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Voyage d'un jeune grec à Paris (Vol. 2 of 2)

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CHAPITRE XLVII.

Fête de la Rosière.

«Dans certains cantons on a du plaisir, même en prenant part à une bonne action. À Salency, à Surène et ailleurs nous avons vu rétablir une institution philantropique que l'on devait à la sagesse du dernier siècle. Les moeurs des campagnes fixèrent l'attention générale des gens riches et bienfaisans. On crut avoir trouvé le moyen le plus simple de conserver ou de faire renaître la vertu, en excitant l'émulation par des récompenses; et des honneurs mérités semblèrent dédommager l'innocence des sacrifices souvent imposés par des devoirs sévères. Quelquefois peut-être on favorisa les calculs de l'hypocrisie, mais bien certainement on diminua toujours le nombre des scandales. Des prix furent fondés à perpétuité. Chaque année, au jour fixé par le fondateur, ils sont accordés à la vierge la plus vertueuse du hameau. Un jury, formé d'hommes irréprochables, est chargé d'examiner, avec un soin scrupuleux, la conduite des jeunes filles. Quelle tâche! il faut écouter l'éloge et le blâme; il faut peser dans la balance tous les caquets; les vertus y sont passées pour ainsi dire au crible, comme le froment des champs. Après l'épuration, il ne faut pas qu'on aperçoive le plus petit grain d'ivraie; cette plante maudite ne peut s'allier avec la couronne destinée à la Rosière, dont les fleurs doivent être pures et sans mélange. Le grand jour est enfin arrivé; tout s'émeut; tout est joyeux au village. Incertaine de son sort, la jalousie se tait, l'envie dissimule; la méchanceté parle bas; l'espoir sourit à toutes les mères; est-il trompé? un avenir plus heureux console. Cependant toute la jeunesse se pare de ses plus beaux habits; des tables nombreuses sont dressées. On fait en tout genre d'immenses préparatifs; on n'entend partout que les chants de la gaîté et les accens du bonheur.

«Le temple champêtre est revêtu d'antiques tapisseries; l'autel est orné comme au jour du patron. Un dais de velours s'élève dans le sanctuaire pour le prélat qui sanctifie la pieuse cérémonie; un trône richement décoré reçoit la présidente de la fête, de charmantes quêteuses[93]; et plus bas, sur ses degrés, les introductrices de la Rosière.

«Toutes les aspirantes à la couronne de rose sont placées sur un vaste amphithéâtre, et il est à remarquer que le portrait d'une Magdeleine pénitente, qui m'a paru très-bien peinte, se trouve précisément suspendu tout à côté d'elles. Le donataire aurait-il voulu leur rappeler que le repentir doit succéder à la perte de l'innocence, si par fragilité, elles faisaient quelques faux pas? Vêtues de blanc, ces jolies villageoises portent de légères écharpes bleues, et ressemblent presque toutes par leurs grâces naïves, aux fleurs des prairies qui environnent leurs chaumières. Les cloches s'ébranlent; au son des flûtes et des hauts-bois, le clergé, précédé de la garde de l'endroit, et de l'étendard de Marie, reçoit pompeusement le cortége d'usage, et introduit trois jeunes filles, définitivement désignées par le choix des juges.

Après certains préliminaires prescrits par les statuts de la fondation, les juges donnent de nouveau leurs suffrages sur ces trois candidats; leurs votes sont déposés dans une urne; et celle qui obtient le plus de voix, est publiquement proclamée rosière, par un des vicaires du curé, qui bénit la couronne de rose et la rosière elle-même, assistée par deux petites demoiselles à peine sorties de l'enfance. La rosière s'avance et s'incline devant la présidente; celle-ci lui met au doigt un anneau, lui donne une bourse, et place sur sa tête la couronne de la vertu; un discours est ensuite prononcé; ordinairement l'orateur y présente le but et les avantages de l'institution, y fait l'éloge du fondateur, adresse une exhortation touchante à celles qui sont l'objet de ce religieux concours; et finit par complimenter la présidente, les juges et les autorités du lieu. On se rend ensuite en procession à la maison de la rosière, qui trouve à sa porte un peuplier fraîchement planté, sur lequel flottent des banderoles de toutes couleurs; on conduit enfin l'héroïne de la sagesse chez le maire, où l'attend une dot de cent écus, un festin splendide, une fête complète, et presque l'assurance d'un heureux mariage, qui très-souvent, se réalise quelques jours après.»

Philoménor enchanté de ce récit, ne put s'empêcher de désirer qu'un pareil usage se propageât en France; et il forma le projet de le transporter en Grèce, si des circonstances heureuses le lui permettaient.

CHAPITRE XLVIII.

Domestiques.—Grands restaurans.—Les gastronomes.—Dîner de jeunes gens.—Cuisines en plein air.—Restaurans de la moyenne propriété.—Tailleurs à la mode.—Demoiselles de salle.—Leurs caquets.—Leurs habitudes.—Garçons servans.

Philoménor avait loué un hôtel à Paris; il s'était entouré d'excellens domestiques qu'il avait choisis, presque tous, parmi les jeunes commissionnaires, hommes pour la plupart bien tournés, vifs, alertes, intelligens, connaissant parfaitement tous les quartiers de Paris, ordinairement très-fidèles par principes, par une heureuse habitude, et par un effet de l'espèce de surveillance qu'ils exercent quelquefois les uns sur les autres; il était persuadé qu'ils étaient souvent plus dignes de confiance que ceux que l'on prend dans les bureaux[94], et qui se présentent avec des certificats mendiés et obtenus des maîtres, forcés, par importunité, de mentir à leur conscience, et d'accorder des attestations favorables, pour ainsi dire, malgré eux.

Quoique mon Grec en formant ainsi sa maison, eût chez lui un excellent cuisinier, il se plaisait à manger chez les meilleurs restaurateurs; et nous y dînions souvent ensemble. «Ce restaurant, lui dis-je un jour, est, comme vous l'apercevez, le rendez-vous des gens les plus distingués, de ce qu'on appelle les gens comme il faut; et ce mérite est bien senti par certains personnages qui, parce qu'ils les fréquentent, se croient d'une grande importance; voyez-les entrer: quelle arrogance! quelle expression de hauteur et de dédain dans ce jeune mirliflore! comme il fait retentir dans les salles le fer de ses bottes et le cliquetis de ses éperons! ne le croirait-on pas dans une académie d'équitation? Il s'assied, ou plutôt il s'étale, il se mire, il s'ajuste, il se sourit, relève ses cheveux, boucle ses favoris, jette nonchalamment un coup-d'oeil sur la carte, demande avant le potage, des vins rares, des mets recherchés. Il a dîné avec humeur; il était seul, il se lève, fait une seconde toilette; il monte son col, développe son jabot, agite sa cravache, paye en or, et laisse les garçons émerveillés des marques de sa munificence, dont l'usurier de telle petite rue a fait tous les frais ce matin.»

«Ce portrait est assez ressemblant, me dit Philoménor; mais voyez encore ce fin gourmet qui était au premier service quand nous sommes entrés, et qui ne fait que commander le second; il dépèce, il savoure, il dévore; avec quelle attention il manie cette précieuse bouteille de vin étranger, de peur qu'il ne dépose! cet homme semble ne vivre et ne respirer que pour manger.» «Mais ce que vous ne savez pas, ajoutai-je, on assure qu'il se prépare à son dîner dès la pointe du jour; c'est la principale action de sa journée; s'il se baigne, s'il prend l'air, s'il boit son verre d'absinthe, c'est pour exciter son appétit; jadis, il a connu les plaisirs de la jeunesse, il s'y est trop livré, il a vieilli avant l'âge; aujourd'hui presque tous ses sens sont émoussés, il ne lui reste plus qu'un palais très-fin et très-délicat, et ce palais est tout pour lui; il est son Dieu.» «Et que dites-vous, reprit mon Grec, de cette femme de quarante-cinq ans au moins, dont la mise est si soignée; elle est couleur de rose de la tête aux pieds; n'a-t-elle pas l'air de se croire à l'âge de quinze ans? Son jargon est presque enfantin; elle semble affecter la timide candeur du premier âge; avec quelle avidité elle parcourt la carte! Quels apprêts méticuleux elle exige pour son dîner! L'entendez-vous? l'eau filtrée est contraire à sa santé; par ordre du jeune docteur qui la dirige, elle ne boit que les eaux de Seltz qu'elle mêle délicieusement avec du vieux Mâcon. Oh! les jolis petits meubles qu'elle tire de son sac! avec quelle symétrie elle sait les ranger!» J'arrêtai Philoménor, qui n'était méchant que lorsque nous étions seuls et dans l'intimité. «N'allez pas plus loin, mon cher ami, lui dis-je; je vous en conjure: si, entre hommes, il nous est permis de nous censurer et de rire à nos dépens, au moins, nous devons les plus grands égards et la plus grande indulgence au beau sexe. Ces conseils inspirés par l'amitié et dictés par une galanterie toute française, furent interrompus par un nouvel incident. Depuis long-temps on causait fort haut dans un appartement voisin du salon où nous avions dîné; on y fredonnait l'ariette nouvelle, on y répétait mille refrains joyeux, mais surtout on y riait aux éclats, et de temps en temps on semblait y folâtrer. Tout à coup nous crûmes entendre des lustres tomber. «Qu'y a-t-il donc? me dit Philoménor épouvanté. Bon Dieu! serait-ce encore une explosion du gaz?» «Rassurez-vous, Monsieur, lui dit le garçon qui nous servait; le maître du restaurant n'a pas voulu qu'on l'introduisît ici; dans ce cabinet particulier, ajouta-t-il en souriant, sont des jeunes gens très-comme il faut, qui, à tour de rôle, se donnent à dîner depuis huit jours; et je puis vous l'assurer, des princes ne font pas une chère plus délicate. Ce sont les meilleurs enfans du monde; si, en faisant quelques folies, ils cassent des porcelaines ou d'autres objets, il est inutile de les taxer, ils en payent toujours la valeur au double. Cependant, on avait sonné dans ce cabinet qui venait de fixer notre attention; et peu d'instans après nous apprîmes que des bouteilles de vin de champagne dont le bouchon avait sauté en l'air, étaient la cause très-innocente de tout ce tapage; pour n'en rien perdre, on avait voulu les boire promptement; on les avait prises avec trop de précipitation; des seaux pleins de glace où ces bouteilles étaient à rafraîchir, avaient été renversés, et dans leur chute avaient imité le bruit de lustres qui tombent sur un parquet, ou d'un service de cristal qui se brise en mille morceaux.

De notre place nous avions aperçu cette réunion si gaie; mais les convives avaient eu l'air de se soustraire à l'oeil des importuns. La porte du cabinet où se donnait la fête avait été fermée; et quoique Philoménor eût bien désiré connaître d'autres détails sur cette petite orgie, sa curiosité fut désappointée: tout se passa en comité secret.

«Ce restaurant, mon cher ami, dis-je à mon Grec, a beaucoup d'habitués; aussi, tout y est-il attrayant; les mets les plus rares et les plus communs y sont préparés et disposés avec des soins particuliers et des accessoires qui séduisent les yeux avant de frapper l'odorat et de flatter le goût. On n'oublie pas de vous étaler la beauté et la finesse du linge, l'éclat des cristaux, le poli de la vaisselle plate et des couverts de vermeil. Remarquez encore avec quel art, sur ce buffet, des vases remplis de fleurs de la saison, s'entremêlent avec ces corbeilles où, sur un lit de mousse, s'élèvent en pyramides, la fraise des Alpes, la cerise d'Orient, l'abricot d'Arménie, la prune de Damas, la pêche de Montreuil, le raisin de Corynthe, l'ananas du Pérou et l'orange de la Chine. Faisons cependant ensemble une réflexion importante: tandis que nous profitons de ces avantages, beaucoup de Français en sont privés et n'en vivent pas moins très-agréablement. Vous ne connaissez que les restaurateurs des plus hautes classes; mais non de ceux d'une honnête médiocrité. Ce n'est qu'en vous asseyant aux tables des seconde, troisième et même quatrième catégories, que vous serez à même de connaître les nombreuses ressources que trouve à Paris une immense population.» «Vous vous trompez, me dit Philoménor: j'ai plusieurs fois admiré dans cette capitale combien la nourriture y était variée, saine, abondante, et à la portée de toutes les fortunes, surtout pour cette partie si intéressante du peuple que l'on appelle artisans et ouvriers. J'ai considéré vos cuisines portatives en plein air, j'ai vu cette prodigieuse quantité de légumes, de fruits d'une mince valeur, et surtout ce pain, si blanc, si beau, d'une si excellente qualité, que votre police, aussi vigilante que paternelle, maintient toujours au taux le plus modéré; et je me suis convaincu avec plaisir, que les hommes de peine en tout genre étaient à même de satisfaire à leurs besoins, s'ils étaient laborieux, et de se délasser par des plaisirs peu coûteux, des travaux exigés par la nécessité.» «Fort bien; mais il est d'autres individus qui par leur naissance, leur éducation et leur fortune bornée, sont également éloignés d'adopter le régime diététique du peuple et la table splendide de l'opulence; et je vous étonnerai en vous apprenant que ceux qui composent cette classe mitoyenne n'en ont pas moins dans cette capitale, et beaucoup mieux qu'ailleurs, des moyens d'existence très-suffisans pour conserver leur santé. Seulement dans certains jours, ils se mettent à l'unisson avec les gastronomes dont la fortune se compte par millions; avantages qui ne se trouvent pour ainsi dire qu'à Paris, au moins pour la délicatesse, la rareté et la recherche des mets. Dans cette série je fais entrer quelques jeunes lettrés, les employés des ministères, des banquiers, les clercs de notaires, d'avocats, et les élèves de Droit et de Médecine; vous sentez qu'on y trouve nécessairement des gens de mérite, de beaucoup d'esprit, et d'une éducation très-soignée. Si vous m'en croyez, nous irons ensemble dans ces restaurans; et le prix modique d'un dîner passablement bon, vous surprendra, j'en suis certain.»

Philoménor accepta la partie proposée; mais, pour être moins remarqué, il voulut se déguiser ce jour-là sous un costume français; et je lui conseillai de se faire habiller par un des tailleurs des rues Vivienne ou Richelieu. «Dans ce quartier, lui dis-je, règne le goût le plus pur; on y trouve les modes suivies par les élégans du meilleur ton et les vêtemens confectionnés par les meilleurs ouvriers.» Philoménor suivit mes conseils, et s'aperçut que mes indications étaient parfaitement justes sous tous les rapports.

Dans une salle bien décorée il ne vit point annoncés sur la carte ni ragoût de crêtes de coq, ni tourte à la tortue, ni escalope de lapin, ni suprême de volaille, ni filets mignons, ni truite du lac; il eut des mets simples, et il dîna bien; la marche qu'il avait faite, la joie sans prétention, sans sotte vanité, qui brillait autour de lui, lui fit trouver tout excellent. Surtout, il s'amusa beaucoup du caquetage des demoiselles de salle. Demandait-on un morceau de boeuf, une tranche de veau, de mouton, une aile de dindon, plusieurs voix glapissantes en dièze et en bémol, répétaient aussitôt: un boeuf, un veau, un mouton, un dindon. «Quoi! tout entier! se récriait Philoménor en ouvrant de grands yeux.» «Ne vous effrayez pas, mon cher ami, répliquai-je aussitôt; la portion qu'on servira ne donnera d'indigestion à personne.» Un des convives demandait-il des oeufs, ces nymphes lui répondaient: Monsieur, vous êtes sur le plat; celui-ci, des rognons qu'il avait commandés, on les met à la brochette; celui là, ma queue de mouton viendra-t-elle? Patience! elle est sur le gril. Ma langue, mademoiselle, que j'attends depuis une heure; la voici, elle est frite.

Telles étaient les gentillesses qui édifièrent singulièrement Philoménor, et dans lesquelles ces pauvres filles mettaient tout l'esprit qu'elles ont en partage. Mon Grec fut surpris de leur parure et de leur costume aussi propre que recherché. «Ces filles, me dit-il, ont sans doute de forts appointemens? mais comment le traiteur parvient-il à faire de bonnes affaires et à payer tant de monde en donnant ses dîners à si bon marché?» «Cela s'explique très-facilement; d'abord les viandes, les légumes, les fruits leur viennent de la première main; ces comestibles leur sont accordés à un taux bien au-dessous de celui que payent les simples particuliers qui tiennent maison à Paris; leurs vins sont légers; on vous les donne pour être de la Basse-Bourgogne; et l'on est trop heureux, lorsqu'en raison d'une surveillance exacte, ils ne sont point frelatés, et lorsque leur robe éclatante ne provient point des fruits du sureau ou des bois de teinture; aussi les vrais amis de l'humanité désirent-ils voir diminuer le plutôt possible les droits trop élevés sur les boissons. Quant aux gages de ces demoiselles, elles ont fort peu de chose de fixe; elles sont bien nourries; c'est pour elles un point très-intéressant; leurs émolumens sont fondés sur le casuel, sur les produits du tronc, appelé vulgairement Tire-lire, que remplit chaque jour la libéralité des consommateurs; et il n'est pas rare que cet article de leur budget leur rapporte de dix-huit à vingt francs par semaine, et quelquefois davantage; cette branche de bénéfice augmente en raison de l'exactitude du service, des soins et des attentions qu'elles ont pour les habitués; d'ailleurs beaucoup ont des amis qui savent pourvoir à leurs plus pressantes nécessités; elles ne s'en cachent pas; elles ont leur oncle, leur cousin, leur amoureux, etc., etc.; et Dieu sait si ce dernier est bien reçu dès qu'il paraît; si les bons et les meilleurs morceaux lui sont réservés et servis. La plupart de ces filles ne couchent pas dans la maison où elles travaillent pendant la journée; vers sept heures, une ou deux fois par semaine, elles sont libres d'aller où bon leur semble. Malheur au paresseux maladroit qui se présente pour dîner à cette heure indue; si ces demoiselles ont fait la partie d'aller au spectacle ou au bal, ce contre-temps lui attire infailliblement des reproches et une explosion de mauvaise humeur. Ces filles sont très-peu constantes; il en est qui dans une année font les quatre coins de Paris; on en voit très-peu, vous le savez mieux que moi, dans les grands restaurans; elles n'y occupent que la place de femme de charge; on n'y est servi que par des garçons, qui commencent, en sortant du village ou de la province, par se débrouiller dans une gargotte de la barrière ou du faubourg, s'ils n'ont aucune protection à Paris; ils se forment ensuite dans des restaurans plus forts, montent successivement et assez rapidement tous les échelons de la fortune, et finissent par entrer chez Grignon, Leriche ou les frères Provençaux; s'ils ont de l'ordre, de la conduite et de l'économie, ils achètent quelquefois le fonds de leurs maîtres.

«Je présume bien, mon cher Philoménor, que vous n'avez pas lieu de vous repentir d'avoir pris aujourd'hui un repas aussi frugal. La connaissance des usages d'un peuple, dans les différentes hiérarchies de ses membres, valait bien le sacrifice d'un dîner à la Lucullus.» Mon Grec m'avoua que depuis long-temps il ne s'était autant amusé. «Vous m'avez procuré la comédie, ajouta-t-il; quoiqu'un nouveau Théophraste la trouve bien souvent ailleurs. Avec votre julienne, vos bifteks, vos rôtis, votre vin du cru, qu'on annonçait pour du Bourgogne, j'ai dîné presqu'aussi bien qu'en mangeant du faisan et des perdrix rouges, et qu'en buvant le Malvoisie, le Chambertin et le Tockai. Nous avons beaucoup ri; nous avons beaucoup écouté; nous avons parlé d'autant; et peut-on n'avoir pas assisté à un véritable festin, lorsqu'on est persuadé avec Saint-Lambert que:

Les morceaux caquetés se digèrent le mieux.

Poëme des Saisons

CHAPITRE XLIX.

Société de Paris.—Philoménor est introduit chez une Mme de Valmont.—Son attachement pour cette dame.—Caractère du jeune Grec.—Ses succès dans le monde.—Fête donnée chez Mme de Valmont.—Présens et pièce de vers.—Description d'un hôtel.—Une séance royale.—Espérances de Philoménor pour le bonheur de sa patrie.—Note critique sur des usages de la cour en France.

Nos courses dans Paris étaient quelquefois suspendues; et j'avais saisi l'occasion de présenter Philoménor dans la plupart des maisons où j'étais le plus lié. Recevoir un jeune Grec de vingt-deux ans avait d'abord été un puissant attrait pour la curiosité; sa figure pleine d'expression, de vie, de santé et de fraîcheur, un nez aquilin, de grands yeux bruns pétillans de génie, sous des sourcils tels que le chantre de l'Iliade les donne à Jupiter; des formes parfaites, une taille ordinaire, mais svelte et bien prise; et plus que tous ces dons naturels, l'aisance de ses manières et son extrême politesse, lui eurent bientôt gagné la bienveillance de toutes les femmes du meilleur ton, séduites d'ailleurs, par la tournure orientale qu'il savait donner aux moindres mots flatteurs qu'il leur prodiguait, et dont jamais, sans une recherche affectée, il ne laissait échapper l'heureuse occasion. Elles n'étaient pas moins éblouies par les pierreries et les riches étoffes dont il était ordinairement couvert, que par une propreté exquise et le costume le plus soigné. Souvent lorsque ses affaires ou ses études l'avaient empêché de m'accompagner, il eut la douce satisfaction d'apprendre que des dames charmantes avaient remarqué son absence, et m'avaient reproché avec une sorte de chagrin d'avoir oublié mon jeune Grec, que plus d'une d'entre elles eût peut-être désiré compter au nombre de ses attentifs.

Sous un autre rapport, la souplesse de son caractère, sa déférence modeste aux opinions indifférentes, et son énergique attachement aux principes d'honneur et de bon goût, son amour passionné pour les lettres et les beaux arts, ses connaissances variées en tout genre, sa facilité légère à bien s'exprimer sur tous les sujets de conversation, lui avaient également concilié l'estime et l'amitié des hommes les plus graves et les plus instruits, et même de cette jeunesse aussi aimable que frivole, moins occupée de choses sérieuses que des objets de ses plaisirs. Philoménor se prêtait à tout; pour plaire, il semblait se multiplier et s'offrir tour à tour sous mille aspects différens; quelquefois, en badinant, je le comparais au Protée de la fable; je l'ai vu, dans la même journée, résoudre un problème très-difficile avec un géomètre; disserter avec une merveilleuse sur la coupe et les nuances de sa robe de barrège; traiter un point de morale avec un philosophe; causer de son wiski et de ses chevaux avec un élégant; s'entretenir de la Vénus de Milo avec un artiste; parler guerre et tactique avec un ancien général; valser admirablement avec une jeune beauté; et perdre le plus gaiement, le plus follement du monde, son argent à l'écarté; là surtout brillait sa philosophie; jamais on ne s'apercevait sur sa figure de la perte ou du gain qu'il faisait au jeu; pas la moindre altération dans ses traits; sa physionomie paraissait impassible; on l'eût pris pour un vrai stoïcien; encore moins laissait-il échapper les éclats d'une joie immodérée si la fortune le favorisait, ou les explosions d'un désespoir mal dissimulé, s'il était trahi par le sort; en un mot, avec des passions très-vives, nul, peut-être, dans un cercle, n'a mieux su les captiver ni conserver son âme dans un équilibre plus parfait.

Touchée d'un mérite aussi rare, que depuis long-temps elle avait été à même d'apprécier, une jeune veuve, que j'appellerai Mme de Valmont, quoiqu'il me fût bien doux de la nommer, invita mon ami à un dîner splendide qu'elle donnait le jour de sa fête à ses plus intimes connaissances, c'est à dire à l'élite de la meilleure société, dont sa maison était le rendez-vous. On sait que dans ce jour, et en pareille circonstance, personne n'est exempt de présenter à celle qui est l'objet de la fête l'hommage obligé d'un compliment et d'un bouquet. Philoménor voulut se signaler par un présent qui fût l'expression de sa vive reconnaissance pour les bontés dont cette dame l'avait comblé depuis son séjour en France; il saisit donc l'instant où elle était absente, pour faire transporter dans les jardins de son hôtel une quantité prodigieuse de fleurs et d'arbustes les plus rares, dont il fit border avec goût les tapis de verdure et parfumer les bosquets. Le soir, après le concert, où s'étaient fait entendre les principaux virtuoses de la capitale, et notamment le célèbre Paër, Romagnesi et Fabri Garat, Philoménor offrit à Mme de Valmont une corbeille renfermant des vins de Chypre et de Malvoisie, des conserves de Rhodes, des essences de Constantinople et plusieurs cachemires des Indes, d'une finesse et d'un dessin exquis, auxquels étaient attachés ces vers, qu'il récita avec une émotion si vive, et si mêlée de crainte et d'espérance, que celle à qui la pièce était adressée s'empressa de rassurer l'auteur par les regards les plus doux et les plus satisfaits.

     Ô vous à qui la Grèce
     Eût décerné le sceptre des Amours,
     Souffrez que ma tendresse
     Paye un tribut à vos divins atours.
     Dans vos mains sont mes destinées.
     À l'aurore de mes années,
     Fallait-il, par respect, vous cacher mon ardeur
     Et les tendres secrets de mon sensible coeur?
     Ma muse, trop long-temps muette,
     Prit pour modèle une humble violette
     Qui, sans briguer de vulgaires faveurs,
     Pour vous seule eût voulu, sous sa feuille discrète,
     Conserver ses parfums, son velours, ses couleurs;
     J'imitais, chaque jour, le fleuriste qui n'ose
         En hiver exposer la rose
         Au souffle affreux des ouragans;
     Dans la serre, abritée, il la retient captive;
     Sous le verre, ô prodige! et par des soins constans,
     La rose a plus d'éclat, une fraîcheur plus vive,
     Qu'en s'ouvrant en plein air aux beaux jours du printemps.

Mme de Valmont se montra sensible à des attentions aussi délicates, et plus encore à des sentimens exprimés avec une réserve aussi respectueuse, elle donna ses ordres, et ménagea au jeune Grec une surprise digne d'elle.

On avait annoncé le dîner. Philoménor, ayant présenté la main à celle qui avait daigné recevoir un aveu pour ainsi dire caché sous un voile transparent, descendit dans une salle ronde, à demi éclairée par la douce clarté des lampes, où conduisait un escalier intérieur à double rampe, tout orné de vases de porcelaine et d'albâtre, dans lesquels s'épanouissaient les tubéreuses de Perse et les jasmins de l'Arabie. Mon ami fut moins étonné des doux parfums qui s'exhalaient des cassolettes de vermeil, de l'air embaumé qu'on respirait, de la profusion des mets, de leur variété, de leur recherche, que de l'intention marquée de lui rappeler sur les plateaux et dans tout le service les monumens et les plus beaux sites de la Grèce, recréés pour ainsi dire par le génie du confiseur et le pinceau de nos plus habiles artistes. L'exécution d'un semblable prodige est facile à Paris, dans un hôtel où la maîtresse de la maison consacrait chaque année une partie de ses revenus à protéger tous les genres d'industrie. Par un goût particulier, elle avait réuni dans ses nombreux appartemens les meubles les plus précieux et les mieux conservés, depuis le règne de François Ier jusqu'à celui de Louis XVIII. Les premières pièces semblaient défendues par des paladins revêtus de leurs armures; autour de ces héros, brillaient de toutes parts leurs armes étincelantes, leurs antiques bannières et les trophées de leurs exploits; on ne trouvait là que plafonds peints et surchargés de dorures, que parquets formés d'armoiries; ici des guéridons, des candélabres d'un goût bizarre; plus loin, des tables de Boule et de Florence; des incrustations, des mosaïques, des bas-reliefs, des bustes, des statues, des tableaux de toutes les écoles; ailleurs, on admirait des vases étrusques, des coupes d'agathe, des magots de la Chine, des cabarets du Japon, des papiers de Pékin, des tissus de Flandre, des tapisseries des Gobelins, et jusqu'à des glaces de Venise; tout s'y trouvait distribué sans confusion, et d'après des combinaisons méditées et réfléchies.

Au dehors même de l'édifice l'entrepreneur avait sagement évité ces dissonances qui résultent quelquefois du mélange des styles. Pour que l'architecture mauresque n'ôtât rien de l'élégance des ordres dorique et corynthien qui régnaient avec tant de pompe et de magnificence dans la principale façade, l'habile architecte avait adroitement dessiné des croisées gothiques, et placé des vitraux sombres et coloriés, à l'extrémité latérale d'un pavillon de l'hôtel. En quittant les appartemens de cette aile, où l'ameublement correspondait si bien avec les constructions extérieures, en avançant dans cette espèce de muséum, on se figurait changer de siècle sans vieillir; on jouissait des trésors transmis par ses ancêtres, sans perdre le fruit des progrès immenses des arts se développant sous les Valois et brillant d'un éclat immortel sous Louis XIV; on les voyait enfin décliner sous la régence, dégénérer sous Louis XV, et reprendre une nouvelle splendeur dans les dernières années de Louis XVI, par l'adoption des formes grecques et l'étude assidue des grands modèles qui, depuis cette époque, ont enfanté tant de chefs-d'oeuvre.

C'était là que les brillans cristaux, la nacre, l'acajou, le santal, la malachite, l'or moulu et l'albâtre transparent, reproduits dans toutes les parties de l'ameublement, étaient reflétés avec les velours, les lampas et le brocard, dans des trumeaux éblouissans, et reposaient sur des tapis où les fleurs indigènes ou exotiques trompaient les yeux et semblaient inviter la main à les cueillir; c'était là enfin que les tableaux des Gérard et des Legros, des Girodet et des Hersent, des Lescot et des Bouton, des Granet et des Vandael, des Vernet et des Bertin, des Thomas et des Deharme, des Berré et des Jacquotot, des Saint et des Bergeret disputaient la palme aux Bosio et aux Raggi, aux Dupaty et aux Flatters, et à nos autres Phydias modernes; par le luxe des décors et ses raretés en tout genre, cet hôtel était un véritable palais de fée. Enfin l'orchestre successif de pendules à musique, qui se trouvaient partout, achevait de compléter cette espèce d'enchantement. Depuis qu'on s'était mis à table la politique avait occupé tout le monde, et l'urbanité française avait mis toutes les opinions à l'unisson; on n'en avait pas été plus d'accord; mais, par des égards réciproques, par des concessions mutuelles, on avait paru l'être; la politesse avait réalisé le système des compensations. Jamais les idées de M. Azaïs n'avaient été plus démontrées par le fait. Ainsi les usages d'un monde choisi avaient étouffé la voix d'une contradiction trop prononcée, et opéré ce rare prodige.

On avait su que nous avions assisté à la séance royale pour l'ouverture des chambres. On pria Philoménor d'analyser le discours du Roi, et de répéter les morceaux les plus frappans, que son excellente mémoire avait presque retenus en entier. «Je n'oublierai jamais, dit-il, les paroles de Sa Majesté, où la touchante bonté d'un père s'allie si parfaitement avec la sagesse du législateur et la dignité du monarque. Ce n'est pas sans peine que j'ai pu saisir ses augustes traits. Je dois, il est vrai, en accuser uniquement le bizarre costume de certaines étrangères[95]. Dans une autre occasion, ajouta-t-il, j'ai conçu de bien flatteuses espérances pour le bonheur de mon pays, puisque «la prudence et le bon accord de toutes les puissances de l'Europe trouveront moyen de satisfaire à ce que la religion, la politique et l'humanité peuvent justement demander[96].» J'aime à le croire, c'est en secondant nos efforts par une protection puissante.»

Philoménor avait à peine achevé, que la conversation se dirigea tout naturellement sur les grands intérêts de sa patrie.

CHAPITRE L.

Discussion sur la cause des Grecs et des Turcs.—Légitimité des Ottomans.—MM. de Bonald, Condorcet.—Bacon.—Les Comnènes.—Droits des Bourbons au trône de Constantinople.—L'intérêt politique et l'intérêt mercantile reconnaissent seuls la légitimité turque.—Mesures du gouvernement anglais relatives aux Sept îles.—Défense de l'Angleterre.—Conquête de l'Inde, facile pour la Russie.—Motifs de l'insurrection grecque.—Les Grecs ne sont point des carbonari.—L'équilibre de l'Europe détruit, peut être aisément rétabli; moyens.—Selon certains Anglais, les Grecs ne sont propres qu'à l'esclavage.—Réclamation de Mme de Valmont à ce sujet.—Peinture du sérail actuel de Constantinople, d'après le fidèle récit d'un des médecins de Sa Hautesse.

La cause des Turcs et des Grecs fut long-temps débattue. Un seul des nombreux convives employa tous ses efforts à prouver que la domination des Ottomans sur la Grèce était légitime. Conséquemment, selon lui, les Hellènes n'étaient qu'une tourbe de factieux et de rebelles. Philoménor se consola facilement des sarcasmes virulens de cet ami du despotisme. Une raison puissante dut y contribuer. Les dames avaient pris le parti de ses compatriotes; toutes, sans exception, s'étaient déclarées en leur faveur. Cependant un suffrage aussi prépondérant ne put arrêter le zèle ou pour mieux dire l'entêtement du patron des Musulmans. M. d'Angloturqui, que semblait excuser son grand âge et l'honneur d'être proche parent de Mme de Valmont, M. d'Angloturqui persista donc à fronder l'opinion générale, et soutint vigoureusement que les souverains de l'Europe devaient appuyer le Grand-Seigneur, d'après le traité de la sainte alliance, qui garantit toute espèce de légitimité. Et, certes, ajouta-t-il, la légitimité du Croissant est bien aussi respectable que celle des autres potentats. Ne vous souvenez-vous plus, Messieurs, qu'en 1451 les Grecs, près de tomber sous le joug de Mahomet, implorèrent le secours des Albanais, chrétiens comme eux, et que, bientôt opprimés par ces prétendus protecteurs, devenus leurs tyrans, ils se trouvèrent trop heureux de se jeter dans les bras du sultan? Avez-vous oublié qu'il y eut alors un pacte entre les Turcs et les Grecs; pacte cimenté par le mariage de Mahomet avec la fille de Démétrius, héritière des Césars? Cette convention n'est-elle pas un traité solennel dans lequel les avantages respectifs des deux parties furent réciproquement convenus et stipulés?» «Quoi! Monsieur, reprit M. d'Ancourt, un mariage, conseillé par la politique, ne fut pas toujours en Europe le gage d'une alliance indissoluble entre un usurpateur et le souverain dont il épousait la fille; et vous voudriez qu'une semblable union enchaînât pour jamais au joug d'un tyran une nation entière?» «Eh! Monsieur, répliqua M. d'Angloturqui, je vous donnerai des raisons bien plus fortes; à la paix de 1716, on vit les premières familles de la Morée négocier avec une activité extrême pour échapper à la domination de Venise, qui réclamait cette presqu'île, et pour obtenir de rentrer sous l'empire des Turcs. Ainsi donc, comme vous le voyez, Monsieur, l'autorité que la Porte exerce sur les Grecs fut absolument fondée sur le propre consentement de la nation asservie et sur sa volonté clairement exprimée.» «Dites plutôt, répondit M. de Pontac, sur la plus dure nécessité. À ces deux époques, les Grecs se trouvèrent réellement dans la position d'un malheureux qui, harcelé par deux voleurs, livre sa bourse à la discrétion de celui qui lui paraît le plus débonnaire; oui, Monsieur, dans la véritable situation de cet infortuné voyageur, qui, arrêté au fond d'une forêt, par deux brigands, livre son or et sa personne à Mandrin[97] pour échapper à Cartouche.»

«Mauvais subterfuge! escobarderie pure! reprit M. d'Angloturqui. Je suis fâché de vous le dire; mais la légitimité ottomane en existe-t-elle moins, en supposant même qu'elle ne se soit établie que par la force!»

«Comme vous, M. d'Angloturqui, je respecte la légitimité, répliqua le président de Pontac; mais la tyrannie la plus insensée, la plus cruelle, la plus atroce, la plus barbare, la plus immorale, aurait-elle en Europe une légitimité invulnérable? y aurait-elle une inviolabilité sacrée? Et comme l'a fort bien dit un de nos plus célèbres écrivains, qui ne doit pas vous être suspect, M. de Bonald: «Il y a une autre légitimité, la plus sainte de toutes, celle de la raison et de la vérité. Toute société qui, par la faute de ses lois, ne peut pas conduire les hommes à leur perfection morale, toute société qui, comme celle des Turcs, condamne ses peuples à une immuable stupidité, c'est Condorcet qui l'a dit, toute société où les lois sont contraires à la nature de l'homme et de la société, où la religion est absurde, où les pratiques sont barbares ou licencieuses, n'est pas une société légitime, puisqu'elle n'est pas conforme aux volontés du père et de l'auteur de toute société. Bacon a fait un traité exprès, de Bello sacro, pour prouver que les puissances chrétiennes pouvaient ou devaient faire la guerre aux Turcs, qu'il appelle un peuple ex lex, hors de la loi des nations.»

«La véritable légitimité, reprit Philoménor, n'existe réellement que dans la famille des Comnènes[98], ou même dans celle des Bourbons, à qui le dernier rejeton des Césars de Bysance légua ses imprescriptibles droits; mais, hélas! les Comnènes sont naturalisés Français; cette seconde qualité, ajoutée au plus recommandable de tous les droits, ne sera-t-elle point pour l'Angleterre un titre d'exclusion? Et les chefs du pouvoir exécutif qui gouvernent la Grande-Bretagne, cette terre qui produisit l'immortel Bacon, persisteront-ils à rejeter ces sages principes?»

«Qui ne sait, répliqua le président, comme l'a si bien indiqué l'auteur que j'ai déjà cité, que deux motifs, l'un mercantile, l'autre politique, se cachent derrière ce scrupule de légitimité?» «Tous les raisonnemens de Bacon et du législateur français, que vous citez, Monsieur, sont si fondés, reprit Philoménor, qu'il n'y a jamais eu d'autre transaction positive entre le peuple conquérant et la nation asservie, que celle qui s'écrit avec la pointe du cimeterre; il n'a jamais existé de fusion réelle des vainqueurs et des vaincus, comme à la Chine, lorsqu'elle a subi le joug des Tartares.» «Comme dans les Gaules encore, ajoutai-je, après la conquête des Romains, et plus tard, après les différentes invasions des Normands, où, peu à peu, les nuances étrangères et provinciales s'effacèrent, et, de nos jours, se confondirent, pour ne faire qu'un seul peuple de Français, ayant les mêmes habitudes et les mêmes lois.»

«Qu'est-ce donc que cela prouve? s'écria de nouveau M. d'Angloturqui? Aussi, les Anglais, ce peuple philosophe, ce peuple qui respecte si scrupuleusement les lois existantes, s'est formellement déclaré pour soutenir le Grand-Seigneur; et en cela ils ont agi très-sensément. Votre M. de Bonald a-t-il prévu toutes les conséquences qui découlent naturellement de ses principes, et le contre-coup qu'en pourraient recevoir les légitimités de la Chine, de l'Indostan et de l'Afrique? Cet aperçu vrai doit vous prouver que les Anglais ont pris le parti le plus sage et le plus juste.»

Philoménor, qui avait appris depuis long-temps qu'un bill de la Grande-Bretagne défendait aux Anglo-Ioniens d'amener aucun secours à leurs compatriotes, regardait les contrevenans comme pirates, empêchait même le remboursement des sommes d'argent qui leur étaient dues, enjoignait d'aider les Turcs, d'avertir les pachas des manoeuvres des indépendans; instruit d'ailleurs que ces mesures n'étaient pas seulement comminatoires, mais qu'elles recevaient leur exécution; que l'on incarcérait à Zante les jeunes gens qui voulaient rejoindre les insurgés de la Grèce; qu'on les y mettait dans des cages de fer[99]; qu'on y séquestrait les armes et les munitions expédiées d'Italie; que les Anglais avaient fourni des secours considérables aux Turcs[100], transporté leurs troupes et dirigé leurs plans de campagnes[101]; qu'ils avaient rejeté sans pitié des Céphaloniens qui, blessés dans la guerre du Péloponèse[102], venaient se faire guérir dans leurs familles; qu'après la prise de Corynthe, sir Maitland, lui-même, avait signifié l'ordre du plus prompt départ aux malheureux habitans de cette ville, lorsqu'ils s'empressaient de se réfugier dans les îles Ioniennes pour se soustraire à la fureur ottomane; Philoménor, dis-je, eut assez de force pour maîtriser l'indignation que lui avaient inspirée les dernières paroles de M. d'Angloturqui; il se contenta de répliquer avec fermeté, que des mesures qui blessaient autant le droit des gens ne pouvaient être dictées que par l'intérêt le plus personnel. Les Anglais, ajouta-t-il, ce peuple civilisé et régi par des lois constitutionnelles, ne serait certainement pas le partisan et l'allié du sultan, s'il ne craignait de voir un jour contre-balancer sa puissance par les flottes de la Grèce, de la Russie et des Etats-Unis[103]; et de se voir arracher ses plus riches possessions dans les Grandes-Indes.

«Supposons, s'écria M. d'Angloturqui, que vos présomptions soient fondées, les Anglais auraient-ils tort? Je plains les malheurs des Grecs, ajouta-t-il en regardant Philoménor; mais, quoi! parce qu'il plaît à une poignée d'imprudens séditieux de devenir indépendans, soit sous l'étendard d'Ali ou la bannière de la Croix, peu m'importe, et surtout de jeter les fondemens d'une marine rivale, vous voudriez, Monsieur, que l'Angleterre fût exposée à perdre subitement un territoire habité par plus de quarante millions d'hommes; cet immense continent, dont la souveraineté lui fut acquise par la politique la plus raffinée, et au prix de tant de sang, de sacrifices et de trésors; oubliez-vous, Monsieur, combien l'Europe a d'obligations à cette puissance? Oubliez-vous les sommes énormes que cette grande et généreuse nation a prodiguées pour soudoyer toutes les coalitions formées en faveur de la bonne cause? Ce seul motif devrait vous faire prendre parti contre les ennemis de sa gloire et de sa prospérité. Allez, Monsieur, il y a de l'ingratitude dans les reproches que vous adressez à ce gouvernement; oui, de l'ingratitude, c'est le mot propre.» «Vous nous persifflez, M. d'Angloturqui, avec une grâce infinie, répliqua le président de Pontac. Cependant la plaisanterie doit paraître un peu forte: l'Angleterre, dans ses prodigalités, n'aurait-elle écouté que les intérêts des autres? aurait-elle, par hasard, négligé les siens? Les faits parlent ici: Malte[104], les îles Ioniennes, le Cap de Bonne-Espérance, l'Île-de-France et Candie me dispensent d'entrer dans de nouveaux développemens; au surplus, Monsieur, il faudra bien, peut-être, que l'Angleterre se résigne un jour à la perte inévitable du continent indien[105], s'il plaisait aussi à la Russie de rendre à l'Indoustan ses vrais souverains; oui, Monsieur, ses souverains légitimes, et surtout de le vouloir avec persévérance. Une pareille entreprise, qui n'était pour nous que le rêve le plus fatal, serait la chose du monde la plus facile pour cette puissance; il ne s'agirait que d'être bien d'accord avec la Perse; mais alors, pour consolider cette révolution, il faudrait y porter nécessairement les lumières de notre civilisation et de notre culte déjà répandu dans ces climats; car sans ce double bienfait, qui serait offert à ces peuples sans contrainte, ce serait faire sortir ces nations d'un gouffre affreux, pour les faire retomber dans un autre tout aussi redoutable, et y semer de nouveau les germes pestilentiels du despotisme et de la superstition musulmane, que tous les amis de l'humanité désirent extirper d'Europe.» «Admirables projets! reprit ironiquement M. d'Angloturqui; je crois néanmoins qu'ils seront long-temps ajournés par l'amour de la paix et la crainte de verser le sang humain, principes que semblent professer, dans ce moment, les monarques alliés; et puis, Monsieur, vous devez sentir que le peuple conquérant n'abandonnerait jamais ces belles contrées sans y avoir été forcé par la lutte la plus violente et la plus opiniâtre. Je ne puis enfin vous dissimuler ma surprise en vous voyant prendre si chaudement la défense de ces rebelles. Il semble que vous ignoriez que leur révolte a été secrètement combinée avec les troubles de Naples et du Piémont, et qu'elle a été véritablement excitée et payée par tous les carbonari d'Espagne, de France et d'Italie; cela est indubitable; et, je vous le demande, l'émancipation de ce peuple, dont le principe découlerait d'une source aussi impure, peut-elle être, aux yeux d'un homme d'honneur tel que vous, excusable et légitime? Plaignons, comme je vous l'ai dit, les malheureuses victimes de la levée de bouclier d'Ulysséus et de l'équipée d'Ypsilanti. Sur ce sujet, je suis d'accord avec vous; cependant vous me permettrez de vous faire observer, en dernière analyse, que cette insurrection, fût-elle juste en soi, est souverainement intempestive: il fallait attendre un meilleur sort d'événemens imprévus.» «Vous tranchez la question bien à votre aise, M. d'Angloturqui, répliqua vivement Philoménor. Je le conçois, la patience est une vertu facile à pratiquer, quand on vit, comme vous, sous des lois qui protègent également la vie, les biens, la sûreté, et tous les justes droits de l'homme en société; mais si, comme les malheureux Grecs, vous eussiez gémi pendant des siècles sous un joug de fer; si vous étiez sans cesse exposé aux avanies, aux massacres; si vos propriétés privées, publiques et religieuses étaient perpétuellement violées, ravagées et détruites, alors je vous verrais, j'en suis bien sûr, tenir un autre langage; et puis, où sont les preuves de tant d'assertions hasardées? On a fait passer des armes, des munitions et des sommes d'argent aux Grecs: pourquoi calomnier des coeurs honnêtes et sensibles qui se sont attendris sur de si touchantes infortunes? Vous parlez de carbonari, lorsqu'il est positif qu'ils ont été invités d'aller chercher fortune ailleurs, sitôt qu'ils ont voulu s'impatroniser dans l'administration[106]. Croyez-vous que les hommes les plus respectables de notre nation, nos patriarches, nos cénobites, nos propriétaires et nos négocians, puissent être les amis et les propagateurs de l'anarchie? Qu'y auraient-ils à gagner?» «Eh! Monsieur, reprit M. d'Angloturqui, si la Porte succombe, nous ne connaissons point les résultats d'une pareille catastrophe, et peut-être l'équilibre de l'Europe est rompu.» «Rassurez-vous, M. d'Angloturqui, les Grecs, en brisant leurs fers, savent trop bien que, sans une juste liberté, limitée par la modération et la sagesse, aucune constitution humaine n'est bonne, solide et durable; et ils ont, je vous le proteste, le projet bien formel de baser leurs institutions politiques uniquement sur la justice, et de se soumettre pour jamais au joug d'équitables lois, aussitôt que la victoire aura permis à nos Solon modernes de les dicter[107].»

«Si vous éliminez la Sublime-Porte des puissances de l'Europe, où se trouve la garantie de cet équilibre essentiel, nécessaire, que je réclame, ne cessait de s'écrier M. d'Angloturqui? le nom de la Grèce libre serait (comme l'a dit un publiciste profond), une note nouvelle dans la gamme politique de l'Europe, et qui en troublerait l'harmonie. À présent la Grèce est une nullité attachée à cette grande masse d'inertie, qui, sous le nom d'empire Ottoman, sépare l'Asie de l'Europe.» «Vous conviendrez, au moins, avec moi, reprit M. de Clinville, vous conviendrez que cet équilibre est déjà très-sérieusement ébranlé par la loi de la nécessité; je veux dire, par l'insurrection des Grecs, qui paraît s'accroître et s'affermir de jour en jour; mais, si cet équilibre est rompu, n'existerait-il aucun moyen de le rétablir par des compensations favorables à toutes les puissances du continent? Que diriez vous, monsieur d'Angloturqui, si par l'influence de l'empereur Alexandre[108] les résultats infaillibles, inévitables, de la première guerre que la France aurait à soutenir avec ses voisins, étaient le fruit d'arrangemens pacifiques, sans que, pour les obtenir, une goutte de sang Français eût été versée sur nos frontières? Que diriez-vous si la Belgique, les bords du Rhin et la Savoie rentraient sous la domination française, au moment où le roi d'Hollande et le roi de Sardaigne trouveraient, pour les pays qu'ils nous auraient cédés, de suffisantes indemnités, des indemnités beaucoup plus avantageuses pour leurs intérêts; le premier, dans les possessions occidentales de la Prusse, et le second dans le Milanais; tandis que l'Autriche et la Russie, en indemnisant la Prusse par le Hanovre et des extensions de territoire en Pologne, se partageraient l'empire du Croissant. Pour rendre même cette balance des puissances plus solide, on accorderait quelques îles de l'Archipel à la France.» «Et l'Angleterre, s'écria M. d'Angloturqui, pâlissant de colère, l'Angleterre, que gagnera-t-elle à ce beau partage?» «Tout ce qu'elle a su prendre et garder, répliqua M. de Clinville; et vous conviendrez avec moi qu'elle n'aura pas lieu de se plaindre du lot qui lui est adjugé.»

«Méditez mon plan, monsieur d'Angloturqui, ajouta M. de Clinville, et vous verrez que par ces concessions réciproques, l'équilibre serait parfaitement rétabli.» «Oui, si cela était possible, répliqua M. d'Angloturqui; toutefois, en écoutant vos projets, je ne savais, à vous parler franchement, si vous étiez bien éveillé. Supposons qu'on assiste les Grecs; «ils n'ont pas les ressources nécessaires pour être indépendans sous aucune forme de gouvernement», c'est le sentiment des meilleurs publicistes anglais.» «Qu'en savent-ils? s'écria Mme de Valmont. L'expérience et le temps seuls nous l'apprendront. Et puis comment peut-on mépriser, sans preuves, un peuple si malheureux? et, surtout, défendre ces Turcs, dont le sot orgueil et le mépris pour les autres nations les empêche d'apprécier à leur juste valeur notre civilisation? Il est incroyable, et je ne puis m'empêcher de le faire observer à M. d'Angloturqui, il est incroyable qu'on se montre aussi partisan de ces barbares, qui font assez peu de cas de notre sexe, pour le placer au niveau de la brute, ou plutôt qui osent nous assimiler à des machines organisées et très-essentiellement obéissantes.» «Ne vous y trompez pas, Madame, répondit M. d'Angloturqui, les odalisques sont fort heureuses; elles ne connaissent pas, il est vrai, cette liberté grande dont souvent, permettez-moi de vous le dire, certaines femmes abusent un peu trop chez nous; et, comme l'a fort bien dit Voltaire:

On ne peut désirer ce qu'on ne connaît pas.

«Aussi ce prétendu bonheur s'éclipse-t-il promptement, répliqua la présidente, lorsque ces infortunées viennent à connaître les moeurs et les usages de l'Europe; et je dois au plus singulier hasard de m'en être convaincue moi-même; car, vous le savez, Mesdames, je suis née à Constantinople, que j'ai quitté fort jeune. Répandue de bonne heure dans la société la plus distinguée de cette capitale, j'ai vu bien des choses qui ont échappé à beaucoup d'autres; la connaissance approfondie que j'avais du turc et des autres idiomes étrangers, m'avait mise en relation intime avec les femmes des ambassadeurs près la Porte, dont j'avais acquis la confiance et l'amitié. Ces dames sont ordinairement très-instruites, mais très-rarement versées dans les langues orientales; presque toujours je leur servais de truchement; et, sous ce rapport, devenue pour elles une confidente nécessaire, j'étais de tous leurs plaisirs. Peu de temps donc après la retraite des Français de l'Égypte, époque où le divan, ivre de joie, ne savait rien refuser à l'Angleterre[109], un des amiraux de cette nation, dont la flotte avait mouillé près des Dardanelles, témoigna le désir de visiter la maison de campagne du capitan pacha; ce qui lui fut à l'instant accordé. Non-seulement cet Anglais obtint la permission de s'y rendre avec son état-major, mais encore d'y conduire les dames qu'il lui plairait d'inviter. Pour ce jour, on séquestra toutes les femmes du pacha dans une galerie d'où, sans être aperçues, elles pouvaient jouir de ce spectacle à travers des voiles transparens. Je fus engagée à cette fête avec plusieurs de mes amies, et nous eûmes la rare faveur de communiquer avec les odalisques, et même de leur parler pendant que l'amiral et ses officiers parcouraient les appartemens et se promenaient dans les jardins. À l'aspect de ces militaires, presque tous bien faits, d'une belle figure, et dont l'uniforme élégant relevait encore la bonne mine, ces beautés asiatiques étaient hors d'elles-mêmes; toutes voulaient considérer de plus près ces jeunes guerriers, dont la vue seule les transportait de plaisir et d'admiration. Les gardiens du harem eurent toutes les peines du monde à les retenir; leur vigoureuse résistance fut même punie d'une manière assez plaisante par les odalisques, qui les accablèrent de coups, et leur prodiguèrent tous les outrages que peuvent inspirer la colère, le mépris et le désespoir. «Eh quoi! nous dirent-elles, quand elles furent un peu calmées, il vous est donc permis de vivre, de vous trouver sans cesse, de causer sans obstacle avec vos frères, vos amans, vos époux! Oh! que votre sort est différent du nôtre! Que votre bonheur est digne d'envie!»

«Mais, Madame, reprit M. d'Angloturqui, ce fait isolé ne détruit point mon assertion; c'est une occasion qui ne se présentera peut-être pas une fois en dix siècles.» «Soit, répondit Mme de Valmont; je veux être d'accord avec vous sur ce point; néanmoins, devez-vous persister à les croire heureuses? Quelle triste situation que celle de ces pauvres créatures! être presque continuellement enfermées dans une espèce de donjon qu'on appelle sérail! être toujours assises sur des tapis, y perdre l'usage de marcher! prendre chaque jour des bains de vapeur qui vous préparent une vieillesse douloureuse et anticipée! ne songer qu'à sa toilette, poudrer ses cheveux en rouge, arquer ses sourcils, teindre ses ongles, et, malgré ces soins recherchés, négliger une propreté de rigueur! Le croiriez-vous, Mesdames, si un médecin récemment arrivé de Constantinople ne me l'avait assuré, elles ont des dents affreuses! et cette négligence est d'autant plus étonnante, qu'elles épuisent chaque jour tous les moyens de plaire, et pour qui, grands dieux! pour un maître capricieux, tyran fantasque et barbare, qui vous fait garder par cent geoliers affreux, qui, pour la plus petite erreur, la moindre fragilité, que vous dirai-je, un soupçon d'intelligence avec quelque jeune icoglan, vous envoie à l'instant même le fatal cordon; ou, sans autre forme de procès, vous fait jeter, bien et dûment empaquetées, au fond de la mer!» «Rien n'est malheureusement plus vrai, s'écria la présidente: quel événement me rappelez-vous? À la mort de Sélim, plus de cinq mille odalisques furent égorgées; et jamais peut-être je n'entendis des gémissemens plus profonds, des cris plus horribles, plus épouvantables. Cet affreux événement, suite d'une catastrophe politique, n'est pas le seul que ma mémoire se rappelle. Après de longs malheurs, le fils d'un émigré français s'était réfugié à Constantinople; pour s'assurer dans cette capitale des moyens d'existence, il se livra à des spéculations de commerce. Avec les débris d'une fortune jadis immense, il fit venir de Paris une prodigieuse quantité d'objets de luxe ou de fantaisie, et ouvrit des magasins très-brillans dans le faubourg de Péra; son établissement fit bruit jusque dans le sérail, et piqua même la curiosité des sultanes. Une d'elles s'y étant fait conduire[110], fut singulièrement frappée de la beauté et des grâces du jeune émigré, et en devint subitement éprise. Tout en ayant l'air de s'occuper des curiosités qui lui étaient offertes, tout en mettant de côté les objets dont elle avait fait choix, elle lui déclara naïvement la passion violente qu'elle ressentait pour lui, le pressa de la suivre et lui en indiqua les moyens.

Malheureusement, l'infortuné Français fut assez imprudent, pour céder aux instances de la favorite; déguisé sous des habits de femme, il parvint à pénétrer jusque dans l'intérieur le plus secret du harem du Grand-Seigneur. Bientôt après on découvrit cette intrigue, et le châtiment le plus terrible fut le prix de la témérité de ce jeune audacieux. Saisi, garotté, torturé, cousu dans un sac, les noirs le précipitèrent dans le Bosphore, et sa complice eut une fin aussi tragique.» «Je sais, reprit Mme de Valmont, qu'il y a des compensations à ces petits désagrémens de leur état; souvent on jette un filet d'or sur leur captivité et sur les dangers qui les environnent; je sais qu'on les couvre de tissus précieux; qu'on prodigue, dans leur parure, des diamans sans nombre, les perles de l'Inde et les pierreries de toutes nuances; je sais qu'on leur permet la broderie, la musique[111], et l'usage des parfums les plus exquis. Quelquefois elles assistent à des ballets qu'on dit insipides. Elles ont encore le privilége de se promener sur le Bosphore, dans des gondoles dont les voiles de pourpre les dérobent aux profanes regards; je sais tout cela; mais d'aussi faibles avantages dédommageront-ils une femme d'esprit qui pense, qui réfléchit et qui raisonne? Et j'aime à le croire, sur cinq cents femmes, toutes ne sont pas des automates.

«Je ne crois point au bonheur sans la sûreté individuelle, sans une juste liberté, dont les bornes sont fixées par la conscience intime et de sages lois; je n'y crois qu'autant qu'il m'est permis à toute heure, à tout moment, d'exercer pleinement les facultés de mon âme, et d'en suivre, sans contrainte, les inclinations, les désirs et les volontés. Comparez, M. d'Angloturqui, comparez notre sort avec celui de ces infortunées victimes d'un sultan! Cette triste et monotone magnificence, ces plaisirs goutés sous les verroux de l'esclavage, ne pourront jamais balancer notre genre de vie de Paris, le charme de nos sociétés, de nos conversations, de nos dîners, de nos bals, de nos concerts, de nos fêtes, de nos spectacles, de tous les genres de félicité que nous procurent notre philosophie, nos arts et l'étude de la nature, si négligée dans ces climats, et dont personne ne sait mieux que les femmes de France apprécier les trésors et les bienfaits? Pour moi, je regarde Démétrius, Ypsilanti et ses compagnons d'armes comme des héros, s'ils réussissent à rendre à notre sexe la dignité qui lui est due; s'ils portent un dernier coup à l'hydre cruel de la superstition musulmane. Je voudrais être assez près de la Grèce pour déposer sur leurs fronts les couronnes immortelles que l'équitable postérité a décernées à leurs aïeux dans les plaines de Marathon et de Salamine.»

CHAPITRE LI.

Reproches peu fondés faits aux Grecs anciens, et réplique décisive à ce sujet.—Comparaison entre les arts de l'Égypte et ceux de la Grèce.—Les Grecs modernes ne sont point étrangers aux connaissances utiles, aux sciences et aux lettres.—De leur littérature.—Cause de l'insurrection de la Grèce.—Avantages dont ils jouissaient avant la révolution.—Nouvelle accusation relative à leurs privilèges.—Leur défense.—Ali.

«Voilà du fanatisme, Madame, s'écria M. d'Angloturqui; votre tableau des moeurs turques est beaucoup trop chargé, et c'est une grande erreur de croire que les Grecs d'aujourd'hui puissent jamais ressembler à leurs ancêtres.» «Ils cherchent toutefois à marcher sur leurs traces, dit Philoménor: oui, Monsieur, l'histoire de leurs pères est gravée dans leur coeur. Leur situation présente la rappelle sans cesse à leur mémoire; ah! croyez-moi, sans cesse elle élève leurs âmes; et si de nobles pensées inspirent et développent les talens, les Grecs deviendront bientôt capables d'imiter les arts de leurs aïeux dans la paix et leur héroïsme dans la guerre. Mais, hélas! comme si les souffrances de ma malheureuse nation n'étaient pas assez grandes, il faut qu'elle ait encore d'autres sujets de douleur! Oubliant que c'est à la Grèce qu'ils doivent les connaissances dont ils s'enorgueillissent, des Européens ingrats la considèrent comme une peuplade de barbares. Ce reproche est si injuste, si cruel, qu'il importe de le faire cesser.» «Quoique le jeune Grec, notre aimable convive, répliqua M. d'Angloturqui, soit la preuve de tout ce qu'il avance, je crois, sans me tromper, qu'il est une très-brillante exception parmi ses compatriotes. On se fait, Messieurs, une bien trompeuse illusion sur ce peuple, ajouta-t-il; les talens et les services des anciens Grecs ne sont pas, à beaucoup près, aussi grands qu'on le pense. Je tiens cette opinion de ma feuille anglaise favorite, The Courrier. C'est aux Chaldéens, aux Égyptiens, et non pas aux Grecs, que les hommes véritablement instruits doivent faire remonter l'encens de leur reconnaissance; les Grecs n'ont fait que polir et orner les dons qu'ils ont reçu des enfans du Nil.»

«Si vous ne parliez que des dogmes religieux, répliqua le président de Pontac, de philosophie, de sciences exactes, de principes d'astronomie, de géographie, d'architecture colossale, de régime diététique et de système agricole, je serais presque d'accord avec vous. Mais songez donc, mon cher d'Angloturqui, que les Grecs ont changé en or pur le plomb vil de l'Égypte. Ce peuple ne connut que le gigantesque, et s'arrêta; il agit comme un ouvrier qui se contente de dégrossir des blocs grossiers. L'art, chez lui, demeura toujours imparfait; et, comme l'a fort bien dit Voltaire:

«On a beau se récrier sur la beauté des anciens ouvrages égyptiens, ceux qui nous sont restés sont des masses informes. Il a fallu que les Grecs enseignassent aux Égyptiens la sculpture. Il n'y a jamais eu en Égypte aucun bon ouvrage que de la main des Grecs[112].»

«Les Grecs, au contraire, connurent les justes proportions; ils n'allèrent pas au-delà, et imprimèrent à leurs ouvrages le sceau de la perfection. Il semble que les arts chez ces deux nations aient été influencés par le climat, et qu'ils en aient pris le caractère. En Égypte, ils ont la sombre majesté d'un désert sans bornes; en Grèce, ils ont le riant aspect des délicieuses vallées de l'Attique et de l'Arcadie. Mais jusqu'au moment où l'on puisse me montrer les poèmes épiques, érotiques et scéniques composés par les Égyptiens, jusqu'au jour où l'on m'ait fait entendre les harangues de leurs grands orateurs antérieurs à Isocrate et à Démosthènes, on me permettra de conserver quelque gratitude pour cet aimable peuple à qui nous devons tant d'admirables chefs-d'oeuvre.»

«Je dois des remercîmens à monsieur le président, reprit Philoménor; il me permettra de répondre à un reproche fait par M. d'Angloturqui, qui semble nous regarder comme une peuplade de sauvages. «Sachez donc qu'avant les déplorables événemens qui ont livré les Grecs à la fureur de leurs bourreaux, il y avait dans toutes les villes de la Grèce des écoles suivies par de nombreux élèves que dirigeaient des professeurs qui, pour le savoir, n'auraient pas craint le parallèle avec les vôtres. Celle de Kidonia, ville en grande partie peuplée de Moraïtes, se distinguait par la supériorité de l'enseignement; et son premier professeur, Benjamin de Lesbos, était un ancien élève de votre école polytechnique. À Bucharest surtout on voyait fleurir de la manière la plus brillante l'étude des belles-lettres. Les écoles de Laonina, de Jassy, de Chio, de Constantinople, du Mont-Athos, n'étaient pas moins florissantes; les élèves y affluaient en foule de toutes ces provinces. Il serait beaucoup trop long de vous détailler ici tous les écrivains de la Grèce moderne, qui se sont occupés avec de grands succès des sciences philosophiques, des sciences exactes, de la géographie, de la grammaire, de la haute littérature et de la poésie[113].»

«Et qui tolérait, répliqua M. d'Angloturqui, ces académies, ces colléges, ces réunions de littérateurs, et la propagation en tout genre de ces foyers d'instruction? N'était-ce pas ces Turcs contre lesquels vos concitoyens se sont révoltés?» «Aussi, répondit Philoménor, les Grecs ne se sont-ils insurgés que lorsqu'on eut décidé à Constantinople de supprimer dans tout l'empire ottoman les établissemens grecs d'instruction qu'on avait formés avec beaucoup de peine, et de remettre en activité toutes les dispositions sévères du Coran contre les infidèles, lesquelles étaient hors d'usage, pour arrêter d'un seul coup tout ce qui pouvait contribuer à éclairer la nation, et amener sa délivrance.» (Journal des Débats du 24 novembre, 1821.)

«Soit, répliqua M. d'Angloturqui, mais n'est-ce pas encore au Grand Seigneur à qui vous deviez incontestablement la prospérité de votre marine et des traités qui la favorisaient? Vous ne payez à votre souverain que de légers impôts, souvent nuls par la protection des sultanes. Allez, Monsieur, vos Grecs ne sont que des rebelles insensibles à tant de bienfaits.»

«Avant de les condamner aussi sévèrement, M. d'Angloturqui, répondit le jeune Grec, permettez-moi de vous demander si les effets de cette protection éclatante n'étaient pas cent fois anéantis par le pouvoir arbitraire et l'insatiable avarice des pachas? Souvenez-vous d'Ali, ce tyran classique devant lequel on ne s'élève que par de l'or et des crimes[114]. Vous n'exigerez pas, sans doute, que je déroule à vos yeux l'affreux tableau de son épouvantable gouvernement; et vous serez forcé de l'avouer avec moi, les immenses faveurs que vous vantez ne nous ont pas préservés des avanies, des rapines en tout genre, des tortures les plus affreuses, des rapts, des massacres qui réduisaient à l'état le plus misérable nos villes et nos campagnes. Qui l'ignore? aucun Grec n'était sûr de sa vie: on cachait sa fortune; nul n'osait améliorer ses propriétés, puisque les concussions et les déprédations étaient toujours en proportion avec la richesse présumée, et les progrès croissans d'une florissante culture.»

M. d'Angloturqui se disposait à répliquer ou plutôt à ressasser avec l'opiniâtreté et l'entêtement d'un esprit faux, des paradoxes cent fois complètement réfutés. «Vous les calomniez ces bons Turcs, s'écriait-il, ces Turcs d'une probité si sévère, d'une humanité si prévoyante; leur ôterez-vous, comme puissance, le droit de punir des coupables?»

«Je crois avoir assez justifié les Grecs, reprit M. de Pontac, pour que vous ne puissiez les regarder comme des criminels. Quant à l'humanité des Turcs[115], on vous dispensera d'en faire l'éloge; à moins que vous ne veuillez parler du rare trait de clémence du sultan régnant, qui, forcé par les janissaires de faire trancher la tête au plus fidèle de ses favoris, daigna commuer, toutefois après sa mort, une partie de la peine, c'est-à-dire, que par ordre de sa hautesse, la tête de visir fut publiquement exposée dans un plat d'argent, au lieu d'être suspendue, comme celle du vulgaire des condamnés, à la porte du sérail.»

CHAPITRE LII.

La politique échauffe de plus en plus les têtes.—Mme de Valmont interrompt brusquement la conversation.—Abus dans les spectacles.—Déclamation.—Costumes, décorations, jeux de scène.—Le Kain.—Les réformes qu'il a introduites pour la tragédie doivent avoir lieu pour la comédie.—Outrage sacrilège, fait impunément par les acteurs, aux pièces de nos grands maîtres.—Contre-sens complet dans certaines représentations.—Concerts spirituels, devenus avec les courses de Longchamp, les jeux olympiques de la France.—Obligation à imposer à MM. les comédiens du Roi.—Invraisemblances notables sur la scène.—Quelques avis à MM. les acteurs et actrices.—Mlle Mars.—Joanny.—Mlle Duchesnois.—Mlle Georges.—Absence de la musique aux représentations extraordinaires.—Répertoire musical.—Abus difficiles à faire disparaître et pourquoi.—Moyens d'y remédier.—Organisation nouvelle des théâtres royaux, favorable aux auteurs, aux acteurs, et au public.—Mot de Francklin.

«Quel excès d'indulgence! ajouta le jeune d'Ancourt.» Ces derniers mots prononcés avec l'accent d'une piquante ironie, avaient singulièrement irrité M. d'Angloturqui. Les têtes s'échauffaient de plus en plus en buvant le Bordeaux, le Clos-Vougeot et l'Aï. Mme de Valmont, qui s'en aperçut, craignit, non sans raison, que la différence d'opinions n'eût des suites sérieuses, et que d'une discussion paisible on n'en vînt à des personnalités.

Au moment donc où le Champagne rosé, en sautant au plafond et en pétillant dans le cristal, semblait délier toutes les langues et donner de la hardiesse aux plus timides, madame de Valmont changea brusquement le sujet de la conversation; fâchée que son joli Grec eût éprouvé une contradiction aussi déplacée de la part de M. d'Angloturqui, elle lui demanda, de l'air le plus gracieux, ce qu'il pensait des grands spectacles de Paris. «Je m'y suis beaucoup amusé, Madame, répondit-il; je les aimerais pourtant davantage si l'on se décidait, une bonne fois, à réformer les nombreux abus qui les déparent.» «Oh! que je pense bien comme vous! s'écria le chevalier de Clinville, qui vieilli dans les balcons de la Comédie française, joignait à un goût sévère, l'esprit le plus juste et le plus exercé par une longue expérience. Il avait vu, dans son extrême jeunesse, les Lekain, les Brizard, les Larive, les Préville et les Molé, les Clairon et les Dumesnil, les Comtat, les Devienne et les Dorigny. C'était là ses points de comparaison ordinaires, et personne ne connaissait mieux que lui les traditions du théâtre. «Vous le savez, Madame, ajoutait M. le chevalier de Clinville, depuis trente ans je n'ai cessé d'y dénoncer les abus et de présenter mes plans de réforme. Que voulez-vous! on ne m'a pas écouté; je les ai conservés dans mon portefeuille. Peut-être un jour ressembleront-ils à ces pâtés d'Amiens, qui ne sont bons que lorsqu'ils sont froids.» «Cette idée peut être très-juste, reprit d'Ancourt; je crois, comme Philoménor, que c'est aux abus qu'on songe à réformer, dit-on, si je suis bien informé, que l'on doit attribuer le désert du Théâtre français; désert qui s'est fait remarquer l'été dernier. Talma, Damas, Mlles Mars, Leverd, Duchesnois, avaient terminé leurs caravanes; et, sur ma parole, je me suis trouvé très à l'aise à leurs représentations; à peine me suis-je aperçu que l'on était encore dans la canicule; tandis qu'on étouffait au Gymnase et aux Variétés, et qu'un Corisandre[116] y était absolument indispensable. Me croirez-vous? je n'ai pas eu même une seule fois l'occasion de m'en servir au théâtre de la rue Richelieu.» «Encore moins sans doute au Vaudeville, dont j'ai regretté bien sincèrement l'abandon, reprit Mme de Valmont. C'était mon théâtre favori. Quant aux Français, s'ils ont été aussi complétement délaissés, comme l'a fort bien remarqué notre jeune Grec, ils ne doivent en accuser que leur négligence dans la déclamation, les costumes, les décorations et les jeux de la scène; ces abus, il est vrai, sont consacrés par le temps; mais très-ordinairement les acteurs n'en sont pas moins avertis par l'auteur de la pièce représentée, qui semble les censurer lui-même dans la composition de son poëme. Je vais, Messieurs, vous en donner un exemple frappant, s'il est vrai que, pour compléter l'illusion théâtrale, tout doit être en rapport avec les modes, les usages, et surtout les moeurs des personnages qui sont mis en scène.

Le théâtre, avant tout, veut de la vérité[117].

a dit un de nos meilleurs poètes.

«Pourquoi donner au Misantrope de Molière la poudre, la bourse et les ailes de pigeon du siècle de Louis XV, et ne pas vêtir ce censeur austère de ses contemporains, comme pouvait l'être la jeune noblesse du siècle de Louis XIV? Ces cheveux naturellement bouclés, cet habit orné de rubans[118], cette cravate de dentelle lui conviendraient beaucoup mieux; au moins tout cadrerait avec la vraisemblance. On peut se souvenir du bel effet que produisent ces costumes pittoresques dans quelques pièces, soit à Feydeau, soit au Vaudeville, et dernièrement même au Théâtre Français, dans les Précieuses ridicules et le Marquis de Pomenars. Indépendamment du vif intérêt, continua Mme de Valmont, de la variété piquante, et surtout de la vérité de situation, que produisent ces costumes différens, plus d'une actrice gagnerait à prendre le corset de brocard, orné de perles et de diamans, dont se servait la belle des belles, suivant l'énergique expression de madame de Sévigné, et troquerait avec avantage ces maigres fourreaux anglais contre ces robes amples, majestueuses et traînantes des Montespan et des Lavallière. Plus d'une coquette de la scène retrouverait de nouveaux appas dans cette couronne de roses et de bluets, dans ces longues boucles de cheveux que portait la séduisante Ninon de Lenclos. Plus d'une prude se féliciterait du voile de Mme de Maintenon, de ces atours si simples, et pourtant si pleins de grâce, dont s'embellissait Mme de Fontange[119]. Plus d'une duègne enfin aurait découvert un nouveau mordant, une originalité nouvelle, dans le vertugadin, la guimpe à bec, ou la calotte des vertueuses aïeules de Mme Pernelle[120].»

«En suivant cette idée dans ses conséquences, ajouta M. de Clinville, on détruirait d'autres abus; souvent, dans la même pièce, et sans autre raison motivée que le caprice des acteurs, on mêle, on confond les usages et les costumes de deux ou trois siècles, étonnés de se trouver ensemble. Souvent, contre toute vérité, le fouet, la casquette et la veste moderne des jokeis anglais se trouvent contraster avec le couteau de chasse, le pourpoint, la fraise et le court manteau des crispins antiques.» «Vous me rappelez, s'écria Mme de Valmont, la plus étrange bizarrerie: dernièrement, à la représentation de L'École des Bourgeois[121], George Dandin, M. de Sottenville et son gendre, M. de la Dandinière, avaient bien, il est vrai, le costume obligé des gentilshommes campagnards de ce temps-là, si plaisamment décrit par le satirique français[122]; mais Mme de Sotenville, sa chère épouse (Mme Hervey), avait le chignon lissé, la grecque poudrée, le bonnet pomponné, le mantelet, le panier, la robe à plis, les manchettes à trois rangs des petites maîtresses de la fin du règne de Louis XV. J'en pourrais dire autant de l'amoureux, dont le valet, quoiqu'en cheveux plats et ronds, avait un habit de soie, une veste de satin broché, comme aurait pu les porter, en 1750, un riche financier du faubourg Saint-Germain; tandis que, pour compléter cette caricature aussi invraisemblable que risible, la jeune femme (Mlle Dupuis), était vêtue et coiffée comme une merveilleuse de 1823.» «Il est donc absolument indispensable, Madame, reprit le chevalier de Clinville, d'attacher à ce théâtre un peintre habile et un costumier zélé, qui aient étudié leur art et qui se soient formé un système basé sur les monumens historiques. Il serait surtout bien important que M. le premier gentilhomme de la chambre voulût bien leur accorder assez d'autorité pour être obéis et n'éprouver aucune résistance de la part des sociétaires mutins et récalcitrans. Quoique vous ayez presque toujours habité Paris depuis votre enfance, vous êtes trop jeune, Madame, pour avoir connu le fameux Lekain, cet acteur qui n'a point eu d'égal. Il était fort laid; mais la perfection de son jeu et de sa déclamation semblait donner à ses traits un caractère de beauté; sur la scène, il était un véritable Protée; son ton, son air, sa physionomie éprouvaient toutes les variations qu'exigeaient les différens rôles dont il s'était chargé.

«Si le portrait que je vous fais, Madame, de cet acteur, est ressemblant, l'autorité d'un aussi profond artiste doit paraître irrécusable; je voudrais donc que la grande révolution qu'il opéra dans la tragédie, eût également lieu sur la scène comique; et ce fut Lekain qui donna le premier, au roi des rois, au puissant Agamemnon, les bandelettes, le diadême, la tunique, et tout le costume des monarques de la Grèce, qui, avant lui, paraissaient sous leurs tentes et sur les rivages de l'Aulide, en habit brodé, en manchettes de point, l'épée au côté, en perruque tapée, en bas de soie et en talons rouges. Par la même raison, je voudrais qu'en représentant la Métromanie, le Dissipateur, les Originaux et le Jaloux sans amour, on prît exclusivement toutes les nuances de la mode qui dominait à ces époques, voisines du siècle où nous vivons; je veux dire celles de la Régence, de Louis XV et de Louis XVI; et, si l'on venait à représenter l'Ami des Lois, les Deux Gendres, la Manie des grandeurs, j'exigerais qu'on prît alors le costume des élégans de la cour de Louis XVIII, qui, en habit habillé, ne portent jamais la bourse et les cheveux poudrés: par-là tout serait vrai, tout serait en harmonie, et l'on conserverait absolument la couleur des différentes périodes de chaque règne: alors les oreilles des spectateurs ne seraient plus choquées par des contresens continuels.» «Tout en désirant qu'on ne blesse point les miennes, ajouta Mme de Valmont, par des mots lestes et grivois dont fourmillent certaines pièces de Molière[123] du second ordre, et qui ont le privilége de nous faire rougir sous l'éventail; tout en formant des voeux pour qu'on les fasse disparaître, doit-on souffrir en silence qu'un acteur soit assez audacieux pour supprimer dans son rôle des tirades entières de Corneille, de Racine, de Destouches, souvent les plus intéressantes et les plus comiques de ce dernier? comme on est à même de s'en convaincre au premier Théâtre Français, lorsqu'on y donne la Fausse Agnès, pièce où peut-être, pour ne pas fatiguer la mémoire d'une certaine Lili, on passe à pieds joints sur la scène quatrième de l'acte troisième, scène qui serre de plus en plus le noeud de la pièce, et jette le principal personnage dans un piége qui le couvre d'un ridicule ineffaçable. J'ai encore remarqué que, dans cette comédie (ainsi que dans beaucoup d'autres pièces), quelques actrices dédaignent de conserver aux personnages qu'elles devraient copier, la teinte originale que l'auteur leur a donnée, cette teinte et cette saveur de terroir qui doit nécessairement être indélébile, je veux dire le ton qui existait dans certaines sociétés de Paris ou de province, à l'époque où Destouches écrivait. Madame la présidente de l'élection, si j'ai bien saisi l'esprit des rôles, est une prude d'un genre sévère et précieux dans sa mise, ses allures et son langage.»

«En vérité, dit la présidente au comte, mes oreilles sont furieusement scandalisées de vos termes: tous mes sens se révoltent; je frissonne depuis la tête jusqu'aux pieds, et, si vous continuez, je vais m'évanouir[124].»

«À votre aise, ma princesse,» répond le comte… Madame la comtesse, avec un peu plus d'aisance dans les manières, doit avoir un caractère romanesque; et, c'est cette nuance que l'actrice doit tâcher de saisir. C'est un bel esprit qui ne se nourrit que de pensées recherchées; qui ne soupire que comme les héroïnes de Ségrais, de Fontenelle, ou de Durfé. Vous pouvez en juger, messieurs, par ce passage que ma mémoire me rappelle; ce qui ne doit point étonner, Destouches est mon auteur favori:

M. Desmazures lui propose de faire ensemble une petite églogue amoureuse. «Supposons donc, lui répond la comtesse, que nous nous aimons tendrement, et que nous exprimons notre amour en gardant nos moutons. Nous sommes couchés sur le vert gazon, à l'ombre d'un ormeau, le long d'un clair ruisseau; notre passion est si violente qu'elle nous ôte la parole…[125]»

«Eh bien! Messieurs, le croiriez-vous? certaines doublures formées pourtant au Conservatoire, et que je n'ai pas besoin de nommer, ne donnent à ces provinciales titrées que le froid langage, la tournure uniforme et le costume de bonnes bourgeoises de la Cité; et certes, vous en conviendrez avec moi, c'est une faute grave de travestir ainsi la physionomie des portraits que le poète avait, sans doute, crayonnés d'après nature; et la comédie manque son but, si elle n'est pas un tableau des moeurs, dont le principal mérite est la ressemblance la plus parfaite.

«Je voudrais que les décors fussent assortis avec le temps et les lieux, et qu'à ce sujet, il n'y eût aucun anachronisme; que l'éternel salon des Français ne servît pas aux pièces des trois siècles de notre littérature; que dans certaines occasions, on ne se contentât pas de retourner la toile pour toute décoration nouvelle; et quelle toile encore!

«On représente Athalie[126], ce chef-d'oeuvre de la muse tragique: je dois voir le temple de Jérusalem, je dois admirer une architecture toute judaïque, des cèdres du Liban entremêlés avec les marbres de la Palestine; quelle inconvenance! la pièce entière de Racine est remplie d'imprécations contre le culte de Baal et les fausses divinités; de l'horreur qu'inspirent leurs prêtres, leur culte et leurs faux dieux; à l'Opéra de Paris, j'ai vu le pontife saint prophétiser au milieu du temple d'Isis, dont les sphynx, les hiéroglyphes et autres attributs attestent la présence sacrilége.

«Je vous citerai un fait plus récent, reprit d'Ancourt. J'étais aux Français à la représentation d'Esther; la scène est à Suze, en Perse, comme tout le monde le sait, et s'est passée plusieurs siècles avant la naissance de Mahomet; eh bien! la décoration du théâtre représentait la place du grand Caire, avec ses mosquées, ses minarets et le croissant.» «Quel anachronisme! ajouta M. de Clinville; plus l'expérience et les réflexions sur les moyens de perfectionner l'art dramatique ont rendu les amateurs difficiles et exigeans, plus aussi, selon moi, les directeurs doivent être soigneux de respecter la vérité historique dans les accessoires qui accompagnent la représentation d'une pièce telle qu'Esther ou Athalie. Je vous ferai donc une autre observation: la poésie inspiratrice des choeurs de cette divine tragédie, que l'on n'exécute ordinairement que dans les fêtes royales ou les solennités publiques, rend certainement indispensable une harmonie plus touchante que celle de Gossec. Trop souvent, elle est peu appropriée aux célestes hymnes des filles de Sion. D'ailleurs, ce vénérable vieillard n'a travaillé que sur quelques morceaux de choix. Des raisons aussi solides devraient, ce me semble, engager le Gouvernement à ouvrir pour la musique de ces choeurs, un concours où seraient appelés tous les artistes de l'Europe. Ces compositions seraient exécutées et jugées dans les concerts spirituels qui suivraient l'époque de l'ordonnance, et y seraient couronnées suivant le degré de talent: l'on choisirait enfin la production la plus capitale, celle qui paraîtrait le plus d'accord avec la majestueuse élévation des pensées, ou le coloris si gracieux des paroles. Ainsi, le morceau le plus sublime de la scène, Athalie, aurait obtenu tous les ornemens dignes de sa perfection. Pour rappeler les concerts spirituels à leur institution primitive, il serait bon encore d'ouvrir chaque année le même concours aux artistes de tous les pays, à tous les Orphées modernes, sous l'expresse condition d'exercer leurs talens sur nos cantates sacrées, qui seraient désignées d'avance par un jury composé d'artistes et d'amateurs. Ce jury serait chargé d'examiner ces différens oratorio, de les soumettre à la censure du public, et d'accorder des prix aux vainqueurs. Les courses de Long-Champ, qui ont lieu dans la même saison que ces concerts religieux, seraient les jeux olympiques de la France.»

«Votre projet, M. le Chevalier, me séduit, reprit d'Ancourt. Mais, pour revenir à notre sujet principal, que les chants de Racine et de mélodieux accords avaient paru nous faire oublier, je voudrais qu'on ne laissât pas uniquement aux théâtres des mélodrames le soin de respecter les vraisemblances dans les décorations; je voudrais que, chaque année, messieurs les comédiens fussent obligés de faire exécuter au moins six décorations nouvelles, telles que temples, salons, paysages, surtout lorsqu'on monte une pièce. Quand on est aussi riche[127] que messieurs les sociétaires de la rue Richelieu, on doit être moins parcimonieux et avoir plus d'égards pour un public aussi instruit qu'éclairé sur tous les genres de convenances.»

«J'exigerais, disait encore M. de Clinville, que dans la tragédie on respectât assez les anciennes traditions, pour que Clytemnestre, Sémiramis ou Cléopâtre n'entrassent jamais sur la scène sans que le spectateur ne fût forcé de se dire: C'est la reine. Je demanderais encore qu'une garde nombreuse, en se déployant autour d'elle, annonçât toute la pompe de la majesté royale. Je n'aurais pas fait cette remarque, si ces jeux de théâtre n'avaient pas été négligés aux débuts de Mme Paradol; je me rappelle qu'avant d'avoir vu Mlle Raucourt, on reconnaissait la démarche altière d'Agrippine[128], d'Athalie ou de Catherine de Médicis[129].»

«Permettez-moi de vous faire une remarque importante, dit le marquis d'Ancourt, en interrompant M. de Clinville. On me parle du peuple, de l'armée, de ses chefs, et je ne vois sur la scène que quelques malheureux mannequins réunis à une douzaine de soldats. Une sédition s'élève: l'acteur entend les clameurs des combattans, le choc des lances et des boucliers, un horrible tumulte[130], la lecture d'une sentence, des soupirs, des gémissemens, des sanglots[131]; et le spectateur, dont les oreilles ne sont frappées d'aucun bruit, doit croire, à juste titre, que l'acteur rêve ou se moque de lui. Je me trompe; souvent, pendant le moment du fameux silence, des personnes placées à l'orchestre ont entendu partir de la rue les cris les plus trivials et les plus burlesques. J'oserai présenter ici, avec une scrupuleuse réserve, quelques réflexions au jeune auteur des Vêpres Siciliennes. Après le son de la fatale cloche, lorsque la terreur est à son comble, ne serait-il pas naturel d'entendre, dans le lointain, un bruit sourd, un bruit confus, qui s'accroîtrait par degrés, par intervalles; des cris demi-formés, des cris perçans, le cliquetis des armes… Un morne silence est-il vraisemblable au milieu des horreurs dont le récit se fait sur le théâtre? Ces accessoires, nous en avons mille exemples, sont aussi bien le partage de la tragédie que du mélodrame; en négligeant ces jeux de théâtre, où peut être l'illusion? Il vaudrait mieux lire une tragédie dans son cabinet ou dans un site qui fût en analogie avec le lieu vrai de la scène, que d'être témoin de pareils contresens; et, comme l'a fort bien remarqué un de nos meilleurs acteurs dans un petit ouvrage qu'il vient de donner au public. «Il s'est introduit à la Comédie française une manie de simplifier qui a fini par rendre petits et mesquins les tableaux les plus grands et les plus majestueux. Pourquoi, dans Andromaque, Oreste ne se présente-t-il pas sous un aspect plus imposant? À peine Oreste, ambassadeur des Grecs, se distingue-t-il d'Oreste jeté par la tempête sur le rivage de la Tauride. Pourquoi ses vêtemens n'ont-ils pas l'éclat que comporte sa dignité, et ne lui voit-on pas le sceptre et le bandeau qui doivent caractériser son rang? Pourquoi n'entre-t-il pas dans le palais de Pyrrhus, au milieu de l'escorte qui l'accompagne, et ne nous montre-t-il point

Le pompeux appareil qui suit ici ses pas?[132]

«Cette censure ne peut frapper sur notre premier tragique. Dans ce siècle, aucun acteur n'a, pour ainsi dire, mieux calqué les héros qui sont mis en scène que le célèbre Talma, soit qu'il nous représente les républicains, les tyrans ou les princes malheureux, Manlius, Néron, Hamlet ou Régulus. Nul ne sait mieux s'identifier à son rôle, et surtout varier ses costumes suivant le temps, la nation, le rang et la situation du personnage. En le voyant, on semble rétrograder dans les âges; on se croit tour à tour près du Capitole, dans la basilique des empereurs, et dans l'antique palais de Copenhague; que les acteurs mettent comme lui autant de convenance, de grandeur, de dignité dans leur physionomie et leurs vêtemens; qu'ils méditent avec autant de soin les tableaux laissés par l'histoire, et l'on aura, je le garantis, presque atteint la perfection. Il est vrai que Talma doit ses connaissances à la société des gens de lettres, des peintres et des sculpteurs. Mais, hélas! combien d'acteurs et d'actrices, soit dans leurs costumes, soit dans leur pantomime, soit dans l'accent de la voix, s'éloignent de ce goût pur, sévère et délicat!» «Sans une extrême présomption, reprit l'élégant Dancour, qui jusque-là avait attentivement écouté M. de Clinville, ils imiteraient l'exemple de notre premier tragique, et se mettraient à l'abri d'une critique malheureusement trop fondée. Qui ne serait tenté de dire à ceux-ci: Pourquoi cette monotone psalmodie? variez vos inflexions, et ne nazillez pas.» «Encore moins, ajouta le président, voyons-nous dans Hérodote, Thucydide, Plutarque, et même Homère, qu'aucun héros grec ait jamais grasseyé?» «J'aime ce trait d'érudition, répliqua Dancour, en riant, et je le crois vrai. Je dirais encore à d'autres artistes: Pénétrez-vous de votre situation, sentez la vivement; placés loin du pays des rossignols, déclamez, et ne chantez pas. Qui n'insinuerait doucement à Cléon: Étudiez la belle nature; attachez-vous à de bons modèles. A-t-on jamais si péniblement outré les rôles d'élégans et de petits maîtres? Des tons impertinens, n'ont jamais été ceux d'un salon du bon genre; et la fatuité ne doit jamais dégénérer en impudence. Parlez votre rôle avec sagesse, dirais-je encore à Mondor; l'énergie est sans doute un don précieux; mais elle est assujétie à des règles; et le bon goût en prescrit la mesure: jusque dans les accès de la passion la plus brûlante et la plus impétueuse, toujours vous devez charmer l'oreille; et jamais il ne vous est permis de la déchirer.»

«Qui n'avertirait encore avec une franchise naïve? dit Mme de Valmont, ces acteurs aguerris, que les sifflets poursuivent et n'épouvantent jamais? Qui ne leur adresserait ces conseils profitables? Croyez-moi, ayez un peu moins de prétentions; appréciez de bonne foi votre talent à sa juste valeur; ne vous lasserez-vous point enfin d'être victimes à Paris, lorsque de nombreux applaudissemens vous attendent dans quelque coin de province?»

«Que de grand coeur, reprit Dancour, je dirais à certaines actrices: Pourquoi ce perpétuel roucoulement? Suis-je ici au fond d'une forêt? Eh! Mesdames, ménagez un peu votre poitrine; soyez un peu plus avares de sanglots; si vos soupirs multipliés font rire le parterre jusqu'aux éclats, à quoi bon vous suffoquer?» «Je donnerai, ajouta M. de Clinville, ce dernier conseil à tous les artistes de la scène: tâchez de dissimuler les défauts de la nature; que de moyens sont entre vos mains pour vous seconder! n'êtes vous pas favorisés par l'éloignement, le point de perspective et les reflets favorables d'une lumière incertaine? N'avez-vous pas les tailleurs les plus habiles? Que n'imitez-vous quelques-uns de vos prédécesseurs et même de vos contemporains! Épaississez ces formes que le temps et vos travaux ont rendues flasques, exiguës ou contrefaites.» «Faut-il que la tradition des deux derniers siècles, répliqua vivement Philoménor, n'ait pas, comme en Grèce, permis aux acteurs l'usage des masques sur la scène? Que d'artistes, sur plus d'un théâtre, gagneraient à changer de physionomie!»

«Souffrez, Messieurs, dit Mme de Luxeuil, qui jusque là avait bien plus songé à dîner délicieusement qu'à se mêler de la conversation; souffrez que je vous fasse, à mon tour, quelques observations sur une actrice dont la réputation pyramidale est pour ainsi dire européenne. Je n'aime à blesser personne; cependant il faut être juste, vraie, sévère même, ne fût-ce que dans l'intérêt de l'art; et, quand, par l'âge, on est comme moi et mon contemporain M. de Clinville, aussi riche de souvenirs, on a bien le droit, je pense, d'indiquer de légères imperfections, qu'avec un peu de soins il est aisé de corriger et de faire disparaître. Certainement, Mlle Mars possède un genre de diction inimitable; ses grâces, sa beauté, sa jeunesse, sont presque éternelles. Ses yeux n'ont perdu ni de leur vivacité, ni de leur éclat; le timbre de sa voix est unique, c'est-à-dire, enchanteur. Je crois, pourtant, qu'il serait bon de l'avertir de parler quelquefois sur la scène un peu plus haut que dans son salon et dans son boudoir. Je désirerais encore être à même de lui insinuer que l'héritière de Mlle Contat doit, jusque dans ses confidences, être toujours entendue, même aux extrémités de la salle; et que, s'il est des secrets pour les interlocuteurs, il ne doit point y en avoir pour le public. Je l'engagerais enfin à ne pas trop presser un débit parfait. Combien, alors, si mes avis étaient écoutés, combien les admirateurs de cette merveilleuse actrice n'auraient-ils pas lieu de se féliciter? Ils ne seront plus privés des finales de cent jolis mots auxquels le talent magique de Mlle Mars sait prêter de nouveaux charmes.»

«On peut adresser les mêmes conseils à Joanny (rôle de Procida), fit observer M. de Clinville. Je voudrais qu'il s'étudiât à mieux prononcer certains hémistiches qui ne sont point quelquefois entendus, même au centre du parterre. Tout en rendant justice à l'admirable talent de Mlle Duchesnois (rôle de Marie Stuart), qui semble l'identifier avec la reine infortunée qu'elle représente, je n'en dirai pas moins que sa douce voix n'articule pas souvent assez distinctement; défaut que n'a point Mlle Georges, dont on ne perd pas une syllabe. J'ai souvent été réduit à deviner l'espèce d'énigme que son organe présentait, ou à demander à mon voisin quel était le sens d'un passage applaudi par les claqueurs d'office; passage que ni lui ni moi n'avions ni saisi ni compris. Il est bon, continua Dancour, que ces coryphées de la scène, gâtés perpétuellement par des flatteurs à gages, ne soient pas aveuglés sur ces petits défauts et sur ces tâches légères, dont, peut-être, sans de salutaires admonitions, ils ne se corrigeraient jamais.

«Je dois encore dénoncer l'abus le plus criant: MM. les sociétaires de la rue Richelieu croient-ils leurs voix assez exclusivement harmonieuses, pour que nous puissions nous passer de musique aux représentations extraordinaires? Lors de la restauration de ce théâtre, n'était-il point possible de ménager un asile invisible à ces troubadours, une tribune secrète d'où ils ne seraient point expulsés, d'où les spectateurs les entendraient sans les voir? On serait alors bien assuré que les violoncelles et les trombonnes ne cacheraient plus, comme cela arrive souvent, les acteurs au public du parquet. Cette observation, minutieuse en apparence, est applicable d'une manière différente au théâtre Feydeau, où l'orchestre, nécessairement obligé d'accompagner les chanteurs, ne peut jamais être déplacé; mais devrait se trouver assez bas pour ne jamais masquer la scène avec les instrumens. Enfin, le premier Théâtre-Français ne rougira-t-il jamais de son répertoire musical? Électre m'a pénétré de terreur; j'essuyais les larmes que m'avait fait verser Hamlet, Alzire ou Zénobie: la toile tombe, MM. les musiciens jouent, et j'entends une symphonie qui ressemble à l'air de Cadet-Roussel ou de Madelon Friquet. Je doute fort, ajouta M. de Clinville, que l'on obtienne la réforme des abus que j'ai signalés, à moins que le Gouvernement ne prenne les mesures un peu acerbes que je vais présenter.

«Les chefs par ancienneté du premier théâtre, qui éloignent, dit-on, avec tant de soin les jeunes sujets capables un jour de les effacer[133], n'y consentiront jamais. Ces vétérans surannés des coulisses, qui, par l'égoïsme le plus absurde, contribuent si puissamment à la décadence de l'art dramatique, sont malheureusement trop attachés aux anciens abus qu'ils appellent des traditions, abus dont la suppression contrarierait leur paresse, les conduirait à de pénibles études, et les engagerait à de nouvelles dépenses. Dans l'espoir d'attirer exclusivement la foule, il est plus court, le jour d'une représentation extraordinaire, d'annoncer des billets de corridor à six francs, et d'embaucher les premiers acteurs du second-théâtre, en leur versant le Lunel et la Malvoisie, ou les vieilles liqueurs de madame Anfou[134]. D'ailleurs pourquoi se gêner? beaucoup se souviennent qu'avant l'établissement très-vexatoire du second théâtre, les comédiens de la rue Richelieu roulaient paisiblement chaque année dans le cercle étroit et perpétuel d'une trentaine de tragédies, comédies ou drames dont le mérite était reconnu; quoiqu'ils aient, incontestablement, le plus riche répertoire, rarement on les voyait exposer leurs talens aux chances périlleuses d'une nouveauté. Ce bon temps serait-il passé, lorsqu'on vient au théâtre bien moins pour Racine ou Molière, que pour entendre les premiers acteurs? Plaisanterie à part, en laissant les sociétés d'acteurs avec leur organisation actuelle, j'ai lieu de conjecturer que l'Odéon, qui vient de recevoir un directeur, peut donner quelques espérances d'amélioration. Là, il n'y aura point d'antiques traditions à suivre, pour morceler nos grands maîtres. L'émulation doit opérer ce prodige. Là, on ne craindra point de lésiner sur les décorations et les costumes, si le magasin et la garde-robe n'y sont point portés à un prétendu complet.» «Vous avez indiqué la vraie source du mal, reprit M. de Clinville; vous avez porté le fer dans la plaie, et touché jusqu'au vif. Quoique deux commissaires royaux aient été nommés près le premier Théâtre Français et Feydeau, je crois qu'il existe un moyen plus sûr de restauration, et qui me semble fort simple.

«Comme l'a fort bien dit un jeune acteur, dans ses Idées sur les deux Théâtres. «Des comédiens ne peuvent se gouverner eux-mêmes. Ce n'est point entre leurs mains que doit être remis le sort des jeunes gens qui entrent dans la carrière. Les études de l'artiste ne peuvent pas d'ailleurs se concilier avec celles d'administrateurs[135].»

«Aussi lui a-t-on fait payer assez cher cet aveu naïf, répliqua Mme de Valmont, qu'on n'attribuera jamais qu'aux plus nobles motifs. Victor aura voulu, par cette abdication de puissance, favoriser les progrès de l'art; et conséquemment servir les intérêts du public.» «Je pense bien comme vous, reprit Dancour; mais, probablement, certains sociétaires, véritables despotes de comité, ne lui auront pas pardonné son indépendante franchise, et surtout de vouloir leur arracher une autorité dont il avait été précédemment la victime.» «Je suis charmé, ajouta M. de Clinville, que cet intéressant acteur ait provoqué lui-même les dispositions principales du plan que j'ai conçu. Il faudrait, selon moi, dissoudre les sociétés des théâtres royaux, en leur donnant une administration semblable à celle du grand Opéra, en mitigeant toutefois l'autorité du directeur par un conseil d'hommes de lettres, aussi justes qu'éclairés; cette mesure prudente ne doit pas être négligée; elle est même indispensable pour tempérer l'espèce de despotisme qui, plus d'une fois, a jeté la terreur et le découragement dans le palais des Grâces et des Amours.

«D'après cette organisation nouvelle, les comédiens ne seraient plus seuls avec les censeurs, les juges des auteurs dramatiques et les arbitres de leur sort. Un conseil serait formé pour la réception, le choix, ou la mise en scène des pièces nouvelles, et même de celles qu'une paresse insouciante fait négliger, quoiqu'elles fassent partie intégrante du répertoire, et que leur apparition contribue singulièrement à varier nos plaisirs. Ce conseil, composé, comme je vous l'ai déjà dit, d'hommes de lettres aussi zélés qu'impartiaux, discuterait sur le mérite ou les défauts du drame présenté; écouterait l'opinion raisonnée, les réclamations, répliques et contredits des ci-devant sociétaires présens et présentes à la lecture et à la délibération. Sous l'autorisation des premiers gentilhommes de la Chambre, ce conseil jugerait en dernier ressort sur l'adoption ou le rejet des pièces soumises à son examen. À des jours réglés, ces commissaires royaux se réuniraient pour faire une revue générale et approfondie des richesses manuscrites renfermées dans le chartrier dramatique, où, peut-être, depuis si longues années, dorment en paix, ensevelies dans de poudreux cartons, tant de tragédies excellentes et de comédies d'une facture exquise. En provoquant pour ces drames divers la faveur d'une représentation et le jugement du public, on donnerait à leurs auteurs une sorte de résurrection. Si ces réglemens favorisent les auteurs, je puis affirmer que les artistes eux-mêmes auront lieu de s'en applaudir, puisqu'ils leur procureront de nouvelles occasions de développer leurs moyens dans des rôles plus variés; dès lors, les talens, justement appréciés, seront mis à leur vraie place, sans avoir égard à l'ancienneté d'un sujet nul ou médiocre. Le mérite seul, sans autre considération, obtiendra le rang qu'il aura justement acquis; et les récompenses décernées aux premiers sujets en tout genre, les fixeront dans notre patrie. Nous n'aurons plus la douleur de les voir, même en hiver, s'exiler dans les départemens, ou chercher fortune dans les pays étrangers: remarque assez importante dans un moment où nous sommes menacés de perdre, peut-être pour toujours, MM. Garcia et Perlet, et Mmes Fodor, Pasta, Perlet et Léontine.

«Oui, Messieurs, si l'autorité suit la marche que j'ai tracée, si elle opère ces changemens, ces transmutations, ces réformes, ces améliorations, peu à peu vous verrez disparaître tous les abus; alors nous démentirons cet axiome que j'ai souvent entendu sortir de la bouche de Francklin.

«La négligence ouvre la porte aux abus; l'égoïsme les introduit; l'ignorance les accueille; le temps les affermit; la multitude en souffre; les particuliers en profitent; le zèle y cherche un remède; la science le trouve; et la cupidité le repousse.»

CHAPITRE LIII.

Bal.—La passion du jeu l'emporte sur celle de la danse.—Peinture générale de la société des salons.—Certains usages ont disparu et fait place à d'autres.—L'écarté fait fureur.—Les charades en action passées de mode.—Les comédies et petits opéras très-en vogue sur les théâtres de campagne.—Charme des sociétés de la capitale.—Les Album.

Tout en applaudissant aux plans de M. de Clinville, on était sorti de table. De l'eau avait été offerte aux convives, dans des vases de cristal azuré, pour se laver les mains et la bouche; et l'on était passé dans une autre pièce pour y prendre le café et les liqueurs.

Rentrée dans le grand salon, Mme de Valmont y trouva une assemblée extrêmement nombreuse; indépendamment des amis intimes invités au dîner, toutes ses connaissances s'étaient empressées de venir la complimenter et de se rendre au bal qu'elle donnait le soir pour terminer plus gaiement le jour de sa fête.

Déjà l'orchestre avait préludé par la plus douce symphonie; bientôt succède une musique vive et bruyante; et ce fut alors que Mme de Valmont ouvrit le bal avec Philoménor, dans un quadrille où les belles formes grecques et les grâces légères de France présentèrent, par le plus heureux accord, un spectacle véritablement ravissant; l'admiration était portée à son comble; et je n'ai pas besoin de dire que tout le monde s'était levé, et avait formé cercle pour le contempler; cela se devine, quand on connaît Paris. Mais, le jeu, qui a bien aussi ses attraits, avait réuni dans les autres appartemens les personnes d'un âge plus mûr, qui ne dansent point; et même beaucoup de jolies dames et de jeunes gens. Après les premières contredanses, Philoménor fut étonné de voir la maîtresse de la maison être obligée de recruter des danseurs groupés autour des tapis verts. Par un motif très-louable, elle désirait que les demoiselles, qui jouent peu dans les grandes réunions, ou qui même ne jouent point du tout, pussent au moins danser, et qu'au son de la plus entraînante harmonie, tant de charmantes personnes ne fussent pas trop justement comparées à la vivante statue de l'opéra de la Belle Arsène, se morfondant pendant un siècle sur son triste piédestal; elle voulut donc presser le moment où quelque séduisant enchanteur viendrait, par une invitation magique, les tirer de la plus ennuyeuse immobilité. Semblable à une fée protectrice, d'un seul mot elle réussit à leur imprimer le mouvement, et pour ainsi dire une nouvelle existence. Pendant qu'une foule d'élégans, sans attendre le résultat du coup le plus piquant et le plus décisif, s'empressait de céder aux désirs de Mme de Valmont, en confiant rapidement ses intérêts pécuniaires aux soins de l'amour ou de l'amitié; pendant que chaque danseur se précipitait dans la salle du bal, invitait une jeune beauté, et se mettait en place, Philoménor, débarrassé du tourbillon, et rapproché de moi, s'amusait infiniment de scènes éminemment dramatiques. Ce n'étaient plus les jeunes gens qui avaient déserté le grand salon, c'étaient de jeunes femmes qui, préférant l'écarté au plaisir de la danse, se lançaient au jeu avec une incroyable vivacité. Celle-ci assiégeait la place vacante; supplantait lestement l'homme pacifique que son tour y appelait; le consolait poliment d'un sourire; l'engageait à parier dans son jeu, en lui promettant les chances les plus heureuses, fondées, disait-elle très-sérieusement, sur un rêve de la nuit. Celle-là, après avoir épuisé sa bourse, empruntait à mi-voix à son voisin, ou jouait sur parole, dans la persuasion, assurait-elle, que ce moyen unique, infaillible, portait bonheur. D'autres dames, enfin, beaucoup mieux inspirées sans doute, ne faisaient pas une partie sans changer de cartes, sans mêler le jeu de leur adversaire, en y ajoutant la culbute[136].

«Oh! que votre J.-B. Rousseau, me disait à mi-voix mon ami, avait bien raison d'écrire ces vers d'une épigramme qui s'est presqu'involontairement gravée dans ma mémoire:

     «Ce monde-ci n'est qu'une oeuvre comique
     Où chacun joue un rôle différent.»

OEuvres choisies, page 313.

De bonne foi, ces femmes, si spirituelles et si charmantes, croyent-elles réellement ce qu'elles ont l'air d'affirmer d'un ton si positif? Pourquoi chercher à nous persuader qu'elles conservent encore ces petits préjugés de l'enfance?» «Je présume en deviner la raison, lui répondis-je; mais comme, sous peine d'être taxé d'indiscrétion, je ne pourrais vous la dire, vous applaudirez sans doute à mon silence.» «Je n'en reviens pas, insistait le jeune Grec. Quoi! avec un jugement si sain, tant de lumières, tant d'instruction, une éducation aussi soignée, la superstition aurait-elle pu les gagner et les séduire? régnerait-elle encore dans un siècle aussi éclairé que le nôtre?» Sa surprise redoubla en voyant que le goût du jeu ne les abandonnait pas, même en exécutant un pas de Coulon ou d'Aumer, et même en valsant avec le plus aimable abandon. Un joueur se levait-il de table, nous entendions souvent une merveilleuse tenir, en pirouettant, aux attentifs qui l'entouraient, ce langage digne de Sparte:—Ai-je gagné? ai-je perdu?—Madame, voici votre argent.—Bien, très-bien: gardez… vite, mettez pour moi; je fais mon paroli.

«Quelle fureur du jeu!» ne cessait de s'écrier Philoménor. «Vous rêvez, lui dis-je, et, dans ce moment, vous n'avez pas assez d'indulgence. Concevez-donc combien il est piquant de jouir, dans l'instant le plus fugitif et le plus rapide, de quatre plaisirs à la fois; de la musique, de la danse, du jeu et des triomphes de la coquetterie.» «Paix! répliqua Philoménor, parlez plus bas; vous seriez entendu peut-être; et, pour la dernière jouissance, beaucoup de femmes ont la prétention de n'en pas vouloir convenir. Au surplus, j'avoue que mes observations sont complètement ridicules; et le genre que je censurais si sottement, doit être le nec plus ultra de la civilisation.» «N'en doutez pas, repris-je; permettez-moi toutefois de vous faire remarquer que les amusemens de la société de Paris ont singulièrement changé depuis huit ou dix ans. À cette époque, la bouillotte, que l'on ne joue plus qu'au marais, était alors en grande faveur. Ce jeu est entièrement passé de mode au quartier Saint-Germain et dans la Chaussée d'Antin. Le loto royal se joue beaucoup au pavillon de Flore. Le boston, l'impériale, le wist se soutiennent encore dans certaines maisons. Mais il est un autre jeu, mon cher Philoménor, qui devrait être à jamais proscrit dans les salons: je veux parler du creps; l'anglomanie l'avait fait adopter; Mme de Valmont n'a pas permis qu'on l'introduisît chez elle, surtout depuis qu'un jeune homme qui lui avait été singulièrement recommandé, y perdit dans une seule séance près de cent mille francs. C'était une dette d'honneur qui devait être acquittée sans délai. Pour se procurer cette somme jouée sur parole, cet infortuné, à peine sorti de l'enfance écrivit à sa mère une lettre très-attendrissante, dans laquelle en exprimant ses regrets et ses chagrins, il la priait de vendre une ferme éloignée et de lui en faire passer la valeur. Cette bonne mère, retirée depuis son veuvage dans une terre magnifique, près des Cévennes, lui répondit:

«Je suis moins touchée, mon fils, de la perte assez considérable que vous avez faite, que des suites qu'elle peut avoir si vous ne suivez pas les conseils de votre meilleure amie. Qui pourrait, hélas, me répondre que votre fortune ne soit pas un jour entièrement compromise? Après avoir relu votre lettre, j'ai mûrement réfléchi au parti que je devais prendre; et je crois avoir choisi le plus sage; je suis décidée à venir à votre secours; mais sous la condition expresse que vous quitterez Paris et que vous me rejoindrez aussitôt. Si vous acceptez mes offres, répondez-moi poste pour poste; et la somme dont vous êtes redevable sera incessamment comptée à vos créanciers. Je suis bien loin, mon fils, de vouloir gêner votre liberté; mais, à dix-sept ans et demi, Paris serait peut-être pour vous un gouffre sans fond. Vous reverrez cette capitale lorsque vous aurez plus d'âge et d'expérience. En payant vos folies d'un jour, je n'ai point voulu entamer des immeubles; j'ai préféré m'imposer à moi-même des sacrifices personnels et vous punir de votre imprudence, en vous donnant une leçon que chaque jour vous rappellera. J'ai détruit pour quelques années les agrémens d'une terre qui doit vous revenir lorsque je ne serai plus. Ces hautes futaies, ces bois précieux dont vous aimiez tant le riant aspect et l'ombre hospitalière, sont vendus; et lorsque vous recevrez cette lettre, la hache aura fait tomber ces chênes majestueux, ces cèdres et ces hauts pins dont la tige semblait défier la foudre et devoir vivre plusieurs siècles. Il l'a fallu: j'ai préféré me résigner à des privations; imitez-moi, mon fils; mais je n'ai point voulu déshériter ni vous ni vos enfans (si vous en avez un jour) d'un patrimoine que tôt ou tard on regrette, lorsque l'on est entré dans l'âge de la raison et de la sagesse. Je vous afflige peut-être, mon fils; dans vingt ans vous eussiez blâmé mon défaut de prévoyance, et sans doute à cette époque vous bénirez ma mémoire. Aux reproches que je suis obligée de vous faire, je veux opposer quelques consolations. La saison le permet: venez me donner votre goût, vos conseils pour remplacer, par de nouvelles plantations, ces bois plantés par vos aïeux. Puissent les soins de ma tendresse, les plaisirs de l'aimable agriculture, qui, avant votre départ, amusaient vos loisirs, vous faire oublier ce Paris que vous n'avez connu que par des revers de fortune! Puissent ces arbres que nous replanterons ensemble, vous rappeler, en se développant, les périls où peut entraîner la passion des jeux de hazard, et vous guérir pour jamais d'un penchant aussi pernicieux que funeste! Venez, je vous attends, mon cher fils; et souvenez-vous toujours dans vos chagrins, que:

«L'asile le plus sûr est le sein d'une mère[137].»

«J'ajouterai, mon cher Philoménor, que ce jeune homme quitta Paris le jour même, et se rendit auprès d'une mère dont il fait le bonheur.

«Cent autres jeux innocens, où l'on infligeait de si douces punitions, ont entièrement disparu avec ces petits drames que l'on appelait charades en actions. Ces comédies, pantomimes ou parlées, exigeaient une improvisation très-favorable et très-propre à faire briller les gens d'une imagination vive et féconde; mais devenaient très-pénibles et très-embarrassantes pour beaucoup d'autres. Et vous me l'avez dit cent fois, mon cher ami, il n'est point de tâche plus insupportable que l'insipide obligation de faire continuellement de l'esprit. La bizarrerie des costumes, la variété des poses, étaient les indices qui devaient servir de fil aux spectateurs pour découvrir l'issue du labyrinthe où les comédiens cherchaient à vous égarer sans cesse, tout en paraissant vous donner les renseignemens les plus précis. La pièce, selon le nombre des syllabes du mot choisi, se divisait en deux, trois, quatre ou cinq actes. En se rappelant les scènes antécédentes, le tout de la charade devait être deviné. Je le présume; le dérangement d'une toilette soignée, que ce jeu détruisait presque toujours, n'aura pas peu contribué à faire abandonner ce genre de plaisir, pour lequel, d'ailleurs, il fallait dans chaque maison un vestiaire assez varié. De plus tout se trouvait bouleversé dans les appartemens, puisqu'une grande partie des meubles servait à exprimer le logogriphe; et ce bouleversement, cause nécessaire de beaucoup d'accidens, devait aussi naturellement déplaire aux maîtresses de maison qui aiment l'ordre, la propreté et la conservation d'un mobilier aussi élégant que précieux.

«On joue bien, si vous voulez, la comédie de société; mais seulement dans les beaux jours de l'été ou de l'automne, sur un petit théâtre de campagne; et l'on n'y représente que des pièces faites par nos meilleurs poètes, sans y être, comme aux charades en action, auteur et acteur à la fois. À ces différens jeux surannés, auxquels on ne songe plus, on a substitué le billard. Il est peu de maisons opulentes qui n'aient une pièce affectée à cette destination.

«Enfin, mon cher ami, aux soirées ordinaires, un usage qui, dans certains départemens serait l'oubli de toute politesse, ou pour mieux le caractériser, une incongruité révoltante, un scandale épouvantable, est toléré dans plus d'une réunion de Paris. Est-on las de converser, n'aime-t-on ni les cartes, ni le billard, ni la danse, on est parfaitement libre, sans que le maître de maison le trouve mauvais, d'examiner un cabinet de tableaux, et de parcourir, dans un coin du salon ou de l'appartement voisin, la feuille du jour ou la brochure nouvelle. Souvent même des hommes de talent s'amusent à enrichir l'album des dames; et presque toutes y conservent un souvenir de nos grands artistes modernes, tel, qu'un cheval de Carle, un ermite d'Horace, une tête de Girodet, une pèlerine de Lescot, un paysage de Watelet, une fabrique de Bertin, un bouquet de fleurs de Vandael, et une romance inédite de Lamartine, sur un air spontanément composé, noté et chanté par Lafont ou Romagnési; et vous savez, mon cher Philoménor, qu'un album bien varié est indispensablement nécessaire au bonheur d'une femme à la mode.»

CHAPITRE LIV.

Au milieu de la fête, Philoménor reçoit des dépêches de la Grèce.—Il veut quitter Paris.—Son dévouement à son pays.—Affreux malheurs de la Grèce.—Reproches que mérite l'Europe à ce sujet.—Philoménor réclame pour sa patrie l'appui de la France.—Avantages qui en résulteraient pour elle. Voeux du jeune Grec.—Ses touchans adieux.

«Ô la délicieuse société! s'écriait Philoménor! comme on est bien ici! je voudrais y passer ma vie!» À peine finissait-il ces mots, qu'un de ses gens demande à lui parler, et lui remet un énorme paquet au timbre de la Grèce; l'envie bien naturelle d'en connaître le contenu le fit se retirer de bonne heure à l'hôtel qu'il habitait. Lorsque je le revis quelque temps après, j'eus la douleur d'apprendre que les lettres qu'il venait de recevoir du Péloponèse étaient pressantes, et qu'il serait obligé de quitter Paris sans avoir visité beaucoup d'endroits qu'il n'avait pu connaître pendant le bref séjour qu'il y avait fait; ses préparatifs de départ étaient terminés; les relais de poste avaient été commandés le jour même. «Je n'ai plus qu'une heure à passer avec vous, me dit-il, mon cher ami, avant de vous quitter; et je n'ai pas l'espérance assurée de vous revoir jamais. Je dois partir; il le faut. Mon pays m'appelle; puis-je balancer un instant à voler à sa défense, et transiger avec le devoir le plus sacré? En est-il un plus impérieux? je vais me dévouer à ma patrie, à cette patrie si chère, pour qui mes ancêtres ont su mourir. Ô mon ami! croyez qu'un tel sentiment m'est cent fois plus cher que l'amour et même que l'amitié.

«Lisez, ajouta-t-il, lisez cette épître fatale, et vous verrez si, sans être le plus coupable des hommes, je pourrais languir dans un lâche repos; s'il m'est encore permis de rester dans cette France, qui emporte tous mes regrets. Lisez, vous dis-je, les affreux détails écrits en caractères de sang, sur ces pages que j'ai cru voir empreintes des larmes brûlantes d'une mère chérie. Partout, dans la Grèce, régnent la spoliation et[138] le carnage; Athènes a été la proie des flammes; l'asile du consul français n'a pas été respecté; et les riches débris que mes mains lui avaient aidé à conquérir et à rassembler, peut-être n'existent plus[139].

Partout on renverse de fond en comble nos basiliques[140]; on séquestre nos biens; on pille nos trésors; on égorge, on empale, on crucifie les plus vertueux chrétiens, depuis les patriarches[141] jusqu'aux plus misérables esclaves; à Scio, les Turcs, dans leur rage, ont pendu cinq mille enfans; ils en ont formé des chaînes et les ont noyés dans la mer. Scio n'est plus qu'un lac de sang[142]. Dans l'île de Crète, la rage d'une milice forcenée ne s'est assouvie qu'en donnant à dévorer aux chiens les lambeaux des Grecs qu'ils avaient inhumainement massacrés[143]. On vend à l'encan nos vierges captives[144]. Les princesses du sang le plus illustre[145] ont été publiquement violées dans d'infâmes bazars; non contens de massacrer nos frères pour assouvir leur implacable haine et s'enrichir de leurs dépouilles, les Turcs en furie raffinent sur les supplices et les tourmens. Forfait inoui dans l'histoire des siècles, festin non moins affreux que celui d'Atrée, nos horribles tyrans forcent leurs victimes à devenir anthropophages! On a vu des Grecs assez infortunés pour être contraints de dévorer eux-mêmes leurs membres mutilés, leurs membres brûlés et palpitans…[146]

«Des cruautés qu'on croyait suspendues, se renouvellent[147]. Récemment, à Pergame[148], plus de mille Grecs ont été égorgés; près Janina, un pauvre solitaire a été attaché en croix, et après avoir souffert les tourmens du Christ, les Turcs l'ont brûlé vif[149].

«D'après de tels préliminaires, l'extermination de tous les Francs n'est-elle point secrètement jurée par le divan? Une boucherie universelle, sans distinction d'âge, de sexe et de rang…[150] Grand Dieu! de tels malheurs ne toucheront-ils point l'Europe? Ses agens ne rougiront-ils jamais de se montrer supplians et pour ainsi dire prosternés devant des barbares[151]? Des prières n'attendrissent point des tigres. C'est le glaive seul de la force et de la vengeance qu'il faut faire briller à leurs yeux. Une politique vacillante et incertaine, une politique au coeur d'airain, l'emportera-t-elle sur la reconnaissance? L'Europe, si vaine de sa civilisation, oublierait-elle qu'elle tient de nos aïeux tous les élémens de son bonheur? Belles-lettres, beaux-arts, sciences, philosophie, économie législative et rurale, elle a tout reçu de nous, et il n'y a pas un manuscrit, un fragment de colonne, un bas-relief, une statue qui ne dût lui reprocher son ingratitude. Presque tous les souverains d'Europe nous ont abandonnés[152]: seul, le pontife de Rome nous accueille et nous ouvre ses bras paternels; aussi brûlons-nous de lui être unis par les liens les plus étroits et les plus sacrés[153], nous que l'on représentait comme des fanatiques orgueilleux et entêtés! L'Angleterre, il est vrai, semble adoucir pour nous ses rigueurs accoutumées; ne vous y trompez pas, mon cher ami; ce ne sont point les saintes lois de l'humanité, si souvent violées par elle, qui la guident; attribuez à de moins nobles motifs ce changement qui semble s'opérer dans son système aussi persécuteur que tyrannique; notre opiniâtre résistance, le courage même du sexe le plus faible[154], quelques brillans succès, et bien plus encore la haine et la terreur qu'inspire la Russie à la Grande-Bretagne, lui font craindre des vengeances trop méritées, qu'elle voudrait prévenir et apaiser. Je crois même entrevoir, sous ses feintes caresses, les chaînes qu'en secret elle nous prépare. Peu certaine de conserver ses usurpations sur le continent, elle songe à des indemnités futures; et déjà peut-être elle rêve un nouvel empire insulaire au milieu des tempêtes de l'Archipel grec. Ma patrie se laisserait-elle séduire par les avances fallacieuses de cette puissance, qui réconcilie[155] des ennemis dont les divisions furent si favorables à notre émancipation politique? Compterait-elle sur la bonne foi de cet inexplicable gouvernement, qui, nouveau Janus, tend une main amie et protectrice aux insurgés militaires du Portugal[156] et des Espagnes[157], leur vend et leur livre son salpêtre et ses bayonnettes[158] pour foudroyer et égorger les généreux défenseurs de tous les pouvoirs légitimes, vous m'entendez, les Français; et souvenez-vous que cette même nation, si libérale à l'Occident[159], prodiguait naguère en Orient ses conseils, ses frégates, ses armes; ses munitions et jusqu'à ses soldats au despotisme le plus absolu, le plus immoral, le plus sanguinaire, le plus féroce, et secondait ainsi de barbares infidèles pour exterminer des Grecs, des Grecs professant la même religion, le même droit des gens, et les mêmes principes de civilisation.»

«Oui, sans doute, répliquai-je, mon cher Philoménor, vos défiances sont justes et fondées en raison. Quelle honte éternelle pour l'Angleterre! Dans des temps bien plus critiques, était-ce ainsi que se conduisirent ces braves[160] guerriers qui composaient à Rome la légion Thébaine[161] si renommée pour son intrépidité[162], sa soumission et son dévouement[163] à l'empereur? en vain Maximien, victorieux dans les Gaules, veut les forcer de persécuter les Genévois[164], chrétiens comme eux; en vain pour les y décider il épuise les menaces et les supplices[165]; chefs, officiers, soldats, résistent avec respect et ne se révoltent point[166]. Maurice Exupère, Candide et plus de six mille légionnaires déposent leurs armes et leurs boucliers[167]; victimes sans défense[168], ces lions si terribles dans les batailles, sommés trois fois de combattre, préfèrent trois fois être décimés[169] et même massacrés jusqu'au dernier, plutôt que de verser le sang de leurs frères[170], plutôt que de commettre une action qui leur semblait être un affreux parricide. Ah! si la majesté des monumens se proportionnait à la grandeur de ces héros magnanimes, les Alpes seules, mon cher Philoménor, étaient dignes d'être leurs tombeaux.»

«Que les Anglais, dans ma patrie, se sont montrés éloignés de sentimens aussi sublimes! me dit le jeune Grec en soupirant. Je le sais, ajouta-t-il, de récentes victoires ont effacé nos revers, séché nos larmes, et couronné nos efforts; mais ces efforts multipliés suffiront-ils pour nous soustraire à la fureur de nos tyrans, excitée chaque jour par de nouvelles défaites, par de nouveaux désastres, et d'autant plus à craindre qu'ils paraissent la dissimuler. Si l'humanité, foulée aux pieds par ces infidèles; si la religion, insultée, avilie, nageant dans le sang, se traînant expirante sur les restes fumans de ses sanctuaires embrasés, profanés, démolis, ne touchent point quelques puissances de l'Europe; je m'adresserai à la France, parce que la France est pour ainsi dire la légataire universelle de nos plus riches trésors. Ah! mon cher ami, si, soulevant le marbre qui couvre ses cendres inanimées, Louis IX sortait vivant de son sépulcre, douteriez-vous qu'on ne vît éclater sur sa poitrine le signe d'une nouvelle croisade contre les infidèles? Attendrait-il, pour nous secourir, que le dernier Grec eût été moissonné par le cruel cimeterre[171]? Mais je veux bien faire taire un instant la voix des malheureux, dont les accens plaintifs ne se firent jamais entendre en vain au coeur des Français, et surtout des Bourbons. Je ne ferai parler ici que votre intérêt personnel. Quoi! les vétérans de vos anciennes armées regrettent la guerre et soupirent après de nouveaux combats! L'opprimé réclame leur appui! Quelle carrière plus légitime pouvez-vous offrir à leur mâle courage? Votre gouvernement se bornera-t-il à nous envoyer quelques vaisseaux? Se contentera-t-il de sauver quelques passagers au milieu de ce grand naufrage? L'Archipel ne verra-t-il aucun de vos guerriers? et les échos des Thermopyles, comme ceux des Pyrénées, ne répéteront-ils jamais les chants de vos victoires? Ignorez-vous qu'il existe des mécontens secrets dans votre intérieur? Avez-vous oublié tant de conspirations, heureusement avortées? et vous n'ouvririez pas une lice honorable à l'ambition trompée, remuante et peut-être séditieuse! Songez encore que votre population immense augmente chaque jour, et sera bientôt pour vous le plus lourd fardeau, lorsque votre empire, loin de s'être agrandi comme celui de vos voisins, s'est vu resserré dans ses anciennes limites!

«Votre beau royaume est, je l'avoue, dans l'état le plus prospère, mais vous avez perdu vos colonies lointaines. Vos comptoirs dans les Grandes-Indes sont presque sans territoire. Que je serais heureux si la Grèce un jour vous dédommageait de tant de pertes successives[172]! Si la Grèce devenait française! Si le drapeau des lys flottait triomphant sur les remparts de l'Acropolis, sur les tours de Rhodes et de Candie! Si la Charte du grand roi qui vous gouverne, cette Charte dont nos sages semblent lui avoir dicté les principes, était proclamée dans l'aréopage d'Athènes!

«La possession de nos fertiles contrées, en vous indemnisant amplement du Canada, de la Louisiane et de Saint-Domingue, vaudrait sans doute encore ces établissemens incertains du Sénégal, de la Guyanne et de Cayenne, où l'air est aussi meurtrier que la flèche empoisonnée des sauvages. S'il faut tout vous dire, l'humanité entière semble exiger cette conquête; c'est au peuple vainqueur de la peste qu'il appartient d'en extirper le germe jusque dans son berceau, en chassant les Turcs, ces barbares qui respectent ce fléau[173] comme autrefois les Vestales conservaient à Rome le feu sacré.

«Déjà votre gouvernement protecteur a sauvé des misérables; qu'il daigne compléter une oeuvre si heureusement commencée! Qu'il daigne mettre un terme à nos lamentables infortunes! Qu'il n'hésite plus à nous envoyer des guerriers, des munitions et des armes! Et l'antique patrie des arts sera la juste récompense des plus généreux efforts.

«Ô mon ami, les Grecs ne sont pas tels que leurs implacables ennemis les ont dépeints; ils ne sont ni injustes[174], ni ingrats[175], ni déloyaux[176], ni perfides. Ils n'ont pas emprunté ce caractère à leurs affreux tyrans. Ah! si les travaux héroïques de vos braves étaient récompensés dans la postérité par une gloire ineffaçable, par une auréole immortelle, la reconnaissance des Hellènes vous élèvera dans leur mémoire des trophées plus solides et plus durables que le granit et l'airain.»

L'enthousiasme m'avait saisi moi-même. Philoménor me semblait un génie inspiré du ciel, tant ses yeux étincelaient de la flamme du patriotisme et de la valeur; tant son teint était coloré par les différentes passions dont il était agité; après un moment de silence, il tire une lettre de son sein, et me prie de la remettre à Mme de Valmont; puis, tout-à-coup, partageant la vive émotion, la profonde douleur et les sincères regrets qu'il me voyait éprouver, il me serre étroitement contre son coeur, inonde mon visage de ses larmes, et ne peut me dire que ce peu de mots; l'amitié ne les oubliera jamais: «Je vous quitte, mon ami; mais votre souvenir vivra toujours dans ma pensée. Consolez-vous; peut-être nous nous reverrons; mais jamais, je le jure, avant que la Grèce ne soit libre et heureuse.»

Il veut continuer; la parole expire sur ses lèvres; il s'arrache de mes bras avec effort; s'élance dans la chaise de poste qui l'attendait; et lorsque sa voix ne se faisait plus entendre, lorsque je ne pouvais plus l'apercevoir, je croyais écouter encore son éternel adieu.

FIN DU SECOND ET DERNIER VOLUME.

NOTES:

[1: On ne sait trop pourquoi on en a conservé près la porte des princes et des ambassadeurs.]

[2: Il y a peut-être économie pour les comédiens. En mettant plus de troupes sur pied, on se passerait facilement de ces désagréables clôtures.]

[3: La dépense en a été légère, puisque ces branches de fer avaient été introduites autrefois dans les colonnes supprimées, pour les rendre plus solides.]

[4: Ce n'était pas ainsi que les anciens ornaient leurs spectacles. Ils savaient leur donner un caractère spécial, comme on peut s'en convaincre par les débris du théâtre de la villa Adriana, qui font partie du Museum anglais.]

[5: Et quel papier! à 36 sous le rouleau.]

[6: En Pologne, en Allemagne, en Russie, aux États-Unis et ailleurs, nos plus habiles ouvriers ont fourni tous les meubles des différens châteaux, depuis les plus simples jusqu'aux plus recherchés.]

[7: Voyez les galeries de Castiglione et les magasins des rues Vivienne et des Filles-Saint-Thomas.]

[8: Ne devrait-on pas casser certain réglement qui interdit à Lafont les rôles de premier comique, qu'il joue en perfection?]

[9: Récemment exclus, il ne l'était pas alors.]

[10: Il ne devrait point, ce me semble, y avoir une seule grande institution où cette récompense ne fût décernée à ceux qui ont bien mérité de la patrie. En cela, je crois servir la postérité.]

[11: Élisabeth, reine d'Angleterre, l'employait souvent. Voyez tous les historiens anglais.]

[12: Les catacombes de Saint-Sébastien sont hors des murs de Rome; elles ont environ dix milles d'étendue. D'après une sainte tradition, plus de soixante-dix mille chrétiens y ont été enterrés; souvent, surtout au printemps, les voyageurs aussi curieux qu'imprudens qui les visitent, y sont punis de leur témérité. Le 28 décembre 1810, plusieurs étrangers qui s'y étaient fait introduire, furent ensevelis sous des éboulemens de terre, sans qu'on ait pu les rappeler à la vie. Ces détails m'ont été communiqués de vive-voix par un voyageur très-digne de foi.

(Note de l'auteur.)]

[13: Ces ossemens y sont symétriquement rangés, et y forment la plus affreuse mosaïque.]

[14: Le Père Lachaise.]

[15: Louis XIV.]

[16: Méditations poétiques de M. de Lamartine. (Méditation dix-huitième.)]

[17: Ce qui n'arriverait pas si, une fois tracés par la main d'un habile architecte, ces chemins étaient soutenus par les racines des haies et des arbustes, qui, non-seulement empêcheraient les terres de s'écrouler, mais seraient encore un très-lucratif embellissement.]

[18: Quel mauvais effet ne produit pas cette hideuse guérite sur roulettes, que l'on appelle cabinet de lecture. La véritable place d'un établissement de ce genre n'est-elle pas trouvée sous les galeries du pourtour de la place.]

[19: À moins qu'on ne préfère élever d'un ou deux étages ceux qui existent, comme le projet en avait été arrêté dans le principe.]

[20: «Deux tourniquets placés l'un à côté de l'autre, sont les seuls moyens d'entrée et de sortie. Celui destiné à la sortie cède au moindre effort; mais si l'on veut s'en servir pour entrer il oppose une résistance invincible, et l'on est obligé de revenir à celui qui en est voisin; celui-ci oppose une résistance semblable. Mais le préposé en recevant le tribut dû à César, touche du pied un ressort qui fait faire au tourniquet seulement un quart de conversion, et qui livre passage au piéton: ce mouvement fait descendre d'un cran un ressort intérieur, et le nombre des crans dont il est descendu fait connaître à la fin de la journée celui des personnes qui ont passé, et la somme dont le percepteur est comptable, dont il faut quelquefois dire… Sed quis custodiet ipsos custodes?»

Six mois à Londres, page 118.]

[21: Nouveau Dictionnaire d'histoire naturelle.]

[22: Il s'y trouve maintenant.]

[23: Sans doute le directeur du cabinet d'histoire naturelle, dont le zèle égale le savoir, s'empressera de profiter de la circonstance, et sollicitera de l'autorité compétente, deux piédestaux de la même matière pour remplacer quelques planches de sapin mal peintes en marbre qui soutiennent dans une des galeries, les bustes du Roi et de la belle Vénus du célèbre Dupaty.]

[24: On sent bien que quelques décorations intérieures, quelques bas-reliefs au dehors qui ne sont pas même terminés, ne contredisent en aucune manière ce que j'avance.]

[25: Marché Saint-Martin.]

[26: Tels que pins, cèdres, sapins, chênes verts, houx, dont les fruits sont aussi intéressans que le feuillage en est épais et dont une partie supporte impunément l'élagage et la tonte des branches parasites et nuisibles.]

[27: La pivoine en arbre, le camélia, le pompadoura précoce.

Note de l'Auteur. ]

[28: On voit encore sur la maison qui en a pris la place un débris de sculpture.]

[29: On trouve en hiver sous les galeries de l'Odéon, des fourneaux pour faire cuire les châtaignes; dernièrement on remarquait le même abus à Favart, dont les belles colonnes ont été noircies et enfumées par suite d'une insouciance aussi étonnante que répréhensible.]

[30: D'après ce principe, comment a-t-on souffert qu'une maison qui peut être occupée par des artisans auxquels des fourneaux sont nécessaires, ait été élevée contre cette partie de la Bibliothèque royale (rue Richelieu) qui jusqu'ici avait été parfaitement dégagée de tout contact avec les bâtimens de ce quartier? Quel amateur des lettres ne serait pas pétrifié de terreur, quand il songe que le cabinet des gravures, les galeries contenant les manuscrits, ne sont séparées que par un mur mitoyen, des bureaux de la trésorerie, où pendant les trois quarts de l'année on fait constamment du feu?]

[31: «Ces baraques déshonorent Paris par l'indigne petit moyen de faire de l'argent de tout.» Mémoires du prince de Ligne, sur Paris, tome II.]

[32: Saint-Roch, Saint-Germain-l'Auxerrois et autres; j'en dirai autant de ces loges dégoûtantes adossées au parapet de la fontaine qui coule en face le Palais-Royal, et près le guichet du nord, au Louvre.]

[33: Et notamment d'une quantité de polichinelles.]

[34: Sans doute M. le gouverneur ignore cet abus qui indigne tous les honnêtes gens. Si l'on n'arrête pas promptement ces empiétemens sur un terrain sacré, je n'y vois plus de terme. On a permis l'établissement d'une baraque, demain on en permettra six, et il n'y a pas de raison pour que le bas de la terrasse des Feuillans ne devienne pas une honteuse foire perpétuelle, au bénéfice de gens que nous ne connaissons pas.]

[35: Un homme ne s'y montrait jamais sans l'épée et l'habit habillé, et une femme n'aurait pu s'y présenter avec une mante.]

[36: Partout, comme en Angleterre, dont nous aimons tant à suivre les usages, les monumens publics devraient être environnés de grilles.]

[37: Heureusement, M. le préfet de police vient de prendre un arrêté relatif à ces galeries, par suite duquel, doivent disparaître les montres et les enseignes saillantes collées ou peintes sur les pilastres, ou suspendues entre les portiques, et généralement tout ce qui peut intercepter le passage des galeries, qui par le contrat de vente et un ancien décret, sont très-positivement réservées pour la libre circulation du public.]

[38: Depuis long-temps les globes des lanternes sont brisés, et on ne songe pas à les remplacer.]

[39: «Les Anglais sont aussi jaloux de leurs murailles que les Italiens le sont de leurs femmes, et vous lisez à chaque pas ces mots sur les murs: Quiconque placera ici une affiche, sera poursuivi conformément aux lois. Six mois à Londres, page 16.]

[40: Qui n'y a pas lu avec indignation depuis longues années, «Vente à moitié perte.—La vérité est que l'on trouve chapeaux à vendre au plus juste prix.—Cire composée pour les moustaches.—Bandages herniaires.—Cire composée infaillible pour les cors aux pieds.—Consultations et traitement pour les maladies v——, rue de l'Arbre-Sec.—Rob anti-syphilitique du sieur Laffecteur, et annonces de charlatans.—Poudre sanitaire.—Onguent pour la brûlure.—Cuisine Anglo-Française, etc.]

[41: Perrault.]

[42: Il en coûterait pourtant si peu d'informer le public de telle mesure de police, en mettant l'annonce ou l'arrêté, dans un cadre suspendu, qui ne salirait point les murs par la colle et les débris de papier.]

[43: On voit encore une partie de ces affiches contre Notre-Dame, Saint-Sulpice, Saint-Roch, Saint-Gervais, Saint-Louis, Saint-Philippe. L'église de Saint-Laurent, faubourg Saint-Martin, est peut-être la seule qui ait échappé à cette espèce de profanation. Enfin, ô prodige des révolutions! sur les murs du même temple où Massillon faisait entendre les touchans accens de sa persuasive éloquence, où l'aigle de Meaux, le grand Bossuet, lançait ses foudres contre l'erreur… je lis d'un côté, ces mots tracés en gros caractères: On apprête à neuf les cachemires, on nettoye les schals de laine, on fait les reprises perdues… et de l'autre, Librairie protestante, etc.]

[44: Non loin du mandement de Monseigneur l'Archevêque, on lisait, le 15 août dernier 1823, dans l'église Saint-Roch: Cent francs de récompense à qui rapportera au bureau, rue de la Jussienne, une petite perruche verte, à longue queue, disant parfaitement: Vive le roi! Était-ce en raison des bons principes inculqués à la perruche, que le placard avait été souffert et toléré?]

[45: Notamment sur celles qui soutiennent le vestibule du Palais-Royal, côté de la rue des Petits-Champs et contre les amphithéâtres du Jardin du Roi.]

[46: À Londres on les dépose dans les différentes boutiques où elles sont exposées aux regards. Six mois à Londres, page 16.]

[47: Il faut être juste, depuis peu cet usage est adopté à l'Opéra et aux Français, mais il ne l'est ni à l'Odéon, ni à Feydeau.]

[48: Telles qu'à New-York, et autres villes des États-Unis.]

[49: Souvent on croit respirer l'atmosphère des cloaques les plus infects. Souvent la malpropreté est telle, qu'une femme en montant ou en descendant les degrés, ne peut déployer sa robe, sans qu'elle ne soit tachée ou mouillée par les immondices, que l'on a vu tomber en cascade, des extrémités de la terrasse qui règne sur le fronton du théâtre. Indépendamment des bassins qui existent, il serait donc utile d'établir des tuyaux secrets de propreté, et de donner surtout la consigne de la surveillance la plus sévère, pour éloigner et punir les sales profanateurs qui oseraient transgresser les dispositions d'un arrêté pris à ce sujet.]

[50: Comme on est à même de s'en convaincre en traversant le soir le jardin du Luxembourg, côté de la rue d'Enfer.]

[51: Sauf quelques faits nouveaux que j'ai cru devoir ajouter, un grand nombre de personnes pourraient attester que cette dissertation sur le gaz hydrogène était composée plus de six mois avant la publication de l'Essai critique sur le gaz hydrogène, par MM. Charles Nodier et le docteur Pichot, ouvrage où le talent de l'observation se fait autant remarquer qu'un profond savoir, enchâssé dans le cadre le plus heureux.]

[52: «À Londres même, dit M. Charles Nodier, où cet éclairage doit être infiniment perfectionné, nous attestons qu'il n'est pas de théâtre où nous n'ayons été poursuivis par ces odieux miasmes capables de détruire l'illusion de la représentation la plus attachante.» Essai critique sur le gaz hydrogène, page 76.]

[53: En pareille circonstance, quel coup de fortune pour les filous de toute espèce!]

[54: Placé ailleurs qu'au parterre et à l'orchestre de l'Odéon, soit au niveau, soit au dessus du lustre, on a peine à saisir les traits des comédiens qui sont en scène; ce qui n'arrivait pas lorsqu'on se servait d'huile et de bougies.]

[55: L'expérience en a été constatée à Londres: «Par ordre du lord-maire, on a présenté à un jury de chimistes plusieurs bouteilles d'eau puisée dans la Tamise, à trente pas de l'égoût du gaz; cette eau exhalait une odeur infecte; on en a rempli un vase dans lequel on a plongé des anguilles et autres poissons très-sains; au bout de trois ou quatre minutes ils étaient tous morts.» Journal du commerce, 25 septembre 1821.]

[56: Fait avoué par sir William Congrève, au ministre de l'intérieur.]

[57: Voyez les Débats, le journal de Paris, du mois d'octobre.]

[58: «Ce phénomène, comme me l'a dit un habile chimiste, s'explique facilement: deux gaz sont nécessaires pour mettre le calorique en action. Le premier qui est l'hydrogène, est comme on sait la base de la chaleur; le second qui met cette base en action, est l'oxigène ou principe vital contenu dans l'air atmosphérique. Lorsque ces deux gaz sont dégagés de toute autre combinaison, la lumière jaillit dans toute sa pureté; et ce gaz est aujourd'hui celui qui sert à éclairer tous nos établissemens. Mais lorsque dans le local dont nous avons parlé ci-dessus se trouve une assemblée d'hommes trop grande, relativement à l'édifice qui les renferme, (et je prends pour exemple un théâtre), la partie d'oxigène ou principe vital étant absorbée par des spectateurs trop nombreux, dès lors, manque pour fournir au développement du gaz; et telle est la démonstration physique et irrécusable des absences de lumière qui se sont plusieurs fois manifestées précédemment à l'Opéra, et dernièrement à Faydeau lorsqu'on y donnait Zémire et Azor[59].»

Le témoignage d'un Anglais cité par M. Charles Nodier, vient à l'appui de cette assertion. «Cinq cents pouces cubes de gaz hydrogène, fournis par un bec de manière à produire une flamme égale à celle d'une chandelle ordinaire, consument mille soixante-seize pouces cubes d'air vital, pendant que la chandelle n'en absorbe que deux cent soixante-dix-neuf.» Essai critique sur le Gaz hydrogène, pages 74 et 75.]

[59: Cette seconde pièce ne put être représentée; il n'y a que les entrepreneurs et les filous qui puissent s'intéresser à ce mode d'éclairage.]

[60: Personne n'ignore les accidens arrivés au Palais-Royal, chez le restaurateur Provos, en vain les directeurs de la compagnie du gaz ont fait tous leurs efforts, et employé leur puissante influence pour nier ou dissimuler des malheurs dont plus de mille individus sont témoins. Il est constant que plusieurs personnes de ce restaurant ont été blessées, qu'un jeune homme a sauté à plus de sept pieds en l'air; qu'un plafond a été percé à jour; que des glaces, des pendules, des lustres, et surtout des porcelaines renfermées dans les buffets, ont été brisés et mis en morceaux.

«Enfin, le 18 octobre 1823, les habitans de Glasgow, voisins du pont de Bromielan, ont été réveillés par une forte détonation qui a ébranlé leurs maisons jusqu'aux fondations. Elle provenait de la cave de Mme Golvic. Les effets en ont été destructifs et alarmans. La porte de la cave a été emportée; et le gaz en s'élevant a fait sauter la porte du corridor. Le plancher d'une chambre de derrière de la maison de M. William Wilson, a été enlevé jusqu'au plafond; les meubles ont été brisés et détruits; les portes ont été renversées; et les fenêtres et volets ont été jetés dans une cour; un fort étai en fer a été rompu sur l'escalier par la secousse; seize fenêtres en tout ont été plus ou moins endommagées.» Journal des Débats.]

[61: «Tanta vero erat copia cineris ut duasque urbes Herculanum et Pompeias populo sedente in theatro obruit.» Epitome Dionis Cassii seu romanæ historiæ scriptores græci minores.

Par suite d'un tremblement de terre, causé par une éruption du Vésuve, une pluie de cendre tomba en si grande quantité, qu'elle ensevelit entièrement les villes de Pompeïa et d'Herculanum, au moment où le peuple était réuni au théâtre. Epitome de Dion Cassius ou histoire des écrivains grecs du Bas-Empire.]

[62: On pense que l'incendie des deux spectacles royaux de cette résidence provient des tuyaux au moyen desquels la salle est échauffée. Gazette de janvier, même année.]

[63: «Imaginez, dit M. Charles Nodier, dont je me plais à emprunter les expressions, imaginez-vous tous ces jolis visages éclairés d'une manière égale, monotone et plate, comme de froides découpures de papier blanc, sans saillie, sans profil et sans couleur, sur un plan maussade qui ne fait pas même valoir, par quelques ombres, le relief élégant des formes et la gracieuse souplesse des attitudes. Quel infernal artifice a donc employé le démon pour enlaidir les femmes? C'est le gaz hydrogène.» Essai critique, préface, page 14.]

[64: L'agent d'un riche colon de la Martinique voulant faire passer le revenu d'une plantation à son maître qui réside en France, chargea pour une somme considérable, un vaisseau à vapeur, de sucre, café, indigo, et autres productions des îles. Au milieu de la traversée, la chaudière ayant inopinément éclaté, mit le feu au vaisseau, qui peu après sauta en l'air; tout périt, excepté les gens de l'équipage qui, au moment du danger, s'étaient prudemment précipités dans des barques. Par un bonheur inespéré, un brick naviguait à une faible distance; il entendit leur signal de détresse, et sauva les matelots et les passagers.

Note de l'auteur.

«Les machines à vapeur deviendront aussi redoutables en Angleterre que le sont présentement les marmites autoclaves, depuis la fin tragique du malheureux Naldi. M. Adlam, le charcutier le plus renommé de Londres, venait de faire construire dans ses caves une machine à vapeur, qui hachait toute seule la viande dont il composait ses saucissons. Il ne cessait de recommander à ses ouvriers de ne point approcher de la machine avec leurs tabliers; mais ayant négligé cette précaution pour lui-même, un courant d'air qui résulta de l'ouverture d'une porte, engagea son tablier dans les rouages. Il cria aussitôt au secours; mais avant qu'on pût arrêter la machine, il était déjà moulu.» Journal des Débats, du 23 juin 1821.

«Enfin, la machine à vapeur qui faisait mouvoir la grande filature de M. Féret, à Essonne, a fait explosion samedi 12 février 1823. Ce funeste accident occasiona un dommage considérable. Il a coûté la vie à deux pères de famille.» Le Constitutionnel.]

[65: En supposant, comme l'ont assuré les novateurs, que le gaz qui éclaire l'Opéra, soit plus épuré que celui de l'Odéon, en raison de l'éloignement du foyer placé à Montmartre, dont il part, et des réservoirs d'eau qu'il traverse, le danger possible d'un tuyau brisé et ses affreux résultats, sont-ils moins présens, sont-ils moins réels?]

[66: «Aussi, dit M. Charles Nodier, remarquons-nous que pour populariser le gaz en Angleterre, les chimistes ont fait valoir le rabais dont ce nouveau mode frappait notre commerce et nos importations d'huile et de suif. C'est ce que répète plusieurs fois M. Accum, en nous appelant ironiquement ses amis, et en nous plaignant avec affectation du dommage immense que nous devions ressentir. On voit que c'est véritablement en amis que nous avons servi les intentions de M. Accum, et les Anglais ne sauraient nous accuser de mauvaise volonté.» Essai critique sur le gaz, pages 72 et 73.]

[67: Représentations gratis, à l'Odéon.]

[68: L'exemple en fut d'abord donné par Mme Paradol.]

[69: Idées sur les deux théâtres Français.]

[70: Il y a tout lieu de croire que l'inexactitude des relations des voyageurs tient, en partie, en ce qu'ils ne vont pas assez à pied. Voyage de Kang-ki, t. 2, p.15.]

[71: Il est bon de faire observer, en passant, que le mauvais choix des tuyaux souterrains, très-souvent rongés par la rouille, avant d'avoir servi, oblige cinq ou six fois par an d'y faire des réparations; ce qui rend impraticables, même en été, pour les piétons, certaines rues où ces bornes fontaines sont placées.]

[72: Cour du Louvre.]

[73: On n'a pas de fonds pour défendre ces gazons par des grilles en fer, a dû répondre M. le préfet de Paris, à son Excellence Monseigneur le ministre de l'intérieur, qui l'avait fait engager par une lettre à remplir cette condition, expressément convenue et exigée, lorsqu'on ensemença ces pièces de verdure sur la place Louis XV; mais si M. le préfet n'a pas de fonds pour des grilles en fer, n'aurait-il point au moins les moyens d'y faire établir provisoirement des barrières en bois, capables de garantir ces prés artificiels d'une entière destruction?]

[74: La charité n'aurait plus à soulager que les infirmes et les malades.]

[75: Mesure qui n'exclurait pas les secours à domicile, que nous sommes bien éloignés de proscrire.]

[76: Quais.]

[77: Rue Dauphine.]

[78: Sans l'emploi du fer, rue Saint-Louis, au Marais.]

[79: Quartier Saint-Denis.]

[80: Il en existe maintenant en Italie.]

[81:

     Le Français, né malin, créa le Vaudeville,
     Agréable indiscret, qui, conduit par le chant,
     Passe de bouche en bouche, et s'accroît en marchant;
     La liberté française en ses vers se déploye.

     Art poétique, chant 2.
]

[82: Comme dans la Vallée de Barcelonnette, où de vieilles décorations ne produisent plus d'effet.]

[83: Constitutionnel du 20 mars.]

[84:

     Que le noeud bien formé se dénoue aisément;
     Que l'action marchant où la raison la guide,
     Ne se perde jamais dans une scène vide.

Art poétique. ]

[85: Passée depuis au théâtre des Variétés.]

[86: Gautier.]

[87: Idée qui au moins n'est pas nouvelle, puisque le chevalier Servandoni, architecte décorateur, et supérieur dans toutes ces parties de l'art, obtint de Louis XIV, de faire représenter sur le théâtre des Tuileries des spectacles de simple décoration qu'il avait imaginés pour former des élèves en ce genre. Tableau historique et pittoresque de Paris, tome II page 425.]

[88: Et l'auteur a négligé de parler de mille autres avantages journaliers ou accidentels qui, dans tous les âges, peuvent occuper l'ami des lettres et des arts, (Sans doute parce qu'il ne s'adressait uniquement qu'aux gens du monde.) tels que les cours royaux de physique, de chimie, de botanique, d'histoire, de littérature, et ces discours d'apparat, une mercuriale de Desèze, un rapport de Marchangy, un plaidoyer de Berrier, un sermon de Maccarty, un panégyrique de De Boulogne, une conférence de Freissynous ou un éloge académique de Dacier, que l'on entend et que l'on ne peut entendre qu'à Paris.]

[89: Beaujon.]

[90: Tivoli.]

[91: La Villette.]

[92: Marboeuf.]

[93: Mme la comtesse de Villelle, Mlle sa fille et sa nièce.]

[94: Tout ceci n'est pas sans de grandes exceptions.]

[95: Le jour d'une séance aussi solennelle il n'y aurait aucun inconvénient, ce me semble, à faire revivre même pour les hautes galeries, l'ancienne étiquette de la cour. Ces chapeaux évasés, ces capotes énormes garnis de longues plumes, sont de véritables écrans, qui dans les tribunes élevées masquent absolument le coup-d'oeil de la salle aux spectateurs du second rang. Il serait donc bien d'obliger les dames qui s'y rendraient à n'y paraître qu'en grande toilette. La toque, le turban, les diadèmes de fleurs, de perles ou de diamans seraient beaucoup plus convenables; le coup-d'oeil de la salle en serait plus brillant; et les hommes qui souvent cèdent leurs places à des inconnues, n'auraient pas lieu de se repentir de leur galanterie.]

[96: Phrase extraite d'un des discours de Sa Majesté.]

[97: Scélérat qui mettait au moins des procédés dans sa manière de détrousser les passans, et qui parfois donnait même aux indigens.]

[98: Ils ont été reconnus tels par Louis XVI.]

[99: Journal des Débats, sous la date du 14 janvier.]

[100: «Plusieurs officiers anglais ont passé au service du Grand-Seigneur, et dirigent les fortifications qu'on élève à Constantinople.» Courrier Français, 6 mars 1822.

«Notre correspondant de Malte nous informe que le fils du commandant des flottes combinées turques et égyptiennes, est parti pour l'Angleterre, à l'effet d'acheter des armes et des munitions pour une somme considérable.» Chronicle, du 5 avril 1822.]

[101: Voyez tous les journaux du temps et notamment les Débats, où se lit cette phrase remarquable: «Les Turcs sont conseillés par certains Européens qui n'aiment pas à voir des marins, soit militaires, soit marchands, autre part que dans leurs propres ports. L'Angleterre a le plus grand intérêt à laisser détruire la marine marchande de la Grèce, qui forte de mille à douze cents bâtimens, s'était emparée de tout le commerce de transport dans les mers du Levant.»]

[102: Voyez tous les journaux du temps.]

[103: «La marine des insurgés grecs qui ne fait que de naître, fixe déjà l'attention de l'Europe. Cette marine est la propriété des principaux négocians de Spezia et Psara auxquels se sont jointes d'autres maisons de commerce de plusieurs îles de l'archipel, dont la fortune mobilière est évaluée à près de quarante millions. On cite la seule maison de Konluruly, de l'île d'Hydria, qui, riche de huit millions d'Espagne, a équipé à ses frais trente vaisseaux de toute grandeur: d'autres maisons en ont dix, huit, cinq, dans la proportion de leurs moyens. Beaucoup de négocians moins aisés se sont réunis pour fournir à la flotte un navire. Les principaux propriétaires de ces vaisseaux forment le conseil de l'amirauté qui, comme l'on sait, a été établi à l'île d'Hydria. Ce conseil dirige exclusivement toutes les opérations maritimes. La flotte grecque, telle qu'elle est maintenant, compte à peu près cent cinquante bâtimens, depuis quinze, jusqu'à trente et quarante canons; un plus grand nombre en a moins de quinze. Il y a cinq cents petits navires, qui ne sont armés que de deux à cinq canons. Les vaisseaux qui ont plus de quinze canons, sont répartis en quatre divisions, dans chacune desquelles se trouvent répartis un certain nombre de petits navires.» Journal de Paris, 24 septembre 1821.]

[104: Qu'elle ne conserve qu'au mépris du Traité d'Amiens. (Voir ce Traité.)]

[105: Terreur ostensiblement manifestée dans le journal ministériel anglais, où se lisaient en toutes lettres, ces mots d'alarmes: «Que l'on chasse les Turcs d'Europe; qu'on rende à l'Asie-Mineure ces villes, cette population et ces richesses, qui en faisaient le jardin du monde, au siècle d'Alexandre, et notre empire de l'Inde n'aura pas dix ans d'existence.»]

[106: Quotidienne du 30 octobre, sous la date d'Hambourg.]

[107: Depuis que ceci est écrit, on mande de la frontière de la Moldavie, que les députés de la junte d'Argos sont chargés de déclarer aux puissances étrangères, qu'ils sont disposés à écouter toutes propositions sur la forme de leur gouvernement. Courrier, sous la date du 21 février 1821.]

[108: L'immortelle Catherine disait à un ministre de Louis XV, à M. de Choiseul, je crois: «Je règne au nord, et votre maître au midi de l'Europe; si la France était constamment alliée avec la Russie, il ne se tirerait pas un seul coup de canon sur le continent, sans notre permission.»]

[109: Son crédit, alors, était immense.]

[110: Elles sortent dans des chariots couverts d'étoffes brodées en or; ces chariots sont traînés par des boeufs richement caparaçonnés.]

[111: Très-mauvaise, disent des personnes qui ont été à même de l'entendre.]

[112: OEuvres de Voltaire, tome 21, page 2. Remarques sur l'histoire.]

[113: Extrait d'une lettre trop longue pour le texte, et dont nous mettons le reste en note. «Les Grecs possèdent des traductions excellentes dans notre langue, de la logique de Condillac, de la morale de Heineccius, de Locke, de l'algèbre de Lacaille, de l'astronomie de La Lande, de l'algèbre et de l'arithmétique d'Euler, de la philosophie chimique de Fourcroi. Ils ont aussi tourné leurs études vers la philologie et les anciens classiques. Tous les auteurs de l'antiquité ont été imprimés et commentés dans la Grèce moderne. Le savant docteur Corai, bien connu en France, en a donné d'excellentes éditions; il était protégé dans cette belle et utile entreprise, par MM. Zozima, riches négocians qui, avec une munificence admirable, et dirigés par le patriotisme le plus désintéressé, employaient des fonds considérables à ces éditions. Ils les vendaient au prix le plus modéré, dont ils diminuaient même un cinquième pour les Grecs qui en prenaient dix exemplaires. Ils ont fait plus encore; n'écoutant que leur zèle, ils distribuaient gratuitement leurs classiques à tous les professeurs dont le talent et l'activité étaient connus, et à tous les élèves dont les maîtres attestaient l'application et les progrès depuis long-temps. Au reste les revenus de ces généreux patriotes étaient consacrés à l'utilité commune. Ils avaient déjà fait imprimer à leurs frais, et distribuer gratis, les ouvrages de l'archimandrite Eugénius, et chaque année ils employaient à de semblables entreprises, les presses grecques de Vienne, de Leipsik, de Moscou et de Venise. Les savans européens estiment et consultent les ouvrages de nos géographes, notamment les cartes de la Grèce, par Riga, qui sont les meilleures que l'on connaisse. On a aussi traduit en grec moderne l'Énéide de Virgile, et Jérusalem délivrée, en vers; quelques ouvrages de Lucien; le Télémaque, avec des notes mythologiques et géographiques, dont un éditeur français pourrait faire son profit; les Mondes de Fontenelle, avec un commentaire instructif, dans lequel est corrigé le cartésianisme de cet ouvrage, d'après les nouvelles connaissances: nous avons également de belles traductions du beau Traité des délits et des peines, par Beccaria, des Maximes de la Rochefoucault, de la grandeur et de la décadence des Romains, par Montesquieu, de l'Histoire grecque de Goldsmith, des Voyages de Cyrus, de Bélisaire, d'Anacharsis, de la Mort d'Abel de Gessner, de la Bergère des Alpes, de la Galatée de Florian, etc… Je ne vous parlerai pas des ouvrages originaux composés par les Grecs, et qui sont en grand nombre. Ainsi les Grecs modernes jouissent maintenant dans leur langue de presque tous les bons ouvrages français, allemands, anglais, italiens. À l'imitation de MM. Zozima, des particuliers à qui leur fortune ne permettait pas de former d'aussi grandes spéculations, ont du moins voulu encourager selon leurs facultés, les progrès des lettres, et chaque jour de nouveaux ouvrages paraissaient avec de longues listes de souscripteurs.

«Des prix olympiadiques annoncés à l'Europe devaient être décernés aux littérateurs de toutes les tribus grecques qui, dans la langue hellénique moderne, avaient composé ou traduit les plus beaux ouvrages. Tels sont ces Grecs que l'on appelle barbares. Qu'ils soient délivrés, par l'intervention de l'Europe chrétienne, du joug sanglant sous lequel ils gémissent, et l'Europe entière sera bientôt forcée d'estimer, peut-être d'admirer, mais surtout d'aimer les descendans de ceux dont elle a recueilli celui des lumières et de la civilisation.»]

[114: Voyage de M. Poucqueville en Grèce.]

[115: M. de Jucheran de Saint-Denis en cite un exemple remarquable, que je vais transcrire textuellement. «Afin de donner plus de vigueur au tronc principal, le lâche et cruel Mahomet III fit périr ses dix-neuf frères, et toutes les concubines que son père avait laissées enceintes, et resta seul de toute sa famille. Par suite de cette politique barbare, tous les enfans nés du mariage d'une soeur ou cousine du Sultan régnant avec un des sujets de l'Empire, sont condamnés à une mort inévitable, au moment de leur naissance.» Révolutions de Constantinople, tome 1, page 21.]

[116: Éventail.]

[117: M. Casimir Delavigne, dans la pièce des Comédiens.]

[118: L'homme aux rubans verts, Misantrope, acte V, scène IV.]

[119: Parure en rubans, dite fontange.]

[120: Personnage du Tartufe de Molière.]

[121: Théâtre de la rue Richelieu.]

[122:

     Je riais de le voir avec sa mine étique,
     Son rabat jadis blanc et sa perruque antique,

* * * * *

     Quand un des campagnards, relevant sa moustache,
     Et son feutre à grands poils, ombragé d'un panache.»

     OEuvres de Boileau, Satire 3.
]

[123:

     … Molière, illustrant ses écrits,
     Peut-être de son art eût remporté le prix,
     Si moins ami du peuple en ses doctes peintures,
     Il n'eût point fait souvent grimacer ses figures,
     Quitté pour le bouffon l'agréable et le fin,
     Et sans honte à Térence allié Tabarin.
]

[124: La Fausse Agnès, acte III, scène VIII.]

[125: La Fausse Agnès, acte III, scène VI.]

[126: Ce contre-sens a eu lieu au grand Opéra.]

[127: J'ai dit aussi riche. On connaît une actrice qui a vingt-cinq mille francs au moins, comme sociétaire; vingt-cinq mille francs du gouvernement; soixante mille francs, tous frais prélevés, de ses voyages, ses propriétés, ses feux et le casuel.]

[128: Britannicus.]

[129: États de Blois.]

[130: Louis IX.]

[131: Marie Stuart.]

[132: Idées sur les deux théâtres Français.]

[133: «La société du théâtre Français se compose actuellement de sociétaires à part entière, à trois quarts de part, à demi-part, à quart de part et de pensionnaires.» Le Rideau déchiré.]

[134: Liqueurs des îles, très-renommées.]

[135: Idées sur les deux théâtres Français, et sur l'École royale de déclamation.]

[136: Renverser les cartes sur le tapis avant de couper.]

[137: Florian.]

[138: «Les Turcs ont vendu aux Juifs les propriétés des Grecs à vil prix. «À Smirne la plus atroce perfidie se joint à la plus basse cupidité. En vain, pour sauver leur vie, des Grecs ont payé les énormes rétributions exigées par leurs tyrans. Ces tigres à figure humaine prennent les bourses d'or, et n'en livrent pas moins ces crédules victimes de la prétendue bonne foi musulmane, à des corsaires algériens, qui les massacrent.» Journal des Débats, du 29 décembre.]

[139: «La maison de M. Fauvel, placée entre la bibliothèque des Ptolémée et le temple de Thésée, est la retraite d'un sage, embellie par le goût. Il est entouré des débris de l'ancienne Athènes. On s'assied chez lui sur des tronçons de colonnes, sur des chapiteaux. On est abrité par des tuiles antiques: des tombeaux, des inscriptions rappellent de toutes parts aux voyageurs les noms, les entreprises, les regrets de ceux qui traversèrent cette vie inquiète et agitée.» En 1819, c'est à dire depuis quatre ans, une partie de la collection de M. Fauvel fut achetée par M. le comte de Forbin, pour le Musée royal. La France la possède-t-elle? Nous l'ignorons. Depuis long-temps, ce consul véritablement patriote, se proposait d'en orner le Musée de son pays.» Voyage dans le Levant, pages 18, 38, 39.]

[140: «Les Turcs ont enlevé les objets les plus précieux qui se trouvaient dans les églises, les ornemens et les vases sacrés. Ils ont coupé les tableaux à coup de sabre et les ont jetés dans les rues.»

Journaux du temps. ]

[141: «Indépendamment du patriarche de Constantinople, de l'archevêque de Salonique et des prélats de l'Asie-Mineure qui ont été décapités, et de plus de quatre cents prêtres égorgés, les Turcs ont pendu dans les premiers jours de novembre, six évêques, parmi lesquels se trouvait le fameux archevêque de Philippolis; et l'expulsion générale de ceux qui leur ont succédé, est en ce moment même sollicitée par le Divan.»

«Les princes, comme on sait, ne sont pas plus épargnés, puisque les têtes des Callimacchi ont été exposées au Sérail de Constantinople.»]

[142: «À Chémée, ces barbares les noyaient par bandes de cinquante à soixante ensemble.» Francfort, Journal de Paris, du 12 juillet 1822.]

[143: Journaux du 13 avril 1823.]

[144: «Vingt-deux religieuses du couvent incendié de Warateke furent amenées au général ottoman, à Jassy, qui les fit vendre comme esclaves, de l'autre côté du Danube.» Journal des Débats, du 31 octobre.

«Les troupes turques, la plupart d'Asie, ont rassemblé plus de mille femmes et vierges grecques de Salonique, et les ont envoyées aux bazars de Salonique et de Constantinople, pour y être vendues. Près de quatre cents se sont suicidées en route, de diverses manières, pour ne pas rester dans les mains de ces barbares. La plupart moururent de faim; d'autres se tuèrent entre elles.» Journal de Paris, 6 décembre.]

[145: Les Princesses Morusi; elles peuvent être à Odessa, et n'en avoir pas moins éprouvé les plus sanglans outrages.]

[146: Voyez les journaux du temps, sous la date de Vienne.]

[147: Moniteur, 15 septembre 1823.]

[148: «Le Mousselim de Janina a expédié un détachement de douze cents garnisaires armés pour mettre tous les villages chrétiens à exécution militaire. Ainsi depuis quinze jours, on ne voit sur notre place, que meubles, bestiaux, instrumens aratoires en vente. Le mobilier des églises n'est pas plus respecté que celui des particuliers. On démolit le peu de couvens qui restaient, dont on ne peut rien tirer; les prêtres et les religieux sont mis aux fers. L'extirpation du christianisme est le but secret de ces mesures.» Janina, Pilote, du 18 septembre 1823.]

[149: Idem.]

[150: Ceci était écrit depuis plus de six mois, lorsque j'ai lu dans un arrêté pris en faveur des Grecs, par la respectable université de Cambridge, ces mots terribles:

«Tous ceux qui connaissent la politique barbare du gouvernement ottoman sentiront sans doute la justesse de ce raisonnement: il n'y a pas long-temps que le Divan de Constantinople s'est occupé de l'extermination de toute la population grecque qui se trouve dans l'empire turc; les massacres de Scio, de Crète, de Chypre et d'autres villes importantes en sont la preuve.» The Courrier, 18 décembre 1823.]

[151: Note présentée par MM. les consuls des puissances européennes à Smirne, à son excellence Hassan Pacha et à toutes les autorités turques réunies en Divan, et depuis les négociations de lord Strangford, le 3 décembre 1821.]

[152: Résultat du congrès de Véronne.]

[153: Députation grecque à Rome.]

[154: «Douze cents Hellènes surpris par une armée de quinze mille Turcs, au pied de leurs montagnes, non loin des bords du Glichis (l'ancien Achéron) prirent la funeste résolution d'égorger leurs femmes et leurs enfans, et de tomber sur leur ennemi si supérieur en nombre, afin de s'ouvrir un passage ou de périr les armes à la main; mais ces femmes courageuses détournèrent leurs maris d'un si horrible dessein et demandèrent à marcher avec eux contre les infidèles. On procéda alors à un choix parmi les femmes, qu'on enrôla au nombre de huit cents. De leur côté les hommes se réunirent et formèrent un corps de trois mille combattans. Le lendemain les Turcs furent attaqués et mis en déroute. Le résultat de cette journée où les femmes suliotes ne montrèrent pas moins de courage que leurs maris, fut la prise de douze cents hommes et quatre pièces de canon. Dix-sept femmes trouvèrent une mort glorieuse sur le champ de bataille.» Courrier Français, 13 octobre 1822.]

[155: «C'est le 16 juillet 1823, que par la puissante influence de lord Strangford, dont le secrétaire a travaillé fortement à la médiation, la paix entre la Porte ottomane et la Perse a été ratifiée à Erzérum. Si après cela il reste un Grec qui ait quelque confiance dans le ministère anglais, nous ne pouvons que plaindre son aveuglement.» Drapeau Blanc du 15 septembre, même année. Courrier, même date.]

[156: Traités faits avec les Cortès de Lisbonne.]

[157: «L'Espagne fait une expérience de la liberté. Je lui souhaite sincèrement du succès; elle n'offense point la loi commune entre les nations, et si le principe d'intervention était admis dans une pareille circonstance, il n'y aurait plus de sûreté pour aucun peuple, même pour nous.» Discours d'un des ministres du roi d'Angleterre, M. Huckinson, prononcé à Liverpool, Londres 19 février 1823.

«Un Anglais de distinction, lord Nugent, s'est enfermé dans Cadix avec Quiroga, chef du bataillon sacré, composé de ceux qui ont été le plus compromis, et s'est déclaré très-ouvertement pour une ferme résistance.» Statesman, 4 octobre. Journal de Paris, 8 du même mois, 1823.]

[158: «L'ambassadeur d'Espagne a traité avec une seule manufacture anglaise pour la fourniture de vingt mille barils de poudre à canon pour l'armée espagnole, et qui doivent être embarqués dans le plus bref délai possible. Un bâtiment est parti avec un chargement d'armes de toute espèce, destiné pour la Corogne, c'est le second envoi d'armes fait à l'Espagne, depuis la révocation de l'ordre qui en défend l'exportation sur le continent.» Londres, 4 mars 1823, Journal de Paris, 7 mars 1823.]

[159: D'après le rapport même de lord Nugent, «Quelques officiers anglais qui se trouvaient au Trocadéro, conseillèrent aux Espagnols de ne tirer que quand les Français seraient sur le glacis. Ce conseil fut si exactement exécuté, que les Français furent d'abord repoussés par la mousqueterie, et ensuite à la bayonnette, les Espagnols les ayant poursuivis jusqu'au delà du canal, ayant de l'eau jusqu'au cou. Avec de tels défenseurs, on devait croire que le Trocadéro était en sûreté, et cependant il fut pris deux jours après, presque sans résistance, et de la manière la plus humiliante.» Morning Chronicle, Drapeau blanc, du 17 octobre 1823.

Enfin on sait assez la conduite d'autres Anglais enfermés à Cadix avec les Cortès; on n'ignore pas que Gibraltar est le refuge des membres les plus coupables; et toute l'Europe est informée que l'Angleterre est l'inviolable asile des séditieux de tous les pays.]

[160: «Viri in rebus bellicis strenui et virtute nobiles.» Caput IV, page 17.]

[161: «Ex orientalibus militibus.» Caput I.]

[162: «Fulminatrix dicta sub M. Antonio Pio.» Epistola dedicatoria.]

[163: «Tum hi qui præerant legionem miti afflatu dedere responsum; ad bellorum usum paratam legionis esse virtutem.» Caput IV, page 18.

«Milites quidem, Cæsar, tui sumus: habebis potestati tuæ subdita omnium corpora.» Caput VI, pages 28, 29.]

[164: «Maximianus Cæsar octodorum venit: ibique, sacrificaturus idolis suis, convenire exercitum jussit atroci proposita jussione, ut per aras demonibus consecratas jurarent æqualibus sibi animis bagandorum turbas, christianos verò velut inimicos diis suis ab omnibus persequendos.» Caput II, page 11.]

[165: «Ad apparitores jussio infausta porrigitur, ad legionem velociter properatur; crudelia præcepta reserantur: traduntur neci quos ordo reperit numerandi.» Caput VI.]

[166: «Tenemus ecce arma et non resistemus.» Caput VII, page 34.]

[167: «Quæ legio sex millia sexcentos sexaginta sex viros validos animi et instructos armis antiquorum Romanorum habebat exemplo.» Caput I, page 7.

«Tela projicimus.» Caput VII, page 34.

Martyrium Mauricii et sociorum ejus a sancto Eucherio episcopo lugdunensi conscriptum. De la bibliothèque royale.]

[168: «Exarmatas quidem dexteras satelles tuus inveniet.» Caput VII, page 34.]

[169: «Tum Maximianus Cæsar iracundæ nimietate succensus subito furore prosiliit dicens, decimum quemque; morti funesta sors præbeat.» Caput V, page 23.

«Inclementi præcepit jussione, ut iterum decimum crudelitatis ordo consumeret.» Caput VII, page 33.

«At ille (Cæsar) desperans gloriosam eorum constantiam posse revocari: ire propere exercitum jubet, et circumfundi imperat legionem, nullumque; de tanto sanctorum exercitu præcipit relinqui. Ventum itaque aperta est terra illic procumbentium in morte corporibus justorum flux erunt que pretiosi sanguinis rivi.» Caput VIII, page 37.]

[170: «Christiani sumus, christianos persequi non possumus.» Caput VIII, page 34.]

[171: Telles sont, dit-on, les forces de l'empire ottoman. Quarante millions d'hommes, deux milliards et demi de revenus; point de dettes; marine redoutable (malgré les échecs qu'elle a reçus), et un arsenal qui ne le cède à aucun autre. Voyez au surplus l'ouvrage de M. le baron Huchereau, de Saint-Denis et autres.]

[172: Pourquoi pas? nous avons bien conquis l'Égypte.]

[173: «L'insouciance du gouvernement (turc), dit M. de Jucheran de Saint-Denis, que j'ai déjà cité, l'empire du fanatisme et les usages établis conserveront les germes de cette maladie destructive, tant que cette capitale continuera à languir sous le joug de ces barbares incorrigibles.» Révolutions de Constantinople, tome 1er, page 251.]

[174: «La nouvelle que les vaisseaux grecs qui croisent dans l'Archipel avaient pillé les navires anglais a été complètement démentie. Il est vrai qu'ils en ont arrêté quelques-uns; mais au lieu de les piller, ils désiraient en acheter la cargaison, et lorsqu'on a refusé de la leur vendre, non seulement ils les ont remis en liberté, mais ils ont offert aux capitaines de les indemniser du temps qu'on leur a fait perdre. Si quelques vaisseaux français, pris et relâchés ensuite, ont été capturés par les Grecs, on ne doit s'en prendre qu'à ceux qui souffraient que ces navires portassent des bleds aux Turcs pour ravitailler leurs places fortes.»]

[175: «Les belles actions des temps héroïques se renouvellent: un jeune hétériste s'est volontairement dévoué à une mort presque certaine, pour sauver la vie de son général, le brave Jordaki.» Journaux divers.]

[176: «Après la prise de Napoli di Romania, le général grec Nikitat, ordonna de transférer à Tripolizza les deux Pachas turcs et leurs harems pour y rester jusqu'à ce qu'ils eussent acquitté la rançon convenue, n'ayant obtenu aucune capitulation puisque la Palamède fut enlevée d'assaut. Chaque prisonnier turc reçut ensuite du gouvernement grec une chemise, une couverture et vingt piastres. Après cette distribution qu'on ne devait pas aux incendiaires d'Argos qui s'étaient baignés dans le sang des paysans chrétiens de l'Hermionide, ils furent embarqués, les uns sur une frégate anglaise, les autres reçus à bord de plusieurs vaisseaux grecs, et furent transportés à Scala Nuova, dans l'Asie-Mineure, où ils n'eurent pas plutôt pris terre, qu'ils se ruèrent comme des bêtes féroces sur les chrétiens, en ameutant contre eux la populace turque, qui en égorgea un grand nombre.»]

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