Voyage scientifique à travers l'Afrique occidentale : $b Soudan français, Sénégal, Casamance
Cet article a été extrait et préparé à partir de sa version publiée dans Annales de l'Institut Colonial de Marseille, t. 9, 1902.
Quelques erreurs typographiques évidentes ont été corrigées.
| Mission A. Chevalier, 1899-1900. | Sénégal-Soudan. |
Fig. 1. — Thiès. — Un Baobab pendant la saison des pluies.
UN VOYAGE
SCIENTIFIQUE
à travers l’Afrique occidentale
SOUDAN FRANÇAIS, SÉNÉGAL, CASAMANCE
PRÉFACE
Vers la fin de l’année 1899, après avoir consulté divers spécialistes coloniaux au nombre desquels il voulut bien me comprendre, M. le gouverneur général Chaudié prit la louable résolution de faire organiser une mission de jeunes savants appelés à aller étudier sur place les richesses naturelles peu connues encore du Sénégal et d’en rapporter des spécimens pour les faire figurer à l’exposition universelle de 1900. C’était la meilleure manière d’appeler l’attention sur des produits jusque là restés sans utilisation ou même inconnus, et d’asseoir sur une étude raisonnée et méthodique de ces ressources l’effort de la colonisation et la mise en valeur du Sénégal. Cette mission fut constituée ainsi qu’il suit : M. le Dr Lasnet, médecin des colonies, était appelé (ses observations antérieures sur la côte occidentale d’Afrique le désignant plus particulièrement pour cette spécialité) à étudier l’ethnographie et à diriger la mission ; M. Cligny, agrégé, docteur ès sciences, et plus particulièrement zoologiste, était chargé de l’étude de la faune ; M. Rambaud, licencié ès sciences et plus spécialement géologue, était chargé des études stratigraphiques et géologiques ; enfin, à M. Chevalier, botaniste, licencié ès sciences, était réservée toute la partie essentiellement végétale. Pour être complet, je dois ajouter que M. Tranchant, peintre, ancien élève de l’École des Beaux-Arts, avait été, à titre d’adjoint, chargé de la partie artistique. L’œuvre de cette mission, bien que réalisée dans un temps très limité (elle arriva de Saint-Louis en novembre 1899 et devait rentrer en avril 1900, date de l’ouverture de l’Exposition), a donné des résultats inespérés. Ils ont fait l’admiration de tous ceux à qui a pu échoir la bonne fortune de pouvoir examiner en détail les produits qu’elle a exposés dans le pavillon du Sénégal-Soudan au Trocadéro. On peut dire sans crainte qu’elle a fait mieux connaître et apprécier le Sénégal.
Mais la principale contribution apportée à ce succès est certainement due à M. A. Chevalier dont la sphère d’action et d’observation a été de beaucoup plus large que celle de ses collègues. Ce jeune savant avait, en effet, utilisé toute l’année 1898 à une exploration scientifique du Soudan, organisée par le général de Trentinian, en vue d’étudier les ressources végétales d’une vaste région dont la conquête était récente. Il la terminait à peine et se proposait de rentrer en France pour prendre un repos très mérité, pour mettre de l’ordre dans ses magnifiques récoltes, enfin pour en publier les résultats, lorsque, à son passage à Saint-Louis, en fin 1899, M. le gouverneur général Chaudié lui demanda de poursuivre son œuvre au Sénégal. Et c’est ainsi que nous avons eu le double avantage de voir au Trocadéro les produits végétaux utilisables et peu connus du Soudan et du Sénégal exposés sous le nom de M. Chevalier.
Voici comment s’exprime fort justement, au sujet de cette collection, l’auteur anonyme de la notice sur le Pavillon du Sénégal-Soudan à l’Exposition de 1900[1] : « Les collections exposées par ce distingué botaniste occupaient la plus grande partie des vitrines réservées à la mission. Elles ne renfermaient cependant qu’un nombre infime des plantes qu’il a recueillies au cours de ses deux explorations. M. Chevalier a parcouru un itinéraire de 8.000 kilomètres et a réuni 10.000 échantillons botaniques qui permettront d’élaborer une flore à peu près complète du Sénégal et une flore déjà sérieuse du Soudan.
« Dans ses collections figuraient de nombreux spécimens de Graminées, de plantes alimentaires et de plantes médicinales. Les plantes industrielles, les plantes tinctoriales et textiles, les plantes à caoutchouc et à gomme étaient aussi largement représentées.
« Citons une curieuse plante saccharifère : le bourgou, qui croît en abondance et sans culture aux rives du Niger, et sur laquelle M. Chevalier a, le premier, attiré l’attention. Le bourgou pourrait, d’après lui, servir à fabriquer sur place un sucre à bon marché à l’usage des noirs. Citons encore la liane à indigo Caraba (Lonchocarpus cyanescens) dont il a le premier signalé l’emploi par les indigènes.
« Dans son exploration de la flore, M. Chevalier a été préoccupé surtout de la recherche des végétaux qui peuvent contribuer au développement économique de la colonie en lui fournissant des produits utilisables. Il s’est demandé quels sont les meilleurs procédés de culture et de récolte, par quels moyens on peut améliorer les espèces existantes. La notice et les rapports dont sa mission fait l’objet seront consultés avec fruit par tous ceux que préoccupe l’avenir de notre grande colonie de l’Afrique occidentale. » J’ai cité ce passage tout entier parce qu’il indique déjà dans quel sens sera orienté et avec quelle ampleur de vue conçue la relation de ce voyage par son auteur.
La mission organisée par le général de Trentinian comprenait une quinzaine de membres. On connaît les intéressants rapports de M. Coppolani, chargé de l’étude des questions afférentes à l’Islam, ceux de M. Henri Hamet sur le caoutchouc ; M. Baillaud a fait connaître, dans la Géographie (1900), ses observations sur l’organisation économique du pays et sur les routes commerciales qu’il a suivies dans le nord. Quant aux artistes de la mission, MM. Mérite et H. de la Nézière, leurs œuvres ont figuré, en 1900, au Salon et à l’Exposition universelle (Pavillon du Sénégal-Soudan). En somme, cette exploration a montré que si le Soudan n’est pas d’une richesse incomparable, il recèle cependant suffisamment d’éléments de prospérité pour devenir une colonie de premier ordre. Ses produits forestiers de haute valeur, comme le caoutchouc et la gomme, une agriculture indigène très avancée, enfin une population déjà nombreuse de noirs généralement intelligents, attachés au sol, facilement perfectibles en tant que cultivateurs ou éleveurs, sont autant de facteurs déjà acquis pour une colonisation rapide, si nous savons les utiliser conformément aux espérances de la France. Cette mission aura en outre mieux fait connaître le pays et fourni des résultats généraux très appréciables, capables d’éclairer la route que la colonisation devra suivre désormais, et de la fixer sur les moyens d’ensemble dont elle peut disposer. Ce sera donc le grand honneur du général de Trentinian d’avoir été un des premiers à préparer cette colonisation en envoyant sur place des chercheurs spécialisés dans diverses branches de la science en vue d’étudier, au Soudan, les ressources de tout ordre. Il est à souhaiter que ce double exemple, venu d’une part du général de Trentinian et de l’autre de M. Chaudié, soit contagieux, car il reste encore bien des colonies à explorer avec méthode. Malheureusement la dislocation du Soudan a fait, au point de vue qui nous occupe, reléguer au second plan l’intérêt d’ensemble qui résulte de ces explorations scientifiques et qui s’attachait à cette contrée, une alors, et aujourd’hui démembrée. Dans cette mission spéciale au Soudan, M. Chevalier était chargé de toute la partie botanique, et c’est son journal de voyage que nous publions partiellement ici aujourd’hui.
Embarqué à Bordeaux le 18 novembre 1898, il arrivait à Bamakou, sur les bords du Niger moyen, dans les premiers jours du mois de janvier 1899. Le séjour de M. Chevalier dans la boucle du Niger se divise en deux étapes très distinctes : d’une part, l’itinéraire à travers la région sud et le territoire militaire de la Volta ; de l’autre, le parcours des régions du nord et en particulier la traversée de la région de Tombouctou. Partout il a fait preuve des mêmes qualités : d’une part, endurance aux privations qu’impose forcément une pareille mission, et, de l’autre, opiniâtreté au travail de récolte et sagacité profonde dans l’observation. Je voudrais laisser, avant qu’il aborde les détails du superbe et long voyage dont le panorama va se dérouler sous ses yeux, le lecteur sous l’impression de l’immensité des difficultés vaincues et de la fécondité des résultats obtenus malgré les moyens très restreints dont disposait la mission. M. Chevalier, oubliant un moment la fin tragique de son camarade Legeal, avec la modestie qui le caractérise, a bien déclaré dans une des nombreuses conférences qu’il a faites depuis son retour, qu’au moment où il réalisait son voyage, on pouvait déjà circuler à travers presque tout le Soudan français, même dans les territoires militaires, sans le secours d’une escorte armée. Il est allé plus loin et affirme que dans les provinces encore inexplorées, mais où le prestige du blanc est solidement assis, l’Européen, accompagné de deux ou trois tirailleurs dont les chéchias et les fusils en imposent toujours, passera sans difficulté partout où des troupes plus fortes échoueront. Mais ce sont là des manifestations de la confiance que donne légitimement le succès, et, à ce point de vue, nul n’était plus autorisé que M. Chevalier à tenir ce langage rassurant pour tous les explorateurs de l’avenir.
Professeur Dr Édouard Heckel,
directeur-fondateur des Annales de l’Institut colonial.
INTRODUCTION
Il a fallu la bienveillante insistance de M. le professeur Heckel pour me décider à publier les notes de voyage qui vont suivre. Simples observations de brousse détachées des carnets d’un naturaliste, elles n’ont d’autre intérêt que d’être l’expression de ce qu’il a vu touchant l’histoire naturelle et l’agriculture tropicale, au cours d’un voyage de dix-huit mois accompli au Soudan et au Sénégal de 1898 à 1900. Ce sont des notes écrites sans prétention, pendant les fatigues de chaque étape journalière, souvent même aux haltes de quelques minutes que l’on fait en marche pour reposer les porteurs, et elles gardent l’empreinte des circonstances défavorables dans lesquelles elles ont été rédigées. Le plus souvent, en effet, il m’était impossible de revoir ces notes aux gîtes d’étapes et dans les postes où je passais. Les naturalistes, au courant des difficultés que l’on éprouve à préparer d’importantes collections botaniques dans n’importe quel pays tropical, comprendront la peine que j’ai dû avoir pour former ces collections dans un pays nouveau, non organisé et à peine pacifié, où il fallait chaque jour lever la tente pour aller camper à 25 ou 30 kilomètres plus loin, et transporter constamment, par tous les temps, ces mêmes collections qui comprenaient à mon retour, environ 3.000 numéros, 10.000 parts d’herbiers et plus de deux tonnes d’échantillons de bois, de plantes dans l’alcool et de produits végétaux divers. Dans de semblables conditions, même en ayant la bonne fortune de ne pas être terrassé par la fièvre, il est impossible à un Européen voyageant seul, de songer à compléter les notes qu’il a prises en route : tout le temps disponible doit, en effet, être consacré à former les collections et à les préparer.
Ces notes, ébauchées rapidement, avaient donc besoin d’être soigneusement revues à mon retour, complétées par des observations que je n’avais pas eu le temps de consigner en cours de voyage, et élaguées de tout ce qui était superflu. J’aurais voulu, en outre, donner un tableau complet des récoltes botaniques de chaque jour et encadrer le tout dans quelques chapitres où j’aurais généralisé les observations de détail en présentant un tableau synthétique des résultats de la mission.
Malheureusement, absorbé par les préparatifs d’un nouveau voyage dans l’Afrique centrale (région du Chari), le temps m’a manqué pour pratiquer ces retouches et rassembler en un tout uniforme ces extraits de mes carnets de voyage que je présente tels qu’ils ont été écrits sur place.
Je prie donc le lecteur de m’accorder toute son indulgence pour ce modeste opuscule.
Dans la seconde partie, je donnerai ultérieurement un tableau des végétaux utiles les plus remarquables étudiés au cours de mon expédition.
Qu’il me soit permis d’exprimer ma reconnaissance à M. le professeur Heckel qui a bien voulu accueillir ce travail dans les Annales de l’Institut colonial de Marseille et se charger des retouches, de l’impression et des corrections avec le concours de M. le professeur Perrot.
Je tiens à remercier également M. J. Poisson, assistant au Muséum d’histoire naturelle, et M. Hua, sous-directeur du laboratoire de botanique systématique de l’Ecole des Hautes-Études, pour les précieux conseils qu’ils m’ont donnés dans la détermination de mes échantillons botaniques.
Mon voyage en Afrique tropicale, accompli sous les auspices du Ministère des colonies, a duré dix-sept mois, de la fin de novembre 1898 à la fin de mars 1900. Au moment de la capture de Samory, en octobre 1898, M. le général de Trentinian, lieutenant-gouverneur du Soudan français, organisa une mission économique dont une partie des membres devaient étudier les moyens de mettre en valeur la nouvelle colonie. C’est de cette mission que j’eus l’honneur de faire partie, avec le programme bien précis de m’occuper de l’étude de la végétation et spécialement des ressources agricoles et forestières du Soudan.
Pour le remplir, il me fallait une grande liberté d’action et les moyens de parcourir tout le pays depuis la région forestière de la Côte d’Ivoire jusqu’à la région désertique du Sahara. Cette liberté et ces moyens, M. le général de Trentinian me les accorda avec une bonté dont je lui suis profondément reconnaissant. Après avoir suivi la ligne d’étapes habituelles : Badumbé-Kita, Bammako et remonté le Niger jusqu’à Siguiri, je visitai successivement la région sud du Soudan (cercles de Siguiri, Kankan, Kouroussa, Bougouni) ; l’ancien pays de Samory (Wassoulou) ; le territoire de Sikasso que nous venions d’occuper après un siège sanglant (1er mai 1898) ; la région de Sindou et le Pays de Tourgas (ou Turcas) qui n’était pas encore conquis ; le Territoire de la Volta (Bobo-Dioulasso et San) ; le Minianka en pleine effervescence quand je le traversai ; le cercle de Djenné ; la région Nord ; Tombouctou où je séjournai près d’un mois ; les abords des grands lacs (lacs Télé, Faguibine, Daouna, Sompi, Débo) ; enfin, je revins par la merveilleuse vallée du Niger moyen, où je pus étudier à loisir les prairies du bourgou et fixer l’avenir du coton dans cette contrée.
Pendant tout le temps que dura ce voyage, je reçus les encouragements les plus bienveillants, l’aide la plus effective de M. le général de Trentinian, et au moment de rentrer en France, peu de semaines avant la dislocation du Soudan, il me faisait parvenir à Tombouctou le télégramme suivant :
No 2051. Lieutenant-gouverneur à M. Chevalier, chargé de mission, attendu à Tombouctou.
« Général de Trentinian me charge de vous transmettre télégramme suivant ; citation : je suis heureux de vous voir prolonger au Soudan votre séjour dont la colonie et la science tireront large profit. Obligé d’aller prendre quelques mois de repos en France, je vous prie d’adresser vos rapports au colonel Vimard qui connaît vos recherches et s’intéresse vivement à votre mission. »
Signé : Colonel Vimard.
Si je voulais citer tous les officiers et les administrateurs civils qui favorisèrent mes travaux, il me faudrait nommer tous les Européens rencontrés dans les postes que je visitai. Je suis très fier de dire que c’est en grande partie à leur aide, à leur excellente hospitalité qui me dispensait des soins matériels de la vie pendant mon séjour dans les postes, à la bonne volonté et même au dévouement qu’ils mirent toujours à me procurer les escortes et les moyens de transport pour mes collections — et ce n’était pas une mince besogne ! — c’est grâce à toutes ces circonstances favorables, dis-je, que j’ai pu recueillir dans un pays où la végétation est pauvre, des collections relativement importantes.
Je n’ai garde enfin d’oublier le brave Morifin Khôné, Bambara originaire du village natal de Samory, et qui, avant mon arrivée avait déjà, comme domestique d’officiers, couru tous les sentiers du Soudan pendant les dernières campagnes, et le petit Seïdon Diallo, jeune Toucouleur dont l’intelligence éveillée me permit de recueillir un ample vocabulaire des noms de plantes dans les diverses langues soudanaises.
Tous les deux, comme préparateurs, m’ont rendu de grands services, et l’excellent Morifin m’a accompagné pendant toute la durée de mon voyage au Soudan avec un dévouement absolu. Collaborateurs inconcients, ils ont contribué, sans le savoir, à faire connaître aux hommes blancs les richesses végétales de leur beau pays.
Mon expédition botanique du Soudan était heureusement accomplie et j’allais rentrer en France, lorsqu’à mon passage à Saint-Louis, dans les premiers jours de décembre 1899, je fus retenu par M. Chaudié, gouverneur général de l’Afrique occidentale, pour continuer les mêmes recherches au Sénégal.
M. Milhe-Poutingon, directeur de l’Afrique à l’Union coloniale, nommé commissaire de l’Exposition du Sénégal (Exposit. Univ. 1900), avait eu l’heureuse pensée de constituer une mission technique qui devait aller recueillir sur place les matériaux scientifiques propres à faire connaître « les ressources qui peuvent se trouver en germe dans les couches géologiques, dans la faune et la flore si variées et encore si imparfaitement connues de la colonie ».
Comme botaniste de cette mission qui comprenait en outre : MM. le Dr Lasnet, chargé des recherches ethnographiques ; Cligny, des recherches zoologiques, et P. Rambaud de la géologie, je restai quatre mois de plus en Afrique occidentale. Pendant ce temps, je parcourus une partie du Cayor et du Baol, la région littorale des Nyayes, la presqu’île du Cap-Vert, enfin le territoire de la basse et la moyenne Casamance.
L’administration du Sénégal voulut bien continuer à la nouvelle mission la même bienveillance et les mêmes marques d’intérêt qui avaient tant favorisé la réussite de l’expédition scientifique du Soudan.
C’est pourquoi je suis heureux de rendre un commun hommage de reconnaissance à M. le gouverneur général Chaudié et au général de Trentinian.
J’ai en outre de grandes obligations envers : MM. Aubry-Lecomte, directeur des affaires indigènes du Sénégal, et de Caze, administrateur en chef des colonies ; Léon d’Erneville, président du Comité local de l’Exposition du Sénégal ; l’administrateur Valzi et le capitaine Séguin, commandants des cercles de la Casamance ; Marsat, maire de Dakar ; Gabard, maire de Rufisque, mort quelques semaines après mon départ, victime de son dévouement pendant l’épidémie de fièvre jaune de 1900. Je les remercie pour l’aide qu’ils m’ont procurée. — Enfin, j’ai trouvé dans les principaux comptoirs commerciaux de la côte le plus obligeant accueil, notamment aux factoreries de la Compagnie française de l’Afrique occidentale et aux maisons Devès et Chaumet, Morel frères, Maurel et Prom, Roy et Laglaize, etc.
Les représentants de ces maisons ont grandement favorisé ma tâche et m’ont procuré parfois d’utiles renseignements sur la valeur et l’avenir économique des productions que j’étais chargé d’étudier.
Grâce à ces concours précieux, j’ai pu, malgré la trop courte durée de la mission du Sénégal, recueillir, outre les produits qui ont figuré à l’Exposition universelle de 1900 et qui ont été donnés au Jardin colonial de Nogent-sur-Marne, un nombre important de collections de plantes et noter bon nombre d’observations nouvelles sur l’agriculture indigène d’un pays déjà étudié à de fréquentes reprises, depuis deux siècles.
Quelques naturalistes de valeur se sont, en effet, avant mon voyage, occupés de la flore du Sénégal et ont formé, dans cette contrée, de riches collections conservées au Muséum d’histoire naturelle de Paris.
Je citerai seulement ceux à qui nous devons les plus importantes recherches : l’illustre Adanson parcourut le Sénégal de 1749 à 1753 ; le jardinier J.-M.-C. Richard, fondateur de la station de Richardtoll, le plus ancien jardin d’essai des colonies françaises, demeura au Sénégal de 1817 à 1820.
Le pharmacien Leprieur, botaniste distingué, parcourut une grande partie de la colonie de 1824 à 1829.
Le botaniste-agronome Perrottet, directeur des cultures de la Sénégalaise, puis, chargé de voyages scientifiques par la colonie, resta au Sénégal de 1824 à 1829, et à son retour en France, il commença, en collaboration avec les botanistes Guillemin et Claude Richard, la publication de la Flore de Sénégambie, ouvrage dont malheureusement un seul volume sur trois a été publié de 1830 à 1833.
Le naturaliste Heudelot fit un premier séjour au Sénégal de 1825 à 1831, comme directeur des cultures de l’établissement de Richardtoll et en rapporta quelques plantes. De 1830 à 1837, il fut chargé de mission au Sénégal par le Muséum d’histoire naturelle, il parcourut les pays nouveaux du Wallo et du Ouli, les rives de la Gambie, la Casamance et le Rio-Nunez. Dans cet important voyage, il a recueilli des collections botaniques qui ont constitué, jusqu’à ces dernières années, le fonds le plus considérable concernant la flore de l’Afrique occidentale.
Le jardinier Th. Lécard s’occupa d’études agricoles au Sénégal de 1865 à 1867 ; en 1880, le Ministère de l’Instruction publique le chargea d’une mission dans le Haut-Fleuve ; de ce dernier voyage il rapporta un herbier assez important et les fameux Ampelocissus ou « vignes du Soudan » autour desquels on fit tant de bruit en 1881.
Malheureusement la plupart des collections que ces voyageurs ont formées, au prix d’efforts si pénibles, dorment dans nos musées nationaux, et, jusqu’à ce jour, il ne s’est pas trouvé un botaniste français pour reprendre l’œuvre commencée par Guillemin et Perrottet et interrompue par la mort de l’un et le départ de l’autre pour l’Inde française. La flore du Sénégal, colonie française depuis cinq siècles, reste encore à publier !
Les matériaux d’études ne manquent pourtant pas. Pour le Soudan français, il en est autrement.
Toutes les tentatives faites par des naturalistes, avant l’expédition du général de Trentinian, pour aller étudier la flore et les productions agricoles et forestières du Soudan, ont malheureusement échoué.
Heudelot avait le désir ardent de pénétrer dans le pays de Bambara, jusqu’à la province du Bourré et jusqu’au Niger, et revenir ensuite à travers le Fouta-Djalon. Dans une lettre datée de Saint-Louis, le 10 juillet 1837, lettre retrouvée dans les archives du Muséum, il parle de ce voyage avec enthousiasme. Il avait, hélas ! trop préjugé de ses forces. Épuisé par les fatigues de son précédent voyage aux Rivières du Sud et brisé par les fièvres, il mourut quelques semaines plus tard sans avoir pu entamer son projet.
En 1880, Lécard ne put s’avancer au delà de la moyenne Falémé et il mourut un mois à peine après son retour en France.
Vers 1888, sur la demande du colonel Galliéni, le Ministère de l’Instruction publique confiait une mission à un jeune botaniste du Muséum, M. Berthelot, préparateur au laboratoire de botanique systématique de l’École des Hautes-Études. Berthelot mourait à son tour au Félou peu de jours après son arrivée à Kayes, avant d’avoir pu commencer ses recherches.
Plus heureux que mes devanciers, j’ai pu, non seulement atteindre le Niger moyen, mais encore parcourir pendant près d’une année les territoires de la boucle de ce grand fleuve et m’avancer, d’une part, dans le territoire de la Haute-Volta, de l’autre, dans le territoire de Tombouctou, où notre infortuné camarade Legeal, le géologue de la mission du général de Trentinian, avait été massacré par les Touareg quelques mois plus tôt.
Bien que j’aie vu se succéder toutes les saisons dans cette contrée et que j’aie accompli un itinéraire de 8.000 kilomètres à travers la brousse et le long des fleuves soudanais, je demeure convaincu que les collections que j’ai rapportées sont bien modestes par rapport à ce qui reste à découvrir dans ces vastes savanes. Elles forment les premiers éléments pour la flore du Soudan. Mais pour bâtir un monument comparable à celui que les Allemands ont édifié pour la flore de l’Afrique orientale allemande, il faudra encore l’effort de nombreux travailleurs. Les naturalistes français qui voudront s’engager dans cette voie trouveront, pour leurs recherches, un champ immense, une mine inépuisable à exploiter. Et à leur retour ils auront, comme nous l’avons eue, la satisfaction d’avoir accompli le plus beau voyage qu’il soit possible de rêver et d’avoir goûté dans la brousse immense, au milieu de la nature vierge, les jouissances les plus pures et les plus variées. Enfin, s’ils découvrent, parmi les richesses infinies de la flore tropicale, des produits nouveaux utilisables pour l’homme, ou s’ils saisissent de meilleurs procédés d’exploitation des produits déjà employés, ils auront contribué à la grandeur de leur pays dont les colonies sont aujourd’hui la suprême ressource. En outre, ils auront aidé, selon leurs moyens, à assurer le développement de la vie humaine et l’épanouissement de la civilisation dans l’Afrique noire si déshéritée à tant d’égards.
Paris, le 25 mars 1902.
| Mission A. Chevalier, 1899-1900. | Sénégal-Soudan. |
Fig. 2. — Bakel. Bords du Sénégal.
UN VOYAGE
SCIENTIFIQUE
A travers l’Afrique occidentale
SOUDAN FRANÇAIS, SÉNÉGAL, CASAMANCE
PAR
M. Auguste CHEVALIER,
Docteur ès-sciences naturelles,
Botaniste du laboratoire colonial du Muséum
CHAPITRE PREMIER
Bammako
Région du Haut-Niger et ancien pays de Samory (de Siguiri à Sikasso par Kouroussa, Kankan et Bougouni).
15-21 janvier 1899. — Bammako est situé à 1.800 mètres du Niger, dans une sorte d’entonnoir formé dans la région montagneuse environnante qui livre passage au Niger. Des ruisselets ne tarissant jamais coulent au fond de vallons étroits et se précipitent par chutes d’eau dans la vallée du Niger.
Les collines environnantes ont en moyenne de 400 mètres à 500 mètres d’altitude au-dessus de la mer.
Les contreforts de ces collines viennent se terminer sur la rive gauche du Niger, au pied même de la ville, en des sortes de tables séparées par d’étroites coupures entaillées dans les rochers de grès. Tel est, par exemple, le vallon du Soknafi.
Le poste est à 2 kilomètres du fleuve ; sur la route qui y conduit, les Européens ont planté une belle avenue de n’tabas (Sterculia cordifolia Cav.) et des doubalés (Ficus Rokko Warb. et Schweinf.). A 600 mètres de là, on aperçoit sur la droite de la route un bosquet sacré. C’est là que les Bambaras se réunissent certaines nuits et que les griots se réfugient pour accomplir les rites de leur fétichisme.
En quittant la route du Niger pour s’enfoncer dans un sentier suivi seulement par les piétons, large au plus de 50 centimètres, on rencontre sur la droite un arbre gigantesque dont le tronc a de 6 à 8 mètres de circonférence et dont les rameaux dénudés s’étendent sur un immense rayon. C’est un Ficus de la section Sycomore dont les feuilles ovales-allongées, au début de leur végétation, sont teintées en rouge écarlate et font ressembler de loin l’arbre à un gigantesque Fromager à fleurs pourpre (Bombax Buonopozense Beauv.).
En continuant à suivre le sentier, on traverse un bois-taillis couvert de Sés ou Karités (Butyrospermum Parkii Kotschy) ; il s’y trouve aussi à profusion des buissons d’un arbuste en fleurs, dont les quatre pétales d’un blanc sale, incurvés, répandent une odeur agréable de vanille. C’est le Ximenia americana L. Partout on trouve la plante à fleurs jaunes.
Une région, au pied de collines, est couverte de Légumineuses atteignant jusqu’à 2 m. 50 de haut. On arrive au bas d’un escarpement de grès stratifiés, que les mulets ne peuvent franchir ; les femmes le gravissent pour arriver plus vite au village. Nous sommes obligés de tourner la roche en descendant vers le ruisseau, puis nous traversons des clairières dénudées, couvertes d’éboulis de roches ferrugineuses latéritiques : sortes de poudingues, formés de blocs gréseux cimentés dont la taille varie de celle de la tête à celle d’une noisette ; ces rognons anguleux ne sont pas roulés. Dans le fond du vallon coule paisiblement un marigot ; de grandes tables de grès caverneux, très ferrugineux, avec du grès supérieur compact, viennent mourir à nos pieds.
Les rives très verdoyantes sont bordées de palmiers ban (Raphia vinifera Beauv.) d’énormes n’tabas en fleurs, de Ficus à grandes feuilles, de Cassia en fleurs, de Karités. Au-dessous de cette haute végétation, se trouvent : une petite Composée à fleurs violettes répandue partout dans ce genre de station au Soudan (c’est un Ageratum très voisin de celui que nos horticulteurs cultivent), une Papilionacée à fleurs jaunes en grappe, une sorte de niébé sauvage (Vigna) grimpant dans les n’tabas, une espèce de Dioscorea formant des buissons épais, malheureusement non fleuris. Le fond du ruisseau est couvert d’algues vertes analogues à nos lentilles d’eau, on y trouve aussi le Nitella gracilis d’Europe. Sur les bords croissent des Cypéracées spéciales.
Une partie des terrains avoisinant le village est transformée en champs de mil récolté et en jardins. A 500 mètres environ des jardins, on passe sous un gros sé couvert de gris-gris attachés (chiffons, plumes, brins d’herbe). Tout homme qui arrive ici doit déposer quelque chose sur l’arbre, s’il veut éviter d’être inquiété par les mauvais génies. Enfin près de l’entrée existe un bois sacré ou comatou dont l’étendue est de 20 ares environ. C’est un massif épais de verdure, formé d’arbres et de lianes qui les enlacent ; le tout constitue un fourré inextricable sous lequel on peut pourtant circuler à travers d’étroites galeries. Par les trouées on peut entrevoir la végétation formée de Tamariniers, d’Acacia pennata Willd. à fleurs blanches en boules, de Cassias (tribas), de sabas (Landolphia Senegalensis D. C.) enlacés dans les arbres.
Le lundi, les habitants (hommes adultes) s’y réunissent. Le chef du village pénètre le premier dans le bosquet et sacrifie des poulets et des pintades. Ces oiseaux sont cuits sous le Karité et mangés en commun en buvant du dolo (bière de sorgho, fabriquée pour la circonstance). Les femmes et les enfants n’assistent pas à ce repas nocturne, et si par hasard une femme s’aventure de ce côté, dès qu’elle s’aperçoit de sa méprise, elle s’enfuit éperdue en poussant des cris. On voit, sous le Karité, des traces de quatre à cinq feux avec pierres, servant à faire cuire les volailles tuées chaque semaine dans le bois sacré.
Dans le village de Sicoro, il existe un grand doubalé (Ficus Rokko) avec onze troncs enracinés qui, à la manière du Banyan de l’Inde (Ficus religiosa L.) soutiennent comme des piliers les branches de l’autre. Ces troncs s’enterrent sur un périmètre de 30 pas. Quoique l’un d’eux soit un peu plus gros que les autres, il est impossible de reconnaître lequel a constitué la tige primitive. Du haut de l’arbre descendent, enlacés sur le tronc ou les branches, des faisceaux de racines de grosseurs variables. Il y en a de la taille du bras ; d’autres, plus grêles que les doigts de la main, pendent sans pouvoir atteindre encore le sol. Les troncs qui pénètrent en terre paraissent, eux-mêmes, formés de plusieurs faisceaux de racines accolées à une racine centrale bien plus forte. Ce banyan a des feuilles vertes assez récentes. Il n’y a pas encore trace de fleurs. Il est situé devant la case du chef de village et sert d’arbre à palabres. Deux grandes dalles de schiste noir servant de sièges, ainsi qu’une chaise basse analogue au siège de Samory, se trouvent au pied du banyan. Les grosses racines du Ficus courent en saillie au-dessus du sol et peuvent aussi servir de sièges. Sous l’arbre, je remarque une grande quantité de graines de palmier ban, dont les enfants ont mangé la pulpe.
Les cours sont ordinairement entourées de murs en terre hauts de 2 mètres environ. Une rue, large par endroits de 1 m. 50 à peine, traverse le village dans toute sa longueur.
Je me dirige vers Goumi, en suivant la vallée du Bankoni. Cette vallée très humide est riche en humus mais elle est très étroite. D’un côté c’est le marais, de l’autre, c’est le rocher. Chacune de ces stations possède sa végétation propre. Le marais est ordinairement occupé par de petits jardins clôturés. On y trouve beaucoup d’oignons indigènes et quelques pieds de piments. J’ai remarqué aussi quelques arbres, notamment des Papayers avec fruits. Le bord du ruisseau est occupé par de nombreux palmiers ban et par beaucoup de n’tabas aux fleurs parfumées. La circonférence de quelques troncs est de 3 à 4 mètres. Souvent les rameaux fleuris pendent jusqu’au ras du sol.
Au delà de Sicoro je rencontre deux Sés (Karités) en fleurs, mais ceux-ci ont conservé une partie de leurs vieilles feuilles. Je remarque aussi deux Tamariniers fleuris.
Les terres cultivées en Mil (depuis longtemps récolté) s’avancent jusque dans le rocher entre les blocs de pierre. Sur ces rochers croissent beaucoup de grandes Euphorbes cactiformes donnant au paysage un aspect très caractéristique.
Au bord du ruisseau, un espace très humide à terrain sablonneux, non envahi par les grandes herbes, représente une rizière abandonnée. Ce sol est très riche en plantes intéressantes. Pour le rendre propre à la culture, les habitants ont groupé le sol par tas, afin de faire couler les eaux dans les intervalles ; ils préparent ainsi la terre pour les cultures de l’hivernage prochain.
A 500 ou 1.000 mètres du village, j’aperçois un groupe de plusieurs beaux Ficus à gros fruits, appelés tourous. C’est le Sycomore du Soudan occidental. Quelques troncs peuvent avoir 6 mètres de circonférence. Lorsque le soleil devient trop ardent, nous rentrons à Bammako en longeant le pied de la falaise gréseuse et nous cheminons pendant plus d’une heure à travers une brousse assez épaisse, parsemée de loin en loin de verts buissons de lianes à caoutchouc ordinairement très chétives.
Ruisseau du massif de Soknafi ou Mikoungo
(à 2 kilomètres de Bammako entre les carrières et la route de Kayes).
Le ruisseau du Soknafi passe dans Bammako tout près du poste. En amont des carrières de grès de Bammako, servant à l’empierrement de la route, il coule dans la vallée au milieu des champs de Mil. Sa largeur est seulement de 1 à 2 mètres. Sur des sables desséchés qui sont dans son lit, croissent quelques herbes et une Fougère ; sur les bords, une touffe d’Ampelocissus en fleurs (Vigne du Soudan) a des tiges divergentes hautes de 0 m. 50 à 1 mètre et formant de petits buissons. Je trouve aussi une Papilionacée à fleurs jaunâtres et à feuilles entières ; c’est une sorte de mébé en fleurs et fruits grimpant dans les buissons. Au bord du ruisseau, croissent de nombreux et beaux Ficus nommés toros par les indigènes, et des n’tabas en fleurs. Ces fleurs visitées par les fourmis ont des corolles souvent mutilées.
C’est sur ce ruisseau, à 1 kilomètre environ du poste, que se trouve la jolie cascade que l’on entend bruire à plusieurs centaines de mètres de distance. L’eau tombe du haut du Soknafi sur des rochers en gradin d’une longueur de 150 mètres environ. Les bords de cette chute sont occupés par une verdure épaisse, formée surtout de massifs de lianes se rejoignant d’un bord à l’autre. Du côté du nord, croissent de petites colonies d’un Adianthum annuel, desséché en cette saison. Du côté exposé au soleil, il y a de nombreuses touffes d’un Aspidium en pleine végétation qui croît indifféremment entre les fentes des rochers ou sur la terre. Dans le lit même du ruisseau, se trouvent des masses énormes de radicelles formant des paquets de queues de renard, à travers lesquelles l’eau filtre goutte à goutte. Sur ces racines ainsi que sur les pierres s’observent quelques Mousses. Je remarque aussi quelques Hépatiques, des Algues vertes, des Diatomées rougeâtres ; dans les fentes se trouvent quelques gros arbres, notamment des n’tabas, des Ficus, des Papillonnacées grimpantes et surtout l’Abrus precatorius L. dont la spontanéité n’est pas douteuse au Soudan. A cette époque de l’année ses feuilles se dessèchent, les gousses mûres s’entr’ouvrent et laissent voir les graines d’un beau rouge vif avec leur petite cicatricule noire. D’autres graines assez analogues, mais à cicatricule blanche, proviennent d’une Papilionacée ligneuse appelée daro en Bambara[2].
Les racines mises à nu des diverses essences qui constituent la végétation de la cascade forment parfois des masses si épaisses que l’eau s’y perd et passe dessous. Sur le haut de la montagne du Soknafi, le terrain est caillouteux, très ferrugineux. La roche de grès fin, tendre, a été décomposée, et il s’est formé en dessus une roche rouge plus ou moins caverneuse. C’est généralement un poudingue analogue, par son origine, au limon des plateaux, s’en allant aisément en rognons (variant de la grosseur d’une prune à la grosseur du poing) pendant la saison des pluies et jonchant toute la surface de ces cailloux. La végétation sur ce sol est à peu près nulle. On aperçoit de grandes surfaces dénudées ou des espaces occupés par de petites Graminées tout à fait desséchées. Dans les rochers on trouve la grande Euphorbe cactiforme, très rameuse, atteignant jusqu’à 3 mètres de haut, ainsi qu’un Tephrosia à folioles d’un blanc argenté en dessous, à tige ligneuse à la base. Le plateau est couvert de blocs ferrugineux épais.
Dans la partie la plus escarpée du roc, une calebasse est remplie de petits cailloux roulés, arrachés au poudingue par le ruissellement ; ce sont de petites pierres formées de minerai de fer (limonite) presque pur, avec lequel les indigènes chargent parfois leurs fusils. Tout indigène qui se rend à la ville par le sentier au bord duquel est placée la calebasse doit y déposer lui-même son petit caillou, s’il veut éviter les mauvais sorts. Les musulmans eux-mêmes se conforment à ces usages fétichistes.
Visite au champ de cultures de M. Gilium.
Ce champ se trouve à 1.500 mètres de Bammako, dans la vallée très fertile du Niger.
On creuse le sol pour en retirer une argile blanc-grisâtre qui, desséchée au soleil, sert à faire des briques non cuites. Cette couche est ordinairement couverte d’une épaisseur de terre végétale de un mètre. Ce terrain, situé entre les fours à chaux et le Niger, est parsemé de petits canaux, pleins d’eau en toute saison, qui drainent l’humidité et tiennent le sol très frais. Toutes les excavations faites pour avoir des fontaines ou pour se procurer de la terre à brique sont aussitôt remplies d’eau. C’est là que MM. Gilium et Pillet comptent demander une concession de 40 hectares et où ils ont déjà fait des essais de semis de blé.
Fig. 3. — Nègres apportant du caoutchouc sur le marché de Siguiri (Soudan).
La culture du blé est excessivement intéressante. C’est le point le plus méridional du Soudan où cette culture ait réussi ; mais elle est très coûteuse par suite des soins qu’elle réclame. L’ensemble reviendra à plus de 500 francs, soit un peu plus de 0 fr. 50 le litre. Le terrain était déjà cultivé en blé de temps immémorial par un indigène qui suspendit la culture à l’arrivée des bandes d’El-Hadj-Omar, par suite du refoulement des Maures qui n’étaient plus à Bammako pour consommer le blé. M. Gilium a repris cette culture cette année même. Le blé ensemencé est le blé de Tombouctou.
Les essais faits par M. Gilium avec les blés d’Espagne et d’Algérie n’ont pas eu de succès. Le meilleur blé a été semé en octobre. Les semis les plus tardifs ont mal réussi. Quelques pieds commencent à avoir des épis et des chaumes jaunes, mais non encore mûrs. Ces chaumes ont une hauteur de 0 m. 80 à 1 mètre. Je n’ai vu sur ce blé ni parasite, ni rouille, ni Ustilaginée, ni ergot. Certains épis sont seulement un peu enroulés sur eux-mêmes et paraissent avortés. Ils se sont mal épanouis au sortir de la gaine. Dans les épis presque mûrs, les grains sont petits et paraissent fort légers. Une planche a été repiquée ; elle est bien plus vigoureuse et offre un plus grand nombre de chaumes par souche. J’ai compté des touffes qui avaient de 15 à 25 chaumes à raison de 7 à 8 paires de groupes d’épillets par épi et 3 grains par groupe d’épillets, soit 60 grains par épi. Cette quantité est tout à fait exceptionnelle, car les épis à 15 et 20 grains sont les plus nombreux. De même, dans les carrés qui n’ont pas été replantés, les touffes sont très fournies sur les bords des carrés ou des allées, tandis qu’à l’intérieur il n’y a ordinairement que de 1 à 3 chaumes par pied. Les touffes repiquées sont un peu plus avancées comme maturité. Elles sont distantes de 0 m. 15 à 0 m. 20 ; les feuilles sont encore très vigoureuses. Ces blés sont arrosés deux fois par jour. Le sol lui-même est très humide. M. Gilium a fait creuser des rigoles pour faire écouler l’eau. L’indigène qui soigne ce blé et qui le cultivait avant l’arrivée de M. Gilium, prétendait qu’en drainant ainsi, on empêcherait le blé de pousser. Il se trompait, car là où les pieds sont au fond des rigoles, ils ont des souches bien plus fournies. C’est probablement l’excès d’humidité qui est cause de ce beau développement. M. Gilium a fait aussi des essais de blé de graines d’Algérie et d’Espagne. Ils n’ont pas réussi. Il est vrai que les ensemencements avaient été faits tard. Les souches se sont bien développées ; les chaumes sont nombreux et les feuilles abondantes, mais ils ne sont pas montés, et les feuilles sont plutôt retombantes.
Les autres cultures de M. Gilium sont prospères. Je remarque des petits pois et des haricots nains chargés de gousses. Il est à noter que tous les légumes de France cultivés au Soudan ont une taille bien plus petite que dans les pays tempérés. Cela tiendrait-il à la sécheresse qu’ils endurent au milieu du jour ? On les arrose généralement matin et soir dans les jardins des postes, mais l’arrosage, pratiqué après 8 heures du matin, aurait pour résultat de brûler les feuilles et pourrait même tuer en quelques jours de jeunes semis, tant est grande l’évaporation. Les choux, les laitues, les asperges de France sont semés en ce moment. L’asperge indigène ne vaudrait rien. Les laitues et les chicorées montent très vite. Les choux-fleurs réussissent à condition qu’on les couvre avec des feuilles dès qu’ils commencent à se développer. Les melons réussissent également, mais il faut les envelopper avant leur maturité. Cette précaution leur permet de mieux mûrir et empêche un ver de s’y mettre.
Une cressonnière est établie sur le bord du ruisseau. Le cresson se présente toujours sous la forme à petites feuilles de France (var. microphylla). Il réussit admirablement à condition qu’il y ait toujours de l’eau copieusement. En plusieurs points de la ligne des convois, on utilise les voitures Lefèvre hors de service pour faire des cressonnières en les remplissant de terreau et en y versant deux ou trois seaux d’eau chaque matin. Au bord du fleuve on exploite les coquilles d’une huître d’eau douce, du genre Etheria, pour la fabrication de la chaux.
Parmi les plantes que je remarque au bord du Niger se trouve le Polygonum amphybium L.
Langana.
24 janvier. — Nous nous arrêtons sur un immense banc de sable large de 1.500 mètres environ. A l’opposé du rivage se trouvent des mares et un marigot que l’on peut contourner. Le village de Langana est à 7 kilomètres. Le chef envoie du dolo, boisson fermentée faite avec le mil, de couleur blond blanchâtre ; elle a le goût du poiré fermenté avec une arrière-saveur désagréable de mil. Au bord du fleuve, il n’y a généralement aucune végétation sur les bancs de sable mobile et fin. Les vagues y dessinent des ondulations et de petits moutonnements comme sur les bords de la mer. Çà et là, à sa surface, se trouve une sauterelle grise, de couleur identique au sable.
Il y a seulement quelques traces de végétation au bord du marigot et des mares, des herbes très courtes formant de fins tapis verts (G. miliaeum Raddi = G. gracillimum Perr.). Sur les bancs de sable, je récolte un minuscule Gnaphalium à tiges blanches cotonneuses, hautes de 1 à 5 centimètres, à fleurs d’un blanc jaunâtre, il est mêlé de petits Cyperus formant des touffes de 3 à 4 centimètres de largeur. Sur le bord du marigot se trouvent quelques touffes de saules (Salix Safsaf Forsk.) et la Papilionacée à très longues gousses, à fleurs assez grandes, pendantes, jaunes intérieurement, maculées de brun extérieurement. Des bosquets épais bordent les deux rives du fleuve, là où les sables ne s’avancent pas au loin dans les terres. Au point où nous nous arrêtons, la laissée de sable est très étroite, l’eau vient à quelques mètres seulement des bords escarpés, boisés et vaseux. Je rencontre des Saules et des Légumineuses. Les grands bosquets s’étendant à l’intérieur des terres ont disparu et sont remplacés par de vastes savanes de Graminées sèches appartenant surtout au genre Andropogon. Les buissons n’apparaissent que de très loin en très loin et sont constitués surtout par des Nauclea inermis Baill. Quelques arbres en fleurs se trouvent sur les talus escarpés. Dans une petite crique, je remarque un entassement de gros blocs de rochers. Ils sont creusés de cuvettes, en partie découvertes. Au large, à côté du Niger, se trouvent des tourbillons et des fosses creusées par l’action du fleuve ainsi que des bancs d’Etheria dont les coquilles sont toutes vides.
Kangaba.
25 janvier. — Sur les bords du fleuve, et parfois au milieu, se trouvent de larges bancs de sable ; au delà un cordon de bois épais formant galerie, puis la brousse. Nous passons au confluent du Sankarani. A cet endroit, le fleuve est assez profond. Ses bords et ceux de la rivière sont très boisés. De grandes touffes de saules trempent leurs rameaux dans l’eau.
Le village des Somonos de Kangaba est situé sur un petit monticule au bord du fleuve. Sur la rive, nous trouvons en train de sécher des paquets d’une espèce d’Hibiscus connue des indigènes sous le nom de da (bambaras et malinkès). C’est le chanvre d’Afrique (Hibiscus cannabinus L.) spontané en Sénégambie. Il est cultivé comme textile par les indigènes et atteint de 1 mètre à 1 m. 50 de hauteur. On lie les tiges en paquets gros comme deux fois le bras et on les fait rouir dans le Niger, puis sécher au soleil. Lorsque les feuilles sont tombées, les fruits avec leurs graines mûres adhèrent encore à la tige. On décortique ensuite la plante à la main, sans briser la partie ligneuse de la tige, utilisée comme combustible. Dans le village il y a deux beaux pieds de banan (Eriodendron anfractuosum D. C.) ayant perdu à peu près toutes leurs feuilles. Ils laissent pendre leurs fruits analogues à ceux des Bombax. Derrière les maisons se trouvent quelques carrés d’une plante potagère cultivée par les femmes indigènes. Elle vient d’être semée. Cette plante appelée boron (malinké) est mangée en couscous par les indigènes. C’est une espèce d’Amarante, vraisemblablement une variété de l’Amaranthus caudatus L. A la sortie du village, nous traversons un petit marigot presque desséché, puis à un quart d’heure de là, des champs de mil récolté.
Le village malinké de Kangaba est à 2 ou 3 kilomètres du village des Somonos. Il est précédé d’une dépression marécageuse, utilisée chaque année, pour la culture du riz. Ce riz est récolté, mais la base des chaumes reste encore debout. Kangaba est un village ruiné, autrefois très important. Il existe encore un vaste carré entouré de murs de la tata, où toutes les cases sont démolies. J’aperçois quatre dattiers. Ce sont les premiers que je rencontre au Soudan. Les régimes ne font que commencer à se développer. Il y a, en outre, autour du village quelques petits Baobabs mutilés presque réduits à l’axe formé par le tronc. Chaque année on coupe les jeunes rameaux feuillés pour les manger dans le couscous et la plante se développe avec peine. Le tabac est très beau. Il appartient à l’espèce Nicotiana rustica L. Les pieds sont hauts de 0 m. 80 à 1 mètre. Ceux qui sont cultivés à l’ombre des arbres sont beaucoup plus robustes.
Le chef du village est de grande taille et couvert de bijoux ; boucles d’oreilles en or, énormes colliers au cou, aux bras, aux pieds et dans les cheveux. Son frère et ses fils viennent nous saluer. Ce sont de forts beaux types aux traits très réguliers, aux yeux vifs, au teint noir bronzé. C’est, paraît-il, le type malinké très pur.
Koundian.
16 février. — De Kouroussa à Koundian, la brousse est épaisse. Quelques kobis (Carapa Touloucouna Guill. et Perr.) se trouvent au bord du marigot au delà du village de Moussaïa. Le Karité est absent ou très rare. Une Légumineuse à fleur jaune odorante est très abondante. Je remarque de jolis Ipomaea à corolles jaunes et d’autres espèces à fleurs roses et pourpres. Les lianes sont assez communes, mais le goïn (liane à caoutchouc) est plus rare que précédemment. Il y en a de gros troncs au bord de la route qui présentent des incisions. Un arbuste à fruit jaune comme l’orange est assez commun : c’est le Strychnos innocua Delile. Le bouré comestible est en fleurs et couvert de jeunes feuilles complètement épanouies. Il semble identique au Gardenia Thunbergia L. fils, ou voisin de cette espèce. D’autres individus sont entièrement dépourvus de feuilles et possèdent leurs petits fruits jaune pâle mûrs.
Le grand bouré est dépourvu de feuilles ; ses fruits tombent. C’est une espèce très voisine de la précédente, mais bien différente, à peine de la grosseur d’une poire, à mésocarpe ligneux non comestible, mais servant à fabriquer des cendres dont la lessive est employée pour la fabrication du savon indigène.
On traverse un marigot asséché avec des bambous et de nombreux palmiers. Je remarque au bord la Mélastomacée à grandes fleurs pourpres de Sicoro, une petite Papilionacée à fleurs roses et près du sentier une Labiée à fleurs blanches inodores. Le fond asséché du marigot est nu et couvert de terre floconneuse rougeâtre. J’aperçois des n’tabas, des sômons, communs dans la brousse et un Bassia. A l’entrée du village se trouvent de nombreux exemplaires de la Bignoniacée de Kouroussa, en pleine floraison. A 100 mètres du village, le griot avec un balafon, accompagné de deux acolytes portant également cet instrument, donnent un grand tamtam à mon arrivée, accompagnés des moussos (femmes) et bilacoros tous munis d’instruments de musique. Je suis bien accueilli par le chef du village. Koundian est un petit village qui paraît assez pauvre. J’y remarque des plants de bananiers, des papayers, quelques baobabs, des jardins plantés de diabas (échalottes). Au milieu se développent les pousses d’un Canna qui est commun alentour. Un Baobab relativement jeune est décortiqué à la base du tronc sur une longueur d’un mètre ; les fibres sont jetées au pied. On les laisse ainsi sécher quelque temps avant de les utiliser pour faire des cordages. Sur la partie décortiquée suinte une sorte de mucilage blanchâtre, gluant, ayant l’aspect de la résine, mais inodore.
Nono.
20 février. — C’est un grand village ruiné par le siège des Français. Il occupe encore une dizaine d’hectares d’étendue, mais les cases sont éloignées et dispersées. On trouve des cultures autour du village, des manguiers, des papayers en grand nombre, des orangers, des citronniers, des dattiers. Pour y venir, on traverse d’abord un petit marigot au sortir de Diendenia ; un peu plus loin, on passe la rivière Bagué presque à sec. Sur les bords, les femmes cultivent des oignons et du tabac. Les jeunes semis sont arrosés fréquemment. Je traverse Morigueya où je rencontre quelques lianes goïn (Landolphia Heudelotii D. C.). Les papayers sont nombreux dans le village.
De Sanguiana à Moussaïa.
23 février. — Le pays est toujours fort boisé ; on traverse à diverses reprises des bois de sô et de sanan. Les colocolo sont très communs partout sous forme de petits buissons à feuillage rougeâtre. J’ai aperçu aussi des sômons. Partout la brousse est en pleine végétation. De toutes parts, des pousses sortent du sol et épanouissent leurs jeunes feuilles puis leurs fleurs.
A quoi attribuer ce renouveau qui paraît avoir commencé vers le 1er janvier ? La température et le climat ne peuvent l’expliquer. Le sol est sec à plusieurs pieds de profondeur. Les nuits sont, il est vrai, un peu plus fraîches dans les vallées ; la rosée, le matin, est abondante, surtout sur les Graminées.
Les feuilles sensibles sont très nombreuses dans la brousse, surtout à cette époque de l’année, alors qu’elles sont jeunes ; la nuit surtout, la plupart des Légumineuses laissent pendre leurs folioles et dès le soir, ces feuilles endormies donnent au port des arbres et à l’aspect du paysage, une allure bien différente de celle qu’il aura pendant la journée, au grand soleil.
Les plantes qui fleurissent maintenant, en général, ont des feuilles développées avant les fleurs. Cependant on trouve fréquemment, pour la même espèce, des arbres en feuilles (de l’année précédente) sans fleurs, des arbres dépouillés de feuilles mais fleuris, enfin des arbres couverts de fleurs et de jeunes feuilles. Après une heure de marche environ, nous arrivons dans une région où se trouvent des cases complètement détruites. La brousse a déjà envahi tout l’emplacement. C’est, paraît-il, un village détruit par Samory. Je trouve à côté quelques exemplaires de tingué en fleurs et fruits. Cet arbuste est le Cordia Myxa L. non spontané, mais naturalisé aux alentours des villages de la boucle du Niger. Il n’est pas rare de rencontrer de jeunes baobabs dans la brousse, aux points où se trouvent des restes de cases.
De Kankan à Bougouni par Falama et Iantola.
A la sortie du village de Kankan et dans tous les alentours, quelques beaux banans sont en train d’ouvrir leurs capsules pleines d’une bourre moins soyeuse que celle du boumou (Bombax Buonopozense Beauv.).
La région entourant Kankan constitue une plaine assez vaste limitée d’un côté par le Milo qui, sur l’autre rive, est bordé de hauteurs. Cette plaine de Kankan est fort nue à cette époque de l’année. Il y a très peu d’arbres dans la brousse. De loin en loin on aperçoit la grande Euphorbe cactiforme formant des touffes impénétrables. Je rencontre pour la première fois, en fleurs, un petit Acacia à tiges cendrées, à fleurs blanches, très odorantes.
Quelques marigots en terrain plat (plutôt des mares) sont près du sentier. Les bords en sont envahis par un Jussieua avec ses racines blanc d’ivoire, faisant saillie hors de l’eau, à pointe tournée vers le haut.
A 1 kilomètre à peine de Kerfamouria, on traverse un marigot dont les bords sont occupés par plusieurs arbres intéressants en fleurs. Le village de Kerfamouria est assez important, tous les habitants sont musulmans. La mosquée, pittoresque, est surmontée de chapiteaux emboités. Ce sont simplement des termitières construites sur les plateaux ferrugineux par le Termes mordax (d’après Schweinfurth) et qui forment ici des motifs de décoration très remarquables. Le village est environné, de toutes parts, par la grande Euphorbe cactiforme qui sert même à faire des clôtures.
A l’intérieur du village, je remarque de beaux orangers chargés de fruits, des papayers, quelques bananiers, de jeunes pieds de sounsoun (Spondias dubia Guil. et Perr.). Entre Kerfamouria et Foucé, le lougan est assez étendu et contient des cultures de mil, de manioc et de coton.
Foucé.
20 mars. — Les orangers sont ici de haute taille, formant de véritables arbres de 10 mètres de haut. Les fruits sont déjà enlevés. Le sounsoun n’est pas encore en fleurs. Le village est assez important. De Foucé à Diangana on marche dans la brousse ; le terrain est uniforme. Les ntés sont très abondants ; les fruits pendent en longues grappes ; quelques-uns commencent à mûrir. Ils sont de la grosseur et de la couleur d’une grosse prune reine-claude. A côté se trouvent des sés encore en fleurs. De Kankan à Diangana, le saba est commun. La liane est en pleine végétation ; certains rameaux sont en fleurs, d’autres sont chargés de fruits en train de mûrir. Tous ont revêtu leurs jeunes feuilles.
J’observe sur la route un Ficus dont les feuilles sont tombées. Il est surmonté d’un autre Ficus de la même espèce, déjà grand, qui s’est développé sur le tronc du premier. Il est en pleine végétation, couvert de feuilles et de figues. Ses racines descendent en faisceaux le long du tronc du gros Ficus et l’emboîtent. La liane goïn est assez commune ; les arbustes sont couverts d’incisions ; les fruits vont bientôt mûrir. Le chef du village de Diangana nous fait un bon accueil. Les habitants sont tous musulmans. J’observe dans le village des papayers, des dattiers et quelques orangers.
Guirila et Koba.
21 mars. — De Diangana à Guirila, la route est monotone. On trouve une ou deux montées ferrugineuses assez raides ; les pierres sont couvertes de mousses. A Diangana, les orangers sont nombreux et portent des fruits. Je remarque aussi des dattiers et des pommiers d’acajou (Anacardium occidentale Gærtn.). A l’entrée et à la sortie du village, j’aperçois des trophées de cornes de bœufs et d’antilopes et sur le trophée de sortie, une tête énorme de caïman. En sortant du village, nous passons le Milo, presque à sec. Sur les bords on cultive du diéfa diaba (Tephrosia Vogelii Hook.). Sur une longueur de 6 à 8 kilomètres, on parcourt une région, envahie par la brousse, et couverte de plateaux ferrugineux où le goïn est assez commun. Je remarque aussi le colocolo en fleurs, assez commun, une Ombellifère, une Euphorbiacée. On rencontre un village de cultures et plusieurs autres entièrement détruits et abandonnés. Tous les villages détruits par Samory se retrouvent, dans la brousse, marqués par les baobabs qui croissent sur l’emplacement abandonné. A notre arrivée au village de Koba, nous trouvons les notables qui nous attendent sur le chemin. Koba est encore un village presque ruiné qui paraît avoir eu autrefois une importance assez grande si on en juge par l’emplacement des cases détruites. On y cultive le mil, le maïs. Le diefa-diaba est très commun ; le coton n’est pas rare.
J’aperçois des plantes de jeunes orangers, quelques bananiers, des papayers et des pommiers d’acajou non encore fleuris.
Maréna et Faralako.
24 mars. — La route que nous suivons au départ de Komana n’est pas très pittoresque. On traverse un marigot à 1 kilomètre environ de Komana.
La liane goïn est assez abondante. Les chercheurs de caoutchouc, en beaucoup d’endroits, ont fait tomber les lianes des arbres qui leur servent de support. L’extrémité en est ordinairement morte, desséchée. Sur chaque segment compris entre deux entailles, un bourgeon dressé donnant un jeune rameau vigoureux s’est développé.
Le couroumalé (Landolphia amœna Hua) est assez commun.
Les villages de Maréna et de Marenakoro sont à une distance de 300 mètres l’un de l’autre. A Marena je trouve un Kolatier assez vigoureux, sans fruits. Au pied se trouve un carré d’ananas actuellement en fleurs.
Pour arriver au prochain village, il faut traverser un marigot, très profondément encaissé, bordé d’une épaisse verdure. Ce passage s’effectue sur un pont de branches, suspendues dans les lianes, assujetties tant bien que mal avec des rubans d’écorces. Le village de Marenakoro est pauvre. J’y goûte, pour la première fois au Soudan, d’exquis hydromel (ledolo). On le fabrique de la façon suivante : dans un canari on verse du miel resté presque toujours mélangé à la cire. On y ajoute deux cinquièmes d’eau environ. On chauffe et on laisse fermenter pendant trois jours. La fermentation se fait à gros bouillons avec une écume abondante.
Maréna, d’après les indigènes, appartiendrait déjà au Ouassoulou. Le village est entouré d’un lougan assez vaste où le cotonnier est très abondant. On y trouve aussi, en grande quantité, le fafetone (Calotropis procera Ait.) qui me paraît avoir été introduit là, parce qu’on ne le rencontre que dans le lougan autour des villages. A 8 kilomètres de Maréna, on traverse un marigot étroit, à sec, mais bordé d’un large ruban de verdure. De ce point jusqu’à Morodiana, le sentier longe une clairière herbeuse, marécageuse, qui doit être fréquentée par les éléphants. Elle répand actuellement une odeur infecte due à l’assèchement survenu après les pluies d’il y a quinze jours.
Nous arrivons à l’emplacement de Morodiana dont il ne reste plus que quelques pans de cases. La brousse a déjà envahi cet emplacement où j’ai récolté une jolie Orchidée à bulbe (Lissochilus ?). Morodiana est entouré de puits creusés dans une sorte de gravier rougeâtre, finement caillouteux, ressemblant aux graviers des plateaux ferrugineux mais en différant par des éléments également rougeâtres, roulés plus fins et associés à de petits morceaux anguleux de quartz blanc laiteux. C’est dans ce terrain qu’on rencontre des paillettes d’or. Il existe aussi, parmi ce gravier, des morceaux de roche compacte, noire, analogue aux schistes, et de la grosseur du poing. Cette dépression représente donc une cuvette d’alluvions arrachés aux massifs environnants. Au delà du village, se trouvent de profondes tranchées, remplies d’eau et de vase où croissent des plantes aquatiques (Nymphæa caerulea Savign.-faux irafua). Ces tranchées qui communiquent avec la dépression herbeuse signalée plus haut, ont évidemment été creusées autrefois pour la recherche de l’or.
Le chef du village de Faralako m’apprend que l’on connaissait l’or dans tout le pays avoisinant avant le passage de Samory. Depuis on n’en recueille plus. Le pays est presque désert, les cultures sont abandonnées. C’est à peine si les quelques survivants peuvent faire venir le mil nécessaire à leur subsistance. Le lougan entourant le village est grand. On y trouve : le manioc, le cotonnier et quelques jeunes papayers.
Falama.
24 mars. — Ce village est complètement détruit mais il a eu autrefois une assez grande importance. Il était entouré d’une tata dont les pans subsistent. Il y a environ une dizaine de cases habitées. Autrefois il y en a eu deux cents. Rien ne peut donner une impression plus triste que la vie de tous ces villages aujourd’hui anéantis. Ils se succèdent sans arrêts depuis plusieurs jours, et l’emplacement de plusieurs est impossible à retrouver, la brousse ayant recouvert les derniers vestiges des cases.
A une demi-heure de là, on traverse la rivière Sankarani appelée par les indigènes Yorobaradan. Elle est presque aussi large et profonde que le Milo et encombrée de bancs de sable dans lesquels on a fraîchement creusé des excavations qui paraissent avoir été faites pour chercher de l’or. Le fleuve est poissonneux. Il est bordé de cultures de diefa-diaba et de l’arbre à fleurs jaunes des bords du Niger (Pterocarpus esculentus Schum. et Th.). Il faut une heure pour se rendre de Sankarani à Falama.
Je rencontre au bord du sentier les restes saignants d’une antilope, reliefs certains d’un repas de fauve, probablement d’une panthère, animal très commun dans le pays. Le village de Falama a été détruit par les sofas de Samory. Le chef actuel et son fils sont atteints d’une sorte de lèpre rongeante. Le corps et les membres sont couverts de plaies ou de cicatrices. Les mains sont réduites à des moignons. Les premières articulations des doigts ont disparu. Ils viennent me demander du cognac et de l’absinthe persuadés que l’alcool les guérira.
La récolte du mil a été anéantie par les sauterelles. Les épis sont secs et vides ; les chaumes desséchés sont restés dans les lougans. Comme un fléau ne marche jamais sans l’autre, les rats sont extrêmement abondants. Il y en a des légions qui viennent sous ma table dehors, pendant le dîner, pour ramasser les miettes de pain. Le fafetone existe dans les lougans. Il est appelé tintogola. Les habitants mettent du latex de tintogola dans les trous où ils sèment chaque graine d’arachide pour que la plante vienne mieux (?). J’ai vu dans le village un pied de ricin jeune et un pied de Solanum à épines et grosses baies jaunes. La liane goïn est assez commune autour du village ; le chef a des boules de caoutchouc dans sa case. Il se plaint des gens de Kankan et de Kouroussa qui viennent ramasser cette substance jusqu’aux alentours des lougans.
Toukoro et Damélara.
25 mars. — Nous partons de Faralatro à une heure du matin. Pendant tout le trajet de nuit, des bandes de perdrix partent des bords du sentier. Parfois un gros oiseau de proie s’échappe avec un grand bruit d’ailes. Avant le lever du soleil, des oiseaux trompettes (Balearica pavonina) se font entendre. A 3 kilomètres de Faralatro, on traverse une région couverte de puits destinés à la recherche de l’or. On retrouve des puits semblables avant d’arriver à Toukoro.
Nous traversons Gonko dont il ne reste plus guère trace. Vers 5 heures et demie nous rencontrons de nombreuses et pittoresques montées riches en goïn. Plus loin, on traverse un marigot assez important, rempli d’eau claire, tout bordé de grands cosos (Berlinia) dont les belles grappes de fleurs blanches poudrent agréablement la végétation verdoyante des bords du marigot. Le coso (Berlinia acuminata Soland.) est certainement l’un des plus beaux arbres de ces contrées quand il est en fleurs. Les grappes formées de grandes corolles blanches parfumées forment d’immenses traînées le long des ruisseaux. Plus tard elles laissent pendre de larges gousses aplaties, veloutées et couleur de vieux bronze. Le tronc laisse exsuder une espèce de gomme copal qui n’est pas exploitée.
Une demi-heure après, j’arrive au village ruiné de Toukoro. Deux cases ont été récemment édifiées et sont habitées par une famille de pêcheurs. Une mousso (femme) est en train d’enfumer des poissons par un procédé fort primitif. Le gril haut de 50 centimètres a été établi avec quatre piquets fourchus sur lesquels sont disposées des baguettes de nété formant toit. Là-dessus sont placés les poissons ouverts et vidés. On fait du feu au-dessous. Les cases sont entourées de cotonniers et de cultures de mil. A la sortie du village, on traverse un marigot boueux rempli de Canna, de joncs (Maya des Bambaras) de Cladium et d’une infinité de Cypéracées. Il est bordé d’arbustes parmi lesquels, je remarque le niago (malinké), le diagou (bambara), le coguira.
Le tomboro (Zizyphus Jujuba Lamk.) reparaît mais ne semble exister que près de l’emplacement des anciens villages où il aurait été planté. Je rencontre plusieurs villages détruits et des lougans très vastes abandonnés tout le long du chemin. Les lianes goïn çà et là sont saignées. Le saba présente partout une deuxième période de végétation ; les rameaux inférieurs anciens sont chargés de fruits non encore mûrs ; les jeunes rameaux sont couverts de feuilles d’un beau vert tendre et chargés de fleurs. Les nétés sont très abondants ; ce sont avec les manans (Lophira alata Banks.), les ntabas (Cola cordifolia Benn.), les sanans (Daniella thurifera Benn.), les arbres dominants de la région.
Le Cassytha guineensis Schum. et Thönn., rencontré déjà aux environs de Bammako et de Kouroussa, est commun ici et couvre la plupart des buissons de ses tiges fauves, filamenteuses.
Les singans sont toujours en fleurs. Leur floraison dure fort longtemps, car déjà en décembre ils s’épanouissaient sur la ligne des convois. La maturité des fruits de manans est complète ; ils tombent et quelques femmes en font provision afin d’utiliser la graisse pour la fabrication du savon indigène.
Une butte dénudée, cultivée, précède le village de Ouassana. Elle paraît servir à faire les cultures durant la saison hivernale. Un épais buisson de l’Euphorbe de Kankan existe sur cette butte.
Ouassana est au fond d’une cuvette qui doit être très humide durant l’hivernage. J’ai remarqué dans le village des oignons, du boron et du n’goyo (Solanum Pierreanum Paill. et Bois). Les cotonniers sont cultivés dans la région. Nous partons pour Danéla ; il faut environ une heure et demie de marche pour s’y rendre. Sur le chemin, d’énormes baobabs dont les bourgeons commencent à s’épanouir, marquent l’emplacement d’anciens villages. Nous arrivons à Ouassana qui paraît avoir été très grand et qui, aujourd’hui, est réduit à une trentaine de cases dispersées dans une plaine vaste et nue, mais autrefois couverte de cases à en juger par l’étendue des restes de la tata. A côté de ma case, se trouve un grand kobo et tout près un palmier ban.
Les moussos, à cette époque de l’année, sont occupées à piler les fruits de manan (Lophira alata Banks), pour la fabrication de leur savon. Elles vont dans la brousse remplir de grandes calebasses de ces fruits ailés qu’elles cueillent sous les arbres d’où ils se détachent eux-mêmes, après avoir bruni ou roussi, signe de leur maturité. Ces fruits sont d’abord écossés par les femmes et les enfants ; l’enveloppe du fruit se brise facilement d’elle-même, sous la pression des doigts, comme les fruits d’arachides. L’amande blanche avec l’indication très nette de la petite plantule et de deux cotylédons est de la grosseur d’une amande de petite noisette et de la même forme. Ces amandes à amertume très prononcée seraient un poison d’après les indigènes. On les réunit dans un pilon à couscous où on les soumet à un premier écrasement. La poudre résultant de cette opération, qui présente encore des morceaux non écrasés de la grosseur d’un noyau de cerise est étendue sur des nattes au soleil, pour sécher. On écrase de nouveau la pulpe au pilon une deuxième, puis une troisième fois. La poudre impalpable qui en résulte est ensuite placée dans des canaris (marmites en terre) avec de l’eau qu’on porte à l’ébullition. Pendant ce temps, on remue constamment le mélange avec des feuilles de manan ou de pimpérimané fira, ce qui a pour effet d’amener la matière grasse à la surface. On n’a plus ensuite qu’à la recueillir. Cette graisse n’est pas bonne pour l’alimentation en raison de son amertume.
Un chasseur de biches du village est rentré ce matin après avoir tué un coba (Antilope orcas). Cet animal est énorme ; il a été dépecé dans la brousse. Quatre individus portent chacun un quartier de l’animal, un cinquième porte la peau, le sixième porte la tête surmontée d’une paire de cornes arquées avec de nombreux anneaux en relief. Ces cornes ont environ 70 centimètres de longueur. J’en ai vu qui avaient plus d’un mètre de long.
Le dougoutigui m’offre un gigot ; le reste sera partagé entre les hommes du village et les porteurs.
Le chasseur me dit que les éléphants existent dans la brousse à trois jours du village. Ils ne viennent jamais dans les cultures. Il en a aperçu d’énormes. On n’ose pas les chasser dans le village. Les panthères sont aussi communes : elles ne viennent pas autour des habitations ; on ne les tire pas non plus.
Un dioula maure parti depuis un mois et demi de Siguiri, est de passage ici et il se dirige vers Odjenné. Il achète dans les villages (à l’aide de quatre porteurs) des boules de caoutchouc contre du sel de la Guinée, des kolas, de la toile, mais la plainte d’une femme m’a révélé qu’il trafiquait surtout des captifs et qu’il est venu en réalité, comme beaucoup de ses compatriotes, razzier les malheureux Bambaras que Samory traînait à sa suite et qui regagnent en ce moment leur village natal.
Près du village, je remarque un palmier ban en fruits. Le fond de la végétation du marais qui l’environne est formé par une Composée à feuilles charnues et à fleurs jaunes. J’ai remarqué aussi dans les parties les plus humides un Marsilea qui croît spécialement autour des trous remplis d’eau. Je rencontre de fortes touffes de Graminées formant des monticules analogues à ceux qui sont produits par Carex paniculata L. et paradoxa Benth. en France ; entre ces touffes, croît une plante à fleurs jaunes récoltée au bord des marigots dans la région des convois, ainsi que deux Labiées. On rencontre aussi une Cypéracée en fleurs analogue à Cladium Mariscus R. Br., deux Cyperus et tout un champ de Marantacées. Il existe, en outre, une mare contenant des Nymphæa, ainsi que le Pontederia natans Beauv. à fleurs bleues, etc.
Le coguira en fruits est très abondant au bord de cette mare. A la limite des marais, mais sur un terrain sec, inondé peut-être durant l’hivernage, croissent de nombreuses Cypéracées à fleurs groupées en capitules blancs.
Les jardins indigènes contiennent des oignons, l’aubergine indigène (Solanum Pierreanum Paill. et Bois), le dabé, les calebasses qui commencent à pousser.
Près des mares, à côté du village, une excavation laisse voir plusieurs blocs énormes se désagrégeant à la surface, de granit à feldspath, teinté en rouge par l’oxyde de fer, analogues à certains granits de Normandie. L’excavation a été probablement creusée pour la recherche de l’or.
Des traces de ces terres granitiques se retrouvent dans le pays, quoique la prédominance appartienne toujours au sol ferrugineux et à l’argile cendrée d’alluvion.
J’ai récolté dans le lougan une petite Euphorbiacée, le Croton lobatum L. qui croît en abondance dans tous les terrains cultivés et serait, au dire des indigènes de la Côte d’Ivoire, un poison très violent (d’après M. Thoiré).
Iantola.
28 mars. — Partis de grand matin, nous arrivons au petit jour au bord du fleuve. Il est assez étroit et peu profond, du moins au gué. Sur le sable, il y a des légions de petites fourmis noires, formant une colonne serrée très longue.
Les fruits du Ximenia, semblables à de petites prunes mirabelles, sont toujours très abondants et en pleine maturité. Ils ont une saveur aigrelette très agréable, et les indigènes en cueillent tout le long du chemin.
A environ 2 ou 3 kilomètres de Iantola, on arrive sur l’emplacement d’un très vaste village détruit ; la brousse a réenvahi le terrain où s’élevaient les cases.
A partir de là, sur un plateau ferrugineux étendu, la liane goïn et le saba sont communs et saignés depuis longtemps. J’ai vu aussi le Strophantus sarmentosus D. C. encore en fleurs.
Le singan (Cassia Sieberiana D. C.) à fleurs jaunes est très commun aussi dans les bosquets ; les fleurs commencent à tomber.
Le village de Iantola est situé dans une vaste plaine de 150 à 200 hectares d’étendue, paraissant fertile. C’est l’emplacement d’un très grand village détruit. Des restes de cases et des baobabs dispersés dans cette plaine l’indiquent. Sur ce terrain croît le fafetone qui n’atteint ici que 0 m. 80 de hauteur et dont la tige est herbacée sur toute sa longueur. Il est actuellement chargé de fleurs et de fruits non mûrs.
Ce village de Iantola conviendrait bien pour une exploitation caoutchoutière par suite de l’étendue des terrains cultivables entourant le village.
Un marigot situé à 30 mètres à l’Est du village contient encore beaucoup d’eau claire et en retirant la vase, on pourrait en accumuler beaucoup. Il serait facile d’irriguer toute la plaine cultivable ; de plus le marigot est bordé d’une bande étroite de terres noires d’alluvions, très propre aux cultures potagères et aux semis. La plaine pourrait être élargie par des déboisements. Elle est entourée de coteaux ferrugineux élevés, très propres à la multiplication du goïn. Il en existe déjà beaucoup à travers la brousse.
Les bornes pourraient être faites par le fleuve et par le premier marigot qui coupe le chemin allant sur Dieguénikalana. Il ne faut pas perdre de vue que le Balé (grossi du Sankarani) est probablement navigable durant l’hivernage et va se jeter dans le Niger à mi-chemin de Siguiri et Bammako.
La flore des bords du marigot est riche, le Ceratopteris croît dans l’eau aux endroits ombragés. On cultive dans cette région le n’yaron (aubergine), les oignons, le boron.
Diéguénikalana et Kéméné.
29 mars. — A partir de Iantola, on suit le chemin de Siguiri à Bougouni, large et bien entretenu.
Dans la nuit, après 3 kilomètres de marche, je remarque des excavations sur les bords ; elles ont peut-être servi à faire des recherches d’or. Au lever du jour nous passons un marigot : une bande de biches s’enfuit à notre approche.
Je traverse Bounonko, après une heure et demie de marche. C’est un grand village, détruit en partie. Il ne reste plus que quelques cases et des pans de tata.
En dehors du village, le dougoutiguia fait construire trois cases rapprochées, aidé des habitants des villages voisins, pour recevoir les Européens à leur passage (ordre du Commandant).
Diéguénikalana où je déjeune est un pauvre village très réduit. Au milieu de la plaine où travaille un tisserand, il y a seulement un gouin (Pterocarpus erinaceus Lamk.) actuellement en fruits, donnant très peu d’ombrage. Dans le lougan, je remarque des traces de cultures de coton, de diefa-diaba pour prendre les poissons, des indigotiers. J’observe aussi un pied de ricin.
J’aperçois, pour la première fois, en train de sécher sur une case, dans une petite calebasse tressée avec des roseaux, des feuilles de ouo ou de gouo, trouvé le lendemain à Ténétou en fleurs. Ce ouo (Zanthoxylum senegalense D. C.) après avoir été réduit en poudre est mis dans les sauces fabriquées par les moussos pour parfumer le couscous. J’observe aussi, et de même pour la première fois, des femmes en train d’écosser des fruits de diala (caïlcedrat) pour la fabrication du savon.
Dans la case de mon hôte, il y a, suspendues ou placées sous les traverses qui supportent le toit, diverses choses bizarres : plumes de différents oiseaux, notamment fragments de plumes d’autruches, coquilles d’anodontes du fleuve, une carapace de tortue de 10 à 15 centimètres de diamètre. Cette tortue appelée Sora se mange, paraît-il.
A deux heures, je me mets en route, pour Kéméné où j’arrive le soir à la tombée de la nuit.
Sur la route, j’ai récolté une petite Labiée assez odorante et j’ai vu en fleurs le Terminalia macroptera Guill. et Perr., arbre à grandes feuilles ovales et glaucescentes.
Je n’ai rien vu de notable à Kéméné, où je suis arrivé et reparti de nuit. Le chef du village me dit que les hyènes et les panthères viennent fréquemment dans les environs, la nuit.
Faradialé et Souloula.
31 mars. — Au village de Faradialé, je revois le Strophantus de Banan. Nous rencontrons une caravane de dioulas, composée d’une vingtaine de porteurs, chargés de barres de sel.
Le village de Souloula est composé de plusieurs groupes de cases fort distants les uns des autres ; un seul, celui du chef, est entouré d’un reste de tata. Autour du puits est le jonc à rhizome odorant déjà signalé. J’ai remarqué des nétés mûrs. En dehors du village, tout près du tata, se trouve une Euphorbe cactiforme qui produit une douleur très vive, pouvant durer plusieurs heures, sur toutes les muqueuses mais surtout sur les yeux. L’arbuste est couvert d’incisions ; il est donc probablement utilisé par les indigènes.
Sur un petit coteau ferrugineux qui avoisine le village, croissent quelques touffes de goïn. Elles ont été saignées récemment pour la première fois.
Il y a seulement 10 kilomètres de Souloula à Bougouni. Le chemin est bordé de yoros, jolis arbustes de la famille des Polygalées (Securidaca longepedunculata Fres), à fleurs pourpres, rappelant l’arbre de Judée. J’ai rencontré aussi l’orchidée tuberculeuse, le sinia, et une très curieuse Aroïdée (Amorphophallus). Je remarque que les karités n’ont pas tous des fruits. Dans quelques-uns, les traces des fleurs persistent encore, avortées. Dans d’autres, il y a seulement quelques fruits çà et là bien que l’arbuste soit adulte. Enfin certains arbres sont chargés de fruits ; il en naît plusieurs à chaque inflorescence.
On aperçoit le poste de Bougouni à deux ou trois kilomètres de distance. Ce poste occupe une situation pittoresque. Il est bâti à l’extrémité d’une colline ferrugineuse qui après avoir décrit une courbe ouverte vers le Baoulé, encadrant le village, vient se terminer brusquement dans la plaine où coule le fleuve. Le poste domine ainsi le terrain environnant d’une cinquantaine de mètres. Au pied, se trouvent le village des tirailleurs et le village de Liberté.
Bougouni
Du 1er au 4 avril. — Une grande route conduit du poste au village de Bougouni. Dans le village ou autour, je remarque quelques banans assez petits ainsi que le Tomboro (arbre à ver à soie, Zizyphus orthacantha). La goïn existe çà et là. Sur une longueur de 3 kilomètres, nous marchons dans la plaine entièrement remplie par de hautes Graminées sèches, ayant plus de 2 mètres de haut. Nous atteignons le Baoulé (fl. Rouge) au gué de passage du chemin des dioulas allant à Odienné. Une colline à rochers abrupts s’avance jusqu’à 50 mètres du fleuve. Le Baoulé contient des huîtres, des anodontes. Il présente des schistes (passant parfois aux grès) stratifiés à tranches verticales et dirigés à peu près suivant le fleuve. Ces rochers sont en partie submergés, les autres sont tout à fait secs. Les roches humides sont recouvertes par la plante aquatique dégradée déjà trouvée à Billy et à Bammako.
J’ai vu sur les bords du fleuve le Polygonum Balansæ Boiss. avec des troncs assez gros, toujours plus ou moins tortueux, le petit arbuste à fleurs rouges du lit du Niger et du Sénégal.
Zandiéla
11 avril. — Nous partons de Ouré vers 6 heures et demie. Les karités et les nétés sont très nombreux sur la route. Le faux jujubier de Bomtyn est aussi commun depuis Bougouni.
Le mana paraît avoir presque disparu ; je n’en rencontre plus. Le saba en fleurs est abondant partout. J’ai vu quelques pieds de sofara dont les fleurs sont passées.
Peu après Faradé, nous traversons le Banifing sur un pont formé de branches d’arbres recouvertes de terre ; le tout est supporté par un échafaudage très compliqué. La rivière est actuellement réduite à un petit filet d’eau, qu’on peut par places enjamber sans se mouiller les pieds. Il n’y a pas de plantes remarquables sur les rives du fleuve. Les caïmans sont très communs dans le Banifing.
A 8 heures et demie, nous passons à Zanabgo, village en partie détruit, encore important. J’y observe un ntaba encore en pleine floraison. Peu après, je rencontre quelques goïn chétifs, jeunes, saignés néanmoins récemment.
A 10 heures, nous arrivons à Zaniéla, village formé de quatre ou cinq groupes de cases, en parties détruits. On y élève des abeilles. J’y ai remarqué un beau pied de coton.
Les fafetones sont très communs dans le lougan autour du village, en fleurs et en fruits. Le tiga nin guenin est cultivé durant l’hivernage. Je n’ai vu qu’un seul papayer.
Il existe une pratique bizarre que j’ai vue ici pour la première fois. Quand un vieil indigène est mort, on badigeonne le côté droit de la porte de sa case en dessinant un caïman en relief, ou simplement sur deux bandes en relief, on applique du couscous de riz pilé. Cela donne l’aspect d’un badigeonnage au lait de chaux. On coupe ensuite un coq vivant en morceaux, et on en barbouille l’entrée de la case. On renouvelle le sacrifice du coq de temps en temps. Ces marques attestent que l’indigène qui habitait la case a été regretté.
Dialacoro-Bafaga
12 avril. — Nous partons de Zaniéla à 4 heures, et nous arrivons à Farabakoro à 6 heures. Un doubalé très verdoyant croît sur la place du village. Le long de la route, nous observons un petit arbuste à fleurs blanches, commun partout, ainsi qu’un autre arbuste à fleurs jaunes. Les fruits de sanan sont mûrs et tombés. J’ai trouvé aussi pour la première fois, des fruits de sé mûrs.
Nous remarquons sur la route des traces fraîches d’éléphants.
Vers 8 heures et demie, nous arrivons à Bafaga. Près du village se trouve un beau nongo en fleurs, un énorme tomboro, quelque beaux palmiers cébi ; déjà quelques fruits sont tombés.
Dans le village, la case carrée du chef est vaste, ornée de piliers externes en relief, qui se prolongent en clochetons. Au delà et tout près du village, on traverse un marigot presque à sec ; les puits creusés aux alentours sont encore remplis d’eau.
Le fond de la végétation de ce marigot est formé par des palmiers nté chargés de régimes. Un Ficus à feuilles larges, luisantes, nommé cotourou, se trouve dans cette région. Les Marsilea abondent dans toutes les flaques environnantes.
Les femmes cultivent à proximité du marigot des n’goys et des borons. Avant d’arriver à ce village, et au delà, on rencontre de nombreuses plaques de mica blanc assez grandes dans un sable grossier. Çà et là se trouvent des roches granitoïdes et porphyroïdes. J’ai vu quelques goïn.
Tabacoroni. — Koumantou.
13 avril. — Nous partons de Dialacoro à 4 heures, et nous longeons, de nuit, le bord d’une sorte de marigot tout bordé de bans. Vers 6 heures, on passe à côté d’un village détruit.
Les bans sont très communs le long du chemin de Bougouni à Sikasso. Le fruit en forme de prune gluante est commun dans les ruines. On revoit cet arbre dans le village de Koumantou qui paraît avoir eu une grande importance, mais qui est maintenant en partie détruit. Les fromagers et surtout les baobabs sont très communs tout autour.
Ce village a été composé de plusieurs groupes de cases, assez éloignées les uns des autres, et dont chacun est entouré d’une tata. Il y a un seul puits pour le village. L’eau, de couleur blanchâtre, est détestable. Une quinzaine de moussos se livrent aux travaux du ménage (lavage des calebasses), de la toilette (lavage du linge) tout autour ; l’eau qu’elles rejettent forme des flaques fétides autour du puits où elle s’écoule.
Nous arrivons à Tabacoro à 10 heures. Il y a deux villages, distants de 200 mètres l’un de l’autre. J’y remarque plusieurs beaux baobabs, des plants de sosa. Dans les bas-fonds marécageux, près des jardins, j’aperçois de beaux bosquets de ban avec une grande liliacée, des Vitis à tige ailée ; une Cypéracée à petites têtes blanches. Le kounocois existe dans ce massif en une quinzaine d’exemplaires paraissant spontanés.
Le Fou. — Dans le pays, une partie des jeunes gens doivent faire le métier de fou ; ils amusent les habitants et les passants. Leur coiffure consiste en un chapeau surmonté de têtes d’oiseaux plus ou moins mutilées d’où pendent de tous côtés des morceaux d’os, ainsi que des queues de moutons, de chèvres, de singes. Ils sont vêtus d’une sorte de cotte-maille, formée d’un filet qui fut un hamac, et d’une culotte dont les deux jambes sont inégales. Des cornes, des plumes et des fruits divers, sont suspendus autour de lui. Il saute, gesticule et paraît beaucoup s’amuser de la gaieté des autres. Il porte autour du cou un sac immense destiné à mettre le mil qu’on lui donne et qui semble assurer sa nourriture. Il paraît qu’il cultive d’ailleurs un lougan.
Autour des villages de Tabacoro, il y a beaucoup de palmiers ; l’un est le ban, le plus commun, formant des massifs entiers ; l’autre est le cebi qui présente seulement des individus isolés dans le lougan autour du village.
Doucolobougou.
14 avril. — Nous partons de Tabacoroi à 4 heures et passons à Bérétiéné de nuit. A Tréféra, je remarque deux banans, et aux environs, quelques goïn que l’on a commencé à saigner. De l’autre côté de Tréféra se trouve un puits pour la recherche de l’or. Le long de la route, j’aperçois des plateaux ferrugineux où on trouve de petites boules de fer, de quartz et des cristaux non arrondis de quartz. J’observe çà et là une sorte de granit en blocs isolés. L’Acacia de Bougouni est très commun dans cette région. J’ai revu aussi des karités, des nétés et des oros qui sont les arbres dominants de la région. Les fruits des Karités commencent à tomber.
Nous arrivons à Tiégougoba à 10 heures. Le village est situé sur une petite éminence. Les troupeaux ont été volés à diverses reprises par les bandes de Thiéba et de Bademba. Les cases sont construites de façons différentes et précédées d’une véranda. Une tornade très violente s’abat à 1 heure et il pleut abondamment.
Nous passons le Bagoé. Les rives du fleuve sont bordées d’une haute végétation luxuriante, rappelant celle des bords du Niger. Des bancs de sable émergent. On y trouve des coquilles d’huîtres et d’anodontes. La rive de Bougouni est très verdoyante. Elle est occupée par une liane qui domine et enveloppe tout ; la rive de Sikasso est sans végétation comme les rives du Sénégal ; une autre partie est boisée. Au bord du sentier, il y a de nombreuses traces d’éléphants se croisant en tous sens et descendant vers le fleuve.
Depuis le départ de Bougouni, dans la plupart des villages que je traverse, les femmes sont parties dans la brousse à la récolte des fruits de Nété. Dès le matin, surtout après une tornade pendant laquelle il est tombé beaucoup d’eau, une femme se met généralement en route avec plusieurs calebasses ou porte-charges, accompagnée souvent de ses bilacoros de 5 à 10 ans, qui l’aident dans la récolte, et du mari qui ne porte rien que son fusil, son épée ou sa lance. Durant tout le temps que sa femme récoltera les fruits, il se reposera au pied de l’arbre et ne rapportera rien. Dans presque tous les villages que je traverse, il y a de vastes greniers à nété, sortes de petites cases rondes bâties sur pilotis. On y entasse les gousses jusqu’au haut et on les recouvre d’un toit en chaume. Ce nété (Parkia africana R. Br.) tient une grande place dans l’alimentation des indigènes qui le conservent d’une année à l’autre. Il peut se manger à l’état nature. Mes porteurs en mangent souvent une calebasse avant l’arrivée de leur couscous. Il entre dans la composition de presque toutes les sauces. On en fait aussi un couscous qui n’est pas désagréable, relevé avec quelques épices. On prépare aussi avec le nété une boisson sucrée qu’on pourrait essayer de faire fermenter[3].
A 3 kilomètres avant d’arriver à Doucolobougou, je traverse un marigot bordé d’une épaisse végétation rappelant celle des marigots du cercle de Kouroussa. On trouve également au bord : le kobi qui porte maintenant des fruits non mûrs, le coso encore en fleurs et des bambous. Dans le lougan, les sés ont leurs feuilles recroquevillées par une galle spéciale. Ils sont (même les jeunes) couverts de touffes de Loranthacées. Ces sés ont fleuri plus tard que la plupart des autres que j’ai vus, car les fruits sont encore très jeunes et les corymbes fructifères présentent encore quantité de fleurs desséchées non tombées.
A 1 kilomètre avant d’arriver à Doucolobougou, il y a un petit mamelon ferrugineux couronné par des sés qui portent, dans la partie élevée de leurs branchages, des ruches à abeilles, en paille. Elles sont orientées du nord au sud. Le village de Doucolobougou est assez bien conservé. On n’y parle plus le mandé. La tata présente seulement quelques brèches obturées par des piquets. Il y a beaucoup de cases carrées. Chaque groupe de cases est entouré lui-même d’un mur en terre. Je reçois un excellent accueil dans ce village. On m’apporte du lait, un dolo, des œufs, un poulet et du couscous. Le dolo est encore chaud et non fait. On en boit dans tout le pays, seulement le lundi, qui paraît être partout chez les noirs, le jour férié de la semaine, qu’ils soient musulmans ou fétichistes. Durant la nuit, la tornade de la veille recommence ; la pluie fait rage.
Fantièla. — Natié.
18 avril. — Partis de Courala à 4 heures 1/2, nous sommes arrivés à Fantalié à 6 heures. Quelques beaux baobabs et quelques fromagers se trouvent autour du village. Près de la sortie, en allant vers Pédougou, je remarque de jolis bosquets boisés, parfumés par le Senséré, traversés par deux petits ruisseaux parallèles, profondément encaissés dans des causses ferrugineuses et formant des cascades. Le sol est très frais, plutôt marécageux. Des Graminées, imprégnées de rosée, couvrent le sol. De nombreux pieds de Sélaginelle poussent à côté. Des mousses croissent là où la terre est nue. Les ruisseaux sont bordés de grands arbres ou de touffes buissonneuses de coro, de cotourou, arbre à tronc grêle, élevé, présentant seulement à la cime un bouquet de très grandes feuilles comme le palmier.
CHAPITRE II
ANCIENS ÉTATS DE SIKASSO. — RÉGION DE SINDOU. — TERRITOIRES DE LA HAUTE-VOLTA
Sikasso
Du 19 avril au 6 mai. — Sikasso est situé au fond d’une cuvette où coule un marigot qui partage en deux la ville dont le pourtour est de 9 kilomètres et demi. Recouverte de cases éventrées (dont les quatre cinquièmes étaient inhabitées), parcourue d’un labyrinthe de ruelles étroites encombrées d’immondices ou d’herbes sauvages, tel était l’aspect de la ville au mois de mai 1899, un an après l’occupation française.
La tata en certains points mesure 10 mètres d’épaisseur. Actuellement la population est de 7 à 8.000 habitants. Mais elle a été de 40.000 à 60.000 individus au moment de la prise de Sikasso. La plupart étaient des captifs razziés par Bademba : ils sont retournés à leurs villages après la prise de Sikasso par la colonne Audéoud. Il y eut environ 2.000 tués, soit le jour de l’assaut, soit durant les attaques précédentes. Des crânes nombreux jonchent encore le sol.
En mémoire des capitaines Loury et Gallet qui furent tués pendant l’attaque, deux grandes artères, ouvertes dans la ville à travers les cases, s’appellent avenue Loury et avenue Gallet. Le pays est parfaitement soumis aujourd’hui. Le vrai nom de Bademba était Balémé. Les environs de la ville sont entièrement déboisés sur un pourtour de 8 à 10 kilomètres et tout a été cultivé en lougan. Actuellement on commence à préparer la terre en monticules pour la plantation du mil. Ces monticules se font à l’intérieur même de Sikasso sur l’emplacement des cases détruites.
Le marché a une importance plus grande que celui de Bammako. Comme produits curieux, je rencontre chez les détaillants : du gan ni fing, sorte de piment noir (Uvaria æthiopica Rich.) ; des n’ton petits tubercules de Cyperus esculentus L. ; du cori, os brûlé employé par les fileuses de coton ; du ségué, concrétion grisâtre obtenue par le lavage des cendres de néré (Parkia africana R. Br.), et contenant surtout de la potasse qui sert à faire le savon.
D’après les renseignements recueillis auprès des officiers de Sikasso, le citronnier à petits fruits existerait dans la brousse et y serait même commun en certains endroits : sur la route de Bammako, au sud de Sindou, dans le territoire de Kong, autour de Bouaké, etc. D’après un sous-officier de Bobo, on n’en voit guère qu’un individu tous les 30 kilomètres, dans la brousse, entre Bammako et Sikasso.
Jeudi 4 mai. — Excursion à un petit marigot avec cascade situé à 3 kilomètres, au sud-est du poste de Sikasso. La chute est de 2 mètres environ. L’eau est claire. Le terrain est formé de grès tendre facile à débiter en minces plaquettes micacées ; quelques grandes plaques plus dures et plus quartzeuses présentent des traces d’empreintes mécaniques (ripples marks) analogues à celles observées à Sikasso. Ces grès ont une stratification presque horizontale. Au-dessous de la chute, il y a une cuvette assez profonde, souvent habitée par des caïmans.
Les rives du marigot sont fraîches, environnées d’une étroite galerie. On y trouve de nombreux arbustes verts : bambous, ban (Raphia vinifera Beauv.) ; Pandanus en fruits ; liane goïne, dont quelques petits buissons existent au bord ; kobi, (Carapa Touloucouna). Au bord du marigot, sur la rive gauche, se produisent de petits suintements d’eau et sur le sol très marécageux, à végétation courte, on observe trois Utriculaires, un Drosera, une Selaginelle, des Algues vertes, de petites flaques à dépôts rouges ferrugineux (Diatomées). Le fond de la végétation de ce terrain marécageux est formé par des Cypéracées nombreuses presque toutes en floraison ou en fructification et par quelques Graminées.
Dans le lit du marigot sur des pierres qui arrivent presque au niveau de l’eau, des plantes à fleurs blanches en grappes émergent au-dessus de l’eau ; quelques-unes seulement submergées, à tiges allongées, sont couchées dans le courant. Ces plantes existent aussi sur les parois mêmes de la chute. Quelques Algues vertes s’y trouvent ainsi que sur les pierres submergées. Une Nitelle croît au bord du ruisseau dans un endroit peu profond (15 centimètres) et où l’eau n’est pas courante.
Au milieu du marigot, avec une Scrophularinée aquatique à fleurs blanches, se trouve encore une plante à longues tiges allongées au fil de l’eau, aux points où le courant est rapide et ressemblent à des Myriophyllum.
| Mission A. Chevalier, 1899-1900. | Sénégal-Soudan. |
(Cliché de M. Hostelier.)
Fig. 4. — Bords d’un marigot de la zone guinéenne.
Mamabougou. — Serké (17 kilomètres).
Samedi 6 mai. — Partis de Sikasso à 4 heures du soir, nous sommes arrivés à Serké à 8 heures et demie. De Sikasso à Serké, presque tous les terrains sont en lougans et l’on est en ce moment en train de les préparer pour la culture du mil. Une partie des ensemencements sont déjà faits autour de Sikasso. Les premières tornades annoncent aux noirs l’arrivée de l’époque des semailles. Dans les lougans, les terres sont déjà profondément ravinées par les pluies. C’est pour cette raison que l’on fait des buttes sur lesquelles on plante le mil et le coton.
Dans les anciens lougans abandonnés, on observe de grands Calotropis procera Ait. Ils atteignent la taille de ceux du Sénégal, ayant 2 à 3 mètres de hauteur ; le tronc, gros comme le bras, ligneux à la base, est protégé par un liège fendillé, épais, de couleur cendrée, recouvrant des fibres résistantes. A 2 ou 3 kilomètres de Sikasso, on traverse un marigot rempli d’une Characée, bordé de Pandanus Heudelotianus Balf. ; ces arbres, quand ils sont âgés, atteignent 5 à 6 mètres de hauteur, avec 3 ou 4 rameaux terminés par une couronne de feuilles ; le tronc en est blanchâtre et présente de nombreuses cicatrices annulaires, laissées par la chute des feuilles ; il offre quelques épines à la base et est porté souvent par un groupe de racines adventives faisant saillie de 50 centimètres hors du sol ou de l’eau. Je revois cette Monocotylédone jusqu’à Pénia, puis encore en allant de Pénia à Sindou.
Vers 7 heures, j’arrive au bord d’un marigot très boisé d’où les animaux aquatiques font entendre un bruit assourdissant. Au-dessus, dans la feuillée, les cigales modulent leurs notes stridentes. Avant d’entrer au village de Serké, il faut traverser deux fois un marigot assez large bordé de grandes tables de grès. De nombreux arbres en fleurs y répandent un parfum agréable.
En traversant la brousse, je distingue pour la première fois un parfum analogue à l’encens qui serait produit (d’après les officiers de Sikasso) par les cendres d’un arbre qui serait le oro (Terminalia macroptera Guill et Perr.) d’après un boy. M. Laville, commerçant à Sikasso, a acheté plusieurs kilos d’encens. Il n’a pu en connaître la provenance. M. Krisberger m’a dit qu’il existait dans le nord de la boucle de Niger une résine, recueillie par les Touaregs, qui possède aussi le parfum de l’encens. Cet arbre du Nord est sans aucun doute le Commiphora africana Endl. qui n’existe pas dans le territoire de la Volta. C’est le Bdellium d’Afrique.
Mantira, Diassa, Sfaraiso.
Dimanche 7 mai. — Nous partons de Serké à 6 heures. A une distance d’environ 3 ou 4 kilomètres, on longe un marigot bordé de grands arbres en fleurs, des coso (Berlinia) dans lesquels des bandes de singes prennent leurs ébats. Enfin, nous traversons un plateau sur lequel les lianes à caoutchouc sont assez communes.
A 1 kilomètre avant Mantira, il existe au bord de la route un groupe de quelques arbres dans lequel s’élèvent de hauts goïn, au tronc énorme, formant un buisson qui sert de bois sacré au village. La place est nettoyée, et quand je passe, on vient d’égorger un poulet, probablement pour éloigner les maléfices que je pourrais apporter. Le sang et les plumes blanches sont placés sur un petit monticule au pied des lianes.
Pour arriver à Mantira, il faut traverser un beau marigot bordé de hauts banans donnant un ombrage épais. Dans tout le village se trouvent de grands arbres ; les finzans (Blighia sapida Kon.) sont en grande quantité. Il y a quelques gros baobabs. A côté de leur tronc et les enveloppant parfois presque entièrement, croissent des doubalés dont plusieurs atteignent déjà de puissantes dimensions.
Diassa n’est qu’un petit groupe de quelques cases de cultures. Je trouve à côté un pied de diagabéré (Colocasia antiquorum Schott). Un petit marigot passe là. Le superbe Kaempferia æthiopica Benth., à grandes fleurs violettes ou roses, est très commun dans la brousse et couvre d’un tapis de pourpre les sous-bois à claire-voies.
Nous croisons un troupeau de gazelles qui s’enfuient. Nous rencontrons aussi des femmes qui reviennent de la brousse avec des charges de fruits de Karité.
Ouétiéra, Penia.
Lundi 8 mai. — Nous partons de Sfaraiso à 6 heures et demie. Le ciel est couvert ; il tombe quelques gouttes d’eau. A la sortie des lougans, dans un terrain sablonneux semé seulement de cailloux ferrugineux, il y a une grande quantité de lianes goïn. Des pieds âgés, gros et très élevés, n’ont pas encore été saignés. Leur densité est aussi grande que dans les régions les plus favorisées du Sankaran. J’ai revu la grande Monocotylédone à fleur de lys (Pancratium).
La belle Scitaminée aux larges périanthes d’un violet intense (Kaempferia æthiopica) est toujours commune. Depuis Sikasso, toujours dans les lieux ombragés, d’autres Monocotylédonés en fleurs croissent également. Le saba manque partout. Le long des marigots, le cobi n’est pas rare. Le ban est répandu autour des villages, il en existe de très nombreux noyaux. Le sé est très abondant.
Accumulés dans la brousse, souvent les fruits de cet arbre sont en partie tombés et non recueillis. Les animaux ont mangé fréquemment la pulpe mince extérieure et les noix tapissent le sol comme des marrons sortis de leurs capsules.
Une partie des habitants d’Ouétiéra se sont enfuis à l’arrivée du convoi. Le chef vient pourtant me saluer. La chose la plus intéressante à noter est l’existence, en dehors de la tata, d’un village de forgerons très important. Il comprend quatre hauts-fourneaux à la partie supérieure desquels on accède par un escalier extérieur en terre. Il est approvisionné de tas de minerai de fer et de tas d’un charbon spécial servant à réduire le minerai de fer et à rougir le métal pour le travailler.
Tous les abords du village sont entourés de gros blocs de scories formés d’une agglomération de déchets et de charbon ; ils sont encore fort riches en fer.
Le village a la spécialité de fabrication des dabas et de véritables pelles semblables aux nôtres comme forme. J’assiste au travail de fabrication de ces pelles et de ces dabas. Dans une case, il existe un soufflet construit en terre sèche comme les cases, ayant environ 2 m. 50 de long. A sa partie supérieure est ménagée une ouverture circulaire, formée en partie par une peau d’âne bombée. Un enfant assis sur l’appareil presse alternativement sur la peau ; l’air s’échappe par une conduite qui aboutit à un foyer de charbon de bois allumé qu’un autre enfant active en projetant de temps en temps dessus, de l’eau maintenue dans une petite flaque en argile, comme font encore nos forgerons de campagne.
Chaque soufflet est logé dans une case spéciale ; il en existe deux où l’on travaille constamment. Le morceau de fer à forger étant rouge-blanc, on le retire avec des pinces en fer et on le porte rapidement sur une grosse enclume de même métal. Trois ouvriers, placés autour de cette enclume et tenant en main une grosse masse de fer cubique, frappent alternativement avec beaucoup d’adresse sur le fer rougi. L’objet est de nouveau porté au foyer tandis qu’on en apporte un autre du deuxième foyer. Les fers de l’enclume et des pilons ont pris un aspect brillant comme nos fers doux d’Europe.
Autour du village, on trouve quelques finzans et surtout de beaux toungués (Cordia Myxa L.), ayant des proportions d’arbres. De Ouétiéra à Pénia, le goïn est bien moins commun. A mi-chemin, je rencontre un petit village de cultures où j’observe des patates cultivées.
Les cotonniers sont très chétifs et actuellement en fleurs. Les fleurs épanouies sont jaunes, les fleurs fermées sont rougeâtres. A l’entrée du village de Pénia, il existe un filon, aligné presque perpendiculairement au chemin (à 100 mètres du ruisseau) d’une roche éruptive, noirâtre, ayant l’aspect de diabase[4]. Dans le lougan entourant le village se trouvent quelques beaux arbres : finzans, baobabs, sanans.
Comme à Ouétiéra, les habitants de Pénia se sauvent à mon arrivée. Le chef m’apporte de l’eau d’un blanc laiteux, analogue au lait de chaux. C’est une boisson non fermentée faite avec du petit mil pilé et des piments. La case de l’un des chefs du village est remplie de gris-gris étranges. Les murs sont bariolés de figures bizarres, rouges et blanches : silhouettes de caïmans, d’oiseaux, carrelages à carrés bicolores, divisés suivant la diagonale. Un certain nombre de figurines sculptées en bois, représentant des hommes et des femmes, sont groupés dans cette case et environnés de mets variés qu’on leur apporte chaque semaine.
Folo. — Kangala.
Mardi 9 mai. — Après avoir traversé, à 3 kilomètres de Pénia, un marigot au bord duquel croissent des fougères du genre Aspidium, on tombe dans une plaine marécageuse semblable à nos landes des climats tempérés. On y trouve des Drosera, le Lycopodium cernuum et un autre Lycopode à rhizome tubéreux, quelques Orchidées et quelques Commélynacées. Au sortir de Pénia, Morifin tue un serpent que j’ai rapporté dans le formol. Les Bambaras l’appellent Nalayoulou sa morsure, d’après Morifin, fait du mal, mais n’occasionne pas la mort.
A 6 kilomètres de Pénia, j’observe une liane goïn qui a 1 m. 30 de circonférence à la base. Là, elle se divise en plusieurs troncs (10 environ), énormes eux-mêmes, décrivant de nombreuses circonvolutions. Pas plus que les autres lianes communes dans les environs, elle n’a été saignée.
Après Taranoro, on retrouve la lande à Drosera et à Lycopodium.
Nous arrivons à Kangala à 10 heures 1/2. Il y a ici plusieurs soukalas fort espacés et placés sur des mamelons. On aperçoit des lougans étendus, couverts de beaux arbres : baobabs, sanans, finzans, doubalés, nétés, sés, toros. Les habitants du village s’adonnent à l’agriculture. Tous les captifs sont occupés à préparer les terres. Des arachides, semées peu de temps avant notre passage, commencent à fleurir. On prépare les terres actuellement pour le mil. Il y a deux sortes d’instruments aratoires : la dababa en forme de pelle et la dabani en forme de pioche (houe à une dent de nos paysans).
Le pays est très pittoresque ; un joli marigot coule auprès du village au milieu de rochers de grès stratifiés horizontalement, et tombe de terrasse en terrasse. A 150 mètres avant d’arriver à ce village, on trouve sur la droite un petit ruisseau qui glisse de cascade en cascade vers la rivière. L’une de ces chutes a environ 2 m. 50 de haut. L’eau, dans sa chute, est pulvérisée en fines gouttelettes et forme un véritable brouillard épais. Le tout est profondément encaissé dans les rochers au bord desquels se trouvent des buissons de goïns, etc. Quelques mousses croissent sur les parois. De magnifiques buissons de Mussaenda elegans Schum. et Thönn. aux éclatantes corolles pourpres, et un petit jasmin aux fleurs blanches, bordent ce ruisseau.
Sindou.
10-12 mai. — Sindou est situé dans le plus beau site qu’il m’ait été donné de voir jusqu’à présent au Soudan. Vers l’Est, à 200 mètres du village, une haute muraille de rochers de 60 à 80 mètres (peut-être 100 mètres) de hauteur, découpée comme une fine dentelle, ferme l’horizon. Cette muraille, qui est la continuation ininterrompue des rochers de Sindoucoro, se dresse subitement dans la plaine et n’a pas plus de 50 mètres de largeur. Au delà, c’est la plaine également.
Ces rochers affectent des formes extrêmement pittoresques. Quelques-uns ressemblent à des clochetons élégants aussi pointus que ceux des cathédrales. Certaines de ces pointes sont couronnées par un bloc énorme qui tient en équilibre par le plus grand des hasards. Ces pitons sont parfois très rapprochés, de sorte que le même bloc est posé en équilibre sur plusieurs cimes entre lesquelles passent des filets de lumière. On dirait un dolmen de géants. D’autres cimes sont découpées en nombreuses arêtes pointues.
La paroi latérale de ces rochers, tantôt à pic, tantôt étagée par gradins, parfois en surplomb, présente de nombreuses anfractuosités formant grottes. Elle est noirâtre par suite des thalles de lichens accumulés à sa surface, corrodée par l’action lente du temps et la disparition d’un grand nombre d’énormes galets détachés et tombés à la base. L’âge de ces rochers a été indéterminable pour moi, mais ils sont certainement bien plus récents que la plupart des grès qu’on rencontre dans le Soudan et qui sont probablement primaires. L’existence de ces rochers atteste la puissance de l’érosion. On ne peut, en effet, les regarder comme produits par une faille, car ils sont parfaitement horizontaux et il n’y a aucun indice de mouvement de terrain dans les environs.
Ces grès sont à grain fin ou gros, se désagrégeant facilement, riches en quartz cristallisé ; ils contiennent de nombreux rognons ovoïdes, de taille variable. Il y en a de la grosseur d’un œuf de poule et de plus gros que la tête. Ils sont formés de roches diverses : quartz blanc laiteux ou légèrement teinté, roches éruptives granitoïdes ou porphyroïdes indéterminées, blocs d’un grès dur certainement plus ancien ; parfois les corrosions qui ont raviné la surface de la roche ont laissé seulement une trace ferrugineuse.
Les sables situés à la base et qui abondent dans tout le vallon de Sindou, contiennent de petits morceaux de quartz blanc, du mica blanc. Il n’y a pas trace de paillettes d’or. Quelques trouées dans ces rochers permettent de passer d’un versant à l’autre. Ce sont d’étroits couloirs souvent presque infranchissables par suite des soubassements qu’il faut escalader. Ces couloirs sont entièrement envahis par les goïn qui croissent jusque dans les fentes des rochers et s’élèvent parfois à une grande hauteur. Les fruits de cette liane à caoutchouc commencent à mûrir. Dans ces couloirs, on trouve aussi en grande quantité une belle Aroïdée aux feuilles découpées. Du côté ensoleillé (côté du village) il n’y a pour ainsi dire aucune végétation dans les rochers. J’ai récolté seulement une petite fleur blanche, odorante, de la famille des Acanthacées.
Ces rochers sont peuplés de petits singes gris. Au moment où je veux photographier le site, de longues files passent devant moi et vont escalader les cimes les plus infranchissables. Pour arriver au pied de ces rochers, il faut franchir un petit marigot, le seul qu’il y ait aux environs. Il est bordé de quelques elis. Une jeune bananeraie est plantée au bord.
En se dirigeant vers les rochers surplombant ce ruisseau, on voit devant soi quelques blocs de pierre placés debout comme des menhirs, dans une large trouée d’une centaine de mètres. En s’approchant de plus près, on constate que ces blocs constituent un énorme monolithe s’élevant à plus de 30 mètres de hauteur. Une large plate-forme surélevée, d’une dizaine de mètres au-dessus du sol, est bordée de hauts piliers et couverte d’un dôme de rochers. Des aiguilles fines de roches surmontent les piliers. Pour atteindre la plate-forme, il faut gravir des marches naturelles, entaillées dans le roc. De là, on découvre Sindou, ses beaux arbres, ses hauts palmiers, les montagnes qui limitent la vue à l’horizon.
Tout près de là, placé en face du monolithe en terrasse, un énorme bloc pointu, haut d’une vingtaine de mètres, s’élève droit et léger comme le tronc d’un arbre énorme dont la cime aurait été emportée par les orages, véritable obélisque naturel et témoin imposant de la puissance de ces grès horizontaux qui couvrirent toute l’Afrique avant les grandes érosions, grâce auxquelles se sont constitués plus tard les grès et poudingues ferrugineux. Le pied de ces rocs est envahi par les goïn et les saba qui foisonnent tout autour. Un chemin de dioulas franchit cet admirable paysage.
La plate-forme est fort fréquentée par des visiteurs si l’on en juge par les innombrables débris de cuisine qui s’y trouvent. Elle sert d’abri contre les tornades et dans la journée protège du soleil grâce aux lianes qui l’environnent de toutes parts. Les abords de ces rochers sont assez nus.
C’est l’interminable lougan qui dans cette région de Sindou s’étend d’un village à l’autre. On y trouve quelques ntabas en fruits, quelques Acacias aux rameaux horizontaux, actuellement dénudés, de beaux buissons de goïn qui s’obstinent à pousser en abondance malgré les mutilations de toutes sortes qu’ils ont à subir : feux de brousse et surtout de lougans, déracinage à la daba, cueillette des fruits par les indigènes.
Le village de Sindou est assis au pied des rochers, entre le petit marigot aux ntés qui coule au pied, et les mamelons montagneux de l’Ouest. Il est entouré de beaux arbres : baobabs qui commencent à se couvrir de leurs feuilles d’un vert tendre et laissent pendre leurs grandes fleurs près de s’épanouir ; banians au tronc gigantesque de 15 à 20 mètres de circonférence, actuellement habités par des tribus entières d’ibis qui font un bruit infernal. L’ombrage épais de l’un de ces arbres sert d’abri à ma table de travail assez isolée, à mes plantes, à tous les hommes, à une partie des habitants de la soukala, aux enfants du village qui jouent là tout près, à un tisserand qui a pourtant un métier bien encombrant, enfin à tout un troupeau de chèvres.
Les finzan sont communs dans les lougans. Au marché on vend les fruits privés de la partie non comestible. J’ai vu encore vendre des oignons, des graines de nété, des tigani (Voandzeia subterranea Thou.), des boules de nété, du carapa, du tabac, des fruits de sé, du sel. A l’intérieur du village, j’observe un seul papayer, assez vigoureux mais sans fruits, quelques doubalés assez nombreux mais jeunes, un Acacia actuellement en fleurs (Acacia arabica Willd.). Le village est divisé en nombreuses soukalas agglomérées, séparées par des murs dans la construction desquels les canaris vides paraissent jouer un grand rôle. Il y a, en effet, une quantité prodigieuse de ces vases sur la crête et dans la maçonnerie des murs de tata et de soukala.
Les forgerons habitent une soukala spéciale, située à 200 mètres du village. Il y a un haut-fourneau, une forge avec soufflet. L’appel de l’air se fait par le gueulard, muni du soufflet. C’est à 100 mètres de là, plus près du village, que les femmes des forgerons font sécher les canaris, les vernissent et y tracent des hachures assez élégantes.
Le travail des lougans bat son plein en ce moment. Tous les matins, entre 5 et 6 heures, tous les captifs : hommes, femmes, enfants, se rendent dans les lougans en passant devant ma case, avec des dabas, des haches, des calebasses, des gourdes d’eau, des tisons allumés, du mil. On ne revient au village, que le soir, à la tombée de la nuit. Dans la journée, le chef va faire une tournée dans son lougan pour surveiller le travail.
Le mil commence à lever çà et là. Il a été semé sur les monticules dont j’ai parlé ou sur le sommet de véritables sillons à arêtes vives. Il y en a de 1 à 3 pieds à chaque point ; ils sont espacés de 70 centimètres environ. Au coin de chaque pièce de terre cultivée, on trouve généralement un bloc de pierre plate, sur laquelle on a tracé une croix en noir. C’est certainement un gri-gri pour préserver le champ des mauvais génies. A l’entrée des villages, on aperçoit de vieux pagnes, de vieux bonnets, des feuilles sèches, des bouts de cordes, des paquets de mil, des os d’animaux, des brins d’herbes qui doivent préserver l’étranger entrant dans le village, des mauvais génies, qui sans cela ne cesseraient de le tourmenter.
Les petites gazelles abondent dans le pays ; j’en ai vu tous les jours en venant de Sikasso. Il s’en trouve dans le lougan même de Sindou. Le fosso ni kouna (Cleome pentaphylla L.) est très visité le soir, par les abeilles ; il n’y en a pas durant le jour.
Le chef du village est jeune, intelligent et dévoué. C’est un beau type bambara. Les habitants du village, m’ont paru d’ailleurs bien au-dessus de la moyenne intellectuelle des bambaras. Ils sont presque tous musulmans.
Tourouni — Soukouraba
Samedi 13 mai. — Au départ, on traverse une assez grande étendue de lougans, plantés de baobabs, banans, etc. Je vois pour la première fois le baobab à fleurs ouvertes et pendantes. Dans les lougans nouvellement ensemencés, on laisse les arbustes à soie végétale (Calotropis). Je n’ai pu savoir pourquoi. Les indigènes me disent que cette plante ne leur sert à rien. La terre cultivée est disposée en sillons écartés de 70 centimètres. Les travailleurs bêchent activement : leur daba est très incommode mais ils s’en servent avec adresse. Les dabas sont ici l’objet d’un commerce important. J’ai vu pour la première fois, en fruits mûrs jaune d’or, le nougouniéné que les indigènes mangent (Anona senegalensis Pers.).
Pour aller à Tourouni, il faut suivre sur l’autre versant les rochers que l’on voit en venant de Sindou et franchir un contrefort. De Sindou à Tourouni, il faut aussi escalader à quatre reprises des rochers très pittoresques.
A 6 kilomètres de Sindou, nous passons un marigot bordé de hauts nétés. A côté du marigot suivant, j’observe, dans un endroit marécageux, une grande quantité de petites fleurs émaillant les herbes basses et leur donnant l’aspect des pays d’Europe au printemps. A mon arrivée à Tourouni, je vois le village tout bouleversé. C’est le jour du marché ; il y a autour du banan 300 personnes environ, appartenant à divers territoires. Ils ont tous un aspect hideux avec leurs barbes incultes. Plusieurs femmes n’ont pour cacher leur nudité qu’une feuille de n’taba retenue par un filament de ban. Les hommes ont du moins le pagne rudimentaire, sorte de ceinture étroite nouée autour des reins. Ces gens presque nus sont les Touroucas ou Turcas. Quelques-uns portent au menton, sur le milieu de la lèvre inférieure, une petite baguette couleur corail.
A mon arrivée, tous se préparent à fuir. Quelques-uns ont déjà placé leurs marchandises sur la tête. Plusieurs sont armés de lances. Le chef du village s’est sauvé en voyant passer le convoi. Je fais appeler un notable (Karamotro), qui est le frère du chef. Je lui dis aussitôt d’ordonner aux gens du marché de rester, car je ne viens pas pour leur faire du mal. Puis, je demande qu’on m’apporte du dolo. Le frère du chef fait venir plutôt en rechignant du dolo et du bangui, et, pendant que mes hommes se reposent et boivent à l’ombre d’un finzan, il nous observe du coin de ses petits yeux sournois. Il a plutôt l’air d’une brute que d’un homme et il diffère beaucoup du chef de Sindou, au regard franc et intelligent, bon musulman, ne buvant jamais de dolo et faisant salam le soir.
Accompagné de Codiou Idilié, mon tirailleur, je me dirige de nouveau vers le marché pour voir ce qui est en vente. Une nouvelle tentative de fuite, bientôt calmée, se produit. Je vois sur ce marché : du mil, diverses galettes de mil, du savon, des boules et des graines de nété, des feuilles et fruits de n’goyo, des fruits de focoro, beaucoup de dabas, des nattes en ban, de petites corbeilles plates et de petits paniers en feuilles de Raphia assez élégamment tressés, plusieurs calebasses de beurre de vache et de fruits de sé, de nombreux poulets (quelques-uns très jeunes), renfermés dans de petites cages tressées en Raphia. On vend aussi des niébés, des tigas, des feuilles de baobab desséchées pour mettre dans le couscous (cira-bourou), des patates, et enfin une boisson blanc-clair contenue dans un grand canaris et qu’une mousso débite avec une petite calebasse à poignée. Cette boisson fermentée est légèrement acidulée ; elle est agréable au goût. On la prépare avec des fruits de goïn d’où son nom de poporon gui ou goïn dolo. Elle n’est fabriquée que dans cette région du Soudan.
On prépare encore une boisson fermentée avec les fruits de tingué qu’on trouve autour du village : c’est le tingué-dolo. Enfin Morifin m’apprend que dans son pays Bissanougou, on boit encore un autre dolo analogue au tingué, mais préparé avec le nté. C’est le gui dolo ou ntégui.
Au sortir du village, il faut traverser un joli marigot étendu, qui coule sur les rochers avec de nombreux rapides. Il est assez large, et son passage la nuit serait dangereux. L’eau, en effet, en tombant de bloc en bloc, a creusé des entonnoirs, dont on n’aperçoit pas le fond ; elle vient s’y engloutir en bouillonnant. On longe pendant quelque temps ces rochers et ce marigot ; la végétation au bord est chétive, mais la fougère aquatique de Fincolo est commune entre les fentes des pierres submergées ou émergeant de l’eau. On franchit ensuite un plateau ferrugineux, puis deux marigots avant d’arriver au village de Soukouraba.
Tous les hommes de Soukouraba se sont enfuis en apprenant mon arrivée. Il reste seulement 4 ou 5 mâles sur 600 à 800 habitants. Je fais dire au chef du village que s’il n’est pas rentré dans une heure avec les principaux notables, je préviendrai le grand chef des blancs de Sikasso qui lui infligera une forte amende. En peu de temps tout le monde revient dans les soukalas, comme par enchantement, et l’on m’apporte des poulets, des œufs et du dolo.
Samorokiri. — Guiri
Dimanche 14 mai. — Nous partons de Soukouraba à 6 heures du matin, et nous traversons le lougan actuellement en pleine culture. J’aperçois l’Orchidée commune, à fleurs violettes. Le goïn est encore assez commun dans la brousse ; quelques pieds en ont été détruits dans les lougans. A 2 ou 3 kilomètres, on voit encore des rochers élevés sur la gauche, mais durant toute l’étape, nous n’en aurons pas à franchir.
A l’entrée du village de Samorokiri, je puis signaler des banans, des finzans et des coros. Le coton cultivé est assez beau. J’observe pour la première fois un bel arbre à tronc cylindrique, élevé, creux à la base, à écorce cendrée, à feuilles ovales pointues : c’est le caba iri à port de hêtre.
Au sortir du village, à environ 3 kilomètres, il faut passer un marigot assez difficile, dont le lit est encombré de branchages et creusé de fosses profondes. Dans les endroits les moins profonds, l’eau vient jusqu’au poitrail des chevaux. J’ai trouvé au bord du sentier, dans les lougans, une Papillionacée à fleur violette, et, au bord du sentier de la brousse, un Cyperus à inflorescences blanches. J’ai remarqué aussi dans les endroits un peu ombragés, une Labiée subligneuse haute de 50 centimètres à 1 mètre, à fleurs d’un blanc-verdâtre avec deux étamines fertiles, en épis terminaux, et à feuilles verticillées par trois.
Je rencontre plusieurs femmes revenant avec des paniers pleins de sé. J’en vois quelques-unes, perchées sur des sés élevés en train de faire tomber les fruits avec une gaule, pendant que d’autres les cueillent sous les arbres.
Nous traversons successivement, à 3 kilomètres de distance, deux marigots fort boisés, bordés de bili en fruits, de cobi, de codoudou. Le premier marigot possède une jolie chute d’eau ; j’y remarque une Muscinée. Au deuxième, je récolte deux plantes intéressantes. Le village est à 500 mètres de ce marigot. Nous traversons le lougan où j’observe quelques touffes de goïn qui semblent avoir été ménagées. Quelques-unes, très belles, grimpent dans les nétés.
Le village de Guiri est entouré d’une quantité considérable de rôniers (Borassus flabelliformis Murr.) ; ils sont très serrés, comme s’ils avaient été plantés, et viennent jusque dans les rues du village. La couronne de feuilles de ces arbres est fort endommagée par suite des feuilles coupées pour retirer le gouégui. On m’apporte de ce vin de palme qui n’est pas désagréable.
Tous les habitants de Guiri se sont enfuis, ayant appris la nouvelle de mon passage. Il reste seulement trois hommes. Je suis obligé de palabrer longtemps pour qu’on m’apporte un poulet, du couscous et surtout pour qu’on aille chercher dans le lougan, le chef du village et le chef des cases. Les tisserands eux-mêmes ont quitté leurs métiers.
Dans le village il y a quelques beaux arbres à vers à soie (Zizyphus orthacantha), de grands banans, des finzans, dont on récolte les fruits. Un marigot desséché se trouve au bord même du village. Je remarque sur les bords le bili et le cobi. On cultive aussi le diéfa et le diaba. Je trouve, enfin, en train de sécher devant la case du chef, des fruits d’une cosse, noirs, luisants, un peu tortueux, longs de 15 à 20 centimètres. Ce sont des fruits de saman cara (bambara) ou rou cogo (sénoufo). Les graines épluchées et pilées servent à tuer les poissons dans les marigots, comme le diéfa diaba.
Dousogo. — Nialé. — Sérékéné
Lundi 15 mai. — Entre Guiri et Sérékéné, les goïn sont encore assez communs. J’ai vu aussi quelques sabas, coundani, codoudou, bili.
Le cobi est très commun au bord des marigots ; ses fruits sont mûrs et souvent sur l’arbre. Les fruits de bembé sont mûrs également. Ils sont formés d’une petite baie gluante avec un gros noyau à l’intérieur, à peau verdâtre d’un côté et rouge noirâtre de l’autre, avant la maturité du fruit. Mes porteurs en cueillent des bouquets le long de la route et en mangent les fruits.
Le village de Dousogo est à 6 kilomètres de Guiri. J’y remarque un pied de manioc, quelques beaux bananiers et des patates. Chaque Soukala est entourée de bosquets de rôniers exploités pour le vin de palme. Les ntés sont communs au bord du marigot ; ils ne paraissent pas avoir été soignés. La plupart des rôniers souffrent de l’exploitation.
De Dousogo à Sérékéné, il faut franchir plusieurs montées assez raides. Les plateaux ferrugineux réapparaissent et occupent de grandes étendues. L’horizon est toujours bordé de tous côtés par des croupes élevées. Près de la dernière soukala de Dousogo, je remarque une touffe de l’Euphorbe cactiforme, des environs de Kankan. Après avoir dépassé Dousogo de 1 kilomètre environ, je trouve un grand plateau sablonneux, cultivé en partie en lougan, tout émaillé de la Muscinée décrite plus loin, et qui est en fleurs. Le sable est jonché de Méloé.
A Nialé, je suis bien accueilli. Les notables du village viennent me saluer. Ils appartiennent à un fort beau type et sont bien taillés. Ils ont, de plus, l’air fort intelligent à l’encontre des habitants de Guéri et de Sérékéné. D’ailleurs ils ne semblent pas appartenir à la même tribu. Les cases bambaras dominent. Pendant le palabre, j’observe un bilacao qui a pris un margouillet et lui lie les pattes pour le faire griller et le manger. Dans presque tout le Soudan, ces lézards sont ainsi mangés par les enfants. Le fils du griot vient nous accompagner jusqu’à Sérékéné.
Il faut encore franchir plusieurs montées avant d’arriver. Nous traversons notamment un plateau étendu, formé par une argile jaune dure. Ce n’est que sur un massif qui la dépasse un peu, que je retrouve les roches ferrugineuses (exploitées à Nialé pour l’usage des forgerons).
A 1 kilomètre de Sérékéné, je passe un petit marigot à chutes d’eau. Le village de Sérékéné est assez grand et les soukalasy sont agglomérées. Il est noyé dans une véritable forêt de sibis. Ces arbres très beaux et rapprochés les uns des autres donnent au village un aspect pittoresque. Le gouégui est activement exploité. On retire le vin des feuilles non encore épanouies. Pour atteindre à la cime de l’arbre, on se sert d’échelles formées de deux longs rachis de ban écartés de 15 à 20 centimètres et liés de 30 en 30 centimètres avec des lanières de Raphia en guise d’échelons ; ces échelles sont appliquées contre les palmiers à saigner. D’autres, présentent de distance en distance des billettes enfoncées dans le tronc normalement à son axe et permettant d’y grimper jusqu’au haut.
Pour retirer la sève, on pratique, au milieu du rachis d’une vieille feuille, une incision profonde, de manière à atteindre le cœur de l’arbre. Le liquide s’écoule par un tube de bambou qui vient faire saillie au dehors. Une courte calebasse est liée autour de l’arbre pour recueillir le liquide. On la recouvre souvent, en partie, pour empêcher l’évaporation.
Le village est entouré de beaux banans, de baobabs et de finzans. On trouve aussi, cultivés autour du village, de beaux Strophantus jaunes (koumarou). Quelques-uns ont le tronc cendré ; il atteint la grosseur de la cuisse. Ces arbres sont encore en fleurs. J’aperçois dans le village quelques beaux bananiers sans régimes et des citronniers portant des fruits assez gros, exquis. Les forgerons possèdent des hauts-fourneaux et des forges importants. Toutes les cases du village sont carrées, couvertes de seco (terre) et un peu au-dessous du niveau du sol. Pour y pénétrer, il faut passer par un trou un peu surélevé au-dessus du sol et tout juste suffisant pour qu’une personne puisse entrer. Les habitants sont indolents (quoique leurs lougans soient importants) et presque tous abrutis. Ils parlent une langue qui n’est ni le bambara ni le senoufo et mes hommes les comprennent difficilement. Le chef du village et son fils, sans autres vêtements qu’une étroite ceinture, sont tellement abrutis qu’une de leurs moussos est obligée de venir leur expliquer ce que je veux. Ces populations appartiennent à la famille des Tousans (différente des Tourcas ou Touroucas).
Il existe là un usage dont je n’ai encore trouvé trace nulle part. Lorsqu’une femme est restée un an mariée sans concevoir, elle va dans la brousse chercher des bambous. Si elle enfante dans l’année qui suit (ce qui arrive presque toujours) elle installe auprès de sa case un petit autel formé par quatre piquets fourchus, hauts de 1 mètre environ, fichés en terre, en carré de 70 centimètres de côté environ. Sur ces piquets, elle dispose des branchages et notamment des rameaux feuilles de bouré. Tout cela est pour remercier Dieu d’avoir exaucé son vœu. Ces autels encombrent les alentours de toutes les cases. Je suis obligé d’en démolir plusieurs pour installer mon lit, au grand scandale de tout le monde et spécialement de mon tirailleur, persuadé qu’il arrive malheur « quand on dérange grigri appartenant à d’autres. » Sous ces autels, il existe ordinairement un petit monticule sur lequel sont fichées des plumes. On a sacrifié un coq blanc.
Il a fait très chaud toute la journée ; aussi, suis-je obligé de coucher dehors. Le soir, il fait beaucoup de vent, ce qui produit, par le frôlement des feuilles des rôniers entre elles, un bruit remarquable de ferrailles.
Kouni, Guigonéla, Kassa, Soubaramidouzou.
Mardi 16. — Nous partons de Sérékéné à 6 heures du matin et nous traversons successivement les villages de Kouni, Guigonéla et Kassa. Ces villages sont formés de soukalas isolées et fort espacées, séparées par de véritables forêts de sébis. Ces sébis sont parfois rapprochés de moins d’un mètre et dans le sous-bois qu’ils forment, croissent de nombreux jeunes pieds prêts à se développer. Ils s’étendent au loin dans la brousse et dans presque tous les lougans, ce qui donne un aspect très spécial aux villages. On rencontre, en outre, aux environs, de beaux banans, des finzans (dont une grande partie des fruits tombent ou sont sur le point de tomber), des baobabs.
A Guigonéla, une partie des cases sont détruites. Ce sont les sofas de Bademba qui sont venus faire des incursions dans le pays et enlever les captifs. Les notables du village viennent me saluer en apportant deux grandes calebasses de gouégui. Chacun d’eux porte, en outre, sa petite gourde du capiteux liquide et pendant que mes hommes se reposent en buvant le gouégui, les gens du village, accroupis autour de nous, vident à longs traits leurs gourdes. Je crois que si ces gens sont si abrutis, en général, cela tient en grande partie à la consommation importante qu’ils font de vin de palme. Tout leur travail se réduit à deux choses : 1o culture des lougans ; 2o entretien des sébis et récolte du vin. Dans ces villages, les autels remarqués la veille sont de plus en plus nombreux, plus élevés et plus solidement construits.
A Kassa, les habitants s’enfuient à mon arrivée. Il reste seulement quatre ou cinq individus, nus, couchés sur des feuilles fraîches de rôniers. Ils ressemblent plutôt à des brutes qu’à des hommes. Je ne puis arriver à leur arracher une parole. Ils nous considèrent avec des yeux hagards. C’est une femme (comme à Sérékéné) qui nous remarque sur le chemin. Les femmes, en général, sont dans ce pays plus intelligentes que les hommes. Cela tient à ce que beaucoup sont étrangères, étant donné qu’elles comprennent et parfois parlent bambara, à l’encontre des hommes. Enfin, elles ne boivent pas de gouégui comme eux.
A Guigonéla, je remarque de beaux Strophantus autour du village.
Soubaramidouzou est un village entièrement tousan : il est environné de très nombreux rôniers. Toutes les cases sont couvertes en argamasses. On m’apporte du m’boin et des œufs. Le chef vient même me saluer et me promet du couscous pour les hommes. Ne trouvant pas de case habitable, je me suis installé sous un énorme banan. L’arrivée d’un agent politique qui vient prélever l’impôt et demander des cories met tout le village en fuite. Nous attendons toujours le couscous. Je suis obligé d’aller menacer les moussos du chef, seules restées ; enfin, vers trois heures, le couscous est préparé. Les tirailleurs et les porteurs le trouvent mauvais, n’étant pas préparé avec leur tô traditionnel. Une tornade survient à ce moment et nous force à nous réfugier dans le village ; je trouve une case qui est juste assez grande pour contenir mon lit. Je m’y installe avec mes collections pour ne pas etre trempé. Après la pluie, je puis faire une petite promenade dans le village.
Il existe plusieurs soukalas assez éloignées, toutes séparées par des bois de titis. Les finzans sont nombreux. On me montre aussi deux beaux citronniers dont les fruits sont récoltés. Il n’y a pas de jardins, me dit-on, dans le village. L’entretien des rôniers et la récolte du vin paraissent constituer presque toute l’occupation des indigènes.
Une grande partie des arbres sont munis d’une petite calebasse allongée. On saigne les palmiers dès qu’ils ont une taille de 2 mètres. Les plus hauts, atteignant jusqu’à 20 mètres, sont également saignés. La récolte se fait indifféremment sur les pieds mâles ou femelles. Pour faire cette récolte, on incise en son milieu la gaine d’une feuille déjà avancée, qui entoure le bourgeon végétatif terminal de manière à pouvoir arriver à ce bourgeon en sectionnant les feuilles jeunes, non développées, qui constituent le bourgeon, sans atteindre le point végétatif, de façon que le palmier continue à se développer. La blessure ainsi pratiquée est assez large. Cette rigole vient déboucher dans la petite calebasse liée par des cordes autour du palmier. On laisse la calebasse plusieurs jours dans cette position et on remplit la profondeur de la blessure de feuilles de finzan pour que l’évaporation ne soit pas trop rapide. Une partie des rôniers sont actuellement en fruits, d’autres commencent à fleurir.
Il a fallu les menaces (et peut-être aussi des coups de corde) de l’agent politique pour que le douzoutique m’apporte un poulet. Je veux lui donner des kolas en échange, mais il ne les connaît pas. Un morceau de sel paraît lui faire plaisir. Ce chef est aveugle et âgé. Au lieu de s’enfuir, comme les autres, il s’était caché. L’agent l’a découvert. Le chef et le village sont misérables. J’ai fait installer mon lit dehors sous un finzan, mais au milieu de la nuit une tornade s’abat sur le village en moins de trois minutes. On entend des roulements lointains ininterrompus ressemblant à des salves d’artillerie. L’eau tombe à grosses gouttes. Le tonnerre s’approche et j’ai à peine le temps de me réfugier dans l’horrible antre étroit, long de 2 mètres environ, où je passe un reste de nuit horrible, dévoré par les moustiques, visité par de grandes chauves-souris qui, dès que la pluie a cessé, viennent se réfugier dans la case pourtant barricadée, plutôt mal que bien, avec des nattes.
Kountseni.
Mercredi 17. — Nous sommes partis assez tard de Soubaramidouzou, le chef du village ayant fait attendre le guide promis. Vers six heures et demie, le départ a eu lieu. La route est monotone. Çà et là, je remarque l’Orchidée et la Liliacée à grande fleur en lis, puis l’autre jolie Liliacée décrite plus loin.
A 4 kilomètres environ de Soubaram, le tirailleur tue une gazelle de belle taille que nous sommes forcés de laisser dans la brousse, personne ne pouvant la transporter. Il a fallu envoyer six porteurs de Kountseni pour la faire dépecer sur place et la rapporter.
Petites mares des plateaux ferrugineux.
Les plateaux ferrugineux constituent le station la plus aride et la plus sèche du Soudan, quoique les plantes grasses ou Crassulacées y soient rares ou nulles. Dans les endroits les plus arides, la roche demeure constamment nue. La végétation est réduite à quelques plantes basses subligneuses qui croissent entre les fentes de la roche. Dans les endroits couverts d’une mince couche de sables ferrugineux et de petits galets, la terre se revêt à l’hivernage de petites Graminées et de Monocotylédones bulbeuses : oignons de panthère, petite Liliacée.
Dans les dépressions de ces plateaux rocheux, l’eau s’accumule à la suite des tornades et forme de petites mares temporaires bientôt desséchées après les premières pluies ; elles sont espacées les unes des autres, mais persistantes en plein hivernage. Dès les premières tornades, le sol, au bord de ces mares, se couvre d’une végétation grêle, verdoyante, qui se dessèche et meurt dès l’assèchement des mares. Ce phénomène se renouvelle plusieurs fois jusqu’à ce que les pluies deviennent persistantes. Il se perd ainsi une quantité considérable de graines qui germent, mais n’arrivent pas à leur complet développement. C’est seulement à l’époque où les pluies deviennent fréquentes que cette végétation peut fleurir ou fructifier.
Parmi les plantes qui croissent dans cette région, je remarque un jeune Marsilea polymorphe. Cette plante est très abondante sur la vase noire au bord de ces mares. Souvent les embryons forment de véritables lignes de verdure là où les vagues ont accumulé des brindilles sèches et autres détritus légers de toutes sortes. La plantule présente à sa base un petit tubercule cendré brillant. Outre ce Marsilea, j’ai remarqué encore au bord de ces mares une petite plante (Cypéracée) à feuilles filiformes et souche un peu tuberculeuse. Je trouve encore deux autres plantes aquatiques à feuilles vertes, minces, flottantes ou exondées, graminiformes.
La faune paraît assez variée. Après chaque pluie, dès que la mare est constituée, elle se remplit immédiatement (la tornade étant à peine finie) de crapauds de toutes grosseurs faisant un bruit infernal. J’ai remarqué encore un petit vist rougeâtre très agile, une petite sougous, un petit crustacé renfermé dans une coquille bivalve mince entr’ouverte, de petits coléoptères noirs à reflets métalliques. Ces mares sont visitées par des oiseaux de rivage.
Kouni-Bobo.
19 mai. — Le départ de Toukoro a lieu à 4 heures du matin. Nous arrivons à Kouni vers 7 heures 1/2. Le village est entouré à une grande distance de sibis espacés. Je remarque aussi dans la brousse beaucoup de kobis qui croissent dans les lougans et paraissent y avoir été plantés. On voit toujours quelques ntés dans les dépressions et surtout au bord des marigots. Le village de Kouni est assez important. Il n’y a pas de soukalas isolées, mais toutes sont agglomérées. Les habitants sont complètement nus. Ils n’ont que quelques ficelles passées entre les jambes et qui servent à attacher les feuilles tenant lieu de vêtement. Les cases sont carrées, couvertes en argamasses et surmontées d’un petit donjon.
Des pieux sont plantés en terre auprès de chaque case et soutiennent des gradins grossiers permettant d’arriver jusqu’au haut.
Les femmes sont, en ce moment, occupées à la préparation du beurre de karité. Il y a autour de chaque case des monceaux de fruits de sé en train de sécher.
Au delà du village coule un beau marigot, large, que l’on franchit sur un pont solide construit par le cercle. A proximité, se trouvent les cases des passagers, bâties dans un joli site, à l’ombre de grands arbres couverts presque tous de lianes goïn d’une belle ampleur. Une montée ferrugineuse qui part du marigot en s’élevant vers Bobo, contient une assez grande quantité de ces lianes. Au bord du marigot je remarque encore des bambous. A partir de là, jusqu’à Bobo, le chemin est fort monotone. Les arbres qui dominent sont : le sé, le néré, le cobi (dans le lougan), le sounsoun, parfois le tingué. Les sébis sont assez abondants, mais deviennent de moins en moins communs quand on approche de Bobo.
En somme, tous les terrains compris entre Kouni et Bobo sont des lougans qui, çà et là, retournent à l’état de brousse, en attendant que les indigènes y mettent encore une fois le feu, la jachère finie, pour cultiver de nouveau. J’ai vu à Kouni un cotonnier élevé, diefa diaba. Le pourpier est assez commun dans les rues du village. La roche constituant le sol de Bobo à Kouni est un grès tendre. Le sol présente de nombreux petits morceaux de quartz blanc, non roulé, ainsi que des paillettes de mica. J’ai remarqué çà et là des blocs de roche noire éruptive.
A Bobo, il existe, à 700 mètres du poste, sur la rive droite d’un petit marigot, plusieurs points où les lianes goïn abondent (700 environ par hectare). Elles fournissent des pousses hautes de 3 à 4 mètres, à rameaux groupés de façon à former des buissons en boules. Comme à Sindou, et plus encore, les goïn constituent là le fond de la végétation. La maturité des fruits est bien moins avancée que dans les terrains parcourus aux environs de Sindou. Il existe quelques sabas, mais ils sont rares et clairsemés. Le terrain sur lequel se trouvent ces lianes est un plateau ferrugineux très dénudé. A part les lianes, on ne trouve guère dans cette région que le n’goulé. Ces terrains ferrugineux recouvrent immédiatement les grès à grain fin (parfois colorés par l’oxyde de fer). On voit bien cette superposition sur les bords du marigot, au-dessous du marché. Le petit ruisseau qui côtoie les bords du poste coule presque toujours sur ces grès ; il présente çà et là de petites chutes ainsi que des cuvettes profondes creusées dans la roche. J’ai remarqué quelques algues, dont une blanche allongée au fil de l’eau, des vertes, et une bleue ; des mousses, quelques ntés, des cosos.
Visite des jardins du poste, le 20 mai. — Les Cearas sont très beaux. Je remarque des plants d’indigotier, des cotonniers de Virginie et des ricins. Les concombres et melons réussissent bien dans le jardin. Les haricots et les pois viennent mal ; les salades et choux, médiocrement. Les citronniers réussissent mais on n’a pu faire prospérer les semis de kolatiers. Une bananeraie de belle venue est plantée sur les bords du marigot ; il n’y avait rien, il y a deux ans, maintenant elle rapporte ; on l’a étendue beaucoup ces temps derniers en plantant des drageons tout le long du marigot, à côté duquel est installée une cressonnière. On a creusé une large fosse où l’on a amené l’eau du ruisseau qui coule constamment en formant seulement une mince couche. La cressonnière est recouverte en dessus par une paillotte portée sur des piquets, qui la mettent à l’abri des rayons solaires. Sa réussite est assurée.
De Bobo-Dioulasso à San par le Minianka.
Mardi 6 juin 1899. — Sakami. — Banankalidoro. — Nous partons de Bobo à 6 heures du matin. Le sous-lieutenant m’accompagne jusqu’à Sakami.
Sur toute la longueur de la route, le pays est assez monotone, occupé presque partout par des lougans ou par des emplacements de lougans où croît une maigre végétation. Quelques karités ont encore des fruits. Tous les nétés, sans exception, sont dépouillés de leurs gousses. Le oro et le saba constituent parfois le fond de la végétation. Je remarque l’Orchidée à fleurs violettes qui est très commune ; quelques touffes croissent dans l’humus, remplissant les anfractuosités (exposées à la lumière) des vieux arbres. Ses feuilles commencent à se développer. La Monocotylédone à fleurs liliiformes croît çà et là ; quelques individus ont leurs fruits (non mûrs).
A Bobo, Sakami et Banankalidoro, les indigènes travaillent activement à leurs lougans ; presque partout l’ensemencement est terminé depuis une huitaine de jours. Dans tous ces lougans, j’ai vu planter le mil en place. La terre bien débarrassée des herbes n’est ni labourée, ni bêchée. Le planteur de mil porte à la main une petite corbeille contenant des graines et de l’autre une daba à manche court, à lame étroite. Il donne à sa droite et à sa gauche un coup de houe, pour enlever une motte de terre, laisse tomber de deux à six graines (souvent trois) et rabat rapidement la terre. L’opération étant faite à droite et à gauche, le noir avance d’un pas et continue ainsi, restant toujours courbé vers le sol. Malgré cette position fatigante, qu’il garde constamment, l’indigène effectue son travail rapidement. Les trous sont espacés de 70 à 80 centimètres aussi bien dans un sens que dans l’autre et disposés en lignes assez régulières.
Ce serait une erreur de croire que les indigènes ne fument pas leurs lougans. Ils transportent dans leurs champs les ordures de l’intérieur des villages : débris de cuisine, nettoyage des cases, fientes de moutons, de chèvres, crottin de cheval et même excréments humains. Ces engrais sont disposés dans les champs, quelque temps avant l’ensemencement, en petits tas de 20 centimètres de diamètre aux points où on déposera des graines. J’ai vu fumer ainsi le mil à Bobo, à Banankalidoro. Le mil lève en quatre jours par un temps humide, mais il est bien plus long à germer par un temps sec. La semence peut même être perdue si la chaleur persiste. Les jeunes pieds (et les graines) sont enfoncés dans le sol de 3 centimètres environ. J’ai vu de jeunes plantules, germées depuis quelques jours seulement et possédant quatre feuilles, avoir les deux inférieures déjà couvertes de la rouille du mil. Pour l’ensemencement des lougans, les moindres places sont utilisées : l’emplacement des cases démolies, les places mêmes, les abords des cases. Ces terrains, beaucoup plus riches en humus que les autres, produisent le mil en plus grande abondance.
A Bobo, pendant mon séjour, on ensemençait autour du marché, à l’intérieur même de la ville. A Sikasso, on utilisait la partie détruite de la ville. Les femmes ensemencent aussi, mais leur travail avance moins et elles ne font souvent qu’une rangée de trous à la fois. Lorsque, par suite des pluies, il s’est développé trop d’herbes dans la terre avant l’ensemencement, on les arrache toutes. Dans tous les champs de Banankalidoro, les habitants sont en ce moment occupés à arracher un Cyperus en fleurs qui pousse en telle quantité dans le lougan, qu’il en constitue à lui seul la végétation. C’est après sa destruction seulement qu’on fera l’ensemencement.
Dès que les jeunes mils sont sortis de terre, on commence le sarclage en arrachant encore toutes les mauvaises herbes qui lèvent. Plus tard, l’opération du binage sera pratiquée. Il n’y a, je crois, que l’ensemencement du mil qui tire les indigènes de leur torpeur et de leur apathie. Ils le soignent certainement avec plus de sollicitude que notre paysan soigne son blé. Chaque fois que Guimbi, la sœur du roi de Hong, venait nous voir, elle parlait de son mil, et se lamentait quand l’eau était plusieurs jours sans tomber.
Le palmier rônier sibi est commun autour des villages de Sakobi et Banankalidoro. Son tronc ici n’est généralement pas moniliforme. Cela tient, je crois, à ce que l’on en saigne les arbres bien plus rarement. La plupart, en effet, offrent une belle couronne de feuilles (une trentaine par arbre). Ces palmiers existent aussi çà et là dans les vieux lougans. Leur tronc est souvent très étroit dans la moitié inférieure et devient brusquement plus gros dans la moitié supérieure. Le tronc est fréquemment couvert de plaques de lichens (non fructifiés). Quand la base du pied est un peu déterrée, on aperçoit un court cône de racines adventives, noires, rayonnant à la base.
A Banankal, il y a d’assez nombreux finzans encore chargés de fruits, quelques fromagers ; quelques Acacias à cime aplatie en ombelle large, à écorce blanche ; quelques baobabs, un exemplaire de l’arbuste à fleurs blanches, bicomposées, planté à Kayes et Saint-Louis. Les habitants du village ont chacun un coin de terre (jardin) entouré d’un enclos de tiges entières de mil tressées. Dans l’un des enclos, j’observe des maniocs cultivés et des jeunes pieds de mil. Dans un coin de lougan, je remarque aussi de jeunes plants de maïs. Les trous de mil et de maïs alternent. Il y a de trois à cinq plantules par trou. Le maïs commençant à lever est facile à distinguer du mil ; ses jeunes feuilles sont bien plus larges.
Au milieu des lougans, on observe des pieds de :
Tingué (presque tous les fruits sont tombés) ;
Strophantus : l’espèce à longs fruits très velus. Les feuilles sont souvent rongées, érodées par les insectes.
Fafetone appelé baga (dioulas). Son latex associé au Strophantus sert à empoisonner les flèches ;
Indigué bagani : les fruits servent aussi à empoisonner les flèches.
Le pourpier est assez commun dans le village. On emploie, pour faire la sauce de couscous, le quiquiri, le tombi, les jeunes pousses de l’Amaranthe sauvage.
Bama.
7 juin 1899. — Les terrains dénudés (plateaux ferrugineux et autres) se couvrent en ce moment d’une végétation abondante (Graminées et Cypéracées) mais courte et tenue. J’observe pour la première fois une petite Cypéracée à inflorescences blanches, haute de quelques millimètres.
Nous passons la Baoulé, une des branches de la Volta. Au bord il existe de très beaux arbres. Les bambous commencent à se couvrir de feuilles, qui sont en ce moment d’un beau vert. J’aperçois encore, fleuri, le Strophantus à fleurs pourpres. Le saba en fleurs (var. glabre) est commun. On trouve aussi maintenant, tout le long du chemin, de nombreuses enveloppes de fruits qui ont été mangés par les dioulas ; la route est en effet très fréquentée. J’ai rencontré une dizaine de petites caravanes d’ânes, de bœufs et d’esclaves, transportant des barres de sel vers Bobo.
Il existe dans les lougans quelques beaux rejets de coton. Ce sont d’anciennes touffes sur lesquelles il se développe en ce moment des repousses non encore en fleurs. Dans le village de Bama, j’ai vu de beaux plants de mil et de maïs déjà avancés, et un pied de ricin. Les sibis deviennent bien plus rares ; il n’y en a ici que quelques petits groupes. On ne trouve pas de baobabs dans le village mais de beaux doubalés et banans presque tous arbres fétiches, entourés de tessons, canaris et calebasses. A l’une des entrées du village, au bout de deux bâtons, une coquille est suspendue comme fétiche.
Les tirailleurs se plaignent de la mauvaise qualité du couscous, dont la sauce au lieu d’être faite avec du gon, est préparée avec du nanogo.
Samandini. — Campement sur les bords de la Volta.
Au départ de Bama, on traverse des lougans de grande étendue. Tous les jeunes pieds de mil, sans exception, sont couverts sur leurs cotylédons et leurs feuilles, de la rouille des Graminées. Cette maladie se retrouve aussi fréquente à Dandéla et à Samandini. Elle se développe dès que la petite feuille cotylédonaire est étalée. Sur les pieds déjà âgés, les feuilles les plus récentes portent le champignon à leur extrémité ou elles n’en ont pas du tout. Mais à ce moment, les premières feuilles sont déjà complètement mortes, tuées par le champignon. Une rouille analogue se trouve sur les jeunes pieds de maïs. Je l’ai observée à Samandini. Des rouilles noires se trouvent en quantité sur les vieux chaumes morts des Graminées de la brousse, utilisés comme paille. La toiture des cases bambaras, les paillottes ont parfois, à distance, l’aspect gris noirâtre à cause du grand nombre de ces rouilles noires.
De Bama à Samandini, le terrain est bien plat, bien uniforme. Les pieds de oro prennent une grande importance par endroits. Ce sont de véritables arbres avec de gros troncs présentant de fortes croûtes de liège cendré, profondément fendu dans le sens de la longueur. Les feuilles de certains individus atteignent de grandes dimensions ; une forme a les feuilles glaucescentes, l’autre les a franchement vertes. Les Karités sont communs. Leur écorce est presque toujours profondément fendue dans le sens de la longueur. Les plaques allongées qui en résultent sont elles-mêmes divisées en rectangles par des échelons de bâtons transversaux, s’étendant seulement sur la longueur d’une plaque.
Le boy me montre un petit arbuste de 1 mètre de haut environ, appelé tomagny, dont les feuilles pilées se mangent dans le couscous. Je retrouve dans le lougan du village la Solanée de Bobo, qui croît, çà et là, au Sénégal et au Soudan. Les bambaras de Sono l’appellent sisé bansan. Les fruits sont d’un beau jaune[5]. Quelques baobabs existent dans le village. On met encore, pour assaisonner le couscous, les feuilles de gombadé, commun dans ce village.
A l’endroit où nous passons la Volta, elle est large de 8 à 10 mètres. Les bords en sont très escarpés et s’élèvent d’une dizaine de mètres au-dessus du niveau actuel de l’eau. Au milieu, le fleuve est profond de 2 ou 3 mètres. Le passage s’effectue sans difficultés, en bac, le cheval traversant à la nage. La Volta est ici remplie de caïmans. J’en fais rentrer plusieurs dans le lit du fleuve. Cette rivière est très poissonneuse. Les caïmans viennent jusqu’à l’endroit où passe le bac. Un porteur qui se baigne en voit un près de lui et retourne précipitamment sur le rivage. Nous campons dans la brousse au bord meme du fleuve. Je couche dehors. Le soir, de nombreux insectes viennent se faire prendre à la lampe. La nuit, une hyène vient rôder sur le bord du fleuve en face de nous.
Les rives du fleuve sont bordées de Cypéracées, de Graminées dont le pied baigne dans l’eau. Les bords, à pic, sont ombragés par de grands arbres, penchés la plupart vers le lit du fleuve et ordinairement enlacés par de grandes lianes. Ces arbres sont des bogos, Sterculiée à grandes feuilles ovales couvertes de pubescences. Je remarque aussi des buissons de crana, à fleurs blanches odorantes, la liane à pétiole ailé appelée bourou-mendé (Bobo-Dioulasso). Les autres plantes observées sont : le naforo-fila, Convolvulacée à grandes fleurs pourpres ; le tongou-cayogo, Cyperus commun dans les lougans ; la dama-téré, à petite fleur jaune gluante ; le foutougou, la petite Orchidée à fleurs blanches ou roses, à gros éperon court, obtus, au sommet d’un jaune d’or pointillé de pourpre à l’intérieur. Le oulaman sognia (Bobo-Dioulasso) est la grande Orchidée rencontrée à Fincolo. Elle est maintenant en fruits ; ses feuilles sont la plupart épanouies.
J’observe aussi le tacca de Samandini en fleurs non épanouies et un Mimosa à feuilles doublement composées, à fleurs blanches en grappes rameuses dressées ; c’est le sama-néré. Le sol où croissent toutes ces plantes, au bord de la Volta, est un terrain argileux, blanchâtre. Les grandes Graminées desséchées y sont communes, les feux de brousse n’ayant pas été mis là.
Au soir, un habitant de Samandini apporte plusieurs gros champignons (Boletus) et des fruits de dama-téré pour faire du dolo. Dans la nuit une tornade survenant, nous oblige à rentrer dans la cahutte en paille construite par le dernier convoi de la colonne du Minianka.
Dandée ou Dandela. — Koundougou.
On traverse plusieurs régions marécageuses avant d’atteindre Dandée et des espaces dénudés, étendus, véritables plaines où croissent des plantes bulbeuses : la Liliacée à grande hampe, à fleurs blanches, à fruits à trois lobes ; la Narcissée à fleurs blanches, qui paraît suivre les mouvements du soleil ; elle est tournée le matin vers l’Est. La Liliacée à grandes fleurs liliformes uniques, existe aussi dans cette région. Ces plantes paraissent avoir leurs stations préférées ; elles croissent rarement ensemble. Aussi, les plateaux, ou plutôt les plaines, sont-elles parfois couvertes entièrement, tantôt de l’une, tantôt de l’autre de ces plantes. A trois ou quatre kilomètres avant d’arriver à Dandela, nous traversons un marigot dont les abords sont verdoyants, très boisés. Le village de Dandela offre, dans les lougans, aux alentours, d’assez beaux arbres, surtout une Acanthacée vue à Bobo et à Sindou, quelques baobabs, des nétés, des finzans, très peu de sibis.
A Dandée, je prends dans ma case une espèce de bousier d’une taille énorme. Les habitants sont des Bobos-Oulés. Ils paraissent fort pauvres, se livrent actuellement à la préparation de leurs lougans pendant que les moussos font sécher les fruits de sé au soleil. Les cases sont profondément creusées, carrées, couvertes en ban. L’étage inférieur est une vraie demeure souterraine ; l’étage supérieur, élevé de 1 m. 50 à 2 m. 50 seulement, est facile à atteindre et on peut se promener sur les toits d’un bout à l’autre du village. Dans quelques lougans ombragés, d’anciens pieds de mil ont fourni de belles repousses très vigoureuses.
Fô
9 juin. — Le campement de Koundougou est situé à côté du village, sous un gros banan. Dans une anfractuosité, du côté du nord, je trouve deux mousses fructifiées. Des cotonniers très beaux, à feuilles très velues, à fleurs jaunes, sont cultivés. Une grande partie du coton n’a pas été récoltée. Les soies ont environ 20 mm et sont très blanches. En soumettant ces cotonniers à une taille réglée, on obtiendrait d’excellents résultats. Les pieds actuels ont 1 m. 50 de haut et sont très rameux.
Le sol est riche en humus ; le sous-sol est ferrugineux. Une grande partie des terrains situés entre le massif montagneux de Fô et la Volta conviendrait très bien à la culture du coton (sauf les plateaux pierreux ou les cuvettes comblées avec des argiles). Il existe, sur la route de Koundougou à Dandée, des lieux boisés très riches en humus, inondés en partie au moment des pluies, où on obtiendra des résultats assurés. Le tabac à feuilles crépues est également très beau dans ces terrains. La récolte est faite en ce moment. Les troncs coupés ont encore 1 m. 50 de haut. La montagne commence à six kilomètres environ du passage difficile sur la gauche. Les lougans sont remplis de karités dont on récolte maintenant les fruits. Les fruits de torogoué sont aussi récoltés. Le sol est jonché de fruits de kounan. On ne les ramasse pas. Les beaux kounans ont un tronc de 1 à 2 mètres de circonférence, une hauteur de 15 mètres ; l’écorce est cendrée, peu fendue. C’est un arbre à port élevé, d’une belle ampleur. L’Orchidée appelée foulougou près de Bobo-Dioulasso est commune dans les lieux herbeux non brûlés. L’aloès est également commun. Les pousses en végétation sont placées latéralement par rapport à la vieille tige desséchée.
Le massif montagneux de cette région est orienté du Sud au Nord, puis il dévie vers l’Est et se dirige ensuite de nouveau vers le Nord, formant deux collines espacées de 100 à 1.000 mètres, entre lesquelles est situé le chemin. La charpente du massif est formée de blocs éboulés et de roches en place constituées par des grès à grain assez fin, sans galets, ordinairement teintés de rouge, à surface plus ou moins corrodée par les eaux. Tout à fait au pied, on trouve de petits cailloutis issus de ces grès de quartz blanc laiteux ou teinté, ou blanc avec veinules noires. On trouve, au-dessus du grès compact, des grès plus tendres, alternant avec des lits peu épais de schistes gris ou blanchâtres facilement décomposables. Au-dessus de ces alternances, se trouvent les grès ayant la plus grande importance comme puissance. Ils sont, la plupart, rosés avec de gros grains de quartz et offrent des galets de diverses roches (notamment de grès rouge inférieur et de quartz). Ces galets sont ordinairement ovoïdes, bien roulés, de taille variable (d’une petite noisette à la grosseur de la tête). Des lits plus importants et placés presque horizontalement, alternent avec ce grès proprement dit ; ces lits sont alors d’une épaisseur de 50 centimètres à 1 mètre et formés de gros galets blanchâtres (quartz) et très corrodés. Des blocs énormes de cette dernière roche se sont détachés et éboulés. Le sentier qu’on suit pour arriver à Fô est lui-même taillé dans ce grès tendre. Sur la droite et la gauche, de puissantes murailles attestent toute la force énorme qu’il a fallu pour que les eaux se creusent ce passage à l’époque quaternaire, car il n’y a point de marigot, maintenant. Le poudingue supérieur de Fô est l’analogue du terrain constituant les roches de Sindou. Je serais tenté de considérer cette roche comme formée à l’époque quaternaire et produite aux dépens du grès inférieur rouge. Il y aurait eu ainsi, en quelque sorte, nivellement de véritables massifs montagneux constitués par ces grès primaires, le poudingue se serait formé en même temps que se constituaient ailleurs, aux dépens de roches différentes, les plateaux ferrugineux dont on ne trouve pas de trace ici. Ce qui me porte à faire cette supposition, c’est que j’ai vu, par places, les poudingues chevauchant sur les grès et schistes, alternant et formant, à la manière de la roche ferrugineuse, de véritables coulées.
Les poudingues quaternaires de Fô (comme ceux de Sindou) ont subi ensuite et subissent encore une action destructive interne sous l’action des pluies et des tornades. Aussi la puissance de ce terrain, qui atteint jusqu’à 50 mètres de haut par endroits, est loin de son état primitif. Tout le vallon est semé de gros blocs qui ont roulé du haut ou qui, plus durs que les masses environnantes, ont mieux résisté à l’action des pluies. Tout ce terrain est malheureusement sans fossiles. La goïn (Landolphia Heudelotii) est assez commune, mais bien moins abondante que sur la même roche à Sindou. En somme, la goïn n’a pas de préférences pour le sol ferrugineux.
Le chef du village de Fô me dit que la poponi est commune aux alentours, mais qu’on n’a pas l’habitude d’en récolter le caoutchouc. Cependant, les quelques troncs que j’ai vus sont entièrement criblés d’incisions mal faites. Il y a peu de fruits dans ces lianes et ils ne sont pas mûrs. Le saba (Landolphia senegalensis) est plus commun ; il a les fleurs glabres. Dans la brousse, ses fruits commencent à mûrir. Depuis trois jours, j’en rencontre des fruits dont l’intérieur a été mangé par les caravanes de passage. Mes porteurs eux-mêmes, à chaque pose, s’empressent de grimper aux arbres où se montrent les tobis. En mangeant tous les fruits de la brousse (même le kounan dont le noyau est énorme), le noir en avale la totalité sauf la peau. Les autres fruits vus à Fô sont : la petite prune jaune (Ximenia americana L.) et le fruit gluant pour le dolo.
Sur les roches croît l’Euphorbe habituelle maintenant couverte de feuilles, et une autre Euphorbiacée vue ici pour la première fois. Il y a encore, dans cette région, quelques beaux finzans, des baobabs jeunes, d’autres assez âgés, déjà couverts de fleurs et de jeunes fruits et offrant en même temps des boutons non épanouis et même peu avancés.
Je viens de faire une excursion dans la montagne environnante après la tornade survenue vers 4 heures. En escaladant les terrains formant parfois de véritables balcons ou des escaliers tournant autour de ces rocs, on parvient à leur sommet. On aperçoit, à une grande distance, le cirque de ces rocs. L’aspect en est plutôt tourmenté. On voit, de toutes parts, de vastes espaces gris absolument dénudés qui sont parfois des tables de pierres, ravinées, creusées d’anfractuosités, de fentes vives, de blocs, derniers survivants des rocs qui ont surmonté ces tables. Çà et là, des rochers subsistent encore et ont pris, sous l’action des eaux, des aspects extrêmement variés. Ce sont tantôt d’énormes prismes couronnés parfois de verdure, d’autres fois des pyramides noirâtres comme toute la roche (recouverte de croûtes de lichens), surmontées d’une masse blanche qui est un bloc de quartz plus dur qui a résisté davantage à l’action des eaux. D’autres fois, ce sont de longues murailles crénelées ou festonnées comme à Sindou, puis encore de grands espaces désolés où il n’y a rien comme végétation, mais où sont creusées, parfois, des cuvettes très peu profondes où l’eau s’accumule après les tornades. Ces rochers sont souvent creusés de grottes assez vastes, autrefois habitées si l’on en juge par les débris de charbons encore en place et par la richesse en humus de l’entrée de ces grottes qui aujourd’hui servent seulement de repaires à d’énormes chauves-souris.
La partie du village tournée vers le nord est longée par un bas-fonds qui sépare le village des rochers. Ce bas-fond est très riche en alluvions, aussi le terrain est-il partagé entre tous les habitants et cultivé par eux en jardin. Ces lopins de terre se touchent tous et sont sépares par des fossés profonds. Ces jardins sont en outre souvent limités par des palissades en tiges de mil. Ils ont quelquefois plus d’un are d’étendue. On y cultive des piments : gon, ngoyo, soso, etc. des plants de mil et de mais. Ils sont assez bien entretenus, et purgés des Cypéracées qui ne manquent pas de s’y développer si on les abandonne sans soins.
Falamana (en passant par Dorona et Bambé).
10, 11 et 12 juin. — Nous sommes partis de Fô à 4 heures 1/2 du matin. Au lever du soleil, vers 5 heures 3/4 nous sommes à côté d’une mare remplie de Graminées et de Cypéracées et bordée d’un champ planté en calebassiers. Les fruits mûrs sont jaunes et les tiges desséchées sont appliquées directement sur le sol. A la halte, vers 6 heures, nous traversons une ceinture de petites roches qui n’est que la continuation des rochers de Fô. Ces rochers sont rendus entièrement grisâtres par un lichen non développé. Il y a quelques mousses au pied. Les sanans et les dialas sont communs sur la route.
Zamblara. — Tiédiana.
15 juin. — Nous partons à 6 heures. La route est assez monotone. Elle est occupée presque d’un bout à l’autre par d’anciens lougans où de maigres futaies ont repoussé. Çà et là seulement un nété, un sé ou un sanan à gros troncs dominent cette maigre végétation. Zamblara est entouré d’une tata. Les plants de doubalés ont repris au bord du chemin. Je remarque quelques cultures de Gossypium et d’Indigofera. Les bords de la route sont entièrement semés de fruits de douda et seulement de quelques karités. Je rencontre aussi, pour la première fois, le sié. L’Orchidée violette existe toujours ainsi que la petite Liliacée à fleur unique jaune. Je remarque quelques touffes seulement de Tacca. L’Aroïdée à fruits souterrains est commune. Au bord du chemin se trouvent plusieurs termitières coniques à nombreux clochetons ayant jusqu’à 4 et 5 mètres de haut. Elles sont éventrées ; l’intérieur est creux. La paroi en terre durcie a seulement 20 ou 30 centimètres d’épaisseur ; elle est très dure, difficile à démolir. De telles constructions doivent avoir des siècles d’existence. Hier, le lieutenant me faisait remarquer qu’on ne trouvait jamais de termitières de cette forme en voie de construction. Les insectes qui y sont actuellement logés seraient cantonnés seulement sur le sol de l’intérieur de la cavité. On ne remarque même pas de galeries montant à l’intérieur et à l’extérieur du dôme. Les galeries, s’il y en a, sont enfermées dans les murs proprement dits.
A Zamblara, il existe une case carrée (murs de 1 mètre 80 de haut) non couverte, remplie de tessons de calebasses. C’est la case grigri du dehors du village. Il y en avait une identique hier à Kaledougou.
Le campement à Tiédiana est très confortable, installé à l’ombre de magnifiques baobabs, actuellement en pleine floraison et dont quelques-uns ont une quinzaine de mètres de circonférence au tronc. Ces troncs présentent les aspects les plus variés ; les uns ont des contreforts à la base, analogues aux piliers des fromagers, les autres sont couverts de verrues de dimensions variables ; quelques-uns présentent des sortes de chancres sur leurs troncs ; beaucoup sont munis d’échelons enfoncés dans l’arbre et qui permettent aux habitants d’aller récolter les feuilles qui constituent ici la base de la sauce du couscous.
C’est aujourd’hui jour de marché. Il se tient sous un arbre en dehors du village. J’y remarque une certaine quantité de petit mil et de gros mil blanc, beaucoup de belles arachides. C’est la partie principale des produits apportés au marché. Elles se vendent 0 fr. 50 les 5 litres. L’arachide paraît réussir merveilleusement dans les territoires que j’ai parcourus depuis Bobo. Les jeunes pieds qui, dans beaucoup de lougans, commencent à fleurir, sont très vigoureux. A cette époque avancée de l’année où le mil fait défaut dans un grand nombre de villages après les semailles, on trouve encore à un prix raisonnable des arachides. Les autres produits observés sont : des feuilles de tabac en paquets, des graines de nété, des feuilles de da, des piments frais n’appartenant pas au petit foroto habituel, des calebasses de kounanguis, deux grands paniers de tubercules de diabéré (courouba), des fruits de saba (4 pour 5 cories) et de douda, des pois secs de soso, des tiga ni gouélé, des fibres de sibi pour raccommoder des calebasses (le raccommodeur travaille sur le marché), des poissons secs, quelques poulets, quelques écheveaux de laine, coloriés en rouge, venant de Bandiagou.
Dans les jardins, il y a en ce moment de jeunes pieds de n’goyo, de vieux troncs de tabac, quelques gans, un arbuste d’introduction européenne, couvert de fleurs et de fruits. Des ricins, en quantité, lèvent dans une partie inculte. Dans le village, je remarque quelques pieds de doubalés. Autour du village, la culture du manioc occupe une assez grande superficie. Presque partout, les terrains sont plantés de manioc et de rangs de tigani. Le mil est levé. Le village paraît riche. On apporte des œufs, du lait, des poulets en abondance. Les habitants mangent ici le baliman. Je trouve un petit bois où on en a déterré récemment une grande quantité. Diverses Ampélidées existent ici et commencent à pousser. Enfin, je trouve deux espèces de Dioscorées sauvages comestibles : le niambi ou diambi ou niami à longs rameaux latéraux étalés horizontalement, le fassaca à grandes feuilles, à rameaux latéraux courts. L’Aroïdée à fleurs souterraines est commune sous les arbres ainsi que le Tacca[6] qu’on ne récolte pas.
Dans l’intérieur du village, il y a plusieurs petites cases gris-gris fétiches. L’une d’elles sert à remiser les gris-gris du chef de village, liés avec une corde et suspendus dans l’espace. Une autre sert à trouver une femme pour le mariage.
Le garçon qui veut se marier vient, le soir, verser, dans la case à toit conique, par le sommet (recouvert en temps ordinaire par une calebasse renversée mais qui peut être retournée) du couscous ou du riz et s’en retourne persuadé que l’obtention d’une femme est ensuite chose facile.