← Retour

Amitié amoureuse

16px
100%

CLXXV

Philippe à Denise.

Mardi, 7 février.

L'amour est dans l'ordre moral un mal comparable aux maux physiques; vous injuriez en moi le médecin qui vous fait souffrir ayant l'espoir de vous sauver. O ma chère, chère Denise, pauvre torturée, écoutez encore ma voix dont la douceur finira par vous calmer; l'amour éclate rarement tout à coup, il vient lentement, progresse, dévaste l'âme à l'apogée de sa puissance. Si l'on n'en meurt pas, il décroît, nous laisse convalescents, puis guéris. Guéris? non; je ne suis pas bien sûr que le cœur ne reste à jamais infirme, à jamais brisé.

Ainsi en a-t-il été pour moi.

Tous, nous savons cela; tous, nous voulons aimer, pourtant, parce que c'est un état merveilleux de vivre dans ce remuement d'émotions fortes quand on est jeune, pour vivre de souvenirs quand arrive l'âge des réflexions fortes. Il faut donc vous laisser souffrir avec philosophie et ne pas maudire cette souffrance puisqu'elle est inévitable et que la race entière des humains la supporte; c'est le destin de l'homme d'aimer pour souffrir ou de souffrir pour aimer.

Mais puisque le mal passe, les guéris ne sont pas coupables de préserver ceux qu'ils aiment de succomber, et par suite de s'amoindrir; car troquer l'infortune du rêve contre l'infortune réelle, vivre dans le mensonge, le désenchantement de l'acte commis, sans compter la désagrégation morale qu'on met en soi et autour de soi, c'est la pire des souffrances.

Nous sommes des êtres de sentiment chétif; le roman que chacun de nous bâtit est si vite fini, le souffle qui l'anime si vite épuisé, qu'il vaut mieux ne pas le vivre et le garder à l'état de rêve.

Je vous semble bien raisonneur et bien raisonnable, ma Denise, et vous me le dites durement. Je voudrais simplement, mon amie, vous préserver d'un mal qui passe, d'une chute banale dont vous aurez à rougir—ne fût-ce que vis-à-vis de moi—d'une honte intime que toute la tendresse dont je pourrais vous envelopper ne vous empêchera pas de ressentir.

Il ne s'agit pas pour nous de tromper un mari; il s'agit de vous leurrer d'un amour que je n'éprouve pas; il s'agit de mentir à Hélène et—ceci vous semblera peut-être puéril—je ne pense pas sans un malaise au rôle de dupe que nous lui ferions jouer et à la gêne que vous auriez, sortant de mes bras, chaude encore de mes baisers, à baiser la chère pureté qu'elle est. Je sais que, du jour où je serai votre amant, ma vie se disjoindra de la vôtre en raison directe de ces mensonges et de ces hontes.

Il faut une grande fatuité à l'homme—et bien peu de vrai amour en somme—pour qu'il songe sans remords à posséder une honnête femme. Si je sentais mon moi sublime, capable d'une fidélité absolue ou si je vous aimais moins, peut-être ne résisterais-je pas à ce grand amour qui s'offre.

Vous m'avez jugé autrefois avoir «une intelligence mâle et froide, un cœur hésitant...» Oui, voilà ce que je suis, je sens vivement la vérité de votre antérieure divination...

Denise, Denise, comprenez ce qui se passe en moi; par pitié pour vous, pour Hélène, réfléchissez avant que cette vulgaire et irréparable chose soit entre nous.

Ce rôle un peu ridicule assumé par moi de me refuser à votre tendresse, il me coûte; mais faire de vous, de vous que je respecte, que j'aime; vous ma sœur, la compagne, l'amie entre toutes choisie, sentant en elle les plus hautes vertus et l'honneur, la loyauté d'un homme, faire de vous ce que j'ai fait des autres!...

Denise, chère âme fine, cher esprit d'élite, ayez conscience de la probité qui me fait vous dire: N'aimez pas.

Je vous écris navré; je donnerais tout au monde, afin que dans un éclair de sagesse vous comprissiez ce que je vous dis.

Je vous dicte une loi de douleur; j'en suis malheureux. Mais c'est mon devoir, il me faut l'accomplir.

Ah! pauvre, pauvre délicate amie, comme je vous aime fort pour avoir le courage de vous faire souffrir.

CLXXVI

Denise à Philippe.

8 février.

Oh! ces lettres, ces lettres! froides, raisonneuses, prévoyantes de tout le mal, de toute la honte, de tous les désenchantements de l'amour... Je les hais... et je vous aime plus fort, plus cruellement que jamais.

Vous avez beau jeter du mépris sur ma tendresse qui s'offre, j'en suis orgueilleuse ainsi qu'une martyre est orgueilleuse de sa foi.

Avez-vous donc vu des fleurs s'arrêter de s'épanouir et fermer leurs corolles afin de retenir l'exhalaison parfumée de leur âme de fleurs? Aussi involontairement je vous aime.

Ah! vous n'avez jamais aimé pour oser flétrir ainsi l'amour. Je ne sais quoi m'emporte vers vous, malgré tout, si puissamment! Je n'ai même pas la pudeur de ne plus vous dire: «Je vous aime!» et c'est en vous adorant à genoux que je vous le murmure, mon bien-aimé.

Il y a dans ma tendresse des nuances divines; refusez-moi les folles heures d'extase, mais prenez de mon âme son adoration et vivez indifférent dans l'enveloppement de cet amour. Il n'y a pas dans ma passion que cette violence qui me donne le vertige et me fait frissonner, il y a toutes les tendresses fécondes et douces en savantes trouvailles pour le bonheur de l'aimé.

Ah! aimez-moi! aimez-moi! ce cri je le jette, douloureux, vers vous qui ne m'aimez pas. Philippe, mon bien-aimé, donnez-moi la vie d'amour... je l'implore à vos pieds, défaillante.

CLXXVII

Philippe à Denise.

9 février.

Mon amie, vos plaintifs accents, vos tendresses passionnées me touchent profondément. Ces cris s'exhalant de votre corps enivré, ces intimes convulsions de votre cœur, emplissent le mien de curiosité, de désir, d'amour. Je me suis fait plus sceptique et plus fort que je ne suis. La passion n'a pas d'honnêteté, l'amour, pas de pudeur.

Eh bien, ne résistons plus; venez, je vous attends; vous êtes belle, je vous aime, j'ai pitié de votre souffrance. Venez, ma bien-aimée.

CLXXVIII

Denise à Philippe.

10 février.

Philippe, vous aviez raison, j'étais folle. Je voulais votre amour, un amour égal au mien, mais pas votre pitié.

Je ne suis pas guérie, mais je suis calme; la crise est passée. Je n'en mourrai pas s'il me reste votre amitié.

J'ai reçu votre dépêche à une heure. Je l'ai ouverte avec un tel désir d'y trouver ce que j'implorais que j'ai failli m'évanouir après l'avoir lue. Je me suis vite remise. Très calme, puisque l'avenir de mon amour dépendait de moi, j'ai préparé ma sortie.

A cinq heures, je suis montée en voiture; par prudence, j'ai donné au cocher le numéro de la maison d'en face la vôtre; arrivée là, je ne sais quelle étrange pudeur m'a prise, quelle faiblesse m'a empêchée de descendre tout de suite du fiacre; baissant la glace du devant j'ai dit au cocher: «C'est là, mais j'attends quelqu'un».—Il m'a répondu: «Bien, ma petite dame». Quelques minutes après il dormait sur son siège.

Ah oui! petite dame, je n'étais plus que cela: une pauvre chose étourdie de son action, peureuse, hésitante, troublée comme si elle avait commis un crime, tremblante, et bien, bien misérable.

L'heure passait dans cet affolement d'irrésolution, de désir, de honte... J'ai vu vos fenêtres s'éclairer, j'ai vu votre main soulever un rideau; puis les minutes passaient et j'avais la tête vide et je broyais dans ma main votre dépêche dont certains mots semblaient sortir, se dresser devant moi: Venez—ne résistons plus—ma chérie. Oui, seulement ceux-là, toujours les mêmes. Je pensai: il y en a d'autres... d'autres... m'obstinant à les retrouver... Je n'étais plus rien, rien qu'un mince paquet de chair, d'os, de muscles, comme mis là en tas, séparés les uns des autres, n'obéissant plus à l'esprit de volonté qui anime les corps; je n'aurais pu ni parler, ni marcher, ni penser. Je me suis dit à un moment: «Il pleut... le cocher dort... j'ai froid... l'heure?... il attend... il est là... j'irai... il attend...» Mais c'étaient mots dits au hasard, mots sans liens, involontaires, vides, sans pensée. Je ne vivais plus, j'étais paralysée.

Les lumières de la rue me semblaient des feux éblouissants. Je crois bien avoir entendu vaguement sonner six heures, puis sept, puis huit... Alors vous êtes apparu... vous vous êtes arrêté sous la porte cochère; vous boutonniez tranquillement vos gants; le sol brillant d'humidité, vous vous êtes baissé et avez relevé le bas de votre pantalon; j'ai vu des reflets de lumière luire sur vos souliers vernis; vous avez ajusté votre pardessus avec soin pour ne pas écraser les fleurs pâles passées à la boutonnière de votre habit, puis, les mains dans les poches, avec votre canne dressée le long de votre bras droit ainsi qu'un fusil, vous êtes parti d'un pas rythmé, allègre, avec une allure d'homme heureux, libre...

Alors, je me suis mise à pleurer si fort, secouée de si grands sanglots nerveux, que le cocher s'est réveillé. Il est descendu de son siège, a ouvert la portière et m'a consolée.

Quelle chose triste et grotesque que la vie!

Il m'appelait; «Ma petite dame...» de plus belle et disait: «Allez, j'en ai vu d'autres! des p'tites belles comme vous qui s'morfondaient... elles étaient aussi démâtées qu'vous... Y n'est pas v'nu?... Allez, marchez, ça passera.» Ça passera! il a dit ça comme vous...

Alors, j'ai ri aux éclats, prise de folie... c'était vraiment si drôle d'être consolée par ce gros cocher! J'ai tant ri, qu'il a eu peur; son effarement m'a calmée. Ne voulant pas revenir dans cet état chez moi, je lui ai dit: «Vous avez raison, mon brave homme, ça passera; mais j'ai besoin de me calmer, menez-moi au Bois.» Et, pour qu'il ne me crût pas tout à fait folle, j'ai ajouté: «Prenez ce louis, vous avez été poli et complaisant, il est juste que vous soyez récompensé. Je vous paierai les heures à part; allez.» Et nous voilà partis.

Ah! les douleurs, les drames qui se passent dans les fiacres! Les yeux qu'ils voient pleurer, les têtes qu'ils soutiennent, ballottantes sur leurs durs capitons! Quelle nomenclature bizarre, à la fois comique et lugubre on en pourrait faire...

Je crois bien qu'il était onze heures quand je suis rentrée chez moi. Miss May m'attendait; elle me dit tout de suite qu'Hélène s'était couchée désolée et qu'elle m'avait écrit. J'ai couru à ma chambre. Sur mon oreiller l'enveloppe rose se détachait avec cette inscription en grosses lettres d'une écriture bien appliquée: «A madame maman chérie».—J'ai ouvert et j'ai lu «Maman aimée, où êtes-vous? pourquoi donc tu n'as pas dit à ta petite où tu allais? J'ai dîné toute seule, bien triste, pourtant, il y avait des huîtres et de l'ananas; après j'ai pleuré, j'ai voulu aller voir chez grand'mère, mais miss May n'a pas voulu me conduire.»

«Alors j'ai bien pleuré, je pensais que vous étiez écrasée ou bien morte. Ah! maman Nisette comme j'ai peur! j'ai peur aussi que quelqu'un t'a pris, volée comme des méchants volent des petites filles, pourquoi ne viens-tu pas me consoler? Quand tu reviendras viens vite m'embrasser bien fort, que je me réveille pour n'être pas triste dans mon rêve. Je t'aime maman, ma maman chérie à moi toute seule.»

Pauvre ange! je l'avais oubliée pendant ces heures noires. J'ai été l'embrasser, elle s'est réveillée et m'a dit d'une voix défaillante: «Ah! c'est toi, toi; te revoilà!» Et puis s'est rendormie sous mes baisers, les bras serrés fort autour de mon cou. Alors, liée à elle ainsi je l'ai emportée dans mon lit; j'ai passé la nuit à pleurer, à lui demander pardon de mon égarement. Je murmurais en une litanie: «Mon enfant! mon enfant! mon enfant!» Sans pouvoir m'arrêter ni trouver autre chose, j'embrassais ses mains, ses bras, affamée d'elle, malheureuse de ce que je lui avais fait souffrir...

Ah! Philippe, comme votre souvenir était déjà loin dans ce court passé!...

Enfin, la douce chaleur de son petit corps, la quiétude de son paisible sommeil, m'ont calmée. J'ai dormi ainsi qu'une brute, rompue moralement et physiquement.

Voilà; maintenant c'est fini.

Je ne vous en veux pas, mais je suis encore si faible, si troublée que je ne sais pas si je suis complètement guérie. Je le suis, certes, de la crise où j'étais. Vous aviez raison, je le sens. Je vous pardonne le mal que m'a fait votre sagesse. Mais tous ces raisonnements, tous ces faits n'ont pu encore déraciner un si grand amour tant ses fibres entourent et tiennent fort mon pauvre cœur.

CLXXIX

Philippe à Denise.

11 février.

Que vous étiez touchante et jolie, pauvre mie, ce tantôt... toute courbaturée, toute alanguie, si noblement contusionnée à la lutte du devoir, avec vos beaux yeux cernés... j'aurais voulu pouvoir les baiser.

Vous avez eu un petit rire sceptique quand, à genoux à vos pieds et entourant votre taille de mon bras, j'ai tenu si longuement, si amoureusement votre main dans ma main. Ah! Nisette, chérie d'Hélène, si vous saviez comme j'aime votre droiture, votre martyre! mais ne riez plus ainsi; ce rire m'a fait mal. J'y ai senti un détachement ironique de moi et j'ai si peur d'avoir perdu votre tendresse dans cette rude crise... j'ai si peur de vous perdre, mon amie.

Je viendrai encore demain, n'est-ce pas? J'ai un besoin maladif, plein d'anxiété, de suivre de près cette convalescence...

CLXXX

Denise à Philippe.

12 février.

Venez si vous voulez. Ah! c'est un beau dressage en liberté, pas vrai? Vous m'amusez...

Vous dites: «Aimez-moi... là, très bien... pas tant... allons, un peu plus...»

J'ai une vague peur de ressembler à la pauvre grenouille implorant:

«Est-assez? dites-moi; n'y suis-je point encore?

»Nenni.—M'y voici donc?—Point du tout.—M'y voilà?

»Vous n'en approchez point»...

J'espère n'en pas crever ainsi qu'a fait la chétive pécore... encore n'en suis-je pas bien sûre.

Pour ce qui est de notre amitié, soyez rassuré: je ne sais pas ménager ce que je méprise, mais je ne vous méprise pas, je vous aime presque; je saurai donc rester l'amie que vous vous êtes rêvée.

CLXXXI

Philippe à Denise.

19 février.

Mon amie, vous nous inquiétez, Gérald et moi. Nous avons causé comme deux frères hier au soir en vous quittant. Ces syncopes fréquentes, survenues depuis trois jours, nous préoccupent. Nous avons décidé que, pour vous distraire sans fatigue, pour vous tirer de la prostration où vous êtes, il fallait partir pour le Midi.

Ne vous récriez pas; vos deux frères ont combiné ainsi le voyage: nous partons tous pour Cannes, madame de Nimerck, Gérald, tite-Lène, vous et moi—si vous me voulez—pour vous installer et demeurer quinze jours près de vous.

Gérald va vous avertir de ce projet en allant déjeuner ce matin avec vous; mais j'ai voulu qu'avant de l'entendre vous sachiez que votre ami inquiet, torturé, vous supplie à genoux de ne pas dire: non.

CLXXXII

Denise à Philippe.

Ce 19.

Faites de moi, tous les deux, ce que vous voudrez; je suis désemparée, lasse de vivre. Je voudrais dormir, dormir longtemps, dormir toujours, seule avec ma chère petite...

Le reste?... Je ne sais plus et ça m'est égal...

Terre, il est des vivants dont la vie est passée,
Tombeaux, vous n'avez pas tout le peuple des morts.

CLXXXIII

Denise à Philippe.

Les Ravenelles, Cannes. 8 mars.

Cette lettre va vous surprendre. Pourquoi vous écrire, puisque nous passons nos journées ensemble?

J'aurai la force d'écrire; je n'aurais pas celle de vous dire: «Éloignez-vous!»

Quand vous êtes auprès de moi, la douceur de votre présence m'alanguit, me rend lâche; mon ami, quittez-nous, rentrez à Paris, abandonnez-moi à ma solitude, au calme de ma vie entre Hélène et mère.

Attendre l'heure de votre arrivée au chalet, voir votre cher regard se poser sur moi, triste, inquiet; suivre de la fenêtre de ma chambre vos ébats dans le jardin avec tite-Lène, entendre, immobilisée sur ma chaise longue, votre voix mâle se mêler à la voix argentine de la mignonne, c'est encore fondre trop mes sensations aux vôtres; tout cela me met dans l'âme des troubles, des découragements atroces dont pourtant je vis. Ces choses charmantes, tendres, bizarres, cruelles aussi—qui sont notre amitié—font la joie et la douleur de votre amie. Laissez-moi tâcher de reconquérir le calme dans mes habitudes pensives...

Philippe, que ne vous ai-je aimé quand vous m'aimiez! la possession ne m'eût pas permis d'atteindre au délire d'amour où j'ai été, et vous ne seriez pas devenu l'âme de ma vie comme vous l'êtes... La réalité aurait tué l'exaltation du rêve, tandis que mon rêve demeure, en dépit de mes efforts pour l'anéantir.

La vertu ne m'est plus qu'une habitude sans joie, stérile à tout bonheur; la froideur de votre raison a brisé toute chaude émotion dans mon cœur; tout mon être fait silence. Je n'ai plus qu'une aspiration: l'oubli.

Partez, cher. Tant que vous êtes auprès de moi j'oublie mal.

CLXXXIV

Philippe à Denise.

Splendid Hôtel, Cannes, 8 mars.

Je trouve votre lettre en revenant de vous conduire tite-Lène; c'est donc pour cela que, lorsque j'ai demandé à monter vous saluer dans votre chambre, le domestique m'a dit: «Madame repose.»

Nous nous hâtions Hélène, miss May et moi, de revenir aux Ravenelles pour vous conter notre belle promenade et vous parer de nos fleurs; nous voulions admirer avec la «chérie» le coucher du soleil... J'étais fier aussi du rose pâle que notre marche dans la montagne avait mis aux joues de «la chérie de la chérie...»

Je suis triste de cette décision, mais elle est sage. Ce va m'être un déchirement de vous quitter encore si malade et si faible. Je me sens malheureux à cette idée; j'ai bien envie de ne pas venir dîner ce soir aux Ravenelles; je vous fais porter ce billet pendant que je passe mon habit: faites dire par le chasseur si vous voulez de moi; sinon, je dîne à l'hôtel.

CLXXXV

Denise à Philippe.

Les Ravenelles.

Venez, au contraire; mère ne comprendrait rien à cette abstention et s'en étonnerait.

Vous annoncerez ce soir même votre rappel à Paris, cela sera plausible... et puis, je suis un peu lâche et veux jouir des heures qui me restent à vous voir.

Mon Dieu, comme tite-Lène aussi vous aime!

CLXXXVI

Philippe à Denise.

Paris, ce mardi 14 mars.

Je suis arrivé avant-hier matin à Paris; la dépêche d'Hélène m'a fait plaisir; mon dimanche a été supportable, grâce à ce mieux signalé dans votre état.

Cette promesse de ne plus nous écrire, j'ai essayé de la tenir en envoyant des dépêches à madame de Nimerck; mais le laconisme des siennes me désespère; pour me les faire supporter si courtes, il faudrait qu'elles fussent signées de vous. Ce Denise, je l'aime syllabe par syllabe, lettre par lettre, jusque dans sa forme. Ce nom seul me serait un calmant, une détente dans mes inquiétudes.

Donc, je romps le traité—c'est le sort habituel des traités d'être rompus, d'ailleurs.—Je vous écrirai et serai bien heureux si vous voulez, si vous pouvez me répondre; si courtes que soient vos lettres, elles m'apporteront la manne dont j'ai besoin pour vivre calme loin de vous.

Je baise tendrement vos mains, mon amie.

CLXXXVII

Philippe à Denise.

15 mars.

Pas de dépêche hier ni aujourd'hui; qu'est-ce que cela veut dire? Je suis inquiet... Ah! je n'aurais pas dû partir.

J'ai beau penser que les apprêts pour la matinée d'enfants chez lady Lewsings sont la cause de ce silence, je ne vis pas.

Madame Trémors, madame d'Aulnet, que je vais voir le plus souvent possible pour avoir des nouvelles, n'ont rien reçu... Je viens de télégraphier longuement à Gérald; qu'est-ce qu'il fiche donc à Cannes qu'il n'écrit pas? Faites répondre à mes lettres par miss May, alors. Il me faut des nouvelles.

Je suis douloureusement tout entier à vous.

CLXXXVIII

Denise à Philippe.

Aux Ravenelles, 18 mars.

Gérald n'est plus auprès de nous; il rentre vers Paris en visitant Aigues-Mortes, Arles; il était parti quand est arrivée votre dépêche. Mais quelles que soient vos inquiétudes, quelle que soit votre souffrance, elle n'est rien auprès de la mienne...

O mon ami, passez-vous les nuits à pleurer votre rêve, à regretter la splendeur de votre tendresse méconnue, et à vous dire: je ne saurais plus être heureux?

Je suis toujours faible; mon sang, il me semble, n'alimente que mon cœur et mon cerveau et s'est retiré de ma chair. Je ne peux manger: j'avale avec une répulsion grandissante un peu de lait. Je deviens diaphane, et ces trois lignes écrites pour vous rassurer, dans un grand effort de volonté, m'ont une première fois épuisée jusqu'à l'évanouissement.

Je m'arrête, n'en pouvant plus. Adieu, Philippe.

CLXXXIX

Philippe à Denise.

20 mars.

Ma chérie, votre faiblesse m'inquiète; ce mot-là toujours répété dans les télégrammes, m'angoisse.

Pauvre petite! cette lettre qui vous a coûté un évanouissement, mes yeux ne s'en peuvent détacher.

Je vous en prie, ayez la volonté de réagir. Vous guérie, nous pourrons être si heureux! Toute ma tendresse pour vous, tout votre amour, ont cahoté un peu notre amitié; mais elle demeurera plus noble, plus belle, plus douce aussi... Ah! ayez la force de vivre!

Cette amitié représentera un grand effort d'honnêteté de ma part; de la vôtre une droiture sublime, rare à rencontrer. Les joies intimes qu'elle nous a déjà données, c'est un peu de bonheur, croyez-moi.

Adieu, mon amie. Je suis triste. Je ne sais plus si j'ai fait bien ou mal quand je songe à l'état affreux où vous êtes... par pitié, guérissez!

CXC

Denise à Philippe.

Les Ravenelles, 23 mars.

C'est peut-être me guérir que de ne plus savoir ce que sont mes regrets ni ce qu'ils regrettent; mes heures se traînent, mes grands désirs sont morts, j'en reste abattue et tremblante.

Mes jours, mes nuits sont singulièrement mélancoliques. Je cherche à suicider mes souvenirs. Ne me trouvez pas faible de ne pas vous cacher ces souffrances: j'ai le cœur plein de larmes.

Mais vous? pourquoi être triste? qu'avez-vous?

CXCI

Philippe à Denise.

26 mars.

J'ai votre tristesse, et c'est assez pour que j'y succombe. Je me sens criminel; j'en arrive à trouver ridicules, imbéciles, mes scrupules et notre honnêteté. Je vous aime bien plus que je ne croyais. Quelle force m'a animé et fait lutter contre cet amour?...

Vous êtes née pour aimer; rien ne vous sollicite dans la vie, hors l'amour; il vous a embellie, électrisée; maintenant, il vous tue.

Eh bien, aimons-nous. Je me sens pénétré, à mon insu, d'un tel orgueil d'être celui que vous avez choisi...

Nous avons, ma Denise, de belles heures à vivre, j'attendrai qu'elles sonnent pour vous, j'attendrai que les fleurs de cet amour éclosent encore une fois sous vos pas pour les cueillir. Je promets de vous guérir, ma bien-aimée, dans l'apaisement de mes baisers passionnés. Je viens, n'est-ce pas?

Yours for ever.

CXCII

Denise à Philippe.

Les Ravenelles, 29 mars.

Non, non; j'ai trop pensé, j'ai trop pleuré, j'ai trop souffert.

J'ai vécu longtemps avec délices dans l'incohérence de mes sensations; mais tant de secousses ont épuisé mon amour.

J'en arrive à ne plus savoir si je désire ou non que vous vous souveniez d'avoir été, par moi, immensément aimé.

Quels arriérés de tendresse inemployée je vous ai donnés pourtant! c'est une douleur de prendre, ainsi que je le fais, toute chose et tout sentiment à l'extrême... Mais maintenant c'est fini. Le rêve, resté rêve, s'efface lentement sans s'imprégner d'aucun souvenir, d'aucun frisson de réalité l'attachant à ma vie.

Ma fille m'a reprise tout entière. Je ne supporte avec joie ses tendresses qu'à la condition de valoir quelque chose. Ce quelque chose c'est la pureté de mon corps à défaut du calme de mon cœur.

Je ne pourrais, maintenant que j'ai réfléchi, vivre auprès de mon enfant dans le mensonge. Je l'ai senti d'une manière violente, cette nuit lointaine déjà qui m'a brisée et où j'ai tant souffert.

Mon ami j'aime Hélène plus que vous, plus que moi, plus que mon amour.

Ne venez pas. Allez, je guérirai... on ne meurt pas d'amour.

CXCIII

Philippe à Denise.

31 mars.

C'est bien. Cette lettre m'a fait peine. Ce n'est pas la pitié qui m'entraîne vers vous, Denise. Votre tendresse ardente m'a pénétré au point que, de toute mon âme je vous désire...

Mais je respecte la sagesse, la pudeur maternelle qui vous font m'écrire ce dernier, ce suprême renoncement.

Et je vous pleure, et je vous aime, et je vous bénis.

CXCIV

Denise à Philippe.

Les Ravenelles, 2 avril.

Moi aussi, je vous ai bien aimé; cet instant-là a contenu une éternité de souffrances et de joies...

Je vous offrais toutes les belles illusions gardées dans mon cœur, toute la force de ma jeune vie, les plus pures, les plus nobles aspirations de mon être...

Vous m'avez donné la déception. La force de mon amour était si grande que j'ai pu, sans révolte, sans rancune, sans haine, vous obéir quand vous m'avez ordonné le renoncement. Je vous aimais jusqu'à l'abnégation, jusqu'au sacrifice.

Me voilà armée pour aller désormais l'âme froide et libre. Cette armure est, après tout, un riche présent que vous m'avez fait. Nous sommes quittes: je vous l'ai payée de la souffrance causée par mon misérable amour.

CXCV

Philippe à Denise.

4 avril.

Votre ironie m'a fait mal. Je désire ardemment votre retour. J'ai peur de vous perdre. Cette lettre un peu cruelle est si loin de votre cœur! Il me semble qu'il y a des siècles que nous sommes séparés. Quand pourrez-vous revenir? Je ne m'habitue pas à vivre loin de vous.

Je baise vos mains dévotement.

CXCVI

Philippe à Denise.

4 avril.

Je vous écris ce deuxième mot du cercle où je viens de dîner avec Gérald; on est venu le chercher tout à l'heure de chez madame de Giraucourt; votre tante a eu une attaque. Gérald a couru chez elle, me chargeant de vous prévenir afin que vous prépariez madame votre mère à cette triste nouvelle.

J'espère que ce mot vous arrivera à temps; je le fais porter par le chasseur, au train rapide de huit heures quinze.

Je suis malheureux à la pensée de l'émoi qu'il va vous causer, vous si faible; c'est au moment même où je voudrais le plus grand calme pour vous, qu'arrive ce cruel accident. Madame de Nimerck aimait-elle tendrement sa sœur?

Ma pauvre Denise, quel chaos que nos vies!

CXCVII

Denise à Philippe.

Dépêche.—6 avril.

Avons reçu télégramme Gérald. Tante très mal, partons; mère désolée; serons Paris demain. Triste nouvelle m'a secouée; suis presque mieux et forte devant ce réel malheur.

LIVRE V

L'amour qui s'éteint tombe rapidement et rarement se ranime.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Quant au courage moral, si supérieur à l'autre, la fermeté d'une femme qui résiste à son amour est seulement la chose la plus admirable qui puisse exister sur la terre. Toutes les autres marques possibles de courage sont des bagatelles auprès d'une chose si fort contre nature et si pénible. Peut-être trouvent-elles des forces dans cette habitude des sacrifices que la pudeur fait contracter... les preuves de ce courage restent toujours secrètes... presque indivulgables.

. . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . . .

Le saut de Leucade était une belle image dans l'antiquité. En effet, le remède à l'amour est presque impossible. Il faut le danger qui rappelle fortement l'attention de l'homme au soin de sa propre conservation.

STENDHAL

CXCVIII

Denise à Philippe.

Paris, ce dimanche, 30 avril.

J'ai dit «oui», tout à l'heure, quand aux Acacias, au milieu de ces messieurs et de leurs pimpantes caillettes, vous organisiez le déjeuner chez Ledoyen; mais l'ouverture du Salon des Champs-Élysées, demain, se passera de moi. Pourquoi n'ai-je pas dit: «non», tout de suite? Vous savez la théorie? Non se discute, non se combat, et met les amis au désespoir. Oui, au contraire, s'accepte d'emblée, ne suscite aucun conflit, n'éveille pas les tolle obligeants de ceux qui veulent s'amuser et qui, par politesse excessive, prétendent ne le pouvoir sans vous.

Mon grand deuil s'accommoderait mal de cette partie fine, le crêpe n'étant guère de mode en cabinet particulier. Cette sortie mondaine pourrait choquer mère: trois semaines de recueillement sont à peine suffisantes au gré de son cœur pour que je reprenne une vie active. Elle aimait beaucoup sa sœur; c'était une seconde mère pour elle, à cause de leur différence d'âge.

Je ne dois pas oublier non plus, mon cher Philippe, que je dois à la secousse que m'a causée cette mort, d'avoir été tirée de mon propre chagrin. La douleur réelle qui nous frappait a éloigné la douleur imaginaire où volontairement et avec volupté se plongeait, s'engourdissait mon âme.

Perdre un être qu'on aime, m'est apparu la suprême souffrance. J'ai frémi à la pensée de la consomption où je me laissais aller pour un mal que je pouvais combattre, que j'oublierais, que j'avais déjà un peu oublié, en songeant qu'au lieu de ma tante, ma fille, ma mère, auraient pu m'être ainsi violemment arrachées. Voilà le seul, l'unique malheur qui puisse atteindre une vie; les autres ne sont rien.

Pour consoler maman de cette perte cruelle, j'ai repris ma santé. C'est donc en pieux souvenir et hommage à notre pauvre morte, plus encore que par peur de choquer le monde, que je m'abstiendrai demain.

N'allez pas conclure méchamment à un petit lâchage; jamais, mon ami, dans la solitude où me met mon deuil, je n'ai senti mieux le cher de notre amitié.

Je vous aime toujours, mais d'autre sorte; je vous aime avec le besoin de vous rendre heureux, c'est donc avec maternité—malgré vos ans de plus que moi—avec le désintéressement d'une vie sentimentale active: votre bonheur m'est nécessaire pour que j'en aie un. Je vous sens heureux d'être aimé ainsi; donc, malgré quelques vagues et fugitives peines secrètes, je suis heureuse.

Quel auteur a dit: «La douleur est le creuset où l'amour s'épure.»

CXCIX

Philippe à Denise.

1er mai.

Mon cher bonheur,

Vous êtes exquise et je vous aime. Je comprends ce scrupule et l'approuve. J'ai bêtement organisé ce déjeuner, je ne sais pourquoi. N'avez-vous pas éprouvé de ces choses? on entraîne les gens dans une partie de plaisir quelconque; on déploie une éloquence vertigineuse à combiner, à vaincre les obstacles, les hésitations de ceux-ci, de ceux-là; puis, quand tout est bien résolu, convenu, le rendez-vous pris, une réaction se fait; on s'appelle imbécile, on se reproche d'avoir mis en branle cette troupe qui va vous accaparer, vous assommer pendant des heures; les amis eux-mêmes sont au regret d'avoir promis; chacun nous envoyons les autres au diable, in-petto... ce qui n'empêche la foule, regardant passer les réunis malgré eux, sortes de forçats du plaisir, de murmurer: «C'est la bande des Luzy et autres, des fêtards!»

Lâchez-moi donc, je l'ai bien mérité; mais puisque je ne vous fais pas de scène, récompensez-moi en me recevant à dîner?

Sauf dépêche contre-ordre trouvée chez moi vers six heures et demie, au moment où je rentrerai passer mon habit, je viendrai.

Your loving friend.

CC

Philippe à Denise.

12 mai.

Ma chère amie,

Je ne sais trop ce que mademoiselle de Lespinasse va penser de moi; voilà deux fois que je l'oublie.

Voulez-vous être assez bonne pour me l'apporter ce soir chez les d'Aulnet?

Vers dix heures n'est-ce pas? J'aime vous voir entrer.

Tendrement à vous.

CCI

Denise à Philippe.

12 mai.

Votre dépêche m'est arrivée à deux heures; j'ai téléphoné au cercle, vous n'y étiez pas; j'envoie cette lettre chez vous, par un fiacre.

Faites-moi un plaisir, mon ami, venez prendre mademoiselle de Lespinasse avant de vous rendre chez ma belle-sœur. C'est le moins que vous puissiez faire pour la tendre fille après votre oublieux abandon. Encore qu'elle soit aimante et habituée au sacrifice, je crains qu'elle ne vous en veuille de tant de négligence...

Quittons ce ton badin et revenons à nos moutons: J'ai un mal de tête fou—non, sans plaisanter—je vous jure, je n'en puis plus; je n'irai donc pas chez Alice ce soir,—j'y rate mon entrée—gros bête, allez!

Depuis que je vous ai dit mon idée de composition, je suis en gestation; je porte dans mon pauvre petit cerveau une grosse pensée touffue, diffuse... elle me fait très souffrir; je crois qu'elle sort, je veux la noter... frrrr: elle s'enfuit. Ce sera en trois parties... j'accouche, j'accouche... Ah! c'est un mâle!... Fasse le ciel que c'en soit un.

En attendant, sans la plus petite blague mignonne, c'est un mal et très douloureux.

Il faut que je vous aime comme je vous aime, c'est-à-dire infiniment, pour vous permettre de venir, car tous les grands malaises sont horribles à voir. Mon front éclate, il ne supporte rien qui voile sa nudité... Vous connaissez mon âme, non mon front; je suis tout bonnement affreuse coiffée à la chinoise.

Cela, petite lueur, n'a entre nous aucune importance. J'ai l'intuition que vous aimez l'inachevé dans les sensations; nous en avons exploité beaucoup, nous n'irons jamais plus loin qu'où nous sommes. Donc, faisant abstraction de mon moi humain, de la médiocre, de la mince silhouette que je suis, je puis consentir à vous voir sans bandeaux; cela ne vous empêchera pas de vous écrier: «Je vous aime!» comme vous le faites précisément depuis que vous ne m'aimez plus. Cette gigantomachie (moi tout petit géant, vous dieu) que nous nous jouons m'intéresse, en somme... tout est faux dans notre manière d'être; il n'y a de vrai que ce qui, l'un après l'autre, nous a agités.

Ce tantôt pourtant, je ne sais si c'est ce rayon de soleil se jouant sur mon papier et dans lequel s'agite ma plume, ou le souvenir de trois doux mots dits par vous avant-hier soir, mais j'ai besoin de chanter à votre indifférence la tendresse, plaintive un peu, de mes vagues et éternels: je vous aime.

Ah! que du rien que vous me donnez je sais faire un peu de bonheur, pas vrai?

CCII

Philippe à Denise.

Lundi, 15 mai.

La nièce de madame Ravelles vient de mourir. Il est peu probable que nous soyons reçus chez elle, même intimement, mardi. Dans ces conditions que décidez-vous? Allons-nous quelque part ou faisons-nous un tranquille at home?

Yours most devotedly.

CCIII

Denise à Philippe.

Lundi, 15 mai.

Je choisis le tranquille at home. J'ai été gênée, l'autre jour, de rencontrer les Villeréal au Pavillon Henri IV. Bien qu'Hélène et miss May fussent avec nous, j'étais contrariée que ces gens nous surprissent en escapade. Et puis, où irions-nous? Nous finirions par afficher Saint-Germain et sa forêt en y retournant si souvent.

Mieux vaut le dîner dans le jardin d'hiver embaumé des fleurs de mai, et ensuite la causerie dans le petit salon.

CCIV

Denise à Philippe.

Mercredi, 17 mai.

Cette fois vous l'aurez la lettre écrite le lendemain de nos soirs, et que d'habitude je déchire sans vous l'envoyer. Tant pis si elle vous ennuie; au moins, après cette expérience vous ne les réclamerez plus. D'ailleurs vous avez dit: «A samedi»—mon excuse est là: je trouve cela long sans vous voir... Pouffez pas, mon ami chéri; ce n'est pas ma faute si j'ai le cœur tendre et si l'imbécile s'est attaché à vous; c'est un coup auquel je ne m'attendais pas; on ne saurait s'aviser de tout en ce monde misérable!

Notre amitié sans mensonges ni petites ruses, bien noble et bien droite est une chose rare dont je m'enorgueillis. Pourquoi cette intimité exquise n'a-t-elle pas suffi à ma vie? Je suis furieuse après monsieur mon cœur qui a eu des soifs folles, inattendues, qu'une telle intimité n'étanche pas. S'il est encore un peu alangui, c'est bien de votre faute: vous êtes le seul homme dans le tête-à-tête duquel je ne me sois jamais ennuyée.

D'où vient cela? pourquoi sont-ce parfois les improductifs qui donnent au plus haut point une sensation d'art et de suprême intellectualité? Ils sont la source où l'on s'abreuve; toute leur force rejaillit sur les autres. Cela explique les enthousiasmes pour des inconnus de la foule, insoupçonnés hors un cercle restreint d'hommes de valeur.

Vous êtes pour moi cette force, cet aliment utile à ma tête, à mon âme, à mon cœur et que, par faiblesse féminine, j'ai cru une minute indispensable à mon corps. Pourtant lorsque j'analyse par le menu les sentiments que j'ai eus pour vous, je me demande si tout cela était de l'amour? De ce que je souhaitais vous posséder tout entier et que nos vies ne se séparassent pour rien, unies dans les plus intimes choses, faut-il conclure: j'étais facile à entraîner au mal? Je me souviens de ces heures de scrupule, dans ce fiacre; je n'avais qu'à descendre... pourquoi ne suis-je pas descendue? Qu'avais-je donc peur de ne pas trouver en vous?

J'ai la vague crainte que ce soit justement parce que vous ne m'aimez pas que je vous aime, et cela me semble un sentiment si peu sain, entaché d'un tel décadentisme!... J'éprouve un peu de honte à le sentir en moi.

Hier, tite-Lène, jouant à cache-tampon avec vous, me dit: «Maman, Phillip triche; mettez-lui votre mouchoir en bandeau bien serré sur les yeux!» Je me suis levée et, passant derrière le petit canapé sur lequel vous étiez assis, j'ai voulu nouer mon mouchoir autour de votre tête; il était trop court et joignait à peine. Alors, la chérie s'écria: «Cachez-lui les yeux avec vos mains puisque le mouchoir ne va pas.» Vous avez eu une révolte pour rire, une comique exclamation: «C'est pas de jeu!» qui m'a fait oublier que j'allais vous toucher; vous vous êtes rebellé... mes mains errantes sur vos cheveux, sur votre front, ont immobilisé votre tête, elles se sont glissées jusqu'à vos yeux. Ils se sont clos sous mes doigts... j'ai senti l'impression de douceur de la chair fine de vos paupières; vos yeux palpitaient faiblement au léger contact de mes doigts... votre tête emprisonnée s'est renversée; vos lèvres closes avaient l'air de se tendre vers moi... J'ai regardé votre visage avec un calme dont j'ai été toute surprise; elles me semblent encore si près les heures où une telle chose m'eût fait défaillir!

Malgré l'air que j'en ai serais-je donc froide? à quel besoin de mon être répondez-vous? hélas! mon imagination, je crois, a fait toute l'autre besogne... Je n'ai pas senti, hier, ces furtives caresses me troubler comme lorsque l'on aime, par le contre-coup du plaisir qu'elles doivent causer.

Ce qui ressemble à de la passion, chez moi, ne serait-ce qu'un élan de l'esprit? et toutes les formules où nous réduit sans cérémonie cet insolent Champfort ont-elles tué les sentiments simples? A force de nier une chose vraie, finit-on par ne pouvoir y croire ni la ressentir? Répondez à tout cela, mon tendre ami.

L'état où je suis doit être celui des hommes que les douleurs, les soucis de la vie ont meurtris, et que les plus grandes preuves d'amour n'arrivent plus à faire croire à l'amour.

Sentez-vous ce que je veux dire et me comprendrez-vous si, malgré tous ces retournements de mes sensations, je vous dis pourtant: «Je vous aime?»

Bizarre chose que les relations humaines dans lesquelles les plus fins, les meilleurs sentiments sont souvent inexplicables et, ce qui est vrai, impossible. Comme Bettina d'Arnim je dis: «Ce que d'autres appellent extravagance est compréhensible pour moi et fait partie d'un savoir intérieur que je ne puis exprimer.»

Une pensée que je vais formuler sans la crainte que vous ne soyez de mon avis c'est que: pour n'être pas amants nous n'en demeurons pas moins d'étonnants amis.

Quelle douleur de n'avoir pas eu pour me consoler et m'affermir au moment où j'ai tant souffert, la vanité de cette douleur! Mon bon sens fait fi de la poésie du mal moral comme mon bon goût en fait mystère.

Nous serons, décidément, un couple bizarre à l'intimité duquel le monde insultera dans d'aimables et faciles plaisanteries; nous aimant sans nous aimer, mélange curieux et extravagant d'expansion, de retenue; influencés malgré nous par la morale étroite du monde; transformant en habitudes correctes, froides, ce que dans un élan naturel les vrais sentiments, les vraies attirances ont de plus involontaire.

Tout cela n'est peut-être rien d'autre aussi qu'une douloureuse pauvreté d'âme et de sens, une moitié de misère morale, une moitié de misère physique, marchant de front dans la vie pratique que les événements nous forcent de mener? Je commence à croire que je traîne en moi une immense tristesse animée.

CCV

Philippe à Denise.

Jeudi 18 mai.

Quelle bouffonnerie, la vie! tandis que vous ne sentiez rien d'attirant vers moi dans ce jeu de vos mains sur mon visage, moi, ému de la tête aux pieds, j'ai dû comprimer un élan plein de griserie subite, inexpliquable...

Ah! si cette toute petite chose se fût produite il y a trois mois, ah! petite silhouette, ah! quel amant déplorable vous auriez acquis, bon gré, mal gré.

Ma chère, nous nous serions consolés vous et moi, en formulant dans le genre de l'autre: «Ce ne sont pas toujours les fautes qui nous perdent, c'est la manière de se conduire après les avoir faites.» Nous aurions tâché honnêtement de faire de notre après quelque chose de sublime, et les inévitables saturations ne nous eussent point saisis, parce que entre un sphinx fantasque comme vous et un animal hésitant, biscornu, traversé de désirs comme moi, l'amour eût été une fantaisie perpétuelle dont nous ne nous serions jamais avisés de nous lasser. Regrettez-vous, Silhouette chérie? Moi, je commence.

CCVI

Denise à Philippe.

19 mai.

Blagueur, allez! et dire que c'est précisément l'animal féroce que vous êtes que j'aime en vous... mais quelle aberration, ô mon empereur! quelle triste clownerie, ô mes aïeux!

J'espère, petite lueur, que vous avez reçu le mot de mère vous invitant à dîner demain, triste dîner d'adieu de Gérald. Il part sans rémission après-demain et s'embarquera dans quelques jours.

Pourquoi n'avez-vous pas répondu à la madre, malhonnête? Nous accompagnons toutes les trois le fils, le frère, l'oncle chéri, jusqu'à Cherbourg.

Ne manquez pas ce dîner représentant l'adieu général.

CCVII

Philippe à Denise.

19 mai.

J'ai répondu oui, madame, et viendrai, certes. Je suis très encharibotté d'ennuis gros. Si j'allais aussi faire la conduite à Gerald? Madame de Nimerck acceptera-t-elle ce nouveau voyageur? Miss May, la rigoriste charmante, ne trouvera-t-elle pas que: «jé souise encombrante, vraiment une insioupportèble little monkey». Je promets de ne plus la singer, de ne plus l'appeler, miss turtle-dove, d'être grave comme un pasteur anglican, sage et aussi peu encombrant qu'un swan-cap. Tout cela me sera d'ailleurs facile parce que je serai très triste de me séparer du cher Gérald.

Friendly shake hands.

CCVIII

Denise à Philippe.

2 juin.

Je voudrais que des tendresses,—celles que j'ignore et que vous aimeriez,—tombassent du bout de ma plume à chaque goutte d'encre qui s'en échappe, pour vous remercier des tristes et délicieux huit jours passés.—Pauvre Gérald, il vous aime aussi!—Je voudrais que les rêves ne fussent pas des rêves. Je voudrais savoir vivre sans qu'un cœur batte contre le mien...

Mais, sans vous figurer que tout ceci soit une chose qui doive vous préoccuper, comment voulez-vous que j'arrive à la sagesse, étant donné vous et moi?

Je me croyais guérie; hélas! la moindre joie venue de vous a un tel retentissement en mon cœur... j'en ai des extases de pensée.

Si je pouvais vous communiquer ce que je sens, vous seriez heureux, mon cher grand; car, en cela, vous m'êtes inférieur; vous êtes l'usufruitier, moi le possesseur; vous goûtez le bonheur d'une amitié comme la nôtre; seule, j'ai le secret de ce bonheur; il est en moi, je l'engendre.

Or, ainsi que tous les créateurs, je puis prodiguer le bien dont la source est en moi. Je vous l'offre; prenez-le, animez-vous de ma force aimante, fût-ce pour d'autres; mais donnez à jamais à votre amie le pouvoir de fournir votre âme de cette tendresse spéciale qui a demeuré entre nous pendant ce court voyage.

Ce que je suis, ce que je serai après cela? heureuse à la façon d'un poisson au milieu d'une prairie; mais trouvez-moi toujours très droite et très bonne, c'est la seule ambition de votre Denise.

CCIX

Philippe à Denise.

15 juin.

Vous avez été un peu méchante aux courses pour votre ami; votre cher dernier petit billet ne me faisait pas prévoir cette nouvelle attitude... Vous m'avez très spirituellement blagué; les autres riaient; j'aurais bien ri de bon cœur comme eux, si, au fond de tout cela, je ne sentais vaguement que vous m'en voulez. Ne dites pas non, je le vois, j'en suis sûr. Vous avez des manières de clore à demi les yeux en me regardant, une façon de sourire, de vous taire, qui me font bien souffrir.

Croyez-le, ma chérie, je sais parfaitement la bêtise que j'ai faite en résistant à l'élan de votre cœur; mais croyez aussi que je vous aime trop pour rien regretter. Hier, toute la soirée, vous avez écouté avec une complaisance marquée les déclarations de ce grand viveur de Chevrignies. Ne niez pas que c'en fussent: je l'ai senti dans vos yeux qui me narguaient, dans votre sourire fixe de sphinx heureux de prendre une revanche, d'imposer une petite vengeance, le tout dégusté goulûment. Germaine elle-même s'en est aperçue et m'a jeté un: «Vous n'êtes donc plus une lueur suffisante?»

Parbleu, il m'est surabondamment prouvé que vous êtes une femme exquise, une désirable maîtresse; je m'étonne seulement de votre obstination à ne pas comprendre le pourquoi infiniment supérieur qui m'a retenu.

Laissez-moi donc vous mettre en garde contre Chevrignies et consorts; il vous a trop suivie aux expositions, aux Acacias, ailleurs. On commence à murmurer un peu partout qu'il est amoureux de vous. C'est un affichant. En ami sincère je vous crie: «Casse-cou.» Du reste, je pourrais aussi vous le crier à propos de Bernard.

CCX

Denise à Philippe.

16 juin.

Eh! là-bas, l'ami très sincère, avez-vous pas bientôt fini de me crosser? Pour qui qu'vous m'prenez donc? Je me fiche de Chevrignies, de Bernard, des autres; ils ont de l'esprit (de temps en temps), ils sont amusants, ils sont drôles, ils me distraient, un point, c'est tout.

En voilà un état, de marquer les coups et de me signaler les pavillons des barques qui s'avancent!

Est-ce que vous croyez que c'est pour vous rendre jaloux que?... Gros bête, allez! Ne sais-je pas bien que mon honneur et le vôtre sont un fonds commun?

«Va! je t'ai pardonné...» Ça se chante à l'Opéra... ça se chante aussi tout bas dans le cœur de votre mie, mon Philippe. Seulement, dame! de temps en temps un peu d'étourdissement m'est encore nécessaire; ces messieurs sont mes eaux. C'est une petite cure morale pour mener à bien, sans rechute, la grande guérison. Chevrignies m'amuse plus que les autres parce que, ma parole, il a l'air de se prendre au sérieux.

Venez me voir ce soir, grand jaloux, je vous ferai rire en vous contant que Germaine, l'autre jour, comme il me tournait des phrases suaves, s'est écriée: «Dites donc, Chevrignies, ne vous y trompez pas avec son grand deuil et son crêpe: elle n'est pas veuve, vous savez... Mon pauvre ami, c'est seulement sa tante qu'elle pleure!» J'ai pouffé; lui, non. Depuis, ayant senti qu'il avait échoué dans ses déclarations légères, il a tout à coup changé de tactique et timidement, de peur d'être pris au mot, je crois, balbutié des paroles vagues sur le divorce.

Pauvre tante de Giraucourt! Son joli héritage est bien sûr pour quelque petite chose dans ce balbutiement... on le dit un peu à la côte, le beau Chevrignies?

Adieu, vieux pion. Je vous aime; mais plus gaiement, j'en conviens... mettons: genre opérette.

CCXI

Denise à Philippe.

18 juin.

Pourquoi avez-vous eu cet air, quand je vous ai dit hier: je ne vous aime plus?

Certainement je ne vous aime plus. J'en mourais; m'étant avisée de m'arrêter d'en mourir, la plus simple des logiques m'a amenée à conclure ceci: Vous avez été pour moi une espèce de maladie d'imagination. J'avais, latent, le besoin d'aimer; je vous ai choisi; vous vous êtes récusé avec toutes sortes de raisons qui m'ont paru très mesquines au moment psychologique, je les juge maintenant très sages; il ne faut pas m'en vouloir de votre sagesse, voyons?

Je ris de tout cela depuis que je me gouverne, mais je puis me vanter d'avoir connu, en ce temps-là, toutes les profondeurs de la souffrance. J'ai passé de terribles heures; elles me semblent inouïes, inexplicables. Vous ai-je donc aimé si follement? J'étais ridicule, insensée. Ce moi-là n'existe plus; a-t-il jamais été moi?

C'est bien ça la passion: de grands élans, de grands mots, de grands cris passant en ouragan et... qu'on oublie.

L'orage a tout emporté dans la tourmente. Je suis une amie toute neuve, propre et nette, vertueuse et calme, prête à dire: «Pauvres femmes!» aux douloureuses égarées, sans me souvenir que je souffris comme elles et fus aussi folle que les plus folles.

Et quand je pense que sans votre belle résistance,—elle l'a été, mon cher Joseph, ne vous fâchez pas si madame Putiphar ose l'avouer!—j'aurais pu m'imaginer et croire qu'avant moi vous n'aviez jamais aimé, que j'étais la grande première de votre vie d'amour... car vous m'auriez bercée de tous ces cantiques et, si absurdes qu'ils eussent pu être, je m'en serais persuadée, j'aurais cru en eux, naïve, et... j'aurais été heureuse d'y croire.

Voilà l'amour: c'est une aberration, c'est une chimère; mais, mais, mais... ce doit être tout de même bien bon de le connaître et c'est parfois un peu triste de se dire: «les lauriers sont coupés!»

CCXII

Philippe à Denise.

19 juin.

Il faut me pardonner, ma chère amie, si j'insiste, si j'ai l'air jaloux, si je veille sur vous avec le souci d'un époux; mais vous allez si vite dans cette guérison que je n'y comprends plus rien.

Je connais la vie, je suis un jeune vieillard de trente-six ans se méfiant un peu de soi et des autres; Chevrignies vous aime: il devient discret et vous a de ces phrases révélatrices si on l'interroge:

«—Hein? Quoi? Madame Trémors? un siècle que je ne l'ai vue.»—Alors que vous venez de me dire:—«Chevrignies sort d'ici.»

Madame Nisette, les lauriers sont coupés mais on peut les ramasser, et Michel Chevrignies ne demanderait pas mieux que de se dévouer à cette besogne.

Vous êtes une passionnée qu'anime et brûle une flamme dévorante pour vous, vivifiante pour les autres... Prenez garde.

CCXIII

Denise à Philippe.

19 juin.

Mon petit Philippe vous m'ennuyez; prenez garde aussi: si vous continuez, vous finirez par me blesser. Parce que je ne renais pas à votre gré avec une sage lenteur, cela vous cause vraiment trop de souci. Si je me console de vous avoir aimé en songeant qu'on peut gagner le ciel par l'amour, c'est, sur la terre, une assez maigre consolation, je ne vous le cache pas! Où voyez-vous si grand mal a ce que j'enjolive mon existence par une distraction de coquetterie non recherchée mais prise parce qu'elle s'offre? et si peu prise, au fond! plutôt tolérée, vous le savez bien.

Voulez-vous que je vous dise? Eh bien, je vous aime; il faut me pardonner et me plaindre d'en être encore là; notre vie n'est qu'une succession d'inconséquences, ne le prouvai-je pas bien? Se trouver toujours d'accord avec soi-même est une chose impossible; le moi d'aujourd'hui n'est pas le moi d'hier ni celui de demain, et le vôtre, qui m'aimait, courait les champs quand il vint au mien l'idée de l'accueillir. Ah! ne me reprochez pas l'existence un peu mondaine que je me crée; je la recherche pour me distraire de mon amour; je fais du bruit pour m'étourdir et ne pas entendre les derniers spasmes de mon cœur. Tout me semble bon pour arriver à cette complète guérison. Jusqu'ici je frôle le bonheur des autres sans m'en faire un propre; je suis une âme douloureuse et gaie, je succombe et renais sans cesse, je suis sage et déraisonnable, j'ai des croyances ferventes et des déceptions folles; je souffre toujours et par tout: art, amitié, maternité, amour, rien ne m'est un sentiment modéré; trois femmes pourraient vivre du surplus de vibrations que dégage la force de mon imagination. J'emploie une patience surhumaine à me modérer, à refouler mon existence débordante, et vous ne savez pas quels efforts représente mon au point.

Vous allez dire, mon chaste et sportique ami: elle est folle... Bah! qu'importe! Des fous? j'en connais d'autres que moi, par le monde, que l'on ne songe pas à enfermer et qui sont pourtant fous au plus haut degré; la seule différence entre eux et les emprisonnés, c'est qu'ils divaguent et déraisonnent sur des points divers et nombreux. Ils ne se croient pas seulement rois ou présidents d'une république, mais génies, dieux, tables, cuvettes.

Philippe, acceptez ma guérison comme elle se présente; le point important est que je sois guérie. Je sens déjà en moi un grand mieux. Prenez-moi comme je suis, sans méchante humeur.

Il est des jours où mon esprit est grave et semble engourdi de pensées douloureuses latentes; vous m'aimez ces jours-là... d'autres, où il est gai; je m'aime ces jours-là... les jours où il est dominé par l'âme, les jours où il est sous la dépendance du corps jeune, en somme, et qui tient à cette misérable vie. Aujourd'hui est un jour d'influence corps; aussi je vous pardonne votre lettre. Les jours de l'âme, elle m'eût fait pleurer. Vous avoir tant aimé et être si mal connue de vous! Aujourd'hui j'ai reçu des fleurs comme en reçoivent, seules, les courtisanes—et des vers d'amour pas mal troussés, ma foi; je marque plein beau. Je ne veux pas songer: «que la pensée de ceux qui nous aiment le mieux succombe indéfiniment».

Adio, caro mio.

CCXIV

Philippe à Denise.

24 juin.

Vous avez été délicieuse pour moi à ce dîner d'Armenonville et pendant cette mélancolique ballade à travers la fête de Neuilly. Il y a des jours où l'on sent votre cœur, votre esprit, brûler comme une torche superbe. Cette lueur d'incendie arrive à animer, à pénétrer certains de ceux qui vous approchent et vous aiment; ce rayonnement leur venant de vous, vous les fait distinguer. Méfiez-vous; c'est le reflet de la flamme émanant de vous qui les illumine; ne prenez pas l'ombre pour la proie.

CCXV

Denise à Philippe.

25 juin.

Mais qu'est-ce que vous avez? Vous voilà positivement jaloux? C'est une faiblesse de votre part; je la dédaigne un peu. Quoi: vous, prenable à cela? il y a dans ce mouvement de votre âme, pareil et commun à tant d'autres hommes, une vulgarité affligeante.

Allez, cher, Chevrignies n'est pas à craindre, ni aucun autre, du reste. De l'intérêt, de la vanité, beaucoup de forme, un peu de désir, voilà à quoi se réduit l'amour moderne, le vôtre, le leur, et ce n'est pas celui-là qui soulèvera les montagnes. Ne parlons plus jamais de ces choses; j'aime mieux vous dire: je vous écris du petit salon Louis XV, le jour baisse, tout est silencieux, immobile autour de moi. Seule, une rose en se mourant laisse tomber ses pétales; elle s'effeuille dans le fin vase de Venise... cette agonie d'une fleur met une faible sensation de vie, de mouvement muet dans la chambre... cela est suave, lent, moelleux... j'en ai le cœur impressionné. Quelle délicate mort que celle des fleurs!

CCXVI

Denise à Philippe.

28 juin.

En attendant le départ pour Royat, je travaille à force. Pourquoi venir si peu avenue Montaigne? Vous aurez, demain, quatre jours d'invisibilité sur la conscience; est-ce une conduite?

Germaine sort d'ici; elle m'a dit vous avoir eu à dîner hier. Paul, après le repas, voulait venir passer la soirée avec moi; vous avez refusé de sortir. C'est pas très gentil, vous savez?

CCXVII

Philippe à Denise.

29 juin.

C'est votre faute, ma chère, si vous ne m'avez pas vu; j'arrivais chez vous avant-hier et vis Chevrignies s'engouffrer sous la porte cochère. Arriver bon second, non; alors je vous ai laissé Chevrignies et suis retourné bêtement au cercle où j'ai pris une de ces culottes... ça m'a un peu consolé, étant donné le proverbe.

CCXVIII

Denise à Philippe.

29 juin.

Eh! l'homme aux rubans verts, vous êtes insupportable. En voilà un genre?

Mon cher héros parfaitement élevé, vous persécutez avec une politesse et une habileté rares une pauvre femme, pourquoi? parce qu'elle vous a aimé? c'est touchant!

Vous êtes comme celui de la légende italienne à qui on criait: «Aime, animal, et que cela finisse!» et qui répondait en se grattant l'oreille perplexement: «Povero! Vorrei e non vorrei[5]

Je vous ai envié à toutes et n'ai point été jalouse; imitez-moi.

Pour Chevrignies, ne m'en cassez plus le tympan; que n'êtes-vous entré l'autre jour! Nous nous expliquions; il est sorti de chez moi, j'en suis sûre, en déplorant: «l'aveuglement de la malheureuse qui renonce au bonheur de le posséder». Voilà où nous en sommes, mon prince Grognon!

CCXIX

Philippe à Denise.

30 juin.

Moquez-vous de moi tant qu'il vous plaira; l'homme aux rubans verts n'était point un sot, sa seule erreur fut de s'attacher à Célimène. Vous n'êtes pas si banalement coquette, mais bien autrement tourmentante.

Voulez-vous savoir ce qui m'agite et me navre? c'est l'insouciance avec laquelle vous traitez cette affaire Chevrignies quand je vous en parle, et le sérieux et le grave dont il s'entoure, lui. Il a quitté la Manon chargée d'agrémenter sa vie. La liquidation s'est faite avec accompagnement de larmes de la part de la pauvrette; les cocottes, quand elles se croient une peine de cœur en mènent grand tapage; c'est ainsi que personne n'ignore cette rupture.

Vous ne m'ôterez pas de l'idée que Michel Chevrignies songe à prendre dans votre vie une place prépondérante. J'en suis prescient; les événements ultérieurs me donneront raison, vous verrez. Votre esprit peut s'habituer à la pensée d'un divorce... Je perdrais alors une amie chère, une amitié introuvable.

Michel me bat froid; il sent mes prérogatives; une inimitié sourde, inconsciente, grandit entre lui et moi, bien que nous fassions tout pour nous maintenir dans la cordialité de nos rapports d'autrefois.

Comment voulez-vous que, songeant à ces choses, je sois calme et indifférent?

Mon amie, si je vous perds, je suis désemparé, perdu.

Je vous baise les mains de toute mon âme.

CCXX

Denise à Philippe.

1er juillet.

Quel enfant vous êtes; ne vous souvenez-vous pas de mes théories subversives sur le divorce? Ne voulez-vous pas comprendre surtout que ce grand élan d'amour par lequel j'ai passé, qui m'a portée des jours et des nuits sur les ailes du rêve dans un idéal de pensées de joie, m'a laissée bien sceptique, bien meurtrie, lorsque j'ai repris terre?

Allez, je pourrais, comme l'amoureuse Iroquoise, dire à Chevrignies: «L'ami que j'ai devant les yeux m'empêche de te voir.»

Tout ce petit remuement de diplomatie de Michel Chevrignies, s'il existe, et que vous vous plaisez à voir à la loupe pour vous faire l'illusion d'un tremblement de terre, m'émeut juste autant que de lire dans les échos mondains des journaux: «Grande réception chez madame de Z... On a soupé par petites tables.» Oh! ces petites tables! oh! ce Michel! oh! vous, attachant encore de l'importance à ça!

Je vis en moi et de moins en moins dans le monde, ayant pris dans mon amour l'habitude du recueillement. Je rêve loin, bien loin des vilenies de la vie, heureuse seulement de sentir la main d'Hélène toujours blottie dans la mienne, et vous, et mère, et Gérald, dans mon air, cette atmosphère de spéciale, de latente et constante tendresse dans laquelle j'aime vivre. Qu'importent les distractions cueillies au dehors? Il ne faut pas me singulariser trop en vivant solitaire; Hélène grandit; je conserve pour elle ma place dans le monde. Encore suis-je si peu mondaine!

Il faut être vous pour arriver à me faire des algarades comme en contiennent vos lettres.

Allons, prince Grognon, venez ce soir passer deux heures avec votre amie. Elle vous chantera un Lied tout frais composé et pas trop mauvais. Songez que vers le 12 nous partons chez les Danans. Profitez de ce court temps qui me reste, avant d'être des mois séparés, et voyons-nous beaucoup.

Yours Denise.

CCXXI

Philippe à Denise.

1er juillet.

Impossible ce soir, mon amie; j'ai promis ma soirée. Voulez-vous que je vienne dîner demain? Envoyez-moi un gros oui sur un petit bleu.

Adieu, chère sagesse.

CCXXII

Denise à Philippe.

2 juillet.

Mon cher Philippe, voici une lettre pour vous bien prouver que votre amie vous est à jamais acquise; les choses ambiantes ne peuvent rien, désormais, contre vous et moi.

Hier, à cinq heures, Alice me téléphone; son mari avait pris une loge pour lui faire entendre Yvette Guilbert; elle m'y offrait une place. J'accepte, ma belle-mère emmenant, de son côté, Suzanne et tite-Lène au cirque, et vous m'ayant télégraphié que vous ne pouviez venir. Nous étions installés à nos places depuis dix minutes, lorsque Chevrignies vint nous saluer; mon beau-frère, au cercle, lui avait dit qu'il nous emmenait entendre la divette. J'accueille froidement Chevrignies; mais la douce Alice, créée et mise au monde pour ne rien comprendre et ne rien voir, lui offre un siège et le prie de rester. Je commence à croire qu'il est amoureux, car malgré mon froid accueil et bien que, pendant le simulacre de discret combat entre lui et Alice, je m'obstine à lorgner dans la salle, il accepte la place et reste.

Or, à peine était-il installé que, toujours lorgnant, je suis attentivement l'emplissage d'une loge en face de nous et dis à Alice: «Voilà des danseurs à votre fille: Bernard, Maurice de Laurois; une jolie femme avec eux et...»

Et vous, mon cher, cher grand... J'avais devant moi la soirée promise.

Ah! mon ami, maintenant, je suis sûre de vous aimer purement, saintement. A peine ai-je senti un cœur un peu battant, une petite secousse, un frisson, puis, plus rien.

Alors, sans quitter une minute votre loge des yeux et sans avoir l'air d'y regarder pourtant, j'ai suivi tous vos mouvements, tous.

Comme vous l'avez bien installée, cette petite; quel soin de son manteau, de ses gants,—vous les avez tirés de votre poche.—Quel remuement de son fauteuil pour qu'elle voie bien la scène, et comme vous étiez assis près d'elle, tout près, si près...

Philippe, accordez-moi cela; je n'ai affecté dans ma tenue, ni dédain, ni curiosité; j'ai été froide avec Chevrignies, nullement coquette, j'ai peu parlé, peu vu le spectacle, mais combien j'ai pensé!

J'ai été—le loin passé, mon Dieu!—un instant bête et malade; j'ai désiré vous voir apporter dans ma vie un complément qui lui a manqué; je vous ai aimé en vue d'une joie que je voulais me créer, où il fallait votre individualité pour qu'elle fût complète. Maintenant je suis guérie et sage; je ne vous aime plus pour moi; ce n'est plus mon désir que je caresse en vous; j'ai cessé d'être égoïste, je suis devenue calme; vous ne me représentez plus une réciprocité cherchée... Philippe, je vous aime parce que vous êtes le réceptacle de choses bonnes, tendre, sûres, douces, éternellement accessibles. J'ai en vous une foi irréductible.

Je vous remercie de l'air malheureux, gêné, que vous avez eu en nous découvrant dans la salle; il venait de la crainte de me faire du chagrin, pas vrai? Non, je n'en ai pas eu, presque pas eu, et j'ai compris pourquoi vous ne m'avez pas aimée: cette femme est blonde comme Ève, blonde comme Vénus, comme Marie-Magdeleine, comme toutes les grandes amoureuses, comme toutes les aimées...

Voyez, cher vieux pion, à quoi peut tenir l'honneur d'une femme: à une nuance de cheveux! ô fragilité... le pâle petit pruneau que je suis ne vous en veut pas; il pense seulement un peu triste: ainsi s'envole l'amour...

Votre

DENISE.

P.-S.—Il y a toujours une face grotesque aux choses humaines; avez-vous remarqué la tête de Michel lorsqu'il vous regardait? Votre jolie blondine en riait même, je crois. Chevrignies avait l'air furieux et enchanté; quel mélange! par quelle bizarrerie furieux, puisqu'il pouvait penser que j'allais recevoir une désillusion en plein cœur?

Je ne sais pourquoi son air et son allure m'ont horripilée et fait presque le haïr. Je n'aime pas les gens qui prennent ainsi pour eux, sans y être autorisés, une part d'un émoi qu'ils n'ont même pas le droit de soupçonner. Au reste, je le lui ai fait un peu méchamment sentir.

Et puis, me croiriez-vous aussi bête? Quand à un entr'acte il est sorti de notre loge et vous de la vôtre, j'ai imaginé je ne sais quoi d'idiot, d'absurde, et mon cœur s'est serré. Ah! ces cœurs de femme tout pleins d'imaginations, quels ennemis d'elles-mêmes! Avez-vous entendu le concert, vous? Moi, pas un son ni un mot. Ils auraient tous pu parler japonais sans que je m'en aperçusse. Douce joie mondaine! Sainte Yvette, pardonnez-moi!

Je vous attends impatiemment ce soir. Il est dix heures du matin, l'heure du dîner me paraît devoir venir dans un siècle.

CCXXIII

Denise à Philippe.

3 juillet.

Mon grand,

Pourquoi avoir eu, toute la soirée, hier, cet air préoccupé? Que vous arrive-t-il encore? Hélène l'a remarqué comme moi; elle m'a dit: «Maman, les yeux de Philippe étaient pleins de larmes quand vous avez eu fini de chanter l'Adieu de Schubert...» Nous étions si heureux tous les trois ensemble... par quels papillons noirs vous êtes-vous laissé envahir?

Ne manquez pas le dîner du dimanche, demain chez mère. Nous y fêtons l'anniversaire de la naissance de tite-Lène. Sa joie serait incomplète si vous ne veniez pas.

CCXXIV

Denise à Philippe.

Dimanche 4 juillet.

Mon ami, je suis bien émue... je lis dans le journal qu'une rencontre à l'épée a eu lieu hier matin samedi entre deux clubmen connus MM. M. Ch. et P. de L. et qu'après la deuxième reprise M. de L., a été touché à l'avant-bras, ce qui a mis fin au duel.

C'est vous, c'est vous! Ah! mon Philippe, voilà donc la raison de votre air préoccupé? Je suis bouleversée; ma première pensée a été de courir chez vous; mais j'ai eu peur de m'y rencontrer avec votre blonde amie; alors, je me résous à vous faire porter cette lettre par mon vieux François. Ah! permettez-lui d'entrer auprès de vous pour qu'il me dise qu'il vous a vu et comment vous êtes.

Avez-vous quelqu'un pour vous soigner? Voulez-vous que je vienne? Je suis folle d'inquiétude. Ah! mon grand, mon cher, cher grand... quand je pense qu'il pouvait vous tuer!... Mais pourquoi ce duel?

Tenez, je pleure comme une bête!

CCXXV

Philippe à Denise.

Dimanche.

Ma chère amie,

Je dicte cette lettre à mon frère; ma blessure est douloureuse mais peu grave; j'ai le dessus de l'avant-bras balafré et percé en séton. Le docteur ne paraît pas inquiet; je suis un peu fiévreux; mon bras est engourdi et me semble lourd; par prudence on me fait garder le lit aujourd'hui.

François m'a vu; ce brave garçon m'a serré la main (la gauche), avec une émotion qui m'a gagné. Je vous enverrai mon frère ce soir, chez madame de Nimerck, il vous donnera plus de détails.

Adieu, je vous aime de tout mon cœur; j'embrasse avec tendresse ma petite Hélène; j'espère que les fleurs et les épingles de perles fines lui auront fait plaisir.

PHILIPPE.

P.-S.—Le secrétaire se permet, chère madame, de vous saluer ici respectueusement et de tout son cœur en attendant ce soir.

JACQUES DE LUZY.

CCXXVI

Denise à Philippe.

Lundi 5.

Votre frère m'a tout raconté, hors le pourquoi de ce duel et je n'ai pas osé l'interroger... Ma seule inquiétude d'ailleurs c'était, c'est vous. Vivre seul avec un domestique lorsqu'on est blessé, ce n'est pas vivre. Je me morfonds à l'idée qu'il m'est interdit d'aller vous voir; j'enrage contre les conventions mondaines qui n'empêchent pas la réalisation du mal et interdisent la manifestation du bien. J'aurais tant de plaisir à vous rendre des soins capables de vous distraire!

Laissez-vous toujours voir par François; il bourre ses yeux de souvenirs qui nous intéressent, même nous amusent, Hélène et moi. Il dépeint l'emmaillotement de la gouttière soutenant le bras... nous voilà émues. Il saute de là pour dire: «Il y a sur la cheminée le portrait de notre petite mademoiselle à côté d'un petit chien qu'on dirait en sucre verni et peint.»—Mon Hélène, joyeuse, s'écrie: «C'est mon beau petit chien en saxe que j'ai donné à mon grand toutou de Phillip, quand j'étais petite(!) et il l'a encore? bon Phil! il ne l'a pas encore cassé en jouant avec...» Et, devenant sérieuse et grave: «Vois-tu François, il m'a promis de garder son portrait toute sa vie:»—François, ahuri, ne comprend plus rien, les adjectifs de tite-Lène s'accordant, dans la conversation, comme ils peuvent.

Adieu, cher malade; nous pensons à vous, trop.

CCXXVII

Philippe à Denise.

8 juillet.

Il mio fratello me prête encore sa main, ma chère amie. Je vois que François, en vous rendant quotidiennement compte de mon état, est d'une grande discrétion malgré tous les détails qu'il vous donne. Ce serait mal à moi d'abuser de votre pitié au moins en ce qui concerne mon abandon; j'aime mieux m'en fier à votre indulgence et à votre discrétion et vous avouer que depuis dimanche soir, me voyant privé de l'usage de mon bras, j'ai été pris de l'ennui de rester dans la solitude et j'ai gardé la blonde petite qui m'offrait ses mains blanches pour me soigner. Je suis entouré de sympathie... ne me plaignez donc pas trop. Vous vous imaginez bien, en effet, que si les choses ne s'étaient pas passées ainsi j'aurais eu recours à vous et prié votre dévouement de s'asseoir à mon chevet; mais cela n'aurait pas été aussi sage, quoiqu'il n'y eût pas eu là de quoi alarmer M. Béranger lui-même, que notre histoire réconforterait plutôt.

C'est pour moi le regret de l'hospitalité que j'ai offerte, de ne pouvoir vous convier à venir...

J'espère bien, du reste, être vite remis; on doit me permettre de sortir jeudi prochain. J'irai vous voir; on me rendra d'ici là mon bras moins impotent avec des bandages plus menus.

Adieu, mon amie; je vous remercie de vos lettres et je profite des privilèges que donne la maladie pour vous embrasser très tendrement vous et Hélène.

CCXXVIII

Denise à Philippe.

Vendredi 9 juillet.

Mon cœur s'est une dernière fois un peu convulsé... C'était l'agonie finale, ne vous en attristez pas outre mesure. Je m'aheurtais à une pensée, à un sentiment qui doivent mourir; ils sont morts... que leur souvenir vous soit léger!

Si vous devez sortir le 15, je ne vous verrai donc pas avant notre départ pour Royat? c'est triste. Il n'y a pas moyen de reculer ce voyage—croyez que j'y ai bien pensé—pour ces raisons: Marie-Anne Danans nous a invitées, Hélène et moi, non à Royat, mais dans sa terre de Fontana, proche de Royat. Elle nous attend sans faute le 13, date fixée antérieurement entre nous; mère, ma belle-mère, s'expliqueraient mal le retard que j'apporterais à partir, d'autant que mesdames Trémors, d'Aulnet et miss Suzanne, doivent voyager avec nous et qu'un compartiment est retenu.

Non seulement aussi, la terrible chaleur qu'il fait explique qu'on ne veuille pas traîner à Paris mais, de plus, Chevrignies à dû tenir au cercle de vagues et absurdes propos que s'est empressé de redire, dans la famille, mon imbécile de beau-frère. Voici la scène qui s'est passée hier chez Alice et dont l'ironie m'a frappée: Aprilopoulos, avec naïveté, nous raconte que Chevrignies est parti pour Bade le surlendemain du duel.

—Du reste, vous devez le savoir aussi bien que moi, mesdames, il n'a pu s'en aller sans prendre congé de vous; n'était-il pas dans votre loge le soir de la provocation?

MOI.—Ah! c'est au concert que ces messieurs?...

APRILO.—Mais oui; il paraît que Luzy console une amie de Michel; elle était en face de lui avec son nouveau protecteur. Michel, énervé de les voir là, a quitté un moment votre loge; Philippe, voyant cela, n'aurait pas dû sortir de la sienne dans les conditions où il se trouvait, si rapide successeur de Chevrignies. C'est alors qu'ils se rencontrèrent dans le couloir; ils échangèrent des propos blessants; le lendemain, Luzy envoyait des témoins à Chevrignies et vous savez le reste. Quelle sotte aventure! pour une petite dame... c'est tout un roman.

SUZANNE.—Oh! le vrai roman n'est pas seulement là; le vrai roman, mon cher, c'est autre chose...

ALICE.—Suzanne, tu devrais les ignorer ces choses; je regrette, monsieur Aprilopoulos, que vous ayez parlé devant ma fille...

SUZANNE.—Maman, je vous en prie, ne soyez pas si correcte; j'ai vingt-quatre ans, je ne suis pas une enfant. L'âge de ne pas ignorer ces choses, à moins d'être une sotte, est venu pour moi.

Alice a répliqué je ne sais quoi à sa fille, sans la faire taire d'ailleurs. La discussion a bifurqué; je ne me suis pas avisée de la remettre sur le chemin du duel; j'étais troublée un peu, ayant encore eu là une belle occasion de ne pas annihiler mes inquiètes palpitations.

Étant donnés ces événements, je ne puis pas rester à Paris et y attendre votre convalescence; ce serait sujet à interprétation malveillante, et puisque vous avez fait de moi une honnête femme, encore est-il d'une certaine utilité que je paraisse telle au public... Ah! quel mal on a à garder une chère amitié fervente!

Ma belle-mère, ma sœur Alice, Suzanne, descendent à Royat chez Servan, au Grand-Hôtel. Pourquoi n'y viendriez-vous pas en convalescence? C'est à deux pas de Fontana. J'irai chaque matin faire mon traitement et plonger tite-Lène dans la piscine; nous nous rencontrerions. L'après-midi vous monteriez chez les Danans, vous psychologueriez avec le beau Paul. Enfin, voyez à arranger cela...

Je ris, songeant à ces combinaisons proposées, si lointaines de vos propres combinaisons, peut-être? Ah! pauvre moi!

CCXXIX

Philippe à Denise.

11 juillet.

Mon amie,

Avant votre départ, je veux vous envoyer un mot; pardonnez cette écriture difforme; je me suis souvenu avec joie tout à l'heure que, dans mon enfance, j'étais gaucher et, bien qu'assez stupidement on ne m'ait pas appris à me servir de mes deux mains, vous bénéficierez de quelques beaux restes d'instinct.

Je ne me suis battu, ma chérie, ni pour vous, ni pour elle, voilà la vraie vérité. Je me suis battu égoïstement pour moi, parce que ce monsieur m'agaçait. Je m'en suis aperçu tout à coup, et ça m'a fait du bien de détendre mes nerfs dans l'échange de ce coup d'épée.

Voilà une psychologie à cent lieues de celle de l'aimable effleurée Suzanne; elle la surprendrait bien.

Ce duel s'est dressé inopinément entre nous; il a surgi sans raison. Ce n'en est pas une que de succéder à un ami de cercle, dans la vie de ces demoiselles; nous nous les repassons ainsi, plus ou moins; Michel avait là une part d'actionnaire que j'ai rachetée temporairement, et c'est tout. La funeste imagination des âmes sensibles découvre, dans ce simple fait, trop de choses qui n'y sont pas.

Si j'ai, par nonchalance, laissé croire à cette charmante horizontale qu'elle valait quelques gouttes de mon sang, c'est galanterie pure. La pauvrette s'en est fait honneur. J'ai eu la charité de lui laisser ses illusions. Dans ce monde-là elles croient que ça les pose, un duel...

Mais vous, mon amie, il faut que vous sachiez la vérité; elle est tout entière dans ce que je vous ai dit: je me suis battu pour moi.

Ne me demandez pas de vous analyser ce sentiment plein d'égotisme en somme. Mon pococurantisme s'est secoué une seconde; Michel était sous ma main; avant qu'il ait eu le temps de s'ébrouer il avait reçu l'algarade. Et voilà.

J'irai vous voir non à Royat, mais à Nimerck. Sachez tout: j'ai promis d'emmener en Suisse la jeune femme en question; la vue de mon sang pur lui a fait rêver la neige des glaciers.

J'espère vaguement qu'elle me sera soufflée là-bas par un riche touriste anglais; elle a le tête-à-tête un peu lourd et je suis habitué à plus de finesse de compréhension à mon ordinaire. Au travers d'elle, Chevrignies me poursuit et m'embête encore.

La rupture me sera facile; elle s'annonce déjà bien, la mignonne m'ayant dit ce matin—à propos de bottes—: «Eh bien, vrai! et moi qui t'croyais plus riche que Che-che... en voilà une histoire!»—Pardonnez l'horreur de cette citation, mais elle me paraît, dans la forme et le fond, devoir éclairer d'un jour tout nouveau pour vous l'état d'âme où nous sommes, l'ange du mal et moi. Che-che, vous savez, c'est Chevrignies.

Adieu; prenez des forces à vos eaux, ma chère brune aimée; ma main gauche est rompue; adieu encore... Écrivez-moi et attendez sans impatience mes réponses, maintenant que vous savez ce qui s'est passé, ce qui se passe au fond de mon cœur; les intermédiaires entre vous et moi m'assomment, et puis je ne sais pas dicter.

Adieu; baisers à Hélène et à vos mains pâles, mon cher bonheur.

CCXXX

Denise à Philippe.

13 juillet.

Adieu à vous aussi. Mère part dans peu de jours pour Nimerck; si votre cure d'amour est finie avant ma cure d'eau, elle vous y recevra et vous m'y attendrez. Adieu. Hélène vous rend vos baisers.

Miss May prépare, en vraie Anglaise, et sur ma table qui bouge, les douze colis qu'elle tient à emporter à la main.

Adieu. Dear child, I love you.—Ah! vous n'êtes plus que cela: mon cher, cher enfant!

CCXXXI

Denise à Philippe.

15 juillet.

Nous avons fait un bon voyage, moi tourmentée de vous et un peu triste, Hélène, heureuse de traverser des pays nouveaux; miss May ravie d'être en miouvemente; Marie-Anne était venue au-devant de nous à la gare de Clermont-Ferrand. Nous avons abandonné là nos compagnes de route et sommes parties immédiatement pour Fontana.

Le château des Danans est une grande maison Louis XVI Auvergnat, sans finesse, mais avec de belles lignes simples. Le parc est superbe; à plat d'un côté, en terrasse de l'autre, avec une dégringolade d'arbres centenaires sur un versant de colline jusqu'à un ravin au bas duquel coule un fou petit cours d'eau: la Tiretaine. A l'horizon, à gauche, le puy de Dôme; à droite, Royat, sa vieille église, les ruines de son château, et, tout au loin, les plaines immenses de la Limagne avec Clermont posé sur une petite montagne plate, sa cathédrale dominant tout et mise au milieu des maisons sur ce monticule comme sur un tabouret. Le lettré grand seigneur Paul Danans a été charmant pour nous; il s'est extasié sur la beauté de ma fille, ce qui me flatte toujours.

Il m'a conduite lui-même à ma chambre et m'a dit: «C'était celle qu'habitait notre chère Magda.» J'ai eu un frisson. Magda Leprince-Mirbel était une grande amie de Marie-Anne et la maîtresse du beau Philippe Montmaur qu'elle aima follement.

La vie est triste, mon ami; me voilà assise à la table où cette femme supérieure, entrevue dans le monde par moi alors qu'elle s'apprêtait à en sortir si tragiquement, et que j'y promenais triomphante mes jeunes débuts, venait s'accouder et penser, et écrire à son amant. Pauvre ombre de grande amoureuse, si vous errez par la chambre, que vous devez sourire de la fugitive flamme qui m'a un si court instant embrasée, puis s'est éteinte...

Cher grand, ne sentez-vous pas ainsi que moi? J'ai souvent l'impression que le temps nous presse de vivre: il groupe et hâte les événements de nos vies, comme s'il avait souci de nous tirer du charme tentateur déversé par les situations latentes. Cette coïncidence de notre rencontre au concert, ce duel, ces nouvelles explications entre nous, cette nouvelle séparation, voilà encore une étape franchie par notre amitié; nous voilà proches du dénouement, bien près d'avoir conquis le calme dans lequel nous vivrons désormais, après tous ces ressauts de nos cœurs. Nous avons épuisé toutes les sensations que comporte l'amitié amoureuse. Jouissons de ce repos et vivons décidément en honnêteté, en douceur, en beauté, tout comme les héros d'Ibsen.

Adieu; le premier coup de cloche du dîner sonne; il faut m'habiller. Marie-Anne m'a conseillé, si je veux séduire son mari, d'attacher quelque importance à cette toilette: «Montre un peu la peau blanche de ton cou Paul adore tant se croire à Londres.» Elle souriait, détachée de ces choses, elle, mais indulgente... Vous êtes nonchalant... il est Londonnien... «Chacun il a son faute...» comme déclare miss May dans son imagé jargon soi-disant français.

DENISE.

P.-S.—Je rouvre ma lettre avant de m'endormir. Donnez-moi de vos nouvelles; ce soir, après dîner, nous avons parlé de vous. Danans m'a inquiétée; je lui disais la nature de votre blessure, il s'est écrié: «Et on l'a tenu à la chambre si longtemps pour cela? Allons, ceux qui nous suivent sont décidément un peu douillets».

Vous ne l'êtes pas, je le sais... alors la folle du logis fait chevaucher de tristes rêves; vite un mot à votre princesse Extrême.

CCXXXII

Philippe à Denise.

Mercredi 16 juillet.

Je réponds en hâte à votre lettre: calmez vos inquiétudes, amie aimée; je vais très bien; mais j'ai eu une complication à ma blessure deux jours après le duel. Je ne vous en avais rien dit afin de ne pas vous tourmenter; vous pourrez donner ces détails au grand romancier, s'il vous reparle de moi, pour qu'il me traite mieux: l'épée de Chevrignies m'a traversé la peau de la face interne de l'avant-bras et m'y a fait une plaie en séton de quelques centimètres; on m'a pansé, et, par prudence, j'ai gardé le bras en écharpe deux jours; on me donnait des bains locaux phéniqués; par horreur de cette odeur je n'aurais osé sortir ni me présenter chez personne. Le second jour, des frissons m'ont pris, tout le bras était douloureux et j'avais de la fièvre; Félizet a trouvé de la rougeur, du gonflement à la partie blessée; il a fallu débrider la plaie dans toute la profondeur, attouchement peu agréable. C'est cette recrudescence de mal que je vous ai cachée et qui m'a forcé de garder la chambre, le bras maintenu dans l'immobilité par une gouttière.

Voilà, ma chérie, toute l'histoire; notre grand chirurgien d'ami pourra vous la confirmer; voilà pourquoi je n'ai pas été vous baiser la main avant votre départ, voilà pourquoi Danans a tort de m'appeler douillet.

Cela me gêne bien de vous écrire de la main gauche: patientez pour mes réponses et écrivez-moi, vous, tout ce que vous faites et dites.

Baisers à Hélène, souvenirs aux Danans. Je suis triste. Soyez-moi tendre.

CCXXXIII

Denise à Philippe.

17 juillet.

Et je n'ai rien deviné; et je n'ai pas senti que vous étiez plus malade: j'ai cru ce qu'on me disait, nul pressentiment ne m'a troublée... Vous êtes cruel de m'avoir laissée partir dans cette ignorance.

Vous êtes triste maintenant; qu'est-ce encore? J'ai une envie folle d'écrire à Félizet... ma foi, il pensera ce qu'il voudra: il est fin et bon; peut-être à cause de cela trouvera-t-il ma demande toute simple? Ce qui me retient d'écrire c'est la peur de vous contrarier et d'être grondée par le cher vieux pion.

Vous êtes triste? Hélas! s'il est vrai que «l'âme la plus éprouvée a le plus de pouvoir guérisseur sur l'autre», je dois donc vous guérir... mais de quel mal, mon Dieu? Ce mot triste me brûle les yeux en relisant votre lettre, et je sens, désespérée, que je ne puis rien pour vous. Je ne vous rends pas responsable de l'état où vous êtes, parce que je vous aime, j'en accuse le milieu où vous vivez. Je ne puis pas vous dire quel dégoût j'ai de ce monde inutile et chic, vide de pensées, improductif et joueur. Deux amis d'Aprilo, papillonnant hier au soir au Casino autour de Suzanne m'en ont donné la nausée. Ces jolis gars traînent leur existence à la manière des femmes de plaisir; au fond de tout cela j'ai bien peur qu'il n'y ait pas autre chose qu'une terrible paresse. Je souffre pour vous de vous voir continuer d'attendre qu'un dieu de la machine vienne vous tirer du cocon d'ennui où vous êtes... Ne ferez-vous donc jamais rien? Réfléchissez, trouvez quelque chose, vous serez moins triste, mon grand. Vous me boudez? Ah! fâchez-vous si vous voulez, mais «aimez-moi, voilà la loi et les prophètes».

CCXXIV

Denise à Philippe.

19 juillet.

Je reçois avec joie tous les matins la dépêche bulletin de santé; mais que veut dire le: «suis triste, seul...», que contenait celle de ce matin. Triste, je le savais, mais seul?

N'allez-vous plus en Suisse avec l'objet aimé? Qu'est-il survenu dans votre vie? un pétale de rose, une plume d'oiseau, se sont mis en travers de votre chemin? Dites, afin d'être consolé...

Je viens d'avoir la visite de ma fille (je l'ai laissée ce matin à Royat pour déjeuner avec sa tante et ne la ramènerai à Fontana que ce soir, après un dîner que ma belle-mère offre aux Danans à son hôtel), avec Suzanne et Aprilo, tous les deux gais et gentils, confiés à la garde d'un petit cheval, d'une petite voiture et d'une petite fille: tite-Lène. Ils sont entrés par la grande avenue ainsi que trois radieux printemps. On a parlé de vous en buvant du vin d'Asti parfumé de muscat, pétillant comme du champagne. Hélène était divine me disant: «Je vous fais une visite, maman.» Elle en avait un orgueil de petite femme, de jouer avec moi à la dame.

Marie-Anne a mis des fleurs dans leurs mains et ils sont partis contents, gais, gentils, frais sous le soleil, par la route poudreuse.

Pourquoi Alice ne marie-t-elle pas ces enfants? le brave et sain cœur de Grégor Aprilo serait le salut de Suzanne, plus légère que fautive, en somme.

CCXXXV

Philippe à Denise.

20 juillet.

Vous avez deviné, je ne pars pas pour la Suisse, mon infante m'a quitté, ne me trouvant pas assez rigolo pour devenir l'ordonnateur de ses menus-plaisirs. J'ai peur pour l'avenir de cet objet; dans la galanterie, il faut savoir s'ennuyer pour réussir... Mais laissons cet être inférieur en l'éternel oubli, et ne soyons plus que vous et moi dans l'univers.

Je m'apprête à prendre une formidable résolution et j'aurais bien aimé que mon amie fût là pour me guider et remonter mon courage.

Quel pauvre correspondant je fais! Quand je relis mes lettres avant de vous les envoyer, je suis toujours sur le point de les déchirer. Je n'ai jamais pu écrire correctement ni traduire exactement ma pensée du premier jet.

Si j'avais été écrivain j'aurais beaucoup raturé; vous devez vous en apercevoir et souvent me trouver obscur. Je regrette de n'avoir pas la bêtise nécessaire qui me donnerait un tranquille contentement de moi-même. D'un autre côté, je vous l'ai déjà dit, ça ne m'aurait pas dégoûté d'être un homme de génie; mais se sentir médiocre et impuissant et se le reprocher continuellement, quelle vie! c'est la mienne. Enfin mon cœur reste bon et vous l'avez; c'est pour cela que vous m'aimez un peu, je pense. Le tableau de Grégor, de Suzanne, de la petite fille, du petit cheval, de la petite voiture est idyllique. Je suis de votre avis: gai, gai, marions-les. Il sera toujours temps de voir après. Si vous étiez un peu adroite, vous devriez bâcler cette affaire-là.

Je baise vos mains. Mon bras va mieux.

CCXXXVI

Denise à Philippe.

23 juillet.

J'ai tant de choses à vous dire que je ne sais par laquelle commencer: D'abord: vous. Il ne faut pas vous laisser envahir par ces désespérances; vous êtes en pleine force, en pleine jeunesse, et bien des jours passeront avant qu'il soit temps de dire avec Louis Bouilhet:

Mon rêve est mort sans espoir qu'il renaisse,
Le temps s'écoule et l'orgueil imposteur
Pousse au néant les jours de ma jeunesse
Comme un troupeau dont il fut le pasteur.

Mais non, cher, vous n'êtes pas un pauvre correspondant; cela serait-il, je vous aime comme vous êtes et puisque votre «cœur est bon» et que je «l'ai», je n'ai rien à demander de plus ni de mieux.

Je regrette de n'être pas auprès de vous quand vous souffrez et que vous vous plongez dans le marasme; ma bonne humeur vaillante est contagieuse et vous donnerait du courage. Mère, seule à Nimerck, me pleure à ce point de vue dans ses lettres. Je suis un remontant admirable, paraît-il. Ceci devrait constituer une situation lucrative dans le monde; alors je serais riche! Mais voilà, on ne s'est pas encore avisé de monnayer les sentiments gais; certaines demoiselles ont bien fait ça pour l'amour... je ne sais au juste pour quelle cause cela leur a établi dans le monde une incontestable mauvaise renommée.

Peut-être ont-elles falsifié l'admirable marchandise? ou bien, décidément, l'amour est-il un sentiment qui doit s'ingurgiter triste?

Prenez courage, mon désespéré de vous et des autres; ne m'en veuillez pas de plaisanter un peu vos grands petits chagrins; cela tient à ce qu'un heureux événement se prépare... Hier au soir, après le dîner, tandis que Suzette et Hélène dansaient au Casino, Grégor m'a offert le bras, et, dans les allées silencieuses du parc, il m'a dit le secret de son cœur et demandé de parler pour lui. Le brave garçon était ému, et moi bien touchée de sentir en lui tant d'amour pour ma nièce. Or, dès ce matin, j'ai eu un entretien avec Alice et Suzanne. Le chiffre de la fortune d'Aprilo, beaucoup plus élevé que n'avaient pensé ces dames, a décidé ma nièce à «courir les ambassades». La voilà bel et bien fiancée; j'en suis ravie. Demain, chez les Danans, nous les avons tous à dîner.

Tandis que je vous écris, Marie-Anne au cœur ingénieux en délicates attentions, transforme la salle à manger en bosquet de verdure au moyen de branches d'arbres coupées dans la forêt et parmi lesquelles les domestiques, les jardiniers, Marie-Anne, tite-Lène, et un jeune voisin de campagne, fils d'une amie des Danans, Claude Barjols, posent de ci, de là, des fleurs blanches.

L'effet est délicieux; Hélène, rose de plaisir, admire l'œuvre avec des enthousiasmes juvéniles; ils troublent un peu la bonne ordonnance de ma lettre, car je vous écris du petit salon donnant dans la salle, les portes grandes ouvertes. De temps en temps on m'interpelle et je suis obligée de crier mon admiration sans que mes interlocuteurs daignent arrêter une minute, pour m'entendre, le brouhaha de leur organisation savante et fleurie.

L'état de toute la maisonnée est un peu agité par cette grande nouvelle, et moi plus émue que je n'aurais cru des souvenirs qu'elle éveille en...

Cette fois, j'ai été arrêtée pour de bon par Marie-Anne.

Elle vint s'asseoir dans un fauteuil, me jetant un: «Eh bien?» si doucement impératif que j'ai laissé là ma plume.

Mon ami, comme cette femme est superbe dans ses quarante ans! la belle et noble allure! Elle défaisait lentement ses gants, et le bras et la main me sont apparus si purs de ligne... j'en étais émerveillée.

—Eh bien, Denise? voilà un recommencement... voilà la roue qui tourne, tout proche de nous, et engrène deux nouvelles existences; heur ou malheur, la destinée pour eux?... Chi lo sa? et dire que, si broyées soyons-nous, personne n'aura le courage de crier à ce couple: Vous tentez l'impossible rêve, n'y ayez pas foi; et, afin de ne pas empoisonner vos jours de désillusion: «lasciate ogní speranza».

Elle s'était levée et marchait de long en large devant la table où j'étais accoudée; j'ai lu sur ses traits une émotion inaccoutumée... elle aussi se souvenait...

Marie-Anne me parut plus grande, plus belle dans les longs plis de sa robe de laine blanche; sa majestueuse stature évoquait en mon esprit une déesse sage et désenchantée:

—Oui, ni toi ni moi ne dirons à la jeune fille ce que nous avons souffert. A quoi servirait? Pourrions-nous lui donner une joie autre en remplacement du désir qui naît en elle? Alors, nous nous étourdissons pour l'étourdir, nous lui sourions pour qu'elle sourie; nos lèvres murmurent: «Va!» et nous la poussons doucement devant nous afin qu'elle ne voie pas nos yeux baignés de larmes et ne soupçonne pas les meurtrissures, qu'en route on nous a faites au cœur; nous devenons joyeuses, nous lui donnons des fêtes, nous lui cachons les amas de douleur que la vie entasse dans les âmes: va!... si tu as l'âme tendre, tu seras la victime; si c'est lui, il sera victimé; mais soyez assurés, pauvres fiancés, que votre étoile, pas plus que les nôtres, n'ira par le monde sans défaillance de lumière!»

—Marie-Anne, tous les hommes n'ont pas l'esprit arrogant et ne nient pas en nous, gouailleurs, notre soif d'amour, de tendresse: tous n'apportent pas en mariage une âme sceptique, en cendre...

—Peut-être... d'ailleurs, ta nièce a la chance de les valoir, ces hommes. C'est une satisfaite d'elle, orgueilleuse, positive, impérieuse; elle est de la catégorie de celles qui nous vengent. Mais ton Hélène?

—Oh! Hélène est encore un baby!...

—Tu trouves? petite Nisette, tu es comme toutes les mères... tu couves la coque vide de l'œuf sans t'apercevoir que le poussin a ses ailes et qu'il vole... tiens, regarde...

Cher, madame Danans me montrait mon Hélène, étendue sur un rocking-chair. Claude Barjols (il a dix-sept ans), lentement la berçait; d'une gerbe qu'il tenait dans sa main, il laissait tomber une à une les fleurs sur Hélène et souriait en la regardant. Elle parlait; les réponses de Claude semblaient des dénégations, des défenses... mais elle prenait un petit air boudeur, fâché, et lui, humble, s'excusait. Oui, oui, il n'y avait pas là deux enfants, mais un jeune homme, une jeune fille... j'ai senti mon cœur défaillir... j'allais, fâchée—de quoi, mon Dieu?—appeler Hélène, quand Marie-Anne pressa ma main, disant: «Écoute...»

Alors, les mots arrivèrent jusqu'à nous, attentives:

—Pourquoi voulez-vous que je garde vos fleurs? Vous avez été bien trop vilain hier; vous aviez honte de me faire danser au Casino, oui, honte!

—Mais non, non, je vous jure, vous vous faites des idées...

—Oh! que non! et tout ça parce que j'ai l'air d'une petite fille avec mes robes courtes; mais l'année prochaine elles seront longues, je serai plus vieille et c'est moi qui ne danserai plus avec vous mais avec de vrais messieurs grands, et ce sera bien fait...

Il riait, le jeune garçon, et soigneux de l'enfant boudeuse il la berçait doucement, s'amusant à laisser naître en elle, à son profit à lui, quelques soucis de femme...

—Es-tu édifiée, Denise?... elle est bien jolie, ta fille, et si suave!... Mon mari, lui-même l'aime et la choie. La voyant courir l'autre soir sur la pelouse, pour la première fois il a manifesté ce regret: «Si j'avais été sûr d'avoir une fille semblable à cette petite, j'aurais aimé que vous eussiez un enfant.» Ah! j'ai été jalouse de toi à cette minute-là, Denise; jalouse de ce souhait tardif de paternité comme d'une infidélité. Ce n'est pas seulement en père que Paul aime tite-Lène; c'est pour cette fraîche féminité, cette coquetterie naissante, qui émanent d'elle. Elle possède un charme au-dessus de son âge, un tact, une finesse, une câlinerie...

—Oui, tant que vous voudrez, mais c'est inconscient; la croire capable de voir autre chose que des fleurs, dans ces fleurs qui tombent des mains de Claude sur sa jupe vague et flottante de fillette...

—Eh bien, tu vas voir.

Alors me prenant par le bras, elle s'avance sur le perron et, là:

—Hélène? s'écrie-t-elle.

—Ah! c'est vous, ma Mie-Anne?

La petite se lève, ramasse vite ses fleurs et accourt vers nous avec son compagnon, tout cela si franchement, si naïvement, que je ne pus me retenir de lui mettre un baiser au front.

—Vous m'avez appelée, Mie-Anne?

Et, en parlant, ma fille groupait artistement ses fleurs et en glissait une partie dans sa ceinture.

—Tu as là un joli bouquet. Veux-tu me le donner?

—Mie, j'aime mieux vous en cueillir un autre.

—Celui-là me plaît...

—Voyez, les fleurs en sont déjà presque fanées...

—Tu tiens donc tant à ce bouquet?

—Ma bonne amie, je vous en ferai un bien plus beau; celui-là, tenez, je vais en donner la moitié à petite mère (avec un regard vers Claude et devenant rouge en voyant l'air un peu vexé du gamin) parce que petite mère, c'est encore un peu moi... Mais pour vous je cours en chercher un beau, un plus beau ma mie!

Et la voilà se sauvant au bout de la pelouse. Ah! ce: «c'est encore un peu moi...» Marie-Anne souriait; moi, deux larmes perlaient à mes cils et je pensais: déjà!

—Tu vois? n'avais-je pas raison? elle aiguise son cœur et voit «autre chose que des fleurs en ces fleurs».

Ah! Philippe, j'en reste atterrée! penser qu'il y a quelques mois à peine je me sentais entraînée par cette folie d'amour sans songer que l'heure de mon Hélène était si proche!

Avec quel soin il va falloir m'occuper de son cœur et devenir la confidente de ses plus secrètes pensées! je veux être son amie: la tâche sera douce et facile... mais quelle décevance de l'armer pour la lutte sentimentale au lieu d'avoir à lui dire: crois, aime, espère! Quelle mère attentive a gardé pur le cœur de son fils et dirige en ce moment ce fils qui deviendra l'époux de ma fille?

Pourrai-je jamais, comme on a fait pour nous toutes, la livrer, sur de belles apparences, à un inconnu? Ah! tenez, je voudrais pouvoir ôter quinze ans de votre vie, vous dont je connais les qualités et les défauts, et commencer à vous élever à la brochette en vue de ma fille... Ne riez pas de cette folie; j'ai l'âme pleine de larmes...

Croyez-moi toujours et à travers tout, votre affectionnée.

CCXXXVII

Philippe à Denise.

26 juillet.

Ma chère Denise, voyez dans cette lettre, sur laquelle j'attire votre attention d'une façon un peu solennelle, un engagement que je vais prendre; il pourra resserrer entre nous les liens d'amitié fondés sur notre estime réciproque, profonde; il transformera mon existence en lui donnant un but.

Depuis quelque temps déjà, j'avais le désir de vous entretenir d'un projet; je vais aujourd'hui vous le soumettre. Si je ne l'ai pas fait plus tôt, c'est par scrupule: je ne voulais pas vous influencer; mais dans ce désir d'élever votre gendre pour qu'il soit digne de votre fille, je vois comme un acquiescement anticipé à un vœu que j'ai vaguement formé moi-même. Je me fais de l'amitié, mon amie, d'une amitié comme la nôtre s'entend, une idée très haute. C'est un sentiment que je respecte beaucoup; il crée, à mon avis, des devoirs étroits. Un des premiers de ces devoirs est la confiance; si la pensée qui me guide vous est importune, je vous supplie de me le dire avec franchise; je promets de ne pas m'en froisser, il n'en sera plus question entre nous et c'est tout. Je m'explique: Vous vous rappelez sans doute combien nous avons trouvé Hélène belle le jour de sa première communion? Grande, élégante, diaphane dans ses voiles blancs, rayonnante d'une beauté de forme et d'âme vraiment idéales. Nous n'étions pas seuls à l'admirer. Votre mère avait eu la bonté d'inviter mon frère Jacques au dîner de famille. Lorsqu'il vit Hélène entrer au salon, drapée virginalement dans son voile, il eut, plus que nous tous, un éblouissement que j'ai surpris. A cette minute, son enthousiasme ne m'étonna pas. Mais depuis ce jour, plus souvent certes qu'il n'était besoin, il s'informait de notre chérie.

Or, le soir de mon duel, après la visite qu'il vous fit, il revint ayant gardé d'Hélène et d'une conversation qu'ils eurent tous les deux sur moi, une sorte de jalousie se traduisant par des boutades dans le genre de celle-ci: «Tu as de la chance... on t'aime dans cette famille... cette petite a eu pour toi des mots exquis; elle est délicieuse, cette gamine... si elle avait trois ans de plus, je me mettrais bien sur les rangs pour l'épouser.»

Ceci n'est rien, me direz-vous? Mon amie, ceci peut, si nous le voulons, devenir quelque chose. Je viens donc vous demander—non la main d'Hélène pour Jacques, ce qui serait grotesque—mais de consentir à ce que je dirige mon frère et veille sur lui, et entretienne en son esprit la pensée d'Hélène, en vue d'une union possible de nos deux enfants.

Bien entendu, ni eux ni personne au monde ne soupçonnera le but poursuivi par nous; avec art, nous les intéresserons l'un à l'autre. Jacques a vingt-deux ans; il y a dix ans de différence entre eux; la proportion est bonne. Mon dragon aura vingt-huit ans quand il pourra raisonnablement prétendre à la main d'Hélène. Si ce projet vous semble réalisable, j'en serai bien heureux.

Je m'en irai cet automne vivre à Luzy; je prendrai la direction de nos intérêts, jusqu'ici confiés à l'un de nos gros fermiers, sorte d'intendant ne manquant pas de nous exploiter pour ne pas faire mentir la tradition.

Vous savez notre état de fortune: quinze mille livres de rente chacun, dont une vingtaine en terre et les dix autres inscrits sur le Grand Livre. Je ne soupçonne pas la dot qu'aura Hélène et ne veux pas m'en inquiéter. Si nous amenons nos enfants à conserver leurs cœurs intacts, purs d'émois causés par d'autres, ils seront heureux entre tous et quelques mille livres de rente de plus ou de moins n'y feront rien.

Je prends vis-à-vis de moi-même, en m'attelant à la tâche de faire prospérer nos biens en vue de faciliter l'avenir de mon frère, une grave résolution. Je renonce à une vie facile dont je sens l'écœurement me gagner. J'ai réfléchi beaucoup avant de me décider à vous écrire cette détermination prise. C'est une épreuve que je veux tenter. J'espère y voir mon activité morale et intellectuelle s'y développer au lieu de se ralentir. Je penserai, je lirai, je travaillerai.

Il s'agit, pour moi, de rompre avec quinze ans de bêtise et de paresse, ce n'est pas là une petite affaire. Et puis, je serai définitivement fixé sur ce que je vaux. Ou je me relèverai, ou je me laisserai tomber doucement dans une matérialité béate et inactive; elle trouvera son contentement dans la vie large et facile que me fera la campagne.

Je serai soutenu par vous, n'est-ce pas, mon amie? et par ce but à atteindre: le bonheur de nos enfants.

Adieu; vous êtes la bonté et la grâce mêmes.

Je vous aime.

CCXXXVIII

Denise à Philippe.

29 juillet.

Votre lettre m'a bien troublée... Quel émoi cette demande anticipée a mis dans mon cœur... Hélène, dans ma chambre à cette minute, me disait: «Maman, je crois bien que l'année prochaine mes poupées ne m'amuseront plus... même cette belle-là!» C'était à la fois étrange et cruel de penser à la future union d'une fillette jouant encore à la poupée.

Me pardonnez-vous? J'ai pris conseil de Marie-Anne. Elle a discuté, pesé, jugé avec moi votre proposition qui pendant deux jours a été le sujet de nos entretiens intimes. Enfin voici ma réponse: j'accepte en principe, mais sans engager en rien ma fille. J'accepte pour deux raisons: si votre projet réussit, je crois en effet que nous aurons tenté quelque chose pour le bonheur de ces enfants; s'il échoue, si votre frère n'aime pas Hélène, si elle n'aime pas votre frère, ils retomberont tous les deux dans la loi commune et se marieront comme tant d'autres: au petit bonheur.

Maintenant, parlons de vous. L'épreuve que vous voulez tenter me semble ardue. J'ai peur de vous voir souffrir d'une détresse plus grande, alors que votre esprit ne sera plus alimenté par cette vie de la pensée dont vous êtes friand. Réfléchissez encore, mon ami, avant de vous transformer en gentleman-farmer.

Voilà une nouvelle étape franchie; maintenant c'est fini... notre amitié devient grand'mère; une petite flamme qui l'illuminait encore de faibles et intermittents éclats, s'est éteinte; ces jeunes gens nous entraînent à l'oubli de nous; leurs mains délicates nous séparent, nous poussent dans le fossé, leurs lèvres murmurent: «Place à nous.»

Ah! Philippe, quel cœur j'ai aimé en vous! Comme je vous ai deviné bon, grand. Vous ne leur dites pas: «Arrêtez!» à ces jeunes, mais, avec une paternelle tendresse, vous leur préparez la route et débarrassez le chemin des pierres et des ronces qui pourraient les blesser. Vous oubliez qu'un homme de votre âge peut se créer toute une vie... Ah! mon cher, cher Philippe!

Puisque je suis encore pour quelques jours ici, dans le recueillement, voulez-vous m'envoyer mes lettres afin que je les classe avec les vôtres? Nous les lirons à Nimerck en nous y rejoignant. J'ai toutes les vôtres ici, je les parcours, mais c'est un peu énigmatique à relire sans les miennes.

Adieu, mon ami. Grâce à vous, je suis demeurée honnête femme; je me courbe, respectueuse et reconnaissante, devant le haut sentiment qui vous a fait agir. Par vous, j'ai connu les suprêmes félicités de l'amour, comme j'en ai subi les pires souffrances... Ah! de tout mon cœur je vous remercie d'avoir eu le courage de me maintenir droite! Et c'est encore vous, mon Philippe, qui armez mes trente-quatre ans, parfois rebelles un peu, et me guidez et m'ouvrez la voie, me montrant de nouveaux devoirs, un avenir que, dans sa coquetterie de femme, la mère ne croyait pas si proche.

CCXXXIX

Philippe à Denise.

30 juillet.

Merci, Denise, d'avoir accepté mes projets; s'ils s'accomplissent, la vie pourra encore nous être douce, mon amie. Approuvé par vous, je vais me mettre bravement à la tâche. Voici vos lettres. Je me suis attendri tout à l'heure sur ces chiffons de papier lus au hasard. Ils m'ont remis en mémoire des peines, des plaisirs autrefois vivement sentis.

J'ai retrouvé ainsi entre leurs lignes de belles et radieuses espérances auxquelles la réalité a, depuis, cassé les ailes... C'est une manière saisissante de se souvenir...

Je tiens extrêmement à ces lettres, Denise. Elles contiennent beaucoup de notre amitié qui a pas mal vécu par correspondance. Vous vous y êtes donnée toute, pour cela je les aime. Je compte que vous me rendrez, avec une fidélité absolue et complète, ce dépôt que je vous confie. Soyez-en persuadée, ces lettres ont toujours été accueillies soit avec la tendresse, soit avec le respect amical qu'elles méritaient. Je ne suis pas indigne de les posséder et j'ai la confiance qu'elles ne vous inspireront aucun regret.

Enfin, vous me croirez si vous voulez, mais cet envoi m'émeut un peu...

CCXL

Denise à Philippe.

2 août.

Oui, n'est-ce pas? quelques battements de nos cœurs, les meilleurs peut-être, sont là dans ces feuilles...

Cher, qu'importe de vieillir quand on est deux, si merveilleusement, si amoureusement amis!

FIN





TABLE

PRÉFACE FRAGMENTÉE,
 
LIVRE PREMIER: I, II, III, IV, V, VI, VII, VIII, IX, X, XI, XII, XIII, XIV, XV, XVI, XVII, XVIII, XIX, XX, XXI, XXII, XXIII, XXIV, XXV, XXVI, XXVII, XXVIII, XXIX, XXX, XXXI, XXXII, XXXIII, XXXIV, XXXV, XXXVI, XXXVII, XXXVIII, XXXVIX, XL, XLI, XLII, XLIII, XLIV, XLV, XLVI, XLVII, XLVIII, XLIX, XLX, LI, LII, LIII.
 
LIVRE II: LIV, LV, LVI, LVII, LVIII, LIX, LX, LXI, LXII, LXIII, LXIV, LXV, LXVI, LXVII, LXVIII, LXIX, LXX, LXXI, LXXII, LXXIII, LXXIV, LXXV, LXXVI, LXXVII, LXXVIII, LXXIX, LXXX, LXXXI, LXXXII, LXXXIII, LXXXIV, LXXXV, LXXXVI, LXXXVII, LXXXVIII.
 
LIVRE III: LXXXIX, XC, XCI, XCII, XCIII, XCIV, XCV, XCVI, XCVII, XCVIII, XCIX, C, CI, CII, CIII, CIV, CV, CVI, CVII, CVIII, CIX, CX, CXI, CXIII, CXIV, CXV, CXVI, CXVII, CXVIII, CXIX, CXX, CXXI, CXXII, CXXIII, CXXIV, CXXV.
 
LIVRE IV: CXXVI, CXXVII, CXXVIII, CXXIX, CXXX, CXXXI, CXXXII, CXXXIII, CXXXIV, CXXXVI, CXXXVII, CXXXVIII, CXXXVIX, CXL, CXLI, CXLII, CXLIII, CXLIV, CXLV, CXLVI, CXLVII, CXLVIII, CXLIX, CL, CLI, CLII, CLIII, CLIV, CLV, CLVI, CLVII, CLVIII, CLIX, CLX, CLXI, CLXII, CLXIII, CLXIV, CLXV, CLXVI, CLXVII, CLXVIII, CLXIX, CLXX, CLXXI, CLXXII, CLXXIII, CLXXIV, CLXXV, CLXXVI, CLXXVII, CLXXVIII, CLXXIX, CLXXX, CLXXXI, CLXXXII, CLXXXIII, CLXXXIV, CLXXXV, CLXXXVI, CLXXXVII, CLXXXVIII, CLXXXIX, CXC, CXCI, CXCII, CXCIII, CXCIV, CXCV, CXCVI, CXCVII.
 
LIVRE V: CXCVIII, CXCIX, CC, CCI, CCII, CCIII, CCIV, CCV, CCVI, CCVII, CCVIII, CCIX, CCX, CCXI, CCXII, CCXIII, CCXIV, CCXV, CCXVI, CCXVII, CCXVIII, CCXIX, CCXX, CCXXI, CCXXII, CCXXIII, CCXXIV, CCXXV, CCXXVI, CCXXVII, CCXXVIII, CCXXIX, CCXXX, CCXXXI, CCXXXII, CCXXXIII, CCXXXIV, CCXXXV, CCXXXVI, CCXXXVII, CCXXXVIII, CCXXXIX, CCXL.





ÉMILE COLIN—IMPRIMERIE DE LAGNY

Chargement de la publicité...