Vie de Franklin
CHAPITRE XII
Tentatives de réconciliation faites auprès de Franklin par le gouvernement anglais.—Bills présentés par lord North et votés par le gouvernement britannique.—Ils sont refusés en Amérique.—Diversion que la guerre contre l'Angleterre de la part de la France, de l'Espagne et de la Hollande, amène en faveur des États-Unis.—Succès des alliés.—Démarches et influence de Franklin.—Expédition française conduite par Rochambeau, qui, de concert avec Washington, force lord Cornwallis et l'armée anglaise à capituler dans York-Town.—Négociations pour la paix.—Signature par Franklin du traité de 1783, qui consacre l'indépendance des États-Unis, que l'Angleterre est réduite à reconnaître.
L'Angleterre avait été profondément troublée par la capitulation de Saratoga. La conquête des colonies insurgées n'avançait point; le général Howe, réduit à l'impuissance sur la Delaware, demandait à être remplacé; le général Bourgoyne, battu sur l'Hudson, était contraint de se rendre. Au lieu d'opérer l'invasion des États-Unis par le Canada, on avait à craindre de nouveau l'invasion du Canada par les États-Unis. Le ministère, déconcerté dans ses plans et revenu de ses présomptueuses espérances, voyait s'accroître les attaques de l'opposition, qui l'accusait à la fois d'injustice et de témérité, s'envenimer le mécontentement du peuple, qui lui reprochait les charges financières dont il était accablé et la détresse commerciale dont il souffrait. Il redoutait, de plus, que la France et l'Espagne ne se décidassent à embrasser, comme elles le firent, la cause devenue moins incertaine des États-Unis, et qu'à la guerre avec les rebelles d'Amérique ne se joignît la guerre avec les deux puissances maritimes de l'Europe les plus fortes après la Grande-Bretagne.
Lord North, tout en se livrant aux plus vastes préparatifs militaires pour faire face à toutes les inimitiés, essaya de les conjurer. Il s'adressa d'abord à Franklin, auquel l'Angleterre croyait le pouvoir d'apaiser un soulèvement dont elle le considérait comme le provocateur. Vers les commencements de janvier 1778, lorsqu'il était en pleine négociation avec la France, ses vieux amis David Hartley, secrètement attaché à lord North quoique membre whig de la Chambre des communes, et le chef des Frères moraves, James Hutton, qui avait ses entrées au palais de Georges III, furent chargés de lui proposer une réconciliation. James Hutton vint lui offrir à Paris les conditions que lord North présenta bientôt au parlement. Franklin refusa, comme insuffisante, la restitution des anciens privilèges dont les colonies auraient été satisfaites avant la guerre, et dont elles ne pouvaient plus se contenter après leur séparation. Il leur fallait maintenant l'indépendance. Elles étaient résolues à ne pas s'en départir, et l'Angleterre n'était point encore prête à la leur accorder. James Hutton retourna attristé à Londres, d'où il conjura Franklin de faire à son tour quelque proposition, ou tout au moins de lui donner son avis. «L'Arioste prétend, répondit Franklin au frère morave, que toutes les choses perdues sur la terre doivent se trouver dans la lune; en ce cas, il doit y avoir une grande quantité de bons avis dans la lune, et il y en a beaucoup des miens formellement donnés et perdus dans cette affaire. Je veux néanmoins, à votre requête, en donner encore un petit, mais sans m'attendre le moins du monde qu'il soit suivi. Il n'y a que Dieu qui puisse donner en même temps un bon conseil et la sagesse pour en faire usage.
«Vous avez perdu par cette détestable guerre, et par la barbarie avec laquelle elle a été poursuivie, non-seulement le gouvernement et le commerce de l'Amérique, mais, ce qui est bien pis, l'estime, le respect, l'affection de tout un grand peuple qui s'élève, qui vous considère à présent, et dont la postérité vous considérera comme la plus méchante nation de la terre. La paix peut sans doute être obtenue, mais en abandonnant toute prétention à nous gouverner.»
Il demandait donc qu'on disgraciât les loyalistes américains qui avaient provoqué la guerre, les ministres anglais qui l'avaient déclarée, et les généraux qui l'avaient faite; qu'on gardât tout au plus le Canada, la Nouvelle-Écosse, les Florides, et qu'on renonçât à tout le reste du territoire de l'Amérique, pour établir une amitié solide avec elle. «Mais, ajoutait-il, je connais votre peuple: il ne verra point l'utilité de pareilles mesures, ne voudra jamais les suivre, et trouvera insolent à moi de les indiquer.»
Ces mesures, que l'Angleterre se vit contrainte d'adopter en grande partie cinq années plus tard, furent remplacées par les bills conciliatoires de lord North. Ce ministre proposa au parlement, qui y consentit, de renoncer à imposer des taxes à l'Amérique septentrionale, de retirer toutes les lois promulguées depuis le 10 février 1763, d'accorder aux Américains le droit de nommer leurs gouverneurs et leurs chefs militaires. Des commissaires anglais furent désignés pour offrir à l'Amérique ces bills, que David Hartley envoya le 18 février à Franklin. Les traités avec la France étaient alors signés, et, six jours après leur conclusion, Franklin avait écrit à Hartley: «L'Amérique a été jetée dans les bras de la France. C'était une fille attachée à ses devoirs et vertueuse. Une cruelle marâtre l'a mise à la porte, l'a diffamée, a menacé sa vie. Tout le monde connaît son innocence et prend son parti. Ses amis désiraient la voir honorablement mariée… Je crois qu'elle fera une bonne et utile femme, comme elle a été une excellente et honnête fille, et que la famille d'où elle a été si indignement chassée aura un long regret de l'avoir perdue.»
Lorsqu'il connut les bills, il les déclara trop tardifs, tout à fait inadmissibles, et plus propres à éloigner la paix qu'à y conduire. William Pultney se joignit à James Hutton et à David Hartley pour le conjurer d'opérer, entre la métropole et les colonies, un rapprochement qu'ils croyaient dépendre de lui. Franklin leur assura à tous que désormais ce rapprochement ne pouvait s'effectuer qu'au prix de l'indépendance reconnue des États-Unis, et au moyen d'un simple traité d'amitié et de commerce. David Hartley se rendit alors à Paris, pour essayer de rompre l'union redoutable que l'Amérique venait de conclure avec la France. Il y arriva dans la dernière quinzaine d'avril. Il fit à Franklin l'ouverture d'un traité de commerce, où certains avantages seraient concédés à l'Angleterre, avec laquelle l'Amérique s'engagerait de plus dans une alliance défensive et offensive, même contre la France. Franklin répondit que l'Angleterre serait heureuse si on l'admettait, malgré ses torts, à jouir des avantages commerciaux qu'avait obtenus la France; qu'elle se trompait si elle croyait, en signant la paix avec les Américains, les enchaîner dans une guerre contre la nation généreuse dont ils avaient trouvé l'amitié au moment de leur détresse et de leur oppression, et qu'ils la défendraient en cas d'attaque, comme les y obligeaient le sentiment de la reconnaissance et la foi des traités.
David Hartley, n'ayant pu réussir à ébranler la nouvelle alliance, retourna, le 23 avril, en Angleterre. En quittant Franklin, il lui écrivit: «Ni mes pensées ni mes actes ne manqueront jamais pour pousser à la paix dans un temps ou dans un autre. Votre puissance, à cet égard, est infiniment plus grande que la mienne; c'est en elle que je place mes dernières espérances. Je finis en vous rappelant que ceux qui procurent la paix sont bénis.» Il semblait craindre pour son vieil ami quelque danger, puisqu'il ajoutait d'une façon mystérieuse: «Les temps orageux vont venir, prenez garde à votre sûreté; les événements sont incertains, et les hommes mobiles.» Franklin, tout en le remerciant de son affectueuse sollicitude, lui répondit avec une spirituelle tranquillité: «Ayant presque achevé une longue vie, je n'attache pas grand prix à ce qui m'en reste. Comme le marchand de drap qui n'a plus qu'un petit morceau d'une pièce, je suis prêt à dire: Ceci n'étant que le dernier bout, je ne veux pas être difficile avec vous; prenez-le pour ce qui vous plaira. Peut-être le meilleur parti qu'un vieil homme puisse tirer de lui est de se faire martyr.»
Il eut soin de tenir la cour de France au courant de toutes les tentatives faites auprès de lui, afin qu'aucun nuage ne troublât le bon accord, et qu'aucune incertitude ne dérangeât le concert des deux alliés. M. de Vergennes l'en remercia au nom de Louis XVI: «Le grand art du gouvernement anglais, lui dit-il, est d'exciter toujours les divisions, et c'est par de pareils moyens qu'il espère maintenir son empire. Mais ce n'est ni auprès de vous ni auprès de vos collègues que de semblables artifices peuvent être employés avec succès… Au reste, il est impossible de parler avec plus de franchise et de fermeté que vous ne l'avez fait à M. Hartley: il n'a aucune raison d'être satisfait de sa mission.»
M. de Vergennes exprimait la même confiance envers le peuple des États-Unis: il ne se trompait point. Les bills conciliatoires de lord North parvinrent en Amérique plus tôt que les traités avec la France: ils y furent connus vers le milieu d'avril. Washington les jugea insuffisants et inadmissibles, tout comme l'avait fait Franklin; et le congrès, partageant la pensée des deux plus sensés et plus glorieux soutiens de l'indépendance américaine, les rejeta sans hésitation et à l'unanimité des voix. Il déclara qu'il n'admettrait aucune proposition de paix, à moins que l'Angleterre ne retirât ses troupes et ses flottes, et ne reconnût l'indépendance des États-Unis. A peine avait-il repoussé les bills, qu'arrivèrent (le 2 mai) les traités; ils causèrent des transports de joie. L'espérance fut universelle. Le congrès les ratifia sur-le-champ, et nomma Franklin son ministre auprès de la cour de France, qui, de son côté, accrédita M. Gérard de Rayneval auprès du gouvernement des États-Unis. Dans la noble effusion de sa reconnaissance, le congrès écrivit à ses commissaires: «Nous admirons la sagesse et la vraie dignité de la cour de France, qui éclatent dans la conclusion et la ratification des traités faits avec nous. Elles tendent puissamment à faire disparaître cet esprit étroit dans lequel le genre humain a été assez malheureux pour s'entretenir jusqu'à ce jour. Ces traités montrent la politique inspirée par la philosophie, et fondent l'harmonie des affections sur la base des intérêts mutuels. La France nous a liés plus fortement par là que par aucun traité réservé, et cet acte noble et généreux a établi entre nous une éternelle amitié.»
Cette étroite union ne pouvant être ébranlée, il fallait essayer de la vaincre. L'Angleterre poursuivit donc la guerre avec l'Amérique, et la commença avec la France. La France s'y attendait et s'y était préparée. Grâce au patriotisme d'un grand ministre, sa marine, si faible et si humiliée dans la guerre de Sept ans, s'était rétablie et relevée. Le duc de Choiseul y avait appliqué son génie prévoyant, et, avec une fierté toute nationale, il avait commencé, sous les dernières années de Louis XV, la restauration maritime de la France, que les ministres de Louis XVI avaient soigneusement continuée, surtout depuis les désaccords qui avaient éclaté entre les colonies américaines et leur métropole.
Des flottes étaient réunies dans les principales rades; des vaisseaux étaient en construction sur tous les chantiers. A leur bravoure ordinaire, nos marins joignaient une instruction supérieure et une grande habileté de manoeuvres. Aussi les vit-on durant cinq années, sous les d'Orvilliers, les d'Estaing, les de Grasse, les Guichen, les Lamotte-Piquet, les Suffren, etc., affronter résolûment et combattre sans désavantage les flottes anglaises sur toutes les mers, dominer dans la Méditerranée, balancer la fortune dans l'Océan, résister héroïquement dans l'Inde, et réussir en Amérique. Belle et patriotique prévoyance qui permit à Louis XVI d'entreprendre avec hardiesse, de poursuivre avec constance, d'exécuter avec bonheur une des choses les plus grandes et les plus glorieuses de notre histoire!
Le premier effet de son intervention en Amérique fut d'amener l'évacuation de la Pensylvanie par les Anglais. Tandis que le comte d'Orvilliers livrait la mémorable bataille navale d'Ouessant à l'amiral Keppel, dont l'escadre, maltraitée, prenait le large, le comte d'Estaing s'avançait vers l'Amérique avec une flotte de douze vaisseaux de ligne et de quatre frégates, pour aller, sur le conseil de Franklin, bloquer l'amiral Howe dans la Delaware, et enfermer dans Philadelphie sir Henri Clinton, qui avait succédé au commandement militaire du général Howe. Mais la flotte et l'armée anglaises avaient échappé au péril en quittant ces parages. L'une avait reçu l'ordre de transporter cinq mille hommes dans la Floride pour protéger cette province, et l'autre avait opéré sa retraite sur New-York. Lorsque le comte d'Estaing arriva, il ne trouva plus ceux qu'il venait surprendre; la crainte seule de son approche avait fait reculer l'invasion anglaise.
Washington, fidèle à son plan d'une entreprenante défensive, harcela Clinton dans sa marche sur New-York, repassa la Delaware après lui, l'attaqua avec avantage à Montmouth dans le New-Jersey, se porta de nouveau du côté oriental de l'Hudson; et lorsque les Anglais, revenant presque à leur point de départ, se furent renfermés dans cette ville, il prit, à peu de distance de leur quartier général, de fortes positions d'où il put surveiller leurs mouvements et s'opposer à leurs entreprises. Il forma une ligne de cantonnements autour de New-York, depuis le détroit de Long-Island jusqu'aux bords de la Delaware.
Les Anglais ne furent point expulsés du territoire américain dans cette campagne, mais ils perdirent une grande partie de ce qu'ils y avaient conquis. Dans la campagne suivante, ils eurent à combattre un nouvel ennemi. L'Espagne, après un impuissant essai de médiation, se joignit à la France dans l'été de 1779 (juin), et fut secondée bientôt par la Hollande, que l'Angleterre attaqua en 1780, parce qu'elle s'était montrée commercialement favorable aux insurgents en 1778. L'appui des trois principales puissances maritimes de l'Europe, et la neutralité armée conclue vers ce temps (juillet et août 1780) entre la Russie, le Danemark, la Suède, contre les théories et les pratiques oppressives des anciens maîtres de la mer, furent pour les États-Unis une diversion puissante et un heureux encouragement.
L'Angleterre se vit obligée de disperser ses forces dans toutes les régions du monde. Elle eut à se défendre dans la Méditerranée, où les Français et les Espagnols lui reprirent Minorque et tentèrent de lui enlever Gibraltar; vers les côtes d'Afrique, où elle perdit tous ses forts et tous ses établissements sur le Sénégal; aux Indes, où après s'être emparée tout d'abord de Pondichéry, de Chandernagor, de Mahé, elle fut privée de Gondelour et eut à combattre le redoutable Hyder-Aly et l'héroïque bailli de Suffren; en Amérique, où les Français, qu'elle avait dépouillés des îles de Saint-Pierre, de Miquelon et de Sainte-Lucie, conquirent sur elle la Dominique, Saint-Vincent, la Grenade, Tabago, Saint-Christophe, Nevis, Montserrat, et où les Espagnols se rendirent maîtres de la Mobile et soumirent la Floride occidentale avec la ville de Pensacola, qu'ils avaient cédée dans la paix du 10 février 1763. Malgré la coalition ouverte ou secrète du monde contre sa puissance, cette fière et énergique nation tint ferme sur toutes les mers, fit face à toutes les inimitiés, et ne renonça point à dompter et à punir ses colonies révoltées.
Seulement, elle changea son plan d'attaque. Sir Henri Clinton avait vainement essayé de reprendre les anciens desseins du général Howe en se rendant maître de tout le cours de l'Hudson; il avait rencontré la résistance victorieuse de Washington, qui l'avait réduit à l'inaction dans New-York. Mais, tandis que le général américain, toujours posté avec son armée dans des positions qu'il rendait imprenables, défendait l'accès intérieur du pays, les Anglais se décidèrent à ravager ses côtes et à porter la ruine là où ils ne pouvaient plus opérer la conquête. Des corps considérables, détachés de l'armée centrale de New-York, allèrent sur des flottilles dévaster les rivages des deux Carolines, de la Virginie, de la Pensylvanie, de New-Jersey, de New-York, de la Nouvelle-Angleterre. Les villes de Portsmouth, de Suffolk, de New-Haven, de Farifiel, de Norwalk, de Charlestown, de Falmouth, de Norfolk, de Kingston, de Bedford, de Egg-Harbourg, de Germanflatts, furent saccagées et brûlées. De plus, sir Henri Clinton, ayant reçu des renforts d'Europe, reprit le projet d'invasion, non plus par le centre des États-Unis, où Washington l'avait fait échouer jusque-là, mais par son extrémité méridionale, où il devait rencontrer moins d'obstacle. Il alla joindre, dans le sud, lord Cornwallis, qui se rendit assez promptement maître des deux Carolines.
Il importait que la France, dont les flottes avaient paru plus qu'elles n'avaient agi sur les côtes américaines, vînt au secours des États-Unis d'une manière efficace. Le général la Fayette, qu'une amitié étroite avait promptement lié à Washington, qui avait acquis la confiance du congrès par la générosité de son dévouement et la brillante utilité de ses services, se rendit en Europe pour se concerter avec Franklin et solliciter, d'accord avec lui, cette assistance devenue nécessaire. Le plénipotentiaire américain n'avait pas négligé les intérêts de son pays, et, afin de préparer sa victoire, il avait soigneusement entretenu l'union entre lui et ses alliés. Il avait repoussé les offres d'une trêve de sept ans, que lord North lui avait proposée par l'entremise de David Hartley, dans l'espoir de séparer l'Amérique de la France et de les accabler tour à tour en les attaquant à part. Il avait demandé que la trêve équivalût à la paix par une durée de trente ans et qu'elle fût générale: c'était déjouer les desseins secrets de l'Angleterre, qui n'insista point. Après avoir obtenu de la cour de Versailles des secours considérables d'argent, qui s'élevèrent à trois millions pour 1778, à un seulement pour 1779, à quatre pour 1780, à quatre aussi pour 1781, indépendamment de la garantie d'un emprunt de cinq millions de florins contracté par les États-Unis en Hollande, Franklin obtint encore l'envoi d'une flotte conduite par le chevalier de Ternay, et d'une petite armée que commanda le comte de Rochambeau, placé sous les ordres directs du général Washington.
Avant que la Fayette retournât en Amérique, Franklin fut chargé de remettre une épée d'honneur à ce jeune et vaillant défenseur des États-Unis. Il la lui envoya au Havre par son petit-fils, en lui adressant une lettre dans laquelle il lui exprimait, avec le tour d'esprit le plus délicat, la plus flatteuse des gratitudes: «Monsieur, lui disait-il, le congrès, qui apprécie les services que vous avez rendus aux États-Unis, mais qui ne saurait les récompenser dignement, a résolu de vous offrir une épée, faible marque de sa reconnaissance. Il a ordonné qu'elle fût ornée de devises convenables; quelques-unes des principales actions de la guerre dans laquelle vous vous êtes distingué par votre bravoure et votre conduite y sont représentées; elles en forment, avec quelques figures allégoriques, toutes admirablement exécutées, la principale valeur. Grâce aux excellents artistes que présente la France, je vois qu'il est facile de tout exprimer, excepté le sentiment que nous avons de votre mérite et de nos obligations envers vous. Pour cela, les figures et même les paroles sont insuffisantes.»
Le retour du général la Fayette en Amérique, au mois d'avril 1780, et l'arrivée en juillet du corps expéditionnaire de Rochambeau à Rhode-Island, que sir Henri Clinton avait évacué l'année précédente, n'amenèrent encore rien de décisif dans cette campagne. Rochambeau fut réduit quelque temps à l'inaction dans Newport par une flotte britannique supérieure à la flotte française qui l'avait conduit. Les Anglais, toujours resserrés dans New-York par Washington, ne firent aucun progrès au centre des États, mais ils continuèrent leur marche victorieuse au sud. Cornwallis, après avoir battu à Cambden le général Gates, s'affermit dans les Carolines. Il se disposa à passer dans la Virginie, qu'Arnold, devenu traître à son pays et infidèle à sa gloire, ravageait avec une flottille et une troupe anglaises, en remontant la Chesapeake et le Potomak. Il s'y transporta en effet l'année suivante, prit possession des deux villes d'York-Town et de Gloucester, où il se fortifia avec l'intention d'étendre de plus en plus du midi au nord la conquête anglaise. Mais le général Washington, qui avait opposé la Fayette à Arnold, Green à Cornwallis, combina bientôt une grande opération qui couronna la campagne de 1781 par une mémorable victoire, et mit fin à la guerre.
Pour en fournir les moyens à Washington, Franklin, à qui avait été envoyé par le congrès le colonel John Laurens, afin qu'il obtînt de la cour de Versailles de plus grands secours en argent, en hommes et en vaisseaux, s'était adressé à M. de Vergennes avec les instances les plus vives et les raisons les plus hautes. A la suite d'une violente et longue attaque de goutte, il lui avait écrit: «Ma vieillesse s'accroît: je me sens affaibli, et il est probable que je n'aurai pas longtemps à m'occuper de ces affaires. C'est pourquoi je saisis cette occasion de dire à Votre Excellence que les conjonctures présentes sont extrêmement critiques. Si l'on souffre que les Anglais recouvrent ce pays, l'opportunité d'une séparation effective ne se présentera plus dans le cours des âges; la possession de contrées si vastes et si fertiles, et de côtes si étendues, leur donnera une base tellement forte pour leur future grandeur, par le rapide accroissement de leur commerce et l'augmentation de leurs matelots et de leurs soldats, qu'il deviendront la terreur de l'Europe et qu'ils exerceront avec impunité l'insolence qui est naturelle à leur nation.» M. de Vergennes partagea le sentiment de Franklin, et Louis XVI accéda à ses demandes. Une somme de six millions de livres fut mise à la disposition de Washington; des munitions, des armes et des effets d'habillement pour vingt mille hommes furent expédiés en Amérique, et le comte de Grasse reçut l'ordre de s'y rendre avec une flotte de vingt-six vaisseaux de ligne, de plusieurs frégates, et une nouvelle troupe de débarquement.
Quant à Franklin, ébranlé par sa dernière indisposition, et craignant de ne plus mettre au service de son pays qu'un esprit fatigué et une activité ralentie, il demanda au congrès de lui accorder un successeur. «J'ai passé ma soixante et quinzième année, écrivait-il au président de cette assemblée, et je trouve que la longue et sévère attaque de goutte que j'ai eue l'hiver dernier m'a excessivement abattu. Je n'ai pas encore recouvré entièrement les forces corporelles dont je jouissais auparavant. Je ne sais pas si mes facultés mentales en sont diminuées, je serais probablement le dernier à m'en apercevoir; mais je sens mon activité fort décrue, et c'est une qualité que je regarde comme particulièrement nécessaire à votre ministre auprès de cette cour… J'ai été engagé dans les affaires publiques, et j'ai joui de la confiance de mon pays dans cet emploi ou dans d'autres, durant le long espace de cinquante ans. C'est un honneur qui suffit à satisfaire une ambition raisonnable; et aujourd'hui il ne m'en reste pas d'autre que celle du repos, dont je désire que le congrès veuille bien me gratifier en envoyant quelqu'un à ma place. Je le prie en même temps d'être bien assuré qu'aucun doute sur le succès de notre glorieuse cause, qu'aucun dégoût éprouvé à son service, ne m'a induit à résigner mes fonctions. Je n'ai pas d'autres raisons que celles que j'ai données. Je me propose de rester ici jusqu'à la fin de la guerre, qui durera peut-être au delà de ce qui me reste de vie; et si j'ai acquis quelque expérience propre à servir mon successeur, je la lui communiquerai librement et je l'assisterai, soit de l'influence qu'on me suppose, soit des conseils qu'il pourra désirer de moi.»
Mais le congrès n'eut garde de priver la cause américaine d'un serviteur si grand et si utile encore. John Jay, qui était accrédité auprès de la cour d'Espagne, comme John Adams auprès des Provinces-Unies de Hollande, avait écrit de Madrid au congrès, en se louant de l'assistance qu'il avait reçue du docteur Franklin: «Son caractère est ici en grande vénération, et je crois sincèrement que le respect qu'il a inspiré à toute l'Europe a été d'une utilité générale à notre cause et à notre pays.» Le congrès n'accéda donc point à son voeu. Il espérait que des conférences allaient s'ouvrir sous la médiation de l'Autriche et de la Russie, et son président lui répondit en lui annonçant qu'il avait été désigné pour les conduire, avec John Jay, John Adams, Henri Laurens et Thomas Jefferson. «Vous retirer du service public dans cette conjoncture aurait des inconvénients, car le désir du congrès est de recourir à votre habileté et à votre expérience dans cette prochaine négociation. Vous trouverez le repos qui vous est nécessaire après avoir rendu ce dernier service aux États-Unis.» Le secrétaire des affaires étrangères, Robert Livingston, lui exprimait aussi l'espoir «qu'il accepterait la nouvelle charge qui lui était imposée avec de si grands témoignages d'approbation du congrès, pour achever de mener à bien la grande cause dans laquelle il s'était engagé.»
Franklin se rendit. La crise décisive était arrivée. Lorsque le comte de Grasse avait paru dans les eaux de la Chesapeake avec sa puissante flotte, Washington, laissant des troupes suffisantes pour défendre les postes fortifiés de l'Hudson, et trompant sir Henri Clinton sur ses desseins, se porta vivement, réuni à Rochambeau, vers le sud, pour dégager cette partie du territoire américain de l'invasion britannique. Il rejoignit en Virginie la Fayette, qu'avait renforcé le nouveau corps de débarquement, et tous ensemble, ils allèrent attaquer dans York-Town lord Cornwallis, jusque-là victorieux. L'armée anglaise, enfermée dans cette place, où elle fut bloquée du côté de la mer par les troupes combinées de la France et de l'Amérique, après avoir perdu ses postes avancés, été chassée de ses redoutes enlevées d'assaut, se vit contrainte de capituler le 19 octobre 1781. Sept mille soldats, sans compter les matelots, se rendirent prisonniers de guerre. La défaite de Cornwallis fut le complément de la défaite de Burgoyne, et Washington acheva à York-Town l'oeuvre glorieuse de la délivrance américaine, commencée par le général Gates à Saratoga. La première de ces capitulations avait procuré l'alliance de la France; la seconde donna la paix avec l'Angleterre.
L'Angleterre, en effet, comprit dès ce moment l'inutilité de ses efforts pour reconquérir l'obéissance de l'Amérique. Dans une guerre de six ans elle n'avait pu ni envahir le territoire de ses anciennes colonies par le nord, ni s'y avancer par le centre, et elle s'y trouvait maintenant arrêtée et vaincue au sud. Dépouillée d'une partie de ses possessions par la France, l'Espagne et la Hollande, qui menaçaient de lui en enlever d'autres; attaquée dans ses principes de domination maritime par la Russie, le Danemark, la Suède, l'Autriche et la Prusse qui avaient formé contre elle la ligue de la neutralité armée; affaiblie dans ses ressources, paralysée dans son industrie, réduite dans son commerce, atteinte dans son orgueil, elle songea sérieusement à reconnaître l'indépendance de ces colonies, dont, sept années auparavant, elle n'avait pas consenti à supporter les priviléges. Le ministère de lord North, qui avait refusé naguère la médiation de la Russie et de l'Autriche, essaya, avant de succomber sous ses fautes politiques et ses revers militaires, de reprendre les négociations avec Franklin.
Au commencement de janvier 1782, David Hartley pressentit de sa part le docteur son ami sur une paix séparée, dans laquelle l'indépendance des États-Unis serait reconnue, mais ne serait pas dictée et hautainement commandée par la France. Franklin ne voulut admettre qu'une paix commune à l'Amérique et à ses alliés. Ce fut en vain que lord North fit sonder de nouveau, pour des négociations isolées, les plénipotentiaires américains par M. Digges, et les ministres du roi de France par M. Fort. Des deux côtés, avec une habile entente et une égale bonne foi, on lui répondit qu'on ne consentirait à traiter que de concert, ou qu'on ne cesserait pas de combattre ensemble. Du reste, le ministère qui avait amené la guerre ne pouvait conclure la paix. Cette oeuvre était réservée à un ministère sorti de l'opposition, animé de l'esprit de liberté et armé de sa puissance. Au mois d'avril 1782, le généreux lord Shelburne et l'éloquent Charles Fox formèrent, à la place du cabinet téméraire de lord North, qui venait de se dissoudre, le cabinet conciliant chargé de rétablir l'harmonie entre l'Angleterre et l'Amérique, et de pacifier le monde.
Richard Oswald reçut de lord Shelburne l'ordre de se rendre auprès de Franklin, et d'ouvrir avec lui les premières négociations. Il lui attesta le désir sincère des nouveaux ministres de conclure la paix générale, mais sans souffrir qu'on employât des termes capables d'humilier l'Angleterre, car elle aurait dans ce cas encore assez de passion, de ressource et de fierté pour reprendre la guerre, et y persister avec une énergie indomptable. Afin donc que la cour de Versailles ne parût pas imposer à la cour de Londres l'indépendance de ses anciennes colonies, les négociations se poursuivirent séparément de la part des États-Unis et de leurs alliés, mais avec la sincère résolution de n'agir que de concert et de ne conclure qu'en même temps. Elles furent actives et longues. Les pourparlers préliminaires et les discussions définitives durèrent un an et demi. Il y avait à régler, outre l'indépendance de la nouvelle nation, l'étendue de son territoire, les droits de sa navigation, les lieux de ses pêcheries, les intérêts antérieurement et réciproquement engagés du côté des Américains en Angleterre, du côté des Anglais en Amérique; il y avait de plus à déterminer ce que les alliés garderaient de leurs conquêtes et ce qu'ils en restitueraient à la Grande-Bretagne, pour rentrer eux-mêmes dans les possessions qu'ils avaient perdues. D'un sang-froid patient, d'une fermeté habile, d'une droiture insinuante, Franklin, toujours uni à la France, mena ces négociations, dont il eut la principale conduite, à une conclusion heureuse.
Les articles préliminaires signés par les plénipotentiaires américains avec Richard Oswald, le 30 novembre 1782, le furent par les plénipotentiaires français et espagnols avec Alleyne Fitz-Herbert le 20 janvier, et les plénipotentiaires hollandais le 2 septembre 1783. Ces articles préliminaires, changés en clauses définitives par les traités conclus le même jour (3 septembre 1783) à Versailles et à Paris, assurèrent à la France et à l'Espagne une partie considérable de leurs conquêtes, et à l'Amérique les précieux avantages qui étaient l'objet de son ambition, la cause de son soulèvement, et qui devinrent le prix de sa persévérance et de sa victoire. Par le traité de Versailles, la France garda Tabago et Sainte-Lucie, dans les Antilles; ne se dessaisit point des établissements du Sénégal, bien qu'elle récupérât l'île de Gorée en Afrique; obtint la restitution de Chandernagor, de Mahé, de Pondichéry, avec les promesses d'un territoire plus étendu dans les Indes orientales; l'Espagne conserva Minorque, qu'elle avait reprise dans la Méditerranée, et la Floride, dont elle s'était emparée en Amérique; la Hollande, enfin, rentra en possession des colonies qu'elle avait perdues, sauf Negapatnam, qu'elle céda à l'Angleterre. Par le traité de Paris, que Franklin signa avec son vieil et persévérant ami David Hartley, la métropole admit la pleine indépendance et la légitime souveraineté de ses anciennes colonies; elle leur concéda le droit de pêche sur les bancs de Terre-Neuve, dans le golfe Saint-Laurent et dans tous les lieux où les Américains l'avaient exercé avant leur insurrection. Elle leur reconnut pour limites: à l'est, la rivière Sainte-Croix; à l'ouest, les rives du Mississipi; et, au nord, une ligne qui, partie de l'angle de la Nouvelle-Écosse, traversait par le milieu le lac Ontario, le lac Érié, le lac Huron, le lac Supérieur, et aboutissait au lac Woods pour descendre de là jusqu'au Mississipi, dont la navigation leur était garantie.
Le congrès ratifia sans hésitation et sans délai le traité qui faisait des États-Unis une grande nation pour tout le monde. Avant même qu'il fût signé, les hostilités avaient été suspendues, et les troupes françaises étaient retournées en Europe. Après sa conclusion, les forces anglaises évacuèrent New-York, et le congrès licencia l'armée américaine. En se séparant de ses soldats, auxquels il avait communiqué son héroïque constance et sa patriotique abnégation, qui avaient accompli par huit ans de travaux, de souffrances, de victoires, la magnifique tâche de la délivrance de leur pays, Washington vit les larmes couler de leurs yeux, et son noble visage en fut ému. Il leur fit de mâles et touchants adieux. Se rendant ensuite au milieu du congrès, il déposa le commandement militaire dont il avait été investi, et qu'il avait si utilement et si glorieusement exercé. «Bien des hommes, lui dit le président de cette assemblée, ont rendu d'éminents services pour lesquels ils ont mérité les remercîments du public. Mais vous, Monsieur, une louange particulière vous est due; vos services ont essentiellement contribué à conquérir et à fonder la liberté et l'indépendance de votre pays; ils ont droit à toute la reconnaissance d'une nation libre.» Le congrès décida unanimement qu'une statue équestre lui serait érigée dans la ville qui servirait de siége au gouvernement, et qui prit elle-même son nom. Après avoir sauvé sa patrie, Washington retourna avec la simplicité d'un ancien Romain dans sa terre de Mont-Vernon, où il présida lui-même à la culture de ses champs, et vécut comme le plus désintéressé des citoyens et le plus modeste des grands hommes.
Quant à Franklin, après avoir consolidé la libre existence de son pays par le traité de Paris, il en étendit et en régularisa les relations commerciales dans divers pays de l'Europe. Ou seul, ou associé à Adams, à Jay et à Jefferson, il conclut des traités de commerce avec la Suède et la Prusse, en négocia avec le Portugal, le Danemark et l'Empire. En même temps qu'il agissait en patriote, il vivait en sage. Il pratiquait toujours les vertus fortes et aimables qu'il s'était données dans sa jeunesse. Disposant de lui-même au milieu des plus nombreuses affaires, ne paraissant jamais soucieux lorsqu'il portait le poids des plus graves préoccupations, il avait son temps libre pour ceux qui voulaient le voir, il conservait sa gaieté spirituelle pour ceux qu'il voulait charmer.
Aussi sa compagnie était recherchée, non comme la plus illustre, mais comme la plus agréable. Il inspirait à ses amis de la tendresse et du respect, de l'attrait et de l'admiration: il ne les aimait pas non plus faiblement. Il éprouvait surtout une vive affection pour madame Helvétius, qu'il appelait Notre-Dame-d'Auteuil, et qui venait toutes les semaines dîner au moins une fois chez lui à Passy avec sa petite colonie. Il avait perdu sa femme en 1779; et, malgré ses soixante-seize ans, il proposa à madame Helvétius, un peu avant la fin de la guerre, de l'épouser. Mais elle avait refusé la main de Turgot, et elle n'accepta point la sienne. Franklin lui écrivit alors une lettre qui est un modèle d'esprit et de grâce:
«Chagriné, lui dit-il, de votre résolution prononcée si fortement hier soir, de rester seule pendant la vie, en l'honneur de votre cher mari, je me retirai chez moi, je tombai sur mon lit, je me crus mort, et je me trouvai dans les Champs-Élysées.
«On m'a demandé si j'avais envie de voir quelques personnages particuliers.—Menez-moi chez les philosophes.—Il y en a deux qui demeurent ici près, dans ce jardin. Ils sont de très-bons voisins, et très-amis l'un de l'autre.—Qui sont-ils?—Socrate et Helvétius.—Je les estime prodigieusement tous les deux; mais faites-moi voir premièrement Helvétius, parce que j'entends un peu de français et pas un mot de grec.—Il m'a reçu avec beaucoup de courtoisie, m'ayant connu, disait-il, de caractère, il y a quelque temps. Il m'a demandé mille choses sur la guerre et sur l'état présent de la religion, de la liberté et du gouvernement en France. Vous ne me demandez donc rien de votre amie Madame Helvétius? et cependant elle vous aime encore excessivement, et il n'y a qu'une heure que j'étais chez elle.—Ah! dit-il, vous me faites souvenir de mon ancienne félicité; mais il faut l'oublier pour être heureux ici. Pendant plusieurs années je n'ai pensé qu'à elle, enfin je suis consolé: j'ai pris une autre femme, la plus semblable à elle que je pouvais trouver. Elle n'est pas, c'est vrai, tout à fait si belle, mais elle a autant de bon sens et d'esprit, et elle m'aime infiniment: son étude continuelle est de me plaire. Elle est sortie actuellement chercher le meilleur nectar et ambroisie pour me régaler ce soir. Restez chez moi, et vous la verrez.—J'aperçois, disais-je, que votre ancienne amie est plus fidèle que vous; car plusieurs bons partis lui ont été offerts, qu'elle a refusés tous. Je vous confesse que je l'ai aimée, moi, à la folie; mais elle était dure à mon égard, et m'a rejeté absolument, pour l'amour de vous.—Je vous plains, dit-il, de votre malheur; car vraiment c'est une bonne femme et bien aimable…—A ces mots, entrait la nouvelle Madame Helvétius; à l'instant je l'ai reconnue pour Madame Franklin, mon ancienne amie américaine. Je l'ai réclamée; mais elle me disait froidement: «J'ai été votre bonne femme quarante-neuf années et quatre mois, presque un demi-siècle. Soyez content de cela. J'ai formé ici une connexion qui durera l'éternité.» Mécontent de ce refus de mon Eurydice, j'ai pris tout de suite la résolution de quitter ces ombres ingrates, et de revenir en ce bon monde revoir ce soleil et vous. Me voici; vengeons-nous.»
Mais il lui fallut bientôt quitter madame Helvétius, et avec elle son agréable demeure de Passy, et cette France où il avait tant d'admirateurs et tant d'amis. Son pays avait encore besoin de lui. Après la paix de 1783, la fédération américaine était près de se dissoudre, et les États particuliers, par un excès d'indépendance, semblaient sur le point de perdre la république, qu'on avait eu tant de peine à fonder. La présence de Franklin, qui avait enfin obtenu d'être remplacé par M. Jefferson, comme ministre près la cour de Versailles, était nécessaire en Amérique pour arrêter une désunion menaçant de devenir fatale. «Il faut absolument, disait Jefferson, que ce grand homme retourne en Amérique. S'il mourait, j'y ferais transporter sa cendre; son cercueil réunirait encore tous les partis.» Franklin, après avoir si habilement développé la civilisation de son pays, si puissamment contribué à l'établissement de son indépendance, avait à consolider son avenir en fortifiant sa constitution.
CHAPITRE XIII
Faiblesse des gouvernements fédératifs.—Nécessité de fortifier l'Union américaine.—Retour de Franklin à Philadelphie.—Admiration et reconnaissance qu'il excite.—Sa présidence de l'État de Pensylvanie.—Sa nomination à la convention chargée de réviser le pacte fédéral et de donner aux États-Unis leur constitution définitive.—Sa retraite.—Sa mort.—Deuil public en Amérique et en France.—Conclusion.
Les républiques démocratiques sont exposées à deux dangers: à la précipitation des volontés, et à la lenteur des actes. L'autorité législative y est ordinairement trop prompte, et l'autorité exécutive trop faible, parce qu'elles concentrent l'une et divisent l'autre: de là trop fréquemment la violence de la loi et l'impuissance du gouvernement. A cette double imperfection des républiques démocratiques s'en joint une autre pour les républiques fédératives.
Composées d'États divers, juxtaposés plus qu'unis, se rapprochant par quelques intérêts généraux, se séparant par de nombreux intérêts particuliers, celles-ci forment une agrégation de petits gouvernements dont le lien est débile, l'accord rare, l'action commune ou incertaine, ou insuffisante, ou tardive. La faiblesse du gouvernement central est le vice des fédérations. Cette faiblesse avait été jusque-là visible dans l'histoire. Elle avait fait promptement périr les fédérations informes essayées chez les peuples anciens. Elle avait condamné ou aux divisions ou à l'impuissance toutes les fédérations modernes: et l'Empire d'Allemagne, comprenant des souverainetés de diverse nature et de diverses dimensions; et la Ligue helvétique, dans laquelle entraient des cantons différents d'origine, d'organisation, de culte et de grandeur; et la république des Provinces-Unies des Pays-Bas, où des territoires sans proportion d'étendue, et des villes sans égalité d'importance, s'étaient rapprochés pour se soustraire à la tyrannie, croire, vivre et se gouverner en liberté.
La fédération des États-Unis semblait exposée au même péril par la même faiblesse. Elle avait été mal organisée; le congrès y formait le seul pouvoir central. Dès le début de la guerre, malgré le danger commun et l'enthousiasme universel, la débilité de ce pouvoir s'était montrée. Il n'exerçait qu'une action morale sur les États particuliers, auprès desquels il avait le droit de requête et non de commandement. Washington en avait souffert, et s'en était plaint. «Notre système politique, avait-il écrit en 1778, peut être comparé au mécanisme d'une horloge, et nous devrions en tirer une leçon. Il n'y aurait aucun avantage à maintenir les petites roues en état, si l'on négligeait la grande roue qui est le point d'appui et le premier moteur de toute la machine…. On n'a pas besoin, suivant moi, de l'esprit de prophétie pour prédire les conséquences de l'administration actuelle, et pour annoncer que tout le travail que font les États en composant individuellement des constitutions, en décrétant des lois et en confiant les emplois à leurs hommes les plus habiles, n'aboutira pas à grand'chose. Si le grand ensemble est mal dirigé, tous les détails seront enveloppés dans le naufrage général, et nous aurons le remords de nous être perdus par notre propre folie et notre négligence.»
Après la conclusion de la paix, le mal avait empiré, l'autorité du congrès était devenue encore plus impuissante. Les États se séparaient en quelque sorte de l'Union, et les partis divisaient les États. La république, ébranlée dans son organisation, était menacée dans son existence. C'est pendant qu'elle tombait ainsi en dissolution que Franklin vint lui apporter les secours de son bon sens et les recommandations de son patriotisme. Il avait soixante-dix-neuf ans lorsqu'il quitta la France.
Une maladie cruelle, la pierre, le tourmentait de ses pesantes douleurs. Il ne put aller prendre congé du roi à Versailles; il écrivit à M. de Vergennes: «Je vous demande de m'accorder la grâce d'exprimer respectueusement à Sa Majesté, pour moi, le sentiment profond que j'ai de tous les inestimables bienfaits que sa bonté a accordés à mon pays. Ce sentiment ne remplira pas d'un faible souvenir ce qui me reste de vie, et il sera aussi profondément gravé dans le coeur de tous mes concitoyens. Mes sincères prières s'adressent à Dieu pour qu'il répande toutes ses bénédictions sur le roi, sur la reine, sur leurs enfants et sur toute la famille royale, jusqu'aux dernières générations.»
Le regret que son départ inspira fut vif et universel. Une litière de la reine vint le chercher à Passy, pour le transporter plus doucement au Havre. Il se sépara, les larmes aux yeux, de ses chers amis de France, et surtout de madame Helvétius, qu'il n'espérait plus revoir dans cette vie, et à laquelle il écrivait quelque temps après, des bords du rivage américain, avec l'effusion d'une haute et touchante tendresse: «J'étends les bras vers vous, malgré l'immensité des mers qui nous séparent, en attendant le baiser céleste que j'espère fermement vous donner un jour.»
Parti du Havre avec ses deux petits-fils le 28 juillet 1785, il arriva le 14 septembre au-dessous de Gloucester-Point, en vue de Philadelphie. En touchant la terre d'Amérique, il écrivit, comme dernières paroles, sur son journal: «Mille actions de grâces à Dieu pour toutes ses bontés!» Il fut reçu par les acclamations de la foule, au son des cloches, au milieu des bénédictions d'un peuple qu'il avait aidé à devenir libre. En annonçant son heureux retour, le ministre de France écrivait à M. de Vergennes: «La longue absence de M. Franklin, les services qu'il a rendus, la modération et la sagesse de sa conduite en France lui ont mérité les applaudissements et le respect de ses concitoyens….. On ne balance pas à mettre son nom à côté de celui du général Washington. Toutes les gazettes l'annoncent avec emphase. On l'appelle le soutien de l'indépendance et du bonheur de l'Amérique, et l'on est persuadé que son nom fera à jamais la gloire des Américains. Un membre du congrès m'a dit, à cette occasion, que M. Franklin avait été particulièrement destiné par la Providence à la place qu'il a remplie avec tant de distinction.» Franklin recueillait le prix de soixante ans de vertus et de services.
Tout d'abord élu membre du conseil exécutif suprême de Philadelphie, il fut bientôt nommé président de l'État de Pensylvanie. L'ancienne colonie dont il était la lumière et la gloire le choisit ensuite pour son représentant dans la célèbre convention de 1787, présidée par Washington, et chargée de réviser la constitution fédérale. Les hommes admirables qui composèrent cette assemblée préservèrent leur pays d'une décomposition imminente. Au-dessus des préjugés comme des faiblesses démocratiques, pleins de vertu et de prévoyance, ils firent, avec un patriotisme savant, une république qui put durer, et une fédération qui put agir. Ils donnèrent à l'Amérique la constitution qui la régit encore. Cette constitution divisa le pouvoir législatif entre une chambre des représentants élue tous les deux ans par le peuple, et un sénat renouvelé tous les six ans par les législatures des États; elle réunit le pouvoir exécutif pour quatre ans au moins dans les mains d'un président de la république sorti du voeu national, mais par la voie laborieuse et éclairée du suffrage indirect; elle établit enfin une force centrale capable de lier solidement les États sans les assujettir, en subordonnant, dans les choses d'intérêt commun, leur souveraineté particulière à la souveraineté générale. Pour la première fois on fonda une fédération vigoureuse qui eut son chef, ses assemblées, ses lois, ses tribunaux, ses troupes, ses finances, et qui put maintenir en corps de nation non-seulement les treize colonies primitives, mais un grand nombre d'autres n'ayant ni la même origine, ni le même climat, ni la même organisation, ni le même esprit, et différant aussi bien par les intérêts que par les habitudes.
Franklin adhéra à cette constitution, bien qu'il ne l'approuvât point tout entière. Il penchait pour une seule chambre, et il n'aurait pas voulu que le président fût rééligible. L'unité et la force du pouvoir lui convenaient cependant. «Quoiqu'il règne parmi nous, écrivait-il, une crainte générale de donner trop de pouvoir à ceux qui seront chargés de nous gouverner, je crois que nous courons plutôt le danger d'avoir pour eux trop peu d'obéissance.» Sacrifiant avec bonne grâce ses opinions particulières, il disait sagement: «Ayant vécu longtemps, je me suis trouvé plus d'une fois obligé, par de nouveaux renseignements, ou par de plus mûres réflexions, à changer d'opinion, même sur des sujets importants. C'est pour cela que plus je deviens vieux, plus je suis disposé à douter de mon jugement.» Il soumit donc son grand esprit à la règle qui fut donnée à son pays; et, afin qu'elle acquît plus d'autorité, il demanda et il obtint qu'on ajoutât à la constitution cette formule: Fait et arrêté d'un consentement unanime.
La constitution fédérale fut présentée à l'acceptation du peuple, qui l'admit dans les divers États, dont les délégués nommèrent, d'une commune voix, en 1789, Washington président de la république. L'Amérique, sortie de la crise de l'organisation aussi heureusement qu'elle était sortie de la crise de l'indépendance, échappa par sa sagesse aux dangers civils, comme elle avait triomphé par son courage des dangers militaires. Elle se fit gouverner par celui-là même qui l'avait sauvée. Ce grand homme sut diriger l'État avec le ferme bon sens, le patriotique dévouement, la haute prévoyance qu'il avait déployés tour à tour pour le défendre et l'organiser. Se servant à la fois des deux partis qui, sous les noms de fédéraliste et de républicain, inclinaient, le premier vers une concentration plus forte du pouvoir général, le second vers un grand mouvement démocratique, il en admit les deux chefs dans son conseil, le colonel Hamilton et Thomas Jefferson. Sous sa direction ferme et habile, le peuple des États-Unis adopta des maximes de conduite dont il ne s'est pas départi, et entra dans les voies qu'il ne devait plus abandonner. Pacifique en Europe, entreprenant en Amérique, ne rencontrant aucun ennemi dans le vieux monde, aucun obstacle dans le nouveau, il s'avança avec liberté et avec ardeur vers les vastes destinées que sa position géographique, sa forme fédérale, l'exemple de son indépendance et le progrès de sa civilisation lui réservaient sur cet immense continent.
Franklin en fut heureux. «Je vois avec plaisir, dit-il, que les ressorts de notre grande machine commencent enfin à marcher. Je prie Dieu de bénir et de guider le travail de ses rouages. Si quelque forme de gouvernement est capable de faire le bonheur d'une nation, celle que nous avons adoptée promet de produire cet effet.» Après avoir pris part à la constitution fédérale, et avoir atteint le terme de sa présidence de l'État de Pensylvanie, il se regarda comme quitte envers son pays, et se retira entièrement des affaires à l'âge de quatre-vingt-deux ans. «J'espère, écrivait-il à son ami le duc de la Rochefoucauld, pendant le peu de jours qui me restent, pouvoir jouir du repos que j'ai si longtemps désiré.» Mais ce repos ne fut pas long ni doux. La pierre, dont il était attaqué depuis 1782, s'était développée et lui causait des souffrances de plus en plus vives. Elle le força, dans la dernière année de sa vie, à garder presque constamment le lit et à faire un fréquent usage de l'opium pour calmer ses douleurs. Elle n'eut cependant pas le pouvoir de troubler sa sérénité, d'affaiblir sa bienveillance, d'altérer sa gaieté. «En possession de tout son esprit, dit le docteur Jones, son médecin, outre la disposition qu'il conservait et la promptitude qu'il montrait à faire le bien, il se livrait à des plaisanteries et racontait des anecdotes qui charmaient tous ceux qui l'entendaient.»
Mais en même temps qu'il se mettait au-dessus de la douleur, il s'élevait à des pensées plus hautes; il disait, avec une ferme confiance, que tous les maux de cette vie ne sont qu'une légère piqûre d'épingle en comparaison du bonheur de notre existence future. Il se réjouissait d'être sur le point d'entrer dans le séjour de la félicité éternelle; il parlait avec enthousiasme «du bonheur de voir le glorieux Père des esprits, dont l'essence est incompréhensible pour l'homme le plus sage du monde, d'admirer ses oeuvres dans les mondes les plus élevés, et d'y converser avec les hommes de bien de toutes les parties de l'univers.»
Telles étaient les sublimes contemplations où il se laissait ravir, lorsqu'il fut atteint, au printemps de 1790, d'une pleurésie aiguë qui l'enleva. Trois jours avant sa mort, il fit faire son lit par sa fille, afin, disait-il, de mourir d'une manière plus décente. Il n'avait que des expressions de reconnaissance pour l'Être suprême, qui, durant sa longue carrière, lui avait accordé tant de faveurs, et il regardait les souffrances qu'il éprouvait comme une faveur de plus pour le détacher de la vie. Il en sortit avec une joie tranquille et une foi confiante, le 17 avril 1790, à onze heures du soir.
Il avait, par son testament, légué une somme aux écoles gratuites, où il avait reçu sa première instruction; une autre, pour rendre la Schuylkill navigable; une autre, aux villes de Boston et de Philadelphie, pour faciliter l'établissement des jeunes apprentis de ces deux villes où il avait été apprenti lui-même; et toutes les créances qu'il n'avait pas recouvrées, à l'hôpital de Philadelphie. Son codicille, dans lequel il réglait l'emploi de cet argent avec une ingénieuse prévoyance, se terminait par cette simple et touchante disposition: «Je donne à mon ami, à l'ami du genre humain, le général Washington, ma belle canne ayant une pomme d'or curieusement travaillée en forme de bonnet de liberté. Si c'était un sceptre, il l'a mérité, et il serait bien placé dans ses mains.»
La mort de Franklin fut une affliction pour les deux mondes. A Philadelphie, tout le peuple se porta à ses funérailles, qui se firent au son lugubre des cloches drapées de noir, et avec les marques du respect universel. Le congrès, exprimant la reconnaissance et les regrets des treize colonies pour ce bienfaiteur plein de génie, pour ce libérateur plein de courage, ordonna un deuil général de deux mois dans toute l'Amérique.
Lorsque la nouvelle de sa mort arriva en France, l'Assemblée constituante était au milieu de ses travaux. Éloquent interprète de la douleur commune, Mirabeau monta à la tribune, le 11 juin, et s'écria: «Franklin est mort! Il est retourné au sein de la Divinité, le génie qui affranchit l'Amérique et versa sur l'Europe des torrents de lumière! Le sage que deux mondes réclament, l'homme que se disputent l'histoire des sciences et l'histoire des empires, tenait sans doute un rang élevé dans l'espèce humaine.
«Assez longtemps les cabinets politiques ont notifié la mort de ceux qui ne furent grands que dans leur éloge funèbre; assez longtemps l'étiquette des cours a proclamé des deuils hypocrites. Les nations ne doivent porter que le deuil de leurs bienfaiteurs; les représentants des nations ne doivent recommander à leur hommage que les héros de l'humanité.
«Le congrès a ordonné, dans les quatorze États de la confédération, un deuil de deux mois pour la mort de Franklin, et l'Amérique acquitte en ce moment ce tribut de vénération pour l'un des pères de sa constitution. Ne serait-il pas digne de nous, Messieurs, de nous unir à cet acte religieux, de participer à cet hommage rendu, à la face de l'univers, et aux droits de l'homme, et au philosophe qui a le plus contribué à en propager la conquête sur toute la terre? L'antiquité eût élevé des autels à ce vaste et puissant génie, qui, au profit des mortels, embrassant dans sa pensée le ciel et la terre, sut dompter la foudre et les tyrans[2]. La France, éclairée et libre, doit du moins un témoignage de souvenir et de regret à l'un des plus grands hommes qui aient jamais servi la philosophie et la liberté.
[Note 2: Eripuit coelo fulmen sceptrumque tyrannis.]
«Je propose qu'il soit décrété que l'Assemblée nationale portera pendant trois jours le deuil de Benjamin Franklin.»
Cette proposition, appuyée par la Fayette et le duc de la Rochefoucauld, fut adoptée, et la France s'associa au deuil comme à l'admiration de l'Amérique pour ce grand homme.
Tels furent les honneurs rendus à cet homme extraordinaire, qui avait si admirablement rempli la vie et si bien compris la mort. Il regardait l'une comme le perfectionnement de l'autre; et, dès l'âge de vingt-trois ans, il avait fait pour lui, avec des paroles empruntées au métier qu'il exerçait alors, mais dans une forme spirituelle, cette épitaphe, où est inscrite sa confiance en Dieu et son assurance dans un avenir meilleur:
CI-GÎT NOURRITURE POUR LES VERS, LE CORPS DE BENJAMIN FRANKLIN, IMPRIMEUR, COMME LA COUVERTURE D'UN VIEUX LIVRE DONT LES FEUILLETS SONT DÉCHIRÉS, DONT LA RELIURE EST USÉE, MAIS L'OUVRAGE NE SERA PAS PERDU, CAR IL REPARAÎTRA, COMME IL LE CROIT, DANS UNE NOUVELLE ÉDITION, REVUE ET CORRIGÉE PAR L'AUTEUR.
Le pauvre ouvrier qui composait cette épitaphe, après être entré en fugitif dans Philadelphie et y avoir erré sans ouvrage, y devint le législateur et le chef de l'État. Indigent, il arriva par le travail à la richesse; ignorant, il s'éleva par l'étude à la science; inconnu, il obtint par ses découvertes comme par ses services, par la grandeur de ses idées et par l'étendue de ses bienfaits, l'admiration de l'Europe et la reconnaissance de l'Amérique.
Franklin eut tout à la fois le génie et la vertu, le bonheur et la gloire. Sa vie, constamment heureuse, est la plus belle justification des lois de la Providence. Il ne fut pas seulement grand, il fut bon; il ne fut pas seulement juste, il fut aimable. Sans cesse utile aux autres, d'une sérénité inaltérable, enjoué, gracieux, il attirait par les charmes de son caractère, et captivait par les agréments de son esprit. Personne ne contait mieux que lui. Quoique parfaitement naturel, il donnait toujours à sa pensée une forme ingénieuse, et à sa phrase un tour saisissant. Il parlait comme la sagesse antique, à laquelle s'ajoutait la délicatesse moderne. Jamais morose, ni impatient, ni emporté, il appelait la mauvaise humeur la malpropreté de l'âme, et disait que la vraie politesse envers les hommes doit être la bienveillance. Son adage favori était que la noblesse était dans la vertu. Cette noblesse, qu'il aida les autres à acquérir par ses livres, il la montra lui-même dans sa conduite. Il s'enrichit avec honnêteté, il se servit de sa richesse avec bienfaisance, il négocia avec droiture, il travailla avec dévouement à la liberté de son pays et aux progrès du genre humain.
Sage plein d'indulgence, grand homme plein de simplicité, tant qu'on cultivera la science, qu'on admirera le génie, qu'on goûtera l'esprit, qu'on honorera la vertu, qu'on voudra la liberté, sa mémoire sera l'une des plus respectées et des plus chéries. Puisse-t-il être utile encore par ses exemples après l'avoir été par ses actions! L'un des bienfaiteurs de l'humanité, qu'il reste un de ses modèles!
FIN DE LA VIE DE FRANKLIN
LA SCIENCE DU BONHOMME RICHARD
OU LE CHEMIN DE LA FORTUNE
Tel qu'il est clairement indiqué dans un vieil almanach de Pensylvanie, intitulé: l'Almanach du bonhomme Richard.
AMI LECTEUR,
J'ai ouï dire que rien ne fait tant de plaisir à un auteur que de voir ses ouvrages cités par d'autres avec respect. Juge d'après cela combien je dus être content de l'aventure que je vais te raconter.
J'arrêtai dernièrement mon cheval dans un endroit où il y avait beaucoup de monde assemblé pour une vente à l'enchère. L'heure n'étant pas encore venue, l'on causait de la dureté des temps. Quelqu'un, s'adressant à un bon vieillard en cheveux blancs et assez bien mis, lui dit: «Et vous, père Abraham, que pensez-vous de ce temps-ci? Ces lourds impôts ne vont-ils pas tout à fait ruiner le pays? Comment ferons-nous pour les payer? Que nous conseilleriez-vous?»—Le père Abraham attendit un instant, puis répondit: «Si vous voulez avoir mon avis, je vais vous le donner en peu de mots, car un mot suffit au sage, comme dit le bonhomme Richard.» Chacun le priant de s'expliquer, l'on fit cercle autour de lui, et il poursuivit en ces termes:
«Mes amis, les impôts sont, en vérité, très-lourds, et pourtant, si ceux du gouvernement étaient les seuls à payer, nous pourrions encore nous tirer d'affaire; mais il y en a bien d'autres et de bien plus onéreux pour quelques-uns de nous. Nous sommes cotés pour le double au moins par notre paresse, pour le triple par notre orgueil, pour le quadruple par notre étourderie, et, pour ces impôts-là, le percepteur ne peut nous obtenir ni diminution ni délai; cependant tout n'est pas désespéré, si nous sommes gens à suivre un bon conseil: Aide-toi, le Ciel t'aidera, dit le bonhomme Richard.
I. «On regarderait comme un gouvernement insupportable celui qui exigerait de ses sujets la dixième partie de leur temps pour son service; mais la paresse est bien plus exigeante chez la plupart d'entre nous. L'oisiveté, qui amène les maladies, raccourcit beaucoup la vie. L'oisiveté, comme la rouille, use plus que le travail; la clef est claire tant que l'on s'en sert, dit le bonhomme Richard.—Vous aimez la vie, dit-il encore: ne perdez donc pas le temps, car c'est l'étoffe dont la vie est faite. Combien de temps ne donnons-nous pas au sommeil au delà du nécessaire, oubliant que renard qui dort ne prend pas de poule, et que nous aurons le temps de dormir dans la bière, comme dit le bonhomme Richard.
«Si le temps est le plus précieux des biens, la perte du temps, comme dit le bonhomme Richard, doit être la plus grande des prodigalités. Il nous dit ailleurs: Le temps perdu ne se retrouve plus;—assez de temps est toujours trop court. Ainsi donc, au travail, et pour cause! de l'activité! et nous ferons davantage avec moins de peine. L'oisiveté rend tout difficile; le travail rend tout aisé;—celui qui se lève tard traîne tout le jour, et commence à peine son ouvrage à la nuit.—Fainéantise va si lentement, que pauvreté l'atteint tout de suite.—Pousse les affaires, et qu'elles ne te poussent pas.—Se coucher tôt, se lever tôt, donnent santé, richesse et sagesse, comme dit le bonhomme Richard.
«Et que signifient ces souhaits et cet espoir d'un temps meilleur? Nous ferons le temps meilleur, si nous savons nous remuer nous-mêmes. Activité n'a que faire de souhaits; qui vit d'espoir mourra de faim;—point de gain sans peine.—Il faut m'aider de mes mains, faute de terres, ou, si j'en ai, elles sont écrasées d'impôts;—un métier est un fonds de terre, une profession est un emploi qui réunit honneur et profit; mais il faut travailler à son métier et suivre sa profession, sans quoi ni le fonds, ni l'emploi ne nous mettront en état de payer l'impôt. Si nous sommes laborieux, nous n'aurons pas à craindre la disette; car la faim regarde à la porte du travailleur; mais elle n'ose pas y entrer. Les commissaires et les huissiers n'y entreront pas non plus; car l'activité paye les dettes, tandis que le découragement les augmente. Il n'est que faire que vous trouviez un trésor ni qu'il vous arrive un riche héritage. Activité est mère de prospérité, et Dieu ne refuse rien au travail. Ainsi donc, labourez profondément pendant que les paresseux dorment, et vous aurez du blé à vendre et à garder. Travaillez pendant que c'est aujourd'hui, car vous ne savez pas combien vous en serez empêché demain. «Un aujourd'hui» vaut deux «demain,» comme dit le bonhomme Richard; et encore: Ne remets jamais à demain ce que tu peux faire aujourd'hui. Si vous étiez au service d'un bon maître, ne seriez-vous pas honteux qu'il vous surprît les bras croisés? Mais vous êtes votre propre maître. Rougissez donc de vous surprendre à rien faire, quand il y a tant à faire, pour vous-même, pour votre famille, pour votre pays. Prenez vos outils sans mitaines, souvenez-vous que chat ganté ne prend pas de souris, comme dit le bonhomme Richard. Il est vrai qu'il y a beaucoup de besogne et peut-être avez-vous le bras faible; mais tenez ferme, et vous verrez des merveilles, car, à la longue, les gouttes d'eau percent la pierre;—avec de l'activité et de la patience, la souris coupe le câble;—les petits coups font tomber de grands chênes.
«Je crois entendre quelqu'un de vous me dire: «Mais ne peut-on se donner un instant de loisir?» Je te dirai, mon ami, ce que dit le bonhomme Richard: Emploie bien ton temps, si tu songes à gagner du loisir; et puisque tu n'es pas sûr d'une minute, ne perds pas une heure. Le loisir, c'est le moment de faire quelque chose d'utile; ce loisir, l'homme actif l'obtiendra, mais le fainéant, jamais; car une vie de loisir et une vie de fainéantise sont deux.—Bien des gens voudraient vivre sans travailler, sur leur seul esprit; mais ils échouent faute de fonds. Le travail, au contraire, amène à sa suite les aises, l'abondance, la considération.—Fuyez les plaisirs et ils courront après vous.—La fileuse diligente ne manque pas de chemises;—à présent que j'ai vache et moutons, chacun me donne le bonjour.
II. «Mais indépendamment de l'amour du travail, il nous faut encore de la stabilité, de l'ordre, du soin, et veiller à nos affaires de nos propres yeux, sans nous en rapporter tant à ceux des autres; car, comme dit le bonhomme Richard, je n'ai jamais vu venir à bien arbre ou famille changés souvent de place; et encore: trois déménagements sont pires qu'un incendie. Puis ailleurs: garde ta boutique et ta boutique te gardera. Et ailleurs encore: si vous voulez que votre besogne soit faite, allez-y; si vous voulez qu'elle ne soit pas faite, envoyez-y. Le bonhomme dit aussi: Celui qui par la charrue veut s'enrichir, de sa main doit la tenir; et ailleurs: l'oeil du maître fait plus d'ouvrage que ses deux mains;—faute de soin fait plus de tort que faute de science;—ne pas surveiller vos ouvriers, c'est leur livrer votre bourse ouverte. Le trop de confiance est la ruine de plusieurs: dans les choses de ce monde, ce n'est pas la foi qui sauve, mais le doute. Le soin que l'on prend soi-même est celui qui fructifie le mieux; car, si vous voulez avoir un serviteur fidèle et qui vous plaise, servez-vous vous-même. Grand malheur naît parfois de petite négligence. Faute d'un clou, le fer du cheval se perd; faute d'un fer, on perd le cheval; faute d'un cheval, le cavalier est perdu, parce que son ennemi l'atteint et le tue: le tout, faute d'attention au clou d'un fer à cheval.
III. «C'en est assez, mes amis, sur l'activité et l'attention à nos propres affaires; il faut y ajouter l'économie, si nous voulons assurer le succès de notre travail. Un homme, s'il ne sait pas mettre de côté à mesure qu'il gagne, aura toute la vie le nez sur la meule et mourra sans le sou.—A cuisine grasse, testament maigre. Bien des fonds de terre s'en vont à mesure qu'ils viennent, depuis que les femmes oublient pour le thé le rouet et le tricot; depuis que les hommes laissent, pour le punch, la scie ou le rabot. Si vous voulez être riche, apprenez à mettre de côté pour le moins autant qu'à gagner. L'Amérique n'a pas enrichi l'Espagne, parce que ses dépenses ont toujours dépassé ses recettes.
«Laissez là toutes vos folies dispendieuses, et vous n'aurez plus tant à vous plaindre de la dureté des temps, de la pesanteur de l'impôt et des charges du ménage; car les femmes et le vin, le jeu et la mauvaise foi, font petites les richesses et grands les besoins; et, comme le dit ailleurs le bonhomme Richard, un vice coûte plus à nourrir que deux enfants.
«Vous pensez peut-être qu'un peu de thé, un peu de punch de temps à autre, un plat un peu plus recherché, des habits un peu plus brillants, une partie de plaisir par-ci, par-là, ne tirent pas à conséquence; mais souvenez-vous que les petits ruisseaux font les grandes rivières. Défiez-vous des petites dépenses. Il ne faut qu'une petite fente pour couler à fond un grand navire, dit le bonhomme Richard.—Les gens friands seront mendiants;—les fous font la noce et les sages la mangent.
«Vous voilà tous assemblés ici pour acheter des colifichets et des babioles: vous appelez cela des biens; mais si vous n'y prenez garde, cela pourra être des maux pour plusieurs d'entre vous. Vous comptez qu'ils seront vendus bon marché, et peut-être seront-ils en effet vendus au-dessous du prix courant; mais si vous n'en avez que faire, ils seront encore trop chers pour vous. Rappelez-vous ce que dit le bonhomme Richard: Achète ce qui t'est inutile, et tu vendras, sous peu, ce qui t'est nécessaire. Il dit encore: Réfléchis bien avant de profiter du bon marché; nous faisant entendre que le bon marché n'est peut-être qu'apparent, ou que l'achat, par la gêne qu'il amène, nous fera plus de mal que de bien; car il dit dans un autre endroit: Les bons marchés ont ruiné nombre de gens; et ailleurs: c'est une folie que d'employer son argent à acheter un repentir. Et cependant cette folie se renouvelle chaque jour dans les ventes, faute de penser à l'Almanach. Combien pour la parure de leurs épaules ont fait jeûner leur ventre, et presque réduit leur famille à mourir de faim! Soie et satin, écarlate et velours, éteignent le feu de la cuisine, dit le bonhomme Richard; loin d'être les nécessités de la vie, ils en sont à peine les commodités, et pourtant, parce qu'ils brillent à la vue, combien de gens s'en font un besoin! Par ces extravagances et autres semblables, les gens du bel air sont réduits à la pauvreté et forcés d'emprunter à ceux qu'ils méprisaient auparavant, mais qui se sont maintenus par l'activité et l'économie; ce qui prouve qu'un laboureur sur ses pieds est plus grand qu'un gentilhomme à genoux, comme dit le bonhomme Richard. Peut-être avaient-ils reçu quelque petit héritage sans savoir comment cette fortune avait été acquise: «Il est jour, pensaient-ils, il ne sera jamais nuit; que fait une si mesquine dépense sur une telle somme?» Mais, à force de puiser à la huche sans y rien mettre, on en trouve le fond, comme dit le bonhomme Richard; et c'est alors, c'est quand le puits est à sec, que l'on sait le prix de l'eau. Mais, direz-vous, c'est ce qu'ils auraient su plus tôt, s'ils avaient suivi le conseil du bonhomme Richard: «Voulez-vous savoir le prix de l'argent, allez et essayez d'en emprunter.» Qui va à l'emprunt cherche un affront; et de fait, il en arrive autant à celui qui prête à certaines gens, quand il veut rentrer dans ses fonds.
«Le bonhomme Richard nous avertit et nous dit: L'orgueil de la parure est une vraie malédiction; avant de consulter votre fantaisie, consultez votre bourse. Il nous dit aussi: L'orgueil est un mendiant qui crie aussi haut que le besoin et avec bien plus d'effronterie. Avez-vous fait emplette d'une jolie chose, il vous en faut acheter dix autres, pour que vos acquisitions anciennes et nouvelles ne jurent pas entre elles. Aussi, dit le bonhomme Richard, il est plus aisé de réprimer le premier désir que de contenter tous ceux qui suivent. Le pauvre qui singe le riche est véritablement aussi fou que la grenouille qui s'enfle pour égaler le boeuf en grosseur. Les grands vaisseaux peuvent risquer davantage, mais les petits bateaux ne doivent pas s'écarter du rivage.
«Au surplus, les folies de cette nature sont assez vite punies; car, comme dit le bonhomme Richard: L'orgueil qui dîne de vanité soupe de mépris.—L'orgueil déjeune avec l'abondance, dîne avec la pauvreté, et soupe avec la honte.
«Et que revient-il, après tout, de cette envie de paraître pour laquelle on a tant de risques à courir et tant de peines à subir? Elle ne peut conserver un jour de plus la santé, ni adoucir la souffrance. Elle n'ajoute pas un grain au mérite de la personne; elle éveille la jalousie, elle hâte le malheur.
«Quelle sottise n'est-ce pas de s'endetter pour de telles superfluités! Dans cette vente-ci, l'on vous offre six mois de crédit, et c'est peut-être là ce qui a engagé quelques-uns de nous à s'y rendre, parce que, n'ayant pas d'argent à débourser, nous espérons nous parer gratuitement. Mais pensez-vous à ce que vous faites en vous endettant? Vous donnez à autrui pouvoir sur votre liberté. Si vous ne payez pas au terme fixé, vous rougirez de voir votre créancier; vous tremblerez en lui parlant: vous inventerez de pitoyables excuses, et, par degrés, vous arriverez à perdre votre franchise, vous tomberez dans les mensonges les plus tortueux et les plus vils; car mentir n'est que le second vice; le premier est de s'endetter, dit le bonhomme Richard;—le mensonge monte en croupe de la dette, dit-il encore à ce sujet. Un homme né libre ne devrait jamais rougir ni trembler devant tel homme vivant que ce soit; mais souvent la pauvreté efface et courage et vertu.—Il est difficile à un sac vide de se tenir debout. Que penseriez-vous d'un gouvernement qui vous défendrait par un édit de vous habiller comme un grand seigneur ou comme une grande dame, sous peine de prison ou de servitude? Ne direz-vous pas que vous êtes libres; que vous avez le droit de vous habiller comme bon vous semble; qu'un tel édit est un attentat formel à vos priviléges, qu'un tel gouvernement est tyrannique?—et cependant vous consentez à vous soumettre à une tyrannie semblable, dès l'instant où vous vous endettez pour briller! Votre créancier est autorisé à vous priver, selon son bon plaisir, de votre liberté, en vous confinant pour la vie dans une prison, ou bien en vous vendant comme esclave si vous n'êtes pas en état de le payer. Quand vous avez fait votre marché, peut-être ne songiez-vous guère au payement; mais, comme dit le bonhomme Richard, les créanciers ont meilleure mémoire que les débiteurs.—Les créanciers, dit-il encore, forment une secte superstitieuse, observatrice des jours et des temps. Le jour de l'échéance arrive avant que vous l'ayez vu venir, et l'on monte chez vous avant que vous soyez en mesure; ou bien, si votre dette est présente à votre esprit, le terme, qui vous avait d'abord paru si long, vous paraîtra bien peu de chose à mesure qu'il s'accourcit; vous croirez que le temps s'est mis des ailes aux talons comme aux épaules.—Le carême est bien court pour qui doit payer à Pâques.
«Peut-être vous croyez-vous à ce moment en position de faire, sans préjudice, quelques petites extravagances; mais alors épargnez, pendant que vous le pouvez, pour le temps de la vieillesse et du besoin.—Le soleil du matin ne brille pas tout le jour. Le gain est passager et incertain; mais la dépense sera, toute votre vie, continuelle et certaine; et il est plus aisé de bâtir deux cheminées que d'en tenir une chaude, comme dit le bonhomme Richard; ainsi, ajoute-t-il, allez plutôt vous coucher sans souper que de vous lever avec une dette. Gagnez ce que vous pouvez, et tenez bien ce que vous gagnez: voilà la pierre qui changera votre plomb en or; et quand vous posséderez cette pierre philosophale, soyez sûrs que vous ne vous plaindrez plus de la dureté des temps ni de la difficulté à payer l'impôt.
IV. «Cette doctrine, mes amis, est celle de la raison et de la sagesse; n'allez pas cependant vous confier uniquement à l'activité, à l'économie, à la prudence, bien que ce soient d'excellentes choses. Car elles vous seraient tout à fait inutiles sans la bénédiction du Ciel. Demandez donc humblement cette bénédiction, et ne soyez pas sans charité pour ceux qui paraissent en avoir besoin présentement, mais consolez-les et aidez-les. N'oubliez pas que Job fut bien misérable, et qu'ensuite il redevint heureux.
«Et maintenant, pour terminer: l'expérience tient une école qui coûte cher; mais c'est la seule où les insensés puissent s'instruire, comme dit le bonhomme Richard, et encore n'y apprennent-ils pas grand'chose. Il a bien raison de dire que l'on peut donner un bon avis, mais non la conduite. Toutefois, rappelez-vous ceci: qui ne sait pas être conseillé, ne peut être secouru; et puis ces mots encore: si vous n'écoutez pas la raison, elle ne manquera pas de vous donner sur les doigts, comme dit le bonhomme Richard.»
Le Vieillard finit ainsi sa harangue. On l'avait écouté; on approuva ce qu'il venait de dire et l'on fit sur-le-champ le contraire, précisément comme il arrive, aux sermons ordinaires; car la vente s'ouvrit et chacun enchérit de la manière la plus extravagante.—Je vis que ce brave homme avait soigneusement étudié mes Almanachs et digéré tout ce que j'avais dit sur ces matières pendant vingt-cinq ans. Les fréquentes citations qu'il avait faites eussent fatigué tout autre que l'auteur cité; ma vanité en fut délicieusement affectée, bien que je n'ignorasse pas que, dans toute cette sagesse, il n'y avait pas la dixième partie qui m'appartînt et que je n'eusse glanée dans le bon sens de tous les siècles et de tous les pays. Quoi qu'il en soit, je résolus de mettre cet écho à profit pour moi-même; et, bien que d'abord je fusse décidé à m'acheter un habit neuf, je me retirai, déterminé à faire durer le vieux.
Ami lecteur, si tu peux en faire autant, tu y gagneras autant que moi.
CONSEILS POUR FAIRE FORTUNE PAR FRANKLIN
I
AVIS D'UN VIEIL OUVRIER À UN JEUNE OUVRIER
Souvenez-vous que le temps est de l'argent. Celui qui, par son travail, peut gagner dix francs par jour, et qui se promène ou reste oisif une moitié de la journée, quoiqu'il ne débourse que quinze sous pendant ce temps de promenade ou de repos, ne doit pas se borner à faire compte de ce déboursé seulement: il a réellement dépensé, disons mieux, il a jeté cinq francs de plus.
Souvenez-vous que le crédit est de l'argent. Si un homme me laisse son argent dans les mains après l'échéance de ma dette, il m'en donne l'intérêt, ou tout le produit que je puis en retirer pendant le temps qu'il me le laisse. Le bénéfice monte à une somme considérable pour un homme qui a un crédit étendu et solide, et qui en fait un bon usage.
Souvenez-vous que l'argent est de nature à se multiplier par lui-même. L'argent peut engendrer l'argent; les petits qu'il a faits en font d'autres plus facilement encore, et ainsi de suite. Cinq francs employés en valent six; employés encore, ils en valent sept et vingt centimes, et proportionnellement ainsi jusqu'à cent louis. Plus les placements se multiplient, plus ils se grossissent; et c'est de plus en plus vite que naissent les profits. Celui qui tue une truie pleine, en anéantit toute la descendance, jusqu'à la millième génération. Celui qui engloutit un écu, détruit tout ce que cet écu pouvait produire, et jusqu'à des centaines de francs.
Souvenez-vous qu'une somme de cinquante écus par an peut s'amasser en n'épargnant guère plus de huit sous par jour. Moyennant cette faible somme, que l'on prodigue journellement sur son temps ou sur sa dépense, sans s'en apercevoir, un homme, avec du crédit, a, sur sa seule garantie, la possession constante et la jouissance de mille écus à cinq pour cent. Ce capital, mis activement en oeuvre par un homme industrieux, produit un grand avantage.
Souvenez-vous du proverbe: Le bon payeur est le maître de la bourse des autres. Celui qui est connu pour payer avec ponctualité et exactitude à l'échéance promise, peut, en tout temps, en toute occasion, jouir de tout l'argent dont ses amis peuvent disposer; ressource parfois très-utile. Après le travail et l'économie, rien ne contribue plus au succès d'un jeune homme dans le monde que la ponctualité et la justice dans toute affaire: c'est pourquoi, lorsque vous avez emprunté de l'argent, ne le gardez jamais une heure au delà du terme où vous avez promis de le rendre, de peur qu'une inexactitude ne vous ferme pour toujours la bourse de votre ami.
Les moindres actions sont à observer en fait de crédit. Le bruit de votre marteau qui, à cinq heures du matin, ou à neuf heures du soir, frappe l'oreille de votre créancier, le rend facile pour six mois de plus: mais s'il vous voit à un billard, s'il entend votre voix au cabaret, lorsque vous devez être à l'ouvrage, il envoie pour son argent dès le lendemain, et le demande avant de le pouvoir toucher tout à la fois. C'est par ces détails que vous montrez si vos obligations sont présentes à votre pensée; c'est par là que vous acquérez la réputation d'un homme d'ordre, aussi bien que d'un honnête homme, et que vous augmentez encore votre crédit.
Gardez-vous de tomber dans l'erreur de plusieurs de ceux qui ont du crédit, c'est-à-dire de regarder comme à vous tout ce que vous possédez, et de vivre en conséquence. Pour prévenir ce faux calcul, tenez à mesure un compte exact, tant de votre dépense que de votre recette. Si vous prenez d'abord la peine de mentionner jusqu'aux moindres détails, vous en éprouverez de bons effets; vous découvrirez avec quelle étonnante rapidité une addition de menues dépenses monte à une somme considérable, et vous reconnaîtrez combien vous auriez pu économiser pour l'avenir, sans vous occasionner une grande gêne.
Enfin, le chemin de la fortune sera, si vous le voulez, aussi uni que celui du marché. Tout dépend surtout de deux mots: travail et économie; c'est-à-dire, de ne dissiper ni le temps, ni l'argent, mais de faire de tous deux le meilleur usage qu'il est possible. Sans travail et sans économie, vous ne ferez rien; avec eux, vous ferez tout. Celui qui gagne tout ce qu'il peut gagner honnêtement, et qui épargne tout ce qu'il gagne, sauf les dépenses nécessaires, ne peut manquer de devenir riche, si toutefois cet Être qui gouverne le monde, et vers lequel tous doivent lever les yeux pour obtenir la bénédiction de leurs honnêtes efforts, n'en a pas, dans la sagesse de sa Providence, décidé autrement.
II
AVIS NÉCESSAIRES A CEUX QUI VEULENT ÊTRE RICHES
La possession de l'argent n'est avantageuse que par l'usage qu'on en fait.
Avec six louis par an vous pouvez avoir l'usage d'un capital de cent louis, pourvu que vous soyez d'une prudence et d'une honnêteté reconnues.
Celui qui fait par jour une dépense inutile de huit sous, dépense inutilement plus de six louis par an, ce qui est le prix que coûte l'usage d'un capital de cent louis.
Celui qui perd chaque jour dans l'oisiveté pour huit sous de son temps, perd l'avantage de se servir d'une somme de cent louis tous les jours de l'année.
Celui qui prodigue, sans fruit, pour cinq francs de son temps, perd cinq francs tout aussi sagement que s'il les jetait dans la mer.
Celui qui perd cinq francs, perd non-seulement ces cinq francs, mais tous les profits qu'il en aurait encore pu retirer en les faisant travailler, ce qui, dans l'espace de temps qui s'écoule entre la jeunesse et l'âge avancé, peut monter à une somme considérable.
III
AUTRE AVIS
Celui qui vend à crédit demande de l'objet qu'il vend un prix équivalent au principal et à l'intérêt de son argent, pour le temps pendant lequel il doit en rester privé; celui qui achète à crédit paye donc un intérêt pour ce qu'il achète; et celui qui paye en argent comptant pourrait placer cet argent à intérêt; ainsi, celui qui possède une chose qu'il a achetée, paye un intérêt pour l'usage qu'il en fait.
Toutefois, dans ses achats, il est mieux de payer comptant, parce que celui qui vend à crédit, s'attendant à perdre cinq pour cent en mauvaises créances, augmente d'autant le prix de ce qu'il vend à crédit pour se couvrir de cette différence.
Celui qui achète à crédit paye sa part de cette augmentation. Celui qui paye argent comptant y échappe, ou peut y échapper.
IV
MOYENS D'AVOIR TOUJOURS DE L'ARGENT DANS SA POCHE
Dans ce temps, où l'on se plaint généralement que l'argent est rare, ce sera faire acte de bonté que d'indiquer aux personnes qui sont à court d'argent, le moyen de pouvoir mieux garnir leurs poches. Je veux leur enseigner le véritable secret de gagner de l'argent, la méthode infaillible pour remplir les bourses vides, et la manière de les garder toujours pleines. Deux simples règles, bien observées, en feront l'affaire.
Voici la première: Que la probité et le travail soient vos compagnons assidus.
Et la seconde: Dépensez un sou de moins par jour que votre bénéfice net.
Par là, votre poche si plate commencera bientôt à s'enfler, et n'aura plus à crier jamais que son ventre est vide; vous ne serez pas maltraité par des créanciers, pressé par la misère, rongé par la faim, glacé par la nudité. Le ciel brillera pour vous d'un éclat plus vif, et le plaisir fera battre votre coeur. Hâtez-vous donc d'embrasser ces règles et d'être heureux. Écartez loin de votre esprit le souffle glacé du chagrin et vivez indépendant. Alors vous serez un homme, et vous ne cacherez point votre visage à l'approche du riche; vous n'éprouverez point de déplaisir de vous sentir petit lorsque les fils de la fortune marcheront à votre droite; car l'indépendance, avec peu ou beaucoup, est un sort heureux, et vous place de niveau avec les plus fiers de ceux que décorent les ordres et les rubans. Oh! soyez donc sages; que le travail marche avec vous dès le matin; qu'il vous accompagne jusqu'au moment où le soir vous amènera l'heure du sommeil. Que la probité soit comme l'âme de votre âme, et n'oubliez jamais de conserver un sou de reste, après toutes vos dépenses comptées et payées; alors vous aurez atteint le comble du bonheur, et l'indépendance sera votre cuirasse et votre bouclier, votre casque et votre couronne; alors vous marcherez tête levée sans vous courber devant des habits de soie parce qu'ils seront portés par un misérable qui aura des richesses, sans accepter un affront parce que la main qui vous l'offrira étincellera de diamants.
V
LE SIFFLET
A mon avis il serait très-possible pour nous de tirer de ce bas monde beaucoup plus de bien, et d'y souffrir moins de mal, si nous voulions seulement prendre garde de ne donner pas trop pour nos sifflets; car il me semble que la plupart des malheureux qu'on trouve dans le monde sont devenus tels par leur négligence de cette précaution.
Vous demandez ce que je veux dire? Vous aimez les histoires, et vous m'excuserez si je vous en donne une qui me regarde moi-même.
Quand j'étais un enfant de cinq ou six ans, mes amis, un jour de fête, remplirent ma petite poche de sous. J'allai tout de suite à une boutique où on vendait des babioles; mais, étant charmé du son d'un sifflet que je rencontrai en chemin dans les mains d'un autre petit garçon, je lui offris et lui donnai volontiers pour cela tout mon argent. Revenu chez moi, sifflant par toute la maison, fort content de mon achat, mais fatiguant les oreilles de toute la famille, mes frères, mes soeurs, mes cousines, apprenant que j'avais tant donné pour ce mauvais bruit, me dirent que c'était dix fois plus que la valeur. Alors ils me firent penser au nombre de bonnes choses que j'aurais pu acheter avec le reste de ma monnaie, si j'avais été plus prudent: ils me ridiculisèrent tant de ma folie, que j'en pleurai de dépit, et la réflexion me donna plus de chagrin que le sifflet de plaisir.
Cet accident fut cependant, dans la suite, de quelque utilité pour moi, l'impression restant sur mon âme; de sorte que, lorsque j'étais tenté d'acheter quelque chose qui ne m'était pas nécessaire, je disais en moi-même: Ne donnons pas trop pour le sifflet, et j'épargnais mon argent.
Devenant grand garçon, entrant dans le monde et observant les actions des hommes, je vis que je rencontrais nombre de gens qui donnaient trop pour le sifflet.
Quand j'ai vu quelqu'un qui, ambitieux de la faveur de la cour, consumait son temps en assiduités aux levers, son repos, sa liberté, sa vertu, et peut-être même ses vrais amis pour obtenir quelque petite distinction, j'ai dit en moi-même: Cet homme donne trop pour son sifflet.
Quand j'en ai vu un autre, avide de se rendre populaire, et pour cela s'occupant toujours de contestations publiques, négligeant ses affaires particulières, et les ruinant par cette négligence: Il paye trop, ai-je dit, pour son sifflet.
Si j'ai connu un avare qui renonçait à toute manière de vivre commodément, à tout le plaisir de faire du bien aux autres, à toute l'estime de ses compatriotes et à tous les charmes de l'amitié pour avoir un morceau de métal jaune: Pauvre homme, disais-je, vous donnez trop pour votre sifflet.
Quand j'ai rencontré un homme de plaisir, sacrifiant tout louable perfectionnement de son âme, et toute amélioration de son état, aux voluptés du sens purement corporel, et détruisant sa santé dans leur poursuite: Homme trompé, ai-je dit, vous vous procurez des peines au lieu des plaisirs; vous payez trop pour votre sifflet.
Si j'en ai vu un autre, entêté de beaux habillements, belles maisons, beaux meubles, beaux équipages, tous au-dessus de sa fortune, qu'il ne se procurait qu'en faisant des dettes, et en allant finir sa carrière dans une prison: Hélas! ai-je dit, il a payé trop pour son sifflet.
Quand j'ai vu une très-belle fille, d'un naturel bon et doux, mariée à un homme féroce et brutal, qui la maltraite continuellement: C'est grand' pitié, ai-je dit, qu'elle ait tant payé pour un sifflet.
Enfin j'ai conçu que la plus grande partie des malheurs de l'espèce humaine viennent des estimations fausses qu'on fait de la valeur des choses, et de ce qu'on donne trop pour les sifflets.
Néanmoins, je sens que je dois avoir de la charité pour ces gens malheureux, quand je considère qu'avec toute la sagesse dont je me vante, il y a certaines choses, dans ce bas monde, si tentantes, que, si elles étaient mises à l'enchère, je pourrais être très-facilement porté à me ruiner par leur achat, et trouver que j'aurais encore une fois donné trop pour le sifflet.
TABLE DES MATIÈRES
Avertissement.
PREMIÈRE PARTIE
CHAPITRE PREMIER
Enseignements qu'offre la vie de Franklin.
CHAPITRE II
Origine de Franklin.—Sa famille.—Son éducation.—Ses premières occupations chez son père.—Son apprentissage chez son frère James Franklin comme imprimeur.—Ses lectures et ses opinions.
CHAPITRE III
Relâchement de Franklin dans ses croyances et dans sa conduite.—Ses fautes, qu'il appelle ses errata.
CHAPITRE IV
Croyance philosophique de Franklin.—Son art de la vertu.—Son algèbre morale.—Le perfectionnement de sa conduite.
CHAPITRE V
Moyens qu'emploie Franklin pour s'enrichir.—Son imprimerie.—Son journal.—Son Almanach populaire et sa Science du bonhomme Richard.—Son mariage, la réparation de ses fautes.—Age auquel, se trouvant assez riche, il quitte les affaires commerciales pour les travaux de la science et pour les affaires publiques.
CHAPITRE VI
Établissements d'utilité publique et d'instruction fondés par Franklin.—Influence qu'ils exercent sur la civilisation matérielle et morale de l'Amérique.—Ses inventions et ses découvertes comme savant.—Grandeur de ses bienfaits et de sa renommée.
DEUXIÈME PARTIE
CHAPITRE VII
Vie publique de Franklin.—Divers emplois dont il est investi par la confiance du gouvernement et par celle de la colonie.—Son élection à l'Assemblée législative de la Pensylvanie.—Influence qu'il y exerce.—Ses services militaires pendant la guerre avec la France.—Ses succès à Londres comme agent et défenseur de la colonie contre les prétentions des descendants de Guillaume Penn, qui en possédaient le gouvernement héréditaire.
CHAPITRE VIII
Seconde mission de Franklin à Londres.—Ses habiles négociations pour empêcher une rupture entre l'Angleterre et l'Amérique, au sujet des taxes imposées arbitrairement par la métropole à ses colonies.—Objet et progrès de cette grande querelle.—Rôle qu'y joue Franklin.—Sa prévoyance et sa fermeté.—Écrits qu'il publie.—Trames qu'il découvre.—Outrages auxquels il est en butte devant le conseil privé d'Angleterre.—Calme avec lequel il les reçoit, et souvenir profond qu'il en conserve.
CHAPITRE IX
Destitution de Franklin comme maître général des postes en Amérique.—Mesures prises contre Boston et la colonie de Massachussets.—Réunion à Philadelphie d'un congrès général conseillé par Franklin.—Nobles suppliques de ce congrès transmises à Franklin, et repoussées par le roi et les deux chambres du parlement.—Plans de conciliation présentés par Franklin.—Magnifique éloge que fait de lui lord Chatham dans la chambre des pairs.—Son départ pour l'Amérique.
CHAPITRE X
Retour de Franklin en Amérique.—Sa nomination et ses travaux comme membre de l'assemblée de Pensylvanie et du congrès colonial.—Résistance armée des treize colonies.—Leur mise hors de la protection et de la paix du roi par le parlement britannique.—Leur déclaration solennelle d'indépendance, et leur constitution en États-Unis.—Organisation politique de la Pensylvanie sous l'influence de Franklin.—Mission sans succès de lord Howe en Amérique.—Premières victoires des Anglais.—Situation périlleuse des Américains.—Envoi de Franklin en France pour y demander du secours et y négocier une alliance.
CHAPITRE XI
Accueil que Franklin reçoit en France.—Proposition faite à Louis XVI, par M. de Vergennes, de soutenir la cause des États-Unis immédiatement après leur déclaration d'indépendance.—Secours particuliers qu'il leur donne.—Démarches actives de Franklin auprès de la France, de l'Espagne, de la Hollande.—Son établissement à Passy.—Résistance magnanime de Washington à l'invasion anglaise à Trenton, à Princeton, à Germantown.—Victoire remportée par le général américain Gates sur le général anglais Burgoyne, forcé de se rendre à Saratoga.—Traité d'alliance et de commerce conclu par Franklin entre les États-Unis et la France, le 6 février 1778.—Sa présentation à la cour.—Enthousiasme dont il est l'objet; sa rencontre avec Voltaire.
CHAPITRE XII
Tentatives de réconciliation faites auprès de Franklin par le gouvernement anglais.—Bills présentés par lord North et votés par le gouvernement britannique.—Ils sont refusés en Amérique.—Diversion que la guerre contre l'Angleterre de la part de la France, de l'Espagne et de la Hollande, amène en faveur des États-Unis.—Succès des alliés.—Démarches et influence de Franklin.—Expédition française conduite par Rochambeau, qui, de concert avec Washington, force lord Cornwallis et l'armée anglaise à capituler dans York-Town.—Négociations pour la paix.—Signature par Franklin du traité de 1783, qui consacre l'indépendance des États-Unis, que l'Angleterre est réduite à reconnaître.
CHAPITRE XIII
Faiblesse des gouvernements fédératifs.—Nécessité de fortifier l'Union américaine.—Retour de Franklin à Philadelphie.—Admiration et reconnaissance qu'il excite.—Sa présidence de l'État de Pensylvanie.—Sa nomination à la convention chargée de reviser le pacte fédéral et de donner aux États-Unis leur constitution définitive.—Sa retraite.—Sa mort.—Deuil public en Amérique et en France.—Conclusion.
La Science du bonhomme Richard.
Conseils pour faire fortune.
FIN DE LA TABLE DES MATIÈRES
End of Project Gutenberg's Vie de Franklin, by Francois-Auguste Mignet