Barbe-bleue
QUATRIÈME PARTIE
I
A Bois-Peillot, de grands changements s'étaient opérés depuis la disparition de la baronne.
Désormais maîtresse au château, Victorine avait ressaisi son autorité perdue, mais tous les soins dont elle entourait le baron, toutes les consolations qu'elle s'efforçait de lui prodiguer ne parvenaient pas à chasser l'humeur noire dont, pour la seconde fois, Pottemain paraissait incurablement atteint.
Non que son second veuvage eût déterminé chez lui une crise de regrets ou de remords, mais l'incertitude où l'avait laissé Pauline lui était plus cruelle que n'eût pu l'être la preuve assurée de sa mort.
L'hypothèse d'une noyade dans l'Étang Maudit à laquelle, ainsi que tout le monde, il feignait d'ajouter foi, lui semblait au moins douteuse...
Et Pauline savait son secret!...
Pauline en possédait peut-être la preuve.
Il n'était pas jusqu'à l'attitude louche qu'avait affectée Romagny à son égard, dans la nuit fatale, et cette bizarre histoire de domino qui ne vînt encore ajouter à ses craintes.
Que fallait-il croire?
Si Romagny était le confident ou le complice de Pauline, n'avait-il pas lieu de s'attendre quelque jour à un éclat qui le perdrait sûrement, sans qu'il pût avoir sous la main,—dans l'ignorance où il était des armes qu'on possédait contre lui—le moyen de se défendre?
Le doute où il vivait le minait sourdement.
Victorine, qui ne comprenait rien à cette tristesse et qui, dans son ignorance, l'attribuait à l'influence de la solitude, cherchait à tempérer l'austérité de l'existence de son maître par tous les moyens qui étaient en son pouvoir, voulant ainsi lui enlever jusqu'à l'idée d'un troisième mariage.
Mais elle avait beau ne le quitter jamais et se prodiguer comme femme et comme cordon-bleu, le Normand demeurait accablé d'une mélancolie noire.
Il ne s'occupait plus de rien et les ronces qui avaient jadis pris l'habitude d'envahir les allées reprirent possession d'un domaine désormais abandonné encore.
Le baron ayant supprimé tous les frais d'entretien, la végétation continua, avec un entrain superbe, l'œuvre interrompue par la courte apparition de Pauline.
Un mot d'ordre semblait avoir été transmis de buisson en buisson, d'arbre en arbre: déborder, pousser, enfouir les constructions sous les pariétaires; reprendre pied à pied les allées sur les envahissements de la serpe et du râteau.
Encore un printemps pareil et Bois-Peillot allait devenir une forêt vierge véritable.
Or, une année environ s'était écoulée depuis le drame présumé de l'Étang Maudit et les terreurs du baron commençaient à s'apaiser lorsqu'une après-midi, comme il était en train de se livrer à la confection de ses cartouches, Victorine vint lui apprendre une nouvelle, qui réveilla ses craintes.
Un capucin, le même qui, une année auparavant, était venu demander l'hospitalité au château, le même qui avait reçu avant son départ la confession de Pauline, venait de paraître à la grille du parc et on l'avait vu se diriger, sans rien demander à personne, vers le mausolée de la première baronne.
Le baron frémit. Celui-là aussi devait connaître son secret... Mais il était lié sans doute par le secret de la confession...
N'importe! il lui importait de savoir ce que venait faire ce moine à Bois-Peillot!
Il se leva, congédia Victorine et courut se poster derrière la baie vitrée de son salon.
Le moine paisible et recueilli, dont la présence dans ces lieux déserts venait d'être signalée, n'imaginait guère en contemplant les fenêtres vides et les tourelles encornées de vieilles girouettes, où perchait l'épervier, que derrière une vitre à demi dépolie par le temps et obstruée de toiles d'araignées, un œil défiant observât les moindres gestes du pèlerin et cherchât un mobile secret dans une démarche de simple touriste.
Le tombeau de la première baronne jouissait dans le pays de quelque notoriété.
Sans doute le capucin avait ouï dire que la statue de Romagny était un chef-d'œuvre, car il se mit, dès son entrée dans le parc, à la recherche de la chapelle.
Il n'y parvint pas sans de grandes difficultés ni sans se déchirer aux épines des sentiers.
Comme il venait de disparaître derrière un massif, le Normand s'arma d'un fort gourdin de houx, surmonté d'un marteau d'acier, et descendit.
Parvenu au pied de la terrasse, il se dirigea à son tour vers le mausolée, en se dissimulant du mieux qu'il pût dans les fourrés quasi impénétrables du parc.
Tandis que le capucin priait agenouillé dévotement devant cette sépulture qu'avait illustrée un grand artiste, il aperçut tout près un jeune pâtre qui semblait familier avec la localité et dont les yeux marquèrent au moine un mélange de curiosité et de profond respect.
Le disciple de saint François a la fibre populaire et il sait accoster le paysan.
La conversation fut vite engagée, sans que ni l'un ni l'autre se crussent espionnés.
—Eh bien, mon jeune ami, la baronne, votre bienfaitrice, a donc rendu son âme à Dieu?...
—Laquelle, mon père? demanda l'adolescent de son ton le plus uni.
—Mais toutes les deux, la seconde baronne après la première.
—Ça... c'est à savoir! riposta l'enfant d'un ton impénétrable.
—Eh quoi?... ne dit-on pas partout que deux fois veuf, M. le baron votre maître...
—Notre maître... Ah oui! C'est vrai... notre maître!...
—Cette nouvelle ne fait aucun doute... Moi-même, sur le bruit qui en a couru, me souvenant d'un devoir que j'avais à remplir, en vertu d'un ordre de la dernière défunte... je me suis aujourd'hui, revenant de Souvigny, détourné de ma route...
—Elle s'était recommandée à vos prières, mon père?
—Oui, dit le moine, qui ne pouvait s'étendre sur la mission dont Pauline l'avait chargé.
—Et vous êtes venu prier ici, croyant y trouver sa tombe?
—Où pourrait-elle être, sinon auprès de l'autre châtelaine?
—Je vois, mon père, que l'on ne vous a pas tout dit.
—Mais, vous, mon enfant, vous en savez davantage?
—Oui.., et non, mon père.
—Vous défiez-vous de moi?
—Pour cela non, mon père, mais je ne voudrais pas que vous puissiez croire que la baronne a commis une méchante action... Or, elle n'a pas eu les prières de l'Église.
—Elle aurait attenté à ses jours? demanda vivement le capucin.
—Pour avoir attenté à ses jours... il faudrait qu'elle fût morte! dit Jeannolin.
—Elle vit donc?
—Oui et non...
—Vous déraisonnez, mon cher enfant.
—Non, mon père, je ne déraisonne pas; mais toute la question, voyez-vous, est de savoir s'il est utile à la pauvre chère baronne que je parle; je parlerais alors, car cela m'étouffe... je parlerais à un homme d'Église, surtout n'étant pas du pays. Mais si ça devait faire du tort à ma bienfaitrice... je ne dirais rien...
—Mon enfant, dit alors solennellement le capucin, vous pouvez compter sur moi... Mais j'ai besoin de connaître toute la vérité et vous comprendrez pourquoi... Je suis détenteur de papiers lui appartenant, que je dois, à date fixe, lui remettre si elle vit, ou dont je dois faire usage si elle est morte... ou si elle laisse passer les délais déterminés sans me les réclamer... Parlez donc, mon enfant. C'est un devoir de conscience que vous m'aiderez à remplir...
—Écoutez, mon père... Il y a bientôt un an, la baronne qui m'avait pris à son service, me renvoya à la ferme, mais elle me recommanda de venir un soir l'attendre à la grille du parc... Comme elle craignait que cette grille ne fût fermée, elle m'avait prié de veiller à ce qu'elle restât ouverte... et moi... pour lui obéir j'avais rempli la serrure de gravier. Mais justement, ce soir-là, le Sournois ne fit pas sa ronde, comme d'habitude... A dix heures, Mme la baronne était là, tout habillée en noir... Alors elle me dit:
—Jeannolin, il faut que tu me rendes un grand service... Tu vas me mettre sur le chemin de Moulins par la traverse... au plus court... Nous avons marché un grand moment ensemble... puis, dépassé Besson, elle a attrapé la grande route nationale... Il n'y avait plus qu'à aller tout droit. Alors elle m'a embrassé en pleurant et elle m'a dit:
—Je te remercie, Jeannolin, du service que tu m'as rendu... Maintenant, il faut que tu me promettes de ne jamais dire à personne que tu m'as vue ce soir...
Je l'ai juré et j'ai tenu ma promesse, puisque je n'en ai jamais ouvert la bouche à personne... Je ne me suis même jamais confessé depuis.
—Vous me jurez à moi, dit alors le capucin qui écoutait avec étonnement, vous me jurez m'avoir dit toute la vérité?
—Je le jure! dit Jeannolin avec force.
—Elle ne vous a pas confié où elle allait, ni quels étaient ses projets?
—Non, mon père, et je n'ai pas osé le demander. Je ne sais rien de plus... Et ça me chagrine bien, car je voudrais bien la revoir.
—Et comment apprit-on sa disparition au château?
—Par une lettre qu'elle avait laissée.
—Qu'y avait-il dans cette lettre?
—Je l'ignore... Mais le bruit courut le lendemain que la baronne Pauline s'était jetée dans l'Étang Maudit... et l'on sait que les morts de l'Étang ne reviennent jamais sur l'eau...
—Et le baron, que dit-il?
—Le baron... prit le deuil, voilà tout! Je ne cherchais guère à me trouver en face de lui. Il me fait peur et, s'il avait appris que je savais quelque chose... il aurait été capable de me tuer, ajouta Jeannolin en frissonnant.
En ce moment, il se fit une sorte de bruissement dans le feuillage qui étreignait de ses rameaux la petite chapelle.
Jeannolin tourna vivement la tête, mais un rouge-gorge, auteur présumé de ce frôlement à peine sensible, était déjà perché à quinze mètres plus loin.
Le capucin remercia l'enfant, tira du parement de sa manche brune une image de la Vierge et la lui offrit.
Puis, il s'agenouilla, pria un instant et se releva en murmurant:
—Que la volonté du Seigneur s'accomplisse!
Puis d'un pas résolu, il reprit sa marche à travers les broussailles, marche pénible, entravée par les lianes et les rameaux surplombant de toutes parts, mais en se dirigeant cette fois vers la campagne.
Jeannolin le regardait s'éloigner, lorsqu'il aperçut tout à coup sortir d'un petit massif, qui enveloppait de ses luxuriantes frondaisons le chœur de la chapelle, un homme vêtu d'une blouse passée par-dessus ses habits et ayant les yeux abrités par un chapeau large et rabattu.
—Le Sournois! murmura le pâtre en reconnaissant le bourreau des deux châtelaines. S'il a entendu, je suis perdu!
Et il s'enfuit à toutes jambes du côté du taillis.
Mais Pottemain avait bien d'autres soucis que la folie douce de Jeannolin, comme on appelait la prétendue maladie mentale de l'orphelin dans la contrée.
Après avoir jeté de loin à l'enfant un regard plein de colère, il s'attacha tout d'abord aux pas du confesseur de Pauline, comme un homme disposé à lui faire un mauvais parti.
Il brandissait sa redoutable canne à tête d'acier et il semblait se faire la main en cassant des pierres.
Plus d'une étincelle jaillit ainsi derrière le moine, qui, se souciant peu d'être ou non escorté, ne se retourna même pas, car il songeait sérieusement à autre chose.
Au bout d'un instant, le baron s'arrêta.
Il perdit de vue le pèlerin et revint sur ses pas, l'esprit bouleversé par les pensées qui se heurtaient dans sa tête.
—Ainsi, Pauline Marzet vit! Et de concert avec ce capucin de malheur, elle a préparé ma perte! Des papiers compromettants existent, paraît-il... et c'est lui qui les possède, avec mission de s'en servir!... Ces papiers, quels sont-ils? Toute cette extraordinaire aventure date du décès de Pastouret... Il doit y avoir du Pastouret là-dessous... N'aurais-je pas bien fouillé... et cette brute d'intendant aurait-il, avant sa mort, pris ses précautions? Cela me paraît vraisemblable... Et pourtant, je ne regrette rien... Pastouret en savait trop long... Il avait été le témoin forcé de la mort de la première châtelaine... J'ai bien fait de m'en débarrasser... La raison d'État parlait et parlait haut!... Ah! Pastouret! si tu voulais me laisser vivre et mourir tranquille, quelles belles messes je ferais célébrer pour le repos de ton âme!... Mais tout cela est rétrospectif... ce qu'il importe à présent, c'est de reprendre à tout prix les pièces recueillies par Pauline et confiées à ce moine...
Pottemain fit une pause, comme ressaisi du désir de se lancer de nouveau à la poursuite du religieux.
—Non, pensa-t-il, j'ai bien fait tout à l'heure de ne pas céder à la tentation... J'ai bien fait de ne tuer ni Jeannolin, ni le franciscain dans un premier mouvement de colère... Ce misérable petit pâtre, qui s'est trahi si bêtement, a dit en somme tout ce qu'il savait... Il reste sous ma main et pourra me servir, comme témoin et complice de l'évasion, à retrouver les traces de cette Pauline Marzet. Quant au capucin, je n'aurais jamais fait que charger ma conscience d'un meurtre dangereux... et inutile, car qui m'assure qu'il les avait sur lui, ces fameux papiers compromettants?...
Cependant, le baron avait atteint l'escalier rongé par la pluie qui escaladait la terrasse du vieux château.
Il le gravit péniblement, la tête baissée, les poumons sifflants, puis, enfermé dans son cabinet, il s'étendit dans un fauteuil, cherchant toujours sinon une solution, du moins un moyen de parer le danger qui planait sur sa tête.
—Des papiers! Cela s'achète! Ordinairement, il n'y a qu'à y mettre le prix... Mais ce moine doit avoir le mépris de l'argent et, d'ailleurs, je me heurterais fatalement à ses scrupules religieux... Il se retranchera derrière le secret de la confession et je ne tirerai rien de lui... Donc rien à faire encore de ce côté... Mais quel intérêt peut donc avoir cette Pauline à me poursuivre ainsi de sa vengeance imbécile, surtout maintenant qu'elle a recouvré sa liberté? Car enfin je ne lui ai fait que du bien... En admettant qu'une indiscrétion posthume lui ait fait surprendre mon secret, elle n'avait qu'à se taire... et à jouir tranquillement du bien-être que je lui avais assuré... Sa vie n'était pas en danger, je lui avais donné assez de preuves de mon affection... Je suis trahi par la seule personne à qui je n'aie jamais songé à faire de mal!...
Pottemain se leva, se promena fébrilement dans sa chambre, puis tout à coup il se frappa le front:
—Que je suis bête! Et quel niais je fais! J'aurais dû penser plus tôt que cette Pauline ne m'avait jamais aimé et qu'elle a été enchantée de trouver une occasion de se débarrasser à son tour de moi, sans péril aucun!... Je cherchais à quel intérêt elle avait obéi!... J'ai trouvé! Ces dénonciations ont été recueillies par elle pour me perdre, le jour où elle voudrait s'emparer de mon bien, en m'envoyant en cour d'assises! J'avoue que c'est là un coup bien monté! Amusez-vous donc après cela à enrichir des filles pauvres! Mais si Pauline tenait tant à se sauver, ce n'était pas, je suppose bien, pour vivre dans la continence qu'elle m'avait imposée! Donc il y a là évidemment une intrigue galante... Il y a du Romagny peut-être!... Et ainsi s'explique la conduite louche de ce sculpteur maudit, qui a préparé avec elle et protégé sa fuite! Et dire que moi, Pottemain, je n'ai rien vu, rien deviné!... Dire que je me suis laissé prendre à la comédie idiote qu'il m'a jouée pendant toute une nuit!... Ah! il est très fort!... Et le lendemain, le désespoir de commande qu'il a montré en apprenant la disparition de la belle!... Je comprends tout, à présent!... Ils avaient flirté ensemble, sous couleur de statuaire... On ne refuse rien à l'artiste qui vous modèle en terre et qui, en dépit de toutes les surveillances, vous déshabille du regard et des mains!... Ah! je suis un fameux imbécile et je n'ai que ce que je mérite! Mais, toutes ces plaintes et tous ces regrets ne me feront pas ravoir ces papiers, ces papiers terribles, dont j'ignore jusqu'à la teneur... Et c'est pourtant là l'important!... Oh! vivre sous le coup d'une perpétuelle menace et ne pouvoir rien faire... rien pour prévenir une catastrophe... imminente peut-être!... Eh bien, tant pis! Je paierai s'il le faut! Mais avant de succomber je me défendrai!... Et carrément!... La belle Pauline, si elle vit, n'est pas sans reproche! Nous serons deux!... Attendons les premières hostilités et tenons-nous prêt à riposter... Mais n'importe, conclut-il, je donnerais gros pour que la bougresse se fût réellement flanquée dans l'Étang Maudit!
II
Pottemain tint sa promesse.
Bien qu'horriblement troublé, il sut pendant les jours qui suivirent ne rien laisser paraître de son accablement, ni de ses craintes...
Et personne autour de lui, pas même Victorine, ne devina la tempête de son cerveau...
Comme le sanglier forcé dans sa bauge qui s'accule pour recevoir les chiens, il se renferma au fond de Bois-Peillot et, les ongles en avant, il attendit le choc.
Son attente fut de courte durée.
Quarante-huit heures environ après le passage du capucin, un valet lui apporta une lettre, qu'un gendarme à cheval venait d'apporter.
—Un pli du Parquet! fit Pottemain, en pâlissant malgré lui. Qu'ai-je à faire avec le Parquet?
La main du baron tremblait en touchant la lettre fatale.
Il fit enfin sauter le cachet et il lut:
«Monsieur le baron,
«Venez me trouver sans un jour de retard. J'ai à vous causer d'une affaire grave.
«Mille hommages.
«Le Procureur de la République,
«De Morvins.»
—Hein? dit-il, affaire grave? La justice se serait-elle enfin avisée de mettre la main sur le véritable auteur de l'incendie de Sainclair? Mieux vaux tard que jamais!
Il se recueillit un instant, puis:
—Mon cabriolet! commanda-t-il d'un ton résolu, je pars!
Il s'habilla rapidement et, un quart d'heure après, il roulait au grand trot dans la direction de Moulins.
En arrivant chez le magistrat, son hôte naguère, celui-là même qu'il avait traité aux ortolans et au Zucco, et qui avait jadis assisté à la mémorable chasse où le pauvre Pastouret avait trouvé la mort, il lui trouva l'air froid et guindé.
Cela lui fit courir au dos un frisson de mauvaise augure.
Mais, se raffermissant dans son rôle de puissant propriétaire et s'enveloppant dans la considération qu'il tenait d'une fortune bien assise:
—Mon cher convive d'autrefois, dit le baron à M. de Morvins, vous m'avez appelé, me voici... Qu'y a-t-il pour votre service?
—Monsieur le baron, répondit le Procureur de la République, je fais vis-à-vis de vous une démarche insolite, contraire à toutes mes obligations de magistrat. C'est un suprême sacrifice à mes sentiments d'homme de cœur et d'homme du monde... J'espère que vous en comprendrez bien le désintéressement, le sens, la portée...
Pottemain frémit. L'heure de la lutte finale, prévue par lui, avait sonné. Il s'agissait de faire face au danger bravement.
Il rassembla toutes ses forces, puis:
—Je voudrais vous comprendre, monsieur, mais je cherche vainement... Comment pourrait-il y avoir contradiction entre vos devoirs d'homme d'honneur et vos devoirs de magistrat?
—Voici, monsieur! Vous êtes sous le coup d'une dénonciation motivée, dont le moindre effet devrait être et sera un mandat d'amener, dès après-demain lancé contre vous.
—Et puis-je au moins savoir, monsieur le Procureur, de quelle source émane cette dénonciation?
—C'est impossible.
—Alors le premier venu peut inquiéter dans son existence un homme honorable?
—Je n'ai point à discuter la loi. Je la symbolise et je la fais exécuter. Mais encore une fois, sous la toge du juge, il y a un homme du monde... votre hôte des anciens jours! La dénonciation est terrible... Qu'il me suffise de vous dire que vous seriez prévenu d'un double assassinat.
Le baron tressaillit et pâlit horriblement.
—Quoi qu'il en puisse être, vous êtes voué à la cour d'assises, avec toutes les complications que l'écrou, pour une détention grave, peut entraîner à votre détriment. Vous pouvez, si vous vous sentez innocent, affronter ces tortures, persuadé d'avance que, fussiez-vous blanc comme neige, vous subiriez toujours, dans le public, les conséquences de la calomnie... Si vous êtes coupable, disparaissez! Vous avez quarante-huit heures pour passer la frontière ou... vous brûler la cervelle! J'ai, ajouta le magistrat, rempli, par cet avertissement envers vous, le dernier devoir d'une respectueuse et reconnaissante amitié... Aujourd'hui, vous êtes encore en face de l'ami, demain, sur ce siège, le Procureur de la République sera seul... Adieu ou au revoir... à votre choix!...
Le baron scruta avec une attention pénétrante la physionomie du Procureur. La figure du magistrat demeura impassible.
Mais les effluves magnétiques de l'indignation, de la vengeance avaient rayonné des arcades sourcilières de Pottemain, comme un éclair livide...
Toutefois, par un effort indicible sur lui-même, passant subitement de la fureur concentrée à l'apparence la plus souriante et la plus unie:
—Monsieur le Procureur de la République, dit le baron, je cherchais ce qui peut me procurer le triste honneur de vous entendre proférer des paroles aussi sévères... Vous ne sauriez être étonné de ma surprise... Mais enfin, tout est possible et je vous remercie de votre bienveillance extra-légale pour un homme si pitoyablement noirci dans votre pensée par des gens... dont vous ne me dites seulement pas le nom... Je suis évidemment poursuivi par des haines terribles, puisque vous vous avouez vous-même impuissant à les conjurer... Mais n'importe! Je ne me laisserai pas accuser, ni condamner sans me défendre.
Il fit une pause, puis, après quelques secondes de réflexion:
—Je crois, ajouta-t-il, deviner d'où part le coup qui m'est porté... Sachez que récemment un hasard m'a révélé que Mme la baronne Pauline Pottemain vit et elle doit être la signataire du factum dirigé contre moi. A ce seul trait, connaissez son genre de moralité!
Ce fut le tour du magistrat d'être étonné.
—Que dites-vous, monsieur le baron? Mais je croyais et tout le monde croit que Mme la baronne a mis volontairement fin à ses jours... N'est-ce pas là ce qui résultait de la lettre qu'elle vous a adressée et qui a été déposée entre les mains de la justice... au moment de l'enquête faite à propos de sa disparition? Quelle preuve pourriez-vous alléguer d'un fait semblable à celui que vous articulez?
—Aucune, répondit Pottemain, mais ma conviction est faite... Eh bien, ajouta-t-il d'un ton solennel, je vous demande trois jours... Dans trois jours, j'aurai retrouvé la baronne et j'apporterai devant vous la preuve de son existence, et sinon son témoignage oral, du moins la preuve écrite que l'accusation portée contre moi est fantaisiste, mensongère et dictée par un intérêt inavouable... Si dans ce délai, il ne m'a été possible de retrouver la femme indigne à laquelle j'ai eu l'imprudence de donner mon nom, et par conséquent de faire éclater mon innocence à vos yeux, j'agirai, plutôt d'engager une lutte inégale contre des ennemis anonymes, comme un homme accusé d'avoir volé les tours Notre-Dame... Vous serez avisé de mon départ... ou de ma mort! Sur ce, monsieur le Procureur de la République, votre main une dernière fois et je vous prie de me croire votre reconnaissant serviteur.
Et le baron sortit sur ce propos, laissant le magistrat sous le coup d'une profonde stupéfaction.
Son retour à Bois-Peillot fut aussi rapide qu'une flèche. Moins d'une heure après, il entrait au grand trot dans la cour du château et jetait aux mains du valet les rênes de son cheval ruisselant d'écume.
—Jean, lui dit-il, il faut que je reparte à l'instant... Cours à la ferme, je te donne une demi-heure pour être là, prêt à m'accompagner, avec un cheval frais attelé à la voiture, va!
Puis il monta rapidement et appela Victorine:
—J'ai... j'ai soif! donne-moi la miche et du vin!
Victorine obéit et le Sournois, sans dire un mot de plus, se mit à manger et à boire avec une apparente tranquillité.
Tout en prenant le frugal repas, il songeait... Son plan fut vite arrêté...
Il allait chercher à retrouver tous les personnages qui avaient été les spectateurs, sinon les acteurs du drame qui s'était déroulé un an auparavant à Bois-Peillot.
Il interrogerait habilement les seules personnes auxquelles Pauline, orpheline sans relations et sans ressources, avait pu s'adresser, en dehors du capucin...
C'était les Guermanton, puis Charaintru, enfin Romagny, qui avait joué, d'accord avec la jeune femme sans aucun doute, un rôle si bizarre, le jour de la disparition de Pauline.
C'était bien le diable s'il ne découvrait, au cours des conversations qu'il comptait provoquer, un indice de nature à le mettre sur les traces de la fugitive...
Alors il jouerait le tout pour le tout... Il saurait selon les circonstances user des grands moyens: la persuasion ou l'intimidation.
Coûte que coûte, il fallait réussir.
Trois quarts d'heure plus tard, il sortit du château, en costume de voyage, sa valise à la main.
Il avait fait tomber favoris et moustaches, si parfaitement rasé qu'il fut à peine reconnu par son propre valet, qui l'attendait avec son nouvel attelage tenu en bride.
Il jeta dans le coffre de la carriole une sacoche assez lourde, s'assura que son portefeuille était bien enfoui dans la poche de côté de son pardessus; puis il fit monter son domestique près de lui et prit en mains le fouet et les rênes.
—Il ne faudra pas attendre monsieur, ce soir? demanda Victorine qu'intriguaient ces allures étranges.
—Non, répliqua-t-il du ton le plus naturel et le plus tranquille, je vais à Paris... Je reviendrai dans huit jours.
Puis il toucha son cheval et s'éloigna au grand trot.
A Guermanton, il fit halte et demanda à parler aux châtelains.
Il lui fut répondu que monsieur était à la chasse dans ses propriétés de la Nièvre et que madame était partie pour Paris où elle avait été reconduire ses enfants à leurs pensions respectives.
Son enquête débutait mal.
Il marmotta entre ses dents quelques paroles incompréhensibles, remonta sur son siège et reprit le chemin de Moulins-sur-Allier où il arriva d'une traite.
Là, il s'enquit des heures des trains, enjoignit à son domestique de retourner à Bois-Peillot et le soir même il partait par l'express de Paris.
Il descendit selon son habitude au Continental et dès le lendemain il se mettait en quête du domicile de Romagny.
Le sculpteur travaillait dans son atelier lorsque le Normand se présenta, expliquant, sur un ton qu'il s'efforça de rendre enjoué, que, de passage à Paris, il n'avait pas voulu quitter la capitale sans venir saluer l'hôte qu'il avait eu l'honneur de recevoir chez lui aux deux époques les plus pénibles de sa vie.
Mais l'artiste le reçut plus que froidement, affectant de toucher à peine la main que lui tendait le baron, le toisant comme une personne que l'on connaît à peine.
L'honnête garçon ne pouvait songer sans frémir qu'il avait sans doute favorisé les projets de suicide de Pauline, en l'aidant une certaine nuit à tenir Pottemain éloigné de chez lui.
En vain le Sournois chercha à le faire parler en lui posant d'insidieuses questions.
L'artiste resta impénétrable.
Quel nouveau piège cachait l'apparente bonhomie de l'abominable baron?
Et quels nouveaux projets inavouables avaient germé dans la cervelle de cet astucieux criminel?
Il sut donc se tenir sur une réserve extrême, ne prenant même pas la peine de dissimuler la répugnance qu'il éprouvait à répondre à ce semblant d'interrogatoire.
Et il joua son rôle si parfaitement qu'à un moment le baron, dépité, ne put se défendre de demander:
—Mais enfin, qu'avez-vous contre moi? En êtes-vous resté aux racontars stupides de votre domino de l'Opéra? Ne me trouvez-vous pas assez malheureux?
—Savez-vous bien, dit alors brusquement le sculpteur, que votre femme était tout simplement un ange?
—Si je le sais! soupira le Normand.
—Vous l'avez rendue malheureuse!
—Moi? dit l'autre d'un ton de surprise. C'est une amère plaisanterie, je l'adorais!...
—Alors comment expliquez-vous cette fin, sa fin volontaire et prématurée... ce désespoir qui lui a fait préférer la mort à la vie qu'elle menait à Bois-Peillot?
—Les desseins de Dieu sont impénétrables, répliqua avec onction l'hypocrite Pottemain. Que dit l'Écriture: «Le Seigneur a donné! le Seigneur a ôté! que son saint nom soit béni!»
—Eh bien! faites-vous ermite, il est temps! dit Romagny en tournant le dos à son visiteur.
—Décidément, il n'y a rien à tirer de lui, pensa le baron en se retirant, mais je le crois sincère. Il ne sait rien... Inutile de le détromper et de lui faire part de ma découverte... Il n'a été que le complice inconscient de Pauline... Elle ne lui a rien confié de ses projets... Dans tous les cas, il était amoureux de ma femme... que ne l'a-t-il enlevée!... Cela aurait mieux valu que ce semblant de suicide. Au moins je l'aurais retrouvée!...
Désormais il n'avait plus d'espoir qu'en Charaintru, mais de celui-là il était sûr d'obtenir la vérité, si le bonheur voulait qu'il sût quelque chose...
Mais il n'y avait pas une minute à perdre. Une voiture le conduisit de l'atelier de Romagny au petit hôtel que le gommeux habitait aux Ternes.
Il arriva à temps; le vicomte faisait ses malles.
—Ah! mon cher Pottemain, s'écria Charaintru, que je suis heureux de vous voir! Demain vous ne m'auriez pas trouvé! Je pars dans le Midi recueillir une succession.
—Grand bien vous fasse! Mais ce soir vous m'appartenez et vous allez venir dîner avec moi.
Pendant toute l'après-midi, le Normand affecta de n'entretenir son ami que de banalités.
Il ne voulait pas laisser soupçonner au vicomte quel intérêt il avait à être renseigné.
De son côté, et quelqu'envie qu'eût l'incorrigible bavard de raconter sa singulière aventure, Charaintru garda un silence prudent.
Pendant le repas, Pottemain amena adroitement la conversation sur le drame de Bois-Peillot.
Il dépeignit avec tant d'émotion attendrie la douleur qu'il avait éprouvée à la suite de la mystérieuse disparition de Pauline que le vicomte, allumé du reste par les excellents crus que ne cessait de lui verser son amphitryon, ne put garder plus longtemps sa langue.
C'était là que l'attendait le Normand.
—Eh bien, mon cher ami, lui dit tout à coup Charaintru, il s'est produit une coïncidence singulière, qui m'a très fort troublé et dont je vais vous rendre juge... Dites-moi... Êtes-vous bien sûr que la baronne soit morte?...
—Dame! fit Pottemain en tressaillant, vous savez comme moi que, d'après les apparences, il n'y a pas lieu de douter.
—Eh bien, moi qui vous parle, j'ai rencontré un jour, place Saint-Sulpice, une femme qui ressemblait si étonnamment à la baronne que j'eusse donné ma main à couper que c'était elle!
—Allons donc! Vous l'avez accostée?
—Je n'ai pas osé, mais je l'ai suivie... J'ai interrogé la concierge, et les renseignements que j'ai recueillis ont établi que je m'étais trompé... Mon inconnue habitait depuis assez longtemps avec son mari, un employé d'assurances nommé Darcy... Ce ne pouvait donc être la baronne Pauline.
—Vous voyez bien! fit Pottemain, au fond fort désappointé de ce dénouement.
—Mais ce n'est pas tout, continua Charaintru, qui s'animait en parlant. Et voyez combien le hasard est étrange... La concierge m'avait montré le mari de la dame, qui, justement, rentrait à ce moment... Or, quelques jours plus tard, je rencontre, au café de la Paix justement, notre ami de Guermanton... Nous nous installons à la terrasse... Il me raconte qu'il est de passage à Paris, où il est venu chercher un intendant pour sa terre de Rouchamp dans la Nièvre... A ce moment précis, ledit intendant paraît et vient serrer la main de son futur patron, qui est en même temps un de ses plus vieux amis... et quelle n'est pas ma stupéfaction de reconnaître dans le nouveau venu, le mari de la pseudo-Pauline! Je vous dis qu'il n'y a rien d'invraisemblable comme la vie... Voyez-vous cette coïncidence. Mais qu'avez-vous donc, cher ami, fit tout à coup Charaintru en voyant la face de Pottemain blêmir...
—Je n'ai rien... je vous remercie, rien du tout! balbutia Pottemain... Ah! Charaintru, vous venez peut-être de me rendre un signalé service... Où dites-vous que demeure ce... Darcy et sa femme?
—Mais... rue de Vaugirard, 90... dit le vicomte interloqué.
—Merci! merci!
Le baron sonna, régla l'addition et serra une dernière fois la main de Charaintru.
—Mais où allez-vous?
—Ne vous inquiétez de rien... Je vous tiendrai au courant... Vous aurez bientôt de mes nouvelles.
—Tous ces gens sont fous! pensa le vicomte en voyant Pottemain s'éloigner. A moins que peut-être je n'aie eu la langue trop longue... Voilà ce que c'est que de mettre toujours les pieds dans le plat! Ah! tant pis, le mal est fait! N'importe! je voudrais tout de même bien savoir ce qu'a dans l'esprit ce sournois de baron!
—J'aurais dû m'en douter! pensait de son côté le Normand. Toute cette histoire était concertée entre Pauline et ce damné Guermanton! Mais que vient faire là-dedans ce Darcy, qui passe pour son mari... Car c'est bien elle, c'est bien Pauline! Il n'y a plus à douter... J'en aurai le cœur net! C'est égal, la chance commence à me sourire de nouveau... Cet imbécile de Charaintru m'aura sauvé sans s'en douter... Ah! elle est mariée... ou du moins elle se fait passer pour l'être... Eh bien, à nous deux, la belle Pauline!
Le baron se jeta dans une voiture et se fit conduire rue de Vaugirard.
—Mme Darcy? demanda-t-il à la concierge.
—Il y a longtemps qu'elle ne demeure plus ici, répondit la vieille, M. et Mme Darcy habitent la campagne... dans la Nièvre, où monsieur est intendant.
—Ont-ils demeuré longtemps dans cette maison?
—Non... monsieur, quelques mois seulement.
—Bien, je vous remercie, madame, dit le baron en glissant une pièce dans la main de la concierge.
—Ah ça! se dit la vieille, qu'est-ce qu'ils ont donc tous après mes anciens locataires?
—Allons! c'est bien elle, murmura le baron en regagnant sa voiture, je suis sur la bonne piste, je crois que cette fois-ci... je tiens mon affaire! Sus aux Darcy de la Nièvre!
III
Il était neuf heures du soir.
A la gare de Paris-Lyon-Méditerranée, l'express allait partir. Dans un wagon de première classe, trois voyageurs du sexe masculin avaient déjà pris place.
Une quatrième personne, une dame, vêtue avec une simplicité de bon goût, jeune encore et de manières très aristocratiques, monta dans la même voiture, paraissant un peu désappointée de se trouver seule avec trois hommes.
Mais deux des trois visages la rassurèrent complètement.
L'un semblait un haut fonctionnaire à la coupe de ses favoris et à ce mélange de gourme et de courtoisie que donne la routine du pouvoir.
L'autre, déjà vieux, pouvait être un magistrat ou un gros industriel; une rosette rouge minuscule illustrait ses deux vêtements superposés.
Quant au troisième, il était si largement enveloppé malgré la saison, qu'il fallait renoncer à voir en lui autre chose qu'un malade forcé par le règlement des trains à voyager en première, coûte que coûte, et s'efforçant d'atteindre les eaux de Vichy avant de mourir.
Car son accoutrement et son allure de paysan n'indiquaient guère qu'il appartint à une haute caste de la société.
La casquette de loutre à oreilles enfoncée jusqu'aux sourcils, l'épais foulard rouge et jaune qui lui emprisonnait le bas du visage, ses gants tricotés, ses fortes guêtres bouclées, enfin sa large houppelande à petit collet, sorte de carrick comme en portent les postillons et les rouliers lui donnaient la tournure d'un marchand de bestiaux.
Silencieux, renversé, indéchiffrable, il ne semblait pas appelé à se mêler aucunement à la conversation, si toutefois elle s'engageait.
Le train siffla et partit, et la dame, tout à fait rassurée, s'allongea peu à peu et prit tranquillement ses aises.
On dépassa Melun, Fontainebleau et les premières heures s'écoulèrent dans un silence ennuyeux pour tout le monde.
Mais les langues se délièrent à l'approche de la Loire, dont le bandeau d'argent parut tout à coup entre deux collines, par un magnifique clair de lune.
Le fonctionnaire et l'industriel échangèrent d'abord quelques mots à voix basse et la dame fut bientôt amenée à prendre part à la conversation.
Le voyageur emmitouflé et muet ne dormait pas autant qu'il tenait à paraître dormir.
Il put comprendre, en prêtant une oreille attentive, que le fonctionnaire était un préfet allant rejoindre son poste et l'industriel un député allant oublier à la campagne ses ennuis législatifs.
Quant à la dame, qui se nommait Mme de Guermanton, elle allait dans le Morvan rejoindre son mari.
Elle semblait soucieuse et impatiente d'arriver.
Les deux autres voyageurs n'avaient ni hâte, ni regret; ils nageaient dans la béatitude que procure une heureuse digestion.
Le malade tressaillit sensiblement une première fois dans un moment où la pleine lune effleura le voile bleu qui couvrait le visage de la dame, une seconde fois, quand elle se nomma au préfet, qui dès lors l'accabla de politesses.
Chose qui confondit les prévisions des trois autres voyageurs, le pseudo-malade toujours en cache-nez, comme en pleine gelée, sauta lestement sur le quai, quand on cria Nevers.
Et il se mit à détaler avec autant de prestesse qu'on devait lui en prêter peu, quand il était si dolent une heure plus tôt.
Mme de Guermanton, assistée par le préfet, descendit à son tour, car elle quittait à Nevers la voie ferrée pour prendre la route de Rouchamp.
Il lui rendit les quelques bons offices, dûs par un homme du monde à une dame seule arrivant dans une gare étrangère et, quand elle fut dans une voiture avec ses bagages, lui-même monta dans la sienne qui l'attendait depuis une heure dans la cour.
Jeanne de Guermanton portait à Rouchamp une visible inquiétude, peut-être un cœur blessé.
Le retour de Jacques, annoncé depuis quelques jours, n'avait pas eu lieu.
L'amour de la chasse ou telle autre cause de même nature le retenait-il en Morvan?
Avait-il, par une intuition familière aux femmes jalouses, germé dans le cerveau de la jeune mère de famille, un soupçon relatif à Pauline, ressuscitée par l'indiscrétion de ce hâbleur de Charaintru?
Toujours est-il que, n'y tenant plus, elle était partie sans prévenir son mari, mais quelque diligence qu'elle fît pour surprendre les hôtes de Rouchamp, un autre voyageur se trouva la devancer.
Sorti le premier de la gare, le pseudo-malade s'était renseigné et il avait fait prix rapidement avec un cocher, qui était parti de suite à bride abattue, de telle sorte qu'à la première halte, il se trouvait de deux heures au moins en avance sur la calèche octogénaire de Jeanne.
Il faisait petit jour quand il atteignit le haut de la colline d'où l'on découvrait le toit et le vieux colombier de Rouchamp.
Là il mit pied à terre et ordonna à son cocher de l'attendre sur la route.
Puis il se recueillit un moment, en examinant les alentours et ruminant sans doute quelques indications recueillies le long du parcours.
—Ceci, dit-il, est l'ancienne gentilhommière abandonnée, mais en bon état pour recevoir au besoin le propriétaire, qui par malheur y est, et où dans quelques heures sa majestueuse épouse va arriver. Au delà de la cour, à gauche, un pavillon de garde, sans doute l'habitation de Darcy et de sa femme... Ah! ils étaient bien cachés et pouvaient se croire à l'abri!... Plus loin, des bâtiments de ferme séparés de l'habitation principale par un boulingrin de tilleuls et un sentier bordé par une double haie. De ce côté-ci, à mes pieds, des jardins et une petite porte à claire-voie donnant sur les champs et sur le taillis qui remonte vers moi...
Tout à coup il s'arrêta:
—Mais qu'entends-je? Des coups de fusil dans la plaine! Ah! ah! on tracasse les perdreaux de bon matin dans ce pays-ci! Tiens! voici justement une compagnie qui vient de se remiser là-bas à tire d'aile!... Je vois distinctement les chasseurs... Ils sont deux, le régisseur probablement et certainement ce diable de Guermanton! Et ils ont avec eux un porte-carnier et trois chiens! Ils s'éloignent de Rouchamp, sur la gauche... Ils en ont bien pour trois ou quatre heures d'ici le déjeuner! Pas une âme dans la cour... donc bonne occasion et pas une minute à perdre! Mais comment aborder la question?... Tout me porte à croire que Marguerite Darcy est bien Pauline Marzet, si je compare mes souvenirs personnels avec le portrait que le cocher m'a fait d'elle, sans savoir à qui il parlait! Mes pièces de cent sous et les libations de petit blanc de Pouilly lui avaient joliment délié la langue! Il enfonce Charaintru... A-t-il pu parler en quelques heures, ce Morvandiau du bon Dieu! Que n'ai-je pas appris sur Rouchamp en tombant par hasard sur un paysan de cette bienheureuse paroisse! Si j'étais dans d'autres draps que ceux où je me trouve, je pourrais acheter Rouchamp les yeux fermés; car je sais, par livres, sous et deniers, ce que cela rapporte! Mais, ô dérision!... Ma tête est mise à prix depuis quarante-huit heures! Ah bah! de l'audace! encore de l'audace! toujours de l'audace!
Là-dessus, le faux paysan jeta bas tout ce qui pouvait gêner sa course, ne gardant que sa casquette de loutre, sa veste de velours, son portefeuille et ses armes, qu'il tenait soigneusement cachées.
Et il marcha du taillis vers la porte du jardin, de l'air déluré d'un gaillard qui rentre chez lui.
Pottemain eut bientôt atteint les limites de la propriété de M. de Guermanton.
Comme d'usage, à une très grande distance de Paris et de toute ville, facile accès. Pas de chien de garde et, pour toute serrure à la porte, une cheville.
Il entra dans le jardin, toujours au pas accéléré.
Arrivé auprès du château ou ce que l'on décorait, par habitude, de ce nom, il passa devant la fenêtre du rez-de-chaussée, pour s'assurer s'il y avait quelqu'un.
Il ne vit personne.
Alors il gravit un petit perron et il pénétra sans hésitation dans les appartements.
Il y avait une grande chambre avec un lit défait, sous d'amples baldaquins de serge, plus ou moins défleuris et fanés.
Des tisons éteints dans une cheminée à énormes chenets du XVIIe siècle.
Une armoire de vieux noyer pour suspendre les habits.
Des ustensiles de toilette épars sur les meubles et du linge blanc marqué aux initiales J. G. Du linge d'homme? Plus de doute: Pottemain se trouvait dans la chambre occupée par Jacques de Guermanton.
Sur une vieille table à pieds en spirale, un buvard, des plumes, de l'encre, une lettre ouverte signée: Jeanne.
Une réponse ébauchée par le mari et commençant par ces mots:
«Chère Jeanne,
«L'enfant de Darcy est un peu malade, je reste trois jours de plus pour rassurer mon ami et pour le distraire.
«D'ailleurs mes connaissances médicales peuvent lui être utiles, dans un pays perdu, où il n'y a pas de médecin à portée...»
—Pauline a un enfant! murmura le voyageur. On ne m'avait pas trompé... En conséquence, je tiens la mère!
Il fit le tour de l'appartement sans entendre, ni trouver personne.
Il revint dans la chambre à coucher dont il ferma les portes et dont il vérifia les fenêtres toutes closes.
Il ressortit par la porte qui donnait sur le corridor, aboutissant à deux perrons.
S'approchant alors du perron opposé à celui qu'il avait pris pour entrer, il regarda la maison du garde située au fond de la cour.
Le sommeil semblait y régner encore.
Pas un bruit, pas un mouvement, hormis, tout à l'extrémité opposée de cette cour, une fillette de quatorze ou quinze ans, qui, sans prendre garde à l'étranger et lui tournant le dos, lavait du linge sur la marge de pierre d'une fontaine.
Il était donc seul ou à peu près; dans tous les cas, il n'avait pas grand'chose à redouter.
Dans ces conditions, il se dirigea vers l'habitation de Darcy.
Il jouait le tout pour le tout, car s'il avait fait erreur en pensant que le second chasseur était Raymond Darcy, et qu'il le trouvât face à face dans la petite maison, il se plaçait dans l'impossibilité de parvenir de plein saut jusqu'à Pauline.
Mais dans cette hypothèse même, il avait un recours, menacer Darcy d'une dénonciation de rapt et d'enlèvement d'une femme mariée, dans une province où nul ne pouvait savoir encore que le baron Pottemain était lui-même prévenu d'assassinat.
Cependant la partie était fort dangereuse et le baron porta machinalement la main sur la crosse de son revolver, caché dans une poche de sa veste.
Au demeurant, il ne vit aucun homme et les vagissements d'un enfant vinrent seuls lui révéler la chambre où Pauline devait se trouver.
Il y entra comme dans un moulin, sans frapper et sans s'inquiéter de savoir dans quel état il trouverait la maîtresse de la maison.
Pauline sortant du lit, à peine vêtue et penchée sur le berceau du petit Maurice, à qui elle faisait boire une infusion, lui apparut soudainement.
A la vue de Pottemain, et sans que les changements survenus dans la physionomie et la tenue de son ennemi mortel lui laissassent une minute d'hésitation, Mme Darcy poussa un cri horrible et couvrit le berceau de son corps, précisément comme si, dans cette paisible chambrette, elle eût vu entrer en bondissant un jaguar ou un tigre...
Pottemain, l'œil étincelant, mais la face impassible, lui dit avec un terrible sourire:
—Eh bien, madame, la cause est entendue. Nos situations sont claires et nettes. Au surplus je ne viens pas ici en ennemi. J'ai poussé même la délicatesse jusqu'à choisir le moment où nous pourrions causer amicalement seul à seule... Je n'en ai que pour un quart d'heure... Est-ce trop? Un quart d'heure et pas une minute de plus... si vous le voulez, bien entendu!
Ce que disant, le baron tira de sa poche son revolver, ferma la porte à clef et s'assit en face de Pauline, plus morte que vive.
—Tout est bien qui finit bien! reprit-il. Et vous êtes une tragédienne de premier ordre! Ah! votre grande scène de la trépassée a été bien jouée et vous aviez pleinement réussi! Pourquoi faut-il que vous ne vous soyez pas souvenue de certains papiers confiés par vous à un père capucin, lorsque vous n'aviez pas encore découvert le fameux moyen de vous évader de Bois-Peillot? Oh! je suis bien informé! Bref, vous savez où sont ces papiers... Je viens, sans tambour ni trompette, vous demander poliment de les annuler par une simple déclaration signée: Pauline Marzet, baronne Pottemain. Vous n'aurez pas au surplus l'embarras de la rédaction. La chose est préparée... La voici... Copiez, datez, signez et je repars pour ne revenir jamais troubler votre second... ménage! Vous pourrez faire alors, et en toute sécurité, autant d'enfants qu'il vous plaira! Si vous refusez, voici un revolver... Il me servira à vous tuer et à brûler la cervelle de l'imprudent qui oserait me barrer le passage.
Marguerite Darcy écoutait Pottemain avec une attention d'autant plus âpre qu'elle n'imaginait pas le baron venu pour le seul plaisir de la torturer.
Il fallait qu'il eût un intérêt majeur pour envahir ainsi un domicile étranger, quels que fussent ses droits sur la femme qui y avait cherché un asile.
Elle calcula avec rapidité le nombre d'heures que Jacques et Raymond devaient encore rester à la chasse et tout courage faillit l'abandonner.
Ni dans une heure, ni dans deux, ils ne pouvaient être de retour!
Tout à coup une inspiration courageuse lui monta du cœur à la tête et, cessant de se tenir à demi couchée sur le berceau:
—Monsieur, dit-elle au baron, vous avez choisi le moment où vous me présumiez seule pour venir me menacer de mort, si je résistais à votre fantaisie. Je suis prête à mourir... mais aussi à me défendre... Mais avant de recourir à d'autres moyens, j'essaierai de raisonner avec vous... Qu'exigez-vous de moi? Une signature authentique qui à présent serait un faux, puisque je passe pour morte? Je ne puis raisonnablement y consentir... A tort ou à raison, il existe entre le décès légal de la baronne Pottemain et Marguerite Darcy... un abîme! Vous ne me chargerez pas, apparemment, de le combler! A supposer même que je sois Pauline Marzet, j'ai perdu le droit de parler, d'agir, de signer comme telle... D'autre part, les plaintes portées contre vous par Pauline et mises à néant par Marguerite, subsisteraient entières... La difficulté résolue n'est pas ici... Il aurait fallu que ces pièces eussent été retirées à temps des mains de l'intermédiaire... et il est trop tard, malheureusement pour moi, si, comme j'ai tout lieu de le croire, vous avez eu connaissance des plaintes dont il s'agit par l'entremise de quelque magistrat...
Ici Pottemain ne pût s'empêcher de tressaillir.
—Ce que vous ignorez, poursuivit Marguerite, c'est que ces plaintes ont été récemment portées contre la volonté de leur éditeur responsable... Pauline, affranchie par sa prétendue mort de la servitude et des menaces que son mari faisait peser sur elle, n'a plus eu qu'une pensée: transmettre au franciscain porteur provisoire des pièces que vous redoutez, l'ordre de les brûler de la première page à la dernière. Le hasard des circonstances contraires m'a seule mise dans l'impossibilité de transmettre cet ordre dans le délai voulu... Mais dernièrement j'avais pris secrètement les dispositions nécessaires pour que—s'il en était encore temps!—ma dénonciation fût anéantie!... Votre présence ici m'apprend qu'il est trop tard.... Je n'y puis plus rien... Mais je vous jure sur l'honneur et la vie de mon enfant que je viens de vous dire la vérité.
—J'ai de fortes raisons de croire que vous ne mentez pas, répliqua le Normand, puisqu'il m'a été donné de vérifier une partie des faits que vous invoquez... Mais si vous aviez eu la générosité... ou seulement la présence d'esprit de prévenir à temps le capucin, vous n'auriez pas aujourd'hui le désagrément de ma visite à Rouchamp... Mais là n'est pas la question.. Et toutes les considérations que vous faites valoir perdent leur valeur en présence des circonstances présentes... Vous avez fait le mal... vous devez le réparer, aujourd'hui que mon honneur à moi et ma liberté sont en jeu... D'ailleurs, les instants sont comptés!
Et comme Marguerite faisait un mouvement.
—Prenez garde, dit Pottemain en l'arrêtant d'un geste, je suis absolument décidé à tout. Si vous me tendez un piège nouveau en me faisant perdre mon temps ici, je vous le dis une dernière fois, le premier qui essaiera de franchir votre porte est un homme mort! D'ailleurs, ne comptez pas sur l'assistance à venir du dehors, madame! La maison est déserte... mes précautions sont prises... Nous sommes bien seuls, personne ne m'a vu pénétrer ici et nul ne nous entendra... Enfin, à quelques pas de votre maison, j'ai une voiture attelée d'un excellent cheval et j'aurai bientôt fait de mettre des lieues entre ce qui restera de vous dans un moment, si vous me refusez, et moi qui suis—vous le savez—assez riche pour avoir le bras long. Au surplus, la découverte que j'ai faite de votre retraite, au fond de cette campagne, vous prouve surabondamment que je ne suis ni un incapable, ni un imbécile! Eh bien, donc, lisez ou laissez-moi vous lire la pièce que je soumets à votre signature et vous reconnaîtrez qu'elle n'a d'autre but que de me soustraire à votre vengeance... Toute la question est de savoir si, à cette heure, l'intérêt de votre enfant, celui de vos amours, sont de vous venger d'un malheureux qui, somme toute, ne vous a absolument rien fait... Vous êtes adultère et quasi-bigame... Vous avez foulé aux pieds toutes les obligations et toutes les convenances sociales, et vous chercheriez encore à vous venger?... Mais, pour Dieu, de qui et de quoi? Cela serait méchant et qui plus est, inutile... Ayez une lueur de raison, à défaut d'humanité! Car enfin, qu'est-ce qui m'empêcherait de porter, en vous quittant, au parquet de Nevers, une plainte contre votre prétendu mari et contre vous?
—Oh! vous l'auriez déjà fait, si vous le pouviez! riposta Marguerite avec énergie. Mais vous avez été arrêté par l'un de ces deux motifs: ou le scandale de la dénonciation même vous effraie—et il y a de quoi!—ou les poursuites auxquelles vous êtes vous même exposé ne vous permettent plus d'espérer qu'en moi, pour vous sauver de la prison, de la cour d'assises, de l'échafaud peut-être!... Et peut-être même n'y échapperez-vous plus, mais vous ne seriez pas fâché de m'entraîner dans l'abîme avec vous! Ceci est clair comme le jour, monsieur Pottemain! Si je signe, à la date de ce jour, une pièce quelconque du nom de Pauline, je suis une femme perdue! Marguerite faussaire ou Pauline vivante! Il n'y a pas à sortir de là... Tenez! dans l'un comme dans l'autre cas, il vaut mieux Marguerite assassinée! Que vous importe, au point où vous en êtes, un crime de plus sur la conscience! Tuez-moi donc, monsieur le baron, tuez-moi, si vous êtes assez borné pour ne pas comprendre qu'en feignant de mourir, je vous ai rendu la liberté!
—Vous êtes un avocat de quelque talent, répondit le baron en souriant méchamment, et je regrette que nous n'ayons pu jamais nous accommoder ensemble! Vous m'auriez pu rendre parfois de vrais services! Mais, je vous le dis, je ne suis venu vous tendre aucun piège... Je suis venu chercher ici la tranquillité, la liberté, la vie... Si vous avez un moyen plus simple de me rendre tout cela en mettant à néant les papiers qui m'importunent, qui me gênent, qui me menacent... dites-le... ce moyen et je vous fais serment de l'employer!
—Je n'ai pas autant de génie que vous m'en prêtez, monsieur, mais je consens à entendre lecture de la pièce que vous m'apportiez... Voyons donc ce que vous me faisiez dire!
—A merveille! s'écria le Normand. Écoutez donc!
Et le baron Pottemain lut:
«Je soussignée, Pauline Marzet, baronne Pottemain, reconnais, déclare et certifie que, par le passé, ayant, dans un moment de folie et d'égarement, confié à un moine franciscain des pièces de nature à compromettre la sécurité de M. le baron Pottemain, mon époux, avec mission de déposer lesdites pièces entre les mains de la justice, je déteste cette action, la déclare artificieuse, mensongère, affirme sur l'honneur lesdites accusations de pure fantaisie et dénuées de tout fondement.
«En foi de quoi, librement et spontanément, j'ai signé la solennelle déclaration ci-dessus.»
Voilà tout, madame, et c'est au bout de ces quelques lignes, liquidant tout le passé entre nous que je requiers une dernière fois la signature de feu ma femme Pauline Marzet, baronne Pottemain!
—Mais si je la date, elle est nulle, puisque je suis réputée morte!
—Il ne m'est que trop facile de prouver que vous ne l'êtes pas!
—Sans doute, mais alors en signant, je crée une pièce attestant et prouvant ce que mon intérêt me commande de laisser dans l'oubli. Si je signe, il faut que je comparaisse, sous peine de faire attribuer ma déclaration à un faussaire... Personne ne croira, sans enquête, que je ne suis pas morte...
—Alors, s'écria Pottemain, il faut, moi, que je meure, parce que vous me refusez la vérité pour me sauver! Laissons, par supposition, marcher les choses... On m'allègue votre mort comme un crime de mon fait... On dit que je vous ai réduite, par désespoir, au suicide... Eh bien, je vous fais assigner comme témoin du contraire... Il vous faut, bon gré, mal gré, comparaître! Sous quel nom déposerez-vous? Pas sous le nom de Marguerite apparemment, puisque ce serait encore un faux! Je vous dis que j'ai songé à tout! Ce qui vous compromet le moins, ce qui ne vous compromet point, moi aidant, c'est un peu de complaisance pour ce baron Pottemain, qui vous a tout permis! Quand vous aurez sauvé sa tête, il sauvera la vôtre... Vous serez une femme séparée de fait, de mon consentement tacite, divorcée même si vous voulez... Et voilà tout!
—Oh! mon Dieu! murmura Pauline, en tombant à genoux, assistez-moi, inspirez-moi!
En ce moment, ils entendirent aboyer et un bruit de pas devint distinct.
Mais les pas traversèrent la cour, sans s'arrêter près de la maison du garde; ils semblaient se diriger vers le château.
La situation devenait critique et Pottemain sentit qu'il n'y avait plus une minute à perdre.
—Voyons, dit-il tout à coup en se levant et en allant vers Marguerite qui râlait, vous êtes positivement une folle! Je vous demande d'avoir pitié de vous-même... de ce pauvre enfant! Tenez, Pauline, ajouta-t-il en tirant son portefeuille de sa poche et en semant la couverture du berceau de billets de banque, avec la rapidité et la profusion d'un joueur qui donne les cartes, je ne vous traite pas en ennemie!... Voici de quoi faire à votre cher poupon une situation brillante, comparée au sort qui l'attend... si le sort le fait orphelin!...
—De l'argent? Votre argent? s'écria Marguerite en se relevant d'un bond. Ah! vous n'y pensez pas! Ni mentir! Ni me vendre! Vous avez tué votre première femme! Vous avez tué Pastouret! A présent, donnez-moi la mort! La mort! Je veux mourir! Je ne veux pas me déshonorer!
—Malheureuse! s'écria le baron au paroxysme de la fureur. Signe! signe! ou tu vas mourir!
Et il leva son revolver.
—Non! s'écria la jeune femme, en faisant au berceau de son enfant un rempart de son corps.
Le coup partit... Pauline s'affaissa.
Le Normand allait redoubler lorsqu'à cet instant même, la porte, fermée à clef, vola en éclats sous une pression formidable...
Jacques de Guermanton était là, debout dans la baie ouverte, et il ajustait Pottemain avec son fusil de chasse.
—Ah! misérable!... Des menaces!... des armes!... Encore du sang!... Et par ton fait!... Tiens!...
Le baron reçut la charge en pleine poitrine et presque à bout portant.
Il tomba sur la face; la mort fut instantanée.
Aussitôt Jacques bondit jusqu'aux pieds de Pauline évanouie.
L'enfant était intact, mais la balle de Pottemain était allée se loger dans le mur après avoir égratigné l'épaule de la jeune mère.
D'un coup d'œil rapide, M. de Guermanton reconstitua la scène.
Il vit les billets de banque épars sur le berceau, le revolver encore fumant au pied d'un meuble.
Il comprit le dilemme redoutable qui avait été posé par l'assassin à la pauvre jeune femme et replaça diligemment les valeurs dans le portefeuille du baron.
IV
Cependant la situation de la famille Darcy demeurait très critique et celle de M. de Guermanton, le généreux sauveur de Pauline, dictait les mesures les plus promptes.
La mort de Pottemain devait être déclarée à la justice avant tout ébruitement public.
Cette pensée traversait l'esprit de Jacques, dans le moment où un bruit de voiture attira son attention au dehors.
Jeanne de Guermanton mettait pied à terre au bas du perron et demandait son mari à Darcy, qui, revenu en même temps, venait de lui ouvrir la portière.
Raymond s'inclina profondément, puis offrit son bras à la nouvelle venue pour la conduire à l'appartement de son mari où il présumait retrouver Jacques.
Celui-ci l'ayant quitté à la rencontre du facteur rural pour venir terminer son courrier, devait être dans la pièce du rez-de-chaussée.
Ne le trouvant pas, il fit asseoir Mme de Guermanton et sortit pour chercher son ami.
Mais à peine fut-il dans la cour qu'un spectacle étrange frappa son regard.
M. de Guermanton apparut sur le seuil du pavillon du garde, tenant le petit Maurice dans ses bras et soutenant en même temps Mme Darcy.
A voir ces deux visages pâles et consternés, Raymond eut le pressentiment d'un malheur...
Il s'élança au devant d'eux...
—Mon ami, lui dit Jacques, ta chère femme et ton enfant viennent d'échapper à un grand danger. Rends grâces à Dieu!
Hors de lui, Darcy voulut pénétrer dans la chambre d'où sa femme et Jacques sortaient.
—Plus tard! dit-il. A présent, c'est impossible... Tu sauras pourquoi!
—Mme de Guermanton, que je n'avais pas l'honneur de connaître, dit alors Darcy, mais qui vient de se nommer en arrivant, descend à présent de voiture... Elle est au château... Elle t'attend.
—Jeanne! J'y cours! s'écria Jacques, bouleversé presque autant par cette arrivée inopportune que par l'explication qu'il devait à Darcy sur les dangers courus par sa femme et sur la présence d'un cadavre dans la chambre de celle-ci. Mais tu me promets de ne pas monter chez toi que je ne sois de retour?
—Oui... Je te le promets, si tu l'exiges. Mais pourquoi?
—Impossible de te répondre sur-le-champ. Patience!
Darcy s'adressa alors à Marguerite pour connaître la vérité.
Elle la lui dit en quatre phrases, sans aucune réticence cette fois. Raymond demeura atterré.
Cependant Jacques était épouvanté à la pensée de l'aveu qu'il avait à faire à sa femme et à son ami:
A Jeanne que Pauline était Marguerite, la compagne de son régisseur.
A Darcy que l'homme tué par lui, Jacques, n'était autre que le baron Pottemain, le premier et le véritable époux de Pauline Marzet.
Darcy le savait déjà; il savait que le courageux gentilhomme avait tué le baron dans le cas d'agression violente et de légitime défense.
Jacques pensa qu'il fallait brusquer les choses vis-à-vis de sa femme, à cause de la foncière jalousie que Pauline avait de tout temps inspirée à celle-ci.
—Ma chère Jeanne, lui dit-il d'une voix affectueuse, il y a dans la vie des faits extraordinaires auxquels la pensée a peine à s'habituer. Celui dont vous allez être témoin est du nombre. J'ai découvert,—sans oser vous l'écrire à cause du danger qu'il pouvait y avoir pour elle,—que Mme Darcy est Pauline Marzet, échappée tout à l'heure à la mort par un vrai miracle... Le baron, ayant été, je ne sais comment, informé de cette résurrection, est venu, ce matin même, ici, pour tuer sa femme!
—C'était presque naturel et légitime! dit Mme de Guermanton, à qui cette révélation ne donnait aucune sympathie pour les hôtes de Rouchamp.
—Néanmoins, et malgré l'excuse que vous trouvez pour Pottemain, dans cette tentative d'homicide avec préméditation sur la personne d'une femme seule et désarmée... le baron est mort... et de ma main! ajouta Jacques d'une voix distincte, mais profondément émue.
—De votre main, Jacques! s'écria Jeanne en se sentant défaillir. Mais c'est épouvantable!
—Oui, répondit M. de Guermanton. Dans quelques heures, la justice sera ici et je me serai constitué prisonnier... Ne craignez rien et repartez comme vous êtes venue... Vos chevaux sont encore là...
Mme de Guermanton courut à la fenêtre et jeta un coup d'œil rapide sur une jeune femme fort pâle, assise près de Darcy sur le seuil du pavillon.
Jeanne et Pauline, les yeux baissés, échangèrent de loin une inclination muette.
Puis Mme de Guermanton regarda son mari bien en face.
Il subit ce regard avec la tranquillité d'un homme sûr de lui, malgré sa profonde tristesse.
—Souffrez, Jacques, dit-elle, que, pour une fois, je vous résiste. Ce n'est pas alors que vous êtes exposé à une affliction semblable que je me sentirais capable de vous quitter. La place d'une épouse tendre et dévouée est aux côtés de son mari dans les jours d'épreuves! Je veux être ici, lorsque la justice y descendra... Je veux aller en prison si vous allez en prison.
—Tranquillisez-vous, Jeanne, ma brave Jeanne, répondit M. de Guermanton avec douceur. Je ne cours aucun danger sérieux. Pas un tribunal en France ne condamnerait un homme pour avoir tiré sur un assassin, afin de prévenir un assassinat!...
—Ce qu'un tribunal admettra peut-être plus difficilement, objecta Mme de Guermanton, c'est qu'une femme, imposteur et presque bigame, ait pu trouver un chevalier tel que vous!... On voudra savoir quel motif vous avez eu de vous intéresser à elle, à Darcy, avec qui elle a consenti à vivre en dehors des lois du mariage...
—On voudra savoir enfin, reprit Jacques, avec une légère nuance de dépit et d'ironie, si mon indulgence pour un malheur exceptionnel et pour une situation qui offre peu d'exemples, n'est pas dictée par un sentiment très vif pour la personne, cause première de tous ces malheurs...
—Pour quelle personne donc, monsieur? demanda Jeanne, l'œil étincelant.
—Eh! pour vous, ma pauvre Jeanne, si prompte à accueillir l'idée de marier Pauline au baron! Au surplus, je partage cette responsabilité avec vous et, par honneur comme par humanité, nous ne saurions trop faire pour réparer une pareille faute... Oui, sachez-le bien, si j'ai accueilli comme je l'ai fait la singulière union de Darcy avec une pauvre jeune femme, sans état civil à produire pour un mariage régulier, c'est que je dois tout, comme réparation d'honneur et restauration d'existence, à la chère victime de votre manie mariante, dont vous voilà, j'espère, guérie pour toujours!
Jeanne baissa la tête; le coup avait porté.
—Je crois bien comme vous, dit-elle, que, en attendant la régularisation de ce mariage, ma place serait plutôt à Nevers, par exemple, auprès des autorités, dont l'intervention va vous être utile, que dans cette habitation désolée.
—Eh bien, dit Jacques, nous partirons ensemble après les constatations et les confrontations nécessaires, vous pour la préfecture, où nous avons des amis, moi pour la prison, où vous viendrez me visiter dès qu'il sera possible!
Le reste de cette journée fut cruel pour tout le monde.
Jacques avait fait prévenir le parquet de Nevers et l'attendait de pied ferme.
De plus—dans une chambre de cette habitation solitaire—au milieu des gaietés de la grande nature, avec du soleil, avec des chants d'oiseaux dans tous les buissons du voisinage, il y avait un cadavre!
Le silence de mort qui plana sur le domaine toute cette journée était le silence menaçant qui précède l'orage.
Profonde était la tristesse des maîtres du château. Mais la douleur de Raymond tenait du désespoir.
Si par respect pour Jacques, il en maîtrisait l'éclat, soutenu qu'il était par le souvenir des bontés délicates de son ami pour Pauline et pour lui-même, il ressentait avec une égale force ce qu'il appelait la perfidie de la fausse Marguerite et la terrible et humiliante épreuve qui en avait été la conséquence inattendue.
Il se disait enfin:
—Sans moi, sans l'espèce de malédiction attachée à mes pas, Jacques n'aurait jamais été dans le cas de devenir homicide et d'aller en prison comme un vulgaire assassin!
La force des choses le fit se retourner contre sa compagne, dont il condamnait à présent les réticences avec une profonde indignation.
La malheureuse n'avait cessé de s'y attendre depuis le meurtre du baron...
Si Darcy avait plus tardé, c'est Pauline qui aurait provoqué l'explication.
Depuis la catastrophe, ils ne s'étaient pas encore trouvés, sans témoins, en face l'un de l'autre.
Raymond éloigna tout à coup la jeune fille qui les servait habituellement, sous le prétexte de la mettre aux ordres de Mme de Guermanton, et il se trouva seul enfin vis-à-vis de sa compagne et de son enfant...
V
Inconscient et gai, le petit Maurice, étendu à terre sur une natte, jouait avec un jeune chat en roulant devant lui une boule de papier au bout d'un fil, lorsque Raymond dit à Marguerite d'une voix contenue:
—Il y a une chose que je ne comprendrai jamais et que je ne saurais te pardonner: c'est que, vis-à-vis de moi—à qui, j'imagine, tu n'as jamais eu à adresser un reproche—tu aies pu garder un secret duquel dépendaient mon repos et même aussi ton bonheur! L'amour et la confiance que je t'ai témoignés ne t'ordonnaient-ils pas de m'avouer ta position dès le jour où nous nous sommes rencontrés? Pour moi, je te le dis, si j'avais eu un pareil passé sur la conscience, dès ce jour, où un soir d'octobre, sur la butte Montmartre, je t'offris mon pain et l'abri de mon toit, je t'aurais tout dit!... Et alors notre position mutuelle était pour toujours éclaircie! Ce n'est naturellement pas ici, chez un loyal et bon ami, il est vrai, mais chez un voisin de campagne du baron, ce n'est pas à Rouchamp que j'aurais cherché des occupations et un asile... Oui, il y a là dans ta conduite quelque chose d'outrageant pour mon caractère et d'odieux pour le tien!
Celle qui avait été Pauline Marzet sanglotait en écoutant ce reproche, mais elle n'interrompit pas Raymond une seule fois.
—Jamais, mon ami, dit-elle enfin, tu ne me feras autant de reproches que je m'en adresse à moi-même! Je suis malheureuse... bien malheureuse! Écoute cependant et tu me diras après, si je dois te délivrer, dans l'avenir, du fardeau insupportable de ma compagnie, à supposer que les tribunaux ne m'envoient pas dans une prison pour le reste de mes jours!... J'ai pressenti tout ce qui arrive! Je ne sais quelle folle confiance dans la bonté divine m'a toujours laissé l'espoir de me soustraire à cette horrible destinée. J'ai cru que peut-être le malheur m'oublierait... Connais, mon ami, toute l'horreur des secrètes épouvantes qui m'ont assiégée depuis ma mort imaginaire... Tu verras si j'ai assez expié mon imprudence! Oui, là-haut, sur le sommet de cette butte Montmartre, au moment où j'allais prendre congé de toi, en songeant que peut-être je n'aurais pas la force de continuer seule mon étape dans le désert de Paris, je fus sur le point de tout dire!... Mais la peur... Oui, une effroyable peur me prit à la gorge et étouffa un aveu prêt à m'échapper!... Toi, tu m'avais tout dit sur ton passé, bravant jusqu'à une sorte de ridicule sur lequel tu n'avais pas craint d'insister, te riant pour ainsi dire de la nécessité qui, d'un écrivain distingué comme toi, avait fait un pauvre petit employé d'assurances!... Et moi?... Eh bien, je le répète, la peur me domina! J'avais vu dans l'Inde des tigres, des serpents, des thugs! Je n'avais pas rencontré ce spectre de la justice occidentale qui ne laisse à la femme mariée avec un scélérat d'autre alternative que de se déshonorer dans le scandale d'un procès en séparation ou en divorce,—ou de mourir! J'avais choisi la mort, sans avoir le courage de me la donner!... Je fus lâche en te le cachant, parce qu'il me semblait que tout confident viendrait bon gré mal gré à me trahir et à me ramener ainsi, même à son corps défendant, sous le joug odieux que j'avais brisé! Raymond, pensais-je, ne le dira pas, mais cela lui échappera peut-être sous le coup de quelque menace inattendue! Les hommes ne comprennent pas la peur! Je le vois bien à la sévérité de ton visage... Tu me trouves lâche, et tu as raison! Mais, si je le fus, le premier jour de notre rapprochement, juge combien je dus le devenir davantage, quand tes prévenances et ton admirable dévouement me firent connaître tout le prix de ce que je perdrais en perdant ton amour par l'aveu de mon crime! Que serait-il alors advenu de moi, pauvre ressuscitée, si tu avais su mon rôle dans la comédie que j'ai jouée? Tu m'aurais méprisée peut-être, comme tu me méprises à présent! Et songe que j'ai acheté, par mon silence coupable, une année de bonheur!
Plus Pauline parlait, plus l'agitation fébrile de Raymond devenait cruelle.
Pauline, le croyant attendri, presque gagné, poursuivit:
—Il te faut bien comprendre, Raymond, que l'on n'est pas tout d'une pièce, surtout quand on est femme! J'étais heureuse quand tu parvenais, par tes soins, à me faire oublier qui j'étais... Et je l'oubliais souvent! Penses-tu qu'une fille perdue—ce que je ne suis pas, Dieu merci!—ne se sente pas un peu transfigurée lorsqu'un homme de valeur et de mérite, abusé par je ne sais quelle apparence, la traite comme une femme honnête et lui parle la langue des sentiments qu'elle a perdus? Eh bien, quand tu me disais: «Marguerite, je t'aime!» il me semblait que Pauline était bien positivement morte et que j'étais une autre ou une nouvelle femme! Mais tu pleures, mon pauvre Raymond... Ce que je te dis là n'est donc pas trop absurde? Enfin, je ne sais rien de mieux, moi, et je te dis tout uniment la vérité!... Je dois te rappeler aussi, Raymond, avec quelle insistance je te parlais à Paris de mon désir d'aller en Amérique avec toi... C'était toujours pour fuir mon spectre et jeter l'Océan entre nous et lui. Si nous avions fait cela, nous aurions tout évité... Mais survint ton ami Jacques de Guermanton et nous fûmes perdus! Je fus alors très près de te dire que je le connaissais depuis longtemps. Mais le souvenir même que j'avais conservé de ses habitudes me promettait qu'il ne mettrait pas deux fois dans sa vie les pieds à Rouchamp... D'ailleurs, du moment qu'il m'avait reconnue et qu'il gardait le silence, qu'il redoublait même d'instances pour nous envoyer en Nivernais, je me figurais qu'il voulait, sans rien dire, m'aider à demeurer Marguerite... N'avait-il pas assez fait pour mon malheur en me mariant au baron pour souhaiter de me faire une vie meilleure? Enfin ce n'est pas lui qui a livré mon secret, c'est le Destin! Si l'infortuné dont le sang a coulé ce matin, n'avait eu d'autre guide que M. de Guermanton pour trouver ma retraite, il n'aurait jamais su si je vivais encore seulement! Ah! cela, je le sais, car il m'est arrivé, quand j'étais institutrice, de faire à mon hôte d'autrefois, à ton ami, d'insignifiants aveux... Et jamais ils n'ont été répétés par lui, même à sa femme! C'est l'homme le plus sûr, comme le plus brave qui existe! Il n'y a point à se défier de lui! Raymond, malgré l'horreur des afflictions que je fais peser aujourd'hui sur toi, comme sur lui, ne me pardonneras-tu pas, comme lui m'a pardonné déjà?
—Le rôle de Jacques et le mien sont assez différents, répondit avec accablement Raymond Darcy. A supposer que je pardonne à Marguerite la dissimulation de Pauline, comment lui pardonner la tragédie où mon ami et sa famille se trouvent mêlés, en récompense de leurs bienfaits? Et moi-même enfin, de quel droit m'as-tu précipité dans la complicité d'un crime que j'ai ignoré jusqu'à la dernière minute? Tu m'as bien dit, il y a quelque temps, que tu étais une femme mariée, fugitive du toit conjugal, et je ne t'en ai pas voulu... Mais... une femme passant pour morte et pouvant devenir le pivot d'un scandale gigantesque!... Ah! je suis trop injustement malheureux! Je ne puis te pardonner, je ne sais plus seulement si je t'aime! Il y a des épreuves qui surmontent l'intelligence et le cœur.
—Qui donc aimera l'enfant que voici? demanda la jeune mère en désignant le petit Maurice heureux et insouciant. Qui donc prendra soin de lui si je disparais, broyée par la meule de la justice criminelle? Faudra-t-il qu'il souffre et qu'il meure, lui qui n'a point demandé à naître et qui est entré dans la vie sur la foi de ton amour? A-t-il un état civil? A-t-il des droits? Il n'a rien que ce qu'il attend du cœur de son père... Et si ce cœur se ferme pour moi, que lui restera-t-il? Une pitié négligente, ou, qui plus est, une aversion secrète. Il vaudrait mieux pour lui, alors, que la balle du baron, au lieu de m'écorcher l'épaule, l'eût atteint en plein cœur!
—Autre chose est, dit Raymond attendri, de te pardonner une action plus qu'étrange et d'abandonner un pauvre enfant qui est le mien autant que le tien! Lui, pourra toujours compter sur son père! Mais, je te le dis sans emportement comme sans faiblesse, je partagerai courageusement tes épreuves jusqu'au jour où la justice aura prononcé ton arrêt! Si elle t'innocente, tu souffriras que je cherche dans une obscurité lointaine l'adoucissement, sinon l'oubli de ce que tu m'as fait souffrir! Tu es pour moi la déception vivante du sentiment le plus fort et le plus profond que j'aie jamais ressenti! Tu n'as jamais partagé ce sentiment dans sa plénitude, et cela est affreux à penser! Tu m'as trompé, en fin de compte, et par là, tu nous as perdus tous deux!...
Là-dessus, Raymond se leva et sortit sans prendre garde au désespoir de Pauline, qui, froide en apparence comme une pierre, le suivit des yeux pour articuler ensuite ces seules paroles:
—Adieu la vie! adieu le bonheur!
De sa modeste demeure, Darcy passa au château et demanda à entretenir un moment M. de Guermanton.
Jacques parut, triste, sévère, mais voulant sourire quand même à son vieux camarade malheureux.
—Mon ami, lui dit Raymond, je ne demande pas à voir Mme de Guermanton. Mon seul aspect redoublerait sa peine qu'au surplus je partage, et au delà! Mais j'ai voulu te dire ceci: Le moins que je te doive, après t'avoir entraîné malgré moi et sans m'en douter dans les spirales d'un véritable enfer, est de t'annoncer que, à compter du moment où la justice aura statué sur nous, je cesserai d'administrer ce domaine. Ma présence à Rouchamp a toujours été un non-sens. J'avais consenti à y amener un ménage irrégulier, croyant que, dans cette Thébaïde, je ne gênais et je ne compromettais personne... Mais si j'avais pu penser que j'y amenais le malheur pour nous tous, j'aurais porté ailleurs mes tristes pénates! Il me reste à te remercier de tes infinies bontés, à t'offrir ma vie en échange du sacrifice irréfléchi qu'en vieux soldat, tu m'as fait ce matin de la tienne, en sauvant ma femme et mon enfant! Cherche et tu trouveras aisément un régisseur exempt des chaînes que je porte et des foudres qui me poursuivent! Il ne manque pas de gens honnêtes ayant un état civil en ordre et une situation régulière! L'important pour toi est de pouvoir oublier que tu as jamais eu un ami tel que moi, ami aussi funeste que le plus cruel des ennemis!
—J'avoue, dit Jacques, que notre situation présente est terrible! Je reconnais que l'aveu de Pauline aurait pu nous permettre de nous armer contre l'éventualité qui nous a tous pris au dépourvu. Mais calculons les suites probables de cet événement. Il est invraisemblable que mon action demeure suspecte à un jury composé d'hommes, qui, après tout, auraient fait ce que j'ai fait moi-même. J'espère donc un acquittement pur et simple. Quant à toi, il te sera facile de démontrer que tu ignorais le passé de la compagne, puisqu'elle-même reconnaît, j'imagine, ne t'en avoir jamais rien dit... Tu l'as recueillie, tu lui as servi de famille, tu lui en as donné une... Il n'y a rien là qui puisse te rendre passible des sévérités de la loi. Eusses-tu ravi cette femme à un époux jaloux de la faire rentrer au domicile conjugal, ta compromission n'excéderait pas la pénalité de l'adultère. Mais il se trouve que le mari fait défaut par la mort et qu'il n'a jamais tenté de retrouver Pauline, de la reprendre, ni de se venger! Il a voulu lui extorquer une pièce qui pût le décharger des accusations portées contre lui. Elle s'y est refusée, alors il s'est livré à la violence de ses emportements... Ma triste exécution a pu seule l'arrêter. C'est donc Pauline seule qui portera tout le poids de cette lamentable affaire. Elle ne pourra captiver l'indulgence des juges que par l'odieux de la conduite du baron. Espérons quelle y réussira! Alors elle sortirait sauve du piège qu'elle s'est tendu à elle-même en fuyant Pottemain sous un nom supposé et en formant de nouveaux liens. Ou bien l'expiation serait sévère... Dans le premier cas, j'admets que vous fuyiez ensemble ces lieux remplis d'un cruel souvenir... Dans le second...
—Dans le premier cas, Jacques, interrompit Raymond, j'ai résolu de ne jamais revoir Pauline. Dans le second, le courage me faillirait pour terminer seul ici mes jours...
—Tu veux quitter la pauvre Pauline? Tu ne la trouves pas assez malheureuse?
—J'ai dit, Jacques! Tout est fini désormais entre elle et moi!...
—Ah! l'humanité est égoïste et implacable! J'ai eu tort de te considérer jusqu'à un certain point exempt de ces faiblesses... Eh bien, Raymond, laisse-moi te dire qu'en ceci je suis peut-être meilleur que toi! Le sentiment d'avoir consenti à l'union de Pauline Marzet, qui était l'institutrice et la seconde mère de mes enfants et qui fut toujours digne de cette œuvre, trouble tellement ma conscience, que, dussé-je, au prix de mon repos, travailler à sa réhabilitation le reste de mes jours, je ne saurais hésiter une heure... Tu n'as, il est vrai, envers elle, aucun tort à te reprocher, mais tu lui as marqué une tendresse fort différente de la mienne et j'ai peine à croire que tu puisses jamais l'oublier!...
—J'en mourrai, voilà tout! dit Raymond éperdu.
—Vis donc et sois généreux, Darcy! Tu trouveras là une satisfaction plus profonde et meilleure! Que tu me quittes, je le comprends encore! Mais qu'elle, tu la quittes, lorsque tu peux concevoir, jusqu'à un certain point, selon le verdict que rendront les tribunaux, la possibilité de l'épouser et de sauver l'avenir de ton fils Maurice, voilà ce que réprouverait l'honneur! Et tu m'as appris à avoir confiance en ton honneur!
Raymond, ébranlé, secouait la tête.
Enfin, par un élan digne de Jacques, digne de Raymond lui-même, l'infortuné se jeta en pleurant dans les bras de son ami:
—Tu m'apprends, lui dit-il enfin, quand il put parler, ce que signifie ce grand mot conspué et incompris aujourd'hui: un gentilhomme!
La justice fit le lendemain une descente à Rouchamp.
VI
Du vicomte Hercule de Charaintru à M. Romagny, artiste sculpteur.
«Mon cher vieux,
«Je suis embêté, mais là tout ce qu'il y a de plus embêté!
«Je suis au fond de la France, à Montpellier, où je suis venu chercher la succession d'un mien oncle, que je connaissais à peine.
«Ce n'est pas ça qui m'embête, je m'empresse de te le dire.
«Mais je viens de lire dans les feuilles le détail d'un drame épouvantable qui vient de se passer à Rouchamp, dont sont les héros plusieurs de nos anciennes connaissances.
«Or, j'ai peur d'avoir été (avec ma sacrée habitude de mettre toujours les pieds dans le plat!) d'avoir été la cause indirecte de la catastrophe qui a amené la mort de l'exécrable Pottemain, d'autant plus peur que cela me paraît être aussi l'avis de la justice, puisque je viens de recevoir un mandat de comparution émanant du parquet de Nevers.
«Et c'est cela justement qui m'embête.
«Si je ne m'abuse, tu as joué aussi dans toute cette affaire un premier rôle et il est à croire que la justice va également s'offrir le plaisir de procéder à ton interrogatoire.
«Tu as connu intimement les deux baronnes Pottemain, jolies connaissances que tu as eues là et par mon intermédiaire, hélas! La première châtelaine a été interprétée par toi sur son tombeau et tu as dû avoir ses confidences éplorées...
«Tu as eu également celles de la seconde, car tu ne peux avoir oublié une certaine nuit, pendant laquelle tu me fis contracter un horrible coryza, en remplissant un rôle de comparse à propos d'une risible querelle...
«Je n'y reviens pas... Tu favorisais, cette nuit-là, l'évasion de la seconde baronne, en train, non de mourir, comme elle nous le fit croire, mais de tromper son mari (ainsi que les événements récents viennent de le prouver), chose sur laquelle je souhaite que tu n'aies pas à t'expliquer devant la justice!
«Mais ta destinée était, paraît-il, de servir de Don Quichotte à toutes les châtelaines de Bois-Peillot, présentes et à venir!
«Il n'y en aura plus heureusement!
«Tu vois que j'ai très bonne mémoire et qu'en voilà assez pour justifier ta comparution devant le juge d'instruction de Nevers.
«Or, de tout cela, que raconteras-tu? Quelle attitude garderas-tu?
«Nous aurons à déposer sur les mêmes choses... Il serait bon que nous ne nous contredisions pas...
«Or, si j'arrive après ton départ—car tu ne t'éterniseras pas en Nivernais et je ne puis partir d'ici avant quinze jours—je suis exposé, ne m'étant pas entendu préalablement avec toi, à passer pour un niais ou un menteur, si ma déposition n'est pas conforme à la tienne.
«Dois-je donc cacher ou avouer que c'est grâce à une indiscrétion de moi que Pottemain a connu la retraite de Pauline?
«Cet aveu peut-il être pour moi une source d'ennuis et de complications?
«Serait-il nuisible ou utile aux inculpés, qui, en fin de compte, me semblent mille fois plus intéressants que le défunt?
«Bref, autant de questions à propos desquelles je voudrais ton avis avant de comparaître, mais puisque tu es plus à même que moi de te faire une idée là-dessus et que je ne puis te voir, je vais tout uniment te raconter ce que je compte dire.
«Tu me répondras ensuite en me faisant la leçon sur ce que je dois taire et sur ce que je dois avouer, aussi bien dans notre intérêt commun que dans celui de la cause de ce pauvre Guermanton qui, à l'heure qu'il est, doit être encore plus embêté que moi!
«Je croyais de bonne foi Pauline Marzet suicidée, lorsque l'hiver dernier je me trouvai face à face avec elle place Saint-Sulpice.
«Profondément étonné d'une semblable rencontre et voulant en avoir le cœur net, je la suivis jusqu'à sa maison, j'interrogeai la concierge et j'appris qu'elle était connue dans cet immeuble sous le nom de Mme Darcy.
«Fidèle à ma vieille habitude de franchise, je ne jugeai pas à propos de faire mystère de cette aventure.
«Je la racontai à toi d'abord—et tu en profitas, sournois que tu étais, pour te ficher de moi!—puis à ce bon Guermanton que je rencontrai quelque temps après, où il était venu pour voir ses enfants en pension.
«Jacques haussa les épaules.
«Je jugeai ou qu'il ne me croyait pas, ou que j'avais mis dans le mille...
«Car il pouvait y avoir eu et y avoir encore une intrigue entre son ancienne institutrice et lui, puisqu'il l'avait dotée...
«Crois bien, mon cher Romagny, que je ne l'accuse de rien positivement. Car enfin, c'était son droit! Mais où l'affaire me sembla louche tout à fait et où j'acquis la certitude que je ne m'étais pas trompé en reconnaissant Pauline Marzet dans l'inconnue de la rue de Vaugirard, c'est lorsque de Guermanton me présenta naïvement qui?... Devine un peu!
«Darcy en personne!
«Il ne pouvait plus y avoir de doute, mais, craignant de désobliger Jacques, je ne lui fis pas part de ma conviction.
«Du reste, je ne le revis plus depuis ce jour-là.
«Les semaines passent.
«Je reçois un beau matin la visite du baron Pottemain, qui m'emmène dîner...
«Et je me laisse aller à lui conter tout du long ma petite histoire!
«Toujours ma manie de mettre continuellement et sans réfléchir les pieds dans le plat!
«C'était évidemment ce qu'il attendait, car je n'avais pas lâché le nom et l'adresse de Darcy que mon bonhomme se levait et partait comme une flèche!
«Ceci se passait la veille de mon départ pour Montpellier.
«J'arrive ici bien tranquille et, trois jours après, les journaux m'apprennent les résultats de mon indiscrétion...
«Il paraît que cet exécrable baron était à ce moment sous le coup d'un mandat d'amener, lancé par le procureur même qui trouvait si bons autrefois ses faisans truffés, quand le châtelain de Bois-Peillot recevait à table ouverte la haute société du département!
«Or, ma confidence pouvait le sauver peut-être... puisqu'il fila d'un trait, paraît-il, rue de Vaugirard et de là à Rouchamp où Pauline Marzet vivait tranquillement et maritalement avec le Darcy en question...
«Tu connais la suite mieux que moi sans doute.
«Somme toute, je n'ai pas grande inquiétude pour Jacques, qui peut alléguer le cas de légitime défense, puisqu'il abattit Pottemain, au moment où il tirait sur l'ex-baronne, qu'il avait déjà blessée.
«Quant à la situation de la veuve, elle me paraît moins bonne.
«Elle a échappé au mariage par une mort simulée et elle passe pour avoir eu un enfant depuis son évasion, soit de l'homme d'affaires de Rouchamp, soit de...
«Mais, toutes réflexions faites, je n'achève pas; ce serait mettre encore—peut-être—les pieds dans le plat et cela me réussit trop peu depuis quelque temps!
«Tu dois comprendre maintenant pourquoi je suis si fort embêté!
«Résumons, si tu veux, nos situations respectives.
«Toi, tu es complice de la mort simulée, sinon de l'adultère de Pauline, puisque tu as favorisé ses manigances extra-conjugales, lors de ton séjour à Bois-Peillot. Tu n'as même pas craint de m'y faire jouer un rôle de complaisant! Mais j'ignore encore ton degré de complicité, car tu m'en as toujours fait mystère!...
«Moi, je suis la cause du dénouement puisque c'est moi qui ai révélé et l'existence et la retraite de Pauline au nommé Pottemain.
«Ai-je bien fait, Seigneur?
«C'est la vérité. Dois-je la proclamer?
«Tu comprends dès lors à merveille qu'il faut que nous nous entendions!
«De Paris ou de Nevers, selon que cette lettre te parvienne à l'un ou à l'autre de ces deux endroits, réponds-moi poste pour poste et dis-moi tout ce que tu sais. J'ai l'âme toute bouleversée... Je suis très, très embêté...»
Vte H. de Charaintru.
De Romagny au vicomte Hercule de Charaintru.
«Mon cher ami,
«Je te réponds de Nevers où, ainsi que tu l'avais deviné, je suis appelé comme témoin, et où tu vas forcément me retrouver, puisque le juge d'instruction t'y attend et que je compte, moi, prolonger mon séjour dans la capitale du Nivernais.
«J'excuse le désordre de tes idées par la vivacité de tes émotions.
«Mais ce désordre est complet, je me hâte de le dire.
«Tes craintes sont superflues. Tu ne seras pas inquiété, ni moi non plus.
«Et même, il n'est pas sûr qu'on ne t'adresse pas de compliments ou de remerciements pour avoir mis, cette fois, les pieds dans le plat... maintenant surtout que cela a bien tourné.
«Ton indiscrétion aura servi à purger la terre d'un coquin, à dénouer une situation scabreuse et peut-être à faire deux heureux!
«En effet, il ressort déjà de l'instruction que la première baronne a été empoisonnée et que l'intendant Pastouret a été supprimé par le baron, à cause de sa connaissance trop parfaite des faits et gestes de son maître...
«Ceci est confirmé par moi et il appert également de ma déposition que la seconde baronne n'a connu ces détails, assez effroyables, qu'une fois mariée, trop tard par conséquent pour se dédire!...
«De là, sa résolution désespérée et les conséquences qui en découlèrent...
«Quant à ce que tu vois de louche dans les relations de M. de Guermanton avec Pauline Marzet, cela est de pure imagination de ta part.
«Je sais de source certaine, moi qui favorisai l'absence de la baronne pendant toute une nuit, qu'elle n'allait à aucun rendez-vous amoureux.
«Si je ne t'ai pas dit alors où elle allait, c'est que je l'ignorais moi-même.
«Quand je l'ai soupçonné, le seul honneur m'interdisait de le répéter.
«Je suis, comme toi, fort rassuré sur le sort de notre ami Guermanton.
«Mais je le suis également sur celui de la fausse Marguerite.
«Je le suis, parce que j'ai consulté un homme spécial, qui n'est autre que son avocat, jurisconsulte distingué et bâtonnier de l'ordre au barreau de Nevers.
«Tu me dispenseras de reproduire ici sa petite conférence à ce sujet.
«Donc, cesse d'avoir peur et ne sois plus embêté...
«Quand tu comparaîtras devant le juge, tu n'auras qu'à faire comme moi, dire tout uniment la vérité vraie, ce que tu as vu, dit et fait, dans tes rares entrevues avec les acteurs du drame de Rouchamp.
«Les faits, rien que des faits!
«Pas d'hypothèses, ni de déductions!
«Tu sortiras de là aussi blanc que ta chemise, bien que tu aies en somme causé la mort d'un homme, et Marguerite épousera Darcy...
«Ils continueront à vivre très heureux, plus heureux que jamais et ils auront beaucoup d'enfants!...
«Sur ce, à toi, mon vieux, et à bientôt.»
Romagny.
FIN
Paris.—PAUL DUPONT, 4, rue du Bouloi (Cl.) 61.11.93.
Au lecteur
Les erreurs clairement introduites par le typographe ont été corrigées.
La ponctuation d'origine a été conservée et n'a pas été harmonisée.
L'orthographe a été conservée. Seuls quelques mots ont été modifiés. Ils sont soulignés par des pointillés. Positionner la souris sur le mot souligné en pointillés pour visualiser l'orthographe initiale. La liste des modifications se trouve ci-dessous.
Liste des modifications
Page 64: "saurions" a été remplacé par "serions" (L'inventeur serait difficile à trouver, car alors nous ne serions là ni les uns ni les autres).
Page 70: "ramelles" a été remplacé par "ramilles" (les arbres, qui semblaient avec leurs ramilles d'argent mat sur le fin azur du ciel).
Page 137: "était" a été ajouté (répéta Jacques d'un ton bref et sévère qui ne lui était pas habituel).
Page 202: "Romagny" a été remplacé par "Pottemain" (Mais, demanda Pottemain, cette femme qui vous parlait).
Page 204: "de" a été changé en "du" (je ne fus pas étonné du tout).
Page 206: "à" a été ajouté (Il était navré d'avoir été laissé à l'écart).
Page 226: "réduis" a été remplacé par "réduit" (j'en fus réduit à façonner).
Page 234: "échant" a été remplacé par "échéant" (procurer, le cas échéant, des leçons de piano).
Page 261: "qui" a été remplacé par "qu'" (lui fit tout au moins penser qu'à l'exemple de Romagny, Jacques se moquait de lui).
Page 270: "les" a été ajouté (rayon de bon vouloir et de consolation dans les yeux et sur les lèvres).
Page 278: "affecté" a été changé par "affectée" (l'attitude louche qu'avait affectée Romagny à son égard).
Page 281: "chef-œuvre" a été remplacé par "chef-d'œuvre" (Romagny était un chef-d'œuvre, car il se mit).
Page 287: "qui" a été changé par "qu'il" (car qui m'assure qu'il les avait sur lui).
Page 290: "conclut-t-il" a été remplacé par "conclut-il" (Mais n'importe, conclut-il, je donnerais).
Page 306: "une" a été ajouté (dame seule arrivant dans une gare étrangère).
Page 319: "lorsque'à" a été remplacé par "lorsqu'à" (Le Normand allait redoubler lorsqu'à cet instant).
Page 339: "fiche" a été remplacé par "ficher" (sournois que tu étais, pour te ficher de moi).