeur, ajoûte-t-il, on croit pour obtenir la justice, & de bouche l'on confesse pour avoir le Salut; car l'Écriture dit, que tous ceux qui croiront en lui, n'en auront point de confusion. Sur ce principe, il faut que celui qui reconnoît la Religion Chrétienne pour véritable découvre ses sentimens & sa foi, sans déguisement & sans crainte, lorsque l'occasion s'en présente.

Note 1: (retour) Devant les hommes &c. C'est Jésus-Christ qui parle Matt. X. 32. Où il dit Quiconque fera profession d'être à moi, devant les hommes; je le reconnoîtrai pour mien, devant mon Pére, qui est au Ciel. Mais quiconque niera d'être à moi, devant les hommes; je nierai aussi qu'il soit à moi, devant mon Pére, qui est au Ciel. Vol. 2. Tim. II. 12. Apocal. III. 5.
Note 2: (retour) Jésus-Christ n'a pas voulu. C'est pourquoi il dit Matt. V. v. 14. Que ses Disciples sont la lumiére du Monde; qu'une Ville située sur une montagne, ne sauroit être cachée, qu'on n'allume point une lampe, pour la mettre sous un boisseau, mais sur un chandelier, afin qu'elle éclaire tous ceux qui sont dans la maison &c.
Note 3: (retour) Remettant leurs Ames. Luc XII. 4, Jésus-Christ. nous deffend de craindre ceux qui tuent le Corps, & qui après cela n'ont plus rien à vous faire davantage & il nous ordonne de craindre celui qui, après qu'on a été tué, a le pouvoir de jetter dans la gêne. Il prédit à ses Disciples Matt. X. 39. & suivans une infinité de maux, de toute espéce, leur disant que celui qui aura conservé sa vie, la perdra & celui qui aura perdu sa vie, à cause de lui, la trouvera. Préceptes auxquels les premiers Chrétiens ont obéi avec une fidélité constante, puisque le glorieux témoignage qu'ils ont rendu à la vérité de l'Évangile, les a fait appeller Martyrs, c'est-à-dire Témoins.
Note 4: (retour) Si nous confessions. Rom. X. 9, 10, 11.

Ensuite l'on doit s'atacher à connoitre ceux qui sont du même sentiment, & 5entretenir avec eux une union parfaite, une paix profonde, & une amitié tendre & sincère, puis que la marque à laquelle Jésus-Christ veut que ses Disciples soient reconnus, c'est de s'aimer les uns les autres, & de se rendre mutuellement tous les services dont ils sont capables. Il les a même exhortez, 6de s'assembler en son nom, leur promettant que lorsque deux, ou trois Chrétiens seroient dans un même lieu en son nom, il seroit au milieu d'eux; ce qui fait qu'outre que ces Assemblées mutuelles entretiennent & fortifient l'union & la charité, elles contribuent 7à perpétuer la Doctrine, qui pourroit varier, s'il étoit permis à chaqu'un de conserver sa foi en particulier, sans que personne en fût témoin; car ce qui est caché s'oublie facilement, & disparoît peu-à-peu, mais Jésus-Christ a voulu que sa Doctrine, & les Églises que la suivroient, durassent jusqu'à la fin du Monde, afin de continuer à répandre ses grâces & ses bénédictions sur les hommes.

Note 5: (retour) Entretenir avec eux &c. Jean. XIII. 34, 35. Je vous fais un nouveau commandement, c'est que vous vous aimiez les uns les autres; afin que vous vous entr'aimiez, comme je vous ai aimez. Si vous avez de l'amour les uns pour les autres, tout le monde connoîtra à cela que vous êtes mes Disciples. Vol. 2. Jean. II. 7. III. 11. 16. 23.
Note 6: (retour) De s'assembler en son nom. Matt. XVIII, 19, 20.
Note 7: (retour) À perpétuer la Doctrine. C'est ainsi que les Philosophes ont transmis leur Doctrine à la Postérité, la faisant enseigner dans les Écoles publiques, mais les Églises Chrétiennes unies ensemble par des liens plus étroits, & plus forts transmettent avec plus de certitude & de facilité la Doctrine qu'elles ont reçue de leur Maître, ce qui ne pourroit se faire sans Assemblées. Pythagore voulut éprouver ce moyen, mais il le tenta inutilement, parce que sa Doctrine n'avoit rien de céleste. Voi Laërce & Jambliq.

C'est pourquoi celui qui a connu la Religion Chrétienne par l'étude du Nouveau Testament, & qui est persuadé de la vérité de cette Religion doit embrasser sa Doctrine 8& s'atacher à ceux qui la professent; mais comme il n'y a point aujourd'hui d'Assemblées particuliéres, & qu'il n'y en a jamais eu, qui puissent prendre le titre de Chrétiennes à l'exclusion des autres, on ne doit pas s'en raporter à la seule dénomination extérieure, ni se joindre 9sans examen & sans discernement à tous ceux qui se disent Chrétiens. Il faut examiner si leurs Dogmes sont conformes à la pureté de la Doctrine qu'on a puisée dans la lecture du Nouveau Testament. Sans cela il pourroit arriver que nous regarderions comme une Assemblée Chrétienne, celle qui n'en auroit que le nom. Il est donc de la prudence d'un homme sage de ne s'engager jamais dans aucune Église sans être persuadé qu'on y enseigne la pure Doctrine de Jésus-Christ, & qu'on ne l'obligera jamais à rien dire ou pratiquer qui soit contraire à ce que Jésus-Christ a prescrit, & enseigné.

Note 8: (retour) S'atacher à ceux. Voi. Ép. Tim. & Tit. où l'Apôtre leur ordonne d'établir des Églises; & Heb. X. 25.
Note 9: (retour) Sans examen. Vol. I. Thessal. v. 21. Mais S. Jean s'explique plus clairement sur ce sujet. I. Ép. IV. 1. Mes chers frères, dit-il, ne croyez pas à tout Esprit; mais examinez les Esprits, pour savoir s'ils viennent de Dieu. Car plusieurs faux Prophétes sont venus au Monde.

§. II. Qu'il faut s'atacher à ceux qui sont les plus dignes du nom de Chrétiens.

Les Chrétiens ne s'accordant pas dans leurs sentimens, & étant non seulement divisés par des Opinions différentes, mais, ce qu'on ne peut dire sans les couvrir de honte, se condamnant les uns les autres, & se proscrivant de leurs Assemblées, avec les marques de la haine la plus forte, il y auroit non seulement de l'imprudence, mais de l'injustice & de la précipitation de s'atacher sans discernement à quelqu'une de ces Assemblées, & de condamner les autres sans les connoître. Un homme ne pourroit regarder comme une Église Chrétienne, celle qui rejetteroit une partie de la vraye Religion selon l'idée qu'il en a conçue, & condamneroit ceux du sentiment contraire; il ne pourroit même, se persuader que tous ceux qui seroient condamnés par cette Église particuliére qui les chasseroit de son sein méritassent d'en être exclus. Par conséquent un homme sage & prudent doit examiner ceux qui sont les plus dignes de porter le saint nom de Disciples de Jésus-Christ, & s'unir à eux.

Si l'on demande ce qu'il faudroit faire selon l'Esprit du Christianisme s'il ne se trouvoit aucune Assemblée Chrétienne qui enseignât publiquement la Doctrine de Jésus-Christ, & qui n'obligeât personne à condamner ce qui lui paroîtroit véritable. Alors celui qui auroit découvert l'Erreur, devroit s'appliquer à en retirer les autres, joignant à une prudence consommée 10la bonne foi & une sincérité parfaite, crainte de fournir aux autres quelque sujet de scandale, d'avoir travaillé sans fruit, & perdre l'espérance de leur insinuer la Vérité, & l'esprit de modération qui en est inséparable. Alors on pourroit dire avec sagesse & modestie ce qu'on croiroit être vrai, sans taxer d'erreur, ceux qui croient avoir la Vérité pour eux; mais Dieu n'a jamais abandonné, & n'abandonnera jamais le nom Chrétien jusqu'au point qu'il ne se trouve aucun homme digne de le porter, ou qui ne puisse s'en rendre digne, & avec lequel on puisse s'unir, supposé que les autres ne voulussent pas ouvrir les yeux à la lumiére de la Vérité, de sorte qu'on fût contraint de se séparer des opiniâtres, ce qu'on ne doit faire cependant qu'après avoir tenté toute sorte de moiens; 11s'il n'est pas permis de leur dire son sentiment avec douceur & modestie, & de suspendre son jugement à l'égard de ceux qu'on ne croit pas coupables ni par conséquent dignes de condamnation. La Religion Chrétienne défend de parler contre sa conscience, de mentir, de condamner les Innocens; Et il est certain que celui qui plein de respect & d'admiration pour la sainteté des Préceptes que Dieu lui a donné souffriroit toutes choses, plutôt que de les enfraindre, seroit très-agréable à Dieu, puis qu'une action de cette nature qui ne peut avoir pour principe qu'une connoissance de ses devoirs, & un amour très-ardent pour Dieu, ne peut manquer de lui plaire.

Note 10: (retour) La bonne foi. Ceci est conforme au Précepte de Jésus-Christ, qui Matt. X. 16. nous ordonne d'être prudens comme les Serpens, & simples comme les colombes. Simplicité qui ne doit pas cependant nous engager dans l'imprudence, & prudence qui doit nous éloigner de la fourberie, crainte de pécher contre la bonne foi. Nous pouvons même dire qu'il y en a très-peu qui se garantissent de ces écueils en prenant un juste milieu entre ces deux extrémités.
Note 11: (retour) S'il n'est pas permis. Pendant qu'on a le droit de suivre les lumiéres de sa conscience, & d'agir selon ses principes, on n'est point obligé de se séparer d'une Communion à moins qu'elle n'eût corrompu les fondemens du Christianisme; mais lorsqu'elle peut opprimer les consciences, & qu'on ne peut demeurer au milieu d'elle, qu'en dissimulant, ou renonçant à la Vérité, il faut alors l'abandonner puisqu'il n'est pas permis de mentir, ni de cacher la Vérité pour faire triompher l'Erreur & le Mensonge, autrement la lumière seroit mise sans le boisseau. C'est pourquoi Jésus-Christ ne s'est point séparé des Assemblées des Juifs, & les Apôtres ne les ont point abandonnées, pendant qu'il leur a été permis d'y enseigner & professer la Doctrine de leur Maître. Voi. Act, XIII. 46.

C'est pourquoi dans cette diversité de sentimens qui partagent les Chrétiens il faut examiner ceux qui pensent le plus juste; & ne condamner les autres, qu'après une pleine certitude qu'ils le méritent; nous atachant à ceux qui ne nous obligent à croire aucun Dogme que nous regardions comme faux; ni à condamner ceux que nous croïons vrais. Si nous ne pouvions trouver ces choses dans aucune Assemblée Chrétienne, il faudroit alors nous retirer avec ceux qui sont dans le même sentiment, pour n'être pas contraint de mentir en trahissant la Vérité.

§. III. Les plus dignes du nom Chrétien sont ceux qui enseignent la Doctrine la plus pure, dont Grotius a prouvé la vérité.

Une des questions les plus importantes, & des plus difficiles à décider, c'est celle où l'on demande qui sont ceux de tous les Chrétiens dont nous voions les Assemblées, qui pensent plus juste sur la Religion, & qui soient par conséquent plus dignes du nom de Chrétien qu'ils portent. Toutes les Communions différentes qui se sont séparées de Rome, & celle de Rome même, prétendent à ce glorieux privilége, mais mettant à l'écart toutes les raisons qu'elles apportent pour justifier ce titre, nous disons que l'une n'est pas plus croïable que l'autre, car il faudrait être insensé pour se laisser conduire sur ce sujet12 au hazard, & terminer toutes les Controverses par un coup de déz, pour ainsi dire.

Note 12: (retour) Au hazard. Voi. la Not. 9. pag. 379, §. II.

Or Grotius n'ayant prouvé la vérité d'aucun des Dogmes de toutes les Communions qui se disent Chrétiennes, mais s'étant uniquement ataché à la Religion que Jésus-Christ & les Apôtres ont enseignée aux hommes, il s'ensuit qu'il faut préférer cette assemblée de Chrétiens qui ne reçoit précisement que la Doctrine de Jésus-Christ & des Apôtres. On peut regarder comme la seule & vraye Religion Chrétienne, celle qui sans aucun mélange, sans aucune production de l'Esprit humain, peut se raporter toute entiére à Jésus-Christ comme à son Autheur; C'est à elle qu'il faut appliquer les preuves que nous trouvons dans son 2. Livre de la vérité de la Religion Chrétienne & qui ne peuvent convenir à aucune autre, si elle ne lui est conforme. Si quelqu'un ajoute ou diminue à la Doctrine de Jésus-Christ, il s'éloigne d'autant plus de la Vérité, que les additions ou les retranchemens qu'il fait, sont plus ou moins considérables, & lorsque je parle de la Doctrine de Jésus-Christ, j'entens celle qui est reçue comme telle de tous les Chrétiens, & qu'ils conviennent tous être renfermée dans les Livres du Nouveau Testament, ou pouvoir en être déduite par des conséquences tirées de ses Principes. A l'égard des Dogmes qui, selon le sentiment de quelques-uns, ont été établis de vive voix par Jésus-Christ, & les Apôtres, & se sont ensuite répandus par la Tradition, ou quelqu'autre moien qui les a transmis, de sorte qu'ils n'ont été écrits que long-tems après, je me contenterai de dire qu'ils ne sont pas reçus de tous les Chrétiens, comme sont les Livres du Nouveau Testament; je ne dirai pas qu'ils soient faux, à moins qu'ils ne soient contraires aux lumieres de la Raison & de la Révélation, mais je dirai que leur Origine est incertaine & douteuse; & que tous les Chrétiens ne s'accordent pas sur ce point comme sur les Dogmes dont Grotius a démontré la vérité. Or il n'y a point d'homme sage qui connoissant l'incertitude d'une chose,13 voulût s'y apuyer comme s'il en étoit très-persuadé, sur tout dans une affaire de la derniére importance.

Note 13: (retour) Voulût s'y apuyer C'est ce que St. Paul nous enseigne Rom. XIV. v. 23. où il dit que tout ce qui n'est point de foi est péche, où nous avons raporté les paroles de Philon dans son Livre des Errans Edit. Par. p. 469. Où il dit que le plus beau de tous les sacrifices, & la plus excellente de toutes les victimes, c'est de se tenir tranquile, & suspendre son jugement dans les choses qui ne touchent point la foi: & un peu après il ajoûte, qu'un Esprit paisible est en sureté dans les ténèbres, c'est-à-dire lorsqu'on ne sait quel parti prendre.

§. IV. Des choses dont les Chrétiens sont d'accord & de celles ou ils sont d'un sentiment contraire.

Quoiqu'on voie parmi les Chrétiens les disputes les plus vives, soutenues avec chaleur & animosité, qui les engagent à s'accuser mutuellement de nier les choses les plus évidentes, & les mieux prouvées, cependant il y en a qui sont si claires que chaqu'un les admet sans contradiction, ce qui forme une démonstration convainquante de leur vérité, puis qu'elles sont reçues d'un consentement unanime, sans que l'Esprit de contestation & de chicane qui aveugle ses Partisans puisse y former aucun nuage. Je ne prétens pas dire que toutes les choses dont on dispute soient incertaines & douteuses, parce que les Chrétiens n'en conviennent pas unanimement; car une chose peut paroître obscure à certaines Personnes, qui la trouveroient claire, si le préjugé, ou quelqu'autre Passion ne l'obscurcissoit dans leur Esprit; mais il n'arrivera presque jamais que des Partis contraires, & acharnés à la dispute, s'accordent sur une chose qui est obscure.

Les Chrétiens qui vivent aujourd'hui conviennent premiérement ensemble du nombre & de la vérité des Livres du Nouveau Testament; & si les Savans sont en dispute sur quelques Épîtres,14 c'est une chose qui n'est d'aucune conséquence puisqu'ils conviennent tous qu'elles sont divinement inspirées, & que ces sortes de controverses ne peuvent apporter aucun changement à la Doctrine Chrétienne. Ce consentement unanime est de la derniére conséquence, puisqu'il s'agit ici de la source indubitable de la Révélation sous la nouvelle Alliance, & qu'à l'égard des autres monumens de révélation que quelques-uns reçoivent, d'autres les révoquent en doute.

Note 14: (retour) Sur quelques Épîtres. Celle aux Hébreux, la 2. de St. Pierre, & les deux derniéres de St. Jean, sur les Autheurs desquelles les Savans sont partagés.

De plus les Chrétiens s'accordent sur plusieurs Points de Foi qui renferment ce qu'on doit croire, espérer, & pratiquer; par exemple, ils croient tous, pour retracer ces principaux Points, I. qu'il y a un Dieu Éternel, tout-puissant, souverainement bon & saint; qui posséde dans le dégré les plus parfait, les Attributs les plus excellents, sans aucun mélange d'imperfections; qu'il a créé le Monde, & tous ceux qui l'habitent, & qu'il conduit & gouverne toutes choses par les Loix de sa souveraine Sagesse. II. Que ce Dieu a un Fils unique, savoir Jésus-Christ né à Bethléem de la Vierge Marie sans connoissance d'homme, sous la fin de la vie d'Hérode le Grand, & sous l'Empire de César Auguste; qu'ensuite il fut ataché à la Croix où il mourut sous le Regne de Tibère, Ponce Pilate étant Intendant de la Judée; que sa Vie est raportée fidellement dans l'Histoire de l'Évangile; qu'il avoit été envoyé par son Pére pour apprendre aux hommes le chemin du salut, les racheter par sa mort de la malédiction éternelle, & les réconcilier à Dieu; que la vérité de sa Mission à été confirmée par plusieurs miracles, que sa mort a été suivie du triomphe de sa Résurrection, & qu'après avoir conversé plusieurs fois avec plusieurs Personnes, qui l'ont vu & touché, il est monté au Ciel en leur présence & eux le regardant; qu'il y regne, & n'en reviendra qu'au dernier jour, lorsque les Vivans & les Morts étant sortis de leurs Tombeaux, il les jugera selon l'Evangile; que tout ce qu'il a enseigné doit faire l'objet de nôtre foi, & que ce qu'il a commandé doit faire celui de notre obéïssance, soit qu'il regarde le Culte de Dieu, l'Empire que nous devons avoir sur nos passions, ou la charité du Prochain; que l'homme n'a jamais reçu de Préceptes plus saints, meilleurs, plus utiles,& plus conformes à sa nature, quoique tous les hommes, excepté Jésus-Christ, les transgressent, & ne puissent arriver au salut, que par la miséricorde de Dieu. III. Qu'il y a un Saint Esprit que les Apôtres de Jésus-Christ ont reçu, qui a opéré plusieurs miracles en leur faveur, & par leur ministére, qui anime la piété des hommes fidéles, & les fait perséverer dans l'obéïssance qu'ils doivent à Dieu, les fortifiant dans les Epreuves de cette vie, & que cet Esprit saint nous parlant par la voix des Apôtres, exige la même foi & la même obéïssance que le Pére & le Fils. IV. Que l'Église Chrétienne a été fondée & conservée depuis le tems de Jésus-Christ jusqu'au nôtre par le Pére, le Fils & le S. Esprit; que tous ceux qui joindront la repentance à la foi, obtiendront miséricorde de Dieu, & seront participans de la Vie éternelle lorsque Jésus-Christ viendra pour les résusciter; & qu'au contraire ceux qui auront refusé de croire à l'Évangile & de pratiquer ses Préceptes resusciteront, s'ils sont morts, pour souffrir des supplices éternels. V. Que tous les Chrétiens doivent reconnoître & professer ces vérités, soit dans le Batême où ils promettent de vivre d'une maniére conforme aux Régles de l'Évangile, & éloignée de vices & de la corruption du siécle, soit dans la S. Cene, où nous annonçons la mort de Jésus-Christ, selon ses préceptes, jusqu'à ce qu'il vienne, faisant connoître que nous voulons être ses Disciples, & regarder comme nos fréres ceux qui la célébrent comme nous, afin que ces Cérémonies étant pratiquées avec le respect & la piété qu'elles demandent, nous procurent l'Esprit de Dieu, & ses bénédictions spirituelles & célestes.

15Tous les Chrétiens croyent ces choses, & celles qui y ont une liaison essentielle (car il ne s'agit pas ici d'entrer dans un détail plus étendu sur ce sujet) & ils s'accordent tous sur ces Points, si ce n'est que quelques-uns y ajoûtent plusieurs choses pour servir de Commentaire, d'explication & de supplément à la Doctrine que nous avons raportée; ce qu'ils ne prouvent pas par les Écrits des Apôtres, mais par la Tradition, par la Pratique de l'Église, & quelques Écrits modernes, qui selon leur sentiment se sont perpétués de siécle en siécle. Je ne dirai de ces Additions que ce que j'ai déjà dit, que tous les Chrétiens ne sont pas d'accord sur ce sujet, comme sur les Dogmes que nous avons raportés, & dont la clarté est si évidente qu'ils écartent les moindres doutes, sitôt qu'on reconnoît l'authorité de l'Écriture qu'aucun Chrétien de bon sens ne peut nier.

Note 15: (retour) Tous les Chrétiens. Dans l'explication que nous venons de donner de la Doctrine Chrétienne, nous avons suivis l'ordre du Symbole appelé des Apôtres, évitant tous les termes contestés parmi les Chrétiens, parce qu'il s'agissoit des choses dont ils conviennent tous; cependant nous ne condamnons point comme faux ce qui peut y être ajoûté par voye d'explication ou de confirmation. Au contraire nous louons le travail & les soins de ceux qui nous ont communiqué leurs lumieres sur ce sujet, ne doutant point qu'on n'ait découvert & qu'on ne découvre encore plusieurs choses pour l'éclaircissement de ces Vérités. C'est pourquoi Tertullien a très-judicieusement pensé lorsqu'il a dit sur ce sujet dans son Livre de Virginibus velandis. Chap. I. La Régle de la foi est une seule dont la fermeté est invariable, savoir de croire en un seul Dieu Tout-puissant, Créateur du Monde, & en son Fils Jésus-Christ, né de la Vierge Marie, crucifié sous Ponce Pilate, résuscité des Morts le 3. jour, monté au Ciel, à présent assis à la dextre de Dieu, d'où il viendra juger les Vivans & les Morts par la résurrection de la chair. Cette Régle de la foi demeurant immuable, les autres Points de la Discipline, ou de la Doctrine, & de la conduite des moeurs, peuvent être rectifiés sous l'assistance & la direction particuliére la grace de Dieu &c.

Si l'on se rend attentif sur cette Doctrine, & qu'on pése les raisons qui prouvent la vérité de la Religion Chrétienne, on verra d'abord (ce qu'il est essentiel de bien remarquer) que la solidité de ces preuves ne porte pas sur les Points contestés, & qui divisent le Monde Chrétien, comme nous l'avons déjà insinué.

§ V. De quelle source chaqu'un doit tirer la connoissance de la Religion Chrétienne.

Un homme sage & prudent qui verra les Chrétiens disputer sur certains Points particuliers, & s'accorder unanimement sur d'autres, comprendra qu'il ne doit pas puiser la Religion Chrétienne dans une source équivoque & douteuse, mais dans celle dont ils reconnoissent tous unanimement la pureté. Or cette source ne peut être la Confession de Foi d'aucune Église particulière, mais les seuls Livres du Nouveau Testament qu'ils regardent tous comme très-véritables. Il est vrai qu'il se trouve des Chrétiens qui prétendent que ces Livres ne peuvent être entendus, qu'en y joignant la Doctrine de leurs Églises; mais d'autres s'inscrivent en faux contre ce sentiment, & tout ce qu'on peut dire sur ce sujet, c'est qu'une Opinion devient suspecte lorsqu'elle n'a pour apui que le témoignage de ceux qui la soutiennent, & qui ont un intérêt particulier à l'établir. D'autres avancent qu'il faut un secours extraordinaire du S. Esprit non seulement pour croire à l'Ecriture, ce qu'on accorde sans peine; mais aussi pour comprendre le sens des vérités qu'elle renferment, ce qu'ils auroient de la peine à prouver; mais supposons-le, pourveu que tous ceux qui lisent les Livres du Nouveau Testament dans le dessein de connoître la Vérité, avouent que dans ces dispositions Dieu leurs accorde cet Esprit par un effet de sa bonté, il n'y aura plus de disputes sur ce Point; chaqu'un agissant avec prudence & sans danger pourra puiser dans la lecture de ces Livres la connoissance de la Religion Chrétienne, en se servant des moiens qui sont utiles & necessaires pour les entendre, ce que nous n'examinons pas ici.

Tous ceux qui croyent que Dieu a pleinement révélé sa volonté par Jésus-Christ, dans les Livres du Nouveau Testament, se trouvent indispensablement obligés d'embrasser toutes les choses que ces Livres lui proposent comme l'objet de sa Foi; de son Espérance, & de ce qu'il doit faire & pratiquer; car celui qui s'atache à Jésus-Christ & le regarde comme son Docteur dans la foi, doit recevoir & s'atacher à tout ce qu'il a enseigné, sans qu'il puisse admettre aucune exception en recevant une partie de sa Doctrine & rejettant l'autre. Tels sont tous les Dogmes que j'ai raporté ci-dessus, & dont tous les Chrétiens conviennent ensemble d'un consentement parfait.

À l'égard des autres Points sur lesquels ils disputent, n'ayant pas la même évidence, un homme qui craint Dieu & qui a de la piété peut & doit examiner toutes choses & suspendre son jugement jusqu'à ce qu'il en ait une connoissance plus exacte; car il y auroit de l'imprudence d'admettre ou de rejetter des choses dont on ne connoîtroit ni la vérité ni la fausseté, puisque le salut éternel n'est pas promis dans les Livres du Nouveau Testament à celui qui embrassera un sentiment controversé plutôt que l'autre, mais à celui qui recevra d'esprit & de coeur les Points fondamentaux de la Doctrine Chrétienne que nous avons raporté.

§. VI. Qu'on ne doit prescrire aux Chrétiens que ce qui est tiré du Nouveau Testament.

On ne peut donc de droit 16obliger les Chrétiens à recevoir que les choses qu'ils croyent contenues dans les Livres du Nouveau Testament, pour pratiquer celles qui y sont commandées, & éviter les autres qui y sont défendues. Si l'on prétend leur imposer d'autre Loi, c'est sans en avoir ni le droit ni l'authorité. Car qui est le Juge équitable qui puisse obliger le Chrétien à croire qu'un Dogme est émané de Jésus-Christ, lorsqu'il n'en trouve aucun fondement dans le moien par lequel Dieu nous a transmis la révélation, de l'aveu de tous les hommes? Supposons qu'il y ait d'autres Dogmes qui soient vrais, ils ne peuvent avoir aucun motif de crédibilité dans l'esprit de celui, qui les voyant admis par les uns & contestés par les autres, prendra un milieu plus seur en s'atachant aux Livres du Nouveau Testament, comme à la source de la Révélation, sans vouloir entrer en discussion des Points disputés. Pendant qu'il se tient ferme à ce sentiment, on n'a aucun droit de lui demander autre chose, & il ne changera point jusqu'à ce qu'il soit persuade qu'on peut trouver dans une autre source la connoissance du Christianisme, ce que je ne croi pas qu'on puisse faire.

Note 16: (retour) Obliger de droit. C'est à quoi se raporte ce que Jésus-Christ nous dit Matt. XXIII. 8. & suiv. Mais pour vous, ne vous faites pas appeller, mon maitre; car vous n'avez qu'un seul maitre, savoir, le Christ, & vous êtes tous fréres! Ne nommez personne vôtre Pere sur la terre, car vous n'avez qu'un seul Pére; savoir, celui qui est au Ciel. Ne vous faites pas appeller conducteurs; car vous n'avez qu'un seul conducteur; savoir, le Christ. Voi. Jaq. III. 1. Apoc. III. 7. Où il est dit que Christ a la clef de David, qui ouvre, savoir le Ciel, & que personne ne ferme, qui ferme & que personne ne peut ouvrir. Or si Jésus-Christ doit être le seul objet de la foi, & que le Nouveau Testament renferme toute la Révélation qu'il a apporté sur la terre, il s'ensuit que toute la foi du Chrétien doit porter sur ces Livres.

17Si quelqu'un vouloit donc ôter aux Chrétiens les Livres du Nouveau-Testament, ou y ajoûter des choses dont ils n'ont aucune certitude, il ne doit pas être écouté, puisqu'il démande ce que la prudence deffend d'accorder, en voulant nous obliger à croire des choses dont nous ne sommes pas certains, & à en omettre d'autres que tout le monde regarde comme certainement révélées. Il n'est pas nécessaire à chaqu'un d'entrer dans un détail circonstancié de toutes les Controverses, ce qui demanderoit une discussion presqu'infinie, & ne peut convenir qu'aux Savans qui consacrent leurs veilles à cette étude, & qui ont du tems pour le faire. Celui qui veut nous forcer à croire ce que nous ne pouvons pas, nous chasse de sa Communion, parce qu'on ne peut faire violence à la foi, & qu'un homme craignant Dieu & qui aime la Vérité, n'aura jamais la criminelle complaisance pour qui que ce soit de faire profession d'une chose qu'il ne croit pas.

Note 17: (retour) Si quelqu'un vouloit. C'est ce que prouvent les paroles de S. Paul. Gal. I. 8. Mais si nous vous annoncions, ou si un Ange du Ciel vous annonçoit, autre chose, que ce que nous vous avons évangélisé, que nous & lui soions anathème. Certainement il ne convient à personne de vouloir ajoûter à l'Evangile ce qu'il croiroit nécessaire, ou en retrancher ce qu'il regarderait comme inutile.

Ceux qui sont d'un sentiment contraire nous objectent, que si chaqu'un à la liberté de juger des Livres du Nouveau Testament, on verra bientôt autant de Religions que de Chapitres, & que la vérité qui est unique sera opprimée par la multitude des Erreurs. Avant de produire des Objections, & de combatre le sentiment que nous avons établi ci-dessus, & qui est apuïé sur les raisons les plus fortes, je croi qu'il faudroit avoir renversé nos principes puis que ces principes étant toûjours les mêmes, la Doctrine qu'ils soutiennent demeure inébranlable comme il est facile de le prouver. Car s'il s'ensuit quelque difficulté de ce que nous avons établi, la vérité n'en est pas moins certaine jusqu'à ce qu'on ait montré que nos principes ne sont ni vrais, ni solides. Mais sans aller plus loin sur ce sujet, nous disons qu'il est faux que la Révélation du Nouveau Testament soit si obscure qu'un homme d'un esprit sain, & qui cherche avec ardeur & sincérement la Vérité, ne puisse y trouver, & n'y trouvé effectivement, les Points fondamentaux de la Religion Chrétienne, ce qui est prouvé par l'expérience, puisque tous les Chrétiens, comme nous l'avons montré, se trouvent sur ce sujet d'un contentement unanime, ce que Grotius a remarqué au §. XVII. de son II. Livre. Nous ne parlons pas ici de ceux qui ont le Cerveau blessé ou le coeur corrompu, nous portons nos veues sur les Communions entiéres des Chrétiens, qui quoique devisées & animées par des disputes continuelles, s'accordent toutes sur ce Point.

§. VII. Qu'on doit admirer la Providence de Dieu dans le soin qu'il a pris de conserver la Doctrine Chrétienne.

L'on doit admirer sur ce sujet, comme sur une infinité d'autres qui concernent la conduite & le Gouvernement de l'Univers, la Providence particuliére de Dieu, qui au milieu de tant de disputes qui ont été autrefois, & qui continuent encore aujourd'hui, a cependant toûjours conservé les Livres du Nouveau Testament dans toute leur pureté, afin de rétablir par ce moien la Doctrine Chrétienne toutes les fois qu'elle seroit altérée; nous ayant transmis ce Thrésor tout entier, mais ayant conservé la Doctrine qu'il renferme, au milieu de cette Mer orageuse de disputes, de sorte que les Points essentiels ne se sont jamais éclipsés de la memoire des Chrétiens.

Une partie considérable de Chrétiens prétend, que dans les siécles qui ont précédé, plusieurs Erreurs se sont imperceptiblement introduites & glissées dans les Écoles, ce que les autres nient, ce qui a causé en Occident cette séparation qui a divisé le Monde Chrétien en deux parties presqu'égales, seize cens Ans après la naissance de Jésus-Christ; cependant dans ces siécles mêmes, où l'Erreur a séparé une partie des Chrétiens de l'autre, & où ils se reprochent avec vérité les ténèbres, la corruption & les vices qui régnaient alors, le principaux Points de la Religion Chrétienne, que nous avons raporté, sont toûjours demeurez invariables sans vicissitude ni changement.

18Il n'y a point de siécle si ténébreux & si corrompu qui ne fournisse la preuve de cette vérité en lisant les Écrivains de ce tems là dont nous avons encore les Ouvrages. J'avoue, car il ne s'agit pas de dissimuler, qu'on a introduit dans la Théologie Chrétienne plusieurs choses étrangéres, inconnues, & qu'on a joint aux Écrits du Nouveau Testament; c'est pourquoi l'Evangile, cette semence de régénération n'a pas porté tant de fruits qu'elle eût fait, si on eût écarté les ronces, les épines des chicanes Scolastiques, qu'on peut comparer à de mauvaises plantes que la main du Pere Céleste n'a point planté. Les vices ont accompagné l'Erreur, non seulement on les a commis, mais on les a toléré, & canonisé dans la suite; cependant cette sainte Doctrine a toûjours été conservée pure & entiére dans les Livres du Nouveau Testament, & tous les Chrétiens s'accordent sur ce sujet. C'est pourquoi l'on a veu paroître dans la suite des hommes illustres qui se sont vivement oposés aux vices & aux Erreurs de leur siécle, qui les ont repris & censurés, & ont eu assés de zéle & de fermeté pour se roidir contre le torrent. C'est par ce moien que Dieu selon sa promesse a empêché 19que les portes de l'enfer ne prévalussent contre son Eglise, c'est-à-dire qu'il n'a jamais permis qu'il ne restât aucune Assemblée dans laquelle la Doctrine Chrétienne ne subsistât dans toute sa pureté, quoi qu'il s'y trouve quelques Dogmes particuliers quelquefois plus obscurs ou plus clairs. Or il est certain, pour le remarquer en passant, que si cette Doctrine ne fût émanée de Dieu, elle ne se fût jamais sauvée d'un déluge de vices & d'erreurs qui l'ont toûjours environnée; mais elle eût été renversée de fond en comble & ensevelie sous les variations, les caprices, & les vicissitudes de l'Esprit humain.

Note 18: (retour) Il n'y a point de siécle. Les Partisans de Rome, & ceux qui en sont séparés conviennent qu'il n'y a point eu de siécles plus malheureux que le 10. & 11. Cependant si quelqu'un veut lire ce que les Écrivains de ces siécles infortunés nous ont laissé dans la Bibliothèques des Peres, il y trouvera tous les Dogmes que nous avons raportés dans la § IV. Bernard Abbé du Monastère de Clervaux & qui vivoit au commencement du 12. siécles. Ce grand homme dont quelques-uns relévent avec tant d'Éloges la constance, l'érudition, la piété, & dont les Ouvrages transmis aux siécles futurs n'ont jamais été condamnés, raporte dans ses Écrits, les Points fondamentaux de la Doctrine Chrétienne. Les siécles qui ont suivi jusqu'au 16. prouvent la même Vérité, & ceux qui se sont écoulés depuis ce tems là ne laissent aucun doute sur ce sujet.
Note 19: (retour) Les portes de l'Enfer, ou du Sépulchre. C'est ainsi que nous avons traduit le terme, grec πύλας άδα, parce que ce terme & l'expression hébraique Scheol à laquelle il répond, n'a jamais signifié dans l'Écriture un Démon, mais seulement le sépulchre ou l'état des morts, comme, Grotius & d'autres l'ont remarqué, d'où l'on peut conclure qu'il y aura toûjours quelqu'Assemblée, qui conservera les Points fondamentaux de la Doctrine Évangélique.

§. VIII. L'on répond à la question, pourquoi Dieu a permis qu'il y eût des Erreurs & des disputes entre les Chrétiens.

L'on pourroit peut-être nous objecter ici, qu'il sembleroit que la Providence eût veillé avec plus de soin à conserver la Doctrine Chrétienne, si Dieu eût prévenu par sa toute-puissance les Erreurs qui ont été, & qui règnent encore aujourd'hui parmi les Chrétiens, & qu'il eût maintenu au milieu d'eux la vérité, la concorde & la paix. Mais nous apartient-il de prescrire à Dieu les Loix qu'il doit suivre afin que les choses soient mieux réglées dans le Gouvernement de l'Univers? Au contraire n'est-ce pas à nous à penser que Dieu qui est souverainement sage a eu des raisons particulieres pour souffrir ce qu'il a souffert, quoique ces veues qui sont impénétrables soient incompréhensibles à l'Esprit humain. Mais si l'on peut découvrir quelques raisons probables qui ont engagé Dieu à agir comme il a fait, nous devons croire que ces raisons & d'autres plus importantes l'ont déterminé à permettre & souffrir ce que nous voions sous nos yeux.

Mais avant de s'arrêter sur ce sujet à aucune conjecture, il faut établir que Dieu a résolu de créer 20les hommes libres, & de leurs conserver cette liberté jusqu'à la fin, c'est-à-dire qu'ils ne fussent pas tellement bons, qu'ils fussent contraints & nécessités de l'être toûjours, ni tellement mauvais qu'ils succombassent sous le pois des crimes, sans jamais s'en réléver; mais il les à créés changeans variables & inconstans afin qu'ils pussent passer alternativement du crime à la vertu & de la vertu au crime avec plus ou moins de facilité, selon que leurs habitudes pour le bien ou le mal auront été plus ou moins fortes. Le Peuple Juif nous fournit la preuve de cette vérité, que les Chrétiens confirment chaque jour par expérience. Les uns & les autres n'ont été contraints par aucune force insurmontable de pratiquer la vertu ou le vice; ils n'étoient conduits & dirigés que par les Loix qui promettent des récompenses aux gens de bien, & des punitions aux méchans, auxquelles Dieu joignoit des motifs pour les encourager à la pratique de la vertu, & les détourner du vice, quoiqu'ils aient toûjours été libres d'obéïr, ou de désobéir à Dieu, ce qui est justifié par l'expérience, puisqu'ils ont toûjours été bons ou mauvais lorsque la Loi de Dieu leurs prescrivoit également la pratique de la vertu, & leur deffendoit également le vice. Jésus-Christ nous a fait connoître que la même chose arriveroit parmi les Chrétiens, comme on le peut conclure des deux Paraboles qu'il a raporté21 l'une de la Zizanie que l'homme ennemi a semé & qui est crue avec le bon grain & 22l'autre du filet jetté dans la Mer & dans lequel se trouvent de bons & de mauvais Poissons, pour montrer que dans le Corps extérieur de l'Eglise il y auroit un mélange de bons & de mauvais Chrétiens, ce qui prouve qu'il a parfaitement connu les maux qui devoient arriver dans l'Eglise. S. Paul n'a-t-il pas averti les Corint. 23Qu'il falloit qu'il y eût des hérésies, afin que l'on découvre parmi vous ceux qui sont dignes d'être approuvez? 24Et s'il n'y avoit point eu de disputes & que tous les Chrétiens se fussent unanimement accordés sur la Doctrine, il n'y eût point eu d'occasion de choisir, & de pratiquer cette vertu, qui fait préférer la Vérité à toutes choses. La Sagesse de Dieu brille donc avec éclat sur ce sujet, puisqu'il fait tirer la vertu du milieu même des vices.

Note 20: (retour) Les hommes libres. Toute l'Antiquité Chrétienne n'a eu qu'un même sentiment sur ce sujet. Voi. Justin Mart. Apol. I. Chap. LIV. & LV. Iren. Liv. IV. Chap. IX. & XXIX. sur la fin Chap. LXXI. & LXXII. Orig. dans son Livre intitulé de Philocalia Chap. XXI. Euseb. Prep. Evang. Liv. VI. c. VI. & d'autres dont Denis Petau raporté les sentimens, au I. Tom. Dogm. Theol. Liv. VI. Chap. VI. l'on trouve encore plusieurs choses sur le même sujet Tom. III. Liv. III. IV. & V.
Note 21: (retour) L'une de la Zizanie. Matt. XIII. 24. & suiv.
Note 22: (retour) L'autre de filet. Mat. XIII. 47. & suiv.
Note 23: (retour) Qu'il falloit qu'il y eût. I Cor. II. 19. Car il faut qu'il y ait des hérésies entre vous, afin que ceux qui sont dignes d'approbation soient manifestés entre vous, c'est-à-dire qu'en considérant les hommes tels qu'ils sont, il faut, s'ils ne deviennent pas meilleurs, qu'il s'éléve au milieu de vous des Sectes qui distinguent les bons des mauvais, pendant que les premiers se trouveront unis à la Vérité & à la charité; & que les autres marcheront à travers champs. Voi. Matt. XVIII. 7.
Note 24: (retour) S'il n'y avoit point eu &c. Nous nous sommes étendus sur l'explication de ce sujet dans nôtre Histoire Ecclésiastique. Siec. I. an. 83. &c.

Mais si l'on dit 25comme font quelques uns qu'il eût été plus à propos que cette vertu n'eût jamais été pratiquée, que de voir régner des vices qui lui sont contraires, qui ont produit tant de crimes, tant de malheurs & de calamités parmi les hommes, & seront suivis des chatimens les plus rigoureux; nous répondons que ces Maux quelque grands qu'ils paroissent, n'ont pas empêché Dieu de donner des preuves autentiques de sa puissance en créant des êtres libres. Sans cela, aucune Créature n'eût connu sa liberté; Dieu même, quoique Souverainement libre, n'eût jamais été regardé comme tel, si par un effect de sa toute-puissance, il n'eut empreint dans l'esprit des hommes cette idée qu'ils ne se fussent jamais formée par la contemplation de ses Oeuvres. On ne lui eût même rendu aucun Culte, si l'on eût cru qu'il agissoit, non par une bonté souverainement libre, mais par contrainte & une nécessité indispensable de faire ce qu'il faisoit; & s'il eût reçu quelques homages, la liberté n'y eût point eu de part. On ne peut donc comparer les maux de cette vie, ni même de celle qui est à venir, avec un aussi grand mal que l'ignorance de Dieu, & l'anéantissement de la vertu; & si ces choses nous paroissent incompréhensibles & nous font de la peine, nous devons penser que Dieu qui est très-bon, très-juste, très-puissant & très-sage ne peut agir que d'une maniere conforme à ses perfections divines & infinies; qu'il trouvera facilement le moien d'éclaircir nos doutes, de résoudre nos difficultés, & justifier sa conduite, en montrant à toutes les Créatures intelligentes qu'il n'a fait que ce qu'il devoit faire. En attendant ce grand jour qui fera disparoître les ténèbres de l'ignorance, il a voulu donner des preuves de toutes ses vertus, pour nous engager à mettre en lui toute nôtre confiance, & à regarder ses Oeuvres dans des veues de justice & d'équité.

Note 25: (retour) Comme font quelques-uns. Pierre Bayle a produit cette objection ornée d'un faux brillant, & soutenue de tous les artifices que la Rhétorique peut fournir. Nous l'avons réfutés dans quelques volumes de nôtre Bibliothèque choisie, & principalement dans le IX. X. XI. & XII. composé en François.

Nous pourrions ajoûter ici plusieurs choses, mais elles nous éloigneroient de la fin que nous nous sommes proposés, en nous engageant dans une discussion qui ne convient pas ici.

§. IX. Que ceux là professent & enseignent la plus pure Doctrine de Jésus-Christ, qui ne proposent pour Regle de la foi, de l'espérance & des moeurs que les choses dont tous les Chrétiens sont d'accord.

Laissant toutes ces choses à l'écart, pour revenir au parti qu'on doit prendre entre les différentes Opinions qui partagent les Chrétiens, nous ne pouvons agir plus sagement & avec plus de sureté dans ses circonstances qu'en nous atachant à la Communion qui regarde l'Évangile comme la Régle de sa foi sans aucun mélange des Traditions humaines, & est contente que chaqu'un y conforme ce qu'il doit croire, espérer & pratiquer; ce qui étant exécuté de bonne foi, & sans déguisement, l'on trouvera la pureté de la Doctrine que nous avons montré avoir toûjours été la même malgré les révolutions des siécles, la multitude des Erreurs, les Orages des disputes, & les changemens des Royaumes & des Villes. L'Évangile renferme tout ce qui est necessaire pour régler la foi & les moeurs, & si l'on veut y ajoûter quelque chose, il faut montrer que ces additions ne sont faites que par raport à certaines circonstances de tems & de lieux, mais qu'on ne les propose pas comme nécessaires, ce qui n'apartient qu'au 26Souverain Législateur; sans cette restriction, on introduiroit facilement des Dogmes contraires.

Note 26: (retour) Souverain Législateur. Voi. Rom. XIV. 1. & suiv. L'Apôtre parlant de ceux qui vouloient prescrire aux autres de Rites particuliers, ou condamner ceux qui les pratiquoient, dit que ce droit n'apartient qu'à Jésus-Christ seul. Nous trouvons la même chose, Jaq. IV. 12. Il n'y a qu'un seul Législateur qui peut sauver & qui peut perdre.

Il n'est pas permis aux Chrétiens, comme nous l'avons remarqué, de se soumettre avec une obéïssance aveugle à toutes les Opinions des hommes, ou de faire une profession extérieure de ce qu'ils ne croient pas, pratiquant ce qu'ils condamnent intérieurement en eux-mêmes, parce qu'ils le croient contraire aux Préceptes de Jésus-Christ. C'est pourquoi lorsqu'ils n'ont plus cette liberté Chrétienne dont nous avons parlé, ils doivent se retirer non pas comme s'ils condamnoient ceux qui ne sont pas du même sentiment qu'eux, mais parce que chaqu'un doit agir selon ses lumieres, pratiquer ce qui lui paroît le meilleur, & éviter ce qu'il regarde comme un mal.

§. X. Que la prudence nous obliger de participer à l'Eucharistie avec ceux qui ne demandent des Chrétiens que ce que chaqu'un trouve dans les Livres du Nouveau Testament.

Jésus-Christ aiant établi deux Sacrements dans son Eglise, savoir le Batême & l'Eucharistie, il n'a pas dépendu de nous de recevoir le Batême dans l'Eglise qui enseigne & professe le plus pur Christianisme; puisqu'il nous a été administré dans l'âge le plus tendre & le plus incapable de ce discernement; mais ne participant à l'Eucharistie que dans un âge mur, nous pouvons examiner la Société Chrétienne dans laquelle nous voulons recevoir ce Sacrement, & si nous ne l'avons pas encore fait, nous sommes obligés de le faire dans la suite.

Il y en a qui au lieu de considérer l'Eucharistie, selon l'Institution de Jésus-Christ, comme un 27signe de paix, d'union & de charité entre les Chrétiens, la regardent comme l'Étendart de la division, & excluent de leurs Communion tous ceux qui ne veulent se soumettre qu'à ce que Jésus-Christ leur a proposé pour être le modèle de leur foi, l'objet de leurs espérance & la régle de leur conduite; qui ne reçoivent ce qu'ils sont persuadés être contenu dans l'Evangile, leur conscience ne leur permettant pas d'admettre d'autre Régle que celle dont nous avons parlé; sujet qui ne paroît pas mériter d'être exclus d'une Assemblée. Il est permis, & l'on doit conserver la paix & l'union avec ces sortes de Personnes, mais il n'est jamais permis à un homme sage & craignant Dieu de 28participer à l'Eucharistie avec ceux qui veulent admettre d'autre Régle de la foi & des moeurs que l'Evangile, & qui éloignent de leur Communion ceux qui sont d'un sentiment contraire; mais a l'égard des Chrétiens qui n'admettent d'autre moien d'arriver au salut que celui que Jésus-Christ & les Apôtres nous ont prescrit dans l'Evangile, & que chaqu'un y peut trouver; l'on peut en toute sureté, & l'on doit même participer avec eux à l'Eucharistie si l'on est véritablement ataché à l'Évangile. Car il y a une grande différence entr'eux, & les autres dont nous avons parlé ci-dessus; puisque tous ceux qui sont appellés, & qui participent à la même Table reçoivent tous également les Livres du Nouveau Testament comme la seule & unique Régle de la foi & des moeurs, à laquelle ils veulent conformer toutes leurs actions; qui n'admettent aucune Idolatrie, & ne regardent pas comme Ennemis ceux qui reçoivent quelque Dogme qu'ils n'adoptent pas eux-mêmes. Il est certain qu'on ne doit pas communier avec ceux qui veulent forcer les autres à recevoir leur Doctrine, ou leurs sentimens particuliers; qui adorent d'autre Divinité qu'un seul & vrai Dieu Pére, Fils & S. Esprit; qui prouvent par leurs Oeuvres, qu'ils s'embarassent peu de Préceptes de l'Évangile; qui reconnoissent d'autre moien de salut que ceux qui sont marqués dans les Livres de l'Alliance éternelle; mais ceux qui ont des sentimens contraires & qui en fournissent les preuves méritent qu'on s'unisse à eux, & qu'on les préfere à tous les autres. Il n'y a point29 d'homme ni d'Ange même capable de prescrire au Chrétien un nouvel Evangile comme l'objet de sa Foi, & c'est cet Evangile qui le rend vrai Disciple de Jésus-Christ, lorsqu'il s'atache à sa seule Doctrine; qu'il lui obéït autant que la foiblesse humaine le peut permettre; qu'il adore un seul Dieu, qu'il aime son Prochain comme soi-même, & qu'il conforme ses actions aux Régles de la tempérance & de la sobriété. Si l'on retranche quelque chose de ce que nous venons de marquer, l'on tronquera les Loix de l'Alliance dont personne ne peut dispenser que Dieu seul; si l'on y ajoûte, c'est un joug inutile que personne n'a droit d'imposer aux Chrétiens. Dieu seul, souverain Arbitre du salut éternel, est le souverain Législateur de qui les Chrétiens peuvent recevoir la Loi.

Note 27: (retour) Comme un signe de paix. Voi. I. Cor. X. 16. 17. où après avoir parlé du Calice, & du pain de l'Eucharistie dont plusieurs sont participans, il ajoûte, quoi que nous soyons plusieurs, nous ne sommes qu'un seul pain & qu'un seul corps; car nous participons tous à un seul pain. Paroles qui prouvent que l'Eucharistie est un signe d'union entre les Chrétiens, comme l'on judicieusement remarqué les plus célèbres Interprétes.
Note 28: (retour) Participer à l'Eucharistie. Grotius a été du même sentiment comme il paroît par un petit Livre qui a pour titre. Si l'un doit toûjours participer aux signes, où il traite des raisons qu'on peut avoir de ne pas communier. Tom. 4. Oeuv. Theol. p. 511.
Note 29: (retour) Il n'y a point d'homme. Voi. la Not. sur. §. I.

On pourroit nous demander par quel titre ces Assemblées Chrétiennes, dont nous venons de tracer le portrait, sont distinguées des autres; mais il ne s'agit pas ici d'une dénomination particuliére: le Lecteur doit être persuadé que par tout où il trouvera les Principes que j'ai établis, ce sont les Assemblées que j'ai eu en vue; partout où sera cette seule & unique Régle de la Foi, & cette liberté de Conscience dont j'ai parlé, qu'il s'assure que c'est là le véritable Christianisme, sans s'atacher à aucun nom particulier, ce qui ne fait rien à la chose. Je croi qu'il y en a plusieurs de ce caractére, & je demande à Dieu de tout mon coeur qu'il les augmente de jour en jour, afin que son Royaume vienne & soit étendu dans toutes les parties du Monde; que tous les hommes lui obéïssent, & ne rendent hommage qu'à lui seul.

§. XI. De la Discipline Ecclésiastique.

Il se présente ici quelque difficulté sur la forme extérieure du Gouvernement de l'Église, ce qu'on appelle la discipline Ecclésiastique: car il n'y a point de Société semblable à celle de l'Église qui puisse subsister sans ordre, c'est pourquoi il a fallu établir quelque forme de Gouvernement. Or on démande quel modelle les Apôtres nous ont laissé sur ce sujet, & de quelle maniére ils ont conduit & gouverné né les Églises, puisque ce qui a été établi dès le commencement semble mériter la préférence, & que de deux Églises qui enseignent également la Doctrine de Jésus-Christ dans toute sa pureté, il faudroit préférer celle qui suivroit dans la Pratique le Gouvernement des Apôtres, quoique ce Gouvernement seul destitué de la Prédication de l'Évangile ne fût qu'un fantôme d'Église.

Or il se trouve aujourd'hui deux sortes de Gouvernement; l'un par lequel l'Église est conduite sous l'autorité d'un seul Évêque, qui a seul le droit d'ordiner des Prêtres & d'autres Ministres d'un ordre inférieur; l'autre dans lequel tous les Ministres ont un pouvoir égal, & associent à leur Gouvernement quelques personnes de l'Église, sages, prudentes, & d'une conduite sans reproche. Ceux qui ont lu sans préjugé ce qui nous reste des plus anciens Écrivains de l'Église; 30ne peuvent ignorer que la premiére forme de Gouvernement qu'on appelle Épiscopal, tel que nous le voyons établi dans la partie méridionale de l'Angleterre, fut mis en pratique dans le premier siécle après les Apôtres, ce qui suffit pour conclure qu'il est d'institution Apostolique; mais à l'égard de celle qu'on appelle Presbytérienne, elle doit son origine à ceux qui s'étant séparez de la Communion de Rome dans le 16. siécle, l'on établie en plusieurs endroits de France, d'Allemagne, de Suisse, & de Flandres.

Note 30: (retour) Ne peuvent ignorer. Voi. notre Histoire Ecclésiast. l'an. 52. 6. 68. 8. & suiv.

Ceux qui ont lu l'Histoire de ce siécle savent, que cette forme de Gouvernement ne fut introduite que parce que les Évêques refusérent d'accorder la Réforme qu'on demandoit dans la foi & dans les moeurs, & qu'on jugeoit indispensable pour extirper les Erreurs & abolir les Vices. Si les Évêques de ce tems là eussent voulu faire librement & de bon coeur, ce que firent dans la suite ceux d'Angleterre l'on verroit une uniformité de Gouvernement parmi tous ceux qui se sont séparés de Rome, & l'on eût prévenu une infinité de malheurs, suites ordinaires des troubles & des divisions; car examinant la chose avec attention, l'on voit que la seule raison qui a fait changer le Gouvernement, c'est qu'on ne pouvoit rien obtenir ni espérer de juste & d'équitable de ceux qui conduisoient alors. C'est ce qui a fait introduire la forme Presbytérienne, qui étant une fois établie, il a été, & il est encore aujourd'hui de l'intérêt des Souverains & des Magistrats de la maintenir, à moins de vouloir porter le trouble & la division dans les Provinces & dans les Villes, ce que des personnes sages n'accorderont jamais, & ce qui ne seroit pas à souhaiter. La forme du Gouvernement fut autrefois établie pour conserver la Doctrine Chrétienne, & non pas pour troubler la République qui ne pourroit être agitée, sans que la Religion en ressentît le contrecoup.

C'est pourquoi les personnes les plus sages qui auroient souhaité que le Gouvernement le plus conforme aux tems Apostoliques eût été établi partout, ont cru qu'il étoit plus à propos de laisser les choses dans l'état où elles sont, que de s'exposer aux dangers inévitables qui accompagnent presque toûjours les changemens & les nouveautés. Cependant les plus judicieux n'ont point conçu pour ce sujet de sentimens de haine & d'animosité les uns contre les autres; ils ne se sont ni chargez d'outrages, ni condamnez, comme ont coutume de faire ces Esprits brouillons qui n'agissent que par intérêt de Parti, comme si le salut éternel dépendoit de la forme du Gouvernement Ecclésiastique, ce qu'on ne prouvera jamais par l'Écriture ni par l'Esprit de la Religion Chrétienne.

§. XII. Que Grotius a beaucoup estimé l'ancienne Discipline, quoiqu'il n'ait jamais condamné l'autre.

Ceux qui ont lu les Écrits du célèbre Grotius, & qui ont examinés sa Doctrine & ses moeurs, sont très-convaincus qu'il s'étoit formé 31une juste idée de la Doctrine la plus pure dont il a prouvé la Vérité, & qu'il n'a jamais cru d'autre Religion véritable; mais parfaitement instruit de ce que les Auteurs Ecclésiastiques ont raporté sur ce sujet, & voiant que la forme du Gouvernement Épiscopal étoit la plus ancienne, il l'à approuvée de la maniere qu'elle subsiste en Angleterre, comme on en peut juger par ses paroles32 raportées au bas de la page. Il ne faut pas douter que si la chose eût dépendu de lui, & qu'il n'eût pas été agité par de si fâcheux contretems, & aigri par la malignité de ses Ennemis, il ne se fût joint à ceux qui suivoient cette ancienne forme de Discipline & qui n'eussent exigé de lui que la pure Doctrine Chrétienne que nous avons raportée, & dont il a lui-même prouvé la Vérité. Ce qui nous engage à avoir cette pensée est fondé sur des raisons qui nous ont paru si importantes, que nous les avons jointes à ce petit Livre.

Note 31: (retour) Une juste idée. Voi. entr'autres choses l'Instruction des Enfans Chrétiens que l'Auteur a traduit des Vers flamans en Latin. Tom. 4. Ouvrag. Theol. p. 629. Il a souvent même répété dans ses derniers Ouvrages que tout ce qui est nécessaire au Salut est clairement renfermé dans le Nouveau Testament. Voi. ses Remarq. fur les Consult. de Cassand. à la fin, où il traite de la suffisance & de la clarté de l'Écriture, de sorte que selon ses Principes, chacun peut tirer de là les Points essenciels de la Doctrine Chrétienne que nous avons raportés.
Note 32: (retour) Par ses paroles raportées &c. Remarq. Consult. de Cassand. 14. Les Évêques sont supérieurs aux Prêtres, & nous trouvons cette dignité de prééminence établie par Jésus-Christ dans la personne de Pierre & continuée par les Apôtres partout où ils en ont trouvé l'occasion, pratique approuvée par le S. Esprit dans l'Apocalipse; c'est pourquoi comme il est à souhaiter que cette pratique soit établie par tout &c. Voi. ce qu'il dit ensuite touchant la puissance Ecclésiastique, & dans l'Examen de l'Apologie de River. p. 714. Col. 2. a quoi l'on pourroit joindre les lettres qui sont à la fin de ce petit Ouvrage.

§. XIII. Exhortation à tous les Chrétiens divisés de sentimens de n'exiger les uns des autres la créance d'aucun Point de Doctrine, que de ceux dont chacun connoit la certitude par la lecture du Nouveau Testament, & qui a toûjours fait l'objet de la Foi.

Les choses étant comme nous les avons raportées, nous ne pouvons trop exhorter les Chrétiens de se souvenir que ce que nous avons dit renferme toute l'essence de la Religion Chrétienne dont la Vérité peut être prouvée par les Argumens de Grotius, & qu'il ne s'agit pas de Points de dispute que chacun conteste de part & d'autre, & qui ont enfanté tant de maux: puisqu'on ne peut persuader à personne, qui aura lu & médité avec attention & respect le Nouveau Testament, qu'il y ait un 33autre Législateur que Jésus-Christ des Loix duquel dépende l'Éternité du Salut; ceux qui seront convaincus de ces Vérités, ne pourront jamais obtenir d'eux-mêmes, d'admettre ou regarder comme nécessaire au Salut & essentiel à la Foi ce qui ne sera pas fondé dans la Doctrine de Jésus-Christ & des Apôtres, soit qu'il le regarde comme vrai, ou qu'il croie lui être contraire. C'est pourquoi le meilleur & le plus éficace ce de tous les moiens qu'on puisse employer pour terminer les disputes, c'est de n'obliger personne à croire que ce qu'il connoit certainement être révélé; & l'on ne doit pas craindre les inconveniens qui en pouroient arriver, puisque l'Expérience démontre que dans la durée de tous les siécles qui se sont écoulés depuis Jésus-Christ jusqu'à nous il n'y a pas eu un homme de bon sens qui ait rejetté les Points essentiels de la Doctrine Chrétienne que nous avons raportés. Si l'on ne demandoit que cette seule chose 34& qu'on voulût se fixer sur ce qui est essentiel à la Foi, les disputes seroient bientôt terminées, & les autres Points, dont on ne conviendroit pas unanimement, ne regarderoient plus le corps entier des Églises, mais les particuliers qui agissant chacun selon les lumieres de leur Conscience, en doivent un jour rendre compte à Dieu: s'ils pouvoient se persuader qu'ils sont tous d'accord sur les Points fondamentaux de la Religion, comme cela est vrai, & qu'ils se tolérassent mutuellement sur le reste, sans employer la violence ou de lâches & d'indignes artifices, pour attirer les autres dans leurs sentimens, & les astreindre à leurs Culte; c'est en quoi consisteroit la paix qu'on peut espérer sur la terre. 35L'ignorance des hommes, soutenue & fortifiée des préjugés qui les aveuglent, ne doit pas faire espérer à une personne sage & prudente de pouvoir les réunir tous dans un même sentiment, soit qu'on y emploie la violence, ou qu'on les convainque par les raisons les plus solides. Les Esprits les plus éclairés, & les coeurs les plus nobles n'ont jamais approuvé la violence, qui est le ministre de mensonge, & non pas de la Vérité; & les Savans qui se laissent souvent éblouir par de fausses lumieres, ou aveugler par les préjugés de l'éducation, & d'autres motifs particuliers, connoissent assés le poids des raisons qu'on leurs propose; ce qui rend inutile la violence qu'on leurs voudroit faire pour les forcer d'agir ou de parler contre leurs consciences. Que ceux qui sont chargés du Gouvernement de l'Église soient contens qu'on croie à l'Évangile, & qu'on établisse ce Point de Foi, comme ce qu'il y a de plus essentiel, qu'on observe ses Préceptes, & qu'on espére le Salut de la fidélité avec laquelle on observera ses Loix, alors tout sera dans l'ordre; mais pendant qu'on fera un mélange des Traditions humaines avec la Révélation, & qu'on voudra unir les choses douteuses avec celles qui sont certaines, les disputes ne finiront point, & il n'y aura aucune espérance de paix que tous les gens de bien & qui ont de la piété doivent demander à Dieu de tout leurs coeur, contribuant à la procurer par tous les moiens dont ils sont capables.

Note 33: (retour) Un autre Législateur. Les paroles de S. Jaq. IV. 12. sont formelles sur ce sujet; nous les avons citées au §. 5. avec d'autres qui s'y raportent. De plus la chose parle d'elle-même, puisque les Chrétiens étant divisés par des sentimens contraires, personne ne voudra se soumettre aux raisons du Parti oposé.
Note 34: (retour) Cette seule chose. Ce fut le sentiment du Jaques I. Roi d'Angleterre, si nous en croions Casaubon, qui dans la réponse aux Lettres du Cardinal du Perron à la 3. Observ. p. 1612. nous raporte ces paroles. Le Roi croit qu'il n'y a pas un grand nombre de choses nécessaires au Salut, c'est pourquoi sa Majesté se persuade que le meilleur & le plus court moien pour établir la paix & l'union, c'est de séparer avec precision les choses qui sont nécessaires de celles qui ne le sont pas, & d'emploier tous ses soins pour convenir des choses qui sont absolument nécessaires, accordant une entiére liberté sur celles qui ne le sont pas.
Note 35: (retour) L'ignorance des hommes. Hilaire a pensé très-juste, lorsqu'il a dit sur la Trinité Liv. 10. N. 70. Dieu ne nous a point appellez au Salut & à la Vie éternelle par des questions épineuses & difficiles; il ne veut point nous attirer à lui par les traits d'une Éloquence mondaine: ce qu'il nous prescrit pour arriver à l'Éternité est également absolu & facile, c'est de croire que Dieu a résuscité Jésus-Christ des morts & le reconnoître & confesser pour notre Seigneur.



LIVRE

Contre l'indifférence des Religions

par Mr. LE CLERC.

§. I.
uiconque a dit le premier1 qu'il y avoit une Alliance immuable entre l'Esprit de l'Homme & la Vérité d'où les effects sembloient dépendre, quoique souvent interrompus par les Passions & les changemens des hommes, sans cependant jamais se séparer, paroît avoir voir pensé très-juste. Car il n'y a personne qui veuille être trompé, & qui n'aime mieux connoître la vérité des choses que d'être dans l'erreur à leur égard lors qu'elles sont importantes, & même quand elles ne consisteroient que dans une simple contemplation. Nous aimons naturellement le vrai, & nous haïssons l'Erreur, de sorte que si nous connoissions le chemin qui conduit a la Vérité, nous le suivrions sans contrainte; c'est pourquoi tant de grands hommes ont immortalisé leur mémoire en emploiant toute leur Vie à la recherche de la Vérité. Il y en a eu une infinité, & il s'en trouve encore aujourd'hui parmi les Physiciens, & les Géomètres qui se sont donné des peines inconcevables pour la découvrir; 2& qui ont avoué n'avoir jamais goûté de plaisir plus sensible & plus doux, que lors qu'après de longues & pénibles recherches, ils ont enfin trouvé le vrai. Nous regardons même la connoissance & l'amour de la Vérité, comme un des plus glorieux Privileges qui distinguent les hommes des Animaux.

Note 1: (retour) Quiconque a dit le premier. Jean Smith dans ses Diff. imp. à Lond. en 1660. Augustin Sorin. 140. sur les paroles de l'Évang. de St. Jean. Tom. S. Col. 682. Tout homme cherche la Vérité & la Vie, mais chaqu'un n'en trouve pas le chemin; & au même serm. 140. Col. 726. l'Esprit hait l'Erreur, & l'on peut comprendre le degré de la haine qu'il lui porte, puisque la joie de ceux qui ont l'esprit troublé, est un sujet de compassion qui fait pleurer les sages. Si l'on proposoit le choix de ces deux choses: Voulez vous être dans l'Erreur, ou suivre la Vérité, il n'y a pas un homme qui ne prît les dernier parti.
Note 2: (retour) Et ont avoué n'avoir jamais goûtés de plaisir. Voi. la Vie de Pythagor. par Diogene Laërce Liv. I. 12.

Mais comme chaque Vérité n'est pas de la même importance, qu'il y a certains Dogmes Théoriques que nous négligeons d'approfondir, parce qu'ils ne pourroient nous procurer aucun avantage, ou du moins très-peu; & que leur recherche semble ne pas mériter tant de peines; il y en a d'autres qui sont si importans que nous consacrons de bon coeur nos soins les plus assidus & nos travaux les plus redoublés pour les connoître; tels sont ceux qui nous enseignent les moiens de couler nos jours dans la paix, le bonheur & la tranquilité, ce que tous les hommes estiment & recherchent avec ardeur & empressement. Si nous joignons à une vie bien réglée & heureuse (car ce qui est bon, c'est-à-dire conforme à la Vérité doit toûjours être regardé comme heureux) le bonheur éternel qui doit suivre cette vie si courte, ce que tous les Chrétiens dans toutes les Communions différentes font profession de croire; l'on avouera que la connoissance des moiens moiens par lesquels on y peut parvenir mérite toute nôtre étude, nos recherches & nôtre application.

§. II. Qu'il n'y a rien de plus important que la Religion, & que par conséquent l'on doit emploier tous ses soins à la connoître.

Nous ne parlons point ici à ceux qui méprisent toute sorte de Religions & nous n'avons rien à leur dire; le célèbre Grotius les a si solidement réfutés dans l'Ouvrage dont nous avons parlé ci-dessus, qu'il n'y a point d'homme qui cherche la Vérité, qui puisse, après l'avoir lu, révoquer en doute qu'il y a un Dieu qui veut être honoré des hommes, & qu'ils lui rendent le Culte que Jésus-Christ a établi, promettant à ceux qui le serviront de cette maniere la félicité éternelle après cette vie fragile & périssable.

Sur ce principe, personne ne peut douter que la Religion ne soit de la derniere importance, & que se trouvant plusieurs Assemblées de Chrétiens différens dans leurs Dogmes, on doit s'appliquer à connoître celle qui est la plus conforme à la Doctrine & aux Préceptes de Jésus-Christ. On ne peut pas les regarder toutes dans le même point de vue, & les considérer comme étant égales, puisqu'il y en a plusieurs si différentes dans la Doctrine & dans le Culte, qu'elles s'accusent réciproquement des Erreurs les plus monstrueuses, & du Culte le plus corrompu; qu'il y en a même quelques-unes qui excluent les autres du Salut éternel. Si la chose étoit vraie, il faudroit s'en séparer d'abord pour s'atacher à ceux qui se disent véritablement Chrétiens, & qui objectent à leurs Adversaires des Points si essenciels. Car il ne s'agit pas simplement de cette vie fragile & mortelle, sujette à une infinité de maux, de chagrins & de traverses dans quelqu'état qu'on soit placé; mais il s'agit des supplices dont Dieu menace ceux qui ne croiront pas à l'Évangile, & de la possession d'un bonheur éternel & infiniment parfait.

Cependant l'on trouve des hommes, qui à la vérité ne sont pas savans, & n'ont jamais lu ni médité l'Écriture, qui par conséquent ne connoissent point les sujets contestés entre les Chrétiens, & ne peuvent savoir qui a raison; ceux de ce caractére s'embarrassent peu d'entrer dans cette discussion, se persuadant qu'il est permis d'embrasser le sentiment, ou de pratiquer le Culte qu'on veut. La chose leur paroît indifférente quelque Communion Chrétienne qu'on suive, & dont on fasse profession. Nous ne parlons pas simplement du menu Peuple, mais il y a des Roiaumes où non seulement le Commun, mais les Grands & les premiers de l'État après s'être séparés de l'Église Romaine, y rentrèrent sous un nouveau Regne, & parurent ensuite les plus zélés à secouer son joug, lorsque le Gouvernement changea de face. Sous Henri VIII. Roi d'Angleterre, on fit plusieurs Ordonnances contre l'Église Romaine, non seulement par la seule autorité du Roi, mais du consentement des principaux Officiers de la Couronne, & des plus Grands du Royaume; & ceux même qui n'approuvoient pas les raisons de ce Prince souscrivirent cependant à sa volonté. Après sa mort, son fils Edouard VI. qui lui succéda, aiant embrassé le Parti de ceux qui s'étoient séparés de la Communion de Rome, ce que son Pére avoit déjà fait, & qui avoient établi des Dogmes condamnés par le Pape & ses Adhérans, les principaux du Roiaume firent une profession publique de la Religion du Roi. Edouard étant mort, Marie sa soeur, entièrement dévouée au Pape, monta sur le Thrône; l'on vit alors les Grands du Roiaume se joindre à la Reine & devenir zélés persécuteurs de ceux qui sous le Regne précédent avoient paru avec éclat & méprisé l'Autorité de Rome; après la mort de Marie, Elizabeth lui succéda, & qui aiant suivi les sentimens d'Edouard son frére affermit la Religion par un long Regne, & en posa des fondemens si solides, qu'ils lui servent encore aujourd'hui des base & de soutien.

Ceux qui liront l'Histoire de ce Siécle, verront que ces variations de la part des Grans du Roiaume ne peuvent avoir pour principe qu'une fausse persuasion que l'on peut également trouver le Salut éternel dans toutes les Communions Chrétiennes. J'avoue qu'on peut attribuer une partie de ces changemens à la crainte; mais quand je me représente le courage des Anglois, la constance & le mépris de la mort dont ils ont si souvent fourni des preuves, je croi facilement que l'atachement à la vie & l'indifférence de la Religion, principalement dans les Grands du Roiaume, ont été les mobiles de ces variations si sensibles.

§. III. Que l'indifférence de Religion n'est pas permise d'elle-même; qu'elle est deffendue par les Loix divines, & condamnée par toutes les Communions Chrétiennes.

Plusieurs raisons démontrent avec évidence, que c'est une Erreur très-dangereuse de croire qu'on peut placer la Religion parmi les choses arbitraires, qu'on peut changer comme un habit, conformant sa Créance & sa Foi aux circonstances du tems où l'on se trouve. Nous raporterons sur ce sujet les principales raisons tirées de la nature de la chose même, des Loix divines, & du consentement unanime de tous les Chrétiens.

Premiérement il est honteux de mentir & sur tout dans une chose importante, puisqu'il est deffendu de le faire dans la plus légère, à moins de produire plus de fruit par le mensonge que par la vérité; mais ici les hommes ne peuvent ni mentir ni dissimuler sans s'exposer à un danger très-évident, puisque confirmant le mensonge autant qu'ils en sont capables dans une chose si importante, ils oppriment la Vérité & la retiennent captive dans les ténèbres. Exemple contagieux, principalement dans les Personnes distinguées sur qui le Peuple régle sa conduite, & qui se rendent coupables non seulement de leurs propres péchés, mais de ceux où ils entraînent les autres par leur mauvais exemple; ce qui fait d'autant plus d'impression sur les Esprits, qu'on se rend toûjours plus attentif sur les actions des Supérieurs que sur leurs paroles.

Il est également honteux & indigne d'un Coeur noble & généreux de mentir pour conserver une vie fragile, périssable & mortelle, & aimer mieux déplaire à Dieu qu'aux hommes. C'est pourquoi les plus grans Philosophes ont préféré la mort, aux actions qu'ils croioient condamnées par la Divinité. 3Socrate nous en fournit une preuve, puisqu'il aima mieux boire de l'extrait de Ciguë, que de vivre & cesser de parler en Philosophe selon sa coutume. D'autres se sont4 exilés de leur Patrie, plutôt que de renoncer aux Opinions qu'il avoient soutenues les croiant véritables. Il s'en est trouvé d'assés courageux parmi les Païens pour oposer une conduite réglée au torrent du vice, couvrir de honte la corruption de leur siécle par les reproches les plus vifs, & cru qu'il valoit mieux mourir que de flatter un Tiran, & changer leur maniere de vivre. Tels ont été Thraseas 5le louche & 6Helvidius l'ancien qui choisirent la mort, plutôt que d'approuver par de lâches & d'indignes flatteries les vices & le déréglement des Empereurs; ce qui aiant été pratiqué par des hommes qui n'avoient qu'une espérance incertaine d'une vie plus heureuse que celle-ci, doit faire une impression plus vive sur ceux qui ont une espérance invariable d'une félicité éternelle.

Note 3: (retour) Socrate. Voi. ce que nous avons raporté sur ce sujet dans nos Ouvrages de Littérature, Liv. I. C. III.
Note 4: (retour) Exilés de leur Patrie. Galeaux dans le Livre où il montre que les affections de l'Ame suivent les mouvemens du Corps: Chap. dern. sur la fin parlant des Stoïciens, dit qu'ils ont mieux aimé abandonner leur Patrie, que de trahir leurs sentimens en cachant leur Doctrine.
Note 5: (retour) Thraséas le louche. Fut mis à mort sous le Regne de Néron, parce qu'il ne voulut pas le flatter dans ses vices. Voi. Annal. Tacite, Liv. XVI. XXIV. & suiv.
Note 6: (retour) Helvidius l'ancien. Gendre de Thraséas, à qui on commanda de sortir d'Italie, selon le raport de Tacite dans le même endroit; qui fut ensuite mis à mort par Vespasien, comme nous le raporte Suétone Chap. XV. parce qu'il n'avoit pas témoigné assez de respect pour son nouveau Souverain. Le Fils d'Helvidius eut le même sort, puisque Donatien le fit mourir. Voi. Sueton. dans sa Vie, & Tacite dans la Vie d'Agricola. C. XLV.

Tous les Siécles ont immortalisé la mémoire de ceux qui se sont exposés à la mort avec un courage intrépide pour le salut de leur Patrie; & sur ce principe, qui pourra refuser des louanges à ceux qui ont préférés le Ciel à la terre, & une Vie éternelle & bienheureuse que la Révélation nous découvre, à cette vie mortelle & fragile qui doit finir un jour? Qui au contraire ne blameroit pas une ame basse qui aime mieux conserver une vie qui lui est commune avec les Bêtes & qu'elle doit bientôt perdre, que de le mettre en possession d'une vie bien heureuse & immortelle lorsque l'occasion s'en présente? Nous voions des Soldats affronter avec intrépidité les périls les plus dangereux moins par amour pour leur Patrie, que pour acquérir & se conserver la faveur & la bienveillance du Prince & du Souverain, & la faire ensuite réfléchir sur leur Famille. Nous les voions sur le bord du Tombeau se féliciter que leurs Enfans soient intéressés dans les plaies qui leurs procurent la mort. Combien de Mercenaires qui combattent & exposent leur vie pour un gain sordide; & il se trouvera des hommes qui pour soutenir la Vérité qui est éternelle, agréable à Dieu & accompagnée des plus magnifiques récompenses, ne voudroient pas risquer je ne dis pas la vie, mais leurs biens & les honneurs qu'ils possédent! C'est pourquoi Jésus-Christ nous a donné le Précepte renfermé dans ces paroles; 7Quiconque fera profession d'être à moi, devant les hommes; je le reconnoîtrai aussi pour mien, devant mon Pére, qui est au Ciel. Mais quiconque niera d'être à moi, devant les hommes; je nierai aussi qu'il soit à moi, devant mon Pére, qui est au Ciel. Paroles dans lesquelles il nous enseigne qu'il reconnoîtra pour ses Disciples & couronnera de la gloire éternelle celui qui n'aura jamais dissimulé ni caché sa Doctrine par ses oeuvres ni par ses paroles. Il nous avertit dans une autre endroit; 8de nous conduire avec prudence, & de ne pas jetter les perles devant les Pourceaux; mais cette prudence ne tend pas à nous engager à dissimuler ou à mentir pendant toute nôtre vie, pour éviter la colère & l'animosité des hommes; & à ne pas tenter en vain de faire revenir à eux-mêmes des gens aveuglés par l'Erreur, & obstinés dans leur aveuglement. Il nous déclare même, après les paroles que nous avons raporté, u'on sera obligé de garder cette conduite, & de confesser publiquement son Nom malgré la haine des Parents, la persécution de ses Proches, & le danger de la mort. Car celui, dit-il, 9qui aimera son Pere & sa Mére plus que moi n'est sera pas digne de moi; celui qui aimera son Fils ou sa Fille plus que moi, ne sera pas digne de moi; ce qu'on peut appliquer à celui qui par des vues charnelles & pour l'amour de ses Parens dissimule la Doctrine de Jésus-Christ & ses Préceptes. Il nous avertit même que cette fermeté peut nous exposer à la mort; mais que ce motif ne doit pas nous obliger à changer de conduite, puisque perdant cette vie nous retrouvons dans celle qui est avenir l'immortalité bien-heureuse, ce qui fait qu'il ajoûte, 10Celui qui ne prendra pas sa croix, & qui ne me suivra pas, ne sera pas digne de moi: Celui qui aura conservé sa vie (dans ce siécle) la perdra (dans le siécle futur), & celui qui aura perdu la vie (sur la terre) à cause de moi, la trouvevera dans le Ciel accompagnée d'un bonheur éternel.

Note 7: (retour) Tout homme donc &c. Matth. X. 32.
Note 8: (retour) De ne pas jetter les perles &c. Matt. VII. 6.
Note 9: (retour) Qui aimera son Pére &c. Matt. X. 37.
Note 10: (retour) Celui qui ne prend &c. Matt. X. 38. 39.

Doctrine si évidente & si claire que toutes les différentes Communions la reçoivent & l'admettent: ceux qui obéissent au Pape, ou qui en sont séparés conviennent tous d'un commun accord qu'il n'est jamais permis de déguiser ni de trahir les sentimens de sa Conscience sur la Religion, lorsqu'il s'agit des Dogmes fondamentaux, & que cela se peut faire sans trouble & sans tumulte: car il seroit plus à propos de se taire sur des choses qui ne touchent ni la Foi ni la pureté des moeurs, afin de ne pas donner lieu à des contestations & à des disputes perpétuelles entre les Chrétiens, puisque nous trouvons si peu de Savans qui soient parfaitement d'accord sur toutes choses; nous disons qu'alors il vaudroit mieux se taire, & non pas feindre ou déguiser, puisque garder le silence sur ses sentimens, ce n'est pas mentir; mais dire qu'on croit ce qu'on ne croit pas c'est un mensonge formel. De plus si l'on veut faire passer en Loi un Dogme que vous croiez faux, il vous est permis & vous étés obligé de témoigner avec douceur & modestie que vous n'êtes pas de ce sentiment, & le faire sans éclater par des disputes & des contestations. Autrement la douceur du Gouvernement de l'Église Chrétienne, qui n'exclut pas la diversité d'Opinions lorsque la Charité n'en soufre aucun domage, deviendroit une Tirannie qui voudroit enchaîner les pensées, & les réünir toutes au même objet sans que l'Esprit eût la liberté de varier sur la moindre chose. Il y a une infinité de Questions Théoriques & très-obscures, principalement à ceux qui n'en ont jamais fait une Étude particuliére; Questions qui ne doivent jamais porter aucune atteinte à la liberté Chrétienne; vérité d'autant plus certaine, que de l'aveu de tous les Chrétiens il y a une infinité de passages de l'Écriture, & un grand nombre d'Opinions Théologiques sur lesquelles les Savans ne se sont jamais accordés & ne s'accordent pas même entre ceux qui en d'autres choses demandent & exigent un consentement unanime.

§. IV. Qu'il ne faut pas légérement taxer d'Erreur & d'un Culte deffendu, ceux qui sont d'un sentiment contraire au notre, ou les exclure du Salut éternel qui ne se peut trouver dans leur Communion; quoiqu'il ne soit jamais permis de professer ce que nous ne croions pas, ou de pratiquer ce que nous condamnons.

Ceux qui sont séparés de l'Église Romaine, & ceux qui y sont encore, ne sont pas d'un même sentiment entr'eux sur tous les Points, quoique selon la pensée des plus éclairés de part & d'autre les choses dans lesquelles ils différent ne portent aucune atteinte a la Foi, & aux homages que nous devons à Dieu. Il est vrai que ceux qui sont séparés de l'Église Romaine l'accusent d'avoir introduit des Dogmes & un Culte qu'ils croient faux; nous ne décidons rien sur ce sujet, mais nous disons que selon le sentiment de cette Église il n'est jamais permis de feindre approuver ce qu'on condamne, puisqu'elle n'admet personne dans sa Communion qui fasse connoître qu'il ne s'accorde pas avec elle sur ce sujet.

Il se trouve cependant parmi ceux qui sont détachés de Rome11 des Savans éclairés & d'une profonde littérature, qui ne croiant pas qu'il leur fût permis de r'entrer dans une Communion dont ils se sont séparés à cause de la Doctrine & du Culte, ne voudroient pas exclure du Salut éternel tous ceux qui vivent & meurent dans cette Eglise, de quelqu'ordre qu'ils soient Savans où Ignorans. Ceux qui croient la Doctrine de Rome contraire & oposée à l'esprit & aux Points fondamentaux du Christianisme savent qu'il ne leur est pas permis d'en faire profession ni de feindre approuver ce qu'ils condamnent, puisque s'ils tomboient dans ce malheur & qu'ils y persévérassent jusqu'à la mort, ils n'auroient rien à prétendre au Salut, mais à l'égard de ceux qui suivent de bonne foi cette Doctrine qu'ils croient conforme à la Révélation, ou du moins ne lui être pas si contraire, qu'elle sappe les fondemens de la Foi ou de la Sainteté Chrétienne, soit que cette pensée soit le fruit des Études de leur jeunesse, soit préjugé, défaut de lumiére, de connoissance ou de jugement; les Auteurs dont nous avons parlé ne croient pas qu'on puisse exclure du Salut ces sortes de personnes, parce qu'ils ne savent pas jusqu'à quel point Dieu étend sa miséricorde. Il y a une infinité de circonstances, de lieux, de tems, d'affections de l'Ame qui nous sont inconnues & qui peuvent affoiblir ou diminuer devant Dieu les fautes des hommes pécheurs: ce qui fait qu'on doit excuser dans les uns, ce que l'on condamneroit dans d'autres plus savans & plus éclairés: c'est pourquoi ils croient qu'il est plus conforme aux Loix de la sagesse & de l'équité Chrétienne, en condamnant la Doctrine & le Culte, de laisser au Jugement de Dieu ceux qui pratiquent l'un & l'autre, quoique cet acte de charité ne les empêche pas de croire qu'il ne leur est pas permis de suivre cette Doctrine ni de pratiquer ce Culte.

Note 11: (retour) Des Savans éclairés. Entre ceux qui composent ce nombre Guillaume Chillingworthius, dans un Livre Anglois intitulé; la Religion des Protestans est un chemin sûr qui conduit au Salut, où il raporte tous les Auteurs qui sont de son sentiment.

On ne peut pas conclure de ces principes qu'un homme élevé dans d'autres sentimens, instruit dans l'Étude & la connoissance des saintes Lettres, selon la coutume de ceux qui se sont séparés de Rome, qui agissant contre sa Conscience feroit ou diroit ce qu'il croit faux ou deffendu, & trahiroit la Vérité dans quelque vue temporelle & mondaine, il ne s'ensuit pas qu'un homme dans ces dispositions puisse espérer le pardon de Dieu, principalement s'il meurt dans la funeste habitude de faire ou pratiquer ce qu'il condamne, ou qu'il eût été dans le dessein de continuer plus long-tems s'il eût plus long-tems vécu. Nous ne croions pas que dans toutes les Communions qui se disent Chrétiennes, un homme de ce caractère puisse trouver aucune assurance de Salut.

Que les Hypocrites considérent & examinent ce qu'ils font lorsqu'ils méprisent & foulent aux pieds toutes les lumieres que la Raison & la Révélation leur présentent qu'ils les rendent inutiles les par leur conduite, & s'embarassent si peu du jugement unanime que tous les Chrétiens portent sur ce sujet. Il est vrai que ces sortes de personnes ne doivent pas être mises au rang des Savans, & qu'il ne faut pas croire qu'elles aient examiné les choses avec précision; au contraire ces gens méprisent la Littérature des Théologiens, & n'ont aucune connoissance de ce qui est essentiel pour porter sur ce sujet un jugement équitable & solide. Ils ne font pas plus de cas de la Philosophie que les plus distingués d'entre les Romains ont autrefois tant estimée & qui tire sa source de la lumière naturelle, parce que toutes leurs vues portent à satisfaire leurs Passions, ce que la Philosophie Payenne n'a jamais approuvé; peu inquiets du jugement des siécles passés, & se mettant peu en peine de ceux d'aujourd'hui, sans se soucier de ce qui arrivera dans la suite, l'on peut dire qu'ils sont plus semblables à des Bêtes qu'à des hommes raisonnables, puisque la Raison ne leur sert de rien & qu'ils n'en font aucun usage. Ceux de ce caractère, qui ne se font aucune peine de feindre ou de mentir, ne méritent aucune créance; ils sont indignes de posséder la confiance de qui que ce soit dans les choses de cette vie, puisqu'ils croient pouvoir impunément se moquer de Dieu & des hommes dans la plus importante des toutes les affaires. Il s'en trouve parmi eux qui posent pour principe qu'on doit toûjours suivre la Religion du Prince, qui venant à changer peut faire varier la foi, & il n'est pas étonnant de leur voir avancer des maximes si impies, puisqu'ils n'ont pas même les principes de la Religion naturelle & comptent pour rien les lumieres de la droite Raison & de la Vertu. Que les Princes & les Souverains sont à plaindre d'honorer de leur confiance des gens de ce caractère qui ne croient ni Religion naturelle ni révélée; & n'en observent aucuns principes! Des gens qui n'ont aucune teinture des belles Lettres ni des Sciences, qui se moquent du jugement des personnes les plus éclairées, qui se mettent peu en peine de rechercher la Vérité & vivent dans un déguisement continuel, sont indignes de gouverner l'État ou d'avoir quelque Administration dans les affaires de la République.

Cependant ces sortes de personnes, qui méprisent également la Vérité & la Vertu, se persuadent qu'ils sont meilleurs Citoiens & qu'ils ont plus d'esprit que les autres, quoique leur persuasion soit fausse, puis qu'étant toûjours disposés à soutenir la vérité ou le mensonge, à pratiquer la vertu ou le vice, à parler & agir différemment selon leurs intérêts; ils prouvent par leur conduite qu'ils ont renoncé au bon sens, & fait divorce avec la Raison, & méritent que tout le monde les méprise & les évite.

§. V. Qu'un homme qui est dans l'Erreur & qui pêche par ignorance peut être agréable à Dieu; mais qu'un hypocrite & un fourbe qui dissimule ne le peut pas.

Telle est la condition des hommes qu'il s'en trouve qui d'ailleurs ne sont pas méchans, mais qui par les préjugés d'une mauvaise éducation, ou faute de Maîtres & de bons Livres par le moien desquels ils pourroient découvrir l'Erreur & la quitter, ou n'aiant pas assés d'esprit pour comprendre les Controverses de Chrétiens & en juger, passent toute leur vie dans un espéce de ténèbres. Ces sortes de personnes qui, selon la portée de leur Esprit, ont cru ce qu'on leur a enseigné de la Religion Chrétienne, & qui ne sachant pas mieux l'ont suivi de bonne foi, nous paroissent plus dignes de pitié, que de colére. J'avoue que leur Religion est un assemblage d'ignorance, qu'elle est imparfaite, tronquée, défectueuse; mais elle est de bonne foi, & nous pouvons croire que celui qui ne recueille point où il n'a point semé, leur fera grace, ou du moins ne les punira pas dans toute la rigueur de sa Justice.

Mais si nous portons nos vues sur d'autres d'un caractère différent, qui n'ont manqué ni d'éducation, ni de Maître, ni de Livres, ni de lumieres, ni d'esprit, pour connoître, en matiere de Controverse, de quel côté se trouve la Raison & la Vérité, & qui malgré toutes ces choses demeurent fermes & atachés au Parti de l'Erreur, parce qu'ils y trouvent les honneurs, les richesses, & les plaisirs de cette vie; nous ne pouvons regarder sans indignation ces sortes de personnes, & il n'y a point d'homme qui voulût entreprendre d'excuser ou justifier une pareille conduite, sans donner des preuves de l'impudence la plus hardie: d'où il faut conclure que si nous ne pouvons nous résoudre à leur pardonner, nous dont la vertu est si imparfaite, quelle sera la rigueur & la sévérité de Dieu contre ceux qui agissant avec connoissance & contre leurs propres lumieres auront préféré le mensonge à la vérité pour les biens fragiles d'une vie périssable & mortelle.

Dieu qui est souverainement miséricordieux pardonne à l'ignorance lorsqu'elle n'a pas le vice pour principe; il fait grace aux vertus imparfaites & à l'erreur de ceux qui ont été trompés, principalement lorsqu'il n'y a aucune malignité formelle ni aucun mépris de la Religion; mais comme nous l'a enseigné Jésus-Christ, il ne pardonnera jamais à ceux qui aiant connu la vérité auront publiquement professé le mensonge. Un Hypocrite ne peut pas même être agréable & plaire à ceux de son caractère, qui ne voudraient point d'un Ami capable de changer au moindre intérêt, & d'abjurer à la première occasion les Loix les plus saintes de l'amitié la plus inviolable. Nous concluons de ce que nous avons dit, qu'il n'y a point de crime plus énorme & plus honteux que de dissimuler, dans les choses de la dernière importance, ce qu'on connoit de meilleur, pour faire une profession publique de ce qu'on croit de plus mauvais, ce que la Raison nous enseigne & ce que la Révélation nous confirme du consentement de routes les Communions différentes qui se disent Chrétiennes.

FIN.

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