Arnoldiana, ou Sophie Arnould et ses contemporaines;: recueil choisi d'Anecdotes piquantes, de Réparties et de bons Mots de Mlle Arnould précédé d'une notice sur sa vie précédé d'une Notice sur sa Vie et sur l'Académie impéri
Le bonheur des méchans comme un torrent s'écoule!
Un député ayant prononcé, au conseil des cinq-cents, un discours en faveur des enfans nés hors du mariage, quelqu'un marqua son étonnement de voir les bâtards aussi bien traités que les enfans légitimes. «C'est cependant assez naturel, reprit-elle, car maintenant rien n'est plus légitime que tout ce qui ne l'est pas du tout.»
M. B. était fataliste par système. Il avait envie de se marier, et il prétendait posséder l'art de rendre une femme fidèle. Un jour qu'il faisait confidence de son secret à Mlle Arnould, il ajouta:—Je suis sûr de n'être jamais cocu.—Ce que vous dites est fort bon, reprit-elle, mais la destinée!
Un nouveau parvenu était au spectacle près de M. R., son ancien ami, qu'il feignait de ne pas apercevoir. M. R., citant cette rencontre à Mlle Arnould, dit en gémissant:—Quel changement! il n'a pas eu l'air de me reconnaître.—Je le crois bien, répartit-elle, il ne se reconnaît pas lui-même.
Une ancienne actrice de l'Opéra voulant réclamer sa pension d'émérite, fit une pétition qu'elle comptait présenter au ministre de l'intérieur: elle consulta Mlle Arnould sur le style de cette pièce, qui commençait ainsi: Monseigneur, je chantais autrefois...—Sophie l'interrompt en disant: «Cela ne vaut rien; si vous dites que VOUS CHANTIEZ AUTREFOIS, on vous répondra: Hé bien! DANSEZ MAINTENANT.»
Elle dissertait avec un membre de l'Institut sur le nouveau système des poids et mesures; elle en approuvait l'uniformité, mais elle en blâmait les dénominations. «On aura beau faire, disait-elle, les hommes auront toujours deux poids et deux mesures.» Puis, prenant son ton plaisant, elle ajouta: «Cette nomenclature scientifique ne pourra jamais se loger dans la tête des femmes: elles aimeront bien le CENTIMÈTRE, mais comment leur parler de STÈRE.» (de s' taire.)
Elle se lia dans le cours de la révolution avec l'abbé Lemonnier, ancien chapelain de la Sainte-Chapelle de Paris; il était vraiment curieux d'entendre converser cette femme spirituelle avec cet ingénieux fabuliste; tous deux semblaient rajeunir par les grâces de l'esprit; leur conversation était une joûte continuelle de bons mots et de saillies piquantes. Elle disait que «de tous les gens A FABLES (affables) qu'elle avait connus, l'abbé Lemonnier était le plus aimable.»
Quoiqu'elle eût vécu dans sa jeunesse au milieu des plus brillans élèves de Terpsichore, elle n'eut jamais aucun goût pour la danse. «A quoi sert, disait-elle, de savoir danser si ce talent multiplie les FAUX PAS?» Elle était souvent entourée de poëtes, la poésie lui offrait même des charmes, et jamais elle n'a pu composer un seul vers. Elle disait plaisamment à ce sujet: «Si dans ma vie j'ai fait quelques vers, il ne me sont pas sortis de la tête.»
Pendant longtemps Sophie vit naître autour d'elle tous les agrémens que procure l'opulence: l'indépendance était à ses yeux le premier des biens; et elle refusa plusieurs partis qui eussent pu séduire son ambition si elle n'eût mis les plaisirs du cœur au-dessus des calculs de l'intérêt[90]. Son âme voluptueuse considérait l'amour comme le plus agréable épisode du roman de la vie, et l'hymen comme l'éteignoir de l'amour.
Elle conserva dans ses dernières années tout le feu de ses beaux yeux, au point qu'on pouvait y lire toute son histoire; et malgré une maladie cruelle qui la faisait beaucoup souffrir, son esprit montra toujours le même enjouement. On la félicitait de posséder encore cet heureux don de la nature. «Hélas! dit-elle, tout passe avec l'âge, une vieille femme n'est plus qu'une VIELLE organisée.»
Le 22 octobre 1802, peu d'heures avant de mourir, elle disait au curé de Saint-Germain-l'Auxerrois qui lui avait administré tous les sacremens: «Je suis comme Madeleine, beaucoup de péchés me seront remis, parce que j'ai beaucoup aimé.»
Sophie Arnould joignit aux talens qu'elle déploya sur la scène ce que l'étude ne donne pas, cet esprit vif et brillant qui s'échappe comme par éclairs, et qui dans ses saillies porte le caractère de la réflexion. Cette femme rare fut vivement regrettée de tous ceux qui l'avaient connue, des mélomanes pour ses talens, des gens d'esprit pour sa conversation, et de ses amis pour son bon cœur. L'un de ces derniers composa pour elle les vers suivans:
La plus charmante des actrices
Doit résider au séjour des élus.
La rigide vertu lui reprocha des vices;
Mais le vice admira ses aimables vertus.
L'esprit, les talens et les grâces
Brillaient chez elle tour à tour,
Et les beaux-arts, en composant sa cour
De la vieillesse écartaient les disgrâces.
O vous! nymphes de l'Opéra,
Dont l'amour embellit la vie,
Pour modèle prenez Sophie,
Et chacun vous adorera.
On a remarqué que les trois plus grandes actrices du dix-huitième siècle, Clairon, Dumesnil et Arnould ont fini en 1802 leur brillante carrière; de même que les trois plus célèbres acteurs de leur temps, Eckhof en Allemagne, Garrick en Angleterre, et Lekain en France, sont morts dans la même année en 1778.
FIN.
NOTES:
[1] C'est dans cette maison que périt l'amiral de Coligny pendant le massacre de la Saint-Barthélemi, et non dans l'hôtel Montbazon, rue Bétizi, comme le racontent plusieurs annalistes. L'hôtel de Lisieux présente encore dans ses distributions tout ce qui convenait alors à l'habitation d'un grand officier de la couronne; mais si l'hôtel Montbazon n'a pas la gloire d'avoir appartenu à l'amiral de Coligny, il a, dit-on, celle d'avoir servi de logement à la belle duchesse de Montbazon, si tendrement aimée du célèbre abbé de Rancé. On prétend qu'au retour d'un voyage cet abbé, alors très-mondain, allant voir sa maîtresse, dont il ignorait la mort, monta par un escalier dérobé, et qu'étant entré dans l'appartement il trouva sa tête dans un plat: on l'avait séparée du corps parce que le cercueil de plomb était trop petit. Cet affreux spectacle opéra subitement sa conversion, et l'abbé de Rancé, dégoûté du néant des choses terrestres, alla s'enfermer dans son abbaye de la Trappe, dont il devint le réformateur avec une austérité sans exemple.
[2] La cadette, nommée Rosalie, entra dans la musique de la chambre du roi en 1770, et elle y est restée jusqu'en 1792.
[3] Mlle Fel lui avait enseigné l'art du chant, et Mlle Clairon avait formé son jeu.
[4] Par reconnaissance le prince payait chaque année à sa maîtresse les frais d'un équipage.
[5] Ces vers ont été faits il y a longtemps par un des amis d'A. M.; mais cette plaisanterie et beaucoup d'autres n'ôtent rien à son mérite littéraire. Quel est l'homme de lettres à l'abri des épigrammes? Publier un ouvrage marquant, disait Diderot, c'est mettre la tête dans un guêpier.
[6] Un amateur, ravi de ses accens mélodieux, lui adressa cet impromptu:
Que ta voix divine me touche!
Et que je serais fortuné
Si je pouvais rendre à ta bouche
Le plaisir qu'elle m'a donné!
[7] Garrick, célèbre acteur anglais, se trouvant à Paris en 1763, mit ce quatrain au bas d'un tableau qui représentait Mlle Clairon couronnée par Melpomène:
J'ai prédit que Clairon illustrerait la scène,
Et mon espoir n'a point été déçu:
Elle a couronné Melpomène;
Melpomène lui rend ce qu'elle en a reçu.
[8] Barthe composa en 1767 une pièce de vers intitulée: Statuts pour l'Académie royale de Musique. Voici l'un des vingt-deux articles qui les composent:
Tous remplis du vaste dessein
De perfectionner en France l'harmonie,
Voulions au pontife romain
Demander une colonie
De ces chantres flûtés qu'admire l'Ausonie;
Mais tout notre conseil a jugé qu'un castra,
Car c'est ainsi qu'on les appelle,
Etait honnête à la chapelle,
Mais indécent à l'Opéra.
[9] Barthe, dans ses Statuts pour l'Opéra, dit à ce sujet:
Que celles qui, pour prix de leurs heureux travaux,
Jouissent à vingt ans d'une honnête opulence,
Ont un hôtel et des chevaux,
Se rappellent parfois leur première indigence,
Et leur petit grenier et leur lit sans rideaux.
Leur défendons en conséquence
De regarder avec pitié
Celle qui s'en retourne à pié;
Pauvre enfant dont l'innocence
N'a pas encore réussi,
Mais qui, grâces à la danse,
Fera son chemin aussi.
Gaussin en recevant le jour
Offrit l'art d'aimer et de plaire,
Et jamais enfant de l'amour
Ne ressembla mieux à son père.
A. D.
[11] Cette actrice jouant le rôle d'Ernelinde dans l'opéra de ce nom, Favart lui adressa ces vers:
O Durancy! par quels charmes puissans,
Par quel heureux prestige abuses-tu mes sens?
C'est l'effet de ton art suprême.
Je cours à l'Opéra pour t'entendre et te voir:
L'actrice disparaît; tu trompes mon espoir;
Je ne vois plus qu'Ernelinde elle-même.
[12] M. F. D. N. a fait sur ce littérateur l'énigme suivante:
J'ai sous un même nom trois attributs divers;
Je suis un instrument, un poëte, une rue:
Rue étroite, je suis des pédans parcourue;
Instrument, par mes sons je charme l'univers;
Rimeur, je l'endors par mes vers.
[13] Dauberval, devenu l'amant de cette nymphe, fit faire un cachet sur lequel il était représenté en chasseur, avec ces mots pour légende:
Quand je n'ai pas Miré je manque mon coup.
[14] Malgré ce défaut cette actrice fit l'ornement du théâtre Français dans les rôles de fureur, de reine et de mère.
Quand Dumesnil vient sur la scène
Au gré des connaisseurs parfaits,
On croit entendre Melpomène
Réciter les vers qu'elle a faits.
N.
[15] Cette salle fut restaurée par M. Moreau en 1769; on proposa d'y mettre cette inscription:
Ici les dieux du temps jadis
Renouvellent leurs liturgies:
Vénus y forme des Laïs;
Mercure y dresse des Sosies.
[16] Épigramme.
Prenez les vers du rocailleux Lemierre,
Dont un moment ici j'emprunte la manière;
Lisez, relisez-les souvent
Si votre langue a de la gêne,
Ils feront pour son mouvement
L'effet de ces cailloux que mâchait Diogène.
N.
[17] On prétend que tout ce que son curé put tirer de lui dans ses derniers momens, furent ces mots-ci: Que diable venez-vous me chanter, M. le curé? vous avez la voix fausse.
[18] Quelques années après Vestris fit oublier son offense par l'hommage de son amour, et ces deux amans allèrent ensuite se jurer une flamme éternelle sur l'autel de l'hymenée.
[19] On fit paraître à cette époque les vers suivans:
Belloy nous donne un siége; il en mérite un autre.
Graves académiciens,
Faites-lui partager le vôtre,
Où tant de bonnes gens sont assis pour des riens.
[20] On sait que cette célèbre danseuse avait plus de grâces que de légèreté.
[21] C'est à un maître d'hôtel de cette maison qu'on doit l'espèce de dragée nommée praline.
Allard, vive, aimable et jolie,
Amuse et charme tour à tour;
Elle sourit comme l'Amour
Et danse comme la Folie.
A. D.
[23] Ce couplet est extrait de la pièce de Sophie Arnould.
[24] Dorat adressa à cette charmante actrice le quatrain suivant:
Par tes talens, unis à la décence,
Tu te fais respecter et chérir tour à tour:
Si tu souris comme l'Amour,
Tu parles comme l'Innocence.
[25] Cependant cette pièce, protégée par M. de Maurepas, fut représentée avec le plus grand succès au Théâtre-Français, appelé maintenant l'Odéon. Mlle C. n'a jamais été plus applaudie qu'en jouant la courtisane Rosalie, rôle où elle développa pour la première fois tout le charme de ses talens.
[26] M. de Buffon se promenant à la campagne, une jeune personne lui demanda la différence qu'il y a entre un bœuf et un taureau? Il rêva un instant et répondit: Vous voyez bien, Mademoiselle, ces veaux qui bondissent dans la prairie? les taureaux sont leurs pères et les bœufs sont leurs oncles.
[27] Barthe, dans ses Statuts pour l'Opéra, dit au sujet de l'opulence de ce directeur:
Rien pour l'auteur de la musique,
Pour l'auteur du poëme rien,
Et le poëte et le musicien
Doivent mourir de faim suivant l'usage antique.
Jamais le grand talent n'eut droit d'être payé;
Le frivole obtient tout, l'or, les cordons, la crosse:
Rameau dut aller à pié,
Les directeurs en carrosse.
[28] M. de L. descendait d'un ministre, et M. de C. d'un valet de chambre.
[29] Cet acteur est mort le 11 décembre 1802, et a emporté les regrets de tous les amis de Thalie.
Tour à tour sublime et charmant,
Des cœurs il a trouvé la route la plus sûre;
On est tenté de croire en le voyant
Que l'art, en formant son talent,
Avait donné le mot à la nature.
VIGÉE.
[30] Barthe, dans ses Statuts pour l'Opéra, critique ainsi les principaux acteurs:
Ordre à Pillot de ne plus détonner,
A Muguet de prendre un air leste,
A Durand d'ennoblir son geste,
A Gélin de ne pas tonner;
Que le Gros chante avec une âme,
Beaumesnil avec une voix;
Que la féconde Arnould se montre quelquefois,
Et que Guimard toujours se pâme.
[31] La chronique scandaleuse a prétendu que Mme Dubarri devait le jour à un picpus nommé Gomar. En 1768, cette dame conversait avec M. de Choiseul sur les moines que le gouvernement voulait alors détruire. La favorite était contre eux; le ministre en prenait la défense, et pour frapper en leur faveur le dernier coup, il ajouta avec finesse: Vous conviendrez au moins, Madame, qu'ils savent faire de beaux enfans.
[32] On connaît ces vers tirés de la Dunciade de Palissot:
Alors tomba le petit Poinsinet;
Il fut dissous par un coup de sifflet.
Telle au matin une vapeur légère
S'évanouit aux premiers feux du jour,
Tel Poinsinet disparut sans retour.
[33] Les libertins de qualité, dit un moraliste, prenaient le surnom de roués pour se distinguer de leurs laquais, qui n'étaient que des pendards.
[34] On fit sur cette comédie le quatrain suivant:
J'ai vu de Beaumarchais le drame ridicule,
Et je vais en un mot dire ce qu'il en est:
C'est un change où l'argent circule
Sans produire aucun intérêt.
[35] Vers sur M. de Choiseul, après sa retraite des affaires:
Comme tout autre, dans sa place,
Il put avoir des ennemis;
Comme nul autre, en sa disgrâce,
Il acquit de nouveaux amis.
[36] Barthe, dans ses Statuts pour l'Opéra, dit à ce sujet:
Le nombre des amans limité désormais
Et pour la blonde et pour la brune,
Défense d'en avoir jamais
Plus de quatre à la fois; ils suffisent pour une.
Que la reconnaissance égale les bienfaits;
Que l'amour dure autant que la fortune.
[37] M. F. D. N., pénétré de la lecture des ouvrages de ce poëte, a composé le distique suivant pour le portait de Mme Le Mierre:
Bras, front, sein, port, teint, taille, œil, pied, nez, dent, main, bouche,
Tout en elle est attrait, tout est tentant, tout touche.
[38] M. R. a fait sur ce littérateur l'épigramme suivante:
Ce jeune homme a beaucoup acquis,
Beaucoup acquis, je vous assure;
Car, en dépit de la nature,
Il s'est fait poëte et marquis.
[39] Réponse à une dame qui, après la lecture des œuvres de Sedaine, marquait de la surprise sur les nombreux succès de cet auteur:
Eh! pourquoi, s'il vous plaît, n'aurait-il pas la vogue?
Il entend bien le dialogue;
Dans la Gageure il est divin,
Montauciel fait pleurer, Victorine fait rire:
Ma foi! pour être un écrivain,
Il ne lui manque rien que de savoir écrire.
N.
Bon Dieu! que cet auteur est triste en sa gaîté;
Bon Dieu! qu'il est pesant dans sa légèreté:
Que ses petits écrits ont de longues préfaces!
Ses fleurs sont des pavots, ses ris sont des grimaces.
Que l'encens qu'il prodigue est fade et sans odeur!
Il est, si je l'en crois, un heureux petit-maître;
Mais si j'en crois ses vers, ah! qu'il est triste d'être
Ou sa maîtresse ou son lecteur.
LA HARPE.
[41] Ce jeune militaire étant de service à Versailles, gagna la petite vérole de Louis XV, et en mourut. On l'enterra comme un homme qui n'avait plus rien; on l'oublia comme un ruban dont la mode est passée.
[42] En 1779 il parut une chanson sur les actrices de la Comédie-Française. Voici le premier couplet:
Air des trois Fermiers.
La Vestris achète à grand prix
Les bravo de la populace;
A force d'art et de grimace,
Elle fait applaudir ses cris.
Mais elle ne vaut, à tout prendre, (bis
Pas un sou,
Pas un sou,
Pas un soupir tendre. bis.)
[43] Lorsque ce poëte fit paraître son poëme des Baisers, Guichard lui adressa ce quatrain:
Pour vingt baisers sans chaleur, sans ivresse,
Prendre un louis! y penses-tu?
Eh, mon ami! pour un écu
J'en aurai cent de ta maîtresse.
[44] Lorsqu'on porta les sacremens à ce ministre, une poissarde se mit à dire: On a beau lui porter le bon Dieu, il n'empêchera pas que le diable ne l'emporte.
[45] C'est en 1781 que le duc de Chartres fit construire le nouveau Palais-Royal; on y afficha les vers suivans:
Le prince des gagne-deniers,
Abattant des arbres antiques,
Nous réserve sous ses portiques,
Au travers de petits sentiers,
L'air épuré de ses boutiques
Et l'ombrage de ses lauriers.
[46] Ce ministre s'était successivement appelé Phélippeaux, Saint-Florentin et la Vrillière. On lui a fait cette épitaphe:
Ci-gît, malgré son rang, un homme fort commun,
Ayant porté trois noms et n'en laissant aucun.
LE CONCERT CHAMPÊTRE.
Qu'ils me sont doux ces champêtres concerts
Où rossignols, pinsons, merles, fauvettes,
Sur leur théâtre, entre des rameaux verts,
Viennent gratis m'offrir leurs chansonnettes!
Quels opéras me seraient aussi chers?
Là n'est point d'art, d'ennui scientifique:
Gluck et Rameau n'ont point noté les airs;
Nature seule en a fait la musique,
Et Marmontel n'en a point fait les vers.
LEBRUN.
[48] Ce jeune seigneur avait un précepteur que son père, le duc de R., trouva un jour en tête à tête avec sa chère moitié. Que n'étiez-vous là, Monsieur? lui dit la duchesse avec dignité; quand je n'ai pas mon écuyer je prends le bras de mon laquais.
[49] Ce littérateur disait à Chénier que deux concurrens pour une place à l'Institut lui avaient passé sur le corps: Mon ami, répondit le poëte, vous êtes le pont aux ânes.
[50] Allusion plaisante à un ouvrage qui, sous ce titre, jouissait alors d'une certaine vogue.
[51] Cette dame était une jeune et jolie femme attachée à la duchesse de Chartres. Le marquis de la Fayette qui en était épris, ne pouvant réussir auprès d'elle, de dépit passa chez les insurgens, et elle devint indirectement le principe de sa fortune et de sa gloire.
[52] En 1775 le comte d'Artois ayant eu part aux faveurs de cette nymphe, les plaisans dirent que ce prince venait à Paris prendre du thé quand il était gorgé de biscuit de Savoie. On sait que la comtesse d'Artois était une princesse de Savoie.
[53] Cette actrice n'espérant plus rien de son amant, l'abandonna à son malheureux sort. M. de Bièvre fit à ce sujet les vers suivans:
Vous êtes surpris que Laguerre
Ait quitté le pauvre Bouillon?
Depuis que Turenne est en terre
La paix est dans cette maison,
Et le bon duc hait tant la guerre
Qu'il en redoute jusqu'au nom.
[54] En 1768 Mlle G., que Marmontel appelait la belle damnée, s'était montrée aux promenades de Longchamp dans un char d'une élégance exquise. On remarqua surtout les armes parlantes qui en décoraient les panneaux. Au milieu de l'écusson se voyait un marc d'or d'où sortait un gui de chêne; les Grâces servaient de support, et les Amours couronnaient le cartouche.
[55] Barthe dit à ce sujet, dans ses Statuts pour l'Opéra:
Donnons ordre à ces demoiselles
De n'accoucher que rarement;
En deux ans une fois, une fois seulement:
Paris ne goûte point ces couches éternelles.
Dans un embarras maudit
Ces accidens-là nous plongent:
Plus leur taille s'arrondit
Plus nos visages s'allongent.
[56] Ce poëte mourut à Paris d'une maladie de langueur, le 29 avril 1780. On lui fit cette épitaphe:
De nos papillons enchanteurs
Emule trop fidèle,
Il caressa toutes les fleurs,
Excepté l'immortelle.
[57] Cette actrice chantait ordinairement fort bien dans la Fausse Magie l'ariette qui commence par ces mots: Comme un éclair. Elle venait de finir assez mal ce morceau, lorsqu'un amateur arrive tout essoufflé dans une loge, et demande vivement:—A-t-elle chanté Comme un éclair?—Non, Monsieur, elle a chanté comme un cochon.
[58] Cette actrice avait été fort jolie et méritait le quatrain suivant:
Coupé, mille Amours sur vos traces
Viennent entendre vos chansons;
Vous les attirez par vos sons,
Et les retenez pas vos grâces.
N.
[59] A Mlle Contat, jouant le rôle de Thalie dans la Centenaire de Corneille:
A voir tous les Amours voltiger sur vos traces,
A cet air enchanteur, à ce ton séduisant,
On croirait que Thalie a cédé son talent
A la plus belle des trois Grâces.
HOFFMAN.
[60] M. de Bièvre disait que le cœur des courtisanes est comme un miroir qui réfléchit tous les objets qu'on lui présente, sans en garder jamais aucun souvenir.
[61] Le maréchal duc de Duras était chargé en 1779 de la surveillance des théâtres. Linguet ayant dans une de ses feuilles maltraité ce seigneur au sujet de ses vexations contre Mlle Sainval aînée, celui-ci fit dire au journaliste qu'il eût à s'abstenir de parler de lui, ou qu'il lui ferait donner des coups de bâton. Tant mieux, répliqua Linguet; on pourra du moins dire qu'il s'est servi de son bâton.
[62] Marmontel s'était uni à Piccini pour refaire l'opéra de Roland. Les Gluckistes logèrent le poëte rue des Mauvaises-Paroles, et le musicien rue des Petits-Champs. Les Piccinistes prirent leur revanche, et firent placarder que le chevalier Gluck, auteur d'Iphigénie, d'Orphée, d'Alceste et d'Armide, logeait rue du Grand-Hurleur.
[63] Cette nymphe eut la générosité de refuser les propositions de son amant, qui, de désespoir, se retira à la Trappe: il démentit en cela le caractère national.
Lorsqu'un objet fait résistance,
L'Anglais fier et vain s'en offense;
L'Italien est désolé;
L'Espagnol est inconsolable;
L'Allemand se console à table;
Le Français est tout consolé.
N.
[64] Mme N. disait: On reproche à Jean-Jacques d'être un hibou; oui, mais c'est celui de Minerve; et quand je songe au Devin du Village, j'ajoute: déniché par les Grâces.
[65] Ce mot a été attribué à Piron; mais souvent les beaux esprits se rencontrent.
[66] A cette époque un plaisant fit ainsi le tableau des ministres:
Monsieur Turgot brouille tout,
Monsieur de Saint-Germain renverse tout,
Monsieur de Malesherbes sait tout,
Monsieur de Sartines doute de tout,
Monsieur de Maurepas rit de tout.
[67] Apostrophe mortifiante pour monsieur Amelot, qui, étant intendant de Bourgogne lors des troubles de la magistrature en 1771, contribua à la destruction et reconstruction du parlement de Dijon.
[68] Pour établir une hiérarchie parmi les femmes attachées aux grands spectacles, on disait les dames de la Comédie-Française, les demoiselles de la Comédie-Italienne, et les filles de l'Opéra.
[69] En 1775 ce ministre était à l'Opéra la veille d'une émeute. On fit à ce sujet l'épigramme suivante:
Monsieur le comte, on vous demande;
Si vous ne mettez le holà
Le peuple se révoltera.
—Dites au peuple qu'il attende;
Il faut que j'aille à l'Opéra.
[70] M. Laus de Boissi étant chez Mme de Villette lors de sa première grossesse, trouva sur la cheminée un Mathieu Lænsberg. Ah! Madame, s'écria-t-il aussitôt, voici une prophétie qui vous concerne, et il lut le quatrain suivant qu'il venait de composer, comme s'il l'eût trouvé dans l'almanach:
De Belle et Bonne il doit naître un enfant
Qui recevra le surnom de sa mère:
Il y joindra grâce, esprit, enjouement;
Car il faut bien qu'il tienne de son père.
[71] Le jour de ce début son père, le diou de la danse, vêtu d'un riche habit de cour, l'épée au côté, le chapeau sous le bras, se présenta avec son fils sur le bord de la scène, et, après avoir adressé au parterre des paroles pleines de dignité sur la sublimité de son art et les nobles espérances que donnait l'auguste héritier de son nom, il se tourna d'un air imposant vers le jeune candidat, et lui dit: Allons, mon fils, montrez votre talent au poublic; votre père vous regarde.
[72] Voltaire était logé chez le marquis de Villette, qui, jouissant peut-être avec trop de vanité du bonheur de montrer son hôte à tout Paris, s'attira ce quatrain:
Petit Villette, c'est en vain
Que vous prétendez à la gloire;
Vous ne serez jamais qu'un nain
Qui montre un géant à la foire.
[73] La plus belle promenade d'Athènes s'appelait le Céramique, d'un mot grec qui signifie tuile, origine semblable à celle du plus beau jardin de Paris, qu'on nomme les Tuileries. On sait que le célèbre Lenôtre en a dirigé l'exécution.
Sur la forme d'un beau jardin
Si le goût devient incertain,
Anglais, Chinois gardez le vôtre;
Car jamais vous n'aurez Lenôtre.
[74] Cette nymphe reçut un jour ce madrigal:
Pour te fêter, belle R.,
Que n'ai-je obtenu la puissance
De changer vingt fois en un jour
Et de sexe et de jouissance!
Oui, je voudrais pour t'exprimer
Jusqu'à quel degré tu m'es chère,
Etre jeune homme pour t'aimer,
Et jeune fille pour te plaire.
[75] Barthe, dans ses Statuts pour l'Opéra, adresse aux débutantes l'article suivant:
Pour toute jeune débutante
Qui veut entrer dans les ballets,
Quatre examens au moins c'est la forme constante;
Primo, le duc qui la présente,
Y compris l'intendant et les premiers valets:
Ceux-ci près de la nymphe ont droit de préséance;
Secundo, nous, ses directeurs;
Tertio, son maître de danse;
Quarto, pas plus de trois acteurs.
[76] Un jour que cette danseuse jouait le rôle de Campaspe dans le ballet d'Alexandre, Favart lui adressa ces vers:
Dans ce ballet, nouvelle Terpsichore,
Vous présentez à nos regards surpris
La superbe Pallas, la sensible Cypris,
La légère Diane et la charmante Flore.
Sous leurs différens attributs
Tous les cœurs sont forcés de vous rendre les armes.
Eh! le moyen de braver tant de charmes?
Si l'on résiste à Flore, on est pris par Vénus.
[77] M. Lebegue de Presle, médecin et ami de J.-J. Rousseau, étant allé le voir à Ermenonville quelque temps avant sa mort, il le trouva montant péniblement de sa cave, et lui demanda pourquoi à son âge il ne confiait pas ce soin à Mme Rousseau? Que voulez-vous? répondit-il; quand elle y va elle y reste.
[78] Ce poëte, dans son enthousiasme, lui adressa une chanson remplie de grâce et de sentiment. En voici un couplet:
Quoiqu'Amour m'ait dans ses chaînes
Engagé plus d'une fois,
Quoiqu'Amour, malgré ses peines,
M'ait fait adorer ses lois,
Par une erreur très facile
Dans un cœur bien enflammé,
Je crois, près de Cléophile,
N'avoir pas encore aimé.
[79] Un provincial venait d'arriver à Paris; son hôte lui demanda s'il voulait voir la Veuve du Malabar.—Ah! que nenni, reprit-il; je m'en tiendrai, s'il vous plaît, à ma femme.
[80] On lui adressa le lendemain ce madrigal:
Vous chantez comme une syrène,
Vous buvez autant que Silène,
Et vous aimez mieux que Cypris;
Des plaisirs vous êtes la reine:
Partout vous remportez le prix,
A la table, au lit, sur la scène.
[81] Cette actrice étant allé jouer à Amiens, un jeune homme lui offrit son cœur et vingt-cinq louis; elle le toise avec dignité et lui dit d'un ton imposant: Jeune homme, gardez votre hommage et vos vingt-cinq louis; si vous me plaisiez je vous en donnerais cent.
[82] Cet aéronaute ayant fait en 1784 une ascension malheureuse, on chanta le couplet suivant, qu'on pourrait appliquer à plusieurs de ses confrères:
Au champ de Mars il s'enrôla,
Au champ voisin il resta là,
Beaucoup d'argent il ramassa,
Sic itur ad astra.
[83] Un anti-mesmeriste fit alors circuler cette épigramme:
Le magnétisme est aux abois;
La Faculté, l'Académie
L'ont condamné tout d'une voix,
Et même couvert d'infamie.
Après ce jugement bien sage et bien légal,
Si quelqu'esprit original
Persiste encor dans son délire,
Il sera permis de lui dire:
Crois au magnétisme.... animal.
[84] Un amateur qui avait admiré aux concerts de Feydeau les talens de M. G., observait qu'il n'avait cependant qu'un petit filet de voix.—Tudieu! reprit quelqu'un qui pendant la romance avait évalué la recette, vous appelez cela un petit filet, qui pêche huit mille francs dans la poche des Parisiens!
[85] Le jeune Vestris ayant fait à son père des mémoires effrayans, il fit venir cet enfant prodigue, et, à la suite d'une longue réprimande, il lui dit gravement qu'il ne voulait pas de Guémené dans sa famille.
[86] a madame de G.,
AUTEUR DE MILLE ET UN OUVRAGES.
Vous avez la fureur d'écrire,
Et rien ne peut la réprimer;
Mais avant de vous faire lire
Tâchez de vous faire estimer.
A. D.
[87] En 1779 ce petit mutin n'ayant absolument pas voulu doubler son père dans un des derniers ballets d'Armide, reçut l'ordre de se rendre au Fort-l'Evêque. Rien de plus pathétique que les adieux du père et du fils: Allez, lui dit le diou de la danse, allez, mon fils; voilà le plus beau jour de votre vie. Prenez mon carrosse et demandez l'appartement de mon ami le roi de Pologne; je paierai tout.
[88] En 1774 Caron de Beaumarchais ayant perdu un procès porté au parlement Maupeou, on adressa à ses juges le quatrain suivant:
O vous, qui lancez le tonnerre,
Quand vous descendrez chez Pluton,
Prenez votre chemin par terre;
Vous seriez mal menés dans la barque à Caron.
[89] M. Bourgueil a fait sur ce trait le quatrain suivant:
L'autre soir du divorce on causait entre amis;
Chacun de cette loi parlait à sa manière.
Cette loi, dit Chloé, moi je la définis
Le sacrement de l'adultère.
[90] M. Bertin, trésorier des parties casuelles, avait voulu l'épouser; mais elle refusa sa main par attachement pour le comte de L.