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Voyage musical en Allemagne et en Italie, I

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The Project Gutenberg eBook of Voyage musical en Allemagne et en Italie, I

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Title: Voyage musical en Allemagne et en Italie, I

Author: Hector Berlioz

Release date: August 26, 2010 [eBook #33539]

Language: French

Credits: Produced by Chuck Greif and the Online Distributed
Proofreading Team at http://www.pgdp.net (This file was
produced from images available at the Bibliothèque nationale
de France (BnF/Gallica) at http://gallica.bnf.fr)

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK VOYAGE MUSICAL EN ALLEMAGNE ET EN ITALIE, I ***
Note sur la transcription: L'orthographe d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
Quelques erreurs clairement introduites par le typographe ont cependant été corrigées.

VOYAGE MUSICAL

EN ALLEMAGNE

ET

EN ITALIE.

SEVRES.—M. CERF, IMPRIMEUR. 144. RUE ROYALE.


VOYAGE MUSICAL

EN ALLEMAGNE

ET

EN ITALIE.

ÉTUDES SUR BEETHOVEN, GLUCK ET WEBER.
MÉLANGES ET NOUVELLES.

Par HECTOR BERLIOZ.

I

PARIS

JULES LABITTE, LIBRAIRE-EDITEUR.
Nº 3. QUAI VOLTAIRE.
1844

a

SON ALTESSE ROYALE

MONSEIGNEUR

Le Duc de Montpensier.

HOMMAGE

DE LA RESPECTUEUSE RECONNAISSANCE

DE L'AUTEUR,

HECTOR BERLIOZ.

Table des matières

I

A M. AUGUSTE MOREL.

Bruxelles. Mayence, Francfort.

Oui, mon cher Morel, me voilà revenu de ce long voyage en Allemagne, pendant lequel j'ai donné quinze concerts et fait près de cinquante répétitions. Vous pensez qu'après de telles fatigues, je dois avoir besoin d'inaction et de repos, et vous avez raison; mais vous auriez peine à croire combien ce repos et cette inaction me paraissent étranges! Souvent, le matin, à demi-réveillé, je m'habille précipitamment, persuadé que je suis en retard et que l'orchestre m'attend.... puis, après un instant de réflexion, revenant au sentiment de la réalité: Quel orchestre, me dis-je? Je suis à Paris où l'usage est toujours au contraire que l'orchestre se fasse attendre! D'ailleurs je ne donne pas de concert, je n'ai pas de chœurs à instruire, pas de symphonie à monter; je ne dois voir ce matin ni Meyerbeer, ni Mendelssohn, ni Lipinski, ni Marchner, ni A. Bohrer, ni Schlosser, ni Mangold, ni Krebbs, ni les frères Müller, ni aucun de ces excellents artistes allemands qui m'ont fait un si gracieux accueil et m'ont donné tant de preuves de déférence et de dévouement!.... On n'entend guère de musique en France à cette heure, et vous tous, mes amis, que j'ai été bien heureux de revoir, vous avez un air si triste, si découragé, quand je vous questionne sur ce qui s'est fait à Paris en mon absence, que le froid me saisit au cœur avec le désir de retourner en Allemagne où l'enthousiasme existe encore. Et pourtant quelles ressources immenses nous possédons dans ce vortex parisien, vers lequel tendent inquiètes les ambitions de toute l'Europe! Que de beaux résultats on pourrait obtenir de la réunion de tous les moyens dont disposent et le Conservatoire, et le Gymnase musical, et nos trois théâtres lyriques, et les églises, et les écoles de chant! Avec ces éléments dispersés et au moyen d'un triage intelligent, on formerait sinon un chœur irréprochable (les voix ne sont pas assez exercées), au moins un orchestre sans pareil! Pour parvenir à faire entendre aux Parisiens un si magnifique ensemble de huit à neuf cents musiciens, il ne manque que deux choses: un local pour les placer, et un peu d'amour de l'art pour les y rassembler. Nous n'avons pas une seule grande salle de concert! Le théâtre de l'Opéra pourrait en tenir lieu, si le service des machines et des décors, si les travaux quotidiens, rendus indispensables par les exigences du répertoire, en occupant la scène presque chaque jour, ne rendaient à peu près impossibles les dispositions nécessaires aux préparatifs d'une telle solennité. Puis, trouverait-on les sympathies collectives, l'unité de sentiment et d'action, le dévouement et la patience, sans lesquels on ne produira jamais, en ce genre, rien de grand ni de beau? Il faut l'espérer, mais on ne peut que l'espérer. L'ordre exceptionnel établi dans les répétitions du Conservatoire, et l'ardeur des membres de cette société célèbre, sont universellement admirés. Or, on ne prise si fort que les choses rares... Presque partout en Allemagne, au contraire, j'ai trouvé l'ordre et l'attention, joints à un véritable respect pour le maître ou pour les maîtres. Il y en a plusieurs, en effet: l'auteur d'abord, qui dirige lui-même presque toujours les répétitions et l'exécution de son ouvrage, sans que l'amour-propre du chef d'orchestre en soit en rien blessé;—le maître de chapelle, qui est généralement un habile compositeur et dirige les opéras du grand répertoire, toutes les productions musicales importantes dont les auteurs sont ou morts ou absents;—et le maître de concert qui, dirigeant les petits opéras et les ballets, joue en outre la partie de premier violon, quand il ne conduit pas, et transmet en ce cas les ordres et les observations du maître de chapelle aux points extrêmes de l'orchestre, surveille les détails matériels des études, a l'œil à ce que rien ne manque à la musique ni aux instruments, et indique quelquefois les coups d'archet ou la manière de phraser les mélodies et les traits, tâche interdite au maître de chapelle, car celui-ci conduit toujours au bâton.

Sans doute il doit y avoir aussi en Allemagne, dans toutes ces agglomérations de musiciens d'inégale valeur, bien des vanités obscures, insoumises et mal contenues; mais je ne me souviens pas (à une seule exception près) de les avoir vues lever la tête et prendre la parole; peut-être est-ce parce que je n'entends pas l'allemand.

Pour les directeurs de chœurs, j'en ai trouvé très peu d'habiles; la plupart sont de mauvais pianistes; j'en ai même rencontré un qui ne jouait pas du piano du tout, et donnait les intonations en frappant sur les touches avec deux doigts de la main droite seulement. Et puis on a encore en Allemagne, comme chez nous, conservé l'habitude de réunir toutes les voix du chœur dans le même local et sous un seul directeur, au lieu d'avoir trois salles d'études et trois maîtres de chant pour les répétitions préliminaires, et d'isoler ainsi les uns des autres, pendant quelques jours, les soprani, les basses et les ténors; procédé qui économise le temps et amène dans l'enseignement des diverses parties chorales d'excellents résultats. En général, les choristes allemands, les ténors surtout, ont des voix plus fraîches et d'un timbre plus distingué que celles que nous entendons dans nos théâtres; mais il ne faut pas trop se hâter de leur accorder la supériorité sur les nôtres, et vous verrez bientôt, si vous voulez bien me suivre dans les différentes villes que j'ai visitées, qu'à l'exception de ceux de Berlin, de Francfort et de Dresde peut-être, tous les chœurs de théâtre sont mauvais ou d'une grande médiocrité. Les académies de chant doivent, au contraire, être regardées comme une des gloires musicales de l'Allemagne; nous tâcherons plus tard de trouver la raison de cette différence.

Mon voyage a commencé sous de fâcheux auspices; les contre-temps, les malencontres de toute espèce se succédaient d'une façon inquiétante, et je vous assure, mon cher ami, qu'il a fallu presque de l'entêtement pour le poursuivre et le mener à fin et à bien. J'étais parti de Paris me croyant assuré de donner trois concerts dès le début: le premier devait avoir lieu à Bruxelles, où j'étais engagé par la Société de la Grande-Harmonie; les deux autres étaient déjà annoncés à Francfort par le directeur du théâtre, qui paraissait y attacher beaucoup d'importance et mettre le plus grand zèle à en préparer l'exécution. Et cependant, de toutes ces belles promesses, de tout cet empressement, qu'est-il résulté? Absolument rien! Voici comment: Madame Nathan-Treillet avait eu la bonté de me promettre de venir exprès de Paris pour chanter au concert de Bruxelles. Au moment de commencer les répétitions, et après de pompeuses annonces de cette soirée musicale, nous apprenons que la cantatrice venait de tomber assez gravement malade, et qu'il lui était en conséquence impossible de quitter Paris. Madame Nathan-Treillet a laissé à Bruxelles de tels souvenirs du temps où elle était prima dona au théâtre, qu'on peut dire, sans exagération, qu'elle y est adorée; elle y fait fureur, fanatisme; et toutes les symphonies du monde ne valent pas pour les Belges une romance de Loïsa-Puget chantée par Madame Treillet. A l'annonce de cette catastrophe, la Grande-Harmonie tout entière est tombée en syncope, la tabagie attenant à la salle des concerts est devenue déserte, toutes les pipes se sont éteintes comme si l'air leur eût subitement manqué, les Grands-Harmonistes se sont dispersés en gémissant; j'avais beau leur dire pour les consoler: «Mais le concert n'aura pas lieu, soyez tranquilles, vous n'aurez pas le désagrément d'entendre ma musique, c'est une compensation suffisante, je pense, à un malheur pareil!» Rien n'y faisait:

Leurs yeux fondaient en pleurs de bière,

et nolebant consolari, parce que Madame Treillet n'y était pas. Voilà donc le concert à tous les diables; le chef d'orchestre de cette Société si grandement harmonique, homme d'un véritable mérite, plein de dévouement à l'art, en sa qualité d'artiste éminent, bien qu'il soit peu disposé à se livrer au désespoir, lors même que les romances de Mlle Puget viendraient à lui manquer, Snel enfin, qui m'avait invité à venir à Bruxelles, honteux et confus,

Jurait, mais un peu tard, qu'on ne l'y prendrait plus.

Que faire alors? s'adresser à la Société rivale, la Philharmonie, dirigée par Bender, le chef de l'admirable musique des Guides; composer un brillant orchestre, en réunissant celui du théâtre aux élèves du Conservatoire? La chose était facile, grâce aux bonnes dispositions de MM. Henssens, Mertz, Wery, et même de M. Fétis, qui tous, dans une occasion antérieure, s'étaient empressés d'exercer en ma faveur leur influence sur leurs élèves et amis! Mais c'était tout recommencer sur nouveaux frais, et le temps me manquait, me croyant attendu à Francfort pour les deux concerts dont j'ai parlé. Il fallut donc partir, partir plein d'inquiétude sur les suites que pouvait avoir l'affreux chagrin des dilettanti belges, et me reprochant d'en être la cause innocente et humiliée. Heureusement ce remords-là est de ceux qui ne durent guère, autant en emporte la vapeur, et je n'étais pas depuis une heure sur le bateau du Rhin, admirant le fleuve et ses rives, que déjà je n'y pensais plus. Le Rhin! ah! c'est beau! c'est très beau! Vous croyez peut-être, mon cher Morel, que je vais saisir l'occasion de faire à son sujet de poétiques amplifications? Dieu m'en garde! Je sais trop que mes amplifications ne seraient que de prosaïques diminutions, et d'ailleurs j'aime à croire pour votre honneur que vous avez lu et relu le beau livre de Victor Hugo.

Arrivé à Mayence, je m'informai de la musique militaire autrichienne qui s'y trouvait l'année précédente, et qui avait, au dire de Strauss (le Strauss de Paris) [1] exécuté plusieurs de mes ouvertures avec une verve, une puissance et un effet prodigieux. Le régiment était parti, plus de musique d'harmonie (celle-là était vraiment une grande harmonie!), plus de concert possible! (je m'étais figuré pouvoir faire en passant cette farce aux habitants de Mayence.)—Il faut essayer cependant! Je vais chez Schott, le patriarche des éditeurs du musique. Ce digne homme a l'air, comme la Belle-au-bois-dormant, de dormir depuis cent ans, et à toutes mes questions il répond lentement en entremêlant ses paroles de silences prolongés: «Je ne crois pas... vous ne pouvez.... donner un concert... ici... il n'y a pas... d'orchestre.... il n'y a pas de... public.... nous n'avons pas... d'argent!...»

Comme je n'ai pas énormément de... patience, je me dirige au plus vite vers le chemin de fer, et je pars pour Francfort. Ne fallait-il pas quelque chose encore pour compléter mon irritation!... Ce chemin de fer, lui aussi, est tout endormi, il se hâte lentement, il ne marche pas, il flâne, et, ce jour-là surtout, il faisait d'interminables points d'orgue à chaque station. Mais enfin tout adagio a un terme, et j'arrivai à Francfort avant la nuit. Voilà une ville charmante et bien éveillée! un air d'activité et de richesse y règne partout; elle est en outre bien bâtie, brillante et blanche comme une pièce de cent sous toute neuve, et des boulevarts plantés d'arbustes et de fleurs dans le style des jardins anglais, forment sa ceinture verdoyante et parfumée. Bien que ce fût au mois de décembre, et que la verdure et les fleurs eussent dès longtemps disparu, le soleil se jouait d'assez bonne humeur entre les bras de la végétation attristée; et, soit par le contraste que ces allées si pleines d'air et de lumières offraient avec les rues obscures de Mayence, soit par l'espoir que j'avais de commencer enfin mes concerts à Francfort, soit par toute autre cause qui se dérobe à l'analyse, les mille nuances de la joie et du bonheur chantaient en chœur au-dedans de moi, et j'ai fait là une promenade de deux heures que je n'oublierai de ma vie. A demain les affaires sérieuses! me dis-je en rentrant à l'hôtel.

Le jour suivant donc, je me rendis allègrement au théâtre, pensant le trouver déjà tout préparé pour mes répétitions. En traversant la place sur laquelle il est bâti, et apercevant quelques jeunes gens qui portaient des instruments à vent, je les priai, puisqu'ils appartenaient sans doute à l'orchestre, de remettre ma carte au maître de chapelle et directeur Guhr. En lisant mon nom, ces honnêtes artistes passèrent tout-à-coup de l'indifférence à un empressement respectueux qui me fit grand bien. L'un d'eux, qui parlait français, prit la parole pour ses confrères: «Nous sommes bien heureux de vous voir enfin; M. Guhr nous a depuis longtemps annoncé votre arrivée, nous avons exécuté deux fois l'ouverture du Roi Lear. Vous ne trouverez pas ici votre orchestre du Conservatoire; mais peut-être cependant ne serez-vous pas mécontent!» Guhr arrive. C'est un petit homme, à la figure assez malicieuse, aux yeux vifs et perçants, son geste est rapide, sa parole brève et incisive; on voit qu'il ne doit pas pécher par excès d'indulgence quand il est à la tête de son orchestre; tout annonce en lui une intelligence et une volonté musicales; c'est un chef. Il parle français, mais pas assez vite au gré de son impatience, et il l'entremêle, à chaque phrase, de gros jurements, prononcés à l'allemande, du plus plaisant effet. Je les désignerai seulement par des initiales. En m'apercevant:

—Oh! S. N. T. T... c'est vous, mon cher! vous n'avez donc pas reçu ma lettre?

—Quelle lettre?

—Je vous ai écrit à Bruxelles pour vous dire... S. N. T. T... Attendez... je ne parle pas bien... un malheur... c'est un grand malheur!... Ah! voilà notre régisseur qui me servira d'interprète. (Et continuant à parler français):—Dites à M. Berlioz combien je suis contrarié; que je lui avais écrit de ne pas encore venir; que les petites Milanollo remplissent le théâtre tous les soirs; que nous n'avons jamais vu une pareille fureur du public, S. N. T. T., et qu'il faut garder pour un autre moment la grande musique et les grands concerts.

Le régisseur: M. Guhr me charge de vous dire, Monsieur, que...

Moi: Ne vous donnez pas la peine de le répéter; j'ai très bien, j'ai trop bien compris, puisqu'il n'a pas parlé allemand.

Guhr: Ah! ah! ah! j'ai parlé français, S. N. T. T., sans le savoir!

Moi: Vous le savez très-bien, et je sais aussi qu'il faut m'en retourner, ou poursuivre témérairement ma route, au risque de trouver ailleurs quelques autres enfants prodiges qui me feront encore échec et mat.

Guhr: Que faire, mon cher, les enfants font de l'argent, S. N. T. T., les romances françaises font de l'argent, les vaudevilles français attirent la foule; que voulez-vous? S. N. T. T., je suis directeur, je ne puis pas refuser l'argent; mais restez au moins jusqu'à demain, je vous ferai entendre Fidelio, par Pichek et Mademoiselle Capitaine, et, S. N. T. T., vous me direz votre sentiment sur nos artistes.

Moi: Je les crois excellents, surtout sous votre direction; mais, mon cher Guhr, pourquoi tant jurer, croyez-vous que cela me console?

—Ah! ah! S. N. T. T., ça se dit en famille. (Il voulait dire familièrement.)

Là-dessus le fou rire s'empare de moi, ma mauvaise humeur s'évanouit, et lui prenant la main:

—Allons, puisque nous sommes en famille, venez boire quelque vin du Rhin, je vous pardonne vos petites Milanollo, et je reste pour entendre Fidelio et Mademoiselle Capitaine, dont vous m'avez tout l'air de vouloir être le lieutenant.

Nous convînmes que je partirais deux jours après pour Stuttgardt, où je n'étais point attendu cependant, pour tenter la fortune auprès de Lindpaintner et du roi de Wurtemberg. Il fallait ainsi donner aux Francfortois le temps de reprendre leur sang-froid et d'oublier un peu les délirantes émotions à eux causées par le violon des deux charmantes sœurs, que j'avais le premier applaudies et louées à Paris, mais qui alors, à Francfort, m'incommodaient étrangement.

Et le lendemain, j'entendis Fidelio. Cette représentation est une des plus belles que j'aie vues en Allemagne; Guhr avait raison de me la proposer pour compensation à mon désappointement; j'ai rarement éprouvé une jouissance musicale plus complète.

Mlle Capitaine, dans le rôle de Fidelio (Eléonore), me parut posséder les qualités musicales et dramatiques exigées par la belle création de Beethoven. Le timbre de sa voix a un caractère spécial qui la rend parfaitement propre à l'expression des sentiments profonds, contenus, mais toujours prêts à faire explosion, comme ceux qui agitent le cœur de l'héroïque épouse de Florestan. Elle chante simplement, très juste, et son jeu ne manque jamais de naturel. Dans la fameuse scène du pistolet, elle ne remue pas violemment la salle, comme faisait avec son rire convulsif et nerveux, Mme Schrœder-Devrient, quand nous la vîmes à Paris, jeune encore, il y a seize ou dix-sept ans; elle captive l'attention, elle sait émouvoir par d'autres moyens. Mlle Capitaine n'est point une cantatrice dans l'acception brillante du mot; mais de toutes les femmes que j'ai entendues en Allemagne dans l'opéra de genre, c'est à coup sûr celle que je préférerais; et je n'en avais jamais ouï parler. Quelques autres m'ont été citées d'avance comme des talents supérieurs, que j'ai trouvées parfaitement détestables.

Je ne me rappelle malheureusement pas le nom du ténor chargé du rôle de Florestan. Il a certes de belles qualités, sans que sa voix ait rien de bien remarquable. Il a dit l'air si difficile de la prison, non pas de manière à me faire oublier Haitzinger qui s'y élevait à une hauteur prodigieuse, mais assez bien pour mériter les applaudissements d'un public moins froid que celui de Francfort. Quant à Pichek que j'ai pu apprécier mieux quelques mois après dans le Faust de Spohr, il m'a réellement fait connaître toute la valeur de ce rôle du gouverneur que nous n'avons jamais pu comprendre à Paris; et je lui dois pour cela seul une véritable reconnaissance. Pichek est un artiste; il a sans doute fait des études sérieuses, mais la nature l'a beaucoup favorisé. Il possède une magnifique voix de baryton, mordante, souple, juste et assez étendue; sa figure est noble, sa taille élevée, il est jeune et plein de feu! Quel malheur qu'il ne sache que l'allemand! Les choristes du théâtre de Francfort m'ont semblé bons, leur exécution est soignée, leurs voix sont fraîches, ils laissent rarement échapper des intonations fausses, je les voudrais seulement un peu plus nombreux. Dans ces chœurs d'une quarantaine de voix réside toujours une certaine âpreté qu'on ne trouve pas dans les grandes masses. Ne les ayant pas vus à l'étude d'un nouvel ouvrage, je ne puis dire si les choristes francfortois sont lecteurs et musiciens; je dois reconnaître seulement qu'ils ont rendu d'une façon très satisfaisante le premier chœur des prisonniers (en ut majeur), morceau doux qu'il faut absolument chanter, et mieux encore le grand final où dominent l'enthousiasme et l'énergie. Quant à l'orchestre, en le considérant comme un simple orchestre de théâtre, je le déclare excellent, admirable de tout point; aucune nuance ne lui échappe, les timbres divers s'y fondent dans un harmonieux ensemble tout-à-fait exempt de duretés, il ne chancelle jamais, tout frappe d'aplomb: on dirait d'un seul instrument. L'extrême habileté de Guhr à le conduire et sa sévérité aux répétitions sont pour beaucoup, sans doute, dans ce précieux résultat. Voici comment il est composé: 8 premiers violons,—8 seconds,—4 altos,—5 violoncelles,—4 contrebasses,—2 flûtes,—2 hautbois,—2 clarinettes,—2 bassons,—4 cors,—2 trompettes,—3 trombones,—1 timbalier. Cet ensemble de 47 musiciens se retrouve, à quelques très-petites différences près, dans toutes les villes allemandes du second ordre. Il en est de même de sa disposition, qui est celle-ci: Les violons, altos et violoncelles réunis, occupent le côté droit de l'orchestre; les contrebasses sont placées en ligne droite, dans le milieu, tout contre la rampe; les flûtes, hautbois, clarinettes, bassons, cors et trompettes, forment, au côté gauche, le groupe rival des instruments à archet; les timbales et les trombones sont relégués seuls à l'extrémité du côté droit. N'ayant pas pu mettre cet orchestre à la rude épreuve des études symphoniques, je ne puis rien dire de sa rapidité de conception, de ses aptitudes au style accidenté, humoristique, de sa solidité rhythmique, etc., etc., mais Guhr m'a assuré qu'il était également bon au concert et au théâtre. Je dois le croire, Guhr n'étant pas de ces pères disposés à trop admirer leurs enfants. Les violons appartiennent à une excellente école; les basses ont beaucoup de son; je ne connais pas la valeur des altos, leur rôle étant assez obscur dans les opéras que j'ai vu représenter à Francfort. Les instruments à vent sont exquis dans l'ensemble; je reprocherai seulement aux cors le défaut, très commun en Allemagne, de faire souvent cuivrer le son en forçant surtout les notes hautes. Ce mode d'émission dénature le timbre du cor; il peut dans certaines occasions, il est vrai, être d'un excellent effet, mais il ne saurait, je pense, être adopté méthodiquement dans l'école de l'instrument, et le son un peu voilé, mais pur et noble de nos cors français, me paraît infiniment préférable.

A la fin de cette excellente représentation d'un chef-d'œuvre du maître incomparable, dix ou douze auditeurs daignèrent, en s'en allant, accorder quelques applaudissements... et ce fut tout. J'étais indigné d'une telle froideur, et comme quelqu'un cherchait à me persuader que si l'auditoire avait peu applaudi, il n'en admirait et n'en sentait pas moins les beautés de l'œuvre:

«Non, dit Guhr, ils ne comprennent rien, rien du tout, S. N. T. T., il a raison, c'est un public de bourgeois.»

J'avais aperçu ce soir-là, dans une loge, mon ancien ami Ferdinand Hiller, qui a longtemps habité Paris, où les connaisseurs citent encore souvent sa haute capacité musicale. Nous eûmes bien vite renouvelé connaissance et repris nos allures de camarades. Hiller s'occupe d'un opéra pour le théâtre de Francfort; il écrivit, il y a deux ans, un oratorio, La chute de Jérusalem, qu'on a exécuté plusieurs fois avec beaucoup de succès. Il donne fréquemment des concerts, où l'on entend, avec des fragments de cet ouvrage considérable, diverses compositions instrumentales qu'il a produites dans ces derniers temps, et dont on dit le plus grand bien. Malheureusement, quand je suis allé à Francfort, il s'est toujours trouvé que les concerts d'Hiller avaient lieu le lendemain du jour où j'étais obligé de partir, de sorte que je ne puis citer à son sujet que l'opinion d'autrui, ce qui me met tout-à-fait à l'abri du reproche de camaraderie. A son dernier concert il fit entendre, en fait de nouveautés, une ouverture qui fut chaudement accueillie, et plusieurs morceaux pour quatre voix d'hommes et un soprano, dont l'effet, dit-on, est de la plus piquante originalité.

Il y a à Francfort une institution musicale qu'on a citée devant moi plusieurs fois avec éloges: c'est l'Académie de chant de Sainte-Cécile. Elle passe pour être aussi bien composée que nombreuse; cependant, n'ayant point été admis à l'examiner, je dois me renfermer, à son sujet, dans une réserve absolue.

Bien que le bourgeois domine à Francfort dans la masse du public, il me semble impossible, eu égard au grand nombre de personnes de la haute classe qui s'occupent sérieusement de musique, qu'on ne puisse réunir un auditoire intelligent et capable de goûter les grandes productions de l'art. En tout cas, je n'ai pas eu l'occasion d'en faire l'expérience.

Il faut maintenant, mon cher Morel, que je rassemble mes souvenirs sur Lindpaintner et la chapelle de Stuttgardt. J'y trouverai le sujet d'une seconde lettre, mais celle-ci ne vous sera point adressée; ne dois-je pas répondre aussi à ceux de nos amis qui se sont montrés comme vous avides de connaître les détails de mon exploration germanique?

Adieu.

P. S. Avez-vous publié quelque nouveau morceau de chant? On ne parle partout que du succès de vos dernières mélodies. J'ai entendu hier le rondeau syllabique Page et Mari, que vous avez composé sur les paroles du fils d'Alexandre Dumas. Je vous déclare que c'est fin, coquet, piquant et charmant. Vous n'écrivîtes jamais rien de si bien en ce genre. Ce rondo aura une vogue insupportable; vous serez mis au pilori des orgues de Barbarie et vous l'aurez bien mérité.

II

A M. GIRARD, CHEF D'ORCHESTRE DE L'OPÉRA-COMIQUE.

Stuttgardt, Hechingen.

La première chose que j'avais à faire avant de quitter Francfort pour m'aventurer dans le royaume de Wurtemberg, c'était de bien m'informer des moyens d'exécution que je devais trouver à Stuttgardt, de composer un programme de concert en conséquence, et de n'emporter que la musique strictement nécessaire pour l'exécuter. Il faut que vous sachiez, mon cher Girard, que l'une des grandes difficultés de mon voyage en Allemagne, et celle qu'on pouvait le moins aisément prévoir, était dans les dépenses énormes du transport de ma musique. Vous le comprendrez sans peine en apprenant que cette masse de parties séparées d'orchestre et de chœurs, manuscrites, lithographiées ou gravées, pesait plus de cinq cents livres, et que j'étais obligé de m'en faire suivre à grands frais presque partout, en la plaçant dans les fourgons de la poste. Cette fois seulement, incertain si après ma visite à Stuttgardt j'irais à Munich, ou si je reviendrais à Francfort pour me diriger ensuite vers le Nord, je n'emportai que deux symphonies, une ouverture et quelques morceaux de chant, laissant tout le reste à ce malheureux Guhr, qui devait, à ce qu'il paraît, être embarrassé d'une manière ou d'une autre par ma musique.

La route de Francfort à Stuttgardt n'offre rien d'intéressant, et en la parcourant je n'ai point eu d'impressions que je puisse vous raconter: pas le moindre site romantique à décrire, pas de forêt sombre, pas de couvent, pas de chapelle isolée, point de torrents, pas de grand bruit nocturne, pas même celui des moulins à foulons de Don Quichotte; ni chasseurs, ni laitières, ni jeune fille éplorée, ni génisse égarée, ni enfant perdu, ni mère éperdue, ni pasteur, ni voleur, ni mendiant, ni brigand; enfin, rien que le clair de lune, le bruit des chevaux et les ronflements du conducteur endormi. Par ci par là quelques laids paysans couverts d'un large chapeau à trois cornes, et vêtus d'une immense redingote de toile jadis blanche, dont les pans, démesurément longs, s'embarrassent entre leurs jambes boueuses, costume qui leur donné l'aspect de curés de village en grand négligé. Voilà tout! La première personne que j'avais à voir en arrivant à Stuttgardt, la seule même que de lointaines relations, nouées par l'intermédiaire d'un ami commun, pouvaient me faire supposer bien disposée pour moi, était le docteur Schilling, auteur d'un grand nombre d'ouvrages théoriques et critiques sur l'art musical. Ce titre de docteur, que presque tout le monde porte en Allemagne, m'avait fait assez mal augurer de lui. Je me figurais quelque vieux pédant, avec des lunettes, une perruque rousse, une vaste tabatière, toujours à cheval sur la fugue et le contrepoint, ne parlant que de Bach et de Marpurgh, poli extérieurement peut-être, mais au fond plein de haine pour la musique moderne en général, et d'horreur pour la mienne en particulier; enfin quelque fesse-mathieu musical. Voyez comme on se trompe: M. Schilling n'est pas vieux, il ne porte pas de lunettes, il a de fort beaux cheveux noirs, il est plein de vivacité, parle vite et fort, comme à coups de pistolet; il fume et ne prise pas; il m'a très-bien reçu, m'a indiqué dès l'abord tout ce que j'avais à faire pour parvenir à donner un concert, ne m'a jamais dit un mot de fugue ni de canon, n'a manifesté de mépris ni pour les Huguenots ni pour Guillaume Tell, et n'a point montré d'aversion pour ma musique avant de l'avoir entendue.

D'ailleurs la conversation n'était rien moins que facile entre nous quand il n'y avait pas d'interprète, M. Schilling parlant le français à peu près comme je parle l'allemand. Impatienté de ne pouvoir se faire comprendre:

—Parlez-vous anglais, me dit-il un jour?

—J'en sais quelques mots; et vous?

—Moi... non! Mais l'italien, savez-vous l'italien?

Si, un poco. Come si chiama il direttore del teatro?

—Ah! diable! pas parler italien non plus!...

Je crois, Dieu me pardonne, que si j'eusse déclaré ne comprendre ni l'anglais ni l'italien, le bouillant docteur avait envie de jouer avec moi dans ces deux langues la scène du Médecin malgré lui: Arcithuram, catalamus, nominativo, singulariter; est ne oratio latinas?

Nous en vînmes à essayer du latin, et à nous entendre tant bien que mal, non sans quelques arcithuram, catalamus. Mais on conçoit que l'entretien devait être un peu pénible et ne roulait pas précisément sur les Idées de Herder, ni sur la Critique de la raison pure de Kant. Enfin, M. Schilling sut me dire que je pouvais donner mon concert au théâtre ou dans une salle destinée aux solennités musicales de cette nature, et qu'on nomme salle de la Redoute. Dans le premier cas, outre l'avantage, énorme dans une ville comme Stuttgardt, de la présence du Roi et de la cour, qu'il me croyait assuré d'obtenir, j'aurais encore une exécution gratuite, sans avoir à m'occuper des billets, ni des annonces, ni d'aucun des autres détails matériels de la soirée. Dans le second, j'aurais à payer l'orchestre, à m'occuper de tout, et le Roi ne viendrait pas; il n'allait jamais dans la salle de concert. Je suivis donc le conseil du docteur, et m'empressai d'aller présenter ma requête à M. le baron de Topenhaïm, grand-maréchal de la cour et intendant du théâtre. Il me reçut avec une urbanité charmante, m'assurant qu'il parlerait le soir même au Roi de ma demande, et qu'il croyait qu'elle me serait accordée.

«Je vous ferai observer cependant, ajouta-t-il, que la salle de la Redoute est la seule bonne et bien disposée pour les concerts, et que le théâtre, au contraire, est d'une si mauvaise sonorité, qu'on a depuis longtemps renoncé à y faire entendre aucune composition instrumentale de quelque importance!»

Je ne savais trop que répondre ni à quoi m'arrêter. Allons voir Lindpaintner, me dis-je; celui-là est et doit être l'arbitre souverain. Je ne saurais vous dire, mon cher Girard, quel bien me fit ma première entrevue avec cet excellent artiste. Au bout de cinq minutes, il nous sembla être liés ensemble depuis dix ans. Lindpaintner m'eut bientôt éclairé sur ma position.

«D'abord, me dit-il, il faut vous détromper sur l'importance musicale de notre ville; c'est une résidence royale, il est vrai, mais il n'y a ni argent, ni public. (Aye! aye! Je pensai à Mayence et au père Schott.) Pourtant, puisque vous voilà, il ne sera pas dit que nous vous aurons laissé partir sans exécuter quelques-unes de vos compositions, que nous sommes si curieux de connaître. Voilà ce qu'il y a à faire: Le théâtre ne vaut rien, absolument rien pour la musique. La question de la présence du Roi n'est d'aucune valeur; Sa Majesté n'allant jamais au concert, ne paraîtra pas au vôtre en quelque lieu que vous le donniez. Ainsi donc prenez la salle de la Redoute, dont la sonorité est excellente et où rien ne manque pour l'effet de l'orchestre. Quant aux musiciens vous aurez seulement à verser une petite somme de 80 fr. pour leur caisse des pensions, et tous, sans exception, se feront un devoir et un honneur, non-seulement d'exécuter, mais de répéter plusieurs fois vos œuvres, sous votre direction. Venez ce soir entendre le Freyschütz; dans un entr'acte je vous présenterai à la chapelle, et vous verrez si j'ai tort de vous répondre de sa bonne volonté.»

Je n'eus garde de manquer au rendez-vous. Lindpaintner me présenta aux artistes, et après qu'il eut traduit une petite allocution que je crus devoir leur adresser, mes doutes et mes inquiétudes disparurent: j'avais un orchestre.

J'avais un orchestre composé à peu près comme celui de Francfort, et jeune, et plein de vigueur et de feu. Je le vis bien à la manière dont toute la partie instrumentale du chef-d'œuvre de Weber fut exécutée. Les chœurs me parurent assez ordinaires, peu nombreux et peu attentifs à rendre les nuances principales, si bien connues cependant, de cette admirable partition. Ils chantaient toujours mezzo-forte, et paraissaient assez ennuyés de la tâche qu'ils remplissaient. Pour les acteurs ils étaient presque tous d'une honnête médiocrité. Je ne me rappelle le nom d'aucun d'eux. La prima dona (Agathe) a une voix assez sonore, mais dure et peu flexible; la seconde femme (Annette) vocalise plus aisément, mais chante souvent faux; le baryton (Gaspard) est, je crois, ce que le théâtre de Stuttgardt possède de mieux. J'ai entendu ensuite cette troupe chantante dans la Muette de Portici sans changer d'opinion à son égard. Lindpaintner, en conduisant l'exécution de ces deux opéras, m'a étonné par la rapidité qu'il donnait au mouvement de certains morceaux. J'ai vu plus tard que beaucoup de maîtres de chapelle allemands ont, à cet égard, la même manière de sentir; tels sont, entre autres, Mendelssohn, Krebs et Guhr. Pour les mouvements du Freyschütz, je ne puis rien dire: ils en ont, sans doute, beaucoup mieux que moi les véritables traditions; mais quant à la Muette, à la Vestale, à Moïse et aux Huguenots, qui ont été montés sous les yeux des auteurs à Paris, et dont les mouvements se sont conservés tels qu'ils furent donnés aux premières représentations, j'affirme que la précipitation avec laquelle j'en ai entendu exécuter certaines parties à Stuttgardt, à Leipzig, à Hambourg et à Francfort, est une infidélité d'exécution; infidélité involontaire, sans doute, mais véritablement contraire à l'intention des compositeurs et nuisible à l'effet. On croit pourtant en France que les Allemands ralentissent tous nos mouvements.

L'orchestre de Stuttgardt, possède: 16 violons, 4 altos, 4 violoncelles, 4 contrebasses, et les instruments à vent et à percussion nécessaires à l'exécution de la plupart des opéras modernes. Mais il a de plus une excellente harpe (M. Krüger), et c'est, pour l'Allemagne, une véritable rareté. L'étude de ce bel instrument y est négligée d'une façon ridicule et même barbare, sans qu'on en puisse découvrir la raison. Je penche même à croire qu'il en fut toujours ainsi, en considérant qu'aucun des grands maîtres de l'école allemande n'en a fait usage. On ne trouve point de harpe dans les œuvres de Mozart; il n'y en a ni dans Don Juan, ni dans Figaro, ni dans la Flûte enchantée, ni dans le Sérail, ni dans Idoménée, ni dans Cosi fan Tutte, ni dans ses messes, ni dans ses symphonies. Weber s'en est également abstenu partout; Haydn et Beethoven sont dans le même cas; Gluck seul a écrit dans Orphée une partie de harpe très-facile, pour une main, et encore cet opéra fut-il composé et représenté en Italie. Il y a là-dedans quelque chose qui m'étonne et m'irrite en même temps!... C'est une honte pour les orchestres allemands, qui tous devraient avoir au moins deux harpes, maintenant surtout qu'ils exécutent les opéras venus de France et d'Italie, où elles sont si souvent employées.

Les violons de Stuttgardt sont excellents; on voit qu'ils sont pour la plupart élève du concert-meister Molique, dont nous avons, il y a quelques années, admiré au Conservatoire de Paris le jeu vigoureux, le style large et sévère, bien que peu nuancé, et les savantes compositions. Molique, au théâtre et aux concerts, occupant le premier pupitre des violons, n'a donc à diriger en grande partie que ses élèves, qui professent pour lui un respect et une admiration parfaitement motivés. De là une précieuse exactitude dans l'exécution, exactitude due à l'unité de sentiment et de méthode, autant qu'à l'attention des violonistes.

Je dois signaler parmi eux, le second maître de concert Habenhaïm, artiste distingué sous tous les rapports, et dont j'ai entendu une cantate d'un style mélodique expressif, d'une harmonie pure, et très-bien instrumentée.

Les autres instruments à archet ont une valeur si non égale à celle des violons, au moins suffisante pour qu'on doive les compter pour bons. J'en dirai autant des instruments à vent: la première clarinette et le premier hautbois sont excellents. L'artiste qui joue la partie de première flûte (M. Krüger père) se sert malheureusement d'un ancien instrument qui laisse beaucoup à désirer pour la pureté du son en général, et pour la facilité d'émission des notes aiguës. M. Krüger devrait aussi se tenir en garde contre le penchant qui l'entraîne parfois à faire des trilles et des grupetti là où l'auteur s'est bien gardé d'en écrire.

Le premier basson, M. Neukirchner, est un virtuose de première force qui s'attache peut-être trop à faire parade de grandes difficultés; il joue en outre sur un basson tellement mauvais que des intonations douteuses viennent à chaque instant blesser l'oreille et empêcher l'effet des phrases même les mieux rendues par l'exécutant. On distingue parmi les cors, M. Schuncke; il fait aussi comme ses confrères de Francfort, un peu trop cuivrer le son des notes élevées. Les cors à cylindres (ou chromatiques) sont exclusivement employés à Stuttgardt. L'habile facteur Ad. Sax, actuellement établi à Paris, a démontré surabondamment la supériorité de ce système sur celui des pistons, à peu près abandonné à cette heure dans toute l'Allemagne, pendant que celui des cylindres pour les cors, trompettes, bombardons, bass-tuba, y devient d'un usage général. Les Allemands appellent instruments à soupape (Ventil-horn, Ventil-trompeten) ceux auxquels ce mécanisme est appliqué. J'ai été surpris de ne pas le voir adopté pour les trompettes dans la musique militaire, assez bonne d'ailleurs, de Stuttgardt; on en est encore là aux trompettes à deux pistons, instruments fort imparfaits et bien loin, pour la sonorité et la qualité du timbre, des trompettes à cylindres dont on se sert à présent partout ailleurs. Je ne parle pas de Paris; nous y viendrons dans quelque dix ans.

Les trombones sont d'une belle force; le premier (M. Schrade), qui fit, il y a quatre ans, partie de l'orchestre du concert Vivienne, à Paris, est un véritable talent. Il possède à fond son instrument, se joue des plus grandes difficultés, tire du trombone-ténor un son magnifique; je pourrais même dire des sons, puisqu'il sait, au moyen d'un procédé non encore expliqué, produire trois et quatre notes à la fois, comme ce jeune corniste dont toute la presse musicale s'est récemment occupée à Paris. Schrade, dans un point d'orgue d'une fantaisie qu'il a exécutée en public à Stuttgardt, a fait entendre simultanément, et à la surprise générale, les quatre notes de l'accord de septième dominante du ton de si b, ainsi disposées:

{mi b  
la
ut
fa

C'est aux acousticiens qu'il appartient de donner la raison de ce nouveau phénomène de la résonnance des tubes sonores; à nous autres musiciens de le bien étudier et d'en tirer parti si l'occasion s'en présente.

Un autre mérite de l'orchestre de Stuttgardt, mérite que j'ai rarement rencontré ailleurs au même degré, c'est qu'il n'est composé que de lecteurs intrépides, que rien ne trouble, que rien ne déconcerte, qui lisent à la fois la note et la nuance, qui à la première vue ne laissent échapper ni un P ni un F, ni un mezzo forte, ni un smorzando, sans l'indiquer. Ils sont en outre rompus à tous les caprices du rhythme et de la mesure, ne se cramponnent pas toujours aux temps forts, et savent, sans hésiter, accentuer les temps faibles et passer d'une syncope à une autre sans embarras et sans avoir l'air d'exécuter un pénible tour de force. En un mot, leur éducation musicale est complète sous tous les rapports. J'ai pu reconnaître en eux ces précieuses qualités dès la première répétition de mon concert. J'avais choisi pour celui-là la Symphonie fantastique et l'ouverture des Francs-Juges. Vous savez combien ces deux ouvrages contiennent de difficultés rhythmiques, de phrases syncopées, de syncopes croisées, de groupes de quatre notes superposés à des groupes de trois, etc., etc.; toutes choses qu'aujourd'hui, au Conservatoire, nous jetons vigoureusement à la tête du public, mais qu'il nous a fallu travailler pourtant, et beaucoup et longtemps. J'avais donc lieu de craindre une foule d'erreurs à différents passages de l'ouverture et du final de la Symphonie; je n'ai pas eu à en relever une seule, tout a été vu et lu et vaincu du premier coup. Mon étonnement était extrême. Le vôtre ne sera pas moindre, si je vous dis que nous avons monté cette damnée Symphonie et le reste du programme en deux répétitions. L'effet eût même été très-satisfaisant, si les maladies vraies ou simulées ne m'eussent enlevé la moitié des violons le jour du concert. Me voyez-vous, avec quatre premiers violons et quatre seconds, pour lutter avec tous ces instruments à vent et à percussion? Car l'épidémie avait épargné le reste de l'orchestre, et il ne manquait rien, rien que la moitié des violons!... Oh! en pareil cas, je ferais comme Max dans le Freyschütz, et pour obtenir des violons, je signerais un pacte avec tous les diables de l'enfer. C'était d'autant plus navrant et irritant, que, malgré les prédictions de Lindpaintner, le Roi et la cour étaient venus. Nonobstant cette défection de quelques pupitres, l'exécution fut, sinon puissante (c'était chose impossible), au moins intelligente, exacte et chaleureuse. Les morceaux de la Symphonie fantastique qui produisirent le plus d'effet furent l'adagio (la Scène aux Champs), et le final (le Sabbat). L'ouverture fut chaudement accueillie; quant à la Marche des Pèlerins d'Harold, qui figurait aussi dans le programme, elle passa presque inaperçue. Il en a été de même encore dans une autre occasion, où j'avais eu l'imprudence de la faire entendre isolément, tandis que partout où j'ai donné Harold en entier, ou au moins les trois premières parties de cette symphonie, la marche a été accueillie comme elle l'est à Paris, et souvent redemandée. Nouvelle preuve de la nécessité de ne pas morceler certaines compositions, et de ne les produire que dans leur jour et sous le point de vue qui leur est propre.

Faut-il vous dire maintenant qu'après le concert je reçus toutes sortes de félicitations de la part du Roi, de M. le comte Neiperg, et du prince Jérôme Bonaparte? Pourquoi pas? On sait que les princes sont en général d'une bienveillance extrême pour les artistes étrangers, et je ne manquerais réellement de modestie que si j'allais vous répéter ce que m'ont dit quelques-uns des musiciens le soir même et les jours suivants. D'ailleurs, pourquoi ne pas manquer de modestie? Pour ne pas faire grogner quelques mauvais dogues à la chaîne, qui voudraient mordre quiconque passe en liberté devant leur chenil? Cela vaut bien la peine d'aller employer de vieilles formules et jouer une comédie dont personne n'est dupe! La vraie modestie consisterait, non-seulement à ne pas parler de soi, mais à ne pas en faire parler; en un mot, à ne pas attirer sur soi l'attention publique, à ne rien dire, à ne rien écrire, à ne rien faire, à se cacher, à ne pas vivre. N'est-ce pas là une absurdité?.... Et puis j'ai pris le parti de tout avouer, heur et malheur; j'ai commencé déjà dans ma précédente lettre, et je suis prêt à continuer dans celle-ci. Ainsi je crains fort que Lindpaintner, qui est un maître, et dont j'ambitionnais beaucoup le suffrage, approuvant dans tout cela l'ouverture seulement, n'ait profondément abominé la symphonie; je parierais que Molique n'a rien approuvé. Quant au docteur Schilling, je suis sûr qu'il a tout trouvé exécrable, et qu'il a été bien honteux d'avoir fait les premières démarches pour produire à Stuttgardt un brigand de mon espèce, véhémentement soupçonné d'avoir violé la musique, et qui, s'il parvient à lui inspirer sa passion de l'air libre et du vagabondage, fera de la chaste muse une sorte de bohémienne, moins Esméralda qu'Héléna Mac Grégor, virago armée, dont les cheveux flottent au vent, dont la sombre tunique étincelle de brillants colifichets, qui bondit pieds nus sur les roches sauvages, qui rêve au bruit des vents et de la foudre, et dont le noir regard épouvante les femmes et trouble les hommes sans leur inspirer l'amour.

Aussi Schilling, en sa qualité de conseiller du prince de Hoënzollern-Hechingen, n'a pas manqué d'écrire à Son Altesse et de lui proposer, pour la divertir, le curieux-sauvage, plus convenable dans la Forêt-Noire que dans une ville civilisée. Et le sauvage, curieux de tout connaître, au reçu d'une invitation rédigée en termes aussi obligeants que choisis par M. le baron de Billing, conseiller intime du prince, s'est acheminé, à travers la neige et les grands bois de sapins, vers la petite ville d'Hechingen, sans trop s'inquiéter de ce qu'il pourrait y faire. Cette excursion dans la Forêt-Noire m'a laissé un confus mélange de souvenirs joyeux, tristes, doux et pénibles, que je ne saurais évoquer sans un serrement de cœur presque inexplicable. Le froid, le double deuil noir et blanc étendu sur les montagnes, le vent qui mugissait sous ces pins frissonnants, le travail secret du ronge-cœur si actif dans la solitude, un triste épisode d'un douloureux roman lu pendant le voyage.... Puis l'arrivée à Hechingen, les gais visages, l'amabilité du prince, les fêtes du premier jour de l'an, le bal, le concert, les rires fous, les projets de se revoir à Paris, et.... les adieux.... et le départ.... Oh! je souffre!.... Quel diable m'a poussé à vous faire ce récit, qui ne présente pourtant, comme vous l'allez voir, aucun incident émouvant ni romanesque.... Mais je suis ainsi fait, que je souffre parfois,—sans motif apparent,—comme, pendant certains états électriques de l'atmosphère, les feuilles des arbres remuent sans qu'il fasse de vent.—......—......—Heureusement, mon cher Girard, vous me connaissez de longue date, et vous ne trouverez pas trop ridicule cette exposition sans péripétie, cette introduction sans allegro, ce sujet sans fugue!—Ah! ma foi! un sujet sans fugue, avouez-le, c'est une rare bonne fortune? Et nous avons lu tous les deux plus de mille fugues qui n'ont pas de sujets, sans compter celles qui n'ont que de mauvais sujets. Allons! voilà ma mélancolie qui s'envole, grâce à l'intervention de la fugue (vieille radoteuse qui si souvent a fait venir l'ennui), j'essuie la larme qui pendait à mon œil gauche, et..... je vous raconte Hechingen.

Quand je disais tout à l'heure que c'est une petite ville, j'exagerais géographiquement son importance. Hechingen n'est qu'un grand village, tout au plus un bourg, bâti sur une côte assez escarpée, à peu près comme la portion de Montmartre qui couronne la butte, ou mieux encore comme le village de Subiaco dans les Etats Romains. Au dessus du bourg, et placée de manière à le dominer entièrement, est la villa Eugenia, occupée par le prince. A droite de ce petit palais, une vallée profonde, et, un peu plus loin, un pic âpre et nu surmonté du vieux castel d'Hoenzollern, qui n'est plus aujourd'hui qu'un rendez-vous de chasse, après avoir été longtemps la féodale demeure des ancêtres du prince.

Le souverain actuel de ce romantique paysage est un jeune homme spirituel, vif et bon, qui semble n'avoir au monde que deux préoccupations constantes, le désir de rendre aussi heureux que possible les habitants de ses petits Etats, et l'amour de la musique. Concevez-vous une existence plus douce que la sienne? Il voit tout le monde content autour de lui: ses sujets l'adorent; la musique l'aime; il la comprend en poète et en musicien; il compose de charmants lieder, dont deux: der Fischer knabe et Schiffer's Abenlied, m'ont réellement touché par l'expression de leur mélodie; il les chante avec une voix de compositeur, mais avec une chaleur entraînante et des accents de l'ame et du cœur; il a, sinon un théâtre, au moins une chapelle (un orchestre) dirigée par un maître d'un mérite éminent, Techlisbeck, dont le Conservatoire de Paris a souvent exécuté avec honneur les symphonies, et qui lui fait entendre, sans luxe, mais montés avec soin, les chefs-d'œuvre les plus simples de la musique instrumentale. Tel est l'aimable prince dont l'invitation m'avait été si agréable et dont j'ai reçu l'accueil le plus cordial.

En arrivant à Hechingen, je renouvelai connaissance avec Techlisbeck. Je l'avais connu à Paris il y a quelques cinq ans; il m'a accablé chez lui de prévenances et de ces témoignages de véritable bonté qu'on n'oublie jamais. Il me mit bien vite au fait des forces musicales dont nous pouvions disposer: c'étaient 8 violons en tout, dont trois très-faibles; 3 altos, 2 violoncelles, 2 contrebasses. Le premier violon, nommé Stern, est un virtuose de talent. Le premier violoncelle (Oswald) mérite la même distinction. Le pasteur archiviste d'Hechingen joue la première contrebasse à la satisfaction des compositeurs les plus exigeants. La première flûte, le premier hautbois et la première clarinette sont excellents; la première flûte a seulement quelquefois de ces velléités d'ornementation que j'ai reprochées à celle de Stuttgardt. Les seconds instruments à vent sont suffisants. Les deux bassons et les deux cors laissent un peu à désirer. Quant aux trompettes, au trombone (il n'y en a qu'un) et au timbalier, ils laissent à désirer, toutes les fois qu'ils jouent, qu'on ne les ait pas priés de se taire. Ils ne savent rien.

Je vous vois rire, mon cher Girard, et prêt à me demander ce que j'ai pu faire exécuter avec un si petit orchestre? Eh bien! à force de patience et de bonne volonté, en arrangeant et modifiant certaines parties, en faisant cinq répétitions en trois jours, nous avons monté l'ouverture du Roi Lear, la Marche des Pèlerins, le bal de la Symphonie fantastique, et divers autres fragments proportionnés, par leur dimension, au cadre qui leur était destiné. Et tout a marché très bien, avec précision et même avec verve.

J'avais écrit au crayon sur les parties d'alto les notes essentielles et laissées à découvert des 3e et 4e cors (puisque nous ne pouvions avoir que le 1er et le 2e). Techlisbeck jouait sur le piano la 1re harpe du bal; il avait bien voulu se charger aussi de l'alto solo dans la Marche d'Harold. Le prince d'Hechingen se tenait à côté du timbalier pour lui compter ses pauses et le faire partir à temps; j'avais supprimé dans les parties de trompette les passages que nous avions reconnus inaccessibles aux deux exécutants. Le trombone seul était livré à lui-même; mais, ne donnant prudemment que les sons qui lui étaient très-familiers, comme si bémol, , fa, et évitant avec soin tous les autres, il brillait presque partout par son silence. Il fallait voir dans cette jolie salle de concert, où Son Altesse avait réuni un nombreux auditoire, comme les impressions musicales circulaient vives et rapides! Cependant, vous le devinez sans doute, je n'éprouvais de toutes ces manifestations qu'une joie mêlée d'impatience; et quand le prince est venu me serrer la main, je n'ai pu m'empêcher de lui dire:

—Ah! monseigneur, je donnerais, je vous jure, deux des années qui me restent à vivre, pour avoir là maintenant mon orchestre du Conservatoire, et le mettre aux prises devant vous avec ces partitions que vous jugez avec tant d'indulgence!

—Oui, oui, je sais, m'a-t-il répondu, vous avez un orchestre impérial, qui vous dit: Sire! et je ne suis qu'une Altesse; mais j'irai l'entendre à Paris, j'irai, j'irai!

Puisse-t-il tenir parole! Ses applaudissements, qui me sont restés sur le cœur, me semblent un bien mal acquis.

Il y eut après le concert souper à la villa Eugenia. La gaîté charmante du prince s'était communiquée à tous ses convives; il voulut me faire connaître une de ses compositions pour ténor, piano et violoncelle; Techlisbeck se mit au piano, l'auteur se chargeait de la partie de chant, et je fus, aux acclamations de l'assemblée, désigné pour chanter la partie de violoncelle. On a beaucoup applaudi le morceau et ri presque autant du timbre singulier de ma chanterelle. Les dames surtout ne revenaient pas de mon la.

Le surlendemain, après bien des adieux, il fallut retourner à Stuttgardt. La neige fondait sur les grands pins éplorés, le manteau blanc des montagnes se marbrait de taches noires... C'était profondément triste...... le ronge-cœur put travailler encore......

The rest is silence.........

    Farewell.

III

A LISZT.

Manheim, Weimar.

A mon retour d'Hechingen, je restai quelques jours encore à Stuttgardt, en proie à de nouvelles perplexités. A toutes les questions qu'on m'adressait sur mes projets et sur la future direction de mon voyage à peine commencé, j'aurais pu répondre, sans mentir, comme ce personnage d'une de nos comédies:

Non, je ne reviens point, car je n'ai point été;
Je ne vais pas non plus, car je suis arrêté,
Et ne demeure point, car tout de ce pas même
Je prétends m'en aller...

M'en aller... où? Je ne savais trop. J'avais écrit à Weimar, il est vrai, mais la réponse n'arrivait pas, et je devais absolument l'attendre avant de prendre une détermination.

Tu ne connais pas ces incertitudes, mon cher Liszt; il t'importe peu de savoir si, dans la ville où tu comptes passer, la chapelle est bien composée, si le théâtre est ouvert, si l'intendant veut le mettre à ta disposition, etc. En effet, à quoi bon pour toi tant d'informations! Tu peux, modifiant le mot de Louis XIV, dire avec confiance: «L'orchestre, c'est moi! le chœur, c'est moi! le chef, c'est encore moi! Mon piano chante, rêve, éclate, retentit; il défie au vol les archets les plus habiles; il a comme l'orchestre ses harmonies cuivrées; comme lui, et sans le moindre appareil, il peut livrer à la brise du soir son nuage de féeriques accords, de vagues mélodies; je n'ai besoin ni de théâtre, ni de décor fermé, ni de vastes gradins; je n'ai point à me fatiguer par de longues répétitions; je ne demande ni cent, ni cinquante, ni vingt musiciens; je n'en demande pas du tout, je n'ai pas même besoin de musique. Un grand salon, un grand piano, et je suis maître d'un grand auditoire. Je me présente, on m'applaudit; ma mémoire s'éveille, d'éblouissantes fantaisies naissent sous mes doigts, d'enthousiastes acclamations leur répondent; je chante l'Ave Maria de Schubert ou l'Adélaïde de Beethoven, et tous les cœurs de tendre vers moi, toutes les poitrines de retenir leur haleine.... c'est un silence ému, une admiration concentrée et profonde.... Puis viennent les bombes lumineuses, le bouquet de ce grand feu d'artifice, et les cris du public, et les fleurs et les couronnes qui pleuvent autour du prêtre de l'harmonie frémissant sur son trépied; et les jeunes belles qui, dans leur égarement sacré, baisent avec larmes le bord de son manteau; et les hommages sincères obtenus des esprits sérieux, et les applaudissements fébriles arrachés à l'envie; les grands fronts qui se penchent, les cœurs étroits surpris de s'épanouir.... Et le lendemain, quand le jeune inspiré a répandu ce qu'il voulait répandre de son intarissable passion, il part, il disparaît, laissant après soi un crépuscule éblouissant d'enthousiasme et de gloire.... C'est un rêve!....» C'est un de ces rêves d'or qu'on fait quand on se nomme Liszt ou Paganini.

Mais le compositeur qui tenterait, comme je l'ai fait, de voyager pour produire ses œuvres, à quelles fatigues, au contraire, à quels labeurs ingrats et toujours renaissants ne doit-il pas s'attendre!... Sait-on ce que peut être pour lui la torture des répétitions?... Il a d'abord à subir le froid regard de tous ces musiciens médiocrement charmés d'éprouver à son sujet un dérangement inattendu, d'être soumis à des études inaccoutumées.—«Que veut ce Français? Que ne reste-t-il chez lui?...» Chacun néanmoins prend place à son pupitre; mais au premier coup-d'œil jeté sur l'ensemble de l'orchestre, l'auteur y reconnaît bien vite d'inquiétantes lacunes. Il en demande la raison au maître de chapelle: «La première clarinette est malade, le hautbois a une femme en couches, l'enfant du premier violoncelle a le croup, les trombones sont à la parade; ils ont oublié de demander une exemption de service militaire pour ce jour-là; le timbalier s'est foulé le poignet, la harpe ne paraîtra pas à la répétition, parce qu'il lui faut du temps pour étudier sa partie, etc., etc.» On commence cependant, les notes sont lues, tant bien que mal, dans un mouvement plus lent du double que celui de l'auteur; rien n'est affreux pour lui comme cet allanguissement du rhythme! Peu à peu son instinct reprend le dessus, son sang échauffé l'entraîne, il précipite la mesure et revient malgré lui au mouvement du morceau; alors le gâchis se déclare, un formidable charivari lui déchire les oreilles et le cœur, il faut s'arrêter et reprendre le mouvement lent, et exercer fragments par fragments ces longues périodes dont, tant de fois auparavant, avec d'autres orchestres, il a guidé la course libre et rapide. Cela ne suffit pas encore; malgré la lenteur du mouvement, des discordances étranges se font entendre dans certaines parties d'instruments à vent; il veut en découvrir la cause: «Voyons les trompettes seules!......... Que faites-vous là? Je dois entendre une tierce, et vous produisez un accord de seconde. La deuxième trompette en ut a un , donnez-moi votre !... Très-bien! La première a un ut qui produit fa, donnez-moi votre ut! Fi!...... l'horreur! vous faites un si b!

—Non, monsieur, je fais ce qui est écrit!

—Mais je vous dis que non, vous vous trompez d'un ton!

—Cependant je suis sûr de faire l'ut!

—En quel ton est la trompette dont vous vous servez?

—En mi b!

—Eh! parlez donc, c'est là qu'est l'erreur, vous devez prendre la trompette en fa.

—Ah! je n'avais pas bien lu l'indication; c'est vrai, excusez-moi.

—Allons! quel diable de vacarme faites-vous là-bas, vous, le timbalier?

—Monsieur, j'ai un fortissimo.

—Point du tout, c'est un mezzo forte, il n'y a pas deux F, mais un M et un F. D'ailleurs vous vous servez des baguettes de bois et il faut employer là les baguettes à tête d'éponge; c'est une différence du noir au blanc.

—Nous ne connaissons pas cela, dit le maître de chapelle; qu'appelez-vous des baguettes à tête d'éponge? nous n'avons jamais vu qu'une seule espèce de baguettes.

—Je m'en doutais; j'en ai apporté de Paris. Prenez-en une paire que j'ai déposée là sur cette table. Maintenant y sommes-nous?... Mon Dieu! c'est vingt fois trop fort! et les sourdines que vous n'avez pas prises?...

—Nous n'en avons pas, le garçon d'orchestre a oublié d'en mettre sur les pupitres; on s'en procurera demain! etc., etc.» Après trois ou quatre heures de ces tiraillements antiharmoniques, on n'a pas pu rendre un seul morceau intelligible. Tout est brisé, désarticulé, faux, froid, plat, bruyant, discordant, hideux! Et il faut laisser sur une pareille impression soixante ou quatre-vingts musiciens qui s'en vont, fatigués et mécontents, dire partout qu'il ne savent ce que cela veut dire, que cette musique est un enfer, un chaos, qu'ils n'ont jamais rien essuyé de pareil. Le lendemain le progrès se manifeste à peine; ce n'est guère que le troisième jour qu'il se dessine formellement. Alors seulement le pauvre compositeur commence à respirer; les harmonies bien posées deviennent claires; les rhythmes bondissent; les mélodies pleurent et sourient; la masse unie, compacte, s'élance hardiment; après tant de tâtonnements, tant de bégaiements, l'orchestre grandit, il marche, il parle, il devient homme! L'intelligence ramène le courage aux musiciens étonnés; l'auteur demande une quatrième épreuve; ses interprètes, qui, à tout prendre, sont les meilleures gens du monde, l'accordent avec empressement. Cette fois, fiat lux! «Attention aux nuances! Vous n'avez plus peur?—Non! donnez-nous le vrai mouvement!—Via!» Et la lumière se fait, l'art apparaît, la pensée brille, l'œuvre est comprise! Et l'orchestre se lève, applaudissant et saluant le compositeur; le maître de chapelle vient le féliciter; les curieux qui se tenaient cachés dans les coins obscurs de la salle, s'approchent, montent sur le théâtre et échangent avec les musiciens des exclamations de plaisir et d'étonnement, en regardant d'un œil surpris le maître étranger qu'ils avaient d'abord pris pour un fou ou un barbare. C'est maintenant qu'il aurait besoin de repos. Qu'il s'en garde bien, le malheureux! C'est l'heure pour lui de redoubler de soins et d'attention. Il doit revenir avant le concert, pour surveiller la disposition des pupitres, inspecter les parties d'orchestre, et s'assurer qu'elles ne sont point mélangées. Il doit parcourir les rangs, un crayon rouge à la main, et marquer sur la musique des instruments à vent les désignations des tons usitées en Allemagne, au lieu de celles dont on se sert en France; mettre partout: in C, in D, in Des, in Fis, au lieu de en ut, en ré, en ré bémol, en fa dièze. Il a à transposer pour le hautbois un solo de cor anglais, parce que cet instrument ne se trouve pas dans l'orchestre qu'il va diriger, et que l'exécutant hésite souvent à transposer lui-même. Il faut qu'il aille faire répéter isolément les chœurs et les chanteurs, s'ils ont manqué d'assurance. Mais le public arrive, l'heure sonne; exténué, abîmé de fatigues de corps et d'esprit, le compositeur se présente au pupitre-chef, se soutenant à peine, incertain, éteint, dégoûté, jusqu'au moment où les applaudissements de l'auditoire, la verve des exécutants, l'amour qu'il a pour son œuvre le transforment tout-à-coup en machine électrique, d'où s'élancent, invisibles mais réelles, de foudroyantes irradiations. Et la compensation commence. Ah! c'est alors, j'en conviens, que l'auteur, dirigeant l'exécution de son œuvre, vit d'une vie aux virtuoses inconnue! Avec quelle joie furieuse il s'abandonne au bonheur de jouer de l'orchestre! Comme il presse, comme il embrasse, comme il étreint cet immense et fougueux instrument! L'attention multiple lui revient; il a l'œil partout; il indique d'un regard les entrées vocales et instrumentales, en haut, en bas, à droite, à gauche; il jette avec son bras droit de terribles accords qui semblent éclater au loin comme d'harmonieux projectiles; puis il arrête, dans les points d'orgue, tout ce mouvement qu'il a communiqué; il enchaîne toutes les attentions; il suspend tous les bras, tous les souffles, écoute un instant le silence... et redonne plus ardente carrière au tourbillon qu'il a dompté,

Luctantes ventos tempestatesque sonoras.
Imperio premit, ac vinclis et carcere frenat.

Et dans les grands adagio, est-il heureux de se bercer mollement sur son beau lac d'harmonie! prêtant l'oreille aux cent voix enlacées qui chantent ses hymnes d'amour, ou semblent confier ses plaintes du présent, ses regrets du passé, à la solitude et à la nuit. Alors souvent, mais seulement alors, l'auteur-chef oublie complètement le public; il s'écoute, il se juge; et si l'émotion lui arrive, partagée par les artistes qui l'entourent, il ne tient plus compte des impressions de l'auditoire, trop éloigné de lui. Si son cœur a frissonné au contact de la poétique mélodie, s'il a senti ses yeux, s'il a vu les yeux de ses interprètes se voiler de larmes furtives, le but est atteint, le ciel de l'art lui est ouvert, qu'importe la terre!...

Puis à la fin de la soirée, quand le grand succès est obtenu! sa joie devient centuple, partagée qu'elle est par tous les amours-propres satisfaits de son armée. Ainsi, vous, grands virtuoses, vous êtes princes et rois par la grâce de Dieu, vous naissez sur les marches du trône; les compositeurs doivent combattre, vaincre et conquérir pour régner. Mais les fatigues mêmes et les dangers de la lutte ajoutent à l'éclat et à l'enivrement de leurs victoires, et ils seraient peut-être plus heureux que vous... s'ils avaient toujours des soldats.

Voilà, mon cher Liszt, une bien longue digression, et j'allais oublier, en causant avec toi, de continuer le récit de mon voyage. J'y reviens.

Pendant les quelques jours que je passai à Stuttgardt à attendre les lettres de Weimar, la société de la Redoute, dirigée par Lindpaintner, donna un concert brillant où j'eus l'occasion d'observer une seconde fois la froideur avec laquelle le gros public allemand accueille en général les conceptions mêmes les plus colossales de l'immense Beethoven. L'ouverture d'Éléonore, morceau vraiment monumental, exécuté avec une précision et une verve rares, fut à peine applaudi; et j'entendis le soir, à table d'hôte, un monsieur se plaindre de ce qu'on ne donnait pas les Symphonies de Haydn au lieu de cette musique violente où il n'y a point de chant!!!... Franchement, nous n'avons plus de ces bourgeois-là à Paris!...

Une réponse favorable m'étant enfin parvenue de Weimar, je partis pour Carlsruhe. J'aurais voulu y donner un concert en passant; le maître de chapelle Strauss[2] m'apprit que j'aurais à attendre pour cela huit ou dix jours, à cause d'un engagement pris par le théâtre avec un flûtiste piémontais. En conséquence, plein de respect pour la grande flûte, je me hâtai de gagner Manheim. C'est une ville bien calme, bien froide, bien plane, bien carrée. Je ne crois pas que la passion de la musique empêche ses habitants de dormir. Pourtant il y a une nombreuse Académie de chant, un assez bon théâtre et un petit orchestre très-intelligent. La direction de l'Académie de chant et celle de l'orchestre sont confiées à Lachner jeune, frère du célèbre compositeur. C'est un artiste doux et timide, plein de modestie et de talent. Il m'eût bien vite organisé un concert. Je ne me souviens plus de la composition du programme; je sais seulement que j'avais voulu y placer ma deuxième symphonie (Harold) en entier, et que dès la première répétition je dus supprimer le final (l'Orgie) à cause des trombones manifestement incapables de remplir le rôle qui leur est confié dans ce morceau. Lachner s'en montra tout chagrin, désireux qu'il était, disait-il, de connaître l'ensemble du tableau. Je fus obligé d'insister en l'assurant que ce serait folie d'ailleurs, indépendamment de l'insuffisance des trombones, d'espérer l'effet de ce final avec un orchestre si peu fourni de violons. Les trois premières parties de la symphonie furent bien rendues et produisirent sur le public une vive impression. La grande-duchesse Amélie, qui assistait au concert, remarqua, m'a-t-on dit, le coloris de la Marche des Pèlerins, et surtout celui de la Sérénade dans les Abruzzes, où elle crut retrouver le calme heureux des belles nuits italiennes. Le solo d'alto avait été joué avec talent par un des altos de l'orchestre, qui n'a cependant pas de prétentions à la virtuosité.

J'ai trouvé à Manheim une assez bonne harpe, un hautbois excellent qui joue médiocrement du cor anglais, un violoncelle habile (Heinefetter), cousin des cantatrices de ce nom, et de valeureuses trompettes. Il n'y a pas d'ophicléïde: Lachner, pour remplacer cet instrument employé dans toutes les grandes partitions modernes, s'est vu obligé de faire faire un trombone ténor à cylindres, descendant à l'ut et au si graves. Il était plus simple, ce me semble, de faire venir un ophicléïde; et, musicalement parlant, c'eût été beaucoup mieux, car ces deux instruments ne se ressemblent guère. Je n'ai pu entendre qu'une répétition de l'Académie de chant; les amateurs qui la composent ont généralement d'assez belles voix, mais ils sont loin d'être tous musiciens et lecteurs.

Mademoiselle Sabine-Heinefetter a donné, pendant mon séjour à Manheim, une représentation de la Norma. Je ne l'avais pas entendue depuis qu'elle a quitté le Théâtre-Italien de Paris; sa voix a toujours de la puissance et une certaine agilité; elle la force un peu parfois, et ses notes hautes deviennent bien souvent difficiles à supporter; telle qu'elle est, pourtant, mademoiselle Heinefetter a peu de rivales parmi les cantatrices allemandes: elle sait chanter.

Je me suis splendidement ennuyé à Manheim, malgré les soins et les attentions tout aimables d'un Français, M. Desiré Lemire, que j'avais rencontré quelquefois à Paris, il y a huit ou dix ans. C'est qu'il est aisé de voir aux allures des habitants, à l'aspect même de la ville, qu'on est là tout-à-fait étranger au mouvement de l'art, et que la musique y est considérée seulement comme un assez agréable délassement dont on use volontiers aux heures de loisir laissées par les affaires. En outre, il pleuvait continuellement, j'étais voisin d'une horloge dont la cloche avait pour résonnance harmonique la tierce mineure[3], et d'une tour habitée par un méchant épervier dont les cris aigus et discordants me vrillaient l'oreille du matin au soir. J'étais impatient aussi de voir la ville des poètes, où me pressaient d'arriver les lettres du maître de chapelle, mon savant compatriote Chélard, et celles de Lobe, ce type du véritable musicien allemand dont tu as pu, je le sais apprécier le mérite et la chaleur d'ame.

Me voilà de nouveau sur le Rhin!—Je rencontre Guhr.—Il recommence à jurer.—Je le quitte.—Je revois un instant, à Francfort, notre ami Hiller.—Il m'annonce qu'il va faire exécuter son oratorio de la Chûte de Jérusalem.—Je pars, nanti d'un très-beau mal de gorge.—Je m'endors en route.—Un rêve affreux... que tu ne sauras pas.—Voilà Weimar.—Je suis très malade.—Lobe et Chélard essaient inutilement de me remonter.—Le concert se prépare.—On annonce la première répétition.—La joie me revient.—Je suis guéri.

A la bonne heure, je respire ici! Je sens quelque chose dans l'air qui m'annonce une ville littéraire, une ville artiste! Son aspect répond parfaitement à l'idée que je m'en étais faite, elle est calme, lumineuse, aérée, pleine de paix et de rêverie; des alentours charmants, de belles eaux, des collines ombreuses, de riantes vallées. Comme le cœur me bat en la parcourant! Quoi! c'est là le pavillon de Goëthe! Voilà celui où feu le grand-duc aimait à venir prendre part aux doctes entretiens de Schiller, de Herder, de Wieland! Cette inscription latine fut tracée sur ce rocher par l'auteur de Faust! Est-il possible? ces deux petites fenêtres donnent de l'air à la pauvre mansarde qu'habita Schiller! C'est dans cet humble réduit que le grand poète de tous les nobles enthousiasmes écrivit Don Carlos, Marie-Stuart, les Brigands, Wallenstein! C'est là qu'il est mort comme un simple étudiant! Ah! je n'aime pas Goëthe d'avoir souffert cela! lui qui était riche, ministre d'Etat... ne pouvait-il changer le sort de son ami le poète?... ou cette illustre amitié n'eut-elle rien de réel!... Je crains qu'elle ait été vraie du côté de Schiller seulement! Goëthe s'aimait trop; il chérissait trop aussi son damné fils Méphisto; il a vécu trop vieux; il avait trop peur de la mort.

Schiller! Schiller! tu méritais un ami moins humain! Mes yeux ne peuvent quitter ces étroites fenêtres, cette obscure maison, ce toit misérable et noir; il est une heure du matin, la lune brille, le froid est intense. Tout se tait, ils sont tous morts... Peu à peu ma poitrine se gonfle, mon corps entre en vibrations; je tremble; écrasé de respect, de regrets et de ces affections infinies que le génie à travers la tombe inflige quelquefois à d'obscurs survivants, je m'agenouille auprès de l'humble seuil, et souffrant, admirant, aimant, adorant, je répète: Schiller!.. Schiller!.. Schiller!..

Que te dire maintenant, cher, du véritable sujet de ma lettre? j'en suis si loin. Attends, je vais pour rentrer dans la prose et me calmer un peu, penser à un autre habitant de Weimar, à un homme d'un grand talent, qui faisait des Messes, de beaux Septuors, et jouait sévèrement du piano, à Hummel.... C'est fait, me voilà raisonnable!

Chélard, en sa qualité d'artiste noble et digne d'abord, de Français et d'ancien ami ensuite, a tout fait pour m'aider à parvenir à mon but. L'intendant, M. le baron de Spiegel, entrant dans ses vues bienveillantes, a mis à ma disposition le théâtre et l'orchestre; je ne dis pas les chœurs, car il n'aurait probablement pas osé m'en parler. Je les avais entendus en arrivant, dans le Vampire de Marschner: on ne se figure pas une telle collection de malheureux, braillant hors du ton et de la mesure. Je ne connaissais rien de pareil. Et les cantatrices! oh! les pauvres femmes! Par galanterie, n'en parlons pas. Mais il y a là une basse qui remplissait le rôle du Vampire; tu devines que je veux parler de Genast! N'est-ce pas que c'est un artiste dans toute la force du terme?... Il est surtout tragédien; et j'ai bien regretté de ne pouvoir rester plus longtemps à Weimar, pour lui voir jouer le rôle de Lear, dans la tragédie de Shakspeare, qu'on montait au moment de mon départ.

La chapelle est bien composée; mais pour me faire fête, Chélard et Lobe se mirent en quête des instruments à cordes qu'on pouvait ajouter à ceux qu'elle possède, et ils me présentèrent un actif de 22 violons, 7 altos, 7 violoncelles et 7 contrebasses. Les instruments à vent étaient au grand complet; j'ai remarqué parmi eux une excellente première clarinette et une trompette à cylindres (Sakce) d'une force extraordinaire. Il n'y avait pas de cor anglais:—j'ai dû transposer sa partie pour une clarinette; pas de harpe:—un très-aimable jeune homme, M. Montag, pianiste de mérite et musicien parfait, a bien voulu arranger les deux parties de harpe pour un seul piano et les jouer lui-même; pas d'ophicléïde:—on l'a remplacé par un bombardon assez fort. Plus rien alors ne manquait, et nous avons commencé les répétitions. Il faut te dire que j'avais trouvé à Weimar, chez les musiciens, une passion très-développée pour mon ouverture des Francs-Juges qu'ils avaient déjà exécutée quelquefois. Ils étaient donc on ne peut mieux disposés; aussi, ai-je été réellement heureux, contre l'ordinaire, pendant les études de la Symphonie fantastique que j'avais encore choisie, d'après leur désir. C'est une joie extrême, mais bien rare, d'être ainsi compris tout de suite. Je me souviens de l'impression que produisirent sur la chapelle et sur quelques amateurs assistant à la répétition, le premier morceau (Rêveries-Passions), et le troisième (Scène aux Champs). Celui-ci surtout semblait, à sa péroraison, avoir oppressé toutes les poitrines, et, après le dernier roulement du tonnerre, à la fin du solo du pâtre abandonné, quand l'orchestre rentrant semble exhaler un profond soupir et s'éteindre, j'entendis mes voisins soupirer aussi sympathiquement, en se récriant, etc., etc. Chélard, lui, se déclara partisan de la Marche au supplice avant tout. Quant au public, il parut préférer le Bal et la Scène aux Champs. L'ouverture des Francs-Juges fut accueillie comme une ancienne connaissance qu'on est bien aise de revoir. Bon, me voilà encore sur le point de manquer de modestie; et, si je te parle de la salle pleine, des longs applaudissements, des rappels, des chambellans qui viennent complimenter le compositeur de la part de LL. AA., des nouveaux amis qui l'attendent à la sortie du théâtre pour l'embrasser et qui le gardent bon gré mal gré jusqu'à trois heures du matin; si je te décris enfin un succès, on me trouvera fort inconvenant, fort ridicule, fort... Tiens, malgré ma philosophie, cela m'épouvante, et je m'arrête là. Adieu.

IV

A M. STEPHEN HELLER.

Leipzig.

Vous avez ri sans doute, mon cher Heller, de l'erreur commise dans ma dernière lettre, au sujet de la grande-duchesse Stéphanie que j'ai appelée Amélie? Eh bien! il faut vous l'avouer, je ne me désole pas trop des reproches d'ignorance et de légèreté qu'elle va m'attirer. Si j'avais appelé François ou Georges l'empereur Napoléon, à la bonne heure! mais il est bien permis, à la rigueur, de changer le nom, tout gracieux qu'il soit, de la souveraine de Manheim. D'ailleurs Shakspeare l'a dit:

What's in a name? that wich we call a rose
By any other name would smell as sweet!

«Qu'y a-t-il dans un nom? Ce que nous appelons une rose n'exhalerait pas, sous un autre nom, de moins doux parfums.»

En tous cas, je demande humblement pardon à S. A., et, si elle me l'accorde, comme j'espère, je me moquerai bien de vos moqueries.

En quittant Weimar, la ville musicale que je pouvais le plus aisément visiter était Leipzig. J'hésitais pourtant à m'y présenter, malgré la dictature dont y était investi Félix Mendelssohn, et les relations amicales qui nous lièrent ensemble, à Rome, en 1831. Nous avons suivi dans l'art, depuis cette époque, deux lignes si divergentes, que je craignais, j'en conviens, de ne pas trouver en lui de bien vives sympathies. Chélard, qui le connaît, me fit rougir de mon doute, et je lui écrivis. Sa réponse ne se fit pas attendre; la voici:

«Mon cher Berlioz, je vous remercie bien de cœur de votre bonne lettre et de ce que vous avez encore conservé le souvenir de notre amitié romaine! Moi, je ne l'oublierai de ma vie, et je me réjouis de pouvoir vous le dire bientôt de vive voix. Tout ce que je puis faire pour rendre votre séjour à Leipzig heureux et agréable, je le ferai comme un plaisir et comme un devoir. Je crois pouvoir vous assurer que vous serez content de la ville, c'est-à-dire des musiciens et du public. Je n'ai pas voulu vous écrire sans avoir consulté plusieurs personnes qui connaissent Leipzig mieux que moi, et toutes m'ont confirmé dans l'opinion où je suis que vous y ferez un excellent concert. Les frais de l'orchestre, de la salle, des annonces, etc., sont de 110 écus: la recette peut s'élever de 6 à 800 écus. Vous devrez être ici et arrêter le programme et tout ce qui est nécessaire au moins dix jours d'avance. En outre, les directeurs de la Société des Concerts d'abonnement me chargent de vous demander si vous voulez faire exécuter un de vos ouvrages dans le concert qui sera donné le 22 février au bénéfice des pauvres de la ville. J'espère que vous accepterez leur proposition après le concert que vous aurez donné vous-même. Je vous engage donc à venir ici aussitôt que vous pourrez quitter Weimar. Je me réjouis de pouvoir vous serrer la main et vous dire: «Willkommen» en Allemagne. Ne riez pas de mon méchant français comme vous faisiez à Rome, mais continuez d'être mon bon ami, comme vous l'étiez alors et comme je serai toujours votre dévoué.

FÉLIX MENDELSSOHN BARTHOLDY

Pouvais-je résister à une invitation conçue en pareils termes?..... Je partis donc pour Leipzig, non sans regretter Weimar et les nouveaux amis que j'y laissais. Ma liaison avec Mendelssohn avait commencé à Rome d'une façon assez bizarre. A notre première entrevue, il me parla de ma cantate de Sardanapale, couronnée à l'Institut de Paris, et dont mon co-lauréat Montfort lui avait fait entendre quelques parties. Lui ayant manifesté moi-même une véritable aversion pour le premier allegro de cette cantate: «A la bonne heure, s'écria-t-il plein de joie, je vous fais mon compliment... sur votre goût! j'avais peur que vous ne fussiez content de cet allegro; franchement il est bien misérable?» Nous faillîmes nous quereller le lendemain parce que j'avais parlé avec enthousiasme de Gluck, et qu'il me répondit d'un ton railleur et surpris: «Ah! vous aimez Gluck!» ce qui semblait dire: «Comment un musicien tel que vous me paraissez être a-t-il assez d'élévation dans les idées, un assez vif sentiment de la grandeur du style et de la vérité d'expression, pour aimer Gluck!» J'eus bientôt l'occasion de me venger de cette petite incartade. J'avais apporté de Paris l'air d'Asteria dans l'opéra italien Telemaco; morceau admirable, mais peu connu! J'en plaçai sur le piano de Montfort un exemplaire manuscrit sans nom d'auteur, un jour où nous attendions la visite de Mendelssohn. Il vint; en apercevant cette musique qu'il prit pour un fragment de quelque opéra italien moderne, il se mit en devoir de l'exécuter, et, aux quatre dernières mesures, à ces mots: «O giorno! o dolce sguardi! o rimembranza! o amor!» dont l'accent musical est vraiment sublime, comme il les parodiait d'une façon grotesque en contrefaisant Rubini, je l'arrêtai, et d'un air confondu d'étonnement:

—Ah! vous n'aimez pas Gluck! lui dis-je.

—Comment! Gluck!

—Hélas! oui, mon cher, ce morceau est de lui et non point de Bellini, ainsi que vous le pensiez. Vous voyez que je suis de votre opinion... plus que vous-même!

Il ne prononçait jamais le nom de Sébastien Bach sans y ajouter ironiquement «votre petit élève!» Enfin, c'était un vrai porc-épic, dès qu'on parlait de musique; on ne savait par quel bout le prendre pour ne pas se blesser. Doué d'un excellent caractère, d'une humeur douce et charmante, il supportait aisément la contradiction sur tout le reste, et j'abusais à mon tour de sa tolérance dans les discussions philosophiques et religieuses que nous élevions quelquefois.

Un soir, nous explorions ensemble les Thermes de Caracalla, en débattant la question du mérite ou du démérite des actions humaines et de leur rémunération pendant cette vie. Comme je répondais par je ne sais quelle énormité à l'énoncé de son opinion toute religieuse et orthodoxe, le pied vint à lui manquer, et le voilà roulant, avec force contusions et meurtrissures, dans les ruines d'un très-raide escalier. «Admirez la justice divine, lui dis-je en l'aidant à se relever, c'est moi qui blasphème, et c'est vous qui tombez!» Cette impiété, accompagnée de grands éclats de rire, lui parut trop forte apparemment, et depuis lors les discussions religieuses furent toujours écartées. C'est à Rome que j'appréciai pour la première fois ce délicat et fin tissu musical, diapré de si riches couleurs, qui a nom: Ouverture de la grotte de Fingal. Mendelssohn venait de le terminer, et il m'en donna une idée assez exacte; telle est sa prodigieuse habileté à rendre sur le piano les partitions les plus compliquées. Souvent, aux jours accablants de sirocco, j'allais l'interrompre dans ses travaux (car c'est un producteur infatigable); il quittait alors la plume de très-bonne grâce, et, me voyant tout gonflé de spleen, cherchait à l'adoucir en me jouant ce que je lui désignais parmi les œuvres des maîtres que nous aimions tous les deux. Combien de fois, hargneusement couché sur son canapé, j'ai chanté l'air d'Iphigénie en Tauride: D'une image, hélas! trop chérie, qu'il accompagnait, décemment assis devant son piano. Et il s'écriait: «C'est beau cela! c'est beau! je l'entendrais sans me lasser du matin au soir, toujours, toujours!» Et nous recommencions. Il aimait aussi beaucoup à me faire murmurer, avec ma voix ennuyée et dans cette position horizontale, deux ou trois mélodies que j'avais écrites sur des vers de Moore, et qui lui plaisaient. Mendelssohn a toujours eu une grande estime pour mes.... chansonnettes. Après un mois de ces relations, qui avaient fini par devenir pour moi si pleines d'intérêt, Mendelssohn disparut sans me dire adieu, et je ne le revis plus. Sa lettre, que je viens de vous citer, dut en conséquence me causer et me causa réellement une très-agréable surprise. Elle semblait révéler en lui une bonté d'ame, une aménité de mœurs que je ne lui avais pas connues: je ne tardai pas à reconnaître, en arrivant à Leipzig, que ces qualités excellentes étaient les siennes en effet. Il n'a rien perdu toutefois de l'inflexible rigidité de ses principes d'art, mais il ne cherche point à les imposer violemment, et il se borne, dans l'exercice de ses fonctions de maître de chapelle, à mettre en évidence ce qu'il juge beau, et à laisser dans l'ombre ce qui lui paraît mauvais ou d'un pernicieux exemple. Seulement il aime toujours un peu trop les morts.

La société des concerts d'abonnement dont il m'avait parlé est fort nombreuse et on ne peut mieux composée; elle possède une magnifique académie de chant, un orchestre excellent et une salle, celle de Gewanthause, d'une sonorité parfaite. C'était dans ce vaste et beau local que je devais donner mon concert. J'allai le visiter en descendant de voiture; et je tombai précisément au milieu de la répétition générale de l'œuvre nouvelle de Mendelssohn (Valpurgis Nacht). Je fus réellement émerveillé de prime abord du beau timbre des voix, de l'intelligence des chanteurs, de la précision et de la verve de l'orchestre, et surtout de la splendeur de la composition. J'incline fort à regarder cette espèce d'oratorio (la Nuit du Sabbat) comme ce que Mendelssohn a produit de plus achevé jusqu'à ce jour. Le poème est de Goëthe, et n'a rien de commun avec la scène du sabbat de Faust. Il s'agit des assemblées nocturnes que tenait sur les montagnes, aux premiers temps du christianisme, une secte religieuse fidèle aux anciens usages, alors même que les sacrifices sur les haut-lieux eurent été interdits. Elle avait coutume, pendant les nuits destinées à l'œuvre sainte, de placer aux avenues de la montagne, et en grand nombre, des sentinelles armées, couvertes de déguisements étranges. A un signal convenu, et quand le prêtre montant à l'autel entonnait l'hymne sacré, cette troupe, d'aspect diabolique, agitant d'un air terrible ses fourches et ses flambeaux, faisait entendre toutes sortes de bruits et de cris épouvantables, pour couvrir la voix du chœur religieux et effrayer les profanes qui eussent été tentés d'interrompre la cérémonie. C'est de là sans doute qu'est venu l'usage dans la langue française d'employer le mot sabbat comme synonyme de grand bruit nocturne. Il faut entendre la musique de Mendelssohn pour avoir une idée des ressources variées que ce poème offrait à un habile compositeur. Il en a tiré un parti admirable. Sa partition est d'une clarté parfaite, malgré sa complexité; les effets de voix et d'instruments s'y croisent dans tous les sens, se contrarient, se heurtent, avec un désordre apparent qui est le comble de l'art. Je citerai surtout, comme des choses magnifiques en deux genres opposés, le morceau mystérieux du placement des sentinelles, et le chœur final, où la voix du prêtre s'élève par intervalles, calme et pieuse, au-dessus du fracas infernal de la troupe des faux démons et sorciers. On ne sait ce qu'il faut le plus louer dans ce final, ou de l'orchestre ou du chœur, ou du mouvement tourbillonnant de l'ensemble! C'est un chef-d'œuvre!

Au moment où Mendelssohn, plein de joie de l'avoir produit, descendait du pupitre, je m'avançai tout ravi de l'avoir entendu. Le moment ne pouvait être mieux choisi pour une pareille rencontre; et pourtant, après les premiers mots échangés, la même pensée triste nous frappa tous les deux simultanément:

—Comment! il y a douze ans! douze ans! que nous avons rêvé ensemble dans la plaine de Rome!

—Oui, et dans les thermes de Caracalla!

—Oh! toujours moqueur! toujours prêt à rire de moi!

—Non, non, je ne raille plus guère; c'était pour éprouver votre mémoire et voir si vous m'aviez pardonné mes impiétés. Je raille si peu, que, dès notre première entrevue, je vais vous prier très-sérieusement de me faire un cadeau auquel j'attache le plus grand prix.

—Qu'est-ce donc?

—Donnez-moi le bâton avec lequel vous venez de conduire la repétition de votre nouvel ouvrage.

—Oh! bien volontiers, à condition que vous m'enverrez le vôtre.

—Je donnerai ainsi du cuivre pour de l'or; n'importe, j'y consens.

Et aussitôt le sceptre musical de Mendelssohn me fut apporté. Le lendemain, je lui envoyai mon lourd morceau de bois de chêne avec la lettre suivante, que le dernier des Mohicans, je l'espère, n'eût pas désavouée:

«Au chef Mendelssohn

»Grand chef! nous nous sommes promis d'échanger nos tomawcks[4]; voici le mien! Il est grossier, le tien est simple; les squaws[5] seules et les visages pâles[6] aiment les armes ornées. Sois mon frère! et quand le Grand Esprit nous aura envoyés chasser dans le pays des ames, que nos guerriers suspendent nos tomawcks unis à la porte du conseil.»

Telle est dans toute sa simplicité le fait qu'une malice bien innocente a voulu rendre ridiculement dramatique. Mendelssohn, lorsqu'il s'est agi, quelques jours après, d'organiser mon concert, s'est en effet comporté en frère à mon égard. Le premier artiste qu'il me présenta comme son fidus Achates, fut le maître des concerts David, musicien éminent, compositeur de mérite et violoniste distingué. M. David, qui parle d'ailleurs parfaitement le français, me fut d'un très grand secours.

L'orchestre de Leipzig n'est pas plus nombreux que les orchestres de Francfort et de Stuttgardt; mais comme la ville ne manque pas de ressources instrumentales, je voulus l'augmenter un peu, et le nombre des violons fut en conséquence porté à vingt-quatre; innovation qui, je l'ai vu plus tard, a causé l'indignation de deux ou trois critiques dont le siége était déjà fait. Vingt-quatre violons au lieu de seize qui avaient suffi jusque-là à l'exécution des symphonies de Mozart et de Beethoven! Quelle insolente prétention!.... Nous essayâmes en vain de nous procurer encore trois instruments indiqués et mis en évidence dans plusieurs de mes morceaux (autre crime énorme); il fut impossible de trouver le cor anglais, l'ophicléïde et la harpe. Le cor anglais (l'instrument) était si mauvais, si délabré, et par suite si extraordinairement faux, que, malgré le talent de l'artiste qui le jouait, nous dûmes renoncer à nous en servir, et donner son solo à la première clarinette.

L'ophicléïde, ou du moins le mince instrument de cuivre qu'on me présenta sous ce nom, ne ressemblait point aux ophicléïdes français; il n'avait presque point de son, et d'ailleurs il était en si naturel (in H), ce qui obligeait l'exécutant à transposer d'un demi-ton et à jouer par conséquent dans des tonalités presque impraticables, en sol bémol par exemple, quand l'orchestre était en fa, ou en ut bémol quand il était en si bémol. L'ophicléïde fut donc considéré comme non avenu; on le remplaça tant bien que mal par un quatrième trombone. Pour la harpe, on n'y pouvait songer; car, six mois auparavant, Mendelssohn, ayant voulu faire entendre à Leipzig des fragments de son Antigone, fut obligé de faire venir des harpes de Berlin. Comme on m'assurait qu'il en avait été médiocrement satisfait, j'écrivis à Dresde, et Lipinski, un grand et digne artiste dont j'aurai bientôt l'occasion de parler, m'envoya le harpiste du théâtre. Il ne s'agissait plus que de trouver l'instrument. Après bien des courses inutiles chez divers facteurs et marchands de musique, Mendelssohn apprit enfin qu'un amateur possédait une harpe, et il obtint de lui qu'elle nous fût prêtée pour quelques jours. Mais, admirez mon malheur, la harpe apportée et bien garnie de cordes neuves, il se trouva que M. Richter (le harpiste de Dresde qui s'était si obligeamment rendu à Leipzig sur l'invitation de Lipinski) était un pianiste très-habile, qu'il jouait en outre fort bien du violon, mais qu'il ne jouait presque pas de la harpe. Il en avait étudié le mécanisme depuis dix-huit mois seulement, et pour parvenir à exécuter les arpéges les plus simples, qui servent communément à l'accompagnement du chant dans les opéras italiens. De sorte qu'à l'aspect des traits diatoniques et des dessins chantants qui se rencontrent souvent dans ma symphonie, le courage lui manqua tout-à-fait, et que Mendelssohn dut se mettre au piano le soir du concert pour représenter les solos de harpe et en assurer les entrées. Quel embarras pour si peu de chose!

Quoi qu'il en soit, et mon parti une fois pris sur ces inconvénients, les répétitions commencèrent. La disposition de l'orchestre, dans cette belle salle, est si excellente, les rapports de chaque exécutant avec le chef sont si aisés, et les artistes, musiciens parfaits d'ailleurs, ont été accoutumés par Mendelssohn et David à apporter aux études une telle attention, que deux répétitions suffirent à monter un long programme où figuraient, entre autres compositions difficiles, les ouvertures du Roi Lear, des Francs-Juges, et la Symphonie fantastique. David avait en outre consenti à jouer le solo de violon (Rêverie et Caprice) que j'écrivis il y a deux ans pour Artôt, et dont l'orchestration est assez compliquée. Il l'exécuta supérieurement, aux grands applaudissements de l'assemblée.

Quant à l'orchestre, dire qu'il fut irréprochable, après deux répétitions seulement, dans l'exécution des pièces que je viens de citer, c'est en faire un éloge immense. Tous les musiciens de Paris, et bien d'autres encore, seront, je crois, de cet avis.

Cette soirée jeta le trouble dans les consciences musicales des habitants de Leipzig, et, autant qu'il m'a été permis d'en juger par la polémique des journaux, des discussions en sont résultées, aussi violentes, tout au moins, que celles dont les mêmes ouvrages furent le sujet à Paris il y a quelques dix ans. Pendant qu'on débattait ainsi la moralité de mes faits et gestes harmoniques, que les uns les traitaient de belles actions, les autres de crimes prémédités, je fis le voyage de Dresde que j'aurai bientôt à raconter. Mais pour ne pas scinder le récit de mes expériences à Leipzig, je vais, mon cher Heller, vous dire ce qu'il advint, à mon retour, du concert au bénéfice des pauvres dont Mendelssohn m'avait parlé dans sa lettre, et auquel j'avais promis de prendre part.

Cette soirée étant organisée par la Société des Concerts tout entière, j'avais à ma disposition la riche et puissante Académie de chant dont je vous ai fait déjà un éloge si mérité. Je n'eus garde, vous pensez bien, de ne pas profiter de cette belle masse vocale, et j'offris aux directeurs de la Société le final à trois chœurs de Roméo et Juliette, dont la traduction allemande avait été faite à Paris par le savant professeur Duesberg. Il y avait seulement à mettre cette traduction en rapport avec les notes des parties de chant. Ce fut un long et pénible travail; encore, la prosodie allemande n'ayant pas été bien observée par les copistes dans leur distribution de syllabes longues et brèves, il en résulta pour les chanteurs des difficultés telles, que Mendelssohn fut obligé de perdre son temps à la révision du texte et à la correction de ce que ces fautes présentaient de plus choquant. Il eut en outre à exercer le chœur pendant près de huit jours. (Huit répétitions d'un chœur aussi nombreux coûteraient à Paris 4,800 fr. Et l'on me demande quelquefois pourquoi dans mes concerts je ne donne pas Roméo et Juliette!) Cette Académie, où figurent, il est vrai, quelques artistes du théâtre et les élèves de la chapelle de Saint-Thomas, est cependant composée dans sa presque totalité d'amateurs appartenant aux classes élevées de la ville de Leipzig. Voilà pourquoi, dès qu'il s'agit d'apprendre quelque œuvre sérieuse, on peut en obtenir plus aisément un grand nombre de répétitions. Quand je revins de Dresde, les études cependant étaient loin d'être terminées; le chœur d'hommes surtout laissait beaucoup à désirer. Je souffrais de voir un grand maître et un grand virtuose tel que Mendelssohn, chargé de cette tâche subalterne de maître de chant, qu'il remplit, il faut le dire, avec une patience inaltérable. Chacune de ses observations est faite avec douceur et une politesse parfaite, dont on lui saurait plus de gré, si on pouvait savoir combien, en pareil cas, ces qualités sont rares. Quant à moi, j'ai été souvent accusé d'ingalanterie par nos dames de l'Opéra; ma réputation, à cet égard, est parfaite. Je la mérite, je l'avoue; dès qu'il s'agit des études d'un grand chœur, et avant même de les commencer, une sorte de colère anticipée me serre la gorge, ma mauvaise humeur se manifeste, bien que rien encore n'y ait pu donner lieu, et je fais comprendre du regard à tous les choristes l'idée de ce Gascon qui, ayant donné un coup de pied à un petit garçon passant inoffensif auprès de lui, et sur l'observation de celui-ci, qu'il ne lui avait rien fait, répliqua: «Juge un peu, si tu m'avais fait quelque chose!»

Cependant après deux séances encore, les trois chœurs étaient appris, et le final, avec l'appui de l'orchestre, eût, sans aucun doute, parfaitement marché, si un chanteur du théâtre, qui depuis plusieurs jours se récriait sur les difficultés du rôle du père Laurence dont on l'avait chargé, ne fût venu démolir tout notre édifice harmonique élevé à si grand'peine.

J'avais déjà remarqué aux répétitions au piano, que ce Monsieur (j'ai oublié son nom), appartenait à la classe nombreuse des musiciens qui ne savent pas la musique; il comptait mal ses pauses, il n'entrait pas à temps, il se trompait d'intonations, etc.; mais je me disais: peut-être n'a-t-il pas eu le temps d'étudier sa partie, il apprend pour le théâtre des rôles fort difficiles, pourquoi ne viendrait-il pas à bout de celui-là? Je pensais pourtant bien souvent à Alizard, qui a toujours si bien dit cette scène, en regrettant fort qu'il fût à Bruxelles et ne sût pas l'allemand. Mais à la répétition générale, la veille du concert, comme ce Monsieur n'était pas plus avancé, et que, de plus, il grommelait entre ses dents je ne sais quelles imprécations tudesques, chaque fois qu'on était obligé d'arrêter l'orchestre à cause de lui, ou quand Mendelssohn ou moi nous lui chantions ses phrases, la patience m'échappa enfin, et je remerciai la chapelle, en la priant de ne plus s'occuper de mon ouvrage, dont ce rôle de basse rendait évidemment l'exécution impossible. En rentrant, je faisais cette triste réflexion: Deux compositeurs qui ont appliqué pendant de longues années ce que la nature leur a départi d'intelligence et d'imagination à l'étude de leur art, deux cents musiciens, chanteurs et instrumentistes attentifs et capables, se seront fatigués pendant huit jours inutilement et auront dû renoncer à la production de l'œuvre qu'ils avaient adoptée, à cause de l'insuffisance d'un seul homme!! O chanteurs qui ne chantez pas, vous donc aussi vous êtes des dieux!... L'embarras de la société était grand pour remplacer sur le programme ce final dont la durée est d'une demi-heure; au moyen d'une répétition supplémentaire que l'orchestre et les chœurs voulurent bien faire le matin même du jour du concert, nous en vînmes à bout. L'ouverture du Roi Lear, que l'orchestre possédait bien, et l'offertoire de mon Requiem où le chœur n'a que quelques notes à chanter, furent substitués au fragment de Roméo, et exécutés le soir de la façon la plus satisfaisante. Je dois même ajouter que le morceau du Requiem produisit un effet auquel je ne m'attendais pas, et me valut un suffrage inestimable, celui de Robert Schuman, l'un des compositeurs critiques les plus justement renommés de l'Allemagne. Quelques jours après, ce même offertoire m'attira un éloge sur lequel je devais bien moins compter; voici comment. J'étais retombé malade à Leipzig, et quand, au moment de mon départ, j'en vins à demander ce que je lui devais au médecin qui m'avait soigné, il me répondit: «Ecrivez pour moi, sur ce carré de papier, le thême de votre offertoire, avec votre signature, et je vous serai redevable encore; jamais morceau de musique ne m'a autant frappé!» J'hésitais un peu à m'acquitter des soins du docteur d'une semblable façon, mais il insista, et le hasard m'ayant fourni l'occasion de répondre à son compliment par un autre mieux mérité, croiriez-vous que j'eus la simplicité de ne pas la saisir. J'écrivais en tête de la page: «A M. le docteur Clarus.»

Carus, me dit-il, vous mettez à mon nom un l de trop.

Je pensai aussitôt: Patientibus carus, sed clarus inter doctos, et n'osai l'écrire...[7] Il y a des instants où je suis d'une rare stupidité.

Un compositeur-virtuose tel que vous, mon cher Heller, s'intéresse vivement à tout ce qui se rattache à son art; je trouve donc fort naturel que vous m'ayez adressé tant de questions au sujet des richesses musicales de Leipzig; je répondrai laconiquement à quelques-unes. Vous me demandez si la grande pianiste Madame Clara Schuman a quelque rivale en Allemagne qu'on puisse décemment lui opposer.

—Je ne crois pas.

Vous me priez de vous dire si le sentiment musical des grosses têtes de Leipzig est bon, ou tout au moins porté vers ce que vous et moi nous appelons le beau?

—Je ne veux pas.

S'il est vrai que l'acte de foi de tout ce qui prétend aimer l'art élevé et sérieux soit celui-ci: «Il n'y a pas d'autre Dieu que Bach, et Mendelssohn est son prophète?»

—Je ne dois pas.

Si le théâtre est bien composé, et si le public a grand tort de s'amuser aux petits opéras de Lortzing qu'on y représente souvent?

—Je ne puis pas.

Si j'ai lu ou entendu quelques-unes de ces anciennes messes à cinq voix, avec basse continue, qu'on prise si fort à Leipzig?

—Je ne sais pas.

Adieu, continuez à écrire de beaux caprices comme vos deux derniers, et que Dieu vous garde des fugues à quatre sujets sur un choral.

V

A ERNST.

Dresde.

Vous m'aviez bien recommandé, mon cher Ernst, de ne pas m'arrêter dans les petites villes en parcourant l'Allemagne, m'assurant que les capitales seulement m'offriraient les moyens d'exécution nécessaires à mes concerts. D'autres que vous encore, et quelques critiques allemands, m'avaient parlé dans le même sens, et m'ont reproché plus tard de n'avoir pas suivi leur avis, et de n'être pas allé d'abord à Berlin ou à Vienne. Mais vous savez qu'il est toujours plus aisé de donner de bons conseils que de les suivre; et, si je ne me suis pas conformé au plan de voyage qui paraissait à tout le monde le plus raisonnable, c'est que je n'ai pas pu. D'abord, je n'étais pas le maître de choisir le moment de mon voyage. Après avoir fait à Francfort une visite inutile, comme je l'ai dit, je ne pouvais pas revenir sottement à Paris. J'aurais voulu partir pour Munich, mais une lettre de Beerman, m'annonçait que mes concerts ne pouvaient avoir lieu dans cette capitale qu'un mois plus tard, et Meyerbeer, de son côté, m'écrivait que la reprise de plusieurs importants ouvrages allait occuper le théâtre de Berlin assez longtemps pour rendre ma présence en Prusse inutile à cette époque. Je ne devais pourtant pas rester oisif si longtemps; alors, plein du désir de connaître ce que possède d'institutions musicales votre harmonieuse patrie, je formai le projet de tout voir, de tout entendre et de réduire beaucoup mes prétentions chorales et orchestrales, afin de pouvoir aussi me faire entendre presque partout. Je savais bien que dans les villes de second ordre je ne pourrais trouver le luxe musical exigé par la forme et par le style de quelques-unes de mes partitions; mais je réservais celles-là pour la fin du voyage, elles devaient former le forte du crescendo; et je pensais qu'à tout prendre, cette marche lentement progressive ne manquait ni de prudence ni d'un certain intérêt. En tout cas, je n'ai pas eu à me repentir de l'avoir suivie.

Maintenant parlons de Dresde.

J'y étais engagé pour deux concerts, et j'allais trouver là orchestre, chœur, musique d'harmonie, et de plus un célèbre ténor; depuis mon entrée en Allemagne je n'avais point encore vu réunies des richesses pareilles. Je devais en outre rencontrer à Dresde un ami chaud, dévoué, énergique, enthousiaste, Charles Lipinski, que j'avais autrefois connu à Paris. Il m'est impossible de vous dire, mon cher Ernst, quelle ardeur cet admirable et excellent homme mit à me seconder. Sa position de premier maître de concert, et l'estime générale dont jouissent en outre sa personne et son talent, lui donnent une grande autorité sur les artistes de la chapelle, et certes il ne se fit pas faute d'en user. Comme j'avais une promesse de l'intendant, M. le baron de Lütichau, pour deux soirées, le théâtre tout entier était à ma disposition, et il ne s'agissait plus que de veiller à l'excellence de l'exécution. Celle que nous obtînmes fut splendide, et pourtant le programme était formidable; il contenait: l'ouverture du Roi Lear, la Symphonie fantastique, l'Offertoire, le Sanctus et le Quærens me de mon Requiem, les deux dernières parties de ma Symphonie funèbre, écrite, vous le savez, pour deux orchestres et chœur, et quelques morceaux de chant. Je n'avais pas de traduction du chœur de la symphonie, mais le régisseur du théâtre, M. Winkler, homme à la fois spirituel et savant, eut l'extrême obligeance d'improviser, pour ainsi dire, les vers allemands dont nous avions besoin, et les études du final purent commencer. Quant aux solos de chants, ils étaient en langues latine, allemande et française. Titchachek, le ténor dont je parlais tout à l'heure, possède une voix pure et touchante, qui, échauffée par l'action dramatique, devient en scène d'une rare énergie. Son style de chant est simple et de bon goût, il est musicien et lecteur consommé. Il se chargea, de prime abord, du solo de ténor dans le Sanctus, sans même demander à le voir, sans réticences, sans grimaces, sans faire le Dieu; il aurait pu, comme tant d'autres en pareil cas, accepter le Sanctus en m'imposant pour son succès particulier quelque cavatine à lui connue; il ne le fit pas; à la bonne heure, voilà qui est tout à fait bien!

Mademoiselle Recio, qui se trouvait alors à Dresde, consentit très-gracieusement aussi à chanter deux romances avec orchestre, et le public l'en récompensa dignement.

Mais la cavatine de Benvenuto qu'il me prit fantaisie d'ajouter au programme, me donna plus de peine à elle seule que tout le reste du concert. On n'avait pu la proposer à la prima dona, Madame Devrient, le tissu mélodique du morceau étant trop haut et les vocalises trop légères pour elle; Mademoiselle Wiest, la seconde chanteuse, à qui Lipinski l'avait offerte, trouvait la traduction allemande mauvaise, l'andante trop haut et trop long, l'allegro trop bas et trop court, elle demandait des coupures, des changements, elle était enrhumée, etc., etc.; vous savez par cœur la comédie de la cantatrice qui ne peut ni ne veut. Enfin, Madame Schubert, femme de l'excellent maître de concert et habile violoniste que vous connaissez, vint me tirer d'embarras en acceptant, non sans terreur, cette malheureuse cavatine dont sa modestie lui exagérait les difficultés. Elle y fut très applaudie. En vérité, il semble qu'il soit plus difficile quelquefois de faire chanter Fleuve du Tage, que de monter la symphonie en ut mineur.

Lipinski avait tellement excité les amours-propres des musiciens, que leur désir de bien faire et leur ambition de faire mieux surtout que ceux de Leipzig (il y a une sourde rivalité musicale entre les deux villes) nous fit énormément travailler. Quatre longues répétitions parurent à peine suffisantes, et la chapelle en eût elle-même volontiers demandé une cinquième si le temps ne nous eût manqué. Aussi l'exécution s'en ressentit; elle fut excellente. Les chœurs seuls m'avaient effrayé à la répétition générale; mais deux leçons qu'ils reçurent encore avant le concert leur firent acquérir l'assurance qui leur manquait, et les fragments du Requiem furent aussi bien rendus que tout le reste. La symphonie funèbre produisit le même effet qu'à Paris. Le lendemain matin les musiciens militaires qui l'avaient exécutée vinrent pleins de joie me donner une aubade qui m'arracha de mon lit, dont j'avais pourtant grand besoin, et m'obligea, souffrant comme j'étais d'une névralgie à la tête et de mon éternel mal de gorge, d'aller vider avec eux une petite cuve de punch.

C'est à ce concert de Dresde que j'ai vu pour la première fois se manifester la prédilection du public allemand pour mon Requiem; cependant nous n'avions pas osé (le chœur n'étant pas assez nombreux) aborder les grands morceaux, tels que le Dies iræ, le Lacrymosa, etc. J'en ressentis, je l'avoue, un contentement extrême. La Symphonie fantastique plut beaucoup moins à une partie de mes juges. La classe élégante de l'auditoire, le Roi de Saxe et la cour en tête, fut très médiocrement charmée, m'a-t-on dit, de la violence de ces passions, de la tristesse de ces rêves, et de toutes les monstrueuses hallucinations du final. Le Bal et la Scène aux Champs seulement trouvèrent, je crois, grâce devant elle. Quant au public proprement dit, il se laissa entraîner au courant musical, et applaudit plus chaudement la Marche au Supplice et le Sabbat que les trois autres morceaux. Cependant il était aisé de voir, en somme, que cette composition, si bien accueillie à Stuttgardt, si parfaitement comprise à Weymar, tant discutée à Leipzig, était peu dans les mœurs musicales et poétiques des habitants de Dresde, qu'elle les désorientait par sa dissemblance avec les symphonies à eux connues, et qu'ils en étaient plus surpris que charmés, moins émus qu'étourdis.

La chapelle de Dresde, longtemps sous les ordres de l'Italien Morlachi et de l'illustre auteur du Freyschütz, est maintenant dirigée par MM. Reissiger et Richard Wagner. Nous ne connaissons guère à Paris de Reissiger que la douce et mélancolique valse publiée sous le titre de: Dernière pensée de Weber; on a exécuté, pendant mon séjour à Dresde, une de ses compositions religieuses, dont on a fait devant moi les plus grands éloges. Je ne pouvais y joindre les miens; le jour de la cérémonie où cette œuvre figurait, de cruelles souffrances me retenaient au lit, et je fus ainsi malheureusement privé du plaisir de l'entendre. Quant au jeune maître de chapelle Richard Wagner, qui a longtemps séjourné à Paris sans pouvoir parvenir à se faire connaître autrement que par quelques bons articles publiés dans la Gazette Musicale, il eut à exercer pour la première fois son autorité en m'assistant dans mes répétitions; ce qu'il fit avec zèle et de très bon cœur. La cérémonie de sa présentation à la chapelle et de sa prestation du serment avait eu lien le surlendemain de mon arrivée, et je le retrouvais dans tout l'enivrement d'une joie bien naturelle. Après avoir supporté en France mille privations et toutes les douleurs attachées à l'obscurité pour un artiste, Wagner étant revenu en Saxe sa patrie, eut l'audace d'entreprendre et le bonheur d'achever la composition des paroles et de la musique d'un opéra en cinq actes (Rienzi). Cet ouvrage obtint à Dresde un succès éclatant. Bientôt après suivit le Vaisseau Hollandais, opéra en deux actes, dont le sujet est le même que celui du Vaisseau Fantôme, joué il y a un an à l'Opéra de Paris, et dont il fit également la musique et les paroles. Quelle que soit l'opinion qu'on ait du mérite de ces ouvrages, il faut convenir que les hommes capables d'accomplir deux fois avec succès ce double travail littéraire et musical ne sont pas communs, et que M. Wagner donnait ainsi une preuve de capacité plus que suffisante pour attirer sur lui l'attention et l'intérêt. C'est ce que le Roi de Saxe a parfaitement compris; et le jour où, donnant à son premier maître de chapelle Richard Wagner pour collègue, il a ainsi assuré d'une façon honorable l'existence de celui-ci, les amis de l'art ont dû dire à S. M. ce que Jean Bart répondit à Louis XIV, annonçant à l'intrépide loup de mer qu'il l'avait nommé chef-d'escadre: «Sire, vous avez bien fait!»

L'opéra de Rienzi, excédant de beaucoup la durée assignée ordinairement aux opéras en Allemagne, n'est plus maintenant représenté en entier, on joue un soir les deux premiers actes et un autre soir les trois derniers. C'est cette seconde partie seulement que j'ai vu représenter; je n'ai pu la connaître assez à fond en l'entendant une fois pour pouvoir émettre à son sujet une opinion arrêtée: je me souviens seulement d'une belle prière chantée au dernier acte par Rienzi (Titchachek), et d'une marche triomphale bien modelée, sans imitation servile, sur la magnifique marche d'Olympie. La partition du Vaisseau Hollandais m'a semblé remarquable par son coloris sombre et certains effets orageux parfaitement motivés par le sujet; mais j'ai dû y reconnaître aussi un abus du tremolo d'autant plus fâcheux qu'il m'avait déjà frappé dans Rienzi, et qu'il indique chez l'auteur une certaine paresse d'esprit contre laquelle il ne se tient pas assez en garde. Le tremolo soutenu est de tous les effets d'orchestre celui dont on se lasse le plus vite; il n'exige point d'ailleurs d'invention de la part du compositeur, quand il n'est accompagné en dessus ou en dessous par aucune idée saillante.

Quoi qu'il en soit, il faut, je le répète, honorer la pensée royale qui, en lui accordant une protection complète et active, a pour ainsi dire sauvé un jeune artiste doué de précieuses facultés. Richard Wagner, outre son double talent littéraire et musical, possède encore celui de chef d'orchestre; je l'ai vu diriger ses opéras avec une énergie et une précision peu communes. L'administration du théâtre de Dresde n'a rien négligé d'ailleurs pour donner tout l'éclat possible à la représentation de ses deux ouvrages; les décors, les costumes et la mise en scène de Rienzi approchent de ce qu'on a fait de mieux en ce genre à Paris. Madame Devrient, dont j'aurai l'occasion de parler plus longuement à propos de ses représentations à Berlin, joue dans Rienzi le rôle d'un jeune garçon; ce vêtement ne va plus guère aux contours tant soit peu maternels de sa personne. Elle m'a paru beaucoup plus convenablement placée dans le Vaisseau Hollandais, malgré quelques poses affectées et les interjections parlées qu'elle se croit obligée d'introduire partout. Mais un véritable talent bien pur et bien complet, dont l'action sur moi a été très-vive, c'est celui de Wechter, qui remplissait le rôle du Hollandais maudit. Sa voix de baryton est une des plus belles que j'aie entendues, et il s'en sert en chanteur consommé; elle a un de ces timbres onctueux et vibrants en même temps, dont la puissance expressive est si grande, pour peu que l'artiste mette de cœur et de sensibilité dans son chant; et ces deux qualités, Wechter les possède à un degré très élevé. Titchachek est gracieux, passionné, brillant, héroïque et entraînant dans le rôle de Rienzi, où sa belle voix et ses grands yeux pleins de feu le servent à merveille. Mademoiselle Wiest représente la sœur de Rienzi, elle n'a presque rien à dire. L'auteur, en écrivant ce rôle, l'a parfaitement approprié aux moyens de la cantatrice.

Maintenant je voudrais, mon cher Ernst, vous parler avec détails de Lipinski; mais ce n'est pas à vous, le violoniste tant admiré, tant applaudi d'un bout à l'autre de l'Europe, à vous l'artiste si attentif et si studieux, que je pourrais rien apprendre sur la nature du talent de ce grand virtuose qui vous précéda dans la carrière. Vous savez aussi bien et mieux que moi comme il chante, comme il est, dans le haut style, touchant et pathétique, et vous avez depuis longtemps logé dans votre imperturbable mémoire les magnifiques originalités de ses concertos. D'ailleurs Lipinski a été, pendant mon séjour à Dresde, si excellent, si chaleureux, si dévoué pour moi, que mes éloges, aux yeux de beaucoup de gens, paraîtraient dépourvus d'impartialité; on les attribuerait (bien à tort, je puis le dire) à la reconnaissance plutôt qu'à un véritable élan d'admiration. Il s'est fait énormément applaudir à mon second concert, dans la romance de violon, exécutée quelques jours auparavant par David à Leipzig, et dans l'alto solo de ma deuxième symphonie (Harold).

Le succès de cette seconde soirée a été supérieur à celui de la première; les scènes mélancoliques et religieuses d'Harold ont paru réunir de prime abord toutes les sympathies, et le même bonheur est arrivé aux fragments de Roméo et Juliette (l'adagio et la Fête chez Capulet). Mais ce qui a plus vivement touché le public et les artistes de Dresde, c'est la cantate du Cinq mai, admirablement chantée par Wechter et le chœur, sur une traduction allemande que l'infatigable M. Winkler avait encore eu la bonté d'écrire pour cette occasion. La mémoire de l'empereur Napoléon est chère aujourd'hui au peuple allemand, presque autant qu'à la France, et c'est sans doute la cause de l'impression profonde constamment produite par ce chant dans toutes les villes où je l'ai ensuite fait entendre. La fin surtout, a maintes fois donné lieu à de singulières manifestations:

Loin de ce roc nous fuyons en silence,
L'astre du jour abandonne les cieux,...

J'ai fait la connaissance à Dresde du prodigieux harpiste anglais Parish-Alvars, dont le nom n'a pas encore la popularité qu'il mérite. Il arrivait de Vienne. C'est le Liszt de la harpe! On ne se figure pas tout ce qu'il est parvenu à produire d'effets gracieux ou énergiques, de traits originaux, de sonorités inouïes, avec son instrument, si borné sous certains rapports. Sa fantaisie sur Moïse, dont la forme a été imitée et appliquée au piano avec tant de bonheur par Thalberg, ses variations en sons harmoniques sur le chœur de Naïdes d'Obéron et vingt autres morceaux de la même nature, m'ont causé un ravissement que je renonce à décrire. L'avantage inhérent aux nouvelles harpes de pouvoir, au moyen du double mouvement des pédales, accorder deux cordes à l'unisson, lui a donné l'idée de combinaisons qui, à les voir écrites, paraissent absolument inexécutables. Toute leur difficulté cependant ne consiste que dans l'emploi ingénieux des pédales produisant ces doubles notes appelées synonymes. Ainsi il fait avec une rapidité foudroyante des traits à quatre parties procédant par sauts de tierces mineures, parce que, au moyen des synonymes, les cordes de sa harpe, au lieu de représenter comme à l'ordinaire la gamme diatonique d'ut bémol, donnent pour série, dans leur ordre de succession descendante;

ut bécarre ut bécarre,la bécarre,sol bémol sol bémol,
 
mi bémol mi bémol.
 

Parish-Alvars a formé quelques bons élèves pendant son séjour à Vienne. Il vient de se faire entendre à Dresde, à Leipzig, à Berlin, et dans beaucoup d'autres villes où son talent extraordinaire a constamment excité l'enthousiasme. Qu'attend-il pour venir à Paris?...

On trouve dans l'orchestre de Dresde, outre les artistes éminents que j'ai déjà cités, l'excellent professeur Dauzauer; il est à la tête des violoncelles, et doit prendre seul la responsabilité des attaques du premier pupitre des basses, car le contrebassier qui lit avec lui est trop vieux pour pouvoir exécuter quelques notes de sa partie, et n'a que tout juste la force de supporter le poids de son instrument. J'ai rencontré souvent en Allemagne des exemples de ce respect mal entendu pour les vieillards, qui porte les maîtres de chapelle à leur laisser des fonctions musicales devenues depuis longtemps supérieures à leurs forces physiques, et à les leur laisser, malheureusement, jusqu'à ce que mort s'en suive. J'ai dû plus d'une fois m'armer de toute mon insensibilité, et demander avec une cruelle insistance le remplacement de ces pauvres invalides. Il y a à Dresde un très bon cor anglais. Le premier hautbois a un beau son, mais un vieux style et une manie de faire des trilles et des mordants qui m'a, je l'avoue, profondément outragé. Il s'en permettait surtout d'affreux dans le solo du commencement de la Scène aux Champs. J'exprimai très vivement, à la seconde répétition, mon horreur pour ces gentillesses mélodiques; il s'en abstint malicieusement aux répétitions suivantes, mais ce n'était qu'un guet-apens; et le jour du concert, le perfide hautbois bien sûr que je n'irais pas arrêter l'orchestre et l'interpeller, lui personnellement, devant la cour et le public, recommença ses petites vilenies en me regardant d'un air narquois qui faillit me faire tomber à la renverse d'indignation et de fureur.

On remarque parmi les cors, M. Levy, virtuose qui jouit en Saxe d'une belle réputation. Il se sert, ainsi que ses confrères, du cor à cylindres que la chapelle de Leipzig, à peu près seule parmi les chapelles du nord de l'Allemagne, n'a point encore admis. Les trompettes de Dresde sont à cylindres également; elles peuvent avantageusement tenir lieu de nos cornets à pistons qu'on n'y connaît pas.

La bande militaire est très-bonne, les tambours même sont musiciens; mais les instruments à anches que j'ai entendus ne me paraissent pas irréprochables; ils laissent à désirer pour la justesse, et le chef de musique de ces régiments devrait bien demander à notre incomparable facteur Adolphe Sax quelques-unes de ses clarinettes.

Il n'y a pas d'ophicléides; la partie grave est tenue par des bassons russes et des serpents.

J'ai bien souvent songé à Weber en conduisant cet orchestre de Dresde qu'il a dirigé pendant quelques années. Il était alors plus nombreux qu'aujourd'hui, et Weber l'avait tellement exercé, qu'il lui arrivait quelquefois dans l'allegro de l'ouverture du Freyschütz, d'indiquer le mouvement des quatre premières mesures, laissant ensuite l'orchestre marcher tout seul jusqu'aux points-d'orgue de la fin. Les musiciens doivent être fiers qui voient en pareille occasion leur chef se croiser ainsi les bras.

Croiriez-vous, mon cher Ernst, que pendant les trois semaines que j'ai passées dans cette ville si musicale, personne ne s'est avisé de me parler de la famille de Weber, ni de m'informer qu'elle était à Dresde? J'eusse été si heureux de la connaître et de lui exprimer un peu de ma respectueuse admiration pour le grand compositeur qui illustra son nom!!... J'ai su trop tard que j'avais manqué cette occasion précieuse, et je dois au moins prier ici madame Weber et ses enfants de ne pas douter des regrets que j'en ai ressentis.

On m'a montré à Dresde quelques partitions du célèbre Hasse, dit le Saxon, qui fut autrefois aussi et pendant longtemps l'arbitre des destinées de cette chapelle. Je n'y ai rien trouvé, je l'avoue, de bien remarquable; un Te Deum seulement, composé exprès pour une commémoration glorieuse de la cour de Saxe, m'a paru pompeux et éclatant comme une sonnerie de grandes cloches lancées à toute volée. Ce Te Deum, pour ceux qui se contentent en pareil cas d'une puissante sonorité, devra paraître beau; quant à moi, cette qualité ne me semble pas suffisante. Ce que je voudrais connaître surtout, mais connaître par une bonne représentation, ce sont quelques-uns des nombreux opéras que Hasse écrivit pour les théâtres d'Italie, d'Allemagne et d'Angleterre, et qui lui valurent son immense réputation. Pourquoi n'essaie-t-on pas à Dresde d'en remonter au moins un? C'est une expérience curieuse à faire; ce serait peut-être une résurrection. La vie de Hasse a dû être fort incidentée; j'ai cherché inutilement à la connaître. Je n'ai rien trouvé à son sujet que de vulgaires biographies, qui m'apprenaient ce que je savais déjà, et ne disaient mot de ce que j'aurais voulu savoir. Il a tant voyagé, tant vécu sous la zone torride et aux pôles, c'est-à-dire en Italie et en Angleterre! Il doit y avoir un curieux roman dans ses relations avec le vénitien Marcello, dans ses amours avec la Faustina, qu'il épousa, et qui chantait les principaux rôles de ses opéras; dans leurs disputes conjugales, guerres d'auteur à cantatrice, où le maître était l'esclave, où la raison avait toujours tort. Peut-être aussi n'y a-t-il rien eu de tout cela; qui sait? Faustina a pu vivre en diva très humaine, en cantatrice modeste, en vertueuse épouse, bonne musicienne, fidèle à son mari, fidèle à ses rôles, disant son chapelet et tricotant des bas quand elle n'avait rien à faire. Hasse écrivait, Faustina chantait; ils gagnaient tous les deux beaucoup d'argent qu'ils ne dépensaient pas. Cela s'est vu, cela se voit; et, si vous vous mariez, c'est ce que je vous souhaite.

Quand je quittai Dresde pour retourner à Leipzig, Lipinski, apprenant que Mendelssohn montait pour le concert des pauvres mon final de Roméo et Juliette, m'annonça son intention de venir l'entendre, si l'intendant voulait lui accorder deux ou trois jours de congé. Je ne pris cette promesse que pour un très aimable compliment; mais jugez de mon chagrin, quand le jour du concert où, par suite de l'incident que j'ai raconté dans ma précédente lettre, le final ne put être exécuté, je vis arriver Lipinski.... Il avait fait trente-cinq lieues pour entendre ce morceau!... Voilà un musicien qui aime la musique!... Mais ce n'est pas vous, mon cher Ernst, que ce trait étonnera, vous en feriez autant, j'en suis sûr; vous êtes un artiste!

Adieu, adieu.

VI.

A HENRI HEINE.

Brunswick. Hambourg.

Il m'est arrivé toutes sortes de bonheurs dans cette excellente ville de Brunswick; aussi ai-je d'abord eu l'idée de régaler de ce récit un de mes ennemis intimes, cela lui aurait fait plaisir!.... tandis qu'à vous, mon cher Heine, le tableau de cette fête harmonique fera peut-être de la peine. Les immoralistes prétendent que dans tout ce qu'il nous arrive d'heureux il y a quelque chose de désagréable pour nos meilleurs amis; mais je n'en crois rien! C'est une calomnie infâme, et je puis jurer que des fortunes inattendues autant que brillantes étant survenues à quelques uns de mes amis, cela ne m'a rien fait du tout!

Assez! n'entrons pas dans le champ épineux de l'ironie, où fleurissent l'absinthe et l'euphorbe à l'ombre des orties arborescentes, où vipères et crapauds sifflent et coassent, où l'eau des lacs bouillonne, où la terre tremble, où le vent du soir brûle, où les nuages du couchant dardent des éclairs silencieux! car à quoi bon se mordre la lèvre, dérober sous des paupières mal closes de verdâtres prunelles, grincer tout doucement des dents, présenter à son interlocuteur un siége armé d'un dard perfide ou couvert d'un glutineux enduit, quand, loin d'avoir dans l'ame quelque chose d'amer, les riants souvenirs encombrent la pensée, quand on sent son cœur plein de reconnaisance et de naïve joie, quand on voudrait avoir cent renommées aux trompettes immenses pour dire à tout ce qui nous est cher: Je fus heureux un jour. C'est un petit mouvement de vanité puérile qui m'avait porté à commencer ainsi; je cherchais, sans m'en apercevoir, à vous imiter, vous l'inimitable ironiste. Cela ne m'arrivera plus. J'ai trop souvent regretté, dans nos conversations, de ne pouvoir vous obliger au style sérieux, ni arrêter le mouvement convulsif de vos griffes dans les moments mêmes où vous croyez faire le mieux pattes de velours, chat-tigre que vous êtes, leo quærens quem devoret. Et pourtant que de sensibilité, que d'imagination sans fiel, répandues dans vos œuvres! Comme vous chantez, quand il vous plaît, dans la mode majeur! Comme votre enthousiasme se précipite et coule à pleins bords quand l'admiration vous saisit à l'improviste et que vous vous oubliez! Quelle tendresse infinie respire dans un des plis secrets de votre cœur pour ce pays que vous avez tant raillé, pour cette terre féconde en poètes, pour la patrie des génies rêveurs, pour cette Allemagne enfin, que vous appelez votre vieille grand'mère et qui vous aime tant, malgré tout!

Je l'ai bien vu à l'accent tristement attendri qu'elle a mis à me parler de vous pendant mon voyage; oui, elle vous aime! elle a concentré en vous toutes ses affections. Ses fils aînés sont morts, ses grands fils, ses grands hommes, elle ne compte plus que sur vous, qu'elle appelle en souriant son méchant enfant. C'est elle, ce sont les chants graves et romantiques dont elle a bercé vos premiers ans, qui vous ont inspiré un sentiment pur et élevé de l'art musical; et c'est quand vous l'avez quittée, c'est en courant le monde, c'est après avoir souffert que vous êtes devenu impitoyable et railleur.

Il vous serait aisé, je le sais, de faire une énorme caricature du récit que je vais entreprendre de mon passage à Brunswick, et pourtant, voyez quelle confiance j'ai dans votre amitié, ou comme la crainte de l'ironie s'en va, c'est précisément à vous que je l'adresse:

......... Au moment de quitter Leipzig, je reçus une lettre de Meyerbeer m'annonçant qu'on ne pourrait pas, avant un mois, s'occuper à Berlin de mes concerts. Le grand maître m'engageait à utiliser ce retard en allant à Brunswick, où je trouverais, disait-il, un orchestre d'honneur. Je suivis ce conseil, sans me douter cependant que j'aurais autant à me louer de l'avoir suivi. Je ne connaissais personne à Brunswick, j'ignorais complètement et les dispositions des artistes à mon égard et le goût du public. Mais l'idée seule que les frères Müller étaient à la tête de la chapelle aurait suffi pour me donner toute confiance, indépendamment de l'opinion si encourageante de Meyerbeer. Je les avais entendus à leur dernier voyage à Paris, et je regardais l'exécution des quatuors de Beethoven, par ces quatre virtuoses, comme l'un des prodiges les plus extraordinaires de l'art moderne.

La famille Müller, en effet, représente l'idéal du quatuor de Beethoven, comme la famille Bohrer l'idéal du trio. On n'a jamais encore, en aucun lieu du monde, porté à ce point la perfection de l'ensemble, l'unité du sentiment, la profondeur de l'expression, la pureté du style, la grandeur, la force, la verve et la passion. Une telle interprétation de ces œuvres sublimes nous donne, je le crois, l'idée la plus exacte de ce que pensait et sentait Beethoven en les écrivant. C'est l'écho de l'inspiration créatrice! c'est le contre-coup du génie!

Cette famille musicale des Müller est d'ailleurs plus nombreuse que je ne croyais; j'ai compté sept artistes de ce nom, frères, fils et neveux, dans l'orchestre de Brunswick. Georges Müller est maître de chapelle; son frère aîné, Charles, n'est que premier maître de concert, mais on voit, à la déférence de chacun à l'écouter quand il fait une observation, qu'on respecte en lui le chef du fameux quatuor. Le second concert-meister est M. Freudenthal, violoniste et compositeur de mérite. J'avais prévenu Ch. Müller de mon arrivée; en descendant de voiture, à Brunswick, je fus abordé par un très aimable jeune homme, M. Zinkeisen, l'un des premiers violons de l'orchestre, parlant français comme vous et moi, qui m'attendait à la poste pour me conduire chez le capell-meister, au débotté. Cette attention et cet empressement me parurent de bon augure. M. Zinkeisen m'avait vu quelquefois à Paris et me reconnut, malgré l'état pitoyable où j'étais réduit par le froid; car j'avais passé la nuit dans un coupé à peu près ouvert à tout vent, pour éviter l'odeur et la fumée de six horribles pipes fonctionnant sans relâche dans l'intérieur. J'admire les règlements de police établis en Allemagne: il est expressément défendu sous peine d'amende, de fumer dans les rues ou sur les places publiques, où cet aimable exercice ne peut incommoder personne; mais si vous allez au café, on y fume; à table d'hôte, on y fume; si vous voyagez en chemin de fer, on y fume; en poste on y fume; partout enfin l'infernale pipe vous poursuit.—Vous êtes Allemand, Heine, et vous ne fumez pas! ce n'est pas là, croyez-moi, le moindre de vos mérites; la postérité ne vous en tiendra pas compte, il est vrai, mais bien des contemporains et toutes les contemporaines vous en sauront gré.

Charles Müller me reçut avec cet air sérieux et calme qui m'a quelquefois effrayé en Allemagne, croyant y trouver l'indice de l'indifférence et de la froideur; il n'y a pourtant pas à s'en méfier autant que de nos démonstrations françaises, si pleines de sourires et de belles paroles, quand nous accueillons un étranger à qui nous ne pensons plus cinq minutes après. Loin de là: le concert-meister, après m'avoir demandé de quelle façon je voulais composer mon orchestre, alla immédiatement s'entendre avec son frère pour aviser aux moyens de réunir la masse d'instruments à cordes que j'avais jugée nécessaire, et faire un appel aux amateurs et aux artistes indépendants de la chapelle ducale, et dignes de se réunir à elle. Dès le lendemain ils m'avaient formé un bel orchestre, un peu plus nombreux que celui de l'opéra de Paris, et composé de musiciens non-seulement très habiles, mais encore animés d'un zèle et d'une ardeur incomparables. La question de la harpe, de l'ophicléide et du cor anglais se présenta de nouveau, comme elle s'était présentée à Weimar, à Leipzig et à Dresde. (Je vous parle de tous ces détails pour vous faire une réputation de musicien.) L'un des violoncellistes de l'orchestre, M. Leibrock, excellent artiste, très versé dans la littérature musicale, s'était, depuis un an seulement, appliqué à l'étude de la harpe, et redoutait fort, en conséquence, l'épreuve où l'allait mettre ma deuxième symphonie. Il n'a d'ailleurs qu'une harpe ancienne, dont les pédales à mouvement simple ne permettent pas l'exécution de tout ce qu'on écrit aujourd'hui pour cet instrument. Heureusement la partie de harpe d'Harold est d'une extrême facilité, et M. Leibrock travailla tellement pendant cinq à six jours, qu'il en vint à son honneur... à la répétition générale. Mais le soir du concert, saisi d'une terreur panique au moment important, il s'arrêta court et laissa jouer seul Charles Müller qui exécutait la partie d'alto principal.

Ce fut le seul accident que nous eûmes à regretter, accident dont au reste le public ne s'aperçut point, et que M. Leibrock se reprochait encore amèrement plusieurs jours après, malgré mes efforts pour le lui faire oublier. Quant à l'ophicléide, il n'y en avait d'aucune espèce dans Brunswick; on me présenta successivement, pour le remplacer, un bass tuba (magnifique instrument grave dont j'aurai à parler au sujet des bandes militaires de Berlin); mais le jeune homme qui le jouait ne me paraissait pas en posséder très bien le mécanisme, il en ignorait même la véritable étendue; puis un basson russe que l'exécutant appelait un contre-basson. J'eus beaucoup de peine à le désabuser sur la nature et le nom de son instrument, dont le son sort tel qu'il est écrit et qui se joue avec une embouchure comme l'ophicléide; tandis que le contre-basson, instrument transpositeur à anche, n'est autre qu'un grand basson qui reproduit la gamme du basson ordinaire à l'octave inférieure. Quoi qu'il en soit, le basson russe fut adopté pour tenir lieu tant bien que mal de l'ophicléide. Il n'y avait pas de cor anglais, on arrangea ses solos pour un hautbois, et nous commençâmes les répétitions d'orchestre pendant que le chœur étudiait dans une autre salle. Je dois dire ici que jamais jusqu'à ce jour, en France, en Belgique ni en Allemagne, je n'ai vu une collection d'artistes éminents à ce point dévoués, attentifs et passionnés pour la tâche qu'ils avaient entreprise. Après la première répétition, où ils avaient pu se faire une idée des principales difficultés de mes symphonies, le mot d'ordre fut donné pour les répétitions suivantes; on convint de me tromper sur l'heure à laquelle elles étaient censées devoir commencer, et chaque matin (je ne l'ai su qu'après) l'orchestre se réunissait une heure avant mon arrivée, pour exercer les traits et les rhythmes les plus dangereux. Aussi allais-je d'étonnements en étonnements, en voyant les transformations rapides que l'exécution subissait chaque jour, et l'assurance impétueuse avec laquelle la masse entière se ruait sur des difficultés que mon orchestre du Conservatoire, cette jeune garde de la grande-armée, n'a longtemps abordées qu'avec de certaines précautions. Un seul morceau inquiétait beaucoup Charles Müller, c'était le Scherzo de Roméo et Juliette (la Reine Mab). Cédant aux sollicitations de M. Zinkeizen, qui avait entendu ce scherzo à Paris, j'avais osé, pour la première fois depuis mon arrivée en Allemagne, le placer dans le programme du concert.

«Nous travaillerons tant, m'avait-il dit, que nous en viendrons à bout!» Il ne présumait pas trop, en effet, de la force de l'orchestre, et la reine Mab, dans son char microscopique, conduite par l'insecte bourdonnant des nuits d'été, et lancée au triple galop de ses chevaux atomes, a pu montrer au public de Brunswick sa vive espièglerie et les mille caprices de ses évolutions. Mais vous comprendrez nos inquiétudes à son sujet, vous, le poète des fées et des willis; vous, le frère naturel de ces gracieuses et malicieuses petites créatures; vous savez trop de quel fil délié est tissue la gaze de leur voile, et de quelle sérénité le ciel doit être pour que leur essaim diapré puisse se jouer librement dans le pâle rayon de l'astre des nuits. Eh bien! malgré nos craintes, l'orchestre, s'identifiant complètement avec la ravissante fantaisie de Shakspeare, s'est fait si petit, si agile, si fin et si doux, que jamais, je crois, la reine imperceptible n'a couru plus heureuse parmi de plus silencieuses harmonies.

Dans le final d'Harold, au contraire, dans cette furibonde orgie où concertent ensemble les ivresses du vin, du sang, de la joie et de la rage, où le rhythme tantôt paraît trébucher, tantôt courir avec furie, où des bouches de cuivre semblent vomir des imprécations et répondre par le blasphème à des voix suppliantes, où l'on rit, boit, frappe, brise, tue et viole, où l'on s'amuse enfin; dans cette scène de brigands, l'orchestre était devenu un véritable pandæmonium; il y avait quelque chose de surnaturel et d'effrayant dans la frénésie de sa verve; tout chantait, bondissait, rugissait avec un ordre et un accord diaboliques, violons, basses, trombones, timbales et cymbales; pendant que l'alto solo, le rêveur Harold, fuyant épouvanté, faisait encore entendre au loin quelques notes tremblantes de son hymne du soir. Oh! quel roulement de cœur! quels frémissements sauvages en conduisant alors cet étonnant orchestre, où je croyais retrouver plus ardents que jamais tous mes jeunes lions de Paris!!! Vous ne connaissez rien de pareil, vous autres poètes, vous n'êtes jamais emportés par de tels ouragans de vie! J'aurais voulu embrasser toute la chapelle à la fois, et je ne pouvais que m'écrier, en français, il est vrai, mais l'accent devait me faire comprendre: «Sublimes! prodigieux! je vous remercie, Messieurs, et je vous admire! vous êtes des brigands parfaits!»

Les mêmes qualités violentes se firent remarquer dans l'exécution de l'ouverture de Benvenuto, et pourtant, dans le style opposé, l'introduction d'Harold, la Marche des Pèlerins et la Sérénade ne furent jamais rendues avec plus de grandeur calme et de religieuse sérénité. Pour le morceau de Roméo (la Fête chez Capulet) il rentre un peu par son caractère dans le genre tourbillonnant; il fut donc aussi, selon notre expression parisienne, véritablement enlevé.

Il fallait voir, dans les haltes des répétitions, l'aspect enflammé de tous ces visages... L'un des musiciens, Schmidt (la foudroyante contrebasse), s'était arraché la peau de l'index de la main droite au commencement du passage pizzicato de l'orgie; mais, sans songer à s'arrêter pour si peu et malgré le sang qu'il répandait, il avait continué, en se contentant de changer de doigt. C'est ce qui s'appelle, en termes militaires, ne pas bouder au feu.

Pendant que nous nous livrions à ces délassements, le chœur, de son côté, étudiait à grand'peine aussi, mais avec des résultats différents, le fragments de mon Requiem. L'Offertoire et le Quœrens me avaient fini par marcher; pour le Sanctus, dont le solo devait être chanté par Shmetzer, le premier ténor du théâtre, homme d'esprit et excellent musicien, il y avait un obstacle insurmontable. L'andante de ce morceau, écrit à trois voix de femmes, présente quelques modulations enharmoniques que les choristes de Dresde avaient fort bien comprises, mais qui dépassent, à ce qu'il paraît, l'intelligence musicale de celles de Brunswick. En conséquence, après avoir inutilement essayé pendant trois jours d'en saisir le sens et les intonations, ces pauvres désespérées m'envoyèrent une députation pour me conjurer de ne pas les exposer à un affront en public, et obtenir que le terrible Sanctus fût rayé de l'affiche. Je dus y consentir, mais avec regret, surtout à cause de Shmetzer, dont le ténor très haut convient parfaitement à cet hymne séraphique, et qui se faisait en outre un plaisir de le chanter.

Maintenant tout est prêt, et malgré les terreurs de Ch. Müller au sujet du scherzo, qu'il voudrait répéter encore, nous allons au concert étudier les impressions qui vont naître de cette musique. Il faut vous dire auparavant que d'après le conseil du maître de chapelle, j'avais invité aux répétitions une vingtaine de personnes formant la tête de colonne des amateurs de Brunswick. Or, c'était chaque jour une réclame vivante qui, se répandant par la ville, excitait au plus haut degré la curiosité du public; de là l'intérêt singulier que les gens du peuple même prenaient aux préparatifs du concert et les questions qu'ils adressaient aux exécutants et aux auditeurs privilégiés:

—«Que s'est-il passé à la répétition de ce matin?..... Est-il content?..... Il est donc Français?... Mais les Français ne composent pourtant que des opéras-comiques!.... Les choristes le trouvent bien méchant!... Il a dit que les femmes chantaient comme des danseuses!... Il savait donc que les soprani du chœur sortent du corps de ballet?... Est-il vrai qu'au milieu d'un morceau il a salué les trombones?... Le garçon d'orchestre assure qu'à la répétition d'hier il a bu deux bouteilles d'eau, une bouteille de vin blanc et trois verres d'eau-de-vie?.... Pourquoi donc dit-il si souvent au concert-meister:—César! César! (c'est ça! c'est ça!) etc.»

Tant il y a que, longtemps avant l'heure fixée, le théâtre était plein jusqu'aux combles d'une foule impatiente et prévenue déjà en ma faveur. Maintenant, mon cher Heine, retirez tout-à-fait vos griffes, car c'est ici que vous pourriez céder à la tentation de me les faire sentir. L'heure arrivée, l'orchestre étant en place, j'entre en scène; et, traversant les rangs des violons, je m'approche du pupitre-chef. Jugez de mon effroi en le voyant entouré du haut en bas d'une grande girandole de feuillages. «Ce sont les musiciens, me dis-je, qui m'auront compromis. Quelle imprudence! vendre ainsi la peau de l'ours avant de l'avoir mis à terre! Et si le public n'est pas de leur avis, me voilà dans de beaux draps! Cette manifestation suffirait à perdre vingt fois un artiste à Paris.» Pourtant de grandes acclamations accueillent l'ouverture; on fait répéter la Marche des Pèlerins; l'Orgie enfièvre toute la salle; l'Offertoire avec son chœur sur deux notes et le Quærens me paraissent toucher beaucoup les ames religieuses; Ch. Müller se fait applaudir dans la romance de violon; la reine Mab cause une surprise extrême; un lied avec orchestre est redemandé, et la Fête chez Capulet termine chaleureusement la soirée. A peine le dernier accord était-il frappé, qu'un bruit terrible ébranla toute la salle; le public en masse criait au parterre, dans les loges, partout; les trompettes, cors et trombones, à l'orchestre, sonnaient qui dans un ton, qui dans un autre, de discordantes fanfares accompagnées de tous les fracas possibles par les archets sur le bois des violons et des basses et par les instruments à percussion.

Il y a un nom dans la langue allemande pour désigner cette singulière manière d'applaudir. En l'entendant à l'improviste, ma première impression fut de la colère et de l'horreur; on me gâtait ainsi l'effet musical que je venais d'éprouver, et j'en voulais presqu'aux artistes de me témoigner leur satisfaction par un tel tintamarre. Mais le moyen de n'être pas profondément ému de leur hommage, quand le maître de chapelle, Georges Müller, s'avançant chargé de fleurs, me dit en français: «Permettez-moi, Monsieur, de vous offrir ces couronnes au nom de la chapelle ducale, et souffrez que je les dépose sur vos partitions!» A ces mots, le public de redoubler de cris, l'orchestre de recommencer ses fanfares... le bâton de mesure me tomba des mains, je ne savais plus où j'en étais.

Riez donc un peu, voyons, ne vous gênez pas. Cela vous fera du bien et ne peut me faire de mal; d'ailleurs je n'ai pas encore fini, et il vous en coûterait trop d'entendre, sans m'égratigner, mon dithyrambe jusqu'au bout... Allons, vous n'êtes pas trop méchant aujourd'hui; je continue:

A peine sorti du théâtre, suant et fumant comme si je venais d'être trempé dans le Styx, étourdi et ravi, ne sachant auquel entendre au milieu de tous ces féliciteurs, on m'avertit qu'un souper de cent cinquante couverts, commandé à mon hôtel, m'était offert par une société d'amateurs et d'artistes. Il fallait bien s'y rendre. Nouveaux applaudissements, nouvelles acclamations à mon arrivée; les toasts, les discours français et allemands se succèdent; je réplique de mon mieux à ceux que je comprends, et, à chaque santé portée, cent cinquante voix répondent par un hourra en chœur du plus bel effet. Les basses les premières commencent sur la note , les ténors entrent sur le la, et les dames, entonnant ensuite le fa dièze, établissent l'accord de ré majeur, bientôt après suivi des quatre accords de sous-dominante, tonique, dominante et tonique, dont l'enchaînement forme ainsi cadence plagale et cadence parfaite successivement. Cette salve d'harmonie, dans son mouvement large, éclate avec pompe et majesté; c'est très beau: ceci, au moins, est vraiment digne d'un peuple musical.

Que vous dirai-je, mon cher Heine? Dussiez-vous me trouver naïf et primitif au superlatif, je dois avouer que toutes ces manifestations bienveillantes, toutes ces rumeurs sympathiques me rendaient extrêmement heureux. Ce bonheur là, sans doute, n'approche pas, pour le compositeur, de celui de diriger un magnifique orchestre exécutant avec inspiration une de ses œuvres chéries; mais l'un va bien avec l'autre, et après un tel concert, une veillée pareille ne gâte rien. Je suis très redevable, vous le voyez, envers les artistes et les amateurs de Brunswick; je dois beaucoup aussi à son premier critique musical, M. Robert Griepenkerl, qui, dans une brochure savante écrite à mon sujet, a engagé une véhémente polémique avec une gazette de Leipzig, et donné une idée juste, je crois, de la force et de la direction du courant musical qui m'entraîne.

Donnez-moi donc la main, et chantons un grand hourra pour Brunswick, sur ses accords favoris!

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