Cent-vingt jours de service actif: Récit Historique Très Complet de la Campagne du 65ème au Nord-Ouest
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Title: Cent-vingt jours de service actif
Author: Charles R. Daoust
Release date: September 30, 2004 [eBook #13557]
Most recently updated: October 28, 2024
Language: French
Credits: Produced by Renald Levesque from documents made available by the BNQ
(Bibliothèque Nationald du Québec)
CHARLES R. DAOUST.
CENT-VINGT JOURS
DE SERVICE ACTIF
RÉCIT HISTORIQUE TRÈS COMPLET
DE LA
CAMPAGNE DU 65ème
AU
NORD-QUEST
AVEC DE NOMBREUSES ILLUSTRATIONS
MONTRÉAL-1886
TABLE DES MATIÈRES.
Avis au lecteur.
Préface.
Tableau chronologique.
PREMIÈRE PARTIE.
LA MARCHE.
Chapitre I.—De Montréal à Calgarry.
Chapitre II.—Séjour à Calgarry.
Chapitre III.—Le Bataillon Droit.—De Calgarry à Edmonton.
Chapitre IV.—Le Bataillon Gauche.—De Calgarry à Edmonton.
DEUXIÈME PARTIE.
LE BATAILLON DROIT.
Chapitre I.—D'Edmonton à Victoria.
Chapitre II.—De Victoria à Fort Pitt.
Chapitre III.—Fort Pitt et la Butte-aux-Français.
Chapitre IV.—A la poursuite de Gros-Ours.
Chapitre V.—Lemay et Marcotte.
TROISIÈME PARTIE.
LE BATAILLON GAUCHE.
Chapitre I—Port Ostell.
Chapitre II.—Fort Edmonton.
Chapitre III.—Fort Saskatchewan.
Chapitre IV.—Fort Ethier.
Chapitre V.—Fort Normandeau.
QUATRIÈME PARTIE.
LE RETOUR.
Chapitre I.—De Fort Ostell à Fort Pitt.
Chapitre II.—De Fort Pitt à Montréal.
Notes.
AU LECTEUR.
En présentant ce livre au public, l'auteur remplit un devoir. Pendant quatre longs mois tout un peuple a eu les yeux fixés sur les vastes territoires du Nord-Ouest, pendant quatre longs mois des centaines de familles canadiennes ont vécu dans l'anxiété la plus cruelle; pendant ce temps-là, des centaines de jeunes Canadiens bravaient toutes les misères, toutes les fatigues, la mort même, pour rétablir la paix et supprimer la révolte.
Et personne ne racontera leurs souffrances! personne ne redira leurs misères! Laisser passer cette page d'histoire canadienne sans la graver dans nos annales serait une négligence impardonnable, presqu'un crime.
Voilà la mission! voilà le devoir!
Quelqu'inexpérimenté que fût l'auteur, il n'a pas reculé devant la grandeur de la tâche imposée. Il confesse son incapacité et prie le lecteur de prendre en considération sa jeunesse et sa bonne volonté et de lui pardonner les mille imperfections de son oeuvre.
Lachine 1886.
CHARLES R. DAOUST.
PRÉFACE.
Est-il réellement nécessaire de faire une préface à cet ouvrage? Telle est la question que je me suis posée et qu'après mûre réflexion j'ai résolue dans l'affirmative. Il faut une préface, quand ça ne serait que pour expliquer au lecteur le plan sur lequel le livre a été écrit et en donner la raison.
Avant d'entrer en matière, il est de mon devoir de prévenir le public que ce livre n'a aucun but politique. J'ai voulu m'élever au-dessus de toute discussion de parti et présenter cet ouvrage qui n'aura d'autre mérite que sa valeur historique. Si, de l'avis de tous ceux qui ont pris part à la campagne de 1885, j'ai fait un récit fidèle de tous les événements qui ont accompagné le passage du 65ème dans le Nord-Onest, mon but aura été atteint.
Pour rendre le récit plus clair et le mettre à la portée de tous, j'ai divisé l'ouvrage en quatre parties distinctes:
1° La Marche; 2° Le Bataillon droit; 3° Le Bataillon gauche et 4° le Retour.
La première partie est le récit des incidents qui ont marqué le départ du 65ème de Montréal et les détails de sa marche jusqu'à Edmonton. Cette partie est subdivisée en quatre chapitres:
1° De Montréal à Calgarry; 2° Séjour à Calgarry; 3° Le Bataillon droit de Calgarry à Edmonton et 4° Le Bataillon gauche de Calgarry à Edmonton.
Dans le compte rendu de ces trente-cinq premiers jours de la campagne ainsi que dans tout le reste de cet ouvrage, je me suis borné à raconter les faits sans m'attacher beaucoup à la forme de style sous laquelle je les ai présentés.
La deuxième partie est divisée en cinq chapitres: 1° D'Edmonton à Victoria; 2° De Victoria à Fort Pitt; 3° Fort Pitt et la Butte-aux-Français; 4° A la poursuite de Gros-Ours et 5° Lemay et Marcotte.
La troisième partie, qui est le récit de la vie de garnison des différentes compagnies du bataillon gauche est naturellement subdivisée en autant de chapitres qu'il y avait de forts: 1° Fort Ostell; 2° Fort Edmonton; 8° Fort Saskatchewan; 4° Fort Ethier et 5° Fort Normandeau.
La quatrième partie est "Le Retour." Elle n'est subdivisée qu'en deux chapitres: 1° De Fort Ostell à Fort Pitt et 2° De Fort Pitt à Montréal.
Comme on peut le voir le plan est des plus simples et la division de l'ouvrage est des plus claires.
Ce n'est cependant pas sans beaucoup de travail que j'ai pu arriver à un résultat aussi satisfaisant. Séparé du gros du bataillon et relégué avec ma compagnie à soixante-dix milles au sud d'Edmonton, je n'ai pu me procurer le récit complet; de la campagne qu'en compilant les notes des officiers en charge des autres détachements du bataillon.
Je saisis l'occasion pour remercier chacun des officiers qui m'ont assisté de leur concours. Leur témoignage, corroboré par les soldats sous leurs ordres, est de la plus grande valeur au point de vue de la véracité du récit et son authenticité est au dessus de tout doute.
Il est très possible que certains faits de peu d'importance aient pu être oubliés, mais l'histoire générale est complète. Pour rendre le récit plus intéressant, j'ai fait insérer les vignettes des principaux officiers qui ont pris part à la campagne ainsi que les forts où le bataillon a passé. Les photographies ont été faites avec soin par les premiers artistes de cette ville, entr'autres M. L. Gr. H. Archambault, dont la réputation est établie. Les vignettes sont dues à MM. Cassan et Babineau et ont été faites avec autant de soin que possible.
En un mot, je n'ai rien négligé pour faire de cet ouvrage une oeuvre parfaite sous tous les rapports et le lecteur, prenant en considération mon trouble et ma bonne volonté, me pardonnera, je l'espère, les quelques erreurs de style qui, à cause de mon inexpérience, ont pu se glisser dans ces pages.
Montréal, 1886.
CHARLES R. DAOUST,
Sergent, Compagnie No. 1, 65ème Bataillon.
TABLEAU CHRONOLOGIQUE DES
ÉVÈNEMENTS DE L'EXPÉDITION DU 65ème
AU NORD-OUEST
Mars 28.--Appel du 65ème en service actif.
Avril 2.--Départ du bataillon de Montréal.
Avril 3.--Passage à Mattawa.
Avril 4.--Arrivée à Dalton.--Voyage en traîneaux.
Avril 5.--Arrivée au Lac-au-Chien.--Nuit en chars à boeufs.
Avril 6.--Marche sur le lac Supérieur.--Arrivée à Jackfish Bay.
Avril 7.--Séjour à Jackfish Bay.
Avril 8.--Arrivée à Red Rock.--On remonte à bord de bons chars.
Avril 9.--Passage à Port Arthur.
Avril 10.--A Winnipeg.
Avril 11.--Passage à Régina.
Avril 12.--Arrivée à Calgarry.
Avril 13.--Alerte au camp. Lt. Starnes prend le commandement des
avant-postes.
Avril 14.--Tempête de neige appelée Chinouck--On se retire dans les
casernes.
Avril 15 et 16.--Dans les casernes.
Avril 17.--Retour aux tentes.--Arrivée de l'Infanterie Légère à
Calgarry.
Avril 18.--Grande fête au village.
Avril 19.--Première messe du bataillon à la mission.
Avril 20.--Départ du bataillon droit pour Edmonton.
Avril 21.--Arrivée à Calgarry d'un canon du Port McLeod.
Avril 23.--Départ du bataillon gauche pour Edmonton.--Le Major Dugas
fait ses adieux au bataillon.
Avril 24.--Passage du bataillon gauche à l'Anse McPherson.
Avril 25.--Arrivée du bataillon droit à la Traverse du Chevreuil Bouge.
Avril 26.--Le bataillon droit traverse la rivière du Chevreuil Bouge.
Avril 27.--Passage du bataillon droit à la rivière de l'Aveugle.
Avril 28.--Arrivée du bataillon gauche à la Traverse du Chevreuil Rouge.
Avril 29.--Passage du bataillon droit à la Ferme du Gouvernement.
Avril 30.--La compagnie No. 8 est laissée à la Traverse du Chevreuil
sous le commandement du Lieut. Normandeau.
Mai l.--Départ du bataillon gauche de la rivière du Chevreuil
Rouge.--Arrivée du bataillon droit à Edmonton.
Mai 2.--Passage du bataillon gauche à la Rivière Bataille.--Départ de
la compagnie No. 7 pour le Fort Saskatchewan sous le commandement du
Capitaine Doherty.
Mai 3.--Le bataillon gauche à la Ferme du Gouvernement.
Mai 4.--La balance du No. 8 et des soldats des compagnies Nos 1, 3 et
4 sont laissés à la ferme du Gouvernement sous le commandement du
Lieutenant Villeneuve.
Mai 5.--Arrivée du bataillon gauche à Edmonton.--Départ des compagnies
Nos 5 et 6 pour Victoria.--Le Capt. Ethier retourne à la Ferme du
Gouvernement.
Mai 6.--L'aile gauche du bataillon droit (les compagnies Nos 5 et 6)
passe au Fort Saskatchewan.
Mai 7.--Départ de l'aile droite du bataillon droit (les compagnies Nos
3, 4 et l'état major du 65ème) pour Victoria--L'aile gauche traverse
la rivière Éturgeon.--Départ de la compagnie No. 1 pour la Rivière
Bataille.
Mai 8.--L'aile gauche du bataillon droit arrive à la Rivière Vermillon.
Mai 9.--Réunion des deux ailes du bataillon droit.
Mai 10.--Arrivée de la compagnie No. 1 à la Rivière
Bataille--L'Infanterie Légère de Winnipeg arrive à, Edmonton--Le
bataillon droit traverse la Rivière Vermillon.
Mai 11.--Arrivée du bataillon droit à Victoria.
Mai 12.--Passage au Lieutenant-Colonel Ouimet à la Rivière Bataille.
Mai 13.--Séjour du bataillon droit à la rivière Vermillon.
Mai 14.--Passage du Lieutenant-Colonel Ouimet à la Ferme du
Gouvernement.
Mai 16.--Arrivée du Général Strange à Victoria, escorté de 190 hommes de
l'Infanterie Légère de Winnipeg.
Mai 20--Départ de la colonne d'Alberta de Victoria.
Mai 21.--L'aile droite du 65ème en bateaux sur la Saskatchewan.
Mai 22.--Nuit passée à St. Paul.--Alerte au camp.
Mai 23.--Traverse de l'Anse de la côte du Renne par la colonne Strange.
Mai 24.--Traverse de l'Anse du Lac aux Grenouilles par le bataillon
droit du 65ème.
Mai 25.--Le 65ème élève une croix à la mémoire des martyrs du Lac aux
Grenouilles.--Arrivée de la colonne Strange à Fort Pitt.
Mai 26.--Enterrement du jeune Cowan.
Mai 27.--Première rencontre du 65ème avec Gros-Ours.
Mai 28.--Bataille de la Butte-aux-Français.
Mai 30.--Départ de la colonne Strange de Port Pitt pour la Rivière à
l'Oignon,--La compagnie No. 6 reste au Fort Pitt.
Mai 31.--Le Major Perry rejoint la colonne Strange.
Juin 1.--Des prisonniers de Gros-Ours arrivent au camp du Général.
Juin 2.--Arrivée du Général Middleton à bord du vapeur North-West.
Juin 3.--Les commissaires Royaux arrivent à Edmonton.
Juin 4.--Visite de Mgr Grandin à la Rivière Bataille.
Juin 5.--Une compagnie de l'Infanterie Légère de Winnipeg rejoint la
colonne Strange.
Juin 6.--Passage de la colonne au Lac aux Grenouilles.
Juin 8.--Le bataillon droit à Bear's Run.
Juin 9.--Le R. P. Legoff visite le Major Hugues.
Juin 10.--Les RR. PP. Legoff et Prévost sont délégués auprès des
Montagnais.
Juin 11.--Le Capt. Giroux arrive à Bear's Run avec sa compagnie.
Juin 12.--Les Montagnais se soumettent.
Juin 17.--Le Capt. Giroux part pour Montréal.
Juin 23.--Le bataillon droit reçoit l'ordre du départ pour Montréal.
Juin 24.--Départ du bataillon droit de Bear's Run.
Juin 28.--Le bataillon gauche reçoit l'ordre de se mettre en marche pour
Fort Pitt.
Juin 27.--Départ de la compagnie No. 1 de la Rivière Bataille.--La
compagnie No. 8 quitte la Traverse du Chevreuil et le Fort Ethier.--Le
bataillon droit arrive à Port Pitt à bord du North-West.
Juin 28.--La garnison du Fort Ethier et celle du fort Saskatchewan
arrivent à Edmonton.
Juin 29.--Les détachements du Fort Normandeau et du Fort Ostell arrivant
à Edmonton.
Juin 30.--Départ du bataillon gauche à bord de la "Baroness."
Juillet 2.--Le 65ème réuni à Fort Pitt.
Juillet 3.--Mort du Lieutenant-Colonel Williams des Midlands et du.
Sergent Valiquette du 65ème.
Juillet 5.--Arrivée à Battleford.--Funérailles du Lieutenant-Colonel
Williams et du Sergent Valiquette.
Juillet 7.--Passage des bateaux à l'Anse du Télégraphe.
Juillet 8.--A Prince Albert.--Visite à la prison de Gros-Ours.
Juillet 9.--Traversée dea Rapides.
Juillet 10.--Passage au Fort à la Corne.
Juillet 11.--Marche de cinq milles le long des Grands Rapides.
Juillet 12.--A bord de la barge "Red River."--Messe basse à bord.
(C'était la seconde à laquelle assistait le bataillon depuis son départ
de Montréal.)
Juillet 13.--Départ des bateaux et commencement de la traversée du Lac
Winnipeg.
Juillet 18.--Arrivée à Selkirk.--Le bataillon monte à bord des
chars.--Départ.
Juillet 16.--Passage à Port Arthur.
Juillet 17.--Red Rock.
Juillet 18.--Jackfish Bay.
Juillet 19.--Passage à North Bay et Mattawa.
Juillet 20.--Arrivée du bataillon à Montréal.
PREMIÈRE PARTIE.
LA MARCHE.
CHAPITRE I.
DE MONTRÉAL A CALGARRY.
La neige tombait en gros flocons... le ciel semblait vouloir couvrir d'un épais linceul bien des douleurs et bien des larmes!
C'était le jour du départ. Après avoir paradé à travers les rues de la métropole, le bataillon arriva en bon ordre à la gare du Pacifique. Une foule innombrable d'amis et de parents remplissait tous les alentours de la gare. Le moment des adieux était arrivé. Quel spectacle! Ici, un vieillard, aux cheveux blancs, donne à son fils sa dernière bénédiction dans un baiser, et une larme perle à sa paupière en lui donnant la dernière poignée de main; la mère, trop faible pour assister à cette scène était restée à la maison. Là, une femme s'évanouit. C'est une malheureuse épouse, qui, comptant trop sur son courage, a voulu accompagner son mari jusqu'au dernier moment. D'autres, plus stoïques, donnent à leur mari le dernier baiser, et plongées dans un désespoir muet, regardent immobiles, les yeux secs, leur époux monter à bord des chars. Sur les degrés d'un waggon, un ami donne une dernière poignée de main à son compagnon de collège en lui souhaitant, de nombreuses couronnes de lauriers à son retour. Et dans l'arrière-plan, la foule répandue un peu partout, grimpée sur les toits, massée sur le parapet, acclame les jeunes soldats et les salue de cris enthousiastes. Enfin tout le monde est à bord. Après quelques minutes d'attente, le sifflet crie et le train se met en marche. Malgré la tristesse de la séparation et l'incertitude de l'avenir, quelques soldats faisant contre mauvaise fortune bon coeur, se mettent à chanter les gais refrains de chansons canadiennes. Bientôt la gaieté devient, générale. A peine sortis de la ville, MM. Davis et Portier nous distribuent des cigares, et en quelques instants, n'eut-ce été l'uniforme, on aurait pu nous prendre pour des touristes en voyage. Dans la veillée, le Lt-Col. Ouimet passe de char en char et présente au bataillon son aumônier le R. P. Provost et son nouveau chirurgien, le Dr. Paré. Partout ils sont accueillis par des cris de joie.
Vers deux heures et demie du matin, l'on arriva à Carleton Place. Le train arrêta et tout le bataillon alla réveillonner à l'hôtel voisin de la gare. Le repas fut des mieux servis et très goûté des soldats qui dévoraient les servantes des yeux tout en mangeant à pleine bouche; le ventre et le coeur s'emplissaient à la fois, celui-là de mets et celui-ci d'espérances.
Plusieurs profitèrent de cet arrêt pour écrire des
lettres à l'adresse de leurs parents et de leurs amis.
Une demi-heure plus tard le train se remit en marche.
Après quelques minutes de divertissement,
les soldats se mirent au lit et tout rentra dans le
silence.
Vers les neuf heures, le réveil sonna. A dix heures et demie, l'on passa à Pembrooke. Des soldats du 42e vinrent nous rendre visite et nous firent plusieurs dons de tabac, etc. En cet endroit le colonel reçut une lettre de Sa Grandeur Mgr Lorrain, vicaire apostolique de Pontiac. Le saint évêque nous souhaitait beaucoup de succès dans notre entreprise et terminait par ces paroles: "N. Z. Lorrain, ancien volontaire de l'armée des hommes maintenant officier dans la paisible armée du Seigneur."
A une heure de l'après-midi, nous descendions à Mattawa, L'appétit avait eu tout le temps de se faire ressentir chez les soldats, et ce fut avec joie qu'on se hâta de descendre des chars pour aller dîner. Mais bernique! plusieurs furent désappointés; malgré que ce fût le Vendredi Saint et qu'il y eût de la viande, le repas fut court; chacun se contenta de dévorer en imagination les mets qu'il s'était promis de manger. Ici, l'on se procura des bas, etc., crainte d'en manquer plus tard; car plus on avançait, plus le froid augmentait. Le train continua sans arrêt jusqu'à Scully's Junction, où l'on devait avoir à souper; mais par malheur on n'avait pas été averti à temps et l'on n'avait que des cigares pour les officiers.
Vers trois heures du matin, samedi, le train arrêta. Tout le monde fut bientôt sur pied et le nom harmonieux de Biscotasing sonna comme une trompette aux oreilles à moitié ouvertes des volontaires affamés par le fameux repas de Mattawa. Si le nom fit une mauvaise impression sur l'esprit déjà préjugé des soldats, l'apparition de grands vaisseaux remplis de pruneaux confits, de fèves rôties, etc., leur remit le moral en ordre.
Après un bon repas dont chacun se déclara satisfait, l'on continua. La journée parut longue. Quelques-uns passèrent le temps à confesse ou ailleurs, chacun suivant ses goûts. On arrêta quelques minutes à Nemagosenda, puis le train se remit en marche et arriva à Dalton à neuf heures et demie le soir. L'on s'attendait à descendre des chars en cet endroit, mais le chemin de fer avait été continué avec beaucoup de vitesse depuis deux jours et l'on se rendit jusqu'à Algoma, où l'on arriva vers les dix heures.
Ici, un spectacle des plus gais s'offre à nos yeux. Des feux de bois d'épinette ont été préparés d'avance et éclairent notre route jusqu'à une certaine distance. Tous descendent des chars avec joie, car la monotonie du voyage commençait à ennuyer les esprits des soldats.
Que de fois ne regretta-t-on pas plus tard les bons chars qui nous avaient portés pendant deux jours et deux nuits à travers un pays civilisé!
En voyant les traîneaux en attente les soldats poussent des cris de joie, on veut changer de transport à tout prix et la nuit parait si belle que tous ont hâte de s'enfoncer dans les profondeurs mystérieuses des bois que les feux de joie leur font apercevoir dans le lointain. L'on part en chantant et bientôt les échos de la forêt, répètent les gais refrains des chansons canadiennes.
La nouveauté des paysages et le violent contraste des grands bois silencieux avec le va-et-vient et le vacarme des villes excitent l'imagination des esprits les moins poétiques. Il était curieux de voir les charretiers s'enfoncer sans hésiter à travers ces arbres touffus, dans des bois où le chemin était disparu, enfoui sous la neige, et où les moins braves voyaient surgir de temps à autres d'énormes têtes de Sauvages indomptés.
Vers minuit le silence commence à régner parmi les promeneurs déjà fatigués de la marche et c'est avec une satisfaction prononcée qu'on arrive à "l'hôtel de la Forêt" vers une heure du matin. Ici on nous sert à manger, mais les hommes encore peu habitués à la nourriture qui fut distribuée, préfèrent s'en passer et choisissent leurs places autour d'un feu de camp.
Après une heure de halte au camp, on remonte en "sleighs" et la marche se continue à travers les bois. A neuf heures du matin, le jour de Pâques, on atteignit la fin de notre pénible voyage en traîneaux. Deux tentes furent levées à la hâte en cet endroit appelé vulgairement "Lac aux Chiens."
Ici, un accident des plus déplorables arriva à un des hommes de la compagnie No. 2, nommé Boucher. Cet individu, fatigué sans doute par la longueur et les misères de la route et découragé de la vie militaire, se jeta sur le chemin de fer au moment où notre train reculait, mais perdant tout à coup courage devant la mort cruelle qu'il s'était choisie, il essaya au dernier moment de se sauver. Il était trop tard. Les roues lui passèrent sur le pied et le blessèrent douloureusement. Il fut immédiatement transporté sous la grande tente sur l'ordre du chirurgien Simard en attendant l'arrivée du chirurgien major.
Cet accident, bien qu'il fût l'acte d'un insensé, jeta la consternation parmi le camp. C'était; le premier accident sérieux qui arrivait à un membre du bataillon, et sa nature était loin de compenser la peine que son état de priorité lui donnait.
Toute la journée se passa à attendre le colonel qui s'était attardé à Algoma, et la marche forcée qu'on avait faite pendant la nuit devint inutile. Enfin, vers quatre heures de l'après-midi, on nous servit nos rations, puis on nous fit monter dans de mauvais chars plates-formes dont quelques-uns même étaient découverts. On s'installa du mieux que l'on pût le long des bancs de bois brut en attendant l'heure du coucher. On nous distribua des couvertes de laine; chaque homme en avait une. Elles furent bientôt étendues sur le plancher du char et les soldats se placèrent comme ils purent sous les bancs. On nous donna en même temps des tuques en laine; il était temps! car notre figure était des plus comiques avec nos petits képis sur le coin, de l'oreille.
Tout alla assez bien pendant une demi-heure mais bientôt la fraîcheur des glaçons transperce les couvertes et le sommeil devient impossible. Plusieurs, Pour ne pas dire tous, se lèvent et passent le reste de la nuit, collés les uns contre les autres le long des bancs. La nuit était des plus froides et le vent qui s'engouffrait par les fentes du char rendait la situation des soldats intolérable. Avec quelle anxiété chacun attendait en silence le premier village où l'on pourrait enfin descendre!
Enfin à six heures du matin le train arrêta à la Baie du Héron, En moins de cinq minutes tout le bataillon était descendu en ligne. Pour la première fois une pauvre ration de rhum fut donnée à chaque homme, et sans rien exagérer, elle avait été richement gagnée. Bientôt après on nous servit à déjeuner dans les chantiers du Pacifique. Certains journaux anglais, entr'autres le News de Toronto, ont rapporté qu'en cet endroit les soldats avaient dévalisé les magasins de la compagnie et bien d'autres histoires toutes aussi mensongères et infâmes les unes que les autres. C'est ici l'endroit de réfuter ces sots rapports et de leur donner un démenti formel. Jamais un régiment dans de pareilles circonstances ne s'est aussi bien comporté et c'est même étonnant qu'aucun des mauvais rapports qui ont été faits n'ait le moindre fondement de vérité.
Après un copieux déjeuner, le bataillon remonta à bord et l'on continua dans les mêmes chars jusqu'à Port Munroe, où l'on arriva vers neuf heures de l'avant midi. Ici, on laissa les chars et la marche à pied commença. Chaque soldat portait sur lui, outre sa carabine et ses munitions, toutes les parties de son accoutrement, havresac et autres. Après une aussi mauvaise nuit, la marche le long de la rive nord du Lac Supérieur, vingt-cinq milles, faite en moins de dix heures, tient du prodige.
Peu d'hommes, même de vieux militaires auraient pu résister aussi bravement à une aussi forte étape, et chose plus étonnante encore, pas un seul homme ne fut malade. Une seule halte fut faite pendant la marche, à Little Peak, où l'on fit une distribution de rations, fromage et "hard tacks." Si la fatigue fut grande, on eut une faible compensation par le magnifique coup d'oeil présenté par le coucher du soleil sur le lac. L'astre du jour tomba comme un immense globe d'or dans le rideau, aux couleurs variées, que lui tendait l'Occident et qui semblait plier sous la masse qui s'y engouffrait; au fur et à mesure que l'astre disparaissait à l'horizon, chaque nuage se nuançait d'une façon grandiose. Que de poëtes auraient fait deux fois la même route pour contempler un pareil spectacle!
Vers huit heures du soir tout le bataillon était remonté dans: de nouveaux chars, pires que ceux qu'on venait de laisser. Ceux-ci n'étaient formés que de plates-formes simples avec une planche chaque côté pour servir de garde-fou.
Sur ces planches d'autres plus minces étaient posées aussi près que possible les unes des autres et servaient de sièges aux soldats fatigués. L'on marcha ainsi tout le reste de la nuit et il était une heure du matin quand on descendit à Jackfish Syndicate.
A peine les soldats étaient-ils descendus des chars que la, pluie commença à tomber. Malheureusement il n'y avait aucun abri pour recevoir tous les soldats et plusieurs compagnies attendirent au-delà d'une demi-heure exposées à l'intempérie de la saison. Quelques murmures se firent entendre, mais ça ne dura pas longtemps, car comme en bien d'autres circonstances semblables plus tard, le bon esprit des soldats reprit le dessus et bientôt des chante joyeux se firent entendre. Quelques-uns, chantèrent à contre-coeur, mais tout le monde chanta.
A deux heures du matin, après avoir bien mangé, les compagnies 2, 3, 4, 5 et 6 se retirèrent dans les hangars de la compagnie du Pacifique, situés aux environs, tandis que les autres, 1, 7 et 8, remontèrent en chars et furent conduites au village de Jackfish, où un grand hangar avait été préparé pour elles. Un bon feu fut entretenu toute la nuit dans les deux poêles de l'habitation et pour la première fois depuis leur départ de Montréal, les volontaires dormirent bien et se reposèrent.
À dix heures l'on se réveilla et les compagnies qui avaient couché au village retournèrent en chars au Syndical pour y prendre le déjeuner.
La maison où se servaient les repas était encore remplie, les autres compagnies qui avaient couché au Syndicat n'ayant pas encore fini leur déjeuner. La pluie continuait à tomber de plus belle et les soldats furent forcés de s'entasser les uns sur les autres dans les hangars.
Pendant l'après-midi, les volontaires se réfugièrent sous des tentes et l'on s'amusa à chanter pour passer le temps, car la pluie ne cessait pas. Quelques-uns se dirigèrent vers une vieille masure dont l'enseigne moins prétentieuse par la forme que par le nom qu'elle portait avait attiré leur attention. On vendait de la boisson dans ce chantier, la bière s'y débitait, à 15 contins, et ce qu'on était convenu d'appeler du "whiskey" à 25 contins le verre.
A quatre heures, le repas du soir fut servi à tout le monde, puis chaque compagnie rentra dans ses quartiers.
A sept heures, le coucher fut sonné et à huit heures, tout le monde reposait.
Dès quatre heures, le lendemain matin, les trois compagnies qui avaient passé la nuit au village, se levèrent et les chars n'arrivant pas, elles se mirent en marche et traversèrent le lac à pied jusqu'au Syndicat.
Après une heure de marche, ces soldats n'eurent pour tout déjeuner qu'une tranche de lard entre deux morceaux de pain.
A huit heures a.m. les premiers traîneaux, chargés de soldats, se mirent en marche et les autres ne tardèrent pas à les suivre. Ce nouveau trajet le long du lac Supérieur, malgré qu'il se fît en voiture, ne fut guère plus plaisant que le premier. Le froid était très-grand et les soldats entassés dans les voitures furent souvent obligés de descendre pour ne pas geler des pieds. Enfin, vers deux heures de l'après-midi, le premier traîneau entra dans une baie profonde dont on ne put connaître le nom. Après une halte d'une heure et demie en cet endroit, le bataillon remonta en chars plates-formes et continua jusqu'à McKay Harbour où il y avait un hôpital. Ici, on laissa notre invalide Boucher, en même temps que l'on prenait à bord le sergent Nelson devenu si fameux depuis l'affaire du "Toronto News." Il fut installé dans notre char, le premier du train, et ne connaissant l'individu que par ce qu'il voulait bien nous dire de lui-même, chacun l'entoura de soins et le traita avec une hospitalité toute canadienne. Après que les soldats eussent mangé quelques galettes et de la viande, le train se mit en mouvement et continua jusqu'à la fin de la ligne du chemin de fer à Michipicoten. Arrivés ici a sept heures et demie, les soldats durent traverser de nouveau à pied une longueur de onze milles sur la Baie du Tonnerre et arrivèrent à Red Rock à onze heures du soir.
Ici des chars à passagers attendaient le régiment, et vers minuit le train partait.
Cette journée fut une des plus rudes pour les soldats. De quatre heures du matin à onze heures du soir, on n'avait pas cessé de marcher un seul moment. Quatorze milles à pied, vingt-deux en traîneaux et plus de cent milles en mauvais chars découverts, en tout près de cent cinquante milles parcourus dans la journée.
Vers six heures, jeudi matin, l'on entra dans Port Arthur. Les soldats furent bientôt éveillés par les cris de la foule qui les attendait à la gare. Pendant que les compagnies s'éloignaient, chacune de son côté, pour déjeuner dans les différents hôtels de la ville, les officiers se rendirent à l'hôtel Brunswick. sur l'invitation du maire de la localité. Après déjeuner, profitant d'un congé de quelques heures, les soldats visitèrent les environs de la ville et s'amusèrent beaucoup, étant royalement reçus partout où ils allaient. Enfin, l'heure du départ sonna. Les différentes compagnies remontèrent chacune dans son char et le train quitta la gare au milieu des acclamations de la foule. De dix heures jusqu'à minuit, la route se continua en chars. Chacun se mit ù tuer le temps du mieux qu'il pût et n'y réussissait qu'à demi.
De minuit à six heures du matin, la route se continua sans incident remarquable. A six heures le réveil sonna, et chacun se mit à nettoyer ses armes et à brosser ses habits pour obéir aux instructions reçues.
Enfin, quelques minutes avant sept heures, les premières maisons de Winnipeg parurent dans le lointain et furent saluées par des cris de joie. Bientôt le train entra dans la gare. La ville avait revêtu sa toilette de fête; les pavillons flottaient partout, et les jeunes filles avaient mis leurs robes des dimanches pour recevoir le bataillon. Parmi la foule qui se pressait dans la gare, on remarqua le juge Dubuc, le Col. Lamontagne, les Messieurs Royal, fils de l'hon. Royal, M. P., et M. Pilet. Le déjeuner fut aussitôt servi dans la gare même et fut aussi vite dévoré que servi, car tous avaient hâte de visiter la reine de l'Ouest. On nous en avait tant raconté sur les merveilles qui ont entouré la naissance de cette fille des Plaines et sur les spéculations gigantesques qui s'y étaient faites, que l'empressement des volontaires, à se répandre dans les rues de la ville ne surprendra personne.
Avant, de partir cependant, chacun signa la liste de paie pour une semaine. Plusieurs officiers se rendirent à Saint-Boniface et payèrent une visite à Sa Grandeur Mgr. Taché ainsi qu'à quelques amis. A midi, le dîner fut pris à la gare. Dans l'après-midi, ayant obtenu un congé de quatre heures, les soldats retournèrent à leurs places de prédilection, les uns à l'hôtel, d'autres chez leurs amis, pendant que quelques-uns allaient chez le photographe se procurer un souvenir qu'on se hâta d'expédier à sa famille. A trois heures et demie une patrouille fut organisée et visita tous les quartiers pour en ramener les malades. Heureusement il n'y en avait que deux. Avant le départ, du tabac à fumer fut distribué aux soldats; chacun en reçut une livre. Ce don était dû à la générosité de la maison de Geo. E. Tucker & Son.
A quatre heures le train partit. Vers une heure du matin l'on arriva à Brandon. Malgré l'heure avancée de la nuit, les dames de la ville nous attendaient avec des provisions de bouche. Les soldats à peine éveillés crurent continuer quelque beau rêve en voyant ces jolies jeunes filles et ces bonnes dames leur distribuer à pleines mains des friandises et des bonbons, sans compter les sourires, et les doux regards servis à doubles rations. Tous étaient des plus joyeux excepté le quartier-maître qui voyait d'un mauvais oeil une concurrence aussi dangereuse.
Après une heure bien passée, le train se remit en marche, emportant avec lui les bons souhaits des habitants de Brandon. Quand les soldats se réveillèrent, on arrivait à Broadview. La principale ressource de cette place est le travail fourni aux habitants par les ateliers de la compagnie du Pacifique. On ne la vit qu'en passant. Quelques heures plus tard on arrêtait à Qu'Appelle, où était déjà rendue la Batterie B.
Qu'Appelle est située à quelques milles au sud du fort du même nom. La place présente le plus beau coup-d'oeil possible. Les rues, larges et bien entretenues, se perdent sous les peupliers et s'étendent sur un parcours de plusieurs milles. C'est d'ici que partent les diligences pour Prince-Albert et les villages du nord. Les bureaux d'immigration du gouvernement y sont Situés. Après quelques minutes de halte, le train partit de nouveau et l'on passa bientôt Régina, la capitale de l'Assiniboine. Ses rues qui ont plusieurs milles de longueur sont larges et bien droites. Ici sont les quartiers-généraux de la police à cheval et des bureaux des Sauvages.
C'est ici que se trouve le plus grand réservoir de l'Ouest; nous n'y vîmes que des Sauvages mal vêtus qui nous regardèrent passer de loin. On nous avait promis un bon dîner en cet endroit, mais on dût le remplacer par une ration de pain et de fromage, en attendant mieux.
Une heure plus tard, on arrêta à Moosejaw. Deux chefs sauvages vinrent à notre rencontre et échangèrent des signes et des protestations d'amitié contre des biscuits et du tabac. Aussitôt sortis de la gare, on nous distribua dix rondes de cartouches et l'on nous donna l'ordre de dormir sous les armes. Malgré tant de préparatifs, la nuit se passa sans incident.
L'on arriva de bonne heure à Médecine Hat. Le Rév. Père Lacombe monta à bord du train et passa de char en char, répandant partout la joie et la consolation sur son passage. Ici l'on traversa le plus grand pont du Nord-Ouest, au-dessus de la Saskatchewan. Puis le trajet se continua à travers les prairies. De temps à autre, l'attention des soldats était attirée par des bandes de chevaux sauvages ou des volées d'outardes et chacun faisait des commentaires à sa façon.
Enfin, vers une heure de l'après-midi, le 12 Avril, l'on entra dans Calgarry, le terme de notre long voyage, après avoir parcouru au-delà de deux mille cinq cents milles.
CHAPITRE II.
SÉJOUR A CALGARRY.
Il était environ une heure de l'après-midi, le 12 du mois d'avril, quand le 65e descendit des chars pour s'installer dans Calgarry. Malgré la chaleur qu'il faisait, on nous fit parader en uniforme complet comme pendant la marche sur le lac Supérieur. Aussitôt le bataillon formé, les compagnies furent séparées les unes des autres et conduites aux différents hôtels de la ville. Là, on nous permit de nous déshabiller, puis après nous avoir fourni de l'eau, du savon et des peignes, et que nous nous fûmes lavés et peignés, on nous introduisit dans la salle à manger. Le repas fut bon et nous rappela le déjeuner de Port Arthur. Aussitôt le dîner pris, le bataillon se rendit par compagnies dans une prairie au sud des casernes de la police à cheval. Les tentes furent bientôt fixées et la vie de camp commença à dater de ce jour. Vers les six heures, on nous ramena au village où le souper fut servi dans les mêmes hôtels où l'on avait pris le dîner et vers sept heures, tout le monde était de retour au camp. A 9 heures le repos sonna et bientôt tout fut silence dans le camp. Vingt-quatre gardes de nuit furent nommées, mais rien n'attira leur attention d'une manière particulière excepté le bruit lointain du "pow-wow" des Sauvages. Le mot de passe ce soir-là était "Frontenac."
Le lendemain à six heures du matin le lever fut sonné. Vers huit heures on alla encore déjeuner au village. A peine de retour on fit l'exercice, puis on commença les préparatifs pour faire la cuisine au camp. Des feux furent allumés à l'extrémité Est du camp et vers une heure la marmite était suspendue. Le dîner ne fut prêt que vers trois heures. Aussitôt le dîner pris, les soldats se retirèrent sous leurs tentes et tout était tranquille quand tout à coup un courrier apporta la nouvelle que des Sauvages s'étaient campés à deux milles du camp du 65ème.
Après la première excitation passée, on choisit vingt sentinelles qu'on envoya sur la montagne voisine sous le commandement du lieutenant Starnes et la compagnie No. 1 reçut l'ordre de se tenir sous les armes toute la nuit. Le mot de passe cette nuit-là fut "Montréal."
Rien d'extraordinaire pendant la nuit. A six heures, mardi matin, nous étions debout. Vers onze heures une pluie fine commence à tomber. Dans l'après-midi le temps se refroidit et la neige tombe toute la journée et toute la nuit. Le mot de passe était "Québec."
De bonne heure le lendemain, les soldats allèrent se laver à la rivière. On n'eut pas d'exercice ce jour-là. Pendant l'après-midi, la tempête de neige, que les indigènes appellent chinouck, prit de telles proportions qu'en peu de temps les tentes furent remplies de neige et l'on fut forcé de retraiter dans les casernes, avec les quelques hommes de la police à cheval qui y restaient; on y passa une bonne nuit étendus autour d'un bon feu. Le mot de passe fut "Edmonton."
Le 16 au matin, à dix heures, une grande inspection fut faite par le major général Strange et un exercice eut lieu. Vers midi, le Lt.-col. Ouimet part pour Ottawa.
La tempête continua toute la journée. Vers huit
heures, le soir, après le souper, le caporal des postes
nous apporta des lettres arrivées de l'Est par la
dernière malle. La soirée se passa à la lecture des
lettres. La garde se fit comme d'habitude, le mot
de passe étant "Alberta."
Le lendemain, le lever eut lieu à l'heure habituelle. Le temps étant devenu beau, on retourna aux tentes. Les soldats se mirent à nettoyer leurs armes et dans l'après-midi les compagnies 1 et 2 allèrent s'exercer au tir dans un champ situé à un mille au nord-ouest du camp. Vers cinq heures, un congé fut donné à plusieurs pour aller porter leurs lettres au bureau de poste.
Une demi-heure plus tard, le 92e bataillon d'infanterie légère de Winnipeg, sous le commandement du Lt.-Col. Osborne Smith, arriva à Calgarry. Ils allèrent camper de l'autre côté de la ligne du chemin de fer, un peu au sud-ouest du 65e. Le mot de passe, cette nuit, fut "London."
Le 18 au matin, lecture fut faite de l'ordre du Général envoyant une moitié du bataillon à Edmonton. Personne ne savait quelles compagnies seraient envoyées de l'avant et chacun était anxieux de savoir si son ami dans telle autre compagnie serait forcé de le quitter. Vers quatre heures de l'après-midi les waggons pour le transport arrivèrent et furent placés près des casernes. Un détachement de la police à cheval arriva aussi vers les cinq heures et alla se loger dans le fort. Un congé général fut donné pendant la veillée, et les soldats en profitèrent largement.
La plupart se rendirent au premier restaurant, dont le propriétaire avait offert aux volontaires une espèce de théâtre situé au fond de la bâtisse..
Un concert impromptu fut donné, chacun des volontaires présents y prenant part. On y représenta la pantomime du Barbier de Séville; plusieurs chansons comiques, des danses et des jeux sur la barre horizontale remplirent le reste du programme. La soirée se passa de la manière la plus gaie et pour plusieurs, la paie reçue la veille, y passa. Pendant la journée le juge Rouleau et le shérif Chapleau vinrent faire visite aux officiers. Pendant le peu de temps qu'ils passèrent aux casernes, ils discutèrent la question du jour, et donnèrent plusieurs conseils aux officiers sur les précautions à prendre pendant le voyage qu'ils allaient entreprendre. Le mot de passe, cette nuit, était "Calgarry."
Dimanche matin, à peine levé, chacun alla à la rivière se donner un bon lavage, puis procéda à sa toilette, car pour la première fois depuis le départ de Montréal, on devait avoir une basse-messe. A sept heures et demie tout le monde était prêt et le bataillon se dirigea vers la mission à environ deux milles du camp. Après vingt minutes de marche on vit poindre à une faible distance l'humble croix de bois qui orne l'entrée de la petite chapelle. Cette maison, oeuvre des pieux missionnaires établis dans cette partie du pays avant même que le premier commerçant y eût fixé sa baraque, n'est pas un modèle d'architecture, mais semble plutôt avoir conservé le cachet d'humilité qui caractérisait le premier apôtre qui l'a habitée. Le rez-de-chaussée sert de logis au missionnaire, et le second étage est la maison du Seigneur. L'impression des volontaires au moment où ils pénétrèrent dans cette modeste chapelle à peine assez grande pour les contenir tous est difficile à dépeindre. Habitués à aller adorer Dieu dans des temples où le peintre rivalise de perfection avec l'architecte, où la civilisation moderne a fait tailler dans le bronze et le marbre des autels grandioses, ils se sentaient émus de voir que Dieu habitait ce faible réduit; quatre murs blanchis, deux prie-Dieu, un petit maître-autel, ça et là quelques statues de la Vierge et de St. Joseph et une: centaine de bancs en bois brut étaient tout l'ameublement de la Mission.
Mais c'est toujours le même Dieu qui y réside!
Celui qui créa le monde, qui le gouverne, le même qui siège sur nos autels à Montréal et qui continue là-bas sa mission de bonté et de salut. Plus le temple est modeste, plus la grandeur du Tout-Puissant impressionne le coeur du visiteur.
Pendant le service divin, notre aumônier nous fit une courte adresse. Chacun se sentait ému au fond du coeur en écoutant cette voix grave et solennelle qui nous rappelait avec quelle pompe nos amis de Montréal recevraient après la campagne ceux qui auraient le bonheur de retourner dans leurs foyers, et d'autre part quel triomphe attendait dans le ciel ceux qui, plus chanceux, succomberaient pendant la campagne.
Immédiatement après la messe eut lieu le retour au camp. L'on déjeuna en arrivant. Le reste de la journée fut employé à charger de provisions les waggons qui devaient accompagner l'aile droite du bataillon. A neuf heures du soir, tous les soldats étaient retournés au camp et à dix heures chacun sommeillait.
De bonne heure le lendemain matin tout le bataillon était debout. Les compagnies 2, 5, 6 et 7, qui devaient partir ce jour-là, jetèrent leurs tentes à terre avant le déjeuner et à huit heures elles étaient prêtes à partir. Cependant tout l'avant-midi s'écoula sans que le bataillon ne reçut aucun ordre.
Enfin vers deux heures de l'après-midi l'on se mit en rangs et après l'inspection générale des armes et des accoutrements, l'aile droite se mit en marche. La fanfare du 92e accompagna nos frères jusqu'aux limites de la ville, et tous les citoyens de Calgarry, les saluaient pendant qu'ils passaient à travers les rues. Quant à nous (ceux qui restaient) nos coeurs se serrèrent et plusieurs commencèrent à murmurer «n voyant notre bataillon déjà divisé. Nous retournâmes sous la tente et l'après-midi s'écoula dans le silence.
CHAPITRE III.
LE BATAILLON DROIT.
De Calgarry à Edmonton.
Le premier détachement qui prit la route d'Edmonton se composait comme suit:
Commandant-en-chef: Major-Général Strange.
Major de brigade: Capt. Dale.
Aide-de-camp: Strange.
Trente hommes de cavalerie sous le major Steele; vingt éclaireurs commandés par le capt. Oswald, et du 65e bataillon:
Lt-Col. Hughes.
Major Prévost.
Adjudant Lt. Starnes.
Aumônier: R. P. Provost.
Chirurgien-major Paré.
Compagnie No. 2: Capt. des Trois-Maisons.
Lt. DesGeorges.
No. 5: Capt. Villeneuve.
Lt. Lafontaine.
No. 6: Capt. Giroux.
Lt. Robert.
Sous-lieut. Mackay.
Lt. Labelle.
Quartier-maître: Capt. Right.
JOURNAL.
20 avril.—Le temps est beau, marche de cinq milles à pied. La nuit fut froide.
21 avril.—Beau temps. La marche est de dix-huit milles. Nuit froide. Voyage dans la prairie très ennuyeux.
22 avril.—Rien d'intéressant. Vingt-deux milles de marche. Température un peu froide. Toujours dans la prairie. Il neige pendant la nuit.
23 avril.—Marche dans la neige tout l'avant-midi. Temps froid.
24 avril.—Nuit froide. Toujours la prairie!
25 avril.—Temps froid. Arrivée à la rivière du Chevreuil Rouge à trois heures et campement.
26 avril.—Réveil à quatre heures et demie du matin. Nuit pluvieuse. Belle journée. Traversée de la rivière pendant l'avant-midi. Camp à trois milles.
27 avril.—Aussitôt le bagage arrivé, la route se reprend vers les neuf heures et se continue jusqu'à la rivière de l'Aveugle. Belle nuit.
28 avril.—Départ à six heures. Vingt-neuf milles à travers un pays magnifique. Camp levé à la Rivière Bataille. Rencontre du Père Lacombe.
29 avril.—Lever à quatre heures et demie a.m. Départ à six heures. Trente-deux milles de marche. Camp fixé à un mille de la Ferme du Gouvernement.
30 avril.—Lever et départ comme la veille. Temps froid. Chemins impraticables.
1er mai.—C'est aujourd'hui la douzième journée de la marche. Arrivée à Edmonton vers midi.
La marche pendant ces deux cent treize milles a été pour la plupart du temps assez pénible. Jusqu'à la rivière du Chevreuil Rouge, la route s'étendait à travers la plaine et les chemins étaient assez beaux. Mais de la rivière du Chevreuil Rouge la route devint plus difficile. En quelques endroits il fallait traverser des marais, où les soldats enfonçaient jusqu'aux genoux dans l'eau et dans la boue. Quelquefois l'odeur qui se dégageait de ces marais était vraiment insupportable. Les voitures étaient moins que suffisantes pour le transport, il n'y en avait que pour la moitié des hommes, de sorte que pendant que deux compagnies marchaient les deux autres se reposaient et vice versa au bout de chaque heure. Les cochers se distinguaient par leur insolence et plusieurs fois, il n'eut fallu qu'un mot de plus, pour que les soldats furieux ne les assaillissent. La marche se reprenait avec gaieté, chaque matin, et il semblait y avoir un concours entre les marcheurs où le prix devait appartenir à celui qui monterait le moins souvent en waggon.
Les 28 et 29 avril, la marche fut encore plus pénible que d'habitude. Il fallait traverser des marais puants, et aider les chevaux à tirer les waggons de la boue noire où ils étaient enfoncés; puis lorsque les chemins étaient beaux, les voitures étaient traînées si vite que les soldats devaient se mettre au pas de course pour les suivre. Ajoutez à cela une chaleur atroce et vous aurez quelqu'idée de la fatigue des soldats et de leurs misères.
L'avant-dernière journée avant d'arriver à Edmonton, les habitants de ce dernier endroit se rendirent à la rencontre du bataillon avec des voitures et la route s'est terminée d'une manière assez confortable.
Le voyage dans les prairies où l'immensité est le seul horizon qui s'offre à la vue ennuyée de la monotonie des tableaux, est long et fatiguant. Quelques fois, arrivés au pied d'un coteau, les soldats s'élançaient au pas de course pour le gravir espérant trouver quelque changement dans la mise en scène, mais s'arrêtaient sur le sommet désappointés et plus découragés qu'avant à la vue de la plaine qui se déroulait immense devant leurs pas. Après la traversée de la rivière du Chevreuil Rouge, la scène changea quelque peu, et souvent les plus ennuyés se reposaient la vue par la contemplation de jolis tableaux. Ici, une belle prairie arrosée par un joli petit lac, au pied de quelque coteau verdoyant, là un bosquet aux décors gracieux, élevé au milieu de la plaine par quelque fée antique et entretenu par les nymphes des prairies pour recevoir leurs fiancés ailés. Un peu partout, dans un désordre charmant, de jolis petits bois parsèment la vaste plaine. Les rivières le long de la route sont peu profondes, et sont toutes guéables à l'exception de la Saskatchewan. L'eau de ces rivières alimentée par les lacs des montagnes du Nord est froide, souvent troublée et d'une apparence bourbeuse; cependant elle est généralement potable.
La nourriture pendant tout le voyage se composa de, biscuits durs (hard tacks), de viandes en boîte ou de bacon et de thé; avec ces mets les grands festins étaient rares. Cependant le gibier abondait de toutes parts, mais la défense de tirer était des plus sévères. Les canards étaient innombrables, les poules des prairies s'abattaient à quelques pas des soldats et les lièvres leur passaient entre les jambes, mais la règle du, général était inflexible; aussi le gibier fut-il laissé en paix.
Le premier détachement a beaucoup souffert du manque de sel. Il y en avait deux sacs mais le quartier-maître ne les trouva que le dernier jour.
Le service était assez pénible. Tous les soirs, gardes doubles et trois patrouilles pendant la nuit. Ces dernières ne sont pas ce qu'il y a de plus amusant, vu la vigilance qu'elles demandent et la responsabilité qu'elles imposent.
Cependant, la santé a toujours été bonne pendant le voyage, malgré la fatigue, les changements de température et les nuits passées près de marais pestilentiels. Quelques fois, après une longue journée de fatigues, on se couchait sur la terre humide pour se réveiller étendu dans l'eau. La salubrité du climat ne saurait donc être trop vantée. Quelques jours le soleil chauffait avec tant de force que plusieurs soldats eurent la figure brûlée, d'autres changèrent de peau une couple de fois. Il faut dire que les coiffures dont le gouvernement avait pourvu ses défenseurs en partant de Montréal n'étaient d'aucune utilité dans la plaine; c'était le grand chapeau de feutre à larges bords qu'il aurait fallu. Tel pays, tel chapeau.
Le premier détachement, arriva à Edmonton, le 1er mai. Il fut saluée par une salve d'artillerie et par les acclamations de la population qui s'était rendue sur la rive pour le recevoir. On y attendit le second détachement dont nous allons maintenant nous occuper.
CHAPITRE IV.
LE BATAILLON GAUCHE.
A travers la Plaine.
Le bataillon gauche du 65e se Composait comme suit:
Major Dugas; adjudant Robert.
Quartier-Maître: Capt. LaRocque.
Chirurgien: Dr. Simard.
Instructeur: Labranche.
Compagnie No. 1: Capt. Ostell.
Lt. Plinguet.
No. 3: Capt. Bauset.
Lt. Villeneuve.
No. 4: Capt. Roy.
Lt. Ostell.
No. 8: Capt. Ethier.
Lt. Normandeau.
Sous-Lt. Hébert.
De bonne heure, le 21 avril, chacun fut debout et alla se laver à la rivière. Vers les sept heures on eut une messe basse dans les quartiers des officiers. Plusieurs soldats communièrent à cette messe. Après la messe le déjeuner. A dix heures eut lieu la lecture des ordres du jour.
Pendant l'après-midi, on eut l'exercice au tir Vers les quatre heures, un canon nous arriva du fort McLeod. Dans la veillée une nouvelle tempête: de neige s'abattit sur le camp.
Le lendemain on se leva à six heures. Après le
lavage ordinaire à la rivière, on eut une autre messe
basse à laquelle il y eut encore plus de communions
que la veille. Immédiatement après le déjeuner,
chacun se mit à nettoyer ses armes pour l'inspection
du lendemain.
Rien de particulier ce jour-là. Tous les soldats écrivirent à leurs familles, car le départ était fixé au lendemain.
La nuit se passa sans incident. A quatre Heures, jeudi, le 23 avril, tout le monde était sur pied; à neuf heures le camp était levé et le bataillon gauche prêt à partir. Le lieut.-col. Smith fit l'inspection, puis l'on se mit en marche.
Tous étaient joyeux; car on nous avait donné à entendre que nous pourrions peut-être rejoindre le bataillon droit en faisant des marches forcées. La bande du 92e nous accompagna comme elle avait accompagné nos frères trois jours auparavant. A deux milles de la ville, le major Dugas fit ses adieux au bataillon.
Il parla assez longuement, disant qu'il était des plus peiné de se séparer de ceux que la gloire attendait dans le Nord et souhaitant à tous un heureux retour à Montréal. L'adjudant Robert le remplaça auprès de nous, tandis que le Capt. Perry, de la Police à cheval, élevé au rang de major par le général Strange, était commandant en chef du détachement. On campa, vers les cinq heures, dans un endroit appelé Shaganappy Hill.
Le lendemain à quatre heures tous étaient debout et pendant que deux soldats de chaque compagnie nous faisaient chauffer notre thé, les autres jetaient les tentes à terre et pliaient bagage.
A dix heures eut lieu la première halte, à McPherson's Creek, vingt-trois milles au nord de Calgarry. A deux heures, après avoir pris le dîner, l'on se remit en marche.
Rien d'extraordinaire le long de la route, excepté la rencontre d'un transport de sauvages. Un de nos charretiers, un Métis, fit remarquer, en route, qu'il était surpris de nous voir marcher si vite et ajouta qu'il était anxieux de voir combien de jours nous pourrions résister aux fatigues de la route.
Il serait bon d'ajouter ici que notre coiffure était loin de convenir au pays que nous traversions. Partis de Montréal avec nos képis, nous n'avions eu, en route, que des tuques en laine, et plusieurs préférèrent porter la tuque que le képi pour se protéger contre les ardeurs d'un soleil brûlant. La nuit, pas de difficultés, la tuque était préférable, car il était rare que nous nous réveillions le matin sans avoir au moins un pouce de neige autour du camp. Cependant, malgré tout, on avançait toujours courageusement et, vers cinq heures on fixa le camp au bord d'un lac. Aussitôt après souper, plusieurs soldats se mirent à faire toutes sortes de jeux, pendant que d'autres chantaient les gais refrains du pays. On joua et on s'amusa jusque vers les huit heures et demie, et le major Perry ainsi que la Police à cheval n'étaient pas les moins surpris de nous voir si enjoués après une aussi, longue marche. Nous étions à trente-deux milles de Calgarry.
Le samedi matin, à quatre heures, le lever. En peu de temps le camp fut levé et aussitôt le déjeuner pris, en route! Pour la première fois, ce jour là, nous commençâmes à souffrir de nos bottes. Chaque soir on les ôtait avec l'aide d'un confrère; mais, le matin, on les reprenait tellement roidies par le froid que ce n'était qu'avec beaucoup de douleurs qu'on les mettait. Les premiers milles de la marche semblaient toujours les plus longs et étaient les plus difficiles à parcourir, car notre souffrance aux pieds était atroce. Cependant, après trois ou quatre milles, le pied devenait insensible, plutôt engourdi par la douleur, et l'on marchait mieux. Vers deux heures et demie a.m. on traversa le ruisseau "de la Veuve." L'eau était tellement haute, qu'on fût obligé de se servir de deux charrettes pour le transport. On les vida, puis les mettant l'une devant l'autre dans l'eau on en fit une espèce de pont d'un genre nouveau. Vers quatre heures, on eut à traverser un second ruisseau; l'eau n'était pas bien haute, on le passa à pied. A quatre heures et demie a.m. on campa. Aussitôt, après souper, il y eut grande fête à l'occasion de l'anniversaire de la naissance du major Robert. Ou chanta "En roulant ma boule" et beaucoup d'autres. Il y eut discours par le héros de la fête et le major Perry. Ce dernier complimenta beaucoup le bataillon sur son bon esprit et son énergie. La fête se termina par ce que les Anglais appellent "Grand Bounce." A dix heures tout le camp était silencieux. Nous étions à cinquante milles de Calgarry.
Le dimanche matin, à l'heure habituelle, nous
étions debout et prêts à partir. Ce jour-ci, les chemins
furent plus mauvais que jamais. A onze heures
quand nous fîmes notre première halte, nous n'avions
parcouru que huit milles, et chacun était heureux
de pouvoir se reposer. A cinq heures et demie
a.m., quand nous fixâmes le camp, nous étions
à soixante-sept milles de Calgarry. Pendant cette
journée, il arriva un incident qui fut le commencement
de troubles sérieux et qui aurait pu se terminer
d'une manière tragique sans le sang-froid du
major Perry. Jamais les chemins n'avaient été aussi
mauvais; à un certain endroit, nous eûmes à traverser
un ruisseau, et comme l'eau était trop haute
pour passer à pied, le major nous dit de monter
dans les waggons. A peine arrivés de l'autre côté,
il y avait une côte à monter. Depuis une journée
ou deux, les charretiers ne semblaient plus nous
traiter aussi amicalement, ce n'était qu'avec peine
que Pou réussissait à les faire consentir à embarquer
un soldat épuisé par la fatigue de la route.
Or ce matin-ci, le sergent Beaudoin de la Cie No. 1
était monté avec deux soldats dans une voiture. A
peine arrivé au bas de la côte, il sauta à terre et,
voyant sa carabine entre les roues de la voiture, il
cria; ail charretier d'arrêter, en même temps qu'il
se baissait pour la prendre. Loin d'arrêter le charretier
lui répondit grossièrement et frappa le sergent
avec son fouet. En un clin-d'oeil, vingt crosses
de carabines étaient levées sur le charretier et,
n'eût-ce été l'intervention prompte du major Perry,
il aurait été tué sur place. Par respect pour le commandant,
les soldats se calmèrent un peu et, après
quelques explications, le charretier fut sévèrement
réprimandé, en attendant une enquête qui devait
avoir lieu le soir même au camp. Le soir, l'enquête
eut lieu. Le charretier fut renvoyé avec sa
charge et tout son salaire fut retenu pour payer la
carabine brisée.
Malgré tout cela, il y eut fête au camp ce soir-là, On mangea du bacon, dont le major Perry nous avait fait présent. C'était bon, car c'était nouveau; depuis Calgarry nous n'avions eu que du corn beef et des hard-tacks.
Lundi, les chemins continuèrent à être mauvais comme la veille. A un certain endroit surtout où il fallait traverser un ruisseau sur des branches, posées dans ce but, trois soldats perdirent pied et tombèrent à l'eau: ils en furent quittes pour un bain froid et quelque peu vaseux. Une couple d'autres ruisseaux plus profonds furent passés sur des charrettes. Après douze milles de marche, nous nous arrêtâmes vers les onze heures. Pendant que les cuisiniers préparaient le repas du midi, le bataillon fut rassemblé et le major Robert nous lut les ordres du jour entre autres le suivant: 1. Obligation stricte de ne pas se débarrasser de ses armes ni de ses munitions pendant la marche. A peine retournés à nos places sous les charrettes, une rumeur commença à circuler, parmi les soldats, que Gros-Ours venait à notre rencontre. Ceci joint au fait que les provisions commençaient à manquer (d'après les on dit) rendit les soldats quelque peu taciturnes et chacun se mit à nettoyer son fusil, et à voir si ses cartouches étaient en bon ordre. Au moment de partir, le major Robert nous annonça que le lendemain matin dix waggons vides nous rencontreraient et que les plus fatigués pourraient ainsi faire le trajet en voiture. Après plusieurs milles de marche, vers les quatre heures, quatorze charrettes vides, attelées de cayuses, furent rencontrées. Presque tous montèrent, et le voyage se continua au milieu des gais refrains des soldats heureux d'avoir enfin des transports. Vers cinq heures et demie a.m., le camp fut fixé et la nuit se passa sans incident en dépit des rumeurs et des faux rapports.
De bonne heure, mardi, on était prêt à partir et tous, satisfaits de ne plus marcher, se mirent en route joyeusement. Vers les dix heures, l'on arriva à la Rivière du Chevreuil Rouge, qui est à peu près à mi-chemin entre Calgarry et Edmonton. En descendant de voiture la compagnie No. 1 reçut ordre de construire un radeau pour traverser le canon; car la rivière était trop haute pour la passer à pied. On se mit joyeusement à l'oeuvre et, en moins d'une heure, un radeau, solide et bien fait, attendait sa charge. Il fallut alors penser à traverser le câble qu'on devait attacher sur l'autre rive. Après que plusieurs eussent tenté de le faire, mais en vain, le caporal Beaudoin et le soldat N. Robert de la Compagnie No. 1 s'en chargèrent et réussirent. Enfin le canon fat embarqué et plusieurs soldats montèrent à bord avec le major Perry.
On coupe les amarres et le radeau prend son élan. Il descend terriblement vite; quand, à peine rendu vers le milieu de la rivière, le câble se brise. Le courant entraîne le radeau et sa charge avec une vitesse vertigineuse. En vain des soldats essayent de jeter un bout de câble au major, leurs efforts sont infructueux et le radeau continue sa course. A cinq milles plus bas est un rapide des plus dangereux. Si l'on peut sauver la vie de tous ceux qui sont à bord, au moins faudra-t-il sacrifier le canon et les munitions... Tout à coup le major se précipite à l'eau et ayant saisi un câble de la main d'un soldat, il remonte à bord et, en quelques minutes, tous y mettant la main, on obtient une nouvelle amarre et le radeau est sauvé. Il atterrit trois milles plus bas, à peine à un mille et demi de la chute. Le canon fut débarqué à terre, mais le radeau dut être abandonné. Des chevaux furent bientôt attelés au canon et, les soldais aidant, on le ramena au trait. Cependant ce ne fut pas sans accident. Le soldat Alex Martin, un jeune français, était à aider à monter le canon, quand il se fit prendre la tête entre une des roues et un arbre. La blessure fut des plus sérieuses, mais le jeune brave endura les douleurs les plus vives sans se plaindre. Il ne devint mieux; qu'une quinzaine de jours plus tard. L'accident arrivé au radeau nous retarda beaucoup, car le seul transport qui nous restait était un vieux bac. On travailla nuit et jour, chaque waggon fut transporté morceau par morceau, les provisions, munitions et le reste, malgré une pluie battante. On divisa notre bataillon en deux parties, dont l'une avait la garde de la rive nord et l'autre de la rive sud.
Il y avait à peine un nombre suffisant de tentes
pour les provisions, sur la rive nord, et ceux qui
étaient traversés durent passer la nuit à la belle
étoile, heureux encore s'ils avaient pu trouver une
couverte pour s'envelopper.
Vers une heure du matin, le 29, l'on fut réveillé par des cris d'alarme et d'appels au secours, jetés par quelques soldats qui étaient tombés à l'eau en traversant. En peu d'instants, tous ceux qui dormaient étaient debout et déjà rendus sur la scène de l'accident. Tous furent sauvés et en furent quittes pour un bain à l'eau froide. Malheureusement il y avait à bord une dizaine de knapsacks qui furent perdus grâce à l'excitation des rameurs. La journée se passa à continuer de traverser les provisions. Le soir, vingt hommes de la compagnie No. 8 reçurent l'ordre de rester en cet endroit, sous le commandement du lieutenant Normandeau. La nouvelle nous prit un peu par surprise, et la surprise était loin d'être agréable. Divisés déjà comme nous l'étions et surtout ayant bon espoir de rejoindre nos frères avant longtemps, cette nouvelle séparation ne fut pas sans soulever des murmures. Mais, enfin, à la guerre comme à la guerre: l'on dut se soumettre. La veillée fut silencieuse, la nuit de même.
Le lever eut lieu à six heures le lendemain. Vers les dix heures, on lança à l'eau un nouveau bac, plus grand que celui dont nous nous étions servis.
Ce bac, qui venait d'être terminé, avait été construit très solide, pour qu'il pût durer plus longtemps, et était mû au moyen d'un certain appareil d'un genre nouveau, relié à un câble en fer tendu d'une rive à l'autre. L'après-midi fut donnée au repos. La seule interruption fut l'arrivée de transports venant du nord. Un des charretiers rapporta que l'on s'attendait à une attaque à Edmonton; ce qui ne nous encouragea pas un peu à partir au plus tôt pour rejoindre nos frères et leur aider. Le soir, il y eut grande fête au camp. L'on imita le pow-wow (danse de guerre) des Sauvages. Une dizaine de soldats du 65e ainsi que deux ou trois de la police à cheval se vêtirent de couvertes et exécutèrent à la lettre un programme imaginaire. Après, l'on eut ce que les Anglais appellent: "Tug of war," La soirée se termina par des chants canadiens, puis chacun s'en fut se coucher. La nuit fut très-froide.
Le 1er de mai au matin le lever eut lieu à cinq heures. On alla se laver à la rivière, puis avant déjeuner, tous se mirent à genoux pour chanter "l'Ave maris Stella." Après déjeuner, l'on se hâta de traverser ce qui restait sur l'autre rive et, à midi, nous pliions bagage. A quatre heures nous nous mîmes en route, notre départ ayant été retardé par la difficulté qu'on eut à traverser les chevaux. Après quelques milles de marche, nous choisîmes un bon endroit pour camper, et, à neuf heures, nous nous reposions sous la lente à cent-quatre milles d'Edmonton. Ce jour-là, le major Perry nous fit de grands compliments. Il nous dit qu'il avait déjà commandé des soldats aussi courageux et obéissants, mais qu'il n'en avait, jamais commandés d'aussi gais. Le mot de passe cette nuit fut "Big Bear," mot significatif; ce qui cependant ne troubla le sommeil d'aucun soldat.
Pendant la nuit, le major Perry reçut une dépêche du général Strange. Personne n'en apprit bien long sur le contenu de ce message. La rumeur circula cependant que l'on avait reçu ordre de faire le voyage en quatre jours, et que l'on était averti que les Sauvages nous attendaient à quarante milles. A six heures, le lendemain, nous partions de nouveau. Le temps était devenu beau. Vers le midi, cependant, la chaleur devint insupportable. Chacun cherchait l'ombre, et s'étendait du mieux qu'il pouvait sous une charrette quelconque. Vers deux heures on repartit. On traversa bientôt le ruisseau de la Tortue, sur lequel l'aile droite du bataillon avait posé un pont assez solide. Vers les cinq heures, l'on arriva à la Rivière Bataille que l'on traversa sur des charrettes. Nous campâmes à un mille environ au nord de la rivière. Nous étions à trente-cinq milles au nord de la Rivière du Chevreuil Rouge. Pendant la veillée, un chef de la tribu des Stonies, Tête Fine, vint nous faire visite. Il fit mille protestations d'amitié à nos officiers et leur déclara que sa tribu resterait loyale au gouvernement.
Le lendemain, dimanche le 3, le lever eut lieu à quatre heures; départ à six heures et dix minutes a.m. Le temps se continua beau; mais les chemins furent mauvais pendant au moins six milles. Vers les neuf heures, nous passâmes la réserve des Stonies, où réside le Rev. Père Scullen. Un petit "Union Jack" flottait au-dessus de la tente du chef Peau d'Hermine. Il était près de midi quand nous nous arrêtâmes pour la dîner. Peau d'Hermine vint visiter la major, accompagné de sa femme, de son fils Cayote, et de quelques autres Sauvages. Le chef avait revêtu «m uniforme des grandes fêtes, et il nous était impossible de compter le nombre de couleurs qui bariolaient sa tunique. Quand à celui qui semblait lui servir d'intendant, son costume était des plus simples: une vieille tunique noire à boutons dorés, et des culottes brunes. Ils passèrent environ une heure à converser avec le major, (car Peau d'Hermine s'exprime assez bien en anglais), à fumer la pipe et à partager le menu du camp. Ces Sauvages nous ont paru passablement civilisés. Ils sont chrétiens et s'adonnent aux travaux des champs. Cependant ils habitent encore leurs wigwams et construisent de» hangars pour mettre à l'abri leurs grains et leurs animaux.
A deux heures nous étions de nouveau sur la route, et vers les six heures nous étions campés à quatre milles au nord de la Ferme du Gouvernement, aux Montagnes de la Paix, trente-six milles d'Edmonton.
Aussitôt après le lever, le lendemain, on nous apprit qu'un nouveau détachement de vingt hommes devait être laissé à la Ferme. Le commandement de ce détachement fut donné au lieutenant Villeneuve. Cette séparation fut encore plus cruelle que la premiere, et chacun se demandait ce qu'allait devenir notre pauvre bataillon, si l'on continuait à nous éparpiller ainsi le long de la route. Aussitôt les adieux faits, l'on se remit en marche. L'on fit une courte halte vert le midi, puis les chemins devinrent affreux. Tantôt dans des marécages presqu'impraticables et tantôt à travers des forêts où un étroit passade permettait à peine à nos charrettes de traverser. Vers les cinq heures, on campa. Un courrier nous apporta l'étrange nouvelle que Riel avait, capturé quatre-vingt voitures de munitions et de provisions égarées par de faux guides. Celle nouvelle fut le sujet de conversation le plus général pendant la veillée.
De bonne heure, mardi matin, nous étions remontés dans nos charrettes. La route se continua à travers les bois. Nous passâmes sur la réserve de Papesteos. Vers huit heures, chacun commença à nettoyer ses armes et son uniforme, car l'on approchait d'Edmonton. A. Ashton Lake, le lieut.-col. Hughes vint à notre rencontre et fut salué par des cris de joie. A quelques milles plus loin, les autres officiera du bataillon droit nous attendaient pour nous souhaiter la bienvenue. Enfin, vers 11 heures, Edmonton nous apparut dans la distance. On descendit des voitures et l'on se mit en rangs pour descendre la côte de la rive sud de la Saskatchewan. Chacun était heureux à l'idée qu'il allait revoir les amis dont il avait été séparé depuis quinze jours. A midi, nous étions rendus et assis autour d'un feu de camp; on se racontait les incidents du voyage, La compagnie No 7 était déjà rendue, depuis le 3, au Fort Saskatchewan, à vingt milles à l'est d'Edmonton, sous le commandement du capitaine Doherty. Lea compagnies 5 et 6, sous le commandement du capitaine Prévost, élevé au rang de major, se mirent en route le jour de notre arrivée, pour se rendre à Victoria, soixante milles d'Edmonton. Ce premier détachement se composait comme suit:
Major Prévost. Adjudant: Sous-lieut. Mackay. Compagnie No. 5: Capt. Villeneuve. Lieut. Lafontaine. No. 6: Capt. Giroux. Lieut. Robert. Chirurgien-Major Paré.
Les autres compagnies campèrent en dehors du Fort en attendant les ordres du général.
FIN DE LA PREMIÈRE PARTIE.
DEUXIÈME PARTIE.
LE BATAILLON DROIT.
CHAPITRE I
D'EDMONTON A VICTORIA.
Vers les deux heures, le 5 mai après-midi, les compagnies Nos. 5 et 6 du 65e bataillon, accompagnées d'un détachement de Police à cheval, se mirent en route pour Victoria, d'où elles devaient continuer jusqu'à Fort Pitt quand les renforts promis seraient arrivés. C'était l'avant-garde. Le commandant de l'expédition est le major Steele. Le capitaine Oswald commande la force montée. Le 65e bataillon est sous le commandement du major Prévost; les compagnies 5 et 6 le représentent; la premiere est commandée par le capitaine Villeneuve, assisté du lieutenant Lafontaine; la seconde par le capitaine Giroux, assisté du lieutenant Robert. Le sous-lieutenant Mackay agit comme adjudant.
La journée fut très chaude. Après environ une heure de marche on dressa les tentes.
Le lendemain, 6 mai, le lever eut lieu à cinq heures et demie; départ à sept heures. La journée fut très froide. Le vent du nord souffla continuellement. Tout le détachement était en voitures. Quand on arrêta pour le lunch à une heure de l'après-midi on avait parcouru seize milles. Le capitaine Doherty qui commandait la compagnie No. 7 stationnée au Fort Saskatchewan vint au camp faire une visite. Tout le long du parcours, des terres bonnes et bien cultivées s'offrirent à la vue des soldats; de temps à autre une modeste habitation variait la scène. On rencontre messieurs Brunelle et Chamberlain. Ceux-ci disent que les Métis et les Sauvages ont le droit de leur côté, et qu'il faudra une armée de vingt mille hommes pour abattre la rébellion. Les Métis sont trop avancés dans leur voie de révolte pour se retirer, leurs têtes et celles de leurs chefs sont en jeu et ils sont disposés à vendre chèrement, leur vie.
La nuit fut très froide.
Le lendemain le réveil eut lieu à cinq heures; départ à sept heures et demie a.m. Le voyage se continue à travers un pays de bois et de broussailles. On traverse à gué la rivière Éturgeon. A onze heures et quart a.m., on arrête pour dîner. L'endroit choisi pour le camp était entouré de tous côtés par des broussailles; l'eau était à peine potable, on la prenait dans un étang voisin. La journée fut assez belle mais un peu froide. L'après-midi fut agréable. On fit l'exercice vers les trois heures Une bande de Sauvages Cris passe près du camp et déclare que Gros-Ours a tout dévasté à Victoria et aux environs. Au souper les soldats eurent de la viande fraîche; les officiers dégustèrent une soupe aux canards préparée par le capitaine Giroux. La soirée et la nuit furent très froides.
Le réveil eut lieu à sept heures, vendredi matin. De neuf heures et demie à onze heures, exercice. Matinée belle, mais fraîche. Départ à midi et demi. Pendant le trajet, on eut à passer à travers une forêt de bois de bouleau très épaisse. A cinq heures et demie de l'après-midi on monta les tentes à trois cents verges de la rivière Vermillon, dans un endroit magnifique appelé "l'Anse Profonde".
Ce jour là même l'aile droite commandée par le Lt.-Col. Hughes et composée des compagnies No. 3, capitaine Bauset, lieut. Ostell, et No. 4, capitaine Roy, lieut. Hébert, dont l'état-major comprenait le major Robert, l'adjudant Starnes, le quartier-maître LaRocque, l'assistant-chirurgien Simard et le Révd Père Provost, quittait Edmonton pour rejoindre à marches forcées le détachement qui les précédait sur la route de Victoria.
Le major-général Strange et le major Perry avec le canon et une escouade de la police à cheval restaient à Edmonton pour attendre l'arrivée, de Calgarry, de l'aile droite de l'Infanterie Légère de Winnipeg et aussi pour surveiller la construction et le chargement des chalands qui devaient les transporter par voie de la Saskatchewan jusqu'à Victoria, endroit choisi pour la jonction des différentes parties de la colonne.
A six heures, le 9 mai, le lever. De dix heures à onze heures il y eut exercice. Il fait un temps superbe et chaud. Dans l'après-midi on eut encore de l'exercice de trois heures à cinq heures. Vers les six heures le Lt.-Col. Hughes arrive avec les compagnies 3 et 4. La réunion des deux ailes eut lieu au milieu de la joie générale. Les nouveaux venus campèrent sur les bords de la rivière Vermillon. Dans la veillée on chanta des cantiques à la Sainte-Vierge.
Le lendemain, 10 mai, étant dimanche, on eut la messe en plein air à six heures du matin. Les officiers et les soldats unirent leurs voix dans des chants divins. A neuf heures on se remit en route. Le personnel de cette expédition était comme suit:
Commandant: Lt.-Col. Hughes.
Major de brigade: Prévost.
Cavalerie, Police à cheval: Major Steele.
Éclaireur: Capt. Oswald.
65ÈME BATAILLON.
Aile droite,
Major Robert.
Compagnie No. 3: Capt. Bauset,
Lieut. Ostell.
No. 4: Capt. Roy.
Lieut. Hébert.
Aile gauche
Major Prévost.
Compagnie No. 5: Capt. Villeneuve.
Lt. Lafontaine.
Compagnie No. 6: Capt. Giroux.
Lieut. Robert.
Sous-lieut. Mackay.
Quartier-maître: Capt. LaRocque.
Aumônier: Révd. Père Provost.
Adjudant: Lieut. Starnes.
Chirurgien-Major Paré.
Assistant-chirurgien: Dr. Simard.
Instructeur: Labranche.
On traversa à gué la rivière Vermillon. Une partie
de la route se fit à travers de grands bois de bouleau,
coupés ça et là par de profonds ravins. Le
temps était superbe et aurait été chaud s'il n'eût été
tempéré par une bonne petite brise de l'Est. On arrêta
vers midi pour prendre le lunch et on repartit
vers les deux heures. En route les deux ailes du bataillon
se réunirent. On traversa des sites des plus
pittoresques par des chemins affreux. A six heures
et demie a.m., le camp fut choisi dans un site magnifique,
sur un superbe plateau, près de la rivière
au Mulet. L'endroit formait un tableau digne du
pinceau d'un Vernet. Posé sur une élévation d'un
demi mille au-dessus de la rivière, le plateau est
entouré de hautes falaises taillées à pic et couvertes
de sapins du plus beau vert et de beaux bouleaux.
Le soleil en se couchant donne à toute la scène un
relief indescriptible. Les cimes des arbres se revêtent
d'une auréole du plus bel or, tandis que leurs bases
reflètent les feux allumés par les cuisiniers. Le mélange
des ombres des soldats errant autour du camp
donne à la scène un aspect fantastique. Quelques
heures plus tard la lune se lève, et la scène, en
changeant d'aspect, ne perd rien de sa beauté. La
reine des nuits promène lentement son char féerique
à travers les têtes fières et hautes des arbres,
et semble laisser un lambeau de sa robe transparente
à chaque branche des sapins d'où se détachent
des lueurs verdâtres. Le vent est moins
fort et une faible brise fait seule onduler les
cimes des arbustes.
Le lendemain le réveil eut lieu à quatre heures et demie; départ à six heures et dix minutes du matin.
Le temps est très beau et un peu chaud. Traversée de l'anse Wasetna. Les soldats suivent les guides qui passent par des chemins plus ou moins praticables, pour descendre à la rive de la rivière Saskatchewan. La route se poursuit pendant quelque temps le long du rivage. L'aspect de la Saskatchewan et des paysages qui s'étendent en courbes multiples, tout le long de son parcours, est des plus jolis. De l'anse Wasetna à Victoria, les rives sont à une grande élévation et sont couvertes de forêts épaisses. Plusieurs ravins viennent ça et là varier l'uniformité du tableau. Vers onze heures et quart a.m., on fait la première halte pour le dîner. La chaleur devient accablante. Après le dîner la marche se continue à travers le bois et à quatre heures l'on arrive à Victoria où l'on campe. Depuis Edmonton on a parcouru quatre-vingt milles.
Des éclaireurs viennent au camp pendant la veillée et annoncent que Gros-Ours est à cinquante milles plus loin, dans un endroit appelé la Côte du Renne. Il faut cependant attendre les ordres du major-général pour continuer.
Le lendemain, il fait beau. Exercice dans l'avant-midi et l'après-midi. Quelques officiers vont visiter le Fort Victoria. Il présente l'image de la désolation la plus complète; il n'a plus d'occupant. A leur retour, ils prennent un bain dans la Saskatchewan.
Rien d'extraordinaire le 13 mai. Exercice toute la journée. Les soldats passent leurs moments de loisir à écrire à leurs parents et à leurs amis.
Jeudi matin, réveil à cinq heures et demi. Messe basse à sept heures, à l'occasion de la fête de l'Ascension. Beau temps frais. Les officiers se construisent une table rustique pour prendre leurs repas. Ce sont des troncs d'arbres placés sur des supports posés sur des pieux enfoncés en terre. Des branches sont placées ça et là pour remplir les interstices et égaliser la surface de la table, le tout est couvert d'une grosse toile. Des troncs d'arbres servent de sièges; c'est un luxe d'un genre nouveau. On s'aperçoit au souper que la provision de sucre est épuisée. La nuit est froide.
Vers quatre heures du matin, le 15, il neige quelque peu; à cinq heures et demie on se réveille et la neige continue à tomber jusqu'à sept heures et demie. Il y avait alors deux pouces de neige sur le sol. De neuf heures et demie à midi on fait encore de l'exercice.
Le lendemain, on se réveille à quatre heures et demie. Départ à neuf heures. On lève le camp pour aller à un mille et demi plus loin dans la vallée. Le général accompagné de l'Infanterie Légère de Winnipeg arrive avec les chalands. Ils campent au Fort Victoria.
Le 17 mai, réveil à cinq heures et demie, messe à sept heures. La journée est des plus ennuyeuse Il n'y a pas d'exercice. Les officiers du 65e vont faire visite au camp de l'Infanterie Légère de Winnipeg. La pluie commence à tomber vers les neuf heures du soir.
Le surlendemain, réveil à quatre heures et demie. Vers les six heures, on lève le camp et l'on se dirige vers le Fort Victoria. Une petite pluie légère est tombée vers les dix heures, mais n'a pas duré longtemps. Il fait un fort vent d'est. Vers onze heures, un orage violent éclate soudain, mais ne dure que quelques minutes. Durant la journée le capitaine Bossé et le lieutenant Des Georges arrivent en voiture d'Edmonton et font signer les listes de paie. Dans l'après-midi ils se remettent en route pour rejoindre la compagnie No. 2 restée en garnison à Edmonton. Pendant la veillée, un courrier apporte au camp la nouvelle de la défaite des Métis, de la prise de Riel, et de la fuite de Dumont.
CHAPITRE II
DE VICTORIA A FORT PITT.
C'est aujourd'hui le 20 de mai. On se réveille à quatre heures et vers les six heures et demie on part en bateau pour l'est. Ce sont des bateaux plats d'un modèle tout à fait primitif. Ils sont au nombre de quatre. L'un le "Nancy" est occupé par l'état-major du 65e, le général Strange ayant pris le chemin de terre accompagné de l'Infanterie Légère de Winnipeg; un autre le "Bauset" est sous le commandement du capitaine Bauset; le troisième le "Roy du Bord" sous les ordres du capitaine Roy; chaque capitaine a sa compagnie à son bord.
Le plus grand s'appelle "Big Bear." Il mesure
près de soixante pieds de longueur sur une largeur
de vingt pieds. Il est commandé par le capitaine
Villeneuve, assisté des lieutenants Lafontaine et
Robert. Il y a à bord trente-sept hommes de la
compagnie No. 5, dix de la compagnie No. 6, deux
sergents d'état major, quatre hommes de l'Infanterie Légère
de Winnipeg et trois bateliers. Outre
ceux-ci, il y a un officier pourvoyeur. Le navire a
un pont large de six pieds qui s'étend de chaque
côté. On dort dans le fond de cale sur du foin et
le pont est l'unique ciel de lit où vont se perdre
les rêves de gloire des soldats. Cette première journée
de voyage par eau a été belle et la nouveauté
du genre de transport amusait beaucoup les soldats.
La rivière Saskatchewan n'est pas bien large; ses rives sont élevées et magnifiquement boisées. Il y a plusieurs baies qui fournissent à l'oeil du voyageur des scènes ravissantes. L'eau est généralement peu profonde et a une apparence bourbeuse.
Vers une heure et demie a.m., après avoir fait une dizaine de milles, les bateaux arrêtent. Rien de plus simple que le système de navigation à bord des bateaux sur la Saskatchewan. On n'a qu'à suivre le courant qui est très fort; de temps à autre, un coup de rame habilement donné suffit pour changer la direction du bateau et éviter un banc de sable.
Après le souper, plusieurs montent la côte et assis autour d'un bon feu répètent les gais refrains du pays. Le temps est serein et du haut du ciel la lune et les étoiles sourient à l'insouciance des chanteurs et paraissent répéter dans leurs sphères sublimes les accents émus de tous ces coeurs canadiens. Quand le clairon sonna le coucher, chacun descendit en silence au bateau et alla continuer sous le pont un rêve inachevé.
Le lendemain réveil à cinq heures et demie. Départ
à six heures. Il fait froid. Rien d'extraordinaire
à bord. Chacun s'ennuie de la manière qui lui déplaît
le moins. La pluie tombe pendant la veillée. A la
nuit tombante on arrête à un endroit connu sur la
carte sous le nom de St. Paul, où existait autrefois
une mission florissante desservie par les Pères Oblats;
mais qui a été détruite il y a onze ans par un feu
de prairie. Ce n'est plus aujourd'hui qu'un coin du
désert.
Le 22 de mai, vers une heure du matin, quelques coups de feu réveillèrent les dormeurs en sursaut, et le clairon sonna l'alerte. Dans l'espace de quelques minutes, les soldats étaient descendus à terre et attendaient, en bon ordre, les commandements de leurs capitaines, qui s'élancèrent à la tête de leurs hommes et gravirent, au pas de course, la berge escarpée.
Aussitôt arrivés au haut de la côte, les soldats reçurent ordre de se déployer en tirailleurs. Une fusillade assez vive se fit entendre à la gauche du premier détachement et donnait à croire que la ligne était engagée. Sur l'ordre du Colonel, le feu cessa, et une patrouille fut envoyée en avant sous le commandement du major Prévost. Ce dernier fit déployer ses hommes en tirailleurs et fit tirer une décharge dans la direction où l'ennemi semblait s'être retiré. Quelques minutes plus tard, le major revint et annonça qu'il n'avait rien vu. Jusqu'à deux heures et demie les troupes restèrent sur la côte toutes armées, puis l'on descendit aux bateaux où l'on coucha sous les armes.
Il faisait un temps des plus désagréables, froid et pluvieux, et plusieurs se trouvaient couchés sur la paille humide.
Malgré le mauvais résultat de cette sortie, exécutée pendant les heures les plus sombres de la nuit, cela eut un bon effet. Les soldats prouvèrent qu'ils étaient prêts à toute éventualité. Le bon ordre et l'alacrité qu'ils mirent dans leur réponse à l'appel de leurs chefs ne sauraient être trop loués. Loin de trembler ou d'hésiter, ils étaient tous gais et trouvèrent moyen de s'amuser de certaines petites scènes dont ils ne furent pas lents à saisir le côté ridicule. Plusieurs témoignaient hautement leur désappointement d'être revenus sans avoir tué un seul ennemi. Les éclaireurs rapportèrent qu'ils avaient vu les pistes des Sauvages en différents endroits sur le haut de la côte.
Aujourd'hui l'on arrêta à un mille de Saint-Paul, où l'on passa la nuit.
Ce soir, instruit par l'événement de la veille et craignant la répétition de l'attaque, le Colonel ordonna de monter les tentes sur un plateau à cinquante pieds du rivage. Une forte garde fut laissée à bord des bateaux et le reste du bataillon coucha sous la tente. Il avait plu toute la journée et le sol était très-humide. La pluie continua à tomber pendant la nuit.
Le 23 de mai, l'on sonna le réveil à quatre heures. Le camp fut aussitôt levé et les tentes transportées à bord. Les ancres furent levées et la route se continua en bateaux.
Le paysage est des plus beaux. Sur chaque rive, les côtes sont tantôt très-élevées et coupées à pic, tantôt basses et couvertes de forêts de jeunes arbres. Vers une heure de l'après-midi, on jette l'ancre dans "l'Anse de la Côte du Renne" (Moose Hill Creek) et, une bonne garde ayant été laissée sur les bateaux, on va camper sur le haut de la côte. L'après-midi a été très-belle. Vers deux heures a.m., deux éclaireurs, Borrodaile et Scott, partent pour Battleford en canot. Ils avaient mission de traverser les lignes indiennes, et de dire au gén. Middleton et au col. Otter la position de l'aile de Strange. Ils remplirent leur devoir en braves. La distance parcourue depuis Victoria est de cent vingts milles.
Dimanche matin, il y eut messe basse à bord du bateau. On se remet en route vers trois heures et demie a.m. On jette l'ancre dans l'anse du Lac aux Grenouilles. La nuit fut assez belle. Vers une heure et demie du matin, la garde fit sonner l'alarme mais on n'aperçut rien d'insolite aux alentours.
Le lendemain, réveil à cinq heures. Avant de quitter l'endroit, on élève sur une éminence une croix, haute de quarante pieds, à la mémoire des Révérends Pères Oblats qui ont été massacrés au Lac aux Grenouilles a quelques milles d'ici. Cette croix porte l'inscription suivante:
ÉLEVÉE
A LA
MÉMOIRE DES VICTIMES
DE
FROG LAKE
Par le 65e Bataillon.
Un document est rédigé relatant les faits qui ont motivé l'érection de la croix et tous les officiers y apposent leurs signatures. On enferme ce document dans une bouteille enveloppée dans du plomb, puis on enterre la bouteille au pied de la croix. Le Révérend Père Provost adresse quelques paroles aux soldais, puis la cérémonie est close en chantant "O crux Ave, spes unica!" L'endroit où la croix a été élevée a été baptisé Mont-Croix.
Vers huit heures le départ a lieu. On continue à naviguer jusque vers une heure de l'après-midi. On fixe le camp; mais à peine les tentes avaient-elles été montées qu'on reçoit l'ordre de partir pour le Fort Pitt.
Des éclaireurs qui arrivent du Lac aux Grenouilles rapportent qu'ils ont trouvé les cadavres de sept personnes, dont six hommes et une femme. Ils étaient affreusement mutilés. Celui de la femme surtout était horrible à voir. La tête avait été détachée du tronc, les jambes et les bras coupés, les seins arrachés, le ventre ouvert et les entrailles sorties. On remarqua aussi que toutes les jointures avaient été disloquées. Le général Strange qui commandait la colonne de terre avait fait inhumer dans le modeste cimetière de la mission les restes des victimes, entr'autres la dépouille des RR. PP. Fafard et Marchand, qu'on avait pu reconnaître par quelques lambeaux de soutane qui adhéraient encore aux chairs à demi carbonisées de ces martyrs que les Sauvages avaient, non-seulement, mis à mort et mutilés, mais avaient jetés dans la cave du presbytère qu'ils avaient ensuite incendié. Cela fait dix-huit cadavres qu'on trouve en ce même endroit, tous des victimes de la barbarie indienne.
On se mit en route pour Fort Pitt vers trois heures et quart a.m., et il était onze heures et demie du soir quand on y arriva. La rivière est plus large en cet endroit et le courant est moins fort. Aussitôt installés, on fit l'inspection du Fort. Partout le spectacle de la dévastation la plus complète! Des cinq maisons que contenait le Fort, il n'en reste plus que deux. Quelques ruines encore fumantes marquent seules l'endroit où étaient les autres.
CHAPITRE III.
FORT PITT ET LA BUTTE AUX FRANÇAIS.
Quand le jour naissant éclaira la scène, le désastre, causé par le passage des Sauvages, put être constaté dans toute son étendue. Toute la campagne était jonchée de débris. Les Sauvages n'ont rien laissé d'intact; il n'y a pas jusqu'aux chaises qui n'aient été brisées.
En parcourant les environs, on découvrit le cadavre du jeune Cowan, de la police à cheval, qui a été tué lors de la reddition du Fort. Il était horriblement mutilé. On dit que ce sont les squaws qui s'acharnent ainsi sur les cadavres de leurs ennemis comme des bêtes fauves; elles ne laissent jamais un membre intact.
Tout tendait à démontrer que les Sauvages venaient de quitter le fort depuis quelques jours à peine. C'est ainsi qu'ils faisaient toujours à l'approche des volontaires. Laissant entre leurs ennemis et eux une distance respectable, ils semaient la destruction sur leur route. On trouvait partout des traces de leur passage, ici des ruines fumantes, et là un cadavre mutilé.
C'est La guerre, indienne dans tout ce qu'elle a de plus féroce et de plus barbare.
Les rapports des éclaireurs ne tendaient pas peu à exciter l'impatience des soldats de rencontrer enfin l'ennemi. Voici, par exemple, ce qu'on leur avait rapporté concernant madame Delaney. "Après l'avoir cruellement maltraitée, les Sauvages la dépouillèrent de tous ses vêtements, et, lui ayant attaché les pieds, lui disloquèrent les jointures des hanches. Puis toutes ces brutes l'outragèrent, chacun leur tour, jusqu'à ce qu'elle fut morte et continuèrent tarit que le cadavre fut chaud."
Une autre fois on rapporta que le facteur de la
compagnie de la Baie d'Hudson à Fort Pitt, un
nommé McLean, qui connaissait quelques-uns des
chefs qui accompagnaient Gros-Ours, et qui croyait
pouvoir sans danger s'approcher d'eux, comptant sur
leur amitié passée, s'était rendu à leur camp. Gros-Ours
le retint prisonnier et l'installa cuisinier en chef
de sa bande. Les deux demoiselles McLean, âgées
respectivement de seize et de dix-huit ans, avaient
voulu accompagner leur père; elles furent données
pour épouses à deux des sous-chefs de la bande.
Qui dit épouse, dit esclave. C'est au moment où les
esprits des soldats étaient montés par ces différents
récits, qu'on trouva dans la prairie une chemise qui
portait les initiales d'une des demoiselles McLean.
Elle était déchirée aux épaules et tachée de sang
dans le bas. Pour tous, il n'y avait pas l'ombre
d'un doute que la jeune fille n'eût souffert les derniers
outrages.
Vers deux heures de l'après-midi, on enterra le cadavre du jeune Cowan. Le service funèbre fut fait par un ministre protestant, et ses camarades tirèrent plusieurs coups de fusil en son honneur. Un enterrement dans de telles circonstances, au milieu de la solitude, surtout lorsque l'âme est en proie à de noirs pressentiments, fait une pénible impression sur tous ceux qui en sont témoins.
Tous retournèrent aux bateaux l'esprit songeur, interrogeant l'avenir avec crainte pour savoir si leur sort ne serait pas le même que celui de ce malheureux jeune homme, mais disposés à faire leur devoir jusqu'au bout.
Une partie des compagnies Nos. 5 et 6 fut laissée au Fort sous le commandement du capitaine Giroux et du lieut. Robert, avec ordre de réparer le fort et d'y tenir garnison. En quatorze heures le travail de reconstruction du fort était terminé.
Le 27 de mai, le réveil a lieu à six heures. Aussitôt
levés, l'on reçoit la nouvelle que le major Steele
avait trouvé les Sauvages et, en même temps, l'ordre
du général de se tenir prêts à partir. Le général
part par terre avec l'Infanterie Légère de Winnipeg
et les waggons. Vers onze heures et demie a.m., l'on
partit à bord du Big-Bear au nombre de quatre-vingt-dix-neuf,
officiers, sous-officiers, soldats et bateliers.
Tout le bagage fut laissé en arrière; chaque homme
n'apporta que ses armes, sa capote et une couverte. A
deux heures et demie a.m., un éclaireur vient annoncer
que l'avant-garde est engagée.
Par ce courrier, le général fait parvenir au Lt.-Col. Hughes l'ordre de longer la côte et de débarquer aussitôt qu'on déploiera un drapeau blanc sur la montagne. Tous attendent le signal avec impatience. Enfin, vers trois heures moins cinq minutes, on descend des bateaux et vers trois heures et vingt minutes on se met en route pour le champ de bataille. On peut entendre distinctement la fusillade. Au moment du départ, tous s'agenouillent et la scène est des plus solennelles. Les yeux tournés vers le ciel, le Révérend Père Provost implore la bénédiction du Très-Haut sur la vaillante phalange canadienne et lui donne l'absolution. Jamais spectacle ne fut plus saisissant de grandeur et de majesté.
Le tableau, encadré dans l'immensité de la plaine, prenait des proportions grandioses. Ainsi réconforté, le bataillon se met en marche et gravit la première colline. Tous obéissent aux commandements en silence et dans un ordre parfait. Le canon fait tonner sa voix d'airain et répand là plus grande terreur parmi les Sauvages qui se sauvent dans un bois adjacent. Pendant leur fuite, les soldats tirent trois décharges de mousqueterie. Immédiatement après l'on reçoit l'ordre de bivouaquer. Les chariots contenant les provisions n'étant pas arrivés, l'on se couche sans souper.
Que la nuit parut longue aux soldats épuisés par les fatigues de la veille et incapables de dormir! On passe la nuit à la belle étoile sans couverte ni capote. Vers le matin quelques chariots arrivent. A trois heures on se met en rangs et tous prennent à la hâte un déjeuner des plus modestes. Quelques minutes plus tard la colonne s'est mise en marche et rencontre l'ennemi dans une position fortement retranchée, sur une éminence rendue presqu'inapprochable par un ravin profond qui la sépare des volontaires. Le général ordonne au 65e de descendre en tirailleurs dans ce ravin, pendant que l'on installe le canon sur la côte, opposée. Plusieurs détonations retentissent à la fois du côté des Sauvages; mais pas un homme ne bronche, pas une seule balle n'avait atteint son but. Les volontaires, en ce moment, descendent la côte au pas de charge et, malgré la terrible solennité du moment, trouvent encore un bon mot pour égayer les moins philosophes le long de la route. En effet le spectacle est imposant! Cent jeunes soldats, la fleur de la jeunesse montréalaise, se précipitant de coeur joie au milieu des balles ennemies, qu'une main divine peut seule faire dévier de leur route; derrière chaque compagnie, le capitaine devenu sérieux, comprenant toute l'importance de sa charge, toute la responsabilité que lui impose sa position; un peu plus loin, le révérend aumônier, revêtu du surplis blanc, la sainte étole au cou et prêt à administrer les derniers sacrements de la sainte Eglise. Le révérend Père attend avec calme l'heure de remplir son devoir et jette de tous côtés un regard inquiet. Tout à coup, au milieu de la fumée, il distingue le brave Lemay qui tombe frappé à la poitrine. En un clin d'oeil il est auprès de lui ainsi que l'ambulancier Marc Prieur. On relève le malheureux blessé et le prêtre lui donne les saintes huiles. Puis on le transporte dans la voiture d'ambulance. Le chirurgien-major est déjà près de lui et lui donne ses soins. On fend la chemise de Lemay et, au premier coup d'oeil, la blessure parait mortelle. La balle a passé si près du coeur qu'au premier abord on a quelques doutes sur la possibilité d'une guérison. L'hémorragie se produit et bientôt toute la figure et les habits de Lemay sont couverts du sang qui lui sort par la bouche. On a à peine donné les soins à Lemay, qu'un autre ambulancier, aidé du général Strange en personne, apporte Marcotte et le dépose à côté de Lemay dans le waggon d'ambulance. La plaie n'est pas si dangereuse que celle de Lemay, la balle ayant frappé Marcotte à l'épaule. Le premier coup de feu fut tiré à ou vers six heures et demie du matin et vers neuf heures et demie la fusillade avait cessé.
Voyant que l'ennemi était de beaucoup supérieur en nombre et que sa position était imprenable, le général ordonna la retraite qui se fit dans le plus grand ordre. Dans toute cette affaire le 65e n'a pas été ménagé; en se rendant au combat il était à l'avant-garde et dans la retraite il formait l'arrière-garde. Vers midi le 65e s'arrête sur une hauteur, où il se retranche fortement. Le général part avec le transport de fourgons et ordonne au 65e de se rendre à bord du Ëig Bear. On se remet donc en route; mais en descendant la colline qui borde la rive on s'aperçoit que le bateau n'y est plus. On fut donc obligé de continuer par terre et il était sept heures et demie du soir quand la première compagnie arriva à Fort Pitt. Le lieutenant Mackay y était arrivé pendant la journée avec ses hommes et une compagnie de l'Infanterie Légère de Winnipeg.
On ne peut guère se figurer la fatigue des soldats après les événements de cette journée. Pas un n'avait dormi de toute la nuit précédente; on était parti pour le champ de bataille sans avoir à peine déjeuné; l'on était resté trois heures sous le feu, puis il avait fallu revenir à pied au Fort, une distance de onze milles. Aussi chacun goûta-t-il avec délices le repas qui fut servi au Fort et la nuit de repos qui le suivit.
Voici les noms de ceux du 65e qui ont pris part à la bataille de la Butte aux Français:
Lt.-col. Hughes, major Prévost, major Robert, adj. Starnes, Dr. Paré, l'abbé Provost, l'instructeur Labranche. Comp. No. 3: Capt. E. Bauset, Lt. F. Ostell, sergents N. Gauvreau, J. B. Dussault, A. Beaudin, caporaux, Browning, L'espérance. Soldats: J. Marcotte. J. Deslauriers, Eug. Maillet, E. Brais, A. Brais, E. Soulière, Alp. Mérino, U. Viau, Jos. Gaudet, Marc Prieur, ambulancier, Ed. Houle, Jos. Desglandon, Alb. Sauriol, H. Chartrand, Alex Martin, P. Sarrasin, A. Laviolette, A. Gagnon, Alf. Boisvert, Alex Riché. Comp. No. 4: Capt. A. Roy, Lt. Hébert, sergents G. Labelle, Houle, P. Valiquette, caporaux R. Vallée, Pouliot, E. Barry. Soldats: Ephrem Lemay, Ant. Mousette, G. Tessier, F. Carli, J. Martineau, B. Rodier, N. Beaulne, A. Fafard, F. X. Pouliot, D. Traversé, Alp. Dumont, S. Gascon, J. Roy, A. Labelle, X. Lortie, C. Gravel, Jos. Paquette, P. Dufresne, G. Grenier, ambulancier, clairon Descastiau. Comp. No. 5: sergents D'Amour, Bennet. Soldats: Valois, Desroches, Despatie, Jutras, Beauchamp, L. Leduc, Jos. Dagenais, Tellier, Gauvreau, Jos. Morin, Marceau, W. Rowarty, clairon, T. Robichaud. Comp. No. 6 à la charge du canon: sergent Lapierre. Soldats: L. Rose, G. Clairmont, A. Bertrand, O. Bertrand, E. Chalifoux, X. Larin, Jos. Lavoie, H. Langlois, D. Dansereau, H. O. Rochon, E. Allard, N. Doucet.
La journée qui suivit fut donnée entièrement au repos et chacun flâna de son mieux. Dans l'après-midi, Borrodaile et Scott, les deux courriers qui étaient allés à Battleford, arrivent au camp et annoncent la soumission de Poundmaker, La nuit s'écoule silencieuse.
CHAPITRE IV.
A LA POURSUITE DE GROS-OURS.
30 de mai.—Vers neuf heures et demie du matin, tous les préparatifs étant terminés, le bataillon reçoit ordre de partir immédiatement. Chaque homme a trente livres de bagage, et chaque compagnie n'a que deux voilures pour son bagage, etc. Tout le monde est donc obligé de marcher. Il était midi et quinze minutes quand on arrêta pour le dîner; on était rendu à un endroit très-près de celui où l'on s'était battu l'avant-veille. Vers les deux heures on reprit la marche et, après environ huit milles, on monta le camp.
31 de mai.—La nuit fut très-silencieuse. Il plut tout le temps et la pluie continua toute la journée. Dans le cours de l'après-midi le major Perry arriva au camp. Il avait rempli sa mission à Battleford et était revenu jusqu'à Fort Pitt à bord de l'Alberta.
1er de juin.—Réveil à quatre heures; déjeuner une heure plus tard. Ayant appris que Gros-Ours s'était de nouveau mis en route pour le nord, le Général ordonne au 65e de continuer au plus tôt sa poursuite. A une heure et demie a.m., le camp est levé et le bataillon se met en marche. Il fait mauvais.
En route, l'on traversa le camp fortifié des Sauvages.
Ils l'avaient laissé en toute hâte, abandonnant en
arrière une cinquantaine de caissons, une centaine
de charrettes, une quantité énorme de fourrures et
de provisions, en un mot, presque tout le butin qu'ils
avaient pris à Fort Pitt. On retrouva dans ce camp
un billet de McLean, nous indiquant la direction
que prenaient les Sauvages dans leur fuite. On campa
cette nuit-ci sur le rivage. Vers les onze heures du
soir, des prisonniers qui s'étaient échappés de Gros-Ours,
arrivèrent au Camp au nombre de trois. Ces
derniers donnèrent toutes sortes de renseignements
au général.
2 de juin.—De bonne heure ce matin une des femmes prisonnières de Gros-Ours arrive au camp. Elle corrobore le témoignage des prisonniers recueillis la veille et déclare que les prisonniers ont été comparativement bien traités, et que les prisonnières n'ont pas encore été violées. Vers les dix heures et demie du matin, le général Middleton arrive accompagné de son état-major, de deux cents cavaliers et d'un fort détachement d'infanterie des Midland, du 90e et des Grenadiers Royaux. Il fallait attendre les événements avant de prendre aucun parti, et toute la journée s'est passée à rien faire. Vers le soir le ciel se couvre de nuages menaçants.
3 de juin.—De bonne heure, le major Robert s'éloigne à bord de l'Alberta, dans la direction de Fort Pitt, d'où il doit se rendre jusqu'à l'hôpital de Battleford. Les blessés Lemay et Marcotte sont à bord du même bateau. Le soldat Isidore Gauthier qui souffrait du rhumatisme obtint la permission d'accompagner les blessés à Battleford et les assista tout le temps de leurs souffrances avec une patience digne, d'éloges. Le caporal Lafrenière qui venait de se blesser à la jambe avec un petit pistolet qu'il portait sur lui, fut aussi expédié à Battleford, où il passa le reste de la campagne. Quelques heures plus tard, au nombre des ordres du jour, on lut au bataillon celui de son retour à Fort Pitt, pour attendre en ce dernier endroit l'ordre du départ pour Montréal. Cependant la joie que causa la lecture de cet ordre ne fut pas de longue durée. Dans l'après-midi un contr'ordre fut lu disant aux troupes de se rendre au Lac à l'Oignon. Le départ eut lieu vers les trois heures. Il faisait un temps des plus mauvais. On marcha quelques milles à travers des marais où les soldats enfonçaient jusqu'à la ceinture. Il était cinq heures et demie a.m. quand on s'arrêta pour camper. L'endroit choisi à cette fin était très joli. Figurez-vous, une colline quelque peu élevée au pied de laquelle un lac sans nom roule placidement ses eaux.
4 de juin,—Réveil à quatre heures et demie a.m. Les soldats se mettent en rangs d'assez mauvaise humeur, et la marche commence malgré que personne n'ait, pris une bouchée depuis la veille. Il est une heure de l'après-midi quand, après avoir voyagé par des chemins impossibles, l'on arrête pour le repas du midi qui est aujourd'hui le premier de la journée. Dans l'après-midi le voyage se continue à travers les mêmes chemins. Le paysage varie peu. Ici un lac, là une rivière, à travers lesquels la .plaine s'allonge en souveraine. Quand l'on campa, le soir, on avait fait vingt-cinq milles presque au pas de course. Aussi les soldats ont-ils souffert énormément. Plusieurs avaient les pieds tout en sang; cependant personne ne murmura.
5 de juin.—Pendant la nuit, une compagnie d'infanterie légère de Winnipeg arrive au camp. De deux heures et demie à cinq heures du matin, il fait un orage épouvantable; tonnerre, éclairs, rien n'y manque. Vers les sept heures, le départ sonne. Après trois heures et demie de marche à travers des chemins impraticables, la première colonne arrive au Lac aux Grenouilles. A peine arrivés, quelques soldats, mettant de côté la fatigue du matin, se dirigent vers la scène des massacres et y trouvent. quatre cadavres. Le fait ayant été rapporté au général, une escouade de la compagnie No. 3 est chargée de les enterrer. Certains indices portent à croire que ce sont les corps de Quinn et Gouin; de même que les autres victimes de la sinistre journée du 3 avril, ils sont à demi carbonisés et n'ont plus de forme humaine. Ce triste devoir ayant été rempli, le clairon sonne le départ. Le paysage aux alentours du Lac aux Grenouilles est magnifique. La marche se continue pendant l'après-midi. Le temps et les chemins sont des plus mauvais. Les soldats arrivent au camp épuisés de fatigue et ne sont pas lents à se reposer.
6 de juin.—La nuit a été belle. A six heures et demie dû matin, l'on se remet en route. Après quatre heures de marche on fait la halte ordinaire pour le repas du midi. Le temps se continue beau. Vers les trois heures de l'après-midi la marche se reprend et se continue jusqu'à six heures. Au lieu de faire monter les tentes, les officiers distribuent à chaque soldat sa ration pour deux jours et, ces derniers l'ayant mis dans leurs sacs à pain, la route se continue. Il fait assez clair, mais les chemins sont plus impraticables que jamais. Ce n'est plus qu'une suite de swamps ou marais profonds et interminables, où l'on patauge dans l'eau jusqu'à la ceinture, sur une distance de deux cents verges. Pour comble de désagrément, l'affût du canon se trouve embourbé, et, les chevaux n'y pouvant plus rien, tous mettent la main au câble, quelques-uns l'épaule à la roue et, à force de travail et de misère, on réussit à conserver le canon que les soldats anglais de Winnipeg étaient disposés à sacrifier plutôt que de faire le travail herculéen dont le 65e s'acquitte avec bonne humeur. Le dévouement du 65e en cette circonstance, pour sauver, le canon, lui a valu de la part des Anglais le sobriquet de "crocodiles". Il était onze heures et demie a.m. quand on se coucha autour des feux du bivouac et sans abri.
7 de juin.—La nuit parut longue et triste. Après les fatigues de la veille on se trouva sans couverte ni capote. Chacun s'étendit du mieux qu'il pût autour d'un bon feu, au risque de se réveiller les cheveux brûlés et les pieds gelés. Quand l'on se réveilla, presque tous les habits étaient couverts de frimas. Le déjeuner servit bien à ramener la gaieté dans les esprits; il se composait de biscuits durs, viande en boîte et d'eau. La marche se continue encore aujourd'hui. Le paysage est loin d'être, beau et, en vérité, il, faudrait qu'il le fût extraordinairement pour faire oublier aux soldats leurs souffrances physiques. Triste procession de la Fête-Dieu! On dirait plutôt une troupe de pieux pèlerins, tous se dirigeant à travers un pays inconnu, vers un lieu plus inconnu encore. Vers midi l'on fait la halte et les tentes sont montées. Ou croyait trouver ici quantité de fleur et d'avoine et il n'y a qu'une vingtaine de sacs de farine. On annonça aux soldats que la fin de la campagne n'était pas éloignée, il ne fallait rien moins que cela pour relever le courage des troupes. Tous les coeurs tressaillent d'allégresse à cette seule nouvelle. Le reste de la journée est donné au repos. Le même jour, la garnison du 65e, laissée à Fort Pitt, quittait cet endroit pour rejoindre leurs frères. Le Lt.-Col. Williams et une partie des Midland l'accompagnent. Ce détachement campe au Lac aux Grenouilles et élève une seconde croix à la mémoire des martyrs, à quelques arpents de la première.
8 de juin.—Le beau temps continue. De bonne heure
l'on se remet en route. L'on arrête vers midi à la
mission indienne de la Rivière aux Castors, puis on
va camper à quelques milles de là, au milieu d'un
bois. Cet endroit est parfaitement caché de tous
côtés, et s'appelle la "Fuite de l'Ours." Ici doit-on
rester Dieu sait combien de temps; c'est l'avant
poste de l'armée. Jamais endroit ne fut plus propre
à se dérober à la vue de l'ennemi et, cependant, on
n'y avait pas été une demi-heure, qu'une bande
innombrable d'ennemis inattendus fondit sur les
soldats épuisés de fatigue: c'étaient les maringouins!
Ils s'étaient rendus par centaines, infatigables, insatiables,
attaquant sans relâche. Il n'y a pas d'autre
moyen de s'en défendre que de se renfermer sous les
tentes et de s'y enfumer comme des jambons. Pour
sortir, on s'enveloppe la tête avec de la mousseline
et l'on se couvre les mains de gants épais.
9 de juin.—Beau temps. Les maringouins ont cessé les hostilités pendant l'avant-midi, mais reviennent à la charge avec plus d'ardeur que jamais dans l'après-midi. Il fallut s'enfermer de nouveau. Le père Legoff, qui est missionnaire parmi les Montagnais depuis dix-huit ans déjà, et qui s'est échappé du camp de Gros-Ours où il était prisonnier depuis deux mois, ayant réussi à persuader ses Sauvages de se séparer de Gros Ours, vient nous voir; il est reçu à bras ouverts surtout par le Père Provost auquel il remet la croix du Père Fafard toute maculée du sang de ce martyr et aussi d'autres reliques. Il se rend auprès du Général pour intercéder pour ses ouailles.
10 de juin.—Farniente. Beau temps chaud. Le général envoie le père Legoff et le père Provost auprès des Montagnais avec l'ultimatum suivant: "Soyez au camp demain à midi ou je brûle tous vos établissements et je vous chasse." Dans la soirée les maringouins reviennent avec du renfort, on redevient jambons.
11 de juin.—Rien d'extraordinaire aujourd'hui, à part l'arrivée du Capt. Giroux avec sa compagnie. Le Lt.-Col. Williams était retourné au Lac aux Grenouilles sur l'ordre du Général. Encore les moustiques!
12 de juin.—La nuit a été très-fraîche. Les Montagnais viennent trouver le général et se livrent à lui. Moustiques! Moustiques!
13 de juin.—Beau temps frais. Un petit orage vient de temps à autre varier l'uniformité de la température. Le général envoie un détachement de l'Infanterie Légère de Winnipeg, fort de cent hommes, intercepter la route de Gros-Ours.
14 de juin.—Même température que la veille. On eut la messe vers les sept heures. Dans l'après-midi, quelques officiers vont visiter le camp des Sauvages. Un triste spectacle s'offrit à leur vue. Dénués de tout, le corps à peine vêtu de quelques haillons ramassés un peu partout et formant un assemblage de costumes les plus bizarres, les malheureux Montagnais étaient étendus sous leurs tentes usées et déchirées. Jamais pauvreté plus abjecte n'habita plus misérable abri. Les officiers revinrent au camp tout pensifs, songeant aux milliers de familles éparses dans la vaste plaine dont la misère trouvait un tableau dans celle des pauvres malheureux qu'ils venaient de visiter.
15 de juin.—La nuit fut très-froide. Quand le réveil sonna le matin, on fut quelque peu surpris de voir les tentes entourées d'une épaisse couche de neige; le lac situé près du camp était lui-même couvert d'une couche de glace d'un quart de pouce d'épaisseur. Le colonel Smith quitta le camp, accompagné de cent hommes de l'Infanterie Légère de Winnipeg, pour des régions inconnues. Dans le cours de l'après-midi le général Middleton arriva accompagné de son état-major et en commandement de renforts considérables. Ils ont avec eux un canon gatling.
16 de juin.—Beau temps. Les maringouins se font encore sentir.
17 de juin.—Le beau temps continue, les maringouins ditto. Le capitaine Giroux part pour Montréal.
18 de juin.—Aucun changement dans la température. Plusieurs officiers et soldats vont se baigner dans la rivière aux Castors.
19 de juin.—Temps frais. On apporte au camp la nouvelle que quelques Cris des Bois sont au lac des Iles avec la famille McLean qu'ils se déclarent prêts à rendre. Le général envoie deux Chippewayens accompagnés de l'éclaireur Mackay pour aller chercher les prisonniers.
20 de juin.—La nuit a été très-froide et peu de soldats ont bien dormi. Au lever, il y avait une petite gelée blanche de près de deux pouces d'épaisseur. Le camp est levé et l'on retourne coucher aux quartiers-généraux.
21 de juin.—Beau temps. Messe à huit heures. Dans l'après-midi, il commence à circuler des rumeurs quant au prochain départ des troupes.
22 de juin.—On doute de l'exactitude des rapports quant au renvoi prochain des forces militaires du Nord-Ouest. Le temps se continue beau.
23 de juin.—Vers huit heures et demie du soir, l'ordre du départ est lu aux troupes et la date est fixée au lendemain. Quelques-uns ont peine à y croire mais ne refusent pas de se mêler à la réjouissance générale qui est immense.
24 de juin.—Réveil à quatre heures. Le général adresse aux troupes des paroles de félicitation et l'on prend la route du retour à six heures et demie du matin. Il fait une chaleur accablante. La première halte se fait à dix heures et demie de l'avant-midi après dix milles de marche. Dans l'après-midi on parcourt quinze autres milles. Aussitôt après souper on reprend la marche et l'on ne campe qu'à onze heures et demie du soir. On a fait dans cette journée trente-cinq milles.
25 de juin.—Le départ a lieu à neuf heures. L'on marche toute la journée. A sept heures du soir on arrive au rivage où le "North West" attend les troupes; on avait parcouru vingt-cinq milles. Les soldats sont épuisés de fatigue. Les officiers vont coucher à bord, et les soldats restent sous la tente.
26 de juin.—Les soldats montent à bord du bateau vers les huit heures de l'avant-midi. Quelque temps après le général arrive en personne accompagné de son état-major. Il est salué par des hourrahs significatifs. Le reste de la journée est consacré à la flânerie.
27 de juin.—Il est dix heures de l'avant-midi quand le bateau arrive à Fort Pitt. On monte les tentes sur la rive. Réjouissances générales.
28 de juin.—Il fait très-beau. Basse messe eu plein air. On donne un permis général de sortir du camp, et tous vont visiter leurs frères d'armes des autres bataillons.
29 de juin.—Le départ des troupes commence aujourd'hui. Il fait une chaleur accablante.
30 de juin.—Le temps chaud continue.
1er de juillet.—Toute la brigade d'Alberta parade, à sept heures du matin, devant le général Middleton. Ce dernier, après avoir fait l'inspection des différents bataillons, complimente de nouveau les troupes.
2 de juillet.—Il fait beau. Le colonel Ouimet arrive avec le reste du 65e bataillon. Joie indescriptible On reçoit l'ordre de s'embarquer demain à bord de la "Baronness."
CHAPITRE V.
LEMAY ET MARCOTTE.
Arrivé à ce point du récit, l'auteur a cru intéresser spécialement les lecteurs en pariant de la vie que menèrent les deux vaillants blessés du 65e pendant le reste de la campagne.
Le récit de leurs souffrances et de leurs misères commence naturellement du jour où ils sont tombés sur le champ de bataille.
Comme on a pu le voir plus haut, Lemay tomba le premier. Lorsque la balle meurtrière le frappa, il était quelque peu en avant de ses compagnons d'armes. Ceux-ci s'arrêtèrent subitement en le voyant tomber et semblèrent hésiter un moment. Le caporal Grave! fut le premier auprès de lui, et le soldat Marc Prieur, qui était attaché au corps d'ambulance, arriva quelques instants plus tard. En les voyant auprès de leur frère blessé, les soldats continuèrent leur marche. Le chirurgien-major Paré et le révérend aumônier furent bientôt sur les lieux. Pendant que le chirurgien examinait la plaie et pâlissait à la vue de la gravité de la blessure, le digne chapelain administrait les derniers sacrements au Blessé.
Ce ne fut qu'une demi-heure plus tard que l'on
apporta une civière pour transporter le pauvre
Lemay en dehors du terrain des hostilités. On l'y
avait à peine transporté qu'un soldat accourut à la
hâte demander un second brancard pour apporter
Marcotte qui venait de succomber. Quelques instants
plus tard, le soldat Prieur, aidé du gén. Strange
lui-même, apportait Marcotte et le plaçait à côté
de Lemay. Le chirurgien ordonna aussitôt qu'on
mit les deux blessés dans un caisson, n'ayant pas
d'autre moyen de transport.
On ne peut guère se figurer les souffrances atroces des malheureux Lemay et Marcotte dans ces voitures d'ambulance improvisées. Étendus au fond des waggons, sans autre matelas que la mince toile du brancard, ils étaient bousculés de tous côtés, malgré la bonne volonté et les soins des charretiers. Et c'est ainsi qu'ils parcoururent les douze milles qui les séparaient de Fort Pitt. Lemay surtout ressentait des douleurs indescriptibles que le genre de transport devait inévitablement causer. Incapable de remuer un seul membre, il gisait au fond du fourgon et poussait un cri de douleur à chaque cahot de la route. De temps à autre, il pouvait, entendre la voix inquiète du père Provost qui demandait au chirurgien: "Est-il mort?" Ajoutez à ce tourment celui de la soif la plus ardente causée par la fièvre qui le dévorait. Rien, pas une goutte d'eau, et Lemay répétait toujours: "De l'eau! de l'eau!" Enfin l'on arrive à Fort Pitt. Les deux blessés sont déposés dans une des vieilles constructions en ruines que renfermait encore la palissade du fort. Ici, ils furent bien traités par le soldat Brown de la Cie. No. 1, et la conduite de ce dernier mérite les plus grands éloges. Ils restèrent en cet endroit jusqu'au trois juin, quand le major Robert vînt les chercher à bord de l'Alberta, pour les mener à Battleford. On les transporta à bord sur des brancards et ils furent installés dans la chambre de l'ingénieur. L'appartement était assez confortable, mais, malheureusement, un accident arriva au navire et bientôt l'eau inonda le plancher de leur infirmerie. Leur infirmier, le soldat Isidore Gauthier, se montra des plus dévoués à leur égard. Il passait toute la journée et une grande partie de ses nuits auprès d'eux. Tantôt il balayait l'eau qui s'étendait sous leurs lits, tantôt il leur portait un verre d'eau et toujours il était exact à leur administrer les remèdes prescrits par le chirurgien et à changer les bandages qui couvraient leurs plaies. Il remplit son devoir à toute heure du jour ou de la nuit. La nuit, il était obligé de s'accroupir dans un coin de l'appartement sur sa couverte pliée en six pour empêcher l'eau de l'imbiber complètement. Enfin le bateau arriva à Battleford après deux jours et deux nuits de marche. Il faisait un temps sombre et les corps étaient à peine installés dans un express-waggon, qui avait été envoyé de l'hôpital au bateau pour les aider, que la pluie se mit à tomber. Quelques couvertes furent jetées à la hâte sur les pauvres blessés, et en route! Après un quart d'heure de marche, l'on s'arrêta vis-à-vis la porte d'entrée d'une marquise. De petites croix rouges, posées ici et là, annonçaient au passant que les blessés seuls étaient entrés sous cette tente. On plaça immédiatement les nouveaux arrivants dans un endroit resté libre, à gauche de la porte d'entrée. Ils eurent leur lit l'un près de l'autre. Pendant qu'avec mille précautions l'on descendait les malheureux Lemay et Marcotte de la voiture, le caporal Lafrenière sautait à terre et se choisissait une bonne place sous la tente ambulancière. Il prit le premier lit à gauche. Le second fut donné à l'homme de police McKay qui avait été, comme Lemay et Marcotte, blessé à la Butte aux Français et qui souffrait beaucoup de la jambe gauche où la balle l'avait frappé. La troisième place était occupée par le brancard de Lemay qu'on avait décoré du nom de lit à cause des quelques couvertes qui pouvaient protéger le blessé contre les intempéries du climat. Marcotte était le quatrième et occupait un lit semblable à celui de Lemay. Il y avait en tout vingt-quatre lits dans la tente, en deux rangées, serrés les uns près des autres, ne laissant qu'un étroit passage entre eux. Les autres lits étaient tous occupés par des blessés de l'Anse au Poisson et de l'Anse du Coup de Couteau qui étaient, à l'arrivée de nos frères en état de convalescence. Pendant la première semaine ils furent relativement bien traités; pendant que Lafrenière profitait du beau temps pour aller à la pêche, le chirurgien-major Strange donnait ses soins à Marcotte. Enfin, au bout d'une dizaine de jours, la balle était extraite sans trop de douleur, et Marcotte pouvait espérer un rétablissement rapide. Lemay ne souffrait guère que de la fièvre, mais était trop faible pour remuer sur son lit. Ils purent alors apprécier la valeur des services de leur confrère du 65e, le soldat Gauthier, qui était leur infirmier. Toujours patient, toujours dévoué, il se rendait de bonne grâce aux prières des blessés et en avait soin comme un frère de charité.
Aussi quelle différence quand, pour une raison
quelconque, il s'absentait de la tente. Aussitôt les
soldats anglais qui pouvaient se promener s'approchaient
des pauvres Lemay et Marcotte, leur riaient
au nez et venaient s'établir au pied de leurs lits
pour manger des confitures ou des gelées dont
ils se gardaient bien de leur offrir la plus petite
partie. Il est bon de remarquer ici que ces douceurs
étaient celles envoyées par les dames de Montréal, et
dont l'étiquette était enlevée pour être remplacée
par une autre à l'adresse d'autres bataillons. Alors
les soldats anglais se racontaient d'une manière
cynique le voyage du 65ème suivant les rapports
qu'ils en avaient lus dans le "News," et parlaient
assez haut pour que l'un des blessés du 65ème put
les entendre. Mais l'on serait porté à croire que la
jalousie seule ou l'orgueil faisait ainsi agir les héros
de l'Anse aux Poissons, et que dans certaine circonstance
leur coeur parlerait plus haut que leurs
préjugés. Qu'on se détrompe! L'on ne peut guère
se figurer jusqu'où le fanatisme et la jalousie peuvent
mener. Une circonstance entre cent le démontrera.
C'était le 14 juin, au matin, le soldat Gauthier venait de quitter ses blessés pour voir à leur nourriture. Lemay souffrait horriblement. La nuit précédente le vent avait enlevé la tente et pendant plusieurs minutes il était resté exposé au froid. Incapable de se remuer d'un côté ou de l'autre, il demande à un grand Anglais qui fumait tranquillement sa pipe s'il serait assez bon de le changer de côté. L'Anglais se leva brusquement sans dire un mot et, saisissant Lemay par un bras, le renversa brutalement du côté opposé. Immédiatement sa plaie se rouvrit et son bandage tomba. Trop affaibli pour dire un seul mot, il gémit de son impuissance et de la force de la douleur. Quelques instants plus tard, Lemay demanda tranquillement au jeune Anglais qui l'avait si brutalement servi pourquoi il le maltraitait ainsi. "Tu te plains comme une femme, s... cochon de Français," lui répondit-il. (You moan like a woman, g... d... pig of a Frenchman.) Non content de ces paroles, il lui rappela une à une toutes les attaques du "News" contre le 65ème, et pendant une demi-heure ne cessa de l'accabler d'injures. Lemay gisait tout le temps immobile sur son lit, incapable de prononcer un mot, impuissant à faire un geste. O lâche! triple lâche! qui profites ainsi de la faiblesse de ton rival pour l'insulter et lui jeter ta venimeuse calomnie à la face. Tu montrais là toute la grandeur de ton courage. Va! tu n'as rien à craindre d'aucun membre du 65e, personne ne te touchera... de peur de se salir,... tu n'auras qu'à protéger ta face contre les crachats!
Par bonheur, l'arrivée de l'infirmier Gauthier coupait court aux discours du soldat anglais, et Lemay et Marcotte reposaient tranquilles le reste de la journée.
Pendant les cinq semaines que nos deux blessés passèrent à l'hôpital, le vent emporta quatre fois la tente qui était leur seul abri. En une circonstance surtout, l'accident aurait pu avoir des conséquences funestes. C'était vers le commencement de juillet. Lemay qui avait repris des forces et qui pouvait maintenant marcher sans appui, avait commencé à s'habiller quand, au milieu d'une pluie battante, la tente culbute et est entraînée parle vent. Marcotte ne sachant où se mettre fut bientôt mouillé jusqu'aux os. Alors il se jeta à bas du lit et, se cachant dessous la toile du brancard, réussit à s'en faire un abri. Il resta dans cette position environ un quart-d'heure. Ce ne fut qu'après l'orage et qu'on eût replacé la tente qu'il fût remis dans son lit par deux infirmiers.
Enfin le 5 juillet arriva. On avait annoncé partout à Battleford l'arrivée du 65ème. Vers les huit heures du soir les vapeurs "Marquis" et "North West" arrivèrent et Lemay, sachant que le 65e faisait partie de cette expédition à bord de la "Baroness," s'était rendu au rivage, impatient de revoir ses frères d'armes. Mais il attendit en vain. Il était dix heures et le vapeur n'arrivait pas, alors il retourna à son lit découragé. Le lendemain matin cependant, après deux longues heures d'attente, il vit poindre à l'horizon le pavillon rouge de la "Baroness." Comme son coeur battait fort, comme ses yeux s'emplissaient de larmes de reconnaissance et de joie à l'idée qu'il allait bientôt revoir ses bons amis dont il avait été depuis si longtemps séparé et dont il avait tant de fois regretté l'absence.
Le pauvre Marcotte, incapable de sortir, écoutait avec avidité tous les bruits du dehors et quand on lui annonça le "65ème!" un sourire inexprimable se dessina sur ses lèvres bleuâtres et une larme perla à sa paupière.
Le même jour, Lemay monta à bord du bateau et continua avec son bataillon jusqu'à Montréal, où le peuple enthousiasmé lui fit une ovation magnifique. Les bouquets pleuvaient dans son carrosse, et chacun se pressait à venir lui serrer la main et lui souhaiter la bienvenue.
Marcotte se mettait en route le 7 juillet avec d'autres blessés et prenait le train de Swift-Current, d'où un train direct le menait à Montréal. Quelques jours après son arrivée, ses amis lui donnèrent plusieurs banquets et lui présentèrent une jolie médaille en argent.
Les deux noms de Lemay et de Marcotte, resteront gravés sur le cadre d'honneur du 65ème et auront une place glorieuse dans les annales de notre histoire.
FIN DE LA DEUXIÈME PARTIE.