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Au Pays des Peaux-Rouges: Six ans aux Montagnes Rocheuses; Monographies indiennes

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Une famille indienne.

laissé sur le bord de la rivière. Pendant leur absence, il décapita les deux enfants qui dormaient dans leur lit, laissa les têtes sur l’oreiller, coupa les petits corps en morceaux et les fit bouillir. Quand les femmes rentrèrent, il leur servit cette viande qu’elles prirent pour du chevreuil et trouvèrent excellente; puis il s’enfuit. Ayant découvert la cruelle vérité, les pauvres mères allèrent sur la colline pousser des gémissements et de longues lamentations. Près du sommet, elles virent un homme sortir d’un trou: c’était l’entrée d’une galerie souterraine qui avait une autre ouverture derrière la colline. L’homme les engagea à descendre dans cette galerie, leur disant qu’elles y trouveraient certainement le Napi. Sitôt qu’elles y furent, le Napi (car c’était lui) alluma un grand feu aux deux extrémités, et les malheureuses périrent suffoquées.

Un jour je demandai à un de mes néophytes, nommé «Queue-d’Ecureuil», ce qu’il pensait du Napi. «Je crois que c’est le diable, me répondit il:—Et moi aussi, repris-je, je le crois, car il en a tous les traits; il ne lui manque pas même les cornes.»

XVI.

Une pipe vendue pour trente chevaux.

Un Indien nommé Grande-Plume avait vendu sa pipe pour trente chevaux. Comme je demandai à des sauvages la raison de ce prix exorbitant: «Etait-ce donc une si grande pipe?» ils me répondirent: «Non, c’est une pipe ordinaire, mais très vieille.» Elle remonte au temps où les Pieds-Noirs habitaient dans les cavernes, n’ayant ni chiens ni chevaux et dès lors elle passait en héritage d’un chef à l’autre. Elle vint ainsi jusqu’à Grande-Plume.

»Il y a quelque temps un Indien nommé «Buffle-Croissant» tomba gravement malade; comme il avait beaucoup de chevaux, il promit, s’il guérissait, d’acheter la pipe. Il guérit et l’acheta pour trente chevaux.

«Parmi nous, lorsque quelqu’un est malade, il prend tous les remèdes des docteurs indiens ou blancs, et si malgré cela il ne guérit pas, il calcule de combien de chevaux il peut disposer. Est-il pauvre, il se dit: Si je guéris, j’irai trouver le possesseur de la pipe, je lui demanderai de me la laisser fumer quelques instants, et je lui donnerai deux ou trois chevaux. Est-il riche, il tâche d’acheter la pipe. Nous Indiens, nous faisons comme vous, Robe Noire: à l’église, vous brûlez des parfums et vous encensez les objets qui sont sur l’autel. De même quand un malade guérit et qu’il va ou fumer la pipe ou l’acheter, nous brûlons des herbes odorantes, et nous encensons la pipe en priant.—Parfait! repris-je; vous dites que vous encensez la pipe comme nous encensons les objets qui sont sur l’autel, soit. Mais il y a une différence: sur l’autel nous avons le crucifix ou l’image de la Madone, et quand nous encensons ou que nous prions ces images, notre encens et nos prières vont à Jésus et à Marie dans le ciel; tandis que vous, lorsque vous encensez la pipe, votre encens s’adresse à la pipe elle-même.» Alors Collier-Noir, un de mes interlocuteurs, après un moment de réflexion, répondit: «Toutes nos médecines viennent du Soleil; c’est Payi-Cicatrice qui alla visiter le Soleil et nous instruisit à son retour. Quand nous encensons la pipe, notre encens monte vers le Soleil et nous le prions de nous secourir et de nous conserver heureux et bien portants.—Vous croyez, leur dis-je, que Payi a été jusqu’au Soleil? S’il avait été là, certainement il n’en serait jamais revenu; car le soleil est tout de feu et n’est pas un homme.»

Les Indiens ne surent que répondre; pensant que cela suffisait, j’ajoutai: «Je suis enchanté de cette causerie; revenez encore me voir et me conter les traditions et les croyances de votre nation pour que j’en écrive à mes amis d’Europe qui désirent tant connaître votre histoire.»

XVII.

Prière d’un Sauvage.

Jean grande-plume est un vieillard de soixante ans et plus, baptisé il y a environ deux mois. Il est venu me voir et m’a dit: «J’ai connu la Robe Noire, il y a 40 ans, quand j’étais encore jeune guerrier, et j’ai appris de lui à prier Dieu et à faire le signe de la croix. D’une main je prenais la prière de la Robe Noire et de l’autre je gardais toutes les prières et superstitions païennes. Je priais Dieu d’abord; puis le soleil, la lune, les étoiles, la terre et tout ce que prient les païens. A la guerre, avant d’attaquer l’ennemi, je descendais de cheval, je m’agenouillais, faisais le signe de la croix et priais Dieu; ensuite je priais comme les Pieds-Noirs et je suis resté sain et sauf jusqu’aujourd’hui. J’ai tué beaucoup d’hommes et de femmes; je n’ai jamais menti, jamais volé et j’ai fait tout le reste.

»L’année dernière au mois de juin, mon fils âgé de sept ans tomba gravement malade; je priai pour lui tout ce que je pouvais prier, et mon fils mourut. Je promis à Dieu que je me ferais baptiser le 4 juillet si mon fils guérissait: mon fils mourut.

»Je priai le soleil et tout ce qui est au firmament, je priai la terre, les chiens de la prairie, je priai l’eau; quand je buvais, je disais: Eau, aie pitié de moi, guéris mon fils; je priai toutes les pierres: ô pierres, aidez-moi, guérissez mon fils: mon fils mourut.

»Alors j’ai changé d’avis; j’ai renoncé aux prières et superstitions des Piégans, et désormais je ne prierai plus que Dieu seul! J’adopterai ta prière, ô Robe Noire, et voilà pourquoi je veux être baptisé. Les superstitions et les médecines des Pieds-Noirs n’ont aucune puissance. Dieu seul est puissant et c’est lui seul que je veux prier, et je désire recevoir la communion le jour de Pâques. J’avais un tas d’objets superstitieux, mais je les ai tous jetés et je ne conserve que le crucifix et les images saintes.»

XVIII.

Le Barbier Indien.

Les Indiens n’ont pas de barbe; la peau de leur visage est lisse comme celle des femmes; mais cela n’est pas naturel; de fait, les adultes sont tous armés de pinces avec lesquelles ils arrachent les poils de leur visage, sitôt qu’ils paraissent.

Un jour que je me trouvais dans un campement d’une trentaine de loges sur les bords du fleuve Big-horn, je visitai un malade couché en plein air près de la tente. Un Indien à l’extérieur brutal remarqua que je n’étais pas rasé depuis une quinzaine de jours. Il m’offrit une pince en me disant: Arrache-toi la barbe. Je refusai et continuai à parler au malade. Mais lui, en vrai Indien, restait planté là devant moi, la main tendue et répétant: Arrache-toi la barbe.

Une douzaine d’hommes faisaient cercle autour de nous, le sourire aux lèvres, curieux de voir comment cela finirait. Je me levai, pris la petite pince et dis au barbier: «Vois, si je m’arrache un poil, tu verras à son extrémité une sorte de racine; ce n’est point une racine, mais un petit morceau de ma cervelle. Maintenant si je m’arrachais toute la barbe, je détruirais complètement ma cervelle, et je serais comme vous, sans barbe et sans cervelle. Les blancs ont de la barbe et fabriquent des fusils, des horloges, des machines à vapeur et font de la photographie. Vous n’avez pas de barbe et vous ne faites rien de tout cela.» Je lui rendis la pince et il s’en alla tout penaud.

XIX.

Une histoire d’ours.

Il y a quelques jours, un métis, nommé François Monroe, bon catholique, vint me trouver et me montra une statuette de la Sainte Vierge qu’il portait sur la poitrine. Elle était en porcelaine, haute d’environ 7 centimètres, enveloppée et cousue dans un sac de cuir, suspendu à son cou. «Cette statuette, dit François, m’a été donnée par mon père; depuis 28 ans je la porte à mon cou et la garderai tant que je vivrai; elle m’a toujours porté bonheur. Ecoutez cette histoire. Il y a dix ans, une de mes filles mourut et j’étais bien affligé. Une nuit j’eus un songe: il me semblait être mort et couché dans un cercueil, près de ma fille. Et je voyais dans les airs la Madone assise et chantant avec accompagnement d’orgue, et une procession de petits hommes descendait vers moi. Je me levai et je vis quatre ours; l’un d’eux me regardait en face, et moi je le regardais aussi; sur la tête il avait des raies noires. Alors je m’éveillai et je racontai mon songe à ma femme; elle répondit que tout irait bien parce que je m’étais levé en rêve. Durant la journée, quelques femmes de ma parenté voulurent aller au pied de la montagne cueillir des fruits sauvages; mais elles avaient peur des ours et me demandèrent de les accompagner. Malgré mon chagrin, je partis avec elles; pendant qu’elles faisaient leur cueillette, j’étais assis sur un tertre et regardais autour pour voir s’il ne venait pas d’ours. Bientôt j’en aperçus un dans la brousse, à la distance d’environ cinq cents pas, qui mangeait des fruits sauvages. Lui ne me voyait pas, car les ours ont la vue faible, mais l’ouïe et l’odorat très fins. Je m’avançai contre le vent, cherchant à m’approcher de lui. Quand je ne fus plus qu’à une centaine de pas, je préparai mon fusil; puis je m’avançai, les yeux fixés sur l’ours, prêt à tirer, s’il se levait. J’étais à pied, mon cheval derrière moi, la bride autour de mon bras. L’herbe était haute, je voulais me rapprocher le plus possible de l’animal pour lui tirer mon coup de fusil dans l’oreille et le renverser à terre avant qu’il ne pût se jeter sur moi. J’avançais les yeux fixés sur l’ours, sans regarder où je mettais le pied. Tout à coup, baissant les yeux, j’aperçois à trois pas de moi un petit ourson qui dormait sur l’herbe, le museau sur ses pattes de devant. S’étant éveillé, il me fixa, je le fixai, je tirai, je lui fracassai la mâchoire et il roula à terre en hurlant. A ce moment précis je vis devant moi, en ligne et debout sur leurs pattes de derrière, quatre ours: deux petits et deux-grands. Je n’avais que sept cartouches. A la vue des quatre ours, je ne songeai point à fuir; au contraire mon cœur se raffermit: je tirai sur le premier et il roula dans l’herbe; je tirai sur le second et il tomba; je tirai sur le troisième qui était le père, et il s’abattit blessé; je tirai sur la quatrième qui était la mère, et la blessai au flanc: fais elle ne tomba point, elle regardait du côté opposé et me tournait le dos. Alors je criai: elle se retourna et je la frappai en pleine poitrine. Elle courut sur moi: je tirai ma dernière cartouche et la blessai à la mâchoire: je sentis l’ours m’étreindre et je m’évanouis.

Revenu à moi, j’ouvris les yeux: mon cheval était près de moi, la tête baissée sur ma figure. L’ourse se tenait à côté du cheval, cherchant à le mordre à la croupe. Je me levai, saisis la bride du cheval et le tournai du côté opposé. Le museau de l’ourse était tout en sang; elle me regardait et en soufflant me lança un flot de sang à la figure. J’étais complètement étourdi. L’ourse tourna derrière le cheval pour venir m’attaquer, je tirai la bride et tournai avec le cheval, et l’ourse saisissant mes vêtements avec ses pattes les déchirait. Je continuai ce manège, l’ourse me suivant toujours et cherchant à saisir mes habits, mais elle en était empêchée par les ruades de mon cheval. Mes habits, ma chemise étaient en lambeaux, et ma poitrine sillonnée de profondes blessures par les griffes de l’ourse. Voyez ces grandes cicatrices! L’ourse s’efforçait de saisir le cheval par ses pieds de derrière; mais celui-ci lui lançait des ruades en pleine poitrine. J’étais épuisé; l’ourse s’éloigna à une trentaine de pas et s’arrêta en me regardant. Je la surveillais, je voulais sauter en selle, mais je savais bien qu’aussitôt elle se précipiterait sur moi avec furie, et je tirai de son fourreau mon coutelas; elle s’élança sur moi, et au moment où elle me mettait une patte sur l’épaule, je lui donnai un coup de couteau dans la gueule; elle me mordit à la main: je sentis les os se rompre, je m’évanouis et restai sans connaissance je ne sais pendant combien de temps.

Lorsque je revins à moi, je me trouvai sous le ventre de mon cheval, et me traînent sur les mains et sur les genoux, je me relevai et je vis l’ourse debout derrière le cheval; elle me regardait, balançant la tête à droite et à gauche, et courut sur moi. Je cherchai à l’esquiver, et tirant le cheval par la bride, je m’efforçai de me défendre par ses ruades contre l’animal; et ainsi nous tournions depuis une demi-heure, quand l’ourse s’éloigna haletante et tomba morte après quelques pas. Le sang jaillissait des artères de mon bras et de ma poitrine. Avec mon fouet, je liai mon bras au poignet et avec le manche je serrai la corde en la tordant jusqu’à ce que le sang cessât de couler. Montant à cheval, je rejoignis les femmes qui furent épouvantées. J’étais tout couvert de sang et deux fragments d’os pendaient de ma main. Je dis à ma femme de couper la chair qui retenait les os brisés. Elle en coupa une partie, mais n’eut pas le courage de couper le reste. Alors prenant l’os entre mes dents, je coupai la chair avec mon couteau; les deux os furent ainsi tranchés et le sang cessa de couler du poignet, mais il jaillissait encore de la poitrine. Les femmes me bandèrent avec des morceaux de mon habit et nous retournâmes à la maison. J’appelai aussitôt le prêtre: ce fut le P. Damiani qui vint; je me confessai et reçus la communion. Mon frère appliqua sur mes blessures des plantes médicinales, et je guéris. Voyez comme ma main est déformée, l’index et le médium sont paralysés.

Je portais cette statuette de la Vierge suspendue à mon cou par un cordon que l’ourse qui avait déchiré tous mes habits, ne réussit pas à rompre. Ma ceinture et la bretelle de mon fusil furent déchirées, mais le cordon de la statuette resta intact et la très sainte Vierge me sauva.»

Tel fut le récit de François Monroe. J’ai demandé plus tard au P. Damiani s’il était vrai qu’il eût administré les sacrements à François Monroe après son combat avec l’ourse; il me répondit affirmativement.

XX.

Histoire d’un serpent.

A l’Est de la Réserve des Pieds-Noirs s’étendent d’immenses prairies, légèrement ondulées comme les vagues de la mer. A soixante milles environ s’élèvent trois collines appelées Collines de l’herbe douce. Trois guerriers Pieds-Noirs, au cours d’une chasse, s’approchèrent de la colline du milieu qui est la plus élevée. En gravissant la pente, ils rencontrèrent un sentier battu, mais sans aucune trace d’animaux. A mi-côte, ils entendirent un sifflement aigu et virent au sommet de la colline un grand serpent enroulé sur lui-même, la tête dressée au-dessus des anneaux. Cette tête ressemblait à celle d’un taureau avec de longues cornes; il dardait la langue en sifflant avec rage. Les Pieds-Noirs épouvantés s’écrièrent: Sauvons-nous. Mais l’un d’eux s’obstina follement à vouloir tuer le monstre et descendit de cheval. Les deux autres l’abandonnèrent et s’enfuirent précipitamment. Bientôt ils entendirent un coup de fusil et le bruissement du serpent qui s’élançait du haut de la colline. La fumée dissipée, leur compagnon avec son cheval avait disparu et ils virent le serpent seul remonter lentement vers la cime. Les Pieds-Noirs s’en retournèrent au camp en chantant l’hymne des morts et racontèrent comment leur camarade avait été englouti vivant par un serpent. Une centaine de guerriers se rendirent à la colline, et voyant le serpent la tête haute et menaçante, à un signal donné, ils tirèrent tous ensemble sur lui et s’enfuirent poursuivis par le monstre. A mi-côte cependant il s’arrêta et regagna le sommet. Les Pieds-Noirs revinrent à la charge. Pour la quatrième fois ils tirèrent: l’animal blessé s’abattit, frappant lourdement le sol de sa queue. Les Indiens continuèrent à tirer et au coucher du soleil la bête était morte. Plusieurs avaient envie de s’approcher, mais ils craignaient un malheur; cependant ils s’enhardirent jusqu’à passer en courant près du cadavre et redescendirent en toute hâte de la colline.

L’année suivante, quelques guerriers se trouvant dans ces parages, se dirent: Allons voir le serpent que nous avons tué l’an dernier. Ils gravirent la colline et virent le squelette immense du monstre et, dedans, le squelette de l’homme et du cheval. «Et la selle, demandai-je, ne l’avait-il pas aussi avalée?—Non, me répondit froidement un Indien, cet homme n’avait pas de selle, il montait à poil.»

XXI.

Serpents à sonnettes.

L’Etat du Montana et surtout la Réserve des Corbeaux abondent en serpents à sonnettes, dont la morsure est toujours mortelle. Ils ont plus d’un mètre de long et trois centimètres environ de diamètre; leur couleur est noirâtre avec des taches jaunes; ils portent à la queue leur sonnette, composée d’une dizaine d’anneaux très minces, s’emboîtant comme des vertèbres les uns dans les autres. Par les vibrations rapides de ces anneaux, ils produisent un son pareil à celui que font en volant certaines sauterelles. Pour mordre, ils enfoncent deux dents en forme de crochets et percées de haut en bas: à l’extrémité inférieure de ces crochets se trouvent deux vésicules pleines de venin mortel. Les dents ayant pénétré dans la chair de la victime, les vésicules projettent aussitôt leur liquide, qui, une fois entré dans la circulation du sang, fait son œuvre en quelques heures. Les douleurs sont très vives et l’enflure des membres immédiate; mais ce qui amène la mort, c’est une paralysie du cœur; aussi est-il nécessaire de tenir cet organe en mouvement jusqu’à ce que le venin soit éliminé. Il y a plusieurs remèdes, mais le principal, c’est l’eau-de-vie; prise en quantité suffisante, elle active la circulation, calme la souffrance et neutralise l’effet du poison.

Les serpents à sonnettes s’avancent par bonds proportionnés à leur longueur. Ils enroulent sur leur queue les deux tiers de leur corps; le reste avec la tête se dresse au-dessus des anneaux dont ils se servent comme d’un ressort pour s’élancer sur leur proie.

Quand on voyage dans la prairie, un écart subit du cheval et le battement rapide des sonnettes annoncent la présence du serpent. Les chevaux en ont une peur extrême.

J’ai eu la chance d’en tuer au moins une quinzaine.

Voici comment je faisais: je cassais d’abord les reins du serpent à coups de pierre; puis, lui abaissant le haut du corps avec un bâton, je lui mettais le pied sur le cou et lui tranchais la tête. On peut aussi lui briser l’échine avec un long bâton, mais il est dangereux de s’en approcher. Me trouvant un jour dans une prairie où il n’y avait ni bâtons ni pierres, j’enlevai mes bottes, je les lançai l’une après l’autre sur l’animal, et quand il fut à moitié mort, je lui coupai la tête.

Les serpents à sonnettes recherchent le voisinage des chiens de prairie. Les animaux ainsi appelés par les sauvages sont de véritables écureuils qui, au lieu de vivre sur les arbres, habitent dans des terriers. A certains endroits on les voit par centaines groupés en familles autour de leurs trous, assis sur leur train de derrière, droits comme des piquets et se servant de leurs pattes de devant comme de mains. Leur cri ressemble à celui des rats; dès qu’ils voient venir quelqu’un, ils rentrent prestement dans leur trou, mais avant de disparaître sous terre, ils agitent rapidement la queue comme pour saluer.

Je l’ai dit plus haut, les serpents à sonnettes visitent souvent ces terriers, si bien qu’on les croit grands amis des chiens de prairie. Or, un jour que je me trouvais dans une de ces colonies de chiens, je vis un gros serpent à sonnettes couché tranquillement à l’entrée d’un terrier; au milieu du ventre, il avait une bosse, grosse comme le poing. Je tuai le serpent: avec mon couteau je lui ouvris le ventre et j’y trouvai un petit chien de prairie qu’il avait avalé tout entier avec ses poils. J’en conclus que les serpents à sonnettes, loin d’être les amis des chiens de prairie, sont leurs plus mortels ennemis et qu’ils ne visitent leurs terriers que pour dévorer leurs petits.

XXII.

Le climat du pays des Pieds-Noirs.

Le climat du pays des Pieds-Noirs est plutôt rude. Qui n’a pas de bons poumons fera bien de n’y pas venir. L’été est court; il n’y a presque pas d’automne ni de printemps. Le terrain ne se prête guère à la culture; on n’y fait qu’une récolte de foin par an; la seule ressource est le bétail.

L’hiver est rigoureux: le thermomètre descend souvent jusqu’à 25 ou 30° Fahrenheit au-dessous de zéro; quelquefois jusqu’à 40° et même 50°. Depuis la fin de décembre jusqu’à la fin d’avril, le sol est presque toujours couvert de neige. Le vent du Nord est généralement accompagné de neige en hiver et de pluie en été. Quelquefois les vents de l’Ouest sont tellement violents qu’il est impossible de voyager; en été, ils amènent des orages épouvantables avec grêle et tonnerre; en hiver, de fortes tourmentes de neige. Ces tourmentes s’élèvent si subitement qu’on a à peine le temps de se mettre à l’abri; il faut alors avoir d’excellents chevaux et une voiture solide, autrement on est exposé aux plus graves accidents.

Tout dernièrement, un blanc envoyé à la mission se perdit dans la neige deux jours et deux nuits; il eut le nez et un doigt gelés. Sa barbe fut changée en un glaçon qui lui gela tout le bas du visage.

Au mois d’octobre 1899, il tomba beaucoup de neige; des bergers de la Réserve furent surpris en rase campagne et sept d’entre eux périrent de froid. L’un de ces derniers, revenu à la cabane, avait allumé sa lanterne pour écrire un billet dans lequel il disait que le troupeau était à peu de distance, que lui-même se sentait épuisé, mais qu’il essaierait pourtant de le ramener. Il partit et fut trouvé mort, la lanterne à côté de lui.

Un autre fut trouvé mort assis: ses moutons lui avaient déjà rongé les moustaches, les cheveux et une partie des vêtements.

Par ces mauvais temps, le missionnaire court de grands risques quand il s’agit d’aller visiter les malades. Au lieu de rester à se chauffer près de son poêle, il lui faut affronter les plus grands froids pour ne pas laisser mourir sans sacrements les Indiens qui l’appellent. Pour ma part, je n’ai jamais hésité à remplir mon devoir, mais cela n’a pas été sans quelques mésaventures. Un jour, par exemple, surpris par une tempête, je m’égarai et restai un jour et toute une nuit seul dans la neige par un froid de 27° au-dessous de zéro.

Une autre fois, je m’égarai encore dans les neiges et passai deux jours et une nuit sur de hautes montagnes dans une complète solitude. C’est alors qu’il faut du courage: nuit obscure, froid intense, sans feu, sans abri, sans nourriture, sans sommeil malgré la fatigue, car s’endormir serait s’exposer à mourir de froid.

Dans de pareilles circonstances, l’unique réconfort est l’abandon total à la Providence.

 

 

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CHAPITRE II.

UNE TRIBU CHRÉTIENNE: LES CŒURS D’ALÈNE.

I.

La tribu des Cœurs d’Alène.

Parmi les tribus indiennes des Montagnes Rocheuses, l’une des plus importantes est celle des Cœurs d’Alène. Les Cœurs d’Alène, ainsi nommés par les trappeurs canadiens à cause de leur férocité et de leur astuce, comptaient jusqu’à ces dernières années parmi les plus belliqueux habitants de l’Amérique septentrionale. Toujours en guerre, non seulement avec les Blancs et les troupes des Etats-Unis, mais encore avec les tribus voisines, ils mettaient toute leur gloire à voler les chevaux, les provisions, les femmes et les enfants de leurs ennemis, et à tuer tous ceux qui tombaient entre leurs mains. Non contents de tuer, ils mutilaient les cadavres d’une façon atroce, leur enlevant la peau du crâne avec toute la chevelure, qu’ils conservaient comme un trophée de leur victoire. Il semble qu’ils ne pratiquaient aucun culte religieux; toutefois ils avaient une notion confuse du Créateur et d’autres esprits inférieurs habitant le corps des animaux. Ils employaient des rites superstitieux pour se rendre favorables les génies tutélaires qu’ils appellent «Suuméck», c’est-à-dire protecteurs du peuple, spécialement dans la maladie ou avant d’aller à la chasse, à la pêche ou à la guerre. Quand un chef ou un homme important de la tribu voulait marier son fils, il lui disait: «Mon fils, te voilà déjà grand; il est temps que tu prennes femme, mais si tu veux en avoir parmi les plus laborieuses et les plus riches, il faut que par tes actes tu montres que tu es un homme. Va donc dans la montagne chercher ton génie protecteur Suuméck, et quand tu l’auras trouvé, cours tuer quelques ennemis, et ainsi tu acquerras le renom d’un brave et tu pourras posséder les femmes de ton choix.»

A ces paroles, le fils partait; il gravissait les plus hautes cîmes des montagnes, l’imagination pleine des visions superstitieuses dont il avait cent fois entendu le récit dans son enfance. Sur ces sommets, dormant à la belle étoile, ne se nourrissant que de racines sauvages, brisé de fatigue par le voyage, les veilles et la faim, il voyait ou croyait voir son Suuméck dans un loup, un cerf, un ours ou un autre animal, et croyait entendre une voix mystérieuse qui lui promettait qu’il deviendrait très habile dans l’art de la médecine (sorcellerie), soit dans la guerre, soit à la chasse. Alors il retournait chez lui et racontait à sa famille la vision qu’il avait eue. Le bruit de ses exploits se répandait rapidement dans toute la contrée et il passait partout pour un héros. Alors son père lui demandait quelle jeune fille il voulait prendre pour femme; il allait lui-même la demander aux parents en leur promettant pour dot deux, trois ou plusieurs chevaux. Et sans que la fiancée connût son futur époux, sans qu’on lui eût demandé son consentement, le mariage était décidé. Si la jeune fille refusait cette union, son père la battait cruellement jusqu’à ce qu’elle se pliât à sa volonté; et ainsi, la pauvrette, pour ne pas mourir sous les coups, se rendait malgré elle à la maison de son futur époux.

Souvent le jeune brave allait tuer quelques ennemis ou voler des chevaux; s’il réussissait, devenu plus célèbre encore, il pouvait acheter d’autres femmes qui lui servaient d’esclaves et qu’il avait le droit de maltraiter et même de tuer, dès qu’elles cessaient de lui plaire. Nourriture, vêtement, habitation, tout respirait la barbarie. Les Cœurs d’Alène ne cultivaient pas les champs, ne bâtissaient point de maisons, n’avaient point de demeures stables; ils menaient une vie errante, vivant de chasse, de pêche et de racines sauvages. Grâce à leur paresse et à leur imprévoyance, ils se trouvaient souvent dans la plus extrême pénurie, surtout au printemps, lorsque la neige et la glace leur rendaient impossibles la pêche et la récolte des racines sauvages dans les forêts.

Un Indien se rappelant ces temps malheureux disait au missionnaire: «Robe Noire, combien nous vous devons être reconnaissants! Dans ma jeunesse, ma mère et ma grand’mère étaient obligées en hiver d’enlever la neige de la prairie pour arracher quelques racines de «gamascie» pour apaiser leur faim; et maintenant mon grenier est toujours plein d’une année à l’autre.»

Une tente en peau de buffalo (bison) leur servait de demeure, où ils dormaient pêle-mêle sur des peaux étendues par terre. Ceux qui étaient plus à l’aise, pour mieux se garantir du froid, recouvraient leurs tentes de nattes; pour vêtements, ils ne portaient que des peaux de cerf ou de buffalo.

Les femmes devaient non seulement recueillir les racines qui leur servaient d’aliment, mais encore abattre les arbres, fendre le bois et le porter à la tente, ce qui était un travail très dur, vu qu’il fallait une énorme quantité de bois pour se protéger contre les froids très rigoureux de ces montagnes. Parmi les hommes, à cause de leur tempérament fougueux et emporté, éclataient souvent des querelles suivies de blessures et de meurtres. Bref, leur manière de vivre était barbare autant que dure et pénible, contraints qu’ils étaient d’entreprendre de longs voyages pour chasser le buffalo. Les femmes portant leurs enfants sur leurs épaules devaient les suivre et, avec mille fatigues, allumer le feu, préparer les repas, dresser la tente tous les soirs, l’enlever le matin et soigner les chevaux. Tel était le triste sort des Cœurs d’Alène avant qu’on ne leur eût prêché la foi chrétienne.

II.

Conversion des Cœurs d’Alène.

Ceux qui visitent maintenant ces tribus, auraient peine à croire notre récit, s’il n’était confirmé par le témoignage du bon P. Joset, un des premiers compagnons du P. de Smet, qui a vécu parmi ces sauvages pendant 41 ans. Mais comment, demandera quelqu’un, une nation aussi barbare a-t-elle pu être amenée à embrasser la civilisation chrétienne? Pour accomplir cette grande œuvre, Dieu choisit le P. de Smet, de vénérée mémoire. Se souvenant de cette parole du Christ: «Allez dans le monde entier prêcher l’Evangile à toute créature», il se rendit le premier chez les Cœurs d’Alène en 1841 et baptisa d’abord quelques enfants. De grandes difficultés s’opposaient à son généreux projet de convertir à la vraie foi toute cette tribu; mais elles ne l’arrêtèrent point. Presque sans ressources, avec peu de compagnons, l’année suivante, 1842,

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Convoi d’émigrants attaqué et brûlé par les Indiens.

il fonda la mission du Sacré-Cœur et la donna à gouverner au P. Nicolas Point, jésuite français, auquel il adjoignit un Belge, le Fr. Charles. Ils demeurèrent seuls jusqu’en 1844; à cette époque vint les rejoindre le P. Joset, suivi quelques années après, en 1854, d’un bon nombre de Pères italiens des provinces de Turin et de Rome. Le zèle et la patience des missionnaires triomphèrent peu à peu des obstacles qui s’opposaient à la conversion de cette tribu et qui venaient pour la plupart de leur vie errante et de leur inimitié envers les Blancs. Aujourd’hui toute la tribu des Cœurs d’Alène est catholique et si fervente que tous, sans exception, s’approchent des sacrements aux principales fêtes de l’année. Beaucoup communient chaque premier vendredi du mois ou même plus souvent; de là la pureté et l’honnêteté de leur vie.

Ils célèbrent leurs mariages selon les rites de l’Eglise, et se préparent à ce grand acte par plusieurs mois de prières et de recueillement. Ils gardent si religieusement la foi conjugale, que jamais parmi eux on ne vit un seul divorce. Les femmes, autrefois traitées comme des bêtes de somme, sont actuellement aimées et respectées de leurs maris, et personne n’oserait prendre avec elles la moindre liberté. Elles ne se montrent en public qu’avec une ou plusieurs compagnes, toujours très modestement vêtues, portant sur la poitrine en guise de bijou une médaille de la Vierge Immaculée.

Chez les Cœurs d’Alène, l’esprit de justice et de fidélité à la parole donnée dans leurs rapports avec les Blancs ou avec les autres sauvages sont fort remarquables: si bien que ce nom de Cœurs d’Alène, qui leur avait été donné à cause de leur astuce et de leur perfidie, signifie maintenant un Indien honnête, tandis que le nom d’Indien est pour les Blancs synonyme de voleur et de coquin. Leur droiture est citée avec éloge par les voyageurs américains et les colons du voisinage. Pour éprouver leur honnêteté, quelques Blancs confièrent la garde de leur maison à un jeune Cœur d’Alène en y laissant des provisions, quelque monnaie d’or et d’argent, et du tabac. Quel ne fut pas leur étonnement quand à leur retour ils retrouvèrent tout en place! Bien plus, si en parcourant leurs forêts, ils découvrent de l’argent ou quelque autre objet perdu par les voyageurs, ils n’ont point de repos qu’ils ne l’aient rendu au propriétaire, tant ils respectent le bien d’autrui!

Rapportons ici le témoignage d’un marchand américain. Comme il vantait devant un missionnaire la merveilleuse probité des Cœurs d’Alène, le Père l’ayant taxé d’exagération, il reprit avec chaleur: «Non, Père, je n’exagère pas; je vous affirme en toute sincérité que les Cœurs d’Alène sont les meilleurs citoyens du pays; pour moi, le bon citoyen est celui qui paie bien ses dettes; or sous ce rapport, les Cœurs d’Alène n’ont pas leurs pareils, même chez nos meilleurs Américains. Ecoutez ce qui m’est arrivé dernièrement. Un Cœur d’Alène était venu chez moi pour faire raccommoder sa charrue; il me prévint tout d’abord qu’il ne pourrait me payer que dans un mois; je consentis à ce délai. Et voici que le dernier jour du mois fixé pour le paiement, je le vois arriver avec un cheval qu’il voulait me laisser en gage parce qu’il n’avait pas d’argent. Admirant cette probité, je ne voulus pas accepter; je lui dis de garder son cheval et de me payer quand il le pourrait. Croyez-vous, Père, que dans notre nation on trouverait la même probité? Moi, je ne le crois pas, et je le répète: les Cœurs d’Alène sont les meilleurs citoyens de ce pays.»

III.

Douceur chrétienne des Cœurs d’Alène.

La tribu des Cœurs d’Alène, autrefois si féroce et maintenant consacrée au S. Cœur, se distingue entre toutes par la douceur de ses mœurs et la ferveur de sa piété. En voici un exemple.

Un Indien de cette tribu avait commencé, aidé d’un autre, à construire un bac pour traverser le fleuve à un endroit déjà occupé par les Blancs: de là conflit. L’Indien, extraordinairement robuste et féroce, avait juré de ne faire aucune concession; ni les menaces des Blancs, ni les sages conseils de son entourage ne réussissaient à l’émouvoir: il s’obstinait envers et contre tous à poursuivre son entreprise. Il ne restait qu’une ressource: c’était de l’amener à prendre l’avis du missionnaire. Celui-ci conseilla de céder, mais l’Indien ne voulut rien entendre, et comme le Père allait partir, il se présenta comme les autres pour lui serrer la main; mais le Père refusa et lui dit que puisqu’il voulait en faire à sa tête, il n’avait qu’à s’en aller.

L’Indien, consterné, s’écria: «Robe Noire, pourquoi me traiter ainsi? Ne sais-tu pas que c’est la punition la plus grave que tu puisses m’infliger?—Si tu veux être de mes amis; répondit le Père, ne t’obstine pas dans ton projet criminel.—Dussé-je perdre la vie, je ne céderai jamais.—Refuserais-tu ce sacrifice à la Vierge très sainte? Nous voici au mois de Marie: je te demande cela en son nom.» Au nom de Marie, le sauvage pâlit et tremblant de tous ses membres: «Robe Noire, dit-il, tu as vaincu, je ne refuserai pas ce sacrifice à Marie.» Et aussitôt il invita son compagnon à détruire le travail commencé, et comme celui-ci hésitait: «Va, lui cria

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Arrivée des premiers missionnaires aux Montagnes Rocheuses.

l’autre, ou avant de démolir la barque, je te casserai la tête!»

 

Les exemples de vertus héroïques ne sont pas rares parmi ces sauvages; sous l’influence de la religion et de la foi, leur naturel violent et passionné s’élève facilement jusqu’à l’héroïsme.

Une femme de la tribu des Cœurs d’Alène, je ne sais pour quelle faute, se trouvait en prison, sur une sentence des chefs. Parmi ces Indiens, les châtiments rappellent leur férocité native. C’était en plein hiver (et les hivers de ces pays ne sont pas comparables aux nôtres!); le thermomètre était descendu à 40° au-dessous de zéro, température mortelle pour les hommes les plus robustes, si l’on s’expose à l’air sans abri et sans mouvement. La pauvre femme avait été abandonnée, pieds et mains liés dans sa prison, cabane formée de troncs d’arbres; elle souffrait jour et nuit, sans protection contre ce froid terrible; une fois par jour, si on ne l’oubliait pas, on lui donnait un peu de pain et quelques légumes. Le missionnaire, touché de compassion, intervint auprès du chef en faveur de la malheureuse; il se rendit à la prison et trouva la femme gelée et presque mourante. Sa principale préoccupation était le salut de cette âme: mais quelles pouvaient être ses dispositions dans de pareils tourments? Il parut bien vite que si elle était abandonnée des hommes, elle n’était pas abandonnée de Dieu. «Eh bien! ma pauvre Marie, lui demanda-t-il, vous souffrez cruellement, n’est-ce pas?» Malgré ses souffrances qui lui arrachaient des gémissements involontaires, elle ne perdit point son calme et répondit: «N’est-il pas vrai que pour mes péchés je devrais être en enfer? Et ce que je souffre, qu’est-ce en comparaison des tourments de l’enfer?—Sans doute, reprit le Père; cependant je voudrais te délivrer; ainsi abandonnée, tu ne tarderas pas à mourir.—Non, laissez-moi souffrir, ce n’est rien en comparaison de ce que méritent mes péchés, et j’offre à Dieu mes souffrances en expiation.» C’était là un acte d’amour parfait, et Dieu lui avait sûrement déjà pardonné. Le Père par ses instances obtint sa liberté; elle se confessa et vécut dans la suite en paix avec Dieu et sa conscience.

 

La foi de ces sauvages est vraiment admirable. Une femme était sur le point de mourir; le Père se rendit près d’elle pour l’administrer et s’aperçut bien vite qu’elle n’avait plus que peu d’heures à vivre. Elle ne pouvait plus prendre aucune nourriture, ni prononcer une parole; le Père l’exhorta cependant à se confesser comme elle pourrait et fut fort étonné de l’entendre faire sa confession sans aucune hésitation, comme si elle ne ressentait aucun mal. Après l’avoir disposée à son heure dernière qui semblait imminente, le missionnaire allait se retirer, lorsqu’elle le rappela en disant: «Eh quoi! me laisserez-vous donc mourir sans recevoir Notre-Seigneur?» Evidemment il était impossible de lui donner la sainte communion, puisqu’elle ne pouvait rien avaler.—«La sainte communion, répondit le Père, vous la recevrez demain à l’église pendant la sainte messe.» Et il partit, laissant la malade parfaitement tranquille. Le lendemain matin lorsqu’il se rendit à l’église au son de la cloche, quel ne fut pas son étonnement de voir la mourante de la veille à genoux devant l’autel, attendant dévotement l’heure de la messe!

«Comment, dit le Père, vous ici?—Eh quoi! répondit ingénûment l’Indienne, ne m’avez-vous pas dit hier soir de venir à l’église recevoir la sainte communion pendant la messe? et me voici.—Mais, vous qui hier soir étiez mourante, comment avez-vous pu venir à l’église?—Vous me l’aviez commandé, et je devais obéir.»

La malade était parfaitement guérie. Le Père célébra la messe, admirant la foi de cette pauvre femme et la fidélité de Notre-Seigneur envers ceux qui ont confiance en ses promesses.

IV.

Civilisation des Cœurs d’Alène.

Un des résultats les plus précieux de la civilisation chrétienne parmi les Cœurs d’Alène fut de leur inspirer l’amour du travail et de l’agriculture. Cet art était complètement ignoré ou du moins fort peu apprécié des sauvages avant l’arrivée des missionnaires; n’ayant aucune demeure fixe et passant une bonne partie de l’année à chasser le buffalo, ils ne trouvaient pas le temps de cultiver la terre. Maintenant il n’en est pas un qui ne cultive un champ de blé, un petit potager et qui ne possède son petit troupeau de chevaux et de vaches; à la disette a succédé l’abondance, et par la vente du superflu, ils se procurent auprès des Blancs des vêtements, des armes, des outils et tout ce dont ils ont besoin. Ils reconnaissent qu’ils doivent cette prospérité aux missionnaires et ne manquent aucune occasion de leur témoigner leur gratitude.

Lorsque l’archevêque, Mgr Seghers, visita les Cœurs d’Alène, le grand Chef André Seltis, dans une harangue adressée au prélat en présence des principaux personnages de la tribu, dit entre autres choses: «Nous sommes redevables de ce que nous possédons au travail de nos mains, mais ces mains, qui nous les a données?—C’est Kolinzuten, c’est-à-dire Dieu.—Et qui les a rendues actives et industrieuses, sinon la Robe Noire? Le gouvernement de Washington ne nous a donné que des paroles, tandis que la Robe Noire, sans tant de phrases, nous à comblés de tous les biens, tant du corps que de l’âme. Soyons donc reconnaissants à la Robe Noire, à l’archevêque chef des Robes Noires, au Pape chef des évêques, et à Dieu le Grand Chef de tout l’univers.»

L’art de bâtir fait aussi de grands progrès dans la tribu. On y a construit récemment un beau pensionnat pour les jeunes filles, une maison pour les Sœurs, une église et un collège pour les jeunes gens, chacun ayant contribué à ces constructions selon son pouvoir. Autour de l’église on a élevé des maisons simples, mais propres, qui forment maintenant un joli village. Les Indiens n’y habitent point pendant la semaine; car la plupart d’entre eux demeurent sur leurs terres et n’y viennent que le dimanche et les principales fêtes. C’est un plaisir de les voir accourir de toutes parts le samedi soir au village, à pied, à cheval ou en voiture. Arrivés chez eux, après avoir mis la maison en ordre, les femmes vont se confesser et les hommes s’occupent de leurs affaires. Au coucher du soleil, la cloche sonne, et aussitôt, quittant toute autre occupation, tous se rendent à l’église.

V.

Piété des Cœurs d’Alène.

Le village reste désert, l’église se remplit de fidèles qui accourent aux offices. On récite d’abord en commun les prières du soir, puis tous chantent avec une parfaite harmonie les Litanies de la Sainte Vierge, suivies de la récitation du catéchisme: ensuite ils écoutent l’instruction du missionnaire, et après l’Angelus, les femmes se retirent et les hommes s’approchent du tribunal de la pénitence.

Le dimanche, dès l’aube, la cloche sonne l’Angelus et tous se préparent à venir à l’église; peu après, au second coup de cloche, ils viennent entendre la première messe, pendant laquelle ils récitent en commun les prières du matin, le Rosaire et chantent quelques cantiques dans leur langue. Beaucoup communient; et c’est chose émouvante de voir l’ordre, la modestie et le recueillement avec lequel ils s’approchent de la table sainte. Après la messe, les quelques assistants qui n’ont pas communié sortent de l’église, et les autres récitent en commun les prières d’action de grâces. A dix heures, on sonne la grand’messe et l’église se remplit de nouveau. Toute l’assemblée chante en chœur le Kyrie, le Gloria, le Sanctus, l’Agnus Dei, avec un cantique indien à l’Offertoire, à l’Elévation et à la Communion, et cela d’une voix si douce et si suave que les Blancs venus à la Mission, catholiques ou protestants, en sont émerveillés. Quelquefois les enfants chantent seuls, ce qui plaît infiniment aux parents. Après l’Evangile, le Père prêche en langue sauvage au milieu d’un profond silence. Si parfois il arrive qu’un nourrisson se mette à pleurer et que la mère ne se presse pas de l’emporter, un des chefs se lève et lui fait signe de sortir, comme cela se pratiquait dans l’Eglise primitive. La mère obéit aussitôt et ne rentre à l’église que quand le bambin s’est calmé.

A cette messe, quelque tardive qu’elle soit, communient tous ceux qui n’ont pu le faire à la première; et vers midi l’office se termine par la récitation de l’Angelus. Dans l’après-midi, on fait le catéchisme au peuple; puis on donne la bénédiction du S. Sacrement, pendant laquelle tous chantent en chœur l’O Salutaris, une hymne à la Ste Vierge et le Tantum ergo; ensuite a lieu une autre prédication en langue indienne, et la cérémonie s’achève par un cantique populaire.

VI.

Education de la jeunesse chez les Cœurs d’Alène.

Un mot maintenant des écoles indiennes. Les Pères Jésuites ont construit des collèges pour les garçons, et les religieuses des pensionnats pour les filles. Tous ces enfants étudient avec zèle, apprennent avec facilité et sont remarquablement dociles et disciplinés. Le petit sauvage, quelque grossier et arriéré qu’il soit à son entrée au collège, apprend en quelques mois à parler l’anglais; et après trois ou quatre ans, il sait lire et écrire en cette langue, connaît un peu d’histoire sacrée ou profane, les éléments de l’arithmétique et la géographie des deux hémisphères. Ces premières études terminées, on l’applique à quelque art ou métier, où généralement il réussit à merveille.

Les filles aussi sont intelligentes et éveillées. Lorsqu’elles ont appris la langue anglaise, l’histoire, la géographie et l’arithmétique comme leurs frères, on les forme aux travaux domestiques pour en faire de bonnes ménagères. Elles apprennent à coudre, à faire le pain, à filer, à tricoter, etc. Elles sont si habiles dans l’art de la broderie, que leurs travaux obtiennent les premiers prix dans toutes les expositions.

Tous les Cœurs d’Alène, hommes et femmes, jeunes et vieux, ont une aptitude étonnante pour la musique; ils ont de belles voix et l’oreille juste; ils connaissent les notes et exécutent avec facilité, en s’accompagnant sur l’orgue, toutes sortes de morceaux. Les jeunes gens montrent beaucoup de goût pour les beaux-arts: peinture, sculpture, dessin; et quant à la calligraphie, ils laissent loin derrière eux les enfants des Blancs. Leur langue, si barbare qu’elle paraisse, si âpre et si dure qu’en soit la prononciation à cause de ses consonnes doubles et de ses nombreuses gutturales, ne manque pas cependant d’une certaine beauté, grâce à la richesse de son vocabulaire et à la régularité de ses formes grammaticales. Par exemple, le verbe actif a non seulement des terminaisons différentes pour les première, seconde et troisième personnes, mais aussi pour exprimer les différents régimes: ainsi dans les expressions latines (1) feci te; je t’ai fait, (2) feci illum, je l’ai fait, (3) feci vos, je vous ai faits, (4) feci illos, je les ai faits, le mot feci a les quatre inflexions différentes: (1) Kolinzin, (2) Kolin, (3) Kolitlemen, (4) Koolin. Il en est de même pour les temps du présent et du futur.

Si, à ces terminaisons déjà nombreuses, on ajoute les composés, les dérivés, tous les adverbes, affixes, suffixes qui modifient le verbe et changent les flexions de personnes, de nombre, de temps et de modes, le verbe Kolin (faire) compte plus de mille désinences différentes; et il en est de même pour les autres verbes actifs.

Il est difficile d’expliquer comment une nation sauvage, sans aucune connaissance de l’écriture, a pu conserver une langue aussi riche et de formes aussi variées. Nous laissons aux linguistes le soin de déterminer l’origine et la famille de cette langue.

VII.

Arrivée d’un missionnaire chez les Cœurs d’Alène.

Les nouveaux chrétiens voient en tout missionnaire un messager du ciel, et l’on ne saurait dire la joie que leur

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Une Mission indienne.

cause sa venue. Pour en donner une idée, il suffira de rapporter ce qu’écrivait il y a quelque temps un missionnaire nouvellement arrivé dans cette Réduction. «Après avoir fait par mer le trajet de San Francisco à Portland, principale ville de l’Orégon, et de Portland à Walluda, petite ville du territoire de Washington, sur les bords du grand et beau fleuve Colombia, il me restait encore à parcourir à cheval 240 milles pour atteindre la Mission du Sacré-Cœur, dans la Réserve des Cœurs d’Alène. A Walluda, je rencontrai un missionnaire venu à ma rencontre. Il amenait un cheval pour moi et un autre pour les bagages. Vers midi, nous nous mîmes en route pour arriver avant la nuit à Wallawalla, distant de 30 milles, où il avait laissé les couvertures et les provisions. Il nous fallut galoper longtemps; j’arrivai à demi mort de fatigue et affreusement courbaturé par cette course rapide. Nous nous reposâmes un jour, puis nous repartîmes, et après avoir parcouru 35 milles, nous descendîmes dans la maison d’un Américain. Le matin nous remontâmes de nouveau à cheval, et après avoir parcouru 40 lieues, nous campions à la belle étoile. Mon compagnon, me voyant à bout de forces, déchargea les valises, dessella les chevaux et les attacha à de longues cordes pour qu’ils pussent brouter dans la prairie, alluma un grand feu et me prépara un léger souper avec une tasse de café. Après le repas, il étendit sur la terre nue deux peaux de bisons avec deux couvertures de laine. Le lit était, à vrai dire, un peu dur, mais j’y dormis profondément jusqu’au matin. Mon compagnon, éveillé de bonne heure, fit sa méditation et prépara le déjeuner, pendant que je faisais la grasse matinée. Quand tout fut prêt, il m’éveilla: «Eh! mon brave, faites un grand signe de croix, récitons l’Angelus et venez déjeuner.» Alors je mangeai un peu, mais je me sentais encore bien fatigué. Après ce modeste repas, on sella les chevaux, rechargea les bagages et nous nous remîmes en chemin. Vers le soir, après une course de 30 milles, nous campions de nouveau à la belle étoile. J’étais honteux de voir qu’avec la meilleure volonté du monde, je ne pouvais jusqu’ici aider en rien mon compagnon; mais, à partir de ce moment, je pus lui donner un coup de main. Car de jour en jour je m’accoutumais à ce genre de vie et me sentais plus fort; si bien que huit jours après, à notre arrivée à la Mission, on me surnomma «Yopicut Kuailef», la vigoureuse et forte Robe Noire.

»L’avant-dernier jour de notre voyage, avant midi, nous avions rencontré quelques tentes de sauvages; nous nous arrêtâmes et tous vinrent à notre rencontre et nous firent le meilleur accueil; en nous serrant la main, ils nous invitèrent à descendre de cheval pour entrer dans leur tente.

»Mon compagnon me dit: «Ce sont des Cœurs d’Alène; ils ont un enfant à baptiser, ils veulent voir la nouvelle Robe Noire et sans doute la baptiser elle aussi d’un beau nom sauvage.

»—Et comment m’appelleront-ils? demandai-je.

»—Je ne sais pas, peut-être Ours Noir, ou Loup Féroce, ou encore Grand Mangeur.

»—Eh! quels beaux noms!

»—Ce sont de très beaux noms dans ce pays-ci; entrons.

»—Mais où est la porte?

»—Comment? après avoir tant étudié, vous n’êtes pas encore capable de trouver la porte d’une tente de sauvage? La voici.» Et soulevant une peau, il découvrit une ouverture d’environ 30 cm. de diamètre.

»—Et comment entre-t-on?

»—Vous voilà bien embarrassé! On baisse la tête, on se met à quatre pattes et on rampe comme un chat.» Cela dit, il entra le premier et je le suivis. On avait déjà préparé en guise de siège une peau de buffalo sur la terre nue; nous nous assîmes les jambes étendues et la conversation commença, sans que je pusse saisir un seul mot.

»—Que disent-ils?

»—Ils demandent si nous voulons dîner.

»—Eh bien, dînons.

»—Un peu de poisson sec, grillé, avec des racines, sera tout le menu; mais si vous voulez attendre, on vous servira à l’américaine.

»—Pas du tout, mangeons à la sauvage.»

»De fait on mangea ainsi; et le repas fini, dans une tente transformée en chapelle, je baptisai un enfant; et ce furent là les prémices de ma mission. Je parlai un peu par interprète, et ces bons sauvages étaient tout heureux de voir un missionnaire qui dès son arrivée mangeait déjà comme eux.

»—Tu t’appelleras «Yopicut», me dit le chef. Je le remerciai et, après une bonne poignée de main, nous partîmes.

»Le soir, nous nous arrêtâmes près du Lac Cœur d’Alène, dans un campement de sauvages. Les Indiens vinrent nous souhaiter la bienvenue et nous offrirent leurs services pour préparer notre repas; mais quand tout fut prêt, ils disparurent en disant qu’ils reviendraient après notre souper pour se confesser, parce qu’ils n’avaient pas pu se rendre à la Mission, faute de chevaux.

»De fait, après le souper, le chef donna un coup de cloche et ils se réunirent dans une grande chapelle où nous les rejoignîmes. La Robe Noire fit le signe de la croix et tous ces Indiens agenouillés commencèrent à prier à haute voix avec recueillement et dévotion. J’étais transporté d’admiration et de plaisir. Après la prière, ils entonnèrent le cantique du soir à la Madone. Oh! la suave et pieuse mélodie! Et cela au cœur des forêts vierges des Montagnes Rocheuses! Après le cantique, le Père leur posa quelques questions sur la doctrine chrétienne, auxquelles ils répondirent, jeunes et vieux, y compris le chef. Ensuite ils se confessèrent dans l’espoir de communier le lendemain; et quand ils virent que la chose n’était pas possible, vu que nous n’avions pas apporté notre pierre d’autel pour célébrer, ils en furent désolés.

»Le lendemain, nous nous remîmes en route et entrâmes dans une épaisse forêt, et vers 3 h. de l’après-midi nous débouchâmes dans une clairière où s’élevait une fort jolie petite église entourée de maisonnettes rangées autour d’une belle place. Je n’aurais jamais cru trouver dans ces déserts un aussi beau village.

»—Qui a bâti cette église avec portique à colonnes?

»—Les sauvages, instruits et aidés par le P. Magri, maltais, et dirigés par le P. Ravalli, romain, qui en fut l’architecte.

»—Et vous appelez sauvages des gens qui savent élever de tels édifices?

»—Ils s’appelaient ainsi avant la venue des missionnaires et ils s’appellent encore ainsi, quoiqu’ils soient d’habiles ouvriers et d’excellents chrétiens.»

»En ce moment nous entrions dans le village et les voici tous qui nous entourent pour nous souhaiter la bienvenue. Le missionnaire de la tribu vint à notre rencontre, modérant l’enthousiasme de ses paroissiens qui, tout joyeux de nous voir arriver, se bousculaient pour nous prendre la main. «Mes enfants, disait-il, ces bons Pères sont fatigués; laissez-les entrer dans leur case pour se reposer; un peu plus tard, je vous appellerai et vous viendrez les voir.»

»Ils nous quittèrent avec ces mots «Gest spalgat» (bonjour), et nous entrâmes dans ce palais de six petites chambres, que le Père missionnaire avait coutume d’appeler en plaisantant son «étui». La chambre, en effet, était juste assez grande pour contenir un lit, une petite table, deux chaises et un poêle. Cette maisonnette, ces cellules me sont plus chères que tous les palais du monde. Et je commence à apprendre cette langue, vraiment sauvage...»

VIII.

Les fêtes religieuses chez les Cœurs d’Alène.

«Déjà un grand nombre d’Indiens étaient réunis à la Mission et il en arrivait d’autres chaque jour pour la fête de Noël, qu’ils appellent la fête des «Toopskelinger», c’est-à-dire «des coups de fusil»; on verra plus loin pourquoi ils la nomment ainsi.

»Dès le commencement de la neuvaine, l’église était bondée de monde, le matin pour la messe et le chapelet, le soir pour l’instruction et le salut.

»Tous les Cœurs d’Alène sont-ils déjà ici? demandai-je au missionnaire.

»—Non, on en attend encore d’autres.

»—Et quand ils seront arrivés, où se mettront-ils, puisque l’église est comble?»

»—Le sauvage sait toujours trouver une place; et si vraiment il n’y en avait plus, on sortirait les bancs et l’on mettrait les plus jeunes dans le chœur. Du reste soyez certain qu’une église que nous disons comble en Europe, pourrait ici contenir encore deux fois autant de monde.

»—Combien sont-ils en tout, les Cœurs d’Alène?

»—Avec leurs amis, catholiques de la tribu des Spokanes, ils sont environ un millier.

»—Viendront-ils tous?

»—Certainement, quand même il y aurait plusieurs pieds de neige. Je vous montrerai une vieille Indienne venue à pied de 30 milles de distance, et qui a dû traverser plusieurs rivières avec de l’eau jusqu’à la ceinture.»

»Cependant les Indiens continuaient à arriver chaque jour à la Mission; lorsque tous furent réunis, les chefs s’assemblèrent en conseil et en séance publique, discutèrent les différentes causes civiles et criminelles qu’ils avaient à traiter. Ensuite le grand chef, président du conseil, après avoir pris l’avis de tous les autres chefs, prononça la sentence, condamnant quelques-uns à la réprimande, un à dix, un autre à 50 coups de bâton, un troisième à deux jours de prison et de jeûne.

»Le septième jour de cette neuvaine, le missionnaire confessa les femmes, du matin au soir, et, le huitième jour, les hommes. Pendant ce temps, des jeunes gens préparaient sur la place un immense bûcher, en grande partie de bois résineux, pour allumer un grand feu pour la nuit de Noël. Le neuvième jour se passa encore à entendre les confessions jusqu’au soir. Et quand le pauvre missionnaire croyait en avoir fini et se retirait pour prendre un peu de repos avant la messe de minuit, voici venir une foule de gens avec mille doutes et difficultés. Un chef voulait savoir combien de coups de fusil on devait tirer, un autre ce qu’il devait dire au peuple avant d’entrer à l’église; un troisième à quelle heure on devait allumer le bûcher; puis un vieillard demanda combien de bergers étaient venus adorer l’Enfant Jésus; un jeune homme qui devait chanter voulait qu’on lui rappelât deux ou trois paroles du cantique de Noël, qu’il avait oubliées; le premier chantre venait s’informer de l’ordre des cérémonies et des chants; un bon vieux qui avait fumé sa pipe quelques instants auparavant, demandait s’il pouvait communier à minuit; et une foule d’autres questions du même genre. C’était un vrai tourment pour le missionnaire, fatigué par les prédications de la neuvaine et par trois jours entiers de confessions; mais pour moi c’était une vraie joie de voir tant de foi, de simplicité et de confiance dans le Père. Enfin à 11 h. on alluma le feu sur la place, et on se serait cru en plein jour. Les Indiens s’assemblèrent autour et les chefs se mirent chacun à leur parler de la fête. La nuit était très froide et, bien que le sol fût couvert de plus de deux pieds de neige, personne n’y prenait garde, tous semblaient jouir de la solennité et écoutaient avec plaisir les discours des chefs. Je contemplais tout cela de la porte de l’église et de temps en temps je m’approchais du feu pour me réchauffer. Les discours finis, la cloche sonna et le peuple rentra en bel ordre dans l’église. A un nouveau signal, on salua d’une décharge générale la naissance du Rédempteur, et le Gloria in excelsis Deo, alternant avec des couplets en langue indienne, retentit harmonieusement dans la gracieuse petite église, changée en un vrai paradis sur terre. Après le Gloria, et comme il était près de minuit, à un nouveau signal de la cloche, on tira une nouvelle salve, et la grand’messe commença. J’y pris part comme maître des cérémonies, et je dirigeai les évolutions d’une demi-douzaine de petits enfants de chœur indiens. Les chantres entonnèrent un très solennel Kyrie que je n’avais jamais entendu et que toute l’assemblée reprenait en chœur. Cette musique aurait plu dans n’importe quelle ville d’Europe. La communion générale fut très émouvante; le célébrant lui-même fut si touché de tant de ferveur qu’il versait d’abondantes larmes. Suivit alors une messe d’actions de grâces à laquelle tous assistèrent, et la cérémonie s’acheva par un «fervorino» en langue sauvage

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Chefs chrétiens et deux missionnaires.

et un beau cantique. Il était 3 h. du matin. A 6 h. il y eut une autre messe à laquelle communièrent les vieillards, les aveugles, les infirmes et ceux qui avaient pris soin d’eux pendant la messe de minuit. Plus tard on chanta une autre grand’messe; puis on prépara un grand dîner pour toute la tribu au milieu de la place: spectacle impossible à décrire; pour s’en faire une idée, il faut l’avoir vu.»

Un mot de leur dévotion à la T. S. Vierge: elle est à la fois tendre et affectueuse, forte et persévérante. On me dit que pour la Madone ils font de grands sacrifices, qui vont parfois jusqu’à l’héroïsme. Quand un missionnaire craint de ne pas obtenir de l’un d’entre eux une chose trop pénible à l’amour-propre, il fui dit: «Faites-le pour la Madone.» Alors le «non» expire sur ses lèvres; il rougit, courbe le front, baisse les yeux et une larme furtive roule sur ses joues. On ne peut rien refuser à la Madone; et la nature, malgré sa répugnance, est forcée de se soumettre. Le coupable se présente au sanctuaire de Marie, prie avec ferveur; la Ste Vierge répand dans son âme la force qui triomphe de toute difficulté, la réconciliation se fait, l’occasion est éloignée.

Ils n’ont pas moins de dévotion au Sacré-Cœur, à qui est consacrée leur église. Presque tous les adultes font partie de l’Apostolat de la Prière et de la Confrérie du Sacré-Cœur. Ils sont très exacts à réciter chaque jour les prières prescrites, et beaucoup d’entre eux viennent non seulement de loin pour communier le premier vendredi du mois, mais ils ne laissent passer aucune semaine sans faire, le vendredi, un acte solennel de réparation à ce divin Cœur, si cruellement offensé par les hommes qu’il a tant aimés! Ceux qui ne peuvent venir le vendredi, font la sainte communion le premier dimanche du mois.

A peine eurent-ils connaissance de l’œuvre de la communion réparatrice, que sept d’entre eux se présentèrent aussitôt pour former une sainte ligue et communier chacun son jour en réparation des outrages commis envers le S. Sacrement. Pris d’une sainte émulation, ils obtinrent de former plusieurs séries hebdomadaires de communions réparatrices.

La fête du Sacré-Cœur, bien qu’elle suive de près celle du S. Sacrement, se célèbre de la façon la plus solennelle chez les Cœurs d’Alène, et, s’il est possible, avec plus de dévotion encore. Longtemps avant la fête, le chef envoie ses messagers aux tribus voisines, les Nez-Percés, les Spokanes, les Kalispéles et jusqu’aux Sgoyelpi, à une distance de 150 milles, pour les inviter à venir à De Smet (c’est le nom de leur village) pour prendre part à la grande fête du Sacré-Cœur. Beaucoup acceptent l’invitation et après avoir célébré chez eux la fête du Corpus Domini, ils se rendent avec leurs familles à De Smet, où ils campent au nombre de plusieurs milliers. Ces fêtes attirent bon nombre de païens, dont quelques-uns se convertissent, et aussi beaucoup de blancs; les catholiques sont attirés par leur dévotion et les protestants viennent admirer la piété des bons sauvages. Les chefs et les principaux de chaque tribu sont hébergés dans les maisons, les autres campent sous la tente. A cette occasion on fait la quête pour les pauvres. Le crieur public parcourt les rues, invitant le peuple à faire l’aumône. Alors hommes et femmes en grand nombre sortent de leurs maisons et se rendent auprès du chef, apportent couverture, chapeau, pardessus, chemise, etc.; quelques-uns donnent de la farine, de la viande fumée, des patates ou autres provisions; d’autres offrent un peu d’argent; il en est même qui font l’aumône d’un cheval ou d’un veau. L’an dernier, sur l’invitation de Mgr d’Orégon, ils firent une quête pour le Pape, assez fructueuse, eu égard à leur pauvreté. Qu’il est beau de voir ces pauvres sauvages aider du produit de leur travail le Père commun des fidèles, dépouillé par les ennemis de Jésus-Christ!

Revenons à la fête du Sacré-Cœur. Voici comment on la célèbre: le matin, confessions et communions en grand nombre; puis, messe en musique suivie de sermons en différentes langues indiennes, et après le dîner, procession solennelle avec le S. Sacrement. Partant de la grande place devant l’église, elle s’avance le long d’une avenue ornée de fleurs et de plantes odoriférantes, passe devant l’école des Sœurs, longe la principale rue du village et aboutit au collège et à la maison des missionnaires, puis revient à l’église. En tête, marche une escouade de soldats du Sacré-Cœur, bannière déployée; ensuite viennent, recueillies et modestes, les femmes de la tribu avec leurs étendards, suivies des jeunes filles portant, toutes, les insignes d’enfants de Marie. Une grande croix portée par un chef précède les élèves du collège qui suivent leur bannière avec une modestie et un ordre admirables. Puis viennent les hommes de la tribu, rangés selon leur dignité; et, comme pour faire contraste avec leur austère gravité, voici venir les petits enfants de chœur indiens, en soutane rouge et rochet blanc, avec une ceinture violette. Les uns tiennent des flambeaux allumés, d’autres balancent des encensoirs fumants, tandis que les petites filles vêtues de blanc et couvertes de longs voiles jettent des fleurs devant le S. Sacrement. L’ostensoir est porté par le Supérieur de la Résidence ou par le Supérieur général de la Mission, ou quelquefois même par l’évêque, entouré des Pères qui ont pu venir des Réductions voisines. Le dais est porté par les chefs de quatre tribus; derrière, marche le grand chef avec ses conseillers ou les officiers de la milice, tous ayant un cierge à la main. Les soldats du Sacré-Cœur, en grand uniforme, escortent à cheval la procession; et au moment de la bénédiction donnée dans l’église, ils déchargent leurs armes en signe d’allégresse. Voilà comment ces Indiens, naguère encore sauvages, célèbrent leurs fêtes religieuses.—Un mot maintenant de leurs rapports avec le Gouvernement Américain.

IX.

Le Gouvernement et la Réserve des Cœurs d’Alène.

Les Cœurs d’Alène ont obtenu il y a quelque temps du gouvernement des Etats-Unis, ce qu’on appelle une Réserve indienne; ils l’ont bien exploitée et en tirent grand profit. Les Blancs, ayant envahi le territoire des tribus aborigènes, les refoulèrent vers le Nord et s’emparèrent de ces immenses régions qui forment maintenant la partie occidentale des Etats-Unis. L’invasion ayant continué à s’étendre, la plus grande partie des Peaux-Rouges disparut. Il ne resta donc qu’un très petit nombre d’Indiens, que le gouvernement américain se décida enfin à traiter avec plus d’équité. En 1855, il signa avec les chefs des différentes tribus un accord, par lequel les Indiens cédaient à l’Etat la plus grande partie de leur territoire; de son côté le gouvernement s’engageait à leur payer annuellement une certaine somme pendant vingt ou trente ans, et à respecter la partie du territoire qui leur était laissée et dont on fixa exactement les limites, en interdisant aux Blancs de s’y établir.

De là vient le nom de Réserve indienne donné à ces territoires. Les agents du gouvernement volèrent presque tout l’argent qui était dû aux Indiens, et souvent les Blancs obligèrent les chefs indiens à signer un nouveau traité par lequel ils cédaient à l’Etat la moitié ou les deux tiers de la Réserve. C’était une source perpétuelle de querelles, de procès et de guerres entre les Blancs et les Indiens.

Jusqu’alors les Cœurs d’Alène n’avaient encore conclu aucun traité et il semble que le gouvernement ne leur avait pas envoyé ses agents. D’ailleurs, jamais les Cœurs d’Alène n’auraient cédé un pouce de leur territoire à ces Anglo-Saxons, que malgré leur conversion au christianisme, ils détestaient comme les usurpateurs de leur pays et les oppresseurs de leur liberté. Bien plus, en 1857-58, ayant appris que quelques compagnies de l’armée nationale se disposaient à traverser leur pays, ils prirent les armes et combattirent les troupes américaines, d’abord avec succès, mais ensuite ils furent défaits, grâce aux renforts que reçurent les Blancs.

Cette guerre affligea tellement les missionnaires, après tant de fatigues pour convertir et civiliser les Cœurs d’Alène, qu’il fut sérieusement question d’abandonner cette tribu à sa férocité native. Mais les officiers de l’armée, voyant que les missionnaires, malgré leurs efforts infructueux pour éviter la guerre, avaient du moins, par leur influence, empêché les massacres, les prièrent de continuer leur œuvre de civilisation. Ainsi encouragés, les Pères se livrèrent à leur travail apostolique avec une ardeur nouvelle; leurs exhortations roulaient surtout sur la paix, la charité et l’amour du prochain. Les Cœurs d’Alène, presque tous catholiques, se repentirent de leurs excès, et suivant les conseils reçus oublièrent les injustices passées et dès lors vécurent en bonne harmonie avec le gouvernement et avec tous les Blancs. Il y eut bien jusqu’en 1868 quelques rixes entre les Américains et les jeunes gens de la tribu; mais ces querelles s’apaisèrent facilement à la voix du missionnaire. Toutefois comme les Blancs envahissaient leur territoire de plus en plus, ils pensèrent qu’il valait mieux pour eux avoir une Réserve comme les autres Indiens. Ils demandèrent au gouvernement de leur en céder une: mais il se passa beaucoup de temps avant que les commissaires de Washington n’eussent signé le traité. Les conditions furent les suivantes: Le gouvernement leur paierait 200.000 dollars pour le territoire cédé, n’enverrait aucun agent et les laisserait sous l’autorité de leur chef. Le Président confirma la concession, mais ne voulut pas proposer au Congrès le paiement des 200.000 dollars. Les Cœurs d’Alène ne s’irritèrent pas de ce refus; mais, avec leur fierté ordinaire, ils répondirent qu’ils n’avaient pas besoin de l’argent américain; avec l’aide de la Robe Noire, ils sauraient rester bons chrétiens et bons citoyens; la Réserve et leur travail leur fourniraient le nécessaire.

On lira avec plaisir le récit d’un épisode qui se rapporte à ces négociations. Un des chefs s’opposait à toute cession de territoire, et, mettant ainsi la division dans l’assemblée, entravait la conclusion du traité. Alors un autre chef se leva et voulut en vain rétablir le silence; d’autres essayèrent également sans plus de succès; le grand chef put à peine apaiser le tumulte pendant quelques instants. Mais bientôt, l’agitation et les cris recommençant de plus belle, le missionnaire qui, sur le désir des Indiens, assistait au conseil, se leva, et, d’une voix forte, interpella par son nom le perturbateur de la paix. Celui-ci s’esquiva tout honteux, et l’ordre se rétablit aussitôt. A cette vue, les commissaires protestants furent remplis d’étonnement; mais, au lieu de reconnaître dans ce fait la puissance de la religion catholique sur les sauvages, ils en prirent occasion de la dénigrer.

Les missionnaires avaient à grand’peine détourné les Indiens de la chasse au buffalo, cause de graves désordres, pour les appliquer à l’agriculture qu’ils avaient en aversion, lorsque les Blancs, qui convoitaient les terres de la Réserve, commencèrent à l’envahir et à s’y bâtir des maisons. A cette nouvelle, le chef alla trouver le missionnaire pour lui demander conseil. Celui-ci lui recommanda de ne causer aucun dommage à ces Blancs qui en prendraient occasion de leur déclarer la guerre et de les chasser de la Réserve. «Tâche de les renvoyer doucement, et, ceux-ci une fois partis, empêche les autres de venir.» Ainsi fut fait. Il envoya quelques-uns des siens chercher, hors de la Réserve, un endroit favorable pour y construire des habitations; lui-même alla voir les Blancs, disant qu’il leur montrerait des terres meilleures que celles qu’ils occupaient et dont ils pourraient prendre possession légitime.

Ainsi il les amena à déloger, sauf trois ou quatre qui refusèrent de partir; à ceux-là il offrit un prix raisonnable en chevaux ou en vaches s’ils voulaient vendre leur terre, et vint à bout de se débarrasser d’eux. Il chargea douze guerriers de parcourir chaque jour la partie la plus exposée de la Réserve, et s’ils y rencontraient des Blancs, ils devaient leur montrer les limites dont ils étaient les gardiens et leur dire qu’ils pouvaient s’établir en tel ou tel endroit hors de la Réserve. Cette manière d’agir continuée pendant trois ans mit fin aux litiges et empêcha l’invasion redoutée; les Blancs eux-mêmes, rendant justice à leur loyauté, se firent leurs protecteurs et les aidèrent à repousser ceux qui voulaient franchir les frontières.

Dans la guerre des Nez-Percés avec les troupes des Etats-Unis, les Cœurs d’Alène s’employèrent de tout leur pouvoir à maintenir la paix sur leur territoire, empêchant les Nez-Percés de faire des incursions sur leurs terres et de tuer des Américains. De plus, ils leur firent savoir que, s’ils ne se retiraient pas de leur Réserve, ils prendraient les armes contre eux en faveur des Blancs. Ainsi ils obligèrent les guerriers de cette tribu à la retraite et sauvèrent la vie à des centaines d’innocents. Après le départ des Nez-Percés, les Cœurs d’Alène, sur l’ordre de leur chef Seltis, rappelèrent les familles qui s’étaient enfuies, et, en attendant leur retour, prirent soin de leurs champs et de leurs maisons. Ainsi la paix fut rétablie; les Blancs firent de grandes démonstrations de gratitude à ces bons Cœurs d’Alène, et le gouvernement bâtit sur leurs confins un fort pour les protéger.

APPENDICE.

La chasse.

Toutes les tribus de l’ouest des Montagnes Rocheuses allaient, une ou deux fois l’an, à la chasse du buffalo dans les régions où ces animaux erraient en troupeaux de plusieurs milliers. Il y a une douzaine d’années, un Américain qui portait le courrier d’Helena à Benton, distance d’environ 175 milles, fut forcé de s’arrêter pendant dix heures sur les bords du fleuve Sunriver (rivière du Soleil) pour laisser passer un de ces troupeaux, lequel pourtant galopait à toute vitesse. Il devait donc y avoir là plusieurs milliers de buffalos. Les Indiens consacraient à ces chasses environ quatre mois de l’année; un peu plus d’un mois à l’aller et autant au retour, et plus de quarante jours à la chasse.

Ceux qui y prenaient part emmenaient toute leur famille avec de nombreux chevaux qui portaient les bagages, tentes, couvertures, provisions, haches, couteaux et autres ustensiles. Les Yakima et les tribus voisines avaient à parcourir plus de 600 milles; les Cœurs d’Alène plus de 400, les Têtes-Plates plus de 200, tandis que les Corbeaux, les Pieds-Noirs, les Gros-Ventres et les autres tribus à l’est des Montagnes Rocheuses n’avaient à faire que peu de chemin. Parfois ils devaient traverser les plaines à l’est du Montana à la poursuite du buffalo qui lui-même parcourait des centaines de milles.

Pour ces chasses, les Indiens ont de petits chevaux très rapides qu’ils montent merveilleusement. Lancés à la poursuite des buffalos, dès qu’ils les voient à portée de fusil, ils tirent, tout en courant à bride abattue, jusqu’à ce qu’ils aient disparu, ou que les chevaux soient épuisés, ou la nuit venue, laissant derrière les bêtes tuées ou blessées.

La chasse terminée, ils reviennent à leur campement, et chacun raconte combien de buffalos il a tué pendant la journée et en quel endroit. Le lendemain toute la famille: hommes, femmes et enfants, vont dépecer les buffalos tués; les femmes emportent sur des chevaux les peaux et les quartiers de viande, laissant les os et les intestins. Quand la chasse est abondante, ils prennent les meilleurs morceaux, la langue et la peau, et laissent tout le reste en pâture aux loups, aux ours et aux oiseaux de proie. Les jours suivants, pendant que les hommes retournent à la chasse, les femmes préparent la venaison, la coupent par tranches et la font cuire à petit feu, pour la conserver des semaines et des mois entiers. S’il leur reste du temps, elles préparent aussi les peaux, et, par un travail de plusieurs semaines, les rendent assez souples pour en faire des couvertures, des chaussures et même des bottes et des habits pour les hommes. Une dizaine de jours plus tard, quand les buffalos décimés se sont éloignés, les chasseurs lèvent le camp et transportent leurs tentes là où ils comptent retrouver les troupeaux, à la poursuite desquels ils s’élancent de nouveau.

Les Indiens catholiques ne font plus ces chasses; depuis que, sous la direction des missionnaires, en même temps que bons catholiques ils sont devenus bons cultivateurs, ils tirent plus de profit de la culture que de la chasse, et leurs mœurs sont moins exposées à se corrompre que dans ces expéditions où ils se trouvaient mêlés à toutes sortes de gens grossiers. Les tribus chrétiennes conservent encore ce qu’ils appellent la petite chasse, c’est-à-dire la chasse au cerf et au chevreuil dans leurs forêts. Cette chasse se fait toujours par des gens de la même tribu et généralement après les fêtes de Noël, lorsqu’ils reviennent de la Mission. Ceux qui veulent y prendre part, se réunissent entre eux et choisissent un chef, lequel autrefois devait être inspiré du grand Sunmesch (grand Esprit). Celui-ci fixe le jour du départ et le lieu du rassemblement où se rendent tous les chasseurs avec leurs familles et leurs bêtes de somme. Le premier soir, ils tiennent conseil et le chef, après avoir pris l’avis de tous, assigne à chacun son office et le poste qu’il doit occuper parmi les chasseurs rangés en cercle: ce cercle est d’autant plus grand qu’il y a plus de chasseurs: ainsi, pour quarante hommes, il a de quatre à cinq milles de circonférence.

Dès avant l’aube, un des chasseurs, désigné par le chef, suspend à des pieux, dans un des secteurs du cercle, des peaux de cerf à moitié brûlées, à 70 ou 100 pas de distance l’une de l’autre; les chasseurs s’embusquent dans les trois autres secteurs, à 200 pas l’un de l’autre. Le cerf, qui veut sortir de l’enceinte, sent l’odeur des peaux brûlées et fuit vers le chasseur; aussitôt qu’il l’aperçoit, il revient en arrière; alors les chasseurs, sur un signal donné, s’avancent de conserve, rabattent les cerfs vers le centre, et quand ils en ont réuni un grand troupeau, ils en font à coups de fusil un véritable massacre. Ainsi, dans une seule journée de l’année passée, les chasseurs Spokanes en ont tué plus d’une centaine. A la tombée de la nuit, ils retournent au camp, mourant de faim et brisés de fatigue, n’ayant rien mangé depuis le matin, et ils s’étendent sur leurs peaux de buffalos. Les femmes allument du feu pour réchauffer les chasseurs et préparer leur repas. Le lendemain ils s’en vont chercher les cerfs tués, les rapportent au camp où on les distribue de la manière suivante: la peau, les pieds et la partie antérieure de l’animal reviennent à celui qui l’a tué; la tête au chasseur qui était le plus rapproché de lui; les épaules et les jambes, à la communauté.

Et voilà toute une tribu en fête!

FIN.

TABLE DES MATIÈRES

PRÉFACE7
 
PREMIÈRE PARTIE.
Six ans aux Montagnes Rocheuses9
 
Chapitre I.—Le Voyage11
Chapitre II.—Spokane et les Indiens33
Chapitre III.—Une Paroisse américaine, Frenchtown, ou «la Ville Française»65
Chapitre IV.—Une Paroisse américaine (suite)95
Chapitre V.—Seattle, ou la Reine du Pacifique127
SECONDE PARTIE.
Monographies Indiennes.
 
Chapitre I.Une tribu païenne: les Pieds-Noirs
La nation des Pieds-Noirs137
Les premiers chevaux141
Mode d’élection des chefs144
La civilisation chez les sauvages148
La médecine des sauvages et autres causes de destruction154
L’homme de médecine chez les Corbeaux155
L’eau-de-vie163
Extinction de la race165
Le massacre des Pieds-Noirs par les troupes du colonel Baker166
Sépultures indiennes167
Enterrés vivants171
Vieux Pharisien et femmes scalpées172
La chevelure d’un Corbeau174
Le sacrifice au Soleil ou la loge de médecine175
Mythologie de la loge de médecine179
Le Napi ou le Vieux des Pieds-Noirs182
Une pipe vendue pour trente chevaux186
Prière d’un sauvage188
Le Barbier indien189
Une histoire d’ours190
Histoire d’un serpent194
Serpents à sonnettes195
Le climat du pays des Pieds Noirs197
Chapitre II.Une tribu chrétienne: les Cœurs d’Alène
La tribu des Cœurs d’Alène201
Conversion des Cœurs d’Alène204
Douceur chrétienne des Cœurs d’Alène208
Civilisation des Cœurs d’Alène212
Piété des Cœurs d’Alène213
Éducation de la jeunesse chez les Cœurs d’Alène215
Arrivée d’un missionnaire chez les Cœurs d’Alène216
Les fêtes religieuses chez les Cœurs d’Alène222
Le gouvernement et la Réserve des Cœurs d’Alène229
Appendice.La Chasse233

          Imprimé par Desclée, De Brouwer et Cie., Lille—Paris—Bruges.         

NOTES:

[A] En Juillet 1911, des fêtes commémoratives de ce baptême furent célébrées à Saint-Dié, sous la présidence du ministre français des colonies et de l’ambassadeur des Etats-Unis, à Paris, M. Bacon.

[B] Une nouvelle cathédrale est en construction.

[C] Un savant anglais, Charles-G. Leland, a publié une étude sur ce sujet. Voir La Dépêche de Lille, 10 octobre 1911.

[D] Le Montana est aujourd’hui divisé en deux diocèses: celui d’Héléna, et celui de Great-Falls.

[E] De Baudoncourt, Histoire populaire du Canada, p. 57.

[F] Le dollar vaut cinq francs.

[G] Les syndics, élus à la majorité des suffrages, forment le conseil du curé. Il n’y a pas d’autres représentants de l’autorité dans la paroisse. Pas de maire, pas d’adjoints.

[H] Comparer les légendes bretonnes par rapport aux menhirs aux pierres roulantes et au loup-garou.


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