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Aux mines d'or du Klondike: du lac Bennett à Dawson City

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Le Cagnon est large de 30 mètres à peu près, et ses rochers de basalte presque à pic ont de 20 à 30 mètres de hauteur. La chute totale dans le Cagnon et les rapides du White Horse a été mesurée: elle est 10 mètres. Puis à quelque distance au-dessous de ces derniers le courant est rapide et la rivière large, avec de nombreuses barres de gravier. Le nom de White Horse (cheval blanc) ne se rapporte pas à un cheval blanc quelconque, mais, dans le Canada, il évoque l'idée de péril, de danger. C'est du moins ce que nous explique un coureur des bois canadien. Il est certain que ces rapides ont fait de nombreuses victimes, à ce point qu'en juin dernier la police a interdit aux femmes et aux enfants de les descendre; ils doivent prendre le tramway et rejoindre leurs gens au-dessous des rapides.

Nous les avons franchis heureusement, Dieu merci, et nous accostons immédiatement pour prendre un court repos, car la tension des nerfs et l'effort énergique qu'il a fallu déployer pour ramer nous ont quelque peu fatigués. Mais comme nous décidons de ne pas déjeuner avant d'avoir atteint une section de la rivière où le courant est moins vif, nous nous remettons en route sans tarder. Ici la rivière est divisée en plusieurs bras par des barres de gravier jonchées des débris des bateaux qui ont chaviré dans les rapides; quelques-uns sont encore en assez bon état et n'ont qu'une voie d'eau réparable; mais de certains autres il ne reste qu'une pile de bois enchevêtrés, brisés menus, rappelant un jeu de jonchets. Quelques naufragés étendent sur la rive les rares effets qu'ils ont pu sauver, tandis que d'autres, n'ayant plus rien à sécher, se sèchent eux-mêmes. Pour nous, nous n'avons fait qu'embarquer une lame ou deux, qui n'ont causé aucun dommage; pleins de reconnaissance, nous prenons congé de notre pilote, qui reçoit en souriant son argent et nos éloges et déclare en même temps qu'il n'a jamais vu (en parlant de nous) de si piètres rameurs. Nous baissons la tête, humiliés, tout en admettant que c'est la vérité. Nous lui serrons la main, et au revoir, sans rancune.

Nous apprenons que George Hamner, le fameux pilote des rapides de White Horse, s'est marié récemment, et, comme il convient à sa carrière de périls et d'aventure, la cérémonie du mariage a été célébrée dans un bateau descendant les rapides. Quand le ministre dit: «Je vous déclare mari et femme», il eut à élever la voix au point de crier et eut peine à se faire entendre dans le mugissement des eaux déchaînées. L'épouse est une personne cultivée qui, il y a quelques années, visita le Transvaal et interviewa le président Krüger pour la Tribune de New-York.

D'ici au lac Laberge, il y a 40 kilomètres, et la rivière Fifty Mile présente les mêmes caractères que dans sa partie supérieure; elle décrit de nombreux circuits et court au pied de collines peu élevées et boisées, assez larges par endroits, formant des îlots et des barres de sable et de gravier. À son embouchure, les collines s'abaissent et font place à des plaines couvertes d'herbes et coupées de marécages; nous campons sur la rive. Le lendemain nous nous avançons à la rame et prudemment dans le delta aux eaux peu profondes et nécessitant l'emploi fréquent de la sonde. Enfin nous gagnons le large, mais le vent ne se presse pas de souffler; nous continuons à ramer, et bientôt la brise se lève, malheureusement elle vient du Nord, c'est-à-dire en sens contraire à notre marche. Nous travaillons avec acharnement, mais, vers deux heures, force nous est d'atterrir sur une île, car il devient impossible de faire avancer notre pesante barque en face de cet obstacle. Nous passons ainsi trois jours sur ces îles du lac Laberge.

IX

La rivière Thirty Mile.—Dangers de cette rivière.—Nous l'échappons belle.—Les rivières Teslin, Lewis, Big Salmon.

Le Cagnon et les rapides passés, on pouvait s'attendre à n'avoir plus que de l'agrément en descendant la rivière, mais nous devions être détrompés, car la rivière Thirty Mile nous réservait des surprises désagréables. En effet, à peine étions-nous engagés dans ses méandres que nous fûmes emportés par un courant excessivement rapide, de 12 kilomètres à l'heure, ce qui n'est pas déjà si mal, si l'on se représente qu'il faut avoir l'œil incessamment sur les rochers et les barres, qui pullulent dans ces eaux. Premièrement, il y a à droite une pointe de roc avec laquelle peu de bateaux n'ont pas eu affaire; vous y êtes portés directement, et ce n'est qu'à force de rames qu'il est possible de l'éviter et de rester dans le courant resserré entre le roc et la rive. Comme nous passions, une des chevilles qui retenaient l'aviron d'avant se rompit, et l'homme qui le maniait fut presque jeté à l'eau avec sa rame. Heureusement celle-ci était retenue avec une corde solide, et l'on put ainsi, sans accident, tenter d'aborder, ce qui était urgent pour la réparation de la fourche d'avant, de laquelle on ne pouvait se passer. Deux hommes sautent à terre avec l'amarre, et l'un d'eux réussit à passer l'extrémité autour d'un sapin, mais l'autre, le timonier, qui tenait le milieu de la corde et devait l'enrouler autour du tronc d'un arbre coupé à un mètre du sol, excité et hors de lui, croyant saisir le tronc, ne faisait qu'embrasser le vide; pendant ce temps la corde lui glissait entre les mains, et la Ville de Paris s'en allait à la dérive; on voyait le moment où l'amarre, arrivée au bout de sa longueur et fortement enroulée autour du sapin, allait se tendre et se détacher au premier choc. Les hommes restés à bord suivaient de l'œil cette scène et attendaient stoïquement l'instant psychologique. Si le câble partait, c'étaient sûrement le naufrage et ses conséquences. Fort heureusement, grâce à la Providence sans doute, la corde en se tendant accrocha le bout d'une grosse poutre fixée en travers à l'avant et la fit sauter en éclats, amortissant le choc, l'annulant pour ainsi dire. La barque était sauvée avec son équipage. Nous réparâmes l'accident en remplaçant les chevilles de bois par des tiges de fer appartenant aux traîneaux, et après deux ou trois heures d'arrêt nous nous remîmes en route.

Nous voici à l'embouchure de la rivière Teslin, qui vient du Sud, du lac du même nom, et dont les eaux sont de couleur brun foncé, tandis que celles de la Lewis sont bleues. Cinquante kilomètres plus loin, la rivière Big Salmon (gros saumon) se jette dans la Lewis, qui conserve une largeur d'environ 200 mètres et dont le courant est ici de 7 à 8 kilomètres à l'heure.

X

Les Cinq Doigts.—Les Rapides de Rink.—Fort Selkirk.—Un tombeau indien.—Le Yukon.—La rivière Blanche.—La rivière Stewart.—Les Caches.—Le poste de Sixty Mile.—La rivière Indienne.—Les oies et les îles du Yukon.—Vitesse du courant.—Arrivée à Dawson.

Environ 50 kilomètres en aval de Little Salmon, la rivière s'élargit en bassin, ses eaux étant retardées par une barrière naturelle de plusieurs îlots de roche conglomérée et nommés les Five Fingers (Cinq Doigts), non, comme on le croit généralement, à cause de leur nombre, mais parce que le principal de ces récifs, vu du haut de la côte de la rive droite, est divisé en groupes de rochers imitant les cinq doigts de la main. Telle est du moins la version du major T... de Québec.

L'eau refoulée par cette muraille est surélevée d'environ 30 centimètres, et, se précipitant dans les intervalles des rocs, elle produit un bombement de quelques mètres. On choisit d'ordinaire le passage de droite, qui, bien qu'étroit, a l'eau la plus profonde, et avec un peu d'attention, si l'on engage le bateau de façon à enfiler carrément le chenal, il n'y a pas d'autre inconvénient que d'embarquer un peu d'eau. Le rocher passé, voici une série de rapides sans importance, et le courant, très vif à cet endroit, nous emporte bientôt vers les Rapides de Rink qu'on peut éviter en se tenant très près de la rive droite, où l'eau est profonde et à peine agitée.

Entre les rapides et la rivière Pelly (70 kilomètres), on ne rencontre aucun cours d'eau important, mais en général les îlots sont en très grand nombre et groupés ensemble. La Pelly est large d'environ 200 mètres à son confluent avec la Lewis, qui en a alors à peu près 800; les deux cours d'eau réunis forment le Yukon. C'est ici, sur la rive gauche, que se trouvent les ruines de l'ancien fort Selkirk, poste de quelque importance. Il fut établi en 1848 par Robert Campbell pour le compte de la Compagnie de la Baie d'Hudson, au confluent des deux rivières, mais à cause des inondations fréquentes il fut transporté en 1852 à sa place actuelle.

Il fut construit en blocs de lave tirés d'une puissante coulée vomie par un ancien volcan situé à quelques kilomètres à l'ouest de la jonction des rivières et encore recouvert d'une couche de cendre d'une grande épaisseur. Cette coulée est visible à la rive droite du Yukon sur une longueur de plusieurs kilomètres, et s'élève à sa partie supérieure à plus de 70 mètres au-dessus du fleuve. En 1854, les Indiens Chilkoot décidèrent de mettre fin à la concurrence que leur faisait ce poste, et, après de nombreux actes d'hostilité, ils saccagèrent finalement le fort et le brûlèrent; il n'en reste plus aujourd'hui que quelques blocs de lave noircis.

À sa place quelques bâtiments en troncs bruts renferment les magasins d'un nouveau poste. On y trouve aussi une mission et une école; l'été dernier, l'administration d'Ottawa résolut d'en faire le siège du gouvernement du territoire du Yukon, et y envoya 150 hommes de la milice du Canada; des baraques furent construites pour les loger. Il y a en outre un certain nombre de cabanes d'Indiens et des tentes de blancs qui trappent, chassent, font du bois, etc.

Il y a à Fort Selkirk plusieurs tombeaux indiens, entre autres celui du chef Harnan: d'habitude les Indiens disposent de leurs cadavres par la crémation; mais les chefs et les sorciers (ou médecins) ont le privilège de choisir la place où on les ensevelira et où l'on placera leurs tombeaux, qui sont en général bien entretenus. Ce sont des enclos de 1 mètre de haut et de 2 ou 3 mètres de long et 1 mètre ou 2 de large, en planches dressées et ornées de peintures aux ocres multicolores. Des bandes d'étoffe peintes les recouvrent, tandis que des bannières en foulard flottent au vent et qu'une perche haute de plusieurs mètres porte trois boules, une au sommet et deux aux extrémités d'une traverse.

Après Fort Selkirk, et sur une distance de 150 kilomètres, jusqu'à la rivière White (Blanche), le Yukon a de 500 à 600 mètres de largeur, avec des îles nombreuses et généralement bien boisées. La rivière Blanche vient de l'Ouest et est ainsi nommée à cause de ses eaux très chargées d'une cendre volcanique et d'argile, qui les colore en blanc sale; à partir de ce point le clair et bleu Yukon devient trouble et gris. La rivière forme à son confluent un delta de sable mouvant de quelques cents mètres.

15 kilomètres plus loin, voici la Stewart River venant de l'Est. Ici des collines de hauteur moyenne enserrent la rivière et s'élèvent en terrasses successives vers des altitudes plus considérables à l'intérieur; nous arrivons là dans l'après-midi, décidés à y passer la nuit.

Deux hommes de la bande nous quittent pour aller prospecter sur la Stewart; nous devons donc décharger leurs provisions et prendre congé, en leur souhaitant bon succès. Tout un camp s'est établi le long des rives boisées du confluent, et un mouvement commercial important s'y produit; les cabines en troncs sont communes et les caches tout à fait abondantes. Ce sont ici des plates-formes en rondins de quelques mètres carrés, supportées par des perches plantées dans le sol et hautes de 3 mètres environ. On y monte par une échelle et l'on y entasse les vivres et marchandises qu'on veut ainsi soustraire à la voracité des chiens errants et des bêtes sauvages. Une toile goudronnée ou un toit en branches les protège contre la pluie et le soleil. Le prospecteur peut donc explorer la contrée, ne prenant avec lui que ce qu'il lui faut pour son entretien de quelques jours, et puis il vient se repourvoir à son magasin. Les caches sont inviolables, elles garantissent au mineur la vie et la liberté, et le misérable qu'on surprendrait à y toucher serait immédiatement fusillé ou pendu.

En face de l'embouchure de la Stewart il y a des barres de gravier où l'on s'échoue au moment d'aborder. Sans hésiter, on chausse ses bottes de caoutchouc, on saute à l'eau, et à coups d'épaule et de levier on dégage le bateau et on le repousse en eau profonde. Il faut quelquefois dépenser une heure ou plus à cet exercice fatigant, mais absolument sans danger, avant de réussir.

Le lendemain, 18 juin, est le dernier de notre périgrination sur le Yukon; nous comptons être le soir même à Dawson, à 100 kilomètres en aval de la Stewart; nous nous embarquons après avoir pris congé de nos 2 prospecteurs.

À 30 kilomètres de là on passe le poste de Sixty Mile, groupe de baraques en troncs d'arbres avec scierie appartenant à Joe Ladue et centre d'échanges commerciaux assez importants, car la rivière Sixty Mile, qui rejoint ici le Yukon, est bien connue pour ses gisements aurifères. Nous continuons à avancer lentement, le courant étant assez vif, et tout ce que l'on a à faire est de se maintenir dans le chenal principal, qui est le plus profond et le plus rapide, et à éviter les barres; nous avons décidé d'atterrir sur l'une des îles et d'y faire provision de bois, car, information prise, à Dawson le combustible est rare et fort cher; donc nous accostons et nous voilà abattant, la hache en main, quelques beaux fûts de sapin que nous tronçonnons ensuite en sections de trois mètres et que nous entassons à bord de la Ville de Paris, à l'intérieur, à l'avant, à l'arrière, que nous suspendons même à ses rebords extérieurs. Ainsi lestés nous rentrons à bord et nous voyons défiler rapidement les forêts qui revêtent les îles et qui sont remplies d'oies qu'on ne peut surprendre. Puis le courant nous emporte à raison de 6 à 8 kilomètres l'heure, rasant l'embouchure de l'Indian River (Rivière Indienne) et, plus bas, quelques ruisseaux sans importance. Enfin, vers 7 heures du soir, un écriteau fixé sur un rocher plongeant dans le Yukon nous annonce que Dawson n'est plus qu'à un kilomètre.

Étonnés, nous manœuvrons en vue d'aborder à temps et sans encombre, le courant étant très rapide ici, et notre expérience sur la Stewart nous ayant appris à craindre les bancs. Vaine attente! Nous voilà échoués à la sortie du Klondyke, et il nous faut une heure pour nous sortir de là et accoster vis-à-vis des bâtiments de la police à Dawson.

XI

La ville de Dawson.—Son histoire.—Son avenir.—Sa population.—Caractère des habitants.—Les vétérans du Yukon.—Les Chi-Cha-Kos.—Les magasins.—Les «salons».—Les restaurants et ce qu'on y mange.—Viande et gibier.—Les voituriers.—Le soleil de minuit.

«Tout ce qu'il y a de bon a déjà été dit, il ne reste plus qu'à le redire»; ce mot est de Gœthe. Qui n'a pas vu Dawson n'a rien vu; ce n'est pourtant qu'un amas de cabanes et de tentes, disposées avec une apparence d'alignement le long de fondrières décorées du nom de rues et d'avenues, et l'on pourrait plus aisément faire la description de cette ville, de 15 000 à 20 000 habitants suivant la saison, en parlant de ce qu'il n'y a pas que de ce qu'il y a. Les éléments de civilisation qu'on y rencontre sont encore dans un état si embryonnaire qu'ils créent les contrastes les plus tranchés et souvent les plus comiques. L'observateur y trouve une riche mine de sujets extrêmement intéressants: nous essayons d'en montrer quelques-uns.

Le débarcadère à lui seul est une étude; vous avez résolu d'atterrir aussi près que possible des bâtiments officiels bâtis sur la berge, entourés d'une palissade et de troncs d'arbres de diamètre très médiocre et surmontés du drapeau britannique portant à l'angle les armes du Canada, mais sur une distance de près de 2 kilomètres le rivage couvert de galets est inabordable. Un triple, un quadruple rang d'embarcations aux types fantaisistes forme une barrière impénétrable à l'ambitieux qui a projeté de mettre pied à terre.

Le premier rang est à sec sur la plage; le second est à demi dans l'eau; les bateaux des autres rangs se cramponnent aux premiers au moyen de chaînes, de cordes, de câbles, d'amarres; cela est bercé, soulevé, entre-choqué, balancé par les petites vagues du Klondyke, qui se jette dans le Yukon à quelques cents mètres en amont. L'unique ressource est de former un nouveau rang à l'extérieur en s'amarrant aux bateaux les plus rapprochés, ce qu'on ne vous permet pas toujours de faire sans protester.

Enfin il se trouve une âme compatissante qui se laisse toucher, et nous voilà au terme de notre voyage par eau... mais pas encore à terre; il s'agit, en effet, de se frayer un passage jusqu'au bord.

Comme on est poli et qu'on n'aime pas à déranger, évidemment on ne passe pas à travers les tentes érigées au milieu des bateaux; on se donne la peine de marcher le long du bordage, large de quelques centimètres, et, à moins d'être équilibriste, on est certain de tomber à droite dans l'eau glaciale du courant, ou à gauche dans les haricots et le porc, dans la poêle ou sur les angles des caisses à provisions. Puis, ces préliminaires achevés, il faut répéter le même exercice avec un second bateau, puis un troisième et quelquefois une demi-douzaine, et cela plusieurs fois par jour.

Vous imaginez l'agrément; en guise de variante, on se trouve parfois en présence d'un essai de voie de communication sous forme de pièces de bois et de troncs d'arbres jetés entre le bateau et la rive. Vous vous y engagez prudemment, et, arrivés au beau milieu de la passerelle, cela vous tourne sous les pieds; vlan, un plongeon! Le plus simple serait de porter des bottes en caoutchouc, mais pensez donc: les traîner tout le jour à travers les rues de Dawson par une chaleur de 30° centigrades! Non, ce n'est pas à conseiller.

La rivière baisse constamment; son lit est à découvert sur une largeur de quelques dizaines de mètres jusqu'au pied de la berge, haute de 3 mètres, que longe la rue principale. Au delà de la rue et à quelque distance en arrière s'élèvent les habitations des officiers et employés du gouvernement; un peu plus haut à droite, les casernes entourées d'une palissade; à gauche, un ruisseau, venant des collines à l'est de la ville, s'est creusé un lit profond de quelques mètres et passe sous le pont de la chaussée. Sur une certaine distance, les cabanes et huttes en bois ne la franchissent pas, mais ensuite les deux côtés de la rue sont garnis d'une rangée ininterrompue de constructions et de tentes sur une longueur d'un kilomètre.

C'est là la grande artère commerciale de Dawson, avec ses «salons», ses bars, ses hôtels, ses restaurants, ses magasins; c'est là que se promène l'oisive lassitude de centaines, de milliers d'êtres qui, après avoir surmonté bien des fatigues, bravé bien des dangers, lutté contre les éléments hostiles, pendant des mois, se trouvent brusquement jetés sur cette plage et ne savent que faire d'eux-mêmes. Tout à coup leurs yeux se sont dessillés, leurs illusions se sont évanouies, la réalité implacable s'est montrée sans fard, et les malheureux se demandent: Que suis-je donc venu faire ici? Tel docteur a abandonné sa clientèle, tel professeur son école, tel épicier sa boutique, et ici il n'y pas grand'chose à faire dans ces professions-là ou d'autres similaires. Le champ est au mineur, au prospecteur; mais à peine y en a-t-il un sur cent autres de différents métiers.

Ils comprennent maintenant les objections que leur raison leur avait faites avant de partir, et qui étaient tombées devant l'espoir de devenir riches en trouvant un placer merveilleux; ils savent que l'or ne se découvre pas aisément, que les criques aurifères sont toutes occupées, jalonnées, et que pour en trouver d'autres il faut savoir prospecter et aller très loin. Ils ont la ressource, il est vrai, de trouver du travail comme manœuvres sur les placers, mais ils n'ont jamais fait de travaux rudes, et de plus les salaires sont tombés de façon à ne donner qu'un gagne-pain à peine suffisant dans ce pays de cherté exorbitante; d'ailleurs les travaux ne commencent qu'en octobre, et d'ici là il faut vivre.

Sans doute, la plupart ont quelque argent, et tous un approvisionnement suffisant pour les entretenir quelques mois au moins; mais la nourriture n'est pas tout, l'hiver sera tôt venu, et il faut des vêtements de laine très épais ou des fourrures, des chaussures, des quantités de bas, puisqu'on en porte trois ou quatre paires à la fois et sans se plaindre. Et puis, en supposant qu'ils puissent passer l'hiver sans trop d'incomfort, le printemps ou plutôt l'été, car les saisons moyennes n'existent pas là-haut, les retrouvera dans des conditions semblables ou pires, car alors les ressources seront épuisées et le problème restera non résolu. C'est, sans doute, livrés à ces réflexions amères que les malheureux arpentent l'unique rue plusieurs fois par jour, entre les repas, et le soir, lassés, rentrent à bord, sous la tente, pour recommencer le matin suivant cette marche sans but, cet exercice sans objet. Des milliers y ont passé et, heureusement pour eux et pour tout le monde, ils ont eu la sagesse de vendre aussitôt que possible la majeure partie de leur pacotille ou même le tout et de descendre le fleuve dans leur bateau ou par le vapeur. La nostalgie aussi les a saisis, et subitement ils ont voulu revoir leur home. Rien n'a pu les retenir; une sorte de panique a couru dans les rangs de cette grande armée des chercheurs d'or; ils ont crié «Sauve qui peut», et à certains jours la flottille, qui se hâtait de fuir rappelait par le nombre celle qui envahissait le lac Marsh quelques semaines auparavant.

Mais suivons la foule, et quelle foule! De suite vous distinguez le Chi-Cha-Ko du vétéran ou pionnier du Yukon, comme il s'appelle lui-même; le premier a gardé une certaine tenue, ses vêtements conservent une sorte de décence et son air est timide, presque embarrassé. Il avance prudemment et les yeux baissés, comme s'il cherchait à découvrir des pépites parmi les galets et le sable. Comme sa promenade est fantaisiste, il s'arrête, il se tourne indécis, regardant sans voir, écoutant sans entendre; ses pensées sont là-bas.

Le pionnier, au contraire, s'en va crânement, toujours pressé, toujours actif, toujours alerte; de ses habits il n'a souci; il est souvent en haillons pendants, sales, graisseux; ses bottes sont éculées, son chapeau est informe; toutefois il le porte d'un air conquérant, s'ingénie à lui donner l'apparence d'un bicorne, d'un tricorne ou d'une corne quelconque, ce qui a l'air essentiellement militaire. En passant, il jette un coup d'œil dédaigneux sur le tenderfoot (pied tendre, novice), qu'il reconnaît de suite à sa barbe bien peignée, lui qui, par genre, porte dans la sienne un petit monde de débris qu'il serait intéressant d'analyser, si l'on en avait le temps. Sa peau est celle d'un Indien, tant pour la teinte que pour le tissu; on ne peut mieux la comparer qu'au cuir d'alligator dont on fait ces sacs de voyage si en vogue aux États-Unis. Son regard est perçant, porte droit et ne cherche pas les pépites là où elles ne se trouvent pas. Sa poignée de main est cordiale, peut-être un peu trop expressive à votre gré. Tout en causant, il roule une chique entre ses dents et salive abondamment.

Dawson est située sur une barre de gravier, d'alluvions ou de galets, déposés par le Klondyke à son confluent dans le Yukon, formant un triangle dont les deux côtés sont les deux rivières se rencontrant à angle droit et le troisième la colline de 100 à 300 mètres de hauteur courant du Klondyke au Yukon. Sa superficie est d'environ 200 acres, soit 80 hectares; sa plus grande longueur est d'un peu plus de deux kilomètres et sa largeur d'un kilomètre un quart; la plus grande partie de ce plateau est marécageuse et plantée de sapelots et de bouleaux rabougris; la berge, le long du Yukon, est un peu exhaussée au delà du niveau général, c'est ce qui l'a sans doute fait choisir pour le tracé de l'avenue principale. La seconde avenue, qui ne compte que quelques constructions, est déjà dans la bourbe, et les rues transversales ne commencent réellement que vers la partie inférieure de la ville, où le terrain se relève graduellement vers le pied de la colline.

Le terrain sur lequel la ville est construite est presque en entier la propriété de Joe Ladue, un pionnier du Yukon qui, à l'origine des découvertes aurifères sur les creeks, reconnut l'importance du terrain et le jalonna. Il en prit possession en septembre 1897, quelques semaines après que l'or du Bonanza fut mis au jour, et installa une scierie qu'il avait amenée du poste de Sixty Mile. Ce terrain est divisé en parallélogrammes de 30 m. sur 18, par sept avenues allant du Sud au Nord et autant de rues de l'Ouest à l'Est, mais, à moins qu'on ne fasse les travaux nécessaires pour drainer et assainir le marécage, la plus grande partie de ces lots resteront sans emploi.

Le terrain situé entre la rue principale et la rivière, appartenant au gouvernement, a été affermé à Alexandre M'Donald, qui le sous-loue à raison de 10 livres sterling le pied courant et en retire, dit-on, plus de 25 000 dollars par mois. On annonce cependant qu'au mois de mai 1899 ce monopole expirera, et les tenanciers pourront avoir affaire directement aux autorités, qui exigeront des prix moins élevés.

Les habitants de Dawson préfèrent camper et habiter la côte et le sommet de la colline, quoiqu'ils soient ainsi plus éloignés des affaires; de fait, la disposition générale des habitations de tout genre est celle d'un anneau elliptique enserrant le marais. En été, ce dernier est la source d'émanations fétides et putrides, causant un grand nombre de cas de fièvre typhoïde et autres.

La ville d'affaires s'est donc forcément développée le long de la rive. Les lots bâtis sont actuellement tous occupés, la plupart par des locataires qui payent 10 dollars le pied courant du terrain seulement. Ils construisent eux-mêmes, et comme les planches coûtent 200 dollars les mille pieds, on peut juger de la dépense qu'occasionne la moindre bâtisse. Un bureau, de dimension très restreinte, ne peut se louer à moins de 150 à 200 dollars par mois; certains lots se sont payés 30 000 dollars et ne supportent qu'une maison de proportions ordinaires, contenant une salle de moyenne grandeur au rez-de-chaussée et un étage ou deux au-dessus.

Dix lots sur la première avenue, vendus pour 100 dollars il y a deux ans, sont évalués aujourd'hui à plus de 300 000 dollars. Les maisons en troncs situées sur les autres rues et avenues, se louant de 150 à 250 dollars par mois, ne contiennent, le plus souvent, qu'une pièce de quelques mètres carrés, avec une porte et une fenêtre; beaucoup même, sur Front Street, qui est la rue principale, n'ont pas de vitres aux fenêtres. Le verre à vitre ayant fait défaut, les derniers carreaux qu'on pouvait avoir étaient de 8 sur 10 et se vendaient 12 fr. 50 chacun, de sorte qu'il a fallu les remplacer par une pièce de mousseline très mince, qui laisse pénétrer une lumière diffuse. Quelques fenêtres n'ont pas même de cadre, et sont de simples ouvertures pratiquées dans la paroi en planches au moyen d'une scie.

Comme en chemin on a appris à n'être pas difficile et à tirer parti des situations les plus absurdes, on saisit l'occasion, dans les nuits d'insomnie, de faire un cours privé d'astronomie sans quitter son sac-lit. On se réveille, on ouvre l'œil, et aussitôt les beautés de la Grande Ourse se déploient aux regards.

Le sac-lit, en effet, est toujours à la mode; les lits, tels que vous les entendez, n'existent pas encore là-bas. On a toujours recours à la robe de fourrure ou aux couvertures de laine, avec cette différence peut-être qu'on les étend sur une plate-forme, à un mètre du sol, faite de planches brutes et sans ressorts, bien entendu. Autant vaut alors coucher par terre, où, du moins, vous ne risquez pas de tomber en rêvant. Outre les trous qui sont censés représenter des fenêtres, il y a entre les planches formant les parois de certaines maisons des interstices de grandeur suffisante pour admettre à toute heure du jour et de la nuit d'amples provisions d'un air qui serait pur sans ce malencontreux et pestilentiel marécage d'à côté; mais on ne peut tout avoir, le ventilateur et l'air frais.

Les boutiques regorgent de marchandises et les prix sont élevés. Comme leur fonds consiste, pour la plupart, en assortiments complets amenés par les immigrants, elles sont par le fait de véritables bazars en miniature où l'on trouve de tout, depuis des aiguilles jusqu'à une meule de fromage, à un canot, à une paire de bottes; le tout, de rencontre, est plus ou moins fripé et usé. Cependant il y a quelques places où l'on vend du neuf, n'ayant jamais servi, on nous l'affirme; les grandes compagnies, l'Alaska Commercial Co et le North American Trading Co, ont leurs propres vapeurs sur le Yukon et sur l'Océan; les uns et les autres se rencontrent à Saint-Michel et transportent, chaque été, de la côte du Pacifique un fret considérable.

Les glaces encombrent le Yukon cinq à six semaines après qu'elles ont évacué les cours supérieurs des lacs et de la rivière. Ce n'est qu'à fin juin que les premiers bateaux peuvent quitter Saint-Michel et remonter jusqu'à Dawson, qu'ils atteignent au plus tôt vers le 15 juillet. Leur arrivée est le signal de la baisse des prix, qui ne sont jamais si exorbitants précisément que quelques semaines avant l'arrivée des vapeurs, car alors les approvisionnements tirent à leur fin et les négociants en profitent pour liquider leurs soldes.

Sur la plage, entre les bateaux et la berge, de nombreuses tentes sont dressées, ayant devant le front des tréteaux chargés d'objets à vendre ou à échanger: ce sont des mercantis trop pauvres ou trop pressés de s'en aller pour louer une boutique en ville.

Ils ont donc ouvert un marché en plein vent, ils achètent aussi et troquent, toujours armés de leurs balances à peser l'or en pépites, en grenailles ou en poudre, la seule monnaie courante au Klondyke, en même temps que d'un sac de peau pour l'y renfermer. Le client fait son achat sans jamais discuter le prix, jette son sac de poudre d'or au vendeur qui s'en empare, pèse à vue d'œil, il faut bien le dire, et, apparemment satisfait de l'opération, rend à l'acheteur son sac légèrement plus diminué qu'il ne serait nécessaire en stricte justice.

D'ailleurs, si tout ne s'achète pas, à Dawson, et pour cause, tout s'y vend, et à de bons prix. Vous voulez un cheval? 2 000 francs; un baudet, 1 000 francs; un poulet vivant, 50 francs; un œuf frais (pondu à Dawson même), 10 francs; une pastèque, 125 francs; une orange, 2 fr. 50; une petite pomme, 25 sous; les sacs de paier, on les donne. Les consommations en minuscules quantités sont à 50 sous dans les «salons» (cafés); la bouteille d'eau minérale ou de bière coûte 25 francs; le whisky 75 francs; le vin de champagne en proportion.

Un repas dans les restaurants, consistant en un peu de soupe, une tranche de bœuf ou d'élan rôti, et du fruit cuit, avec une tasse de thé ou de café, coûtait 12 fr. 50 au commencement de l'été; l'arrivée des vapeurs l'a fait tomber à 7 fr. 50. La viande est de 5 à 8 francs la livre et le poisson un peu moins cher, surtout à partir du mois d'août, où les saumons arrivent de l'Océan en remontant le courant. Le changement d'eau et les efforts énormes qu'ils déploient dans cette lutte les ont colorés en rouge cramoisi et lie de vin, et leur chair est devenue molle et spongieuse; peu d'entre eux sont encore en bonne condition. Aussi n'en mange-t-on guère; on les pêche au filet et au harpon, et même simplement avec le recueilloir. On fait sécher la chair au soleil, et avec cela on nourrira les chiens en hiver.

La majeure partie des aliments consiste en farine, pois, haricots en sacs, pommes de terre, oignons et quelques autres légumes évaporés et en caisses, en fruits secs, pruneaux, pêches, pommes, abricots, etc., en viandes salées, lard, jambon, bœuf, langues; en conserves de rosbif et de gigot en boîtes; en sardines à l'huile, beurre, sucre cristallisé en sacs, fromage en cercle, etc.

L'estomac se fatigue vite de cette nourriture, qui, si excellente qu'elle soit en elle-même, manque de la première des qualités: la fraîcheur. On a réussi cependant à faire passer par la sente de Darton quelques milliers de bœufs et de moutons qui trouvent à partir de mai une abondante pâture et qui ont été parqués à Fort Selkirk, où l'herbage est facile à obtenir. Des spéculateurs ont élevé là de vastes abris, et au fur et à mesure des besoins ils expédient le bétail en très bonne condition à Dawson par radeau, en trois jours.

De plus, les nombreux chasseurs et trappeurs qui battent la contrée tuent assez fréquemment l'élan et l'ours, qui constituent un très bon manger; l'élan surtout, que les Canadiens appellent original, a une chair fine et plus tendre que celle du bœuf, qu'elle égale pour le poids; il n'est pas rare d'abattre des individus pesant de 700 à 800 kilos. Les andouillers de cet animal se terminent en palettes énormes et mesurent de bout à bout près de 2 mètres; sa tête ressemble beaucoup à celle de la mule. C'est donc un fort beau coup de fusil, surtout si le chasseur se trouve à proximité d'une rivière, car alors il construit un radeau, y dépose la carcasse dépecée de l'élan et, tout en surveillant, l'aviron à la main, sa précieuse charge, calcule assez correctement que 400 à 500 kilos de viande à 1 dollar le kilo lui rapporteront au bas mot 400 dollars.

Il y a dans l'intérieur du pays une quantité de champignons comestibles, mais l'ignorance à leur égard est si grande qu'ils sont laissés de côté comme si tous étaient vénéneux.

Dawson est, comme nous l'avons dit, un assemblage de baraques en bois et de tentes élevées sans aucune prétention à l'ordre ou à la symétrie, sauf en ce qui concerne la première rue, et ici même un ingénieur aurait d'importantes rectifications à faire. Il n'y a ni égoûts ni canaux pour l'écoulement des eaux, de sorte qu'à la première crue ou après une forte pluie d'orage, une inondation se produit et que, comme en juin dernier, on doit se servir de canots, l'eau remplissant les habitations à 2 ou 3 mètres de hauteur.

Par-ci par-là un trottoir en planches, tantôt sur le sol, tantôt élevé de quelques marches, ce qui donne un aspect serpentin à la foule en mouvement.

Foule bigarrée, ondoyante et diverse, vétérans du Yukon et Chi-Cha-Kos, soldats de la police montée en uniforme rouge ou chocolat, femmes et filles des chercheurs d'or en bloomers ou en jupon court et en bottes, et aussi femmes fardées, de ces painted women dont parle Macaulay. Leur caractère n'est pas toujours des plus aimables, s'il faut en croire la chronique; en effet, nous lisons aux dernières nouvelles de Dawson qu'un incendie considérable y a réduit en cendres une quarantaine de bâtiments du Front Street, le 14 octobre au matin, et que la cause du sinistre a été qu'une certaine Miss Belle M. de l'Arbre Vert, s'étant prise de querelle avec une amie, lui avait, en guise d'argument, lancé à la tête une lampe allumée.

En sous-ordre une armée de chiens de tout poil, de toute lignée, de toute gueule, depuis l'aboiement sonore du terre-neuve jusqu'au glapissement plaintif du malamouse ou du huskie, mi-chien, mi-loup. Le milieu de l'avenue leur est laissé, ainsi qu'aux rares chevaux et mules qui trouvent maintes occasions de se rafraîchir les entrailles en traversant les nombreuses fondrières. Il y a quelques camions à deux chevaux pour le transport urbain des marchandises; on loue leurs services et ceux du charretier à raison de 50 francs l'heure, soit un peu plus de 80 centimes la minute; aussi les minutes sont-elles comptées. Avez-vous, par exemple, à déménager de votre bateau dans une chambre ou une tente en ville? L'homme et son attelage arrivent, il tire sa montre, vous tirez la vôtre, et gravement vous fixez la minute à la seconde près, et puis en avant! Avec une rapidité vertigineuse vous empoignez les sacs, les caisses, les ballots, et les empilez sans merci et sans ordre sur la plate-forme du fourgon, et l'on part au trot, voire au galop. À destination la pile de colis est démolie avec la même célérité frénétique, et le dernier n'a pas mordu la poussière que, haletant, la sueur coulant à flots, l'œil farouche, vous tirez votre montre de votre poche, puis vous arrêtez et soldez le compte sans perdre une seconde. Pensez donc, 80 centimes la minute!

En juin et juillet, le soleil se lève à 1 h. 30 du matin et se couche à 10 h. 30, et l'entre-deux est parfaitement clair, au point qu'on photographie à minuit aussi bien qu'à midi, une sorte d'aube légèrement colorée d'orange ne cessant pas de faire pour ainsi dire trait d'union d'un soleil à l'autre. Aussi en profite-t-on pour traiter les affaires et entreprendre des courses; les moustiques, maringouins, moucherons et pestes de même acabit dorment alors, ou du moins font semblant et sont moins agressifs qu'en plein jour, et c'est un répit qui n'est pas à dédaigner, car l'obsession de ces insectes est si grande que l'on doit se préserver la figure et le cou avec une pièce de mousseline insérée dans le couvre-chef, et les mains avec des gants. On peut aussi s'enfumer au moyen d'un feu d'une mousse humide entassée dans une poêle à frire dont on tient le manche, tout en causant affaires.

XII

L'été à Dawson.—Le bureau des postes assiégé.—Les jeux.—Les salles de danse.—Les mineurs.—La police.—Les églises et les hôpitaux.—Les banques et les journaux.

En été, c'est-à-dire de juin à septembre, les environs de Dawson sont charmants, le climat est délicieux: tout est vert et frais, les collines sont revêtues de bouleaux et de peupliers pas très hauts, c'est vrai, mais serrés, touffus et couronnés de feuillage de l'émeraude le plus tendre; mille fleurs à couleurs gaies teintent les clairières en violet, pourpre et lilas. Le ciel est d'un azur léger et presque toujours clair, des nuées diaphanes le voilent à peine et quelquefois se résolvent en petites pluies de peu de durée. Parfois aussi un orage s'annonce, les nuages deviennent opaques, l'éclair zigzague, le tonnerre gronde, il tombe une forte averse ou il grêle, et deux heures plus tard le ciel a revêtu de nouveau sa tunique bleu pâle. Toutefois l'atmosphère, bien que claire, n'a pas la hauteur ni la transparence lumineuse des climats plus chauds; elle semble flotter à petite distance au-dessus des collines et donne une impression d'affaissement plutôt que d'exaltation.

Le Yukon a un courant rapide et mêle ses eaux bourbeuses à celles très claires du Klondyke, qui sur une distance assez grande accaparent, immaculées, près de la moitié du lit du fleuve, offrant l'étrange spectacle d'un cours d'eau mi-partie bleuâtre, mi-partie jaunâtre; et ce qui est non moins étrange, c'est que la partie claire est contaminée, tandis que la trouble est saine. Ce phénomène s'explique aisément par le fait que la ville flottante est ancrée sur la rive droite où arrive le Klondyke, et que ses immondices sont simplement jetés par dessus bord. Au contraire, l'autre rive baignée par le Yukon est sans habitation aucune, sauf à un kilomètre plus bas, et par conséquent l'eau en est plus pure, quoique chargée de matières terreuses qui lui donnent une teinte sale.

Le fleuve est sillonné de canots faisant la pêche ou allant puiser de l'eau potable au milieu du courant, et de radeaux immenses faits de troncs d'arbres, coupés sur les nombreuses îles en amont et liés ensemble.

Mais qu'est-ce que ce rassemblement de plus de cent personnes à la file indienne, à la porte d'un bâtiment en bois? Approchons-nous, observons et instruisons-nous. Nous sommes en présence de l'un de ces problèmes admirables que toute administration qui se respecte est appelée à résoudre. Ces cent ou deux cents administrés (cette espèce existe même dans le Yukon), paisiblement rangés à la queue leu leu, ne semblent d'ailleurs pas autrement pressés ni étonnés. Les premiers, près de la porte de la baraque, sont debout, comme pour ne pas manquer leur tour quand le Sésame s'ouvrira, les suivants savent par expérience qu'ils ont amplement le temps de fumer une pipe, de lire leur journal ou de discuter la dernière circulaire du Commissaire de l'Or. La plupart ont apporté un siège ou ce qui en tient lieu, de vieilles caisses, des baquets, voire des branches d'arbres. Vers dix heures, soit après trois ou quatre heures d'attente, la porte s'entre-bâille, un heureux est introduit. La porte est refermée violemment et verrouillée. Ce privilégié se trouve en face d'un ou deux grands gaillards de la police qui lui demandent son nom, et, sur sa réponse, saisissent dans certains casiers ad hoc des paquets de lettres liés avec une ficelle. Le lien est méthodiquement et soigneusement détaché, les adresses des lettres lues lentement, presque épelées, et quand le tas a été ainsi passé en revue, ledit privilégié est informé qu'il n'y a rien pour lui. Il s'en va en soupirant, car il a peine à cacher son désappointement, tant il est sûr qu'il y a là quelque part, dans ces coins et recoins, des missives de sa famille, de ses bien-aimés laissés là-bas au pays et dont il attend avec anxiété des nouvelles.

Un autre est introduit, le même cérémonial pointilleux, automatique, solennel, est répété comme il convient dans une fonction civile exercée par des militaires. C'est beau, c'est grand, c'est sublime; mais la plus petite lettre ferait bien mieux l'affaire. Vous l'avez deviné, nous sommes au bureau des postes.

Les dames, dit-on, sont un peu mieux partagées, elles ont l'accès de la porte de côté et entrent à volonté dans l'arche; on rapporte même qu'on les a vues quelquefois en sortir tenant à la main une enveloppe. Ce n'est pas que la police soit inférieure à celle d'autres villes du genre de Dawson, bien au contraire; mais à chacun son métier. C'est son devoir de mettre la main au collet de certains particuliers, et elle a les doigts trop peu déliés pour défaire les nœuds de la ficelle postale. Son rôle est ailleurs, et il faut dire qu'elle le joue à merveille; peu de centres miniers sont aussi tranquilles et aussi bien surveillés que Dawson. Dans ses deux ans d'existence, c'est à peine s'il y a un crime ou deux à mentionner; les vols y sont inconnus, ou du moins très rares et pas considérables, la sécurité est parfaite et l'ordre règne jusque dans les plus éloignés des creeks, au point que le mineur peut à toute heure porter lui-même ou faire transporter à dos de mulet ses sacs de pépites d'or, de n'importe quel claim jusqu'à Dawson.

Et si l'on se rend compte que ces braves gens sont exposés, pendant la plus grande partie de l'année, au froid et aux intempéries les plus extrêmes et ne reçoivent qu'un salaire relativement très modique, on ne peut s'empêcher, in petto, de les admirer et presque de les plaindre. Ils trouvent bien ici et là quelques petites compensations, mais de cela nous aurons occasion de reparler.

Le dimanche, les «salons», les bouges, les boutiques sont fermés; tout travail, tout trafic cesse: c'est, en un mot, le jour du repos tel que les Anglais l'entendent. Socialement et économiquement cette mesure a son utilité et offre des avantages; du moins personne ne s'en plaint à Dawson.

Poursuivons notre investigation et pénétrons dans un de ces «salons» portant des noms pompeux, tels que le Monte-Carlo, la Combination, l'Eldorado, l'Aurore. La salle ouvrant sur la grande rue est occupée par un bar ou comptoir, souvent richement sculpté et surmonté de glaces de prix, derrière lequel fonctionnent deux ou plusieurs garçons en manches de chemise et tabliers blancs. Ils servent des consommations, y compris de la limonade, à partir de 2 fr. 50 l'une; elles tiendraient presque dans un dé à coudre.

De là on passe derrière dans une série de pièces: l'une, où se tient le brelan, remplie de joueurs de profession et de mineurs qu'ils dévalisent, mais d'un air si sérieux et si sympathique que les pigeons trouvent la chose toute naturelle et sortent de là le sac vide, mais résolus à prendre leur revanche dès qu'ils auront lavé un peu plus de poudre d'or. D'ailleurs, pas le moindre bruit; l'ordre et presque le silence règnent partout, car l'ex-gouverneur, le major Walsh, avait nettement déclaré qu'il autorisait les jeux à condition qu'il n'y eût pas de plaintes et que, si on venait jamais lui rapporter quelque escroquerie, il fermerait aussitôt les salles. Puisque la roulette, le black jack, le poker et d'autres combinaisons de ce genre vont leur train aujourd'hui, il faut en conclure que les filous et les escrocs ont su conserver une apparence de haute respectabilité. On pourrait même dire qu'ils ont gagné l'estime et la gratitude des gens qu'ils plument, puisque ceux-ci ne se lassent pas de perdre en quelques heures, sous la direction et par les soins de gentlemen si distingués, ce qu'ils ont mis des mois de labeur et de privations à amasser. L'autre pièce est aménagée pour le spectacle, qui consiste en vaudevilles, farces, pantomimes, chants, exécutés sur une scène en face et au pied de laquelle se tient un orchestre de quatre ou cinq musiciens: violon, clarinette, piston et piano. Le parterre est garni de chaises ou de bancs en bois brut et flanqué sur toute sa longueur d'une double voie de loges, à droite et à gauche de la salle. Le quatrième côté, au fond, est occupé par un comptoir constamment assiégé par une foule altérée.

Plus tard, dans la soirée, les bancs sont enlevés, les musiciens montent sur l'estrade, les garçons commencent à se trémousser, et les filles se joignent bientôt au tourbillon; la danse entre en branle. Comme la plupart des gens ne savent pas danser, un maître de ballet les initie et marque la mesure en tapant du pied sur le plancher avec fracas. Les pas sont des plus simples, et les mineurs les exécutent avec l'élégance d'un ours grizzly, vêtus de leurs loques de tous les jours, en manches de chemise, en bottes et chapeau sur la tête. La représentation se fait tout à fait à la bonne franquette, sans prétention, sans vanité, sans fard, au moins chez les hommes. Pour beaucoup la boisson seule a des charmes, et ils s'empoisonnent de mauvais whisky à raison de cinquante sous le petit verre.

On le voit, les goûts et récréations du mineur ne sont guère relevés; les jouissances matérielles sont tout pour lui, comme l'or qu'il recherche est tout son bonheur. Il prospectera donc de longues années, parcourant des milliers de kilomètres, par tous les temps et en toute saison, bravant les périls, les bêtes sauvages, les Indiens, le froid, la faim, et, ce qui est peut-être le plus terrible de tout, la solitude, car il arrive assez souvent que le prospecteur ne rencontre pas d'être humain pendant des mois. Puis, s'il réussit à «se frapper riche», comme disent les Canadiens français, c'est-à-dire à faire une trouvaille rémunératrice, rien ne pourra le retenir, et, quelle que soit la distance et la fatigue, il partira, son sac rempli de poudre ou de pépites, et, arrivé au camp, il dépensera son pécule en quelques jours, voire en quelques heures. Après quoi, les poches vides, il reprendra le chemin du désert et ira recommencer cette vie terrible comme le pays où elle s'écoule; peut-être ne fera-t-il plus désormais que végéter, allant d'un lieu à l'autre, s'aidant d'un chien, d'un cheval, voire d'un bœuf, lavant tout juste assez d'or pour pouvoir s'acheter un grubstake, c'est-à-dire des vêtements et quelques provisions. Si, au contraire, la fortune lui sourit de nouveau, loin d'être éclairé par l'expérience, ou corrigé par la perspective des forces déclinantes et des infirmités de l'âge, il se ruera aussitôt à l'orgie sans frein et sans vergogne...

Les conditions sanitaires de la ville et le manque d'eau potable ont causé, l'an dernier, une sorte d'épidémie qui a terrassé quelques-uns même des plus forts et des plus robustes. La plupart des cas étaient des fièvres typhoïdes, paludéennes, malariales, etc.

En outre des hôpitaux réguliers, il y a des infirmières et gardes-malades privées qui soignent les patients à domicile. Il y avait certainement à la fin de l'été, à Dawson, un très grand nombre de fiévreux, mais la mortalité n'était pas considérable.

Cependant on attendait avec impatience les premières gelées de septembre pour assainir la place. Il paraît qu'un ingénieur français distingué, M. de L..., avait proposé au Conseil d'entreprendre à forfait l'assainissement de la ville au moyen d'égouts et de tranchées. On ne connaît pas le résultat de cette demande.

Outre l'église catholique, incendiée il y a quelques mois et rebâtie en été, il y a une église presbytérienne (Dr. Crant), une église anglicane (Dr. Mac Donald) et une église norvégienne; cette dernière est une tente sur la rive même du fleuve. Ces différentes églises attirent chaque semaine de nombreux fidèles et, le soir, en particulier, les chants d'hymnes et de cantiques se font entendre au loin, entonnés avec ferveur par toute l'assistance. Il m'est arrivé de voir dans l'une d'elles deux individus taillés en hercules pleurer à chaudes larmes à l'audition d'un chant qu'ils n'avaient pas entendu peut-être depuis le temps où ils étaient encore enfants et pleins d'illusions. Maintenant engagés dans cette lutte amère de l'existence, les souvenirs d'enfance revenaient sans doute à leur esprit avec une telle force qu'ils ne pouvaient contenir leur émotion, et ils pleuraient silencieusement... Enfin, comme l'état social n'est pas complet sans une prison, on en a établi une dans l'enceinte palissadée entourant les baraques des officiers et des soldats de la police. C'est là qu'étaient, en août dernier, les quatre jeunes Indiens condamnés à être pendus le 1er novembre, et quelques délinquants dont les moins coupables sont employés à construire de nouveaux bâtiments ou à maintenir en bon état les anciens.

Dawson possède deux banques, la British Bank of North America (Banque Britannique de l'Amérique du Nord) et la Canadian Bank of Commerce (Banque Canadienne du Commerce). La première a un capital de 4 666 666 dollars, la seconde de 6 000 000 de dollars. Elles vendent des traites, et en achètent, ainsi que des pépites et de la poudre d'or. On compte trois scieries travaillant jour et nuit; leur produit combiné est de 25 000 pieds, et le prix des planches est de 200 dollars le mille; les ordres ne peuvent pas être exécutés assez vite. Tout ce bois sert à construire des bâtiments, des magasins, des entrepôts, etc.

Quant aux hôtels, restaurants et salons, ils sont légion; le plus grand et le meilleur hôtel est le Fairview (Bellevue).

De l'autre côté du Klondyke s'élève un faubourg de Dawson, appelé Klondyke City, relié à la ville par un pont en bois suspendu jeté sur les deux bras de la rivière et une île intermédiaire; le prix de passage est de cinquante sous, et le pont a coûté 20 000 dollars. Il fut emporté en juin par une crue du Klondyke, dont le courant est ici très fort, et il a été réparé depuis. Il est long de 520 mètres, avec une arche de 76 et une autre de 66 mètres.

Deux journaux, le Yukon Midnight Sun (le Soleil de Minuit du Yukon) et le Klondyke Nugget (la Pépite du Klondyke), paraissent une ou deux fois par semaine et se vendent 50 sous le numéro; les annonces s'y payent à raison de 50 francs le pouce, colonne simple.

XIII

Le Klondyke et ses affluents.—Les placers de Bonanza et de l'Eldorado.—Le Dôme.—Comment on a découvert l'or.—Les richesses du Klondyke.—Les creeks de Hunker, Gold Bottom, etc.—M. Mac Donald.

Bonanza Creek se jette dans le Klondyke, à un kilomètre et demi au-dessus de Dawson, non loin de la jonction du Klondyke et du Yukon, à main droite en remontant la rivière.

Depuis son confluent jusqu'à deux ou trois kilomètres de sa source, le courant est paresseux, et lors de l'étiage, en été, il ne fournit que tout juste assez d'eau pour alimenter les boîtes à laver (sluice boxes) pour les opérations hydrauliques. La vallée a, sur presque toute sa longueur, 150 à 300 mètres de large et conserve une direction assez uniforme. Quelques barres de gravier et de sable seulement, la majeure partie du terrain plat étant recouverte d'arbres, de mousses et de marécages. Les flancs de la vallée ne sont pas formés de rochers perpendiculaires, mais au contraire de bancs et de terrasses en retrait et finissant par s'arrondir au sommet de la colline. De chaque côté du ruisseau courent des filets d'eau appelés pups, qui ne sont que l'écoulement temporaire des eaux que le chaud soleil d'été fait sortir du sol dégelé à peu de profondeur de la surface.

À 22 kilomètres, le ruisseau Eldorado se jette dans le Bonanza, rive droite. Cet endroit est connu sous le nom de Fourches (Forks), et est le centre d'une agglomération d'une douzaine ou deux de cabanes, plusieurs d'entre elles décorées du nom d'hôtel, de salon ou de restaurant. Les deux cours d'eau sont à très peu près d'égal volume et aurifères, quoiqu'on admette généralement que, si l'Eldorado l'emporte par la quantité d'or, le Bonanza lui est supérieur par la qualité du titre, qui vaut en effet un dollar l'once de plus que l'autre.

Excepté vers le Nord, le vaste plateau situé entre les montagnes Rocheuses aux pics dentelés et le massif de collines arrondies qui rayonnent du Dôme, est bien arrosé et plus ou moins boisé. Il est prospecté par des chercheurs d'or, dont la présence est indiquée par des feux de camp nombreux.

Jusqu'à présent les recherches pour la découverte de quartz aurifère n'ont pas été faites sur une grande échelle, les placers attirant de préférence l'attention des mineurs, attendu qu'ils peuvent s'exploiter sans grands frais et sans l'aide de machines. De plus, c'est l'opinion de plusieurs experts que le Klondyke proprement dit ne donnera pas de filons. Du moins une série assez considérable d'essais faits avec des spécimens de quartz fort variés et pris un peu sur tous les points des placers n'ont pas eu de résultats satisfaisants.

On dit que le bouleversement qui a renversé les montagnes de cette région, et qui les a pulvérisées et arrondies, a été si complet que les veines intactes de quartz sont sans doute à une très grande profondeur et ne pourront être, si elles le sont jamais, découvertes que par accident.

Le quartz trouvé à la surface est à l'état fragmentaire et entièrement privé d'or ou de pyrites aurifères.

Mais les prospects ne sont pas confinés au Klondyke, ni au voisinage immédiat de Dawson. À peu près tous les tributaires importants du Yukon sont examinés et fouillés par les chercheurs d'or. Le long des bancs du Yukon, entre Dawson et Forty Mile, on a trouvé des veines de minerai chargé de cuivre natif; à Dawson même, deux ou trois veines ont été déterminées et livrent du minerai de pyrites aurifères de qualité inférieure. Plus haut sur la rivière, dans les formations calcaires carbonifères, on trouve des minerais de bromures d'argent et de galène, tandis qu'on annonce la découverte sur la Stewart de filons de minerais saturés d'or vierge.

Voici, suivant M. Ogilvie, le nouveau gouverneur général du Territoire du Nord-Ouest et pendant des années arpenteur et géologue du Gouvernement dans le Yukon, quelle a été l'origine de la découverte de l'or dans le Yukon:

«La découverte de l'or au Klondyke, comme on l'appelle, bien que le nom propre de la rivière soit un nom indien, Thronda, a été faite par trois hommes: Robert Henderson, Frank Swanson et un nommé Munson, qui en juillet 1896 prospectaient le long de la rivière Indienne. Ils remontèrent le cours d'eau sans trouver rien qui les satisfît, jusqu'à ce qu'ils parvinssent au Dominion Creek. Après avoir fouillé là aussi, ils escaladèrent la colline, découvrirent Gold Bottom, obtinrent de bons prospects et se mirent à l'œuvre.

«Leurs provisions venant à manquer, ils décidèrent de partir pour Sixty Mile afin de s'y ravitailler, et dans ce dessein ils descendirent la rivière Indienne jusqu'au Yukon, puis remontèrent celui-ci jusqu'à Sixty Mile, où quelqu'un avait établi un poste d'échange.

«De là passant à Forty Mile, ils rencontrèrent un homme, un Californien, qui pêchait en compagnie de deux Indiens: c'étaient des Indiens du Canada, des hommes du roi Georges, comme ils s'appellent eux-mêmes avec orgueil. Un des articles du Code du mineur est que, s'il vient à faire une découverte, il doit se hâter de la publier; aussi nos individus se crurent-ils obligés d'informer les pêcheurs qu'il y avait une riche «paie» sur Gold Bottom. Les deux Indiens se joignirent à la bande, et tous ensemble se mirent en route vers Bonanza, d'où ils descendirent sur Gold Bottom. Ils y prospectèrent une demi-journée et rétrogradèrent sur Bonanza, à une distance de 15 kilomètres, où ils prirent un petit tas de terre, un pan (plat)*, qui les encouragea à continuer. En quelques instants ils recueillirent là 12 dollars 75 cents. Un claim de «découverte» fut jalonné, ainsi qu'un au-dessus et un au-dessous pour les deux Indiens.

*[Un pan ou plat reçoit deux pelletées de gravier. Il y a dix plats au pied cube. Un ouvrier pourrait en laver 90 par jour.]

«En août 1896, le prospecteur californien, connu généralement sous le nom de Georges le Siwash, parce qu'il vivait avec les Indiens (Siwash), descendit à Forty Mile pour chercher des provisions. Il rencontra plusieurs mineurs et leur fit part de sa trouvaille en leur montrant les 12 dollars 75 qu'il avait mis dans une vieille douille de cartouche de Remington. Ils ne voulurent pas le croire, sa réputation de véracité étant quelque peu au-dessous du pair.

«Les mineurs disaient de lui que c'était le plus grand menteur qu'on eût jamais vu, et ils doutèrent de sa parole. Néanmoins ils étaient préoccupés de savoir la vérité.

«Finalement, ils vinrent me trouver, me demandant mon opinion: je leur fis remarquer qu'il ne pouvait y avoir le moindre doute quant aux 12 dollars 75 en or en sa possession. La seule question, par conséquent, était de savoir où il les avait trouvés. Il ne venait ni de Miller, ni de Glacier, ni non plus de Forty Mile. Donc l'or semblait bien avoir été ramassé à l'endroit où Georges l'indiquait. Alors une grande excitation s'ensuivit. Tous les mineurs se précipitèrent vers le pays fortuné, si riche en or. Tout le ruisseau, sur une distance d'environ 30 kilomètres, donnant environ 200 claims, fut jalonné en quelques semaines. Eldorado Creek, long de 11 à 12 kilomètres et fournissant à peu près 80 claims, fut occupé à peu près dans le même espace de temps.

«Boulder, Adams et d'autres vallons encore furent prospectés et donnèrent de bonnes indications de surface, l'or étant trouvé dans le gravier des ruisseaux. De tels indices constatés à la surface peuvent être considérés comme preuve de l'existence d'un sous-sol excellent. C'est en décembre que le caractère des fouilles fut déterminé. Un certain claim sur Bonanza, ayant été soigneusement examiné, permit d'établir la valeur du district. Le possesseur de ce claim avait l'habitude de laver chaque soir une couple de baquets de gravier et payait ses hommes à raison d'un dollar et demi l'heure, un beau salaire, comme on voit. Sur un claim de l'Eldorado, on fit un pan (plat) de 112 dollars. C'était magnifique. Il y eut un pan encore plus considérable au nº 6, et cela continua ainsi en augmentant de jour en jour. La nouvelle en parvint à Circle City, qui se vida de ses habitants, lesquels accoururent à Dawson. Mais, hélas! à leur arrivée, les pauvres diables découvrirent qu'il y avait déjà des mois que tous les creeks avaient été jalonnés.

«Parmi les retardataires se trouvait un Irlandais qui, se voyant dans l'impossibilité de s'adjuger un claim, arpenta le creek du haut en bas, et s'efforça de terroriser les occupants en les menaçant, grâce à ses relations à Ottawa, de faire réduire de 500 à 250 pieds la longueur de leurs claims. Il offrit un jour de parier 2 000 dollars qu'avant le 1er août tous les claims seraient diminués de moitié. Certain mineur à qui il avait fait cette offre vint et me questionna à ce propos. Je lui dis: «Pariez-vous?» Il répondit: «Quelquefois». Alors je lui dis qu'il n'avait jamais été si sûr de tenir 2 000 dollars qu'il l'aurait été s'il avait accepté ce pari. Ce genre d'intimidation fut poussé si loin que je dus faire afficher des proclamations portant que les dimensions des claims étaient réglées par acte du Parlement du Canada, et qu'aucune modification ne pouvait être apportée, si ce n'était par ce même Parlement. J'engageai les mineurs à ignorer absolument les menaces faites à ce sujet.

«Bonanza et Eldorado Creek font ensemble 278 claims; leurs différents affluents en donnent autant, et tous ces claims sont bons. Je n'hésite pas à déclarer qu'une centaine de ceux de Bonanza rapporteront plus de 150 000 000 de francs. Le claim nº 30 Eldorado, à lui seul, donnera 5 millions, et dix autres voisins 500 000 francs chacun. Ces deux ruisseaux produiront, j'en suis tout à fait certain, de 300 à 400 millions de francs, et je peux dire en confiance qu'il n'y a pas d'autre région de même étendue dans le monde qui, dans le même temps, ait contribué à créer autant de fortunes permettant à leurs propriétaires de retourner dans leurs familles et de vivre en paix pendant le restant de leurs jours, surtout si l'on considère que le travail doit se faire avec des moyens extrêmement limités, que les vivres et la main-d'œuvre sont rares, et que l'on doit se servir des expédients les plus rudimentaires. Quand je vous dirai que, pour travailler proprement un claim, il faut de 10 à 12 hommes et que, cette année-là, il ne s'en trouvait que 200, vous aurez une idée des difficultés qu'il y a à surmonter.

«Sur Bear Creek, à 10 ou 12 kilomètres, de bons claims ont été découverts, ainsi que sur Gold Bottom, Hunker, Last Chance et Cripple Creek.

«À Gold Bottom on a trouvé des pans de 15 dollars, ainsi qu'à Hunker Creek, et, quoiqu'on ne puisse pas dire que ces claims soient aussi riches que Bonanza ou Eldorado, ils sont plus riches que n'importe quels ruisseaux connus dans la contrée. À 50 kilomètres en remontant le Klondyke, Too Much Gold (Creek de Trop d'or) fut découvert. Le nom lui vint de ce que les Indiens qui y travaillèrent pour la première fois, remarquant le mica scintillant au fond de l'eau et pensant que c'était de l'or, diront qu'il y avait trop d'or, plus d'or que de gravier.»

M. Ogilvie, qui est une autorité dans la matière, dit plus loin: «Un claim de l'Eldorado fut piqueté par un jeune homme, qui le vendit quelques jours plus tard pour 85 dollars; l'acheteur n'y mit jamais la pioche et le vendit à son tour au commencement d'avril 1897 pour une somme de 31 000 dollars en monnaie légale du Canada, ce qui en poudre d'or à 17 dollars l'once est équivalent à 35 000 dollars au moins. Un autre exemple: un Canadien français étant pris de liqueur vendit son claim sur Eldorado pour 500 dollars. Une fois dégrisé, il en eut du regret. Des personnes qu'il savait devoir s'y connaître l'informèrent que tout contrat fait en état d'ivresse était illégal: il menaça alors de commencer un procès pour annuler la vente. Il n'y a pas de doute que tous les participants ne fussent plus ou moins ivres au moment où le contrat fut conclu, et plutôt que de risquer un procès, l'acheteur du claim lui offrit environ un dixième du claim original, pourvu qu'il se désistât de tout droit et titre, réel ou imaginaire, qu'il pouvait avoir. Il accepta cette proposition vers le milieu de mars dernier, et, en avril, il vendit sa part dans cette petite portion de claim pour 15 000 dollars.

«Dans une visite que je fis à Eldorado vers la fin de juin, j'estimai la production de 24 claims sur ce Creek et je trouvai qu'elle s'élevait à 826 000 dollars à raison de 17 dollars l'once, ce résultat provenant d'un simple grattage de chacun de ces claims. Cependant il y en a quatre ou cinq d'entre eux qui excédèrent 100 000 dollars chacun. Un claim d'Eldorado fut vendu 45 000 dollars, soit 5 000 comptant le 13 avril, 15 000 le 15 mai (si le paiement n'était pas effectué à cette date le claim et l'argent restaient au vendeur) et la balance de 25 000 le 1er juillet, à défaut de quoi l'acheteur perdait tout. Je pensai tout d'abord que la transaction était extrêmement hasardeuse, et je m'imaginai que probablement il allait perdre une bonne somme dans l'affaire. Lui, cependant, connaissait très bien son terrain, et il me dit, quand les documents nécessaires au transfert furent réunis, qu'il ne s'était jamais senti de sa vie si sûr d'une fortune, quoiqu'il eût miné pendant près de vingt ans.

«Il ne pouvait pas encore laver, car le ruisseau était toujours gelé. Il se mit donc à l'œuvre avec deux rockers et paya ses 15 000 dollars le 11 mai, quatre jours avant leur dû; la balance de 25 000 était complète vers le 20 juin. C'était acquérir en fait le claim pour deux mois de travail.

«Un autre exemple tiré du Bonanza Creek: le 16 avril dernier, Georges Carmack vendit pour son associé Tagish Charley une moitié d'un claim pour 5 000 dollars, dont 500 dollars au comptant, balance au 1er juillet. À défaut l'acheteur perdait le claim et son argent.

«Le 1er juillet, comme je passais devant la cabane de Carmack, j'entrai pour le voir et trouvai l'individu payant les 4 500 dollars du solde.

«Après la conclusion de l'affaire, je demandai à l'acquéreur comment la chose avait tourné. «Oh, dit-il, passablement bien.» Je le priai de me dire le résultat de son opération: «Certes, répondit-il, j'ai fouillé 24 pieds de long, 14 de large, et ai lavé 8 000 dollars.

«Je lui dis: «Eh bien, je connais la superficie de votre claim. En supposant qu'il soit également riche partout, nous allons voir combien vous allez en retirer.» Je calculai de tête et lui dis: «2 400 000 dollars.» Il s'écria: «Que vais-je faire de tout cet argent?—Oh! ne vous tracassez pas, répliquai-je, vous n'aurez pas tant de tourment que cela, il est difficile que votre claim atteigne cette richesse. Admettant qu'il produise un quart de cela, vous aurez encore 600 000 dollars. Admettant de nouveau que ce n'est qu'une bande étroite qu'il vous est arrivé de toucher, à ce taux-là vous auriez encore 83 000 dollars, ce qui est bien assez pour votre bonheur.» Bonanza Creek a à peu près 30 kilomètres de long. Comme un claim a 500 pieds mesurés en ligne droite dans la direction générale de la rivière, on compte donc sur ce creek plus de 200 claims; sur ce nombre, environ 100 sont bons, les uns riches et quelques-uns très riches. Les 100 autres sont probablement bons également, mais il n'y a pas eu assez de prospects pour en garantir le rapport définitif.

«Plus de 70 claims ont été jalonnés sur Eldorado Creek. De ce nombre plus de 40 sont reconnus riches. Je ne suis pas ambitieux d'argent, mais je voudrais choisir 30 claims sur Eldorado Creek, allouer à leurs possesseurs 1 000 000 de dollars chacun et garder le reste pour moi-même. J'aurais certainement encore assez pour mener jusqu'à la fin de mes jours une existence agréable et pour laisser aux miens ce qu'on appelle une honnête aisance.

«Les claims de côtes ont été jalonnés sur ces creeks, et quand je partis, le 12 juillet, quelques-uns donnaient de fort beaux prospects: des pans livrant de 6 à 8 dollars dans quelques cas.

«Un jour, comme je rendais visite à Clarence Berry, le possesseur des nos 5 et 6 Eldorado, il me dit que ses hommes avaient touché une couche très riche le jour précédent et ajouta: «Vous devriez vous amuser à essayer vous-même un peu de ce gravier.» Je refusai d'abord, puis je me décidai enfin à charger un pan et à le laver, mais pas pour moi-même. Mon désir était seulement de laver un pan riche, pour pouvoir dire que je l'avais fait. Je lui demandai combien il pensait que je ferais au pan: «Oh! à peu près 300 dollars», me répondit-il. Je partis, piochai dans le riche gravier qu'on me montra, mais j'avoue qu'il ne m'aurait pas été possible de dire s'il y avait de l'or, ou non, dans ce que je remuais. Je remplis bien le pan, peut-être un peu plus que les deux pelletées réglementaires, je le pris, le lavai, le séchai et le nettoyai.

«Au taux de 17 dollars l'once, je trouvai 595 dollars dans ce pan, soit le salaire de 6 mois et plus d'un bon commis! Cela me prit 20 minutes. Autant que je sache, ce pan est le plus riche qui ait été lavé dans le pays.

«Hunker est le creek qui, à ce que l'on croit, rivalisera de richesse avec ceux de Bonanza et Eldorado; il est à une vingtaine de kilomètres de Dawson et coule parallèlement à Bonanza: comme ce dernier, il se jette dans le Klondyke; la vallée de Hunker a environ 27 kilomètres; ce n'est qu'à partir du premier de ses affluents, le Last Chance, qu'on trouve de l'or.

«Cette découverte fut faite quelques mois après celle du Bonanza. Il était alors trop tard pour le travailler avec succès; aussi rien de positif n'en peut être dit, sinon que les prospects sont très satisfaisants. Dernièrement un claim de ce creek fut acheté en partie à terme pour une somme de 23 000 dollars qui fut tirée du claim même; le propriétaire eut même un excédent qui lui permit d'acheter le reste pour 40 000 dollars. Le Gold Bottom Creek, qui joint le Hunker un peu au-dessus de la Découverte, a aussi donné de très bons prospects, mais toute cette région est à peine connue. Cet hiver cependant verra un grand développement de ses ressources; le lit de roche (bed rock) se trouve à environ 6 mètres de profondeur.»

Il y a d'autres creeks dont nous pourrions parler. Mais à quoi bon? Tout ce que nous aurions à dire se résumerait en cette seule constatation: il y a là-bas de l'or, il y a beaucoup d'or. «Mais, comme le dit avec raison M. Auzias-Turenne, dans son livre récent, il serait oiseux d'insister sur l'exagération de la presse de Vancouver, de Seattle, de San Francisco, etc., quant à l'étendue des célèbres gisements aurifères. On était malheureusement d'autant plus porté à croire ces journaux que les vaisseaux du Yukon rapportaient à la même époque de splendides cargaisons de pépites. Le Klondyke a produit 2 500 000 dollars en 1897. C'est 4 millions de dollars qu'il faudrait dire, car une grande partie du revenu des lavages est restée dans le pays sous forme de travaux nécessaires à de plus grandes exploitations. À mon avis, les caisses et les bourses des États-Unis ne recevront pas plus de 6 millions de dollars du Klondyke en 1898. Voici l'explication d'un homme qui est à proprement parler le roi du Klondyke, M. Mac Donald. Cet Écossais catholique qui franchit le Chilkoot en 1895 et, faute d'un dollar, priait un des pères jésuites de lui faire crédit d'une messe en 1896, possède aujourd'hui des intérêts dans plus de soixante des meilleurs claims du pays. Selon ses propres paroles, «le Klondyke produira, d'avril à septembre 1898, cent millions de francs. Si ce n'était l'intérêt de 10 pour cent du gouvernement, ce chiffre-là serait dépassé; mais cette taxe aura pour résultat fatal une diminution considérable des fouilles aurifères en 1899».

Et maintenant une question se pose: celle de savoir si ce surcroît de production est de nature à diminuer la valeur de l'or en général et du numéraire en particulier? Dans les siècles précédents, moins l'or était abondant, plus il avait de valeur. De nos jours, nous voyons le phénomène contraire se produire: l'or est de plus en plus abondant, sans diminuer de valeur. On en a eu la preuve récente, lors des grands arrivages d'or du Transvaal. La majeure partie de cet or alla grossir les réserves de la Banque d'Angleterre, sans que cette grande accumulation ait porté aucune atteinte à la stabilité de la valeur de l'or; le numéraire ne subit aucune dépréciation.

La baisse de l'or est, en effet, arrêtée par la demande incessante dont il est l'objet. «L'institution du crédit, dit M. E. F. Johanet, l'accroissement de la population, la multiplicité des entreprises, la facilité et la rapidité des communications, les développements de l'industrie en exigeant l'emploi d'un plus grand numéraire, en occasionnant la perte, l'usure et l'usage d'une plus grande quantité de matières d'or ont opposé une digue à la dépréciation. Le continuel roulement entre l'or et le papier produit un mouvement de transactions autrefois inconnu; il active l'industrie, dont les produits deviennent plus abondants et moins chers; en assurant au capital un emploi plus fécond et plus constant, il a accru le pouvoir d'achat de l'or.»

Mais ce n'est pas seulement aux usages monétaires que l'or fournit son contingent; la moitié environ de la production est employée dans les arts et l'industrie, et de ce chef, la consommation du métal précieux ne peut qu'aller en augmentant. Il semble donc impossible que l'abondance de l'or cause sa dépréciation. Un fait, cependant, l'exposerait à toutes les fluctuations: le monnayage libre et illimité de l'argent. Or, contre ce fait, les grandes nations qui détiennent presque toute la monnaie du monde se sont sagement prémunies en suspendant la frappe libre. Et, en définitive, il est encore loin le jour où notre louis d'or tombera à 10 francs?

XIV

Un voyage d'exploration.—Prospection d'un creek.—Une percée dans la forêt.—Ces pauvres baudets.—Maladie et démoralisation.—Moustiques et maringouins.—L'heureux camp. Des morilles.—Sur Quartz Creek.—Une découverte aurifère.—Eboulement. Etayement des puits.—Location de claims.

Le 11 juillet au matin, à 4 heures, un compagnon et moi nous poussions devant nous, dans la rue de Dawson, trois baudets bâtés. Après avoir dépassé la scierie, nous nous arrêtions devant la porte d'une cabane au-dessus de laquelle flottait le drapeau anglais. Le propriétaire, un ex-lutteur renommé, venait à notre rencontre et bientôt une tente, des vivres, des couvertures, et des outils de prospection étaient empilés avec méthode sur le dos des ânes et artistement liés au moyen d'un nœud solide. Nous devions faire de compagnie une exploration dans la direction du Mac Question Creek, un affluent de la rivière Stewart, réputé inexploré mais riche en or. Deux prospecteurs avec deux animaux nous y avaient déjà précédés en s'y rendant par une autre route. Quand nos préparatifs furent terminés, notre caravane, composée de huit hommes et de trois bêtes, se mit en marche en suivant un sentier le long de la côte, à l'est de la ville. Nous passâmes le Klondyke au moyen d'un bac; les baudets, un peu trop pesamment chargés, avançaient avec lenteur; le passage à gué de la rivière ne fut pas sans difficulté, car nos bêtes s'effrayaient des rapides, peu profonds, mais assez turbulents à cet endroit.

Après avoir franchi la rivière, le chemin nous conduisit dans une superbe forêt de bouleaux mêlés de quelques sapins blancs. Puis bientôt nous pénétrâmes dans le Cagnon marquant l'entrée de la vallée de Bonanza; la marche se poursuivit sans incident, mais avec lenteur, car nos ânes avaient peine à retirer leurs petits sabots de la boue gluante de la sente; vers midi on fit halte; nous recueillîmes quelques branches éparses sur les débris de quartz et nous fîmes flamber un feu pour préparer nos aliments: lard, biscuit, thé.

Pendant ce temps, les animaux, débarrassés de leur fardeau, se régalaient des herbes succulentes qui croissent en abondance dans ce sol d'alluvion. Le repas, mangé de grand appétit, étant terminé, nous lavâmes la vaisselle, rechargeâmes les ânes, et bientôt nous étions repartis. Le soleil était brûlant, le terrain glacé. Et cette anomalie se traduisit par un défoncement pitoyable de la sente; nous piétinions un limon noirâtre, tenace, épais, qui nous retenait en place, surtout quand nous enfoncions jusqu'à mi-jambe.

Dans de pareilles conditions on avançait lentement. À un certain moment l'embourbement devint tel qu'il fallut absolument faire l'ascension de la colline pour s'éloigner des bords mêmes de la rivière. Mais soudain, le pauvre aliboron qui portait la tente glissa, le pied lui manqua, et le voilà pirouettant sur lui-même, pour aller, avec sa charge, s'étaler dans une mare de boue liquide, à 10 mètres plus bas. Notre premier mouvement fut de rire de l'aventure, la culbute étant si comique; le second fut de nous précipiter au secours de la bête qui, les quatre fers en l'air et reposant mollement sur la tente formant coussin, ne se pressait pas de reprendre son équilibre. Il fallut dénouer les cordes, décharger son bât, objet par objet, ensuite nettoyer le tout tant bien que mal, recharger et repartir. Vers 7 heures du soir, nous déclarâmes en avoir assez pour la journée, et nous nous arrêtâmes pour camper près du numéro 25, après avoir fait une quinzaine de kilomètres en autant d'heures.

C'est à cet endroit qu'un facétieux Irlandais, Ruddy Connor, a dressé sa tente portant l'enseigne engageante de l'Hôtel de la Goutte de Rosée. Le mouvement sans précédent des voyageurs depuis le début de l'été l'a mis entièrement à court de vivres, à sec de liquides, si bien qu'il a été contraint de placer, bien en évidence, un écriteau portant ces mots: «Repas à 75 dollars pour ceux qui ont des sacs remplis, repas gratis pour ceux qui n'ont pas de sac du tout».

Ayant bien pénétré l'intention de cet hôtelier de génie, nous nous décidons à camper en face de son écriteau et de faire appel au contenu de nos sacs pour le dîner.

Talonnés par le désir d'arriver au but, nous n'avons malheureusement pas le loisir de prendre un long repos, et nous nous levons à minuit et demi, presque avec le soleil. La route est monotone, les repas le sont aussi. Ils se composent perpétuellement de lard et de haricots, mais l'appétit est tel que l'on oublie ce que ce régime a de spartiate. Ce jour-là, vers 2 heures, l'arête séparant la vallée de Bonanza de celle du Quartz est atteinte, et nous y trouvons, heureusement pour nos bêtes, un sentier sec et dur. Sur ces hauteurs nous éprouvons une sensation exquise: l'air est si pur et si calme, la lumière si douce, les fleurs sont si éclatantes, les bruyères d'un vert si tendre! Par instants, on se croirait sur les croupes du Jura, avec cette différence que la pierre calcaire est remplacée par le quartz; mais tout à coup les andouillers d'un élan ou d'un caribou blanchis par le soleil viennent nous rappeler que nous sommes aux antipodes de la civilisation. Finalement, nous nous arrêtons, vers le soir, dans une ravine couverte de broussailles. À la lisière des arbres, les compagnons qui nous ont devancés nous attendent. C'est l'heure du repas. Quelques-uns d'entre nous le préparent sans tarder: un échafaudage de morceaux de bois et de piquets enfoncés en terre s'élève bien vite au-dessus d'un feu flambant où des arbres entiers sont jetés; le tout supporte les vases, marmites, récipients remplis de tout ce qu'il faut pour parfaire un festin gargantuesque. D'autres s'occupent à dresser la tente, tandis que les ânes sont laissés libres de trouver leur fourrage dans la côte tapissée d'herbes variées.

Le jour suivant, nous abordâmes des parages inexplorés, abondants en montées et en descentes; mais heureusement le terrain était ferme et parfois desséché. La forêt remplaçait les broussailles; elle devenait même si serrée, que nous fûmes obligés d'envoyer en avant-garde deux ou trois sapeurs qui, la hache à la main, ouvrirent un passage à travers le fouillis inextricable du bois. Malgré les traces nombreuses et fraîches de caribous, d'élans, de panthères, de lynx, d'ours et d'autres bêtes sauvages, il fut impossible à deux des nôtres, bons marcheurs et excellents tireurs qui, la carabine en main, précédaient la caravane, d'apercevoir et de tirer le moindre coup de fusil, et pourtant il arriva parfois que l'herbe foulée au pied par l'animal n'avait pas eu encore le temps de se redresser.

Après quatre journées de cette marche dans l'intérieur, les difficultés augmentèrent, la lassitude et la maladie mirent à bas la moitié du contingent; la dysenterie, la diarrhée, les fièvres terrassèrent les plus robustes: force nous fut d'établir un campement et de nous arrêter quelques jours jusqu'à ce que les malades eussent repris assez de forces pour se remettre en marche. Nous choisissons pour emplacement du camp le bord d'un ruisseau à l'eau limpide, dans la forêt même: en semblable occurrence, quand l'eau et le bois ne manquent pas, le prospecteur se déclare satisfait. Les vivres étant courts, nos chasseurs battirent la campagne, mais sans succès. Un jour pourtant, ils rencontrèrent une tente occupée par quatre ou cinq prospecteurs qui venaient de tuer un élan et qui, généreusement, leur en offrirent un quartier.

Les gens valides de notre caravane occupèrent leur séjour au camp à prospecter dans le ruisseau; ils y trouvèrent des «couleurs», c'est-à-dire quelques parcelles d'or intéressantes sans doute, mais pas assez abondantes pour justifier des travaux plus importants. Le travail, dans ces conditions, se fait ainsi: on détache, à coups de pic, du gravier des bancs et on le lave dans un pan (sorte de plat ou plutôt de casserole à frire sans manche) avec l'eau du ruisseau même, en faisant osciller constamment un pan, de façon que l'or, qui est le plus pesant, se rassemble et se tasse au fond; l'eau que l'on fait courir sur le gravier entraîne celui-ci et ne laisse bientôt dans le plat que du sable noir, qui consiste en réalité en cubes minuscules de fer magnétique contenant très souvent de l'or. Ce sable, étant presque aussi lourd que l'or, se sépare assez difficilement du métal précieux; néanmoins, avec un peu de pratique, on arrive aisément à laver le tout, de façon qu'il ne reste dans le pan que les particules d'or et quelque peu de sable qu'on élimine en séchant ce résidu sur le feu.

Nous étions arrivés aux confins de cette vaste plaine qui, comme nous l'avons vu, s'étend des contreforts du Dôme à ceux des montagnes Rocheuses, à plus de 150 kilomètres à l'Est. L'étude du terrain et le résultat des prospections nous avaient convaincus que nous étions parvenus à la limite de la ceinture aurifère. Et, comme l'état d'abattement de nos malades persistait, nous décidâmes de battre en retraite pour gagner la vallée du Quartz Creek, que nous savions peu explorée et peu connue.

Une marche lente permit aux convalescents de suivre, tant bien que mal, le gros de la colonne; les baudets, allégés de tout le poids des provisions consommées depuis le départ, en profitèrent pour s'émanciper. Nous arrivâmes ainsi un soir pour bivouaquer dans un endroit appelé, par ironie sans doute, «l'Heureux Camp», car les moustiques, les maringouins nous y firent souffrir mille tortures et faillirent presque nous faire verser des larmes de douleur. Nous trouvâmes confirmée la véracité de cette description d'un homme qui s'y connaît pour y avoir passé:

«En été, il y a des moustiques sans nombre, des marais à traverser, des montagnes à gravir. Eh bien, tout le temps ces infernales bêtes vous dévorent jusqu'à ce que parfois la vie elle-même semble être une malédiction. Je sais ceci par expérience, et j'ai vu des hommes forts, durs, vigoureux, verser des larmes de rage impuissante devant ces ennemis innombrables et presque invisibles. Maintenant, supposez que vous portiez des bottes de mineur en caoutchouc montant jusqu'aux cuisses et qui sont presque indispensables dans ce pays-là, pendant la saison d'été, chacune pesant 3 ou 4 livres, un lourd habillement de laine, des couvertures, des vivres pour dix, vingt ou trente jours, quelquefois plus, une hache, un pic, une pelle et d'autres articles indispensables, un poids total de 50, 60, 90 et souvent plus de 100 livres, tout cela porté à dos, pataugeant à travers les marais, vous débattant dans la broussaille, gravissant les pentes escarpées des montagnes sous un soleil écorchant qui, de fait, couvre la peau d'ampoules, pendant que tout le temps la sueur coule à flots et que, incessamment aussi, le maringouin, doué d'ubiquité, vous assaille à chaque point vulnérable, s'attaquant surtout à vos yeux, à vos oreilles et à vos mains et trop souvent, hélas! à votre langue, sans qu'il soit possible de s'y soustraire. Et puis, ayant échappé à cette torture, quand vous franchissez le sommet de l'arête, les vents solidifient presque vos vêtements saturés de sueur, vous glacent jusqu'à la moelle, et raidissent vos doigts au point qu'ils peuvent à peine se mouvoir. Après une journée passée dans ces conditions, imaginez que vous vous asseyez au milieu d'une nuée de moustiques pour prendre votre repas, qu'il vous a fallu plus d'une heure pour préparer, et qui consiste en pain pétri à la hâte et cuit sur la braise de votre feu de camp, en haricots peut-être à demi bouillis, en lard dans la même condition, en café ou en thé de mauvaise qualité. Si vous êtes fumeur, vous savourez ensuite une pipe, puis vous vous enveloppez dans vos couvertures avec quelques rameaux répandus sur le sol, la tête soigneusement couverte, car le maringouin ne dort jamais, et vous trouvez enfin un sommeil tel que les conditions peuvent le permettre, mais qui est d'ordinaire, je dois le dire, profond et assez doux.»

L'Heureux Camp est situé sur l'arête bordant la vallée du Dominion à l'Est, non loin du Dôme. Nous lâchâmes nos baudets en liberté; comme il faisait grand jour à 10 ou 11 heures du soir, ils s'éloignèrent bientôt avec le grelot qu'on leur avait confectionné, deux jours auparavant, au moyen d'une boîte à conserves vide et d'un gros clou en guise de battant. Grâce à cette invention (non patentée), on pouvait les suivre aisément quand ils erraient dans la forêt, ou les retrouver quand ils s'égaraient. Après le souper on se coucha; mais les moustiques étaient si agressifs que plusieurs d'entre nous préférèrent s'asseoir auprès du feu et s'enfumer à outrance pour échapper aux piqûres de ces affreuses bêtes. Le lendemain nous subîmes là un orage épouvantable, avec éclairs sinistres et coups de tonnerre effrayants, tandis que la pluie perçait nos vêtements de part en part. Il y a souvent, en été, de violentes perturbations de l'équilibre atmosphérique, mais elles sont heureusement de courte durée, et elles contribuent à maintenir l'air pur et frais.

Le jour suivant, descente le long de l'arête qui sépare Quartz Creek de Canyon Creek: le paysage est charmant; après les bruyères et les arbrisseaux viennent des broussailles, puis des bois avec des sous-bois luxuriants; les clairières sont, par places, tapissées d'herbes et de fleurs dont les tons s'harmonisent parfaitement, fonds verts relevés de motifs de couleurs gaies, tandis que les troncs blancs des peupliers, des trembles et des bouleaux semblent former des panneaux pour encadrer la scène. Près du sommet, des quantités de baies rouges, noires et bleues, surtout des bleues, des airelles grosses et délicieuses, offrent un rafraîchissement bienvenu au voyageur altéré. Elles se vendent à raison de 2 dollars le litre dans les restaurants de Dawson. En descendant la côte, tout en traversant une partie de la forêt récemment endommagée par un incendie, l'un de nous heurte de son pied un objet qu'il examine de plus près avec étonnement: c'est une morille! Et en effet, à droite, à gauche, partout nous comptons des douzaines, des centaines de ces champignons émergeant de la mousse verte ou des feuilles mortes qui déjà jonchent le sol. Cette découverte est accueillie avec joie, car elle va amener quelque variété dans le menu. Mais voici qu'au dîner chacun refuse de goûter à ce plat, de peur de s'empoisonner. Enfin un de nos compagnons se hasarde, disant «s'y connaître en champignons». Il déclare les nôtres excellents. Il prouve son dire en en absorbant une large portion. Et aussitôt c'est à qui en mangera le plus; la morille est admise par acclamations au menu quotidien. Celles-ci sont plus grosses (quelques-unes sont comme le poing) que celles d'Europe, mais elles n'ont peut-être pas une saveur aussi fine; toutefois, en raison de ses qualités nutritives, la morille est un précieux aliment naturel dans ce pays où elle abonde.

En sortant du bois, nous fûmes si frappés de la position et de l'aspect du terrain que nous décidâmes d'y faire des fouilles. Notre tente fut dressée au bord du Quartz, en un point où des travaux faits récemment avaient laissé des vestiges, sous forme d'écluse, de boîtes et d'amas de gravier. Au lavage nous obtînmes des résultats satisfaisants. Le lendemain l'investigation fut poursuivie, et bientôt, vers l'intersection des deux cours d'eau, nous découvrîmes que des fouilles avaient été commencées à l'extrémité du plateau qui avait attiré notre attention; nous nous approchâmes et, comme la place était désertée, nous essayâmes la terre: on déclara les prospects très bons. Aussi quand revinrent les mineurs, dont nous avions vu les travaux, leur offrîmes-nous de procéder en commun à la prospection de ces terrains, à condition que, si le résultat était favorable, nous jalonnerions le claim entre nous tous.

Nous nous mîmes donc à l'œuvre, et le lendemain quatre pans donnèrent ensemble un dollar et demi, soit 38 sous le pan. Si l'on considère que 10 sous au pan est un résultat excellent, on peut penser que nos essais furent trouvés très encourageants; les jours suivants, nous fîmes au pan 50 sous et même davantage: le bed rock n'était même pas atteint, et les prospects étaient exécutés sur le bord de la roche. On creusa alors à 3 ou 4 mètres, et les fouilles furent continuées sur différents points du terrain; malheureusement l'eau de surface était si abondante, grâce à l'action du soleil dégelant l'humus, qu'il devint très difficile et même dangereux de travailler. En effet, la partie du terrain où la découverte avait été faite était ombragée par de grands arbres qui, arrêtant les rayons du soleil, laissaient la terre sèche, tandis qu'ailleurs, un incendie de forêt ayant détruit tout ombrage, le dégel était complet. Il fallut donc étayer les parois de la fosse avec des sapins coupés en longueur, mais cela même n'empêcha pas l'un de nous d'être presque enseveli par un éboulement de gravier. C'est à grand'peine qu'il fut retiré du trou avec une épaule contusionnée. À une profondeur de 5 mètres environ, malgré les étais formés de tronçons d'arbres de 0m,10 à 0m,12 de diamètre et renforcés d'une palissade de rondins courant tout le long des parois du puits, il fallut renoncer à ces fouilles par trop périlleuses. Nous avions cependant de bons prospects, et ils nous donnaient un vif espoir de succès, mais la partie dut être remise à plus tard. Nous décidâmes de la reprendre méthodiquement à l'hiver.

Satisfaits de ce commencement, nous mesurâmes et piquetâmes les claims suivant le nombre des assistants, et, aussitôt cette opération achevée, nous reprîmes le chemin de Dawson, afin de faire enregistrer notre déclaration de propriété.

En route, un de nos ânes, qui portait un sac vide destiné à être rempli de morilles, ne voulut pas se laisser appréhender au moment convenable. Il prit un temps de galop à travers le bois; pourchassé longuement, il finit par disparaître.

On ne s'en inquiéta pas autrement, supposant qu'il était retourné au camp, mais 3 ou 4 jours plus tard, il fut retrouvé presque mort de faim; dans sa course au milieu des arbres, sa corde s'était déroulée et entortillée autour d'un tronc. Le pauvre animal attendait soit la délivrance, soit la mort.

Notre voyage de retour à Dawson se fit sans incident. Aux Fourches, nous nous arrêtâmes à l'hôtel hospitalier de Mme White, de New-York. Et le soir même, par une forte averse, nous rentrions à Dawson, d'où nous étions partis deux semaines auparavant.

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XV

Quelques types du Klondyke.—Alexandre Mac Donald, Joe Ladue, Henderson, etc.—Journaux de Dawson.—Le Klondyke et ses richesses.—Animaux à fourrure.—Le pays des grandes chasses.—Les oiseaux du Yukon.—Administration du Territoire.

Parmi les hommes aujourd'hui reconnus comme les vétérans du Yukon, il faut nommer MM. Hart, Harper, Mac Question, Hunker, Mac Donald, Ladue, Henderson; leurs histoires sont à peu près identiques; comme des centaines d'autres, l'esprit d'aventure et d'entreprise les a conduits un jour vers les territoires à peine connus qui couvrent tout le nord du continent américain, entre les 58e et 70e parallèles: pendant des années ils ont parcouru ces immenses étendues de pays, vivant de chasse, de pêche, lavant de l'or un peu partout, gagnant juste de quoi acheter des vivres et des vêtements pour l'hiver, menant une vie isolée, rude, sauvage, mais cependant profitable, car c'est toujours ainsi qu'une contrée nouvelle a été d'abord explorée, puis envahie, enfin absorbée et peuplée.

Il y a plus de 25 ans que Harper arriva dans le Yukon. Il venait de la contrée aurifère du Caribou. Franchissant les montagnes Rocheuses, traversant les régions du Liard, du Mackenzie, du Porc-Épic, affluents du Yukon, il remonta ce fleuve jusqu'à la rivière Blanche. Mac Question y arriva à peu près vers le même temps, ayant pris le chemin de la rivière de la Paix et du lac Athabasca par le Mackenzie. Ces deux coureurs des bois se rencontrèrent et s'associèrent pour faire le commerce des fourrures. Ils fondèrent ainsi des postes à Forty Mile, Sixty Mile, Fort Selkirk et d'autres endroits. L'or, dont ils n'ignoraient pas l'existence, ne semble pas cependant avoir été l'objet de graves préoccupations de leur part, et, bien qu'ils en eussent trouvé déjà en 1873 sur la rivière Blanche, ils ne sont pas parvenus à la célébrité romanesque à laquelle sont arrivés des explorateurs plus jeunes et plus récents, tels que Mac Donald et Ladue.

Alexandre Mac Donald vint au Klondyke il y a quelques années et y prospecta tout d'abord de place en place sans grand succès. Il avait plus d'une fois fait fortune dans les mines du Colorado et de la Colombie Britannique, mais il avait tout perdu. Il se trouvait dans le pays, il y a deux ans, quand la nouvelle de la découverte de l'or se répandit, et il fut un des premiers à juger de la valeur extraordinaire des placers. Il piqueta aussitôt des claims sur les creeks et, par de judicieuses acquisitions, il augmenta tellement la valeur de ses possessions qu'aujourd'hui on ne le désigne pas autrement que du nom de «roi du Klondyke». C'est un Écossais ayant plus de six pieds de haut, de forte taille, épais, dont la figure respire à la fois l'honnêteté et la bonhomie. Il possède quelques-uns des plus riches claims de l'Eldorado et du Bonanza et plusieurs autres de grande valeur sur d'autres creeks. Joe Ladue est Canadien d'origine, mais il s'en alla très jeune dans l'état de New-York, où il travailla comme garçon de ferme pendant plusieurs années. Les nouveaux territoires du Nord-Ouest l'attirèrent instinctivement, et en 1882 il arriva au Yukon; il y trafiqua et devint un des membres de la maison Harper, Mac Question et Cie. Il y a trois ans, il établit une scierie au poste de Sixty Mile, puis en 1897, lors de l'excitation générale causée par les nouvelles découvertes, il devina l'importance, en quelque sorte stratégique, du confluent du Klondyke et du Yukon, et il s'empressa de demander le terrain en question pour y établir une ville. On lui concéda le territoire. C'est ainsi que Dawson prit naissance; en outre Ladue a des intérêts considérables dans un bon nombre de claims; c'est un homme d'une quarantaine d'années, comme Mac Donald; il est de taille moyenne, d'une santé très précaire. Bob Henderson, Carmak, Hunker sont aussi des personnages fameux qui, tous, sont venus au Yukon, il y a longtemps, et ont profité de la découverte de l'or. Dans quelles proportions sont-ils riches? Nul ne saurait le dire. Ont-ils un, deux, trois, cinq, dix millions? Peut-être. Ont-ils moins? Peut-être aussi. Leur fortune est en claims. Or que valent ces claims? C'est ce qu'il est impossible de préciser. L'un de ces richards du Klondyke, Mac Donald, est venu en Angleterre il y a quelques mois pour négocier ses claims. Il en demandait 600 000 livres, soit 15 millions de francs. Il n'a pas pu les placer.

Il y a aussi les nouveaux venus, dont l'histoire n'est pas non plus banale. Voici, par exemple, Frank Phiscator; il est arrivé en 1895, à moitié mort de faim, venant de Baroda, localité du Michigan. Tout l'été il avait couru, cherché, creusé et lavé sans rien trouver: ses membres n'étaient plus qu'une plaie, tant il avait arpenté le pays en tous sens; il était si las, si découragé qu'il se laissa un jour tomber sur les bords du Dosulphuron Creek pensant y mourir. La glace insensibilisait peu à peu ses pauvres jambes malades, tandis que les moustiques bourdonnaient autour de ses paupières à demi fermées sous un soleil aussi brûlant qu'un cautère. Et comme il les entr'ouvrait, il aperçut quelque chose qui brillait à travers le cristal du ruisseau. C'était de l'or! Quel ravissement ce fut pour lui de plonger ses mains dans l'eau pour saisir cet or, pour le respirer, pour l'adorer.

Anderson, parti la même année de San Francisco, avait laissé à sa femme de quoi vivre douze mois, lui promettant et se promettant bien d'être de retour avant ce délai, muni d'une sacoche lourdement bourrée de pépites. Dix-huit mois s'écoulèrent sans que le voyageur donnât de ses nouvelles. Sa femme était réduite à la misère. Trop fière pour mendier, la pauvre abandonnée songeait au suicide. Soudain, le Portland est signalé revenant des pays mystérieux. Elle accourt sur le port, et quand elle voit son mari descendre du paquebot avec ses sacs de pépites, elle roule à terre inanimée.

Bien des femmes ont accompagné leur mari dans l'Eldorado: la première qui ait eu le courage d'escalader les glaciers du Chilkoot est Mme Berry, femme d'un jeune fermier de Californie. À sa suite d'autres vinrent, tentées par la fortune; mais ce qu'il faut citer, c'est l'apparition de deux petites Sœurs de la Miséricorde, deux Canadiennes de Québec, c'est-à-dire deux Françaises, venues là, non pas attirées par l'appât de l'or, mais pour prier, pour guérir, pour sauver peut-être les victimes de la fièvre de l'or!

Malgré les déconvenues dont nous avons parlé à diverses reprises, la valeur du Klondyke comme terrain aurifère est indiscutable. Voici ce qu'en dit le Dr Dawson, géologue distingué du Canada: «Parlant du caractère général de la contrée, je n'hésiterai pas à dire qu'elle est extrêmement riche en or. Elle est pareille à d'autres grands districts miniers, en ce que le métal alluvial lavé par les ruisseaux a le premier été découvert et recueilli. Mais les montagnes d'où ces cours d'eau descendent doivent également être riches en or. Là, un jour, les grandes veines et filons de quartz aurifère seront découverts et travaillés, tandis que les pilons et le matériel de machines seront répartis à profusion dans les montagnes. Mais ce quartz est encore à découvrir.

«Le Yukon n'est pas une si mauvaise contrée que beaucoup se l'imaginent, excepté en hiver. Le climat est bon en été, quoique cette saison ne dure pas très longtemps. Le pays est beau et vert, et il fait bon y travailler. Mais les hivers sont longs et extrêmement froids. Cependant les conditions climatériques ne seront jamais assez rigoureuses pour empêcher le développement minier de cette région.

«La tâche est énorme, avec cette immense surface de pays et les difficultés de locomotion et de transport. Il se passera un temps considérable et des efforts répétés seront nécessaires avant que cette région soit complètement développée. Mais de grandes découvertes de terrains aurifères comme celles qui ont été récemment faites donnent à croire que l'ère de développement futur sera extraordinairement profitable.»

Le Dr Nordenskiold, professeur de minéralogie à l'Université d'Upsal, envoyé dans le Yukon par le gouvernement suédois, dit que la contrée est très riche et sera très productive pour longtemps. Il prétend qu'on trouvera les immenses dépôts de quartz qui ont donné naissance aux graviers aurifères du Klondyke. L'or déjà trouvé provient d'anciens lits de rivières très différentes des rivières actuelles.

Le quartz sera de qualité inférieure et se trouvera près des creeks du Klondyke. L'or n'a pas été porté par les glaciers à une grande distance. Le terrain du district de la rivière Stewart contient beaucoup d'ardoises, par conséquent on y éprouvera quelques déceptions quant à l'or. En somme, le rapport du Dr Nordenskiold est très favorable.

Après l'or, les fourrures sont le principal élément de richesse de la région.

Le plus grand des animaux du pays est l'élan d'Amérique; c'est un animal de la taille d'un fort cheval et pesant jusqu'à 800 kilos; sa chair est excellente et sa fourrure, d'un gris clair, très chaude et très épaisse. Il va en troupes et voyage de préférence le long de la crête des montagnes; le matin, on peut surprendre aisément ses traces dans la neige fraîche et attendre patiemment son retour, qui s'effectue toujours par le chemin même qu'il a pris pour aller pâturer. De plus, il n'a pas conscience du danger, et le plus souvent il ne s'enfuit pas; il est donc facile d'en détruire toute une bande à la fois. Les Indiens, qui vivent de chasse et de pêche, en massacrent parfois des troupeaux considérables en les cernant: les pauvres animaux, saisis de terreur, se serrent les uns contre les autres, sans chercher à se sauver, et sont tous égorgés sur place, souvent sans nécessité.

Le caribou est un cerf de grande taille, qui fournit aussi une fourrure estimée; ses mœurs sont sensiblement les mêmes que celles de l'élan; il a du reste, comme ce dernier, reculé à de grandes distances dans l'intérieur, où cependant il se rencontre en troupeaux de centaines de têtes.

L'ours, le loup et le lynx sont aussi pourchassés avec ardeur, en hiver, car leurs peaux sont très recherchées; celle du lynx est la plus chaude et la plus légère de toutes pour la confection de robes ou de couvertures servant de lit aux explorateurs.

Il y a plusieurs espèces d'ours: d'abord le grizzly, d'une force et d'une taille prodigieuses; c'est le plus grand des ours; puis le silver tip (tache d'argent), ainsi nommé parce qu'il a le haut du poitrail blanc, le reste de la robe étant gris, est beaucoup plus petit. Il est très féroce. Les coureurs des bois prétendent que ces deux variétés ne dorment pas dans leurs gîtes en hiver, comme le font les autres, mais voyagent continuellement et sont redoutables à rencontrer; on les évite donc autant que possible. Les autres variétés, brun, noir, cannelle, sont presque inoffensifs; ils se nourrissent en été, soit des baies, si abondantes sur les versants élevés, soit de saumons pêchés dans la rivière. Le lieutenant Schwatka, qui a exploré l'Alaska, il y a quelques années, rapporte qu'en été les ours étaient si nombreux sur certains ruisseaux, attirés là par le saumon, que les prospecteurs avaient dû leur abandonner la place; il dit aussi que les moustiques attaquaient les ours si obstinément qu'on trouvait parfois certains de ces animaux rendus aveugles par suite de piqûres aux yeux.

L'ours, même le grizzly, n'attaque pas volontiers l'homme, à moins d'être blessé; dans ce cas il devient fort dangereux. Un de nos compagnons d'excursion au Quartz Creek nous a affirmé que dans une partie de chasse, il y a un an, un grizzly se jeta à l'eau pour gagner à la nage le canot d'où un coup de feu l'avait blessé. Ce ne fut qu'après avoir reçu plus de quarante balles dans le corps qu'il cessa de vivre.

Les fourrures peut-être les plus demandées sont celles de renards; il y en a de gris d'argent, de noirs, de bleus et de roux, les deux premières variétés étant les plus estimées. Les renards sont communs et les loups rares, surtout les noirs; dans le Yukon les loutres sont rares aussi; le castor ne se rencontre pas.

Les lièvres arctiques sont tantôt très rares et tantôt très abondants, suivant les années. On a observé à leur égard un fait très curieux; pendant trois ans on n'en voit pas trace, puis, les deux années suivantes, ils sont extrêmement nombreux et se multiplient beaucoup. Ensuite ils disparaissent alors en quelques mois. Ils ont ainsi un cycle de sept années dans lesquelles ils apparaissent et disparaissent mystérieusement sans qu'on ait pu jusqu'ici se rendre compte des raisons de ce phénomène. On ne trouve jamais aucune trace de leurs cadavres.

La martre est soumise aux mêmes règles d'apparition et de disparition.

Les chèvres et moutons (big horn) se trouvent sur les pentes des montagnes et sont prisés pour leur chair et pour leur peau, qui fournit une fourrure chaude et épaisse; il en existe une variété tout à fait blanche dans les montagnes du chaînon des Rocheuses, non loin du Yukon, à 60 kilomètres en aval de Dawson.

Les oiseaux sont rares, excepté les canards et les oies sauvages, qui se voient par milliers dans les mois de mai à septembre et qui pondent leurs œufs ou élèvent leurs couvées sur les innombrables lacs, étangs et mares de l'intérieur.

L'aigle à tête blanche est commun sur la côte, mais assez rare à l'intérieur; une variété d'aigle brun de petite taille est assez nombreuse, de même que les corbeaux; la pie, au contraire, se voit rarement.

La poule de bruyère abonde, la perdrix pas du tout; mais par endroits la perdrix blanche (ptarmigan) est très nombreuse. Parmi les petits oiseaux, les snow birds (oiseaux de neige) courent par bandes sur la neige; en été, des troupes d'oiseaux de la couleur et de la grandeur des moineaux animent les bois du Klondyke; les martinets sont légion le long du fleuve, tandis que les hirondelles décrivent leurs gracieux arcs de cercle dans l'air, au-dessus des toits de Dawson, qui, par parenthèse, sont couverts de verdure et de fleurs. En effet, les planches grossières qui recouvrent en deux plans inclinés les cabanes et les huttes des Dawsoniens sont chargées d'une couche épaisse de terre végétale; les graines s'y développent d'autant mieux que l'intérieur est plus chaud.

Quelques personnes industrieuses ont tiré parti de cette circonstance pour établir des potagers sur le toit de leur habitation. Aussi, dans une simple promenade, un observateur quelconque peut-il juger assez sainement du caractère des gens dont il aperçoit la maison. Voilà des navets, des oignons, des laitues; assurément l'habitant de cette cabane est un ami du bien-être matériel, un gourmand, un épicurien; voici, au contraire, des campanules, des crocus, des églantines; c'est la demeure d'un idéaliste, d'un rêveur...

Un autre oiseau qui a tout à fait la tournure impudente du geai sans en avoir le manteau, c'est le pillard de camp (camp robber); le corps est gris, les ailes sont noires, et la tête est ornée d'une huppe donnant à l'animal un air crâne; très hardi, il vient sans hésiter voler la viande suspendue à l'entrée de la tente et ne se laisse pas intimider même par un coup de feu. Dans les forêts pullulent les écureuils rouges.

C'est là l'énumération à peu près complète des espèces animales du territoire du Yukon.

Il faut aussi mentionner la découverte sur les creeks, à quelques mètres de profondeur, de restes d'ossements et de dents d'animaux antédiluviens, des fragments de squelettes assez complets, des défenses de mammouth, l'une entre autres mesurant encore plus de 1 mètre de long et évidemment brisée aux deux extrémités. C'est sur le Hunker, l'Eldorado et le Dominion que la plupart de ces débris fossiles ont été exhumés.

Le Territoire du Yukon est administré par un gouverneur général (aujourd'hui M. Ogilvie), assisté d'un conseil composé de six membres ayant pleins pouvoirs et qui peut nommer ou révoquer tous les employés subalternes, à l'exception du juge, qui est indépendant.

Le district ou territoire du Yukon est une province ou plutôt un département du Territoire du Nord-Ouest qui, en fait, embrasse toute cette partie du continent au nord du 60e parallèle et comprise entre les 100° et 141° de longitude occidentale (Greenwich).

Un commissaire de l'or est chargé de tout ce qui concerne les mineurs et les mines, patentes, titres, actes d'enregistrement, etc. Les permis pour la coupe du bois des forêts du gouvernement et pour l'usage du bois flottant et dérivé sur les rivières sont donnés par un agent des forêts. Il y a quatre arpenteurs sous les ordres du commissaire de l'or.

Un corps de police à cheval «ou montée», au nombre de 250 hommes, est réparti sur les lignes de trafic du territoire, avec des stations à Bennett, au lac Tagish, aux rapides du Cheval Blanc, à l'embouchure de la rivière Teslin, à Selkirk, à Dawson (où sont le plus grand nombre de soldats) et à Cudahy, avec de fréquentes patrouilles entre ces différents points pour le maintien de l'ordre.

Il convient de dire que ces patrouilles produisent un excellent effet. L'ordre et la tranquillité règnent dans tout le pays, dans les centres habités comme sur les gisements aurifères. C'est là un résultat admirable et assez surprenant même, dont il faut féliciter grandement la commission du Yukon et les officiers de la police, car on peut bien admettre que dans cette population de gens entraînés vers le nouvel Eldorado, à la recherche de l'or, il s'est glissé un nombre considérable de gens d'une moralité douteuse. La vigueur avec laquelle sont appliquées les lois britanniques, la difficulté de s'échapper du pays, ont empêché jusqu'ici les mineurs de se livrer aux violences si fréquentes dans les anciens camps miniers d'Amérique. Il y a eu, cela va sans dire, des incidents qui se sont dénoués tragiquement, mais ils ont été l'exception.

Quant à la ville de Dawson, elle a été, dans le courant de l'été dernier, érigée en municipalité avec un comité provisoire de six membres. Depuis lors une administration municipale permanente y a été instituée.

À Dawson, en particulier, l'ordre est parfait. Il n'y a jamais de disputes ni de rixes. Personne ne ferme ses portes. L'or est si abondant dans les maisons qu'il ne vaut pas la peine d'être volé. Aussi Dawson s'enorgueillit-elle d'être la ville la plus honnête du monde.

XVI

La rivière Forty Mile et ses placers.—Les gisements de charbon.—Barres aurifères.—Légende indienne.—Les vapeurs du Yukon.—Mouvement commercial du fleuve.—Statistiques et prix courants.—Production aurifère du Klondyke.—La taxe sur l'or.

Tournons pour quelque temps le dos à Dawson; nous laisserons la ville se transformer pendant notre absence, si rapidement qu'à notre retour, au lieu de la chemise de flanelle rouge ou bleue, de l'habit à bandes multicolores en mackinaw et des bottes américaines ou muckalucks en peau de phoque, nous trouverons presque partout la redingote ou le paletot sac, le col blanc et les souliers en cuir verni; au lieu d'aller loger comme aux premiers temps sous le mince couvert d'une tente ou sur les planches raboteuses d'un pont de bateau, nous jouirons d'un gîte confortable au Fairview et au Yukon Hôtel. Nous prendrons un des nombreux steamers récemment arrivés de Saint-Michel et qui y retournent après un jour ou deux d'escale à Dawson; la descente du Yukon, qui est facile, nous fournira quelques observations intéressantes. Nous ne la poursuivrons pas d'ailleurs au delà de la région aurifère, bien que, au dire de quelques-uns, la ceinture dorée du continent américain, qu'on peut tracer tout le long des Andes, puis des sierras du Mexique et des montagnes Rocheuses, se continue jusqu'à la mer de Bering, passe le détroit et vienne se relier à une autre ceinture qui s'étend de l'Oural à travers toute la Sibérie.

À 70 kilomètres en aval de Dawson, la rivière Forty Mile, découverte en 1886, débouche dans le Yukon venant de l'Ouest; à son confluent, on trouve les villes de Forty Mile sur la rive droite et de Cudahy sur la rive gauche, séparées par moins d'un kilomètre. Elles se font concurrence; l'une et l'autre ont hôtels, salons, restaurants, grands opéras et boulangeries, comme tout centre minier qui se respecte. Il est difficile de décider laquelle des deux est la métropole, mais comme les Fortymilois peuvent exhiber le premier cheval venu dans le pays et un théâtre en logs qui a coûté 1 000 dollars et où l'on joue l'Homme de l'île Douglas, on se sent ébranlé et l'on se déclare prêt à lui donner la palme.

À 35 kilomètres de son confluent, la rivière Forty Mile franchit la ligne imaginaire formant la frontière entre le Canada et l'Alaska; c'est tout près d'ici que le premier or en pépites fut trouvé dans la région du Yukon. Bien que de l'or fin ait été rencontré dans plusieurs endroits, entre autres sur le Stewart, en quantités rémunératrices, les mineurs ne se déclarent satisfaits que s'ils trouvent des pépites; en effet, l'or fin est beaucoup plus difficile à travailler, le déchet est considérable et l'emploi du mercure fort dispendieux. Sitôt donc que la découverte de pépites se fut produite en 1886, les prospecteurs affluèrent et se dispersèrent dans toute la région.

En 1891, le Rév. Mac Donald, missionnaire canadien venant de Birch Creek, rivière qui prend sa source au Nord et non loin du Forty Mile, ayant ramassé une pépite, la montra à des mineurs qui aussitôt se mirent à prospecter ce nouveau creek. Circle City fut alors fondée pour devenir le quartier général du trafic avec Birch Creek, distant de 30 kilomètres.

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