Un Turc à Paris, 1806-1811: Relation de voyage et de mission de Mouhib Effendi, ambassadeur extraordinaire du sultan Selim III (d'après un manuscrit autographe)
DEUXIÈME PARTIE
RELATION DE VOYAGE
Séjour de l'ambassadeur à Paris.—Départ.
Entre deux conférences Mouhib effendi visitait Paris. Un côté caractéristique de sa relation c'est qu'il n'enregistre que les faits qui sont en contraste avec les choses de son pays, de sorte qu'il suffit de prendre le contrepied de ses observations pour se faire une idée très approximative de ce qui s'y passait. L'état politique et social des Turcs étant exactement l'inverse du nôtre, il suffisait de dépeindre l'un pour que s'exprimât nettement la nature de l'autre. Là est le principal mérite de ces quelques pages écrites au jour le jour par cet ambassadeur d'autrefois. Les faits, il les note sans commentaire, estimant sans doute qu'ils sont suffisamment intéressants par eux-mêmes pour qu'il croie pouvoir se dispenser d'en expliquer l'extraordinaire bizarrerie. Il n'aurait pas procédé autrement s'il avait eu à raconter un voyage dans la lune. Aussi bien sa relation n'a que la valeur d'un simple rapport administratif où il n'enregistre que le côté extérieur des choses sans pousser plus avant, et qu'il n'écrit que parce qu'il est prévu dans les instructions que lui a données le Divan. C'est par devoir qu'il visite les manufactures, les ateliers, les institutions. Rien ne l'avait préparé à cet examen, ni sa science de lettré puisée dans la lecture des vieux livres arabes et persans, ni son passé de scribe attaché au Kalem. Il confond la botanique avec l'agriculture, l'astronomie avec l'astrologie et l'alchimie avec la chimie; mais c'était un esprit avisé et volontaire qu'un séjour de cinq ans au milieu des Nazaréens avait rendu perméable aux suggestions pratiques.
C'est aussi pour répondre au désir des quelques partisans des réformes militaires en Turquie, dont il était lui-même l'adepte fervent, qu'il fait une description assez complète de l'organisation de l'armée française qui est la partie de son ouvrage la plus documentée, celle qui figure à la tête de ses chapitres comme pour en montrer l'importance exceptionnelle. Cette étude devait porter ses fruits, malgré les obstacles de toute sorte, mais que l'indomptable volonté de Mahmoud II allait briser quelques années plus tard. Que la Turquie en son entier n'en ait jamais voulu d'autre, c'est ce que les faits et les événements n'ont que trop bien démontré. L'armée est le seul emprunt sincère qu'elle ait fait à l'Europe, et c'est vraisemblablement dans le rapport de Mouhib effendi que Selim III a puisé les notions d'une organisation qu'il tenta vainement d'introduire dans son Empire.
Si Mouhib effendi ne peut cacher son admiration qui, malgré tout, perce dans ses pages pour les arts mécaniques de l'Europe et pour les procédés policiers du ministre Fouché, il semble, par contre, montrer moins d'enthousiasme pour les idées et les usages. Comme tous ses coreligionnaires il en a mauvaise opinion et ce qu'il voit autour de lui n'est guère fait pour l'édifier; mais ces choses il les effleure avec la froide indifférence du dédain. Il sait qu'il a affaire à des êtres d'une espèce particulière, et que le désordre dans lequel ils vivent n'est que le juste châtiment réservé à tous ceux qui s'écartent du chemin de la vraie foi. La promiscuité des sexes est pour le musulman un sujet de scandale sur lequel il discute à perte de vue. Le Turc voit dans la clôture du harem le dernier mot de la sagesse, et dans la réserve de la femme musulmane, qui en est la conséquence, le témoignage le plus éclatant de l'excellence de sa religion. Pour lui, la séparation des sexes est la condition première de l'honneur familial ou plutôt de la dignité du mâle. Le spectacle de la supériorité européenne dans tous les domaines de l'activité n'est pas fait pour l'humilier, viciée qu'elle est, pense-t-il, par ce vice rédhibitoire. Il serait curieux d'expliquer l'idée que l'Asiatique se fait de l'Européenne. Seuls ceux qui ont vécu dans son intimité comprendront ce que je veux dire. L'idée qu'il se fait de la femme en général est plus connue, de même que la répercussion qu'elle a eue sur ses mœurs. Assurément toutes les dépravations se valent, et il ne saurait être question d'en excuser aucune, mais pour être de qualité différente, la dépravation orientale est de toutes la plus abjecte et, pour m'expliquer, je me bornerai à dire que les amours d'Orient ne peuvent être chantées qu'en vers turcs et persans.
Il m'a paru nécessaire de supprimer de la relation une foule de passages et même de chapitres qui pouvaient bien intéresser les Turcs de cette époque, mais qui seraient pour nous d'une lecture fastidieuse, comme les parties consacrées à l'armée, à l'administration, aux finances, à la monnaie, au télégraphe aérien de Chappe, aux écoles, etc., qui n'apprendraient rien. Profitant du privilège que les ambassadeurs ont de se faire ouvrir toutes les portes, Mouhib effendi a tout vu et il s'est fait tout expliquer. Dans son enquête il a déployé un zèle digne d'un meilleur sort, car il est douteux que ses compatriotes en aient jamais lu une seule ligne. Il paraît même certain que le manuscrit, qu'un simple hasard a fait passer par mes mains et qu'il a écrit de la sienne, est demeuré inédit. Ce travail n'aura paru qu'en traduction française. La raison, c'est qu'il présentait l'Europe sous un jour trop beau pour que les hommes du Divan n'en prissent ombrage, pensant que la Turquie n'avait rien à gagner à la comparaison. Cela, l'orgueil ottoman ne pouvait le supporter. Le Turc préfère le mensonge qui le flatte à la vérité qui l'instruit.
On peut dire aussi que la discrète admiration que l'auteur témoigne pour l'ordre et la tranquillité régnant en France reflète à souhait l'anarchie turque, et que celle qu'il exprime pour les arts mécaniques laisse supposer combien son pays était arriéré. Non seulement la Turquie avait ruiné les vieilles industries qui firent jadis la splendeur de l'Orient, mais cet Orient elle l'avait moralement et matériellement dévasté. Depuis longtemps, on n'y créait plus rien, et l'on ne cherchait même pas à imiter les articles de première nécessité que lui procurait l'industrie européenne. Depuis quatre siècles, la France, l'Allemagne, l'Angleterre, la Suisse lui fournissaient des montres, dont tout musulman a besoin pour savoir l'heure de la prière. Cependant on n'a jamais vu s'ouvrir un atelier d'horlogerie à Smyrne ou à Constantinople. Cette décadence s'est à ce point aggravée au cours du XIXe siècle, que la Turquie en est arrivée à demander à l'étranger les ustensiles les plus indispensables du foyer, le linge, les draps des vêtements, jusqu'à la calotte rouge, le fez, qui est la coiffure obligatoire des indigènes.
Cependant Mouhib effendi signalait en termes excellents les avantages de la politique commerciale des gouvernements européens qui «s'appliquent à enrichir leur pays en favorisant leur propre industrie au détriment de celle du pays voisin, en produisant non seulement en vue de la consommation locale, mais aussi de l'exportation afin de drainer à leur profit l'argent étranger. «Les produits, ajoute-t-il, qu'ils nous achètent à l'état brut, ils nous les réexpédient après avoir été transformés. Ce système leur procure de gros bénéfices. C'est ainsi qu'après nous avoir demandé les laines de nos troupeaux, ils nous les renvoient travaillées par leurs machines sous forme de draps.»
Ces sages avis n'ont rien changé à la situation. La Turquie a cru pouvoir balancer toutes ses insuffisances organiques en recourant aux expédients d'une politique qui lui a permis de vivre jusqu'à ce jour aux frais de l'Europe qui la ravitaillait en espèces sonnantes et en objets manufacturés. Ses amis, qui sont aussi ses fournisseurs, voudraient bien continuer à la ravitailler, mais les temps sont durs et il est possible qu'on la laisse mourir cette fois-ci pour tout de bon, faute de pouvoir l'alimenter.
Il est plus que probable que ce rapport a valu à son auteur la disgrâce qui l'attendait à son retour à Constantinople. Peut-être avait-elle commencé avant qu'il quittât Paris, car on l'y laissa, paraît-il, sans argent, au point que le grand Empereur dut venir à son aide pour acquitter une facture de quelques milliers de francs qu'il devait à son porteur d'eau.
Il est vrai que ce n'est pas là un cas exceptionnel, car la Turquie n'a jamais été exacte à payer les appointements de ses diplomates à l'étranger. Mais pourquoi devait-il tant d'argent au porteur d'eau plutôt qu'à ses autres fournisseurs? C'est ce que l'histoire ne dit point. A-t-il voulu laisser aux nazaréens la charge de payer l'eau de ses ablutions pour se dédommager des souillures qu'il avait contractées à vivre à leur contact?
Un autre côté caractéristique de cette relation c'est que l'auteur ne semble juger les institutions qu'il décrit qu'au point de vue du profit qui peut en résulter pour l'État. C'est, en effet, le seul auquel le Divan pouvait être sensible, et le seul qui pût l'engager à les adopter. Cette conclusion revient à chaque fin de chapitre comme un refrain. En vrai fonctionnaire turc qu'il était, il ne voyait dans tout cela qu'une machine à pomper de l'argent. L'administration turque n'a jamais été autre chose.
De Paris Mouhib effendi fait cette brève description:
«Cette ville est l'une des plus grandes qui soient dans les pays infidèles par son étendue et par le nombre de ses habitants. Comme elle n'est entourée d'aucune muraille, on a établi sur les routes qui y aboutissent des bureaux où des employés fouillent les gens, les voitures et tout chargement suspect.
«Toutes ses maisons sont construites en pierre, divisées en étages et disposées de telle façon que les habitants y vivent les uns sur les autres. Cependant, les nobles, les ministres, les maréchaux, les financiers, ont leurs demeures particulières. Les maisons ordinaires sont louées au reste de la population et aux étrangers. Des hans sont également mis à la disposition de ces derniers où ils sont logés et nourris moyennant un prix raisonnable pour le pays. S'il veut quitter avant l'expiration du bail la partie de la maison qu'il occupe, le locataire est tenu de prévenir le propriétaire un mois à l'avance, faute de quoi il se voit obligé de lui verser une indemnité égale à un mois de loyer. Un tiers de cette somme est versé au trésor de l'État. Je présume qu'un pays aussi peuplé que la France, qui n'a pas un seul désert ni des tribus vivant sous les tentes, doit rapporter gros à Bonaparte.
«Paris est une ville ancienne, c'est ce qui explique qu'on y voit tant de maisons et de rues peu en rapport avec les progrès accomplis par ce pays. Les quartiers vieux sont traversés de rues étroites et tortueuses où le soleil pénètre rarement. Aussi y respire-t-on les plus mauvaises odeurs pendant les chaleurs de l'été: Elles forment contraste avec les rues nouvellement percées et où l'on a planté de chaque côté des rangées d'arbres pour que chacun y puisse circuler à l'ombre de leur feuillage. Cette coutume de planter des arbres le long des routes et autour des places existe également en Italie.
«Les rives du fleuve qui traverse cette ville sont reliées entre elles de distance en distance par des ponts en pierre. Les piétons payent à l'entrée 1 para[15]; les voitures payent le double. Cette taxe a été établie par les rois au bénéfice des constructeurs qui jouiront de ce privilège l'espace de quarante ans.
[15] Le para valait alors deux centimes et demi.
«Le soin d'opérer les arrestations des malfaiteurs et de réprimer les attentats est confié à un ministre qui est un officier de distinction. Il a sous son commandement bon nombre de gens de bureau, d'agents et de soldats. Tout litige lui est porté par la partie lésée. Au délinquant il adresse sans retard un billet de convocation. S'il se présente, tout est pour le mieux et l'on s'explique tranquillement. Dans le cas contraire, il lui renouvelle sa sommation par l'entremise d'un de ses agents; mais, si une fois encore il ne se présente pas au carakol (corps de garde), il le fait arrêter, et sa faute, dès lors s'en trouve aggravée.
«Les agents de ce ministre sont vêtus du costume ordinaire des frenks; mais si l'un d'eux se voit obligé de se faire connaître, il soulève le collet de son veston et montre une plaque qui est le signe de son autorité. Chacun alors obéit et s'incline, mais, si l'on s'avise de résister, l'agent n'a qu'un signe à faire pour qu'aussitôt l'on voie accourir à son aide des soldats qui brutalisent le récalcitrant. Ce n'est que dans ce cas particulier que la police use de violence. Bien mieux, tout individu accusé d'homicide ou de révolte à main armée ne saurait être maltraité, car nul n'est châtié sans jugement.
«Nous avons eu l'occasion plus haut, de dire qu'en dehors des assassins, des espions et des faussaires la loi interdit de mettre à mort un particulier quel qu'il soit. Faisons pourtant une exception pour les marchands qui trompent le public… Toutes les fois qu'un boucher ou un boulanger sont convaincus d'avoir vendu à faux poids, ou bien d'avoir haussé leur prix de vente, la police intervient pour fermer leur boutique sur laquelle elle appose les scellés. Aussi, sachant ce qui lui en coûterait, le marchand s'abstient de toute fraude.
«Tout délit est déféré à un tribunal qui juge au criminel. Le coupable est interrogé et des greffiers enregistrent les dépositions des uns et les aveux des autres. Les gazettes en font un récit fidèle le lendemain, pour que nul n'en ignore. Les débats se poursuivent ainsi jusqu'à ce que l'affaire soit suffisamment éclaircie et que les juges puissent décider en connaissance de cause. Après quoi le jugement est renvoyé au ministre qui en instruit à son tour l'Empereur, mais dans le cas seulement où il entraîne une condamnation à mort. Si l'Empereur approuve la sentence, le coupable est amené à l'endroit où se font les exécutions. Le bourreau a déjà dressé une espèce de plateforme à hauteur d'homme où l'on accède par un escalier étroit. Un lourd couperet, alourdi encore par deux masses de plomb, est immobilisé à l'extrémité de deux poteaux. Lorsque tout est prêt, le condamné, les mains ligotées et revêtu d'une chemise rouge, est amené dans une charrette. Un prêtre l'accompagne et des soldats l'escortent. Aussitôt qu'il en est descendu, le bourreau le pousse entre les deux poteaux, le visage en bas. Alors, faisant jouer un ressort, le couperet tombe et la tête est tranchée net.
«Cet instrument a été inventé au temps de la République par un médecin qui lui a donné son nom. S'il faut en croire les Français, on exécutait alors des centaines d'individus par jour. Si le criminel est soldat, il est fusillé par ses propres camarades aussitôt après le prononcé de l'arrêt qui le condamne.
«Quant aux voleurs ils sont condamnés au supplice de l'exposition qui dure trois jours, après quoi ils sont conduits en prison d'où on les fait sortir de temps en temps pour aider au nettoyage de la ville.
«Aussi le pays est-il calme et tranquille. Nous n'avons jamais ouï dire qu'un homme ou une voiture aient été dévalisés dans la banlieue. Sans danger pour elles les femmes peuvent sortir et aller d'un quartier à un autre. Tout le pays de France jouit de cette tranquillité, et tous ceux qui ont visité ce pays peuvent témoigner de la vérité de mon rapport. La raison de cette sécurité on peut l'attribuer à ce fait que nul ne peut circuler avec des armes et aussi que la poudre n'est pas une denrée qui se vende librement au bazar. Des lois en réglementent sévèrement la vente. Bref, dans ce pays, en dehors des gens de guerre, nul n'est autorisé à sortir armé.»
D'après l'auteur, tout le mérite en reviendrait à Fouché qui dispose d'un personnel «instruit et qui s'entend à faire son devoir». Il admire son service d'espionnage et il ne lui en veut point «d'user de toutes sortes d'expédients pour savoir ce qui se dit dans les ambassades. Dans ce but Fouché entretient une foule de mouchards, hommes et femmes. Aucun signe extérieur ne les désigne à l'attention du public où ils passent inaperçus. Les femmes de mauvaise vie, qui pullulent partout, sont dressées à faire causer les gens. Les domestiques, les portiers, les marchands sont requis de rapporter à la police tout ce qu'ils entendent et tout ce qui leur paraît de nature à être rapporté.»
Cette sécurité Mouhib effendi l'explique aussi par cette autre considération que la population se trouve fixée dans des agglomérations où la surveillance est facile.
«Elles sont si nombreuses à travers les campagnes de France, qu'on ne peut faire deux heures de chemin sans rencontrer une ville ou un village. Cela fait que toute l'activité des habitants se porte au travail. Les terres y sont cultivées et nulle part on ne voit des champs abandonnés. Le commerçant ne craint point de faire voyager sa marchandise. Cette sécurité fait de la France un pays florissant et pouvant se suffire à lui-même: le pain, la viande, les fruits, abondent sur les tables; des fleurs de toutes sortes embaument les jardins. On y fabrique des étoffes, des miroirs, des cristaux, des montres, de la porcelaine et ces diverses industries font vivre des milliers d'hommes et de femmes.»
Dans son étude de l'organisation judiciaire il découvre une institution dont il était loin de soupçonner l'existence.
«Chaque partie, écrit-il, au lieu de se défendre par ses propres moyens remet sa cause à un lettré qui parle et écrit en son nom. C'est ce qu'on appelle l'avocat. Ce métier, l'avocat l'exerce en vertu d'un firman qui lui est délivré par l'État. Son principal mérite est de connaître par cœur les lois de Bonaparte et de savoir faire des discours. Il en est parmi eux qui jouissent d'un grand renom, ce qui leur vaut d'arriver à la fortune.»
Cette prospérité dont il voit les signes partout, cette tranquillité qu'il constate est faite pour l'étonner. Il ne s'attendait à rien de pareil et toutes ses idées en sont presque bouleversées. Malgré ses préjugés il ne peut s'empêcher de rendre hommage à ce monde si différent du sien, à sa discipline sociale, en tout si opposée au chaos de l'anarchie asiatique. Pour la première fois il constate le respect des lois et l'action bienfaisante d'une autorité régulière, mais, comme un fait aussi extraordinaire pourrait laisser ses lecteurs incrédules, il en appelle au témoignage d'autres voyageurs.
Cela l'amène naturellement à approfondir l'institution du passeport dont il explique de son mieux le mécanisme compliqué. Après avoir raconté les démarches qu'il dut faire à Constantinople pour obtenir les passavans, il note ce fait qui déconcerte son fatalisme que la pièce portait que la Turquie était à ce moment délivrée du fléau des épidémies.
«Ce détail est important aux yeux des nazaréens[16], ajoute-t-il. Si, au cours de mon voyage, j'ai pu sans difficulté franchir les frontières de la Hongrie, c'est que la pièce qui m'avait été accordée par l'ambassadeur d'Autriche portait que le choléra avait disparu de Stamboul. Aux gens de négoce, aux voyageurs ordinaires la police accorde un papier sur lequel elle note avec soin tout ce qui concerne leur personne, jusqu'à la longueur de leur nez et la couleur de leurs cheveux. Au moindre soupçon qui pèse sur l'un d'eux, elle le place sous sa surveillance au point qu'il ne peut même louer un cheval qu'après avoir montré ce papier. S'il loue une voiture et qu'il s'arrête à un relais il doit, pour pouvoir passer outre, se soumettre à la même formalité. Il est même tenu d'indiquer le nombre des femmes et des hommes en compagnie desquels il a voyagé. Tout Français qui veut se rendre à Paris doit en donner avis aux autorités de sa résidence. Tout étranger qui voyage pour visiter cette ville est obligé, pour y avoir accès, de s'adresser à l'ambassadeur de France qui avertit la police. J'ai appris que cette dernière mesure n'a été adoptée que pour empêcher les Anglais de pénétrer en France. Je crois en avoir assez dit pour montrer que nul dans ce pays ne vaque à l'aventure et qu'il suffit qu'un particulier manifeste le désir de sortir de chez lui pour qu'aussitôt la police le surveille de près.»
[16] Les lettrés musulmans désignent les chrétiens par cette appellation qui remonte aux premiers temps du christianisme.
Pour montrer que la rigueur des formalités est égale pour tous, il cite son propre cas:
«Tandis que je m'acheminais vers Paris avec mes compagnons, nous arrivons à l'entrée d'un village où nous devions traverser un pont. Un homme était là pour nous barrer le passage. Il me demande poliment si nous étions la grande ambassade ottomane. Sur notre réponse affirmative, il s'incline, puis nous demande nos papiers. Il en prend note et met sur son registre que nous allions traverser le pont. Cela fait, il nous laisse passer. Mais voilà qu'à l'autre bout un autre homme se présente et encore une fois demande à examiner ces mêmes papiers. Du coup, la patience m'échappe. «Soubhan Allah[17]! m'écriai-je. L'on sait bien qui nous sommes. Pourquoi donc nous tourmentez-vous?—Excusez, répondit l'employé. Nous savons bien qui vous êtes, mais les lois nous font un devoir de vous le faire dire à vous-même une fois de plus.»
[17] Dieu! Quelle merveille.
Mouhib effendi cherche les raisons de ces tracasseries et ne les trouve point. «Si l'on songe, écrit-il, que la coutume n'existe point chez les nazaréens que des voyageurs se rassemblent pour former des caravanes, on peut se demander pourquoi toutes ces précautions. Sans doute, les routes y sont fréquentées de jour et de nuit, mais on ne voit jamais des groupes de trente à quarante personnes voyager ensemble. Cependant, l'amour de la sécurité est si vif dans ce pays que le voyageur accepte sans se plaindre les entraves que l'autorité met à la faculté de circuler d'un endroit à un autre.»
Ce qui le choque aussi c'est le contraste qu'il observe entre la licence des mœurs et les sévérités administratives. Son œil a peine à s'habituer à voir «les hommes sur le chemin des femmes et celles-ci sur le chemin des hommes». Les femmes, on les trouve partout, dans les lieux publics, même dans les ateliers, «car il n'est point en ce pays qu'elles n'entreprennent d'exercer». Il les retrouve dans les dîners officiels, papillotant autour des gens chamarrés, et ridiculement serrés dans des culottes qui leur moulent les cuisses et qui «réunissent jusqu'à cent cinquante convives, chacun tenant à la main des verres de vin qui les échauffent». Ce spectacle il l'a vu au palais des Tuileries.
«On verra plus loin, écrit-il, la cérémonie de la présentation de mes lettres de créance. Sur ce point aussi les usages des nazaréens diffèrent des nôtres. Tous les dimanches des chambellans du palais envoient des invitations aux ambassadeurs, aux ministres, aux hauts fonctionnaires, aux rois et aux reines, s'il s'en trouve à Paris.
«Les invités se rendent de bonne heure au palais où ils sont introduits dès qu'ils se sont fait nommer. Les rois, les ambassadeurs, les nobles du pays sont reçus dans un salon garni de sièges. Les ministres de second rang attendent dans un autre salon.
«Afin d'éviter les questions de préséance, l'Empereur a coutume de recevoir dans un salon percé de quatre portes, de sorte qu'on ne sait jamais par où il fera son entrée. L'assistance forme un cercle et lorsqu'il apparaît, il serre la main du premier ambassadeur qu'il trouve sur son passage. Il a pour chacun un mot aimable et le mot varie suivant les besoins de sa politique. Le même cérémonial a lieu du côté des femmes à l'égard desquelles la femme de l'Empereur se comporte comme son mari.
«Tandis que la réception suit son cours les troupes de la garde se massent dans la cour du palais, suivant les formations en usage chez les frenks. L'Empereur passe devant leur front puis les fait manœuvrer en tous sens, ne leur laissant aucun repos. Comme il aime les parades militaires, il ne manque aucune occasion de satisfaire ce goût. Toutes les fois que des troupes traversent sa capitale il ne manque jamais de les passer en revue.
«Une ou deux fois par semaine l'opéra (sic) du palais joue la comédie où l'Empereur et sa femme restent jusqu'à la fin. Dans cette circonstance ils ne reçoivent point, mais se contentent de saluer. Bien que ces sortes de jeux n'aient aucun caractère officiel, il est d'usage cependant que les ambassadeurs y fassent acte de présence. Comme leur absence pourrait donner lieu à interprétation, surtout si elle n'était pas justifiée par un motif valable, personne ne manque d'y assister. A certaines fêtes l'on illumine et l'on fait de la musique. Des groupes d'invités jouent aux cartes dans les salons.
«En hiver tout ce monde, jeunes et vieux, jusqu'à l'Empereur et sa femme, se livrent à un genre de divertissement appelé bal et qui réunit exactement le même nombre d'hommes et de femmes, celles-ci à demi nues. L'usage veut qu'on y danse et ce jeu consiste à mettre une femme dans les bras d'un homme et à tourner ainsi enlacés. Les souverains dansent eux-mêmes comme leurs sujets au son des instruments. Danser n'est pas considéré chez les nazaréens comme une honte. Au contraire: ils s'en glorifient.»
A ce propos, il fait remarquer avec une joie maligne que «chez les nazaréens hommes et femmes fraient volontiers entre eux et s'amusent en toute liberté. Ainsi nul ne trouve à redire que deux personnes de sexe différent montent dans une même voiture et se promènent dans l'intimité. Les fils de la noblesse entretiennent une ou deux maîtresses avec lesquelles ils s'amusent nuit et jour. Ils se donnent tant de mouvement qu'on les voit partout et qu'ils encombrent les rues de leurs équipages.».
«Le lieu préféré pour ces sortes de réunions se trouve dans la cour intérieure d'un palais[18] qui s'élève au milieu de la ville et qui rappelle, mais en plus grand, notre validé han. On y compte plus de 400 boutiques et chambres qui sont occupées par des marchands en bijouterie; mais la plupart des appartements sont habités par des filles qui y mènent joyeuse vie. Tout ce monde paye impôt et enrichit le fisc, car personne n'est admis à faire quoi que ce soit dans ce pays que les agents du fisc n'interviennent pour prélever la part de l'État.»
[18] Le palais royal.
Mouhib effendi est émerveillé de voir la ville s'éclairer de lanternes et la population envahir les lieux publics, précisément à l'heure où dans la farouche Stamboul le bostandji bachi et les veilleurs des quartiers donnent le signal du couvre-feu. Il n'hésite pas à compromettre la dignité de son turban de nichandji en se mêlant à la foule qui, «la nuit venue, envahit les jardins deux fois par semaine pour admirer les feux d'artifice. «Les allées s'éclairent de lanternes munies de deux ou trois becs logés dans des coupes de cristal et la distance qui les sépare a été calculée d'après la lumière qu'elles répandent autour. Les cafés et les restaurants restent ouverts jusqu'à une heure fort avancée et chacun s'y comporte avec familiarité et abandon. Tout aussi bien éclairées sont les rues de la ville, de sorte que les promeneurs attardés n'ont pas besoin pour rentrer chez eux de se munir de fanaux.»
Mais si la liberté licencieuse règne au grand jour de la rue, la maison par contre reste jalousement fermée. Le caractère inhospitalier du Français si souvent remarqué ne pouvait échapper à Mouhib effendi. La porte d'un personnage turc est ouverte à tout venant: celle du Français ne s'entrebâille qu'aux seuls amis. Ce trait de mœurs lui dicte cette page qui ne manque pas de saveur:
«Il est d'usage, écrit-il, quand on va en visite à Paris de demander d'abord au portier qui vous reçoit sur la porte si son maître est chez lui, car il n'est pas permis d'aller plus loin sans sa permission. S'il arrive qu'il soit absent ou s'il vous répond qu'il ne reçoit pas, vous devez vous retirer sans manifester aucune mauvaise humeur. Agir autrement serait incorrect et grossier. Dans ce cas vous tirez de la poche un petit carton sur lequel vous avez fait imprimer votre nom et que vous lui remettez. Cela compte pour une visite. Celui qui le reçoit ne manquera pas de déposer le sien chez vous et cela signifie que la visite est rendue.
«Mais il peut arriver qu'en vous retirant et en levant les yeux en l'air, vous aperceviez celui que vous vouliez voir. En pareil cas on ne doit faire semblant de rien et il serait inconvenant de le saluer.»
En poursuivant son enquête sur les conditions de la vie européenne, il apprend que trois mille fous vivent enfermés dans les asiles parisiens. Bien qu'au fond il nourrisse les idées les moins flatteuses sur la nature des nazaréens en général et des Français en particulier, ce chiffre lui apparaît anormal néanmoins et il se demande avec anxiété pourquoi il y a tant de fous dans cette ville.
Le médecin qu'il consulte lui donne diverses explications:
«La première c'est que les troubles qui ont agité ce pays ont aigri le sang des Français. En second lieu, chacun sait qu'ils se creusent le cerveau à faire des inventions. Il arrive même assez souvent qu'un inventeur, épuisé par l'effort qu'il vient de faire, sollicite lui-même la faveur d'aller se reposer un certain temps dans l'un des asiles qu'il a choisi.
«Il en est qui sont conduits là soit par la passion du jeu, soit par celle de l'amour, car l'on peut perdre la raison de plus d'une manière. Les ruines accumulées par les guerres ont fait également tourner la tête à plus d'un négociant. En pareil cas tous ne vont pas à l'hôpital, mais, se retirant à l'écart, ils abrègent leurs jours en se tirant à la tête un coup de pistolet. D'autres prennent le parti de se jeter à la rivière. J'ai vu de mes yeux des gens se noyer volontairement. Ces accidents sont si fréquents même que la police a pris soin de placer aux extrémités des ponts des appareils destinés à repêcher les cadavres de ces désespérés. On les expose tels quels trois jours durant aux yeux de la population pour permettre aux parents de reconnaître les leurs.»
Parmi les curiosités de Paris, celle qui appelle plus particulièrement son attention est l'observatoire qu'il appelle le «Palais de l'Astrologie», dont on lui a dit merveille. Il y est reçu par Lalande qui lui montre la lune de Ramazan au bout d'une lunette.
«Yermi-Sekiz tchélébi, raconte-t-il, parle d'une visite qu'il fit dans cet établissement. Je voulus, à son exemple, voir les curieux instruments qui rapprochent les astres. Je fis part de ce désir à Lalande, directeur de l'astrologie, qui me donna un rendez-vous nocturne. A l'entrée de ce palais j'aperçois une rangée de cylindres construits en maçonnerie et lui ayant demandé à quoi ils servaient, il me répondit que c'étaient les margelles des puits par où les astrologues descendaient jadis sous terre pour mieux observer les astres. Ils ont renoncé à cette pratique et les puits ne servant plus à rien ont été fermés, Les lunettes tant admirées par mon prédécesseur ont fait place à d'énormes télescopes qui rapprochent tout ce que l'œil peut voir du ciel.
«Ce soir-là la lune du saint Ramazan[19] brillait dans son plein. Je l'ai contemplée longuement à l'aide de cet instrument et ma surprise est inexprimable. On est loin de se douter de ce qu'est la lune quand on ne l'a pas vue dans ces conditions. Tandis que j'invoquais le nom d'Allah Lalande me donnait des explications à sa façon, et en rapport avec ses préjugés. C'est ainsi qu'il prétend que si notre globe était divisé en quarante-huit parties égales l'une d'elles représenterait exactement le volume de la lune. Il ajouta que tout le monde était jadis porté à croire sur la foi de Ptolémée, que la terre était immobile et que le soleil tournait autour, mais voilà qu'un certain Copernic, qui vivait il y a cent quatre-vingts ans, se mit en tête de démontrer le contraire. Tout ce qu'il put dire à ce sujet laissa cependant sceptiques bon nombre de ses confrères. Il s'ensuivit que les astrologues se partagèrent en deux camps, suivant que l'on fut pour ou contre son opinion. En somme la querelle se réduisait à la question de savoir si c'est la broche qui tourne autour du feu ou celui-ci autour de la broche. C'est la première hypothèse qui a fini par prévaloir. Lalande assure que la Lune représente une terre semblable à la nôtre. Que seule la partie frappée par la lumière du soleil est visible et que le reste disparaît dans l'ombre. D'après lui il n'y aurait là qu'un fait analogue à celui d'un vase de cuivre sur lequel une lumière envoie sa lumière. Qu'on déplace le flambeau et aussitôt se déplace le brillant reflété par le métal.
[19] C'est dans le mois de Ramazan que le Coran descendit du ciel. Les théologiens précisent la date où se serait accompli cet événement, qui est la 27e nuit de ce mois lunaire. C'est pour s'y préparer dignement que Mahomet a prescrit le jeûne qui dure tout ce temps. Quiconque rompt ce jeûne sans motif légal s'expose à une peine expiatoire. Le gouvernement jeune-turc ne fut pas sur ce point moins sévère que feu Abdul-Hamid. Des particuliers, surpris une cigarette à la main, furent mis en prison en 1910.
«C'est ainsi que cet homme expliquait ses idées. Tandis qu'il parlait mentalement je répétais: istaiz billah et j'invoquais le secours de Dieu. Kulu hizbin bima lédéhin férihoun[20].
[20] Tout groupe humain est heureux de ce qu'il croit savoir et de ce qu'il possède.
«Pour subvenir aux frais d'entretien de cette institution, les astrologues publient, une fois l'an un almanach que les notables de Paris sont obligés d'acheter. On y trouve une foule de renseignements qui le rendent indispensable. En première page figure un tableau des heures du lever et du coucher du soleil et de la lune. Puis suivent des indications concernant la personne des souverains qui règnent sur la Turquie, la France, l'Autriche, la Russie, l'Espagne, l'Angleterre, le Wurtemberg, la Bavière. On y apprend le nombre de leurs enfants, de leurs frères, la date de leur naissance, l'année de leur mariage. Le nom des ministres de chaque État; le nom et l'adresse des manufacturiers, des négociants, des banquiers, des maréchaux, des généraux et des dignitaires du palais de l'Empereur. Le devoir du directeur du palais de l'astrologie est d'enregistrer toutes ces choses dans son almanach dont il se vend plus de cent mille exemplaires à raison de six piastres l'un. C'est surtout au commencement de leur année qu'il s'en vend le plus.»
Une visite à la Bibliothèque impériale.
«Au centre de la ville s'élève un vaste bâtiment divisé en étages et en un grand nombre de salles. On m'en avait parlé comme d'une chose à voir et j'y allai après avoir fait prévenir le directeur.
«Je vis en effet des volumes en nombre incalculable alignés sur des rayons superposés[21]. Il y a là des livres d'histoire, de science, de poésie, de littérature et d'autres consacrés aux superstitions des nazaréens. Le livre imprimé y abonde plus que tout autre.
[21] Chez les Orientaux les livres sont couchés à plat.
«Ce prodigieux amas de bouquins provient de dons faits à l'État par des particuliers, mais surtout des confiscations opérées au cours de la Révolution au détriment des nobles, des prêtres et des poètes. Du moins c'est ce qui m'a été rapporté.
«Au cours de ma visite le directeur m'a introduit dans une pièce où j'ai pu voir une certaine quantité de livres arabes, persans et turcs. Ils auraient été enlevés aux bibliothèques d'Égypte, d'Espagne, d'Italie et de la ville de Pesth. Mais ce qui m'a ému c'est d'y voir deux corans chérifs. N'y pouvant rien, je me suis retiré. Hasbun allah vé nimel vékil[22].
[22] Ce qui veut dire: Dieu seul suffit; c'est notre meilleur vekil. Ce verset peut s'interpréter ainsi: les infidèles peuvent s'approprier le Coran, mais Dieu est pour nous seul, car ils ne sauraient l'atteindre.
Mouhib effendi est scandalisé de voir un exemplaire du Coran dans des mains profanes. Seul le musulman a le droit de toucher le livre de Dieu qu'il n'ouvre jamais sans l'avoir porté à ses lèvres et fait ses ablutions. Une fois la lecture faite, il le pose dans un endroit convenable, de façon qu'il soit placé au-dessus de tout livre ou écrit profane ou même religieux pouvant se trouver dans la même pièce.
L'infidèle, être essentiellement impur (mourdar), ne saurait toucher impunément ce livre.
Leurs hôpitaux.
«En divers quartiers de Paris s'élèvent des bâtiments où les indigents sont traités gratuitement. Les savants de l'école de médecine sont obligés de leur prêter leurs soins. A cet exercice ils acquièrent une expérience de leur art qui leur sert à se faire bien payer ceux qu'ils prodiguent aux gens riches. Ils sont assistés par un grand nombre d'étudiants à qui ils abandonnent le gros de la besogne.
«Tous ceux qui y crèvent[23] sont destinés à être coupés en morceaux par les médecins devant un cercle de ces étudiants pour leur apprendre la nature des corps. En vertu du règlement établi dans ces hôpitaux, tout individu qui y succombe devient la propriété du médecin qui l'a soigné, et qui fait de son cadavre ce que bon lui semble. Quiconque y est admis ne peut se soustraire à ce traitement: il est censé avoir fait don de son corps à l'État. Il n'y a que les individus qui succombent dans leur domicile qui soient exempts de cette obligation.
[23] Crever est le mot dont les Turcs se servaient pour indiquer la mort du chrétien.
«Il m'est arrivé pendant mon séjour à Paris de visiter les salles où gisaient sur des tables des cadavres dont l'âge variait de deux à soixante-dix ans. J'admirais dans ces corps ainsi exposés la puissance de Dieu qui a pu créer des êtres parfaits. J'y ai vu des élèves attentifs se presser autour pour ne rien perdre des enseignements du professeur. En été, on renonce à cet usage à cause de la puanteur qui se dégage des chairs pourries. Aussi le professeur se contente de discourir sur des pièces en cire qui imitent la nature à s'y méprendre. Les muscles, les nerfs, les veines, sont rendus avec une vérité si surprenante qu'on croirait se trouver en présence de débris humains. L'imitation est si parfaite que celui qui n'a pas vu cela de ses yeux ne peut s'en faire une idée.
«On montre, disposés par ordre, dans des salles spacieuses, de vrais débris humains, conservés dans des bocaux et vieux de plusieurs siècles. Au milieu de ces horreurs figurait une tête bien conservée qui attira notre attention. Vah! C'était une tête de musulman. On se rappelle que pendant le séjour des Français en Égypte un maugrabin poignarda leur général[24]. Cet événement eut lieu dans un jardin au cours d'une audience que ce dernier lui avait accordée. Après l'assassinat, ils lui firent expier son acte en le martyrisant. Je récitai une prière à son intention avec mes compagnons.
[24] Il s'agit de Kléber, assassiné au Caire par un étudiant de l'université d'El-Azhar nommé Suleïman.
«La science qui enseigne à accoucher les femmes est également en honneur dans ces hôpitaux. Toute femme se trouvant dans un état intéressant peut s'y faire admettre. Des étudiants, qui font de cette science l'objet principal de leurs études, se mettent à son service au nombre de huit à dix… Ils la soignent et l'examinent à tour de rôle, et nul autre qu'eux n'a le droit de l'approcher. Une fois par semaine, ils se livrent sur elle à un examen général. Ensemble, ils lui tâtent le pouls, examinent le ventre et les autres parties du corps. Après l'accouchement elle quitte l'établissement avec son enfant. Des filles se mêlent à ces étudiants pour aller exercer, une fois instruites, le métier d'accoucheuse en ville.
«Je me suis procuré un exemplaire du livre qui enseigne cette science pour en faire une traduction, mais nous avons dû abandonner ce travail à cause de l'absence de termes équivalents en notre langue.
«Qu'on n'aille pas s'imaginer que l'enseignement des sciences médicales y soit gratuit. Les étudiants sont astreints à de grandes dépenses. Le professeur qui a écrit sur l'une des matières qu'il enseigne un livre spécial est obligé de l'enseigner en quarante leçons; mais on n'est admis à assister à ses leçons qu'après avoir versé à la caisse de l'École deux livres hongroises. Ce tarif est publié par les Gazettes. Le professeur ajoute à ce revenu le casuel des visites, soit un louis d'or, qu'il touche toutes les fois qu'il se rend au chevet d'un malade opulent.
«Ces hommes n'aiment point à s'expatrier et aucune promesse ne pourrait les décider à quitter leurs fonctions pour se rendre à l'étranger. Ceux qui s'expatrient ne savent pas grand'chose[25].»
[25] Les médecins, en Turquie, se partageaient en deux classes. Il y avait le Hekim qui puisait sa science dans les livres arabes et qui divisait les maladies en chaudes et froides. Quant au traitement, il administrait des remèdes échauffant ou rafraîchissant.
La seconde catégorie comprenait le chirurgien ou Djerrah qui joignait ce métier à celui de barbier. Ils pansaient les plaies, traitaient les fractures, pratiquaient les circoncisions, les saignées printanières, appliquaient les ventouses, arrachaient les dents, ouvraient les abcès. Sans instruction aucune, ils n'avaient pour les guider dans toutes ces délicates opérations que l'expérience acquise dans la pratique journalière.
Leurs bâtards.
«On voit un autre établissement uniquement réservé aux enfants ramassés de droite et de gauche. On les compte par milliers, tant garçons que fillettes. On peut dire de ces enfants qu'ils appartiennent à l'État auquel ils doivent la vie, car sans lui personne ne s'en soucierait: ils mourraient de privation dans les rues où ils sont abandonnés dès leur naissance. Aussi une fois grandis ils prennent service dans les armées de Napoléon et ne connaissent plus d'autre métier que celui de soldat.
«Voilà pour les garçons.
«Quant aux fillettes, elles entrent en condition chez les particuliers, puis on les marie. On les emploie également à jouer la comédie dans les opéras de Paris.
«Lorsque les parents veulent retirer un de ces enfants de l'établissement, ils sont tenus d'indemniser l'administration de tous les frais qu'elle a faits pour l'élever.»
Leurs vieilles femmes.
«Un autre établissement d'un genre différent s'élève au bout de la ville, entouré de jardins. Des centaines de vieilles s'y entassent pour finir leurs jours ensemble, mais elles n'y sont admises qu'à partir de soixante ans. Quand une vieille se voit sur le point d'être abandonnée elle s'adresse au directeur de cette maison qui la reçoit moyennant un droit d'entrée de 4.000 piastres, payé une fois pour toutes. La cuisine lui sert deux repas par jour. Comme le directeur héberge de la sorte plusieurs centaines de femmes, l'on est en droit de croire qu'il doit faire de bonnes affaires.»
Leur armée.
Voici un fragment du chapitre qu'il consacre à l'armée:
«Les lois qui gouvernaient la France ont été respectées par Bonaparte, mais sous la pression des circonstances il en a créé de nouvelles qu'il a coordonnées dans un livre qu'on appelle code. La loi militaire exige que tout Français arrivé à l'âge d'homme soit soldat. Pour rejoindre son corps, il n'attend qu'un appel. Tout ce que je pourrais dire à ce sujet serait obscur si je n'expliquais d'abord que chez les nazaréens hommes et femmes sont baptisés par le prêtre trois jours après leur naissance. Le nom du baptisé est inscrit par ce même prêtre sur un registre où sont signalés non seulement les naissances mais les décès. Par l'effet de cette superstition qui permet à l'État de vérifier le nombre et l'âge de ses sujets, nul ne peut se soustraire au service militaire.
«Pour faire ses guerres la nation a reconnu la nécessité de fournir à l'Empereur un contingent annuel de 80.000 hommes. Afin d'assurer la levée régulière de cette masse d'hommes, chaque département envoie à Paris deux délégués qui sont logés dans un palais. Leurs décisions sont soumises à leur président qui les soumet à l'approbation de l'Empereur. Le chiffre de la levée est notifié aux délégués qui le communiquent aux chefs-lieux où, pour éviter tout motif de récrimination, les jeunes gens sont soumis à un tirage au sort…
«Si grande est la diligence apportée aux choses de l'armée que les Délégués sont choisis de telle façon que leurs opinions ne soient jamais en opposition avec celles des ministres dirigeants…
«Après huit ou dix années de service, si le soldat n'est pas tué ou blessé, il est libéré. S'il est atteint d'une blessure et s'il n'a personne pour l'assister, on le reçoit dans un grand sérail où il est nourri et logé jusqu'à la fin de ses jours.
«Ces lois, les Français s'efforcent de les introduire dans les pays qu'ils ont nouvellement conquis.»
La Garde impériale.
«En dehors de l'armée 40.000 soldats de toute arme sont choisis parmi les hommes de forte taille. Leur office est de garder l'Empereur nuit et jour. Ils sont casernés dans les environs de la ville et l'on voit à chaque instant des détachements de ce corps traverser les rues pour monter la garde au palais…
«Toutes les fois que l'empereur sort en voiture un peloton de cette garde, variant de cent cinquante à deux cents hommes, l'escorte à cheval. La nuit ils éclairent sa marche de torches allumées qui font que tout le monde s'écarte sur son passage. En campagne, de forts détachements entourent sa personne qu'ils ne perdent jamais de vue. La garde ne prend aucune part aux actions à moins que la nécessité ne l'y oblige. Bien que ces soldats soient vêtus à la franca, ils n'en portent point la coiffure ordinaire. Ils se coiffent d'un grand bonnet en peau de loutre à la manière des delil de la Mecque[26]. Sur ce bonnet retombent des ganses et des cordonnets…»
[26] Delil, cicerones qui guidaient les pèlerins dans leur marche vers les Saints-Lieux du Hedjaz.
Leurs écoles.
«Comme nul Français ne peut se soustraire à l'action des lois, les enfants de la noblesse ou des particuliers enrichis dans le négoce sont soumis à l'obligation de s'instruire. Leur instruction les mène aux situations les plus élevées de l'armée et de l'administration. Dans ce but, le gouvernement a ouvert des établissements dans la capitale et dans les principales villes du pays sous le nom de pensions où ils reçoivent une instruction conforme aux vues de l'Empereur. Celui-ci s'est assuré le concours des lettrés qui se font payer en conséquence. Les élèves y jouissent de tout le bien-être désirable moyennant un prix fixe. Un congé limité leur est accordé tous les deux mois.
«Une autre catégorie d'écoles dites impériales, ne reçoit que les fils des maréchaux, des généraux, des hauts dignitaires et dont la pension est payée sur la cassette de l'Empereur. Ils portent un uniforme spécial pour que chacun les reconnaisse. A leur sortie, ils passent des examens, puis ils sont distribués dans les différentes armes où ils occupent un rang en rapport avec leurs aptitudes.
«Dans toutes ces écoles, les nazaréens enseignent d'étranges choses. Ce n'est pas assez de dire qu'ils témoignent d'étonnantes aptitudes pour les sciences. Il faut ajouter que leur esprit s'attache à tirer parti de leurs connaissances. Ainsi, ils appellent chimie une science qui ne peut être vraisemblablement que celle que nous désignons nous-mêmes par El-Kimika (alchimie); mais chez eux il s'agit moins de transmuer le cuivre en or ou de changer le verre en rubis que d'étudier les métaux, les arbres, les pierres et enfin tout ce qui existe dans la nature. Leurs recherches, à ce que j'ai compris, ont pour but de pénétrer la cause qui fait, par exemple, que la pierre se transforme en chaux et s'effrite sous les doigts; pourquoi les unes sont susceptibles d'être polies, les autres colorées ou parfumées. Pourquoi les arbres distillent les uns la gomme, les autres le mastic, le sucre ou le poison? Tout cela est bien pourtant le produit de la même terre, issu d'une même argile. Aussi croient-ils intéressant de rechercher les raisons qui les rendent si dissemblables entre eux. Pour atteindre ce but ils ont ouvert ce que dans leur langue ils appellent cabinet. Le gouvernement y a installé des appareils de forme bizarre, de grands et de petits bocaux où ils renferment des échantillons de ce que l'Asie, l'Europe et l'Afrique, les îles, la mer contiennent de choses rares ou précieuses: l'or, l'argent, des pierres précieuses, le fer, le plomb, le cuivre, le mercure; puis des terres de couleur jaune, rouge et blanche, des éclats de bois pareils à la nacre. Plus loin sont les insectes de toutes formes et de toutes grosseurs, des poissons et du bois pétrifiés, des éléphants, des lions, des tigres, des serpents, des singes, des abeilles, etc., conservant toutes les apparences de la vie. Les métaux, comme les animaux, servent de sujet de leçon aux lettrés…
«Ces derniers ne sont pas moins habiles dans l'art de dessécher les animaux. J'en ai vu à Pesth de bien curieux. Mais le plus singulier je l'ai vu à Paris. Il ressemblait à un petit âne et n'avait que trois pieds. Le troisième était fixé à la racine de la queue. On y voit beaucoup de choses semblables, mais je m'arrête, car je ne saurais tout raconter.
«Dans ces mêmes écoles on enseigne la physique à la mode nazaréenne. Les lettrés du pays prétendent que l'air que nous respirons serait un composé d'air vital, d'air mortel et de feu. L'air, d'après eux, renfermerait les éléments les plus contradictoires, mais Dieu seul sait tout… A la vérité c'est merveille de voir les instruments par lesquels ils font les expériences qui servent à démontrer leur science…»
Mouhib effendi fait ici le récit d'une expérience à laquelle il assista sur la décomposition de l'air. Après avoir expliqué les mystères de l'Alchimie française, il ajoute: «Voilà ce que j'ai vu de mes yeux. Le lettré me proposa de faire la même expérience, mais je m'y refusai. Il me montra d'autres instruments non moins étranges pour expliquer, disait-il, les éclairs et la foudre qui tombe du ciel. Ne me souciant pas d'en voir davantage, je me retirai[27].»
[27] Le diplomate turc sort du laboratoire plus scandalisé que convaincu. J'assistai un jour à un examen à la faculté de médecine de Constantinople. Questionné sur un point de physiologie l'étudiant répondit d'une manière assez satisfaisante, puis il ajouta, en manière de conclusion: «Tout ça, ce sont des idées que je ne saurais adopter. Je suis musulman et ma religion m'interdit d'y croire.»
Où Mouhib effendi décrit la première exposition.
«Nulle part, écrit-il, les arts ne sont aussi activement cultivés que chez les nazaréens. Un exemple de cette activité c'est le spectacle qu'il m'a été donné de voir. On vient d'élever dans le centre de la ville un bâtiment divisé en nombreux pavillons qui communiquent entre eux par des couloirs. On y a exposé tout ce que le monde contient de pierreries, de bijoux, d'ustensiles en or, en argent; des machines, des pendules, des armes: canons, pistolets, fusils, et autres engins de guerre dont l'énumération n'aurait point de fin. Dans un pavillon spécial l'on a entassé des outils à l'usage des artisans. Tous ces objets sont disposés avec ordre et les plus précieux sont enfermés dans les vitrines. Cette foire où rien ne se vend, mais où tout est exposé pour l'agrément des yeux et l'instruction du monde, a été organisée par le gouvernement non seulement pour inspirer à chacun le goût des arts, mais pour faire connaître les œuvres des inventeurs et en perpétuer le souvenir. A l'exemple de mon prédécesseur, je rapporterai avec exactitude tout ce que j'y ai vu:
«A côté des objets de création récente, on a placé intentionnellement, pour susciter des comparaisons, le produit similaire du type ancien. A côté des objets précieux placés là pour faire connaître la gloire de l'État, qui sont en or, en cristal et en ivoire, on a placé des échantillons de chaux et de brique, des toiles et des draps, des tentes, des instruments de géométrie, des scies, des poulies et autres choses semblables.
«Lorsqu'un particulier est pris de l'envie de faire une invention, il parcourt les galeries, examine tout, et, si cet examen lui suggère une idée nouvelle, il rentre chez lui pour la réaliser. Toutefois, s'il s'aperçoit que ce qu'il avait dans l'idée est déjà inventé, il se borne alors à y apporter des modifications avantageuses. Son œuvre achevée, il la présente à l'examen d'un groupe de savants qui se prononcent sur son utilité. Si elle est jugée bonne, il reçoit une médaille ou une récompense en argent, puis un droit de vente exclusif.
«C'est ainsi qu'un industriel, auteur d'une charrue, reconnue supérieure aux autres, obtint le monopole de la vente. Un autre ayant perfectionné une machine à feu dont le travail égalait la puissance de 12 hommes, le gouvernement l'en récompensa par la cession d'un monopole de vente qu'il s'empressa d'exploiter et qui bientôt l'enrichit. Cette pompe à feu, je l'ai vue comme tout le monde. Là où il fallait douze chevaux pour accomplir un travail, un seul homme suffit, plus un sac de charbon pour entretenir le feu sans lequel la pompe ne fonctionnerait pas: on voit à quel point le travail s'en trouve simplifié. Et pourtant cette machine ne mesure qu'une dizaine de zerdals de surface, mais sa structure est si merveilleuse que la gravure la mieux faite ne saurait en donner une vue exacte. Ainsi plus besoin d'animaux et par suite d'orge, de foin et de paille, ni de palefreniers.
«Ce curieux objet me remet en mémoire la tentative d'Arakil ousta, l'inventeur de l'outillage de notre poudrière, pour faire que les vaisseaux de guerre pussent remonter le Bosphore par vent contraire. Il présenta à l'arsenal, au temps de Hussein pacha, un gabion de son invention auquel il adapta je ne sais quelle machine munie de cylindres qui dépassaient les sabords de chaque côté. Quatre ou cinq hommes auraient suffi pour le diriger. A l'aide de ce simple appareil il se faisait fort de remorquer les vaisseaux à trois ponts jusqu'à la rade de Bouyouk-Déré, malgré les courants les plus violents. Arakil ousta ne fut point écouté, et l'invention en resta là. C'est en cherchant dans les galeries si je ne trouverais pas un instrument semblable à celui de l'ousta de la poudrière que je découvris la pompe à feu citée plus haut. La seule différence (que j'ai pu établir entre les deux systèmes), c'est que celui de Stamboul ressemblait à un cabestan. Cependant des hommes instruits m'ont assuré que ces diverses machines n'ont encore donné aucun résultat appréciable…
«L'entrée des galeries est ouverte au public deux fois par semaine et les femmes y ont accès en même temps que les hommes. Les ambassadeurs et les personnes spécialement invitées y peuvent pénétrer tous les jours.»
Mouhib effendi visite consciencieusement les imprimeries où «toute publication de quelque nature qu'elle soit passe sous le contrôle de l'autorité qui censure et retranche des textes tout ce qui pourrait nuire aux intérêts de l'État».
«J'ai visité celle du Moniteur dont le matériel est arrangé dans un ordre parfait. De nombreux casiers sont là contenant les caractères des alphabets turc, grec, syrien, hébraïque, allemand, russe et d'autres langues inconnues. J'ai visité la fonderie, les ateliers où chacune de ces langues occupe une place à part. J'ai observé que les typographes ignorent tous celle des livres qu'ils composent, mais qu'ils n'en étaient pas moins habiles à les composer, sans doute par un effet de l'habitude. J'y ai compté jusqu'à cent cinquante presses, pareilles à celles de Scutari. Le Moniteur consomme, m'a-t-on dit, une dizaine de charrettes de papier. Son personnel comprend un effectif de 600 ouvriers. On doit savoir que dans les pays du frenghistan, hommes et femmes sont obligés de lire les gazettes et leur impatience à savoir ce qu'elles contiennent fait qu'on les voit lire même sur la voie publique. Nous payions 25 francs notre abonnement trimestriel au Moniteur et nous étions abonnés à six autres gazettes, ce qui nous revenait à 72 francs par trimestre.
«Pendant mon séjour à Paris, on construisit une machine de bronze pour l'impression des livres turcs et arabes. En apparence, elle réalisait un progrès, mais à l'épreuve, les résultats qu'elle donna furent médiocres. Comme j'exprimais mon opinion au directeur, à ce sujet, il me répondit qu'il s'était aperçu lui-même de ses imperfections, mais qu'il pensait l'utiliser encore quelque temps avant de la refondre.
«Comme j'allais me retirer, il me présente une feuille sortant tout humide de la presse où je lis qu'elle a été tirée «en souvenir de la visite que Mouhib effendi, envoyé extraordinaire de la Sublime Porte, a faite à l'imprimerie nationale».
«J'ai eu plus d'une fois l'occasion d'observer que les ouvrages imprimés avec des caractères en plomb manquent de netteté. C'est le cas de l'ouvrage Amentu Birguivi Cherhi dont mon père est l'auteur. Au cours du tirage j'essayai d'y remédier en soumettant le papier à un fort polissage, mais je ne tardai pas à m'apercevoir de l'inutilité de mes efforts. Pour obtenir un résultat appréciable il aurait fallu le rouler un millier de fois, et dans ce but j'avais fait fabriquer un rouleau spécial. Or, je ne pus dépasser la centaine. A Paris, je m'informai s'il n'existait pas un procédé qui me faciliterait la besogne. On me montra un cylindre que j'expédiai à Stamboul et dont nos imprimeurs ont eu à se louer.»
Du commerce et de l'institution appelée poste.
«Les nazaréens sont des calculateurs habiles et leurs gouvernements s'ingénient à qui mieux mieux pour donner au commerce de leur pays le plus grand développement. Ils s'avisent, pour s'enrichir, d'expédients les uns plus surprenants que les autres… Ils utilisent dans ce but le cours des fleuves, les ruisseaux, le vent, la force naturelle de tous les éléments. Où il y a de l'eau, ils construisent un moulin hydraulique; où l'eau fait défaut, ils élèvent un moulin à vent…
«… Ce système (commercial) est complété par cette étonnante administration des postes dont je tenterai d'expliquer les procédés dans la mesure où j'ai pu les comprendre…
«Ce service (des postes) mérite également l'attention par la sévérité qui préside à son fonctionnement. Si quelqu'un se présentait, par exemple, au nom du gouvernement pour réquisitionner des chevaux affectés au service, il serait honteusement chassé. Je ne parle pas seulement du simple fonctionnaire, mais l'Empereur lui-même ne serait pas mieux reçu et il ne pourrait en tous cas disposer des chevaux sans payer.
«Voici un fait dont j'ai été témoin: Un jour on signala à la frontière l'arrivée de l'ambassadeur de Perse. Les autorités envoyèrent aussitôt à sa rencontre un Mihmandar[28], mais elles eurent soin, en même temps, de lui donner l'argent nécessaire pour défrayer l'hôte jusqu'à Paris, si bien que celui-ci n'eut pas à débourser un para tout le long de son voyage. Cependant chacun sait que les pays infidèles sont chiches de leur argent.
[28] Fonctionnaire que la S. Porte attache à un étranger de distinction voyageant en Turquie.
«Les localités traversées par un haut fonctionnaire de l'État ou par un général qui va prendre un commandement ne sont nullement obligées de contribuer à leurs frais de déplacement. Dans ces pays, chacun, petit ou grand, voyage suivant ses moyens propres. Les mœurs y sont telles que si un fonctionnaire se permettait d'user de son autorité pour réquisitionner le matériel des postes, les particuliers ne manqueraient pas de se prévaloir de son exemple. Telle est la raison pour laquelle les courriers de l'État disposent d'un matériel indépendant. Ils ne sont autorisés qu'à louer moyennant finance, aux relais, les chevaux dont ils ont besoin.
«Il a été créé, en outre, pour la commodité du public, un système de voitures économiques, appelées diligences. On peut les comparer à nos bazars-caïks du Bosphore. Ces voitures stationnent au milieu des places où elles attendent les voyageurs qu'elles transportent moyennant un prix fixé par un tarif. Hommes, femmes, enfants s'y entassent pêle-mêle avec leurs bagages. On sait d'avance l'heure du départ et, par suite de la régularité du service, celle de l'arrivée. Le soir, le gîte et un repas les attendent dans l'une des nombreuses auberges semées sur la route. S'ils refusent de manger le repas qu'on leur sert, ils n'en payent pas moins leur écot. C'est ce qui advint à nos serviteurs qui avaient refusé de toucher aux plats par crainte de manger du porc. Les postillons nous firent observer, pour nous engager à payer, que l'aubergiste n'avait pu prévoir que des musulmans se trouveraient parmi les voyageurs. Bon gré mal gré nous dûmes payer un repas que nous n'avions pas mangé.»
Le Départ.
«Aussitôt que l'Iradé me rappelant à Constantinople me fut communiqué, je remis les pouvoirs à Ghalib effendi, notre premier secrétaire, qui était à ce moment atteint d'une maladie grave. Aussi avions-nous décidé, avant de quitter Paris, que s'il venait à mourir, le drogman serait appelé à le remplacer. Munis de nos passeports, j'entrepris de gagner Constantinople par la voie de terre et de faire voyager les gens de ma suite par la voie de mer. Cependant nous voyageâmes de conserve jusqu'à Marseille. Trois jours après notre départ, nous arrivions à Lyon, ville importante, dont la population se livre à l'industrie des étoffes de soie et de laine. Son commerce est très actif, encore qu'elle n'exporte plus ses produits en Angleterre à cause de la guerre; mais, comme le reste du monde lui est ouvert, elle redouble d'efforts pour se créer de nouveaux débouchés. Nous étant remis en route, nous arrivions à Marseille après trois jours de marche. Peu après nous y recevions la nouvelle de la mort de Ghalib effendi en même temps que la transmission de ses pouvoirs au drogman. Le mauvais temps nous contraignit à rester dans cette ville plus que nous ne l'aurions voulu et nos gens ne purent embarquer qu'au dix-huitième jour de notre arrivée. Le temps s'étant remis au beau, le navire put lever l'ancre et, avec l'aide de Dieu, mit le cap sur l'île de Malte. Quant à nous, nous nous acheminâmes vers Toulon.
«Marseille est une grande ville sur la mer blanche et son port est assez bien abrité. Le château qui en défend l'entrée fut détruit pendant la révolution. Il peut contenir jusqu'à deux cents navires de commerce, mais aujourd'hui il est à peu près abandonné. Avant que la guerre éclatât avec l'Angleterre le mouvement du port était de trois cents navires et son commerce était florissant. On n'y voit plus aujourd'hui que quelques vaisseaux sous pavillon ottoman[29].
[29] Ces vaisseaux étaient hydriotes et spetziotes. Avant la Révolution française le commerce en Levant appartenait presque exclusivement à la France. Il se faisait par caravanes, c'est-à-dire que les bâtiments partis de Marseille allaient faire relâche dans les différentes échelles du Levant pour y décharger leurs marchandises. Les comptoirs que l'on y établissait relevaient de la Chambre de commerce de Marseille. La Révolution et les guerres qui suivirent ont ruiné ce commerce. Les traditions s'y perdirent et la concurrence s'y établit. Le commerce grec fut le premier à mettre à profit les événements politiques. La marine des îles moréotes date de cette époque, ce devait être le facteur principal de l'émancipation de la Grèce moderne.
«Le soir venu, au signal d'un coup de canon, une chaîne est tendue d'un môle à l'autre, à travers de massifs anneaux de fer. Dès lors aucun navire n'est plus admis à y pénétrer. L'entrée en est même interdite aux simples embarcations. Un fanal y est allumé après le coucher du soleil, et de chaque côté s'élèvent des postes où des soldats montent la garde nuit et jour. Ces précautions ne sont pas inutiles, car il ne se passe pas de jour où l'on ne voie apparaître au large deux ou trois navires anglais. La population se plaint vivement de cet état de choses.
«L'on peut dire que l'Eyalet de Provence vit de son industrie et principalement des transactions du port de Marseille où s'accumulent les denrées de la Turquie, de la Tunisie, de l'Algérie et du Maroc. J'ai pu m'assurer par moi-même de la cherté excessive des denrées, encore que l'Eyalet soit réputé pour sa fertilité.
«M'étant arrêté plusieurs jours à Toulon, on me fit savoir que je pouvais visiter l'arsenal et je m'empressai de profiter de la permission. Je pénétrai d'abord dans une salle où étaient exposés une multitude de vaisseaux en miniature auxquels rien ne manquait de ce qu'il faut pour naviguer. L'usage est de fabriquer un petit modèle de chaque navire en construction et il y avait là toute une flottille de l'aspect le plus curieux. J'y découvris également plusieurs modèles de «pompes à feu». Ensuite, je pénétrai dans un vaste bâtiment haut de plusieurs étages et contenant tout ce qui est nécessaire pour faire la guerre: carabines, pistolets, sabres français et autres engins de guerre. La voilerie est à côté, puis viennent la plomberie et la poulierie. Des ouvriers libres y travaillent confondus avec des galériens condamnés aux travaux forcés. Un chef d'atelier me dit que l'arsenal occupait trois catégories d'ouvriers: les journaliers, les déserteurs et les condamnés pour vol et assassinat. A chacun, indistinctement, l'arsenal impose une besogne en rapport avec ses connaissances et ses aptitudes physiques. Ceux qui ne savent aucun métier sont employés à transporter les lourds fardeaux. En vue de les encourager au travail et pour les détourner du mal, la direction leur alloue, au moment de leur mise en liberté, une somme d'argent. L'usage d'abréger la durée de la peine à laquelle un criminel a été condamné n'existe pas chez les frenks.
«Des cales s'alignent, innombrables, au bord de l'eau. Il y en avait cent cinquante en maçonnerie construites sur le modèle des nôtres. Je parcourus plus rapidement que je n'aurais voulu les ateliers de forge et de mécanique, puis de vastes ateliers où l'on fabrique des affûts de canons, et des roues, ainsi que différents autres objets qui entrent dans l'armement des vaisseaux. Des ouvriers appartenant aux trois catégories d'individus signalés plus haut, y travaillent en grand nombre. Une grue s'élève à cet endroit, dont les dimensions me parurent si extraordinaires que je ne cessai de l'admirer. J'y ai vu également un marteau gigantesque lequel, en tombant d'une certaine hauteur, perfore et façonne le fer avec une surprenante facilité. A proximité d'un bassin destiné à la réparation des navires, mais qui est moins grand que celui de Cassim pacha, une soixantaine d'hommes étaient occupés à manœuvrer quarante pompes. Surpris de voir tant de gens engagés dans une besogne que je jugeai inutile, je ne pus m'empêcher d'en parler au directeur qui m'accompagnait. Il m'expliqua que cette manœuvre n'avait d'autre but que d'occuper tous ces criminels dont l'inaction pourrait avoir des suites dangereuses à cause de leur grand nombre. En effet, ils étaient plus de dix mille, tant galériens que déserteurs. Dans l'impossibilité de loger cette quantité d'hommes dans l'arsenal, on s'est avisé d'aménager les entreponts des vieux navires où ils sont conduits le soir quand leur tâche est finie.
«L'arsenal a la forme d'un bassin et de toutes parts une muraille l'enveloppe. A l'extérieur, s'ouvre un autre port où l'on construisait à ce moment des frégates et des galions. Autour du bassin se développe une série de constructions closes. Au loin, un groupe d'îles forme comme une rade immense. Une quinzaine de jours auparavant, l'amiral anglais y avait fait une soudaine apparition à la tête de vingt vaisseaux. Cette flotte mouillait hors de la portée des canons et débarquait ses malades sur la plage que l'amiral installait sous des tentes et où ils séjournaient une vingtaine de jours sans que personne osât les inquiéter. Je tiens ces détails des Français eux-mêmes. Cependant ces derniers disposaient à ce moment de forces respectables. J'ai pu moi-même compter, ancrés dans le port, quatre vaisseaux de ligne et quatorze frégates prêts à prendre la mer. Ils avaient en construction deux vaisseaux à trois ponts, en outre sept ou huit vaisseaux en armement. Je ne fais pas entrer en ligne de compte les dix-huit transports qui étaient en voie de construction à Toulon, dont trois à Marseille.
«L'amiral français nous ayant invités à aller lui rendre visite à son bord, il nous envoya sa chaloupe. Il nous reçut à la coupée, et se mit en devoir de nous faire les honneurs de son navire. Tandis que nous visitions les batteries deux rayas grecs se jetèrent à mes pieds, me suppliant de les prendre en pitié. Ils avaient été capturés à bord d'un navire anglais par des corsaires français. Je les rassurai de mon mieux et je leur promis de m'entremettre en leur faveur auprès de l'amiral. Après un instant de repos et au moment de prendre congé je le priai de rendre la liberté aux deux Grecs. Il me les remit sur-le-champ. En apprenant cette nouvelle les deux prisonniers se crurent rappelés à la vie et je les retrouvai remerciant le ciel avec ferveur.»
Leurs navires corsaires.
«Je rappellerai qu'il existe trois sortes de puissances militaires: celle dont la force n'est que terrestre, celle dont la force est à la fois terrestre et maritime, et enfin celle dont la puissance est fondée exclusivement sur la marine.
«Les deux dernières, outre leur flotte régulière, s'appliquent à construire des navires de course qu'ils arment contre l'ennemi. En temps de guerre les commerçants, les banquiers, les gens riches et nobles se cotisent pour construire des vaisseaux qu'ils confient à un marin expérimenté et à un bon équipage. Le gouvernement participe à l'armement en donnant au navire un pavillon, la solde aux équipages et des vivres pour plusieurs mois. Les prises sont débarquées dans les ports, ou bien sur les côtes des nations alliées. Elles sont mises en vente et le produit en est partagé entre l'équipage et le capitaine. Cette répartition s'effectue suivant des règles établies, auxquelles chacun se soumet. Mais quand les affaires tournent mal et qu'au lieu de prendre on est pris, le gouvernement, s'il y a lieu, les indemnise de leurs pertes. Cette forme de course revêt l'aspect d'une opération commerciale, et les frenks ne l'envisagent point de mauvais œil. J'ai vu à mon passage à Marseille un navire de course dont l'équipage se composait de Tunisiens musulmans et de Grecs. Toutes les fois qu'un conflit s'élevait entre eux, le cas était déféré aux tribunaux spéciaux établis dans les ports.
«Outre le dommage qu'ils causent à l'ennemi, les bateaux-corsaires constituent d'excellents éclaireurs capables de fournir à ceux qui les utilisent de précieux renseignements en temps de guerre.
«Après avoir quitté Toulon, la première ville qui se présenta fut Nice, qui appartient au roi de Sardaigne. J'ai pu la voir d'une hauteur où s'élèvent les ruines d'un vieux château qui a son histoire. On m'a raconté que les Arabes de Tunis, après s'être emparés de cette position, livrèrent la ville aux flammes. Le château fut détruit et il se trouve encore dans l'état où ils le laissèrent. La ville ne s'est jamais relevée complètement de ce désastre. Son port est néanmoins bien défendu, et l'on y remarque une caserne. Je ne pouvais me lasser d'en admirer les environs où les jardins succèdent aux bois d'orangers et de citronniers dont l'aspect réjouit le cœur. Les fleurs y croissent en telle abondance que les habitants en exportent de grandes quantités à Paris.
«Après, nous gagnâmes Villefranche, dont la rade abritait à ce moment trois navires à l'ancre. On nous assura qu'elle en pourrait contenir de cinquante à soixante. Plus loin est Savone où se trouve actuellement interné le pape de Rome. Il lui a été défendu de s'établir ailleurs, et l'on peut croire qu'il ne sortira plus de cette place. De là nous nous rendons à Gênes où régnait dans le peuple une grande misère. Les faubourgs de cette ville et les villages des environs souffrent du plus grand dénuement et l'on m'a assuré que la population y mourait littéralement de faim. Malgré cette situation, le recrutement militaire s'y poursuit, comme en Provence, avec la plus grande rigueur. La jeunesse du pays, par groupes de 5 à 600 hommes, est envoyée sur les champs de manœuvres pour y être exercée. Toute la partie du littoral comprise entre Marseille et Gênes est garnie de canons en prévision d'une attaque des Anglais. De distance en distance, l'on a placé des installations télégraphiques pour signaler les tentatives de débarquement que leurs vaisseaux y pourraient faire. Aussitôt qu'apparaît à l'horizon une voile suspecte, tous les postes sont prévenus et l'alerte est générale. Nonobstant ces précautions les navires anglais n'en renouvellent pas moins, comme il leur plaît, leurs provisions d'eau. Arrivant inopinément sur un point de la côte, ils effrayent la population qui les laisse agir à leur guise.
«De Nice à Gênes, le voyage s'accomplit à dos de mulet, à cause du mauvais état des routes. Nous dûmes escalader une montagne abrupte dont le parcours nous prit quatre heures de la journée. La campagne est fertile et entièrement recouverte d'oliviers et de châtaigniers; de tous côtés s'étendent de belles cultures. L'on est en train d'y construire une route carrossable qui contourne le pied des montagnes et qui doit, dit-on, mener de Nice à Gênes. Cette dernière ville est grande. De vastes palais attirent nos regards en traversant les rues. Ils sont ornés de hautes colonnes et d'escaliers de marbre du plus magnifique effet. Les portes qui y donnent accès sont aussi élevées que celles de nos hans de Stamboul. La brique dont ils sont construits est de la couleur de la décoration qui est le vert antique. Ce sont incontestablement les constructions les plus solides que j'aie vues en Europe. Dans le port, des corsaires français sont mouillés non loin des môles.
«Puis, nous traversons Campo-Moro et la ville de Piacenza où s'élève un château. Sa campagne est arrosée par le Pô qui est le plus grand fleuve de l'Italie. Le volume d'eau qui gonfle son lit en hiver est trois fois plus considérable qu'en été. Je traverse plus loin un autre fleuve, la Trébigne, dont j'ai entendu souvent prononcer le nom à Paris, à cause de la bataille que Français et Autrichiens s'y sont livrée en ces derniers temps. Elle aurait été si acharnée que les eaux en furent troublées.
«Puis nous traversâmes successivement Keramote, Pouzzole où s'élève un château construit en briques, Mantoue où nous admirons un autre château, Edebella (?) et sa citadelle romaine, Cartoletto, Callomonte, Udine où s'élève une autre fameuse citadelle, puis Coridjé sur la frontière, qui aurait été cédée par les Autrichiens aux Français. Après avoir fait une halte à Lobiata, autrement dit Lyntch, je visitai Trieste, puis Fiume sur l'Adriatique, Costanitza, sur les bords du Lono. Je m'arrêtai ensuite quelques jours à Dubnitza pour y célébrer les fêtes du baïram en compagnie de mes frères musulmans. Ensuite, m'étant remis en chemin, je parcourus les étapes de Banialvka, Isvonik, Tchélébi-Pazari, Tachlidja, Pierpol, Ieni-Pazar, Wulschtrin, Pristnia, Coumanova, Kustendil, Pazardjik, Filippé, Edirné. Le 28 du mois de Zilhidjé 1226, j'atteignais la Der-Saadet[30]. Moins heureux que nous, nos compagnons, qui s'étaient embarqués à Toulon, sont tombés aux mains des Anglais qui les ont gardés prisonniers pendant quarante jours; remis en liberté, ils sont arrivés à bon port en même temps que nous, ce qui nous a fort étonnés. Que Dieu donne la paix aux musulmans; qu'ils soient heureux sous les auspices de l'État sublime. Amen!
[30] Maison de félicité. C'est ainsi que les Turcs désignent Constantinople à l'imitation des Arabes qui donnaient ce nom à Bagdad.
ÉDITIONS BOSSARD, 43, rue Madame
PARIS (VIe)
EXTRAIT DU CATALOGUE
Auguste Gauvain.—L'Europe au Jour le Jour.—Recueil d'histoire contemporaine.
Tome I.—La Crise Bosniaque (1908–1909). Prix 7.50
Tome II.—De la contre-révolution turque au Coup d'Agadir (1909–1911). Prix 7.50
Tome III.—Le Coup d'Agadir (1911). Prix 7.50
Tome IV.—La Première Guerre Balkanique (1912). Prix 7.50
Tome V.—La Deuxième Guerre Balkanique (1913). Prix 9 »
Tome VI.—Les Préliminaires de la Guerre Européenne (1913–1914). Prix 9 »
Tome VII—La Guerre Européenne (juin 1914–février 1915). Prix 12 »
Tome VIII.—La Guerre Européenne (février 1915–novembre 1915). Prix 12 »
Tome IX.—La Guerre Européenne (novembre 1915–septembre 1916). Prix 15 »
P.-N. Milioukov.—Le Mouvement intellectuel russe (Traduit du russe par J.-W. Bienstock). Avec 4 portraits. Prix 12 »
A. Albert-Petit.—La France de la Guerre.
—Tome I.—(Août 1914–mars 1916). Prix 9 »
—Tome II.—(Mars 1916–septembre 1917). Prix 9 »
—Tome III.—(Septembre 1917–juin 1919). Prix 12 »
Président W. Wilson.—Messages, Discours, Documents diplomatiques relatifs à la guerre mondiale.—Traduction conforme aux textes officiels, publiée avec des notes historiques et un index par Désiré Roustan, professeur de philosophie au Lycée Louis-le-Grand. Volume I: 18 août 1914–8 janvier 1918; Volume II: 11 février 1918–4 mars 1919.—Appendice et Index. 2 vol. in-8 (se vendant séparément). Prix de chacun 4.50
Ernest Lémonon.—L'Allemagne vaincue.—Un vol. in-8. Prix 7.50
Eugène Gascoin.—Les victoires Serbes de 1916.—20 photographies, une carte hors texte. Un vol. in-8. Prix 4.80
Jules Chopin (alias Jules Pichon).—L'Unité de la Politique Italienne.—Une carte hors texte. Un vol. in-16 Bossard. Prix 2.70
Louis Hautecœur.—L'Italie sous le Ministère Orlando, 1917–1919.—Un vol. in-8. Prix 7.50
Auguste Boppe.—A la suite du Gouvernement Serbe. De Nich à Corfou (20 octobre 1915–19 janvier 1916). Une carte hors texte. Un vol. in-16 Bossard. Prix 3 »
Auguste Gauvain.—L'Encerclement de l'Allemagne.—Un vol. in-16 Bossard. 1919 (7e mille). Prix 3 »
Fernand Roches.—Manuel des Origines de la Guerre.—Causes lointaines.—Cause immédiate. Préface de M. A. de Lapradelle, professeur de Droit des Gens à la Faculté de Droit de Paris. Avec un tableau synoptique en deux encres et un index des noms propres (500 pages). 1919 (3e mille). Prix 6.60
A. Lugan.—Les Problèmes internationaux et le Congrès de la Paix (Vue d'ensemble).—Un vol. in-8. 1919 (2e mille). Prix 3.90
Jacques Ancel.—L'Unité de la politique Bulgare 1870–1919. Avec une carte hors texte en déplié.—Un vol. in-16 Bossard. Prix 2.40
Auguste Gauvain.—L'Affaire Grecque.—Un vol. in-16 Bossard. 1918 (8e mille). Prix 3 »
Charles Frégier.—Les Étapes de la Crise Grecque, 1915–1918. Préface de M. Gustave Fougères, directeur de l'École française d'Athènes.—Un vol. in-16 Bossard. Prix 3.90
Émile Laloy.—Les Documents secrets des Archives du Ministère des Affaires étrangères de Russie publiés par les Bolchéviks.—Un vol. in-16 Bossard. 1920. Prix 3.90
ABBEVILLE.—IMPRIMERIE F. PAILLART.