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Voyage scientifique à travers l'Afrique occidentale : $b Soudan français, Sénégal, Casamance

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Fig. 5. — Un Pterocarpus erinaceus au Soudan français.

Djenné.

Djenné est occupé par les Français depuis le 3 janvier 1893. La population de cette ville est très industrieuse et très intelligente. Les Diénékés étaient sous la domination des Toucouleurs. Le nombre des habitants est actuellement de dix mille. Ils sont très soumis, pacifiés et ils payent régulièrement l’impôt, surtout en cories. Djenné est la plus belle ville de tout le Soudan français. Toutes les constructions sont en terre, mais elles sont larges, spacieuses. Les maisons sont carrées ; elles ont presque toutes un étage (quelques-unes en ont deux) et possèdent des promenoirs en terrasse en dessus avec une sorte de parapet en terre. Ces maisons s’élèvent de 10 à 15 mètres au-dessus du sol. Quelques-unes ont le rez-de chaussée à 1 mètre au-dessous du niveau du sol. Les fenêtres sont rectangulaires. Il existe parfois (notamment au poste) de véritables cloîtres promenoirs cintrés au premier étage, où l’on est à l’abri du soleil une grande partie de la journée. Le poste est large, spacieux, extrêmement confortable avec de vastes bâtiments offrant une véritable architecture. Je remarque la salle à manger avec ses décorations en terre, ses niches destinées à recevoir de grands cierges en cire, placés dans des boîtes en fer-blanc.

Le palais du roi toucouleur Ahmadou est occupé aujourd’hui par les bureaux du cercle. J’ai visité également la maison où habita René Caillié ; la maison des passagers est extrêmement confortable. Dans la ville, il faut visiter le marché et la place qui précède le poste, plantée de nombreux doubalés déjà vigoureux, les ruines de l’ancienne mosquée, la mosquée actuelle, le cimetière européen récent où l’on voit une dizaines de tombes. Il est entouré de hauts murs ; les allées en sont bordées de bouteilles. Un monument élevé au centre porte les mots : Honneur et Patrie. Les tombes sont des tables en terre durcie avec une croix médiane couchée et une petite croix en fer à la tête. Les cimetières indigènes forment de petits groupes de quelques tombes dont les unes sont entourées d’un mur en terre peu élevé. Ces cimetières sont éparpillés dans la ville et tout autour sur les petits mamelons qui ne sont pas atteints par les eaux au moment de l’hivernage. On observe sur ces tombes des sortes de vases funéraires ayant la forme d’un tube un peu évasé au sommet. Elles sont munies d’ornements et s’élèvent à une hauteur de 40 à 50 centimètres au-dessus du sol.

Dendé.

Nous arrivons à Dendé à 11 heures. C’est un village habité par des bozos, des peulhs et quelques diénonkès. De magnifiques troupeaux de vaches pâturent au bord du fleuve. Le village (en terre) a été détruit ; il n’y a plus que des cases toucouleurs. Le cotonnier pousse en abondance autour du village. Les touffes arborescentes, très rameuses dès la base, atteignent 2 mètres de haut. Elles sont complètement vivaces. Sur le même pied, j’ai remarqué des fleurs jaunes et des fleurs pourprées. Les fleurs pourprées paraissent les plus âgées. On trouve aussi en assez grande quantité autour du village des indigotiers à feuilles un peu argentées et à fleurs verdâtres. Les arbres donnant de l’ombrage qui existent dans le village, sont des nongos, des tongoués, des cobos.

Guibira.

Ce village situé sur la rivière est formé de cases en terre et habité par des bozos. Il est sur une plate-forme élevée de 4 à 5 mètres au-dessus de la plaine environnante qui doit être inondée pendant l’hivernage. Je remarque quelques beaux arbres : le nogo, le nonno, le sebé, le cobo, le toro. La plaine est couverte de quelques Graminées à rhizome rampant et de quelques Cyperus. La Composée à disque jaune est abondante dans cette région qui est très herbeuse. Au bord du fleuve, un peu en aval, existe un petit mamelon sur lequel je remarque quelques beaux arbres avec de nombreux arbustes et des lianes. L’ensemble forme un buisson assez épais où se reposent un grand nombre d’oiseaux : une compagnie de perdrix ; des gendarmes, de la grosseur d’un moineau et dont le plumage est jaune sur le corps et noir sur la tête ; des pigeons de Djenné au plumage cendré. Ce pigeon est très commun à Djenné ; il niche dans la ville et dans les villages situés le long du Bani. Les palmiers sébé sont en ce moment couverts de régimes dont les fruits ne sont pas mûrs. Je remarque aussi un jeune pied de djemeni. Beaucoup de fruits de sébé sont mûrs. Le bosquet bordant le Bani sert de cimetière. Il y a quelques tombes récentes de bosos entourées de piquets.



CHAPITRE III

ENVIRONS DE TOMBOUCTOU ET RÉGION DES LACS DU NIGER MOYEN


Hydrographie des environs de Tombouctou.

Marigot de Day. — Le marigot de Cabara s’étend jusqu’à Tombouctou pendant les grands hivernages. L’eau n’est pas venue sous cette ville depuis la prise, en 1894. En temps habituel, on redoute ces inondations qui entravent toute communication entre Tombouctou et Cabarah, mais actuellement on en désire une parce que l’eau va manquer à Tombouctou.

Les mares de Tombouctou. — Ces mares sont formées par un niveau d’eau sous une couche d’argile. La couche de sable qui recouvre l’argile se trouve imprégnée d’eau sur une hauteur qui varie avec la hauteur de l’eau dans le fleuve et dans les marigots qui communiquent avec lui. Actuellement, il faut descendre de 10 à 15 mètres au-dessous du niveau du sol de la ville, dans les mares pour y puiser de l’eau et encore, tous les soirs, le fond des flaques est presque à sec. Dans la nuit, l’eau s’accumule de nouveau dans ces flaques par suite des suintements qui se produisent sur les parois du sable. L’eau des mares est très sale le soir, les indigènes étant venus y puiser, s’y laver et même s’y baigner pendant toute la journée. Le matin, elle est assez limpide car elle a eu le temps de se déposer dans la nuit. Toutes ces mares sont remplies d’une végétation aquatique. On y trouve diverses algues bleues et surtout vertes (Confervacées, Spirogyres, etc.). L’eau est actuellement colorée en vert, probablement par les spores de ces algues. On trouve dans toutes les mares une Lemna qui ressemble au L. minor par son thalle, mais elle est dépourvue de racines. Il n’y a pas de Pistia dans ces mares ; par contre on y trouve beaucoup de Graminées et de Cypéracées, et en abondance les deux espèces de Jussiæa déjà récoltées.

Faune des mares de Tombouctou. — Quelques insectes aquatiques vivent dans l’eau dormante ainsi qu’une espèce de grenouille ou crapaud. On y trouve aussi un poisson siluridé, à grosse tête couverte de grandes écailles osseuses, à bouche entourée de barbillons allongés. Certaines années, on y a vu des caïmans atteignant jusqu’à 1 mètre de longueur. Ils avaient été apportés évidemment par l’inondation. D’après les photographies prises par F. Dubois à son passage à Tombouctou, l’eau paraissait venir jusqu’au niveau du sol à cette époque. Il faut, aujourd’hui, descendre de 5 ou 6 mètres pour aller y puiser.

Les principales mares sont : celles des Spahis dont l’eau est assez claire ; la mare du jardin du poste ; la mare du jardin des Pères Blancs ; la mare située derrière la grande mosquée ; la mare de l’Est ; enfin les mares appartenant aux indigènes. Autour de ces mares on cultive : le da, le gombo, le cotonnier, le tabac, l’indigotier, une espèce de menthe[7].

Climat de Tombouctou.

Il n’y a qu’une quinzaine de pluies par an. La plus abondante a lieu vers le 15 août. On en a parfois vu de plus longues.

Les indigènes se souviennent avoir vu plusieurs fois de la glace à Tombouctou. Les chutes de grêle sont assez fréquentes. M. Vidal en a observé une très abondante et dont les grêlons avaient la grosseur d’un œuf de poule. On put en recueillir, au poste, une assez grande quantité pour faire des boissons à la glace. La température est fraîche pendant les mois de novembre, décembre, janvier. On a vu des moyennes de 12° pour une journée. Fréquemment le thermomètre descend, le matin, à 6°. C’est l’époque de la plus grande mortalité, même pour les européens. En juin, juillet, août, la température est très chaude ; cependant il y a toujours du vent. Souvent le thermomètre dépasse 35° à l’ombre au milieu de la journée, entre 10 heures et 4 heures. Le ciel est bleu grisâtre une grande partie de l’année. Du 15 au 30 juillet, il est presque toujours nuageux, et son aspect est celui des ciels du Nord de la France.

Tornades sèches. — Elles sont très fréquentes à cette époque de l’année. Il y en a presque tous les jours. Elles apparaissent, en général, à la tombée de la nuit entre 6 heures et 8 heures. Les éclairs sont fréquents. A l’horizon, ce sont des éclairs de chaleur, et entre les nuages noirâtres des éclairs en zig-zags. Ces tornades viennent ordinairement de l’Est, parfois du Nord ou de l’Ouest, très souvent du Sud. Lorsqu’elles se produisent, les sables sont chassés avec une grande violence ; le ciel s’obscurcit et prend une teinte rougeâtre ; le sable s’accumule en gros tas généralement vers l’Est. Cette tornade sèche dure habituellement vingt minutes, mais peut durer deux heures.

Tornades humides. — Pendant une tornade sèche il ne pleut, pour ainsi dire pas. On a vu cependant des tornades d’une grande violence ; l’une, en 1897, donna 65 millimètres de pluie et dura plusieurs heures, l’eau tombant à torrents. Il y a environ vingt tornades de pluies par an, réparties entre les mois de juillet, août, septembre, donnant en moyenne 50 centimètres d’eau par an et 22 millimètres par tornade. Le petit hiver est marqué en janvier par la grande fraîcheur qui revient certains jours où le soleil reste caché toute la journée. Il peut aussi tomber quelques petites pluies insignifiantes durant cet hivernage. Pendant le grand hivernage, en outre des vingt grandes tornades dont il a été parlé, il tombe aussi, à la suite d’une partie des tornades sèches, quelques gouttes de pluie, trop faibles pour être enregistrées au pluviomètre. Ce n’est qu’au moment des grandes pluies que l’eau ruisselle un peu ; mais elle est bientôt absorbée par les sables. A Cabarah, et le long du fleuve, il tombe une plus grande quantité d’eau.

Géologie de Tombouctou.

Terrains. — Du sable, des alluvions argilo-humiques dans la vallée du Niger, et c’est tout. Les pierres sont très rares à Tombouctou ; je n’ai pas pu en trouver pour sécher mes plantes. Celles qui servent de meules ou pierres à foyers ont été apportées. Dans les sables j’ai trouvé de petites concrétions calco-siliceuses paraissant de formation récente. Les sables de Tombouctou sont remaniés constamment, les dunes se déplaçant là où elles ne sont pas fixées par les arbustes épineux et les Graminées. Ces sables sont blanchâtres, très fins. Soulevés en nuages dans l’air, ils ont un aspect rougeâtre. Tombouctou ne paraît pas avoir été toujours renfermé dans des dunes de sables.

On trouve dans les mares, à 10 ou 15 mètres de profondeur au-dessus du niveau moyen des dunes, une couche argileuse de terre blanchâtre, brune, liante, très fertile. C’est le niveau d’eau de Tombouctou. Cette terre paraît être due aux alluvions du Niger qui s’étendait jusque là autrefois. Les abords du Niger, vers Kourioumé et Day, sont entravés d’épaisses couches alluvionnaires dans lesquelles les indigènes vont tailler la terre grasse qui sert à fabriquer le ciment de Tombouctou. C’est dans ce terrain que le bras du marigot de Day s’est creusé un lit. Au delà de Kabarah, ces lits ne roulent plus que sur le sable meuble ; il n’y a pas trace d’alluvions dans les tranchées où les eaux se répandront dans quelque temps pour venir à Tombouctou. Les sables de Tombouctou n’étant pas stables, on n’y trouve pas de fossiles ; on rencontre seulement, aux abords de la ville, une grande quantité de débris d’os et de poteries, mais tout cela est très récent. Les os, sur le sable, possèdent une blancheur éclatante. J’ai trouvé, derrière le fort Bonnier, une petite coquille tertiaire à la surface du sable qui n’était évidemment pas en place. Enfin les indigènes m’ont dit qu’avant l’arrivée des Français, au lieu d’aller chercher la terre glaise pour bâtir les habitations du côté de Dayet Kouriouné, on la prenait à Kabarah. On creusait des puits (dont je n’ai pas vu trace) et, avant d’arriver à la couche argileuse, on trouvait un lit de sable plus compact qui était rempli de coquilles admirablement conservées. On voit encore des coquilles semblables chez les indigènes de Tombouctou. Ils les emploient pour faire des colliers. Je m’en suis procuré 300 à raison de 600 cauries (25 pour un sou). D’après mon boy, Sidi Diallo, le sable, à la surface du sol, est jonché de coquilles. Le R. P. Dupuis possède une collection de coquilles tertiaires qui viennent du versant ouest du lac Horo.

Goundam.

De Djindjin à Goundam il y a seulement 15 ou 16 kilomètres. Peu après notre départ, l’aspect du paysage change. Les arbustes sont plus verts. Des terrains dénudés, un peu argileux, remplacent les dunes de sables mobiles. Ce sol est recouvert presque entièrement d’une courte végétation parmi laquelle domine une Graminée. La petite plante à feuilles composées et à fleurs jaunes est aussi commune. J’ai trouvé également un Tradescantia. Les terrains couverts de débris divers attestent la fréquence des campements ou emplacements d’anciens villages. A l’approche de Goundam, on trouve des graviers ferrugineux éparpillés sur le sable, puis des blocs d’une sorte de grès rouge. Tout près de Goundam une couche argileuse retient des eaux boueuses dans une légère dépression. Les arbres de la brousse sont toujours les mêmes qu’à Tombouctou, mais ils ont généralement une plus belle taille et un aspect moins rachitique.

Montagne de Goundam (Bankerré).

La montagne plus au nord s’appelle simplement Bancor. Les habitants de Goundam la nomment Bankorré, à proximité du village. Elle est située à 3 kilomètres au nord de Goundam et orientée du Sud au Nord. Son élévation est de 150 mètres environ au-dessus de la plaine sablonneuse couverte de dunes. Elle présente, vers l’Ouest, une échancrure près de laquelle se trouve le sommet. Le front de la colline, vers Goundam, se termine assez brusquement en falaise d’une largeur de 2 kilomètres environ. La pente en est assez raide, quoique interrompue par deux seuils à déclivité douce : l’un au pied de la colline, l’autre au sommet. Ce sommet est un plateau qui s’étend à perte de vue dans la direction du Nord, accidenté seulement, çà et là, par de gros blocs de grès. Vu de Goundam, le front de la montagne paraît dénudé, rougeâtre, semé seulement de petits buissons espacés, arrondis. Quand on arrive au pied, on voit que l’aspect rougeâtre est produit par un enchevêtrement de blocs de grès éboulés à angles tranchants, enchevêtrés sans ordre sur les flancs de la montagne et en rendant l’ascension pénible. Ces blocs qui ont ordinairement une grosseur double ou triple de la tête et qui atteignent quelquefois un volume de plusieurs mètres cubes, sont formés de grès compacts, durs, à grain fin sans galets, blancs ou veinés de rouge, parfois assez micacés. On n’y voit pas trace de fossiles, mais c’est un terrain probablement de même âge que les grès de Bammako. Parfois il s’y trouve, en outre, des paillettes d’un petit minéral noir qui donnent aux blocs l’aspect granitique. Nulle part je n’ai vu la roche en place. Il existe, autour de Goundam, des blocs de cette roche qui sont éboulés plus bas encore, par exemple ceux qui remplissent le fond du lit, visible à la saison sèche, du marigot de Goundam.

Au moment des grandes pluies, les eaux du marigot vont battre les pieds de la montagne, car j’ai trouvé là, en grande quantité, les coquilles nacrées d’un petit bivalve. Les buissons qui croissent sur les flancs de la colline sont des berré (Euphorbes) et des Albarcantegna (Commiphora africana Endl.). Les hiro, quoique très communs au pied, ne croissent pas sur les flancs. Les autres arbustes qu’on rencontre sur les flancs sont le querné, Capparis à fleur jaune, assez commun ; l’ashou ouar, Capparis à fleur jaune-vert, et l’ashou oueil, Capparis stérile, ces deux derniers peu communs ; le deligna, Acacia Senegal Willd. en pleine floraison, mais peu abondant ; l’Acacia Trentiniani, très voisin du précédent ; le mar doungouri, Cléome à belles fleurs jaunes.

On remarque encore, parmi les blocs, le bolla (Boucerosia tombuctuensis), Asclépiadée cactiforme en pleine floraison. Une petite plante, à fleurs jaunes et à feuilles trifoliolées, est très commune. Elle descend au pied de la montagne ainsi que 4 ou 5 Graminées très caractéristiques.

Du haut de la colline on jouit d’un magnifique panorama : au Sud, la plaine de Goundam et plus loin d’autres montagnes ; à l’Ouest, les montagnes et la trouée du Faguibine ; enfin, au Nord, le plateau très boisé et verdoyant qui s’étend aussi loin que la vue peut porter.

A Goundam, la végétation est en avance sur celle de Tombouctou. Cela tient certainement à la plus grande abondance de pluies tombées ici. Les kramkrams, dont les épis sont rares à Tombouctou, entrent ici en pleine floraison. Plusieurs autres plantes, dont je n’avais vu à Tombouctou que de vieux pieds de l’année dernière ou des germinations ou même de jeunes pieds levés aux premières pluies et desséchés ensuite, existent à Goundam en pleine floraison et en pleine végétation.

13 août. — A 4 ou 6 kilomètres de Goundam, on trouve l’emplacement de jardins de cultures qui avaient été choisis par le commandant du poste pour en faire une station d’essai. De très beaux cotonniers croissent à l’entrée du Télé. On traverse son lit dans toute sa longueur. Nos chevaux ont de l’herbe (bourgou ?) jusqu’au poitrail.

D’après les indigènes, le bourgou se recueille sur les bords du marigot de Goundam et sert à l’alimentation du bétail pendant une grande partie de l’année. Le Télé est complètement à sec en ce moment. Par places, on aperçoit de hautes végétations très verdoyantes et des prairies de hautes Graminées fourragères, puis on retombe sur des dunes littéralement couvertes de longues tiges de l’Ipomaea asarifolia Roem. et Schult. à larges corolles pourpres. On arrive au village de Fatatiama fort avant dans la nuit, après avoir traversé un terrain couvert de débris de rochers et de gros galets anguleux de grès blancs-rougeâtres. Le sol est entièrement couvert de ces blocs de pierre, aussi la traversée est-elle des plus difficiles. Par places, dans le lit du Télé, on voit des terres à riz préparées pour l’ensemencement. Il se fait deux récoltes par an. La première (blé ou mil) après le retrait des eaux ; la deuxième (riz), pendant l’inondation, c’est-à-dire de septembre à décembre.

Fatakama.

C’est un gros village, en grande partie détruit. Les murs des cases sont en pierre et la maçonnerie en est grossière. Le village est situé sur une petite falaise rocailleuse au bord du lac. Durant la nuit, une petite tornade survient. Il ne pleut pas beaucoup, mais l’eau tombe davantage vers le Nord où nous passerons demain.

14 août. — Au sortir de Fatakama, et jusqu’à Alfao (18 kilomètres), nous marchons constamment dans le lit du Télé maintenant complètement à sec. Le fond en est sablonneux ; par places, un peu humide. C’est là qu’il y a de très belles plantations de coton, gros mil, petit mil, maïs. Dans les sables, on voit de petites coquilles nacrées, très communes aussi sur les bords du Faguibine. Le fond sablonneux du Télé est couvert de Talala (Ipomaea asarifolia Rœm. et Schult.) qui forment réellement le fond de la végétation ; leurs belles fleurs rouges émaillent tout le vallon. Sur les rochers qui forment des falaises pittoresques s’élèvent de très nombreuses touffes de berré et d’Acacia.

En arrivant à Alfao nous pénétrons sur les dunes sablonneuses assez élevées, semées de horré et de Salvadora. J’ai remarqué, sur la route, trois champignons fréquents qui ont du se développer après la pluie de la veille (une Agaricinée, une Lycoperdiacée, enfin le Podoxon Chevalieri qui est très abondant).

De Alfao à N’Bouna.

Nous marchons constamment dans les dunes sur une longueur de 28 kilomètres environ. Les dunes sont parfois coupées de masses rocheuses formées de grès rougeâtres à gros grains quartzeux et de sables micacés. Elles m’ont semblé contenir aussi de petites paillettes d’or ; toutefois, je n’oserais affirmer que ce ne sont pas des parcelles de mica plus vivement colorées qui m’ont fait croire à la présence de l’or. Les berrés croissent en abondance sur ces terrains ; leur odeur résineuse est assez pénétrante pour que l’un de nous en soit incommodé.

Partis à 4 heures du soir de Alfao, vers 9 heures 1/2, nous arrivons au bord du Faguibine, dans une vaste plaine de sable absolument nue. Rien n’y pousse. On entend de temps en temps les cris des chacals ; dans le lac croassent des grenouilles. Nos chevaux enfoncent parfois jusqu’au jarret dans ce sable sur lequel croît seulement après les pluies le Podoxon Chevalieri.

15 août.Arrivée à N’Bouna. — Tous les notables et le chef Baba viennent nous saluer. Des paillotes en nattes constituent ce village dont les rues sont spacieuses. A l’hivernage, le village est envahi par les eaux. Les habitants vont dans les dunes, plus loin, emportant leurs paillettes et reviennent ensuite. Les bords du Faguibine sont couverts de niébés, de mil, de cotonniers, d’indigotiers. Ces cultures forment au village même une étroite bordure qui a à peine 10 mètres de largeur. Vu de N’Bouna, l’aspect de ce grand lac, inondé de lumière, enveloppé de toutes parts par la ceinture éblouissante des sables, est vraiment imposant et grandiose. On aperçoit de là l’île de Taguilem avec son massif montueux élevé d’une trentaine de mètres. En face de nous se trouve une autre petite île plate, qui, ensemencée en riz, sera bientôt recouverte par les eaux. Le Faguibine nourrit de très beaux poissons. Il renferme aussi des caïmans, mais les indigènes affirment qu’ils sont tous de petite taille. De nombreux bancs d’oiseaux vivent constamment sur le rivage.

Bords du lac Faguibine.

16 août.Cultures. — Les six plantes qui sont cultivées à N’Bouna en ce moment sont : le cotonnier, le riz, les niébés, l’Hibiscus Sabdariffa L., le sésame, le gros mil et le petit mil. Il paraît qu’en quelques endroits on cultive aussi un peu de maïs, du tabac, des melons, des pastèques, des concombres et des courges. La flore est peu riche : c’est celle des bords du Niger et du marigot de Goundam. Le lac est entouré de vastes plages sableuses, nues. A 50 mètres du bord se trouve une pelouse fine, pâturée par des ânes ; elle est formée du gazon court vu à Goundam, composé surtout de Cynodon dactylon L. (chiendent) et de la petite Cypéracée vivace, à tubercule odorant de Bourem. Le sable des bords du fleuve, sur une épaisseur de 2 à 3 centimètres, est coloré en vert par une algue qui donne la même coloration à l’eau du lac. Je n’ai pas vu de plantes aquatiques dans l’intérieur du lac, pas même de bourgou. Sur la plage on trouve beaucoup de poissons morts, spécialement des Siluridés, et un poisson plat dont la forme générale rappelle celle de la raie. Souvent leurs cadavres sont entassés dans de petites cuvettes, où l’eau a sans doute persisté plus longtemps, et où elle a fini par s’assécher.

Les oiseaux les plus fréquents que nous apercevons sont des grues, des oiseaux trompettes, des vanneaux. La petite coquille blanche est toujours commune sur les bords ainsi que des anodontes et quelques autres bivalves. Quelques pélicans prennent leurs ébats dans le milieu du lac.

Coupe schématique des bords du Faguibine au moment des basses eaux.

AB. Lac Faguibine. Les eaux du bord venant constamment laver les sables de la plage sont toujours boueuses.

BC. Écume blanche à la limite des eaux.

CD. Zone sablonno-vaseuse, sans végétation, récemment découverte par les eaux. La surface est encore humide et enfonce sous les pieds. Les noirs qui y travaillent ont les pieds enfoncés dans la vase, de la cheville jusqu’à la cuisse. C’est dans cette zone qu’on plante en ce moment le riz venu en pépinière en EF.

DE. Zone sans végétation, à surface couverte de plaques vaseuses, desséchées, fendues et séparées les unes des autres en plaques épaisses de un centimètre environ. Au-dessous de cette couche complètement desséchée et aride, on trouve un sol humide retenant beaucoup l’eau et très riche. C’est un sol sablonno-argilo-humique, retenant l’humidité grâce à la forte proportion d’humus qu’il contient. Il est de couleur rouge grisâtre, avec de larges plaques noires fétides (humus) quand on coupe le sol. Les pieds de riz, développés exceptionnellement dans ce terrain, y sont très beaux ; les pieds de mil, au contraire, sont à feuilles jaunes et malades, la dessiccation du marais ayant été faite trop vite. C’est ce sol exceptionnellement riche qui convient à la culture du blé au moment des hautes eaux.

EF. Champs de mil plantés à demeure et pépinières denses de pieds de riz qu’on arrache à cette époque, pour les planter à la limite des eaux. Le sol argilo-humique est déjà moins riche que celui de la zone précédente. Sous une faible épaisseur de terre, 1 ou 2 centimètres, la terre est encore humide et mêlée de taches noirâtres. La surface du sol est souvent recouverte de coquilles de Cérithes semées à la surface du sol, surtout dans les endroits où on a fait des trous pour semer le mil. Il y a de deux à cinq pieds de mil par trous distants de 50 à 70 centimètres. Ils sont assez jeunes ; quelques-uns commencent à laisser sortir les épis. Le riz est très verdoyant. Les touffes sont serrées. Il a été semé à la volée.

GH. Terres de moins en moins riches et de moins en moins humides ; le sol est maintenant presque sablonneux. On y cultive encore du mil, des pastèques, de l’indigotier, des melons, des niébés. Il n’y a plus de riz. Les trous creusés de 50 centimètres de profondeur contiennent de l’eau ; c’est le niveau d’eau du lac. La végétation cultivée commence à souffrir de la sécheresse.

HI. Petite pelouse de gazons verdoyants, courts, serrés, broutés par les troupeaux. La végétation est constituée par un petit Cyperus à tubercules et par la petite Graminée vivace trouvée sur les bords du marigot à Goundam. Ces deux plantes ont les racines traçantes, ce qui explique qu’elles restent très fraîches. D’ailleurs le sol est encore humide à une très faible profondeur.

IK. Premières dunes de sable. Le sol est encore complètement nu. Il n’y a pas trace de végétation arborescente. On y voit seulement quelques touffes de Talala. Le sol, dans cette zone, contient un grand nombre de coquilles trivalves nacrées. Beaucoup sont brisées. Quelques-unes sont encore recouvertes de la couche noire extérieure.

KL. Deuxième zone de dunes. Le sol est couvert de buissons de hiro. Il n’y a presque pas trace de végétation herbacée. Ce sable est jonché de petites coquilles de trois espèces (dont la cérithe).

LM. 3o zone des dunes. C’est la flore désertique principalement. Les Mimosas alternent avec les hiros. Le sol est mêlé souvent de débris de coquilles nacrées, trivalves de la zone IK. Les sables sont mobiles. Ils conservent plusieurs jours, quand il n’y a pas de tornades, l’empreinte des pas des animaux. La zone fertile cultivable AI a une épaisseur variable de 1 à 2 kilomètres. A N’Bouna, elle est bien plus étroite puisqu’elle n’a plus que quelques mètres d’étendue.

Coupe des bords du lac à N’Bouna.

AB. Bords du lac.

BC. Rizière ; riz semé en place (terrain humide).

CD. Cultures de niébés, mil, cotonnier, sol presque inerte ; sables mêlés d’un peu de limons.

DE. Dune nue, sur laquelle est bâtie N’Bouna. Le village est recouvert d’eau pendant les hautes eaux. Les habitants se retirent dans la deuxième dune.

EF. Dunes boisées où croissent les hiros et les Mimosas.

Autre coupe des bords du Faguibine.

AB. Eau.

BC. Écume boueuse des bords.

CD. Plage de sable nue, jonchée de poissons morts. Le sable est sec sur une épaisseur de 1 à 2 centimètres. Au-dessus on trouve une couche limoneuse, épaisse de 1 à 2 centimètres, colorée en vert par une algue microscopique qui s’y trouve en abondance.

DE. Petit pré, de gazon court, large de 5 à 10 mètres (et Graminée de Goundam).

EF. Sables nus ou couverts de quelques touffes de talala.

FG. Dunes avec touffes de hiros et de Mimosas.

Ras-el-Mâ.

Ras-el-Mâ est situé en plein désert, loin de tout village. Le plus rapproché est N’Bouna qui se trouve à 50 kilomètres. Il y a des campements plus près. Le poste se trouve actuellement à 8 kilomètres du Faguibine. Au moment de sa création (début de 1895), le poste était situé au bord même du lac. Depuis cette époque, le Faguibine n’a presque pas monté aux hivernages. Il se dessèche de plus en plus et ses eaux sont croupissantes. Les caravanes sont obligées de venir à proximité des routes pour faire boire leurs troupeaux. Les indigènes disent que, dix ans avant la dernière inondation, il y eut déjà une grande crue. En dehors de ces deux inondations, la génération actuelle ne se souvient pas d’en avoir jamais vu des traces aussi importantes. Tout, dans les environs du poste, porte les empreintes de l’inondation de 1895. Le poste est situé à la limite des derniers arbres de la brousse. De là au lac s’étend une vaste plaine nue, couverte seulement de maigres végétaux herbacés. Cette plaine est jalonnée de troncs secs, décortiqués, d’Acacias et d’autres arbres qui ont été tués par l’inondation de 1895. Ces troncs sont en général assez bien conservés, les termites n’existant pas dans le pays. Certains de ces troncs ont jusqu’à 1 mètre de circonférence. A l’entrée du poste, existe une légère dépression dans laquelle passait l’eau du lac et où l’on pouvait se baigner. Il n’y a pas d’eau maintenant autre que celle des puits des environs.

La végétation est très peu avancée. Les bissos (Acacia arabica Willd), sont presque les seuls végétaux ligneux que l’on trouve dans cette région.

Les Foulfoulbés et Toucouleurs appellent cet arbre gaoudi. Diallo me raconte qu’on recueille également une gomme pour la vendre, mais qu’elle est bien moins bonne que celle de l’Acacia Verek que les Foulfoulbés appellent patouki. La gomme de gaoudi pour eux s’appelle griaqué. Ces bissos sont en général de belle taille. Les exemplaires dont le tronc dépasse la grosseur de la cuisse sont fréquents. Ils atteignent de 5 à 8 mètres de hauteur. Leurs branches sont souvent couvertes de la Loranthacée commune. J’ai encore remarqué quelques pieds de Balanites en fruits et quelques touffes du Verek. La végétation est moins avancée qu’à Tombouctou ; ainsi les bissos en fleurs sont actuellement très rares ici.

Les dunes sablonneuses sont constituées par des sables mobiles, couverts de rides, qui s’accumulent par endroits et enterrent presque complètement les plantes ou bien qui disparaissent, çà et là, mettant les racines des arbres à nu. Le poste menace à chaque instant d’être englouti sous les sables. Ceux-ci s’accumulent constamment au pied des cases. Il faut débarrasser la cour très souvent. Jeudi soir, une tornade assez forte avec pluie abondante s’abat. Le matin toute la végétation est poudreuse. Les pieds des bissos sont couverts de coussinets verts-noirâtres de Vaucheries terrestres. Des champignons polypores se sont développés au pied des troncs coupés des arbres.

Puits de Ras-El-Mâ

Ces puits sont situés à 1.500 mètres environ à l’ouest du Poste dans la direction du lac. Il en existe un assez grand nombre sans compter ceux qui se sont éboulés. On est obligé de les creuser constamment, les sables venant sans cesse s’y accumuler et menaçant de les obstruer. Il en est résulté, pour quelques-uns, des mares semblables à celles de Tombouctou, un peu moins larges, profondes de 7 à 8 mètres. L’eau qui s’y accumule durant la nuit est presque épuisée dans la journée, mais elle se renouvelle chaque nuit. Depuis que nous occupons ces puits, les caravanes maures et touaregs ne viennent plus s’y abreuver. Le niveau d’eau a beaucoup baissé depuis quelques années, celui du Faguibine ne s’élevant plus guère à l’hivernage. On attend avec impatience dans tout le pays une nouvelle période de grande inondation.

La coupe du terrain où sont situés ces puits est assez uniforme et atteste l’action alternant de l’activité des dépôts lacustres et des invasions sablonneuses désertiques. Sur le plus grand puits, dont les bords ont été fraîchement coupés, j’ai relevé la coupe suivante :

1o Couche de sables blancs mobiles (sables désertiques) de 0m 80. Ces sables sont constitués par des grains de quartz très fin, la plupart blancs, quelques-uns couleur rouille.

2o Sables jaunes terreux mêlés de nodules plus denses, parfois presque noirâtres (débris végétaux). Cette couche est épaisse de 0m 60 environ. En approchant de l’étage 3, cette assise présente un grand nombre de très minces couches d’argiles blanches d’un aspect feuilleté.

3o Couches d’argiles blanches compactes (kaolin) d’origine lacustre, épaisses de 0m 40 à 0m 60. Cette couche d’argiles blanches se retrouve, paraît-il, dans toute la région. Elle a du se déposer en eau très calme. Elle est utilisée pour faire le récrépissage intérieur des murs des cases.

4o Sables jaunes à aspect de loess, contenant encore des traces végétales, mais en moins grande quantité que la couche 2. Elle a une épaisseur de 0m 50 environ.

5o Couches de sables blancs désertiques mêlés de traces de sables jaunâtres (comme 4) avec des débris végétaux, ces traces étant disposées en couches minces, horizontales.

6o Couches de terres fortes argileuses, avec humus couleur gris cendré, couleur de terres franches) visible sur une épaisseur de 3 mètres environ. C’est le niveau d’eau des mares.

Il est important de noter les deux faits suivants :

A. Il n’existe pas de trace de fossiles dans aucune des couches mentionnées ci-dessus.

B. Il n’existe pas de galet, si petit qu’il soit, dans aucune couche. On trouve seulement dans les couches 2 et 4 des sortes de concrétions ferrugineuses encore tendres qui attestent que ce dépôt s’est effectué au bord des lacs, sur une plage alternativement mouillée et desséchée sous l’action d’une évaporation très rapide, l’eau abandonnant ainsi les particules minérales qu’elle tient en dépôt. Tous les bords du lac Faguibine que j’ai vus, ne présentaient comme masses solides que ces agglomérations ordinairement de la grosseur d’une noisette.

Je n’ai pas vu de blocs de pierres sur les bords du Faguibine. C’est le contraire qui existe dans le lac Télé dont le fond asséché contient de nombreuses traces de rochers tourmentés par les érosions, à angles vifs ; il est parfois jonché de gros galets à angles mousses comme aux environs du village de Falakana qui est bâti avec ces pierres. La surface du sable aux alentours du poste est habituellement jonchée de débris d’os récents (moutons, bœufs, ânes, chameaux) et des débris de la coquille indéterminée nacrée des bords du Faguibine.

Les environs du puits de Râs-el-Mâ sont assez herbeux, couverts de Graminées palustres, mais il n’y a pas trace d’arbres.

La Malvacée albasagna oura est la plante la plus abondante, celle du moins qui se fait remarquer par ses grosses touffes hautes de 0m 60 environ. Ces touffes deviennent très nombreuses à mesure qu’on avance vers le lac. Le jardin du poste de Râs-el-Mâ est situé à côté du puits. Il a été entièrement recouvert de paillassons en lanières de chaumes de mil formant claire-voie. Ces paillassons élevés de 1m 50 environ sont destinés à donner aux plantes un abri contre l’ardeur du soleil. J’ai vu, dans le jardin, de jeunes plants des légumes suivants qui sont très vigoureux et de belle apparence : aubergines, tomates, chicorée, radis, choux, épinards, navets, carottes. Il y a aussi deux ou trois beaux jeunes pieds de ricin.

Le sol étant du sable désertique absolument inerte, on a constitué la terre arable en malaxant dans un grand trou avec de la terre forte extraite du fonds des puits, avec du crottin de cheval et de mouton. Moyennant cet engrais, les légumes poussent bien. Autour même du poste, on trouve quelques plantes qui paraissent adventives : le cléome, la sésame à fleurs roses, la plante fournissant la potasse (du fort Nord de Tombouctou), quelques touffes de mil et de la Graminée à gros épis cylindriques cotonneux (très communs dans le Cayor). Les femmes des tirailleurs n’ont pas encore constitué de jardins indigènes.

Notes complémentaires sur le Faguibine.

Sur les bords du Faguibine, le blé se sème en novembre. On peut diviser les bords du lac où il se sème en trois parts : le tiers avoisinant le bord du fleuve où il réussit bien, la terre étant humide et assez riche ; le tiers moyen où il réussit admirablement ; enfin le tiers le plus éloigné du fleuve où le sol est de mauvaise qualité et où manque l’humidité. La récolte y est très faible ou même nulle les années de sécheresse. L’exploitation de ces terres riches appartient à cinq ou six affermeurs qui paient l’impôt au poste de Râs-el-Mâ, en raison de l’importance de la récolte. Ils doivent fournir le dixième de cette récolte et, en outre, apporter de la paille au poste pour les réparations et la réfection des toits de cases. Le plus gros affermeur est Baba, gabibi[8], ancien captif, chef du village de N’Bouna. Il a, paraît-il, fait preuve de très mauvaise volonté en diverses circonstances ; on vient de le mettre en prison. Les cinq ou six affermeurs de terres des environs de N’Bouna louent, par petites parcelles, ces terres à de nombreux captifs de caravanes, esclaves de Schoboun, de Maures, etc., et prélèvent sur eux la presque totalité de la récolte. Le cultivateur doit, en outre, remettre la moitié de ce qui lui reste à son maître, de sorte qu’il n’a plus rien pour nourrir sa famille. Aussi, est-il obligé de recourir pour son alimentation aux graines de Panicum turgidum Forsk., de Kram-kram (Cenchrus echinatus L.), de Bourgou (Panicum Burgu Cheval.), de Panicum pyramidale Lamk., de Riz sauvage, aux tubercules de Nénuphars (Nymphæa Lotus L. et N. cœrulea Savign.), aux tiges souterraines de l’Orobanche lutea Baumg., parasite sur les racines du Salvadora persica L.

On fait au moins deux récoltes par an sur les bords du Faguibine. La récolte du blé terminée (en mars), on en brûle la paille sur place et la terre est prête pour l’ensemencement du mil aux premières pluies. Pour battre le blé, on réunit les chaumes en cercles, les épis étant dirigés vers le centre du cercle sur un terrain solide, et en les piétinant, les femmes font tomber la graine. Après la récolte du blé, on sème du mil progressivement, à mesure que l’eau se retire. Actuellement, les chaumes de gros mil ont 2 mètres de haut et les épis ne sont pas encore sortis. Le petit mil moins cultivé est bien moins haut et a ses fleurs épanouies en ce moment. Le riz a dû être semé, il y a un mois environ, en pépinière, mais on en sème encore actuellement en place. A mon passage, les indigènes étaient occupés à repiquer ce riz. Les plants ont de 0m 10 à 0m 15 de haut ; on leur coupe l’extrémité des feuilles, on les plante par pieds isolés, mais à chaque trou où il a été semé, il y a jusqu’à vingt pieds de riz. Les semis en pépinière se font généralement dans les champs de mil. On les arrache avant que le mil soit assez haut pour étouffer le riz. Le riz ne tardera pas à être immergé par les eaux, car on le repique à la limite même des terres découvertes, et, comme le niveau du lac s’élève de jour en jour, par suite de la montée de la crue du Niger, l’eau atteint progressivement les jeunes plantes à mesure qu’on les met en place. Le blé du Faguibine réussit bien. On remarque jusqu’à une vingtaine de chaumes par pied ; il s’élève peu. Il est exempt de rouille et de charbon, contrairement au mil. On en reçoit chaque année, comme impôt ou par voie d’achat, une quarantaine de tonnes qui sont transportées au poste de Goundam. Le surplus de la récolte est vendu aux caravanes qui s’en vont dans le Nord, vers Araouan et aux habitants de Tombouctou. L’étendue de la culture n’a pas augmenté depuis notre arrivée, ainsi qu’on le croit généralement. La superficie cultivée varie beaucoup d’une année à l’autre, suivant l’étendue couverte par l’inondation ; à mesure que l’eau baisse dans le lac, la surface cultivée diminue aussi, de sorte que les habitants de la région attendent avec impatience une année de grande inondation.

De Ras-el-Mâ à Sompi.

1o Gassa (30 kilom.)

Au départ de Ras-el-Mâ, on traverse une plaine déboisée atteinte par les grandes inondations du Faguibine. Cette plaine est couverte de troncs de gommiers morts, à écorce dénudée. Ces arbres ont été tués par les feux de brousse allumés avec intention pour débroussailler afin de cultiver du mil. Ils n’ont pas été détruits par l’inondation de 1895, ainsi qu’on pourrait le croire. La plaine, qu’on traverse ensuite, est couverte de sables rougeâtres très fins, analogues à ceux qui ont été constatés dans la coupe des puits de Ras-el-Mâ. La végétation est très clairsemée. On aperçoit un Acacia tortilis Hayne tous les 50 mètres environ. Le Balanites et l’Acacia Senegal Willd. se trouvent encore ici, en pleine floraison. Ces plateaux de limons rouges, analogues aux plateaux de lœss de l’Europe, sont situés à une distance de 15-20 kilomètres de Ras-el-Mâ. On tombe ensuite dans une dépression qui paraît être une dépendance du petit Daouna. Les Hiros (Salvadora) apparaissent dans cette dépression. On y remarque aussi la Capparidée herbacée, Cleome de Goundam. Le fond de ce lac asséché est un sable blanchâtre très fin, avec petits galets rougeâtres, friables (argilo-ferrugineux). Le sol est jonché de quantités innombrables d’une Cérithe, à tel point que cette coquille forme parfois la surface totale du sol. Dorénavant, j’en observerai dans toute la traversée des Daouna. Elle sont spécialement abondantes près du point où nous campons au delà de Gassa. Cette dépression est limitée par de hautes dunes sur lesquelles on trouve des Acacia tortilis en pleine floraison, très abondants et dont quelques-uns ont de gros troncs (1 mètre et plus de circonférence). Ce sont bien de véritables arbres.

Après avoir franchi une dune de bordure à pic, nous tombons dans une dépression très étendue toute couverte de Cérithes. C’est le petit Daouna complètement à sec. Nous sommes là à 25 kilomètres environ du lac Faguibine.

Non loin du puits de Gassa, le sol se couvre d’une roche argilo-ferrugineuse qui affleure à la surface du sol ; elle est très légère et très tendre et se débite en petites plaquettes horizontales. Cette pierre feuilletée et très friable n’est autre chose que de la latérite constituée presque exclusivement par du sable et de formation toute récente, car elle paraît tapisser le fond du lac. Cependant elle ne contient jamais de coquilles.

Les puits de Gassa sont à sec, ce qui nous oblige à aller camper plus loin.

Le village est plutôt un ensemble de quelques mauvaises paillotes qui servent à abriter les caravanes et les troupeaux des environs. Nous campons à environ 6 kilomètres du village, près d’une dépression argileuse dans laquelle sont creusés 5 ou 6 puits dont l’eau est blanche. Aux environs, se trouvent quelques plantes adventices : Solanum très voisin, sinon identique au S. nigrum L., enfin une nouvelle espèce de reseda (R. Sudanica).

Les puits sont actuellement à 7 ou 8 mètres du niveau de l’eau ; la terre qu’ils traversent est une argile gris-cendrée riche en humus. Dans les déblais on remarque aussi l’argile blanche de Ras-el Mâ. La plaine argileuse est nue ; les arbres qui avoisinent les limites de la dune sont des hiros et des Acacia tortilis Hayne. Cette dune est entièrement jonchée de coquilles (Cérithes) avec de petits galets ferrugineux de la grosseur d’un noyau de cerise.

De Gassa à Niodougou par Zinguette.

Le départ a lieu vers 8 heures du soir par un beau clair de lune. Pendant 8 ou 10 kilomètres nous traversons le fond du lit du grand Daouna. Au delà des puits, nous traversons de vieilles cultures de mil, puis de vastes espaces qui ont été cultivés en blé l’année précédente.

Le fond du lac est toujours semé de petites coquilles (Cérithes). Il est presque partout à sec ; çà et là seulement de petites flaques d’eau se sont formées à la suite des dernières pluies. On ne voit pas d’arbres ; les seuls végétaux ligneux de cette région sont les Touri-Touri, sorte de Vernonia, haut de 1 m. 50.

Avant notre arrivée à la première étape, le sol est jonché de blocs de grès affleurant à la surface du sol, de 3 à 5 mètres de haut, ayant des formes étranges (champignons, etc.). Ces rochers se continuent jusqu’à Zinguette. Ils sont formés d’un grès blanc, dont la nuit m’empêche d’apercevoir la stratification.

Au delà de Zinguette, l’aspect du pays change complètement. Le terrain devient caillouteux par places. Ailleurs, le sol est argileux et marécageux.

Dans les nombreuses mares d’hivernage, peuplées de grenouilles, on trouve quelques types ligneux nouveaux. C’est le commencement de la nouvelle zone botanique. Sous l’influence de l’humidité de cette région, plusieurs serpents se glissent dans le sentier. Ils sont gris-cendrés et possèdent de petites écailles saillantes, plus pâles en dessus ; en dessous de larges plaques blanc-jaunes s’étendent d’un bout à l’autre du corps. La queue se termine en pointe brusquement. Ce serpent s’appelle Tamanin n’colo (en songhaï), Fonfoni (en bambara). Un indigène dit que quand on est mordu on n’a pas le temps d’appeler.

Après une heure environ de traversée, au delà de Zinguette, nous sortons des marais. Nous montons une falaise et pendant plusieurs heures, nous traversons une dune tantôt à sables mobiles, tantôt avec petits cailloutis. Ces dunes constituent une véritable forêt de berré (Euphorbia balsamifera Ait.) et d’albarcanté (Commiphora africana Endl.). Ces derniers arbres atteignent des proportions considérables. Quelques-uns ont bien 1 mètre de circonférence et 7 ou 8 mètres de hauteur.

Au campement, où nous arrivons vers 2 heures du matin, on entend dans la nuit les rugissements des lions, des chacals et des hyènes. Des porteurs nous font remarquer aussi des empreintes de pas de girafes. Après un court repos, nous nous mettons en route au matin dès la première heure. La végétation est maintenant bien différente. Ce n’est plus la flore saharienne, mais la flore du Soudan. C’est toujours une forêt d’Euphorbes et d’albarcantés, mais au pied croissent quantité de plantes herbacées nouvelles. Comme arbre, c’est le petit Pterocarpus de Bakel à fleurs jaunes, actuellement chargé de petites gousses nummulaires d’un vert tendre et lisses. C’est en somme la végétation de la région de Kayes que nous retrouvons là ; le Guiera senegalensis Lamk. y fait son apparition. La route est pittoresque, encaissée entre deux chaînes de montagnes alignées du Nord au Sud. Ces montagnes sont formées de grès fins compacts et de grès avec gros grains de quartz. Certains bancs sont riches en fer oxydé ; aussi, à leur base, les latérites ferrugineuses compactes font leur apparition. Le minerai de fer est d’ailleurs l’objet d’une exploitation de la part des indigènes et plusieurs hauts fourneaux existent entre le lac Horo et Sompi. Le fer de ces régions est exporté au loin dans le Sahara par les caravanes de Maures.

Les pluies abondantes qui nous surprirent après Niodougou m’empêchèrent de tenir ces notes à jour. Nous étions d’ailleurs complètement sortis de la zone subdésertique et entrés dans la zone soudanaise. Les grosses touffes de l’Andropogon à vétiver jalonnaient les dépressions de leurs chaumes graciles, et en beaucoup d’endroits la base de leurs feuilles commençait à être inondée. Çà et là quelques touffes de Nauclea inermis Baillon et de Crossopteryx febrifuga Benth., marquent les lieux qui sont atteints par les eaux à l’époque de la crue. Les terrains surélevés environnants portent au contraire de grands albarcantés formant de véritables arbres. Quelques-uns, ordinairement les plus souffrants, ou ceux dont le tronc a été endommagé, portent quelques larmes de résine.

Enfin, à quelques kilomètres de Sompi, on trouve les premiers rôniers qui se distinguent immédiatement des doums aperçus depuis Niodougou.



CHAPITRE IV

SÉNÉGAL : CAYOR, BAOL, RÉGION LITTORALE DES NIAYES.


J’ai traversé la région côtière du Sénégal à deux reprises différentes : en premier lieu, à mon arrivée en Afrique pour gagner le Haut Fleuve et l’intérieur du Soudan ; en second lieu, au retour des pays du Niger et pendant la durée de la mission du Comité de l’Exposition.

Le 26 novembre au matin, le Cordillière mouillait dans la rade de Dakar, et la plupart des passagers à destination du Soudan apercevaient pour la première fois la côte d’Afrique. Pour tout nouveau venu c’est une désagréable surprise que la première vision de cette côte du Sénégal, mais le naturaliste surtout éprouve une amère déception ! Au lieu du fouillis inextricable de végétation, au lieu des palmiers, des fougères arborescentes que l’on s’attend à trouver, c’est une côte nue, brûlée par le soleil, desséchée par le vent d’Est soufflant déjà sur terre ! Où est donc la forêt vierge rêvée ? Que sont devenus ces bois impénétrables dont parle Adanson ? Où sont ces puissants ombrages, ces arbres séculaires enlacés de lianes, couverts d’épiphytes, toute cette végétation exubérante dont s’enthousiasma Ch. Darwin en parcourant le Brésil ? Ce n’est certes pas au Sénégal ! Mais un naturaliste ne se décourage pas pour si peu : les milliers d’oiseaux de rivage s’ébattent sur les flots, les nègres dans leurs pirogues envahissent le pont du paquebot, et ces beaux prismes de basalte émergeant de la mer, l’île de Gorée et son castel, les rochers des Madeleines enveloppées d’une ceinture d’écume, tout cela constitue un tableau admirable, complètement exotique, qui ne rappelle en rien nos côtes de l’Atlantique. Au premier étonnement succède bientôt l’enthousiasme. Si les bois font défaut, en revanche une multitude de petites plantes en fleurs émaillent le sol. L’hivernage a pris fin depuis un mois à peine, et le soleil n’a pas encore eu le temps de brûler l’humble parure végétale des sables et des rocs ferrugineux sur lesquels est bâtie la ville de Dakar. Cette pierre rouge avec laquelle on édifie certaines habitations (les bâtiments du poste de Thiès, par exemple) est une latérite compacte, sorte de poudingue un peu caverneux, riche en limonite qui lui donne sa coloration.

MM. Cligny et Rambaud ont fait remarquer que cette roche superposée en calcaire (tertiaire inférieur ?) du cap Vert était au contraire recouverte par les épanchements de basalte localisés au littoral.

Tivaouane.

8-10 décembre 1899. — Ce village est situé au centre de la région qui produit chaque année la plus grande quantité d’arachides. De quelque côté qu’on se dirige, la terre est débroussaillée et entièrement consacrée à la culture de cette précieuse plante, sur un rayon de 8 kilomètres. La plupart des arachides sont actuellement récoltées ; il n’en reste plus que des coins isolés qui ont dû être ensemencés plus tardivement.

Les arbres qui croissent dans les champs sont des baobabs, des tamariniers, des Ficus, des mbeps (Sterculia tomentosa G. et P.). La pomme de Cayor (Parinarium macrophyllum Sab.) est assez commune dans le pays. Citons encore quelques rôniers ; mais c’est du côté de Piregourèye que ces végétaux sont abondants, formant une véritable futaie, clairsemée il est vrai.

Pout.

Jardin de la gare. — Les légumes et les arbres fruitiers y réussissent bien. Les légumes viennent plus beaux qu’en Corse, me dit le chef de gare. Ils réclament peu de soins. Il suffit de les arroser fréquemment, de couvrir les salades avec des tuiles, pour les faire blanchir. Le fruitier contient de beaux arbres plantés depuis une dizaine d’années : citronniers, orangers, pommiers d’acajou, papayers, corosoliers. Dans tout le village indigène, les papayers abondent. Ils sont ramifiés en ombelle au sommet. Une papaye vaut de 0 fr. 10 à 0 fr. 15 au détail. Au passage du train les enfants nègres viennent en offrir aux voyageurs. Les arbres fruitiers du jardin, malgré leur âge (une quinzaine d’années), sont arrosés souvent. En ce moment, les orangers et les citronniers sont chargés de fruits. Le pommier-cannelle a donné tous les siens. Les corosoliers en portent quelques-uns encore verts.

Mission A. Chevalier, 1899-1900. Sénégal-Soudan.

Fig. 6. — Dakar. — Sacs d’arachides au moment de l’embarquement sur le Warf.

Le grand fléau des arbres fruitiers, quand ils sont jeunes, est le termite. Ce sont les termites qui s’opposent à l’introduction d’un grand nombre des arbres de France. A l’état adulte, les arbres fruitiers tropicaux sont fréquemment envahis par le Loranthus du pays, dont les graines gluantes sont transportées par les oiseaux (merles métalliques et autres). Dans le jardin de la gare, j’ai vu des Loranthus, sur les arbres cultivés suivants : l’oranger, le citronnier, le pommier-cannelle, le corosolier, le Ben ailé, le lilas de l’Inde (Melia Azedarach L.). Quand on se contente d’arracher les branches du Loranthus, il repousse très bien aux nœuds qui se forment à la hauteur de la pénétration des racines dans le tronc. La façon de végéter de ce parasite est tout à fait analogue à celle du gui (Viscum album L.) de notre zone tempérée.

Sur les bords de la ligne de chemins de fer croissent en haie vive le Manihot et le pourguère (Jatropha Curcas L.) qui servent de clôture. Dans d’autres parties de la voie, on utilise pour cet usage l’Euphorbe balsamique du pays ou Salane des Volofs (Euphorbia balsamifera Ait.). Dans le village, les pourguères sont très communs ; les grands Ipomæa rouges, à tiges épineuses, s’enlacent partout le long des clôtures des cases et retombent en guirlandes du plus gracieux effet.

Mission A. Chevalier, 1899-1900. Sénégal-Soudan.

Fig. 7. — Gorée. — Rochers de basalte.

Environs de Pont-Marigot de la Tamna.

De nombreux Ficus se trouvent aux environs du village, notamment le dob (Ficus Vogeli Miq.) dont on a beaucoup parlé dans ces derniers temps comme producteur de caoutchouc. Il pousse souvent sur les autres arbres : Caïlcedrats, Baobabs ; tous les pieds sont entièrement couverts d’entailles qui se referment en ce moment ; les dobs portent un grand nombre de petits fruits jaunes commençant à mûrir, mais presque tous ces fruits ont à leur intérieur des vers qui dévorent les graines. C’est par le bouturage qu’il faudra surtout chercher à multiplier ces plantes.

Je trouve à acheter deux boules de caoutchouc dob ; c’est une substance rouge qui n’est ni élastique, ni nerveuse. Quand on la tire, elle se brise sans offrir de résistance et adhère légèrement aux doigts. Elle s’obtient par évaporation du latex. C’est, en somme, un caoutchouc très médiocre, et l’on est surpris de l’engouement qui l’accueillit lorsqu’il fut mis sur le marché de Liverpool en 1896. Les indigènes de Thiès, à qui on en a demandé répondent qu’ils ne peuvent le coaguler. On trouve encore le Keul (Ficus sp.), un Ficus voisin du F. Sycomorus et quelques autres espèces. Autour des jardins du village, on rencontre le grand Pignon d’Inde ou Pourghère (Jatropha Curcas L.), qui est très commun. C’est un reste de la culture rationnelle de cette plante qui fut tentée au Sénégal en 1863. Les Ipomæa à fleurs bleues sont communs dans les haies. Le Baobab abonde dans le pays ; par endroits, il a perdu ses feuilles ; au contraire, dans le marigot de la vallée de la Tamna, tous les baobabs sont encore verdoyants, ce qui montre bien que le stade de repos de la végétation au Sénégal est dû au manque d’eau et non à l’abaissement de la température.

Le kad et les neb-nebs (Acacia arabica Willd.) sont assez communs. Les Khaya sont abondants ; il y en a de très vieux ; ceux dont le tronc est renversé par les tornades sont brûlés pour faire du charbon de bois qui se vend sur les marchés de Saint-Louis et de Dakar. On cultive ici le papayer en abondance. Les potirons-courges sont aussi très communs dans le village ; il y en a de formes diverses ; les plus communs sont ovales, sans côtes ni couronne et à fleurs jaunes. Le kinkéliba (C. micranthum G. Don.) abonde partout avec un autre Combretum voisin qui a l’écorce roux-brunâtre. A 4 kilomètres du village, on rencontre un marigot encombré de plantes aquatiques (Pistia, Typha, Ceratophyllum). L’influence de la mer paraît encore s’y faire sentir, car, par place, il est bordé de Tamarix. D’ailleurs l’eau serait très légèrement saumâtre, bien que les chevaux et les indigènes la boivent.

Mission A. Chevalier, 1899-1900. Sénégal-Soudan.

(Cliché de M. Noal).

Fig. 8. — La place d’un village du Cayor plantée de Baobab (à gauche) et de Ben ailé (à droite).

Ndoute (Mission du mont Roland).

La Mission du mont Roland a été créée par les Pères du Saint-Esprit à 15 kilomètres de Thiès, dans une région calcaire très intéressante habitée par une agglomération Sérère. A partir de Thiès, une belle route carrossable conduit jusqu’à 500 mètres de la Mission. La route traverse un ravin assez boisé (comme aux environs de Thiès) où domine le Zizyphus orthacantha. On trouve, en outre, des lianes herbacées. Je remarque notamment des Ipomaea épineux et une Dioscorée à petits tubercules aériens en forme de pomme de terre, mais de la dimension d’un pois. La liane made (Landolphia senegalensis Kotschy et Peyritsch) est assez commune sur la route. La liane Strophantus sarmentosus C.DC., à fruit obtus abonde. Ses fruits ne sont pas encore mûrs ; d’ailleurs les indigènes ne connaissent pas le poison fourni par les graines. Le Lobelia senegalensis A.DC., actuellement en fleurs et en fruits, est très commun partout. Le tamarinier et le baobab sont communs. J’ai vu des baobabs décortiqués en train de refaire leur écorce. Une partie des baobabs du ravin du mont Roland ont perdu leurs feuilles. J’aperçois des tamariniers de forte taille ; l’un d’eux a une écorce gris-cendré. Le Combretum micranthum Don. est commun partout, mais surtout vers le mont Roland, de même un Capparis grimpant épineux, fréquent surtout sur les termitières.

Mission A. Chevalier, 1899-1900. Sénégal-Soudan.

Fig. 9. — Intérieur d’un village wolof (l’arbre du premier plan est un Ben ailé).

A 3 ou 4 kilomètres de Thiès, on rencontre une chapelle isolée, entourée de grands Agave americana L. plantés par les Pères et actuellement en fleurs. Le nôs, à inflorescence en ombelle composée, est actuellement en pleine floraison et dégage une odeur de miel agréable. Le mont Roland est situé à environ 18 ou 20 kilomètres de la mission de Thiès. Les hauteurs mamelonnées séparées par des vallons boisés présentent un aspect des plus sauvages. On aperçoit de l’une d’elles, dominant le pays par suite de la réfraction, le lac de la Tamna, avec la mer au loin. L’aspect du pays vu de ce mamelon est tout différent de ce que nous avons vu jusqu’alors aux environs de Thiès. Le sol y est d’un blanc crayeux : c’est du calcaire. On voit de tous côtés de hautes termitières blanches, nues, dominant le sol de la brousse, couvertes souvent de Capparidées ligneuses.

Près d’arriver à la Mission, la route coupe une tranchée curieuse. Le sommet du mamelon est formé de graviers et de morceaux plus ou moins énormes de latérite disloquée, formant des éboulis. Cette latérite, outre la gangue habituelle, contient des rognons blancs et des fragments calcaires. Ce sous-sol est recouvert d’une terre noire d’alluvions, épaisse de 50 centimètres par endroits et pénétrant par places plus avant entre les blocs de latérite sous forme de filonnets noirs. Au-dessous des graviers, on trouve le terrain calcaire perpendiculairement, formant les flancs du vallon vers la Tamna. Ce calcaire est plus ou moins décomposé, corrodé par les eaux. Je n’ai pas vu de blocs absolument en place, mais des bandes stratifiées à demi décomposées qui viennent affleurer çà et là. Des blocs plus résistants, gros comme trois ou quatre fois le poing, jalonnent le sol. Ces blocs sont souvent pénétrés de débris coquilliers parmi lesquels un petit Ostrea.

Le sol en se décomposant donne une sorte de marne blanchâtre qui affleure sur l’emplacement même de la Mission. Cette marne est parfois recouverte de terre noire humique ou de cailloutis de latérite. Elle est toujours ramenée à la surface du sol par les termites qui en construisent de hautes termitières arrondies, nues, d’une grande blancheur, toutes différentes de celles que j’ai vues jusqu’à présent en Afrique. Je n’ai pas remarqué de plante spéciale à ces terrains calcaires, sauf, peut-être, une petite Convolvulacée à fleur blanc-rosé. Quand on descend plus bas vers les villages de N’doute-T’vigne à 1.000 mètres de la Mission, le sol blanc, marneux, disparaît et est remplacé par une terre noire formant une couche très épaisse. Près du puits de la Mission, j’ai remarqué dans une excavation : 40 centimètres de terre noire végétale, humique ; 20 centimètres d’une couche de cailloutis dont la grosseur varie entre celle d’une noisette et celle d’une orange, mélangée de sables grossiers (les angles des cailloux sont assez peu arrondis quoiqu’ils aient été roulés) ; 6 mètres de profondeur d’une terre noire qui paraît s’étendre encore plus profondément.

Mission A. Chevalier, 1899-1900. Sénégal-Soudan.

Fig. 10. — Abords du poste de Podor (Sénégal) avec Balanites ægyptiaca.

Ce terrain est très fertile, on y cultive le mil, actuellement récolté (il se vend 0 fr. 10 le kilog.) et vers le milieu de l’hivernage, on sème les niébés, qui à cette époque-ci sont en partie mûrs. Les feuilles jaunissent et une partie d’entre elles sont semées de plaques gris-roussâtre dues à un champignon. Ces niébés (Vigna Catjang Walp.) sont cultivés en grand à Thiès et Pout où ils forment d’immenses champs à perte de vue. Le rendement en est assez grand. Ceux que j’ai vus à Nd’oute appartiennent à la variété à long pédoncule que j’ai rencontrée aussi sur les bords du Niger.

Le mil est placé dans des greniers ou en monceaux disposés sur des pierres, les épis placés horizontalement et rayonnant vers le centre.

Le coton m’a paru beau, ne présentant pas de taches de rouille. Les soies n’en ont pas été examinées. J’ai remarqué quelques pieds d’indigotiers, de ricin, de courges, de calebassiers (Lagenaria). J’ai vu porter au marché de Thiès des calebasses d’arachides, mais elles n’étaient peut-être pas originaires du village où on en cultive peu.

La Mission a pris une concession dans les Nyayes, vers la Tamna. Ces terres pourront convenir au cotonnier, peut-être à certains caféiers des terrains bas.

Les habitants du pays, les Sérères, sont tous fétichistes, réfractaires à la religion musulmane, moins à la religion catholique. Ils sont bons cultivateurs, de mœurs paisibles.

Mission A. Chevalier, 1899-1900. Sénégal-Soudan.

Fig. 11. — Sébi-Kotane. — Un coin des Niayes.

Leurs habitudes ne se sont pas modifiées à notre contact : quand on enterre un mort, on creuse une fosse et on établit un tumulus conique de 2 m. 50 à 3 mètres de diamètre, haut de 1 m. 50. Tout autour se trouve un petit fossé. Si c’est un chef, on le laisse habillé dans son lit, et c’est sa case tout entière qui est recouverte de terre. Ces Sérères sont des buveurs incorrigibles. L’argent qu’ils retirent de la vente de leurs arachides est employé uniquement à acheter du sangara (alcool de traite). Ils apprécient également le vin de palme qu’ils retirent en incisant le sommet de la tige de l’Elæis guineensis L. qui est ici presque à sa limite septentrionale.

(Cliché de M. Rambaud).

Fig. 12. — Un convoi de pasteurs dans le Baol (savanes et steppes d’Acacias.)

Il n’y a pas de cultures d’arbres fruitiers autour de la Mission ; les Pères s’approvisionnent de fruits et de légumes à leur établissement de Thiès. J’ai vu seulement quelques papayers, des piments, deux ou trois jeunes orangers, quelques bananiers autour du puits. Les végétaux les plus curieux remarqués à N’doute sont de nombreux baobabs et tamariniers (le tamarinier vient dans la brousse) ; quelques Ficus (Keul), le dob (planté à la Mission) ; un gros Ficus, à petites feuilles ovales luisantes, offrant plusieurs grandes racines, descendantes, formant des piliers et enterrées. Les kadas sont très abondants et en pleine floraison. J’ai vu aussi quelques neb-nebs ; le Strophantus au milieu de la brousse avec de jeunes feuilles, mais sans fleurs. La petite Acanthacée de la route des convois au Soudan abonde ici (comme à Thiès, Pout, Tivaouane) sous les baobabs et autres arbres offrant beaucoup d’ombre. Les nguisguis sont assez communs. Le palmier maritime du littoral (Phœnix senegalensis Van-Houtte) s’avance jusque là (quelques troncs sont hauts de 2 ou 3 mètres). Je remarque çà et là quelques rôniers, de hautes Graminées en fleurs, etc. Le Croton lobatus L. sauvage existe dans les lougans. De beaux Vernonia senegalensis Less., en floraison, se trouvent à proximité de quelques cases.

Mission A. Chevalier, 1899-1900. Sénégal-Soudan.

Fig. 13. — Dagana.

Eclipse de lune. — Il y avait éclipse partielle entre 10 heures et demie et minuit. Malgré les quelques nuages qui couvraient le ciel çà et là, la lune a été entièrement visible pendant toute la durée du phénomène. Durant l’attente, je me suis endormi et j’ai été réveillé un peu après par des détonations de fusils. Les Sérères, voyant l’astre disparaître, tiraient au ciel pour l’arrêter. Pendant tout le temps qu’a duré l’éclipse, ils se sont livrés à des danses de tam-tams avec accompagnement de chants et cris. Le Père supérieur me raconte qu’il y a cinq ou six ans, alors qu’il était à Joal, il y eut une éclipse totale de soleil. On se trouva, pendant cinq minutes, dans une demi-obscurité ; les oiseaux (et spécialement les volailles) devinrent agités et cherchèrent un refuge ; quelques-uns se perchèrent. On sentit un froid assez vif pendant la durée du phénomène.

Rosée. — Depuis deux jours le ciel est couvert, le soleil ne s’est pas montré, ni hier ni avant-hier. Ce matin la rosée était intense. De la toiture de la maison de la Mission, elle tombait à grosses gouttes sur le sol qui était détrempé suivant la ligne de projection du bord du toit. La Mission est distante d’une douzaine de kilomètres de la mer, en ligne droite. Pendant la nuit, on entend le bruit des vagues qui déferlent sur la grève.

M’Bidgem.

On traverse le lac à hauteur de Tiaye. Sur la rive orientale s’étend un large gazon de Graminées desséchées et, par places, un gazon plus ras, plus verdoyant, formé de plantes maritimes. La partie où se trouve encore de l’eau peut avoir, entre Tiaye et M’Bidgem, environ 150 mètres de largeur. Il se trouve un gué où l’alcaty passe facilement avec son cheval sans se mouiller. Mais il existe une série de trois ou quatre ponts, partie en bois, partie en fer, construits par le gouvernement, qui permettent de passer facilement. L’eau du lac est trouble aux bords ; d’après le chef de M’Bidgem, elle n’est pas salée, elle est agitée. Le fond et les bords en sont vaseux, et la partie nouvellement exondée répand une odeur infecte. La vase, sur les bords, est recouverte de larges plaques noirâtres, dégageant une odeur putride. Ce sont probablement des colonies de bactéries. Cette vase est mêlée de débris de coquilles de mollusques. Dès que le pont est traversé, il faut franchir de petites dunes pour arriver au village. Le sable est mélangé d’une quantité prodigieuse de petites coquilles de Cerithium, de Cardium et d’une autre petite coquille bivalve, présentant des stries concentriques. Sur ces dunes, les kadas et les baobabs sont abondants, et cela tranche sur la végétation des cuvettes où les essences sont toutes différentes. Les maisons du village sont des cases rondes toutes en paille, grossièrement construites. Tout près se trouve la maison de l’ancien poste en briques, recouvert de chaux ; toutes les ouvertures sont brisées par le vent, le crépissage tombe en ruines. La maçonnerie et les planchers sont solides. Le séjour est agréable pour l’européen de passage. On a une vue splendide sur le lac, s’étendant jusqu’aux dunes de la mer.

N’Jandes-N’diander.

Ce sont des cuvettes, remplies de terres noires (tourbe) séparées les unes des autres par de petites dunes fixées et séparées également de la mer par des dunes plus hautes. A M’Bidjem, l’eau de ces cuvettes est douce, limpide, et elle sert à la boisson des indigènes. Dans le fond de la cuvette l’eau est à fleur de terre, et même en partie ces cuvettes sont pleines d’eau à l’hivernage. Grâce à l’humidité du sol et surtout à l’humidité de l’air due au voisinage de la mer (grande évaporation dans la journée et condensation, la nuit, sous l’influence du froid), une foule de plantes qui ne dépassent pas le 12e degré croissent en abondance. Tels sont : le palmier à huile, le Landolphia Heudelotii, et la plante (Euphorbiacée, à chatons insérés sur les branches) des bords des marigots des environs de Kouroussa. La plus remarquable de ces plantes est l’Uvaria æthiopica Rich., plante de la côte d’Ivoire et de Sierra-Leone, non rencontrée au Soudan. Dans l’intérieur, il faut aller chercher ces plantes dans l’extrême-sud de la Volta et de la région sud du Soudan. Le caféier pourrait réussir sous abri dans cette région et le palmier à huile pourrait fournir cet abri.

De Niakoulourab à Tiaroye Kan.

Marigots (lacs) de Bobossé, Kriss, Maliké (petit lac).

Ces lacs sont compris entre deux hauteurs de dunes, l’une est le Batalemi Niander ; vers l’intérieur, la crête est le Saconsemate. La dune vers la mer est raide et presque nue au sommet ; c’est à la base, vers le lac, qu’il y a des arbres verdoyants. La dune, vers l’intérieur, est peuplée de palmiers à huile, de nombreux Phœnix épineux, de quelques rôniers, d’arbres divers, notamment le néam. Pour revenir, on longe le marigot Houie (yoni).



Fig. 14. — Plantation de céaras à Sedhiou (Casamance).

CHAPITRE V

LA CASAMANCE


En acceptant de faire partie de la mission économique du Sénégal, j’avais exprimé à M. le Gouverneur général de l’Afrique occidentale, le désir de visiter la Casamance. Cette demi-enclave française située entre la Gambie anglaise et la Guinée portugaise jouit d’une popularité merveilleuse auprès des Européens de la colonie. On n’en parle jamais qu’avec enthousiasme, et tous les voyageurs qui l’ont décrite dans des notices spéciales ont été unanimes pour en faire un tableau enchanteur. La réputation n’en est point exagérée. Pendant toute mon exploration en Afrique, je n’ai vraiment trouvé que là, la splendeur de la flore équatoriale, le beau désordre des essences forestières les plus nombreuses enlacées de lianes non moins variées.

Il est regrettable qu’une si riche contrée, donnant déjà de si beaux revenus à la colonie grâce à l’exportation du caoutchouc, des amandes et de l’huile de palme, enfin des arachides, ait seulement des moyens très rudimentaires de communication avec le Sénégal proprement dit. Aucun service postal régulier n’était organisé à l’époque où nous avons visité cette province, et la traversée de Dakar à Carabane, qui s’effectue en une douzaine d’heures sur un vapeur, peut traîner huit et dix jours sur un voilier, lorsque le vent est défavorable. Avec mon ami Cligny, j’ai mis, en effet, une semaine entière pour revenir, alors qu’à l’aller, la traversée n’avait duré que quarante-huit heures. En outre, le voyage s’effectue habituellement sur des goélettes ayant à bord un équipage de noirs et aménagées spécialement en vue du transport du caoutchouc ou des arachides. Dans mes nuits de navigation les plus dures, à l’hivernage sur le moyen Niger, au milieu des prairies aquatiques de bourgou, habitées par des nuées de moustiques qui s’abattaient à chaque coup de rame dans notre embarcation, je n’ai pas connu d’instants plus affreux que ceux passés en mer à bord de la goélette Victorine-Aimée. Pour la modique somme de 25 fr., on a droit au passage de 1re réservé aux Européens, c’est-à-dire qu’on peut disposer d’une cabine. Les blancs, si nombreux qu’ils soient, doivent s’empiler dans une cabine d’une malpropreté repoussante où des milliers de cancrelats grouillent sur les vêtements. Il s’en dégage des odeurs de poisson pourri, d’huile rance et d’ordures innomables. C’est par ces moyens rudimentaires qu’en 1868, l’administration envoyait ses fonctionaires prendre possession de leur poste en Casamance. Et cela n’a pas changé depuis.

Parti de Dakar le 6 janvier 1900, je suis arrivé à Carabane, chef-lieu de la Basse-Casamance, le 8 janvier, et aussitôt ont commencé mes recherches qui ont duré jusqu’au 8 mars.

Rufisque.

C’est une ville bien européenne. On y remarque de belles avenues plantées de dobs et du faux dob à pétioles non écailleux, déjà vus dans les Niayes. Dans la ville et près de l’ancien fort, servant aujourd’hui de magasin aux fourrages, situé à l’opposé de la ville, on trouve encore quelques plantes maritimes. J’ai fait une promenade sur la plage, du côté de Dakar. Il faut franchir environ 2 ou 3 kilomètres pour sortir de la ville et de ses abords sans pouvoir longer la grève, celle-ci étant encombrée de constructions et de cases indigènes. Il y a, çà et là, du côté de la terre, de grandes fondrières qui doivent communiquer avec la mer aux hautes marées et sont remplies de plantes littorales sur les bords ; l’intérieur sablo-vaseux est couvert de débris de coquilles, d’os de seiches, de morceaux de poissons secs, de squelettes de crabes. Sur les bords de l’un de ces marais salants, se trouve un arbuste à fleurs en grappes. La petite plante salée de M’Bidjem est très commune. Quelques Salicornia se trouvent, çà et là, dans les endroits vaseux où la vase n’est pas encore desséchée. Je remarque aussi Ipomæa asarifolia Roem. et Schult. var. littoralis à feuilles épaisses ; la plante très longuement rampante des environs de la mer ; le Centaurea épineux des dunes de Tiasoye Kan ; un Lactuca à racine profondément pivotante, une Liliacée (?) à bulbe près de fleurir et portant ses feuilles desséchées. Au bord d’un fossé assez profond, asséché, j’aperçois un Celastrus, le Balsamodendron africanum Arn. (chétif) et un arbuste à port de Ficus de France, dont les feuilles sont tombées. Le Convolvulus à feuilles laciniées et à segments étroits, existe là aussi. Je remarque encore en grande quantité la liane subépineuse coupée à Thiès. On aperçoit en mer, à quelques centaines de mètres, deux rochers noirâtres très découpés. Les galets qu’on trouve sur la plage sont très variables : il y a des quartz, des grès, des conglomérats ferrugineux, une roche blanchâtre tendre (calcaire), ordinairement percée de pholades. On trouve, en outre, une roche noire très dure, ressemblant à de la diabase. Elle paraît former un filon qui vient se terminer dans la mer ; il se continue sur terre où on peut le suivre par des boulards qui jalonnent le sol suivant une certaine ligne. La plage est entièrement sablonneuse avec des falaises, par endroits, véritables monticules de coquilles en fragments ; ils sont parfois cimentés et forment une roche qui se débite en plaques et est rejetée ainsi à la côte ; on trouve aussi une roche analogue mais formée de débris de madrépores. Les coquilles de mollusques sont nombreuses ; elles sont rejetées vides à la côte, sauf trois petites, qui vivent dans le sable ; une sorte de flion, une espèce de petit Mytilus et une coquille de gastéropode noirâtre.

Carabane.

Carabane est situé à 4 kilomètres de l’embouchure de la Casamance (rive gauche), dont l’entrée, obstruée par la barre, est difficile à passer sans pilote. On utilise la marée montante. La passe, large de 6 à 8 kilomètres, est, en outre, défendue par des rochers sous-marins. Les rives en sont boisées ; les palmiers à huile et les Phœnix nains viennent jusqu’à la limite atteinte par le flot.

De belles maisons européennes sont situées sur le rivage. A cet endroit, le fleuve a environ 3 kilomètres de large. Il faut une heure pour passer sur la rive droite en baleinière. Le poste du gouvernement, la douane et quatre ou cinq maisons de commerce, ont chacun leur warff construit sur pilotis de troncs de rôniers. Le service sanitaire, à l’arrivée des bateaux, est fait par la douane. Une trentaine d’Européens résident à Carabane ; ce sont surtout des agents de cinq ou six grandes maisons. En deçà du fleuve, vers l’intérieur, se trouvent les quartiers indigènes. La plupart des habitants sont des Diolas, mais, depuis quelque temps, la ville a été envahie par les Wolofs, commerçants pour leur propre compte, ou agents des comptoirs européens.

Les cases des Diolas sont circulaires, en paille, même les murs latéraux.

La mission catholique est assez importante. Beaucoup de Diolas sont catholiques, mais ils sont presque tous des ivrognes incorrigibles.

Comme les fétichistes, ils portent des grisgris, le plus souvent un scapulaire ; quelques-uns portent encore autour du cou les croix en cuivre qu’apportèrent les premiers missionnaires portugais, et ces objets se transmettent de génération en génération comme les fétiches. Du reste ils ont conservé la plupart des rites de leur ancien culte. En devenant catholiques, ils ont gardé tous leurs anciens usages : ils apportent du mil et du riz sur la tombe de leurs parents morts et se livrent dans le cimetière, aux clairs de lune, à d’abondantes libations de vin de palme en mémoire des ancêtres ou des amis qui leur furent chers.

Le 12 janvier, j’assistai sur la grande place devant l’église (monumentale pour le pays) à une joute de lutteurs Diolas. Cette fête se répète, paraît-il, en temps de ramadan tous les ans. C’est une cérémonie assez curieuse, bien qu’elle ait sans doute perdu une partie de ses caractères depuis l’arrivée des Européens. Nulle part on ne lui trouve d’analogue dans l’intérieur de la partie de l’Afrique que j’ai parcourue, et l’on peut se demander si l’usage de ces combats n’a pas été introduit par des colons venus à la côte à une époque immémoriale.

Séléki.

17 janvier 1900. — Séléki est un village de Diolas situé à 4 ou 6 kilomètres de Geromaïd. Il n’a pas encore fait sa soumission et ne paye pas l’impôt. Les employés de la douane y sont bien accueillis ; c’est en leur compagnie que j’ai pu visiter ce pays. Le chef de village s’appelle Hissamba-ni ou Hassamba-no. C’est le jeune chef, celui qui a le plus d’autorité au point de vue administratif. Il a manifesté, à plusieurs reprises, l’intention de venir à Carabane faire sa soumission. Il existe, en outre, un vieux chef-fétiche qui préside aux cérémonies religieuses et qu’aucun Européen n’a pu encore voir. Il s’enfuit dans la brousse quand nous arrivons.

Nous quittons Geromaïd à 7 heures. La traversée dure trois quarts d’heure ; dans le fleuve nous apercevons quantités de très belles méduses. Il paraît qu’elles vont jusqu’à Ziguinchor. Les berges du fleuve sont bordées de palétuviers et d’Avicennia. L’huître des palétuviers abonde sur leurs racines, et elle a la réputation d’être, dans ces parages, particulièrement savoureuse.

Nous débarquons à hauteur de Séléki, sur une large plage de vase assez ferme, plage située en dehors de la bordure de palétuviers. Ce sol est nu et couvert d’efflorescences de sel ; ailleurs il est revêtu de plantes herbacées maritimes. Les oiseaux aquatiques sont très abondants : aigrettes, grandes sarcelles et bécassines. Mes compagnons en abattent une provision. A 100 mètres du marigot, nous entrons dans les rizières qui précèdent le village. Ces rizières sont bien soignées, très entretenues. Le riz planté à l’hivernage a déjà été récolté ; on en observe seulement çà et là quelques repousses. Il y a ici trois variétés de riz. Le riz se cultive par petites rizières n’ayant pas plus de quelques ares d’étendue chacune, souvent n’ayant pas même un are. Elles sont séparées par des levées de terre herbues, sur lesquelles on circule pour aller au village. Il n’y a pas trace de végétation arborescente dans toute cette étendue. Le riz est cultivé en planches ayant de 50 centimètres à 1 m. 50 de largeur, longues seulement de 3 mètres et s’étendant sur toute la longueur du petit champ ; ces planches sont séparées par de petits sillons profonds de 20 à 30 centimètres, larges de 20 à 50 centimètres, dans lesquels circule l’eau. Le sol est noir ; le sous-sol argileux. Actuellement, la plupart de ces rizières sont dépourvues d’eau ; il s’est déposé au fond des sillons une matière jaune rouille (Diatomées).

En ce moment, on travaille aux rizières déjà recouvertes d’eau et on refait les planches, probablement pour les semis qui auront lieu à l’arrivée des pluies. Dans ces sillons, on trouve de temps en temps de grands crabes que les gens ramassent pour leur nourriture.

Les rizières non encore asséchées sont d’ailleurs très poissonneuses. Dans toutes ces rizières courent aussi en demi-liberté des cochons noirs ou maculés de blanc, et des canards ; sur les levées vivent des cabris. Les fossés inondés sont envahis par des plantes aquatiques, surtout des Cypéracées jonciformes : une Graminée en touffes denses à épis grêles ; deux Nymphæa, dont l’espèce à grandes fleurs blanches odorantes et à feuilles ondulées sur les bords (N. Lotus L.) et l’espèce à petites fleurs bleuâtres (N. cœrulea Savign.) ; une Alismacée à fleurs blanches ; une Gentianée à fleurs blanches, à pétales ciliés hérissés de poils blancs et une plante à petites fleurs bleues à feuilles nageantes (Pontederia natans P. Beauv). Dans les terres découvertes croît en abondance l’Acanthacée à fleurs violettes déjà notée. Elle est couverte en ce moment d’abeilles qui viennent en butiner le nectar. Il y a aussi sur ces levées de nombreux Marsilea, puis une à fleurs d’un beau bleu ; en face, une Malvacée à fleurs roses. Dans les lieux inondés croît l’Utriculaire à rosette nageante (U. stellaris L.), assez commune ; je note aussi des algues bleues, des Lemna, quelques dépôts de Diatomées.

Le village de Séléki. — Les cases sont assez belles, ordinairement carrées ou rectangulaires. Le chef est absent ; nous sommes reçus par ses femmes et quelques notables. Après un accueil empressé, on nous apporte de l’eau et du vin de palme. Autour des cases est cultivé le grand Pignon d’Inde en quantité. Les seuls arbres fruitiers sont les citronniers et les pommiers d’acajou. Aux alentours du village existent de beaux arbres : des baobabs, des fromagers, des bousink-élits, des palmiers (palmiers à huile et rôniers très élevés), des kadas (Acacia albida Delile). Les cultures du village, en dehors du riz, sont le cotonnier, le néré, l’indigotier, le manioc qui est très commun. Auprès de la case du chef existe un arbre, le boulocogne dont les feuilles serviraient à teindre en bleu comme l’indigotier.

Les abeilles sont élevées en grande quantité dans les arbres entourant le village. Les ruches sont tantôt ogivales, tressées en lanières de feuilles de palmiers, tantôt ce sont des tronçons d’arbres évidés, fermés aux deux extrémités par un cercle en tresse de palmier. On recueille le vin de palme en abondance. Il a en ce moment un goût de sève prononcé, désagréable, notamment quand il est frais. C’est surtout l’Elæis mâle qui fournit ce vin. Les rôniers ne sont pas exploités pour cet usage. Les baobabs du village ont été en partie décortiqués pour faire des cordes. Je n’ai pas encore vu de peuplade qui n’utilise ces fibres. J’ai rencontré dans un jardin cultivé quelques tiges de gros mil très chétif, en épis mal fournis, ressemblant à celui qui vient à l’état demi-sauvage, au Soudan ; mais il semble ici que ce sont seulement des repousses développées après la moisson.

Un bosquet de Kinkéliba (Combretum micranthum G. Don) existe autour du village. Au haut des fromagers, les grandes aigrettes viennent nicher en nombre à l’hivernage. En ce moment, des merles bleus et des merles métalliques couvrent les arbres.

Objets de l’industrie indigène. — Les seuls objets rencontrés consistent en vases en terre, en chapeaux faits de feuilles de rônier en forme de grand parasol pour préserver de la pluie l’hivernage, en corbeilles de différentes formes faits de lames d’Elæis ; certaines de ces corbeilles entourent les petites calebasses qui servent à recueillir le vin de palme.

Ornements des indigènes. — Ce sont des colliers de perles, des cartouches suspendues au cou, des plumes d’aigrettes et d’autres oiseaux placées debout dans la chevelure. La plupart des hommes sont en général de beaux types, forts ; les femmes elles-mêmes sont très musclées. Pas de tatouages ni de cicatrices sur le corps. Souvent il existe une petite tresse de cheveux, relevée en houppe droite au sommet de la tête, chez les hommes. Les Diolas de Sélési enterrent leurs morts au pied des grands arbres-fétiches : baobabs, etc. Il existe plusieurs Soukalas ou groupes de cases séparés par de la brousse arborescente. La récolte du vin de palme et la préparation du terrain pour la culture du riz sont les seules occupations des indigènes à cette époque de l’année. Les terrains conviennent naturellement au riz, et l’aptitude des indigènes pour cette culture est très remarquable.

Floup-Fedyan.

18 janvier 1900. — Le village, est composé de plusieurs Soukalas. Il y a trois chefs de village. L’un d’eux a le commandement sur les autres. C’est lui qui nous reçoit dans sa case. Il se nomme Solébé. C’est un jeune homme de 25 à 30 ans, à physionomie intelligente. Il nous fait le meilleur accueil et nous apporte en cadeaux des poulets, des fruits, du vin de palme. Il assiste à notre déjeuner assis sur un petit siège à quatre pieds, qu’il porte suspendu sur ses épaules quand il se déplace. Il est entouré de quelques favoris dont un vieux buveur abruti, baga, qui fait honneur à notre sangara (alcool). Les Floups sont des Diolas parlant la langue diola. Il existerait un grand chef religieux invisible pour les Européens, espèce de chef fétiche sans autorité mais relevant du roi des Bakins, sorte de roi fétiche qu’aucun blanc n’a jamais pu approcher. Solébé est en somme l’homme qui a le plus d’autorité dans le village. Tous les autres individus sont égaux. Il n’existe pas de captifs.

Les Floups sont de taille moyenne ou petits. La tête et le corps sont efféminés ; les seins très proéminents sont parfois presque aussi volumineux que ceux des femmes. Ils ne portent ni tatouages, ni cicatrices, ni marques dans la chevelure. Les membres inférieurs sont très fluets, la tête un peu étroite, le front large, fuyant ; les lèvres assez fines. Comme ornements, les hommes et les femmes portent des colliers d’argent et de cuivre au cou et aux bras, des coquillages (corils), parfois tressés dans la chevelure ou coupés en anneaux et enfilés autour du cou. Quelques hommes ont une abondante chevelure crépue ; la plupart sont rasés court. Les hommes et les femmes ont un costume primitif se réduisant le plus souvent à une bande de guinée liée autour du corps. Le chef est vêtu d’un pagne court et d’une chéchia rouge qui à force d’avoir été portée a pris une teinte noire, luisante.

Les Floups sont de grands buveurs. Ils s’adonnent toute l’année à la récolte du vin de palme sur les Elæis mâles. Ils ne le recueillent pas sur les rôniers pourtant très communs. La récolte se fait dans de petits cornets assez élégants en lanières vertes de feuilles de rônier. Ils vivent également de la pêche. Ils chassent le poisson à l’arc avec des flèches pointues et sont d’une grande adresse à cet exercice. Ils n’ont ni forgerons ni tisserands, de sorte qu’ils achètent aux traitants les barres de fer et les guinées. Depuis quelque temps, ils se livrent à la récolte du caoutchouc fourni par le Landolphia Heudelotii, A.D.C. très abondant autour du village ; mais ce sont surtout les Manjaques (ou mandiagos) qui viennent saigner les lianes dans le village. L’élevage du porc est une des grandes ressources des habitants. A notre arrivée, les différentes pièces du palais du chef sont occupées par des troupeaux de ces animaux fort gras qui se vautrent parmi les calebasses et les corbeilles en feuilles de palmier.

Il y a aussi dans le village de nombreux troupeaux de canards et quelques troupeaux d’une petite race de bœufs. Il existe de belles rizières recouvertes en partie d’eau.

Les cases sont ordinairement carrées, élevées, spacieuses, couvertes en paille avec des murs formés d’un treillis de branches fendues en deux et enduites de terre. De nombreuses petites ouvertures sont pratiquées dans les murs. La porte est précédée, en dehors, de grands piquets qui empêchent les cochons de sortir. On cultive dans le village quelques cotonniers et quelques indigotiers, beaucoup de manioc, des niébés, un peu de mil, mais surtout du riz. Les arbres fruitiers observés sont les bananiers, très abondants et vigoureux (c’est l’espèce à long fruit arqué, polyédrique), les citronniers (sans fruits actuellement), quelques pommiers acajou, quelques grands Pignons d’Inde.

Certains hommes du village sont armés de lances, d’autres ont une grande lame en fer à long manche servant à travailler les lougans de riz. Le chef Solébé nous montre son fils atteint d’éléphantiasis et m’invite à venir le revoir et à apporter des médicaments pour le guérir.

Cap Saint-Georges ou Cap Soroz (Pointe) près de Elinkin.

19 janvier. — On rencontre le marigot de Géromaïd et le marigot de Ziguinchor, quelques cases, une maison couverte en tuiles, bâtie autrefois par la Compagnie française, des manguiers et des pommiers d’acajou en fleurs. De nombreux et beaux palmiers à huile forment çà et là des traînées de verdure à travers la brousse nue, ou bien des îlots de palétuviers marquent les traînées inondées une partie du temps. Les palmiers d’ici appartiennent tous au sexe mâle. On saigne la base de l’inflorescence pour en recueillir la sève (vin de palme). Pourquoi n’y a-t-il pas d’individus femelles ? Ces pieds se rencontrent jusqu’au voisinage du fleuve salé, mais dès qu’un pied est atteint par l’eau aux hautes marées, par suite des empiètements constants des berges du fleuve, ce pied meurt. Les bords sont ainsi jalonnés de souches tronquées et en partie déracinées, d’Elæis morts. Les Elæis de la pointe Saint-Georges appartiennent au village de Cajinolle.

Chez les Diolas, les palmiers à huile de la brousse sont la propriété d’un village, et tous les habitants, indistinctement, ont le droit de venir en récolter le vin ou les régimes, mais les Diolas d’un autre village doivent s’en abstenir sous peine de recevoir des coups de fusils.

Sinedone.

27 janvier. — Nous nous trouvons ici dans une grande forêt vierge ; la brousse est épaisse, les arbres très hauts sont enlacés de lianes formant des fourrés impénétrables. Le village portugais-créole se trouve sur les bords du fleuve (rive-gauche). Des groupes de cases sont enfouies dans des forêts de bananiers. A Niaboum, petit village à 2 kilomètres de Sinedone, j’observe des orangers paraissant sauvages, et une grande abondance de lianes à caoutchouc. Les Ananas sont comme naturalisés dans la forêt. Le gingembre et le thé de Gambie (Lippia adoensis Hoschst.) plantés autour de la concession Cousin y sont en pleine végétation. La maison d’habitation de la factorerie est un pavillon construit à Paris et monté pièce à pièce ici. De très beaux arbres ombragent les alentours. Les palmiers à huile, très abondants, ont jusqu’à 20 mètres de haut. Je remarque de grands fromagers, divers Ficus et des nétés. C’est là que j’observe aussi pour la première fois un splendide Alstonia, regardé à tort par les colons comme un arbre à gutta.

Adéane.

28 janvier. — Les habitants du village sont des diolas et des portugais-créoles, redevenus noirs mais ayant conservé une langue bizarre mélangée de portugais et de dialecte noir. Chaque groupe de case est isolé dans la brousse. Il y a beaucoup de palmiers à huile. On fait en ce moment la traite des noix palmistes. Pour une calebasse de noix palmistes, on donne une calebasse égale de riz du pays. La traite de l’alcool existe aussi, mais les traitants le vendent toujours additionné d’eau. On achète le riz du pays et le mil. On apporte deux sortes de gros mil. Aussitôt après la récolte, le noir vient vendre une partie de son grain, plus tard il est obligé de le racheter contre du caoutchouc. La brousse est peu épaisse ; les palmiers à huile occupent des terrains étendus. Les palétuviers sont de moins en moins communs, le long du fleuve, mais les méduses et les noctiluques sont encore soulevées par les vagues de la rivière, et nous assistons le soir à une admirable phosphorescence des eaux. Les abords de la rivière sont marécageux ; par places il existe des rizières. A l’intérieur des terres, la brousse est très épaisse, les arbres sont très nombreux. Entre Branhaha et Adéane, les orangers croissent en pleine brousse. Ils ont été plantés autrefois. En ce moment, ils sont chargés de fruits jaunes mûrs, très doux et très agréables. On trouve aussi quelques citronniers. Ces arbres sont de belle taille et ils ont le port du pommier, les troncs étant gros comme la cuisse. Ils poussent sans aucun soin. Les indigènes se servent de petits crochets en bois pour récolter les fruits. Les bananiers sont très communs autour des cases ; les indigènes cultivent aussi les Ananas plantés également chez les Européens de la contrée. Toutes les cultures équatoriales paraissent possibles dans cet admirable pays.

Mampalago.

14 février. — J’ai remarqué dans la brousse de très beaux fromagers, le grand Dracæna, la Légumineuse à fruits tétragones, le Sterculia à feuilles de ntaba mais à petits fruits, une splendide liane Apocynée (Alafia landolphioides Benth.) à fleurs blanches, roses au centre, le Houlle (Parkia biglobosa Benth.), quelques Baobabs de petite taille à l’entrée du village, de nombreux Kévers (Sapindus senegalensis Poir.) et Somons (Dialium nitidum Guill. et Perr.). De très nombreux palmiers à huile, se trouvent autour du village. Des lianes entourent les arbres et montent à une très grande hauteur. La liane des bords du fleuve, à grandes feuilles, est commune. Les environs de Mampalago sont occupés par une véritable forêt-vierge et des fourrés très épais de palmiers à huile et de grands arbres enlacés de puissantes lianes. Des troncs d’arbres sont tombés, et leur bois se décompose lentement par terre.

Des papillons nombreux, multicolores, voltigent sous les ombrages épais. Les fourrés sont parfumés bien qu’on n’aperçoive pas de fleurs. Celles-ci sont souvent situées à une grande hauteur et forment le toit de cet épais fouillis de verdure. Les lianes, en effet, ne produisent des feuilles et des fleurs que lorsqu’elles arrivent à surmonter la forêt. Plusieurs espèces produisent des épines en place de feuilles, et il est très difficile de circuler sous cette puissante forêt.



NOMS SCIENTIFIQUES
RAPPORTÉS A QUELQUES NOMS INDIGÈNES DES PLANTES
CITÉES PAR M. CHEVALIER




Annales de l’Institut colonial de Marseille 1902. Pl. I.

Sanseviera guineensis Willd.

Annales de l’Institut colonial de Marseille 1902. Pl. II.

Conocarpus erectus L.

Annales de l’Institut colonial de Marseille 1902. Pl. III.

Cordia Myxa L.

Annales de l’Institut colonial de Marseille 1902. Pl. IV.

Le Karité (Butyrospermum Parkii Kotschy).

Annales de l’Institut colonial de Marseille 1902. Pl. V.

La Liane a indigo du Soudan (Lonchocarpus cyanescens Benth.).

Annales de l’Institut colonial de Marseille 1902. Pl. VI.

Adenium Hongkel DC.

Annales de l’Institut colonial de Marseille 1902. Pl. VII.

Tephrosia Vogelii Hook. fils.

Annales de l’Institut colonial de Marseille 1902. Pl. VIII.

Le Fonio (Paspalum longiflorum Retz).

NOTES :

[1]Imprimerie Alcan-Lévy, Paris, 1901.

[2]A mon retour, un an plus tard, je trouvai ce coin complètement transformé. Le général de Trentinian avait fait édifier le palais du gouverneur sur le plateau qui domine la cascade. Les travaux ne tardèrent pas à être abandonnés après son départ, et aujourd’hui la nature doit avoir repris ses droits.

[3]Voir sur cette plante la monographie de MM. Heckel et Schlagdenhauffen (Journal de pharmacie et de chimie, 15 juin 1887).

[4]Cette roche examinée au laboratoire de minéralogie du Muséum de Paris a été reconnue, en effet, pour de la diabase.

[5]C’est probablement la plante décrite par M. Heckel sous le nom de Solanum Duchartrei (Revue générale de Botanique de M. Bonnier 1880) et connue au Sénégal sous le nom de Beut-y-Diane. (La Direction.)

[6]Il s’agit sans doute ici du Tacca involucrata Thön. et Schum., qui est commun au Soudan, et dont le tubercule souterrain a fait l’objet d’une étude monographique avec les bulbilles aériens du Dioscorea bulbifera L. par MM. Heckel et Schlagdenhauffen, dans le Bull. de la Soc. nat. d’acclimatation, 1892. Ces tubercules sont comestibles. (La Direction.)

[7]Cette plante, originaire probablement du Maroc, en l’absence de fleurs, n’est pas déterminable. Cependant, M. Malinvaud, le savant menthologue à qui nous l’avions soumise, pense qu’elle doit être rapportée à un hybride du Mentha arvensis L. et du Mentha viridis L.

[8]Les Gabibis sont des Songaïs devenus esclaves des Touareg.

[9]Le Dr Rançon (Voyage scientifique en Haute-Gambie, 1891-92, in Annales de l’Institut colonial de Marseille, IIe vol.) cite, sous le nom de Samboni, le Cytharexylum quadrangulare Jacq. dont le bois serait employé, dit-il, en Gambie parmi ceux qui servent à la fabrication de l’instrument de musique appelé Balafon. Mais cette espèce est américaine, comme presque toutes celles de ce genre ; il s’agit donc d’une espèce nouvelle vraisemblablement.

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