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Bellefleur: Roman d'un comédien au XVIIe siècle

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XVII
LA BATONNADE SCAPIN

M'étant remis en route après cela le lendemain, la chaleur du jour m'engagea au bout de quelque temps à rechercher l'ombre d'un couvert. Je pris en conséquence un sentier détourné de la route qui, s'enfonçant insensiblement parmi des bosquets fort touffus, me conduisit dans une solitude si délicieuse que je balançai un moment si, renonçant pour l'heure à pousser plus loin mon voyage, je ne descendrais pas de cheval, pour me livrer sur ces gazons épais aux douceurs du repos. On n'entendait que le bruit des oiseaux; un lent et doux zéphyr agitait les feuilles des arbres et chatouillait mon cœur d'une certaine peine, douce et tendre, qui paraissait l'atmosphère même de ces beaux lieux confidents.

Dans le moment que je considérais un spectacle si charmant, j'aperçus, au bout d'une allée, une petite maison que l'art et la nature semblaient s'être, de concert, étudiés à rendre agréable. Je fus si transporté de cette vue, que je me délibérai aussitôt de m'avancer vers ce bâtiment, jugeant qu'il ne pouvait être que la demeure d'un honnête homme, et qu'il fallait, pour l'avoir choisie, un mérite extraordinaire.

Cependant, comme j'étais descendu de cheval et que je faisais quelques pas dans l'avenue, je vis bientôt venir à moi une jeune personne qui me parut moins une mortelle qu'une divinité. Sans être grande, elle avait dans son port toute la majesté qu'on peut souhaiter chez une princesse, et sa façon de marcher était si belle et si fière, que l'on pensait qu'elle exécutât quelque pas de danse quand seulement elle foulait d'un pied léger l'herbe fleurie des prairies. M'étant approché pour la saluer, je vis qu'elle avait le plus beau teint, une bouche incarnate, le nez fait sur le modèle des Grâces, avec sur tout cela des yeux bleus et si doux, qu'ils donnaient à l'esprit la saveur que le goût trouve au miel. L'éclat du soleil l'avait contrainte de couvrir d'une paille rustique ses cheveux, les plus blonds du monde, et elle portait en ses mains, parfaitement belles et aussi jolies que si on les avait faites exprès, un bouquet de fleurs des champs qui avaient bien la mine, encore qu'elle vînt de les cueillir, d'avoir moins de fraîcheur que le coloris de ses joues.

—Je vois bien, madame, lui dis-je, que ma présence dans ce jardin est fâcheuse, et je vous prie d'excuser, là-dessus, mon incivilité; mais, appelé chez un gentilhomme de ce pays pour une affaire qui n'est pas de grande conséquence, je me suis égaré durant la chaleur et laissé entraîner ensuite par l'envie de me mettre à l'ombre et la tentation de ces arbres si frais. Souffrez cependant, madame, que je vous exprime mon ravissement d'une rencontre aussi agréable. N'imaginez pas qu'en parlant ainsi j'ai dessein de vous offenser, mais considérez, au contraire, qu'un aveu si dépouillé d'artifice et peut-être si prompt marque assez le désordre de mes esprits et la confusion de mes sens.

La belle, à ces mots, montrant une rougeur nouvelle, fit un mouvement pour fuir et, en même temps, elle laissa échapper les fleurs qu'elle tenait entre ses bras; me précipitant pour les ramasser, je les tendis à cette nymphe en m'écriant:

—Madame, si je n'ai point été le maître du sentiment qui m'a fait parler, je serais au désespoir qu'il vous ait paru moins respectueux que l'embarras qui y succède et que, jusqu'ici, je n'avais jamais ressenti.

Je ne voudrais pas jurer et encore moins gager qu'une déclaration si précieuse ne fût pas, dans mon souvenir, fournie par la mémoire d'un rôle autrefois débité devant les chandelles; mais, pour nous autres comédiens, la fiction se mêle si étroitement à la réalité, qu'il n'y a rien qui ressemble chez nous davantage à la passion qu'une phrase bien déclamée, ni à la vertu qu'une tirade bien apprise. J'aurais peut-être poursuivi ce discours singulier, si cette jeune personne ne m'avait répondu avec beaucoup de modestie qu'en changeant de propos je lui montrerais, mieux que par toutes les protestations, que j'étais mortifié de l'avoir chagrinée.

Comme elle achevait ces paroles, un tendre incarnat vint, encore une fois, rehausser la blancheur de son visage; mais le regard qu'elle me jeta faisait paraître assez qu'elle ne m'en voulait pas de l'avoir provoqué. Après cela, elle me demanda, sans doute par manière de contenance, quel était ce gentilhomme chez qui j'allais et le nom de sa terre, parce qu'elle connaissait bien le pays tout à la ronde et qu'elle m'indiquerait le chemin puisque je l'avais perdu.

—Madame, lui répondis-je, le seigneur que je dois voir se nomme M. de La Maisonfort, et le château qu'il habite est du nom de Rochefitte, que ce cavalier prit autrefois pour suivre à l'armée le roi en Flandre.

La belle fit un ris malin et m'apprit que j'étais à la vérité assez éloigné du but de mon voyage, mais qu'en suivant un chemin dérobé qu'elle m'enseignerait je parviendrais assez rapidement chez M. de La Maisonfort, et qu'au surplus je rencontrerais beaucoup de cavaliers sur cette même route, parce qu'il y avait une fête au château de Rochefitte et qu'on y donnait la comédie, avec les violons, parce que Mlle de La Maisonfort devait épouser bientôt M. le marquis des Guirandières, que c'était une affaire faite et qu'il n'y avait plus à revenir là-dessus.

Elle cessa de parler en disant cela et laissa paraître un peu d'ennui, qui se traduisit par des soupirs et quelques pleurs venant humecter sa paupière. Il ne me fut pas malaisé de comprendre qu'elle prenait quelque part à ce prochain hyménée, et je jugeai aussitôt que ce marquis, trop fortuné et sans doute infidèle pour une autre, était l'objet de ces regrets et la source de ces larmes.

Plein de tristesse et dévoré de jalousie, comme si j'avais sujet d'avoir l'une et l'autre, j'allai délier la bride de mon cheval, qui était attaché à un arbre, et je pris congé de la belle mystérieuse avec une précipitation où le souvenir du marquis entrait pour quelque chose.

Après avoir fait plusieurs détours par des sentiers qui me parurent un second labyrinthe, j'arrivai devant un château d'une belle apparence, et qui était tellement illuminé à l'intérieur, que la quantité de feux qui sortaient par ses fenêtres forçaient à reculer jusqu'au fond des bosquets les ombres de la nuit. Un agréable concert de violons et de luths se faisait entendre et l'on devinait bien, aux bruits des vaisselles agitées dans les cuisines et aux fumets succulents qui s'en échappaient, que l'estomac n'aurait pas moins de part aux réjouissances qui se préparaient que les oreilles et les yeux.

Sitôt que je me fus fait connaître à M. de La Maisonfort pour le comédien qui venait aider des lumières de son art les personnes de qualité disposées à se donner le plaisir de paraître en public, à la manière des baladins, ce seigneur me mena avec de grands éclats de joie dans une salle magnifiquement préparée, où l'on avait élevé une estrade pour jouer la farce de Scapin, et où je vis un gros gentilhomme déjà habillé du long pourpoint de Géronte, et qui faisait le bouffon et le vieillard avec des mines comme s'il eût eu besoin de cela pour paraître les deux. Mais que devins-je en apercevant auprès de lui ma divinité du jardin et en apprenant à des signes certains que ce comédien de fortune n'était autre que le marquis épouseur, ce château la façade de la petite maison autour de laquelle la belle malicieuse m'avait fait tourner et retourner, et cette noce celle de cette Galathée avec ce Polyphème. Je pensai étouffer de rage et de dépit.

Dès que nous eûmes commencé de répéter, je vis que mon rival était le plus sot des hommes et je compris la tristesse que j'avais remarquée dans les yeux de ma princesse. Elle-même qui jouait dans la pièce, avec des grâces non pareilles, le personnage de Zerbinette, marquait si bien par ses regards et ses silences le dégoût que lui inspirait une telle union, imposée par la cupidité d'un père, que, ne pouvant plus supporter un sort si fâcheux et si contraire, je me résolus d'y mêler un dénouement de ma façon. Je dis au marquis que c'était la scène de Géronte et de Scapin qu'il fallait le mieux étudier, parce que c'était là qu'éclatait particulièrement l'art des deux comédiens, et l'ayant persuadé de se mettre dans le sac que je fermai en l'assurant que c'était la tradition de Molière, je lui servis une bâtonnade qui n'était pas dans la pièce.

M. des Guirandières criait au travers du sac, comme s'il eût été Géronte lui-même; M. de La Maisonfort, me jugeant pris de frénésie, me tirait par mes basques en jurant comme un Suisse, et sa fille riait aussi fort et aussi haut que si elle eût été, en effet, Zerbinette, la supposée Égyptienne. A la fin, le marquis, rompant ses entraves de chanvre, s'enfuit si courroucé qu'il ne voulut rien entendre aux raisons de M. de La Maisonfort,—et vraiment je ne sais de quelle sorte ce seigneur eût pu en donner,—et c'est ainsi que par mon artifice je sus rompre cet hymen odieux... en même temps que les côtes du marquis.

XVIII
LE JEU
DE L'AMOUR ET DE LA COMÉDIE

Je connus, après que j'eus eu rossé Géronte comme il faut, qu'il n'y a rien de tel que les coups pour mettre les choses en place. Sitôt que le marquis des Guirandières se fut enfui sous mon bâton, et dans le moment que M. de La Maisonfort, indigné de mon action, allait peut-être attirer, à mon tour, sur mes épaules, une averse de bois, il se fit un mouvement parmi ceux qui s'étaient assemblés pour la noce ainsi dérangée, et quelques-uns s'en vinrent dire à notre hôte que j'avais agi plus sagement qu'on ne pouvait l'attendre d'après ma souquenille de Scapin, parce que ce marquis était un débauché qui ne visait à rien qu'au bien de M. de La Maisonfort et de sa fille, et que, pour ses affaires, elles n'étaient pas en aussi bon point qu'il le publiait, mais qu'au contraire ses revenus étaient décrétés et qu'il avait dû engager à des traitants, pour faire figure, la terre d'où il tirait son marquisat.

Connaissant, par ces discours, des vérités qu'il aurait sans doute sues beaucoup plus tard si cet homme-là de promis était devenu gendre, M. de La Maisonfort crut qu'il ne devait plus donner tant de regrets à la rupture d'un hyménée pour lequel, maintenant, il sentait moins d'attrait que sa fille n'y marquait d'éloignement et, sans toutefois paraître excuser mon transport, mais faisant mine de mettre sur le compte de quelque égarement passager ma furie bâtonnante, ce seigneur me dit qu'il me verrait volontiers établir ma demeure, pour quelques jours, dans son château, parce qu'il n'y avait rien qu'ils aimassent, sa fille et lui, comme les vers et la comédie, et qu'il n'y avait point de semaine qu'ils ne se donnassent le plaisir de représenter, pour eux seuls, quelque scène des bons auteurs; que, cependant, sa fille, Angélique—c'était le nom de cette demoiselle—avait besoin qu'on lui montrât quelques-uns des secrets du nouveau jeu des comédiens et qu'il avait jeté la vue sur moi par le canal de M. de Moncontour, parce que j'étais de la connaissance de Molière et qu'il n'y avait pas de poète comique qu'il prisât autant que celui-là.

Je lui dis que, sur ce pied-là, j'étais son homme et que, pour ce qui était d'apprendre à la demoiselle quelque scène nouvelle, j'en faisais mon affaire, mon triomphe étant, à la vérité, dans l'emploi des valets, mais que pour les amoureux j'y réussissais assez bien aussi. Le bouffon est qu'Angélique, imaginant que j'inventais cette fable pour me rapprocher d'elle, après l'aventure du jardin et l'aveu soudain que je lui avais fait de ma passion, ne pouvait se défendre de rire et que je vis bien qu'elle me prenait moins pour un comédien véritable que pour un amant déterminé.

Le lendemain fut le jour que j'entrai dans les fonctions de ma charge. M. de La Maisonfort avait fait préparer une galerie, au bout d'une terrasse, que des caisses d'orangers ornaient, entremêlées de termes et de quelques fontaines. Pour la galerie, elle était fort proprement pavée par le moyen de carreaux noirs et blancs et décorée, dans le goût antique, de pilastres, d'astragales et de festons en façon de guirlandes. Ce lieu me parut le plus agréable du monde parce que, dans le moment que j'en franchissais le seuil, j'y aperçus la divinité qui, depuis quelques jours, faisait toute ma pensée.

Angélique était assise sur un carreau de satin et paraissait rêver très profondément. Elle appuyait la tête sur une de ses mains et laissait tomber l'autre bras nonchalamment à côté d'elle. Dans cette posture, on remarquait la finesse de sa taille et la bonne façon de son habit, mais j'en augurai de plus qu'elle était occupée par quelque sentiment tendre et la bonne opinion que j'avais de mon mérite me fit juger que ce sentiment devait s'adresser à moi.

M'étant donc approché, je commençai à l'entretenir d'une manière que le badinage se mélangeait d'une certaine douceur, et je vis qu'elle ne laissait pas que d'être sensible aux mouvements que je faisais paraître. Nous nous mîmes cependant à faire la répétition d'une scène de l'Avare; j'avais choisi le personnage de Valère, parce qu'il s'accommodait assez avec celui que je figurais, puisque je cachais un nom de gentilhomme, celui du chevalier de La Fontette, sous le sobriquet du comédien Bellefleur. Angélique, de son côté, sut en peu de temps faire ma partie dans le rôle d'Élise, et rien n'était plus touchant que de voir ainsi nos cœurs véritables, à travers des masques de théâtre, échanger des aveux et subir des émois que Molière peut-être n'avait pas prévus.

Au bout de trois ou quatre jours, nous disions à la perfection les propos amoureux par qui s'ouvre le premier acte de cette pièce fameuse. Mais quel ne fut pas mon trouble lorsque Angélique, parlant sans le secours du livre et comme une personne naturelle, en vint à cette phrase que prononce Élise: «Tout cela fait chez moi sans doute un merveilleux effet, et c'en est assez, à mes yeux, pour me justifier l'engagement où j'ai pu consentir; mais ce n'est pas assez peut-être pour le justifier aux autres, et je ne suis pas sûre qu'on entre dans mes sentiments...» Je vis quelque chose qui me parut des pleurs humecter sa paupière, et je jugeai qu'elle appliquait à elle-même les paroles qu'elle venait de répéter.

Aussi, continuant avec une passion très naturelle de faire le Valère, je m'écriai:

«De tout ce que vous m'avez dit, ce n'est que par mon seul amour que je prétends auprès de vous mériter quelque chose et, quant aux scrupules que vous avez, votre père, lui-même, ne prend que trop soin de vous justifier à tout le monde...»

En parlant ainsi, et par un jeu de scène qui n'était pas indiqué dans la pièce, je me prosternai à ses pieds, et, saisissant une de ses belles mains, je la baisai avec une ardeur parfaite.

Ses regards n'annonçaient rien de fatal; elle me dit cependant, sans prendre cette fois pour truchement le langage de Poquelin.

—Quittez une attitude où je rougis de vous voir, toutefois, puisqu'il est inutile de vous défendre d'aimer, je ne prétends pas m'opposer à votre inclination, pourvu qu'elle soit honnête; mais il faut cesser, du moins pour aujourd'hui, un entretien qui n'a déjà que trop duré...

Elle s'interrompit soudain, et ses yeux, en se jetant avec une vivacité effrayée vers l'endroit où la galerie s'ouvrait sur cette terrasse que j'ai dite, m'avertirent d'un péril. Me tournant alors à demi, je vis M. de la Maisonfort arrêté sur le seuil et montrant un maintien qui marquait autant d'étonnement que de fureur.

Je balançai un moment si je devais me relever et m'enfuir, ou confesser dans l'instant même ma flamme à ce seigneur et les projets que j'osais former; mais Angélique, faisant voir qu'il n'y a rien qui ait tant d'esprit et d'art qu'une fille sage, quand les intérêts de son cœur commencent à l'émouvoir, me donna à entendre d'un signe qu'il fallait demeurer en l'état où je me trouvais, et prenant par l'effet d'une merveilleuse habileté la parole au moment même, elle me dit avec une colère bien jouée que «c'en était assez et qu'elle savait bien que Tircis était un volage qui faisait ses délices d'en conter aux bergères».

Le père trompé, persuadé par cette parole et cette action que nous venions de jouer une scène de comédie, et véritablement c'était en ce moment-là que nous y réussissions le mieux,—cessa de montrer un visage courroucé, et, s'étant approché, nous dit que les Tircis et les bergères lui paraissaient des animaux assez fades et qu'il souhaitait quelque chose de plus hardi et de plus neuf, comme de montrer quelque tuteur ou quelque père bien dupé.

Nous promîmes à ce bon seigneur, si délicat sur les péripéties, que nous lui en offririons bientôt une avec un dénouement si neuf qu'il n'avait jamais été employé sur aucun théâtre et, véritablement, le mariage comique et sérieux à la fois qui nous unit comme on va voir, ne s'est pas traité encore sur une scène où l'on peut dire cependant que tous les ressorts des passions et des mouvements humains ont été successivement mis en jeu.

XIX
LE NOTAIRE SUPPOSÉ

Quand nous fûmes bien convenus avec Angélique qu'il n'y avait rien de si nécessaire que de nous marier promptement tous les deux, nous commençâmes à débattre quelles mesures nous pourrions prendre pour amener un père fort entêté sur la qualité à consentir que sa fille épousât Scapin. J'aurais pu, à la vérité, montrer à M. de La Maisonfort que les planches ne faisaient pas déroger et que le chevalier de La Fontette avait pu y paraître, tout en demeurant homme de condition, comme La Thorillière, Brécourt, Hauteroches et quelques autres; mais Angélique me dit que ce seigneur n'entendrait pas raison sur ce chapitre, parce qu'il voulait faire d'elle une dame titrée et qu'elle voyait bien que je ne jouais pas les marquis, même devant les chandelles.

—Ne prenez point cependant, me dit-elle, l'aveu de cette répugnance comme une couleur de renoncer au dessein que nous avons formé; mais cherchons de concert une issue qui nous permette de nous laisser aller à notre penchant. Je ne sais, continua-t-elle, si je manque, en parlant ainsi, à la modestie qui doit régler les paroles et les actes d'une jeune personne, mais je crois que l'on peut dire librement ce l'on pense, lorsqu'on ne pense rien qui ne soit contraire à la vertu.

Je me prosternai aux pieds d'Angélique, en lui protestant que ma tendresse était assez délicate pour entendre les sentiments qu'elle laissait paraître et que, puisqu'elle le voulait ainsi, j'allais tout préparer pour faire le succès d'un stratagème que je venais d'imaginer.

Ayant donc, dès le lendemain, repris mon cheval qui se plaisait plus dans les écuries du château que sur les grands chemins, je me rendis à la ville la plus prochaine, où le don d'une bourse qui contenait cent pistoles et qui formait tout justement la moitié de mon bien détermina de me suivre certain Nicodème vêtu de noir et de physique mélancolique que je ferai connaître tout à l'heure. Je revins au château pour dîner, sur l'heure de midi, et dès que j'eus expédié mon repas, je fus, toujours avec mon homme, au-devant de M. de La Maisonfort qui faisait, en compagnie de sa fille, quelques tours d'allée, sans doute pour aider à la digestion d'un ragoût de lapin en fricassée dont il était incommodé pour s'y être trop inconsidérément acharné. J'abordai ce seigneur d'une manière qui était pour lui plaire, parce qu'elle sentait son ancienne mode, c'est-à-dire en m'inclinant jusqu'à ce que ma main droite, dégantée, touchât le sol, et lui ayant dit que mon acolyte était un camarade fort habile à jouer dans les comédies, que j'avais fait venir dans le dessein de lui donner un divertissement de ma façon, je lui demandai congé de tout disposer dans la galerie avec mademoiselle sa fille pour répéter ce petit morceau.

Mais, soit que la fatigue de son estomac l'indisposât contre toute la terre, soit, comme je crus, qu'il eût reçu quelques rapports secrets, touchant mes entretiens avec Angélique, M. de La Maisonfort déclara tout net qu'il voulait aller avec nous dans la galerie, pour voir de quelle façon nous conduirions notre répétition. Il me demanda aussi le nom de mon compagnon, et je lui dis qu'il se nommait la Bazoche, parce que son emploi était, d'ordinaire, de faire les hommes de robe ou les tabellions.

Après cela, je donnai à Angélique et à l'inconnu noir un papier sur lequel j'avais écrit ce qu'ils avaient à dire, et après avoir averti la Bazoche qu'il ne parût que quand je lui ferais signe, j'exposai à mon hôte, en ces termes, l'argument de la scène que nous allions jouer pour lui:

—Imaginez, Monsieur, que je suis un jeune gentilhomme, du nom de La Fontette, à qui Mademoiselle votre fille a donné dans la vue, bien qu'il ne brûle pour elle que de l'ardeur la plus pure et la plus respectueuse. Un père barbare s'oppose à leur union, mais ces honnêtes et parfaits amants se sont vus réduits à user d'un stratagème pour s'entretenir librement devant ce Géronte, qui a bien la mine de devoir être dupé comme il faut.

—Bon, interrompit le seigneur, sur ce pied-là, votre scène me plaît mieux que vos fades bergeries où l'on ne dit que des chansons. Il n'y a rien de si réjouissant qu'un père ou un mari à qui l'on fait voir leur béjaune, et pour moi je n'aime rien tant, après dîner, que s'ils sont bien attrapés par un fourbe.

—Nous allons donc, lui répondis-je, vous donner bien de la satisfaction. Commencez, Mademoiselle, sous le nom d'Isabelle, et songez que je suis présentement Dorante.

Angélique (lisant sous le nom d'Isabelle).—Si la modestie ne permet pas à une jeune fille de déclarer ses sentiments, la sincérité l'oblige à confesser qu'elle en a pour un cavalier qui a du mérite, et comme c'est justement l'état où je me vois, j'en éprouve la plus étrange confusion du monde.

Bellefleur (lisant sous le nom de Dorante).—Souffrez, Madame, que je vous exprime le ravissement où vous me plongez par ce discours. Ne pensez pas cependant que je reste en arrière dans un pas si périlleux pour notre inclination réciproque; puisqu'un père, aux ordres duquel vous vous soumettez sans murmurer, mais non sans regrets, s'oppose à vous laisser former des nœuds si légitimes, il faut, par un engagement qui nous lie à jamais, unir nos destinées en dépit de ce seigneur.

Angélique.—Et le moyen, Monsieur, de le faire consentir à signer un contrat en bonne forme, après lequel il n'y a plus qu'à aller devant un prêtre? C'est une entreprise bien téméraire que d'essayer d'y parvenir, et je vois bien qu'il me faudra finir mes jours dans l'ombre d'un cloître, où ce père malheureux n'aura pas même la consolation d'essuyer mes pleurs.

Bellefleur.—Cessez, cessez, Madame, de présenter à mes yeux une image qui les trouble, mais, vous représentant que nous jouons là une scène de comédie, consentez que je fasse venir un honnête homme de notaire, qui a écrit un contrat auquel il n'y a plus qu'à mettre les noms et qui, sous l'aspect d'un bouffon, fera passer la chose comme un mariage de comédie.

En ce moment, M. de La Maisonfort nous interrompit pour dire que cette idée-là était heureuse et qu'il ne pensait pas l'avoir jamais vue figurer dans un dénouement. Étant convenu que c'était un ressort nouveau autant qu'admirable, je fis signe à la Bazoche de paraître dans la galerie et lui dis fort posément que nous étions là deux amants désireux de nous unir et qu'il n'y avait plus qu'à nous donner à signer le contrat qu'il avait établi.

Cet homme alors, faisant des mines sérieuses les plus plaisantes du monde et parlant par paroles authentiques en jargon de gardes-notes, nous observa fort gravement que la volonté d'un parent y était au moins nécessaire et qu'il ne pouvait rien faire sans ce concours, parce qu'il y allait de son cou et que la justice ne badinait pas en de telles matières. M. de La Maisonfort, qui pensait mourir de rire à voir les airs solennels d'un si parfait baladin, s'écria qu'il voulait être de la partie et qu'il jouerait le père, parce qu'il n'y avait rien de si plaisant qu'un barbon truffé de la sorte.

—Sur ce pied-là, lui dis-je, nous allons répéter la scène du contrat, et pour faire votre personnage, vous n'aurez qu'à mettre votre nom, en grondant tout à votre aise, en bas du papier que voilà.

—Oui-dà! répliqua cet homme plein de malice; cela est du dernier plaisant au moins, et je veux, quand je la saurai bien, représenter cette farce-là devant mes voisins et particulièrement pour mon compère M. de la Pimprenelle, qui s'est si bien laissé enlever sous le nez sa fille par un gendre qu'il n'avait pas souhaité d'avoir.

—Il n'y a donc plus, Madame—et je repris ici la voix de Dorante—qu'à couronner mes feux par un doux consentement et vous jeter aux pieds d'un père pour le supplier de consentir à nos vœux.

—Il n'est pas nécessaire! s'écria M. de La Maisonfort, qui tenait à paraître dans l'action pour montrer son mérite de comédien, et je consens à tout ce qu'Isabelle désire!

Là-dessus, la Bazoche présenta son papier d'un air notarial et chagrin à M. de La Maisonfort, que celui-ci, continuant à faire de grands éclats de gaieté, se mit en bouffonnant à écrire son nom tout au long du contrat, que nous signâmes pieusement, Angélique et moi, à notre tour.

Comme la Bazoche—on l'a deviné—était un véritable notaire royal très capable d'établir un acte et que celui-ci contenait, en cas de rupture de l'engagement, un bon dédit bien stipulé, mon beau-père était pris comme un sot.

Il ne nous marquait pas beaucoup de contentement d'avoir figuré de cette sorte dans la farce du Notaire supposé.

XX
LE MARIAGE COMIQUE

C'était une petite drôlerie qui valait au moins pour moi son pesant de corde, car le père d'Angélique aurait mieux aimé, je crois, la laisser aller dans le harem du Grand Turc que de voir corrompre par l'ignominie d'un baladin le sang des La Maisonfort, lesquels, depuis trois générations, étaient en possession de la charge de panetier de Mgr le gouverneur de la province, quand il y résidait, ce qui, d'ailleurs, ne s'était vu que trois fois dans le siècle, et qui tiraient leur origine d'un capitaine des serins de M. de Vendôme.

Après que, grâce aux jurements qu'il fit bien mieux que par les explications qu'Angélique et moi lui donnâmes, il se fut convaincu de son malheur et persuadé qu'il n'y avait pas à revenir dessus, il dit fort posément à sa fille que, puisqu'il était assez malheureux pour l'avoir vue s'entêter aussi inconsidérément d'un misérable bateleur, il n'y avait plus rien qui fût de commun entre elle et lui et qu'au surplus il destinerait son bien à un certain couvent de Carmes qui était proche et où il se retirerait, à moins qu'il ne prit femme de nouveau et ne fit encore souche, quand ce ne serait que pour bien nous mortifier.

Des desseins si sérieux et si épouvantables n'étaient pas pour faire renoncer une passion grande et parfaite comme celle dont nous étions animés, et je dis à Angélique qu'il n'y avait qu'à mettre à profit la licence que, dans sa colère, M. de La Maisonfort nous avait donnée de quitter ensemble le château, et que nous verrions plus tard à apaiser ce seigneur en courroux, quand notre mariage serait plus consolidé.

Mlle de La Maisonfort, avec une certaine rougeur sur les joues, qui me parut plus belle cent fois que les roses de l'aurore dans le ciel, me fit un petit propos pour m'avertir qu'elle ne pénétrait pas à la vérité très bien ce que j'entendais consolider notre mariage, mais qu'elle estimait pour elle qu'il n'y avait rien qui fût si pressant que d'aller devant un prêtre pour le faire sanctifier, les écrits des hommes ne comptant pour rien en de telles matières. Elle m'assura qu'après cela elle ne ferait plus de difficulté de me suivre à Paris, où elle trouverait des parents qui avaient du crédit et seraient en état de me faire obtenir un emploi pour vivre, en attendant que Monsieur son père se relâchât de sa sévérité. J'allais protester que les bénéfices de ma profession de comédien suffiraient à nous empêcher d'être dans une trop grande nécessité, mais elle m'interrompit pour s'écrier que je disais des enfances et que c'était une imagination qui ne se concevait pas qu'un M. de La Fontette—puisque c'était mon nom lorsque je n'étais plus Bellefleur ou Scapin,—et surtout époux de Mlle de La Maisonfort, songeât encore à monter sur un théâtre et à recevoir des nasardes pour de l'argent. Je vis que mon personnage de mari commençait un peu plus tôt qu'il n'est de coutume, mais justement à cause de cela, je n'étais pas encore d'humeur à faire des raisonnements de cette espèce-là, et je dis à Angélique qu'elle avait raison, que je ne serais plus comédien de ma vie, que c'était une chose faite et qu'il n'y avait pas à revenir là-dessus.

C'est au milieu de la grande route que nous discourions de la sorte, car, après mon éclat avec M. de La Maisonfort, mon premier soin avait été d'aller tirer mon cheval de l'écurie et de le mener au bout du parc, sans oublier de poser en équilibre sur la selle un coffre médiocre à la vérité, mais qui me semblait l'objet le plus précieux du monde, puisqu'il contenait mes hardes les meilleures et certaine bourse de cuir sur laquelle je faisais plus de fondements, pour tout dire, que sur le crédit et surtout le zèle de toute la parenté d'Angélique. Je chargeai bientôt ma monture d'un bien plus estimable encore, car Mlle de La Maisonfort étant venue me joindre par un chemin détourné, nous convînmes enfin qu'elle se servirait de ce moyen de voyager jusqu'à la ville voisine, où nous nous flattions de trouver un prêtre qui consentît à nous unir, sans trop faire attention à ce qu'il y avait de singulier dans des épousailles si furtives et précipitées.

Nous arrivâmes vers le soir dans une petite ville qui me parut n'être composée que d'hôtelleries, parce que de toutes les portes des gens, en nous voyant passer dans cet équipage de voyageurs, nous faisaient des mines pour nous avertir qu'on trouvait chez eux les meilleurs lits et les poulets les plus dodus de la province, avec un certain vin dont ils donnaient à connaître par signes l'excellence et la qualité. Il faut que les habitants de ce pays-là aillent boire et manger les uns chez les autres pour que leur commerce soit un peu productif, car les passants étrangers y sont rares et les hôtes chez qui nous prîmes gîte nous le firent connaître en nous traitant fort mal. Sans doute qu'ils se réservaient de se rattraper sur la note.

Dès que nous eûmes soupé, Angélique me dit qu'elle connaissait un prêtre qui logeait non loin de là et que nous n'avions rien de mieux à faire que d'aller lui demander de nous marier bel et bien, attendu que le temps pressait et que M. de La Maisonfort pourrait bien s'être ravisé et nous faire courir après. Nous fûmes donc chez ce bon ecclésiastique, qui était une manière d'homme de condition et le propre frère du bailli de l'endroit. Nous le trouvâmes encore à table, et il me parut qu'il n'avait pas fait pénitence comme nous, car je ne vis jamais desserte si chargée de viandes diverses, de légumes et de fruits indiquant la délicatesse et la profusion de la chère.

M. l'abbé Tanbeau de l'Isle du Val nous reçut bien, quand sa gouvernante, qui était une béate d'un caractère assez obligeant, lui eut dit le nom d'Angélique, et je vis bien, après que nous lui eûmes expliqué notre affaire et raconté notre histoire, que s'il n'eût tenu qu'à lui, il eût eu contentement de donner le plus tôt possible un gendre qui n'était pas de son goût à ce M. de La Maisonfort, dont il devait avoir sur l'estomac certaines hauteurs un peu inconsidérées.

Mais, sitôt que je lui eus avoué quelle était ma profession,—parce qu'il me l'avait demandé,—M. Tanbeau fit un cri, protestant que les canons de l'Église ne considéraient pas les comédiens comme étant de la communion des fidèles, et qu'il ne pouvait nous donner les sacrements qui étaient réservés à d'autres.

—Sur ce pied-là, lui dis-je, Monsieur l'abbé, quand notre grand Molière viendra à trépasser, il faudra donc qu'on le jette à la voirie?

—On voit, me répondit-il, que la règle souffre parfois quelque tempérament, et je le souhaite pour ce poète, parce qu'il a l'honneur d'approcher le Roi et que son revenu dépasse trente mille livres l'an, circonstance qui rend d'ordinaire les plus nobles du monde les professions même notées d'infamies.

—Mais, répliquai-je, vous ignorez peut-être qu'un arrêt du Parlement de 1641 tient notre état pour honorable, et il ne fait point déroger à la noblesse comme celui de marchand ou de fermier, à telles enseignes que Molière a formé le projet de réunir une troupe de comédiens du Roi, composée de jeunes gens de condition, sous le nom d'illustre théâtre.

—Cela se peut, reprit M. Tanbeau; mais je ne saurais prendre sur moi de vous unir.

Angélique, en ce moment, nous interrompit pour protester à l'abbé que j'avais définitivement, et pour toujours, renoncé à Thalie, et qu'il pensait bien que, demoiselle comme elle était, elle n'irait point se commettre à épouser un histrion.

—Cela étant, s'écria le bon M. Tanbeau, je ne vois plus rien qui s'oppose à ce que je vous fasse époux.

—Mais, poursuivit-il en nous regardant avec un ris malin, vous n'ignorez pas que, selon les règles ecclésiastiques, je dois vous demander, pour un mariage si prompt, comme vous semblez le souhaiter, une somme qui n'est pas mince, dans le but de racheter les dispenses.

Je me sentis à ces mots inondé d'une sueur d'angoisse, comme chaque fois qu'il était fait quelque allusion trop claire à ma fameuse bourse de cuir, pour l'embonpoint de laquelle je me sentais des entrailles de père. M. Tanbeau vit bien, à mon air, que je n'étais pas très ferré sur l'article, et je crois qu'il s'y était attendu, car il me dit tout à trac qu'il avait songé déjà à l'incommodité qu'une telle exigence pourrait causer à des jeunes gens et qu'il avait trouvé, à force d'y rêver, le moyen de remédier à cela, ayant lu dans quelque auteur, ou ouï conter par le père Onuphre, capucin de ses amis, l'histoire d'un bateleur qui recevant l'hospitalité de Notre-Dame la Vierge Marie par l'entremise d'un couvent de moines, et ne possédant pas de quoi payer la dépense qu'il y faisait, se relevait de son lit et allait dans la chapelle exécuter les plus gracieux tours qu'il pût tirer de son sac, pour amuser l'Enfant Divin durant les longues nuits de l'église.

C'est ainsi qu'Angélique et moi, après nous être engagés l'un l'autre par les serments les plus forts, et aussi envers l'abbé, à ne plus sacrifier aux muses comiques, nous finîmes par jouer devant M. Tanbeau et sa béate une scène du Jodelet, qui divertit si parfaitement le bon prêtre et sa vieille gouvernante, que nous craignîmes, pour lui du moins, qu'il n'en étouffât, tant il riait, devant que nous ne fussions mariés par son ministère.

Le ciel, favorable à nos chastes amours, ne permit point qu'un dénouement si tragique succédât à la farce de M. Scarron, ou du moins le frère du bailli survécut assez à sa joie pour nous marier le lendemain d'un bon et solide mariage, dans une petite chapelle bien humble de son illustre cathédrale.

XXI
L'ASSAUT BURLESQUE

Sitôt que le bon M. Tanbeau nous eut mariés, Angélique et moi, nous prîmes la poste pour aller à Paris, ville que ma nouvelle épouse ne connaissait pas, et où nous étions persuadés de faire bientôt fortune; mais chacun de nous, en soi-même, ayant en vue la même chose, en considérait le succès par des moyens différents, car si la fille de M. de La Maisonfort fortifiait ses visées ambitieuses par l'espoir du crédit de ses parents et principalement de cette Mme du Fresnoy dont elle me vanta le pouvoir sur l'esprit de M. de Louvois, je faisais table, pour ma part, sur mon dos, comme le plus gracieux et le mieux accoutumé à recevoir les coups de bâtons des comédies, dos que je prisais comme un héritage, ou plutôt comme une nourrice, et fort propre à remplir son envers, je veux dire l'estomac.

Nous arrivâmes, par la porte de la Conférence, dans un carrosse public qui était si rempli de gens de robe, que nous avions plutôt la mine de sacripants qu'on mène pendre, que d'honnêtes mariés venant faire visite à leur parenté. Cependant, nous connûmes bientôt, aux discours de ces chats-fourrés, qu'ils n'avaient pas des intentions si barbares, mais que c'étaient seulement les membres d'une chambre des requêtes que le roi avait envoyés passer quelques mois à Pontoise pour se rafraîchir la bile, parce qu'ils faisaient un peu les mutins. Ils avaient l'apparence de revenir assez contrits d'être demeurés si longtemps sans juger, et j'augurai mal des pauvres plaideurs sur qui ils déchargeraient d'abord leur trop d'amas de furie procédurière.

On nous mena dans une auberge proche le Palais-Royal, où nous prîmes pension en attendant le Louvre ou Versailles, car ma femme ne parlait de rien moins que d'avoir bouche à cour, et je vis bien qu'elle gardait dans la tête quelques fumées de l'orgueil paternel et la vision de ce capitaine des serins de M. de Vendôme qui avait mis à mal toutes les finances de la famille par l'ambition de soutenir un rang en conformité avec une si illustre origine.

Dès le lendemain matin, Angélique étant sortie seule pour quelques achats de rubans, car elle voulait être bien parée pour aller voir Mme de Fresnoy, elle revint après un peu de temps, toute étourdie, me dire que Paris était une ville bien singulière et qu'il s'y passait d'étranges choses; que, s'étant promenée un moment à travers une place où l'on vendait des légumes, elle avait vu de jeunes villageoises qui criaient d'un air content, en montrant leur tas de denrées: «J'ai été marquée par le bourreau! J'ai été marquée par le bourreau!» comme si elles dussent en être bien aises, et qu'en effet, un gros homme de mauvaise mine leur mettait un signe avec de la craie sur leurs habits; qu'un peu plus loin, étant entrée pour faire ses dévotions dans une église, elle avait entendu dire que «le roi allait porter l'antienne». Angélique me confessa qu'elle trouvait bien surprenant que le plus grand prince du monde vint ainsi dire l'office, comme un moine, dans la chapelle d'un couvent.

A ces mots, je fis un grand éclat de rire en lui disant que pour le bourreau et la marque, c'était une façon de reconnaître ceux des villageois qui avaient payé le droit pour vendre leurs produits sur le marché, et que ce n'était pas le roi de France, Louis le Grand, qui chantait ainsi l'ordinaire à Saint-Germain-des-Prés, mais Jean-Casimir, jésuite, cardinal, souverain de la République polonaise, et enfin abbé de cette église par le chagrin qu'il avait eu de perdre sa reine qu'il aimait tendrement.

—Cela étant, me dit Angélique, Paris me semble être la ville du monde où l'on joue les personnages les plus opposés et les moins prévus, et je ne m'étonne plus après cela que, gentilhomme comme vous l'êtes et portant le nom de chevalier de La Fontette, vous soyez devenu comédien sous celui de Bellefleur.

—Mais, répondis-je, quelle erreur vous fait imaginer que la profession de comédien soit comme celle de marchand qui déroge à la noblesse, et pensez-vous que La Thorillière, Brécourt ou du Croisy soient des croquants?

«Je veux, poursuivis-je, vous montrer clairement que rien n'est si éloigné de la vérité qu'une pareille croyance et, remettant à demain notre visite à Mme du Fresnoy, je prétends vous conduire à l'instant à la comédie que je sais que l'on donne aujourd'hui, et où vous verrez sur la scène des hommes de condition qui, à l'encontre de ce que font d'ordinaire les autres, vous divertiront parfaitement.»

Qu'un jeune époux a de pouvoir sur un cœur qui vient de s'ouvrir! Angélique qui, peut-être, six mois plus tard, eût repoussé sans ménagements l'idée de remettre seulement d'une heure une visite si nécessaire, souscrivit ce jour-là sans dispute à mon désir, et j'eus la satisfaction d'amener ma femme dans l'endroit où si souvent j'avais aidé à tromper des maris.

M'étant donc fait reconnaître du portier, qui était à l'entrée des comédiens, je pénétrai avec Angélique dans le temple de Thalie, par le derrière du théâtre; mais nous trouvâmes dans la salle un mouvement singulier, et nous entendîmes du côté de la grand'porte un tumulte si effroyable qu'il semblait que toutes les furies se battissent ensemble dans une antichambre d'enfer. Dans ce moment, Molière parut au milieu du parterre, et m'apercevant avec Angélique qui marquait quelque sentiment d'effroi, il nous dit rapidement que c'étaient les mousquetaires et tous les autres officiers de la cour, lesquels avaient accoutumé d'entrer à la comédie sans payer, qui menaient ce vacarme, parce que lui, Molière, avait obtenu un ordre du roi de les obliger à ne plus passer sans cracher au bassinet, et que nonobstant cet ordre, ils voulaient forcer l'entrée et venaient de tuer le suisse, qui se défendait avec sa hallebarde. Comme il parlait encore, la porte éclata comme poussée par le bélier d'une machine de guerre, et les furieux se précipitèrent en tumulte. Les seigneurs de la scène et les dames des loges se levèrent pour s'enfuir devant ces forcenés, et le désordre eût été extrême si Béjart, qui était habillé en Géronte pour la pièce qu'on allait jouer, ne s'était présenté sur le théâtre. Alors ce jeune comédien, dont on pouvait connaître, sous le fard et les rides ajoutées, le teint frais et vermeil, levant les bras et tremblant des genoux à la façon des vieillards, cria lamentablement:

—Eh! messieurs, épargnez du moins un malheureux qui n'a plus que quelques jours à vivre!

Ce compliment si bouffon dans une bouche si jeune arrêta la fureur de ceux que la force n'avait pas contenus, et les rires se mêlant à la réflexion sur ce qu'ils avaient osé, malgré les volontés du roi, ils demeurèrent un moment confus, puis enfin se retirèrent.

Aussitôt, entraînant Angélique, je passai derrière le théâtre dans le dessein de parler plus longuement avec Molière. Mais que devînmes-nous quand, dans un corridor, nous nous trouvâmes subitement en face d'une femme en grand habit, qui faisait l'éplorée et poussait de grands cris en montrant un mur qui, à la vérité, pouvait paraître assez extraordinaire, puisque par un prestige diabolique sa partie inférieure s'agitait sous les apparences d'un haut de chausses de velours noir et de deux jambes, tandis que de ses profondeurs on entendait sortir une voix lamentable, de sorte que l'on pouvait dire, cette fois, ainsi que dans l'Écriture, que les pierres elles-mêmes criaient.

Dans ce moment, je vis Angélique faire le plus sérieusement du monde la révérence à la dame hurlante, qui était Mme du Fresnoy, venue à la comédie avec son mari, lequel dans sa frayeur de la soldatesque avait voulu s'enfuir par un trou dans le mur du Palais-Royal, et y serait parvenu, en effet, puisque sa tête et ses bras avaient passé, si le reste eût voulu suivre. Il se démenait comme un possédé, jurant qu'il avait du crédit, que les comédiens le lui payeraient et que c'était un affront qu'ils avaient voulu lui faire en face. Cependant je crois que, pour l'heure, il songeait à autre chose qu'à son visage.

Des gagistes arrivaient qui agrandirent le trou et dégagèrent le commis de M. de Louvois. C'est alors que j'eus l'honneur d'apercevoir directement ce cousin sur lequel nous fondions tant d'espérances et dont les traits bouffis et la perruque poudrée de poussière de chaux et de petit moellons me parurent cependant respirer la dignité la plus grande et la moins murée qui fût, tant le physique de ceux que l'on croit les dispensateurs de la fortune se présente aimable, malgré tout, à ceux, comme moi, qui n'ont jamais été gâtés par les faveurs de la capricieuse déesse.

—Eh! monsieur! disait Mme du Fresnoy, outrée, est-ce là une façon de sortir de la comédie pour un homme de votre sorte?

—Morbleu! Madame, jurait le mari, est-ce une façon d'entrer à ces furieux-là? Je le dirai à M. de Louvois, et il leur fera bien voir...

—Madame, soupirait Angélique, souffrez que je présente M. le chevalier de La Fontette, mon époux, à M. du Fresnoy, dont la cour et la ville célèbrent le mérite...

—Ouais! pensais-je en considérant Mme du Fresnoy, que je trouvais pourvue de plus d'attraits qu'il n'était nécessaire à un barbon de cette espèce; il me semble que mon cousin doit bien de l'obligation de ce mérite-là à la figure de sa femme.

La sottise du mari et la beauté de son épouse me donnaient une meilleure idée du crédit de nos parents que tous les discours innocents d'Angélique.

XXII
LE PÉDANT MALAVISÉ

Nous ne manquâmes pas, Angélique et moi, d'aller dès le lendemain chez Mme du Fresnoy, dans le dessein de lui rendre nos devoirs et pour voir, en même temps, si, par le moyen de son crédit, nous ne pourrions pas être mis enfin en possession de cet emploi qui, aux yeux de mon épouse, ne comptait que comme un premier pas vers celui de secrétaire d'État, pour le moins, ou de surintendant.

Nous trouvâmes cette dame dans un appartement fort propre et meublé d'une manière assez magnifique. Elle était assise à sa toilette et si occupée à se parer qu'elle prit à peine le soin de demander au petit laquais qu'on nous apportât des sièges, encore ce ne furent que des chaises sans bras, ce dont Angélique parût mortifiée, car elle était attentive à ces sortes de choses et fort exacte à observer les traitements qu'il fallait faire selon les personnes et leur condition.

Une fille suivante accommodait la tête de notre cousine d'une façon qui parût nouvelle, car nous vîmes que les cheveux étaient coupés de chaque côté d'étage en étage avec de grosses boucles rondes d'un air assez négligé, qui lui donnaient la meilleure grâce du monde. Mme du Fresnoy considérant de côté Angélique et remarquant qu'elle avait encore des bouffons sur les oreilles, lui dit un peu sèchement qu'on voyait bien qu'elle venait de la province et que ces petites frisures rangées étaient justement à la mode du temps du roi Guillemot.

—Il ne faut pas, continua-t-elle, tenir cela pour des chansons, et il n'y a rien de si fâcheux pour une tête, même remplie des idées les plus sublimes, que d'avoir le dessus hideux ou négligé. C'est par le soin qu'elle prend de son ajustement qu'une femme se pousse dans le monde.

Je n'entrais point tant dans ce sentiment-là et, jugeant qu'il s'agissait un peu trop de la tête dans les leçons que sa parente donnait à l'innocente Angélique, je commençai d'en ressentir un peu d'ennui et quelques inquiétudes pour mon front.

Cependant nous nous mîmes insensiblement à entretenir Mme du Fresnoy du sujet de notre visite, et Mme de La Fontette, ma femme, partit de là pour faire un petit discours qui marquait tant d'obligeance pour moi et me montrait si honnête homme et d'une manière si éclatante qu'il n'y eût eu personne, à l'entendre, qui ne crût que j'effaçais les esprits des sept Sages, ou plutôt qui n'augurât que nous n'étions mariés que depuis quelques semaines.

—Cela est bon, dit la dame, et il faut bien que Monsieur ait du mérite, puisque sa femme même en convient; mais n'est-il pas comédien, sous le nom de Bellefleur?

—Madame, répondis-je, songez qu'il n'y a pas d'homme qui soit si propre qu'un comédien à remplir en ce monde les emplois les plus divers, puisque, passant indifféremment des états les plus vils aux rangs les plus élevés, il peut, dans la même soirée et pour peu que l'on joue des pièces différentes, être un valet, un roi, un amant heureux ou un mari dupé, un Géronte ou un Valère, et ne pensez-vous pas que l'art de présenter au public tant de visages ne soit tout justement le plus propre pour bien disposer un homme à faire figure dans le monde?

—Mais le dos, Monsieur, répliquait-elle, le dos qu'en faites-vous?

J'allais lui protester que je ne l'entendais pas, mais au vrai je savais bien où était l'enclouure, puisque cette question des coups de bâton empêchait, dans le même temps, le grand Molière de rentrer à l'Académie, où on lui avait fait savoir qu'il serait reçu, pourvu qu'il quittât les emplois à nasardes et à rossées; mais, dans ce moment, la porte s'ouvrit toute grande, de la manière qu'elles font devant les seigneurs d'importance, et nous vîmes entrer un gros homme aux yeux têtus qui remplit tout aussitôt la chambre où nous nous trouvions, tant il remuait en faisant de grands pas et de grands bras.

Mme du Fresnoy s'étant levée avec de belles révérences et en mettant du «monseigneur» entre chacun, je pense, de ses mots, nous connûmes à ce coup que c'était là ce grand ministre dont la renommée célébrait en tous lieux la puissance et l'orgueil, M. de Louvois, pour tout dire, et je crois bien qu'Angélique dut jurer en elle-même que notre fortune avait, à cette heure, assez bonne mine.

Cependant l'honnêteté et la retenue nous commandaient de nous retirer, d'autant que notre cousine ne songeait point du tout à nous présenter à ce potentat, mais comme nous préparions notre sortie et qu'Angélique ramenait déjà ses jupes pour saluer, Mme du Fresnoy, sans doute dans la pensée de faire la bonne mère, dit tout d'un coup qu'il fallait que Mme de La Fontette vît son fils et que monseigneur le voudrait bien, ce qui me fit faire réflexion que ce monseigneur pouvait bien avoir quelque part à ce fils-là, car de croire que l'on tirât pour nous exprès de sa chambre le jeune fils de M. du Fresnoy ne me vint pas à l'esprit, l'espace d'un soupir.

Cet enfant cependant parut devant nous, conduit par un précepteur en soutanelle, et si pénétré d'humanités, qu'on voyait bien qu'il en était devenu une bête. Il fit, comme il devait, de grandes inclinaisons de son long corps en contraignant à les imiter son élève, qui était un bon garçon réjoui et plus propre à pousser la charrue dans les guérets qu'à réciter les maximes de M. de Despautères, ou à faire des cérémonies avec les grands.

Mais Mme du Fresnoy ayant dit au pédant qu'il fallait que M. du Tailli—on appelait ainsi ce fils, en attendant sans doute que M. de Louvois lui achetât une terre titrée—récitât quelque petite galanterie de ce qu'il avait appris ces temps derniers, M. Babouin, c'était le nom du maître, assura qu'il n'y avait qu'à faire des questions au jeune homme et que celui-ci y répondrait de façon à contenter, pourvu que ce fût en latin, parce qu'il ne se servait pas d'un autre langage quand ils étaient entre eux. Là-dessus, ayant fait se tenir droit devant lui le petit garçon, il prit justement la mine que font les grues au bord des fleuves, quand avec leurs becs, elles attendent les poissons, et demanda:

Quem habuit successorem Belus, rex Assyriorum? (Qui eut pour successeur Belus, roi d'Assyrie?)

L'enfant répondit sans délai:

Ninum. (Ninus.)

Mais soit qu'il eût prononcé ce latin trop à la romaine en arrondissant l'u et sans faire assez sonner l'm; soit plutôt que le souvenir de certains discours qu'il avait surpris dans les cuisines ou les antichambres lui troublât la mémoire, M. du Tailli prononça ce nom du babylonien tout justement comme celui d'une beauté qui, pour n'être pas si ancienne que cette dynastie, comptait déjà cependant quelques lustres, je veux parler de Mlle de l'Enclos, nommée familièrement Ninon, pour laquelle le ministre avait réellement montré quelques complaisances, qui n'avaient point été du goût de Mme du Fresnoy. Nous demeurions cois, sans paraître avoir entendu, mais M. de Louvois, qui ne savait pas bien l'art de dissimuler, ou qui s'en souciait peu, marqua d'abord quelque étonnement, fronça ses gros sourcils, ouvrit la bouche, puis, se souvenant peut-être de cette maxime du sage que le silence est d'or, il la referma et la porte sur lui.

—Il faut que vous soyez bien impertinent, monsieur Babouin, disait la cousine, pour entretenir votre élève des folies de M. de Louvois et lui enseigner ainsi le nom d'une personne dont les mœurs ne sont pas trop bonnes, bien qu'elle soit de condition et fille de gentilhomme.

—Je vous proteste, Madame, s'écriait le pédant, qu'il n'y a rien qui soit si éloigné de ma pensée que de laisser connaître à M. du Tailli le nom de quelque dame que ce soit. La chronologie des rois d'Assyrie...

—Allez, Monsieur; c'est se moquer et vous allez tout à l'heure donner le fouet à ce petit garçon pour vous apprendre à en user si mal avec lui.

—Pardi! criait le pauvre enfant, si l'on me fouette parce que je parle de Ninus, que fera-t-on à M. de Louvois, lui qui parle à Ninon?

—Fi! mon cousin! soupirait Angélique, convient-il de mêler à votre babillage le nom d'un grand ministre, et qu'a de commun le fouet que vous aurez avec les discours que celui-ci peut tenir.

—Morbleu! pensais-je, il faut que j'aille conter cette aventure-là à Molière, et je veux être un sot s'il n'en tire quelque scène plaisante pour une de ses farces.

XXIII
LA MORT DE MOLIÈRE

Angélique, toujours poursuivie par ses visions de fortune et de grandeur, ne quittait presque point Versailles, où elle était assidue comme si elle eût été déjà pourvue d'une charge à la cour, et je crois qu'elle avait quelquefois l'insigne honneur d'aider sa cousine, Mme du Fresnoy, dans cet emploi de dame du lit de la reine, que M. de Louvois avait inventé pour cette belle, bien qu'elle fût fille d'un mousquetaire à genoux, pour dire honnêtement le mot d'apothicaire.

Pour moi, qui ne prisais pas tant la satisfaction d'être poussé par les seigneurs dans l'antichambre du Roi, et repoussé par les suisses sur les degrés du grand escalier, sans autre contentement que d'avoir à faire bien des salutations à des gens qui ne me les rendaient point, je demeurais à Paris, m'attachant principalement à rendre des soins à Molière, dont les bontés qu'il faisait paraître à mon endroit étaient les plus rares du monde. C'était le temps qu'il venait d'achever son Malade imaginaire, et véritablement on peut dire que ce n'était pas une imagination pour lui d'être malade, car depuis longtemps déjà il était travaillé d'une fluxion qui l'incommodait à un point qu'on ne peut dire. Cependant, comme il craignait qu'on ne s'aperçût dans le public des efforts de poitrine que le mal l'obligeait de faire et qu'il ne pouvait consentir à renoncer à une profession où son nom seul faisait vivre plus de cent personnes avec lui, on observa par la suite qu'il avait soin d'insinuer dans les pièces quelque petite réflexion sur sa toux, afin de la mettre par là sur le compte du personnage plutôt que du poumon.

Malgré cela, il donna beaucoup d'attention à bien conduire sa troupe durant qu'on répétait les scènes de cet ouvrage comique, veillant à ce que Mlle Molière, qui faisait Angélique, ne fût pas, comme à son ordinaire, trop parée pour le personnage, que Mlle Beauval n'invectivât pas trop, selon sa coutume, les comédiens qui jouaient avec elle et qu'elle donnât plus de vivacité au rôle de Toinette. Pour Beauval, le mari, en habit de Diafoirus comme sous le sien propre, il remplissait l'emploi de niais d'une manière telle qu'il n'y avait rien à lui remontrer là-dessus; enfin, La Grange paraissait, en Cléante, d'un caractère si noble et si aisé, qu'on ne pouvait souhaiter un amoureux plus discret ni plus éloquent. Comme certain gagiste, qui devait faire le personnage de M. Fleurant, s'était trouvé incommodé, Molière m'avait demandé d'occuper sa place, et j'y avais consenti avec bien de la joie, mais en prenant garde qu'Angélique n'en sût rien, car elle n'eût pas manqué de trouver abominable que je remplisse un emploi d'apothicaire, étant, comme j'avais l'honneur d'être, si proche parent de Mme du Fresnoy.

A la première représentation qui eut lieu le 10 de février de l'année 1673, la pièce eut l'applaudissement ordinaire que l'on donnait aux ouvrages du moderne Térence. Je soupai, ce soir-là, avec Molière, qui avait pris sa robe de chambre, et qui m'interrogea sur ce qu'on pensait de sa pièce dans le public, et principalement parmi les comédiens, parce qu'il savait que c'était là que les critiques étaient les plus fortes. Je lui dis que ses comédies avaient toujours une heureuse réussite à les regarder de près, et qu'elles étaient comme un vin excellent et d'un goût délicat, dont la bonté paraît plus grande à mesure qu'on l'essaie mieux. Je l'engageai en même temps à composer quelque lettre-préface ou quelque apologie, pour montrer ce qu'il avait voulu faire, et nous donner son opinion sur les règles du théâtre.

—Un temps viendra, me dit-il, de faire imprimer mes remarques sur les pièces que j'ai faites; mais présentement il n'y faut pas songer, et peut-être sera-t-il bientôt plus nécessaire de m'occuper de choses plus graves.

Marquant ainsi les sentiments d'un bon chrétien et sa résignation aux volontés du Seigneur. Après cela, il me commanda de manger, parce que je devais avoir appétit. Je voulus lui donner un bouillon, dont Mlle Molière avait fait monter une provision, et où elle s'entendait parfaitement, mais il refusa parce qu'il le trouvait trop substantiel.

—Eh non! les bouillons de ma femme sont de vraie eau-forte pour moi: vous savez tous les ingrédients qu'elle y fait mettre. Donnez-moi plutôt un petit morceau de fromage de Parmesan.

Laforest lui en apporta; il en mangea avec un peu de pain, et il se fit mettre au lit, après avoir envoyé demander à sa femme un oreiller rempli d'une drogue qu'elle lui avait promis pour dormir.

—Tout ce qui n'entre point dans le corps, dit-il, je l'éprouve volontiers; mais les remèdes qu'il faut prendre me font peur: il ne faut rien pour me faire perdre ce qui me reste de vie.

Le jour que l'on devait donner la troisième représentation du Malade imaginaire, je trouvai Molière fort tourmenté de son rhume. Je lui observai qu'il me paraissait plus mal que la veille.

—Cela est vrai; j'ai un froid qui me tue.

J'allai chercher Mlle Molière qui vint avec Baron; ils furent tous deux bien touchés de l'état où ils le voyaient, et lui s'en étant aperçu commença de parler si doucement qu'on pouvait douter si c'était une parole humaine, la plainte étouffée de quelque Prométhée vaincu par le vautour. Pourtant tous deux ne laissèrent pas que de l'entendre et, pour moi, ces paroles sont demeurées dans ma mémoire à la manière de ces épitaphes antiques, qu'un stylet gravait sur un inaltérable airain.

Molière disait:

—«Tant que ma vie a été mêlée également de douleur et de plaisir, je me suis cru heureux; mais aujourd'hui que je suis accablé de peines sans pouvoir compter sur aucun moment de satisfaction et de douceur, je vois bien qu'il me faut quitter la partie; je ne puis plus tenir contre les douleurs et les déplaisirs qui ne me donnent pas un instant de relâche.»

Il s'arrêta un peu comme s'il réfléchissait à ce qu'il avait dit, puis estimant peut-être qu'il avait trop laissé paraître sa pensée, il ajouta:

—Mais qu'un homme souffre avant de mourir.—Cependant je sens bien que je finis.

Je connus alors que rien n'avait échappé à ses regards observateurs des intrigues criminelles de ce Baron qu'il avait comblé de bienfaits, et de cette Armande si particulièrement chérie.

Aucun des deux ne s'attendait à un pareil discours, et, par confusion aussi bien que par artifice, ils feignirent de n'y démêler que les murmures d'un malade au lieu des reproches d'un époux justement irrité.

S'étant donc approchés, ils le conjurèrent avec des larmes de ne pas jouer ce jour-là et de prendre du repos.

—Comment voulez-vous que je fasse? Il y a cinquante pauvres ouvriers qui n'ont que leur journée pour vivre; que feront-ils si on ne joue pas? Je me reprocherais d'avoir négligé de leur donner du pain un seul jour, le pouvant faire absolument. Pourtant il faut que l'on commence la comédie à quatre heures, sans cela, je ne puis m'y trouver et il faudra rendre l'argent. Dites-le aux comédiens, et qu'ils soient prêts, avec les lustres allumés et la toile levée.

Dès que l'heure fut arrivée, j'envoyai chercher les porteurs pour le mener au théâtre. Il n'eut pas grand mal à s'habiller pour faire le personnage d'Argan, s'étant contenté de garder sa robe de chambre de vrai malade pour représenter celui qu'il figurait imaginaire. J'observais, durant qu'il jouait, son air et son visage et, voyant bien que les cris et les lamentations qu'il faisait n'étaient pas feints, je sentais une fureur intime contre ce public qui se divertissait à le voir contrefaire ainsi le malade à la perfection, et jetait de grands éclats de rire chaque fois que la douleur lui tirait une grimace. Les choses cependant allèrent assez bien pour commencer, et j'augurai mieux de l'issue en le voyant tempêter d'un si bon courage contre les impertinences de Toinette, mais, quand il passa derrière le théâtre, après le second acte, je connus bien qu'il y avait quelque chose de détraqué dans la machine, et que ce n'étaient point ni les Mores dansants ni les singes sautants de l'intermède qui pourraient cacher à cet homme-là une figure qu'il avait devant les yeux et qui ne laisse plus distraire d'elle sitôt qu'on a dû la regarder un peu fixement. Quand il en vint, dans sa scène avec Béralde, à ce qu'Argan dit de Molière lui-même et que les médecins devaient l'abandonner en cas qu'il fût malade, et que Béralde lui répliqua que Molière ne leur demanderait point de secours, il me sembla qu'il pâlissait. Mais, dans le moment même, me souvenant de mon rôle de Fleurant, j'entrai avec ma seringue et je ne m'occupai plus que de bien jouer, car, pour nous autres, la semblance du théâtre étouffe toujours toutes les réalités de la vie.

Cependant, un peu après, étant revenu derrière mon portant, j'attachai de nouveau mes regards sur Molière, et je fus dans la dernière épouvante de voir qu'il agonisait, en quelque sorte, sur la scène et dans son fauteuil d'Argan. C'était juste le moment où celui-ci disait: «Je sens déjà la médecine qui se venge.»

Mais que devins-je en entendant celui que je considérais plus comme un demi-dieu que comme un mortel, s'écrier: «qu'il avait un voile devant les yeux», qu'il souffrait «de maux de cœur», «de lassitude dans tous les membres», «de douleurs dans le ventre comme si c'étaient des coliques» et que je reconnus l'expression parfaite des incommodités qu'il endurait d'habitude et dont il m'avait fait, par privilège, la confidence? Je doutai alors si Mlle Molière, en raillant les maux dont il se plaignait et en refusant, par étourderie et indifférence, de prendre en recommandation la présence de son mal, ne lui avait pas donné d'abord cette idée d'un malade qu'on ne croit point tel et qu'on moque, pour éviter la nécessité fâcheuse de lui donner trop de soins, idée que, pour les besoins de son art et par l'effet de l'inclination naturelle de son esprit, il avait par la suite tournée en farce pour en amuser le parterre.

Justement, au moment où cette idée me vint, Argan était étendu dans sa chaise, contrefaisant le mort, et Béline, sa femme, disait: «Quelle perte est-ce que la sienne, et de quoi servait-il sur la terre? Un homme incommode à tout le monde, malpropre, dégoûtant... Mouchant, toussant, crachant toujours; sans esprit, ennuyeux, de mauvaise humeur, fatiguant sans cesse les gens et grondant nuit et jour servantes et valets!» J'aurais gagé qu'il faisait répéter là, à Béline, quelque phrase entendue de Mlle Molière!

On m'appela dans la chambre des comédiens, pour parler à un petit laquais qui m'apportait un paquet de ma femme, et je ne revins sur le théâtre qu'au moment de la cérémonie burlesque et dans l'instant qu'Argan crie juro pour être reçu médecin. Le pauvre Molière n'avait pas achevé, qu'il lui prit une convulsion dont la plupart des spectateurs s'aperçurent, ce que voyant, il s'efforça de cacher par un ris forcé la sorte de râle qu'il faisait déjà entendre.

Ses mains étaient glacées, je les mis dans un manchon pour les réchauffer et, la comédie étant faite, j'ordonnai à ses porteurs de venir en hâte et je ne quittai point sa chaise du Palais-Royal à la rue de Richelieu où il logeait. Dès qu'il fut dans sa chambre, il lui prit une toux si forte qu'il se rompit une veine dans la poitrine. Aussitôt il me commanda d'aller promptement chercher sa femme en bas, pendant que deux religieuses, qui venaient à Paris quêter durant le Carême et qu'il recevait communément chez lui pendant ce temps, l'assistaient et le soignaient.

Je fus quelque temps à découvrir Mlle Molière et, quand je pus remonter enfin avec elle et Baron, le plus grand poète comique des temps passés et futurs, étouffé par le sang qui sortait de sa bouche en abondance, avait rendu tristement l'esprit.

XXIV
LE CHAGRIN DE M. DE MONCONTOUR

Il était dix heures du soir quand nous trouvâmes M. de Molière mort dans sa chambre; Mlle Molière était encore accommodée pour jouer le personnage d'Angélique et Mlle Beauval avait conservé son bavolet de Toinette, n'ayant pas eu le temps de se défaire après la comédie. Pour Lagrange, il n'avait pas quitté la robe et le bonnet de faux docteur, dont s'affuble Cléante, non plus que Beauval, ni Brécourt, ni Hubert ceux des Diafoirus et de Purgon, et je représentais moi-même tout au vif le personnage de M. Fleurant, dont je portais toujours l'habit. Ainsi ce contempteur de la médecine gisait au milieu des apparences de ceux qu'il avait si bien joués, et l'on eût pu dire qu'il était entouré des ombres vengeresses de la Faculté, si nous n'eussions été des médecins pour rire, j'entends par là fictifs et travestis, car pour rire nous n'y songions guère, et nos yeux s'étaient métamorphosés en fontaines dès que nous n'avions plus pu douter de l'étendue de notre malheur.

Un peu de jour paraissant dans les carreaux de la fenêtre et mêlant sa faible lumière à la clarté des chandelles que nous tenions allumées, vint enfin nous avertir que le soleil recommençait son cours. Au même moment, il nous vint à tous dans la pensée qu'il n'y avait rien qui fût si pressant que d'informer le roi du trépas d'un homme pour lequel il avait toujours marqué beaucoup d'estime et d'inclination, et Mlle Molière, jetant les yeux sur Baron et sur moi, nous dit de prendre un de ces carrosses que l'on trouvait depuis quelque temps à louer à l'image Saint-Fiacre et de nous faire mener en droiture à Saint-Germain, où le roi était pour lors. Ce que nous fîmes avec une grande diligence et une parfaite tristesse.

Nous descendîmes d'abord chez un Suisse, où nous prîmes un peu de nourriture avec quelques coups d'un vin aussi rude que l'accent de notre hôte, et je dis à Baron que j'irais chercher M. de Moncontour pour qu'il s'employât à nous faire parler au roi, parce que je savais que ce seigneur honorait Molière de son amitié et qu'il éprouverait beaucoup d'affliction—du moins celle qu'un courtisan peut laisser paraître—à l'annonce de cette mort.

Je pénétrai dans le château à l'heure du lever, et, m'étant faufilé dans une galerie, je tâchai de démêler M. de Moncontour parmi le groupe des seigneurs les plus rapprochés de la chambre du roi. Je l'aperçus bientôt qui peignait sa perruque en sautant d'un pied sur l'autre, car, malgré son âge, il affectait les façons des jeunes gens, croyant par cela plaire aux dames et passer pour un blondin. Quand j'eus pu le joindre au milieu de la foule, je l'abordai avec un grand respect, et, l'ayant tiré dans une fenêtre, je commençai mon compliment en lui annonçant que j'avais une nouvelle fâcheuse à lui porter, et dont j'étais assuré qu'il prendrait sa part. Cependant en l'observant, et jugeant qu'il opposait à mes paroles un air distrait et chagrin, je m'interrompis pour lui dire que je craignais d'être fâcheux et que pour peu qu'il eût quelque affaire ou souffrît de quelque incommodité, je me voudrais du mal de l'importuner.

—Point du tout, Monsieur, me répondit-il obligeamment et vous pouvez faire état de moi; mais je suis, je l'ajoute, d'une colère outrée, parce qu'un des gentilshommes de Monsieur le Dauphin a tant fait par ses brigues, qu'il s'est fait donner un logement que l'on m'avait promis à Versailles. Cela est inouï, après tant de services à la guerre, et il faut que l'on me prenne pour une grue, de m'offenser si sensiblement par une pareille injustice.

«Au surplus, poursuivit-il, que désirez-vous de moi, Monsieur de La Fontette, et en quoi puis-je vous servir? Vous savez que je suis à vous.»

Je fis encore quelques détours pour annoncer cet événement funeste à un homme qui appelait Molière son ami, et qui avait tant d'estime pour lui, qu'il avait commandé qu'on l'introduisît dans sa chambre à quelque heure que ce fût et quelle que fût la compagnie qui s'y trouvât. Je vis bien d'abord que le marquis était touché de cette mort et il me marqua le coup qu'il en ressentait par les expressions les plus fortes et les plus tristes, m'assurant qu'il allait au plus tôt demander un entretien au roi pour Baron et pour moi; mais il avait quelque chose en tête qui ne lui permettait pas de se donner tout entier au sentiment qu'il éprouvait et, le marquis de Théricourt étant venu à passer, qui avait la charge de distribuer les logements, le maréchal me quitta dans l'instant pour courir après ce seigneur avec lequel il s'entretint longtemps en faisant des gestes qui témoignaient assez combien la matière de ses discours était passionnée.

Dans ce moment, je me sentis toucher par ma manche et je vis Baron qui s'était lassé de m'attendre et qui, ayant rencontré M. de Vivonne—lequel prisait aussi tout particulièrement Molière, disant souvent qu'il voulait vivre avec lui comme Lélius avait fait avec Térence—avait obtenu d'être mené dans le cabinet du roi. Je le suivis dans l'instant et l'huissier ayant ouvert un battant de la porte, nous nous trouvâmes subitement devant le plus grand roi du monde.

Sa Majesté se tenant debout, car on venait d'achever de l'habiller, et le grand-maître de la garde-robe lui présentait, sur une soucoupe, trois mouchoirs brodés de points. Je vis ainsi, pour la seconde fois, tout près, ce prince que j'avais si souvent considéré du théâtre à la faveur des chandelles. Quoiqu'il fût parvenu déjà à l'âge de trente-cinq ans, Louis montrait encore sur son visage toutes les grâces de la jeunesse, tempérées par l'éclat de la grandeur; il daigna nous assurer qu'il était touché de la mort de Molière, disant qu'il avait bien de quoi pleurer un poète qui l'avait si fort diverti et que, pour le comédien, encore qu'il y en eût qui le surpassassent, il ne se souvenait pas qu'il l'eut jamais ennuyé.

Nous partîmes de là pour dire au monarque nos craintes sur ce que le clergé ferait peut-être des difficultés pour la sépulture, parce que Molière avait eu le malheur de décéder sans avoir reçu le sacrement de confession, malgré qu'il en eût exprimé le désir, et par la faute de MM. Lenfant et Lechat, deux prêtres habitués de la paroisse Saint-Eustache, qui avaient refusé de venir à lui, et dans le temps qu'il venait de représenter la comédie.

Le roi nous dit qu'il parlerait avec M. de Paris de cette affaire et qu'au surplus le désir du sacrement de confession, quand il était dicté par la contrition parfaite, suffisait pour absoudre un pêcheur. Voyant que nous paraissions un peu surpris qu'il fut instruit des choses de la religion les plus subtiles, il sourit, ajoutant:

—Ne suis-je pas chanoine de plusieurs églises?

Et véritablement, il l'était.

Étant sortis du cabinet du roi, je trouvai M. de Moncontour, qui marquait par son attitude qu'il était fort chagriné, et ne doutant pas qu'il n'éprouvât une grande douleur de la mort d'un ami si fidèle, je lui dis ce que je crus devoir pour l'adoucir par quelque consolation; je fus bien surpris lorsque j'entendis le marquis s'écrier:

—Cela est vrai, la mort de Molière me touche et je prends une part infinie dans un trépas si cruel et si prompt; mais il faut convenir qu'il m'arrive l'aventure la plus piquante, la plus mortifiante du monde, et que l'injure qui m'est faite domine en ce moment mes sentiments jusqu'à étouffer en moi les souvenirs de l'amitié.

Je vis bien où était l'enclouure et qu'il s'agissait encore de ce logement à Versailles, et je demandai à ce seigneur si c'était de quelque magnifique appartement que l'intrigue l'eût ainsi écarté et qui pût lui faire oublier l'hôtel aux superbes dehors qu'il avait proche le château dans la rue de l'Intendance?

Il me regarda d'un air surpris:

—Point du tout, monsieur, et ce logement-là était sous les combles, la chambre la plus mal accommodée et la plus puante du monde.

—Sur ce pied-là, répliquai-je, Monsieur le marquis, il ne me paraît pas que Votre Seigneurie ait perdu au change?

—Et comptez-vous pour rien, monsieur, l'honneur et la facilité d'approcher le roi à tous les moments de la journée, et de se trouver de la sorte pour ainsi dire à la source de ses grâces et dans le canal de ses faveurs? Cela est de conséquence, au moins! Non, vous voyez une victime de la dernière injustice et il n'y a rien qui soit si triste que mon état, ni si déplorable que mon affliction...

Pour moi qui ne me sentais pas disposé à partager les emportements de M. de Moncontour et à m'étendre sur une infortune aussi prodigieuse que la sienne, je me retirai discrètement, sans même qu'il s'en aperçut, et laissant ce seigneur s'abîmer dans la douleur dont il décrivait si bien les effets.

XXV
LE PRÉSIDENT SCAPIN

A quelque temps de là, étant allé à Versailles avec ma chère Angélique, il arriva une aventure surprenante, dont le succès mit enfin en possession M. de Moncontour de cet appartement au château qu'il regrettait plus d'avoir perdu qu'une bataille et me conduisit moi-même, par manière de ricochet, à un établissement définitif et à un certain point de fortune que je n'ai point souhaité depuis de dépasser.

Mme du Fresnoy, notre cousine, qui aimait passionnément le fils dont son mari avait obligation à M. de Louvois, parut, ce jour-là, dans une désolation finie parce que ce même enfant ayant laissé ouverte la cage d'un serin qu'il affectionnait particulièrement, l'oiseau s'était envolé dans quelque bosquet.

M. du Tailli ne pouvait se consoler de cette fuite et nous trouvâmes Mme du Fresnoy au milieu d'un escadron de laquais qu'elle dirigeait et qui, montrant plus de furie que de zèle, épouvantaient ce pauvre serin, lequel faisait de petits vols brusques et toujours plus hauts; de manière que l'on concevait bien que, la peur et l'instinct de la liberté aidant, il finirait par s'échapper tout à fait et gagner quelque couvert où il n'y aurait plus jour à le reprendre.

Angélique s'étant approchée et voyant Mme du Fresnoy si suante sous son grand habit que ses petites boucles s'étaient défrisées et pendaient comme ficelles à nouer des sacs, lui dit fort posément que, pourvu qu'on la laissât faire et que les laquais se tinssent cois, elle était assurée d'obliger l'oiseau à revenir et qu'elle serait bien quinaude si elle ne le tenait dans sa main devant qu'une heure fût passée.

La chose de la sorte arrangée, notre cousine ayant retenu ses commandements, son fils ses pleurs et les laquais leurs cris, je connus aussitôt ce que la force du sang et le souvenir des aïeux peuvent avoir d'action sur les mouvements des hommes et que cet insigne capitaine des serins de M. de Vendôme, qui était l'auteur de sa race et l'inclyte raison de sa grandeur, revivait justement en ce moment dans Angélique qui, prenant un visage souriant ensemble et majestueux, s'avança vers l'arbre où l'oiseau battait des ailes en jetant, avec de petits sauts, de petits cris qui auraient pu fort bien passer pour un langage, si M. Descartes ne nous avait prévenus que la machine de l'animal ne pense pas plus que celles construites par l'industrie des hommes. Angélique, usant de gestes lents et si mesurés qu'on les eût dit réglés par le jeu de quelque invisible violon, attira d'abord, sans les effrayer, les regards de l'oiseau. En même temps, par le moyen des lèvres à demi jointes, elle figurait un sifflement d'une douceur ravissante et telle qu'il eût fallu le cœur d'un tigre au lieu de celui d'un serin, pour n'en paraître pas charmé.

Dans ce moment, nous vîmes, en effet, cette bête qui, descendant d'un pied, sembla se rapprocher, en hésitant, comme balançant entre le désir de la liberté et l'invincible attrait de se laisser prendre par un si bel appeau. Ma femme, cependant, poursuivant les modulations de son sifflement, s'approchait insensiblement et déjà levait une main, quand M. du Tailli ayant inconsidérément crié que l'oiseau était pris, celui-ci fit un saut et s'enfuit. Nous vîmes cette petite boule d'or traverser l'obscurité du bosquet pour se poser dans un feuillage où le soleil déjà avait mis des couleurs d'un jaune qui ne le cédait pas à celui du plumage; mais, au même moment, un seigneur qui tournait justement l'allée, faillit recevoir en plein dans son pourpoint la bestiole étourdie et, sans se démentir, posant sur l'agitation de ses ailes son chapeau lourd de plumes et de points, dans l'instant il eût réduit en captivité la cause d'un si grand émoi.

Étant accourus, nous vîmes que c'était M. de Moncontour qui venait par cette manœuvre-là de décider la victoire et lui, qui jugea la situation d'abord, me confia, par la suite, qu'il n'avait pas éprouvé tant de joie ni conçu tant d'espérance le jour où, par l'arrivée subite de ses escadrons à Turckheim, il avait aidé le comte de Turenne à culbuter M. de Montecuculli.

Ce marquis appréciait les choses comme il convient à un seigneur de la cour et n'augurait pas à la légère, car Mme du Fresnoy ressentant pour un service à ce point signalé la reconnaissance d'une âme généreuse, elle fit jouer des ressorts si justes et prit des mesures si exactes, qu'en moins de huit jours elle eut obtenu pour ce vieux guerrier l'appartement qu'il désirait d'occuper à Versailles et que ni ses services à la guerre, ni sa constance à demeurer près du prince, ni sa grande qualité n'avaient eu assez de crédit pour lui procurer.

Sa reconnaissance et la faiblesse de M. de Louvois ne se bornèrent pas là, car, à quelque temps de là, M. de Moncontour fut compris dans une promotion de maréchaux, dignité qu'il avait méritée par ses campagnes, mais qu'il aurait sans doute attendue plus longtemps sans l'aventure du serin.

Sitôt que M. de Moncontour eut été mis en possession d'une demeure qu'il jugeait si délicieuse, il fit diligence pour m'envoyer un mot de billet disant qu'il voulait reconnaître les soins que nous avions pris, Angélique et moi, pour maintenir la cousine dans ses heureuses dispositions en lui rappelant par le moyen du serin les obligations qu'elle avait à lui et véritablement nous nous y étions attachés de bon cœur.

Je trouvai le nouveau maréchal dans son nouvel appartement. C'étaient deux chambres meublées assez médiocrement, dans la hauteur de l'une desquelles était ménagé de quoi coucher un valet, avec un sol de carreaux sur lequel on avait eu l'honnêteté de jeter un bon tapis.

—Monsieur de La Fontette, me dit le marquis, je sais les diligences que vous avez faites pour m'aider à obtenir une grâce que je prisais fort, et je veux vous montrer que vous ne vous êtes pas employé pour un ingrat. Il y a présentement, dans le pays chartrain, où j'ai mes terres, une charge dans l'élection d'une ville petite, mais jolie, qui est à ma disposition et que j'ai résolu de vous faire avoir. C'est une charge de campagne, à la vérité, mais il y a de grands agréments et de grandes prérogatives.

—Je suis confondu, Monsieur le maréchal, des bontés que vous faites paraître à mon endroit, mais oserais-je vous demander de quoi il s'agit?

—Vous serez président, Monsieur de La Fontette, à moins que vous n'ayez quelque répugnance à entrer dans la robe.

—Monsieur, voulez-vous?...

—A la vérité, on ne voit dans toute la juridiction ni procureurs, ni avocats, ni conseillers même, et vous serez la justice à vous tout seul, mais on est maître absolu dans le pays, le titre demeure et je gage que Mme de La Fontette aura satisfaction d'être présidente.

—Songez, Monsieur, que je suis comédien.

—Eh! Monsieur, me répondit cet homme de guerre avec un beau sang-froid, le théâtre n'est-il pas la meilleure école du tribunal? Soyez assuré que vous n'aurez pas perdu vos grimaces et qu'elles pourront servir encore.

—Je n'ai point étudié le droit.

—Il y a dans la ville un tabellion qui règle tout moyennant trente ou quarante francs par année, et puis, quand on a bon sens et bon esprit, on n'a qu'à juger à la rencontre. C'est assez pour des gens de province. C'est à Paris que l'on raffine...

—Sur ce pied-là, Monsieur le maréchal, je suis votre homme, et il ne me reste qu'à vous remercier...

—Allez, allez, s'écria-t-il en m'interrompant et en me poussant par les épaules, allez Monsieur le président, faire l'achat d'une robe noire; vous n'en serez pas plus tôt revêtu que vous jugerez comme Salomon. Mais, au moins, ne vous laissez pas frustrer de vos épices; haut la main, Monsieur le président, et si vous rendez la justice, faites-lui rendre aussi.

C'est ainsi que de Scapin je devins président et qu'Angélique ajouta un nouveau lustre à la lignée des capitaines de serins. Le hasard ou plutôt la Providence, qui ne laisse pas d'avoir de l'esprit malgré sa grandeur, voulut que le premier coupable que j'aie eu à juger fût un pauvre histrion de campagne qui avait sur la conscience le meurtre de quelque poule, conseillé par l'appétit.

Je balançai longtemps si je le ferais pendre, pour prouver aux autres et surtout à moi-même que je n'étais pas un magistrat de derrière les chandelles, mais mon inclination naturelle me portant à la douceur, et ayant remarqué que ce maraud avait des lumières toutes spéciales sur la façon de confectionner certaines confitures que je prise fort, je me libérai d'en faire mon laquais et, dans la suite, ayant montré du goût pour la basoche, je lui fis avoir une charge d'huissier, de manière qu'à la fin il jugeait à ma place lorsque j'étais incommodé ou occupé à la promenade.

Et, ce qui montre assez que l'art comique est la véritable nourrice et la source naturelle de toutes les autres professions humaines, on tomba d'accord que jamais la justice n'avait été si droitement et si subtilement distribuée dans le pays chartrain. C'est ainsi que Thalie, la muse au double masque, préparait des serviteurs pour Thémis, la déesse au double visage.

XXVI
LA PIERRE FENDUE

Il y avait bien deux ou trois ans que je jugeais les autres à la manière d'un Solon ou d'un Dracon, selon le sentiment de ceux que mes arrêts faisaient blancs ou noirs, quand je fus contraint d'aller à Paris pour quelque affaire dont je ne me souviens pas bien. Il faut cependant qu'elle ait été de conséquence, car je partis au milieu de l'hiver et dans le temps que la neige obstruait tous les chemins. J'ai souvenance, à la vérité, qu'Angélique, ma femme, était pour lors d'une mélancolie si outrée, pour avoir été traitée de présidenteaude par la femme de l'Élu à qui elle disputait le pas, que les meubles en dansaient d'eux-mêmes dans la maison et que deux plaideurs qui apportaient certain quartaut de vin vieux dans l'attente de leur procès avaient été reçus par elle comme s'ils fussent venus lui redemander leurs Épices.

Je pris le coche de Chartres, qui me conduisit à Paris en deux journées seulement, et étant descendu dans une auberge qui avait bon air, je m'occupai d'abord à bien me décrasser de la poussière du chemin, après quoi je commandai à l'hôte de mettre un poulet à la broche et de tirer de son meilleur vin, accomplissant toutes ces choses avec la liberté d'esprit et le contentement d'un homme qui se verrait par quelque miracle subitement tiré de la tempête et entré dans la bonace.

Dès que j'eus dîné de la manière que j'ai dit, je m'en fus en droiture à la rue Mazarine, proche celle Guénégaud, où la troupe s'était retirée depuis la mort de Molière, pour voir la comédie que l'on donnait ce soir-là, et qui se trouva être le Misanthrope. M'étant fait ouvrir une loge, j'entendis cette pièce parfaite, et qui a mérité d'être placée au-dessus même des ouvrages des anciens par la peinture des caractères et la force de l'expression; mais j'eus peine à retenir mes larmes en voyant, au lieu de l'aimable Molière, l'impertinent Baron dans le personnage d'Alceste. A la vérité, ce comédien avait du mérite, et l'on a sans doute eu raison de dire qu'il avait atteint la perfection dans son art, mais de le considérer de la sorte, et si l'on peut ainsi parler, dans la peau et sous les habits d'un homme que j'avais si passionnément aimé, de voir auprès de lui Mlle Molière remplir ce rôle de Célimène que je savais avoir été écrit pour elle dans les transports de la jalousie la plus cruelle ou les espérances d'un invincible amour, de trouver ainsi rassemblés sous mes yeux les deux êtres pour qui Molière avait montré un si fort attachement et payé d'une extrême ingratitude, cela me parut si touchant, si neuf et si déplorable, que le ressentiment de cette heure est toujours depuis demeuré en moi.

Après le Misanthrope, on donnait l'Inconnu, du fameux Thomas Corneille; entre les deux pièces, La Grange vint tenir l'emploi d'orateur, qui était auparavant celui de Molière. Son compliment ne fut pas mauvais, il y montra du feu et une honnête hardiesse, mais sans égaler la bonne grâce, la politesse et la modestie de celui qui l'avait instruit.

Étant passé sous le rideau, à la fin du spectacle, j'allai saluer Mlle Molière, qui faisait paraître un visage de veuve, je veux dire serein et riant, en même temps que le maintien d'une femme qui veut cesser de mériter ce beau titre et ce beau front, et je pus juger sur l'air sournois et passionné d'un comédien nommé Guérin d'Étriché, qui se trouvait là, qu'elle songeait, comme on l'a dit plus tard, à remplacer son mari d'esprit

Par un de chair qu'elle aimait davantage.

Poussant un peu plus loin mes pas, je cherchais La Grange pour lui faire mes honnêtetés quand, entrant dans la chambre des comédiennes, je me vis soudainement devant une jeune personne qui était grande et bien faite, quoique peu jolie, et que je crus reconnaître pour l'avoir vue autrefois, étant petite, s'amuser aux jeux des enfants dans quelque coin de la scène, devant que la toile ne fût levée. Je m'approchai de la fille de Molière et, l'ayant saluée, je lui dis que j'avais sujet de me louer du sort, puisque je me trouvais devant une personne dont le père m'aimait et pour qui j'avais toujours fait profession de la vénération et de l'amour qu'un fils peut avoir.

Nous nous entretînmes ensuite quelques instants de la sorte, et j'appris de cette demoiselle que sa mère l'avait fait entrer au couvent, dans l'espérance qu'elle y resterait tout à fait, mais que, ressentant pour la vie religieuse une aversion insurmontable, elle avait enfin obtenu de revenir auprès de Mlle Molière.

—Mais, lui dis-je, quel est votre âge présentement?

—Chut! me répondit-elle, j'ai quinze ans et demi; mais n'en dites rien à ma mère.

Montrant ainsi qu'elle avait compris la cause pour laquelle on avait du dépit d'une aussi grande fille.

Dans le moment que nous parlions tous deux, nous vîmes un homme assez bien fait, quoique vieillard de quarante ans approchant, qui semblait me considérer d'un œil mortifié, jusqu'à ce que la petite Molière lui eut fait connaître qui j'étais et m'eut dit que c'était un gentilhomme nommé le sieur de Montalant à qui elle avait de grandes obligations. Je ne savais pas bien ce qu'elle entendait par là, mais dans la suite ce Montalant ayant épousé cette Iphigénie, je connus que le meilleur office que l'on puisse rendre à une fille est de la soustraire au cloître et de lui donner un mari même barbon.

Après avoir salué la jeune personne, M. de Montalant lui demanda d'un air vif:

—Savez-vous quel est le dessein de Mlle Molière en faisant voiturer cette grande masse de bois que l'on voit au cimetière Saint-Joseph sur la tombe de votre père? Il y a là pour le moins cent voies.

—Non, vraiment, s'écria la petite, et je vous prie de me faire connaître la raison de cette fantaisie étrange et nouvelle, car pour ma mère, dès la comédie faite, elle partit.

—Sur ce pied-là, repartis-je, il n'y a qu'à faire venir des porteurs et nous irons en chaise jusqu'à l'endroit que Monsieur dit; il n'y a rien, au surplus, qui soit si pressé pour moi que d'aller faire mes dévotions sur une si illustre pierre.

Étant arrivés dans le cimetière Saint-Joseph, nous vîmes que de grands feux s'élevaient au-dessus d'une tombe, qui passait d'un pied hors de terre, et qu'autour de ces feux une quantité de misérables assemblés se chauffaient avec de grandes démonstrations d'une joie qui se pouvait concevoir par comparaison avec la violence du froid de l'hiver. Les flammes, en montant dans la nuit et parmi les solitudes sépulcrales du lieu, faisaient une image parfaite de l'enfer, et, pour achever le tableau, on pouvait fort bien considérer comme figures de damnés les gens qui, pour s'approcher plus du foyer, se battaient et se mordaient, ou ceux qui, assommés par les effets de la chaleur, dormaient étendus tout autour dans la fange humide et grasse.

Un archer du guet, qui se trouvait là et considérait philosophiquement ces choses à la manière de ceux de sa corporation, nous dit effectivement que c'était un bienfait de Mlle Molière qui, pour honorer la mémoire de son mari, faisait aux pauvres du quartier des largesses de chauffage.

Nous qui savions combien cette mémoire était lointaine et prête à s'évanouir devant les flambeaux d'un autre hyménée, nous ne pûmes nous empêcher de nous entre-regarder en silence. J'ai cru depuis que cette flambée charitable était comme l'excuse dernière d'une veuve croyant expier par ce grand déploi de flammes envers un mort, celles dont elle rougissait de brûler pour un vivant.

—Esprit, disait M. de Montalant, chère Esprit, voilà qu'il est tard et qu'il faut rentrer au logis.

Je ne connus pas d'abord à qui ce discours s'adressait, et je me sus mauvais gré, tout de suite après, d'avoir oublié le nom de la fille de Molière. N'était-il pas juste cependant, que le seul des enfants qui eût survécu au comique s'appelât Esprit?

Le lendemain, le hasard ou l'enchaînement de mes pensées me conduisirent de nouveau dans le cimetière de Saint-Joseph. La pierre qui recouvrait la tombe s'était fendue en deux, par l'effet du feu. Je crus que, durant la nuit, l'âme de Molière avait pu s'élever à travers cette fente pour se mêler un peu à celles du populaire qui se chauffait à cette flamme et s'égayait à cette clarté, image des foules de l'avenir qui s'éclaireront éternellement à la lumière de son génie et se réjouiront à la chaleur de sa gaieté.

XXVII
LA REVANCHE DE THALIE
ET DE THÉMIS

Quand Scapin eut été pourvu d'une charge de président, par la grâce de M. de Moncontour et par le canal du serin qui fit en même temps de ce marquis un maréchal de France; quand la souquenille rayée du valet de comédie eut été remplacée sur mon dos par la robe noire du magistrat, et qu'au lieu des feux du théâtre je reçus les épices du tribunal, je ne trouvai point finalement que ma condition fût changée sensiblement. J'imaginais parfois que les plaideurs acharnés à disputer devant moi n'étaient que les personnages d'une scène que nous répétions; et pour l'assemblée qui venait parfois bâiller à l'audience—j'entends les jours d'hiver où je faisais allumer de grandes bourrées dans l'âtre ou quand il s'agissait de l'honneur d'un voisin—elle figurait parfaitement à mes yeux les spectateurs. Ils montraient effectivement le même goût, qui est de siffler l'acteur quand il joue bien et d'approuver le magistrat s'il opine mal.

Cependant Angélique, ma femme, n'était pas apparemment de ce sentiment, et le fit bien voir; car, s'étant montrée aussi stérile que le sont, au dire des voyageurs, les déserts sablonneux de la Lybie, du temps que j'étais Scapin, elle s'appliqua—sitôt que je fus président—à concevoir, chaque année, des enfants dont je me crois tendrement le père, ce qui fit qu'en un peu moins de six ans nous en comptâmes un peu moins que la demi-douzaine, je veux dire cinq, que j'élevai de la manière que je vais dire.

Le premier, qui était un fils, fut appelé par nous M. de la Bertrandière, du nom d'une certaine seigneurie que j'acquis à bon compte après la mort d'un traitant que j'avais fait pendre. M. de la Bertrandière n'eut pas plutôt atteint l'âge de sept ans que, cessant de le laisser polissonner, comme il avait fait jusqu'alors, avec les petits garçons du pays, j'ordonnai qu'il passerait des mains des femmes dans celles des hommes, et par là j'entendais n'être plus cousu aux jupes de la maritorne qui préparait nos repas, mais attaché aux basques de l'huissier qui écrivait mes procès-verbaux. Pour le second, qui fut aussi du sexe masculin, sa mère jugea que ce serait lui faire tort de le destiner à moins qu'à la prélature, et nous commençâmes à le nommer M. l'abbé, le jour qu'on lui ôta les lisières. Après cela vinrent deux filles, Isabelle et Armande, puis un fils, qui fut le Chevalier, car nous le crûmes assez bon gentilhomme pour être admis à faire ses caravanes sur les galères de l'ordre de Malte. On peut juger par là que nous ne songions guère, pour notre géniture, à la ranger sous les lois de Thémis ou de Thalie, origine et source de notre fortune, mais les fumées ambitieuses de ma femme et le soin de sa grandeur faisaient qu'elle souffrait assez impatiemment de me voir robin, pour ne point vouloir permettre que ses fils endossassent le harnais des chevaliers de la procédure. Et, pour le théâtre, elle ne se souvenait pas, je pense, que j'eusse été comédien.

On fit faire, par le tailleur du village, un habit de cavalier au gentilhomme, un vêtement de prébendier à l'ecclésiastique et un équipage militaire pour le profès. Pour les filles, elles eurent de beaux damas et des rubans à la mode des dames de la cour, car nous nous serions écriés à l'idée qu'elles pussent n'avoir pas, plus tard, le tabouret à Versailles, ou tout au moins des pages à Paris.

Après cela, nous fîmes venir un magister pour apprendre le rudiment et surtout donner le fouet à mes fils, avec un maître à danser pour montrer à nos filles les façons de la bonne compagnie, et contents d'avoir ainsi pourvu à la fortune future de nos descendants, nous pûmes enfin librement nous livrer à nos occupations coutumières, qui étaient pour Angélique de contester avec les vieilles femmes du village, et pour moi, les jours que je ne jugeais point, de vider quelques flacons chez les uns ou chez les autres en discourant sur les affaires publiques ou les biens de la terre.

Or, un matin que je revenais de chez le curé du lieu, qui était bon compagnon et avait entrepris de faire mon salut, par le moyen d'un excellent vin qu'il avait dans son cellier, je fus surpris, au détour de quelque charmille, d'entendre dans une partie écartée de mon jardin un murmure de voix alternées. M'étant avancé un peu plus, je distinguai, sur une terrasse terminée par deux rampes assez majestueuses, une petite troupe de gens qui semblaient faire des cérémonies, s'abordaient avec des révérences ou se promenaient pompeusement deux par deux en discourant. Comme j'avais pu me dissimuler derrière une allée d'arbres, j'arrivai assez près pour être confondu de voir que c'étaient mes fils et mes filles qui s'étaient concertés pour jouer la comédie.

Il y avait là aussi quelques polissons du village, réunis sans doute pour servir de spectateurs, et qui marquaient assez n'avoir pas payé leurs places en poussant plus souvent de longs sifflets d'improbation que faisant des battements de mains, même aux endroits les mieux touchés. Cependant Isabelle, l'aînée de mes filles, montrait des mines et se servait de l'éventail de la bonne manière, tandis qu'Armande, en suivante qui connaît ses devoirs, marchait derrière sa sœur avec un maintien à la fois modeste et effronté. Le chevalier, qui ne comptait pas plus de cinq printemps, figurait un page et s'appliquait en conscience, sans cesser toutefois de plonger ses doigts dans son nez, à porter la queue de la dame, tandis que M. de la Bertrandière, un poing sur la hanche, et tenant de l'autre main une canne qu'il m'avait dérobée, s'avançait à pas comptés, comme un seigneur auprès de son infante. Pour l'abbé, il montrait une apparence austère la plus bouffonne du monde et paraissait plongé dans des pensers profonds, qui ne le détournaient point, à la vérité, du soin de croquer un massepain qu'il tenait fort gracieusement en manière de tabatière.

Après qu'ils eurent ainsi représenté je ne sais quelle scène de leur imagination,—car les paroles n'arrivaient pas jusqu'à moi,—je les vis débattre un moment sans doute sur le jeu qu'ils voulaient essayer; après cela, l'abbé partit en courant du côté de la maison, pendant que les fils de mon fermier apprêtaient avec beaucoup de gravité une manière de siège, où M. de la Bertrandière s'assit dès que son frère eut rapporté ma robe de juge qu'il m'avait empruntée sans me consulter.

Les deux petits paysans qui, décidément, figuraient les archers dans cette mascarade, amenèrent alors un garnement tenant encore à la main la poire qu'il venait de dérober dans mon verger. Il me parut qu'il était jugé dans les formes, car, après interrogatoire, et ayant écouté d'un air indolent la plaidoierie de l'abbé, mué pour la circonstance en avocat, mon pendard de fils, qui imitait mes façons avec une effronterie pour laquelle je prévoyais le fouet,—feignant de dormir et de s'éveiller brusquement pour invectiver l'accusé, contrefaisant le défenseur dans l'endroit le plus pathétique, ou lorgnant les deux dames, ses sœurs, en prononçant la condamnation,—commanda d'un ton de bonne humeur que l'on emmenât le voleur pour le pendre promptement.

Dans le moment, la suivante vint annoncer la dame à M. le président, qui s'entretint quelque temps avec elle d'un air égrillard, et, un peu après, le page apporta au juge un sac fort pesant rempli de sable en manière d'écus, sur quoi le prisonnier fut délivré et eut licence de s'en aller, ce qu'il fit en achevant de manger sa poire.

J'étais si transporté de fureur de voir ces marauds d'enfants représenter ainsi la justice que, levant mon bâton et paraissant sur la terrasse, je mis du coup en déroute toute la bande, qui s'enfuit laissant par terre ses hardes et ma robe, défroques déplorables de l'art comique et de l'appareil judiciaire.


DOCUMENTS

«Les mémoires de Louis Morellet, sieur de La Fontette s'arrêtent ici; on sait peu de choses sur ses dernières années qu'il vécut dans la retraite et occupé du soin de son salut, car il devint fort dévot après la mort de sa femme, disant que la mauvaise humeur naturelle d'Angélique l'ayant sûrement conduit au purgatoire et pour longtemps, il voulait essayer de gagner le ciel en droiture afin d'y goûter un peu de repos pendant l'éternité en attendant que sa femme vînt le rejoindre dans le sein de Dieu.

On doit croire, que, selon ses desseins, l'un de ses enfants suivit la voie des armes, car un La Fontette figure parmi les officiers tués pendant la retraite de Prague, mais, malgré nos recherches, nous n'avons pu retrouver le destin des deux autres, qui, vraisemblablement, n'ont pas laissé postérité. Une des filles de Bellefleur se fit comédienne contre son vœu; on croit qu'il mourut du chagrin que lui causa cette disgrâce. Thérèse Morellet était grande, spirituelle et libre, elle dansa à l'Opéra et sut plaire. C'est elle qui fit à Mlle Le Rochois, qui lui enseignait un rôle d'amante abandonnée adressant ses adieux à celui qu'elle adore, une réponse célèbre:

—Pénétrez-vous de la situation, disait le professeur; si vous étiez délaissée par un homme que vous aimeriez avec passion, que feriez-vous?

—Je chercherai un autre amant.

On a sujet de croire, surtout après cela, que la seconde fille de Bellefleur fut nonne.

(Extrait de l'ouvrage—introuvable aujourd'hui: «Considérations sur la troupe de Molière, avec des notes pour servir à l'histoire de la descendance des acteurs et actrices de l'illustre théâtre pour faire suite à celles de M. de Grimarest» (1764).)

Portrait de Bellefleur, par Mme la maréchale de Moncontour (Mémoires):

«Sa taille ne passait guère la médiocre, mais elle était bien prise et sentait l'homme de condition. Il avait la figure ronde, avec des yeux pleins de feu et en tout la mine d'un honnête homme, quoiqu'au théâtre il ne jouât que les valets. Bellefleur épousa une manière de fille de qualité qui la lui fit payer bien cher par ses dégoûts, et l'obligea de quitter le théâtre qu'il aimait. Par la suite, il devint président et dévot. Sans doute qu'il se souvenait de Perrin Dandin et de Tartuffe. On assurait qu'il était gentilhomme, mais il peut être tenu pour certain que jamais ses ancêtres n'avaient gagné tant de batailles ni obtenu tant de renom avec leurs épées, qu'il ne remporta l'un et l'autre avec son dos et sous le bâton.»

Il y a quelques années, au moment où je rassemblais et déchiffrais les feuillets épars et inédits des Mémoires de Bellefleur, le hasard—ou pour parler plus franc,—le succès d'une piste habilement suivie me conduisit à retrouver dans le Loir-et-Cher un certain baron de Lafontette, qui paraissait dans une situation de fortune assez belle et qu'on me dit infatué de noblesse d'une manière qu'on ne rencontre plus qu'en province chez les personnes inoccupées. Sous prétexte de recherches généalogiques je parvins à entrer en rapport avec M. de Lafontette qui ne me cacha pas que sa famille remontait à la plus haute antiquité. L'ayant interrogé sur le président de Lafontette, il me répondit que peut-être des cadets de sa maison avaient pu à un moment donné entrer dans la robe, mais que son ascendance directe était d'épée et qu'on pouvait retrouver à chaque page de l'histoire de France les traces des grands coups d'estoc,—il prononçait estoc avec une évidente complaisance,—fourni par les siens.

J'osai lui glisser quelques mots de Bellefleur en m'informant s'il n'avait pas quelques notions sur ce personnage de son nom, mais il rejeta avec hauteur la corrélation que j'avais paru vouloir établir entre cet histrion, dit-il, et son aïeul.

Cependant les registres de l'état civil consultés par moi donnent cette indication: Acte de naissance de Louis, Joseph, Charles, Léon Morellet de Lafontette, fils de, etc.

Ce M. de Lafontette a un fils qui n'a pas cru devoir immobiliser son activité dans les opinions réactionnaires de sa famille et qui occupe actuellement au ministère de l'Instruction publique une situation prépondérante et occulte. Son influence s'exerce d'une manière assez sensible dans le choix des croix attribuées aux comédiens comme professeurs ou fonctionnaires.


Paris.—L. Maretheux, imprimeur, 1, rue Cassette.—5326.


TABLE

    Pages.
I Le panier d'œufs. 1
II Pharasmane. 9
III Les six sous de la tourte. 16
IV La peau du lion. 24
V Le nabot. 32
VI Le philtre. 39
VII L'injuste trépas. 46
VIII L'opinion de Corneille. 56
IX Molière inquiet. 65
X Les deux pendus. 73
XI Les trois couples. 84
XII Le souper d'Auteuil. 92
XIII Le Gascon fâché. 100
XIV Scapin héros. 108
XV Les matassins. 115
XVI «Phèdre». 123
XVII La batonnade Scapin. 130
XVIII Le jeu de l'amour et de la comédie. 139
XIX Le notaire supposé. 147
XX Le mariage comique. 156
XXI L'assaut burlesque. 165
XXII Le pédant malavisé. 174
XXIII La mort de Molière. 182
XXIV Le chagrin de M. de Moncontour. 193
XXV Le président Scapin. 202
XXVI La pierre fendue. 211
XXVII La revanche de Thalie et de Thémis. 219
  Documents. 227
  Table. 233

Eugène FASQUELLE, Éditeur

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Tome III.—Histoire du roi Omar Al-Néman et de ses deux fils merveilleux Scharkan et Daoul'Makan.

Tome IV.—Fin de l'histoire du roi Omar Al-Néman.—Histoire charmante des animaux et des oiseaux.—Histoire d'Ali Ben-Bekar.

Tome V.—Histoire de Kamaralzaman avec la princesse Boudour.—Histoire de Bel-Heureux et de Belle-Heureuse.—Histoire de Grain-de-Beauté.

Tome VI.—Histoire de la docte Sympathie.—Aventure du poète Abou-Nowas.—Histoire de Sindbad le Marin.—Histoire de la belle Zoumourroud avec Alischar, fils de Gloire.—Histoire de six adolescentes.

Tome VII.—Histoire prodigieuse de la ville d'Airain.—Histoire d'Ibn Al-Mansour.—Histoire de Wardan le boucher.—Histoire de la Reine Yamlika.—Histoire du bel adolescent triste.—Le parterre fleuri de l'esprit et le jardin de la galanterie.—L'étrange Khalifat.

Tome VIII.—Histoire de Rose-dans-le-calice.—Histoire magique du cheval d'ébène.—Histoire de Dalila-la-Rouée.—Histoire de Jouder le pêcheur.

Tome IX.—Histoire d'Abou-kir.—Anecdotes du jardin parfumé.—Histoire d'Abdallah de la terre et d'Abdallah de la mer.—Histoire du jeune homme jaune.—Histoire de Fleur-de-Grenade.—La soirée d'hiver d'Ishak.—Le Fellah d'Égypte.—Histoire du khalife et du khalifat.

Tome X.—Les aventures de Hassan-al-Bassri.—Le diwan des gens hilares et incongrus.—Histoire du dormeur éveillé.—Les amours de Zein-al-Mawassif.—Histoire du jeune homme mou.

Tome XI.—Histoire du jeune Nour avec la Franque héroïque.—Les séances de la générosité et du savoir-vivre.—Histoire merveilleuse du miroir des vierges.—Histoire d'Aladdin et de la lampe magique.

Tome XII.—La parabole de la vraie science de la vie.—Farizade au sourire de rose.—Histoire de Kamar et de l'experte Halima.—Histoire de la jambe de mouton.—Les clefs du destin.—Le diwan des faciles facéties et de la gaie sagesse.—Histoire de la princesse Nourennahar et de la belle Gennia.

Tome XIII.—Histoire de Gerbe-de-Perles.—Les deux vies du sultan Mahmoud.—Le trésor sans fond.—Histoire compliquée de l'adultérin sympathique.—Paroles sous les quatre-vingt-dix-neuf têtes coupées.—La malice des épouses.—Histoire d'Ali-Baba et des quarante voleurs.

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