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Abrégé de l'Histoire Générale des Voyages (Tome 2)

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Plusieurs de ces brigands se jetèrent sur lui et le chargèrent de liens.

Au mois de février 1730, le père de Job, ayant appris qu'il était arrivé un vaisseau anglais dans la Gambie, y envoya son fils accompagné de deux domestiques, pour vendre quelques esclaves et se fournir de diverses marchandises de l'Europe; mais il lui recommanda de ne pas passer la rivière, parce que les habitans de l'autre rive sont Mandingues, ennemis du royaume de Foula. Job ne s'étant point accordé avec le capitaine Pike, commandant du vaisseau anglais, renvoya ses deux domestiques à Bounda pour rendre compte de ses affaires à son père, et pour lui déclarer que sa curiosité le portait à voyager plus loin. Dans cette vue, il fit marché avec un négociant qui entendait la langue des Mandingues, pour lui servit d'interprète et de guide. Ayant traversé la rivière de Gambie, il vendit ses Nègres pour quelques vaches. Un jour que la chaleur l'obligea de se rafraîchir, il suspendit ses armes à un arbre; elles consistaient dans un sabre à poignée d'or, un poignard du même métal, et un riche carquois rempli de flèches, dont le fils du roi, avec qui il avait été élevé, lui avait fait présent. Son malheur voulut qu'une troupe de Mandingues accoutumés au pillage passât dans le même lieu et le vît désarmé; sept ou huit de ces brigands se jetèrent sur lui et le chargèrent de liens, sans faire plus de grâce à son interprète. Ils commencèrent par lui raser la tête et le menton; ce qui fut regardé par Job comme le dernier outrage, quoiqu'ils pensassent moins à l'insulter qu'à le faire passer pour un esclave pris à la guerre.

Le 27 de février ils le vendirent avec son interprète au capitaine Pike, et le 1er de mars ils les livrèrent à bord. Pike, apprenant de Job qu'il était le même qui avait traité de commerce avec lui quelques jours auparavant, et qu'il n'était esclave que par un coup du sort, lui permit de se racheter lui et son compagnon. Job envoya aussitôt chez un ami de son père, qui demeurait près du comptoir anglais de Djôr, en le faisant prier de donner avis de son infortune à Bounda. Mais, la distance étant de quinze journées, et le capitaine pressé de mettre à la voile, le malheureux Job fut conduit au Maryland, dans la ville d'Annapolis, et livré à Michel Denton, facteur de Hunt, riche négociant de Londres. Il apprit ensuite, par quelques vaisseaux venus de la Gambie, que son père avait envoyé pour sa rançon plusieurs esclaves qui n'étaient arrivés qu'après le départ du vaisseau, et que Sambo, roi de Foula, avait déclaré la guerre aux Mandingues dans la seule vue de le venger.

Denton vendit Job à un marchand nommé Tolsey, dans un canton qui appartient au Maryland. Tolsey l'employa d'abord au travail du tabac; mais, s'apercevant bientôt qu'il n'était pas propre à la fatigue, il rendit sa situation plus douce en le chargeant du soin de ses bestiaux. Job, assez libre dans cet emploi, se retirait assez souvent au fond d'un bois pour y faire ses prières. Il y fut aperçu par un jeune blanc, qui se fit un plaisir de l'interrompre, et souvent de l'outrager, en lui jetant de la boue au visage. Un traitement si cruel, joint à l'ignorance de la langue du pays, qui ne lui permettait pas de porter ses plaintes à personne, le jeta dans un tel désespoir, que, n'imaginant rien de plus terrible que ce qu'il éprouvait, il prit la résolution de s'échapper. Il traversa le bois au hasard jusqu'au comté de Kent, sur la baie Delaware, qui passe aujourd'hui pour une partie de la Pensylvanie, quoiqu'elle appartienne en effet au Maryland. Là, se présentant sans passe-port, et ne pouvant expliquer sa situation, il fut arrêté au mois de juin 1731, en vertu de la loi contre les Nègres fugitifs qui est en vigueur dans toutes les colonies de l'Amérique. Bluet, alors établi dans cette contrée, et plusieurs autres marchands anglais, eurent la curiosité de le voir dans sa prison. Sur divers signes qu'ils lui firent, il écrivit deux ou trois lignes en arabe; et, les ayant lues, il prononça les mots Allah et Mahomet, qui furent aisément distingués par les habitans. Cette marque de sa religion, jointe au refus d'un verre de vin qui lui fut présenté, fit assez connaître qu'il était mahométan; mais on n'en devinait pas mieux qui il était, et comment il se trouvait dans le canton. Sa physionomie d'ailleurs, et ses manières composées ne permettaient pas de le regarder comme un homme du commun.

Il se trouva parmi les Nègres du pays un vieux Iolof, qui entendit enfin son langage, et qui, l'ayant entretenu, expliqua aux Anglais le nom de son maître et les raisons de sa fuite. Ils écrivirent dans le lieu d'où il était parti. Tolsey vint le prendre lui-même et le traita fort civilement. Il le conduisit dans son habitation, où il prit soin de lui donner un endroit commode pour ses exercices de religion, et d'adoucir plus que jamais son esclavage. Job profita de la bonté de son maître pour écrire à son père. Sa lettre fut remise à Denton, qui devait en charger le capitaine Pike, au premier voyage qu'il ferait en Afrique; mais alors Pike étant parti pour l'Angleterre, Denton envoya la lettre à M. Hunt. Pike avait mis à la voile pour l'Afrique, lorsqu'elle fut rendue à Londres; de sorte que Hunt fut obligé d'attendre une autre occasion. Dans l'intervalle, le célèbre Oglethorpe, ayant vu la lettre, qui était en arabe, et qu'il prit soin de faire traduire dans l'université d'Oxford, fut touché d'une si vive compassion, qu'il engagea Hunt, par une somme dont il lui fit son billet, à faire amener Job en Angleterre. Hunt écrivit aussitôt à son facteur d'Annapolis, qui racheta Job de Tolsey, et le fit partir sur le William, commandé par le capitaine Wright. Bluet, auteur de son histoire, fit le voyage sur le même vaisseau.

Pendant quelques semaines que Job fut en mer, il acheva d'apprendre assez d'anglais pour se faire entendre et pour expliquer une partie de ses idées. Sa conduite et ses manières lui gagnèrent l'estime et l'amitié de tout l'équipage. En arrivant à Londres, au mois d'avril 1733, il n'y trouva pas le généreux Oglethorpe, qui était parti pour la Géorgie; mais Hunt lui fournit un logement à Lime-House. Bluet, qui alla passer quelque temps à la campagne, l'ayant visité à son retour, lui trouva le visage fort abattu. Quelques personnes avaient demandé à l'acheter; et la crainte que sa rançon ne fût mise à trop haut prix, ou que de nouveaux maîtres ne le fissent partir pour quelque pays éloigné, le jetait dans une vive inquiétude. Bluet obtint de Hunt de le prendre dans sa maison de Cheshunt, au comté d'Hertfort, en promettant de ne pas disposer de lui sans le consentement de son maître: Job reçut beaucoup de caresses de tous les honnêtes gens du pays, qui parurent charmés de son entretien, et fort touchés de ses infortunes. On lui fit quantité de présens, et plusieurs personnes proposèrent de lever une somme par souscription pour payer le prix de sa liberté.

Le jour qui précéda son retour à Londres, il reçut une lettre qui portait son adresse, et qui, étant venue sous une enveloppe au chevalier Bybia-Lake, avait été remise à la compagnie d'Afrique. L'auteur n'ajoute pas de qui elle était, quoiqu'il paraisse assez qu'elle venait de M. Oglethorpe; en conséquence, les directeurs de la compagnie ordonnèrent à M. Hunt de leur fournir le mémoire de toute la dépense qu'il avait faite pour Job. Elle montait à cinquante-neuf livres sterling, qui lui furent payées par la compagnie. Cependant Job n'était pas délivré de ses craintes. Il se figura qu'il aurait à payer une grande rançon lorsqu'il serait retourné dans son pays. La souscription n'était pas encore commencée. Bluet ayant renouvelé cette proposition, un homme de mérite entreprit de la faire réussir en souscrivant le premier. Son exemple fut suivi avec empressement. Enfin la somme étant remplie, Job obtint sa liberté, et la compagnie d'Afrique se chargea de son logement et de son entretien jusqu'à son départ.

Il vécut quelque temps dans une situation tranquille, occupé à visiter ses amis et ses bienfaiteurs. Le chevalier Hans Sloane, qui était de ce nombre, l'employait souvent à traduire des manuscrits arabes et des inscriptions de médailles. Un jour qu'il était chez lui, il marqua une vive curiosité de voir la famille royale. Le chevalier lui promit de le satisfaire, lorsqu'il serait vêtu assez proprement pour paraître à la cour. Aussitôt les amis de Job lui firent faire un riche habit de soie dans la forme de son pays. Il fut présenté dans cet état au roi, à la reine, aux deux princes et aux princesses. La reine lui fit présent d'une belle montre d'or; et le même jour il eut l'honneur de dîner avec le duc de Montague et d'autres seigneurs, qui se réunirent ensuite pour lui faire présent d'une somme honnête. Le duc de Montague le mena souvent à sa maison de campagne, et, lui montrant les instrumens qui servent à l'agriculture et au jardinage, il chargea ses gens de lui en apprendre l'usage. Lorsque Job se vit près de son départ, le même seigneur fit faire pour lui un grand nombre de ces instrumens, qui furent mis dans des caisses et portés sur son vaisseau. Il reçut divers autres présens de plusieurs personnes de qualité jusqu'à la valeur de cinq cents livres sterling. Enfin, après avoir passé quatorze mois à Londres, il s'embarqua, au mois de juillet 1734, sur un vaisseau de la compagnie qui partait pour la rivière de Gambie.

Job aborda au fort anglais le 8 d'août. Il était recommandé particulièrement par les directeurs de la compagnie au gouverneur et aux facteurs du pays. Ils le traitèrent avec autant de respect que de civilité. L'espérance de trouver quelqu'un de ses compatriotes au comptoir de Djôr, qui n'est qu'à sept journées de Bounda, le fit partir le 23 sur le sloop la Renommée, avec Moore, qui allait prendre la direction de ce comptoir. Le 26 au soir, ils arrivèrent à Damasensa. Job, se trouvant assis sous un arbre avec les Anglais, vit passer sept ou huit Nègres de la nation de ceux qui l'avaient fait esclave à trente milles du même lieu. Quoiqu'il fût d'un caractère modéré, il eut de la peine à se contenir; et son premier mouvement le portait à les tuer d'un sabre et de deux pistolets dont il était armé. Moore lui fit perdre cette pensée en lui représentant l'imprudence et le danger de son dessein. Ils firent approcher les Nègres pour leur adresser diverses questions, et leur demander particulièrement ce qu'était devenu le roi leur maître, qui avait jeté Job dans l'esclavage.

Ils répondirent que ce prince avait perdu la vie d'un coup de pistolet qu'il portait ordinairement pendu au cou, et qui, étant parti par hasard, l'avait tué sur-le-champ. Il y avait beaucoup d'apparence que ce pistolet venait du capitaine Pike, et faisait partie des marchandises que le roi avait reçues pour le prix de Job. Aussi Job fut-il si transporté de joie, que, tombant à genoux, il remercia Mahomet d'avoir détruit son ennemi par les armes mêmes qui avaient été le prix de son crime; et se tournant vers Moore: «Vous voyez, lui dit-il, que le ciel n'a point approuvé que cet homme m'eût fait esclave, et qu'il a fait servir à sa punition les mêmes armes pour lesquelles j'ai été vendu. Cependant je dois lui pardonner, ajouta-t-il, parce que, si je n'avais pas été vendu, je ne saurais pas la langue anglaise, je n'aurais pas mille choses utiles et précieuses que je possède; je n'aurais pas vu un pays tel que l'Angleterre, et des hommes aussi généreux que j'en ai trouvé dans cette contrée.» Il n'y a guère d'Européen cultivé dont la reconnaissance s'exprimât plus éloquemment.

Le sloop étant arrivé le premier de septembre à Djôr, Job dépêcha le 14 un exprès à Bounda pour donner avis de son retour à ses parens. Ce messager était un Foula, qui se trouva de la connaissance de Job, et qui marqua une joie extrême de le revoir. C'était presque le seul Africain qu'on eût jamais vu revenir de l'esclavage. Job fit prier son père de ne pas venir au-devant de lui, parce que le voyage était trop long, et que, suivant l'ordre de la nature, c'étaient les jeunes gens, disait-il, qui devaient aller au-devant des vieux. Il envoya quelques présens à ses femmes, et le Foula fut chargé de lui amener le plus jeune de ses fils, pour lequel il avait une affection particulière.

Dans l'intervalle, Job ne cessa point de louer beaucoup les Anglais parmi les Nègres de sa nation. Il fit revenir les Africains de l'opinion où ils avaient toujours été que les esclaves étaient mangés ou tués, parce qu'on n'en voyait pas revenir un seul.

Quatre mois se passèrent avant qu'il pût recevoir les moindres informations de Bounda. Son impatience le fit retourner à Djôr le 29 janvier 1735. Le 14 du mois suivant, il vit arriver enfin le Foula avec des lettres; mais elles ne lui apportaient que de fâcheuses nouvelles. Son père était mort, avec la consolation néanmoins d'avoir appris en expirant le retour de son fils et le traitement qu'il avait reçu en Angleterre. Une des femmes de Job s'était remariée en son absence; et le second mari avait pris la fuite en apprenant l'arrivée du premier. Depuis trois ou quatre ans la guerre avait fait tant de ravage dans le pays de Bounda, qu'il n'y restait plus de bestiaux.

Avec le messager il était arrivé un des anciens amis de Job, qui fut charmé de le revoir, mais qui parut fort touché de la mort de son père et des malheurs de sa patrie. Il protesta qu'il pardonnait à sa femme, et même à l'homme qui l'avait épousée. Ils avaient raison, disait-il, de me croire mort, puisque j'étais passé dans un pays d'où jamais aucun Foula n'est revenu. Ses entretiens avec son ami durèrent trois ou quatre jours, sans autre interruption que celle des repas et du sommeil.

Lorsque Moore quitta l'Afrique, il laissa Job à Djôr avec le gouverneur Hull, prêts à partir tous deux pour Yanimarriou, d'où ils devaient se rendre à la forêt des Gommiers, qui est proche de Bounda. Job le chargea de plusieurs lettres pour le duc de Montague, la compagnie d'Afrique, Oglethorpe, et ses principaux bienfaiteurs. Elles étaient remplies des plus vives marques de sa reconnaissance et de son affection pour la nation anglaise.

Ses qualités naturelles étaient excellentes. Il avait le jugement solide, la mémoire facile, et beaucoup de netteté dans les idées; il raisonnait avec beaucoup de modération et d'impartialité. Tous ses discours portaient le caractère du bon sens, de la bonne foi, et d'un amour ardent pour la vérité.

Sa pénétration se fit remarquer dans une infinité d'occasions. Il concevait sans peine le mécanisme des instrumens. Après lui avoir fait voir une pendule et une charrue, on lui en montra les pièces séparées, qu'il rejoignit lui-même sans le secours de personne.

Sa mémoire était si extraordinaire, qu'ayant appris l'Alcoran par cœur à quinze ans, il en fit trois copies de sa main en Angleterre, sans autre modèle que celui qu'il portait dans sa tête, et sans se servir même de la première copie pour faire les deux autres. Il souriait lorsqu'il entendait parler d'oubli, comme d'une faiblesse dont il n'avait pas l'idée. Cette mémoire paraîtra moins surprenante, si l'on fait réflexion qu'ayant nécessairement peu d'idées acquises, celles qui se plaçaient dans sa tête s'y gravaient avec plus de facilité et moins de confusion. C'est par cette raison que dans la première jeunesse on apprend et l'on retient plus aisément: l'organe est neuf, et l'esprit a moins de distractions. C'est quand les traces d'une infinité d'objets divers se sont multipliées dans le cerveau que leur nombre et leur variété commencent à nuire à leur ordre, qu'elles se confondent et s'effacent en même temps que l'organe perd de son énergie, comme la planche du graveur ne rend plus que des traits vagues et confus lorsqu'on en a trop renouvelé les empreintes.

Il avait cette sorte de compassion générale qui rend le cœur sensible à tout. Dans la conversation, il entendait la plaisanterie. Ses inclinations douces et religieuses n'excluaient pas le courage. Il racontait que, passant un jour dans le pays des Arabes avec quatre de ses domestiques, il avait été attaqué par quinze de ces vagabonds, qui sont une sorte de bandits ou de voleurs. Il se mit en défense, et, plaçant un de ses gens pour observer l'ennemi, il se disposa fièrement au combat avec les trois autres. Il perdit un homme dans l'action, et lui-même fut blessé au bras d'un coup d'épée; mais ayant tué le capitaine arabe et deux de ces brigands, il força le reste de prendre la fuite. Un autre jour, ayant trouvé une des vaches de son père à moitié dévorée, il résolut de prendre le monstre dont elle avait été la proie. Il se plaça sur un arbre près de la vache, et vers le soir il vit paraître deux lions qui s'avancèrent à pas lents et jetant leurs regards autour d'eux avec un air de défiance. L'un s'étant approché, Job le perça d'une flèche empoisonnée qui le fit tomber sur la place. Le second qui vint ensuite fut aussi blessé; mais il eut la force de s'éloigner en rugissant, et le lendemain il fut trouvé mort à cinq cents pas du même lieu.

Il avait de l'aversion pour les peintures; on eut beaucoup de peine à le faire consentir qu'on tirât son portrait. Lorsque la tête fut achevée, on lui demanda dans quels habits il voulait paraître; et sur le choix qu'il fit de l'habillement de son pays, on lui dit qu'on ne pouvait le satisfaire sans avoir vu les habits dont il parlait, ou du moins sans en avoir entendu la description. «Pourquoi donc, répliqua Job, vos peintres veulent-ils représenter Dieu qu'ils n'ont jamais vu?»

Sa religion était le mahométisme; mais il rejetait les notions d'un paradis sensuel et d'autres traditions qui sont reçues parmi les Turcs. Le fond de ses principes était l'unité de Dieu, dont il ne prononçait jamais le nom sans quelque témoignage particulier de respect. Les idées qu'il avait de cet Être-Suprême et d'un état futur parurent fort justes aux Anglais; mais il était si ferme dans la persuasion de l'unité divine, qu'il fut impossible de le faire raisonner paisiblement sur la Trinité. On lui avait donné un nouveau Testament dans sa langue. Il le lut; et, s'expliquant avec respect sur ce livre, il commença à déclarer que, l'ayant examiné fort soigneusement, il n'y avait pas trouvé un mot d'où l'on pût conclure qu'il y eût trois dieux.

Il ne mangeait la chair d'aucun animal, s'il ne l'avait tué de ses propres mains. Cependant il ne faisait pas difficulté de manger du poisson; mais il ne voulait jamais toucher à la chair de porc.

Pour un homme qui avait reçu son éducation en Afrique, les Anglais jugèrent que son savoir n'était pas méprisable. Il leur rendit compte des livres de son pays. Leur nombre ne surpasse pas trente. Ils sont écrits en arabe, et la religion seule en fait la matière. Job savait fort bien la partie historique de la Bible. Il parlait respectueusement des vertueux personnages qui sont nommés dans l'Écriture sainte, surtout de Jésus-Christ, qu'il regardait comme un prophète digne d'une plus longue vie, et qui aurait fait beaucoup de bien dans le monde, s'il n'eût péri malheureusement par la méchanceté des Juifs. Mahomet, disait-il, fut envoyé après lui pour confirmer et perfectionner sa doctrine. Enfin Job se comparait souvent à Joseph, fils du patriarche Jacob; et lorsqu'il eut appris que, pour le venger, Sambo, roi de Foula, avait déclaré la guerre aux Mandingues, il protesta qu'il aurait souhaité pouvoir l'empêcher, parce que ce n'étaient pas les Mandingues, mais Dieu qui l'avait envoyé dans une terre étrangère.

Son historien joint ici quelques détails sur le pays de ce prince.

Les esclaves du pays de Bounda, et la plus vile partie du peuple, y sont employés à cultiver la terre, à préparer le blé, le pain et les autres alimens. L'agriculture est pour eux un exercice fort pénible, parce qu'ils n'ont pas d'instrumens propres à labourer la terre, ni même à couper les grains dans leur maturité. Ils sont obligés, pour faire leur moisson, d'arracher le blé avec les racines; et pour le réduire en farine, ils le broient entre deux pierres avec les mains. Leur travail n'est pas moins pénible pour transporter et pour bâtir; car tout s'exécute à force de bras.

Les personnes de distinction qui se piquent de lecture et d'étude n'ont pas d'autres lumières pendant la nuit que celle de leur feu. Cependant c'est le temps de l'obscurité qu'ils emploient à cet exercice, parce que, dans les principes du pays, le jour est pour l'usage de ce qu'on sait, et la nuit pour s'instruire. Une partie des habitans s'occupe de la chasse, surtout de celle des éléphans, et fait un commerce d'ivoire assez considérable. Job racontait qu'un de ses gens, accoutumé à la chasse, avait vu un éléphant surprendre un lion, le porter près d'un bois, fendre un arbre, mettre la tête de son ennemi entre les deux parties du tronc, et le laisser dans cet état pour y périr. Quoique ce récit paraisse fabuleux, il est rendu plus vraisemblable par un autre exemple dont Job avait été témoin lui-même. Un jour qu'il était à la chasse, il vit un éléphant transporter un lion dans un endroit marécageux, et lui tenir la tête enfoncée dans la boue pour l'étouffer. En supposant la vérité de ces deux faits, il faut conclure que le lion et l'éléphant se portent une haine mortelle.

Le poison dans lequel les Nègres trempent leurs flèches est le suc d'un certain arbre dont les qualités sont si malignes, qu'en peu de temps le sang se trouve infecté par la moindre blessure, et l'animal le plus vigoureux devient stupide et perd le sentiment; ce qui n'empêche pas les habitans de manger la chair des animaux qu'ils tuent avec leurs flèches. Aussitôt qu'ils les voient tomber, ils s'approchent et leur coupent la gorge: cette opération fait sortir apparemment le poison avec le sang. Les hommes qui sont blessés des mêmes flèches se guérissent avec une herbe dont la vertu est infaillible, lorsqu'elle est immédiatement appliquée sur la blessure. L'auteur prend ici l'occasion d'assurer, comme le fruit particulier de son expérience et de ses lumières, 1º que, dans tous les pays qui produisent des bêtes féroces, il ne s'en trouve pas qui attaquent volontairement l'homme, si elles trouvent le moyen de s'échapper par la fuite; 2º qu'il n'y a pas de poison violent, de quelque espèce qu'on le suppose, qui n'ait son antidote; et que généralement la nature a placé l'antidote près du poison. Cette dernière assertion paraît plus fondée que l'autre; je crois qu'il sera toujours fort peu sûr de rencontrer un lion ou un tigre quand il aura faim. Le loup, naturellement timide, attaque l'homme quand il n'a trouvé ni proie ni nourriture; et les singes, quand ils se sentent les plus forts, se jettent sur le voyageur par un instinct de férocité.

Les mariages, dans le pays de Job, se font avec peu de formalités. Lorsqu'un père est résolu de marier son fils, il fait ses propositions au père de la fille; elles consistent dans l'offre d'une certaine somme que le père du mari doit donner à la femme pour lui servir de douaire. Si cette offre est acceptée, les deux pères et le jeune homme se rendent chez le prêtre, déclarent leur convention, et le mariage passe aussitôt pour être conclu; il ne reste qu'une difficulté, qui consiste à tirer l'épouse de la maison paternelle. Tous ses cousins s'assemblent devant la porte pour en disputer l'entrée, mais le mari trouve le moyen de se les concilier par des présens. Il fait paraître alors un de ses parens, bien monté, avec la commission de lui amener sa femme à cheval; mais à peine est-elle en croupe, que les femmes commencent leurs lamentations et s'efforcent de l'arrêter. Cependant les droits du mari l'emportent; il reçoit celle qui doit être la compagne de sa vie. Il fait éclater sa joie par les festins qu'il donne à ses amis. Les réjouissances durent plusieurs jours; sa femme est la seule qui n'y est point appelée: elle n'est vue de personne, pas même de son mari, aux yeux duquel la loi veut que pendant trois ans elle paraisse toujours voilée. Ainsi Job, qui n'en avait passé que deux avec la sienne lorsqu'il tomba dans l'esclavage, et qui avait eu d'elle une fille, ne l'avait point encore vue sans voile. Pour éviter les jalousies et les querelles, les maris font un partage égal du temps entre leurs femmes; et leur exactitude à l'observer va si loin, que pendant qu'une femme est en couches ils passent seuls dans leur appartement toutes les nuits qui lui appartiennent. Ils ont le droit de renvoyer celles qui leur déplaisent, mais en leur laissant la somme qu'elles ont reçue pour dot. Une femme est libre de se remarier après ce divorce, et n'en trouve pas moins l'occasion; au lieu que, si c'est elle qui abandonne son mari, non-seulement elle perd sa dot, mais elle tombe dans un mépris qui lui ôte l'espérance de faire un second mariage.

Outre la circoncision, qui est en usage pour tous les enfans mâles, il y a une sorte de baptême pour les deux sexes. Au septième jour de la naissance, le père, dans une assemblée de parens et d'amis, donne un nom à l'enfant, et le prêtre l'écrit sur un petit morceau de bois poli. On tue ensuite pour le festin une vache ou une brebis, suivant les richesses de la famille; on la mange sur-le-champ, et le reste est distribué aux pauvres. Après quoi, le prêtre lave l'enfant dans une eau pure, transcrit son nom sur un morceau de papier qu'il roule soigneusement, et le lui attache autour du cou pour y demeurer jusqu'à ce qu'il tombe de lui-même.(Lien vers la table des matières.)

CHAPITRE III.

Mœurs et usages des Iolofs, des Foulas et des Mandingues. Langage. Religion.

Nous avons souvent parlé de ces peuples dans la relation des voyages sur les côtes où ils sont répandus. Nous voulons rassembler ici les observations les plus importantes des voyageurs sur les trois nations les mieux connues de cette latitude. Les Iolofs habitent le long de l'Océan, entre le fleuve de Sénégal et la Gambie. Les Foulas sont situés au nord, au sud et à l'est du Sénégal. Les Mandingues occupent les deux bords de la Gambie, et se mêlent partout aux deux autres nations.

Une des principales qualités qui se font remarquer dans les Iolofs, et qui paraît leur être commune avec tous les Nègres de la côte, c'est, comme on l'a déjà dit, le penchant au vol; mais ils ont une adresse à voler qui leur est particulière.

Ce n'est pas sur les mains d'un voleur qu'il faut avoir les yeux ouverts, c'est sur ses pieds. Comme la plupart des Nègres marchent pieds nus, ils acquièrent autant d'adresse dans cette partie que nous en avons aux mains. Ils ramassent une épingle à terre. S'ils voient un morceau de fer, un couteau, des ciseaux, et toute autre chose, ils s'en approchent; ils tournent le dos à la proie qu'ils ont en vue; ils vous regardent en tenant les mains ouvertes. Pendant ce temps ils saisissent l'instrument avec le gros orteil; et, pliant le genou, ils lèvent le pied par-derrière jusqu'à leurs pagnes, qui servent à cacher le vol; et, le prenant avec la main, ils achèvent de le mettre en sûreté.

Ils n'ont pas plus de probité à l'égard de leurs compatriotes de l'intérieur des terres, qu'ils appellent montagnards. Lorsqu'ils les voient arriver pour le commerce, sous prétexte de servir à transporter leurs marchandises ou de leur rendre l'office d'interprètes, ils leur dérobent une partie de ce qu'ils ont apporté.

Leur avidité barbare va bien plus loin, car il s'en trouve qui vendent leurs enfans, leurs parens et leurs voisins. Pour cette perfidie on s'adresse à ceux qui ne peuvent se faire entendre des Français. Ils les conduisent au comptoir pour y porter quelque chose, et, feignant que ce sont des esclaves achetés, ils les vendent, sans que ces malheureuses victimes puissent s'en défier, jusqu'au moment qu'on les enferme ou qu'on les charge de chaînes. Un vieux Nègre, ayant résolu de vendre son fils, le conduisit au comptoir. Mais ce fils, qui se défia de ce dessein, se hâta de tirer un facteur à l'écart et de vendre lui-même son père. Lorsque ce vieillard se vit environné de marchands prêts à l'enchaîner, il s'écria qu'il était le père de celui qui l'avait vendu. Le fils protesta le contraire, et le marché demeura conclu; mais celui-ci, retournant en triomphe, rencontra le chef du canton qui le dépouilla de ses richesses mal acquises, et vint le vendre au même marché. Tous ces crimes sont la suite d'un plus grand, celui de les acheter.

Quantité de petits Nègres des deux sexes sont enlevés tous les jours par leurs voisins, lorsqu'ils s'écartent dans les bois, sur les chemins, ou dans les plantations, pour chasser les oiseaux qui viennent manger le millet et les autres grains. Dans le temps de la famine, un grand nombre de Nègres se vendent eux-mêmes pour s'assurer du moins la vie.

Leur pauvreté est extrême. Ils ont pour tout bien quelques bestiaux. Les plus riches n'en ont pas plus de quarante ou cinquante, avec deux ou trois chevaux, et le même nombre d'esclaves. Il est très-rare qu'on leur trouve de l'or pour la valeur d'onze on douze pistoles.

Dans quelques pays des Nègres, la couronne est héréditaire; dans d'autres, elle est élective. À la mort d'un prince héréditaire, c'est son frère, et non son fils, qui lui succède; mais, après la mort du frère, le fils est appelé au trône, et le laisse de même à son frère. Dans quelques pays héréditaires, c'est au premier neveu par les sœurs que tombe la succession, parce que la propagation du sang royal ne leur paraît certaine que par cette voie, tant ils comptent peu sur la fidélité des femmes.

Dans les royaumes électifs, trois ou quatre des plus grands personnages de la nation s'assemblent après la mort du roi pour lui choisir un successeur, et se réservent le pouvoir de le déposer ou de le bannir lorsqu'il manque à ses obligations. Cet usage devient la source d'une infinité de guerres civiles, parce qu'un roi déposé entreprend ordinairement de se rétablir malgré les constitutions.

Il n'y a point dans l'univers d'autorité plus absolue et plus respectée que celle de ces monarques nègres. Elle ne se soutient que par la rigueur. Les punitions pour les moindres défauts de respect ou d'obéissance sont, la mort, la confiscation des biens, et l'esclavage de toute la famille des coupables. Le peuple est moins à plaindre que les grands, parce que, dans ces occasions, il n'a que l'esclavage à redouter. Barbot raconte que, sous les plus légers prétextes, sans égard pour le rang ni pour la profession, un roi fait vendre à son gré ses sujets. L'alcade de Rufisque vendit aux Français de Gorée, par l'ordre exprès du damel, un marabout qui avait manqué à quelque devoir du pays. Ce malheureux prêtre fut plus de deux mois sur le vaisseau sans vouloir prononcer une parole. Comme la volonté des princes est une loi souveraine, ils imposent des taxes arbitraires qui réduisent tous leurs sujets à la dernière pauvreté.

Dans le royaume de Barsalli ou Boursalum, il n'y a que le roi et sa famille qui aient le droit de coucher sous des espèces d'étoffes qui servent de défense contre les mouches et les mosquites. L'infraction de cette loi est punie de l'esclavage. Un Iolof qui aurait la hardiesse de s'asseoir sans ordre sur la même natte que la famille royale, est sujet au même châtiment. L'orgueil et la tyrannie siégent donc sur des nattes comme sur la pourpre! Mais, malgré tant de hauteur, les princes iolofs sont des mendians si peu capables de honte, que, s'ils aperçoivent à l'étranger qui les visite quelque chose qui leur plaise, comme un manteau, des bas, des souliers, une épée, un chapeau, etc., ils demandent successivement qu'on leur permette d'en faire l'essai, et se mettent par degrés en possession de toute la parure.

Les épreuves du fer chaud et de l'eau bouillante, ces anciens monumens de notre barbarie, se retrouvent dans la jurisprudence des Nègres; et la corruption, qui déshonore si souvent la nôtre, ne leur est pas étrangère.

Deux petits rois, oncle et neveu, tous deux tributaires du damel, étant en contestation pour les droits de leur souveraineté, résolurent de remettre, la décision de leur différent au sort des armes ou à la sentence du damel; et ce prince leur ayant fait défendre les voies violentes, ils furent obligés de venir à celles de l'autorité. Le jour marqué pour leurs explications, ils se rendirent dans une grande place, qui est vis-à-vis du palais royal, tous deux accompagnés d'un nombreux cortége, qui formait deux bataillons armés de dards, de flèches, de zagaies et de couteaux à la mauresque. Ils se postèrent l'un vis-à-vis de l'autre, à trente pas de distance. Le damel parut bientôt à la tête de six cents hommes. Il montait un fort beau cheval de Barbarie, et alla se placer au milieu des deux rivaux. Quoiqu'ils parlassent tous la même langue, ils employèrent des interprètes pour s'expliquer. Le neveu, qui était fils du dernier roi, finit sa harangue en représentant que les domaines contestés devaient lui appartenir de plein droit, puisque le ciel les avait donnés à son père, et qu'il attendait par conséquent de l'équité du damel la confirmation d'un titre qui ne pouvait lui être disputé sans injustice. Après l'avoir écouté fort attentivement, le damel lui répondit d'un air majestueux: «Ce que le ciel vous a donné, je vous le donne à son exemple.» Une réponse si positive dissipa aussitôt le parti opposé. Les guiriots, avec leurs instrumens et leurs tambours, célébrèrent les louanges du vainqueur. Ils lui répétèrent mille fois que le damel lui avait rendu justice, qu'il était plus beau, plus riche, plus puissant et plus courageux que son rival. Mais, tandis qu'il n'était occupé que de son bonheur, il fut surpris de s'en voir dépouillé le jour suivant. Le damel, corrompu par des présens, révoqua la sentence qu'il avait portée, et rétablit l'oncle à la place du neveu. Ce revers de fortune fit changer d'objet aux chants des guiriots. Toutes leurs louanges furent pour celui qu'ils avaient décrié par leurs satires[6].

Les rois nègres entreprennent la guerre sur les moindres prétextes; mais les batailles ne sont que des escarmouches. Dans tout le royaume du damel à peine se trouverait-il assez de chevaux pour former deux cents hommes de cavalerie. Ce prince n'a pas besoin de provisions de bouche quand il est en campagne: toutes les femmes lui fournissent des vivres sur son passage.

Les armes de la cavalerie sont la zagaie, sorte de javeline fort longue, et trois ou quatre dards de la forme des flèches, avec cette différence que la tête en est plus grosse, et qu'étant dentelée, elle déchire la blessure lorsqu'on la retire après le coup. Tous les cavaliers sont si chargés de grisgris, qu'ils ne peuvent faire quatre pas, s'ils sont démontés; ils lancent assez loin leurs zagaies. Avec ces armes, ils ont un cimeterre et un couteau à la mauresque, long d'une coudée sur deux doigts de largeur. Quoique chargés de tant d'instrumens, ils ont les bras et les mains libres, de sorte qu'ils peuvent charger avec beaucoup de vigueur.

L'infanterie est armée d'un cimeterre, d'une javeline et d'un carquois rempli de cinquante ou soixante flèches empoisonnées, dont les blessures causent infailliblement la mort, pour peu que les remèdes soient différés. Les dents de ces flèches ne causent pas des effets moins dangereux, puisque, ne pouvant être retirées, il faut qu'elles traversent la partie dans laquelle elles sont entrées. L'arc est composé d'un roseau fort dur qui ressemble au bambou; la corde est d'une autre sorte de bois, et est jointe à l'arc avec beaucoup d'art. Les Nègres, en général, se servent de leurs arcs avec tant d'adresse, que de cinquante pas ils sont sûrs de frapper un écu. Ils marchent sans ordre et sans discipline au milieu même du pays qu'ils attaquent. Leurs guiriots les excitent au combat par le son de leurs instrumens.

Lorsqu'ils sont à la portée de leurs armes, l'infanterie fait une décharge de ses flèches, et la cavalerie lance ses dards; on en vient ensuite à la zagaie. Ils épargnent néanmoins leurs ennemis, dans l'espérance de faire un plus grand nombre d'esclaves; c'est le sort de tous les prisonniers, sans distinction d'âge ni de rang. Malgré les ménagemens qu'ils observent dans la mêlée, comme ils combattent nus et qu'ils sont fort adroits, leurs guerres sont toujours fort sanglantes. D'ailleurs ils aiment mieux perdre la vie que de s'exposer au moindre reproche de lâcheté, et ce motif les anime autant que la crainte de l'esclavage.

Si le premier choc ne décide pas de la victoire, ils renouvellent souvent le combat pendant plusieurs jours. Enfin, lorsqu'ils commencent à se lasser de verser du sang, ils envoient de chaque côté les marabouts pour négocier la paix; et, s'ils conviennent des articles, ils jurent sur l'Alcoran et par Mahomet d'être fidèles à les observer. Il n'y a jamais de composition pour les prisonniers. Ceux qui ont le malheur d'être pris demeurent les esclaves de celui qui les a touchés le premier.

Si l'on veut avoir une idée de ces misérables brigands que les historiens appellent rois, il n'y a qu'à voir dans Le Maire et dans Moore le portrait qu'ils tracent des princes qui de leur temps régnaient en Afrique.

Le roi, qui porte le titre de brack, et qui gouverne la contrée que nous nommons Oualo, est si pauvre, dit Le Maire, qu'il manque souvent de millet pour se nourrir. Il aime les chevaux jusqu'à se priver de la nourriture pour fournir à leur entretien, comme maître Jacques dans l'Avare; il leur donne le grain dont il devrait se nourrir, et se contente ordinairement d'une pipe de tabac et de quelques verres d'eau-de-vie. La nécessité le force souvent de faire des incursions dans les cantons les plus faibles de son voisinage, où il enlève les bestiaux et des esclaves qu'il vend aux Français pour de l'eau-de-vie. Lorsqu'il voit baisser sa provision de cette liqueur, il enferme le reste dans une petite cantine, dont il donne la clef à quelqu'un de ses favoris, avec ordre de la porter à vingt ou trente lieues de sa demeure, pour se mettre lui-même dans la nécessité de s'en priver. S'il exerce sa tyrannie sur ses voisins, il garde encore moins de ménagement pour ses propres sujets. Son usage est d'aller de ville en ville avec toute sa cour, qui est composée d'environ deux cents Nègres, la plupart infectés de tous les vices des blancs, et de demeurer dans chaque lieu jusqu'à ce qu'il en ait mangé toute les provisions. Ceux qui ont la hardiesse de s'en plaindre sont vendus pour l'esclavage.

Ceux des Iolofs qui bordent immédiatement la Gambie habitent les royaumes de Barsalli et du bas Yani. Le roi de Barsalli gouverne avec une autorité absolue, et sa famille est si respectée, que tous ses peuples se prosternent la face en terre lorsqu'ils paraissent devant quelque personne de son sang. Cependant il vit dans l'égalité avec sa milice. Chaque soldat a la même part au butin de la guerre, et le roi ne prend que ce qui est nécessaire à ses besoins. Cette loi, qu'il s'est imposée, ne lui permet guère de quitter les armes; car aussitôt qu'il a consommé les fruits d'une guerre, il est obligé, pour satisfaire son acidité et celle de ses gens, de chercher quelque nouvelle proie.

En 1732, c'est-à-dire dans le temps que Moore était en Afrique, le roi de Barsalli était un prince d'une humeur si emportée, qu'au moindre ressentiment il ne faisait pas difficulté de tirer sur celui dont il se croyait offensé. Moore n'ajoute pas si c'était un coup de flèche ou d'arme à feu; mais cette fureur était d'autant plus dangereuse, que le roi tirait fort adroitement; quelquefois, lorsqu'il se rendait sur une chaloupe de la compagnie, à Cahone, qui était une de ses propres villes, il se faisait un amusement de tirer sur tous les canots qui passaient, et dans la journée il tuait toujours un homme ou deux. Quoiqu'il eût un grand nombre de femmes, il n'en menait jamais plus de deux avec lui. Il avait plusieurs frères; mais il était rare qu'il leur parlât ou même qu'il les reçût dans sa compagnie. S'ils obtenaient cet honneur, ils n'étaient pas dispensés de la loi commune qui oblige tous les Nègres à se jeter de la poussière sur le front lorsqu'ils approchent de leur roi: cependant ils sont les héritiers de la couronne après lui; mais dans le royaume de Barsalli, elle est ordinairement disputée par les enfans du roi mort, et c'est au plus fort qu'elle demeure.

On peut prendre une grande idée de leur adresse à dompter et à manéger les chevaux, si l'on en juge par ce que raconte Moore d'un des princes de Barsalli qu'il nomme Haman Sica. Il montait un cheval blanc de lait d'une grande beauté, avec la crinière longue et une des plus belles queues du monde. Les étriers de Haman étaient courts, de la largeur et de la longueur de ses pieds; de sorte qu'il pouvait se lever facilement et s'y soutenir en courant à toute bride, tirer un fusil, lancer son dard ou sa zagaie avec autant de liberté qu'à pied. Il portait toujours à la main une lance de douze pieds de long, qu'il tenait droite et appuyée par le bas sur son étrier entre ses orteils; mais, lorsqu'il exerçait son cheval, en lui faisant faire des courbettes, il la secouait au-dessus de sa tête, comme s'il eût été prêt à combattre. Je l'ai vu plusieurs fois, dit Moore, monté sur ce beau cheval, auquel il faisait faire des exercices surprenans; il le faisait quelquefois avancer quarante ou cinquante pas sur les deux pieds de derrière, sans toucher la terre avec ceux de devant; quelquefois, lui faisant courber les jambes, il le faisait passer ventre à terre sous les portes des Mandingues, qui n'ont pas plus de quatre pieds de hauteur.

On a déjà vu que les Foulas du Siratik occupent un pays fort étendu, sous le gouvernement d'un roi qui leur est propre; mais ceux qui habitent les deux bords de la Gambie vivent dans la dépendance des Mandingues, parmi lesquels ils ont formé des établissemens par intervalles. Il y a beaucoup d'apparence que c'est la famine ou la guerre qui les a chassés de leur pays. Les voyageurs disent beaucoup plus de bien de ces Foulas de la Gambie que de tous les autres Nègres du même pays.

Quoiqu'ils aient quelques habitations fixes, la plupart mènent une vie errante, avec leurs bestiaux, qu'ils conduisent dans les cantons bas ou élevés, suivant qu'ils y sont forcés par les pluies. Lorsqu'ils rencontrent quelque bon pâturage, ils s'y établissent avec la permission du roi, et y restent tant qu'il y a de l'herbe. La vie des hommes est fort pénible. Outre le travail de leur profession, ils ont sans cesse à se défendre contre les bêtes féroces sur la terre, et contre les crocodiles sur le bord des rivières. La nuit ils rassemblent leurs bestiaux au centre de leurs tentes et de leurs cabanes; ils allument quantité de feux, et font la garde autour du troupeau. Jobson, ayant eu occasion de traiter souvent avec eux pour des vaches et des chèvres, faisait avertir le chef d'un de ces troupeaux, qui se présentait couvert de mouches dans toutes les parties du corps, surtout aux mains et au visage. Quoiqu'elles fussent de la même espèce que celles qui tourmentent les chevaux en Europe, il en était si peu incommodé, qu'il ne prenait pas la peine de lever la main pour les chasser, tandis que Jobson, piqué jusqu'au sang, était forcé de s'en défendre avec une branche d'arbre.

Ces peuples ressemblent beaucoup aux Arabes, dont la langue s'apprend dans leurs écoles, et en général ils sont plus versés dans cette langue que les Européens dans la langue latine; ils la parlent presque tous, quoiqu'ils aient leur propre langue qui se nomme le foula.

Ils ont des chefs qui les gouvernent avec douceur; ils vivent en société et bâtissent des villes, sans être assujettis au prince dans les terres duquel ils s'établissent. S'ils reçoivent quelque mauvais traitement de lui ou de sa nation, ils détruisent leur ville pour aller s'établir dans quelque autre lieu. La forme de leur gouvernement se soutient sans peine, parce qu'ils sont d'un caractère doux et paisible. Ils ont des notions si parfaites de justice et de bonne foi, que celui qui les blesse est regardé avec horreur de toute la nation, et ne trouve personne qui prenne parti pour lui contre le chef. Comme on n'a pas de passion dans ce pays pour la propriété des terres, et que les Foulas d'ailleurs se mêlent peu de l'agriculture, les rois leur accordent volontiers la liberté de s'établir dans leurs états. Ils ne cultivent que les environs de leurs villes ou de leurs camps, pour en tirer leurs véritables nécessités: c'est du tabac, du coton, du maïs, du riz, du millet et d'autres sortes de grains.

L'industrie et la frugalité des Foulas leur fait recueillir plus de blé et de coton qu'ils n'en consomment; ils les vendent à bon marché. Ils sont très-hospitaliers, mais entre eux. Qu'un Foula tombe dans l'esclavage, tous les autres se réunissent pour racheter sa liberté. Ils ne laissent jamais un homme de leur nation dans le besoin; ils prennent soin des vieillards, des aveugles et des boiteux. Leurs armes sont la lance, la zagaie, l'arc et les flèches, des coutelas fort courts qu'ils appellent fongs, et même le fusil, dans l'occasion. Ils se servent de tous ces instrumens avec beaucoup d'adresse. On les voit chercher ordinairement à s'établir près de quelque ville des Mandingues; ils sont encore attachés au paganisme, et ne se font pas faute de boire de l'eau-de-vie ou d'autres liqueurs.

Leur industrie est si reconnue pour élever et nourrir des bestiaux, que les Mandingues leur abandonnent le soin de leurs troupeaux.

Ils ont pourtant leurs superstitions comme les autres Nègres. S'ils apprennent qu'on ait fait bouillir le lait de leurs vaches, ils s'obstinent à n'en plus vendre, du moins à celui qui l'aurait acheté pour en faire cet usage, parce qu'ils attribuent à l'action du feu une vertu éloignée qui peut faire mourir leurs bestiaux.

Les Mandingues seraient souvent exposés à mourir de faim, sans le secours des Foulas. Ils tirent d'eux, par des échanges, une partie de leurs provisions. On ne connaît pas non plus d'autre peuple que les Foulas qui ait l'art de faire du beurre sur la rivière de Gambie. Ils le rendent pour diverses sortes de marchandises, mais surtout pour du sel.

Leur habillement n'est pas moins particulier à leur nation que leur commerce. Ils n'emploient pas d'autres étoffes que celles de leurs propres manufactures: elles sont de coton blanc, et leurs femmes ont soin de les entretenir avec beaucoup de propreté. Il n'y en a pas moins dans l'intérieur de leurs cabanes, où l'odorat n'a rien à souffrir, non plus que les yeux. On reconnaît aussi de la régularité dans l'ordre de ces petits édifices; il y a toujours de l'un à l'autre assez de distance pour les garantir de la communication du feu. Les rues sont fort bien ouvertes, et les passages libres; ce qui ne se trouve guère dans les villes des Mandingues. La plupart des habitations des Foulas sont bâties sur le même modèle.

La plus nombreuse de toutes les nations qui habitent les bords de la Gambie, et toute l'étendue même de cette côte, porte le nom de Mandingues. Ils sont vifs et enjoués, passionnés pour la danse, et pourtant querelleurs. Cette nation, distribuée dans toutes les parties du pays, vient de l'intérieur des terres et du pays de Mandinga. Ils sont les plus zélés mahométans d'entre tous les Nègres. Ils ne connaissent pas l'usage du vin ni de l'eau-de-vie. Ils sont aussi les plus instruits de toutes ces régions de l'Afrique. Le principal commerce du pays est entre leurs mains.

Dans l'économie du ménage, le soin du riz est abandonné aux femmes. Après en avoir mis à part ce qui leur paraît suffisant pour la subsistance de la famille, elles ont droit de vendre le reste et d'en garder le prix, sans que les maris aient celui de s'en mêler. Le même usage est établi pour la volaille, dont elles élèvent une grande quantité.

On voit des Mandingues qui mettent leur gloire à nourrir un grand nombre d'esclaves. Ils leur rendent la vie si douce, qu'on a peine quelquefois à les distinguer de leurs maîtres; surtout les femmes, qui sont ornées de colliers d'ambre, de corail et d'argent, comme si l'unique soin de leur esclavage était de se parer. La plupart de ces esclaves sont nés dans les familles.

Tous les royaumes de la Gambie ont quantité de seigneurs particuliers, qui sont comme les rois des villes où ils font leur demeure. Leur principal droit est d'avoir en propriété tous les palmiers et les siboas qui croissent dans le pays; de sorte que, sans leur permission, personne n'ose en tirer le vin ni couper la moindre branche. Ils accordent cette liberté à quelques habitans, en se réservant dans la semaine deux jours de leur travail. Les blancs même sont obligés d'obtenir d'eux une permission formelle pour couper des feuilles de siboa et de l'herbe lorsqu'ils ont à couvrir quelque maison.

On compte les richesses des Mandingues par le nombre de leurs esclaves. Pour en fournir aux Européens, leur méthode est d'envoyer une troupe de gardes autour de quelque village, avec ordre d'enlever le nombre des habitans dont ils ont besoin. On lie les mains derrière le dos à ces misérables victimes pour les conduire droit aux vaisseaux; et lorsqu'ils y ont reçu la marque du bâtiment, ils disparaissent pour jamais. On transporte ordinairement les enfans dans des sacs, et l'on met un bâillon aux hommes et aux femmes, de peur qu'en traversant les villages, ils n'y répandent l'alarme par leurs cris. Ce n'est pas dans les lieux voisins des comptoirs qu'on exerce ces violences; l'intérêt des princes n'est pas de les ruiner; mais les villes intérieures du pays sont traitées sans ménagement. Il arrive quelquefois que les prisonniers s'échappent des mains de leurs gardes, et que, rassemblant les habitans par leurs cris, ils poursuivent ensemble les ministres du roi. S'ils peuvent les arrêter, leur vengeance est de les conduire à la ville royale. Le roi ne manque jamais de désavouer leur commission; mais, pour ne rien perdre de ses espérances, et sous prétexte de justice, il vend sur-le-champ les coupables pour l'esclavage; et si les habitans arrêtés paraissent devant le roi pour rendre témoignage contre leurs ravisseurs, ils sont aussi vendus, comme si le malheur qu'ils ont souffert devenait un droit sur leur liberté.

On rapporte un usage singulier du royaume de Baol. Lorsqu'il est question de délibérer sur quelque affaire importante, le roi fait assembler son conseil dans la plus épaisse forêt qui soit près de sa résidence. Là, on creuse dans la terre un grand trou, sur les bords duquel tous les conseillers prennent séance, et, la tête baissée vers le fond, ils écoutent ce que le roi leur propose. Les sentimens se recueillent, et les résolutions se prennent dans la même situation. Lorsque le conseil est fini, on rebouche soigneusement le trou de la même terre qu'on en a tirée, pour signifier que tous les discours qu'on y a tenus y demeurent ensevelis. La moindre indiscrétion est punie du dernier supplice; ce qui probablement contribue, plus que la cérémonie du fossé, à rendre les secrets impénétrables.

L'habillement populaire, dans cette partie de l'Afrique dont nous parlons, consiste dans un pagne qui couvre la ceinture. C'est à peu près l'habillement de toutes les nations nègres, avec quelques variations. Les plus riches y joignent une espèce de chemise de coton fort courte, et dont les manches sont très-larges.

Leur bonnet, quand ils en ont, ressemble au capuchon d'un jacobin. Le peuple marche pieds nus, mais les personnes de qualité ont des sandales de cuir, de la forme de nos semelles de souliers, attachées au gros orteil avec une courroie. Quoique leurs cheveux soient courts, ils les ornent assez agréablement de grisgris, de brins d'argent, de cuivre, de corail, etc. Ils ont aux oreilles des pendans d'étain, d'argent et de cuivre. Ceux qui descendent d'une race servile n'ont pas la liberté de porter leurs cheveux.

Les femmes et les filles sont nues de la ceinture jusqu'à la tête, à moins que le froid ne les oblige de se couvrir. Le reste du corps est couvert d'un pagne, qui est de toile ou d'étoffe, de la grandeur de nos serviettes d'Europe, et qui leur descend jusqu'aux mollets. Elles se parent la tête de corail et d'autres bagatelles éclatantes, et leurs cheveux sont rangés avec assez d'art pour fournir une espèce de coiffure d'un demi-pied de hauteur. Les plus hautes passent pour les plus belles. Ainsi nos modes de Paris sont aujourd'hui celles d'Afrique. Jusqu'à l'âge de onze ou douze ans, les garçons et les filles sont entièrement nus.

Les Nègres ne boivent ordinairement que de l'eau, quoiqu'ils usent quelquefois de vin de palmier, et d'une sorte de bière qu'ils appellent boullo, composée des grains du pays. Mais ils ont une passion si ardente pour les liqueurs fortes des Européens, qu'ils vendent jusqu'à leurs habits pour en acheter. L'exemple des hommes n'empêche pas que les femmes ne soient plus réservées, et ne les autorise pas même à toucher l'eau-de-vie de leurs lèvres, à l'exception de quelque favorites des princes que leur situation met au-dessus de l'usage.

Ils n'ont pas proprement de pain; ils mangent leurs grains cuits au lait et à l'eau. Le plus grand usage qu'ils fassent du mais est lorsqu'il est vert; ils le font rôtir sur les charbons dans les épis, et l'avalent comme des pois verts. Leur riz, ils l'emploient ordinairement à faire du pilau, suivant l'usage des Turcs; enfin ils n'avaient ni l'usage du pain ni celui de la pâtisserie; mais, en se familiarisant avec les Européens, leurs femmes ont appris d'eux l'art d'en faire, et le pratiquent aujourd'hui avec succès.

On trouve beaucoup de variations dans les voyageurs sur la forme du mariage des Nègres; mais il faut l'attribuer moins à l'incertitude des témoignages qu'à l'inconstance des usages mêmes, qui ne sont pas établis avec assez d'uniformité pour ne pas recevoir quantité de changemens et d'altérations. Jobson nous apprend que tout Nègre est en droit de contracter avec une fille qui est en âge d'être mariée, mais que ce n'est jamais sans la participation, et même sans le consentement des parens, entre les mains desquels il doit déposer la dot dont on est convenu. Le roi, ou le principal seigneur du canton, tire aussi quelques droits pour la ratification du traité. Alors le mari, accompagné de quelques amis de son âge, s'approche le soir, au clair de la lune, de la maison de sa femme, et cherche le moyen de l'enlever; il y réussit toujours, malgré sa résistance et ses cris, qui n'ont rien de sérieux. Elle demeure quelque temps enfermée dans sa maison; et, plusieurs mois après, elle ne sort jamais sans un voile, qui doit lui couvrir toute la tête, à l'exception d'un œil. Sa dot est réservée pour le cas où elle survivrait à son mari, parce que l'usage oblige les veuves qui se remarient d'acheter un homme, comme elles ont été achetées pour leur premier mariage.

Quand la jeune femme est conduite à son mari, il lui offre la main pour la recevoir dans sa maison; mais il lui ordonne immédiatement d'aller chercher de l'eau, du bois et les autres nécessités du ménage. Elle obéit respectueusement. Le mari se met à souper; elle ne soupe qu'après lui; et, demeurant en silence, elle attend son ordre pour l'aller trouver au lit. C'est un usage constant chez les Nègres que les femmes ne mangent jamais avec eux. On retrouve partout l'esclavage des femmes, qui a été général dans le monde jusqu'au temps de la perfection des sociétés, et qui l'est encore dans tout l'Orient.

La dot consiste souvent en quelques veaux, qui doivent être donnés au père, et qui ne surpassent jamais le nombre de cinq. Le mari et la femme se mettent sur-le-champ au lit; si la femme est garantie vierge, on couvre le lit d'un drap de coton blanc, et les marques sanglantes de la virginité sont exposées aux yeux de l'assemblée; ensuite on porte le drap en procession dans toute la ville, au son des instrumens, qui font retentir les louanges de la jeune femme et ses plaisirs. Mais si la virginité ne se déclare pas par des preuves, le père est obligé, sur la demande du mari, de reprendre sa fille et de rendre les veaux. Cette disgrâce est rare, parce qu'on prend soin d'examiner la fille avant le mariage, et qu'elle n'est demandée qu'après une parfaite conviction: d'ailleurs le malheur d'une fille n'est jamais irréparable; si elle ne peut demeurer femme de celui qui l'avait épousée, elle devient la concubine d'un autre; et le père est toujours sûr de trouver des marchands qui la recherchent.

Barbot observe qu'en Afrique, comme en Europe, les goûts sont partagés sur ce qui rend une femme aimable. Les uns veulent des vierges d'autres comptent pour rien cette qualité.

Tous les voyageurs conviennent qu'un Nègre peut prendre autant de femmes qu'il est capable d'en nourrir, mais qu'il n'y en a qu'une qui jouisse des priviléges du mariage, et qui ne s'éloigne jamais du mari. Du temps de Jobson, les Anglais donnaient à ces véritables épouses le nom de handwifes, c'est-à-dire, femmes de la main, parce qu'ils les trouvaient sans cesse à côté de leurs maris. Elles sont dispensées de plusieurs travaux pénibles qui sont le partage des autres; cependant elles ne mangent ni avec leurs maris, ni en leur présence. Jobson parle avec étonnement de la bonne intelligence qui règne entre toutes ces femmes; elles se retirent le soir dans leurs cabanes, elles y attendent l'ordre de leur mari commun, et le matin elles vont le saluer à genoux, en mettant la main sur sa cuisse. L'épouse légitime, c'est-à-dire, celle qui a été épousée la première, a l'autorité sur toutes les autres, à moins qu'elle ne soit sans enfans.

Dans le cas d'adultère, les deux coupables sont vendus pour l'esclavage étranger, sans espérance d'être jamais rachetés. Cette punition est celle des plus grands crimes; car les supplices capitaux sont rares parmi les Nègres. On prend soin que ces esclaves soient vendus aux Portugais, parce qu'on est sûr alors qu'ils seront transportés au delà des mers.

Malgré la rigueur de ces lois, la plupart des Nègres se trouvent honorés que les blancs de quelque distinction daignent coucher avec leurs femmes, leurs sœurs et leurs filles. Ils les offrent souvent aux principaux officiers des comptoirs. Le Maire, Jannequin, et d'autres voyageurs rendent là-dessus le même témoignage. Barbot ajoute seulement que c'est l'intérêt qui les rend si lâches, et qu'il n'y a rien de sacré qui les arrête lorsqu'ils espèrent quelque profit.

Le Maire raconte que leurs femmes ont beaucoup d'inclination pour la galanterie, qu'elles sont passionnées pour les caresses des blancs. Cependant elles ont le cœurs mercenaire, et toutes leurs faveurs doivent être payées. Mais Barbot assure qu'elles se contentent d'un prix fort léger. Elles ont, dit-il, la taille belle, les yeux vifs, la couleur d'un noir fort brillant, et l'air extrêmement lascif. Cette passion, qu'elles déguisent peu pour le commerce des blancs, trouble souvent la tranquillité des mariages.

Les travaux pénibles du ménage sont le partage des femmes. Non-seulement elles préparent les alimens et les liqueurs, mais elles sont chargées de la culture des grains et du tabac, de broyer le millet, de filer et de sécher le coton, de fabriquer des étoffes, de fournir la maison d'eau et de bois, de prendre soin des bestiaux, enfin de tout ce qui appartient à l'autre sexe dans des régions mieux policées. Tandis que les hommes passent le temps dans une conversation oisive, ce sont leurs femmes qui veillent à les garantir des mouches, et qui leurs servent la pipe et le tabac.

Entre les Nègres mahométans il y a des degrés de parenté qui ôtent la liberté de se marier. Un homme ne peut épouser deux sœurs. Le damel, qui avait violé cette loi, reçut en secret la censure et les reproches des marabouts.

La facilité des femmes à se délivrer de leur fruit dans l'accouchement paraîtrait incroyable, si elle n'était attestée par tous les voyageurs. Elles ne jettent pas un cri; elles ne poussent pas même un soupir. Après le travail, elles se lavent long-temps; l'enfant est lavé avec le même soin. On l'enveloppe dans une pagne, sans aucun lange qui le serre, dans l'opinion que cette contrainte n'est propre qu'à le rendre tortu ou difforme. Dès le douzième ou le quinzième jour de sa naissance, la mère commence à le porter sur son dos, et ne le quitte jamais, de quelque travail qu'elle soit occupée. On voit ordinairement sortir les femmes le jour même ou le lendemain de leur délivrance. Chaque jour au matin l'enfant est lavé dans l'eau froide et frotté d'huile de palmier. Jusqu'au temps où la mère commence à le porter sur le dos, on le laisse ramper nu sur la terre, sans autre attention que celle de le nourrir.

Quelques auteurs attribuent leurs nez plats et la forme de leur ventre à cette manière de les porter, qui les expose à heurter le nez contre le dos de leur mère, lorsqu'elle se lève ou qu'elle se baisse, et qui leur fait avancer le ventre pour reculer la tête. Moore reconnaît qu'ils ne naissent point avec le nez plat et les grosses lèvres; au contraire, il assure qu'à l'exception de la couleur, leurs idées de beauté sont les mêmes qu'en France, c'est-à-dire, qu'ils aiment de grands yeux, une petite bouche, de belles lèvres, et un nez bien proportionné. On voit des Négresses aussi bien faites et d'une taille aussi fine que les plus belles femmes de l'Europe. Elles ont la peau extrêmement douce, et communément plus d'esprit que les hommes.

Leur tendresse est excessive pour leurs enfans. Elles ne leur épargnent aucun soin jusqu'à ce qu'ils soient en état de marcher seuls. Alors, sans relâcher rien de leur attention pour les nourrir et les élever, elles paraissent s'embarrasser peu de leur instruction. Ils se fortifient en croissant; et leur constitution devient si vigoureuse, qu'ils ne connaissent guère d'autre maladie que la petite vérole. Mais, comme ils sont élevés dans une oisiveté continuelle, ils deviennent si paresseux, que, s'ils n'étaient pas pressés par la nécessité, ils ne prendraient pas la peine de cultiver leurs terres. Aussi leur travail ne surpasse-t-il guère leurs besoins. Si leur pays n'était extrêmement fertile, ils seraient exposés tous les ans à la famine, et forcés de se vendre à ceux qui leur offriraient des alimens. Ils ont de l'aversion pour toutes sortes d'exercices, excepté la danse, dont ils ne se lassent jamais.

Les jeunes filles affectent beaucoup de modestie et de réserve, surtout lorsqu'elles sont en compagnie. Mais prenez-les à part, vous les, trouvez fort obligeantes et disposées à ne rien refuser pour quelques grains de corail, ou pour un mouchoir de soie. Celles qui se croient de race portugaise, et qui prétendent aussi à la qualité de chrétiennes, sont plus réservées que les Mandingues, quoiqu'elles ne se fassent pas scrupule de vivre sans la cérémonie du mariage avec un blanc qui est capable de les entretenir. Une femme, après avoir mis au monde un enfant, demeure privée pendant trois ans du commerce de son mari, du moins si son fruit vit aussi long-temps. Elle le sèvre alors, et reprend ses droits au lit conjugal. L'opinion commune est que le lait des femmes s'altère par le commerce des hommes, et que les enfans en contractent de grandes maladies. Cependant Jobson doute que de vingt femmes il y en ait une qui soit capable d'une si longue privation. Il en a vu soupçonner un grand nombre de manquer à la fidélité de leur état, par la seule raison que l'enfant qu'elles allaitaient ne jouissait pas d'une bonne santé.

Aussitôt qu'un Nègre a rendu le dernier soupir, sa famille donne avis de sa mort au voisinage par des cris aigus et des lamentations qui attirent beaucoup de monde autour de sa cabane. Les cris des assistans se joignent à ceux de la famille. Mais pour les funérailles chaque canton a ses propres usages.

En général, ils y apportent tous beaucoup de formalités et de cérémonie. Un marabout lave le corps du défunt, et le couvre des meilleurs habits qu'il ait portés pendant sa vie. Les parens et les voisins viennent faire successivement leurs lamentations, et proposer au mort plusieurs questions ridicules. L'un lui demande s'il n'était pas content de vivre avec eux et quel tort on lui a jamais fait; s'il n'était pas assez riche, s'il n'avait pas d'assez belles femmes, etc. Ne recevant point de réponse, ils se retirent l'un après l'autre, après la même cérémonie. D'un autre côté, les guiriots chantent les louanges du mort.

L'usage général est de faire un folgar pour toute l'assemblée. On tue quelques veaux; on vend des esclaves pour acheter de l'eau-de-vie. Après la fête, on ôte le toit de la cabane où le mort doit être enterré; c'est celle qui lui servait de demeure; on renouvelle les cris et les plaintes. Quatre personnes soutenant une pièce d'étoffe carrée qui cache le corps à la vue des assistans, le marabout lui prononce quelques mots dans l'oreille; après quoi il est couvert de terre, et l'on replace le toit, ou le dôme de la maison, auquel on attache un morceau d'étoffe de la couleur que les parens aiment le plus. Nous avons déjà vu que le folgar était le bal des Nègres. Ainsi ces peuples pleurent leurs morts en donnant le bal et en buvant l'eau-de-vie. C'est qu'ils aiment l'eau-de-vie et la danse, et que chez les peuples barbares vous verrez toujours les usages conformes aux penchans.

À la mort d'un roi ou d'un grand, on fixe un temps pour les cris; c'est ordinairement un mois ou quinze jours après le décès. Ces cris ne sont pas plus une preuve de la douleur des peuples que les oraisons funèbres parmi nous ne sont une preuve du mérite des grands.

Tous les habitans de cette partie de l'Afrique sont passionnés pour la musique et la danse. Ils ont inventé plusieurs sortes d'instrumens qui répondent à ceux de l'Europe, mais qui sont fort éloignés de la même perfection. Ils ont des trompettes, des tambours, des flûtes et des flageolets.

Leurs tambours sont des troncs d'arbres creusés, et couverts, du côté de l'ouverture, d'une peau de chèvre ou de brebis assez bien tendue. Quelquefois ils ne se servent que de leurs doigts pour battre; mais plus souvent ils emploient deux bâtons à tête ronde et de grosseur inégale, et d'un bois fort dur et fort pesant, tel que le courbaril ou l'ébène. La longueur et le diamètre des tambours sont aussi différens, pour mettre de la variété dans les tons. On en voit de cinq pieds de long, et de vingt ou trente pouces de diamètre; mais en général le son en est mort, et moins propre à réjouir les oreilles ou à réveiller le courage qu'à causer de la tristesse et de la langueur. Cependant c'est le seul instrument favori, et comme l'âme de toutes les fêtes.

Dans la plupart des villes, les Nègres ont un grand instrument qui a quelque ressemblance avec leur tambour, et qu'ils nomment tong-tong. On ne le fait entendre qu'à l'approche de l'ennemi, ou dans les occasions extraordinaires, pour répandre l'alarme dans les habitations voisines. Le bruit du tong-tong se communique jusqu'à six ou sept milles.

Les flûtes et les flageolets des Nègres ne sont que des roseaux percés; ils s'en servent comme les sauvages de l'Amérique, c'est-à-dire fort mal, et toujours sur les mêmes tons: ils n'en tireraient pas d'autres de nos flûtes d'Europe.

Mais leur principal instrument est celui qu'ils nomment balafo, et que Jobson nomme ballard. Il est élevé d'un pied au-dessus de la terre et creux par-dessous. Du côté supérieur, il a sept petites clefs de bois rangées comme celles d'un orgue, auxquelles sont attachés autant de cordes et de fils d'archal de la grosseur d'un tuyau de plume et de la longueur d'un pied, qui fait toute la largeur de l'instrument. À l'autre extrémité sont deux gourdes suspendues comme deux bouteilles, qui reçoivent et redoublent le son. Le musicien est assis par terre vis-à-vis le milieu du balafo, et frappe les clefs avec deux bâtons d'un pied de longueur, au bout desquels est attachée une balle ronde, couverte d'étoffe, pour empêcher que le son n'ait trop d'éclat. Au long des bras, il a quelques anneaux de fer, d'où pendent quantité d'autres anneaux qui en soutiennent de plus petits, et d'autres pièces du même métal. Le mouvement que cette chaîne reçoit de l'exercice du bras, produit une espèce de son musical qui se joint à celui de l'instrument, et qui forme un retentissement commun dans les gourdes. Le bruit en doit être fort grand, puisque Jobson l'entendait quelquefois d'un bon mille d'Angleterre.

Le balafo, suivant cette description, doit être le même instrument que Le Maire fait consister dans une rangée de cordes de différentes grandeurs, étendues, dit-il, comme celles de l'épinette. Il jugea qu'entre des mains capables de le toucher, il serait fort harmonieux. Moore raconte qu'ayant été reçu à Nakkaouay, sur la Gambie, au son d'un balafo, il lui trouva dans l'éloignement beaucoup de ressemblance avec l'orgue; mais la description qu'il en donne paraît un peu différente. Il était composé, dit-il, d'environ vingt tuyaux d'un bois fort dur et fort poli, dont la longueur et la grosseur allaient en diminuant. Ils étaient joints ensemble avec de petites courroies d'un cuir fort mince, cordonnées autour de plusieurs petites verges de bois. Sous les tuyaux étaient attachées douze ou quinze calebasses de grosseur inégale, qui produisaient le même effet que le ventre d'un clavecin. Les Nègres, ajoute Moore, frappent sur cet instrument avec deux baguettes, couvertes d'une peau fort mince de l'arbre qui se nomme siboa, ou d'un cuir léger, pour adoucir le son.

Ceux qui font profession de jouer du balafo sont des Nègres d'un caractère singulier, et qui paraissent également faits pour la poésie et pour la musique. On les comparerait volontiers aux anciens Bardes des îles Britanniques. Tous les voyageurs Français qui ont décrit le pays des Iolofs et des Foulas les ont nommés guiriots. Jobson leur donne le nom de djeddis, qu'il rend en anglais par fiddlers ou ménétriers. Peut-être celui de guiriot est-il en usage parmi les Iolofs, et celui de djeddis parmi les Mandingues.

Barbot dit que, dans la langue des Nègres du Sénégal, guiriot signifie bouffon, et que le caractère de ceux qui sont distingués par ce nom répond assez à cette idée. Les rois et les seigneurs du pays en ont toujours près d'eux un certain nombre pour leur propre amusement et pour celui des étrangers qui paraissent à leur cour. Jobson observe que tous les princes et les Nègres de quelque distinction sur la Gambie ne rendaient jamais de visite aux Anglais sans être accompagnés de leur djeddis ou de leur musique. Il les compare aux joueurs de harpe gallois. Leur usage est de s'asseoir à terre comme eux, un peu éloignés de la compagnie. Ils accompagnent leurs instrumens de diverses chansons, dont le sujet ordinaire est l'antiquité, la noblesse et les exploits de leur prince. Ils en composent aussi sur les événemens; et l'espoir des moindres présens leur faisait faire souvent des impromptus à l'honneur des Anglais.

Les guiriots ont seuls le glorieux privilége de porter l'olamba, tambour royal, d'une grandeur extraordinaire dans toutes ses dimensions, et marchent à la guerre devant le roi avec cet instrument, comme autrefois Tyrtée devant les Spartiates. Dans tous les temps on a employé la louange à exciter la valeur.

Les Nègres sont si sensibles aux louanges des guiriots, qu'ils les paient fort libéralement. Barbot leur a vu pousser la reconnaissance jusqu'à se dépouiller de leurs habits pour les donner à ces flatteurs; mais un guiriot qui n'obtiendrait rien de ceux qu'il a loués ne manquerait pas de changer ses louanges en satires, et d'aller publier dans les villages tout ce qu'il peut inventer d'ignominieux pour ceux qui ont trompé ses espérances; ce qui passe pour le dernier affront parmi les Nègres. On regarde comme un honneur extraordinaire d'être loué par le guiriot du roi. C'est le poëte lauréat du pays. On ne croit pas le récompenser trop en lui donnant deux ou trois veaux, et quelquefois la moitié de ce qu'on possède. Il paraît que chez les Nègres on doit ambitionner beaucoup l'état de guiriot.

Les chansons et les discours ordinaires des guiriots consistent à répéter cent fois: Il est grand homme, il est grand seigneur, il est riche, il est puissant, il est généreux, il a donné du sangara, nom qu'ils donnent à l'eau-de-vie; et d'autres lieux communs de la même nature, avec des grimaces et des cris insupportables. Entre plusieurs expressions de cette sorte, qu'un musicien nègre adressait à quelques Français, il leur dit qu'ils étaient les esclaves de la tête du roi; et ce compliment fut regardé dans le pays comme un trait merveilleux. Quand la vanité est grossière, le goût n'est pas fort délicat; et ces guiriots, sans être bien fins, ont pu s'apercevoir que, pour la plupart des hommes, il valait mieux répéter la louange que la varier.

Les guiriots acquièrent ainsi des richesses, qui les distinguent beaucoup du commun des Nègres. Leurs femmes sont souvent mieux parées en verroteries de toutes sortes que les reines et les princesses; mais la plupart poussent à l'excès le dérèglement des mœurs. Ce qu'il y a de plus étonnant, c'est qu'avec tant de passion pour la musique et tant de libéralité à la payer, les Nègres méprisent les guiriots jusqu'à leur refuser les honneurs communs de la sépulture. Au lieu de les enterrer, ils mettent leurs corps dans le trou de quelque arbre creux, où ils ne sont pas long-temps à pourrir. Ils donnent pour raison de cette conduite que les guiriots vivent dans un commerce familier avec le diable, que les Nègres nomment Horey. Il est assez singulier que l'on retrouve chez les barbares du Sénégal la même inconséquence qui porte quelques nations de l'Europe à flétrir les talens du théâtre qui font le charme des sociétés cultivées, et à croire quelque chose de diabolique à ceux qui ont l'art d'amuser les autres. Au reste, il paraît que tous les peuples de cette partie de l'Afrique sont dans les mêmes principes sur la profession des guiriots; car ils se croiraient déshonorés d'avoir touché quelque instrument.

La danse n'est pas moins chère aux Nègres que la musique. Dans quelque lieu que le balafo se fasse entendre, on est sûr de trouver un grand concours de peuple qui s'assemble pour danser nuit et jour, jusqu'à ce que le musicien soit épuisé de fatigue. Les femmes ne se lassent point de cet exercice: elles ont les pieds légers et les genoux fort souples; elles penchent la tête d'un air gracieux: leurs mouvemens sont vifs et leurs attitudes agréables. Elles dansent ordinairement seules, et les assistans leur applaudissent en battant les mains par intervalles, comme pour soutenir la mesure. Les hommes dansent l'épée à la main, en la secouant et la faisant briller en l'air, avec d'autres galanteries dans le goût de leur nation.

Mais, sans le secours du balafo, les femmes qui ont l'humeur généralement vive et gaie prennent plaisir à danser le soir, surtout aux changemens de lune: elles dansent en rond en battant les mains, et chantent tout ce qui leur vient dans l'esprit, sans sortir de leur première place, à l'exception de celles qui sont au milieu du cercle. Les plus jeunes, qui se saisissent ordinairement de cette place, tiennent, en dansant, une main sur la tête et l'autre sur le côté, et jettent le corps en avant en battant du pied contre terre: leurs postures sont fort lascives, surtout lorsqu'un jeune homme danse avec elles. Dans ces bals fréquens, une calebasse ou un chaudron leur sert d'instrument de musique, car elles aiment beaucoup le bruit.

La lutte est un autre de leurs exercices. Les combattans s'approchent et s'efforcent de se renverser l'un l'autre avec des gestes et des postures fort ridicules. Dans ces occasions, il y en a toujours un qui fait l'office de guiriot, et qui bat un tambour ou un chaudron pour animer les athlètes, tandis que les autres applaudissent à l'adresse et au courage.

Les exercices utiles des Nègres sont la pêche et la chasse. La plupart de ceux qui habitent les bords des rivières font leur unique occupation de la pêche, et forment leurs enfans à la même profession. Ils ont des pirogues ou de petites barques composées d'un tronc d'arbre qu'ils ont l'art de creuser, et dont les plus grandes contiennent dix ou douze hommes. Leur longueur est ordinairement de trente pieds, sur deux pieds et demi de largeur: elles vont à rames et à voiles. Il n'est pas rare qu'un coup de vent les renverse; mais les Nègres sont si bons nageurs, qu'ils s'en alarment peu. Ils redressent aussitôt leur pirogue avec leurs épaules; sans paraître plus embarrassés que s'il n'était rien arrivé. Une flèche n'est pas plus prompte que ces petites barques. Il n'y a pas de chaloupe de l'Europe qui puisse aller aussi vite.

Lorsque les Nègres vont à la pêche, ils sont ordinairement deux dans une pirogue, et ne craignent pas de s'écarter jusqu'à six milles en mer: ils n'emploient guère que la ligne. Mais, pour le gros poisson, ils se servent d'un dard de fer au bout d'un bâton de la longueur d'une demi-pique; et, le tenant attaché avec une corde, ils n'ont pas de peine à le retirer après l'avoir lancé.

Ils font sécher le petit poisson entier, et mettent le grand en pièces; mais, comme ils ne le salent jamais, il se corrompt ordinairement avant d'être sec: c'est alors qu'ils le trouvent meilleur et plus délicat. Les pêcheurs vendent ce poisson dans l'intérieur des terres, et pourraient en tirer un profit considérable, s'ils avaient moins de paresse à le transporter. Mais, les habitans et les pêcheurs redoutant également le travail, il demeure quelquefois sur le rivage jusqu'à ce qu'il soit entièrement corrompu.

Le nombre des pêcheurs est fort grand à Rufisque, et dans d'autres lieux sur les côtes voisines du Sénégal. Ils se mettent ordinairement trois dans une almadie ou une pirogue avec deux petits mâts, qui ont chacun deux voiles; et si le temps n'est pas orageux, ils se hasardent quelquefois quatre ou cinq lieues, en mer. L'heure de leur départ est toujours le matin avec le vent de terre. S'ils ont fini leur pêche, ils reviennent à midi avec le vent, de mer. Lorsque le vent leur manque, ils se servent d'une sorte de pelle pointue, avec laquelle ils rament si vite, que la meilleure pinasse aurait peine à les suivre.

Avec la ligne, ils ont des filets de leur propre invention, composés, comme leurs lignes, d'un fil de coton. D'autres pêchent pendant la nuit, en tenant d'une main une longue pièce d'un bois combustible qui leur donne assez de clarté; et de l'autre un dard, dont ils ne manquent guère le poisson, lorsqu'il s'approche de la lumière. S'ils en trouvent de fort gros, ils les attachent avec une ligne à l'arrière de leur pirogue, elles amènent ainsi jusqu'au rivage.

Les Nègres de la Gambie, du Sénégal et du cap Vert, sont excellens tireurs, quoique la plupart n'aient pas d'autres armes que leurs dards et leurs flèches, qui leur servent à tuer des cerfs, des lièvres, des pintades, des perdrix et d'autres sortes d'animaux. Ceux qui habitent plus loin dans les terres ont beaucoup moins d'habileté pour cet exercice, et n'y prennent pas tant de plaisir. Un facteur français de l'île Saint-Louis au Sénégal eut un jour la curiosité d'aller avec eux à la chasse de l'éléphant. Ils en trouvèrent un qui fut percé de plus de deux cents coups de balles ou de flèches. Il ne laissa pas de s'échapper, mais le jour suivant, il fut trouvé mort à cent pas du même lieu où il avait été tiré. Les Nègres du Sénégal se joignent pour la chasse au nombre de soixante, armés chacun de six petites flèches et d'une grande. Lorsqu'ils ont découvert la trace d'un éléphant, ils s'arrêtent pour l'attendre; et le bruit qu'il fait en brisant les branches le fait bientôt reconnaître. Alors ils se mettent à le suivre, en lui décochant continuellement leurs flèches, jusqu'à ce que la perte de son sang leur fasse juger qu'il est fort affaibli. Ils s'en aperçoivent aussi à la faiblesse de ses efforts contre les obstacles qu'il trouve à sa fuite. Quelquefois l'animal s'échappe malgré toutes ses blessures; mais c'est ordinairement pour mourir quelques jours après dans le lieu où ses forces l'abandonnent. C'est à ces accidens qu'il faut attribuer la rencontre qu'on fait souvent, dans les forêts, de plusieurs dents d'éléphant. La chair est dévorée par d'autres bêtes; les os tombent en pourriture, et les dents sont les dernières parties qui résistent. Cependant comme elles ne peuvent être long-temps exposées aux injures de l'air sans s'altérer beaucoup, elles perdent quelque chose de leur prix.

Après l'idée qu'on a dû prendre de l'indolence naturelle des Nègres, on ne s'attendra pas à leur trouver beaucoup d'ardeur et d'habileté pour les arts. Ils n'ont pas d'autres ouvriers que ceux qui sont absolument nécessaires au soutien de la vie, tels que des forgerons, des tisserands, des potiers de terre. Le métier de forgeron, qu'ils appellent ferraro, est le principal, parce qu'il est le plus indispensable. Ils ont chez eux des mines de fer; mais elles sont éloignées des côtes; de sorte que ceux qui habitent près de la mer achètent généralement ce métal des Européens.

Les forgerons n'ont pas d'ateliers qui méritent le nom de boutiques ni de forges; ils portent avec eux leurs ustensiles, et se mettent sous le premier arbre pour y travailler. Ils n'ont pas d'autres instrumens qu'une petite enclume, une peau de bouc qui leur sert de soufflet, quelques marteaux, une paire de tenailles et deux ou trois limes. Leur indolence paraît jusqu'au milieu du travail; car ils sont assis, ils fument, ils s'entretiennent avec le premier venu. Comme leur enclume n'a que le pied en terre ou dans le sable, sans aucun soutien pour la fixer, quelques coups la renversent, et le temps se perd à la redresser; ordinairement ils sont trois au travail d'une même forge. L'unique occupation de l'un est de souffler continuellement. Leurs soufflets sont composés d'une peau de bouc coupée en deux, ou de deux peaux jointes ensemble, avec un passage à l'extrémité pour le tuyau. Ils n'emploient le plus souvent que du bois faute de charbon. Le Nègre dont l'emploi est de souffler se tient assis derrière les soufflets, et les presse alternativement des coudes et des genoux. Les deux autres sont assis de leur côté avec l'enclume au milieu d'eux, et frappent aussi négligemment sur le métal que s'ils appréhendaient de le blesser. Ils ne laissent pas de forger d'assez jolis ouvrages en or et en argent. Ils font des couteaux, des haches, des crocs, des pelles, des scies, des poignées de sabres, de petites plaques pour l'ornement de leurs fourreaux et de leurs étuis, et quantité d'autres petits ouvrages de fer auxquels ils donnent une aussi bonne trempe que les Européens. Ainsi l'on ne peut douter qu'ils ne pussent acquérir plus d'habileté, s'ils avaient moins de paresse avec un peu plus d'instruction. Ils forgent encore l'espèce de pelle ou de bêche avec laquelle ils cultivent la terre. Le fer de l'Europe leur sert à fabriquer de courtes épées, et les têtes de leurs zagaies et de leurs dards. Ils en forment aussi la pointe barbelue de leurs flèches empoisonnées. L'ouvrage est assez propre dans la plupart de ces armes; mais la plus grande utilité qu'ils tirent du fer est pour l'agriculture. Ils en composent une sorte de pelle avec laquelle ils grattent la terre plutôt qu'ils ne l'ouvrent. Jobson employa un de ces forgerons nègres pour briser une barre de fer en plusieurs parties de longueur convenable pour le commerce. Le Nègre apporta toute sa boutique sur la rive: elle consistait dans une paire de soufflets et une petite enclume, qu'il enfonça dans la terre sous un arbre fort touffu. Il fit un trou pour y placer ses soufflets, en faisant passer les tuyaux dans un autre trou voisin qui était destiné à contenir le charbon. Un petit Nègre ne cessait de souffler. Le fer fut coupé suivant les ordres de Jobson; mais il avertit qu'il ne faut pas perdre le forgeron de vue, si l'on ne veut pas qu'il dérobe une partie de la matière.

Après le forgeron, leur principal artisan est le sepatero, qui failles grisgris, c'est-à-dire de petites boîtes ou de petits étuis où les Nègres renferment certains caractères écrits sur du papier par les marabouts. Ces étuis sont de cuir en différentes formes, et passeraient dans tous les pays du monde pour un ouvrage curieux. Les mêmes ouvriers font des selles et des brides. Celles-ci, suivant le même auteur, sont aussi bien taillées que les brides d'Angleterre; d'où l'on doit conclure qu'ils ont l'art de préparer le cuir: mais ils ne l'exercent que sur les peaux de boucs et de daims, qu'ils savent teindre aussi de différentes couleurs. Ils n'ont jamais pu parvenir à préparer les grandes peaux. Les plus ingénieux et les plus entendus s'imaginent, en maniant le drap d'Angleterre, qu'il est composé de leur cuir, mais qu'on se garde soigneusement de le travailler en leur présence, de peur qu'ils n'apprennent les secrets de l'Europe. Ils disent la même chose du papier et de quantité d'autres marchandises qu'ils croient faites de leurs dents d'éléphant. Moore assure qu'outre les selles, les brides et les étuis pour les grisgris, ils font des fourreaux d'épées, des sandales, des boucliers, des carquois avec beaucoup de propreté; que leurs selles sont couvertes de beau maroquin rouge relevé de plaques d'argent, qu'elles ont des étriers fort courts, et qu'elles sont sans croupière.

Le troisième métier, suivant Jobson, consiste à préparer la terre pour faire les murs des édifices, et des vases de différentes sortes à l'usage de la cuisine. Pour tous les autres besoins, ils emploient des calebasses, excepté néanmoins pour leurs pipes, qui sont aussi de terre et d'une forme assez agréable. Ils y apportent d'autant plus de soin, que c'est un instrument d'usage continuel, sans lequel on ne voit guère paraître aucun Nègre de l'un ou de l'autre sexe. La partie de terre, qui est la tête, peut contenir une demi-once de tabac. La longueur du col est de deux doigts: On y insère un roseau qui a quelquefois plus d'une aune de long, et qui est le canal de la fumée.

Jobson ne donne que ces trois métiers aux Nègres; mais Labat y joint les tisserans, et les regarde comme les premiers artisans du pays. Il met dans cette profession les femmes et les filles, qui filent le coton, qui le travaillent avec beaucoup d'adresse, qui le teignent en bleu ou en noir, ou qui lui laissent sa blancheur naturelle. Leur art se borne à ces trois couleurs. Elles ne peuvent donner à leurs pièces plus de cinq ou six pouces de largeur. La longueur est depuis deux aunes jusqu'à quatre; mais elles savent les coudre ensemble pour les rendre aussi longues et aussi larges qu'on le désire.

Moore ne s'accorde pas ici tout-à-fait avec Labat. Les Iolofs, suivant ce voyageur anglais, font les plus belles étoffes du pays. Leurs pièces sont généralement longues de vingt-sept aunes, et n'ont jamais plus de neuf pouces de largeur. Ils les coupent de la longueur qui convient à leurs besoins, et, pour les élargir, ils savent les coudre ensemble avec beaucoup de propreté. Les femmes n'emploient que la main pour nettoyer le coton qui sort de sa cosse. Elles le filent avec le rouet et la quenouille. Leur manière de le travailler est si simple, qu'elles ne connaissent pas d'autre instrument que la navette. Elles font des garnitures entières, c'est-à-dire tout ce qui est nécessaire à l'habillement d'un homme ou d'une femme; par exemple, une pièce d'environ trois aunes de long sur une aune et demie de largeur pour couvrir les épaules et le corps, et une autre pièce à peu près de la même grandeur, qui sert depuis la ceinture jusqu'en bas. Ainsi deux pièces forment tout l'habillement d'un Nègre, et peuvent servir également aux hommes et aux femmes, parce que la différence ne consiste que dans la manière de les porter. Moore vit deux de ces pièces si bien travaillées et d'une si belle teinture, qu'elles furent évaluées trente livres sterling. Les couleurs sont le bleu et le jaune: pour la première, les Iolofs emploient l'indigo, et pour l'autre, différentes écorces d'arbres. Moore ne leur a jamais vu de couleur rouge.

À l'égard des objets usuels qui n'entrent pas dans le commerce, Jobson dit que les Nègres n'ont pas d'autres ouvriers que leurs propres mains. Les nattes sont entre eux d'un usage général. Elles sont l'ouvrage des femmes. C'est sur leurs nattes que les Nègres passent la moitié de leur vie, qu'ils boivent, qu'ils mangent, qu'ils se reposent et qu'ils dorment. Au marché de Mansegar, Jobson remarque qu'au lieu d'argent, dont les Nègres sont mal pourvus, c'étaient des nattes qui passaient pour la monnaie courante. Ainsi, pour s'informer du prix d'une chose, on demandait combien elle valait de nattes. Le Maire raconte que les Nègres tiennent des marchés, mais que les objets qu'ils y étalent sont de très-petite valeur, et qu'ils viennent quelquefois de six à sept lieues pour apporter un peu de coton, quelques légumes, tels que des pois et de la vesce, des plats de bois et des nattes. Un jour il vit une femme qui était venue de six lieues avec une seule barre de fer d'un demi pied de long.

La plupart de leurs villes sont rondes dans leur forme, et leurs maisons sont composées d'une sorte de terre rougeâtre qui s'endurcit beaucoup par l'usage. Le pays est rempli de cette terre, qui ferait d'excellentes briques, si elle était bien travaillée. On voit des cabanes entièrement bâties de roseaux, comme toutes les autres en sont couvertes. Leur forme est généralement ronde, parce qu'ils la croient plus capable de résister aux orages et aux pluies. Toutes les villes ou villages sont environnés d'une ou deux haies de roseaux, de la hauteur de six pieds, pour servir de rempart contre les bêtes féroces: ce qui n'empêche pas que les habitans ne soient quelquefois obligés d'allumer des feux et de battre leurs tambours en poussant de grands cris pour chasser des ennemis si dangereux: réponse péremptoire à celui qui prétendait tout à l'heure que les bêtes n'attaquaient point l'homme.

Les Mandingues ont l'usage de bâtir leurs maisons l'une contre l'autre, ce qui devient l'occasion d'une infinité d'incendies. Si vous leur demandez pourquoi ils n'y mettent pas plus de distance, ils répondent que c'était la méthode de leurs ancêtres, qui étaient plus sages qu'eux. Il n'y a point de réponse plus commune, en fait d'administration, que cette réponse des Mandingues.

Les huttes des Nègres se nomment kombets. Un kombet est distribué en plusieurs parties, dont l'une sert de cuisine, l'autre de salle à manger, une autre de chambre de lit, avec des ouvertures pour la communication. Les maisons des seigneurs, suivant Le Maire, ont quelquefois quarante ou cinquante de ces pavillons. Celle des rois n'en a pas moins de cent, mais couverts de paille comme les plus pauvres. Le commun des Nègres en a deux ou trois. L'enclos des personnes de qualité est une palissade ou d'épines ou de roseaux, soutenue de distance en distance par des piliers. Leurs kombets communiquent de l'un à l'autre par des routes qui s'entrelacent en forme de labyrinthe. Dans l'intérieur de l'enclos il se trouve ordinairement de fort beaux arbres, mais sans ordre et dispersés comme au hasard, à moins que la maison, comme celles de plusieurs princes, n'ait été bâtie exprès dans le voisinage de quelques petits bois, dont une partie se trouve renfermée dans l'enclos.

Le palais du damel, ou du roi de Cayor, est distingué par sa magnificence. Avant la première porte de l'enclos, on trouve une grande et belle place pour exercer ses chevaux, quoiqu'il n'en ait pas plus de dix ou douze. Au long de l'enclos, les seigneurs ont des huttes, qui composent comme l'avant-garde de celle du roi. Une longue allée de baobabs conduit de la première place au palais. Des deux côtés de cette avenue sont les logemens des officiers et des principaux domestiques du roi, entourés chacun d'une palissade, ce qui forme beaucoup de détours avant qu'on arrive à son appartement; mais le respect seul empêche les sujets d'en approcher. Toutes ses femmes ont aussi des kombets particuliers, où elles ont cinq ou six esclaves pour les servir. Il voit celle chez qui son caprice le porte, sans autre règle que celle de ses désirs. Les autres n'en témoignent jamais de jalousie; cependant il y en a toujours une qui est traitée en favorite; et lorsqu'il en est fatigué, il l'envoie dans quelque village, en lui assignant les fonds nécessaires pour son entretien. Sa place est aussitôt occupée. De trente femmes que ce prince entretient, il en avait envoyé successivement la moitié dans ces demeures étrangères.

Rien n'est si pauvre que l'ameublement des Nègres. C'est un coffre pour renfermer leurs habits, une natte élevée sur quelques pieux pour leur servir de lit, une ou deux jattes qui contiennent de l'eau, quelques calebasses, deux ou trois mortiers de bois pour broyer le maïs et le riz, un panier pour l'y renfermer, et quelques plats de bois pour servir le couscous aux heures du repas. Les Nègres de distinction ne sont jamais sans une estrade ou une sorte de banc élevé de deux ou trois pieds, et couvert de belles nattes, sur lesquelles ils sont assis pendant le jour. Les palais des rois et des princes sont un peu mieux meublés, parce qu'il y en a peu qui n'emploient à cet usage une partie des marchandises qu'ils achètent des Européens.

Jobson rapporte que l'agriculture est l'office de tous les Nègres, sans exception de rang et de condition. Les rois et les chefs des villes en sont seuls exempts. Ils se mettent l'un à la suite de l'autre pour former les sillons; de sorte que chacun levant à peu près la même quantité de terre, le travail n'est pénible pour personne. Ces sillons sont faits avec autant d'ordre et de propreté qu'en Europe. Ils y jettent la semence et les remplissent aussitôt de la même terre; leur industrie ne s'étend pas plus loin, à l'exception du riz, qu'ils sèment d'abord dans de petites pièces de terres basses et marécageuses, et qu'ils prennent la peine de transplanter: aussi croît-il en abondance.

Ils observent des saisons pour semer leurs grains, surtout pour planter le tabac, dont chaque famille cultive sa provision autour de ses cabanes. Ils n'apportent pas moins de soin à la culture du coton, et la plupart des villages en ont des champs entiers.

Comme ils n'ont pas de pluie depuis le mois de septembre jusqu'à la fin de mai, la terre est si dure dans cet intervalle, qu'ils ne peuvent la cultiver. Les pluies commencent vers la fin de mai, et continuent dans le mois de juin avec une grande violence, un tonnerre et des éclairs épouvantables; et la terre ne pouvant manquer d'être assez amollie, c'est la saison du labourage. Le plus mauvais temps, c'est-à-dire l'extrême violence des eaux, se fait ordinairement sentir depuis le milieu de juin jusqu'à la fin de septembre; c'est alors que les rivières s'élèvent de trente pieds perpendiculaires; mais jusqu'à la fin d'octobre les pluies et les eaux diminuent par degrés comme elles ont commencé.

Pour semer le millet, le Nègres mettent un genou à terre, font de petits trous comme on en fait en Europe pour planter des pois, y jettent trois ou quatre grains, et bouchent chaque trou de la même terre. D'autres ouvrent des sillons en ligne droite, y jettent leur millet et les couvrent de même; mais la première de ces deux méthodes est la plus commune, parce que plus le grain est enfoncé dans la terre, plus il est en sûreté contre les oiseaux, dont le nombre est incroyable.

Le temps où les Nègres sèment est pour eux une saison de fêtes pendant laquelle ils se traitent les uns les autres. Leurs terres sont si fertiles, que la moisson du millet se fait dès le mois de septembre; et c'est encore l'occasion d'une infinité de réjouissances.

Les rois étant maîtres absolus de toutes les terres, chaque famille est obligée de s'adresser à eux ou à leurs alcades pour se faire assigner la portion dont elle doit tirer sa subsistance. Les Nègres sont si paresseux, qu'ils ne cultivent point assez de terre pour leur usage, et que, leur moisson ne suffisant pas à leurs besoins, ils vivent d'une racine noire qu'ils font sécher jusqu'à ce qu'elle ait perdu son goût naturel, et des pistaches de terre. Si leur moisson manque, ils ne peuvent éviter la plus affreuse famine, et les Européens en ont vu souvent des exemples.

Ils se laissèrent séduire une fois par les promesses d'un de leurs marabouts, de la tribu des Arabes, qui, sous le voile de la religion, s'était rendu maître d'un grand pays entre les états du siratik et les Sérères. Cet imposteur trouva le moyen de leur persuader qu'il était inspiré du ciel pour les venger de la tyrannie de leurs princes. Il leur promit des forces miraculeuses pour les soutenir dans leur révolte; et, ce qui fit sur eux encore plus d'impression, il leur garantit que leurs terres produiraient chaque année une moisson abondante, sans qu'ils prissent la peine de les cultiver. La paresse des Nègres ne résista point à des offres si flatteuses. Ils se rangèrent sous les étendards du marabout; et les sujets du damel, qui furent les plus ardens, parvinrent à détrôner leur souverain. Ils attendirent pendant deux ans les miraculeuses moissons du marabout; mais la famine devint si terrible, que, faute d'alimens, ils furent contraints de se manger les uns les autres, ou de se livrer volontairement à l'esclavage pour éviter la mort. Une si triste expérience leur ayant fait ouvrir les yeux sur leur folie, ils chassèrent l'usurpateur, et remirent le damel en possession de sa couronne.

Nous avons déjà parlé de leurs armes: ils y ont moins de confiance qu'à leurs grisgris, avec lesquels, malgré l'expérience journalière, ils s'obstinent à se croire invulnérables et supérieurs à leurs ennemis. Les Européens sont les seuls qu'ils désespèrent de vaincre, parce qu'ils ont éprouvé qu'aucun grisgris n'est à l'épreuve des armes à feu, auxquels ils donnent le nom imitatif de pouffs.

On n'est point encore parvenu à se faire de justes idées du langage des Nègres. Les principales langues sont celles des Iolofs, des Foulas et des Mandingues. La langue la plus commune sur la Gambie est le mandingue; avec cette clef, on peut voyager sans embarras depuis l'embouchure de la rivière jusqu'au pays des Dionkos, ou des marchands auxquels on donne ce nom, parce qu'on achète d'eux un très-grand nombre d'esclaves; ce pays est à six semaines de route de Jamesfort, principal comptoir des Anglais sur la Gambie.

Outre la langue commune, les Mandingues ont un jargon mystérieux entièrement ignoré des femmes, et dont les hommes ne font usage qu'à l'occasion du moumbo dioumbo, dont nous parlerons plus bas. Le créole portugais, qui est une corruption de la langue portugaise, est devenu le langage ordinaire du commerce entre les Européens de la Gambie et les Nègres. Peut-être ne serait-il pas entendu à Lisbonne; mais les Anglais l'apprennent plus facilement que la langue des Nègres, et leurs interprètes n'en emploient pas d'autres. Les Foulas et plupart des mahométans qui habitent la rivière parlent fort bien l'arabe, quoiqu'ils soient Mandingues. Chaque royaume ou chaque nation a d'ailleurs sa langue particulière.

Les compilateurs, des voyages ont placé ici des tables d'un certain nombre de mots des langues nègres. Il semble qu'une esquisse de ces jargons barbares, dans lesquels on ne peut pas même reconnaître les premiers rapports que le langage humain a dû présenter entre les objets et les sons, ne doive pas être fort intéressante pour nous; cependant la curiosité s'étend sur tous les détails de ces peuplades lointaines, ébauches imparfaites de la nature, et qui donnent aux nations policées le plaisir de sentir toute leur supériorité. Le lecteur retrouvera donc ici les mêmes tables que dans l'Histoire générale des Voyages.

TABLE PREMIÈRE.

VOCABULAIRE IOLOF ET FOULA.

Français. Iolof. Foula.
 
Aiguille, Poursa, Messelaël.
Ananas, Ananas, Annanas.
S'arrêter, Guékiffi, Deradan.
S'asseoir, Songoane, Ghiod.
Aveugle, Bomena, Gomdo.
Autruche,   Nedau.
Se baigner, Mongro-sangou.  
Un bal, Folgar.  
La barbe, Sekiem, Onhare.
Barre de fer, Barra-win, Barra.
Barril, Pippa.  
Beaucoup, Barena, Huri.
Blé ou maïs, Dougoub, Makkari.
Une boîte, Ovachande.  
Un veau ou un bœuf, Nague.  
Boire, Mangrinam, Hiarde.
Bois, Matte, Leggal.
Boiteux, Sogha, Bossara.
Borgne, Patte.  
La bouche, Gueminin, Hendouko.
Les boyaux, Vuete, Chabiburde.
Une branche, Kala, Baberou.
Branle, Tidoap, Lesso.
Les bras, Smallou, Ghiomgé.
Une brebis,   Sedre.
Un canon, Bamborta, Fetel.
Un canot,   Lana.
Capitaine, Capitane, Loamdo.
Carquois, Smakalla.  
Chair, Yap, Tehan.
Chanter, Ovayel, Yemdi.
Un chat, Guenape, Oulonde.
Un chaudron, Kranghiare, Barma.
Une chemise, Bougtovap, Dolanke.
Un cheval, Farfs, Pouskiou.
Cheveux, Kogavar, Soukenko.
Chèvre, Bay, Behova.
Un chien, Kraf, Rahovanden.
Chier, Mangredouli, Boude.
Le ciel, Assaman, Hialla.
Une clef, Donovachande, Bidho.
Un clou, Dinguetite, Pauomgal.
Un cochon de lait, Droai, Babaladi.
Un coffre, Ovachande, Breteval.
Une corde, Bouma, Boghol.
Le coude, Smainoton, Somdon.
Couper, Doghol, Tay.
Un couteau, Pakha, Pake.
Cracher, Toffii, Toude.
Cravate, Sma, Leffol.
Crocodile, Guasik, Norova.
Les cuisses, Loupe, Benhall.
Cuivre, Prum, Hiackaovale.
Danser, Faike, Hemde.
Demain, Aileg akaghiam, Soubako.
Demeure, Gangone, Ghiodorde.
Les dents, Sonobenatia, Nhierre.
Dents d'éléphans, Gnieï negnay, Nhierre-ghiova.
Le derrière, Tate ou Ghir, Rotec.
Le diable, Guinnay, Guine.
Dieu, Ihalla, Allah.
Les doigts, Smaharam, Sedohenda.
Dormir,   Danadi.
Eau, Mdoch, Diam.
De l'eau-de-vie, Sangara, Sangara.
Écorcher, Maugre fesse, Houtonde.
Écrire, Binde, Ovindove.
Un éléphant, Gnieï, Ghiova.
Enfans des princes, Domeguaïbe, Byla hamde.
Une épée, Gnassi, Kaffe.
Un esclave, Gnamen, Mokkioudou.
Éternuer, Maugre-tesseli, Hisseloude.
Étui de couteau, Gangone, Ghiodorde.
Feu, Safara, Ghia hingol.
Une femme, Dighen, Debo.
Le séve des femmes, Facere ou Fere, Kotto.
Une femme de mauvaise vie, Ghelarbi, Sakke.
Une femme grosse, Dighen gohir, Deboredo.
La fièvre, Guernama.  
Fil à coudre, Ovin, Gnarabi.
Une fille, Ndaougdighen, Soukka.
Une flèche, Sinaklonghar.  
Un fourreau, Finan harguaisi, Ovana.
Un fripon,   Abonde.
Un fusil, Sochhorby, Loussoul fetel.
Un garçon, Ovassi, Soukagorko.
Les genoux, Smahoum, Holbondon.
Glouton,   Haderors.
Gomme,   La konde.
Le gosier, Smanpourreh, Dandy.
Goudron, Sandol.  
Graisse ou Suif, Dirgunek, Helere.
Grand, Maguma, Mahardo.
Gratter, Hock-halma, Nanhyadi.
Habit, Bouboutouvap, Dolangue.
Hameçons, Delika, Ovande.
Haut-de-chausses, Touap, Tonhouka.
Herbes, Miagh.  
Un homme, Goourgue, Goskomaodo.
La jambe, Lmappaice, Kovassongal.
Jeter, Sanner, Verlady.
Les joues, Bekigg, Kobe.
Le jour, Lelegh, Soubakka.
La langue, Lamaing, D'heingall.
Se laver les mains, Raghen, Lahonyongo.
Les lèvres, Smatovin, Fondo.
Ligne à pêcher, Smabou, Delingha ovande.
Un lit, Cuntodou, Lessen.
Un livre, Smater gumara jank, Torade allah.
Livre à écrire, Smakiel gumorebind, Deffeterre.
La lune, Vhackiré, Leour.
La main, Leho, Yongo.
Une maison, Smanrig, Souddo.
Une maîtresse, Soumak hiore, Medodano.
Maïs, sorte de blé, Dougoub, Makkarg.
Malade, Raguena, Ognia hui.
Les mamelles, Ouhanie, Enhdo.
Marc du millet,   Changle.
Marcher, Docholl, Medo hyassa.
Un matelas, Entedou, Lesso.
La mer, Smandai, Guéeck.
Mentir, Namna, Hadarime.
Mordre, Matt, N'hadde.
La mort, Dehaina, Mahyse.
Se moucher, Niendoou, Ngiéto.
Un mousquet, Fairal, Fetel.
Moi et mien,   Sman.
Le nez, Smackbockan, Hener.
Non, Dhaair, Ala.
La nuit, Goudina, Guiema.
Un œuf, Nen, Ouchirnde.
Un oiseau, Arral, Niolli.
Les ongles, Huai, Chegguen.
Oranges,   Kanghe.
Les oreilles, Smanoppe, Noppy.
Les orteils, Smahuajetanks, Pedly.
Du pain, Bourou, Bourou.
Papier, Kahait, Harkal.
Parler, Ovache, Hall.
Un pavillon, Raya, Arhair billam.
La peau, Smagdayr, Goure.
Pêcheur, Moll, Kiruballs.
Toiles peintes, Calicos, Calicos.
Perroquet, Inkay, Saleron.
Petit, Nercina, Chonkayel.
Les pieds, Simatank, Kossede.
Une pierre, Doyg, Hayre.
Un pigeon, Petreik.  
Pincer, Domp, Mouchionde.
Une pipe, Smanan, Hy-ardougal.
Pisser, Berouch, Kaing-huye.
Pleurer, Dgoise, Ouhedde.
Plomb, Bettaigh, Chaye.
Plume, Dongue, Donguo.
La pluie, Taon, Tobbo.
Poisson, Guenn, Lingno.
Un pot, Kingu, Sahando.
Une poule, Gnaar, Guertpgal.
Un rat, Guenak, Donbron.
Reine, Gnache, Guefoulbe.
Rire, Raihal, Ghialde.
Rouge, Laghovek, Bode ghioune.
Le roi, Bur, Lahamdé.
Le sang, Galtovap.  
Du sel, Sokmate, Lambdan.
Serment, Smabok hanabi, Soldehama ou Kotelyacmo.
Serpent, Gnaun, Body ou Gorory.
Siffler, Ananileste, Honde.
Un singe, Golok, Ovandou.
Soleil, Ghiante Sinkan, Nahangue.
Souliers, Dole, Pade.
Les sourcils,   Hiamhianke.
Sucre, Lhom, Lhiombry.
Tabac, Tmagha, Taba.
Une table, Gangona, Gango.
Tasse de coco, Tassa, Horde.
La terre, Soffi, Letudi.
La tête, Smabab, Horde.
Toiles, Endimon, Chomchou.
Le tonnerre, Denadeno, Dherry.
Tortu,   Loko.
Tousser, Sokka, Loghiomde.
Trembler, Denalock, Chinhoude.
Troquer ou Échanger, Nanvequi, Sohade.
Trompette, Bouffra.  
Tuer, Rui, Ouarde.
Un vaisseau, Manguma, Randi.
Les veines, Sa ditte, Dadok.
Le vent, Gallaon, Hendon.
Le ventre, Smahir, Rhédo.
Vin de France, Msangotovabb, Chenk.
Vin de palmier, Msangojeloffi, Chengue.
Une voile, Ouir, Ougderelhana.
Les yeux, Smabut, Hytere.

NOMBRES.

Un, Ben, Goto.
Deux, Gniare, Didy.
Trois, Gniet, Taty.
Quatre, Gnianet, Naye.
Cinq, Gurom, Guioï.
Six, Gurom-ben, Guiego.
Sept, Gurom-Gniare, Guiedidy.
Huit, Gurom-gniet, Guietaty.
Neuf, Gurom-gnianet, Guienaye.
Dix, Fouk, Sappo.
Onze, Fouk-ak-ben, Sappo-e-go.
Douze, Fouk-ak-gniare, Sappo-e-didy.
Treize, Fouk-ak-gniet, Sappo-e-taty.
Quatorze, Fouk-ak-gnianet, Sappo-e-naye.
Quinze, Fouk-ak-gurom, Sappo-e-guioï.
Seize, Fouk-ak-gurom-ben, Sappo-guiego.
Dix-sept, Fouk-ak-gurom-gniare, Sappo-guiedidy.
Dix-huit, Fouk-ak-gurom-gniet, Sappo-guietaty.
Dix-neuf, Fouk-ak-gurom-gnianet, Sappo-gui-e-naye.
Vingt, Nitte, Sappo.
Vingt-et-un, Nitt-ak-ben, Sappo-e-go.
Trente, Frononir, Noggas.
Quarante, Gnianet-fouk, Tchiapaldé taty.
Cinquante, Gurom-fouk, Le Foula s'est perdu.
Soixante, Gurom ben-ak-fouk,
Soixante-dix, Gurom-gniare-fouk,
Quatre-vingts, Gurom-gniet-fouk,
Quatre-vingt-dix, Gurom-gniaï-fouk,
Cent, Temir, Témédéré.
Cent un, Temir-ak-ben, Témédéré-go.
Deux cent, Gniare-temir, Témédéré-didy.
Trois cent, Gniet-temir, Témédéré-taty.
Mille, Guné, Témédéré-sappo.
Mille vingt, Guné-ak-nitte, Témédéré-sappo.

PHRASES FAMILIÈRES.

Bonjour, monsieur, Diarakio-samba, Cossé samba.
Comment vous portez-vous? Dia mesa, Ada heghiam.
Fort bien, monsieur, Diam édal, Samba mido.
Venez, Calé, Arga.
Venez manger, Calé lek.  
Ne venez pas, Bouldik, Da rothan.
Allez-vous-en, Dock hodem, Hia.
Montez, Quia qua ou, Arga.
Descendez, Démal-ki-souf, Hialesse.
Je veux, Doina man, Bido hidy.
Je ne veux pas, Baino man, Bido hidy.
Donnez-moi à boire, Maïman nan, Loca hiarde.
Apportez-moi vite une brebis, Iassi ma ommgharg, Addou nambalou.
Je vous remercie, Diorekio, Medo hietoma.
Allons nous promener, Caï dokhan, Harque Guehin hilojade.
J'y vais, Man ghé dok, Mede Lebo.
Il fait grand vent, Galigou baréna, Hendou hevy.
Il pleut, Vta ou.  
Il tonne, Denadeno, Dhirry.
Il fait chaud, Gniak éna, Ouarn hiend.
Il fait froid, Lioul na, Ghiangol.
Je vous vois, Guesnala, Medo hyma.
Taisez-vous, Noppil, De you.
Fort matin, Leleg, Soubake allau.
Bonsoir, monsieur, Diaragonal samba. Fon angiam samba.
Je voudrais coucher avec une fille, Bougué nadièkil kil ak béné dighen, Medo leleby.
Je m'endors, Nélao.  
Je ne m'en souviens pas, Fatou ma, Myfa hiacke.
Mettez-le dans les fers, Guinguela maguiou, Ovarguihielle cassedo.

TABLE SECONDE.

VOCABULAIRE MANDINGUE.

L'astérisque* marque les mots qui se trouvent dans la première table.

Français. Mandingue.
 
Acheter, Sann.
Aigre, Akonemota.
Allez, Ta.
Ambre, Lambre.
Amitié, Barnalem.
L'année ou une pluie, Sanju killin.
Un arc, Kulla.
Argent, Kodey.
Une armoire, Konneo.
Asseyez-vous, Secdouma.
Une balle, Kiddo kassi.
Un baril, Ankoret.*
Beau, Neemau.
Du beurre, Tooloo.
Bien, Kandi.
Blanc, Qui.
Un homme blanc, Tobauho.
Du blé, Neo.
Boire, Ami.
Bon, Abetti.
La bouche, Dau.*
Une brebis, Kornell.
Calebasse, Merrug.
Caméléon, Minnir.
Canard, Bru.
Un canon, Kiddo.*
Poudre à canon, Kiddo mungo.
Un canot, Kalloun.*
Ceci, Ning.
Cela, Olim.
Une chaise, Serong.*
Chaleur, Kandeca.
Une chambre, Bung.
Un chameau, Komaniung.
Une chandelle, Kaudet.
Un chanteur, Jelliki.
Un chat, Neankom.*
Chaud, Kandeka.
Un cheval, Souho.
Un cheval marin, Mally.
Une chèvre, Ha.*
Un chien, Oulve.
Un grand chien, Oulve dau.*
Cire, Lekonnio.
Un coq, Deontong ou Soufeki.
Collier, Ronnun.
Une colline, Koanko.
Comment vous portez-vous? Animbatta montainia?
Un couteau, Moroo.*
Un coutelas, une épée, Fong.*
Du cristal, Christall.
Un crocodile, Bumbo.*
Une cuillère, Kulear.
Cuivre, Tasso.
Un daim, Tonkong.
Que demandez-vous? Laffeta munnum?
Dent, Ning.*
Dent d'éléphant, Samma ning.
Le diable, Bua.
Dieu, Alla.*
Doux, Timeata.
Un drap, Fauno.
Du drap rouge, Murfée.
La jambe droite, Sing bau.
La main droite, Bulla bau.
Dur, A Koleata.
Eau, Jée ou si.*
Un éléphant, Samma.
Enfer, Jehonama.
Entendre, Amoi.
Un esclave, Jong.*
L'est, Tillo vooleta.
L'étain, Tasroqui.
Étoile, Lolo.
Étranger, Leuntung.
Un facteur, Mercador.
Faux, Funniala.
Une femme, Mouza.*
Une femme de mauvaise vie, Jelli mouza.*
Une femme mariée, Mouza.
Fenêtre, Jenell.
Flèche, Beuna.*
Un fou, Toorala.
Une fourchette, Garfa.
Frère, Barrin kea.
Froid, Ninny.
Fumée, Sizi.
La jambe gauche, Sing nding.
La main gauche, Bulla nding.
Grand, Bau.
Un grand chien, Mouve bau.*
Grand'mère, Mooza bau.
Grand-père, Keal bau.
Guerre, Killi.
Un hibou, c'est le même nom que diable, Bucca.
Un homme, Kea.*
Une huître, Oystre.
La jambe, Sing.*
Je ne sais, Malo.
Je sais, Alo.
Je veux donner, Msadi.
Une île, Joüio.
Une jument, Souho mouza.
Jurement, Tikiniani ma ma mau.
Du lait, Nanuo.
Levez-vous, Oully.
Un lion, Jatta.
Un lit, La rong.*
Un loup, Sillo.
La lune, Korro.*
La main, Bulla.
Une maison, Fu.*
Malade, Munkandi.
Un marchand, Jonko.
Méchant, Munbetty.
Une médecine, Borru.
La mer, Bato bau.*
Mère, Mouza.
Miel, Li.
Mort, Sata.
Moi, Mta.
Noir, Fin.
Noix, Tiah.
Un œuf, Sousey killy.*
Un oiseau, Sousi.
L'ouest, Tillo bonita.
Pain, Mongo.*
Papier, Koyto.*
Paresseux, Narita.
Père, Fau.
Pesant, Kuleata.
Petit, Nding.
Une pintade, Commi.
Une pipe, Da.
De la pluie, Sanju.
Un cheval marin, Mally.
Poisson, Heo.*
Une porte, Dau.
Poudre à canon, Kiddo mundo.
Une poule, Sousi mouza.
Un pouce, Kranki.
Prendre, Amoota.
Puant, Akoneata.
Que demandez-vous? Laffetta munnum?
Rien du tout, Feng o feng.
Rivière, Bato.
Un roc, Barry.
Rouge, Ouillima.*
Du drap rouge, Murfée.
Roi, Mansa.*
Sable, Kenne-kenne.
Sale, Nota.
Un sanglier, Seo.
Sec, Mindo.
Sel, Ki.*
Sentir, Mamaung.
Serpent, Sau.*
Vin de Siboa, Bandji.
Un singe, Kanic.
Jouir, Barrin mouza.
Le soleil, Tillo.*
Un sorcier, Baa.*
Sucre, Tobauboli.*
Une table, Meso.*
Un taureau, Nisi ké.
La terre, Banko.*
La tête, Kung.*
Timide, Yanimi.
Tonnerre, Korram alla.*
Toucher, Ametta.
Tourbillon de vent, Sau.
Une vache, Neesa Moossa.
Un vaisseau, Tobaubo kaloun.
De la vaisselle, Prata.
Un valet, Buttlau.
Un veau, Neefa-nding.
Vendre, Saun.
Venez, Na.*
Venez ici, Nana re.
Vent, Funnio.
Je veux donner, Msadi.
Ville, Konda.
Vin de palmier, Tangi.*
Voleur, Suncar.
Vous, Itta.
Vrai, Atoniala.
Un ivrogne, Serrata.

NOMBRES.

Un, Killing.
Deux, Foulla.
Trois, Sabba.
Quatre, Nani.
Cinq, Loulou.
Six, Oro.
Sept, Oronglo.
Huit, Sye.
Neuf, Konnunti.
Dix, Tong.
Onze, Tong-ning-killing.
Douze, Tong-ning-foulla.
Treize, Tong-ning-sabba.
Quatorze, Tong-ning-nani.
Quinze, Tong-ning-loulou.
Seize, Tong-ning-oro.
Dix-sept, Tong-ning-oronglo.
Dix-huit, Tong-ning-sye.
Dix-neuf, Tong-ning-konnunti.
Vingt, Noau.
Trente, Noau-ning-tong.
Quarante, Noau-foulla.
Cinquante, Noau-foulla-ning-tong.
Soixante, Noau-sabba.
Soixante-dix, Noau-sabba-ning-tong.
Quatre-vingts, Noau-nani.
Quatre-vingt-dix, Noau-nani-ning-tong.
Cent, Kemmy.
Mille, Ouoully.

Les Nègres qui habitent les deux bords du Sénégal, et qui s'étendent dans les terres à l'est et au sud, sont mahométans, convertis par les Maures. Ceux du royaume de Mandinga, dont le zèle est plus ardent, sont depuis long-temps les missionnaires de cette religion. Tous les autres Nègres, du moins ceux avec qui les Européens ont des relations de commerce, depuis la Gambie jusqu'en Guinée, sont idolâtres, à l'exception des Sérères et de quelques autres qui n'ont aucune apparence de religion.

On en voit beaucoup qui ne veulent pas souffrir qu'on tue les lézards autour de leurs maisons. Ils sont persuadés que ce sont les âmes de leur père, de leur mère et de leurs proches parens, qui viennent faire le folgar, c'est-à-dire se réjouir avec eux. On voit que l'opinion de la métempsycose leur est familière.

Le mahométisme établi parmi les Nègres est imparfait, autant par l'ignorance de ceux qui l'enseignent que par le libertinage des prosélytes. Il consiste dans la croyance de l'unité de Dieu, et dans deux ou trois pratiques cérémoniales, telles que le ramadan ou le carême, le bayram ou pâques, et la circoncision.

Jobson observe que les habitans naturels de la Gambie adorent un seul Dieu sous le nom d'Allah, qu'ils n'ont point de peintures ni d'images à la ressemblance de la Divinité; qu'ils reconnaissent la mission de Mahomet, sans qu'ils invoquent jamais son nom; qu'ils comptent les années par les pluies, et qu'ils ont des noms particuliers pour chaque jour de la semaine; qu'ils donnent le nom de sabbat au vendredi, mais qu'ils l'observent si peu régulièrement, que leur commerce et leurs occupations ordinaires n'en reçoivent pas d'interruption.

Ils ont quelques traditions confuses de la personne de Jésus-Christ. Ils parlent de lui comme d'un prophète qui s'est rendu célèbre par un grand nombre de miracles; mais ce qu'ils racontent de sa sainteté et de sa puissance est un tissu de fables sans vraisemblance et sans ordre. Ils lui donnent le nom d'Issa: ils nomment sa mère Maria. La sainteté, la bonté, la justice, sont des qualités qu'ils lui attribuent dans le plus haut degré; mais il leur paraît impossible qu'il soit le fils de Dieu, parce que Dieu, disent-ils, ne peut être vu par les hommes. La doctrine de l'incarnation leur paraît scandaleuse. Elle suppose, dans leurs idées, que Dieu soit capable d'une liaison charnelle avec les femmes. Une prophétie, qui subsiste depuis long-temps dans leur nation, leur annonçait qu'ils seraient subjugués par un peuple blanc.

Les Nègres croient aussi à la prédestination, et mettent toutes leurs infortunes sur le compte de la Providence. Qu'un Nègre en assassine un autre, ils croient que c'est Dieu qui est l'auteur du meurtre. Cependant ils se saisissent du meurtrier et le vendent pour l'esclavage.

À l'égard de leur dévotion et de la forme de leur culte, Le Maire observe que le commun du peuple n'a pas de pratiques réglées qui puissent porter le nom de culte religieux; mais les personnes de distinction affectent plus de zèle, et ne sont jamais sans un marabout, qui a beaucoup d'ascendant sur leur esprit et leur conduite.

On sait que les mahométans d'Asie font le salam ou la prière cinq fois le jour et la nuit. Le vendredi, qui est le jour de leur sabbat, ils la font sept fois; mais ceux des Nègres qui sont bons mahométans se contentent de prier trois fois le jour, c'est-à-dire, le matin, à midi et le soir. Chaque village a son marabout ou prêtre, qui les rassemble pour ce devoir. Le lieu de leurs assemblées est un champ qui leur sert de mosquée. Là, après les ablutions ordonnées par l'Alcoran, ils se rangent en plusieurs lignes derrière le prêtre, dont ils imitent les mouvemens et les gestes. Ils ont le visage tourné vers l'orient; mais, lorsqu'ils sont fatigués de leur posture, ils s'accroupissent à la manière des femmes, en tournant le visage à l'ouest.

Le marabout étend ses bras, répète plusieurs mots d'une voix si lente et si haute, que toute l'assemblée peut les répéter après lui; il se met à genoux, baise la terre, recommence trois fois cette cérémonie, et ne fait rien qui ne soit imité par tous les assistans. Ensuite il se met à genoux pour la quatrième fois, et fait quelque temps sa prière en silence: il se relève, et traçant du doigt, autour de lui, un cercle dans lequel il imprime plusieurs caractères, il les baise respectueusement; après quoi, la tête appuyée sur les deux mains, et les yeux fixés contre terre, il passe quelques momens dans une profonde méditation. Enfin il prend du sable et de la poussière, se la jette sur la tête et sur le visage, commence à prier d'une voix haute, en touchant la terre du doigt et le levant au front; et pendant toutes ces formalités, il répète plusieurs fois ces mots, salam-aleck; c'est-à-dire, je vous salue. Il se lève: toute l'assemblée suit son exemple, et chacun se retire. La modestie, le respect et l'attention qu'ils apportent à cet exercice causent une juste admiration à nos voyageurs. La prière dure une grande demi-heure, et se renouvelle trois fois le jour. Il n'y a point d'affaire ni de compagnie qui leur en fasse oublier le temps. S'ils ne peuvent assister à l'assemblée, ils se retirent à l'écart pour observer les mêmes pratiques; et lorsqu'ils manquent d'eau pour leur ablution, ils emploient de la terre. Brue, qui fut plusieurs fois témoin de leurs cérémonies, eut la curiosité de demander aux marabouts quel était le sens de leurs postures et de leurs prières. Ils lui répondirent qu'ils adoraient Dieu en se prosternant devant lui; que cette humiliation était un aveu de leur néant aux yeux du premier Être, qu'ils le priaient de pardonner leurs fautes et de leur accorder les commodités dont ils avaient besoin, telles qu'une femme, des enfans, une moisson abondante, la victoire sur leurs ennemis, une bonne pêche, la santé, et l'exemption de toutes sortes de dangers.

Aussitôt qu'ils voient paraître la première lune de l'équinoxe d'automne, ils la saluent en crachant dans leurs mains et en les étendant vers le ciel. Ensuite ils les tournent plusieurs fois autour de leur tête, et répètent à deux ou trois reprises la même cérémonie. En général, les mahométans rendent beaucoup de respect à la nouvelle lune, la saluent aussitôt qu'ils la voient paraître, ouvrent leur bourse, et demandent au ciel que leurs richesses puissent augmenter avec les quartiers de la lune.

La ramadan ou le carême des mahométans nègres est observé avec beaucoup de rigueur. Ils ne mangent et ne boivent qu'après le coucher du soleil. Les dévots n'avaleraient pas même leur salive, et se couvrent la bouche d'un morceau d'étoffe, de peur qu'il n'y entre une mouche. Malgré la passion qu'ils ont pour le tabac, ils ne touchent point à leur pipe. Mais, lorsque la nuit arrive, ils se dédommagent de l'abstinence du jour. Les grands et les riches passent ensuite tout le jour à dormir.

Lorsque le mois du ramadan approche de sa fin, ils proclament le Tabasket, c'est-à-dire, la plus grande fête des mahométans nègres, comme des Turcs et des Persans, qui lui donnent le nom de Bayram. Brue, qui en avait été témoin, nous a laissé la description de cette fête, qui est proprement leur carnaval.

Un peu avant le coucher du soleil, on vit paraître six marabouts, ou prêtres mahométans, revêtus de tuniques blanches, qui ressemblent à nos surplis. Elles leur descendent jusqu'au milieu des jambes, et le bas est bordé de laine rouge. Ils marchaient en rang, avec une longue zagaie à la main, précédés de cinq grands bœufs, qui étaient couverts d'un beau drap de coton et couronnés de feuilles, chacun conduit par deux Nègres, comme on conduit dans les rues de Paris ce qu'on appelle le bœuf gras. Les fêtes populaires ont partout des rapports d'un bout du monde à l'autre. Les chefs des cinq villages dont la ville de Boucar est composée suivaient les prêtres sur une seule ligne, parés de leurs plus riches habits, armées de zagaies, de sabres, de poignards et de boucliers. Ils étaient suivis eux-mêmes de tous les habitans, leurs sujets, cinq sur chaque rang. Lorsque la procession fut arrivée au bord de la rivière, les bœufs furent attachés à des poteaux, et le plus ancien marabout cria trois fois à haute voix, salam-aleck, qui est l'exhortation à la prière. Ensuite, mettant bas sa zagaie, il étendit le bras vers l'est. Les autres prêtres suivirent son exemple, et commencèrent la prière de concert. Ils se levèrent et reprirent leurs armes. Alors l'ancien marabout donna ordre aux Nègres d'amener les bœufs et de les renverser par terre, ce qui fut exécuté à l'instant. Ils les attachèrent à terre par les cornes, et, leur tournant la tête à l'est, ils leur coupèrent la gorge avec beaucoup de précaution, pour empêcher que ces animaux ne les regardassent tandis que leur sang coulait, parce que c'est pour eux un fort mauvais présage. Ils prennent soin, pour se garantir de leurs regards, de leur jeter du sable dans les yeux. Aussitôt que le sacrifice est achevé, et les victimes écorchées, ils les coupent en pièces, et chaque village emporte celles de son bœuf. Après cette cérémonie, le folgar commence. Le folgar fait place au festin, et les réjouissances durent trois jours.

La circoncision est une pratique rigoureusement observée parmi les mahométans nègres. Elle se fait aux mâles vers l'âge de quatorze ou quinze ans, pour leur donner le temps de se fortifier contre l'opération, et d'être bien instruits dans la profession de leur foi. On attend aussi pour cette sanglante cérémonie qu'il y ait un grand nombre de jeunes gens rassemblés, ou que le fils de quelque roi et d'autres grands aient atteint l'âge de la circoncision. Alors on avertit que tous les sujets du même roi, ses alliés et ses voisins, peuvent amener leurs enfans; car l'éclat de la fête répond au nombre des acteurs, et les chefs d'une nation, souhaitent toujours que l'assemblée soit nombreuse, parce que, dans ces occasions, les jeunes gens forment des liaisons et des amitiés qui durent autant que leur vie.

Quoiqu'il n'y ait pas de temps réglé pour la cérémonie, on observe de ne jamais choisir la saison des grandes chaleurs, ni celle des pluies, ni le ramadan, qui ne sont pas des temps propres à la joie. On a soin aussi de prendre le décours de la lune, dans l'idée que l'opération est alors moins douloureuse, et la plaie plus facile à guérir.

Brue nous donne une description exacte de la cérémonie. Il y avait assisté dans l'île de Jean Barre, près du fort Saint-Louis, et les plus petits détails n'avaient point échappé à ses observations.

Le lieu de la scène était un champ fort agréable, environné de beaux arbres, à trois cents pas du village de Jean Barre, riche Nègre, qui servait d'interprète à la compagnie française, et dont le fils était le principal des jeunes gens qui devaient être circoncis. On choisit toujours un endroit éloigné des habitations, à cause des femmes, qui sont absolument exclues de l'assemblée. Lorsque Brue se fut assis avec les gens de sa suite sur un banc qui avait été préparé pour lui, la procession commença dans l'ordre suivant: les guiriots ou musiciens faisaient l'avant-garde en battant une marche lente et grave, sans y joindre leur chant. Ils étaient suivis de tous les marabouts des villages voisins qui marchaient deux à deux en robe de coton blanc, et leur zagaie à la main. Après les marabouts, on vit venir, à quelque distance, tous les jeunes gens qui devaient être circoncis. Ils étaient vêtus de longues pagnes de coton, croisées par-devant, mais sans haut-de-chausses. Ils marchaient sur une seule ligne, c'est-à-dire l'un après l'autre, accompagnés chacun de deux parens ou de deux amis, pour servir de témoins à leur profession de foi, ou pour les encourager à souffrir constamment l'opération. Yamsek, Nègre de distinction, qui devait être l'exécuteur, suivait immédiatement avec Jean Barre, chef de la fête. Cette marche était fermée par un corps de deux mille Nègres bien armés. Au milieu du champ, fort près du lieu où les Français étaient assis, on avait placé une planche sur une petite élévation. Les prêtres et les chefs des villages se rangèrent sur deux lignes, de chaque côté de la planche; et tous les candidats, avec leurs parrains, demeurèrent au centre, dans le même ordre que celui de leur marche. Le reste des Nègres formait un cercle autour des prêtres et des victimes.

Aussitôt que l'ordre et le silence furent bien établis, le principal marabout fit le salam ou la prière. Tous les assistans répétaient ses paroles d'une voix claire et intelligible, avec autant de respect que d'attention. Après cet exercice, Guiopo, fils de Jean Barre, fut annoncé par ses deux parrains, qui le firent monter sur la planche, en le soutenant des deux côtés. Yamsek fit heureusement l'opération. Guiopo descendit immédiatement après, suivi de ses deux parrains, et branlant sa zagaie d'un air riant. Il se retira derrière les marabouts, pour laisser saigner sa plaie, pendant que les autres jeunes gens allèrent se présenter successivement à l'exécuteur.

Lorsque la blessure a jeté assez de sang, on la lave plusieurs fois le jour avec de l'eau fraîche, jusqu'à ce qu'elle se ferme d'elle-même, ce qui ne demande ordinairement que dix ou douze jours. Pendant l'opération, le candidat doit tenir le pouce droit élevé, et prononcer la formule de foi mahométane. Les plus fermes la prononcent d'une voix haute; ils affectent même de la gaieté après la cérémonie; mais il est aisé de juger à leur marche qu'ils souffrent une vive douleur. La plupart ne peuvent se retirer sans être soutenus par les parrains.

Quoique la circoncision ne soit pas ordonnée pour les femmes, les docteurs mandingues les admettent à la participation de ce privilége. Ce sont leurs propres femmes qui font l'office de prêtresses; mais cet usage n'est pas universel parmi les Nègres.

Moore explique la cérémonie de la circoncision en fort peu de mots; mais il ajoute une circonstance singulière, et qui peut donner une idée de la politique du sacerdoce nègre. Un peu avant la saison des pluies, dit-il, on circoncit un grand nombre de jeunes gens de l'âge de douze ou de quatorze ans. Après l'opération, ils portent un habit différent de l'usage ordinaire, et chaque royaume a le sien. Depuis la circoncision jusqu'au temps des pluies, les jeunes circoncis ont la liberté de commettre toutes sortes d'excès sans être soumis au châtiment de la justice. Lorsque les pluies commencent, ils sont obligés de rentrer dans l'ordre et de reprendre l'habit commun de leur nation. Cette licence accordée aux circoncis semble faite pour perpétuer l'usage de la circoncision et en balancer le désagrément.

Les mandingues croient que la cause des éclipses de la lune est l'interposition d'une panthère qui met sa pate entre la lune et la terre. Dans ces occasions, ils ne cessent pas de chanter et de danser en l'honneur de leur prophète Mahomet; mais il ne paraît pas que leurs mouvemens soient l'effet de la crainte.

En général, ils sont extrêmement livrés à la superstition. Lorsqu'ils ont un voyage à faire, ils égorgent un poulet, et les observations qu'ils font sur les entrailles leur servent de règle pour avancer ou différer leur départ. Ils n'ont pas moins d'égard pour certains jours de la semaine qu'ils regardent comme malheureux; rien ne serait capable de les leur faire choisir pour une entreprise d'importance. Voilà les superstitions des fameux Romains qui se retrouvent chez les hordes noires. Ces poulets sacrés, qui nous font rire chez les Nègres, ces présages, ces jours malheureux, sont pourtant fort imposans dans vingt endroits de l'histoire romaine, grâce au génie des Tite Live et des Salluste, tant l'éloquence produit d'illusion! tant le nom de Rome et l'antiquité commandent à notre imagination! Car, dans le fait, l'appétit des poulets, qui décidait, chez les Romains, du jour d'une bataille, est tout aussi ridicule que la pate de la panthère qui éclipse la lune.

Moore raconte que, pendant tout le temps qu'il passa dans leur pays, ils étaient persuadés que les sorciers avaient répandu des qualités malignes dans l'air et dans les eaux, qu'il ne mourait personne qui ne fût tué par ces ennemis publics, à l'exception d'un misérable qu'il vit enterrer, et que tous les Nègres croyaient tué par Dieu même, pour avoir violé son serment ou son vœu. L'usage des vœux est fort commun dans toutes ces nations. On leur voit porter autour du bras des manilles de fer, pour marque de leur engagement et pour s'en rappeler la mémoire. Celui qu'ils accusaient de parjure avait fait vœu de ne jamais vendre un esclave dont on lui avait fait présent, et portait une manille dans la crainte de l'oublier; ruais ses besoins et ceux de sa famille l'ayant emporté sur son serment, sa mort, qui arriva quelques jours après, fut regardée de tous les Nègres comme un effet signalé de la vengeance du ciel.

Entre une infinité d'autres superstitions, la plus commune et la plus remarquable est celle des grisgris dont nous avons déjà parlé. Chaque grisgris a sa vertu particulière; l'un contre le péril de se noyer, l'autre contre la blessure des zagaies ou la morsure des serpens. Il y en a qui doivent rendre invulnérable, aider les plongeurs et les nageurs, procurer une pêche abondante. D'autres éloignent l'occasion de tomber dans l'esclavage, procurent de belles femmes et beaucoup d'enfans. Enfin les marabouts inventent des grisgris en faveur de tous les désirs et contre toutes les craintes. On sait d'ailleurs que, sur l'article des grisgris, il n'y a guère de peuple sur la terre qui ait droit de se moquer des Nègres.

Moore remarque qu'en allant à la guerre, le plus pauvre Nègre achète un grisgris des marabouts pour se garantir de toutes sortes de blessures. Si le charme manque de pouvoir, les marabouts en rejettent la faute sur la mauvaise conduite des Nègres, que Mahomet n'a pas jugés dignes de sa protection. Les prophètes des croisades se justifiaient de la même manière, ce qui est un moyen sûr de n'avoir jamais tort. Les marabouts se ressemblent en tous temps et en tous lieux. Moore assure qu'ils s'enrichissent tous en peu de temps. Le Maire dit que les marabouts ruinent les Nègres, en leur faisant payer jusqu'à trois esclaves et quatre ou cinq veaux pour un grisgris, suivant les qualités qu'ils lui attribuent.

Les grisgris de la tête se portent en couronne. Ceux du cou se portent en forme de colliers. Les épaules et les bras n'en sont pas moins garnis; de sorte que cette religieuse parure devient un véritable fardeau. Les rois en sont plus chargés qu'aucun de leurs sujets. Moore prétend que le poids en monte souvent jusqu'à trente livres.

Au reste, ces grisgris pourraient en un sens rendre invulnérable, s'il est vrai, comme le disent les voyageurs, que leur multitude et leur grandeur forment une cuirasse que la zagaie aurait peine à pénétrer. Les grands en ont la tête et le corps tellement couverts, qu'étant presque incapables de se remuer, ils ne peuvent monter à cheval qu'avec le secours d'autrui. Le grisgris du dos et celui de l'estomac sont de la grandeur d'un livre in-4o et d'un pouce d'épaisseur. Une main de papier est moins épaisse, et l'on assure qu'il n'y a point d'épée qui pût les percer.

Le Moumbo-Dioumbo est une idole mystérieuse des Nègres, inventée par les maris pour contenir leurs femmes dans la soumission. Elles ont tant de simplicité et d'ignorance, qu'elles prennent cette machine pour un homme farouche; c'est ainsi que parmi nous on fait peur aux enfans en leur parlant du loup-garou. Elle est revêtue d'une longue robe d'écorce d'arbre avec une toque de paille sur la tête. Sa hauteur est de huit ou neuf pieds. Peu de Nègres ont l'art de lui faire pousser les sons qui lui sont propres. On ne les entend jamais que pendant la nuit, et l'obscurité aide beaucoup à l'imposture. Lorsque les hommes ont quelque différent avec leurs femmes, on s'adresse au Moumbo-Dioumbo, qui décide ordinairement la difficulté en faveur des maris.

Le Nègre qui agit sous la figure monstrueuse de Moumbo-Dioumbo jouit d'une autorité absolue, et s'attire tant de respect, que personne ne paraît couvert en sa présence. Lorsque les femmes le voient ou l'entendent, elles prennent la fuite et se cachent soigneusement; mais si les maris ont quelque liaison avec l'acteur, il fait porter ses ordres aux femmes, et les force de reparaître. Alors il leur commande de s'asseoir, et les fait chanter ou danser suivant son caprice. Si quelques-unes refusent d'obéir, il les envoie chercher par d'autres Nègres qui exécutent ses lois, et leur désobéissance est punie par le fouet. Ceux qui sont initiés dans le mystère du Moumbo-Dioumbo, s'engagent, par un serment solennel, à ne le jamais révéler aux femmes, ni même aux autres Nègres qui ne sont pas de la société. On n'y peut être reçu avant l'âge de seize ans. Le peuple jure par cette idole, et n'a pas de serment plus respecté.

Vers l'an 1727, le roi de Diagra, ayant une femme curieuse, eut la faiblesse de lui révéler le secret du Moumbo-Dioumbo; elle n'eut rien de plus pressé que d'en informer toutes ses compagnes. Le bruit alla jusqu'aux oreilles de quelques seigneurs nègres, qui n'étaient pas bien disposés pour le roi. Ils s'assemblèrent pour délibérer sur une affaire de cette importance; et, ne doutant pas que leurs femmes ne devinssent fort difficiles à gouverner, si la crainte du Moumbo-Dioumbo ne les arrêtait plus, ils prirent une résolution très-hardie, qui ne fut pas exécutée avec moins d'audace. Ils se rendirent à la ville royale avec l'idole: là, prenant l'air d'autorité qui est propre à la religion dans tous les pays du monde, ils firent avertir le roi de venir parler à l'idole. Ce faible prince n'ayant osé refuser d'obéir, Moumbo-Dioumbo lui reprocha son crime, et lui donna ordre de faire paraître sa femme. À peine eut-elle paru, que, par la sentence de Moumbo-Dioumbo, ils furent poignardés tous deux. Le Moumbo-Dioumbo est une terrible leçon, si l'on sait l'entendre.

Il y a peu de villes considérables qui n'aient une figure de Moumbo-Dioumbo. Pendant le jour, elle demeure sur un poteau, dans quelque lieu voisin de la ville, jusqu'à l'entrée de la nuit, qui est le temps de ses opérations.

Il nous reste à parler des marabouts ou des prêtres nègres. Ils s'attachent sur plusieurs points à la loi du Lévitique, dont ils ont quelque connaissance. Ils ont des villes et des terres particulières à leur tribu, où ils n'admettent pas d'autres Nègres que leurs esclaves. Leurs mariages ne se font qu'entre les hommes et les femmes de leur racé, et tous leurs enfans sont élevés pour la prêtrise. Labat les représente comme de scrupuleux observateurs de tous les préceptes de l'Alcoran. Ils s'abstiennent de vin et de liqueurs spiritueuses. Ils observent le ramadan avec beaucoup d'exactitude. Ils ont plus de douceur et de politesse que le commun des Nègres. Ils aiment le commerce, et se plaisent à voyager dans cette vue. Leur honnêteté et leur bonne foi sont généralement reconnues dans les affaires. La charité est une vertu qu'ils ne violent jamais entre eux; et jamais ils ne souffrent qu'un homme de leur tribu soit vendu pour l'esclavage, s'il n'a mérité ce châtiment par quelque grand crime. Voilà du moins ce que les historiens, que nous suivons ici, appellent charité. On peut observer que, si les marabouts ne l'exécutent qu'envers leurs confrères, ils n'ont pas souvent l'occasion de la pratiquer, puisque le commerce des grisgris, tel qu'on l'a représenté, doit les rendre les plus riches de tous les Nègres; et qu'est-ce qu'une charité qui ne respecte et ne soulage le malheur que dans celui qui a le même habit et la même doctrine que nous? Cette charité, qui dérobe tous les marabouts à l'esclavage et à la misère, pourrait plutôt s'appeler politique et esprit de corps. Ce n'est pas là la charité de l'Évangile; ce n'est pas celle de nos curés, qui n'emploient les aumônes, qui sont les revenus de l'Église, qu'à les répandre dans le sein des pauvres.

Entre plusieurs bonnes qualités des marabouts, Jobson loue beaucoup leur tempérance. À cette seule marque, dit-il, on les distingue aisément des autres Nègres. Ils se réduisent à l'eau pure, sans excepter les cas de maladie et de nécessité. Dans les voyages que l'auteur fit sur la Gambie, un marabout qu'il avait pris avec lui, ayant voulu prêter la main aux gens de l'équipage pour traverser une basse, fut entraîné par un courant qui mit sa vie dans un grand danger. Il disparut deux fois dans l'eau, et les Anglais ne l'ayant remis à bord qu'avec beaucoup de peine, il y demeura quelque temps sans connaissance. Dans cet état, ceux qui le secouraient ayant porté à sa bouche un flacon d'eau-de-vie, il ferma constamment les lèvres à la seule odeur de cette liqueur; et, lorsqu'il eut rappelé ses sens, il demanda, avec un mélange de colère et d'inquiétude, s'il avait eu le malheur d'en avaler: on lui répondit qu'il s'y était opposé avec trop d'obstination. «J'aimerais mieux être mort, dit-il, à Jobson, que d'en avoir avalé la moindre goutte.»

Cet excès de scrupule s'étend jusqu'à leurs enfans. Non-seulement ils ne leur permettent pas de toucher au vin ni aux liqueurs fortes, mais ils ne souffrent pas même qu'on leur présente du raisin, du sucre, ni aucunes confitures.

Le même auteur ajoute que le respect des rois et des grands pour les marabouts ne le cède guère à celui du peuple. Si les personnes de la plus haute distinction rencontrent un marabout en chemin, elles forment un cercle autour de lui, et se mettent à genoux pour faire la prière et recevoir sa bénédiction; le même usage se pratique dans la chambre du roi lorsqu'il y entre un marabout. Labat dit que les Nègres en général, mais surtout ceux du Sénégal, ont tant de respect pour leurs prêtres, qu'ils croient que ceux qui les offensent meurent dans l'espace de trois jours. Il est probable que les marabouts ne combattent pas cette opinion.

Les marabouts apprennent à lire et à écrire à leurs enfans, dans un livre composé d'une petite planche de bois fort unie, où la leçon est écrite avec une sorte d'encre noire et un roseau taillé comme une plume; leurs caractères ressemblent à ceux de la langue arabe; Jobson n'étant pas capable de les lire, en apporta plusieurs exemples en Angleterre. Cependant il observe que leur religion et leurs lois sont écrites dans une langue particulière, et fort différente de la langue vulgaire; que les laïques nègres, de quelque rang qu'ils soient, ne savent ni lire ni écrire, et qu'ils n'ont par conséquent ni caractères ni livres. Le grand livre de la loi est un manuscrit, dont les marabouts s'exercent à faire des copies pour leur propre usage. Les rois mahométans en obtiennent à grand prix, et se font un honneur de les porter malgré la pesanteur du fardeau. Jobson a vu plusieurs marabouts qui en étaient chargés aussi dans leurs voyages.

Quand les élèves ont lu l'Alcoran, ils passent eux-mêmes pour autant de docteurs. Ils apprennent ensuite à écrire en arabe, car la langue du pays n'a pas de caractères. Les marabouts ne sont pas seulement prêtres, ils sont marchands, et font la plus grande partie du commerce du pays.

Ceux de Sétiko firent leurs efforts pour ôter au capitaine Jobson la pensée de remonter plus loin sur la Gambie. Ils lui représentèrent les difficultés et les dangers de ce voyage avec d'autant plus d'exagération, que, dans la vue de s'assurer tous les avantages de ce commerce, ils s'étaient procuré avec beaucoup de peine et de dépense une grande quantité d'ânes pour le transport de leurs marchandises. Leur méthode, en voyageant, est de suivre leurs ânes à pied, et de marcher du même pas que ces animaux. Ils partent à la pointe du jour, qui, dans ces climats, ne précède guère le lever du soleil. Leur marche dure trois heures, après lesquelles ils se reposent pendant la chaleur du jour. Ils recommencent à marcher deux heures avant la nuit, et la crainte des bêtes féroces ne leur permet pas de se hasarder dans l'obscurité, excepté pendant les clairs de lune, qui leur paraissent un temps fort commode pour les voyageurs. Ils s'arrêtent deux au trois jours près des grandes villes; et, déchargeant leurs marchandises, qu'ils étalent sous quelques arbres, ils font une espèce de foire pour la ville voisine. Dans ces occasions, ils n'ont pas d'autre logement que leurs paquets, entre lesquels ils passent la nuit sur des nattes.(Lien vers la table des matières.)

CHAPITRE IV.

Sierra-Leone.

La partie de l'Afrique que nous considérons se termine à la baie qui porte le nom de Sierra-Leone, nom que les Portugais lui donnèrent, soit à cause des lions dont les montagnes voisines sont remplies, soit plutôt à cause du bruit des flots qui, en se brisant contre les rochers de la côte, semblaient imiter le rugissement de ces animaux. Le pays est borné au nord par le cap de la Vega et par celui de Tagrim au sud. Ces deux caps forment une baie spacieuse où la rivière de Sierra-Leone vient se jeter.

Le roi du pays fait sa résidence au fond de la baie: les Maures lui donnent le nom de Boréa. Les états du Boréa ou Bourré s'étendent l'espace de quarante lieues dans les terres. Ses revenus consistent dans un tribut d'étoffes de coton, de dents d'éléphans, d'un peu d'or, et dans le pouvoir de vendre ses sujets pour l'esclavage. L'usage des habitans est de s'arracher entièrement les sourcils, quoiqu'ils laissent croître leur barbe, qui est naturellement courte, noire et frisée. Leurs cheveux sont ordinairement coupés en croix et s'élèvent sur la tête en petites touffes carrées: d'autres les portent découpés en différentes formes; mais les femmes ont généralement la tête rasée.

Ils ont de petites idoles; mais ils n'en reconnaissent pas moins le Dieu du ciel. Lorsqu'un Anglais leur demandait l'usage de ces petites figures de bois, ils levaient leurs mains au-dessus de leur tête, pour faire entendre que le véritable objet de leurs adorations était en haut.

Au sud de la baie, à quarante ou cinquante lieues dans les terres, on trouve une nation d'anthropophages, qui inquiètent souvent leurs voisins.

Les fruits sont innombrables dans les bois de Sierra-Leone. Il se trouve des forêts entières de citronniers, surtout en-deçà du lieu de l'aiguade, assez près de la ville; on y voit aussi quelques orangers. La boisson commune du pays est de l'eau. Cependant les hommes sont passionnés pour le vin de palmier qu'ils appellent may, et le partagent rarement, avec les femmes. On trouve dans le pays beaucoup de mancenilles, espèce de pomme vénéneuse, qui ressemble à la prune jaune, et dont le jus est si malin, que la moindre goutte qui rejaillirait dans l'œil ferait perdre aussitôt la vue. On y voit le beguil, fruit de la grosseur d'une pomme ordinaire, mais dont la chair a la couleur, le grain et le goût de la fraise; l'arbre qui le porte ressemble à l'arbousier. Les bois sont remplis de vignes sauvages, qui produisent un raisin dont le goût est amer. Les Nègres aiment beaucoup la datte et la mangent rôtie. Ils font des amas de cardamome, sorte de poivre qui leur sert de remède dans plusieurs maladies, et d'assaisonnement pour leur nourriture.

Les Nègres plantent des patates, et plus loin dans les terres, ils cultivent du coton, nommé parmi eux innoumma, dont ils font d'assez bon fil et des étoffes larges d'un quart. Le kambe est un bois qui leur sert à teindre en rouge leurs bourses et leurs nattes. Leur citronnier ressemble au pommier sauvage; sa feuille est mince comme celle du saule; il est rempli de pointes, et porte une prodigieuse quantité de fruits qui commencent à mûrir au mois d'août, et qui demeurent sur l'arbre jusqu'au mois d'octobre.

Le poivre de Guinée croît naturellement dans les bois, mais il n'y est pas fort abondant. Sa plante est petite, assez semblable à celle du troëne, et chargée de petites feuilles fort minces. Son fruit ressemble à l'épine-vinette; il est d'abord très-vert; mais, en mûrissant, il devient rouge. Quoiqu'il ne se réunisse point en grappe, il s'en trouve de côté et d'autre deux ou trois ensemble autour de la tige. Le péné, dont les Nègres de ce pays composent leur pain, est une plante fort mince, qui ressemble à l'herbe ordinaire, et dont les petites tiges sont couvertes d'une graine qui n'est renfermée dans aucune espèce d'enveloppe.

Plus loin, dans l'intérieur des terres, il croît un fruit nommé gola ou kola, dans une coque assez épaisse; il est dur, rougeâtre, amer, à peu près de la grosseur d'une noix, et divisé par divers angles. Les Nègres font des provisions de ce fruit, et le mâchent mêlé avec l'écorce d'un certain arbre. Leur manière de s'en servir n'aurait rien d'agréable pour les Européens. Celui qui commence à le mâcher le donne ensuite à son voisin, qui le mâche à son tour, et qui le donne au Nègre suivant. Ainsi chacun le mâche successivement, sans rien avaler de la substance. Ils le croient excellent pour la conservation des dents et des gencives. Les chevaux n'ont pas les dents plus fortes que la plupart des Nègres. Ce fruit leur sert aussi de monnaie courante, et le pays n'en a pas d'autre.

Le kola est fort estimé des Nègres qui habitent les bords de la Gambie. Il ressemble aux châtaignes de la plus grosse espèce, mais sa coque est moins dure. On en fait tant de cas parmi les Nègres que dix noix de kola sont un présent digne des plus grands rois. Après en avoir mâché, l'eau la plus commune prend le goût du vin blanc, et paraît mêlée de sucre. Le tabac même en tire une douceur singulière. On n'attribue d'ailleurs aucune autre qualité au kola. Les personnes âgées, qui ne sont plus capables de le mâcher, le font broyer pour leur usage; mais ce n'est pas le peuple qui peut se procurer un ragoût si délicieux; car cinquante noix suffisent pour acheter une femme.

Barbot décrit l'arbre qui produit cette fameuse noix; il lui donne le nom de froglo; il assure que la région de Sierra-Leone en est remplie; qu'il est d'une hauteur médiocre; que la circonférence du tronc est de cinq ou six pieds; que le fruit croît en pelotons de dix ou douze noix, dont quatre ou cinq sont sous la même coque, divisées par une peau fort mince; que le dehors de chaque noix est rouge, avec quelque mélange de bleu; que, si elle est coupée, le dedans paraît d'un violet foncé. Les Nègres et les Portugais en demandent sans cesse, comme les Indiens ne demandent que leurs noix d'arek et leur bétel. Labat parle aussi de ce fruit, et dit que la plus grande partie vient de l'intérieur des terres, environ trois cents lieues de la côte; l'arbre qui le porte est le sterculia acuminata.

La baie est remplie de poissons de toutes les espèces, tels que le mulet, la raie, la vieille, le brochet, le gardon, le cavallos, qui ressemble au maquereau; la scie, le requin; une autre espèce de squale, qui ressemble au requin, excepté que sa tête se termine dans la forme d'une pelle, et que l'on appelle marteau ou pantouflier; le cordonnier, qui a des deux côtés de la tête une espèce de barbe ou de soie pendante, et qui grogne comme un cochon, etc. Finch, voyageur anglais, prit dans l'espace d'une heure six mille poissons de la forme de l'able. Les huîtres y sont très-communes et s'y attachent aux branches des mangliers.

La côte n'est pas moins abondante en toutes sortes d'oiseaux dont l'espèce n'est pas connue dans nos climats. Les Nègres parlèrent à Finch d'un animal fort étrange, que son interprète nommait carboucle. On le voit souvent, mais toujours pendant la nuit; sa tête jette un éclat surprenant, qui lui sert à trouver sa pâture. L'opinion des habitans est que cette lumière vient d'une pierre qu'il a dans les yeux ou sur le front. S'il entend le moindre bruit, il couvre aussitôt cette partie brillante de quelque membrane qui en dérobe l'éclat. Finch ajoute qu'il regarde ce récit comme fabuleux.

Les parties septentrionales dépendent du roi de Boulom, comme celles du sud sont soumises au roi de Bourré. Le royaume de Boulom est peu connu des Français et des Hollandais. L'affection des habitans s'est déclarée pour les Anglais et pour les Portugais, dont plusieurs y ont formé des établissemens.

Les singes se rassemblent en troupes nombreuses, et détruisent tous les champs cultivés dont ils peuvent approcher. Leurs ravages inspirent pour eux une haine implacable aux habitans.

La rivière, qui est connue sous le nom de Sierra-Leone, porte aussi ceux de Mitomba et de Tagrim: elle vient de fort loin dans les terres; et, vers son embouchure, elle n'a pas moins de trois lieues de largeur; mais, à quatorze ou quinze lieues de la mer, elle se resserre à la largeur d'une lieue.

Cette rivière, comme la plupart de celles de tous les pays très-chauds, est bordée à son embouchure de mangliers ou palétuviers.

Quoique les jours d'été soient fort chauds dans le pays plat et ouvert, les vents du sud-ouest y apportent de la fraîcheur pendant l'après-midi; mais la chaleur est insupportable dans les parties montagneuses. En général, on peut dire que c'est une région fort malsaine pour les Européens, témoin tous les Anglais qui sont morts dans l'île de Bense. La pluie et le tonnerre y règnent continuellement pendant six mois, avec une chaleur si maligne aux mois de juin et juillet, qu'on est obligé de se tenir renfermé dans ses huttes. L'air, corrompu par tant de mauvaises influences, y produit en un instant des vers sur les alimens et sur les habits: quelquefois les ouragans, nommés tornados, y jettent l'épouvante. Souvent une épaisse obscurité, qui ne se dissipe pas un moment dans le jour, semble changer la face de la nature, et rend la vie presque insupportable.

Cette rivière porte le nom de Mitomba jusqu'à vingt-cinq ou trente lieues de son embouchure, et n'est pas connue plus loin des Européens: elle a, du côté du sud, une ville nommée las Magoas, où la permission de résider pour le commerce n'est accordée qu'aux Portugais. Les habitans viennent seulement dans la baie pour y faire des échanges avec les Français et les Anglais, lorsqu'ils voient entrer leurs bâtimens.

À l'entrée de la rivière on voit plusieurs petites îles. Les principales sont celles de Togou, de Tasso et de Bense. Dans cette dernière, qui est à neuf lieues de la rade, les Anglais ont élevé un petit fort.

Les Portugais sont établis dans divers endroits du pays; mais la jalousie du commerce ne leur permet pas d'entretenir beaucoup de correspondance avec les Anglais de l'île de Bense.

La baie de France, où l'on trouve la fontaine du même nom, est éloignée d'environ six lieues du cap Tagrim, en remontant la rivière. On la distingue aisément à la couleur brillante du sable qui se présente sur le rivage comme une voile étendue; aussi n'y voit-on pas de rocs qui en rendent l'accès difficile aux barques et aux chaloupes. La fontaine est à quelques pas de la mer; c'est la meilleure et la plus commode de toute la côte. On y peut remplir cent tonneaux dans l'espace d'un jour: elle vient du centre des montagnes de Timna, qui forment une chaîne d'environ quinze lieues, mais dont les tigres, les lions et les crocodiles ne permettent pas d'approcher. Les eaux fraîches se précipitent du sommet des montagnes, et forment en tombant diverses cascades, avec un très-grand bruit. Ensuite, se réunissant dans une espèce d'étang, leur abondance les fait déborder pour se répandre sur un rivage sablonneux, où elles se rassemblent encore dans un bassin qu'elles se forment au pied des montagnes; de là elles recommencent à couler sur le sable, et se perdent enfin dans la mer. Barbot représente ce lieu comme un des plus beaux endroits de la contrée. Le bassin qui reçoit toutes ces eaux est environné de grands arbres d'une verdure continuelle, qui forment un ombrage délicieux dans les plus grandes chaleurs. Les rochers même qui sont dispersés aux environs contribuent à l'embellissement du lieu. C'était dans cette agréable retraite que Barbot prenait souvent plaisir à faire ses repas.

Les singes nommés barris sont d'une très-grande taille; on les accoutume dans leur jeunesse à marcher droit, à broyer les grains, à puiser de l'eau dans des calebasses, à l'apporter sur leur tête, et à tourner la broche pour rôtir les viandes. Ces animaux se bâtissent des cabanes dans les bois; ils aiment si passionnément les huîtres, que, dans les basses marées, ils s'approchent du rivage entre les rocs; et lorsqu'ils voient les huîtres ouvertes à la chaleur du soleil, ils mettent dans l'écaillé une petite pierre qui l'empêche de se fermer, et l'avalent ainsi facilement. Quelquefois il arrive que la pierre glisse, et que le singe se trouve pris comme dans une trappe: alors ils n'échappent guère aux Nègres, qui les tuent et qui les mangent. Cette chair et celle des éléphans leur paraissent délicieuses.

Les bois sont la retraite d'un nombre infini de perroquets, de pigeons ramiers, et d'autres oiseaux; mais l'épaisseur des arbres ne permet guère qu'on les puisse tirer. La mer et les rivières fournissent les mêmes espèces de poissons que celles du cap Vert.

Chaque village est pourvu d'une salle ou d'une maison publique, où toutes les personnes mariées envoient leurs filles, après un certain âge, pour y apprendre à danser, à chanter, et d'autres exercices, sous la conduite d'un vieillard des plus nobles du pays. Lorsqu'elles ont passé un an dans cette école, il les mène à la grande place de la ville ou du village; elles y dansent, elles chantent, elles donnent aux yeux des habitans des témoignages de leurs progrès. S'il se trouve quelque jeune homme à marier, c'est alors qu'il fait le choix de celle qu'il aime le mieux, sans aucun égard pour la naissance ou la fortune. Un amant n'a pas plus tôt déclaré ses intentions, qu'il passe pour marié, à la seule condition qu'il soit en état de faire quelques présens aux parens de la fille et à son vieux précepteur.

La rivière de Sierra-Leone est fréquentée depuis long-temps par les Européens. C'est à la fois un lieu de commerce et de rafraîchissement dans leurs navigations à la côte d'Or et au royaume de Juida. Les marchandises qu'ils y achètent sont des dents d'éléphans, des esclaves, du bois de sandal, une petite quantité d'or, beaucoup de cire, quelques perles, du cristal, de l'ambre gris, du poivre-long, etc. Les dents d'éléphans de Sierra-Leone passent pour les meilleures de toute l'Afrique; elles sont d'une grosseur et d'une blancheur extraordinaires. Barbot en a vu qui pesaient cent livres, et qui ne se vendaient que la valeur de cent sous de France, en petites merceries fort méprisables.

Les peuples de Sierra-Leone ont quelques parties de gouvernement et de religion qui leur sont propres. Les Capez et les Combas, les deux principaux peuples de cette contrée, ont chacun leur gouverneur ou leur vice-roi, qui administre la justice suivant les lois.

Les avocats, qui portent le nom de troëns, ont un habillement fort singulier. Ils portent un masque sur le visage et des cliquettes aux mains, des sonnettes aux jambes, et sur le corps une sorte de casaque ornée de diverses plumes d'oiseaux. Cet habit emblématique pourrait fournir des explications plaisantes que nous abandonnerons à la fantaisie des lecteurs.

Les conseillers ou juges se nomment saltatesquis. Les cérémonies qui accompagnent leur élection ne sont pas moins ridicules que l'habit des troëns. Le sujet désigné s'assied dans une chaise de bois ornée à la manière du pays. Alors le gouverneur le frappe plusieurs fois au visage de la fressure sanglante d'un bouc qu'on a tué pour cet usage; ensuite il lui frotte tout le corps de la même pièce, et, lui couvrant la tête d'un bonnet rouge, il prononce le mot de saltatesquis.

Le cap de Sierra-Leone se reconnaît à un arbre qui surpasse tous les autres en hauteur, et à la haute terre qui se présente par-derrière.

Atkins, un des voyageurs qui ont écrit sur le commerce de Sierra-Leone, a tracé un tableau de la vente des Nègres et des traitemens qu'éprouvent ces misérables victimes, qu'il faut rapporter ici, pour ne pas perdre une occasion d'intéresser l'humanité en faveur des opprimés. Atkins eut occasion de visiter les esclaves que vendait un vieux flibustier nommé Loadstone.

Jusqu'au moment de la vente, les esclaves demeurent dans les chaînes; alors on les place dans des loges grillées, non-seulement pour la commodité de l'air et pour leur santé, mais encore pour faciliter à ceux qui les achètent le moyen de les mieux observer, Atkins remarqua que la plupart avaient le visage fort abattu. Il en découvrit un d'une haute taille, qui lui parut hardi, fier et vigoureux. Il semblait regarder ses compagnons avec dédain, lorsqu'il les voyait prompts et faciles à se laisser visiter. Il ne tournait pas les yeux sur les marchands; et si son maître lui commandait de se lever ou d'étendre la jambe, il n'obéissait pas tout d'un coup ni sans regret. Loadstone, indigné de cette fierté, le maltraitait sans ménagement à grands coups de fouet, qui faisaient de cruelles impressions sur un corps nu; il l'aurait tué, s'il n'eût fait attention que le dommage retomberait sur lui-même. Le Nègre supportait toutes ces insultes et ces cruautés avec une fermeté surprenante. Il ne lui échappait pas un cri. On lui voyait seulement couler une larme ou deux le long des joues; encore s'efforçait-il de les cacher, comme s'il eût rougi de sa faiblesse. Quelques marchands, à qui ce spectacle donna la curiosité de le connaître, demandèrent à Loadstone d'où cet esclave lui était venu. Il leur dit que c'était un chef de quelques villages qui s'étaient opposés au commerce des Anglais sur la rivière Nougnez; qu'il se nommait le capitaine Tomba, et qu'il avait tué plusieurs Nègres de leurs amis, brûlé leurs cabanes, et donné des marques d'une hardiesse extraordinaire; que ceux qu'il avait traités si mal avaient aidé les Anglais à le surprendre pendant la nuit, et l'avaient amené prisonnier depuis un mois; mais qu'avant de tomber entre leurs mains, il en avait tué deux de la sienne.

Atkins prétend que les alligators, dont la rivière de Sierra-Leone est remplie, ressemblent entièrement aux crocodiles du Nil, et sont en effet de la même espèce. Leur forme diffère peu de celle du lézard; ils pèsent jusqu'à deux cents livres. L'écaille qui les couvre est si dure, qu'elle est à l'épreuve de la balle, si le coup n'est tiré de fort près. Il ont les gencives fort longues, armées de dents tranchantes; quatre nageoires semblables à des mains, deux grandes et deux petites; la queue épaisse et d'une grosseur continue. Ils vivent si long-temps hors de l'eau, qu'ils se vendent vivans dans les Indes orientales. Quoique le moindre bruit les éveille, ils s'effraient peu, et ne prennent pas tout d'un coup la fuite. Les barques qui descendent la rivière en sont quelquefois fort proches avant qu'on leur voie quitter les gîtes qu'ils se font dans la vase, où ils se chauffent au soleil. Lorsqu'ils flottent sur l'eau, ils paraissent si tranquilles, qu'on les prendrait pour une pièce de bois, jusqu'à ce que les petits poissons qui se rassemblent autour d'eux semblent les exciter à fondre sur leur proie. Un matelot anglais, qui avait la tête échauffée de liqueurs, entreprit de passer à gué l'extrémité de la pointe de Tagrim, pour s'épargner la peine d'en faire le tour dans son canot. Il fut saisi en chemin par un alligator; mais, ne manquant point de courage, il perça l'animal d'un coup d'épée. Le combat n'en fut pas moins vif, et recommença deux ou trois fois, jusqu'à l'arrivée du canot d'où l'Anglais reçut du secours. Mais il avait les épaules, les fesses et les cuisses cruellement déchirées; et, quoique ces blessures ne fussent pas mortelles, on ne doute pas que, si le monstre avait été moins jeune, le matelot n'eût péri.

Le pays de Sierra-Leone est si couvert de bois, qu'on ne saurait pénétrer vingt pas sur le rivage, excepté du côté de là rivière où les bâtimens prennent leur eau. Cependant les Nègres ont des sentiers qui les conduisent à leurs lougans ou plantations. Quoique les champs semés de millet, de riz et de maïs, ne soient pas à plus d'un mille ou deux de leur ville, ils servent de promenade ordinaire aux bêtes féroces. Atkins aperçut de tous côtés leurs excrémens. Les Nègres mettent de la différence entre les lougans et les lollas. Les premiers sont des champs ouverts et fort bien cultivés; mais les lollas, quoique ouverts comme les lougans, demeurent sans culture, et ne servent d'habitations qu'aux fourmis.

Les hommes du pays sont bien faits et n'ont pas le nez tout-à-fait plat. Les femmes ont la taille beaucoup moins belle que les hommes; mais elles ont le ventre pendant et les mamelles si longues, qu'elles peuvent allaiter un enfant derrière leurs épaules. Les travaux pénibles dont elles s'occupent continuellement les rendent extrêmement robustes. Elles cultivent la terre, elles font l'huile de palmier, les étoffes de coton, etc., etc. Lorsqu'elles ont fini cet ouvrage, leurs indolens maris les occupent au soin de leur chevelure laineuse, dont ils sont extrêmement curieux, et leur font passer deux ou trois heures à cet exercice.

On voit souvent des villes entières qui se transportent d'un canton à l'autre, soit par haine pour leurs voisins, soit pour se procurer plus de commodités dans un autre lieu. Il ne leur faut pas beaucoup de temps pour défricher le terrain.

Les hommes et les femmes ne manquent pas chaque jour de s'oindre le corps d'huile de palmier ou de civette; mais cette onction, qui n'est pas sans quelque mélange, jette une odeur forte et désagréable.

Sur les accusations de meurtre, d'adultère, et d'autres crimes odieux dans la nation, les personnes suspectes sont forcées de boire d'une eau rouge qui est préparée par les juges, et qui s'appelle l'eau de purgation. Si la vie de l'accusé n'est pas régulière, ou si on lui connaît quelque sujet de haine contre le mort, quoique l'évidence manque à l'accusation, les juges rendent la liqueur assez forte ou la dose assez abondante pour lui ôter la vie. Mais s'il mérite de l'indulgence par son caractère ou par l'obscurité des accusations, on lui fait prendre un breuvage plus doux, pour le faire paraître innocent aux yeux de la famille et des amis du mort. C'est une espèce de question qu'on rend plus ou moins cruelle, suivant l'opinion qu'on a de l'accusé. La nôtre est également barbare pour les innocens et pour les coupables.

Les bêtes farouches se font craindre jusqu'aux environs des villes et des villages. Les maisons même sont infectées d'une multitude de rats, de serpens, de crapauds, de mousquites, de scorpions, de lézards, et surtout d'une prodigieuse quantité de fourmis. On en distingue trois sortes, les blanches, les noires et les rouges. Celles-ci s'élèvent des logemens de neuf pieds de hauteur, emploient deux ou trois ans à jeter les fondemens de leur édifice, et réduisent en poudre une armoire pleine d'étoffe, dans l'espace de quinze ou vingt jours.

Le terroir est très-fertile: le riz, le millet, les pois, les fèves, les melons, les patates, les bananes et les figues y croissent en abondance et se vendent presque pour rien. La rivière est remplie de poissons, et les habitans en mangent beaucoup plus que de toute autre viande, quoiqu'ils ne manquent d'aucune sorte d'animaux, et qu'on les achète à leur marché. La volaille ordinaire, les pintades, les oies, les canards, les pigeons ne leur coûtent que la peine de les prendre. Leurs champs présentent de vastes troupeaux de bœufs, de vaches, de chèvres et de moutons. Les montagnes sont remplies de cerfs, de sangliers, de daims et de chevreuils. Ceux à qui le gibier manque n'en peuvent accuser que leur paresse. La bonté du pays et l'abondance du fruit y attirent une quantité incroyable de singes.

Le pays ne paraît pas propre à la production des métaux. C'est le partage des régions sèches et hautes telles que Bambouk. Ceux qui travaillent à la découverte des mines prennent pour un heureux signe les apparences les plus contraires à la fertilité, telles que les rocs, la sécheresse des terres, la couleur pâle et morte des plantes et de l'herbe. Il semble que la nature ne nous ait donné l'or qu'à regret, et comme un présent funeste. Elle l'a relégué dans des lieux où elle-même paraît n'avoir plus sa vertu productrice, ni sa richesse bienfaisante, où elle est comme ensevelie dans ses débris, et où, loin d'appeler l'homme, tout le repousse et l'effraie, si quelque chose pouvait effrayer l'avarice.(Lien vers la table des matières.)

CHAPITRE V.

Histoire naturelle de la côte occidentale d'Afrique jusqu'à Sierra-Leone.

Cette histoire naturelle sera divisée en cinq classes: les végétaux, les quadrupèdes, les oiseaux et la volaille, les amphibies avec les insectes et les reptiles, enfin les poissons. Ces cinq articles seront traités successivement dans l'ordre où l'on vient de les nommer; mais il est à propos de commencer par quelques remarques générales des voyageurs sur le climat et les saisons, l'air, les maladies et le terroir de cette division de l'Afrique. Au surplus, nous devons prévenir le lecteur qu'il ne trouvera pas ici de description complète, telle qu'il pourrait la désirer chez les naturalistes. Nous donnerons plus ou moins de détails, selon que l'objet sera plus ou moins connu, plus ou moins intéressant. On se souviendra qu'un abrégé n'est pas un dictionnaire.

Dans les parties de l'Afrique dont on traite ici l'histoire, l'année peut être divisée entre la saison sèche et la saison humide. La première dure huit mois, c'est-à-dire, depuis le mois de septembre jusqu'au mois de juin; la seconde depuis le mois de juin jusqu'à celui d'octobre exclusivement. C'est cette dernière saison qui fait l'hiver. Pendant celle de la sécheresse, les chaleurs sont excessives par la rareté des pluies; à peine tombe-t-il quelques rosées dans tout cet espace.

Les pluies commencent fort doucement, et par quelques ondées passagères, mais qui ne laissent pas d'être accompagnées d'éclairs et de tonnerre; elles augmentent vers la fin de juin. La chute des eaux devient alors si violente, avec des orages, des vents, un tonnerre et des feux si terribles, qu'on croirait avoir à redouter la confusion des élémens. C'est néanmoins dans cette saison que les habitans du pays sont obligés de travailler à la terre. La plus grande impétuosité des pluies est depuis le milieu de juillet jusqu'au milieu d'août.

La première et la dernière tempête sont généralement les plus violentes. Il s'élève d'abord un vent fort impétueux, qui dure environ une demi-heure avant la chute de la pluie, de sorte qu'un vaisseau surpris par cette agitation subite peut être fort aisément renversé. Cependant les apparences du ciel sont des avertissemens qui la font prévoir. Il se charge quelque temps auparavant; il devient noir et triste. À mesure que les nuées s'avancent, il en sort des éclairs qui sont capables de répandre l'effroi. Les éclairs sont si terribles en Afrique et s'entre-suivent de si près, que pendant la nuit ils rendent la lumière continuelle: le fracas du tonnerre n'est pas moins épouvantable, et va jusqu'à faire trembler la terre.

Pendant la pluie, l'air est ordinairement frais; mais à peine est-elle finie, que le soleil se montre et fait sentir une extrême chaleur. On est quelquefois porté à prendre ce temps pour se déshabiller et pour dormir; mais, avant qu'on soit sorti du sommeil, il arrive souvent un nouveau tornado qui fait passer le froid jusque dans les os, et dont les suites deviennent funestes. C'est ordinairement le sort des Européens, lorsqu'ils négligent les précautions; car les naturels du pays sont à l'épreuve de ces révolutions de l'air. Dans la saison des pluies, les vents de mer soufflent peu; mais à leur place il vient au long de la rivière des vents d'est qui sont d'une fraîcheur extrême, depuis le mois de novembre jusqu'au mois de janvier, surtout pendant le jour.

Tous les écrivains attribuent aux pluies les débordemens du Sénégal, de la Gambie et des autres rivières de la même côte. Le Maire prétend que la cause des pluies est le retour du soleil, qui, s'éloignant alors du tropique du cancer, fait en France le solstice d'été, et celui d'hiver dans cette partie d'Afrique. Cet astre attire une grande masse de vapeurs qui retombent ensuite en grosses pluies, cause régulière des inondations.

Ceux qui arrivent des climats froids doivent s'attendre à trouver en Afrique quatre mois fort malsains et fort ennuyeux; mais ils sont dédommagés de cette affreuse saison par le retour d'un printemps de huit mois, pendant lequel ils voient continuellement les arbres couverts de fleurs et de fruits. L'air est alors d'une fraîcheur charmante; cependant il conserve une qualité particulière qui ne doit pas être fort saine pour le corps, puisqu'elle est capable de rouiller une clef dans la poche. Le temps des chaleurs excessives est ordinairement la fin de mai, quinze jours ou trois semaines avant la saison des pluies.

Le soleil se fait voir perpendiculairement deux fois l'année. Jamais la longueur du jour ne surpasse treize heures, et jamais il n'y a moins de onze heures, c'est-à-dire, depuis le lever jusqu'au coucher du soleil; car on connaît peu les crépuscules en Afrique. La lumière n'y paraît qu'avec le soleil, et l'on se trouve dans les ténèbres aussitôt qu'il disparaît. Ceux qui ont quelques notions de la sphère comprendront aisément que, dans le voisinage de l'équateur, le soleil, étant presque perpendiculaire, doit laisser peu de place à ce qu'on nomme aurore et crépuscule chez les peuples qui ont la sphère oblique.

En général l'air de ces côtes est malsain, surtout vers les rivières, vers les terrains marécageux, et dans les cantons couverts de bois, sur toute la côte, depuis le Sénégal jusqu'à la Gambie. La saison des pluies est pernicieuse à tous les Européens; et celle des chaleurs, qui dure depuis le mois de septembre jusqu'au mois de juin, ne leur est guère moins funeste, s'ils n'opposent beaucoup de précaution au danger.

Cette intempérie de l'air cause aux étrangers qui n'y sont pas accoutumés plusieurs sortes de maladies; mais l'effet en est encore plus fâcheux lorsqu'ils mangent trop avidement les fruits du pays, et qu'ils se livrent avec excès à l'usage du vin de palmier et des femmes. Les maux auxquels ils doivent s'attendre sont la fièvre, le choléra-morbus, des ulcères aux jambes et de fréquentes convulsions, suivies infailliblement de la mort ou d'une paralysie. De toutes ces maladies, la plus fatale est la fièvre, qui emporte souvent en vingt-quatre heures l'homme du meilleur tempérament. Les vers sont une autre incommodité cruelle de ces contrées. Les Nègres surtout y sont sujets. Moore rapporte l'exemple d'une jeune femme qui avait dans chaque genou un ver long d'une aune. Avant que le ver parût, elle souffrit de violentes douleurs; et ses jambes enflèrent beaucoup; mais, lorsque la tumeur vint à s'ouvrir, et que le ver eut commencé à se faire voir, ses souffrances diminuèrent. Le ver sortait chaque jour de la longueur de cinq à six pouces. À mesure qu'il s'étendait, on le roulait doucement autour d'un petit bâton, avec la précaution de le lier d'un fil pour l'empêcher de rentrer. S'il se rompt malheureusement dans l'opération, la gangrène suit immédiatement. L'opinion des Nègres sur la cause de ces vers est qu'ils viennent de l'épaisseur de l'eau, qualité que la saison des pluies fait prendre nécessairement à leur boisson. La même maladie est commune sur la côte de Guinée proprement dite, dans les îles des Caraïbes, et dans plusieurs parties des Indes orientales.

On a observé sur toutes ces côtes que les nuées qui apportent la pluie viennent presque toujours du sud-est; elles sont attirées par le soleil dans sa marche vers le tropique du nord; elles se résolvent en pluie lorsqu'elles sont raréfiées par sa chaleur. Son action étant encore beaucoup plus forte à son retour, il les rompt avec violence, les écarte, et cause les tonnerres et les éclairs redoutables qui semblent menacer la nature de sa ruine, jusqu'à ce que, les nuées étant dissipées par degrés, l'air reprend sa clarté vers le temps où le soleil atteint à l'équinoxe, c'est-à-dire à la fin de septembre.

La variété des arbres est extrême dans cette partie de l'Afrique. On y trouve d'excellens bois de construction pour les vaisseaux et pour d'autres usages, et des arbres d'une grosseur si extraordinaire, que vingt hommes ensemble n'en pourraient embrasser le tronc. Barbot en mesura un, près de Gorée, dont la circonférence était de soixante pieds. Il était à terre abattu par le nombre des années, et le tronc en était creux: vingt hommes y auraient pu tenir debout. Cet arbre, nommé baobab par les Iolofs, porte dans d'autres pays de l'Afrique le nom de gouï. Les Français l'ont quelquefois appelé calebassier, et son fruit pain-de-singe.

Adanson, voyageur français, a vu sur l'écorce de quelques-uns de ces arbres de cinq à six pieds de diamètre, des noms gravés profondément. Il en renouvela deux, dont l'un datait du quinzième, et l'autre du seizième siècle. Ces caractères avaient environ six pouces de longueur; mais ils n'occupaient en largeur qu'une très-petite partie de la circonférence du tronc, d'où il jugea qu'ils n'avaient pas été gravés dans la jeunesse de ces arbres. Il lui sembla que ces inscriptions suffisaient pour déterminer à peu près à quel âge les baobabs peuvent arriver; car, si l'on suppose que les noms dont il parle ont été gravés dans les premières années de ces arbres, et que ceux-ci aient grossi de six pieds dans l'espace de deux siècles, on peut calculer combien il leur faudrait de siècles pour parvenir à vingt-cinq pieds.

Aux branches de ces arbres monstrueux sont quelquefois suspendus des nids qui n'étonnent pas moins par leur grandeur; il y en a qui ont au moins trois pieds de longueur, et ressemblent à de grands paniers ovales, ouverts par en bas, et tissus confusément de branches d'arbres assez grosses. Ce sont ceux d'une espèce d'aigle que les Nègres appellent ntann.

«La couleur de l'écorce du baobab, dit M. Golberry, autre voyageur français, est d'un brun clair, piquetée de petits points gris; mais La couleur du tronc de l'arbre est plus foncée que celle des maîtresses branches. Les feuilles sont longues de six à huit pouces sur trois pouces de large, attachées par trois, cinq ou sept sur un pétiole commun, comme les feuilles du marronnier d'Inde, auxquelles elles ressemblent. L'aspect d'un baobab offre un dôme immense d'une belle et riche verdure. Ses fleurs sont blanches et très grandes; elles ont, quand elles sont épanouies, quatre pouces de longueur sur près de six pouces de diamètre. Elles sont un exemple remarquable du sommeil des plantes. Les Nègres ne cessent d'admirer cette faculté de la fleur du baobab de se replier sur elle-même pendant la nuit, et de ne s'ouvrir qu'aux premiers rayons du soleil levant. Ils disent que cette fleur dort, et ils ne se lassent pas du plaisir de se rassembler avant le lever du soleil autour des baobabs en fleur, d'épier leur réveil, et de leur dire dans leur langue, au moment de leur épanouissement et en les saluant: Bonjour, belle dame.

«C'est aussi au lever du soleil que les Nègres ont coutume de recueillir les jeunes feuilles du baobab, qu'ils emploient à différens usages, mais dont ils se servent surtout pour donner de la saveur et du goût au bouillon, à la vapeur duquel ils cuisent leur couscous, et qui sert d'assaisonnement à ce mets. Ils font sécher les feuilles à l'ombre, et la réduisent en une poudre verte qu'ils appellent lalo. Cette poudre se conserve parfaitement dans des sachets de toile de coton, pourvu qu'elle soit tenue dans un lieu sec; ils l'emploient journellement, et en mettent deux ou trois pincées dans leur couscous ou autres mets.

«Son fruit, nommé bouï par les Nègres, a une forme oblongue; il se termine en pointe à ses deux extrémités. Sa longueur est de dix pouces, sur six de diamètre dans la partie la plus renflée qui est au milieu. L'écorce de ce fruit et dure et ligneuse, d'un brun très-noir, marquée par des sillons, et couverte d'un duvet très-fin, très-court, et d'une teinte verdâtre. Quand le fruit est dans sa parfaite maturité, ce duvet disparaît et laisse à nu une coque noire et lisse, qui de loin ressemble à un coco dépouillé de sa première enveloppe. On trouve dans l'intérieur une substance blanche, spongieuse et pulpeuse, imbibée d'une eau aigrelette et sucrée très-agréable au goût. Chaque fruit contient plusieurs centaines de graines. Les Nègres reconnaissent à la pulpe du bouï des vertus admirables. Lorsqu'elle est sèche, ils la réduisent en poudre, la délaient dans du lait, ou même dans de l'eau pure, et en font usage, avec beaucoup de succès, contre les crachemens de sang, et contre d'autres maladies. Ils disent que ceux d'entre eux qui ont la possibilité de faire un usage habituel de la pulpe du bouï et des feuilles du gouï, sont plus forts, plus robustes, plus braves et plus courageux que les autres.

«Ce fruit est un objet de commerce. Les Mandingues le portent dans la partie orientale et méridionale de l'Afrique, tandis que les Maures ou Arabes le font passer dans le pays de Maroc, d'où il se répand ensuite en Égypte et dans toute la partie orientale de la Méditerranée. C'est dans ce dernier pays qu'on en réduit la pulpe en une poudre qu'on apporte du Levant dans l'Europe occidentale, et qu'on connaît depuis long-temps sous le nom très-impropre de terre sigillée de Lemnos. Prosper Alpin est le premier qui ait reconnu que cette poudre, regardée jusqu'à lui comme une terre de l'Archipel, était une substance purement végétale, et originaire de l'Éthiopie ou du centre de l'Afrique.

«M. Golberry parle d'un baobab de cent quatre pieds de tour, ou de trente-quatre pieds de diamètre. La hauteur de son tronc n'excédait pas trente pieds. À cette élévation, ses branches principales s'étendaient horizontalement à plus de cinquante pieds autour de l'arbre; leurs extrémités fléchissaient vers la terre. Le temps avait creusé dans le tronc une caverne haute de vingt-deux pieds, sur un diamètre de vingt pieds. Les Nègres en avaient façonné l'intérieur et l'entrée. Le sol était un sable de couleur orange, que l'on y avait apporté. Suivant une tradition, une idole avait autrefois orné ce temple d'un genre et d'une structure admirables; mais les prêtres mahométans l'avaient détruite. Cette caverne servait de rendez-vous et de salle d'assemblée aux habitans des villages voisins.

«Les racines du baobab s'étendent extraordinairement loin; elles se prolongent horizontalement et presqu'à fleur de terre, à la distance de soixante pieds, et plus. Elles servent de soutien à une énorme racine pivotante. Cet étonnant végétal appartient particulièrement aux contrées occidentales de l'Afrique comprises entre le cap Blanc et le cap des Palmes. Les botanistes l'ont nommé Adansonia digitata. Il est de la famille des malvacées; le cœur du bois est tendre et léger, et abondant en moelle; elle occupe une partie si considérable de l'intérieur, que, quand une sorte de moisissure, à laquelle le centre est sujet, s'y établit, il s'y forme des cavernes telles que celle qui a été décrite plus haut. L'écorce est fort épaisse, fort lisse, et presque aussi dure que le bois: l'un et l'autre ont presque la dureté du fer.

«M. Golberry mesura un des baobabs dont parle Adanson, trente-six ans après ce célèbre naturaliste, et ne le trouva accru que d'un pied et quelques pouces de circonférence, c'est-à-dire de sept à huit lignes de diamètre.»

Le plus utile et le plus commun de tous les arbres du pays, comme de tout le reste de l'Afrique, est le palmier, dont on connaît plusieurs espèces dans cette partie du monde, où les principales sont le dattier et le cocotier, l'aouara, le siboa, et le rondier qui porte le vin. Nous avons déjà parlé de ce dernier. Nous ajouterons ici quelques détails sur ce don précieux, que la nature a fait aux Nègres.

Le vin de palmier est une liqueur qui distille du rondier par une incision qu'on fait au sommet. Il a la couleur et la consistance des vins d'Espagne. Il pétille comme le champagne. Il joint à la douceur une sorte d'acidité qui le rend fort agréable. Il envoie des vapeurs à la tête, et les étrangers qui en boivent trop librement, sans en avoir formé l'habitude, en ressentent de fâcheux effets. Il est trop purgatif, lorsqu'il est fait nouvellement, quoique ce soit alors qu'il ait plus de douceur et d'agrément; car, dans l'espace d'un jour ou deux, il fermente et devient aussi fort que le vin du Rhin. Les habitans ne se l'épargnent pas dans cette nouveauté, et ne trouvent pas qu'il leur soit fort nuisible. Il n'est véritablement bon que pendant trente-six heures. Ensuite il s'aigrit et s'altère par degrés jusqu'à se changer en vinaigre. À mesure qu'il vieillit, il devient plus capable de communiquer des vapeurs à la tête. C'est un puissant diurétique; et cette qualité explique fort bien pourquoi les Nègres ne sont pas sujets à la gravelle ni à la pierre. Il fermente avec tant de violence, que, si l'on ne fait beaucoup d'attention aux vases qui le contiennent, il les agite et les brise. Le vin de palmier paraît délicieux à quantité d'Européens lorsqu'il sort du tronc de l'arbre. Les Nègres y mêlent quelquefois de l'eau. Ils assurent que, si l'on en prend à l'excès, il enflamme les parties naturelles.

Leur méthode pour le recevoir du tronc est, comme on l'a déjà dit, de suspendre leur gourde quelques doigts au-dessous de l'incision, pour y faire couler la séve. Ils coupent une branche, et laissent la gourde attachée au chicot; mais il ne leur arrive guère d'en couper plus de deux, dans la crainte d'affaiblir l'arbre. Lorsque la sève a coulé trente ou quarante jours par différentes incisions, ils couvrent de terre grasse et les ouvertures du tronc et la place des branches coupées, pour donner à l'arbre le temps de se rétablir.

Les Nègres n'emploient pas d'échelles pour grimper sur les palmiers, soit qu'ils en veuillent cueillir le fruit ou tirer du vin. Ils se servent d'une sorte de sangle d'osier, ou de gros fil de coton, ou de feuilles sèches de palmier, qui est assez grande dans sa rondeur pour renfermer l'arbre et le Nègre qui veut y monter, en laissant entre l'homme et l'arbre l'espace d'un pied et demi. À l'aide de cette ceinture, contre laquelle un Nègre s'appuie le derrière en pressant l'arbre des pieds et des genoux, il grimpe au sommet avec une agilité surprenante. Il choisit l'endroit auquel il veut attacher sa gourde. Il s'y arrête aussi tranquillement que s'il était assis. On est effrayé de les voir suspendus si haut avec un secours si faible. Moore, dit qu'ils montent, à la vérité avec beaucoup de vitesse; mais que, lâchant quelquefois prise, ils tombent du haut de l'arbre, et se tuent misérablement.

Le siboa est d'une hauteur extraordinaire. Ses feuilles servent aux habitans pour couvrir leurs maisons. Ils tirent du tronc une sorte de vin qui a beaucoup de rapport avec le vin de palmier, quoiqu'il ne soit pas si doux. Dans sa jeunesse, le tronc est aussi plein de sève que celui du palmier; mais le nombre des années le rend dur et coriace.

L'aouara croît en abondance sur le Sénégal. Il est droit, haut, et d'une grosseur égale jusqu'au sommet. On en a vu de la hauteur de cent pieds. Sa tête est environnée d'une écorce dure et inégale, d'où il sort trente, quarante, et jusqu'à soixante branches; elle sont toutes fort droites, vertes, unies, sans nœuds et flexibles, d'une substance qui tient le milieu entre le roseau dans sa parfaite maturité et le roseau vert. Ces branches sont longues de trois ou quatre pieds, et creuses au centre; elles se fendent comme l'osier en fils de toutes sorte de grosseur, qui peuvent recevoir différentes sortes de teinture. À leur extrémité, elles produisent une feuille d'un pied de long, qui, venant à s'ouvrir, forme un éventail naturel d'environ deux pieds de largeur. On emploie ces branches à divers usages. Les Nègres en font des cribles pour leurs grains, mais surtout des paniers et des corbeilles qui portent en Amérique le nom de paniers caraïbes, parce que c'est de ces sauvages que les Français en ont tiré l'invention. Les feuilles de l'aouara sont fort commodes, et pourraient être d'une grande utilité, si les Nègres avaient assez d'industrie pour les rendre molles et pliables.

L'arbre que son utilité doit faire placer après les précédens, et qui croît fort communément près du Sénégal, est le cotonnier. Il aime les cantons élevés, ce qui le met à couvert des inondations: peut-être ne devrait-il être compté qu'au rang des arbrisseaux. Le coton n'en est pas excellent, parce que les Nègres en négligent la culture. En Amérique, on a des machines qui portent le nom de moulins à coton, pour séparer le coton de sa semence; mais les Nègres d'Afrique se servent de leurs mains. C'est l'ouvrage de leurs femmes, qui le filent ensuite avec un simple fuseau sans rouet.

L'indigo croît naturellement dans plusieurs cantons du pays, et les Nègres en font usage pour teindre les pagnes ou leurs étoffes de coton. Ils leur donnent une couleur fort vive; mais l'art de teindre n'est pas aussi cultivé parmi eux qu'en Amérique. Barbot dit que l'indigo croît en Afrique sur un arbuste que les Portugais ont nommé finto, dont la hauteur est d'environ trois pieds.

Les îles du Sénégal et les cantons voisins produisent quantité d'excellent tabac. Cette plante pourrait être fort avantageusement perfectionnée, si les Nègres avaient assez d'industrie pour la cultiver et pour la travailler un peu après l'avoir recueillie. Moore observe que sur la Gambie les Nègres plantent le tabac près de leurs maisons; qu'ils le sèment aussitôt qu'ils ont fait la moisson du grain; que celui qui croît près des rivières est très-fort, et qu'à peu de distance des mêmes lieux il est beaucoup plus faible.

Dans les pays du Sénégal croît le sanara. Les terres humides sont celles qui conviennent à cet arbre. Il est généralement de la hauteur et de la grosseur du poirier. Ses feuilles ressemblent à celles du laurier-rose. Le bois en est dur, et d'autant plus propre à la construction des vaisseaux et des barques, qu'il acquiert une nouvelle dureté dans l'eau; mais les Nègres ne souffrent pas volontiers qu'on abatte ces arbres, parce que les abeilles aiment à s'y réfugier, et qu'ils en tirent beaucoup de miel et de cire.

On trouve sur toutes les côtes occidentales de l'Afrique le calebassier d'herbe, cucurbita lagenaria, que les Nègres estiment, avec raison, parce qu'il leur fournit tous leurs vases. Cet arbre a communément trois ou quatre pieds de circonférence. Il y en a de différentes formes et de diverses grandeurs. L'écorce en est mince, et ne surpasse pas l'épaisseur d'un écu; mais elle est dure et coriace. Le bois est doux, et se polit facilement. Cet arbre porte des fleurs et des fruits deux fois l'année, ou plutôt il est constamment couvert de fruits et de fleurs. Lorsque la calebasse est mûre, on le reconnaît à sa tige, qui se flétrit et devient noire; alors on se hâte de la cueillir pour prévenir sa chute, qui ne manquerait pas de la briser. Les Nègres en font diverses sortes d'ustensiles. Il se trouve des calebasses assez grandes pour contenir vingt-quatre pintes. Leur manière de les préparer est de les percer à l'extrémité, pour y faire entrer de l'eau chaude qui amollit et dissout la chair intérieure. Ils la tirent ensuite avec un petit bâton, et, mêlant du sable avec leur eau, ils continuent de rincer et de nettoyer le dedans jusqu'à ce que les moindres fibres en soient sorties. Après cette opération, ils laissent sécher la calebasse, qui devient propre alors à contenir du vin et d'autres sortes de liqueurs, sans leur communiquer aucun mauvais goût. Pour couper une calebasse en deux, et s'en faire des bassins ou des plats, ils la serrent par le milieu avec une corde, immédiatement après l'avoir cueillie. La coque est alors si molle, qu'elle se divise aisément.

Le tamarinier croît dans toutes les parties occidentales de l'Afrique. Ceux qui se trouvent au sud du Sénégal sont d'une hauteur extraordinaire; mais communément cet arbre n'est pas plus haut que le noyer, quoiqu'il soit beaucoup plus touffu. C'est la chair et la graine séparées de la peau extérieure de son fruit, et broyées en consistance, qu'on transporte en Europe, et qui sont employées dans la médecine. En Afrique, les Nègres en font une liqueur avec de l'eau, du sucre et du miel. Ils en composent aussi des confections qu'ils conservent pour apaiser leur soif.

Le kahouer est une espèce de prunier qui ressemble beaucoup au cerisier. L'ape, ou l'arbre aux singes, est assez grand. Il croît sur le bord des rivières: c'est sur ses branches que le koubolos, ou martin-pêcheur, fait son nid. Le bischalo est un bois dur et bon pour la charpente. Il croît sur les rives de la Gambie. Son tronc est droit, et son feuillage donne beaucoup d'ombre. C'est sous ces arbres que les Nègres prennent le plaisir de la conversation et de la danse. Près du lac de Cayor il croît une multitude d'ébéniers qui donnent de l'ébène de la plus belle espèce. On en trouve aussi à Donaï et dans d'autres cantons du Sénégal.

Les environs de Fatatenda produisent le pao de sangre, d'où l'on tire le sang-de-dragon. Les habitans l'appellent komo. Il a si peu de hauteur et de grosseur, qu'on en trouve peu d'où l'on puisse tirer une planche de quatorze ou quinze pouces de largeur. Il rend une odeur agréable lorsqu'il est nouvellement coupé. Son bois est dur, d'un beau grain, et prend un fort beau poli. On en fait des écritoires et des ouvrages de marqueterie dont la vermine n'approche jamais. Les habitans s'en servent pour composer leur balafo, instrument de musique dont on a donné la description. Cet arbre aime un terroir sec, pierreux, et surtout le sommet des montagnes.

Les bords de la Gambie et les cantons voisins produisent une abondance extraordinaire de courbarils, arbre gros et touffu, qui sert en Amérique à plusieurs usages, mais fort négligé par les Nègres. Chaque fruit a trois on quatre noyaux de la grosseur et de la forme d'une amande commune, durs et d'un rouge foncé, remplis d'une noix dont le goût est à peu près le même que celui de la noisette, mais un peu plus aigre. Les enfans nègres les aiment passionnément, et les Européens leur trouvent beaucoup de ressemblance avec le goût du pain d'épice, auquel ils ressemblent aussi par la couleur. De l'écorce de l'arbre on fait des tabatières, des boîtes à poudre, etc. Le tronc jette une gomme claire et transparente qui ne se dissout point aisément, et qui jette au feu une odeur aromatique peu différente de l'encens. Les Anglais nomme cet arbre locust tree.

Le fromager ou polou croît dans plusieurs cantons, particulièrement sur la rivière de Cachao et dans les îles de Bissaoots, où les habitans le plantent autour de leurs maisons. C'est un arbre fort haut et fort gros. Quand ses feuilles tombent, on voit succéder une cosse verte de la forme et de la grosseur d'un œuf de poule, mais un peu plus pointue par les deux bouts. Elle contient un duvet ou une sorte de coton qui n'est pas plus tôt mûre qu'elle crève avec quelque bruit; et le coton serait emporté aussitôt par le moindre vent, s'il n'était recueilli avec beaucoup de soin. Il est couleur de perle, extrêmement fin, doux et luisant, plus court que le coton commun, mais aisé à filer, et très-propre à faire de fort beaux bas.

Le savonnier est de la grosseur d'un noyer, et ressemble à l'arbre qui porte le même nom en Amérique; aussi est-il de la même espèce. Les Nègres écrasent le fruit entre deux pierres pour en tirer le noyau, et font usage de la chair pour en laver leur linge. Elle mousse et nettoie fort bien; mais elle use le linge beaucoup plus vite que le savon. Le mischéry n'a guère plus de vingt pieds de hauteur; son tronc est fort gros. On estime d'autant plus les planches de ce bois, que les vers ne s'y mettent jamais. Le mischéry est fort commun sur les bords du Rio-Grande.

Le figuier sauvage de l'Afrique est de vingt ou vingt-deux pieds de hauteur: ses branches s'étendent au loin, et produisent beaucoup de feuilles. On en voyait un à Albreda, sur la Gambie qui n'avait pas moins de trente pieds de circonférence. Le fruit en est insipide. Le bois de cet arbre n'est pas propre à brûler, ni même à faire des planches, parce qu'il est fort dur; mais, comme il est fort blanc et fort uni, on ne laisse pas de l'employer pour les lambris. Par la même raison, les Nègres en font des plats, des écuelles, des assiettes et des cuillères; d'autant plus que, lorsqu'on le travaille vert, il n'est pas sujet à se fendre. Les habitans prennent plaisir à s'assembler sous son feuillage, pour y tenir leurs caldées ou leurs assemblées.

Toute la côte produit des orangers et des citronniers. À James-Fort, sur la Gambie, les Anglais en recueillent soigneusement le fruit, et n'en manquent jamais pour leur punch. Les orangers prospèrent surtout dans l'île de Bissao. Brue en vit un dans la cour du palais du roi, d'une si prodigieuse grandeur, qu'il couvrait la cour toute entière. Les citronniers des bords du Casa-Mansa portent un fruit d'une espèce singulière, rond, plein de jus, l'écorce de l'épaisseur du parchemin, et communément sans aucune sorte de pépins.

Sur le bord des rivières, on trouve un arbuste qui a la feuille rude, et qu'on ne peut toucher sans que toute la touffe des feuilles ne se retire et ne se resserre par une espèce de sympathie: il porte une sorte de fleur jaune, semblable à nos roses de haies. Cet arbuste est nommé sensitive par les Européens.

Le quamiay est un arbre grand et touffu, dont le bois est fort dur. Les Nègres des environs du cap Vert en font des mortiers pour piler le riz et le maïs, parce qu'il n'est pas sujet à se fendre. L'écorce est employée dans la médecine.

L'encens se trouve dans les pays au sud d'Arguin et au nord du Sénégal; ses branches, qui sont en grand nombre, sont menues et flexibles, couvertes d'une peau mince et serrée. Les feuilles sont longues et étroites; elles croissent en couple, et ne perdent jamais leur verdure. La tige qui le soutient est rouge et forte. Elles sont molles et épaisses; si on les broie dans la main, elles rendent un suc huileux, d'une odeur aromatique et d'un effet astringent.

Dans le pays du cap Vert, on voit communément un petit arbrisseau qui porte un fruit semblable à l'abricot, de la grosseur de la noix et d'un goût fort agréable. Les Nègres l'appellent mandananza; il passe pour malsain. Ses feuilles ressemblent à celles de l'if, et sont d'un vert léger.

Barbot nomme quantité d'arbres qui se trouvent aux environs de Sierra-Leone. Le bissy est ordinairement haut de dix-huit ou vingt pieds. Son écorce est d'un rouge brunâtre et sert à la teinture de la laine. Les Nègres l'emploient aussi à faire des canots. Le katy est un grand arbre dont le bois est fort dur, et sert à faire des canots qui sont à l'épreuve des vers. Ses feuilles et son écorce sont médicinales. Le billagoh, plus grand encore que le katy, communique aussi à ses feuilles une vertu purgative. Le bossy est un arbre doux au tact, qui porte une prune longue et jaune, d'un goût fort amer, mais très-saine. Les Nègres emploient l'écorce à faire des cendres pour leurs lessives. Le bonde est un arbre gros et touffu, de sept ou huit brasses de tour. L'écorce en est épineuse et le bois fort doux. On s'en sert pour la construction des canots; et de sa cendre, mêlée avec de l'huile de palmier, on fait du savon. Le millé est gros et coriace; c'est le bois que les Nègres emploient pour leurs conjurations. Le dombock produit un fruit qui ressemble aux cormes, et dont les Nègres mangent beaucoup. L'écorce, trempée dans de l'eau, cause le vomissement. Le bois est rouge et sert à la construction des pirogues. Le kolack est un grand arbre qui porte une espèce de prune fort bonne à manger. L'écorce en est purgative. Le duy est fort touffu. Son fruit ressemble à la pomme, et plaît beaucoup aux Nègres. Ils s'en servent en infusion comme d'un cordial et d'un restaurant.

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