Au pays des pardons
SAINTE-ANNE DE LA PALUDE
LE PARDON DE LA MER
A Alexandra Vassilievna
I
La première fois que je visitai le sanctuaire de la Palude, c’était en hiver. Je m’y rendis de Châteaulin, dans une mauvaise carriole de paysan. Il faisait un après-midi d’un gris pluvieux qui avait toute la tristesse d’un crépuscule. L’homme qui conduisait avait une mine couleur du temps. On ne voyait de lui qu’un grand feutre aux bords cassés et une limousine bigarrée dont il s’était enveloppé tout le corps comme d’un burnous. Ni à l’aller ni au retour je ne pus lui arracher une parole. A chacune de mes questions il se contentait de répondre par un grognement. S’il ne parlait pas, en revanche il sifflait. Tant que dura le trajet, il siffla sans désemparer, et toujours le même air, quelque chanson de pâtre d’une désespérante monotonie. Je crois l’entendre encore. Pour compagne de voiture j’avais une petite Crozonnaise qui revenait de Lourdes et que nous devions débarquer dans les parages du Ménez-Hom. Elle s’obstinait, elle aussi, dans un mutisme farouche, le visage dissimulé sous la cape d’un épais manteau de bure noire, et, dans les doigts, un chapelet à gros grains — un souvenir de là-bas — dont elle faisait glisser les dizaines d’un mouvement continu et furtif. La prière errait sans bruit sur ses lèvres minces. Ses paupières demeuraient opiniâtrément baissées, sans doute pour ne rien laisser fuir du monde de visions extatiques qu’elle rapportait de son pèlerinage. Son front étroit, d’un dessin très pur, était fermé comme d’une barre. J’eusse souhaité avoir de sa bouche quelques renseignements sur le grand pays mélancolique — inconnu pour moi — que nous traversions et dont les moindres détails devaient lui être familiers. Mais je devinai tout de suite en elle une de ces petites sauvagesses de la côte bretonne pour qui tout homme habillé en bourgeois, parlât-il leur langue, est un étranger, un être suspect. Je n’eus garde de la troubler dans son oraison.
Ce fut un singulier voyage, ce que les Bretons appellent « un voyage de Purgatoire » à cause, sans doute, de l’aspect fantômal que prennent les lointains sous les ciels bas et troubles, noyés d’eau.
Nous gravîmes d’abord une série de paliers, dans une contrée nue, hérissée seulement çà et là de pins sombres au feuillage couleur de suie, derniers survivants d’une forêt décimée. A droite, à gauche, s’arrondissaient des dos de collines pareils à des tombes immenses des âges préhistoriques. J’ai su depuis les noms de ces cairns étranges. Presque tous sont connus sous des vocables de saints ; des chapelles se dressent à leur sommet ou s’accrochent à leurs flancs : petits oratoires déserts et caducs où trône quelque vieille statue barbare, et dont la cloche ne s’éveille qu’une fois l’an, pour tinter une basse messe, le jour du pardon. Si l’on en croit la légende, Gildas lui-même eut sa cellule sur une de ces hauteurs, Gildas, l’apôtre à la parole véhémente, le Jérémie de l’émigration bretonne. Sa grande ombre rôde, dit-on, inapaisée, dans ces parages et il n’est pas rare, durant les nuits de tempête, qu’on entende gronder sa voix, mêlée au fracas de l’ouragan.
A l’auberge des Trois Canards, le véhicule fit halte. Nous étions au pied du Ménez-Hom. La Crozonnaise descendit, paya sa place au conducteur, et s’engagea dans la montagne, tandis que nous dévalions vers la mer. C’étaient maintenant des cultures boisées, des champs encadrés d’épais talus où apparaissait de temps à autre une toiture de ferme au centre d’un bouquet de chênes, mais le paysage restait muet et comme inhabité. Nous traversâmes deux ou trois bourgs, sans voir une âme, puis de nouveau la terre se dégarnit. Plus d’arbres, nulle trace de labour. Un souffle âpre nous fouetta le visage ; des vols d’oiseaux blancs passèrent en poussant un cri bizarre, une sorte de glapissement guttural ; le bruit d’une respiration puissante et sauvage s’éleva, et, par une échancrure des dunes, j’aperçus l’océan. Je lui trouvai une mine rétrécie, à la fois odieuse et bête, sinistre et pleurarde.
— Nous sommes donc arrivés ? demandai-je à l’homme, en le voyant sauter à bas de son siège.
— Oui, me répondit-il d’un ton bref et sans s’interrompre de siffler.
De fait, la route semblait finir là, devant un porche en ruine donnant accès dans une cour au fond de laquelle une espèce de manoir de forme primitive croulait de vétusté. On eût dit un logis abandonné. Mon entrée mit en fuite une bande de poussins. Le sol de terre battue était jonché d’outils et d’engins de toute sorte : je dus enjamber une charrue renversée le soc en l’air ; des filets de pêche séchaient suspendus aux dents d’une herse, le long de la muraille, et des hoyaux, des pioches de carriers traînaient, pêle-mêle avec des rames, des poulies, des tronçons de mâts, épaves d’un récent naufrage, sentant le goudron et la saumure. Je crus m’être trompé, avoir pris la grange pour l’habitation, et je m’apprêtais à rebrousser chemin, quand vint se planter en face de moi, échappée je ne sais d’où, une fillette d’une douzaine d’années, figure hâve aux yeux verts et phosphorescents, qui, posant un doigt sur ses lèvres, me fit signe de ne point parler.
— Mon père s’assoupit, murmura-t-elle ; pour Dieu ! donnez-vous garde de le réveiller.
Elle me montrait à l’autre bout de la pièce un lit clos, le seul meuble à peu près valide qu’il y eût en ce pauvre intérieur. Une forme humaine y était couchée, dans une rigidité cadavérique ; un linge mouillé recouvrait le visage ; les mains, étendues à plat sur la couette de balle, étaient souillées de boue et de sang.
— Qu’est-ce qu’il a donc, ton père ?
— Avant-hier, comme il revenait du marché, un peu soûl, je pense, la charrette lui a passé sur le corps. Depuis, il n’a cessé de geindre, jour et nuit, si ce n’est tout à l’heure quand je lui ai appliqué ce linge sur la face. C’est le premier repos que je lui vois prendre.
— Et tu n’as pas appelé de médecin ?
A cette question si naturelle, la fillette scandalisée eut un bond d’effarement et, fixant sur moi ses claires prunelles de chatte sauvage :
— Ne sommes-nous pas ici dans la terre de sainte Anne ? prononça-t-elle. Que parlez-vous de médecin ? Est-ce que la Mère de la Palude n’est pas la plus puissante des guérisseuses ? Elle saura bien, sans l’aide de personne, guérir mon père qui est son fermier. J’ai trempé par trois fois, en récitant trois oraisons, le linge que voilà dans l’eau de la fontaine sacrée, et vous voyez par vous-même comme déjà sa vertu opère. Qu’est-il besoin d’autre médicament ?
Elle n’avait pas élevé la voix, de crainte de troubler le sommeil du malade, mais dans son accent vibrait une foi sombre. Peut-être y perçait-il aussi quelque irritation contre moi, car elle ajouta aussitôt d’un ton presque hostile :
— Si vous êtes venu pour la clef, vous pouvez aller. La chapelle est ouverte.
En me dirigeant vers cette chapelle, je m’attendais à trouver une antique maison de prière enfoncée à demi dans le sable des dunes, un de ces vieux oratoires de la mer comme j’en avais tant vu le long de la côte, de Douarnenez à Penmarc’h, avec des murs bas, des fenêtres à ras de sol, une toiture massive et, pour ainsi dire, râblée, capable de braver pendant des siècles la colère tumultueuse des vents. Ce fut une église neuve qui m’apparut. Quand je dis neuve, j’entends de construction récente, car les choses en Bretagne prennent tout de suite un air ancien. Le granit des murs, fouetté par la pluie, avait revêtu des teintes de lave. La porte, en effet, était ouverte. J’entrai. Un intérieur nu, sans poésie et sans mystère ; un jour blafard ; la propreté morne d’une maison bien tenue dont le propriétaire serait constamment en voyage ; çà et là des statues modernes, d’un goût vulgaire et prétentieux. Je ne laissai pas d’éprouver un désappointement assez vif, après toutes les merveilles qu’on m’avait contées de ce lieu de pèlerinage. J’allais sortir : une petite toux chevrotante me fit me retourner et, dans le bas-côté méridional, j’avisai une forme humaine, repliée et comme écroulée sur elle-même, au pied d’un pilier. C’était une de ces vieilles pauvresses dont le type tend à disparaître et qu’on ne rencontre plus guère qu’aux abords des sources sacrées. Elle priait devant une image que je n’avais point aperçue. Sur le socle se lisait cette inscription : Sainte Anne, 1543. De bizarres ex-voto pendaient, accrochés à la muraille : des béquilles, des épaulettes de laine, des linges maculés, des jambes en cire.
Je fus frappé de l’extraordinaire ressemblance de la suppliante avec la sainte, l’une en pierre, l’autre pétrifiée à demi. Elles avaient mêmes traits, même attitude et, dans l’expression, le même navrement, ce masque de douloureuse résignation si particulier aux visages de vieilles femmes en ce pays. Leurs accoutrements aussi étaient pareils, cape grise et jupe rousse, tablier à large devantière venant s’épingler sous les aisselles. Ce me fut une occasion de constater que le costume local a peu varié depuis le XVIe siècle. En outre, je saisissais là sur le vif un des procédés — le plus original peut-être — de l’art breton. C’est dans leur entourage immédiat, parmi les gens du peuple, dont ils faisaient partie et au milieu desquels ils travaillaient, que nos imagiers de la bonne époque prenaient leurs modèles. Ainsi s’expliquent le réalisme naïf de la plupart des figures sorties de leurs mains, l’intensité de vie qu’elles respirent, l’empreinte ethnique dont elles sont marquées. C’est également ce qui fait que les têtes de nos saints paraissent moulées sur celles de nos paysans et qu’à voir tel chanteur nomade, debout au seuil d’une chapelle, on se demande si ce n’est point un des apôtres du porche descendu de son piédestal.
La pauvresse s’était levée à mon approche. Elle tenait un plumeau rustique, des ramilles de bouleau nouées d’un lien d’écorce, dont elle se mit à épousseter religieusement les dalles du parquet.
— Savez-vous, lui dis-je, que sainte Anne et vous avez l’air de deux sœurs.
— Je suis comme elle une aïeule, me répondit-elle, et, comme moi, Dieu merci ! elle est Bretonne.
— Sainte Anne, une Bretonne ? En êtes-vous bien sûre, marraine vénérable ?
Elle me regarda de son œil de fée, à travers ses longs cils grisonnants ; et, d’un ton de pitié :
— Comme on voit bien que vous êtes de la ville ! Les gens de la ville sont des ignorants ; ils nous méprisent, nous autres, gens du dehors, parce que nous ne savons point lire dans leurs livres, mais, eux, que sauraient-ils de leur pays, si nous n’étions là pour les renseigner !… Eh oui ! sainte Anne était Bretonne… Allez au château de Moëllien, on vous montrera la chambre qu’elle habitait, du temps qu’elle était reine de cette contrée. Car elle fut reine ; elle fut même duchesse, ce qui est un plus beau titre. On la bénissait dans les chaumières, à cause de sa bonté, de son infinie commisération pour les humbles et pour les malheureux. Son mari, en revanche, passait pour très dur. Il était jaloux de sa femme, ne voulait pas qu’elle eût d’enfants. Lorsqu’il découvrit qu’elle était grosse, il entra dans une grande colère et la chassa comme une mendiante, en pleine nuit, au cœur de l’hiver, à demi nue sous une pluie glacée.
» Errante et plaintive, elle marcha devant elle au hasard. Dans l’anse de Tréfentec, au bas de cette dune, une barque de lumière se balançait doucement, quoique la mer fût agitée ; et à l’arrière de la barque se tenait un ange blanc, les ailes éployées en guise de voiles.
» L’ange dit à la sainte :
» — Monte, afin que nous appareillions, car les temps sont proches.
» — Où prétendez-vous me conduire ? demanda-t-elle.
» Il répondit :
» — Le vent nous mènera. La volonté de Dieu est dans le vent.
» Ils voguèrent du côté de la Judée, prirent terre dans le port de Jérusalem. Quelques jours plus tard, Anne accouchait d’une fille que Dieu destinait à être la Vierge. Elle l’éleva pieusement, lui apprit ses lettres dans un livre de cantiques, et fit d’elle une personne sage de corps et d’esprit, digne de servir de mère à Jésus. Sa tâche terminée, comme elle se sentait vieillir, elle implora le ciel, disant :
» — Je me languis de mes Bretons. Qu’avant de mourir je revoie ma paroisse, la grève, si douce à mes yeux, de la Palude en Plounévez-Porzay !
» Son vœu fut exaucé. La barque de lumière la revint prendre, avec le même ange à la barre, seulement il était vêtu de noir, pour signifier à la sainte son veuvage, le seigneur de Moëllien ayant trépassé dans l’intervalle.
» Les gens du château, assemblés sur le rivage, accueillirent leur châtelaine avec de grandes démonstrations de joie, mais elle les congédia sur-le-champ.
» — Allez ! leur enjoignit-elle, allez, et distribuez aux pauvres tous mes biens.
» Elle avait résolu de finir ses jours terrestres dans la pénitence. Et désormais elle vécut ici, sur cette dune déserte, en une oraison perpétuelle. L’éclat de ses yeux rayonnait au loin sur les eaux, comme une traînée de lune. Aux soirs d’orage, elle était la sauvegarde des pêcheurs. D’un geste elle apaisait la mer, faisait rentrer les vagues dans leur lit ainsi qu’une bande de moutons à l’étable.
» Jésus, son petit-fils, entreprit à cause d’elle le voyage de Basse-Bretagne. Avant de gravir le Calvaire, il vint lui demander sa bénédiction, accompagné des disciples Pierre et Jean. La séparation fut cruelle : Anne pleurait des larmes de sang, et Jésus avait beau faire, il ne réussissait point à la consoler. Finalement il lui dit :
» — Songe, grand’mère, à tes Bretons. Parle ! Et, en ton nom, quelque faveur que ce soit, je suis prêt à la leur accorder.
» La sainte alors essuya ses pleurs.
» — Eh bien ! prononça-t-elle, qu’une église me soit consacrée en ce lieu. Et, aussi loin que sa flèche sera visible, aussi loin que s’entendra le son de ses cloches, que toute chair malade guérisse, que toute âme, vivante ou morte, trouve son repos !
» — Il en sera selon ton désir, répondit Jésus.
» Pour mieux appuyer son dire, il planta dans le sable son bâton de route, et aussitôt des flancs arides de la dune une source jaillit. Elle coule depuis lors, intarissable ; qui boit de son eau, avec dévotion, sent comme une fraîcheur délicieuse qui lui rajeunit le cœur et circule à travers ses membres.
» Un soir, il y eut dans le pays un grand deuil. Le ciel se couvrit d’une brume épaisse ; la mer poussa des sanglots presque humains. Sainte Anne était morte. Les femmes d’alentour vinrent en procession, avec des pièces de toile fine, pour l’ensevelir. Mais on chercha vainement son cadavre : nulle part on n’en trouva trace. Ce fut une véritable consternation. Les anciens murmuraient tristement :
» — Elle est partie pour tout de bon. Elle n’a même pas voulu confier à notre terre sa dépouille. C’est assurément que quelqu’un de nous, sans le savoir, lui aura manqué.
» Cette pensée les affligeait. Soudain, le bruit courut que des pécheurs avaient ramené dans leur senne une pierre sculptée. Quand on eut débarrassé la pierre des coquillages et des algues qui l’enveloppaient, chacun reconnut l’image de la sainte. Comme il n’y avait pas en ce temps-là de chapelle à la Palude, on décida de la transporter à l’église du bourg. Elle fut donc placée sur un brancard. Elle était si légère que quatre enfants suffirent à la monter jusqu’à la fontaine. Mais on ne put jamais la faire aller plus loin. Plus on s’efforçait de la soulever, plus elle devenait pesante. Les anciens dirent :
» — C’est un signe. Il faut lui bâtir ici sa maison.
» Voilà, mon gentilhomme, la véridique histoire d’Anne de la Palude, en Plounévez-Porzay. La voilà, telle que je l’ai retenue de ma mère, qui l’apprit de la sienne, à une époque où les familles se transmettaient pieusement de mémoire en mémoire les choses du passé.
La bonne vieille, tout en contant, balayait, amassait la poussière par petits tas, la recueillait à mesure dans le creux de son tablier. Après m’avoir parlé de la sainte, elle m’entretint de sa vie, à elle, de sa longue et monotone vie, nue, vide, silencieuse, dépeuplée comme ce sanctuaire où elle achevait de s’écouler péniblement. C’était effrayant, c’était tragique, à force de simplicité. Une joie brève, çà et là, une de ces fleurettes éphémères dont s’étoile au printemps le gazon des dunes. Quant au reste, des deuils, des glas, et, dominant tout, le bruit de mâchoires que fait dans les galets la mer broyant ses victimes.
— Je n’ai plus de fils ; mes brus sont mortes ou remariées. Je m’assieds quelquefois aux foyers des autres, mais j’y suis mal à l’aise ; leur flamme ne réchauffe point. Des douaniers compatissants m’ont abandonnée une des huttes basses où ils ont coutume de s’abriter, la nuit, lorsqu’ils sont de garde le long de cette côte. J’y couche sur un lit de varechs. Mais je ne me plais qu’ici. Tous les matins, je vais à la ferme prendre la clef. Je remplis les fonctions de sacristine : je sonne les trois angélus ; je reçois les pèlerins et je leur fais les honneurs de la maison ; souvent ils me demandent de réciter pour eux des oraisons spéciales dont je suis à peu près seule à posséder le secret ; je les conduis à la source, je leur verse l’eau dans les manches ou sur la poitrine, suivant le genre de maladie dont ils sont atteints. Dès qu’ils se mettent en route pour venir trouver la sainte, j’en suis avertie par des signes particuliers et surnaturels. Tantôt c’est le bruit d’un pas invisible dans l’église déserte, tantôt un craquement dans les boiseries de l’autel, tantôt enfin, quand il s’agit d’un grand vœu, de légères gouttes de sueur perlant au front de la statue. En général, il n’y a de monde que le mardi, qui est le jour consacré. Le reste de la semaine, la Mère de la Palude n’a devant les yeux que ma pauvre vieille face, aussi délabrée qu’un mur en ruine. Elle me sourit néanmoins, se montre envers moi pitoyable et douce, m’encourage, me sauve des tristesses où sans elle je serais noyée. Je lui tiens compagnie de mon mieux. Je cause avec elle et il me semble qu’elle me répond. Je lui chante les gwerz qu’elle aima, son cantique, le plus beau, je pense, qu’il y ait en notre langue. Et puis, je nettoie, j’arrose, je balaie. Je recueille les poussières, j’en donne aux pèlerins des pincées qui, répandues sur les terres, activeront le travail des semences, préserveront de tout dégât le blé des hommes et le foin des troupeaux.
Je voulus lui glisser dans la main quelques pièces de monnaie.
— Le tronc est là-bas, — me dit-elle ; — moi, je ne suis qu’une servante en cette demeure, je n’ai pas qualité pour recevoir les offrandes.
Je craignis de l’avoir froissée, mais, au premier mot d’excuse, elle m’interrompit et, comme je prenais congé :
— Revenez nous voir, mon gentilhomme. Tâchez seulement que ce soit en été, le dernier dimanche d’août. Alors, vous contemplerez sainte Anne dans sa gloire. Nulle fête n’est comparable à celle de la Palude, et celui-là ne sait point ce que c’est qu’un pardon, qui n’a pas assisté, sous la splendeur du soleil béni, aux merveilles sans égales du pardon de la Mer.