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Œuvres complètes de François Villon: Suivies d'un choix des poésies de ses disciples

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Mil quatre cens cinquante et six,

Je, François Villon, escollier,

Considérant, de sens rassis,

Le frain aux dents, franc au collier,

Qu'on doit ses oeuvres conseiller,

Comme Vegèce le racompte,

Saige Romain, grand conseiller,

Ou autrement on se mescompte.

II.

En ce temps que j'ay dit devant,

Sur le Noël, morte saison,

Lorsque les loups vivent de vent,

Et qu'on se tient en sa maison,

Pour le frimas, près du tison:

Cy me vint vouloir de briser

La très amoureuse prison

Qui souloit mon cueur desbriser.

III.

Je le feis en telle façon,

Voyant Celle devant mes yeulx

Consentant à ma deffaçon,

Sans ce que jà luy en fust mieulx;

Dont je me deul et plains aux cieulx,

En requérant d'elle vengence

A tous les dieux venerieux,

Et du grief d'amours allégence.

IV.

Et, se je pense à ma faveur,

Ces doulx regrets et beaulx semblans

De très decepvante saveur,

Me trespercent jusques aux flancs:

Bien ilz ont vers moy les piez blancs

Et me faillent au grant besoing.

Planter me fault autre complant

Et frapper en un autre coing.

V.

Le regard de Celle m'a prins,

Qui m'a esté félonne et dure;

Sans ce qu'en riens aye mesprins,

Veult et ordonne que j'endure

La mort, et que plus je ne dure.

Si n'y voy secours que fouir.

Rompre veult la dure souldure,

Sans mes piteux regrets ouir!

VI.

VII.

Combien que le départ soit dur,

Si fault-il que je m'en esloingne.

Comme mon paouvre sens est dur!

Autre que moy est en queloingne,

Dont onc en forest de Bouloingne

Ne fut plus alteré d'humeur.

C'est pour moy piteuse besoingne:

Dieu en vueille ouïr ma clameur!

VIII.

Et puisque departir me fault,

Et du retour ne suis certain:

Je ne suis homme sans deffault,

Ne qu'autre d'assier ne d'estaing.

Vivre aux humains est incertain,

Et après mort n'y a relaiz:

Je m'en voys en pays loingtaing;

Si establiz ce présent laiz.

IX.

X.

A celle doncques que j'ay dict,

Qui si durement m'a chassé,

Que j'en suys de joye interdict

Et de tout plaisir déchassé,

Je laisse mon coeur enchassé,

Palle, piteux, mort et transy:

Elle m'a ce mal pourchassé,

Mais Dieu luy en face mercy!

XI.

Et à maistre Ythier, marchant,

Auquel je me sens très tenu,

Laisse mon branc d'acier tranchant,

Et à maistre Jehan le Cornu,

Qui est en gaige détenu

Pour ung escot six solz montant;

Je vueil, selon le contenu,

Qu'on luy livre, en le racheptant.

XII.

Item, je laisse à Sainct-Amant

Le Cheval Blanc avec la Mulle,

Et à Blaru, mon dyamant

Et l'Asne rayé qui reculle.

Et le décret qui articulle:

Omnis utriusque sexus,

Contre la Carmeliste bulle,

Laisse aux curez, pour mettre sus.

Item, à Jehan Trouvé, bouchier,

Laisse le mouton franc et tendre,

Et ung tachon pour esmoucher

Le boeuf couronné qu'on veult vendre,

Et la vache qu'on ne peult prendre.

Le vilain qui la trousse au col,

S'il ne la rend, qu'on le puist pendre

Ou estrangler d'un bon licol!

XIV.

Et à maistre Robert Vallée,

Povre clergeon au Parlement,

Qui ne tient ne mont ne vallée,

J'ordonne principalement

Qu'on luy baille legerement

Mes brayes, estans aux trumellières,

Pour coeffer plus honestement

S'amye Jehanneton de Millières.

XV.

Pour ce qu'il est de lieu honeste,

Fault qu'il soit myeulx recompensé,

Car le Saint-Esprit l'admoneste.

Ce obstant qu'il est insensé.

Pour ce, je me suis pourpensé,

Puysqu'il n'a sens mais qu'une aulmoire,

De recouvrer sur Malpensé,

Qu'on lui baille, l'Art de mémoire.

XVI.

XVII.

Derechief, je laisse en pur don

Mes gands et ma hucque de soye

A mon amy Jacques Cardon;

Le gland aussi d'une saulsoye,

Et tous les jours une grosse oye

Et ung chappon de haulte gresse;

Dix muys de vin blanc comme croye,

Et deux procès, que trop n'engresse.

XVIII.

Item, je laisse à ce jeune homme,

René de Montigny, troys chiens;

Aussi à Jehan Raguyer, la somme

De cent frans, prins sur tous mes biens;

Mais quoy! Je n'y comprens en riens

Ce que je pourray acquerir:

On ne doit trop prendre des siens,

Ne ses amis trop surquerir.

XIX.

XX.

Et à maistre Jacques Raguyer,

Je laisse l'Abreuvoyr Popin,

Pour ses paouvres seurs grafignier;

Tousjours le choix d'ung bon lopin,

Le trou de la Pomme de pin,

Le doz aux rains, au feu la plante,

Emmailloté en jacopin;

Et qui vouldra planter, si plante.

XXI.

Item, à maistre Jehan Mautainct

Et maistre Pierre Basannier,

Le gré du Seigneur, qui attainct

Troubles, forfaits, sans espargnier;

Et à mon procureur Fournier,

Bonnetz courts, chausses semellées,

Taillées sur mon cordouennier,

Pour porter durant ces gellées.

XXII.

Item, au chevalier du guet,

Le heaulme luy establis;

Et aux pietons qui vont d'aguet

Tastonnant par ces establis,

Je leur laisse deux beaulx rubis,

La lenterne à la Pierre-au-Let.,

Voire-mais, j'auray les Troys licts,

S'ilz me meinent en Chastellet.

Item, à Perrenet Marchant,

Qu'on dit le Bastard de la Barre,

Pour ce qu'il est ung bon marchant,

Luy laisse trois gluyons de feurre

Pour estendre dessus la terre

A faire l'amoureux mestier,

Où il luy fauldra sa vie querre,

Car il ne scet autre mestier.

XXIV.

Item, au Loup et à Chollet,

Je laisse à la foys un canart,

Prins sous les murs, comme on souloit,

Envers les fossez, sur le tard;

Et à chascun un grand tabart

De cordelier, jusques aux pieds,

Busche, charbon et poys au lart,

Et mes housaulx sans avantpiedz.

XXV.

Derechief, je laisse en pitié,

A troys petitz enfans tous nudz,

Nommez en ce présent traictié,

Paouvres orphelins impourveuz,

Tous deschaussez, tous despourveus,

Et desnuez comme le ver;

J'ordonne qu'ils seront pourveuz,

Au moins pour passer cest yver.

XXVI.

XXVII.

Item, ma nomination,

Que j'ay de l'Université,

Laisse par résignation,

Pour forclorre d'adversité

Paouvres clercs de ceste cité,

Soubz cest intendit contenuz:

Charité m'y a incité,

Et Nature, les voyant nudz.

XXVIII.

C'est maistre Guillaume Cotin

Et maistre Thibault de Vitry,

Deux paouvres clercs, parlans latin,

Paisibles enfans, sans estry,

Humbles, bien chantans au lectry.

Je leur laisse cens recevoir

Sur la maison Guillot Gueuldry,

En attendant de mieulx avoir.

XXIX.

XXX.

Item, je laisse aux hospitaux

Mes chassis tissus d'araignée;

Et aux gisans soubz les estaux,

Chascun sur l'oeil une grongnée,

Trembler à chière renffrongnée,

Maigres, velluz et morfonduz;

Chausses courtes, robbe rongnée,

Gelez, meurdriz et enfonduz.

XXXI.

Item, je laisse à mon barbier

Les rongneures de mes cheveulx,

Plainement et sans destourbier;

Au savetier, mes souliers vieulx,

Et au fripier, mes habitz tieulx

Que, quant du tout je les délaisse,

Pour moins qu'ilz ne coustèrent neufz

Charitablement je leur laisse.

XXXII.

Item, aux Quatre Mendians,

Aux Filles Dieu et aux Beguynes,

Savoureulx morceaulx et frians,

Chappons, pigons, grasses gelines,

Et puis prescher les Quinze Signes,

Et abatre pain à deux mains.

Carmes chevaulchent nos voisines,

Mais cela ne m'est que du meins.

Item, laisse le Mortier d'or

A Jehan l'Espicier, de la Garde,

Et une potence à Sainct-Mor,

Pour faire ung broyer à moustarde,

Et celluy qui feit l'avant-garde,

Pour faire sur moy griefz exploitz,

De par moy sainct Anthoine l'arde!

Je ne lui lairray autre laiz.

XXXIV.

Item, je laisse à Mairebeuf

Et à Nicolas de Louvieulx,

A chascun l'escaille d'un oeuf,

Plaine de frans et d'escus vieulx,

Quant au concierge de Gouvieulx,

Pierre Ronseville, je ordonne,

Pour luy donner encore mieulx,

Escus telz que prince les donne.

XXXV.

Finalement, en escrivant,

Ce soir, seullet, estant en bonne,

Dictant ces laiz et descripvant,

Je ouyz la cloche de Sorbonne,

Qui tousjours à neuf heures sonne

Le Salut que l'Ange prédit;

Cy suspendy et cy mis bonne,

Pour pryer comme le cueur dit.

XXXVI.

XXXVII.

Et mesmement l'extimative,

Par quoy prospérité nous vient;

Similative, formative,

Desquelz souvent il advient

Que, par l'art trouvé, hom devient

Fol et lunaticque par moys:

Je l'ay leu, et bien m'en souvient,

En Aristote aucunes fois.

XXXVIII.

Doncques le sensif s'esveilla

Et esvertua fantasie,

Qui tous argeutis resveilla,

Et tint souveraine partie,

En souppirant, comme amortie,

Par oppression d'oubliance,

Qui en moy s'estoit espartie

Pour montrer des sens l'alliance.

XXXIX.

XL

Fait au temps de ladicte date,

Par le bon renommé Villon,

Qui ne mange figue ne date;

Sec et noir comme escouvillon,

Il n'a tente ne pavillon

Qu'il n'ayt laissé à ses amys,

Et n'a mais qu'un peu de billon,

Qui sera tantost à fin mys.

CY FINE LE TESTAMENT VILLON.




I.

En l'an trentiesme de mon aage,

Que toutes mes hontes j'eu beues,

Ne du tout fol, ne du tout sage.

Nonobstant maintes peines eues,

Lesquelles j'ay toutes receues

Soubz la main Thibault d'Aussigny.

S'evesque il est, seignant les rues,

Qu'il soit le mien je le regny!

II.

III.

Et, s'aucun me vouloit reprendre

Et dire que je le mauldys,

Non fais, si bien me sçait comprendre,

Et rien de luy je ne mesdys.

Voycy tout le mal que j'en dys:

S'il m'a esté misericors,

Jésus, le roy de paradis,

Tel luy soit à l'âme et au corps!

IV.

S'il m'a esté dur et cruel

Trop plus que cy ne le racompte,

Je vueil que le Dieu éternel

Luy soit doncq semblable, à ce compte!...

Mais l'Eglise nous dit et compte

Que prions pour nos ennemis;

Je vous dis que j'ay tort et honte:

Tous ses faictz soient à Dieu remis!

V.

Si prieray Dieu de bon cueur,

Pour l'âme du bon feu Cotard.

Mais quoy! ce sera doncq par cueur,

Car de lire je suys faitard.

Prière en feray de Picard;

S'il ne le sçait, voise l'apprandre,

S'il m'en croyt, ains qu'il soit plus tard

A Douay, ou à Lysle en Flandre!

Combien souvent je veuil qu'on prie

Pour luy, foy que doy mon baptesme,

Obstant qu'à chascun ne le crye,

Il ne fauldra pas à son esme.

Au Psaultier prens, quand suys à mesme,

Qui n'est de beuf ne cordoen,

Le verset escript le septiesme

Du psaulme de Deus laudem.

VII.

Si pry au benoist Filz de Dieu,

Qu'à tous mes besoings je reclame,

Que ma pauvre prière ayt lieu

Verz luy, de qui tiens corps et ame,

Qui m'a préservé de maint blasme

Et franchy de vile puissance.

Loué soit-il, et Nostre-Dame,

Et Loys, le bon roy de France!

VIII.

Auquel doint Dieu l'heur de Jacob,

De Salomon l'honneur et gloire;

Quant de prouesse, il en a trop;

De force aussi, par m'ame, voire!

En ce monde-cy transitoire,

Tant qu'il a de long et de lé;

Affin que de luy soit memoire,

Vive autant que Mathusalé!

IX.

X.

Pour ce que foible je me sens,

Trop plus de biens que de santé,

Tant que je suys en mon plain sens,

Si peu que Dieu m'en a presté,

Car d'autre ne l'ay emprunté,

J'ay ce Testament très estable

Faict, de dernière voulenté,

Seul pour tout et irrévocable:

XI.

Escript l'ay l'an soixante et ung,

Que le bon roy me délivra

De la dure prison de Mehun,

Et que vie me recouvra,

Dont suys, tant que mon cueur vivra,

Tenu vers luy me humilier,

Ce que feray jusqu'il mourra:

Bienfaict ne se doibt oublier.

Icy commence Villon à entrer en matière

pleine d'erudition et de bon sçavoir.

XII.

XIII.

Combien qu'au plus fort de mes maulx,

En cheminant sans croix ne pile,

Dieu, qui les Pellerins d'Esmaus

Conforta, ce dit l'Evangile,

Me montra une bonne ville

Et pourveut du don d'espérance;

Combien que le pecheur soit vile,

Riens ne hayt que persévérance.

XIV.

Je suys pécheur, je le sçay bien;

Pourtant Dieu ne veult pas ma mort,

Mais convertisse et vive en bien;

Mieulx tout autre que péché mord,

Soye vraye voulenté ou enhort,

Dieu voit, et sa miséricorde,

Se conscience me remord,

Par sa grace pardon m'accorde.

XV.

XVI.

Se, pour ma mort, le bien publique

D'aucune chose vaulsist myeulx,

A mourir comme ung homme inique

Je me jugeasse, ainsi m'aid Dieux!

Grief ne faiz à jeune ne vieulx,

Soye sur pied ou soye en bière:

Les montz ne bougent de leurs lieux,

Pour un paouvre, n'avant, n'arrière.

XVII.

Au temps que Alexandre regna,

Ung hom, nommé Diomedès,

Devant luy on luy amena,

Engrillonné poulces et detz

Comme ung larron; car il fut des

Escumeurs que voyons courir.

Si fut mys devant le cadès,

Pour estre jugé à mourir.

XVIII.

L'empereur si l'arraisonna:

«Pourquoy es-tu larron de mer?»

L'autre, responce luy donna:

«Pourquoy larron me faiz nommer?

«Pour ce qu'on me voit escumer

«En une petiote fuste?

«Se comme toy me peusse armer,

«Comme toy empereur je fusse.

«Mais que veux-tu! De ma fortune,

«Contre qui ne puis bonnement,

«Qui si durement m'infortune,

«Me vient tout ce gouvernement.

«Excuse-moy aucunement,

«Et sçaches qu'en grand pauvreté

«(Ce mot dit-on communément)

«Ne gist pas trop grand loyaulté.»

XX.

Quand l'empereur eut remiré

De Diomedès tout le dict:

«Ta fortune je te mueray,

«Mauvaise en bonne!» ce luy dit.

Si fist-il. Onc puis ne mesprit

A personne, mais fut vray homme;

Valère, pour vray, le rescript,

Qui fut nommé le grand à Romme.

XXI.

Se Dieu m'eust donné rencontrer

Ung autre piteux Alexandre,

Qui m'eust faict en bon heur entrer,

Et lors qui m'eust veu condescendre

A mal, estre ars et mys en cendre

Jugé me fusse de ma voix.

Nécessité faict gens mesprendre,

Et faim saillir le loup des boys.

XXII.

XXIII.

Allé s'en est, et je demeure,

Pauvre de sens et de sçavoir,

Triste, failly, plus noir que meure,

Qui n'ay ne cens, rente, n'avoir;

Des miens le moindre, je n'y voir,

De me desadvouer s'avance,

Oublyans naturel devoir,

Par faulte d'ung peu de chevance.

XXIV.

Si ne crains avoir despendu,

Par friander et par leschier;

Par trop aimer n'ay riens vendu,

Que nuls me puissent reprouchier.

Au moins qui leur couste trop cher.

Je le dys, et ne croys mesdire.

De ce ne me puis revencher:

Qui n'a méfiait ne le doit dire.

XXV.

XXVI.

Bien sçay se j'eusse estudié

Ou temps de ma jeunesse folle,

Et à bonnes meurs dedié,

J'eusse maison et couche molle!

Mais quoy? je fuyoye l'escolle,

Comme faict le mauvays enfant...

En escrivant ceste parolle,

A peu que le cueur ne me fend.

XXVII.

Le dict du Saige est très beaulx dictz,

Favorable, et bien n'en puis mais,

Qui dit: «Esjoys-toy, mon filz,

A ton adolescence; mais

Ailleurs sers bien d'ung autre mectz,

Car jeunesse et adolescence

(C'est son parler, ne moins ne mais)

Ne sont qu'abbus et ignorance.»

XXVIII.

Mes jours s'en sont allez errant,

Comme, dit Job, d'une touaille

Sont les filetz, quant tisserant

Tient en son poing ardente paille:

Lors, s'il y a nul bout qui saille,

Soudainement il le ravit.

Si ne crains rien qui plus m'assaille,

Car à la mort tout assouvyst.

Où sont les gratieux gallans

Que je suyvoye au temps jadis,

Si bien chantans, si bien parlans,

Si plaisans en faictz et en dictz?

Les aucuns sont mortz et roydiz;

D'eulx n'est-il plus rien maintenant.

Respit ils ayent en paradis,

Et Dieu saulve le remenant!

XXX.

Et les aucuns sont devenuz,

Dieu mercy! grans seigneurs et maistres,

Les autres mendient tous nudz,

Et pain ne voyent qu'aux fenestres;

Les autres sont entrez en cloistres;

De Celestins et de Chartreux,

Bottez, housez, com pescheurs d'oystres:

Voilà l'estat divers d'entre eulx.

XXXI.

Aux grans maistres Dieu doint bien faire

Vivans en paix et en requoy.

En eulx il n'y a que refaire;

Si s'en fait bon taire tout quoy.

Mais aux pauvres qui n'ont de quoy,

Comme moy, Dieu doint patience;

Aux aultres ne fault qui ne quoy,

Car assez ont pain et pitance.

XXXII.

XXXIII.

En cest incident me suys mys,

Qui de rien ne sert à mon faict.

Je ne suys juge, ne commis,

Pour punyr n'absouldre meffaict.

De tous suys le plus imparfaict.

Loué soit le doulx Jésus-Christ!

Que par moy leur soit satisfaict!

Ce que j'ay escript est escript.

XXXIV.

Laissons le monstier où il est;

Parlons de chose plus plaisante.

Ceste matière à tous ne plaist:

Ennuyeuse est et desplaisante.

Pauvreté, chagrine et dolente,

Tousjours despiteuse et rebelle,

Dit quelque parolle cuysante;

S'elle n'ose, si le pense-elle.

XXXV.

XXXVI.

De pouvreté me guermentant,

Souventesfoys me dit le cueur:

«Homme, ne te doulouse tant

Et ne demaine tel douleur,

Se tu n'as tant qu'eust Jacques Cueur.

Myeulx vault vivre soubz gros bureaux

Pauvre, qu'avoir esté seigneur

Et pourrir soubz riches tumbeaux!»

XXXVII.

Qu'avoir esté seigneur!... Que dys?

Seigneur, lasse! ne l'est-il mais!

Selon ce que d'aulcun en dict,

Son lieu ne congnoistra jamais.

Quant du surplus, je m'en desmectz.

Il n'appartient à moy, pécheur;

Aux théologiens le remectz,

Car c'est office de prescheur.

XXXVIII.

Si ne suys, bien le considère,

Filz d'ange, portant dyadème

D'etoille ne d'autre sydère.

Mon père est mort, Dieu en ayt l'ame,

Quant est du corps, il gyst soubz lame...

J'entends que ma mère mourra,

Et le sçait bien, la pauvre femme;

Et le filz pas ne demourra.

Je congnoys que pauvres et riches,

Sages et folz, prebstres et laiz,

Noble et vilain, larges et chiches,

Petitz et grans, et beaulx et laidz,

Dames à rebrassez colletz,

De quelconque condicion,

Portant attours et bourreletz,

Mort saisit sans exception.

XL.

Et mourut Paris et Hélène.

Quiconques meurt, meurt à douleur.

Celluy qui perd vent et alaine,

Son fiel se crève sur son cueur,

Puys sue Dieu sçait quelle sueur!

Et n'est qui de ses maulx l'allège:

Car enfans n'a, frère ne soeur,

Qui lors voulsist estre son pleige.

XLI.

BALLADE

DES DAMES DU TEMPS JADIS.

Dictes-moy où, n'en quel pays,

Est Flora, la belle Romaine;

Archipiada, ne Thaïs,

Qui fut sa cousine germaine;

Echo, parlant quand bruyt on maine

Dessus rivière ou sus estan,

Qui beauté eut trop plus qu'humaine?

Mais où sont les neiges d'antan!

Où est la très sage Heloïs,

Pour qui fut chastré et puis moyne

Pierre Esbaillart à Sainct-Denys?

Pour son amour eut cest essoyne.

Semblablement, où est la royne

Qui commanda que Buridan

Fust jetté en ung sac en Seine?

Mais où sont les neiges d'antan!

ENVOI

Prince, n'enquerez de sepmaine

Où elles sont, ne de cest an,

Que ce refrain ne vous remaine:

Mais où sont les neiges d'antan!

BALLADE

DES SEIGNEURS DU TEMPS JADIS

Suyvant le propos précèdent.

Qui plus? Où est le tiers Calixte,

Dernier decedé de ce nom,

Qui quatre ans tint le Papaliste?

Alphonse, le roy d'Aragon,

Le gracieux duc de Bourbon,

Et Artus, le duc de Bretaigne,

Et Charles septiesme, le Bon?...

Mais où est le preux Charlemaigne!

Semblablement, le roy Scotiste,

Qui demy-face eut, ce dit-on,

Vermeille comme une amathiste

Depuys le front jusqu'au menton?

Le roy de Chypre, de renom;

Hélas! et le bon roy d'Espaigne,

Duquel je ne sçay pas le nom?...

Mais où est le preux Charlemaigne!

ENVOI.

Où est Claquin, le bon Breton?

Où le comte Daulphin d'Auvergne,

Et le bon feu duc d'Alençon?...

Mais où est le preux Charlemaigne!

BALLADE

A ce propos, en vieil françois.

Mais où sont ly sainctz apostoles,

D'aulbes vestuz, d'amys coeffez,

Qui sont ceincts de sainctes estoles,

Dont par le col prent ly mauffez,

De maltalent tout eschauffez?

Aussi bien meurt tilz que servans;

De ceste vie sont bouffez:

Autant en emporte ly vens.

Où sont de Vienne et de Grenobles

Ly Daulphin, ly preux, ly senez?

Où, de Dijon, Sallins et Dolles,

Ly sires et ly filz aisnez?

Où autant de leurs gens privez,

Heraulx, trompettes, poursuyvans?

Ont-ilz bien bouté soubz le nez?...

Autant en emporte ly vens.

ENVOI.

Princes à mort sont destinez,

Et tous autres qui sont vivans;

S'ils en sont coursez ou tennez,

Autant en emporte ly vens.

XLII.

Puys que papes, roys, filz de roys,

Et conceuz en ventres de roynes,

Sont enseveliz, mortz et froidz,

En aultruy mains passent leurs resnes;

Moy, pauvre mercerot de Renes,

Mourray-je pas? Ouy, se Dieu plaist;

Mais que j'aye faict mes estrenes,

Honneste mort ne me desplaist.

XLIII.

XLIV.

Or luy convient-il mendier,

Car à ce force le contraint.

Regrette huy sa mort, et hier;

Tristesse son cueur si estrainct,

Souvent, se n'estoit Dieu qu'il crainct,

Il feroit un horrible faict.

Si advient qu'en ce Dieu enfrainct,

Et que luy-mesmes se deffaict.

XLV.

Car, s'en jeunesse il fut plaisant,

Ores plus rien ne dit qui plaise.

Tousjours vieil synge est desplaisant:

Moue ne faict qui ne desplaise.

S'il se taist, affin qu'il complaise,

Il est tenu pour fol recreu;

S'il parle, on luy dit qu'il se taise.

Et qu'en son prunier n'a pas creu.

XLVI.

LES REGRETS

DE LA BELLE HEAULMIÈRE

Jà parvenue à vieillesse.

Advis m'est que j'oy regretter

La belle qui fut heaulmière,

Soy jeune fille souhaitter

Et parler en ceste manière:

«Ha! vieillesse felonne et fière,

Pourquoy m'as si tost abatue?

Qui me tient que je ne me fière,

Et qu'à ce coup je ne me tue?

«Tollu m'as ma haulte franchise

Que beauté m'avoit ordonné

Sur clercz, marchans et gens d'Eglise:

Car alors n'estoit homme né

Qui tout le sien ne m'eust donné,

Quoy qu'il en fust des repentailles,

Mais que luy eusse abandonné

Ce que reffusent truandailles.

«A maint homme l'ay reffusé,

Qui n'estoit à moy grand saigesse,

Pour l'amour d'ung garson rusé,

Auquel j'en feiz grande largesse.

A qui que je feisse finesse,

Par m'ame, je l'amoye bien!

Or ne me faisoit que rudesse,

Et ne m'amoyt que pour le mien.

«Or il est mort, passé trente ans,

Et je remains vieille et chenue.

Quand je pense, lasse! au bon temps,

Quelle fus, quelle devenue;

Quand me regarde toute nue,

Et je me voy si très-changée,

Pauvre, seiche, maigre, menue,

Je suis presque toute enragée.

«Qu'est devenu ce front poly,

Ces cheveulx blonds, sourcilz voultyz,

Grand entr'oeil, le regard joly,

Dont prenoye les plus subtilz;

Ce beau nez droit, grand ne petiz;

Ces petites joinctes oreilles,

Menton fourchu, cler vis traictis,

Et ces belles lèvres vermeilles?

«Le front ridé, les cheveulx gris,

Les sourcilz cheuz, les yeulx estainctz,

Qui faisoient regars et ris,

Dont maintz marchans furent attaincts;

Nez courbé, de beaulté loingtains;

Oreilles pendans et moussues;

Le vis pally, mort et destaincts;

Menton foncé, lèvres peaussues:

«C'est d'humaine beauté l'yssues!

Les bras courts et les mains contraictes,

Les espaulles toutes bossues;

Mammelles, quoy! toutes retraictes;

Telles les hanches que les tettes.

Du sadinet, fy! Quant des cuysses,

Cuysses ne sont plus, mais cuyssettes

Grivelées comme saulcisses.

«Ainsi le bon temps regretons

Entre nous, pauvres vieilles sottes,

Assises bas, à croppetons,

Tout en ung tas comme pelottes,

A petit feu de chenevottes,

Tost allumées, tost estainctes;

Et jadis fusmes si mignottes!...

Ainsi en prend à maintz et maintes.»

«Or y pensez, belle Gantière,

Qui m'escolière souliez estre,

Et vous, Blanche la Savetière,

Ores est temps de vous congnoistre.

Prenez à dextre et à senestre;

N'espargnez homme, je vous prie:

Car vieilles n'ont ne cours ne estre,

Ne que monnoye qu'on descrie.

«Et vous, la gente Saulcissière,

Qui de dancer estes adextre;

Guillemette la Tapissière,

Ne mesprenez vers vostre maistre;

Tous vous fauldra clorre fenestre,

Quand deviendrez vieille, flestrie;

Plus ne servirez qu'un vieil prebstre,

Ne que monnoye qu'on descrie.

«Jehanneton la Chaperonnière,

Gardez qu'ennuy ne vous empestre;

Katherine la Bouchière,

N'envoyez plus les hommes paistre:

Car qui belle n'est, ne perpetre

Leur bonne grace, mais leur rie.

Laide vieillesse amour n'impetre,

Ne que monnoye qu'on descrie.

ENVOI.

XLVII.

Ceste leçon icy leur baille

La belle et bonne de jadis;

Bien dit ou mal, vaille que vaille,

Enregistrer j'ay faict ces ditz

Par mon clerc Fremin l'estourdys,

Aussi rassis que je pense estre...

S'il me desment, je le mauldys:

Selon le clerc est deu le maistre.

XLVIII.

Si apercoy le grand danger

Là où l'homme amoureux se boute...

Hé! qui me vouldroit laidanger

De ce mot, en disant: «Escoute!

Se d'aymer t'estrange et reboute

Le barat de celles nommées,

Tu fais une bien folle doubte,

Car ce sont femmes diffamées.

XLIX.

«S'ils n'ayment fors que pour l'argent,

On ne les ayme que pour l'heure.

Rondement ayment toute gent,

Et rient lors quant bourse pleure.

De celles n'est qui ne recoeuvre;

Mais en femmes d'honneur et nom

Franc homme, se Dieu me sequeure,

Se doit employer; ailleurs, non.»

Je prens qu'aucun dye cecy,

Si ne me contente-il en rien.

En effect, je concludz ainsy,

Et sy le cuyde entendre bien,

Qu'on doit aymer en lieu de bien.

Asçavoir-mon se ces fillettes,

Qu'en parolles toute jour tien,

Ne furent pas femmes honnestes?

LI.

Honnestes, si furent vrayement,

Sans avoir reproches ne blasmes.

S'il est vray que, au commencement,

Une chascune de ces femmes

Lors prindrent, ains qu'eussent diffames,

L'une ung clerc, ung lay, l'autre ung moine,

Pour estaindre d'amours les flammes,

Plus chauldes que feu Sainct-Antoine.

LII.

Or firent selon le decret

Leurs amys, et bien y appert;

Elles aymoient en lieu secret,

Car autre qu'eulx n'y avoit part.

Toutesfois, ceste amour se part:

Car celle qui n'en avoit qu'un

D'icelluy s'eslongne et despart,

Et ayme myeulx aymer chascun.

LIII.

LIV.

Or ont les folz amans le bond,

Et les dames prins la vollée;

C'est le droit loyer qu'amours ont;

Toute foy y est violée,

Quelque doulx baiser n'acollée.

De chiens, d'oyseaulx, d'armes, d'amours,

Chascun le dit à la vollée:

«Pour ung plaisir mille doulours.»

DOUBLE BALLADE

SUR LE MÊME PROPOS.

Pour ce, aymez tant que vouldrez,

Suyvez assemblées et festes,

En la fin jà mieulx n'en vauldrez,

Et sy n'y romprez que vos testes:

Folles amours font les gens bestes:

Salmon en idolatrya;

Samson en perdit ses lunettes...

Bien heureux est qui rien n'y a!

Sardana, le preux chevalier,

Qui conquist le regne de Crètes,

En voult devenir moulier

Et filer entre pucellettes.

David ly roy, saige prophètes,

Craincte de Dieu en oublya,

Voyant laver cuisses bien faictes...

Bien heureux est qui rien n'y a!

Ammon en voult deshonnorer,

Feignant de manger tartelettes,

Sa soeur Thamar, et deflorer,

Qui fist choses moult deshonnestes;

Herodes (pas ne sont sornettes)

Sainct Jean-Baptiste en décolla,

Pour dances, saultz et chansonnettes...

Bien heureux est qui rien n'y a!

De moy, pauvre, je veuil parler;

J'en fuz batu, comme à ru telles,

Tout nud, jà ne le quiers celer.

Qui me feit mascher ces groiselles,

Fors Katherine de Vauselles?

Noé le tiers ot, qui fut là.

Mitaines à ces nopces telles,

Bien heureux est qui rien n'y a!

LV.

Si celle que jadis servoye

De si bon cueur et loyaument,

Dont tant de maulx et griefz j'avoye,

Et souffroye tant de torment,

Se dit m'eust, au commencement,

Sa voulenté (mais nenny, las!),

J'eusse mys peine aucunement,

De moy retraire de ses las.

LVI.

Quoy que je luy voulsisse dire,

Elle estoit preste d'escouter,

Sans m'accorder ne contredire;

Qui plus, me souffroit arrester,

Joignant elle près s'accouter;

Et ainsi m'alloit amusant,

Et me souffroit tout racompter,

Mais ce n'estoit qu'en m'abusant.

LVII.

LVIII.

Du ciel, une poisle d'arain;

Des nues, une peau de veau;

Du matin, qu'estoit le serain;

D'un trongnon de chou, ung naveau;

D'orde cervoise, vin nouveau;

D'une truie, ung molin à vent;

Et d'une hart, ung escheveau;

D'un gras abbé, ung poursuyvant.

LIX.

Ainsi m'ont amours abusé,

Et pourmené de l'uys au pesle.

Je croy qu'homme n'est si rusé,

Fust fin comme argent de crepelle,

Qui n'y laissast linge et drapelle,

Mais qu'il fust ainsi manyé

Comme moy, qui partout m'appelle:

L'Amant remys et renyé.

LX.

Je renye Amours et despite;

Je deffie à feu et à sang.

Mort par elles me precipite,

Et si ne leur vault pas d'ung blanc.

Ma vielle ay mys soubz le banc;

Amans je ne suyvray jamais;

Se jadis je fuz de leur ranc,

Je declaire que n'en suys mais.

Car j'ay mys le plumail au vent:

Or le suyve qui a attente;

De ce me tays dorenevant.

Poursuyvre je vueil mon entente,

Et, s'aucun m'interroge ou tente

Comment d'amours ose mesdire,

Geste parolle les contente:

«Qui meurt a ses loix de tout dire.»

LXII.

Je cognoys approcher ma soef;

Je crache, blanc comme cotton,

Jacobins gros comme ung estoeuf:

Qu'est-ce à dire? que Jenanneton

Plus ne me tient pour valeton,

Mais pour ung vieil usé régnait...

De vieil porte voix et le ton,

Et ne suys qu'ung jeune coquart.

LXIII.

Dieu mercy et Jaques Thibault,

Qui tant d'eau froide m'a faict boyre,

En ung bas lieu, non pas en hault;

Manger d'angoisse mainte poire;

Enferré... Quand j'en ay mémoire,

Je pry pour luy et reliqua,

Que Dieu luy doint... et voire, voire,

Ce que je pense... et cetera.

LXIV.

LXV.

Si me souvient, à mon advis,

Que je feis, à mon partement,

Certains lays, l'an cinquante six,

Qu'aucuns, sans mon consentement,

Voulurent nommer Testament;

Leur plaisir fut, et non le mien:

Mais quoy! on dit communement,

Qu'un chascun n'est maistre du sien.

LXVI.

S'ainsi estoit qu'aulcun n'eust pas

Receu les lays que je luy mande,

J'ordonne que, après mon trespas,

A mes hoirs en face demande;

Qui sont-ilz? si on le demande:

Moreau, Provins, Robin Turgis;

De moy, par dictez que leur mande,

Ont eu jusqu'au lict où je gys.

LXVII.

LXVIII.

Somme, plus ne diray qu'ung mot,

Car commencer veuil à tester:

Devant mon clerc Fremin, qui m'ot

(S'il ne dort), je vueil protester,

Que n'entends homme detester,

En ceste presente ordonnance;

Et ne la vueil manifester

Sinon au royaulme de France.

LXIX.

Je sens mon cueur qui s'affoiblist,

Et plus je ne puys papier.

Fremin, siez-toy près de mon lict,

Que l'on ne me viengne espier!

Prens tost encre, plume et papier,

Ce que nomme escryz vistement;

Puys fais-le partout copier,

Et vecy le commancement.

Ici commance Villon à tester.

LXX.

LXXI.

Mortz estoient, et corps et ames,

En damnée perdition;

Corps pourriz, et ames en flammes,

De quelconque condition;

Toutesfoys, fais exception

Des patriarches et prophètes;

Car, selon ma conception,

Oncques grand chault n'eurent aux fesses.

LXXII.

Qui me diroit: «Qui te faict mectre

Si très-avant ceste parolle,

Qui n'es en Théologie maistre?

A toy est presumption folle.»

—C'est de JESUS la parabolle,

Touchant le Riche ensevely

En feu, non pas en couche molle,

Et du Ladre, de dessus ly.

LXXIII.

Si du Ladre eust veu le doy ardre,

Jà n'en eust requis refrigère,

N'au bout d'icelluy doiz aherdre,

Pour refreschir sa maschouëre.

Pions y feront mate chère,

Qui boy vent pourpoinct et chemise:

Puys que boyture y est si chère,

Dieu nous garde de la main mise!

Ou nom de Dieu, comme j'ay dit,

Et de sa glorieuse Mère,

Sans peché soit parfaict ce dict

Par moy, plus maigre que chimere;

Si je n'ay eu fièvre effimère,

Ce m'a faict divine clémence;

Mais d'autre dueil et perte amère

Je me tays, et ainsi commence:

LXXV.

Premier, je donne ma pauvre ame

A la benoiste Trinité,

Et la commande à Nostre Dame,

Chambre de la divinité;

Priant toute la charité

Des dignes neuf Ordres des cieulx,

Que par eulx soit ce don porté

Devant le Trosne précieux.

LXXVI.

Item, mon corps j'ordonne et laisse

A nostre grand mère la terre;

Les vers n'y trouveront grand gresse:

Trop lui a faict faim dure guerre.

Or luy soit délivré grand erre;

De terre vint, en terre tourne.

Toute chose, se par trop n'erre,

voulentiers en son lieu retourne.

LXXVII.

LXXVIII.

Je luy donne ma librairie,

Et le Rommant du Pet au Diable,

Lequel maistre Gui Tabarie

Grossoya, qu'est hom véritable.

Par cayers est soubz une table.

Combien qu'il soit rudement faict,

La matière est si très notable,

Qu'elle amende tout le meffaict.

LXXIX.

Item, donne à ma bonne mère

Pour saluer nostre Maistresse,

Qui pour moy eut douleur amère,

Dieu le sçait, et mainte tristesse;

Autre chastel ou fosteresse

N'ay où retraire corps et ame,

Quand sur moy court male destresse,

Ne ma mère, la povre femme!

Dame du ciel, régente terrienne,

Emperière des infernaulx palux,

Recevez-moy, vostre humble chrestienne,

Que comprinse soye entre voz esleuz,

Ce non obstant qu'oncques rien ne valuz.

Les biens de vous, ma dame et ma maistresse,

Sont trop plus grans que ne suis pecheresse,

Sans lesquelz biens ame ne peult merir

N'avoir les cieulx, je n'en suis jengleresse.

En ceste foy je vueil vivre et mourir.

A vostre Filz dictes que je suis sienne;

Que de luy soyent mes péchez aboluz:

Pardonnés moi comme à l'Egyptienne,

Ou comme il feit au clerc Theophilus,

Lequel par vous fut quitte et absoluz,

Combien qu'il eust au diable faict promesse.

Preservez-moy, que je ne face cesse;

Vierge, pourtant, me vouilliés impartir

Le sacrement qu'on celebre à la messe.

En ceste foy je vueil vivre et mourir.

ENVOI.

Vous portastes, Vierge, digne princesse,

JESUS régnant, qui n'a ne fin ne cesse.

Le Tout-Puissant, prenant nostre foiblesse,

Laissa les cieulx et nous vint secourir;

Offrist à mort sa très clère jeunesse;

Nostre Seigneur tel est, tel le confesse.

En ceste foy je vueil vivre et mourir.

LXXX.

Item, m'amour, ma chère Rosé,

Ne luy laisse ne cueur ne foye:

Elle aymeroit mieulx autre chose,

Combien qu'elle ait assez monnoye:

Quoy? une grand bourse de soye,

Pleine d'escuz, profonde et large:

Mais pendu soit-il, que je soye,

Qui luy lairra escu ne targe.

LXXXI.

LXXXII.

Ce non obstant, pour m'acquitter

Envers Amours, plus qu'envers elle,

Car oncques n'y peuz acquester

D'amours une seule estincelle;

Ne sçay s'à tous est si rebelle

Qu'à moy: ce ne m'est grand esmoy;

Mais, par saincte Marie la belle!

Je n'y voy que rire pour moy.

LXXXIII.

Ceste Ballade luy envoye,

Qui se termine toute en R.

Qui la portera? que j'y voye:

Ce sera Pernet de la Barre,

Pourveu, s'il rencontre en son erre

Ma damoyselle au nez tortu,

Il luy dira, sans plus enquerre:

«Orde paillarde, d'où viens-tu?»

BALLADE

DE VILLON A S'AMYE.

Mieulx m'eust valu avoir esté crier

Ailleurs secours, c'eust esté mon bonheur:

Rien ne m'eust sceu hors de ce fait chasser;

Trotter m'en fault en fuyte à deshonneur.

Haro, haro, le grand et le mineur!

Et qu'est cecy? mourray, sans coup ferir,

Ou pitié veult, selon ceste teneur,

Sans empirer, ung povre secourir.

Ung temps viendra, qui fera desseicher,

Jaulnir, flestrir, vostre espanie fleur:

Je m'en risse, se tant peusse marcher,

Mais nenny: lors (ce seroit donc foleur)

Vieil je seray; vous, laide, et sans couleur.

Or, beuvez fort, tant que ru peult courir.

Ne donnez pas à tous ceste douleur,

Sans empirer, ung povre secourir.

ENVOI.

Prince amoureux, des amans le greigneur,

Vostre mal gré ne vouldroye encourir;

Mais tout franc cueur doit, par Nostre Seigneur,

Sans empirer, ung povre secourir.

Item, à maistre Ythier, marchant,

Auquel mon branc laissay jadis,

Donne (mais qu'il le mette en chant),

Ce lay, contenant des vers dix;

Et aussi ung De profundis

Pour ses anciennes amours,

Desquelles le nom je ne dis,

Car il me herroit à tousjours.

LAY OU PLUSTOST RONDEAU.

MORT, j'appelle de ta rigueur,

Qui m'as ma maistresse ravie,

Et n'es pas encore assouvie,

Se tu ne me tiens en langueur.

Onc puis n'euz force ne vigueur;

Mais que te nuysoit-elle en vie,

Mort?

Deux estions, et n'avions qu'ung cueur;

S'il est mort, force est que dévie,

Voire, ou que je vive sans vie,

Comme les images, par cueur,

Mort!

LXXXV.

LXXXVI.

Par faulte d'ung huys, j'y perdis

Ung grez, et ung manche de houe.

Alors, huyt faulcons, non pas dix,

N'y eussent pas prins une alloüe.

L'hostel est seur, mais qu'on le cloüe.

Pour enseigne y mis ung havet;

Qui que l'ait prins, point ne l'en loüe:

Sanglante nuict et bas chevet!

LXXXVII.

Item, et pource que la femme

De maistre Pierre Sainct Amant

(Combien, si coulpe y a ou blasme,

Dieu luy pardonne doulcement!)

Me meist en reng de caymant,

Pour le Cheval Blanc qui ne bouge,

Luy changeay à une jument,

Et la Mulle à ung Asne rouge.

LXXXVIII.

LXXXIX.

Item, donne à mon advocat,

Maistre Guillaume Charruau,

Quoy qu'il marchande ou ait estât,

Mon branc... Je me tays du fourreau,

Il aura, avec ce, ung réau

En change, affin que sa bourse enfle,

Prins sur la chaussée et carreau

De la grand closture du Temple.

Item, mon procureur Fournier

Aura, pour toutes ses corvées

(Simple seroit de l'espargner;

En ma bourse quatre havées),

Car maintes causes m'a saulvées,

Justes, ainsi, JESUS-CHRIST m'ayde!

Comme elles ont esté trouvées;

Mais bon droit a bon mestier d'ayde.

XCI.

Item, je donne à maistre Jaques

Raguyer le grant godet de Grève,

Pourveu qu'il payera quatre plaques,

Deust-il vendre, quoy qu'il luy griefve,

Ce dont on ceuvre mol et grève;

Aller sans chausses et chappin,

Tous les matins, quand il se liève,

Au trou de la Pomme de pin.

Item, quant est de Mairebeuf,

Et de Nicolas de Louviers,

Vache ne leur donne ne beuf,

Car vachers ne sont, ne bouviers,

Mais gens à porter esperviers,

Ne cuidez pas que je vous joue,

Pour prendre perdriz et plouviers,

Sans faillir, sur la Maschecroüe.

XCIII.

Item, vienne Robert Turgis

A moy, je luy payeray son vin,

Combien, s'il trouve mon logis,

Plus fort sera que le devin.

Le droit luy donne d'eschevin,

Que j'ay comme enfant de Paris...

Se je parle ung peu poictevin,

Ilce m'ont deux dames appris.

XCIV.

Filles sont très belles et gentes,

Demourantes à Sainct-Genou,

Près Sainct-Julian des Voventes,

Marches de Bretaigne ou Poictou,

Mais je ne dy proprement où,

Or y pensez trestous les jours,

Car je ne suis mie si fou...

Je pense celer mes amours.

XCV.

XCVI.

Item, donne au prince des Sotz

Pour ung bon sot Michault du Four,

Qui à la fois dit de bons motz

Et chante bien: Ma doulce amour!

Avec ce, il aura le bonjour.

Brief, mais qu'il fust ung peu en poinct,

Il est ung droit sot de séjour,

Et est plaisant où il n'est point.

XCVII.

Item, aux unze vingtz Sergens

Donne, car leur faict est honneste,

Et sont bonnes et doulces gens,

Denis Richier, et Jehan Vallette,

A chascun une grand cornette,

Pour pendre à leurs chappeaulx de feautre

J'entendz à ceulx de pied, hohecte!

Car je n'ay que faire des autres.

XCVIII.

XCIX.

Item, ne vueil plus que Chollet

Dolle, trenche, douve ne boyse,

Relye brocq ne tonnelet,

Mais tous ses outilz changer voyse

A une espée lyonnoise,

Et retienne le hutinet:

Combien qu'il n'ayme bruyt ne noyse,

Si luy plaist-il ung tantinet.

C.

Item, je donne à Jehan le Lou,

Homme de bien et bon marchant,

Pour ce qu'il est linget et flou,

Et que Chollet est mal chassant,

Par les rues plustost qu'au champ,

Qui ne lairra poulaille en voye,

Le long tabart, et bien cachant,

Pour les musser, qu'on ne les voye.

CI.

Item, à l'orfèvre Du Boys,

Donne cent clouz, queues et testes,

De gingembre sarazinoys,

Non pas pour accoupler ses boytes,

Mais pour conjoindre culz et coettes,

Et couldre jambons et andoilles,

Tant que le laict en monte aux tettes,

Et le sang en devalle aux coilles.

Au cappitaine Jehan Riou,

Tant pour luy que pour ses archiers,

Je donne six livres de lou,

Qui n'est pas viande à porchiers,

Prins à gros mastins de bouchiers,

Et cuittes de vin de buffet.

Pour manger de ces morceaulx chiers,

On en ferait bien un mau faict.

CIII.

C'est viande ung peu plus pesante,

Que duvet, ne plume, ne liège.

Elle est bonne à porter en tente,

Ou pour user en quelque siège.

Et, s'ilz estoient prins en un piège,

Les mastins, qu'ils ne sceussent courre,

J'ordonne, moy qui suis bon miège,

Que des peaulx, sur l'hyver, se fourre.

CIV.

Item, à Robin Troussecaille,

Qui s'est en service bien faict;

A pied ne va comme une caille,

Mais sur roussin gros et reffaict:

Je luy donne, de mon buffet,

Une jatte qu'emprunter n'ose;

Si aura mesnage parfait:

Plus ne luy failloit autre chose.

CV.

CVI.

Item, aux Frères mendians,

Aux Devotes et aux Beguines,

Tant de Paris que d'Orléans,

Tant Turlupins que Turlupines,

De grasses souppes jacobines

Et flans leurs fais oblation;

Et puis après, soubz les courtines,

Parler de contemplation.

CVII.

Si ne suis-je pas qui leur donne,

Mais du tout en sont-ce les mères,

Et Dieu, qui ainsi les guerdonne,

Pour qui souffrent peines amères.

Il fault qu'ilz vivent, les beaulx pères,

Et mesmement ceulx de Paris.

S'ilz font plaisir à noz commères,

Ilz ayment ainsi les maris.

CVIII.

CIX.

Si me submectz, leur serviteur,

En tout ce que puis faire et dire,

A les honorer de bon cueur,

Et servir, sans y contredire.

L'homme bien fol est d'en mesdire,

Car, soit à part, ou en prescher,

Ou ailleurs, il ne fault pas dire

Si gens sont pour eux revencher.

CX.

Item, je donne à frère Baulde,

Demeurant à l'hostel des Carmes,

Portant chère hardie et baulde,

Une sallade et deux guysarmes,

Que De Tusca et ses gens d'armes

Ne luy riblent sa Caige-vert.

Vieil est: s'il ne se rend aux armes,

C'est bien le diable de Vauvert.

CXI.

Item, pour ce que le Scelleur,

Maint estront de mousche à masché,

Donne, car homme est de valleur,

Son sceau davantage craché,

Et qu'il ait le pouce escaché,

Pour tout comprendre à une voye;

J'entendz celluy de l'Evesché,

Car les autres, Dieu les pourvoye.

Quant de messieurs les Auditeux,

Leur chambre auront lembroysée;

Et ceulx qui ont les culz rongneux,

Chascun une chaise persée,

Mais qu'à la petite Macée

D'Orléans, qui eut ma ceincture,

L'amende soit bien hault taxée:

Elle est une mauvaise ordure.

CXIII.

Item, donne à maistre Françoys,

Promoteur de la vacquerie,

Ung hault gorgerin d'Escossoys,

Toutesfois sans orfaverie;

Car, quant receut chevalerie,

Il maugrea Dieu et saint George.

Parler n'en oyt qu'il ne s'en rie,

Comme enragé, à pleine gorge.

CXIV.

Item, à maistre Jehan Laurens,

Qui a les povres yeulx si rouges,

Par le peché de ses parens,

Qui beurent en barilz et courges,

Je donne l'envers de mes bouges,

Pour chascun matin les torcher...

S'il fust archevesque de Bourges,

Du cendal eust, mais il est cher.

CXV.

BALLADE ET ORAISON.

Père Noé, qui plantastes la vigne;

Vous aussi, Loth, qui bustes au rocher,

Par tel party qu'Amour, qui gens engigne,

De vos filles si vous feit approcher,

Pas ne le dy pour le vous reprocher,

Architriclin, qui bien sceustes cest art,

Tous trois vous pry qu'o vous veuillez percher

L'ame du bon feu maistre Jehan Cotard!

Jadis extraict il fut de vostre ligne,

Luy qui beuvoit du meilleur et plus cher;

Et ne deust-il avoir vaillant ung pigne,

Certes, sur tous, c'estoit un bon archer;

On ne luy sceut pot des mains arracher,

Car de bien boire oncques ne fut faitard.

Nobles seigneurs, ne souffrez empescher

L'ame du bon feu maistre Jehan Cotard!

ENVOI.

Prince, il n'eust sçeu jusqu'à terre cracher;

Tousjours crioyt: Haro, la gorge m'ard!

Et si ne sceut oncq sa soif estancher,

L'âme du bon feu maistre Jehan Cotard.

CXVI.

Item, vueil que le jeune Merle

Désormais gouverne mon change,

Car de changer envys me mesle,

Pourveu que tousjours baille en change,

Soit à privé, soit à estrange,

Pour trois escus, six brettes targes;

Pour deux angelotz, ung grand ange:

Car amans doivent estre larges.

CXVII.

Item, j'ay sçeu, à ce voyage,

Que mes trois povres orphelins

Sont creus et deviennent en aage,

Et n'ont pas testes de belins,

Et qu'enfans d'icy à Salins

N'a mieulx saichans leur tour d'escolle;

Or, par l'ordre des Mathelins,

Telle jeunesse n'est pas folle.

Si vueil qu'ilz voysent à l'estude;

Où? chez maistre Pierre Richer.

Le Donnait est pour eulx trop rude:

Jà ne les y vueil empescher.

Ilz sçauront, je l'ayme plus cher:

Ave salus, tibi decus,

Sans plus grandes lettres chercher:

Tousjours n'ont pas clercs le dessus.

CXIX.

Cecy estudient, et puis ho!

Plus procéder je leur deffens.

Quant d'entendre le grand Credo,

Trop fort il est pour telz enfans.

Mon grant tabard en deux je fendz:

Si vueil que la moictié s'en vende,

Pour eulx en achepter des flans,

Car jeunesse est ung peu friande.

CXX.

Et veuil qu'ilz soyent informez

En meurs, quoy que couste bature;

Chapperons auront enfermez,

Et les poulces soubz la ceincture;

Humbles à toute créature;

Disans: Hen? Quoy? Il n'en est rien!

Si diront gens, par adventure:

«Voycy enfans de lieu de bien!»

CXXI.

CXXII.

Quoy que jeunes et esbatans

Soyent, en rien ne me desplaist;

Dedans vingt, trente ou quarante ans

Bien autres seront, se Dieu plaist.

Il faict mal qui ne leur complaist,

Car ce sont beaux enfans et gents;

Et qui les bat ne fiert, fol est,

Car enfans si deviennent gens.

CXXIII.

Les bourses des Dix-et-huict clers

Auront; je m'y vueil travailler:

Pas ilz ne dorment comme lerz,

Qui trois mois sont sans resveiller.

Au fort, triste est le sommeiller

Qui faict aise jeune en jeunesse,

Tant qu'enfin luy faille veiller,

Quant reposer deust en vieillesse.

CXXIV.

CXXV.

Item, et à Michault Culdou,

Et à sire Charlot Taranne,

Cent solz: s'ilz demandent prins où?

Ne leur chaille; ils viendront de manne;

Et unes houses de basanne,

Autant empeigne que semelle;

Pourveu qu'ils me saulveront Jehanne,

Et autant une autre comme elle.

CXXVI.

Item, au seigneur de Grigny,

Auquel jadis laissay Vicestre,

Je donne la tour de Billy,

Pourveu, se huys y a ne fenestre

Qui soit ne debout ne en estre,

Qu'il mette très bien tout appoinct:

Face argent à dextre, à senestre:

Il m'en fault, et il n'en a point.

CXXVII.

Item, à Thibault de la Garde:

Thibault? je mentz, il a nom Jehan;

Que luy donray-je, que ne perde?

Assez ay perdu tout cest an.

Dieu le vueille pourvoir, amen...!

Le barillet? par m'ame, voyre!

Genevoys est le plus ancien,

Et plus beau nez a pour y boyre.

Item, je donne à Basanyer,

Notaire et greffier criminel,

De giroffle plain ung panyer,

Prins chez maistre Jehan de Ruel.

Tant à Mautainct; tant à Rosnel;

Et, avec ce don de giroffle,

Servir, de cueur gent et ysnel,

Le seigneur qui sert sainct Cristofle,

CXXIX.

Auquel ceste Ballade donne,

Pour sa dame, qui tous biens a.

S'Amour ainsi tous ne guerdonne,

Je ne m'esbahys de cela;

Car au Pas conquesté celle a

Que tint René, roy de Cecille,

Où si bien fist et peu parla

Qu'oncques Hector feit, ne Troïle.

BALLADE

Que Villon donna à un gentilhomme, nouvellement marié, pour

l'envoyer à son espouse, par luy conquise à l'espée.

Dame serez de mon cueur, sans debat,

Entierement, jusques mort me consume.

Laurier soüef qui pour mon droit combat,

Olivier franc, m'ostant toute amertume.

Raison ne veult que je desaccoustume,

Et en ce vueil avec elle m'assemble,

De vous servir, mais que m'y accoustume;

Et c'est la fin pourquoy sommes ensemble.

Et qui plus est, quand dueil sur moy s'embat,

Par fortune qui sur moy si se fume,

Vostre doulx oeil sa malice rabat,

Ne plus ne moins que le vent faict la fume.

Si ne perds pas la graine que je sume

En vostre champ, car le fruict me ressemble:

Dieu m'ordonne que le fouysse et fume;

Et c'est la fin pourquoy sommes ensemble.

ENVOI.

Princesse, oyez ce que cy vous resume:

Que le mien cueur du vostre desassemble

Jà ne sera: tant de vous en presume;

Et c'est la fin pourquoy sommes ensemble.

CXXX.

CXXXI.

Si aille veoir en Taillevent,

Ou chapitre de fricassure,

Tout au long, derrière et devant,

Lequel n'en parle jus ne sure;

Mais à Macquaire vous asseure,

A tout le poil cuysant ung dyable,

Affin que sentist bon l'arsure,

Ce Recipe m'escript, sans fable.

BALLADE.

En reagal, en arsenic rocher,

En orpigment, en salpestre et chaulx vive;

En plomb boillant, pour mieulx les esmorcher;

En suif et poix, destrampez de lessive

Faicte d'estronts et de pissat de Juifve;

En lavaille de jambes à meseaulx;

En raclure de piedz et vieulx houseaulx;

En sang d'aspic et drogues venimeuses;

En fiel de loups, de regnards et blereaux,

Soient frittes ces langues envieuses!

En sublimé, dangereux à toucher;

Et au nombril d'une couleuvre vive;

En sang qu'on mect en poylettes secher,

Chez ces barbiers, quand plaine lune arrive,

Dont l'ung est noir, l'autre plus vert que cive,

En chancre et fix, et en ces ords cuveaulx

Où nourrices essangent leurs drappeaulx;

En petits baings de filles amoureuses

Qui n'entendent qu'à suivre les bordeaulx,

Soient frittes ces langues envieuses!

ENVOI.

Prince, passez tous ces friands morceaux,

S'estamine n'avez, sacs ou bluteaux,

Parmy le fons d'unes brayes breneuses;

Mais, paravant, en estronts de pourceaulx

Soient frittes ces langues envieuses!

CXXXII.

CXXXIII.

Gontier ne crains: il n'a nulz hommes

Et mieulx que moy n'est herité;

Mais en ce debat cy nous sommes,

Car il loue sa pouvreté:

Estre pouvre, yver et esté,

A felicité il repute,

Ce que tiens à malheureté.

Lequel à tort? Or en dispute.

BALLADE

Intitulée: Les Contredictz de Franc-Gontier

Sur mol duvet assis, ung gras chanoine,

Lez ung brasier, en chambre bien nattée,

A son costé gisant dame Sydoine,

Blanche, tendre, pollie et attaintée:

Boire ypocras, à jour et à nuyctée,

Rire, jouer, mignonner et baiser,

Et nud à nud, pour mieulx des corps s'ayser,

Les vy tous deux, par un trou de mortaise:

Lors je congneuz que, pour dueil appaiser,

Il n'est tresor que de vivre à son aise.

De gros pain bis vivent, d'orge, d'avoine,

Et boivent eau, tout au long de l'année.

Tous les oyseaulx d'icy en Babyloine

A tel escot une seule journée

Ne me tiendroient, non une matinée.

Or s'esbate, de par Dieu, Franc-Gontier,

Helène o luy, soubz le bel esglantier;

Si bien leur est, n'ay cause qu'il me poise;

Mais, quoy qu'il soit du laboureux mestier,

Il n'est tresor que de vivre à son aise.

ENVOI.

Prince, jugez, pour tous nous accorder.

Quant est à moy, mais qu'à nul n'en desplaise,

Petit enfant, j'ay ouy recorder

Qu'il n'est tresor que de vivre à son aise.

CXXXIV.

BALLADE

DES FEMMES DE PARIS.

Quoy qu'on tient belles langagières

Florentines, Veniciennes,

Assez pour estre messaigières,

Et mesmement les anciennes;

Mais, soient Lombardes, Rommaines,

Genevoises, à mes perilz,

Piemontoises, Savoysiennes,

Il n'est bon bec que de Paris.

De très beau parler tiennent chaires,

Ce dit-on, les Napolitaines,

Et que sont bonnes cacquetoeres

Allemanses et Bruciennes;

Soient Grecques, Egyptiennes,

De Hongrie ou d'autre pays,

Espaignolles ou Castellannes,

Il n'est bon bec que de Paris.

ENVOI.

Prince, aux dames parisiennes

De bien parler donnez le prix;

Quoy qu'on die d'Italiennes,

Il n'est bon bec que de Paris.

CXXXV.

Regarde-m'en deux, trois, assises

Sur le bas du ply de leurs robes,

En ces monstiers, en ces eglises;

Tire t'en près, et ne t'en hobes;

Tu trouveras là que Macrobes

Oncques ne fist tels jugemens;

Entens: quelque chose en desrobes;

Ce sont tous beaulx enseignemens.

CXXXVI.

Item, et au mont de Montmartre,

Qui est ung lieu moult ancien,

Je lui donne et adjoincts le tertre.

Qu'on dit de mont Valerien;

Et, oultre plus, d'ung quartier d'an

Du pardon qu'apportay de Romme:

Sy yra maint bon paroissien,

En l'abbaye ou il n'entre homme.

Item, valetz et chambrières

De bons hostelz (rien ne me nuyst),

Faisans tartes, flans et goyères,

Et grant rallias à minuict:

Riens n'y font sept pintes ne huict,

Tant que gisent Seigneur et dame;

Puis après, sans mener grant bruyt,

Je leur ramentoy le jeu d'asne.

CXXXVIII.

Item, et à filles de bien,

Qui ont pères, mères et antes,

Par m'ame! je ne donne rien;

Tout ont eu varletz et servantes;

Se fussent-ilz de pou contentes,

Grant bien leur feissent maintz lopins,

Aux povres filles advenantes,

Qui se perdent aux Jacopins.

CXXXIX.

Aux Célestins et aux Chartreux,

Quoy que vie meinent estroicte,

Si ont-ilz largement entre eulx,

Dont povres filles ont souffrette:

Tesmoing Jaqueline et Perrette,

Et Isabeau, qui dit: Enné!

Puis qu'ilz ont eu telle disette,

A peine en seroit-on damné.

CXL.

BALLADE

DE VILLON ET DE LA GROSSE MARGOT.

Se j'ayme et sers la belle de bon haict,

M'en devez-vous tenir à vil ne sot?

Elle a en soy des biens à fin souhaict.

Pour son amour ceings bouclier et passot.

Quand viennent gens, je cours et happe un pot:

Au vin m'en voys, sans demener grand bruyt.

Je leur tendz eau, frommage, pain et fruict,

S'ils payent bien, je leur dy que bien stat:

«Retournez cy, quand vous serez en ruyt,

En ce bourdel où tenons nostre estat!»

Mais, tost après, il y a grant deshait,

Quand sans argent s'en vient coucher Margot;

Veoir ne la puis; mon cueur à mort la hait.

Sa robe prens, demy-ceinct et surcot:

Si luy prometz qu'ilz tiendront pour l'escot.

Par les costez si se prend, l'Antechrist

Crie, et jure par la mort Jesuchrist,

Que non fera. Lors j'enpongne ung esclat,

Dessus le nez luy en fais ung escript,

En ce bourdel où tenons nostre estat.

ENVOI.

Vente, gresle, gelle, j'ay mon pain cuict!

Je suis paillard, la paillarde me suit.

Lequel vault mieux, chascun bien s'entresuit.

L'ung l'autre vault: c'est à mau chat mau rat.

Ordure amons, ordure nous affuyt.

Nous deffuyons honneur, il nous deffuyt,

En ce bourdel où tenons nostre estat.

CXLI.

Item, à Marion l'Ydolle,

Et la grand Jehanne de Bretaigne,

Donne tenir publique escolle,

Où l'escolier le maistre enseigne.

Lieu n'est où ce marché ne tienne,

Sinon en la grille de Mehun;

De quoy je dy: Fy de l'enseigne,

Puis que l'ouvrage est si commun!

Item, à Noë le Jolys,

Autre chose je ne luy donne,

Fors plein poing d'osiers frez cueilliz

En mon jardin; je l'abandonne.

Chastoy est une belle aulmosne;

Ame n'en doit estre marry.

Unze vingtz coups lui en ordonne,

Par les mains de maistre Henry.

CXLIII.

Item, ne sçay que à l'Hostel-Dieu

Donner, n'aux povres hospitaulx;

Bourdes n'ont icy temps ne lieu,

Car povres gens ont assez maulx.

Chascun leur envoye leurs os.

Les Mandians ont eu mon oye;

Au fort, ilz en auront les os:

A menues gens menue monnoye.

CXLIV.

Item, je donne à mon barbier,

Qui se nomme Colin Galerne,

Près voysin d'Angelot l'Herbier,

Ung gros glasson... Prins où? En Marne,

Affin qu'à son ayse s'yverne.

De l'estomach le tienne près.

Se l'yver ainsi se gouverne,

Il n'aura chault l'esté d'après.

CXLV.

BELLE LEÇON

DE VILLON, AUX ENFANS PERDUZ.

Beaux enfans, vous perdez la plus

Belle rose de vo chapeau,

Mes clers apprenans comme glu;

Se vous allez à Montpippeau

Ou à Ruel, gardez la peau:

Car, pour s'esbatre en ces deux lieux,

Cuydant que vaulsist le rappeau,

La perdit Colin de Cayeulx.

Ce n'est pas ung jeu de trois mailles,

Où va corps, et peut-estre l'ame:

S'on perd, rien n'y sont repentailles,

Qu'on ne meure à honte et diffame;

Et qui gaigne, n'a pas à femme

Dido la royne de Cartage.

L'homme est donc bien fol et infame,

Qui, pour si peu, couche tel gage.

BALLADE

DE BONNE DOCTRINE,

A ceux de mauvaise vie.

Car ou soyes porteur de bulles,

Pipeur ou hazardeur de dez,

Tailleur de faulx coings, tu te brusles,

Comme ceux qui sont eschaudez,

Traistres pervers, de foy vuydez;

Soyes larron, ravis ou pilles:

Où en va l'acquest, que cuydez?

Tout aux tavernes et aux filles.

Ryme, raille, cymballe, luttes,

Comme folz, faintis, eshontez;

Farce, broille, joue des flustes;

Fais, ès villes et ès cités,

Fainctes, jeux et moralitez;

Gaigne au berlan, au glic, aux quilles:

Où s'en va tout? Or escoutez:

Tout aux tavernes et aux filles.

ENVOI.

Chausses, pourpoinctz esguilletez,

Robes, et toutes vos drapilles,

Ains que cessez, vous porterez

Tout aux tavernes et aux filles.

CXLVI.

A vous parle, compaings de galles,

Qui estes de tous bons accors;

Gardez-vous tous de ce mau hasles,

Qui noircist gens quand ils sont mortz;

Eschevez-le, c'est ung mal mors;

Passez-vous-en mieulx que pourrez;

Et, pour Dieu, soyez tous recors

Qu'une fois viendra que mourrez.

CXLVII.

CXLVIII.

Icy n'y a ne rys ne jeu.

Que leur vault avoir eu chevances,

N'en grans lictz de parement geu,

Engloutir vin, engrossir panses,

Mener joye, festes et danses,

Et de ce prest estre à toute heure?

Tantost faillent telles plaisances,

Et la coulpe si en demeure.

CXLIX.

Quand je considère ces testes

Entassées en ces charniers,

Tous furent maistres des requestes,

Ou tous de la Chambre aux Deniers,

Ou tous furent porte-paniers;

Autant puis l'ung que l'autre dire,

Car, d'evesques ou lanterniers,

Je n'y congnois rien a redire.

CL.

Et icelles qui s'inclinoient

Unes contre autres en leur vies;

Desquelles les unes regnoient,

Des autres craintes et servies:

Là les voy toutes assouvies,

Ensemble en ung tas pesle-mesle.

Seigneuries leur sont ravies;

Clerc ne maistre ne s'y appelle.

Or sont-ilz mortz, Dieu ayt leurs âmes!

Quant est des corps, ils sont pourriz.

Ayent esté seigneurs ou dames,

Souef et tendrement nourriz

De cresme, fromentée ou riz,

Leurs os sont declinez en pouldre,

Auxquelz ne chault d'esbat, ne riz...

Plaise au doulx Jesus les absouldre!

CLII.

Aux trespassez je fais ce lays,

Et icelluy je communique

A regentz, courtz, sieges et plaids,

Hayneurs d'avarice l'inique,

Lesquelz pour la chose publique

Se seichent les os et les corps:

De Dieu et de sainct Dominique

Soient absolz, quand ilz seront mortz

LAYS.

Au retour de dure prison,

Où j'ay laissé presque la vie,

Se Fortune a sur moy envie,

Jugez s'elle fait mesprison!

Il me semble que, par raison,

Elle deust bien estre assouvie,

Au retour.

CLIII.

Item, donne à maistre Lomer,

Comme extraict que je suis de fée,

Qu'il soit bien amé; mais, d'amer

Fille en chief ou femme coëffée,

Jà n'en ayt la teste eschauffée,

Ce qui ne luy couste une noix,

Faire ung soir pour soy la fastée,

En despit d'Auger le Danois.

CLIV.

Item, rien à Jaques Cardon,

Car je n'ay rien pour luy honneste.

Non pas que le jette à bandon

Sinon cette Bergeronnette:

S'elle eust le chant Marionnette,

Faict por Marion la Peau-Tarde,

D'un Ouvrez vostre huys, Guillemette,

Elle allast bien à la moustarde.

CLV.

CLVI.

Item, à maistre Jacques James,

Qui se tue d'amasser biens,

Donne fiancer tant de femmes

Qu'il vouldra; mais d'espouser, riens

Pour qui amasse-il? Pour les siens.

Il ne plainct fors que ses morceaulx;

Ce qui fut aux truyes, je tiens

Qu'il doit de droit estre aux pourceaulx.

CLVII.

Item, le Camus Seneschal,

Qui une fois paya mes debtes,

En recompense, mareschal,

Pour ferrer oës et canettes.

Je luy envoye ces sornettes,

Pour soy desennuyer; combien,

Si veult, face-en des alumettes.

De bien chanter s'ennuye-on bien.

CLVIII.

Item, au Chevalier du Guet

Je donne deux beaulx petitz pages,

Philippot et le gros Marquet,

Qui ont servy, dont sont plus sages,

La plus grant partie de leurs aages,

Tristan, prevost des mareschaulx.

Hélas, s'ilz sont cassez de gaiges,

Aller leur fauldra tous deschaulx!

Item, au Chappelain je laisse

Ma chapelle à simple tonsure,

Chargée d'une seiche messe,

Où il ne fault pas grand lecture.

Resigné luy eusse ma cure,

Mais point ne veult de charge d'ames;

De confesser, ce dit, n'a cure,

Sinon chambrières et dames.

CLX.

Pour ce que sçait bien mon entente,

Jehan de Calays, honnorable homme,

Qui ne me veit des ans a trente,

Et ne sçait comment je me nomme,

De tout ce Testament, en somme,

S'aucune y a difficulté,

Oster jusqu'au rez d'une pomme

Je luy en donne faculté.

CLXI.

De le gloser et commenter,

De le diffinir ou prescripre,

Diminuer ou augmenter;

De le canceller ou transcripre

De sa main, ne sceust-il escripre;

Interpreter, et donner sens,

A son plaisir, meilleur ou pire;

A tout ceci je m'y consens.

CLXII.

CLXIII.

Item, j'ordonne à Saincte-Avoye,

Et non ailleurs, ma sepulture;

Et, affin que chascun me voye,

Non pas en chair, mais en paincture,

Que l'on tire mon estature

D'ancre, s'il ne coustoit trop cher.

De tumbel? Rien; je n'en ay cure,

Car il greveroit le plancher.

CLXIV.

Item, vueil qu'autour de ma fosse

Ce que s'ensuyt, sans autre histoire,

Soit escript, en lettre assez grosse;

Et qui n'auroit point d'escriptoire,

De charbon soit, ou pierre noire,

Sans en rien entamer le plastre:

Au moins sera de moy memoire

Telle qu'il est d'ung bon folastre.

CLXV.

CY GIST ET DORT EN CE SOLLIER,

QU'AMOUR OCCIST DE SON RAILLON,

UNG POUVRE PETIT ESCOLLIER,

QUI FUT NOMMÉ FRANÇOIS VILLON.

ONCQUES DE TERRE N'EUT SILLON.

IL DONNA TOUT, CHASCUN LE SCET:

TABLE, TRETTEAULX, PAIN, CORBILLON.

POUR DIEU, DICTES-EN CE VERSET.

RONDEAU.

Repos eternel donne à cil,

Lumière, clarté perpétuelle,

Qui vaillant plat ny escuelle

N'eut oncques, n'ung brin de percil.

Il fut rez, chef, barbe, sourcil,

Comme ung navet qu'on ree et pelle.

Repos éternel donne à cil.

Rigueur le transmit en exil,

Et luy frappa au cul la pelle,

Nonobstant qu'il dist: J'en appelle!

Qui n'est pas terme trop subtil.

Repos eternel donne à cil.

CLXVI.

Item, je vueil qu'on sonne à branle

Le gros Beffray, qui n'est de voire;

Combien que cueur n'est qui ne tremble;

Quand de sonner est à son erre.

Saulvé a mainte belle terre,

Le temps passé, chascun le sçait:

Fussent gens d'armes ou tonnerre;

Au son de luy tout mal cessoit.

Les sonneurs auront quatre miches;

Et se c'est peu, demy-douzaine,

Autant qu'en donnent les plus riches;

Mais ilz seront de sainct Estienne.

Vollant est homme de grant peine:

L'ung en sera. Quand j'y regarde,

Il en vivra une sepmaine.

Et l'autre? Au fort, Jehan de la Garde.

CLXVIII.

Pour tout ce fournir et parfaire,

J'ordonne mes executeurs,

Auxquelz faict bon avoir affaire,

Et contentent bien leurs debteurs.

Ilz ne sont pas trop grans venteurs,

Et ont bien de quoy, Dieu mercys!

De ce faict seront directeurs...

Escripts: je t'en nommeray six.

CLXIX.

C'est maistre Martin Bellefaye,

Lieutenant du cas criminel.

Qui sera l'autre? J'y pensoye:

Ce sera sire Colombel.

S'il luy plaist et il lui est bel,

Il entreprendra ceste charge.

Et l'autre? Michel Jouvenel.

Ces trois seulz, et pour tous, j'en charge.

CLXX.

CLXXI.

Et l'aultre, maistre Jaques James,

Trois hommes de bien et d'honneur,

Desirans de saulver leurs âmes,

Et doubtans Dieu Nostre Seigneur.

Plustot y metteront du leur,

Que ceste ordonnance ne baillent.

Point n'auront de contrerooleur,

Mais à leur seul plaisir en taillent.

CLXXII

Des testamens qu'on dit le maistre

De mon faict n'aura quid ne quod;

Mais ce sera ung jeune prebstre,

Qui se nomme Colas Tacot.

Voulentiers beusse à son escot,

Et qu'il me coustast ma cornette!

S'il sceust jouer en ung trippot,

Il eust de moy le Trou Perrette.

CLXXIII.

BALLADE

Par laquelle Villon crye mercy à chascun.

A Chartreux, aussi Celestins,

A mendians et aux devotes,

A musars et cliquepatins,

Servantes et filles mignottes,

Portant surcotz et justes cottes;

A cuyderaulx d'amours transis,

Chaussans sans meshaing fauves bottes,

Je crye à toutes gens merciz!

A fillettes monstrans tetins,

Pour avoir plus largement hostes;

A ribleurs meneurs de butins,

A basteleurs traynans marmottes,

A folz et folles, sotz et sottes,

Qui s'en vont sifflant cinq et six;

A veufves et à mariottes,

Je crye à toutes gens merciz!

Sinon aux trahistres chiens mastins,

Qui m'ont fait ronger dures crostes

Et boire eau maintz soirs et matins,

Qu'ores je ne crains pas trois crottes.

Je feisse pour eulx petz et rottes;

Je ne puis, car je suis assis.

Bien fort, pour éviter riottes,

Je crye à toutes gens, merciz!

Qu'on leur froisse les quinze costes

De gros mailletz, fortz et massis,

De plombée et de telz pelottes.

Je crye à toutes gens merciz!

BALLADE

POUR SERVIR DE CONCLUSION.

Icy se clost le Testament

Et finist du pouvre Villon.

Venez à son enterrement,

Quant vous orrez le carillon,

Vestuz rouges com vermillon,

Car en amours mourut martir;

Ce jura-il sur son coullon

Quand de ce monde voult partir.

Et je croy bien que pas n'en ment,

Car chassié fut comme un soullon

De ses amours hayneusement,

Tant que, d'icy à Roussillon,

Brosses n'y a ne brossillon,

Qui n'eust, ce dit-il sans mentir,

Ung lambeau de son cotillon,

Quand de ce monde voult partir.

ENVOI.

Prince, gent comme esmerillon,

Saichiez qu'il fist, au departir:

Ung traict but de vin morillon,

Quand de ce monde voult partir.

FIN DU GRAND TESTAMENT.

LE QUATRAIN

Que feit Villon quand il fut jugé à mourir.

JE SUIS François, dont ce me poise,

Né de Paris emprès Ponthoise.

Or d'une corde d'une toise

Saura mon col que mon cul poise.

L'EPITAPHE

EN FORME DE BALLADE

Que feit Villon pour luy et ses compagnons, s'attendant

estre pendu avec eulx.

Se vous clamons, frères, pas n'en devez

Avoir desdaing, quoique fusmes occis

Par justice. Toutesfois, vous sçavez

Que tous les hommes n'ont pas bon sens assis;

Intercedez doncques, de cueur rassis,

Envers le Filz de la Vierge Marie,

Que sa grace ne soit pour nous tarie,

Nous preservant de l'infernale fouldre.

Nous sommes mors, ame ne nous harie;

Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

La pluye nous a debuez et lavez,

Et le soleil dessechez et noirciz;

Pies, corbeaulx, nous ont les yeux cavez,

Et arrachez la barbe et les sourcilz.

Jamais, nul temps, nous ne sommes rassis;

Puis cà, puis là, comme le vent varie,

A son plaisir sans cesser nous charie,

Plus becquetez d'oyseaulx que dez à couldre.

Ne soyez donc de nostre confrairie,

Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

ENVOI.

Prince JESUS, qui sur tous seigneurie,

Garde qu'Enfer n'ayt de nous la maistrie:

A luy n'ayons que faire ne que souldre.

Hommes, icy n'usez de mocquerie

Mais priez Dieu que tous nous vueille absouldre!

Tous mes cinq Sens, yeulx, oreilles et bouche,

Le nez, et vous, le sensitif, aussi;

Tous mes membres où il y a reprouche,

En son endroit ung chascun die ainsi:

«Court souverain, par qui sommes icy,

Vous nous avez gardé de desconfire;

Or, la langue ne peut assez suffire

A vous rendre suffisantes louenges:

Si prions tous, fille au souverain Sire,

Mère des bons, et soeur des benoistz anges!»

Cueur, fendez-vous, ou percez d'une broche,

Et ne soyez, au moins, plus endurcy

Qu'au desert fut la forte bise roche

Dont le peuple des Juifs fut adoulcy;

Fondez larmes, et venez à mercy,

Comme humble cueur qui tendrement souspire:

Louez la Court, conjoincte au sainct Empire,

L'heur des Françoys, le confort des estranges,

Procreée la sus au ciel empire,

Mère des bons, et soeur des benoistz anges!

ENVOI.

Prince, trois jours ne vueillez m'escondire,

Pour moy pourvoir, et aux miens adieu dire;

Sans eulx, argent je n'ay, icy n'aux changes.

Court triumphant, fiat, sans me desdire;

Mère des bons, et soeur des benoistz anges!

BALLADE

DE L'APPEL DE VILLON.

Que dites-vous de mon appel,

Garnier? Feis-je sens ou follie?

Toute beste garde sa pel;

Qui la contrainct, efforce ou lye,

S'elle peult, elle se deslie.

Quand à ceste peine arbitraire

On me jugea par tricherie,

Estoit-il lors temps de me taire?

Cuydez-vous que soubz mon cappel

N'y eust tant de philosophie

Comme de dire: «J'en appel?»

Si avoit, je vous certifie,

Combien que point trop ne m'y fie.

Quand on me dit, présent notaire:

«Pendu serez!» je vous affie,

Estoit-il lors temps de me taire?

ENVOI.

Prince, si j'eusse eu la pepie,

Pieça je fusse où est Clotaire,

Aux champs debout comme ung espie.

Estoit-il lors temps de me taire?

LE DIT

DE LA NAISSANCE MARIE.

Jam nova progenies celo demittitur alto.

Virg., (ecl. 4, v.7.)

La paix, c'est assavoir, des riches,

Des povres le substantement,

Le rebours des felons et chiches,

Très necessaire enfantement,

Conceu, porté honnestement,

Hors le pechié originel,

Que dire je puis sainctement

Souverain bien, Dieu éternel!

Nom recouvré, joye de peuple,

Confort des bons, de maulx retraicte;

Du doux Seigneur première et seule

Fille, de son cler sang extraicte,

Du dextre costé Clovis traicte,

Glorieuse ymage en tous fais,

Ou hault ciel créée et pourtraicte,

Pour esjouyr et donner paix!

En l'amour et crainte de Dieu,

Es nobles flans Cesar conceue;

Des petis et grans, en tout lieu,

A très grande joye receue;

De l'amour Dieu traicte, tissue,

Pour les discordez ralier,

Et aux enclos donner yssue,

Leurs lians et fers delier.

Du Psalmiste je prens les dictz:

Delectasti me, Domine,

In factura sua! Je diz:

«Noble enfant, de bonne heure né,

A toute doulceur destiné,

Manna du Ciel, celeste don,

De tous bienfais le guerdonné,

Et de nos maulx le vray pardon!»

DOUBLE BALLADE.

Combien que j'ay leu en ung Dit:

Inimicum putes, y a,

Qui te presentem laudabit,

Toutesfois, non obstant cela,

Oncques vray homme ne cela

En son courage aucun grant bien,

Qui ne le monstrast çà et là:

On doit dire du bien le bien.

Envoyée de Jhesucrist,

Rappelles sà jus, par deçà,

Les povres que Rigueur proscript

Et que Fortune betourna.

Cy sçay bien comment y m'en va!

De Dieu, de vous, vie je tien...

Benoist celle qui vous porta!

On doit dire du bien le bien.

Cy, devant Dieu, fais congnoissance,

Que creature feusse morte,

Ne feust vostre doulce naissance,

En charité puissant et forte,

Qui ressuscite et reconforte

Ce que Mort avoit prins pour sien.

Vostre présence me conforte:

On doit dire du bien le bien.

Cy vous rens toute obéissance,

A ce faire raison m'exorte,

De toute ma povre puissance;

Plus n'est deul qui me desconforte,

N'autre ennuy de quelque sorte.

Vostre je suis et non plus mien;

Ad ce droit et devoir m'enhorte:

On doit dire du bien le bien.

ENVOI.

Princesse, ce loz je vous porte,

Que sans vous je ne feusse rien.

A vous et à vous m'en rapporte.

On doit dire du bien le bien.

Euvre de Dieu, digne, louée

Autant que nulle créature,

De tous biens et vertuz douée,

Tant d'esperit que de nature,

Que de ceulx qu'on dit, d'adventure,

Plus nobles que rubis balais;

Selon de Caton l'escripture:

Patrem insequitur proles.

Port assuré, maintien rassiz,

Plus que ne peut nature humaine,

Et, eussiez des ans trente-six,

Enfance en rien ne vous demaine.

Que jour ne le die et sepmaine,

Je ne sçay qui me le deffend...

A ce propos ung dit ramaine:

De saige mère saige enfant.

En priant Dieu, digne pucelle,

Que vous doint longue et bonne vie;

Qui vous ayme, MADEMOISELLE,

Jà ne coure sur luy envie.

Entière dame et assouvie,

J'espoir de vous servir ainçoys,

Certes, se Dieu plaist, que devie

Vostre povre escolier FRANÇOYS.

BALLADE VILLON.

Je meurs de soif auprès de la fontaine,

Chauld comme feu, et tremble dent à dent,

En mon païs suis en terre loingtaine;

Lez un brazier friçonne tout ardent;

Nu comme ung ver, vestu en president;

Je ris en pleurs, et attens sans espoir;

Confort reprens en triste desespoir;

Je m'esjouys et n'ay plaisir aucun;

Puissant je suis sans force et sans povoir,

Bien recueilly, debouté de chascun.

De riens n'ay soing, si metz toute ma paine

D'acquerir biens, et n'y suis pretendant;

Qui mieulx me dit, c'est cil qui plus m'attaine,

Et qui plus vray, lors plus me va bourdant;

Mon ami est qui me fait entendant

D'ung cygne blanc que c'est ung corbeau noir;

Et qui me nuyst croy qu'il m'aide à povoir.

Verité, bourde, aujourd'uy m'est tout un.

Je retiens tout; riens ne sçay concepvoir,

Bien recueilly, debouté de chascun.

L'ENVOI.

Prince clement, or vous plaise savoir

Que j'entens moult, et n'ay sens ne sçavoir;

Parcial suis, à toutes lois commun.

Que fais-je plus? Quoy? Les gaiges ravoir,

Bien recueilly, debouté de chascun.

EPISTRE

EN FORME DE BALLADE, A SES AMIS.

Chantres chantans à plaisance, sans loy;

Galans, rians, plaisans en faictz et diz,

Coureux, allans, francs de faulx or, d'aloy;

Gens d'esperit, ung petit estourdiz;

Trop demourez, car il meurt entandiz.

Faiseurs de laiz, de motets et rondeaux,

Quand mort sera vous lui ferez chandeaux.

Il n'entre, où gist, n'escler ne tourbillon;

De murs espoix on luy a fait bandeaux:

Le lesserez là, le povre Villon?

Venez le veoir en ce piteux arroy,

Nobles hommes, francs de quars et de dix,

Qui ne tenez d'empereur ne de roy,

Mais seulement de Dieu de Paradiz:

Jeuner lui fault dimanches et mardiz

Dond les dens a plus longues que ratteaux,

Après pain sec, non pas après gasteaux;

En ses boyaulx verse eau à gros bouillon;

Bas enterré, table n'a, ne tresteaulx:

Le lesserez là, le povre Villon?

ENVOI.

LE DEBAT

DU CUEUR ET DU CORPS DE VILLON,

En forme de Ballade.

Qu'est-ce que j'oy?—Ce suis-je.—Qui?—Toncueur,

Qui ne tient mais qu'à ung petit filet,

Force n'ay plus, substance ne liqueur,

Quand je te voy retraict ainsi seulet,

Com pouvre chien tappy en recullet.

—Pourquoy est-ce?—Pour ta folle plaisance.

—Que t'en chault-il?—J'en ai la desplaisance.

—Laisse m'en paix!—Pourquoi?—J'y penseray.

—Quand sera-ce?—Quant seray hors d enfance.

—Plus ne t'en dy.—Et je m'en passeray.

—Que penses-tu?—Estre homme de valeur.

—Tu as trente ans.—C'est l'aage d'ung mullet.

—Est-ce enfance?—Nenny.—C'est donc folleur

Qui te saisit?—Par où?—Par le collet.

Rien ne congnois.—Si fais: mouches en laict:

L'ung est blanc, l'autre est noir, c'est la distance.

—Est-ce doncq tout?-Que veulx-tu que je tance?

Si n'est assez, je recommenceray.

—Tu es perdu!—J'y mettray resistance.

—Plus ne t'en dy.—Et je m'en passeray.

—D'ond vient ce mal?—Il vient de mon malheur.

Quand Saturne me feit mon fardelet,

Ces maulx y mist, je le croy.—C'est foleur:

Son seigneur es, et te tiens son valet.

Voy que Salmon escript en son roulet:

«Homme sage, ce dit-il, a puissance

Sur les planètes et sur leur influence.»

—Je n'en croy rien; tel qu'ilz m'ont faict seray.

—Que dis-tu?—Rien.—Certe, c'est ma créance.

Plus ne t'en dy.—Et je m'en passeray.

ENVOI.

—Veux-tu vivre?—Dieu m'en doint la puissance!

—Il te fault...—Quoy?—Remors de conscience;

Lire sans fin.—Et en quoy?—En science;

Laisse les folz!—Bien, j'y adviseray.

—Or le retiens.—J'en ay bien souvenance.

—N'attends pas tant que tourne à desplaisance.

Plus ne t'en dy.—Et je m'en passeray.

Le mien seigneur et prince redoubté,

Fleuron de Lys, royale geniture,

Françoys Villon, que travail a dompté

A coups orbes, par force de batture,

Vous supplie, par cette humble escripture,

Que luy faciez quelque gracieux prest.

De s'obliger en toutes cours est prest;

Si ne doubtez que bien ne vous contente.

Sans y avoir dommage n'interest,

Vous n'y perdrez seulement que l'attente.

A prince n'a ung denier emprunté,

Fors à vous seul, vostre humble créature.

Des six escus que lui avez presté,

Cela pieça, il mist en nourriture;

Tout se payera ensemble, c'est droicture,

Mais ce sera légèrement et prest:

Car, se du gland rencontre en la forest

D'entour Patay, et chastaignes ont vente,

Payé serez sans delay ny arrest:

Vous n'y perdrez seulement que l'attente.

Si je pensois vendre de ma santé

A ung Lombard, usurier par nature,

Faulte d'argent m'a si fort enchanté,

Que j'en prendrois, ce croy-je, l'adventure.

Argent ne pend à gippon ne ceincture;

Beau sire Dieux! je m'esbahyz que c'est,

Que devant moy croix ne se comparoist,

Sinon de bois ou pierre, que ne mente;

Mais s'une fois la vraye m'apparoist,

Vous n'y perdrez seulement que l'attente.

Prince du Lys, qui à tout bien complaist,

Que cuydez-vous, comment il me desplaist

Quand je ne puis venir à mon entente?

Bien m'entendez, aydez-moi, s'il vous plaist:

Vous n'y perdrez seulement que l'attente.

SUSCRIPTION DE LADITE REQUESTE

Allez, Lettres, faictes un sault,

Combien que n'ayez pied ne langue:

Remonstrez, en vostre harengue,

Que faulte d'argent si m'assault.

BALLADE

DES PROVERBES.

Tant grate chèvre que mal gist;

Tant va le pot à l'eau qu'il brise;

Tant chauffe-on le fer qu'il rougist;

Tant le maille-on qu'il se debrise;

Tant vault l'homme comme on le prise;

Tant s'eslongne-il qu'il n'en souvient;

Tant mauvais est qu'on le desprise;

Tant crie l'on Noel qu'il vient.

Tant ayme-on chien qu'on le nourrist;

Tant court chanson qu'elle est apprise;

Tant garde-on fruict qu'il se pourrist;

Tant bat-on place qu'elle est prise;

Tant tarde-on qu'on fault à l'emprise;

Tant se haste-on que mal advient;

Tant embrasse-on que chet la prise;

Tant crie l'on Noel qu'il vient;

ENVOI.

Prince, tant vit fol qu'il s'advise;

Tant va-t-il qu'après il revient;

Tant le matte-on qu'il se radvise;

Tant crie l'on Noel qu'il vient.

BALLADE

DES MENUS PROPOS.

Je congnois pourpoinct au collet;

Je congnois le moyne à la gonne;

Je congnois le maistre au valet;

Je congnois au voyle la nonne;

Je congnois quand piqueur jargonne;

Je congnois folz nourriz de cresme;

Je congnois le vin à la tonne;

Je congnois tout, fors que moy-mesme.

Je congnois cheval du mulet;

Je congnois leur charge et leur somme;

Je congnois Bietrix et Bellet;

Je congnois gect qui nombre et somme;

Je congnois vision en somme;

Je congnois la faulte des Boesmes;

Je congnois filz, varlet et homme:

Je congnois tout, fors que moy-mesme.

ENVOI.

Prince, je congnois tout en somme;

Je congnois coulorez et blesmes;

Je congnois mort qui nous consomme;

Je congnois tout, fors que moy-mesme.

On parle des champs labourer,

De porter chaulme contre vent,

Et aussi de se marier

A femme qui tance souvent;

De moyne de povre couvent,

De gens qui vont souvent sur mer;

De ceulx qui vont les bleds semer,

Et de celluy qui l'asne maine;

Mais, à trestout considérer,

Povres housseurs ont assez peine.

A petis enfans gouverner,

Dieu sçait se c'est esbatement!

De gens d'armes doit-on parler?

De faire leur commandement?

De servir Malchus chauldement?

De servir dames et aymer?

De guerrier et bouhourder

Et de jouster à la quintaine?

Mais, à trestout considérer,

Povres housseurs ont assez peine.

PROBLÈME OU BALLADE

AU NOM DE LA FORTUNE.

Fortune fuz par clercz jadis nommée,

Que toy, Françoys, crie et nomme meurtrière.

S'il y a hom d'aucune renommée

Meilleur que toy, faiz user en plastrière,

Par povreté, et fouyr en carrière,

S'a honte viz, te dois tu doncques plaindre?

Tu n'es pas seul; si ne te dois complaindre.

Regarde et voy de mes faitz de jadis,

Maints vaillans homs par moy mors et roidiz,

Et n'eusses-tu envers eulx ung soullon,

Appaise-toy, et mectz fin en tes diz:

Par mon conseil prends tout en gré, Villon!

Alexandre, qui tant fist de hamée,

Qui voulut voir l'estoille poucynière,

Sa personne par moy fut inhumée.

Alphasar roy, en champ, sous la bannière,

Ruay jus mort; cela est ma manière.

Ainsi l'ay fait, ainsi le maintendray;

Autre cause ne raison n'en rendray.

Holofernes, l'ydolastre mauldiz,

Qu'occist Judic (et dormoit entandiz!)

De son poignart, dedens son pavillon;

Absallon, quoy! en fuyant suspendis....

Par mon conseil prends tout en gré, Villon!

ENVOI.

Povre Françoys, escoute que tu dis:

Se rien peusse sans Dieu de paradiz,

A toy n'aultre ne demourroit haillon:

Car pour ung mal lors j'en feroye dix:

Par mon conseil prends tout en gré, Villon!

BALLADE

CONTRE LES MESDISANS DE LA FRANCE.

Quatre mois soit en un vivier chantant,

La teste au fons, ainsi que le butor;

Ou au Grand-Turc vendu argent contant,

Pour estre mis au harnois comme ung tor;

Ou trente ans soit, comme la Magdelaine,

Sans vestir drap de linge ne de laine;

Ou noyé soit, comme fut Narcisus;

Ou aux cheveux, comme Absalon, pendus,

Ou comme fut Judas par desperance,

Ou puist mourir comme Simon Magus,

Qui mal vouldroit au royaume de France!

D'Octovien puisse venir le temps:

C'est qu'on luy coule au ventre son trésor;

Ou qu il soit mis entre meules flotans;

En un moulin, comme fut saint Victor;

Ou transgloutis en la mer, sans haleine,

Pis que Jonas au corps de la baleine;

Ou soit banny de la clarté Phoebus,

Des biens Juno et du soulas Venus,

Et du grant Dieu soit mauldit à outrance,

Ainsi que fut roy Sardanapalus,

Qui mal vouldroit au royaume de France!

Prince, porté soit des clers Eolus,

En la forest où domine Glocus,

Ou privé soit de paix et d'espérance,

Car digne n'est de posséder vertus,

Qui mal vouldroit au royaume de France!

BALLADE I.

A Parouart, la grand Mathe Gaudie,

Où accollez sont duppez et noirciz,

De par angels suyvans la paillardie,

Sont greffiz et prins cinq ou six.

Là sont bleffeurs, au plus hault bout assis

Pour l'evagie, et bien hault mis au vent.

Escevez-moy tost ces coffres massis!

Ces vendengeurs, des ances circoncis,

S'embrouent du tout à néant...

Eschec, eschec, pour le fardis!

Plantez aux hurmes vos picons,

De paour des bisans si très-durs,

Et, aussi, d'estre sur les joncs,

En mahe, en coffres, en gros murs.

Escharricez, ne soyez durs,

Que le grand Can ne vous fasse essorer.

Songears ne soyez pour dorer,

Et babignez tousjours aux ys

Des sires, pour les debouser...

Eschec, eschec, pour le fardis!

ENVOI.

Prince Froart, dit des Arques Petis,

L'un des sires si ne soit endormis,

Levez au bec, que ne soyez griffis,

Et que vous n'en ayez du pis...

Eschec, eschec, pour le fardis!

BALLADE II.

Changez, andossez souvent,

Et tirez tout droit au tremble,

Et eschicquez tost en brouant.

Qu'en la jarte ne soyez ample.

Montigny y fut, par exemple,

Bien estaché au halle-grup,

Et y jargonnast-il le temple,

Dont Lamboureur lui rompt le suc.

Gailleurs, bien faitz en piperie,

Pour ruer les ninars au loing,

A l'assault tost, sans suerie!

Que les mignons ne soient au gaing,

Tout farcis d'un plumas à coing,

Qui griefve et garde le duc,

Et de la dure si très loing,

Dont Lamboureur luy rompt le suc.

ENVOI.

Prince, arrière de Ruel,

Et n'eussiez vous denier ne pluc,

Que au giffle ne laissez la pel,

Pour Lamboureur, qui rompt le suc.

Spélicans,

Qui, en tous temps,

Avancez dedans le pogois,

Gourde piarde,

Et sur la tarde,

Desboursez les pauvres nyais,

Et pour soustenir vostre pois,

Les duppes sont privez de caire,

Sans faire haire,

Ne hault braiere,

Mais plantez ils sont comme joncz,

Pour les sires qui sont si longs.

Souvent aux arques,

A leurs marques,

Se laissent tous desbouser

Pour ruer,

Et enterver

Pour leur contre que lors faisons.

La fée aux Arques vous respond,

Et rue deux coups, ou bien troys,

Aux gallois.

Deux, ou troys

Mineront trestout aux frontz,

Pour les sires qui sont si longs.

ENVOI.

De paour des hurmes

Et des grumes,

Rassurez-vous en droguerie

Et faerie,

Et ne soyez plus sur les joncz,

Pour les sires qui sont si longs.

BALLADE IV.

Saupicquetz frouans des gours arques,

Pour deshouser, beau sire dieux,

Allez ailleurs planter vos marques!

Benards, vous estes rouges gueux.

Berard s'en va chez les joncheux

Et babigne qu'il a plongis.

Mes frères, soiez embrayeux

Et gardez les coffres massis.

Nyais qui seront attrapez,

Bientost s'en brouent au Halle,

Plus ne vault que tost ne happez

La baudrouse de quatre talle.

Des tires fait la hairenalle,

Quand le gosser est assiegis,

Et si hurcque la pirenalle,

Au saillir des coffres massis.

ENVOI.

Prince des gayeulx, à leurs marques,

Que voz contres ne soient griffis.

Pour doubte de frouer aux arques,

Gardez-vous des coffres massis.

BALLADE V.

Joncheurs, jonchans en joncherie,

Rebignez bien où joncherez;

Qu'Ostac n'embroue vostre arrerie,

Où acollez sont vos ainsnez.

Poussez de la quille et brouez,

Car tost seriez roupieux.

Eschet qu'acollez ne soyez.

Par la poe du marieux.

Entervez à la floterie,

Chantez-leur trois, sans point songer.

Qu'en artes ne soyez en surie,

Blanchir vos cuirs et essurger.

Bignez la mathe, sans targer;

Que vos ans ne soyent ruppieux!

Plantez ailleurs contre assiéger,

Pour la poe du marieux.

ENVOI.

Prince Benard en Esterie,

Querez coupans pour Lamboureux

Et autour de vos ys tuerie,

Pour la poe du marieux.

BALLADE VI

La giffle gardez de rurie,

Que vos corps n'en ayent du pis,

Et que point, à la turterie,

En la hurme ne soyez assis.

Prenez du blanc, laissez du bis,

Ruez par les fondes la poe,

Car le bizac, à voir advis,

Faict aux Beroars faire la moe.

Plantez de la mouargie,

Puis ça, puis là, pour l'artis,

Et n'espargnez point la flogie

Des doulx dieux sur les patis.

Vos ens soyent assez hardis,

Pour leur avancer la droe;

Mais soient memorandis,

Qu'on ne vous face la moe.

ENVOI.

Prince, qui n'a bauderie

Pour eschever de la soe,

Danger du grup, en arderie,

Faict aux sires faire la moe.

FIN DES OEUVRES DE MAISTRE

FRANÇOIS VILLON.





I. RONDEL.

Les biens dont vous estes la dame

Ont mon cueur si très fort espris,

Qu'il feust mort, s'il n'eust entrepris

De vous aymer plus que nul âme.

Quant à moy, point je ne l'en blasme,

Pour ce qu'ilz ont de tous le pris

Les biens dont vous estes la dame.

De ce qu'il fault que je vous ayme,

Je sçay trop bien que j'ay mespris;

Mais qui en doit estre repris?

Non pas moi. Qui donc? Sur mon ame,

Les biens dont vous estes la dame.

II. RONDEL.

Celle ou celluy qui m'a brassé

Ce maulvais los et pourchassé

Me het et ne vous ayme pas;

Mais il quiert que soye chacié

De vostre amour et effacié.

Je congnois bien telz advocas.

Se vous avez voulu refaire

Leur voulenté pour me deffaire,

Vous faictes mal et me grevez.

Considerez que vous sçavez

Qu'onc vers vous ne voulus meffaire

A bien juger.

III. RONDEL.

Une fois me dictes ouy,

En foy de noble et gentil femme;

Je vous certifie, ma Dame,

Qu'oncques ne fuz tant resjouy.

Veuillez le donc dire selon

Que vous estes benigne et doulche,

Car ce doulx mot n'est pas si long

Qu'il vous face mal en la bouche.

Soyez seure, si j'en jouy,

Que ma lealle et craintive ame

Gardera trop mieulx que nul ame

Vostre honneur. Avez-vous ouy?

Une fois me dictes ouy.

Se mieulx ne vient d'amours, peu me contente;

Une j'en sers qui est bien suffisante

Pour contenter un grant duc ou un roy.

Je l'ayme bien, mais non pas elle moy;

Il n'est besoing que de ce je me vante.

Combien qu'elle est de taille belle et gente,

De m'en louer pour ceste heure presente

Pardonnez-moy, car je n'y voy de quoy;

Se mieulx ne vient d'amours, peu me contente.

Quant je luy dy de mon vouloir l'entente,

Et cueur et corps et biens je luy presente,

Pour tout cela remède je n'y voy.

Deliberé suis, sçavez-vous de quoy?

De luy quicter et le jeu et l'actente.

Se mieulx ne vient d'amours, peu me contente.

V. RONDEL.

De mon faict je ne sçay que dire;

Par tout où je vois je m'adire,

Et des yeulx voy moins que du coute.

En danger suis qu'il ne me couste

La vie, tant suis remply d'ire.

De mon faict je ne sçay que dire,

Car ma dame si ne tient compte

De mon martyre, quant luy compte,

Mais me dit que trop aise suis,

Et qu'en ce royaulme n'a conte

Qui ait de nulle meilleur compte

Que j'ay d'elle, quant je la suis,

VI. RONDEL.

Pour entretenir mes amours

Colorer me fault maints fins tours;

Car ma bourse est très mal garnie

Pour fourrer le poignet tousjours.

Ung jour demande haults atours,

Et l'autre ung grant bort de velours,

Et je respons: «Or bien, m'amye,»

Pour entretenir mes amours.

Veez-vous ce donneur de bonjours?

Il a faict en el tant de cours,

Practiqué l'art de baverie,

Qu'il scet moult bien, sans ce qu'il rie,

Dire sa pensée à rebours.

Pour entretenir mes amours

Colorer me fault maints fins tours.

VII. RONDEL.

Tu te brusles à la chandelle!

Helas! mon cueur, ne vois tu pas

Que danger est tousjours au pas,

Qui fait à tous guerre mortelle?

Sont-ce chastaignes qu'on y pelle,

A ton advis, pour ton repas?

Nennil. Retrais toy tout le pas,

Ains qu'on te frape au cul la pelle.

Tu te brusles à la chandelle.

VIII. RONDEL.

Adieu vous dy la lerme à l'oeil;

Adieu, ma très gente mignonne,

Adieu, sur toutes la plus bonne,

Adieu vous dy, qui m'est grand dueil.

Adieu, adieu, m'amour, mon vueil;

Mon povre cueur vous laisse et donne.

Adieu vous dy la lerme à l'oeil.

Adieu, par qui du mal recueil

Mille fois plus que mot ne sonne;

Adieu, du monde la personne

Dont plus me loue et plus me dueil.

Adieu vous dy la lerme à l'oeil.

IX. BALLADE.

Car se pitié son très doulx cueur n'entame

A me donner ce que j'ay desiré,

J'iray mourir, ainsi qu'ung homme infame.

Tout hors de sens et si desespéré

Qu'après ma mort il en sera parlé

Plus loin dix fois que d'icy en Savoye,

Et lors diray pour plus estre blasmé:

Je hez ma dame que tant aymer souloye

Se je le dy, je jure sur mon ame

Que ce sera contre ma voulenté.

Je prye à Dieu qu'il n'y puist avoir ame

A celle fin qu'il ne soit raporté.

Car jasoit ce qu'elle m'ait courroucé

Tant qu'on peut plus, cent mille fois mourroye

Avant que j'eusse ne dit ne proferé:

Je hez ma dame que tant aymer souloye.

X. RONDEL.

Quelque chose qu'Amours ordonne,

Force m'est que vous habandonne

Pour pourchasser ailleurs mon bien;

Car, sur ma foy, je congnois bien

Que vous m'estes pire que bonne.

Si n'aymeray je jà personne

Que vous, quoy que l'on me sermonne,

En tout ce monde terrien;

Mais maintenant je n'en fais rien,

Et sers selon qu'on me guerdonne.

Quelque chose qu'Amours ordonne,

Force m'est que vous habandonne.

XI. RONDEL.

Hahay! estes vous rencherie,

Dieux y ait part, puis devant hier?

Ma dame, c'est pour enrager!

Le faictes-vous par mocquerie?

Mais venez çà, je vous en prie:

Est le cuir devenu si cher?

Hahay! estes vous rencherie?

Et dea! et ne sçavez-vous mie

Que mon père est cordouennier;

Vous voulez bazanne priser

Plus que cordouen la moitié.

Hahay! estes-vous rencherie?

XII. RONDEL.

Au plus offrant ma dame est mise

Et dernier encherisseur.

Je ne sçay se c'est par honneur,

Mais je n'en prise pas la guise.

Et pour ce je quitte la prinse

D'estre nommé son serviteur,

Car donner me porte malheur.

Ainsi j'ay laissé l'entreprise

Au plus offrant.

XIII. RONDEL.

Entens à moy, vray dieu d'amours,

Et faiz que la mort ait son cours

Hastivement,

Car j'ay mal employé mes jours.

Je meurs en aymant par amours

Certainement.

Languir me fault en griefs doulours.

XIV. BALLADE

Pour ung prisonnier.

S'en mes maulx me peusse esjoyr

Tant que tristesse me feust joye

Par me doulouser et gemir,

Voulentiers je me complaindroye;

Car, s'au plaisir Dieu, hors j'estoye,

J'ay espoir qu'au temps advenir

A grant honneur venir pourroye

Une fois avant que mourir.

Sans plus loin exemple querir,

Par moy mesme juger pourroye

Que meschief nul ne peult fouyr,

S'ainsi est qu'advenir luy doye.

C'est jeunesse qui tout desvoye;

Nul ne s'en doit trop esbahyr.

Si juste n'est qui ne fourvoye

Une fois avant que mourir.

Prince, s'aucun povoir avoye

Sur ceulx qui me font cy tenir,

Voulentiers vengeance en prendroye

Une fois avant que mourir.

XV. RONDEL.

Comme moy vous aurez voz gages.

J'en fuz bien payé au partir:

Plain de dueil jusques au partir,

Ne sont-ce plaisans advantages?

Servez amours entre vous sages:

Il vous en fera repentir;

Comme moy vous aurez vos gages.

XVI. BALLADE.

Il n'est danger que de vilain,

N'orgueil que de povre enrichy,

Ne si seur chemin que le plain,

Ne secours que de vray amy,

Ne desespoir que jalousie,

N'angoisse que cueur convoiteux,

Ne puissance où il n'ait envie,

Ne chere que d'homme joyeulx;

Ne servir qu'au roy souverain,

Ne lait nom que d'homme ahonty,

Ne manger fors quant on a faim,

N'emprise que d'homme hardy,

Ne povreté que maladie,

Ne hanter que les bons et preux,

Ne maison que la bien garnie,

Ne chère que d'homme joyeulx;

Ne richesse que d'estre sain,

N'en amours tel bien que mercy,

Ne de la mort rien plus certain,

Ne meilleur chastoy que de luy;

Ne tel trésor que preudhommye,

*****************************

Ne paistre qu'en grant seigneurie,

Ne chère que d'homme joyeulx;

Que voulez-vous que je vous die?

Il n'est parler que gracieulx,

Ne louer gens qu'après leur vie,

Ne chère que d'homme joyeulx

XVII. BALLADE MORALE.

D'une dague forte et aigüe

Soit-il frappé parmy l'eschine,

Et ait tousjours une sansue

Attachée à sa poitrine,

Et attainct d'une coulevrine

Entre le nez et le menton,

Ou qu'en prison vive en famine,

Qui autruy blasme sans raison.

Son giste soit emmy la rue,

Tout nud quand il fera bruyne,

Sur pel de heriçon pointue,

Couvert d'une chère estamine;

De vent de bise sa courtine,

Et soit mors d'ung escorpion,

Ou qu'en prison vive en foraine,

Qui autruy blasme sans raison.

ENVOI.

Prince, soit mis en la gehaine

Dix fois le jour comme ung larron,

Ou qu'en prison vive en famine,

Qui autruy blasme sans raison.

XVIII. BALLADE.

J'ay ung arbre de la plante d'amours,

Enraciné en mon cueur proprement,

Qui ne porte fruits, sinon de dolours,

Fueilles d'ennuy et fleurs d'encombrement;

Mais, puis qu'il fut planté premièrement,

Il est tant creu, de racine et de branche,

Que son umbre, qui me porte nuysance,

Fait au dessoubs toute joye seichier,

Et si ne puis, pour toute ma puissance,

Autre planter, ne celuy arrachier.

De si long-temps est arrosé de plours

Et de lermes tant douloureusement,

Et si n'en sont les fruits de rien meillours:

Ne je n'y truys guères d'amendement.

Je les recueille pourtant soigneusement.

C'est de mon cueur l'amère soustenance,

Qui trop mieux fust en friche ou en souffrance

Que porter fruits qui le dussent blecier;

Mais pas ne veult l'amoureuse ordonnance,

Autre planter, ne celuy arrachier.

ENVOI.

Ma princesse, ma première esperance,

Mon cueur vous sert en dure penitence.

Faictes le mal qui l'acqueult retranchier,

Et ne souffrez en vostre souvenance

Autre planter, ne celuy arrachier.

XIX. BALLADE.

Plaisant assez, et des biens de fortune

Ung peu garny, me trouvay amoureux,

Voire si bien, que, tant aymay fort une,

Que nuit et jour j'en estois langoureux.

Mais tant y a, que je fus si heureux

Que, moyennant vingt escus à la rose,

Je fis cela que chacun bien suppose.

Alors je dis, connoissant ce passage:

«Au fait d'amours, babil est peu de chose;

Riche amoureux a tousjours l'advantage.

Or elle a tort, car noyse ny rancune

N'eut onc de moy. Tant lui fus gracieux,

Que, s'elle eust dit: «Donne-moy de la lune»

J'eusse entrepris de monter jusqu'aux cieulx;

Et, nonobstant, son corps tant vicieux

Au service de ce vieillard expose.

Dont, ce voyant, un rondeau je compose,

Que luy transmets; mais, en pou de langage,

Me respond franc: «Povreté te depose:

Riche amoureux a tousjours l'advantage!»

ENVOI.

Prince tout bel, trop mieux parlant qu'Orose,

Si vous n'avez toujours bourse desclose,

Vous abusez: car Meung, docteur très sage,

Nous a descrit que, pour cueillir la rose,

Riche amoureux a tousjours l'advantage.

XX. BALLADE.

Je fus naguères amoureux

D'une dame cointe et jolie,

Qui me dit, en mots gracieux:

«Mon amour est en vous ravie;

Mais il faut qu'el soit desservie

Par cinquante escus d'or, s'on peut.

—Cinquante escus! Bon gré ma vie!

Il ne fait pas ce tour qui veult.»

Alors luy donnay sur les lieux

Où elle feisoit l'endormie:

Quatre venues, de coeur joyeux,

Luy fis en moins d'heure et demie.

Lors me dit, à voix espasmie:

«Encore un coup! le coeur me deult.

—Encore un coup! Hélas! m'amye,

Il ne fait pas ce tour qui veult!»

ENVOI.

Prince d'amours, je te supplie,

Si plus ainsi elle m'accuelt,

Que ma lance jamais ne plie:

Il ne fait pas ce tour qui veult!

XXI. BALADE JOYEUSE DES TAVERNIERS.

D'ung arc turcquois, d'une espée affilée

Ayent les paillars la brouaille cousue,

De feu gregoys la perrucque bruslée,

Et par tempeste la cervelle espandue,

Au grand gibet leur charongne pendue,

Et briefvement puissent mourir de goutte,

Ou je requiers et pry que l'on leur boute

Parmy leur corps force d'ardans barreaulx;

Vifs escorchez des mains de dix bourreaulx,

Et puis bouillir en huille le matin,

Desmembrez soient à quatre grans chevaux,

Les taverniers qui brouillent nostre vin.

D'un gros canon la tête escarbouillée

Et de tonnerre acablez en la rue

Soient tous leurs corps, et leur chair dessirée,

De gros mastins bien garnye et pourvue,

De forz esclers puissent perdre la veue,

Neige et gresil tousjours sur eux degoutte,

Avecques ce ilz aient la pluye toute

Sans que sur eux ayent robbes ne manteaulx,

Leurs corps trenchez de dagues et couteaulx,

Et puis traisnez jusques en l'eau du Rin;

Desrompuz soient à quatre-vingts marteaulx

Les taverniers qui brouillent nostre vin.

AVEC SON EPITAPHE.

Cy dit ung quidem, par derrière les gens:

Coquericoq.

Qu'esse cy? J'ay oüy poullaille

Chanter chez quelque bonne vieille;

Il convient que je la resveille.

Poullaille font icy leurs nidz!

C'est du demourant d'Ancenys,

Par ma foy! ou du Champ-Toursé...

Helas! que je me vis coursé

De la mort d'ung de mes nepveux!

J'euz d'ung canon par les cheveux,

Qui me vint cheoir tout droit en barbe;

Mais je m'escriay: «Saincte Barbe!

Vueille-moy ayder à ce coup,

Et je t'ayderay l'autre coup!»

Adonc le canon m'esbranla,

Et vint ceste fortune-là

Quand nous eusmes le fort conquis.

Le Baronnet et le Marquis,

Craon, Cures, l'Aigle et Bressoire,

Accoururent pour veoir l'histoire;

La Rochefouquault, l'Amiral,

Aussi Beuil et son attirail,

Pontièvre, tous les capitaines,

Y deschaussèrent leurs mitaines

De fer, de paour de m'affoler,

Et si me vindrent acoler

A terre, où j'estoye meshaigné,

De paour de dire: «Il n'a daigné!»

Combien que je fusse malade,

Je mis la main à la salade,

Car el m'estouffoit le visaige.

«Ha! dist le Marquis, ton oultraige

Te fera une foys mourir!»

Car il m'avoit bien veu courir,

Oultre l'ost, devant le chasteau.

Hélas! j'y perdy mon manteau,

Car je cuidoye d'une poterne

Que ce fust l'huys d'une taverne.

Et moy tantost de pietonner,

Car, quand on oyt clarons sonner,

Il n'est courage qui ne croisse.

Tout aussitost: «Où esse? Où esse?

Et, à brief parler, je m'y fourre,

Ne plus ne moins qu'en une bourre.

Si ce n'eust esté la brairie

Du costé devers la prairie,

De nos gens, qui crioient trestous,

Disant: «Pierre, que faictes-vous?

N'assaillez pas la basse court

Tout seul!» je l'eusse prins tout court,

Certes; mais c'eust esté outraige.

Et se ce n'eust esté ung paige

Qui nous vint trencher le chemin,

Mon frère d'armes Güillemin

Et moy, Dieu lui pardoint, pourtant!

Car, quoy? il nous en pend autant

A l'oeil, eussions, sans nulle faille,

Frappé au travers la bataille

Des Bretons; mais nous apaisames

Nos couraiges et recullames...

Que dy-je? non pas reculer,

Chose dont on ne doibt parler...

Ung rien, jusque au Lyon d'Angiers.

Je ne craignoye que les dangiers,

Moy; je n avoye paour d'aultre chose.

Et quand la bataille fut close,

D'artillerie grosse et gresle

Vous eussez ouy, pesle-mesle:

Tip, tap, sip, sap, à la barrière,

Aux esles, devant et derrière.

J'en eus d'ung parmy la cuirace.

Les dames qu'estoient en la place

Si ne craignoyent que le couillart.

Certes, j'estoye ung bon paillart;

J'en avoye ung si portatif,

Se je n'eusse esté si hastif

De mettre le feu en la pouldre,

J'eusse destruit et mis en fouldre

Tout quanqu'avoit de damoiselles.

Il porte deux pierres jumelles,

Mon couillart: jamais n'en a meins.

Et dames de joindre les mains,

Quand ilz virent donner l'assault.

Les ungs se servoyent du courtault

Si dru, si net, si sec que terre.

Et puis, quoy? parmy ce tonnerre,

Eussez ouy sonner trompilles,

Pour faire dancer jeunes filles

Au son du courtault, haultement.

Quand j'y pense, par mon serment!

C'est vaine guerre qu'avec femmes;

J'avoye toujours pitié des dames.

Veu qu'ung courtault tresperce ung mur,

Ilz auroyent le ventre bien dur,

S'il ne passoit oultre... Pensez

Qu'on leur eust faict du mal assez,

Se l'en n'eust eu noble couraige;

Mesmes ces pehons de villaige,

J'entens pehons de plat pays,

Ne se fussent point esbahis

De leur mal faire; mais nous sommes

Tousjours, entre nous gentilz hommes,

Au guet dessus la villenaille.

J'estoye par deçà la bataille,

Tousjours la lance ou la bouteille

Sur la cuisse: c'estoit merveille,

Merveille de me regarder.

Il vint ung Breton estrader,

Qui faisoit rage d'une lance;

Mais il avoit, de jeune enfance,

Les reins rompus; c'estoit dommaige.

Il vint tout seul, par son oultraige,

Estrader par mont et par val;

Pour bien pourbondir ung cheval

Il faisoit feu et voire flambe.

Mais je lui trenchay une jambe,

D'ung revers, jusques à la hanche;

Et fis ce coup-là ung dimenche,

Que dy-je? ung lundy matin.

Il ne s'armoit que de satin,

Tant craignoit à grever ses reins.

Voulentiers frappoit aux chanfrains

D'ung cheval, quand venoit en jouste,

Ou droit à la queue, sans doubte.

Point il ne frappoit son roussin,

Pource qu'il avoit le farcin,

Que d'ung baston court et noailleux,

Dessus sa teste et ses cheveulx,

De paour de le faire clocher.

Aussi, de paour de tresbucher,

Il alloit son beau pas, tric, trac,

Et ung grant panon de bissac

Voulentiers portoit sur sa teste.

D'ung tel homme fault faire feste

Autant que d'ung million d'or.

Gens d'armes! c'est ung grant tresor;

S'il vault riens il ne fault pas dire.

J'ay fait raige avecques La Hire:

Je l'ay servy trestout mon aage.

Je fus gros vallet, et puis page,

Archier, et puis je pris la lance,

Et la vous portoye sur la panse,

Tousjours troussé comme une poche.

Et puis, monseigneur de la Roche,

Que Dieu pardoint, me print pour paige.

J'estoye gent et beau de visaige,

Je chantoye et brouilloye des flustes,

Et si tiroye entre deux butes.

A brief parler, j'estoye ainsi

Mignon comme cest enfant-cy;

Je n'avoys pas gramment plus d'aage...

Or ça, ça, par où assauldray-je

Ce cocq que j'ay ouy chanter?

A peu besongner bien vanter;

Il fault assaillir cest hostel.

Adonc apperçoit le Franc Archier un espoventail de

chenevière, faict en façon d'ung gendarme,

croix blanche devant et croix noire

derrière, en sa main tenant

une arbaleste.

(A part.)

Ha! le Sacrement de l'autel!

Je suis affoibly! Qu'esse-cy?

(A l'espoventail.)

Ha! Monseigneur, pour Dieu, mercy!

Hault le trait, qu'aye la vie franche!

Je voy bien, à vostre croix blanche,

Que nous sommes tout d'ung party.

(A part.)

D'ond, tous les diables! est-il sorty,

Tout seul et ainsi effroyé?

(A l'espoventail.)

(A l'espoventail.)

Hen, Dieu! et où voulez-vous traire?

Vous ne sçavez pas que vous faictes.

Dea! je suis Breton, si vous l'estes.

Vive sainct Denis ou sainct Yve!

Ne m'en chault qui, mais que je vive!

Par ma foi! Monseigneur mon maistre,

Se vous voulez sçavoir mon estre,

Ma mère fut née d'Anjou,

Et mon père je ne sçay d'où,

Sinon que j'ouy reveler

Qu'il fut natif de Lantriquer.

Comment sçauray-je vostre nom?

Monseigneur Rollant, ou Yvon,

Mort seray quand il vous plaira!

(A part.)

Et comment! il ne cessera

Meshuy de me persecuter,

Et si ne me veult escouter!

(A l'espoventail.)

(A part.)

Tu meurs bien maulgré toy, Pernet,

Voire maulgré toi et à force!

(Au public.)

Puis qu'endurer fault et à force,

Priez pour l'ame, s'il vous plaist,

Du Franc Archier de Baignolet,

Et m'escripvez, à ung paraphe,

Sur moy ce petit epitaphe:

Cy gist Pernet le Franc Archier,

Qui cy mourut sans desmarcher,

Car de fuyr n'eut onc espace,

Lequel Dieu, par sa saincte grace,

Mette ès cieulx, avecques les ames

Des francs archiers et des gens d'armes,

Arrière des arbalestriers.

Je les hay tous: ce sont meurdriers!

Je les congnois bien de pieça.

Et mourut l'an qu'il trespassa.

(A l'espoventail.)

Attendez! me voulez-vous prendre

En desaroy? Je me confesse

A Dieu, tandis qu'il n'y a presse,

A la Vierge et à tous sainctz.

(A part.)

Or meurs-je les membres tous sains

Et tout en bon point, ce me semble.

Je n'ay mal, sinon que je tremble

De paour et de malle froidure,

Et de mes cinq sens de nature...

Cinq cens! Où prins, qui ne les emble?

Je n'en veiz onc cinq cens ensemble,

Par ma foy! n'en or, n'en monnoye.

Pour néant m'en confesseroye:

Oncques ensemble n'en veiz deux.

Et de mes sept pechez morteux

Il fault bien que m'en supportez:

Sur moy je les ay trop portez;

Je les metz jus, avec mon jacques.

J'eusse attendu jusques à Pasques,

Mais vecy ung advancement.

Et du premier commendement

De la Loy, qui dit qu'on doibt croire

(Non pas l'estoc quand on va boire,

Cela s'entend) en ung seul Dieu,

Jamais ne me trouvay en lieu

Où j'y creusse mieulx qu'à ceste heure,

Mais qu'à ce besoing me sequeure.

Ne desbendez? Je ne me fuys!

(A part.)

Hélas! je suis mort où je suis.

Je suis aussi simple, aussi coy

Comme une pucelle; car, quoy

Dit le second commendement?

Qu'on ne jure Dieu vainement.

Non ay-je en vain, mais très ferme,

Ainsi que fait ung bon genderme,

Car il n'est rien craint, s'il ne jure.

Le tiers nous enjoingt et procure,

Et advertist et admoneste,

Que l'en doit bien garder la feste,

Autant en hyver qu en esté:

J'ay tousjours voulentiers festé,

De ce ne mentiray-je point;

Et le quatriesme nous enjoint

Qu'on doit honnorer père et mère:

J'ay tousjours honoré mon père,

En moy congnoissant gentilhomme

De son costé, combien qu'en somme

Sois villain et de villenaille.

(A l'espoventail.)

Et, pour Dieu, mon amy, que j'aille

Jusques amen; miséricorde!

Relevez ung peu vostre corde;

Ferez que le traict ne me blesse.

(A part.)

(A l'espoventail.)

Las! Monseigneur l'arbalestrier,

Gardez bien ce commendement;

Quant est à moy, par mon serment,

Meurdre ne fis onc qu'en poulaille.

(A part.)

L'aultre commendement nous baille

Qu'on n'emble rien; ce ne fis oncque,

Car en lieu n'en place quelconque

Je n'euz loysir de rien embler.

J'ay assez à qui ressembler

En ce point; je n'ay point meffait,

Car, se l'en m'eust pris sur le fait,

Dieu scet comme il me fust mescheu!

Cy lusse tomber à terre l'espoventail, celluy qui

le tient.

(A l'espoventail.)

Las! monseigneur! vous estes cheu!...

Jésus! et qui vous a bouté,

Dictes? Ce n'ay-je pas esté,

Vrayement, ou diable ne m'emporte,

Au cas, dictes? Je m'en rapporte

A tous ceulx qui sont cy, beau sire,

Affin que ne vueillez pas dire

Que c'est demain ou pour demain.

Au fort, baillez-moy vostre main,

Je vous ayderay à lever.

Mais ne me vueillez pas grever:

J'ai pitié de vostre fortune.

(Au public.)

Seigneurs, je vous commande à Dieu;

Et se l'on vous vient demander

Qu'est devenu le Franc Archier,

Dictes qu'il n'est pas mort encor,

Et qu'il emporte dague et cor,

Et reviendra par cy de brief.

Adieu; je m'en vois au relief.

FIN DU MONOLOGUE DU FRANC ARCHIER

DE BAIGNOLLET.

DIALOGUE DE MESSIEURS

DE MALLEPAYE ET DE BAILLEVENT.

M. Hée, Monsieur de Baillevent! B. Quoy

De neuf? M. On nous tient en aboy,

Comme despourveuz, malureux.

B. Si j'avoye autant que je doy,

Sang bieu! je seroye chez le Roy,

Un page après moy! M. Voire deux!

B. Nous sommes francs... M. Adventureux.

B. Riches. M. Bien aises B. Plantureux.

M. Voire, de souhaits. B. C'est assez.

M. Gentilz hommes. B. Hardis. M. Et preux.

B. Par l'huys. M. Du joly Souffreteux

Heritiers. B. De gaiges cassez.

M. Hée, monsieur de Baillevent,

Qui peult trouver, soubz quelque amant,

Deux ou troys mille escus, quel proye!

B. Nous ferions bruyt. M. Toutallement.

B. Le quartier en vault l'arpent,

Pardieu! Monsieur de Mallepaye!

M. J'escripz contre ces murs. B. Je raye,

Puis de charbon et puis de craye.

M. Je raille. B. Je fays chère à tous.

M. Nous avons beau coucher en raye,

L'oreille au vent, la gueulle baye,

On ne faict point prochas de nous.

B. Helas! serons-nous jamais soulx?

M. Il ne fault que deux ou trois coups

Pour nous remonter. B. Doux. M. Droictz. B. Druz.

M. Pour fringuer. B. Pour porter le houx.

M. Gens... B. A dire: D'ond venez-vous?

M. Francs. B. Fins. M. Froidz. B. Forts.

M. Grans. B. Gros. M. Escreuz.

B. De serjens sommes tous recreux,

Et si n'avons nulz bien acreuz.

M. Nous debvons. B. On nous doibt. M. Fourraige.

B. Entretenus. M. Comme poux creux.

B. Jurons sang bieu, nous serons creuz:

Arrière, piettons de village!

M. Hée! cinq cens escus! B. C'est esgrun.

M. Quand j'en ay j'en offre à chascun,

Et suis bien aise quand j'en preste.

B. Mes rentes sont sur le commun;

M. Mais povres gens n'en ont pas ong;

B. J'y romproye pour néant la teste.

M. S'il povoyt venir quelque enqueste,

Quelque mandement ou requeste,

Ou quelque bonne commission!

B. Mais en quelque banquet honneste,

Faire accroire à cest ou à ceste

La Pragmatique Sanction!

M. Et si elle y croit? B. Promision.

M. Se elle promet? B. Monition.

M. Se on l'admoneste? B. Qu'on marchande.

M. Se on faict marché? B. Fruiction.

M. Se on fruict? B. La Petition

En façon de belle demande

M. Quel bien! B. Quel heur! M. Quel accessoire!

B. Je me raffroichiz la mémoire

Quand il m'en souvient. M. Quel plaisir!

B. Se on nous bailloit par inventaire

Deux mil escuz en une armoire,

Ilz n'auroient garde d'y moysir.

M. Qui peut prendre! B. Qui peut choisir!

M. Gaigner! B. Espargner! M. Se saisir!

Nous serions partout bienvenuz.

B. Ung songe! M. Mais quel? B. De plaisir.

M. Nous prendrons si bien le loisir

De compter ne sçay quantz escuz.

B. Nous sommes bien entretenuz.

M. Aymez. B. Portez. M. Et soustenuz...

B. De nos parens. M. De bonne race.

B. Rentes assez et revenuz,

Et s'a présent n'en avons nulz,

Ce n'est que malheur qui nous chasse.

M. Je n'en fais compte. B. Je raimasse.

M. Je volle par coups. B. Je tracasse,

Puis au poil et puis à la plume.

M. Je gaudis, et si je rimasse,

Que voulez-vous! il ne tient qu'à ce

Que je ne l'ay pas de coustume.

M. Je ris. B. Je bave sur mon sueil.

M. Je donne à quelqu'une ung guin d'oeil.

B. Je m'esbas à je ne sçay quoy.

M. J'entretiens. B. Je fais bel accueil.

M. On me fait tout ce que je vueil,

Quand nous sommes mon paige et moy.

B. Je ne demande qu'avoir dequoy,

Belle amye, et vivre à requoy,

Faire tousjours bonne entreprise,

Belles armes, loyal au Roy.

M. Mais trois poulx rempans en aboy

Pour le gibier de la chemise!

B. Je porteroye pour ma devise

La marguerite en or assise

Et le houx partout estandu.

M. Vostre cry, quel? B. Nouvelle guise.

M. Riens en recepte, tant en mise,

Et, toute somme, item perdu.

B. Je vous seroye, au residu,

Gorgias sur le hault verdi

Le bel estomac d'alouette.

M. Robbe! B. De gris blanc, gris perdu,

Bien emprunté et mal rendu,

Payé d'une belle estiquette.

M. Nectelet. B. Gorgias. M. Friquet.

B. De vert? M. Tousjours quelque bouquet.

B. Selon la saison de l'année.

M. Et de paige? B. Quelque naquet.

M. S'il vient hasart en ung banquet?

B. Le prendre entre bond et vollée.

M. Aux survenans? B. Chère meslée.

M. Aux povres duppes? B. La havée.

M. Et aux rustes? B. Le jobelin.

M. Aux mignons de court? B. L'accollée.

M. Aux gens de mesmes? B. La risée.

M. Et aux ouvriers? B. Le pathelin.

M. D'entretenir? B. Damoiselin.

M. Et saluer? B. Bas comme lin.

M. Et diviser? B. Motz tous nouveaulx.

Pour contenter le femynin.

Nous ferions plus d'ung esclin

Qu'ung aultre de quinze royaulx.

B. De congnoissance bien pourveuz

Et de sagesse. M. On nous a veuz

Si gentilz et si francs. B. Si doulx.

M. Helas! cent escuz nous sont deubz.

B. Au fort, si nous les eussions euz,

On en tint plus compte de nous.

M. Nous avons faict plaisir à tous.

B. Chère à dire: D'ond venez-vous?

M. Esmerillonnez. B. Advenans.

M. Cent escus, et juger des coups.

On auroit beau mettre aux deux bouts,

Se nous ne tenions des gaignans.

B. Nous sommes deux si beaulx gallans.

M. Fringans. B. Bruyans. M. Allans. B. Parlans.

M. Esmeuz de franche volunté.

B. Aagez de sens. M. Et jeunes d'ans.

B. Bien gays. M. Assez rescéans.

B. Porres d'argent. M. Prou de santé.

B. Chascun de nous est habité.

M. Maison à Paris. B. Bien monté,

Aussi bien aux champs qu'en la ville.

M. Il y a ceste malheurté

Que de l'argent qu'avons presté

Nous n'en arrons ne croix ne pille.

B. J'aymasse mieulx qu'il n'en fust rien.

M. Trouvons en par quelque moyen.

B. Qui en a à présent? M. Je ne sçay.

B. Hé, ung engin parisien....

M. Art lombard. B. Franc praticien,

Pour faire à present ung essay!

M. Je vis le temps que j'avançay

L'argent de chose, et adressay

Tel et tel et tel benefice.

B. Et, pour moy, quand je compassé

Monseigneur tel, et pourchassé

Moy mesmes tout seul son office.

M. J'estois tousjours à tous propice;

Mais je crains. B. Et quoy? M. Qu'avarice

Nous surprint, si devenions riches.

B. Riches, quoi! Geste faulce lisse,

Pauvreté, nous tient en sa lice.

M. C'est ce qui nous faict estre chiches.

B. Nous sommes legiers. M. Comme biches.

B. Rebondis... M. Comme belles miches.

B. Et fraysés... M. Comme beaulx ongnons.

B. Aussi coustelez. M. Comme chiches,

B. Adventureux. M. Comme Suysses

A Nancy, sur les Bourguygnons.

B. Nous sommes les adventureux

Despourveuz. M. D'argent. B. Plantureux.

M. De nouvelles plaisantes. B. Tant.

M. Pour servir princes. B. Curieux.

M. Et pour les mignons. B. Gracieux.

M. Et pour le commun. B. Tant à tant.

M. Hée, monsieur de Baillevent,

Quand reviendra le bon temps?

B. Quand chascun aura ses souhaits.

M. Cent mille escus argent comptant,

Sur ma foy, je seroye content

Qu'on ne parlast plus que de paix.

B. Nous sommes si francs. M. Si parfaits.

B. Si sçavans. M. Si cauts en nos faiz.

B. Si bien nez. M. Si preux. B. Si hardis.

M. Saiges. B. Subtilz. M. Advisez. B. Mais

Faulte d'argent et les grans prestz...

M. Nous ont ung peu appaillardis.

M. Nous avons froid. B. Chauld. M. Faim. B. Soif M. Soing.

B. Nous tracassons. M. Ça. B. Là. M. Près. B. Loing.

M. Sans prouffit. B. Sans quelque advantaige.

M. Mais, s'on nous fonçoit or au poing,

Nous serions pour faire à ung coing

Nostre prouffit d'aultruy dommage.

Avez-vous tousjours l'heritaige

De Baillevent? B. Ouy. M. J'enraige

Qu'en Mallepaye n'a vins, blez, grains.

B. Cent francs de rente et ung fromaige,

Vous m'orriez dire de couraige:

Vive le roy! M. Ronfflez, villains!

B. Qui a le vent? M. Joyeulx mondains.

B. Gré de dames? M. Amoureux craints.

B. Et l'argent, qui? M. Qui plus embource.

B. Qu'est-ce d'entre nous courtissains?

M. Nous prenons escus pour douzains,

Franchement, et bourse pour bource.

B. Ha! Monseigneur! M. Sang bieu, la mousse

M'a trop cousté. B. Et pourquoy? M. Pource.

B. Hay! hay! tout est mal compassé.

M. Comment? B. On ne joue plus du poulce.

M. Qui ne tire. B. Quicte la trousse;

Autant vauldroit ung arc cassé.

M, Si vient guerre, mort ou famine,

Dont Dieu nous gard, quel train, quel myne

Ferons nous pour gaigner le broust?

B. Quant à moy, je me determine

D'entrer chez voisin et voisine

Et d'aller voir si le pot bout.

M. Mais regardons, à peu de coust,

Quel train nous viendroit mieulx à goust

Pour amasser biens et honneurs.

B. Le meilleur est prendre partout.

M. De rendre, quoy? B. On s'en absoult,

Pour cinq solz, à ces pardonneurs.

M. Allons servir quelques seigneurs.

B, Aucuns sont si petitz d'honneurs

Qu'on n'y a que peine et meschance.

M. Et prouffit, quel? B. Scions les heurs;

Mais entre nous, ans estradeurs,

Il nous fault esplucher la chance.

M. Servons marchans pour la pitance,

Pour fructus ventris, pour la pance.

B. On y gaigneroit ses despens.

M. Et de foncer? B. Bonne asseurance,

Petite foy, large conscience;

Tu n'y scez riens et y aprens.

M. Officiers, quoi? C'est toute mocque:

L'ung pourchasse, l'autre desroque,

Et semble que tout soit pour eulx.

B. Laissons-les là. M. Ho! je n'y tocque.

Il n'est point de pire defroque

Que de malheur à malheureux.

B. Pour despourveuz adventureux

Comme nous, encor c'est le mieulx

De faire l'ost et les gens d'armes.

M. En fuite je suis couraigeux.

B. Et à frapper? M. Je suis piteux;

Je crains trop les coups, pour les armes.

B. Servons donc Cordelièrs ou Carmes,

Et prenons leurs bissacs à fermes,

Car il n'y a pas grand débit.

M. Ilz nous prescheroient en beaulx termes,

Et pleureroyent maintes lermes

Devant que nous prinssions l'habit.

B. Hée, fault-il que Fortune efface

Nostre bon bruyt? M. Malheur nous chasse;

Mais il n'a nul bien qui n'endure,

B. Prenons quelque train. M. Suyvons trasse.

B. Nous trassons, et quelqu'un nous trasse:

A loups ravis grosse pasture.

M. Allons! B. Mais où? M. A l'adventure.

B. Qui nous admoneste? M. Nature.

B. Pour aller? M. Où on nous attend.

B. Par quel chemin? M. Par soing ou cure.

B. Logez où? M. Près de la clousture

De monsieur d'Angoulevent.

B. Comment yrons? M. Jusqu'à Claqdent

***************************

Et passerons par Mallepaye.

B. Brief, c'est le plus expédient

Que nous jetons la plume au vent:

Qui ne peult mordre, si abaye.

M. Où ung franc couraige s'employe,

Il treuve à gaigner. B. Querons proye.

M. Desquelz serons-nous? B. Des plus forts.

M. Il ne m'en chault, mais que j'en aye,

Que la plume au vent on envoye.

B. Puis après? M. Alors comme alors.

La plume au vent! M. Je le concluz.

****************************

Pour les povres de ceste année.

B. Ne demeurons plus si confuz.

****************************

Au grat, la terre est degelée!

M. Allons, suyvons quelque traînée.

Devant! vostre fièvre est tremblée,

Car nous sommes tous estourdiz.

B. Dieu doint aux riches bonne année!

M. Aux despourveuz grasse journée!

B. Et aux femmes pesans mariz!

Prenez en gré, grans et petiz.

FIN DU DIALOGUE DE MALLEPAYE

ET DE BAILLEVENT.

Vous qui cerchez les repeues franches,

Et, tant jours ouvriers que dimenches,

N'avez pas planté de monnoye,

Affin que chascun de vous oye

Comment on les peut recouvrer,

Vueillez vous au sermon trouver

Qui est escript dedans ce livre.

Mettez tous peine de le lire,

Entre vous, jeunes perrucatz,

Procureurs, nouveaulx advocatz,

Aprenans aux despens d'aultruy.

Venez-y tost, sans nul estrif,

Clercz, de praticque diligens,

Qui congnoissez si bien vos gens;

Sergens à pied et à cheval,

Venez-y d'amont et d'aval,

Les hoirs du deffunct Pathelin,

Qui sçavez jargon jobelin;

Capitaine du pont-à-Billon;

Tous les subjetz Francoys Villon,

Soyez, à ce coup, reveillez.

Pas ne devez estre oubliez,

Tous gallans à pourpointz sans manches,

Qui ont besoing de repeues franches,

Et tous ceulx, tant yver qu'esté,

Qui en ont grant nécessité.

Venez vous apprendre comment

Les maistres anciennement

Sçavoyent tous les tours de ce faire:

Messire Chascun Poicdenaire,

Qui de livres sçait les usaiges,

Et veult lire tous les passaiges,

De celuy en prins appetis;

Venez-y donc, grans et petis,

Car, de la science sçavoir,

Vous ne povez que mieulx valoir.

Venez, chevaucheurs d'escuyrie,

Serviteurs de grant seigneurie,

Venez-y sans dilation,

Tous gens sotz et toutes gens sottes;

Venez-y, bigotz et bigottes;

Venez-y, povres Turlupins

Et Cordeliers et Jacopins;

Venez aussi, toutes prestresses,

Qui sçavez piecà les adresses

Des presbitaires hault et bas;

Gardez que vous n'y faillez pas!

Venez, gorriers et gorrières,

Qui faictes si bien les manières;

Que c'est une chose terrible.

Pour bien faire tout le possible;

Toutes manières de farseurs,

Anciens et jeunes mocqueurs;

Venez-y tous, vrays macquereaulx

De tous estatz, vieulx et nouveaulx;

Venez-y toutes, macquerelles,

Qui, par vos subtilles querelles,

Avez tousjours en vos maisons

Pour avoir, en toutes saisons,

Tant jours ouvriers que dimenches,

Souvent les bonnes repeues franches.

Venez-y tous, bons pardonneurs,

Qui sçavez faire les honneurs,

Aux villages, de bons pastez,

Avecques ces gras curatez,

Qui ayment bien vostre venue

Pour avoir la franche repeue;

Affin que chascun d'eulx enhorte

Les paroissiens, qu'on apporte

Des biens aux pardons de ce lieu,

Et qu'on face du bien pour Dieu.

Tant que le pardonneur s'en aille,

Le curé ne despendra maille,

Et aura maistre Jehan Laurens

Fermement payé les despens

Et quarte de vin, simplement,

Au curé, à son parlement.

De tout estât, soit bas ou hault,

Venez-y, qu'il n'y ait deffault;

Venez-y, varletz, chamberières,

Qui sçavez si bien les manières,

En disant mainte bonne bave,

D'avoir du meilleur de la cave,

Et puis joyeusement preschez,

Après que vos gens sont couchez.

Ceulx qui cerchent banquets ou festes

Pour dire quelques chansonnettes,

Affin d'atrapper la repeue,

Que chascun de vous se remue

D'y venir bien legièrement;

Et vous pourrez ouyr comment

Ung grant tas de bonnes commères

Sçavent bien trouver les manières

De faire leurs marys coqus.

Venez-y, et n'attendez plus,

Entre vous, prebstres sans séjour,

Qui dictes deux messes par jour

A Sainct-Innocent, ou ailleurs;

Venez-y, pour sçavoir plusieurs

Des passaiges et des adresses

De maintes petites finesses

Que l'en faict facillement

Qu'advient, par faulte d'argent,

En maint lieu, la franche repeue,

Qui ne doit à nul estre teue.

Par tel, cil qui veue ne l'aura,

Paiera, et celuy qui fera

De ceste repeue le présent,

De l'escot s'en yra exempt,

Moyennant qu'il monstre ce livre:

Par ce moyen sera delivre;

En lieu où n'aura esté veu

Il sera franchement repeu,

Ainsi qu'on orra plus à plain,

Qui de l'entendre prendra soing.

Quant j'euz ouy ce présent mandement:

Qu'on semonnoit venir, de par l'Acteur,

Le dessusdict, j'ay pensé lermement

De moy trouver, et en prins l'adventure,

Comme celuy qui, de droicte nature,

Vouloit de ce faire narration,

A celle fin qu'il en fust mention,

A ung chascun, pour le temps advenir,

Qui s'attendent et ont intention

Que les respeues les viendront secourir.

Mais ce secours est d'anciennement

De tous repas le chief, et par droicture;

Pourquoy, aulcuns, qui ont entendement,

Le treuvent bon, et aultres n'en ont cure,

Et ne cerchent tant que l'argent leur dure,

Mais font du leur si grant destruction,

Qu'ilz en entrent en la subjection,

De faire aux dens l'arquemie, sans faillir,

En attendant, pour toute production,

Que les repeues les viendront secourir.

ENVOI.

Prince, pour ce que ne me puis tenir

Que de telz faitz ne face mention,

Puisque à mon temps les ay veu avenir,

J'en vueil faire quelque narration,

Et escripre, soubz la correction

Des escoutans, affin d'en souvenir,

La présente nouvelle invention,

Que les repeues les viendront secourir.

BALLADE DES ESCOUTANS.

Qui en a est Le bien venu;

Qui n'en a point, l'en n'en tient compte,

Cil qui en a est bien congneu,

Cil qui n'en a point vit à honte.

Qui paye l'on exauce et monte

Jusque au tiers ciel, pour en prester:

Son honneur tout aultre surmonte,

Par force de bien acquester.

Pource que chacun maintenoit

Que c'estoit la ville du monde

Qui plus de peuple soustenoit,

Et où maintz estranges abonde,

Pour la grant science parfonde

Renommée en icelle ville,

Je partis, et veulx qu'on me tonde,

S'à l'entrée avois croix ne pille.

Il estoit temps de se coucher,

Et ne sçavoye où heberger;

D'ung logis me vins approcher,

Sçavoir s'on m'y vouldroit loger,

En disant: «Avez à menger?»

L'hoste me respondit: «Si ay.»

Lors luy priay, pour abréger:

«Apportez-le donc devant moy.»

Je fus servy passablement,

Selon mon estat et ma sorte,

Et pensant, à part moy, comment

Je cheviroye avec l'hoste,

Je m'avisé que, soubz ma cotte,

Avois une espée qui bien trenche:

Je la lairray, qu'on ne me l'oste,

En gaige de la repeue franche.

L'ACTEUR.

LA REPEUE

DE VILLON ET DE SES COMPAIGNONS.

«Qui n'a or, ny argent, ny gaige,

Comment peult-il faire grant chère?

Il fault qu il vive d'avantaige:

La façon en est coustumière.

Sçaurions-nous trouver la manière

De tromper quelqu'ung, pour repaistre?

********************************

Qui le fera sera bon maistre!»

La manière d'avoir du Poisson.

Adoncques il leur demanda

Quelles viandes vouloyent macher:

L'ung de bon poysson souhaita;

L'autre demanda de la chair.

Maistre Françoys, ce bon archer,

Leur dist: «Ne vous en souciez;

Il vous faut voz pourpointz lascher,

Car nous aurons viandes assez.»

Lors partit de ses compaignons,

Et vint à la Poyssonnerie,

Et les laissa delà les pontz,

Quasy plains de melencolie.

Il marchanda, à chère lye,

Ung pannier tout plain de poysson,

Et sembloit, je vous certiffie,

Qu'il fust homme de grant façon.

Quant il le vit, à peu de plait,

Il luy dist: «Monsieur, je vous prie

Que vous despechez, s'il vous plaist,

Mon nepveu; car, je vous affie

Qu'il est en telle resverie:

Vers Dieu il est fort negligent;

Il est en tel merencolie,

Qu'il ne parle rien que d'argent.

—Vrayment, ce dit le Penancier,

Très voulentiers on le fera.»

Maistre Francoys print le pannier,

Et dit: «Mon amy, venez ça;

Velà qui vous depeschera,

Incontinent qu'il aura faict.»

Adonc maistre Françoys s'en va,

Atout le pannier, en effect.

Quand le Penancier eut parfaict

De confesser la créature,

Gaigne-denier, par dit parfaict,

Accourut vers luy bonne alleure,

Disant: «Monsieur, je vous asseure,

S'il vous plaisoit prendre loysir

De me depescher à ceste heure,

Vous me feriez ung grant plaisir.

—Quel confesser! dist le povre homme:

Fus-je pas à Pasques absoulz?

Que bon gré sainct Pierre de Romme!

Je demande cinquante soulz.

Qu'esse-cy? A qui sommes-nous?

Ma maistresse est bien arrivée!

A coup, à coup, depeschez-vous,

Payez mon panier de marée.

—Ha! mon amy, ce n'est pas jeu,

Dist le Penancier, seurement:

Il vous fault bien penser à Dieu

Et le supplier humblement.

—Que bon gré en ayt mon serment!

Dist cet homme, sans contredit,

Depeschez-moy legierement,

Ainsi que ce seigneur a dit.»

Adonc le Penancier vit bien

Qu'il y eut quelque tromperie;

Quand il entendit le moyen,

Il congneut bien la joncherie.

Le povre homme, je vous affie,

Ne prisa pas bien la façon,

Car il n'eut, je vous certifie,

Or ne argent de son poysson.

La manière d'avoir des Trippes pour diner.

Que fist-il? A bien peu de plet,

S'advisa de grant joncherie:

Il fist laver le cul bien net

A ung gallant, je vous affie,

Disant: «Il convient qu'on espie:

Quand seray devant la trippière,

Monstre ton cul par raillerie,

Puis, après, nous ferons grant chière.»

Le compaignon ne faillit pas,

Foy que doy sainct Remy de Rains!

A Petit-Pont vint par compas,

Son cul descouvrit jusque aux rains.

Quand maistre Françoys vit ce train,

Dieu sçet s'il fit piteuses lippes,

Car il tenoit entre ses mains

Du foye, du polmon et des trippes.

La trippière fut courroucée

Et ne les voulut pas reprendre.

Maistre Françoys, sans demourée,

S'en alla, sans compte luy rendre:

Par ainsi, vous povez entendre,

Qui'ilz eurent trippes et poisson.

Mais, après, il faut du pain tendre,

Pour ce disner de grant façon.

La manière d'avoir du Pain.

Il s'en vint chez an boulengier

Affin de mieulx fornir son train,

Contrefaisant de l'escuyer

Ou maistre d'hostel, pour certain,

Et commanda que, tout souldain,

Cy pris, cy mis; on chappellast

Cinq ou six douzaines de pain,

Et que bien tost on se hastast.

Quand la moytié fut chappellé,

En une hotte le fist mettre,

Comme s'il fust de près hasté,

Il pria et requist au maistre

Qu'aucun se voulsist entremettre

D'apporter, après luy courant,

Le pain chappellé en son estre,

Tandis qu'on fist le demourant.

Maistre Françoys, sans contredit,

N'attendit pas la revenue.

Il eut du pain, par son édit,

Pour fournir sa franche repeue.

Le boulengier, sans attendue,

Revint, mais ne retrouva point

Son maistre d'hostel; il tressue,

Qu'on l'avoit trompé en ce point.

La manière d'avoir du Vin.

Après qu'il fut fourny de vivres,

Il fault bien avoir la mémoire

Que, s'ils vouloyent ce jour estre yvres,

Il falloit qu'ils eussent à boire.

Maistre Françoys, debvez le croire,

Emprunta deux grans brocs de boys,

Disant qu'il estoit necessaire

D'avoir du vin par ambagoys.

Maistre Francoys print les deux brocs,

L'un emprès l'autre les bouta;

Incontinent, par bons propos,

Sans se haster, il demanda

Au varlet: «Quel vin est ce là?»

Il luy dist: «Vin blanc de Baigneux.

—Ostez cela, ostez cela,

Car, par ma foy, point je n'en veulx.

«Qu'esse-cy? Estes-vous bejaulne?

Vuidez-moy mon broc vistement.

Je demande du vin de Beaulne,

Qui soit bon, et non aultrement.»

Et, en parlant, subtillement

Le broc qui estoit d'eaue plain

Contre l'aultre legierement

Luy changea, à pur et à plain.

Par ce point, ils eurent du vin

Par fine force de tromper;

Sans aller parler au devin,

Ils repeurent, per ou non per.

Mais le beau jeu fut au souper,

Car maistre Françoys, à brief mot,

Leur dit: «Je me vueil occuper,

Que mangerons ennuyt du rost.»

Il fut appointé qu'il yroit

Devant l'estal d'ung rotisseur,

Et de la chair marchanderoit,

Contrefaisant du gaudisseur,

Et, pour trouver moyen meilleur,

Faignant que point on ne se joue,

Il viendroit un entrepreneur,

Qui luy bailleroit sur la joue.

Il vint à la rostisserie,

En marchandant de la viande;

L'autre vint, de chère marrie:

«Qu'est-ce que ce paillart demande?»

Luy baillant une buffe grande,

En luy disant mainte reproche.

Quand il vit qu'il eut ceste offrande,

Empoigna du rost pleine broche.

Celuy qui bailla le soufflet

Fuist bien tost et à motz exprès.

Maistre Françoys, sans plus de plet,

Atout son rost, courut après,

Ainsi, sans faire long procès,

Ils repeurent, de cueur devot,

Et eurent, par leur grant excès,

Pain, vin, chair, et poisson, et rost.

DE L'EPIDEMIE.

Et pour la première repeue

Dont après sera mention,

Bien digne d'estre ramenteue

Et mise en revelation,

Et pourtant, soubs correction,

Affin que l'en en parle encore,

Comme nouvelle invention,

Redigé sera par memoire.

Or advint, de coup d'aventure,

Que les suppostz devant nommez,

Ne cherchoyent rien par droicture.

Qu'en richesse gens renommez.

Ung jour qu'ilz estaient affamez,

En la porte d'ung bon logis

Virent entrer, sans estre armez,

Ambassadeurs de loing pays.

Si pensèrent entre eux comment

Ilz pourroient, pour l'heure, repaistre,

Et, selon leur entendement,

L'ung d'iceulz s'aprocha du maistre

D'hostel, et se fit acongnoistre,

Disant qu'il luy enseigneroit

Le haut, le bas marché, pour estre

Par luy conduyt, s'il luy plaisoit.

Lors s'en vint à ses compaignons,

Dire: «Nostre escot est payé;

Je suis jà l'ung des grans mignons

De léans et mieulx avoyé,

Car le maistre m'a envoyé

Par la ville, pour soy sortir;

Mais, se mon sens n'est desyoyé,

Bien brief l'en feray repentir.

—Va, lui dirent ses compaignons,

Et esguise tout ton engin

A nous rechauffer les rongnons

Et nous faire boire bon vin.

Passe tous les sens Pathelin,

De Villon et Pauquedenaire,

Car se venir peux en la fin,

Passé seras maistre ordinaire.»

Ce gallant vint en la maison

Où estoyt logé l'ambassade,

Où les seigneurs, par beau blason,

Devisoyent rondeau ou ballade.

Il estoit miste, gent et sade,

Bien habitué, bien en point,

Robbe fourrée, pourpoint d'ostade;

Il entendoit son contrepoint.

Le gallant fut entretenu

Par ce seigneur venu nouveau,

Et léans il fut retenu,

Pour estre fin franc macquereau.

Le jeu leur sembla si très beau;

Aussi, il fit si bonne mine,

Qu'il fut esleu, sans nul appeau,

Pour estre varlet de cuysine.

Les ambassadeurs convoyèrent

Seigneurs et bourgeois à disner,

Lesquels voulentiers y allèrent

Passer temps, point n'en faut doubter.

Toutesfoys, vous debvez sçavoir,

Quelque chose que je vous dye,

Que l'ambassadeur, pour tout veoir,

Craignoit moult fort l'Epidemie.

Tous les seigneurs là regardèrent

Son train, ses façons et manières;

Mais, après luy, pas ne tastèrent,

Aussi ne luy challoit-il guères.

Après il print les esguières,

Le vin, le claire, l'ypocras,

Darioles, tartes entières:

Il tasta de tout, par compas.

Et, pour bien entendre son cas,

Quand il vit qu'il estoit saison,

A bien jouer ne faillit pas,

Pour faire aux seigneurs la raison,

Si bien que dedans la maison

Demeura tout seul pour repaistre,

Soustenant, par fine achoison,

Qu'il se douloit du cousté destre.

Lors y avoit une couchette

Où il failloit la feste faire,

Et n'a dent qui ne luy cliquette;

Là se mist, commençant à braire

Que l'on s'en fuyt au presbytaire,

Pour faire le prebstre acourir,

Atout Dieu et l'autre ordinaire

Qu'il fault pour ung qui veult mourir.

Par ce point eurent la repeue

Franche chascun des compaignons.

La finesse le prebstre a teue,

Affin de complaire aux mignons;

Mais les seigneurs dont nous parlons

Eurent tous, pour ce coup, l'aubade:

Chascun d'eulx fut, nous ne faillons,

De la grant paour troys jours malade.

LA TROISIEME REPEUE

DES TORCHECULS.

Un Lymousin vint à Paris,

Pour aulcun procès qu'il avoit.

Quand il partit de son pays

Pas gramment d'argent il n'avoit,

Et toutefoys il entendoit

Son fait, et avoit souvenance

Que son cas mal se porteroit

S'il n'avoit une repeue franche.

Les troys seigneurs s'entretrouvèrent;

Car ilz estoyent tous d'ung quartier

Et Dieu sçait s'ilz se saluèrent,

Ainsi qu'il en estoit mestier;

Toutesfoys, ce bon escuyer

De Combraye, propos final,

Fut esleu leur grant conseillier,

Et le gouverneur principal.

Ils conclurent, pour le meilleur,

Que ce bon notable seigneur

Yroit veoir s'il pourroit trouver

Quelque bon lieu pour s'y loger,

Et, selon qu'il le trouverait,

Aux aultres le raconteroit.

Or advint, environ midy,

Qu'il estoit de faim estourdy,

S'en vint à une hostellerie,

Rue de la Mortellerie,

Où pend l'enseigne du Pestel:

A bon logis et bon hostel,

Demandant s'on a que repaistre:

«Ouy, vrayment, ce dist le maistre;

Ne soyez de rien en soucy,

Car vous serez très bien servy

De pain, de vin et de viande.

—Pas grand chose je ne demande,

Dist le bon seigneur de Combraye:

L'hostesse fut bien à son gourt,

Car, quand vint à compter l'escot,

Le seigneur ne dist oncques mot,

Mais tout ce qu'elle demanda

Ce gentilhomme luy bailla,

Disant: «Vous comptez par raison!»

Puis il sortit de la maison,

Bouta son sac soubs son esselle,

Et vint raconter la nouvelle

A ses compaignons, et comment

Il failloit faire saigement.

Il fut dit, à peu de parolles,

Pour eviter grans monopolles,

Que le seigneur de Penessac

Yroit devant louer l'estat

Et blasonner la suffisance

De ce seigneur, car, sans doubtance,

La chose le valoit très bien,

Et, pour trouver meilleur moyen,

Il menroit en sa compaignie,

Lamesou; et n'y faillit mye.

Si vint demander à l'hostesse

S'ung seigneur remply de noblesse

Estoit logé en la maison.

L'hostesse respondit que non,

Et que vrayement il n'y avoit

Qu'ung Lymousin, lequel debvoit

Venir au soir souper léans.

«Ha! dist-il, dame de céans,

C'est celuy que nous demandons;

Par ma foy! c'est le grant baron,

Qui est arrivé au matin.

—Je n'entens point vostre latin,

Dist l'hostesse; vous parlez mal:

Il n'a ne jument ne cheval;

Il va à pied, par faulte d'asne.»

Lors Penessac respondit: «Dame,

Il vient icy pour ung procès;

Il est appellant des excès

Qu'on luy a faictz en Lymousin,

Et va ainsi de pied, affin

Que son procès soit plus tost faict.»

L'hostesse le creut, en effet.

Alors, le seigneur de Combraye

Arrive, et Dieu sçait quelle joye

Ces deux seigneurs icy lui firent;

Et le genoil en bas tendirent

Aussi tost comme il fut venu,

Et par ce point il fut congneu

Qu il estoit seigneur honorable.

Le bon seigneur se sist à table,

En tenant bonne gravité.

Vis-à-vis, de l'autre costé,

S'assit le seigneur de l'hostel,

Et eurent du vin, Dieu sçait quel!

Il ne le fault point demander.

Quand ce vint à l'escot compter

L'hostesse assez hault comptoit,

Mais au seigneur il n'en challoit,

Feignant qu'il fust tout plain d'argent.

Lors il dist qu'on fust diligent

De penser à faire les litz,

Car il vouloit en ce logis

Coucher; puis après, par exprès,

Il print son grand sac à procès,

Et le bailla léans en garde,

Disant: «Qu'on me le contregarde.

Si de l'argent voulez avoir,

Il ne faut que le demander.»

L'hostesse ne fut pas ingrate,

En disant: «Je n'en ay pas haste.

N'espargnez rien qui soit céans.»

Ces seigneurs couchèrent léans

L'espace de cinq ou six moys,

Sans payer argent, toutesfoys,

Non obstant ce qu'il demandoit

A l'hostesse s'elle vouloit

Avoir de l'argent, bien souvent;

Mais il n'estoit point bien content

De mettre souvent main en bourse.

L'hostesse n'estoit point rebourse,

Et dist: «Ne vous en soucyez;

Dieu mercy! j'ay argent assez,

A vostre bon commandement.»

Ces mignons pensèrent comment

Ilz pourroyent retirer leur sac;

Et lors monsieur de Penessac

Dist à ce baron de Combraye

Qu'il se boutast bientost en voye,

Jugeant qu'il fust embesongné.

Ce seigneur vint, tout refrongné,

Vers l'hostesse, par bon moyen,

Et lui dit: «Mon cas va très bien;

Mon procès est ennuyt jugé.

A coup, qu'il n'y ait plus songé,

Baillez-moy mon sac, somme toute,

Car j'ay paour et si fays grant doubte,

Que les seigneurs soyent departis.»

Il print son sac: «Adieu vous dis!

Je reviendray tout maintenant.»

Il s'en alla diligemment,

A tout ses procès et son sac;

Et les seigneurs de Penessac

Et de Lamesou l'attendoyent;

Lesquelz seigneurs si s'esbatoyent,

A recueillir les torcheculz

Des seigneurs qui estoyent venus

Aux chambres, et bien se pensoyent

Qu'à quelque chose serviroyent

Ilz ostèrent tous ces procès

De ce sac, et, par motz exprès,

L'emplirent de ces torcheculz;

Puis, au soir, quand furent venuz

A leur logis, fut mis en garde,

Et, pour mieulx mettre en sauvegarde,

Il fut bouté, par grant humblesse,

Avec les robbes de l'hostesse,

Qui sentoyent le muguelias.

Au soir, firent grant ralias;

Le lendemain il fut raison

De departir de la maison

Pour s'en aller sans revenir.

On cuydoit qu'ilz deussent venir

Lendemain soupper et disner,

Pour leurs offices resiner,

Maiz ilz ne vindrent oncques puis.

Ils faillirent cinq ou six nuitz,

Dont l'hostesse fut eschec et mac.

Elle n'osoit ouvrir le sac

Sans avoir le congé du juge,

Auquel avoit piteux deluge;

Tellement qu il fut necessaire

Qu'on envoyast ung commissaire

Pour ouvrir ce sac, somme toute.

Quand il fust là venu sans doubte,

Il lava ses mains à bonne heure,

De paour de gaster l'escripture,

Car à cela estoit expert.

Toutesfoys, le sac fut ouvert;

Mais, quand il le vit si breneux,

Il s'en alla tout roupieux,

Cuydant que ce fust mocquerie,

Car il n'entendoit raillerie.

Ainsi partirent ces seigneurs

De Paris, joyeux en couraige.

De tromper furent inventeurs:

Cinq moys vesquirent d'avantaige;

De blasonner ilz firent raige;

Leur hoste fut par eulx vaincu.

Ils ne laissèrent, pour tout gaige

Qu'un sac tout plain de torchecu.

DU SOUFFRETEUX.

«Où pris argent, qui n'en a point?

Remède est vivre d'avantaige.

Qui n'a ne robbe ne pourpoint,

Que pourroit-il laisser pour gaige?

Toutesfoys, qui aurait l'usaige

De dire quelque chansonnette

Qui peust deffrayer le passaige,

Le payement ne seroit qu'honneste.»

L'ACTEUR.

Ainsi parloit le Souffreteux,

Qui estoit fin de sa nature;

Moytié triste, moytié joyeux.

Du Palays partit, bonne alleure,

En disant: «Qui ne s'adventure,

Il ne fera jamais beau fait,»

Pour pourchasser sa nourriture,

Car il estoit de faim deffaict.

Lors on demanda quelle viande

Il falloit à ce pèlerin.

Il respondit: «Je ne demande

Qu'une perdrix ou un poussin,

Avec une pinte de vin

De Beaulne, qui soit frais tirée.

Et puis après, pour faire fin,

Le cotteret et la bourrée.»

Tout ce qui luy fut convenable

Le varlet luy alla quérir.

Le gallant s'en va mettre à table,

Affin de mieulx se resjouyr,

Et disna là, tout à loisir,

Maschant le sens, trenchant du saige;

Mais il fallut, ains que partir,

Avoir ung morceau de formaige.

«Adonc dit le clerc: Mon amy,

Il fault compter, car vous devez,

Tout par tout, sept solz et demy,

Et convient que les me payez.

—Je ne sçay comment les aurez,

Dist le gallant, car, par sainct Gille!

Je veulx bien que vous le saichez,

Je ne soustiens ne croix ne pille.

—Quant est d'argent, je n'en ay point,

Affin de le dire tout hault.

Comment! m'en iray-je en pourpoint,

Et desnué comme ung marault?

Dieu mercy! je n'ay pas trop chault;

Mais, s'il vous plaisoit m'employer,

Je vous serviray, sans deffault,

Jusques à mon escot payer.

—Et comment? Que sçavez-vous faire?

Dites-le moy tout plainement.

—Quoy? toute chose nécessaire.

Point ne fault demander comment;

Je gaige que, tout maintenant,

Je vous chanteray ung couplet,

Si hault et si cler, je me vant,

Que vous direz: «Cela me plaist!»

L'ACTEUR.

Lors, le varlet, voyant cecy,

Fut content de ceste gaigeure,

Et pensa en luy-mesme ainsi,

Qu'il attendroit ceste adventure;

Et s'il chantoit bien d'adventure,

Il lui dirait, pour tous desbats,

Qu'il payast l'escot, bon alleure,

Car son chant ne lui plaisoit pas.

De sa bourse dessus la table

Frappa, affin que je le notte,

Et, comme chose convenable,

Chanta ainsi à haulte notte:

«Faut payer ton hoste, ton hoste!»

Tout au long chanta ce couplet.

Le varlet, estant coste à coste,

Respondit: «Cela bien me plaist!»

Toutesfoys, il n'entendoit pas

Qu'il ne fust de l'escot payé,

Parquoy il failloit sur ce pas.

De son sens fut moult desvoyé.

Devant tous fut notiffié

Qu'il estoit gentil compaignon,

Et qu'il avoit, par son traicté,

Bien disné pour une chanson.

C'est bien disné, quand on eschappe

Sans desbourser pas ung denier,

Et dire adieu au tavernier

En torchant son nez à la nappe.

DU PELLETIER.

Ung jour advint qu'ung Pelletier

Espousa une belle femme

Qui appetoit le bas mestier,

En faisant recorder sa game.

Le Pelletier, sans penser blasme,

Ne s'en soucioit qu'ung petit:

Mieulx aymoit du vin une dragme,

Que coucher dedens ung beau lict.

Ung curé, voyant cest affaire,

De la femme fut amoureux,

Et pensa qu'à son presbytaire

Il maineroit ce maistre gueux.

Il s'en vint à luy tout joyeux,

A celle fin de le tromper,

En disant: «Mon voysin, je veux

Vous donner ennuyt à soupper.»

Le Pelletier en fut content,

Car il ne vouloyt que repaistre,

Et alla tout incontinent

Faire grant chère avec le prestre,

Qui luy joua d'un tour de maistre,

Disant: «Ma robbe est deffourrée;

Il vous y convient la main mettre,

Affin qu'elle soit reffourrée.

Pourvu qu'il la despecheroit,

Car il luy estoit necessaire,

Et que toute nuyt veilleroit,

Avec son clerc, au presbitaire.

Il fut content de cest affaire.

Mais le Curé les enferma

Soubs la clef, sans grant noyse faire,

Puis hors de la maison alla.

Le Curé vint en la maison

Du Pelletier, par ses sornettes,

Et trouva si bonne achoyson

Qu'il fist très bien ses besongnettes.

Ilz firent cent mille chosettes,

Car, ainsi comme il me semble,

Il contenta ses amourettes,

Et puis hors de la maison emble.

Et pourtant, donne soy bien garde

Chascun qui aura belle femme

Qu'on ne lui joue telle aubade

Pour la repeue: c'est grant diffame;

Quant il est sceu, ce n'est que blasme

Et reproche, au temps advenir.

Vela des repeues la grant game;

Pourtant, ayez-en souvenir!

SIXIESME REPEUE FRANCHE

DES GALLANTS SANS SOULCY.

Une assemblée de compaignons,

Nommez les Gallans sans soucy,

Se trouvèrent entre deux pontz,

Près le Palays, il est ainsi;

D'aultres y en avoit aussi,

Qui aymoient bien besoigne faîcte,

Et estoient, de franc cueur transi,

A l'abbé de Saincte Souffrette.

Quant ce vint à l'escot compter,

Je crois que nully ne s'en cource;

Mais le beau jeu est au payer,

Quant il n'y a denier en bourse.

Nul d'eulx n'avoit chère rebourse:

«Pour de l'escot venir au bout,

Dist ung gallant, de plaine source,

Il n'en faut qu'ung pour payer tout.»

Ilz appointèrent tous ensemble,

Que l'ung d'iceulx on banderait:

Par ainsi, selon qui me semble,

Le premier qu'il empoigneroit,

Estoit dit que l'escot payeroit.

Mais ilz en eurent grand discord:

Chascun bandé estre vouloit,

Dont ne peurent estre d'accord.

Le varlet, voyant ces desbas,

Leur dit: «Nul de vous ne s'esmoye;

Je suis content que, par compas,

Tout maintenant bandé je soye.»

Les gallans en eurent grand joye,

Et le bandèrent en ce lieu,

Puis chascun d'eux si print la voye

Pour s'en aller sans dire adieu.

En montant, l'hoste fut happé

Par son varlet, sans dire mot,

Disant: «Je vous ay attrapé,

Il faut que vous payez l'escot,

Ou vous laisserez le surcot.»

De quoy il ne fut pas joyeux,

****************************

Cuydant qu'il fust mathelineux.

Quand le varlet se desbanda,

La tromperie peut bien congnoistre:

Fut estonné quand regarda,

Et vit bien que c'estoit son maistre.

Pensez qu'il en eut belle lettre,

Car il parla lors à bas ton,

Et, pour sa peine, sans rien mettre,

Il eut quatre coups de baston.

Ainsi furent, sans rien payer,

Les povres gallans délivrez

De la maison du tavernier,

Où ilz s'estoyent presque enyvrez

Des vins qu'on leur avoit livrez

Pour boire à plain gobelet,

Que paya le povre varlet.

Aussi fut si bien aveuglé,

Le povre varlet malheureux,

Qui fut de tout l'escot sanglé,

Et fallust qu'il payast pour eulx;

Et s'en allèrent tous joyeux

Les mignons, torchant leur visaige,

Qui avoyent disné d'advantaige.

LA SEPTIESME REPEUE

FAICTE AUPRÈS DE MONTFAULCON.

Pour passer temps joyeusement,

Raconter vueil une repeue

Qui fut faicte subtillement

Près Montfaulcon, c'est chose sceue,

Et diray la desconvenue

Qu'il advint à de fins ouvriers;

Aussi y sera ramenteue

La finesse des escolliers.

Et, sans trouver la saison chère,

Chascun d'eulx se resjouyssoit

Disant bons motz, faisant grant chère;

Par ce point le temps se passoit.

Mais l'ung d'iceulx promis avoit

De coucher avec une garce,

Et aux aultres le racontoit,

Par jeu, en manière de farce.

Tant parlèrent du bas mestier,

Que fut conclud, par leur façon,

Qu'ilz yroyent ce soir-là coucher

Près le gibet de Montfaulcon,

Et auroyent pour provision

Ung pasté de façon subtile,

Et meneroyent, en conclusion,

Avec eulx chascun une fille.

Ce pasté, je vous en respons,

Fut faict sans demander qu'il couste,

Car il y avoit six chapons,

Sans la chair, que point je n'y boute.

On y eust bien tourné le coute,

Tant estoit grant, point n'en doubtez.

Le Prince des Sots et sa routte

En eussent esté bien souppez.

Sans aller parler au devin,

L'ung prist ce pasté de façon,

L'autre emporta un broc de vin,

Du pain assez, selon raison,

Et allèrent vers Montfaulcon,

Où estoit toute l'assemblée.

Filles y avoit à foyson,

Faisant chère desmesurée.

Aussi juste comme l'orloge,

Par devis et bonne manière,

Ilz entrèrent dedans leur loge,

Espérant de faire grant chière,

Et tastoient devant et derrière

Les povres filles, hault et bas.

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Les escolliers, sans nulle fable.

Voyant ceste desconvenue,

Vestirent habitz de diable,

Et vindrent là, sans attendue:

L'ung, ung croc, l'autre, une massue,

Pour avoir la franche repue,

Vindrent assaillir les gallans.

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L'ung des gallans, pour abbreger,

Respondit: «Ma vie est finée!

En enfer me fault heberger.

Vecy ma dernière journée;

Or suis-je bien ame dampnée!

Nostre peché nous a attains,

Car nous yrons, sans demourée,

En enfer avec ces putains!»

Se vous les eussiez veu fouyr,

Jamais ne vistes si beau jeu,

L'ung amont, l'autre aval courir;

Chascun d'eulx ne pensoit qu'à Dieu.

Ilz s'en fouyrent de ce lieu,

Et laissèrent pain, vin et viande,

Criant sainct Jean et sainct Mathieu,

A qui ilz feroyent leur offrande.

C'est bien trompé, qui rien ne paye,

Et qui peut vivre d'advantaige,

Sans desbourser or ne monnoye,

En usant de joyeux langaige.

Les escolliers, de bon couraige,

Passèrent temps joyeusement,

Sans bailler ny argent ny gaige,

Et si repeurent franchement.

Si vous vouliez suyvre l'escolle

De ceulx qui vivent franchement,

Lisez en cestuy prothocolle,

Et voyez la façon comment;

Mettez-y vostre entendement

A faire comme ilz faseyent,

Et, s'il n'y a empeschement,

Vous vivrez comme ilz vivoyent.

FIN DES REPEUES FRANCHES

ET DES POÉSIES ATTRIBUÉES A VLLLON.

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