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Charlotte de Bourbon, princesse d'Orange

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(Suit alors le tableau des désordres reprochés à Philippe II.)

Quant à la légitimité de l'union contracté avec Charlotte de Bourbon, le prince s'exprime ainsi:

«Ores qu'il (Philippe II) ne feust tellement souillé et qu'on peust le tenir pour innocent, si est-ce que je ne crains point qu'il me puisse reprocher aulcune faulte: et, Dieu merci, je n'ai rien faict que bien meurement et avecq le conseil de plusieurs personnages d'honneur, sages et discrets. Et n'est besoing qu'il se donne beaucoup de peine de chose en laquelle il n'a que veoir, et de laquelle aussi je ne suis tenu de lui rendre aulcun compte. Car, quand à ma défuncte femme, elle appartenoit à princes de très grand lieu, princes sages et d'honneur, lesquels je ne doubte qu'ils n'aient toute satisfaction. Et quand je vouldrai entrer plus avant en ce discours, je lui pourrai bien faire cognoistre que les plus sçavants de ses docteurs le condamnent. Quant à ce qui touche le mariage auquel je suis allié à présent, quoiqu'ils facent bouclier du zelle qu'ils veulent faire paroistre avoir aus traditions de l'église romaine: si est-ce qu'ils ne feront jamais croire à personne de ce monde qu'ils soient plus grands zélateurs d'icelle église que monsieur de Montpensier, monsieur mon beau-père, lequel ne faict pas profession de sa religion comme faict le cardinal de Grandvelle et ses semblables, mais comme il pense sa conscience lui commander, et toutesfois aiant bien poisé ce qui est passé, et aiant ouï l'advis de plusieurs des principauls de la cour de parlement de Paris assemblée à Poictiers pour les grands jours, aiant aussi ouï l'advis des évesques et docteurs, a trouvé, comme telle est la vérité, que non seulement ores qu'il y eut eu promesse de la part de ma compagne, elle estoit nulle de droict, pour avoir esté faicte en bas âge, contre les canons, ordonnances de France et arrests des courts souveraines, mesmes contre les canons du concile de Trente auquel mon ennemi défère tant; mais que jamais n'y eut aucune promesse faicte, ains plusieurs protestations au contraire, dont est apparu par bonnes informations faictes mesmes en absence de ma compagne. Et quand tout cela ne seroit point, si est-ce que je ne suis pas si peu versé en la bonne doctrine, que je ne sache tous ces liens de conscience retors par les hommes ne pouvoir estre à aulcune obligation devant Dieu.»

Quels accens que ceux du père, à la pensée du jeune fils dont les Espagnols se sont emparés, par une ruse infâme, et qu'ils tiennent en captivité!

«Comme gens forcenez, ils s'adressent à mon fils, jeune enfant escollier, et, contre les privilèges de l'université, le tirent violentement de Louvain: mesmes sur la remonstrance faite par l'université, ce barbare de Vergas respond barbarement: Non curamus vestros privilegios. Ils le tirent hors de Brabant, contre les privilèges du païs, contre le serment du roi, et l'envoient en Espaigne pour l'esloigner de moi qui suis son père, et jusques à présent détiennent cest innocent en prison dure et cruelle: tellement, quand ils ne m'auroient fait aultre tort, je seroi indigne non seulement de ma race et du nom que je porte, mais aussi du nom de père, si je n'emploioi tout le sens et tous les moïens que Dieu m'a donnez, pour essaier de le retirer de ceste misérable servitude, et me faire réparer un tel tort. Car je ne suis point, messieurs, tant desnaturé que je ne sente les affections paternelles, ni si sage, que souvent le regret d'une si longue absence de mon fils ne se présente à mon entendement.»

Au reproche d'être le promoteur de la liberté religieuse dans les Pays-Bas, le prince répond:

»Ils entrelassent que j'ai procuré la liberté de conscience: s'ils entendent que j'ai faict ouverture à telles impiétez qui se commettent ordinairement en la maison du prince de Parme, où l'athéisme et aultres vertus de Rome sont jeu, je respons que c'est chez les héritiers du seigneur Pierre-Louys qu'il fault chercher telle liberté ou plustost licence effrénée. Mais je confesserai bien que la lueur des feus esquelz on a tourmentez tant de pauvres chrestiens n'a jamais esté agréable à mes yeux, comme elle a resjoui la veue du duc d'Albe et des Espaignols, et que j'ai esté d'advis que les persécutions cessassent au Païs-Bas. Je vous confesserai dadvantage, affin que les ennemis cognoissent qu'ils ont affaire à une partie qui parle rondement et sans fard, à savoir que le roi, quand il partist de Zélande, lieu dernier qu'il laissa en ce païs, me commanda de faire mourir plusieurs gens de bien, suspects de la religion, ce que je ne voulus faire et les en advertis eus mesmes, sachant bien que je ne le pouvoi faire en saine conscience, et qu'il falloit plustost obéir à Dieu que non pas aus hommes. Que les Espaignols donc disent ce que bon leur semblera, je sçai que plusieurs peuples et nations qui les valent bien, et qui ont appris que par les feus et les glaives on n'advance rien, me loueront et approuveront mon faict. Mais puisque vous, messieurs, avec le consentement universel du peuple l'avez depuis approuvé, en condamnant la rigueur des placarts et faisant cesser ces cruelles exécutions, je n'ai aulcun soulci de ce que les Espaignols et leurs adhérens en murmurent... Ils jettent des blasmes infinis sur nostre religion, ils nous appellent hérétiques; mais il y a si longtemps qu'ils ont entrepris de le prouver, et n'en ont encore peu venir à bout, que ces injures ne méritent aulcune response.»

Quelle verve d'indignation dans ces paroles de Guillaume à l'adresse de l'instigateur des assassins, et du rémunérateur de leurs crimes!

«Ores que je ne cognoi au monde impudence effrontée qui soit à comparer à celle des Espaignols, toutesfois je ne me puis assez esmerveiller qu'ils ont esté si invereconds, d'oser publier devant toute l'Europe, non seulement qu'ils mettent à pris un chef libre et francq, qui ne les a jamais, Dieu merci, redoubtez, mais qu'ils y adjoustent encore telles récompenses si barbares et si esloignées de toute reigle d'honnesteté et d'humanité, à sçavoir, en premier lieu, qu'ils anobliront celui qui aura faict un acte si généreus, s'il n'estoit noble. Mais, je vous prie, quand celui qui auroit exécuté un si meschant acte (ce que j'espère Dieu ne vouldra permettre) seroit de race noble, pensez-vous qu'il y ait gentilhomme au monde, je dis entre les nations qui sçavent que c'est de noblesse, qui voulust seulement manger avec un si lasche, meschant et si scélérat, qui auroit tué pour argent un homme, voire le moindre et le plus abject qui se puisse trouver? Que si les Espaignols tiennent tels gens pour nobles, si tel est le chemin de l'honneur en Castille, je ne m'esbahis plus de ce que tout le monde croit la plus grande part des Espaignols, et principalement ceus qui se disent nobles, estre du sang des marraus et des juifs, et qui tiennent ceste vertu de leurs ancestres, qui ont faict marché, à baux deniers comptants, de la vie de Nostre Saulveur: ce qui me faict prendre plus patiemment ceste injure. En second lieu, ils lui pardonnent tout délict et forfaict, quelque grief qu'il puisse estre. Mais s'il avoit arraché la religion chrestienne de l'un de ses roïaulmes? S'il avoit ravi sa fille? S'il avoit mesdict de l'Inquisition, qui est le plus grand crime qui soit en Espaigne? Or, puisque mon ennemi vouloit tant s'oublier que d'attenter sur mes biens, sur ma vie et sur mon honneur, et pour avoir plus de tesmoings de son injustice et follie, de la publier ainsi par tout le monde, et en tant de langues, je n'eusse pû désirer, pour mon très grand advantage, qu'il eust enrichi sa proscription d'aultres ornemens que ceus-ci, à sçavoir d'anoblir pour me tuer, non seulement des vilains et infames, mais aussi des plus meschantes gents et des plus exécrables de la terre, et donner telle récompense et si honorable à une tant insigne vertu. Car qu'est-ce qu'il pouvoit trouver plus propre pour vérifier ma justice, que vouloir m'exterminer par tels moïens? Que vouloir par tyrannie, empoisonnements, rémissions de crimes énormes, anoblissement de meschants, opprimer le défenseur de la liberté d'un peuple vexé cruellement et tyranniquement? Je ne doubte, messieurs, que Dieu qui est juste, ne lui aist, et aux siens, osté l'entendement, et qu'il n'aist permis qu'il apprestast à tout le monde matière pour cognoistre son cœur envenimé contre ce païs et contre nostre liberté, d'aultant qu'il n'estime rien tout acte, quelque meschant et détestable qu'il puisse estre, au prix de la mort de celui qui vous a servi jusques à présent et si fidèlement. Et encores il n'a point de honte de mesler en tels sacrilèges le nom de Dieu, se disant son ministre! Le ministre doncq a il ceste puissance, non seulement de permettre ce que Dieu a défendu, mais de le guerdonner de pris d'argent, de noblesse et remission de crimes? Et de quels crimes? De tous crimes, quelque griefs qu'ils puissent estre. Mais je ne doubte que Dieu, par son très juste jugement, ne face tomber la juste vengeance de son ire sur le chef de tels ministres, et qu'il ne maintienne par sa grande bonté mon innocence et mon honneur, de mon vivant et envers la postérité. Quant à mes biens et à ma vie, il y a long temps que je les ai dédiez à son service; il en fera ce qu'il lui plaira, pour sa gloire et pour mon salut.»

Un noble cœur pouvait seul inspirer ces pathétiques et admirables paroles, par lesquelles se termine l'apologie:

«Quant à ce qui me touche en particulier, vous voiez messieurs, que c'est ceste teste qu'ils cerchent, laquelle avecq tel pris et si grande somme d'argent ils ont vouée et déterminée à la mort, et disent pendant que je serai entre vous, que la guerre ne prendra fin. Pleust à Dieu, messieurs, ou que mon exil perpétuel, ou mesme ma mort, vous peut apporter une vraie délivrance de tant de maus et de calamitez, que les Espaignols, lesquels j'ai tant de fois veu délibérer au conseil, deviser en particulier, et que je cognoi dedans et dehors, vous machinent et vous apprestent. O que ce bannissement me seroit dous, que cette mort me seroit agréable. Car pourquoi est-ce que j'ai exposé tous mes biens? Est-ce pour m'enrichir? Pourquoi ai-je perdu mes propres frères, que j'aimoi plus que ma vie? Est-ce pour en trouver d'autres? Pourqui ai-je laissé mon fils si longtemps prisonnier, mon fils, dis-je, que je dois tant désirer, si je suis père? M'en pouvez-vous donner un autre, ou me le pouvez-vous restituer? Pourquoi ai-je mis si souvent ma vie en danger? Quel pris, quel loier puis-je attendre aultre de mes longs travaus qui sont parvenus pour vostre service jusques à la vieillesse et la ruine de tous mes biens, sinon de vous acquérir et acheter, s'il en est besoing, au pris de mon sang, une liberté. Si doncq vous jugez, messieurs, ou que mon absence, ou que ma mort mesme vous peult servir, me voilà prest à obéir: commandez, envoiez-moi jusques aux fins de la terre, j'obéirai. Voilà ma teste, sur laquelle nul prince, ni monarque n'a puissance que vous: disposez-en pour vostre bien, salut et conservation de vostre république. Mais si vous jugez que ceste médiocrité d'expérience et d'industrie qui est en moi, et que j'ai acquise par un si long et si assiduel travail; si vous jugez que le reste de mes biens et que ma vie vous peult encore servir (comme je vous dédie le tout et le consacre au païs), résolvez-vous sur les points que je vous propose. Et si vous estimez que je porte quelque amour à la patrie, que j'aie quelque suffisance pour conseiller, croiez que c'est le seul moien pour nous garantir et délivrer. Cela faict, allons ensemble de mesme cœur et volonté, embrassons ensemble la défense de ce bon peuple, qui ne demande que bonnes ouvertures de conseil, ne désirant rien plus que de le suivre: et ce faisant, si encores vous me continuez ceste faveur que vous m'avez portée par ci-devant, j'espère moiennant vostre aide et la grâce de Dieu, laquelle j'ai sentie si souvent par ci-devant et en choses si perplexes, que ce qui sera par vous résolu pour le bien et conservation de vous, vos femmes et enfans, toutes choses saintes et sacrées, je le maintiendrai.»

L'histoire rend hommage à l'inébranlable constance avec laquelle Guillaume de Nassau maintint ce qu'il s'était solennellement engagé à soutenir.

Le proscripteur et le proscrit ayant parlé, l'opinion publique se prononça en faveur du second contre le premier; et l'arrêt émané d'elle contribua puissamment à rendre plus étroite désormais l'alliance entre celles des provinces qui aspiraient à secouer le joug de l'Espagne et l'homme éminent qu'elles considéraient, à bon droit, comme leur plus ferme appui, comme leur prochain libérateur.

Cette alliance était, sans doute, pour Guillaume, une grande force; mais une force plus grande encore pour lui était celle qu'il puisait dans de saintes inspirations, au foyer domestique, là où un noble cœur de femme, qui s'était consacré à lui, exerçait en secret, avec une exquise délicatesse, le touchant privilège de le seconder dans l'accomplissement de sa haute mission. Plus cette mission venait de grandir, en face des fureurs et des viles attaques d'un Philippe II, plus Charlotte de Bourbon, digne confidente des pensées et des sentiments de Guillaume se sentit heureuse et fière d'être sa compagne, et, comme telle, de partager, avec la fidélité d'une profonde affection, les labeurs, les angoisses, les périls de sa généreuse carrière.

CHAPITRE IX

Tentatives pour opérer un rapprochement entre le duc de Montpensier et sa fille Charlotte.—Le rapprochement a lieu.—François de Bourbon se rend en Angleterre comme chef d'ambassade.—La princesse, sa sœur, l'invite, ainsi que les jeunes fils de la duchesse de Bouillon qui l'accompagnent, à se rendre dans les Pays-Bas avant leur retour en France.—Séjour du prince et de la princesse d'Orange à La Haye. Accueil que le docteur Forestus reçoit d'eux.—Déclaration officielle, par le duc de Montpensier, de l'approbation qu'il donne au mariage de sa fille avec Guillaume de Nassau.—Lettre de la princesse au président Coustureau.—Lettre de la duchesse de Montpensier à sa petite-fille, Louise-Julienne.—Lettres que, dans l'intérêt de sa fille Flandrine, Charlotte de Bourbon adresse à J. Borleeut.—Assemblée à La Haye des députés des Provinces-Unies.—Acte d'abjuration.—Le duc d'Anjou devant Cambrai.

Il est probable qu'en 1581 le duc de Montpensier n'était plus porté à dire, comme en 1565, en parlant du roi d'Espagne, «qu'il se feroit mettre en pièces, pour Sa Majesté, et que, si on lui ouvroit le cœur, on y trouverait gravé le nom de Philippe[245].» En effet, que devait être désormais, aux yeux de l'ancien adulateur, ce Philippe II, qui avait osé «toucher à l'honneur» de Charlotte de Bourbon et mettre à prix la tête du prince, son mari? Le duc eut été un chef de famille indigne de ce nom, s'il n'eût pas ressenti, comme s'étendant jusqu'à sa personne, l'outrage fait à ses enfants. Nous aimons à croire qu'en réalité il le ressentit, et comprit qu'il était de son devoir, non seulement de les couvrir de sa protection, mais de se rapprocher d'eux et de leur accorder enfin une part d'affection à laquelle ils avaient droit. Or, quand ce double devoir fut-il accompli dans sa plénitude?

Ainsi qu'on l'a vu, un premier pas avait été fait par le duc dans la voie d'une réconciliation avec sa fille: il avait parlé d'elle, de son mari, de ses enfants avec quelque intérêt, et s'était même prêté à l'examen, par intermédiaires, de diverses questions concernant les droits de sa fille sur certains biens. Mais il fallait qu'il fît plus encore: aussi, en insistant auprès de lui sur la solution de ces questions, le prince dauphin s'efforçait-il de l'amener à établir directement quelques rapports affectueux avec la princesse et le prince.

La preuve des bons offices de François de Bourbon, en cette circonstance, ressort, notamment, de deux lettres écrites, en 1581, l'une par lui, l'autre par Guillaume de Nassau.

Le 21 février, François de Bourbon écrivait à son père[247]:

«Monseigneur, j'ai receu la lettre qu'il vous a pleu me faire cest honneur de m'escripre par Lamy, et congneu par icelle l'honneur qu'il plaist à monseigneur me faire, de vouloir que j'aille en Angleterre, pour son mariage, dont il m'a aussy particulièrement escript, ayant veu parce qu'il vous a pleu de me mander, que vous l'avez agréable; qui me faict d'autant plus l'affectionner. Toutesfois, monseigneur, je ne fauldray d'escripre bien amplement à mondit seigneur et luy remonstrer l'ennuy et desplaisir que je recepvrois, si je me despartois d'avec vous, premier que vous n'eussiez le contentement tel que désirez en l'affaire que sçavez. Et quant au faict de monsieur le prince d'Orange et de ma sœur, je ne vous sçaurois assez très humblement remercier du soing et peine qu'il vous plaist d'en avoir, me voulant toujours conformer à ce qu'il vous plaira d'en ordonner, et suivre en tout et partout vos commandemens, pour y obéir toute ma vie, etc.»

Le 13 avril, Guillaume s'adressait au prince dauphin en ces termes[248]:

«Monsieur, aiant entendu, tant par les lettres qu'il vous a pleu m'escrire, comme parce que m'en a dit M. de Sainte-Aldegonde, la bonne affection qu'il vous plaist de me porter, j'en ai esté très aise et ne vous en puis assez humblement remercier, singulièrement pour les faveurs et bons offices que je sçay qu'il vous a pleu faire à ma femme envers monseigneur vostre père, et que vous estes aussy volontairement enclin, de vostre part, à entendre aux affaires qui concernent son bien et des enfans qu'il a pleu à Dieu nous donner, vous asseurant, monsieur, que je m'y sens infiniment vostre obligé pour vous en rendre bien humble service, en ce qu'il vous plaira me faire l'honneur de m'employer. J'ai donné charge à ce porteur de vous aller visiter de ma part pour vous en remercier plus amplement, de bouche; et ensemble pour vous supplier d'adjouster encore ceste faveur aux autres, de ratiffier l'accord et transaction qui a esté faict à Paris, de la part de monseigneur vostre père et de la vostre, par vos députez avec ceux que nous y avions envoyez de la nostre, et pour plus grande asseurance de nos respects qui m'importent, ainsi que ce présent porteur vous pourra déduire plus particulièrement, la signer de vostre main, et par luy mesmes m'envoyer ladite signature, comme je suis pressé de la vous envoyer de ma part, incontinent que je seray adverty de la conclusion faite, et qu'il vous plaira au reste me faire cest honneur de le vouloir escouter, etc.[249]»

De son côté, le roi de Navarre pressait le duc de Montpensier de ne pas se borner, vis-à-vis de la princesse, sa fille, et de son mari, à un règlement d'affaires, mais de leur tendre la main et de se montrer juste et bon père, en leur accordant une affection dont ils étaient depuis trop longtemps privés. Sur ce second point, le duc, au mépris d'une parole donnée, hésitait encore. Il fallut que le roi de Navarre renouvelât ses instances[250]; et le père, en y cédant, ouvrit enfin son cœur à sa fille, au prince et à leurs enfants.

Un haut intérêt s'attacherait incontestablement à la connaissance des communications qui furent alors directement échangées entre le duc, Charlotte et Guillaume; mais, malheureusement elles ont, jusqu'à présent, échappé à toutes investigations.

Il ne se rencontre que deux documents qui fassent connaître, l'un, l'époque d'un rapprochement affectueux entre le père et la fille, l'autre, l'impression qu'en reçut le cœur de celle-ci. Le premier de ces documents est du 25 juin 1581, le second, du 29 juillet suivant.

Avant d'en produire la teneur, occupons-nous de quelques faits antérieurs à la double date qui vient d'être signalée.

Le roi de France avait, à la fin de l'hiver de 1581, consenti à l'envoi d'une ambassade en Angleterre, afin d'y aviser à la conclusion du mariage de la reine Elisabeth avec le duc d'Anjou. Le chef de cette ambassade était François de Bourbon, que devaient accompagner le maréchal Artus de Cossé, comte de Secondigny, Louis de Lusignan de Saint-Gelais, sieur de Lansac, Tanneguy le Veneur, sieur de Carrouges, gouverneur de Rouen, Bertrand de Salignac, sieur de La Mothe-Fénélon, qui avait été déjà ambassadeur en Angleterre, Barnabé Brisson, président au Parlement de Paris, Michel de Castelnau, sieur de La Maurissière, et Claude de Pinart, secrétaire d'État.

François de Bourbon, selon le désir de la duchesse de Bouillon, sa sœur, emmenait avec lui les deux jeunes fils de celle-ci.

Le 27 mars, la duchesse avait écrit, de Sedan, à son frère[251]: «J'envoie le sieur de Nueil, au temps qu'il m'a dit se falloir trouver à Calais, pour l'effect de vostre voïage, estant bien marrye n'avoir eu plus de loisir d'accomoder mieulx le train de mes enfans, auquel j'eusse désiré ne rien manquer, à l'honneur de vostre suite, le défaut duquel sera couvert de vostre faict, et excusé de vous, qui ne sera le premier bienfait receu pour tous lesquels sçachant n'y avoir chose qui vous les face mieulx employés, que quand ils seront sages et vertueux, je supplieray Dieu leur en faire grâce, requérant ceste de vous, qu'il vous plaise leur commander pour vostre service, comme aux plus obligez que vous y ayez.»

Arrivés de Sedan à Paris, pour y rejoindre leur oncle, au moment où il allait s'acheminer vers Calais, les deux jeunes gens avaient mandé au duc, leur grand-père[252]: «Monseigneur, comme toutes nos intentions tendent à vous rendre la parfaite obéissance que nous vous devons, sitost que la nouvelle de vostre bonne volonté nous a estée représentée ès lettres qu'il vous a pleu nous escripre, pour accompagner monsieur nostre oncle au voïage qu'il a entrepris, sommes retournez en ceste ville, nous rendre à ses pieds, pour luy faire très humble service, en ce qu'il aura agréable nous commander, et ayant mis tout l'ordre qu'il nous a esté possible, afin d'honorer sondit voïage, espérans partir ceste après-disnée, bien disposez de luy rendre toutes nos actions agréables.»

Le chef de l'ambassade, ses neveux, et tous les hauts personnages de sa suite s'embarquèrent à Calais, dans les premiers jours d'avril, et arrivèrent en Angleterre où ils furent honorablement accueillis.

Charlotte de Bourbon, qui se trouvait alors à Amsterdam avec son mari, exprima au prince dauphin combien elle serait heureuse si, à son retour d'Angleterre, elle pouvait recevoir sa visite.

«Quand j'ai entendu, lui disait-elle[253], vostre arrivée à Calais, quy n'a esté que depuis ier seulement, je suis demeurée en extrême désir que vostre voïage d'Engleterre me peust aporter tant d'heur et de bien, qu'à vostre retour, vous puissiés passer par Zellande où j'espère, sy Dieu me continue la santé, de me pouvoir trouver, pour avoir cest honneur de vous voir; vous suppliant très humblement, s'il est possible, de me vouloir accorder ma requeste, et me pardonner sy je ne puis avoir tel respect que je doibs aux affaires que vous négociés, car l'affection que j'ay d'estre honorée de vostre présence ne me le permect point. Il vous plaira donc me mander ce que j'en doibs espérer et le temps que vous repasserez, car je ferois en sorte, s'il m'est possible, que monsieur le prince, vostre frère, se trouveroit à Middelbourg, en Zélande, pour participer à ce mesme heur, et pour vous ofrir son service et tant mieulx confirmer l'amitié que vous avez ensemble etc.

»P.S.—Je vous suplie de me mander comme vous vous trouvés, depuis avoir passé la mer; car, ne l'aiant point encore faict, je craignois que vous ne vous trouviés mal.»

Vingt-cinq jours plus tard, Guillaume, à son tour, disait au prince dauphin[254]: «J'ay esté bien aise d'entendre, par les lettres qu'il vous a pleu d'escrire à ma femme, que vous estes en bonne disposition, et encore plus des grandes faveurs que j'entends, que vous recepvez de la royne d'Angleterre, qui me fait espérer une bonne et heureuse issue de l'affaire que vous avez, de présent, entre mains, vers Sa Majesté, et dont il ne peut réussir qu'un grand bien en toute la chrestienté, lequel aussi, comme je m'y attends, redondra aussi sur nous. J'eusse bien désiré que la commodité de vos affaires, et principalement de l'honorable charge que vous avez, vous eût pû permettre nous faire cest honneur de venir voir ce pays, auquel je me fûsse efforcé de vous y faire bonne chère et vous rendre l'honneur qui vous appartient; mais d'aultant que personne n'en peult mieux juger que vous mesmes, j'en attendray ce qu'il vous plaira ordonner, espérant, si Dieu ne dispose aultrement, qu'il me fera la grâce, une aultrefois, d'avoir cest honneur, ce que toutesfoys, je désireray bien, s'il estoit en ma puissance et disposition, de pouvoir advancer de mesmes, en ceste occasion.» Séparée de la princesse, sa sœur, depuis bien des années, la duchesse de Bouillon tenait à se dédommager de cette privation, au moins en partie, en faisant visiter par ses fils la tante qu'elle aimait à leur représenter, ainsi qu'à sa fille, comme ayant pour eux trois une affection maternelle. Telle était, en effet, celle que Charlotte de Bourbon avait vouée à ses neveux et à sa nièce. Saisissant donc avec ardeur la communication que la duchesse lui avait faite, du désir de voir ses fils quitter momentanément l'Angleterre pour se rendre dans les Pays-Bas, la princesse écrivit aussitôt au prince dauphin[255]:

«Depuis la dernière depêsche que je vous ai faicte, j'ai encore receu des lettres de madame la duchesse de Bouillon, nostre sœur, où elle me faict entendre le désir qu'elle auroit que messieurs de Bouillon, nos nepveux, pendant vostre séjour en Angleterre, peussent prendre la commodité de venir veoir monsieur le prince, leur oncle, et moy sy vous plaisoit de me faire tant d'honneur de leur permettre et l'avoir agréable, dont tant pour estre asseurée en cest endroit, de sa vollonté, que pour le très grand désir que j'ay d'avoir cest heur de les voir, j'entreprendray de vous supplier très humblement de leur vouloir permettre de faire ce voïage, ce que j'eusse souhaité infiniment eûst peu estre en vostre compagnye. Mais si tant d'honneur et de bien ne m'est permis, à cause de la négociation que vous traictés, j'espère que n'estant mesdits sieurs de Bouillon nos nepveux en cest endroict à rien astreints qu'à suivre vos commandemens, il vous plaira bien, ores que vous partissiez plus tost, m'octroier la très humble requeste que je vous en fais, etc.»

Guillaume joignit ses instances à celles de sa femme, au sujet de ses neveux, auprès de François de Bourbon, par l'envoi de ces lignes[256]:

«D'aultant que, pour les grandes affaires que vous avez à traicter avec la royne d'Angleterre, de la part du roy, je doubte que vos affaires pourroient bien tirer en longueur, et mesme, pour raison de vostre charge, que vous ne pourrez faire cest honneur à moy et à ma femme de nous venir voir jusque en ce païs, ce que toutefoys je désireray fort que Dieu m'eust faict la grâce d'avoir cest honneur, je vous supplie bien humblement me vouloir accorder, et à ma femme, que messieurs nos nepveux puissent, pour quelques jours, venir passer le temps jusques en ce païs; ce que je sçay aussy que madame de Bouillon prendra à plaisir et contentement, ainsi qu'elle escrit à ma femme, moiennant que ce soit vostre plaisir de leur vouloir accorder; de quoy derechef je vous en prie, et je me tiendray obligé à vous en rendre humble service.»

Rien n'établit que François de Bourbon et ses neveux soient venus dans les Pays-Bas, à l'époque dont il s'agit, ainsi que le désiraient si vivement la princesse et le prince.

D'Amsterdam, Charlotte et Guillaume se rendirent à La Haye. Le docteur Forestus, qui leur était fort attaché, ne manqua pas de quitter sa résidence habituelle de Delft, pour aller les y voir. Il a pris le soin de consigner, dans l'un de ses écrits, l'expression du plaisir qu'il éprouva à se retrouver auprès d'eux, et surtout à recevoir des gracieuses mains de la princesse le charmant cadeau de deux objets d'art, en souvenir des bons soins que le prince avait naguère obtenus de lui, à Delft. Il se montra extrêmement reconnaissant de la bonté de Charlotte de Bourbon à son égard[257].

Arrivons maintenant au fait capital du rapprochement qui eut lieu, en 1581, entre le duc de Montpensier et la princesse, sa fille.

Si nous ignorons en quels termes le duc convainquit Charlotte de Bourbon de l'affection paternelle dont il voulait désormais l'entourer, nous savons du moins qu'il proclama noblement, à la face de la France et de l'Europe, l'approbation, sans réserve, qu'il donnait à l'union de sa fille avec le prince d'Orange, et le respect dû par chacun à la dignité morale de la princesse et du prince, dont il tenait à honneur d'être le père.

Voici le ferme langage qu'il tint dans une déclaration officielle qui reçut aussitôt une grande publicité[258]:

«Loys de Bourbon, duc de Montpensier, pair de France, souverain de Dombes, etc., à tous ceux qui ces présentes lettres verront, salut!

»Comme ce soit chose notoire que nostre très chère et très aimée fille, Charlotte de Bourbon, soubz l'authorité et conduite de défunt très hault et très puissant prince et nostre très cher et honoré cousin, monsieur Friedrich, comte palatin du Rhin, électeur du Saint-Empire, faisant office de père et représentant nostre personne envers nostredite fille, ensemble du vouloir et consentement du roy très chrétien, mon souverain seigneur, et de monseigneur le duc d'Anjou, ait esté conjoincte par mariage avec nostre très cher et très aimé beau-fils, Guillaume de Nassau, prince d'Orange, comte de Nassau, etc., etc., et qu'il a plû à Dieu tellement assister et bénir ledit mariage, que tousjours depuis il a non seulement continué en tout honneur et grande amitié, mais aussi multiplié en lignée, ainsi qu'il fera encores, moïennant sa grâce; au moïen de quoy nul ne doive prendre occasion de le blasmer, ains plustost iceluy louer comme bon et légitime; ce néantmoins, pour autant que, soubz couleur de ce que nous n'aurions assisté et ne serions intervenu audit mariage, quelques-uns en ont parlé et pourroient parler ou présumer aucunement qu'il n'est licite, n'estant esclaircis de nostre intention sur ce; et considérant d'ailleurs que tous princes et grands ne sont jamais sans ennemis et malveillans;

»Sçavoir faisons que nous, ayant recogneu et considéré, comme nous faisons encore, ledit mariage estre utile, profitable et honorable pour nostredite fille et à l'estat et grandeur de nostre maison, avons dit et déclaré, disons et déclarons nostre intention et volonté avoir esté qu'il sortist son plein et entier effect; comme tel l'avons loué, aggréé, ratifié et approuvé, et par ces présentes, en tant que besoin seroit, le louons, aggréons, ratifions et approuvons, tout ainsi que si nous avions esté présent en personne à le passer et contracter; recognoissant les enfans, tant nés qu'à naistre dudit mariage pour nos petits enfans et nepveux, faictz et procréez en loyal et légitime mariage, comme les autres enfans issus et qui issiront d'autres nos filles mariées par nous, et de nostre authorité.

»Parquoy nous supplions et requérons, tant la Majesté Impériale, et tous les rois, princes et potentats souverains, desquels nous avons l'honneur d'estre parens et alliés, que autres princes et seigneurs, nos bons amis, que, si aucune question, trouble ou querelle estoit meue, à cause dudit mariage, ou au préjudice des enfans d'iceluy, nez ou à naistre, soit sur leur estat, condition, ou autrement, il leur plaise prendre leur honneur en main et les avoir et recepvoir en leur bonne protection, leur donnant tel confort, aide et faveur, que tous princes ont accoustumé d'user, les uns envers les autres, et telle comme, en cas semblable, nous voudrions et offrons faire pour eux et les leurs, quand nous en serons requis.

»En tesmoing de quoy nous avons signé ces présentes de nostre main, et à icelles fait mettre nostre scel.

»Donné, à Champigny, le 25e jour de juing, l'an 1581.
»Louys de Bourbon.»

Par la publication de cette déclaration solennelle, le duc de Montpensier rompit courageusement, comme père, avec un passé déplorable, et, par là, se concilia la reconnaissance, l'affection, les respectueux égards de cette fille et de ce gendre qui consacraient à son bonheur, pour le reste de ses jours, leurs cœurs et ceux de leurs enfants.

L'impression produite sur Charlotte de Bourbon par la nouvelle attitude du duc à son égard fut, on ne saurait en douter, profonde, et se manifesta certainement par des effusions de gratitude et de tendresse que connurent les intimes confidents de ses sentiments et de ses pensées. S'il ne fût donné qu'à eux de les recueillir, félicitons-nous de pouvoir, du moins, saisir la trace de son émotion filiale, dans ces lignes que, le 29 juillet 1581, elle adressa, de La Haye, au président Coustureau[259]:

»Monsieur le président, je ne puis sinon recevoir très grand contentement de veoir, qu'à présent que Monseigneur mon père a esté esclaircy de la vérité de tout ce qui s'est passé pour mon regard, il m'a fait paroistre, tant l'affection paternelle qu'il me porte, comme sa singulière prudence. En quoy, vous estant conformé à sa volonté, j'ay subject, comme je me sens obligée à mondit seigneur mon père, d'estre satisfaite aussy de vostre part; joinct que mon conseiller X..., m'a rendu bien ample tesmoignage des bons offices que vous m'avez faicts, et que vous avez prins la peine de vous employer en ceste dépesche, laquelle est dressée comme ne l'eûsse sceu désirer; dont je vous remercie bien affectionnément, et comme je vous congnoys de longtemps entièrement dédié à mondit seigneur mon père et portant bonne affection à ceux qui ont cest honneur de luy toucher de sy près comme moi, etc., etc.»

Si, par sa déclaration du 25 juin 1581, le duc de Montpensier se réhabilita comme père, en restituant à la princesse la place qu'elle eût dû toujours occuper dans sa famille, de son côté, la duchesse Catherine de Lorraine, se montra, à la même époque, comme belle-mère et comme aïeule, sous un jour favorable dans ses rapports avec Charlotte de Bourbon et l'aînée de ses filles. C'est là un fait généralement ignoré jusqu'ici, et dont la révélation frappera d'étonnement, sans doute, tous ceux qui ne connaissent, au sujet de la seconde duchesse de Montpensier, que les intrigues, les excitations criminelles et les insignes violences auxquelles elle se livra, plus tard, dans les saturnales de la Ligue. Mais il n'en faut pas moins rendre à cette femme, dont le nom n'a réveillé jusqu'ici que de tristes souvenirs, la justice de déclarer: qu'il fut un temps où, encore étrangère à de coupables passions, et accessible à de salutaires influences, elle se sentit attirée vers la princesse d'Orange et rendit hommage à ses hautes qualités, en faisant délicatement remonter jusqu'à elle les éloges qu'elle prodiguait à sa fille aînée.

La petite Louise-Julienne, charmante enfant, formée, comme le furent ses sœurs, à l'image de la princesse, sa mère, n'avait que cinq ans, lorsque la duchesse de Montpensier, qui, soit dit en passant, était une aïeule d'une jeunesse exceptionnelle, attendu qu'à peine venait-elle d'atteindre sa vingt-huitième année, lui écrivit ce qui suit[260]:

«A ma petite-fille, madamoiselle Loyse de Nassau,

»Ma petite-fille, par les récitz qui m'ont esté faictz de vous, et combien vous estes jolye, saige et accompaignée de perfections, en vostre petit ange, je me suis bien aperçue que c'est pour l'envie que vous avez de faire congnoistre que vous estes vraiment l'aisnée de mes autres petites filles, voz sœurs, et que vous seriez marrie qu'elles eussent rien gaigné sur vous, en ce qui est de vertu et digne de vous; ce qui me donne occasion d'augmenter particulièrement, en vostre endroict, la singulière affection et amytié que je porte à vous et à vosdictes sœurs, et de desirer aussy d'estre continuée en l'amitié que vous tesmoignez envers moy, par la bonne souvenance que vous en avez. Afin doncques que je y sois plus souvent ramentue, je vous envoie un petit présent d'ung phœnix, lequel je vous prie vouloir accepter d'aussy bon cœur que je le vous donne; et soubhaiste que vous le gardiez bien, pour l'amour de moy, qui recevray aussi à beaucoup de plaisir que me rafraîchissiez souvent en la mémoire de monsieur vostre père et de madame vostre mère, et me maintenir en l'heur de leurs bonnes grâces, comme se recommande affectueusement à la vostre,

»Vostre bien affectionnée grant mère.
»Catherine de Lorraine.
»De Champigny, ce 15e jour de juillet 1581.»

Écrire ainsi, c'était de la part de la duchesse de Montpensier, se montrer fidèle, cette fois, aux exemples de bonté et d'aimables prévenances que lui avait légués sa vénérable grand'mère la duchesse de Ferrare, Renée de France.

Il y a lieu de croire qu'une lettre du duc de Montpensier à Louise-Julienne accompagna celle de la duchesse. Quoi qu'il en ait pu être, on verra plus loin en quels termes bienveillants le duc correspondait avec sa petite-fille et filleule, dont il savait que le cœur, sous l'inspiration maternelle, s'était tourné vers lui.

L'amour de Charlotte de Bourbon pour ses enfants ne se traduisait pas seulement par la direction élevée qu'avant tout elle imprimait à leur cœur et à leur intelligence et par le soin assidu qu'elle prenait de leur santé; il se manifestait aussi par la vigilance éclairée qu'elle apportait au soutien de leurs intérêts personnels dans la gestion de ressources pécuniaires qui leur appartenaient en propre.

Cette vigilance, dont nous avons déjà fourni un exemple[261], ressort, de nouveau, de deux lettres que Josse Borluut, premier échevin de la ville de Gand, reçut de la princesse, en 1581, au sujet de la rente accordée, en 1579, par les quatre membres de Flandre à Flandrine de Nassau.

La première des lettres dont il s'agit portait[262]:

«Monsieur de Borluut, le président Taffin m'a bien et au long déclaré les bons offices que vous avez faits et la peine qu'avez prinse pour obtenir le paiement de la rente de ma fille Flandrine, nonobstant les difficultez qui se sont présentées, à cause de la répartition entre messieurs les quatre membres. Et certes, depuis le commencement de nostre cognoissance, j'ay par effect cogneu et expérimenté vostre prompte volonté et affection à faire plaisir à monseigneur le prince et à moy. De quoy nous nous tiendrons tousjours bien obligez envers vous.—Or, entr'autres points qu'il m'a discourus, l'ouverture par vous faicte me plaist grandement, savoir: que, pour mettre, une fois, fin aux difficultez et débats à cause de ladite répartition, aussi qu'il ne soit besoing d'importuner, à chacune fois, messieurs les quatre membres, pour le fournissement de leur part et portion, cest expédient se pourroit trouver, de transporter à madite fille la terre et seigneurie de Loochrist, aiant appartenu à l'abbé de Saint-Bavon, si comme la maison, bassecourt, fossez et jardinages, et en fonds de terre et héritages, en valeur jusqu'à la concurrence d'iceux 2m fl. par an. Si cela me pouvoit advenir, je me tiendrais, et ma petite fille, de tant plus obligée tant envers vous, pour si bons et agréables offices, qu'envers messieurs de la ville de Gand, en particulier, à cause de leur consentement et agréation, et, en général, envers messieurs les quatre membres, de la bénéficence desquels ladite rente est procédée, sans jamais mettre en oubly une accommodation venue si bien à propos.—Oultre ce, comme j'entends dudit président que ladite seigneurie de L. est de grande valeur et estendue, qu'il y a bien XIII bonniers de terre qu'on a délibéré et résolu de desmembrer et vendre par pièces et portions, pour satisfaire au paiement de quelques debtes particulières; mais veu que l'héritage est la plupart bien planté, l'on feroit beaucoup plus de proffict de le vendre en une masse, car cela est le parement de son estime et valeur. Ce qui me faict vous déclarer comme j'ay envoyé en France, passé longtemps, vers monsieur mon père, affin d'estre satisfaicte, comme mes sœurs, de la succession des biens paternels et maternels. J'ay doncq une bien grande envie et desir d'emploïer le plus que je pourray en l'achapt desdites terres, en donnant la valeur, selon qu'elles seroient appréciées, ou selon le pris qu'elles pourroient estre vendues. Par quoy je vous prie bien affectueusement m'adviser comment en cela je pourrais procéder.—Mais il faudroit, pour quelque peu de temps, supercéder ladite vente, pour le moins jusques à ce que j'auroys nouvelles de France, que j'attends de jour à autre; que lors je sçauray au vray ce que je pourrai emploier; ou jusques à ce que monsieur mon mary vienne à Gand, que j'espère sera de bref.—Or, le plus prouffitable et avantageux seroit, pour les créditeurs et pour les vendeurs, d'avoir affaire avec un seul qu'avec plusieurs, veu mesmes que le commun, en ces temps si calamiteux et estranges, ne viendront à achepter qu'à fort vil pris; et, si les créditeurs le prennent en paiement de ce qu'on leur doibt, ce sera à leur grand advantage et au mescontentement de la commune. Si cela ne se peut impétrer, qu'il vous plaise tenir la main à ce que ladite maison, bassecour, granges, fossez et jardinages ne soient délaissez, soubz telle estimation qu'on trouvera raisonnable; à quoy je ne faudray de satisfaire promptement, et que ladite rente de ma fille Flandrine soit emploiée ès terres et héritages les plus proches de ladite maison, jusques à la concurrence des deniers capitaux portant XXXIIm fl.; à quoy j'adjousteray le plus que je pourray. Vous me ferez en ce que dessus un très singulier plaisir, lequel je ne fauldray de recognoistre, etc., etc.—(P.-S.). Monsieur mon mary trouve plus considérable d'engaiger lesdites terres que de les vendre absolutement; à quoy je serois aussi contente d'entendre. Quand il sera près de vous, ce qui, j'espère, sera de bref, il vous pourra amplement dire les causes et raisons.»

La seconde lettre de la princesse, à six jours de distance de la précédente, était ainsi conçue[263]:

«Monsieur de Borluut, j'ay reçu la lettre que m'avez escrite par le sieur Lucas Deynart, et entendu de lui les bons offices qu'il vous a plu me faire, en retardement de la vendition de la maison et biens de Loochrist, selon que je vous en avoy prié par mes précédentes lettres, pour en faire accommoder ma fille Flandrine, pour autant que peut porter la rente qu'il a pleu à messieurs les quatre membres lui donner. Je ne vous en puis assez affectueusement remercier, et vous supplie, monsieur de Borluut, de nous continuer en ceci vostre bonne volonté de tenir la main à ce que nous puissions avoir autant de terre, à l'entour dudit Loochrist, que pourront s'étendre les deux mille florins de ladite rente, sans qu'il soit fait difficulté particulière pour la maison; car, encores qu'elle seroit à nous, messeigneurs les quatre membres en pourront disposer comme du leur, en ce qui concerne le bien du pays, auquel le particulier doibt tousjours estre postposé. Ledit sieur Lucas Deynart vous fera entendre sur ce plus particulièrement l'intention de monsieur mon mary et la mienne, et aussy de nos autres nouvelles, ce qui me gardera de vous en escrire; seulement je vous assureray que, l'occasion se présentant, nous n'oublirons point à nous revencher de l'obligation que nous vous avons et que vous augmentez journellement par vos bons offices, etc., etc.»

Tandis qu'une sérieuse union, trop longtemps différée par le duc de Montpensier, venait enfin de s'établir entre lui et ses enfants, une rupture définitive allait éclater entre le roi d'Espagne et les énergiques provinces auxquelles, parmi celles des Pays-Bas, sa domination tyrannique était devenue insupportable.

Cette rupture fut, dans le cours du mois de juillet 1581, immédiatement précédée d'un acte solennel, qui apporta un notable changement dans la position de Guillaume de Nassau. Les provinces de Hollande et de Zélande, à qui la suprématie du duc d'Anjou eût déplu, étaient demeurées étrangères au traité conclu avec lui, le 29 septembre 1580. Usant de la liberté qu'elles s'étaient réservée, quant au choix d'un protecteur suprême, elles conférèrent le pouvoir souverain au prince d'Orange, par une déclaration du 24 juillet 1581, applicable au territoire et aux habitants de chacune d'elles. Le prince n'accepta que provisoirement ce pouvoir.

Six mois auparavant, le duc d'Anjou avait accepté la souveraineté des autres provinces unies. Mais il ne suffisait pas que l'attribution de cette souveraineté impliquât simplement la déchéance de Philippe II; il fallait, de toute nécessité, que cette déchéance fut expressément déclarée.

En conséquence, le 26 juillet 1581, les députés des Provinces-Unies, assemblés à La Haye, formulèrent une déclaration d'indépendance[264], à laquelle fut donnée le nom d'acte d'abjuration.

Le préambule de cette déclaration portait:

«Les estats généraux des provinces unies des Pays-Bas, à tous ceux qui ces présentes verront, ou lire oyront, salut!

»Comme il est à un chacun notoire, qu'un seigneur et prince du pays est ordonné de Dieu, souverain et chef de ses sujets, pour les défendre et conserver de toutes injures forces et violences, tout ainsi qu'un pasteur, pour la défense et garde de ses brebis, et que les sujectz ne sont pas créés de Dieu pour le prince, pour luy obéir en tout ce qu'il luy plaît commander, soit selon ou contre Dieu, raisonnablement, ny pour le servir comme esclaves, mais plus tost le prince pour les sujectz, sans lesquels il ne peut estre prince, afin de les gouverner selon droit et raison, les contre-garder et aymer comme un père ses enfans, ou un pasteur ses brebis, qui met son corps et sa vie en danger pour les défendre et garantir.

»Si le prince faut en cela, et, qu'au lieu de conserver ses sujectz, il se met à les outrager, opprimer, priver de leurs priviléges et anciennes coustumes, à leur commander et s'en vouloir servir comme d'esclaves: on ne le doit alors pas tenir ou respecter pour prince et seigneur, ains le réputer pour un tyran. Et ne sont aussi les sujectz, selon droit et raison, obligez de le recognoistre pour leur prince, de manière que, sans en rien mesprendre, signament quand il se fait avec délibération et autorité des estats du pays, on le peut franchement abandonner et, en son lieu, choisir un autre pour chef et seigneur, qui les deffende; chose qui principalement a lieu quand les sujectz par humbles prières, requestes et remontrances n'ont jamais sceu adoucir leur prince, ny le destourner de ses entreprises et concepts tyranniques; en sorte qu'il ne leur soit resté autre moyen que celuy-là, pour conserver et défendre leur liberté ancienne, de leurs femmes, enfans et postérité, pour lesquels, selon la loy de nature, ils sont obligez d'exposer vies et biens, ainsi que, pour semblables occasions, on a vû, par diverses fois, advenir en divers pays et en divers temps, dont les exemples en sont encores tout récens et assez cognus.

»Ce qui principalement doit avoir lieu et place en ces pays, lesquels, d'ancienneté, ont esté et doivent estre gouvernez ensuyvant les serments faicts par leurs princes, quand ils les reçoivent, conformément à leurs priviléges et anciennes coustumes, sans aucun pouvoir de les enfreindre. Joinct aussy que la plupart des dictes provinces ont tousjours reçeu et admis leurs princes et seigneurs, à certaines conditions et par contracts et accords jurez, lesquels si le prince vient à violer, il est, selon droict, décheu de la supériorité du pays.»

Viennent ensuite l'exposé des événements dont les Pays-Bas ont été le théâtre, dans le cours des vingt-cinq dernières années, et l'articulation des accusations dirigées contre la domination de Philippe II[265]. Après quoi, les états généraux terminent en ces termes:

«Sçavoir faisons que, toutes les choses susdites considérées, et pressez de l'extrême nécessité, comme dit est, avons, par commun accord, délibération et consentement déclairé et déclarons, par cestes, le roy d'Espaigne, ipso jure, decheu de sa seigneurie, principauté, jurisdiction et héritage de ces dits pays; et que sommes délibérez de ne le plus recognoistre en choses quelconques concernant le prince, jurisdiction ou domaines de ces Pays-Bas, ny de plus user ou permettre qu'autres usent doresnavant de son nom, comme souverain seigneur d'iceux.

»Suyvant quoy, nous déclairons tous officiers, seigneurs particuliers, vassaux et tous autres habitans de ces pays, de quelque condition ou qualité qu'ils soyent, estre d'icy en avant deschargez du serment qu'ils ont faict, en quelque manière que ce soit, au roy d'Espaigne, comme seigneur de ces pays, ou de ce qu'ils pourraient à luy estre obligez.

»Et d'autant que, pour les raisons susdites, la plupart desdites provinces unies, par commun accord et consentement de leurs membres, se sont rendues sous la seigneurie et gouvernement du sérénissime prince, le duc d'Anjou, sous certaines conditions contractées et accordez avec Son Alteze, et que le sérénissime archiduc d'Autriche Matthias, a résigné en nos mains le gouvernement général de ces pays, ce qui par nous a esté accepté, ordonnons et commandons à tous justiciers, officiers, et tous autres qu'il appartiendra, que doresnavant ilz délaissent et n'usent plus du nom, titres, grand ny petit sceau, contre-sceau, ny cachets du roy d'Espaigne; et, qu'en lieu d'iceux, tandis que monseigneur le duc d'Anjou, pour ses urgentes affaires concernant le bien et prospérité de ces pays, est encore absent, pour autant que touche les provinces ayant contracté avec son Alteze, et touchant les autres, par forme de provision, ilz useront du titre et nom du chef et conseil du pays; et entretant, que lesdits chefs et conseillers ne seront de fait dénommez, appelez et réellement établis en l'exercice de leurs charges et estats, useront de nostre nom; réservé qu'en Hollande et Zélande, on usera, comme par cy-devant, du nom de monseigneur le prince d'Orange et des estats d'icelles provinces, jusques à ce que ledit conseil sera, comme dit, effectuellement constitué; que lors ilz se régleront en suyvant ce qu'ils ont accordé touchant les instructions dressées sur ledit conseil et accords faits avec sadite Alteze.»

Cependant, Guillaume de Nassau, ne voyant pas encore s'avancer de France, dans la direction des Pays-Bas, les troupes dont l'envoi lui avait été promis par le duc d'Anjou, écrivit, en juillet, à son conseiller Despruneaux[266]: «J'ay esté bien aise d'avoir entendu de vos nouvelles par M. de Marchais, et eusse esté plus aise de les avoir eues par vous mesme, si la commodité du service de Son Alteze l'eust peu permettre; mais, puisqu'il luy a pleu en disposer autrement, je ne puis que je ne le trouve bon, comme toutes autres choses qui concernent son service et l'advancement de Sa Grandeur. Seulement je vous prieray ne laisser couler aucune occasion sans nous advertir de ce qui se passe pardelà, car il est nécessaire que nous soyons au vray informez, parce que nous ne pouvons autrement dresser nos conseils si certainement; et, combien que je ne doubte que vous ne faciez vostre plein devoir, je ne laisserai toutefois de vous prier d'advancer le plus que vous pourrez l'armée, considérant le temps qu'il y a que tout ce peuple s'y attend. Au reste, je serai bien aise que vous regardiez où j'aurai moïen de m'emploier pour vous, car vous me trouverez toujours prêt à le faire de très bonne affection.»

Le duc d'Anjou, au milieu de l'été, se présenta enfin, avec ses troupes, devant Cambrai, dont il fit lever le siège; il approvisionna la ville et en augmenta la garnison; après quoy, laissant la majeure partie de son infanterie au service des états généraux, sous les ordres du prince d'Epinoy, gouverneur de Tournai, il partit pour l'Angleterre, afin d'y donner suite à son projet de mariage avec la reine Elisabeth.

Les états généraux envoyèrent alors, en Angleterre, Dohain et J. Junius, afin de presser le duc de se rendre dans les Pays-Bas.

De son côté, le prince d'Orange, accompagné du prince d'Epinoy s'en alla en Zélande pour y attendre le duc d'Anjou, et disposer tout ce qui était nécessaire pour la continuation de la guerre.

Plusieurs mois devaient s'écouler encore, avant que le duc d'Anjou se rendît au vœu des états généraux, en quittant l'Angleterre.

Il importe d'exposer ce qui se passa, durant ces mêmes mois, au foyer domestique de Guillaume de Nassau.

CHAPITRE X

Premier testament de Charlotte de Bourbon rédigé le 12 novembre 1581.—Acte de libéralité du 13 novembre.—Autre acte de libéralité du 15 novembre.—Second testament du 18 novembre.—Naissance d'Amélie de Nassau. Son baptême.—Lettre de Guillaume au prince de Condé.—Lettre du duc de Montpensier à sa petite-fille Louise-Julienne.—Arrivée de François de Bourbon à Anvers.—Lettre de lui à son père sur la réception du duc d'Anjou comme duc de Brabant.—Relations du comte de Leicester, à Anvers, avec le prince et la princesse d'Orange.—Lettres qu'ils lui écrivent lors de son retour en Angleterre.

On ne saurait assez entourer d'une respectueuse sympathie l'expression de la foi, des sentiments et des dernières volontés d'une mère chrétienne, alors qu'on la trouve consignée dans un ensemble d'écrits conçus et rédigés sous le regard de Dieu.

L'étude de la noble vie de Charlotte de Bourbon peut heureusement s'appuyer sur la possession d'écrits de cette nature. Quoi de plus touchant, que d'y voir cette jeune mère, pressentant peut-être une fin prochaine, rendre grâce à Dieu du bienfait suprême d'un salut gratuitement accordé, appeler sa bénédiction sur des êtres chéris, leur léguer des gages de sa tendresse et étendre sa généreuse sollicitude sur diverses personnes dont elle apprécie le dévouement!

Ce fut à l'approche d'un événement de famille dont l'issue pouvait être un sujet de deuil, aussi bien qu'un sujet de joie, que Charlotte de Bourbon crut devoir formuler, dans divers écrits, des déclarations et des dispositions, dont la teneur doit être fidèlement reproduite ici.

La princesse était alors dans un état avancé de grossesse. Obligé de se rendre à Gand, son mari venait de la laisser à Anvers.

Répondant au désir qu'elle lui avait exprimé d'être autorisée par lui, conformément aux usages de l'époque, à faire tels testaments et codicilles qu'elle jugerait à propos de rédiger, le prince lui adressa, de Gand, l'autorisation suivante[267]:

«Guillaume, par la grâce de Dieu, prince d'Orange, comte de Nassau, etc., à tous ceux qui ces présentes verront, salut!

»Comme nous avons esté requis par nostre chère et bien-aimée épouse et compaigne de luy accorder et donner puissance et authorité de faire et ordonner son testament et disposition de dernière volonté, nous, pour le bon amour et inclination naturelle que nous luy portons, inclinans à son désir, luy avons volontairement accordé de pouvoir faire testament, un ou plusieurs, faire codicilles, et disposer entièrement de ses biens, tant meubles qu'immeubles, les laisser, léguer et donner par donation à cause de mort, par forme de testament, légat ou fidéicommis, à telle personne que bon luy semblera.

»En tesmoing de quoy avons fait expédier ces présentes soubz nostre seing et sceel de nos armes.

»Fait en la ville de Gand, ce 14e jour de novembre, l'an 1581.

»Guillaume de Nassau.
»Par ordonnance de Son Excellence:
»Valicome.»

Un premier testament de la princesse, en date du 12 novembre 1581, porte[268]:

«Pour ce qu'il n'est rien plus incertain que la vie, et plus certain que la mort, après avoir supplié nostre Dieu, père éternel de tous ses esleus, de me faire la grâce, qu'à quelque heure qu'il luy plaise de m'apeler, et de quelque maladie que ce soit, il me veuille donner congnoissance de luy jusqu'à la fin, accompagnée d'ungue vraie et vive foi, avec espérance en sa miséricorde, par Jésus-Christ, nostre Seigneur; aussy qu'il luy plaise m'oster tout regret et affection des choses terrestres, desquelles néant moins, d'aultant qu'il n'en deffend point le soing et prévoïance, je désire, devant qu'il luy plaise de m'appeler, faire déclaracion de ma voullonté à monsieur le prince, mon mari, m'aseurant que, pour l'amitié qu'il me porte, il ne l'aura point désagréable.

»En premier donc, je luy supplie très humblement que des cinq filles que Dieu nous a données ensemble, et l'enfant dont j'espaire, moïennant sa grâce, estre délivrée heureusement, il en veuille prendre grant soin, les fesant instruire en la crainte de Dieu et religion crestienne; et oultre cela, qu'il plaise à mondit seigneur faire ungue plus claire et spécialle déclaracion du bien qu'il luy plaira leur laisser qu'elle n'est contenue en nostre contrat de mariage, aïant égard, que de prétensions quy sont en France, il n'y a point grant aparance d'en pouvoir jouir, affin qu'il luy plaira d'y pourvoir de quelque autre costé, et de leur lesser le bien qu'il leur vouldra faire, clair et net, aultant qu'il sera possible; à quoy il semble que mondit seigneur le prince, mon mari, peut, de son vivant, donner ordre, le tout dépendant en ungue bonne partie de la déclaracion de sa voullonté, puisqu'il s'est réservé de la pouvoir déclarer par son testament.

»Je supplie aussy très humblement monseigneur le prince mon mari, de pourchasser vers le roy les quarante mille livres qui me sont deubs de la pension qu'il a pleu à Sa Majesté de m'acorder, laquelle je supplie très humblement d'avoir tousjours mes enfans pour recommandés, et se souvenir que, comme ressentant le debvoir de très humble subjecte et servante, je n'ay jamais prins alliance à mondit seigneur le prince, mon mari, sans premièrement le faire entendre à Sa Majesté et aussy Son Altesse; qui me faict espérer que cella les rendra tant plus favorables envers mes enffans; dont je leur fais très humble requeste, et à monseigneur mon père, d'emploïer sa faveur à cest affaire et selon le bien et l'honneur qu'il y a plû déjà me faire, qu'il luy plaise continuer ceste bonté et amour paternelle envers mes enfans; comme je fais aussy pareille et très humble requeste à madame ma belle-mère et à monsieur mon frère, affin qu'il leur plaise les avoir tousjours pour recommandés.

»Je supplie aussy très humblement monsieur le prince, mon mari, d'avoir tous mes serviteurs et servantes pour recommandés, et me permettre d'user de quelque libéralité envers eux, comme il s'en suit:

»Au sieur de Tontorft et à sa fame, douze cents florins contant, et deux cents livres de rente, leur vie durant, en considération des bons services que j'ai resceus d'eux, et mesme sadite fame qui m'a servie avec tel soing et fidélité, l'espace de vingt ans, que j'ay grande occasion de m'en contenter, quy me faict supplier très humblement mondit seigneur le prince d'y avoir esgard et retenir ledit Tontorft à son service, avec le trestement de quatre cents florins par an, qu'il luy plaist luy donner à ceste heure, et se souvenir de luy faire passer lettres de deux cents florins par an, qu'il luy a pleu luy promettre, sa vie durant. Je désire qu'il luy plaise retenir sa fame près de nos enfans, avec le trestement ordinaire que je luy donne.

»Je lesse aussy au sieur de Minay trois cents livres de rente, sa vie durant, oultre douze cents livres, pour ungue fois, que je luy ay déjà ordonné, en recognoissance du service quy m'a faict, m'aiant accompagné de France en Allemaigne et secourue, trois ans, à Heydelberg, pour m'assister en mes affaires; quy me faict supplier très humblement monsieur le prince, mon mari, de luy lesser sa vie durant, la conduite des terres de Montfort, Cuisseaux et Beaurepere, assises en la Duché de Bourgogne, avec quelque honorable traictement.

»A mademoiselle de la Montaine, je luy lesse quatre cents florins et cent livres de rente, sa vie durant, suppliant monseigneur le prince de la lesser aussi aussi auprès de nos enfans avec son trestement ordinaire.

»A mademoiselle de Secretan, je luy lesse deux cents florins.

»A Marie de Sainte-Aldegonde, à Heurne et à Berlau, à chacune je lesse trois cents florins.

»A Cécile, ma fame de chambre, deux cents florins.

»A Jaqueline, ma fille de chambre, deux cent florins.

»A ma sage-fame, deux cents florins.

»A la nourrice, oultre ses gages, soixante florins.

»Aux cinq servantes de mes enfans, à chacune vingt florins.

»A la servante de Madame Tontorft, cinquante florins.

»Aux sieurs de Villiers, ministre, et Taffin, le ministre, je lesse à chacun quatre cents florins.

»Au sieur président Taffin, aussy, je luy laisse quatre cents florins, pour quelque petit témoignage de la bonne voullonté que je luy porte.

»Me tenant obligée à eux des bons services et bons offices que j'en ai resceus, m'asseurant quy les continueront à l'endroict de mes enfans.

»A Frommassière, gentilhomme ordinaire de nostre maison, je luy lesse trois cents florins.

»A Pierre Aruval, mon secrétaire, deux cents florins.

»A Piere, mon tailleur, soixante florins.

»A mestre Hanri, servant tant pour la garde de la table, que du garde-manger, cinquante florins.

»A France, servant à mon cartier, cinquante florins.

»Au cocher, palefrenier et garçon de mon écurie, à chacun ungue année de leur gage.

»A Jolitens, deux cents florins.

»Aussy il se trouvera ung mémoire signé de ma main, d'aultres petites debtes, à quoy il plaira à monseigneur le prince de satisfaire, s'il advenoit que je n'y aie point donné ordre.

»Comme aussy, il plaira à monseigneur d'avoir esgard que j'ay bien employé sept mille florins de la rente de mes filles Elizabeth et Flandrine, dont le président Taffin a fait estat jusqu'à environ quatre mille. Et du reste, madame Tontorft a ung mémoire à quoy je les ay emploïé, qui est tout pour la nécessité de la maison ou extraordinaire, par le commandement de mondit seigneur, mon mari, que je supplie très humblement que le tout soit emploïé au proufit des enffans, soit en les deschargeant et satisfaisant aux deniers que j'ordonne par ce présent testament; à quoy en oultre, j'oblige la rente que monseigneur le duc de Montpensier, mon père, m'a accordée, en cas quy n'y seroit aultrement pourveu par mondit seigneur, mon mari, de la bonne voullonté duquel je m'asseure pour l'honneur, amitié et bon traitement que j'en ai tousjours resceu; mais quant à la rente viagère, j'entends qu'elle soit assignée sur la rente des quatrevingt mille livres que mondit seigneur mon père m'a assignée.

»Fait à Envers, ce 12 novembre 1581.
»Charlotte de Bourbon»

Un écrit du 13 novembre 1581 contient, en deux colonnes distinctes, ce qui suit[269]:

(De la main de la princesse.) (D'une main autre que celle de la princesse.)
  «Mémoire des bagues et perles de Madame.
«Je lesse ladite bague venue de monsieur l'Electeur, à ma fille Loise de Nassau. »Premièrement une bague à pendre, que monsieur l'Electeur a donnée à Son Excellence, où il y a un grand ruby cabochon, et neuf moyens, deux grands neuf moyens, deux grands diamants et six petits, deux esmeraudes, trois grosses perles et quatre moyennes.
»Je lesse à madite fille Loise ledict miroer, venu de la royne mère du roy. »Un grand mirouer de cristal de roche, de la royne mère, qui est enchassé en or, avec deux diamants et six rubis, et le revers, d'un lapis gravé.
»Je luy lesse à ma dite fille Loise le collier venu de monsieur l'archiduc. »Ung collier de l'Archiduc, de huit diamants, cinq grand rubis, huit petits, et vingt perles, avec une croix de diamants.
»Je lesse à ma fille Elisabeth la bague à pendre qui m'a esté présentée par monsieur le conte de Lecestre. »Une bague à pendre que monsieur le conte de Lecestre dona à son Excellence au baptesme de mademoiselle Elisabeth, qui est faite en fasson de pigeon, garnie de plusieurs rubis et diamants.
»Je lesse à mademoiselle Charlotte de La Marck, ma niepce, ceste bague à pendre, où est mon pourtraict. »Une bague à pendre, faite en fasson de boiste, où il y a le portrait de Madame, garni de rubis à l'entour, et, par dessus, des diamants et des rubis.
»Je lesse cette bague à ma fille Brabantine. »Un petit oiseau couvert, les ailes et la queue de diamans, et un ruby fait en cœur au milieu, et quatre petites perles, venant de madame la comtesse de Schwartzenbourg.
»Je lesse cette bague à pendre à ma fille Caterine-Belgia de Nassau. »Une bague de ladite dame, d'un diamant, etc., etc.
»Je lesse cette bague faite en cœur à ma fille Flandrine de Nassau. »Un cœur et un crochet d'or garni de rubis et de diamans.
»Je lesse cette bague signifiant la victoire à ma fille Elisabeth de Nassau. »Une bague à pendre, signifiant la victoire, etc., etc.
»Je lesse cette bague d'une grande émeraude, à ma fille Loise de Nassau. »Une bague à pendre, etc.
»Je lesse ces bracelets à ma fille Caterine Belgia. »Une paire de bracelets d'or faicts à la fasson d'Espaigne, desquels mademoiselle Elisabeth se sert.
»Je lesse ces bracelets avec pied d'Ellan à ma fille Flandrine. »Une paire de bracelets d'or, avec pied d'Ellan, venant de monsieur l'Electeur.
»Je lesse ces bracelets à ma fille Brabantine. »Une paire de bracelets, etc., etc.
»Je lesse cette bague à madame de Sainte-Croix, ma sœur. »Une bague à mettre au doigt, d'une grande émeraude, venant de madame l'Électrice.
»Je lesse ceste bague à ma cousine madame du Paraclet. »Une autre bague, etc.
»Je lesse cette bague à ma fille Loyse de Nassau. »Une grande bague garnie d'un grand rubis et d'onze petits, venant de monsieur l'Electeur.
»Je lesse cette bague à madame la duchesse de Bouillon, ma sœur. »Une grande bague garnie de cinq grands diamans et quatorze petits, venant de madame l'Electrice.
»Je lesse cette bague à ma fille Elisabeth. »Une bague garnie, etc., venant de madame la comtesse de Nassau, la mère de Son Excellence.
»Je lesse cette bague à ma fille Loise de Nassau. »Une bague garnie de neuf diamants, venant de monsieur d'Oranges.
»Je lesse cette bague à monseigneur le prince, mon mari. »Une bague garnie d'une grande opalle et huit rubis.
»Je lesse cette bague à madame de Merre, ma sœur. »Une pointe de diamants.
»Je lesse la table de diamants à Marie Saincte-Aldegonde. Je lesse la table de rubis à Herlau, venant de Nort-Hollande. »Une table de diamants et une de rubis, venant de Nort-Hollande.
»Je lesse l'autre table de rubis à Horne. »Encore une table de rubis.
»Je lesse une bague d'un petit rubi et un diamant ensemble à mademoiselle de Venneray. »Une bague de ruby et un diamant.
»Je lesse la bague faite en rose à ma fille Elisabeth. »Une aultre faite en rose, de quatre diamants, et un ruby au milieu.
»Je lesse la table de diamants avec quatre rubis à [ma] fille Belgia. »Une table de diamants et quatre rubis à l'entour.
»Neuf cents perles rondes, enfilées, revenant à ma fille Loise de Nassau.  
»Ung millier de plus petites perles rondes, à ma fille Elisabeth de Nassau.  
»Le portrait de monsieur le duc Casimir garni de deux rubis et deux diamants, à ma fille Belgia de Nassau.  
»Faict en Envers ce 13 novembre 1581.
»Charlotte de Bourbon.»
 

Un autre écrit, du 15 novembre, également en deux colonnes, contient ce qui suit[270]:

(De la main de la princesse.) (D'une main autre que celle de la princesse.)
  «Mémoire de la vaisselle d'argent de Madame.
«Je lesse à ma fille Loise de Nassau toute la vaiselle que j'ai aporté de France, ormis le petit bassin rond qui est pour Cecile et Jacqueline, avec les quatre boîtes d'argent, servant sur ma toillette. »Douze grands platz et six moïens, dix-huit assiettes, quatre petites saucières, cadenas doré, avec une cuiller et une fourchette, deux grands bassins dorez par les bords, avec une esguière de mesme, un petit bassin rond, en sa cassolette.
»Je laisse à madite fille Loise de Nassau le rang de perles qui est sur la robe de velours noir. »Ce que dessus, Madame l'a apporté de France.
»La vaisselle de Breda, si j'ai un filz, je désire qu'elle luy demeure; aultrement, qu'elle soit partie à mes cinq filles et à l'enfant qu'il plaira à Dieu de me donner. Egalement je supplie très humblement monseigneur le prince l'avoir agréable; car je ne vouldrois rien entreprendre que soubz son bon plaisir. »Onze coupes dorées, etc. V. de Breda.
»Je donne et lesse à ma, fille Loise ce bassin et l'aiguière venant de l'abbé de Saint-Bernard. »Un bassin et une aiguière, etc.
»Je lesse à monseigneur le prince ce grand goblet, qui m'a esté donné par ceulx de Zellande pour le présant qui me fust promis, au Bril, à mes nopces, par messieurs les estats de Hollande. »Grand goblet, etc.
»Je lesse à ma fille Belgia la coupe couverte. »Coupe couverte, etc.
«A madame Tontorf je lesse le grand goblet couvert, venant de l'évesque d'Utrecht. »Grand goblet couvert, etc.
»A ma fille madamoiselle Marie de Nassau je lesse ceste coupe couverte, venant de ceulx de la ville de Lire. »Coupe couverte, etc.
»A ma fille Elisabeth de Nassau je lesse ceste coupe venant de ceulx d'Enchuysen. »Une coupe, etc.
»A ma fille madamoiselle Anne de Nassau je lesse cette coupe, venant de ceulx de la ville de Leevarden. »Une coupe, etc.
»De ces deux coupes dorées je lesse l'une à madame de Saincte-Aldegonde, et l'autre à madamoiselle de La Montaire. »Deux coupes dorées, etc.
»Ces deux bassins et esguières, l'une je lesse à ma fille Belgia et l'autre à ma fille Flandrine. »Deux bassins et aiguières, etc.
»A mon fils monsieur le comte Maurice je lesse ceste coupe venant de madame Astralle. »Une coupe, etc.
»A ma fille Elisabeth je lesse cest estuy venant de l'abbé de Tougerden. »Un estuy, etc.
»A mes filles Flandrine et Brabantine, à chacune six tasses blanches venant de ceulx de Tregoer. »Douze tasses, etc.
»D'aultant que ces six coupes venant de ceulx de la Vere ont esté présentées à monseigneur le prince aussy bien comme à moy, encore que mondit sieur mon mary m'a faict cest honneur de m'en accorder sa part, je lesse toutes fois en la disposition de mondit seigneur. »Six coupes, etc.
»Je lesse ceste coupe accoustrée d'agates à madame la comtesse de Schwartzenbourg, ma sœur. »Une coupe, etc.
»A mes filles Flandrine et Brabantine, à chacune, une de ces coupes-tasses que j'ay achetées en Zellande. »Deux coupes-tasses, etc.
»A madame de Jouerre, ma sœur, cette rose d'écaille de perle. »Une rose, etc.
»A monseigneur mon père je lesse ceste grande noix des Indes, et supplie très humblement monseigneur le prince de l'avoir agréable. »Noix des Indes, etc.
»Je lesse à ma fille Brabantine ce bassin et ceste aiguière, de quoy je me sers à la chambre. »Bassin et aiguière, etc.
»A madame Tontorf ceste grande escuelle avec les bords d'argent, la petite cassolette d'argent où il y a du parfum. »Ecuelle et cassolette, etc.
»Je laisse à madamoiselle de Senneton ceste petite noix des Indes. »Petite noix des Indes, etc.
»Je laisse à mes filles Loise et Elisabeth, à chacune deux flambeaux. »Quatre flambeaux, etc.»
»Faict à Envers ce 15 novembre 1581.
»Charlotte de Bourbon.»
 

Le 18 novembre 1581, la princesse rédigea un second testament qui, loin d'infirmer, soit celui du 12 novembre, soit les écrits des 13 et 15 du même mois, en maintint, au contraire, expressément les dispositions.

Voici le texte de ce second testament[271].

«Au nom de Dieu, le père, le fils et le Saint-Esprit, amen.

»Comme ainsy soit qu'à toute personne est ordonné de mourir, et qu'il n'y a rien plus incertain que le jour de la mort, et qu'il est expédient, pour attendre ce jour-là avec plus de repos et contentement d'esprit, de disposer, de bonne heure, et ce, pendant que Dieu en donne le moïen, de sa maison, en faisant déclaration de ce que l'on desire estre gardé et observé après la mort, et singulièrement en la conduite et gouvernement de ses enfans, et assignation des biens que Dieu donne;

»Nous, Charlotte de Bourbon, par la grâce de Dieu princesse d'Orange, estant en bon sens et quant à l'esprit, et en bonne santé et disposition de corps, grâces à Dieu, desirant, cependant que Dieu nous en donne le moïen, pourvoir à ce que nous pouvons, selon droict, disposer et ordonner, afin qu'après nostre décès noste intention puisse estre ensuivie et mise à exécution, et par mesme moïen soit ostée toute occasion de débats et dissensions, et ce, d'aultant plus que, par le contract de mariage faict avec monseigneur le prince, n'y est assez clairement pourveu, avons, à ces fins, déclaré et ordonné, déclarons et ordonnons, en toutes les meilleures manières, voyes et formes que possible nous est de faire, pour nostre dernière volunté et testament ce qui s'en suit.

»Premièrement, je rends grâces à Dieu, mon père, qui par sa grande miséricorde m'a illuminée en la cognoissance de sa saincte volonté et m'a donné asseurance de mon salut et de la vie éternelle, par les mérites infinis de Jésus-Christ, son fils, vray Dieu et vray homme, mon seul sauveur et rédempteur, advocat et médiateur, de ce que me conduisant et fortifiant par son Saint-Esprit, il m'a retirée en son église, et en icelle faict la grâce de l'invoquer en esprit et vérité avecq les autres fidèles, ouir sa parole et communiquer aux saintz Sacremens, me confirmant de plus en plus en la congnoissance et asseurance de son amour envers moy et de mon ellection à salut et vie éternelle, dont aussi protestant que mon desir et espérance certaine est de vivre et mourir en ceste foy. Sur cet appuy et fondement, je recommande mon esprit ès mains de Dieu, mon père, le priant n'avoir esgard à la multitude de mes pèchés, ains de me regarder en la face de son fils bien-aimé, Jésus-Christ, et en me les pardonnant, par les mérites de sa mort, me revestir de sa justice pour, en faveur de luy, me recognoistre son enfant bien-aimé, et me recevoir en la jouissance de la vie et gloire qu'il a préparée à tous ses esleuz en son royaulme éternel.

»Après, j'ordonne et veux que mon corps soit ensevely avecq toute modestie et honnesteté, selon qu'il plaira à monseigneur le prince en disposer, pour attendre le jour bien heureux de la résurrection, auquel je croy certainement que, par la puissance et grâce de Jésus-Christ, il ressuscitera corps glorieux, incorruptible et immortel, pour, mon esprit réuni avecq mon corps joinctement, estre eslevée audevant de Jésus-Christ et receue, pardessus tous les cieux, en la possession désirée de l'accomplissement du bien et gloire, que j'attends, en la compagnie des justes, avecq les saints anges, lorsque Dieu sera toutes choses en moy comme en ses autres enfans, par Jésus-Christ.

»Touchant les enfans que Dieu m'a donnez et autres qu'il lui plaira me donner à l'advenir, mon désir et intention est qu'ils soient nourriz et eslevez et soigneusement endoctrinez en la cognoissance et crainte de Dieu et en la foy de Jésus-Christ, nostre sauveur; et, comme c'est le principal et le plus excellent trésor que je leur sçaurois demander à Dieu, ainsy je me confie entièrement que monseigneur le prince en portera le soing convenable et y pourvoira selon le zèle que Dieu luy a donné à sa gloire, et le devoir de père envers ses enfans; de quoy aussy je le prie très humblement et de tout mon cœur.

»Et quant aux biens qu'il a pleu et plaira à Dieu me donner à l'advenir, meubles et immeubles, je veux et ordonne, qu'en premier lieu, soit prinse d'iceulx la somme de six cents florins, pour une fois, et donnée ès mains des diacres de l'église réformée en laquelle Dieu m'appélera, pour estre par eux distribuée aux pauvres membres de Jésus-Christ.

»Item que d'iceulx biens ma fille Louyse prenne par préciput dix mille francs, monnoye de France, en considération que mes aultres filles qu'il a pleu à Dieu me donner ont esté advantagées, de mon vivant, chacune de certaynes rentes quy leur ont esté données; ordonnant et nommant, en tout le reste de mesdits biens, pour mes héritiers légitimes mes cinq enfans, à sçavoir Louyse, Elisabeth, Catherine, Flandrine et Brabantine, et celuy duquel j'espère que Dieu, en brief, me délivrera; voulant que lesdits biens soient despartis entre mesdits six enfans également. Et, advenant que l'un d'eux mourust avant estre parvenu en aage pour disposer de sa part, et mesme, estant en aage, sans en avoir disposé et sans enfans, je veux et ordonne que mes autres enfans succèdent en icelle également; suppliant, au reste, monseigneur le prince que ce qui se trouvera déclaré et disposé par moy en deux codicilles et deux autres mémoires contenant disposition de mes bagues et vaisselles, signez de ma main, soit observé et exécuté, tout ainsi que si chacun point et ordonnance desdits codicilles estoit expressément inséré et couché par escript en cestuy mien testament et dernière volonté, et que pour fournissement et accomplissement du contenu és dits codicilles soit employé ce qui me sera deub des rentes qui m'ont été assignées par monseigneur mon père et monsieur mon frère; ordonnant, en outre, que monseigneur le prince jouisse de tout ce qui m'appartient ou escherra, ou à mesdits enfans, pour ayder à les entretenir honnestement; priant mondit seigneur le prince, en cas que le moïen ne fust suffisant de mon costé, vouloir pourvoir à ce qui sera besoing pour leur entretenement, et que, de ce qu'il jouira appartenant auxdits enfans, il y ait asseurance sur quelque sienne terre, et que, venant à l'aage de quinze ans, sera à chacun d'eux délivré sa part purement et librement; et advenant sa mort avant que lesdits enfans ayent atteint ledit aage, que le bien à eux appartenant soit incontinent mis à proffict, à leur advantage le plus grand et le plus asseuré que faire se pourra; suppliant très humblement monseigneur le prince ordonner, avant sa mort, gens propres et tels qu'il trouvera convenir, affin d'y pourveoir; rappelant, pour conclusion, toutes autres ordonnances et dispositions précédentes, si aulcunes se trouveront, et me réservant la liberté d'adjouster, changer ou diminuer ce que dessus, si Dieu m'en donne le moïen et vollonté.

»En tesmoignage et pour confirmation de tout ce que dessus, nous avons signé la présente de nostre propre main et cacheté du cachet de nos armoiries, ensemble prié les tesmoings soubz nommez de le soubzsigner.

»Faict à Anvers le 18e jour de novembre 1581,

Charlotte de Bourbon.
Jean Taffin.[272]
Matthias de Lobel.
Godefroy Montens.[273]
Jacob van Warhkendouck.[274]
C. de Moy.[275]»

Charlotte de Bourbon n'avait écouté que son cœur, en rédigeant les divers écrits que nous venons de faire connaître: aussi, dès qu'elle les eut signés, put-elle, en paix avec sa conscience, se reposer dans l'ineffable sentiment d'un grand devoir accompli sous le regard de Dieu.

Ignorant s'il lui serait accordé le bonheur d'avoir désormais un enfant de plus à aimer, elle se soumettait, sur ce point comme sur tous autres, à une volonté suprême, et attendait avec calme ce que déciderait, à son égard, le Dieu dont les dispensations sont toujours, pour ses fidèles serviteurs, celles d'un père miséricordieux.

La dispensation dont bientôt elle fut l'objet devint pour elle une source de douces émotions, alors qu'elle put serrer dans ses bras le nouvel enfant que Dieu lui accordait.

Le Mémoire sur les nativités des demoiselles de Nassau contient à cet égard, la mention suivante: «Samedy, le 9e jour de décembre 1581, à trois heures du matin, madite dame accoucha, en Anvers, de sa sixiesme fille, qui fut baptisée audit temple du chasteau, le 25e de febvrier ensuyvant, et nommée Amélie par madame de Mérode, au nom de madame l'électrice palatine, vefve, et par madamoyselle d'Orange, fille de son Excellence, au nom de madame la comtesse de Meurs, et par messieurs du magistrat de la ville d'Anvers, qui luy accordent une rente de deux mille florins, par an, sa vie durant.»

A quelques jours de là, Charlotte de Bourbon eut la satisfaction d'apprendre que son cousin le prince de Condé se proposait de venir, dès que les circonstances le permettraient, dans les Pays-Bas, pour s'y associer aux généreux efforts de Guillaume de Nassau en faveur des populations, au sein desquelles il s'agissait d'assurer l'ordre et la liberté. Trop faible encore, depuis la naissance de sa fille Amélie, pour pouvoir écrire à son cousin, la princesse dut laisser Guillaume adresser, seul, à Condé, les lignes suivantes[276]:

«... J'ay esté bien aise d'avoir cogneu la bonne intention qu'il vous plaist avoir de nous venir veoir, sur ce printemps, mais principalement de ce qu'il a pleu à Son Alteze[277] vous en escrire et vous en prier, espérant que par ce moyen vous aurez avec le contentement de Sa Majesté, plus de facilité à dresser ce qui sera nécessaire pour une si louable entreprise. Quant à ce qui me touche en particulier et à messieurs les estatz, je vous supplie vous asseurer qu'il ne peult venir prince en ce pays qui y soit mieulx venu, et auquel nous desirions faire plus de service; mesmement cognoissant, qu'oultre l'affection que vous avez au service de Son Alteze et la bonne volonté que vous portez au bien et repos de ce pays, aussi que le desir de maintenir la querelle que nous soutenons, pour avoir reçu en ces pays la religion, vous convie dadvantage à vouloir prendre ceste peine et nous secourir; ce qui nous rend aussy plus obligez vers vous pour vous en rendre humble service. J'eûsse bien desiré que je vous eûsse pû, avec ceste responce, envoier une seconde lettre de la part de Son Alteze; mais voïant que sa venue est encores différée pour quelque temps, d'aultant que je dépêche un courrier vers le roy de Navarre, pour le supplier de nous laisser encores quelque temps icy monsieur Duplessis (Mornay), je n'ay voulu laisser ceste occasion sans vous escrire pour vous remercier bien humblement de vostre bonne affection qu'il vous plaist me communiquer, et vous supplier me tenir en vos bonnes grâces, auxquelles je me recommande bien humblement, priant Dieu vous donner, en bonne santé, heureuse et longue vie. D'Anvers, le 24e jour de décembre 1581.

«Vous excuserez, s'il vous plaist, ma femme, si elle ne vous escript, à cause que, depuis peu de jours, elle est accouchée de sa sixiesme fille.

»Vostre bien humble serviteur et amy,
»Guillaume de Nassau.»

La princesse d'Orange, s'étudiant, plus que jamais, à entourer son père de prévenances délicates, avait tenu à ce que l'aînée de ses petites-filles fit hommage au duc de Montpensier du premier ouvrage à la main qu'elle aurait appris à confectionner. Cet ouvrage était une ceinture, dont l'envoi fut accompagné de quelques lignes de l'enfant à son grand-père.

Le duc, dont le cœur, sous la pieuse et douce influence de Charlotte, s'épanouissait enfin dans les saintes affections de famille, fut vivement ému à la réception de ce cadeau, témoignage touchant des tendres sentiments, non seulement de sa petite-fille, mais encore et surtout de la princesse, sa fille. Aussi, s'empressa-t-il d'adresser à Louise-Julienne l'affectueuse lettre que voici[278]:

«Ma petite-fille, vous n'avez pas peu faict, en si tendre aage que le vostre, d'avoir si bien commencé à apprendre le lassis, que j'ay congneu par la ceinture de belle soye violette et bordée d'une dentelle d'argent, que vous m'avez envoyée; et donnez bien par là à congnoistre que vous désirez bien apprendre quelque chose et gaigner de la sagesse, puisque vous vous en donnez déjà. Ce sera le plus grand contentement que je pourray, avec voz père et mère, jamays recevoir, comme ce m'en a esté que m'ayez desdié vostre premier ouvraige dudit lassis. Vous ne l'eûssiez sceu adresser à personne qui le tienne plus cher, ny qui vous ayme plus que moy, tant pour ce que vous estes ma petite-fille, que aussy vous portez mon nom et estes ma fillole. Volontiers j'emploieray ce vostre présent pour me servir de ceinture sur ma robbe de nuict, selon que m'avez mandé le desirer, afin que je me souvienne de vous. Je ne laissoys pas pour cela d'en avoyr mémoire; mais ce m'en est tousjours d'aultant plus d'occasion, et vous en remercye, en attendant qu'il se présente quelque commodité plus seure et certaine que ceste cy pour vous envoyer ung autre présent que j'ay affection de vous faire, en récompense de celluy-là, et pour voz estrennes. Cependant aymez-moy bien tousjours; et je prieray Dieu vous donner, ma petite-fille, accroissement en toutes perfections et vertus, avecq sa saincte grâce.

»De Champigny, ce 8e jour de janvier 1582.
»Vostre bien bon grant père,
Loys de Bourbon.»

Cinq semaines plus tard, Charlotte de Bourbon eut la joie de revoir, à Anvers, le prince Dauphin, son frère, qui venait d'Angleterre avec le duc d'Anjou.

Ce dernier, dont le projet de mariage avec la reine Élisabeth rencontrait, quant à sa réalisation, de sérieuses difficultés, avait pris le parti de répondre enfin à l'appel qui lui était adressé des Pays-Bas, pour y être proclamé duc de Brabant; et il s'était embarqué à Douvres, le 9 février, avec une suite nombreuse de seigneurs anglais, à la tête desquels figuraient Robert Dudley, comte de Leicester, l'amiral Charles Howard, divers lords et chevaliers. Au nombre de ces derniers était Philippe Sidney.

François de Bourbon, dans une lettre adressée d'Anvers, le 20 février 1582, au duc de Montpensier, son père, rendait compte, en ces termes, de l'arrivée du duc d'Anjou dans les Pays-Bas et de la réception qui venait de lui être faite[279]:

«Monseigneur, par mes dernières lettres, je vous ay averty du partement de Son Altesse, d'Angleterre, pour s'en venir en ce bas-païs, où elle est arrivée avec toute sa troupe, à fort bon port, grâce à Dieu, et sans avoir senti aucun mal ny tourment de la mer, laquelle l'on n'a veu, il y a longtemps, plus tranquille, pendant deux jours et deux nuits que nous y avons demeuré. Sadite Altesse mit pied en terre à Flessingue, il y eut samedi huit jours, où se trouvèrent, l'attendant, messieurs les princes d'Orange, d'Espinoy, et plusieurs autres seigneurs et gentilshommes du païs. Le lendemain s'en alla à Middelbourg et y feit son entrée; et, après y avoir séjourné quatre ou cinq jours, s'en est venu en ceste ville, où il entra le jour d'hier, ayant faict le serment entre les mains de messieurs des estats, et receu le leur, en ung théâtre qui estoit dressé hors la porte de ladite ville. Tous les principaux habitans d'icelle, présens avec les princes et seigneurs susdits, qui le vestirent du manteau de Duc, et puis après lui rendirent hommage de vassaux et sujets; et, cela faict, le conduisirent en ladite ville, qui estoit si pleine de triomphes et magnificences, qu'il me seroit impossible de les vous raconter particulièrement, tant pour leur singularité, que pour le grand nombre d'icelles; qui me fera vous supplier très humblement, monseigneur, de m'en vouloir excuser; et, en attendant que j'aye l'honneur de vous voir, me faire tant de grâce, que de me mander de vos nouvelles, qui ne seront jamais meilleures que je le souhaite, priant Dieu, etc., etc.»

On peut aisément se faire une idée du charme que Charlotte de Bourbon éprouva à s'entretenir avec son frère, après une longue séparation, et à lui exprimer combien elle était heureuse du changement qui s'était opéré dans les sentiments du duc de Montpensier et de l'affection qu'il lui montrait. En sœur reconnaissante, elle se plaisait à rappeler à François de Bourbon tout ce dont elle lui était redevable, sous ce rapport: et alors, que de tendres effusions, que de touchantes paroles adressées à ce frère dont les démarches et la correspondance avaient été pour elle un appui, durant les longues années d'expectative et de perplexité que, comme fille, elle avait eu à traverser.

En présentant ses six petites filles à François de Bourbon, elle ne manqua pas de lui dire quelle joie leur aînée avait éprouvée en recevant la lettre que le duc, son grand-père, avait bien voulu lui adresser, le 8 janvier. Il y eut plus; car Louise-Julienne confirma à son oncle, en un langage animé, tout ce que sa mère lui avait révélé sur ce point.

Vivement touché de l'excellent accueil qu'il recevait de sa sœur, François de Bourbon le fut également de celui que Guillaume de Nassau s'empressa de lui faire. Aussi, Charlotte de Bourbon éprouva-t-elle une douce satisfaction à constater immédiatement la cordialité des rapports désormais établis entre son frère et son mari.

Que n'avait-elle aussi auprès d'elle, à Anvers, la duchesse de Bouillon et ses trois enfants! sa satisfaction s'en fût singulièrement accrue; mais des devoirs impérieux retenaient alors au loin cette sœur à laquelle elle était, ainsi qu'à ses enfants, si tendrement attachée.

A la même époque, le comte de Leicester profita de son séjour à Anvers, quelque court qu'il fût d'ailleurs, pour entretenir avec le prince et la princesse d'Orange des relations directes, ajoutant un nouveau prix à celles qui, jusqu'alors, n'avaient été effleurées que par voie de correspondance.

En voyant les enfants de la princesse, le comte avait fait preuve d'une bienveillance particulière pour Elisabeth, filleule de la reine d'Angleterre, circonstance que bientôt Charlotte de Bourbon eut occasion de relever avec une délicatesse toute maternelle, dans sa correspondance avec Leicester.

Deux lettres, l'une du prince, l'autre de la princesse, adressées à ce haut personnage peu après qu'il les eut quittés, témoignent de la consolidation réelle de leurs relations avec lui.

Guillaume de Nassau écrivait au comte le 5 mars 1582[280].

«Monsieur, nous sommes encore en l'estat, en ce païs, que vous nous y avez laissez, et j'espère que les affaires s'y conduiront tellement, que ce sera au service et contentement de Sa Majesté et de Son Alteze; à quoy j'acheveray de m'emploïer de toute ma puissance, suyvant le commandement qu'il a pleu à Sa Majesté me faire. J'espère, Monsieur, que vous serez arrivé en bonne prospérité en Angleterre; ce que je désire qu'il vous plaise me faire cet honneur de me donner à entendre par voz lettres, comme aussy je vous suplye m'entretenir, en ce pays, en la bonne grâce de Sa Majesté. Quant à vous, Monsieur, je suis bien aise d'avoir eu cette faveur d'avoir l'accomplissement de votre connoissance, que j'avois commencé de sentir par voz lettres, et me sens tellement vostre obligé, pour l'amitié et honnesteté qu'il vous a pleu me démontrer, que je m'estimeray heureux si je puis avoir l'occasion de faire chose qui soit agréable pour votre service, et vous supplye, Monsieur, de bon cœur, de m'y vouloir employer, etc., etc.

»Vostre bien humble serviteur et amy,
»Guillaume de Nassau.»

On venait d'apprendre, à Anvers, l'heureuse arrivée de Leicester en Angleterre, après une traversée dangereuse, lorsque Charlotte de Bourbon lui adressa le 9 mars, la lettre suivante[281]:

«Monsieur, encore que je me soie depuis longtemps resentie obligée à vous faire service, pour tant de faveurs et bons offices qu'il vous a tousjours pleu me départir, si est-ce que, depuis avoir cest heur et bien de vous veoir je me suis trouvée redevable de nouvelles et très grandes obligations pour tout l'honneur et amitié que vous avez fait paraître à ma petite-fille et à moy, dont je ne perdray jamais la mémoire; et desireroys infiniment, Monsieur, que Dieu me fîst la grâce de me pouvoir emploïer en chose qui vous fûst agréable; vous suppliant très humblement de croire que ma volonté y est bien dédiée, attendant les occasions de vous le pouvoir témoigner par quelque bon service. Au reste, Monsieur, je vous asseureray que j'ay loué Dieu de ce qu'il luy a pleu, en vous préservant du danger auquel vous avez esté, vous reconduire auprès de Sa Majesté, en bonne disposition; ce qui nous a tous fort resjouis, pour la crainte en laquelle nous avons esté jusques à ce qu'en aïons receu assurées nouvelles, lesquelles ne peuvent estre meilleures que je le désire; me recommandant sur ce, bien humblement, à vostre bonne grâce, et priant Dieu vous donner, Monsieur, en bien bonne santé, heureuse et longue vie. D'Anvers, ce 9 de mars 1582.

»Monsieur, je vous supplie de me permettre de faire mes très affectionnées recommandations à monsieur de Sidney vostre cousin[282].

»Vostre humble et plus affectionnée à vous faire service,
»Charlotte de Bourbon.»

La princesse d'Orange, entourée alors, à Anvers, de son mari, de ses enfants, de son frère, et d'amis français, tels que M. et Mme de Mornay, et que le jeune comte de Laval[283], mettait son bonheur à leur faire sentir toute l'étendue de son affection pour eux, et à jouir de celle dont ils lui donnaient des preuves journalières. Après les perplexités qui, tant de fois, avaient agité son esprit et son cœur, elle commençait à goûter un calme auquel elle aspirait depuis longtemps, et dont le maintien pouvait contribuer au rétablissement de sa santé fortement altérée, lorsque, tout à coup, un épouvantable attentat vint déchirer son âme, en la frappant dans ses affections les plus chères, anéantir le peu de forces physiques qui lui restaient et mettre prématurément un terme à sa noble existence.

La marche de faits profondément douloureux va se précipiter ici avec une extrême rapidité.

CHAPITRE XI

Attentat commis par Jauréguy sur la personne de Guillaume de Nassau.—Paroles de Guillaume.—Soins que lui donne Charlotte de Bourbon.—Émotion générale causée par l'attentat.—Lettres des états généraux aux provinces et aux villes de l'Union.—Générosité de Guillaume à l'égard de deux des complices de Jauréguy.—Prières pour demander à Dieu la guérison de Guillaume.—Lettre de Guillaume aux magistrats des villes de l'Union.—Amélioration de son état suivie d'une rechute.—Désolation de la princesse.—Propos outrageants tenus sur elle et sur le prince par Farnèse et par Granvelle.—Guillaume est hors de danger.—Lettre de la princesse au comte Jean.—Service d'actions de grâces.—Dernière maladie de la princesse.—Sa mort.—Ses obsèques.—Deuil général.—Lettres de Guillaume à Condé et du duc de Montpensier à Louise-Julienne de Nassau.—Conclusion.

Le dimanche 18 mars 1582, Guillaume de Nassau, après avoir, le matin, assisté au prêche, vient, dans la citadelle où il a établi sa demeure, de retenir à dîner les comtes de Laval et de Hohenlohe, Henri Gouffier de Bonnivet, Roch de Sorbier, sieur des Pruneaux, et quelques autres gentilshommes. A sa table doivent aussi s'asseoir ses enfants et deux de ses neveux, fils du comte Jean.

Le prince, ayant l'habitude de dîner, le dimanche, en public, les hallebardiers de service dans la salle à manger remarquent, parmi les spectateurs qui s'y sont introduits et dont la contenance est parfaitement convenable, un jeune homme de mauvaise mine qui s'approche indiscrètement de la table: ils le repoussent dans la direction d'une porte auprès de laquelle il se fixe. Au moment où, à l'issue du dîner, le prince, suivi de ses convives, se dirige vers sa chambre et s'arrête devant une tapisserie qu'il fait considérer au comte de Laval, le jeune homme dont il s'agit obtient d'un hallebardier qu'il le laisse, sous le prétexte d'une requête à présenter au prince, s'approcher de celui-ci; et aussitôt il décharge, à bout portant, sur Guillaume un pistolet[284], dont la balle l'atteint au-dessus de l'oreille droite et franchit le palais, près de la mâchoire supérieure, sans léser la langue ni les dents. Étourdi d'abord du coup, le prince revient promptement à lui, se sent blessé, s'aperçoit que le feu est à ses cheveux, et, au milieu du tumulte causé par l'attentat commis sur sa personne, s'écrie qu'on doit s'abstenir de tuer l'assassin; qu'il lui pardonne; mais déjà le misérable a succombé sous les coups d'épées et de hallebardes que les assistants lui ont portés[285].

Guillaume, se croyant frappé à mort, dit aux seigneurs français, qui l'entourent: «Ah! que Son Altesse perd un fidèle serviteur.» Puis, s'adressant au bourgmestre van Aelst, il ajoute: «S'il plaît à Dieu, mon Seigneur, de m'appeler à lui, dans cette conjoncture, je me soumets à sa volonté avec patience, et je vous recommande ma femme et mes enfants.»

Sa femme....! à quelles poignantes angoisses n'est-elle pas, alors, en proie! vainement s'efforce-t-elle de les surmonter: elle succombe sous leur poids, s'affaisse, et ne se relève d'un évanouissement, que pour retomber dans un autre[286].

Ses enfants....! éperdus, atterrés, fondent en larmes et jettent des cris de détresse.

L'un deux cependant, Maurice de Nassau, avec une présence d'esprit au-dessus de son âge, fait immédiatement explorer, sous ses yeux, le cadavre et les vêtements de l'assassin. On trouve sur lui un poignard, des heures, un catéchisme de jésuite, des tablettes, un paquet de lettres, des agnus Dei, une médaille à l'effigie du Christ, une image de la Vierge, un petit cierge de couleur verte, deux pièces de peau. Toutes les lettres et les tablettes sont en langue espagnole. Ces dernières contiennent des transcriptions de prières et de vœux adressés à Jésus-Christ, à la Vierge, à l'ange Gabriel, afin qu'ils favorisent l'entreprise de l'assassin[287].

De l'exploration de ces divers objets ressort la preuve que le coupable et les instigateurs de son crime sont espagnols.

Marnix de Sainte-Aldegonde se hâte d'informer de cette circonstance capitale les magistrats d'Anvers, ainsi que le duc d'Anjou, et l'agitation qui régnait dans la ville commence à se calmer. On ne tarde pas à connaître le nom de l'assassin (Juan Jauréguy), et l'on réussit à arrêter deux de ses complices, Venero et Timmermann.

Cependant la princesse, dont l'énergie morale est toujours à la hauteur d'un devoir sacré à remplir, parvient à maîtriser, dans une certaine mesure, ses douloureuses émotions; et, dès qu'elle a recouvré assez de force physique pour se tenir au chevet du lit de son mari, elle s'y établit et lui prodigue les plus tendres soins, le soutient de ses ferventes prières.

Deux femmes d'élite l'assistent, en amies dévouées, dans l'accomplissement de sa sainte tâche: l'une est la comtesse de Schwartzenburg, sœur du prince[288], l'autre, Mme Ph. de Mornay.

Écoutons de Mornay nous retraçant une scène solennelle qui se passa, en présence de sa femme et de la princesse, peu après l'attentat commis par Jauréguy:

«Il est digne de mémoire, dit-il[289], que monsieur le prince se croyant mort il fut consolé par le sieur de Villiers, Pierre Loiseleur, son ministre; et, comme n'espérant plus rien de sa vie, se dispensa de la défense que les médecins lui avaient faite de parler. S'enquérant donc quel compte il pourroit rendre à Dieu de tant d'excès commis en la guerre, de tant de sang répandu, il (de Villiers) lui disoit qu'il avoit fait la guerre sous l'empereur Charles, et, qu'étant commandé par son prince légitime, il n'en étoit pas tenu. Pour les guerres civiles aussi, démenées pour une juste querelle, soit de la religion, soit de la patrie, y ayant apporté une bonne conscience, que tout cela étoit couvert de la justice de la cause. Lors le prince: A la miséricorde, monsieur de Villiers, mon ami! à la miséricorde, à la miséricorde!! c'est là mon recours, et n'y en a point d'autre!—Ma femme y étoit présente avec madame la princesse d'Orange, en cette extrémité.»

De Mornay dit encore[290]: «Pendant l'incertitude de cette blessure, n'est point croiable en quel soin en étoit tout ce peuple. Cette grande place entre la ville et la citadelle, dès le point du jour, étoit pleine de personnes de tout sexe, âge et condition, qui se venoient enquérir de son état; vraye récompense de ce qu'il avoit travaillé pour ce peuple.»

Les états généraux, qui, le jour même de l'attentat, s'étaient empressés d'en informer par écrit les magistrats de Bruges, leur adressèrent, dès le lendemain, 19 mars, les informations suivantes[291]:

«Nobles seigneurs, nous ne doutons nullement que vous ne soyez desireux de connaître comment les choses se sont passées ici, depuis la nouvelle que vous avez reçue hier de la tentative d'assassinat sur la personne de Son Excellence. En conséquence, nous n'avons pas voulu nous dispenser de vous mander par la présente que quelques complices de l'assassin ont été arrêtés ici hier, et que la situation de Son Excellence n'est jusqu'à présent, Dieu en soit loué, pas empirée. D'après l'opinion et le jugement des médecins et des chirurgiens, la blessure n'est pas mortelle, à moins, ce qu'à Dieu ne plaise, qu'une fièvre ou une autre maladie ne vienne s'y joindre. L'assassin ayant été tué sur la place, on transporta immédiatement son cadavre sur un échafaud, devant l'hôtel de ville, où on le reconnut comme étant celui de Jean Jauréguy, sous-caissier du sieur Gaspard Anastro, marchand espagnol, parti d'ici, selon la rumeur publique, mercredi dernier, pour Calais. Aussitôt on arrêta, à son domicile, tous les domestiques qui s'y trouvèrent, et entr'autres un prêtre qui a avoué avoir entendu, hier avant midi, la confession du meurtrier et lui avoir administré la communion, après qu'il l'eut absous du crime qu'il se proposoit de commettre. De plus, il a encore avoué que, pendant la semaine passée, il a dit, tous les jours, la messe et des prières pour la réussite du projet. Et afin de donner à l'assassin plus de force pour accomplir son crime, ce prêtre lui avait attaché au cou un agnus Dei et un petit cierge béni, sous lequel était lié un billet renfermant divers caractères inconnus; tous ces objets ont été trouvés sur le meurtrier. On a encore accusé de complicité, ou du moins comme paraissant ne pas avoir ignoré le complot, un autre caissier appartenant à la même maison, ainsi qu'un sieur Adrien de la Maça et son domestique. Ils sont tous arrêtés et on les interroge sévèrement, il est à espérer qu'on découvrira encore d'autres coupables. Conformément aux ordres de Son Alteze, quelques-uns d'entre nous ont été désignés pour assister, conjointement avec le magistrat de cette ville, à l'interrogatoire des prisonniers. Nous ne manquerons pas de vous informer de ce qui sera fait plus tard, et de ce que nous devons penser de cette conspiration.»

L'instruction de l'affaire fut rapidement conduite: Venero et Timmermann furent condamnés à mort, le 27 mars, et exécutés le lendemain.

Avant leur exécution, Guillaume de Nassau, toujours généreux à l'égard de ses ennemis, avait écrit à Marnix de Sainte-Aldegonde[292]: «J'ay entendu que l'on doit demain faire justice des deux prisonniers estant complices de celui qui m'a tiré le coup. De ma part, je leur pardonne très volontiers de ce qu'ils me peuvent avoir offensé; et s'ils ont peut-estre mérité un chastoy grand et rigoureux, je vous prie vouloir tenir la main, devers messieurs les magistrats, qu'ils ne les veullent faire souffrir grand tourment, et se contenter, s'ils l'ont mérité, d'une courte mort.»

Charlotte de Bourbon se releva un peu de son abattement, en recevant des médecins et chirurgiens l'assurance que la blessure du prince quoique grave, ne leur inspirait cependant pas de sérieuses inquiétudes: «Il avoit la veue et la parole bonnes, l'entendement et le jugement bien certains; et luy estant défendu de parler beaucoup, il escrivoit ferme et bien courant[293]

Des prières extraordinaires, pour demander à Dieu la guérison du prince, avaient été dites dans toutes les églises d'Anvers, en présence d'une foule émue, à laquelle s'étaient joints les membres des états généraux.

«Icy, écrivait un contemporain[294], parut l'affection du peuple d'Anvers envers ce débonnaire prince. Après ce détestable coup, toute la ville print le sac et la cendre, humiliée devant Dieu en jeunes, en prières, en oraisons. Les églises françoises et flamandes retentirent en pleurs et gémissemens, pour sa guérison. Des larmes de contrition et de repentance y furent répandues abondamment, et cette action fut célébrée avec tel zèle et dévotion, l'affluence et l'attention y furent si grandes, que, dès le matin jusqu'au soir, on demeura dans les églises.»

Quoi de plus beau, de plus grand dans la vie d'un peuple, que cet élan de tant d'âmes vers Dieu, en des circonstances empreintes d'une telle gravité! Aussi, quels sentiments de gratitude ce magnifique élan n'inspira-t-il pas au noble cœur de Charlotte de Bourbon!

Ces sentiments furent partagés par le prince, son mari.

Vivement touché de l'ardente sympathie dont il était l'objet, il adressa, le 23 mars, aux magistrats des villes et de l'Union, des lettres, dont on rencontre un spécimen dans celle que reçurent de lui, vers cette époque, les représentants de la ville d'Ypres; elle portait[295]:

«Nobles, honorables, savants, discrets et bons amis, nous ne doutons nullement que vous n'ayez été informez du malheur qui nous est arrivé, dimanche dernier, et nous sommes convaincus que vous en avez été vivement peinés. Mais, puisque telle a été la volonté de Dieu, il est juste que nous supportions avec reconnaissance ce qu'il a bien voulu nous envoyer; et, quoique la main du seigneur nous ait atteint, nous espérons cependant qu'il nous sauvera. Sa colère contre nos ennemis s'étant encore accrue pour un crime aussi abominable, peut-être daignera-t-il manifester d'une manière éclatante sa miséricorde pour son peuple. Quant à nous, à en juger d'après l'état que présente la blessure, et d'après l'avis que les médecins et chirurgiens peuvent émettre dans cette circonstance, nous avons grand espoir de guérir et de revenir à la santé, sans qu'il y ait beaucoup d'apparence de blessure. Ainsi, avec l'aide de Dieu, nous espérons pouvoir, de nouveau et dans peu de temps, prêter à Son Altesse notre appui et nos services, pour le bien-être et la conservation de ces pays. Nous sommes heureux que Dieu ait accordé aux pays d'en ça un prince aussi brave et aussi vertueux que l'est Son Altesse. Si, par la volonté de Dieu (car nous sommes soumis à tous les accidents et à tous les maux qui affligent l'humanité), nous devions quitter ce monde, nous vous prions de conserver toujours à Son Altesse vostre respect et vostre obéissance, de ne pas perdre courage, et surtout de vous tenir en garde contre les menées des ennemis, qui ne manqueront certainement pas de mettre tout en œuvre pour accomplir sur vous leurs perfides desseins. A cette fin, nous vous avons conseillé maintes fois de prendre de bonnes mesures pour leur résister, en donnant vos avis aux villes vos voisines et en les exhortant à la persévérance.

»Nobles, honorables, savants, discrets et bons amis, nous vous recommandons à Dieu. D'Anvers, le 23e jour de mars 1582.

»Comme nous avons d'abord signé les présentes, le 23 de ce mois, nous ne voulons pas manquer de vous informer également, qu'avec l'aide de Dieu, nous éprouvons, de jour en jour, de l'amélioration.»

Cette amélioration se soutint jusqu'au 31 mars, jour auquel se déclara une hémorragie que, pendant quelque temps, on ne put réussir à arrêter.

A la vue de cette sinistre hémorragie, Charlotte de Bourbon éprouva l'une de ces commotions violentes qui compromettent, au plus haut degré, les derniers ressorts d'un organisme graduellement affaibli par la souffrance. Frappée au cœur, elle suppliait Dieu de la soutenir, au milieu de ses indicibles angoisses, dans l'accomplissement de son ministère de compagne dévouée et de consolatrice, alors surtout qu'elle entendait Guillaume, qui ne se faisait aucune illusion sur la gravité de sa rechute, parler de sa mort comme prochaine.

Dans son abnégation illimitée, la princesse était prête à tout sacrifier, même sa vie, pour que les jours de son mari fussent épargnés.

Ils le furent, en effet, alors, d'une manière inopinée.

De Thou prétend[296] que tous les remèdes ordinaires ayant été inutilement employés, Léonard Botal, de la ville d'Asti, médecin du duc de Brabant, conseilla de boucher la plaie avec le pouce, et de faire succéder continuellement diverses personnes, les unes aux autres, pour la fermer, de cette manière; qu'on eut recours au procédé qu'il indiquait, et, qu'au bout de quelques jours la plaie se ferma.

Mais Duplessis-Mornay, qui ne quittait pas le prince, et était dès lors en position d'apprécier la nature et l'efficacité des soins qui lui étaient donnés, fournit sur le point dont il s'agit un renseignement à la précision duquel il y a lieu de s'attacher exclusivement[297].

«La vérité est, dit-il, que le coup de pistolet tiré de si près, avait cautérisé le rameau de la veine jugulaire, en le perçant, et par conséquent étanché le sang, jusques à ce que l'escarre tomba! Mais ce ne fut pas l'invention de Botal qui la fit fermer; car, quelque bien qu'on y tînt les pouces, le sang tombait par le dedans, tellement qu'en un matin, je lui en vis rejeter par la bouche plus de cinq livres; mais les chirurgiens, par mégarde, ayant poussé une tente en la playe, oincte de quelques onguens, plus avant qu'ils ne vouloient, et ayant en vain tâché de la retirer, au bout de quelques jours, nature avec un peu d'ayde la repoussa, et y fut trouvé un pus blanc au bout, qui donna argument que la veine était fermée; ce qui se trouva vray.»

Alors que ce résultat favorable n'était pas encore obtenu, les quatre membres du pays et comté de Flandre donnèrent charge au grand bailli de Gand et à un magistrat d'Ypres de se rendre auprès du prince d'Orange. L'instruction dont ils étaient munis portait[298], entre autres choses: «Lesdits sieurs visiteront, de la part des quatre membres, Son Excellence. Ils représenteront devant luy, sy sa disposition le peult aucunement permettre, et lui feront entendre le grand regret qu'ils ont d'apprendre sa rechûte, et lui tiendront les propos qu'ils trouveront convenir pour le consoler, avec présentation de tout service et témoignage d'affection. Et s'ils ne peuvent avoir accès à Son Excellence, représenteront tout le mesme à madame la princesse, en tels termes qu'ils sçauront appartenir.»

A peine est-il nécessaire d'ajouter que la vive sollicitude des populations inspira, depuis l'attentat du 18 mars, maintes démarches analogues à celle que les délégués des quatre membres de Flandre furent ainsi chargés d'accomplir; démarches éminemment significatives, qui touchèrent extrêmement le prince et la princesse.

L'un et l'autre, à cette époque, étaient l'objet d'outrages révoltants, que déversaient sur eux certains coryphées du parti espagnol.

Alexandre Farnèse, croyant Guillaume tué par Jauréguy, osait écrire à Philippe II, le 24 mars[299]: «Le cœur me crevoit de voir que tant de méchancetés et d'insolence contre le service de Dieu, de la religion et de Votre Majesté tardassent si longtemps à recevoir le salaire convenable, et qu'il ne se trouvât personne pour le donner; mais enfin nous devons remercier Dieu qui a permis que la chose s'effectuât, quand le moment a paru en être venu, en ôtant du monde un homme si pernicieux et méchant, et en délivrant ces pauvres pays d'une peste et d'un poison tel que lui.»

Insulteur non moins indécent et lâche envers la princesse d'Orange que son émule en fait de haine et de bassesse, le cardinal de Lorraine l'avait été naguère envers la pieuse et héroïque princesse de Condé[300], le cardinal Granvelle, instigateur, à la cour de Philippe II, de l'assassinat de Guillaume de Nassau, se déshonorait en écrivant à tel ou tel de ses affidés: «On a envoyé le prince en l'autre monde, que y fût esté mieulx il y a vingt ans..... Il a enduré une poyne extrême, et vous pouvez penser quel étoit alors son beau visaige, pour donner contentement à sa nonnain apostate[301].»—«Il fust esté bon pour les affaires, que le prince d'Orange fust mort soubdainement, car je m'asseure qu'il aura procuré, devant que de sortir du monde, d'accommoder ses bâtards et sa nonnain, mère d'iceulx[303]...—On assure fort que sa nonnain apostate soit morte de pleurésie: il seroit bien les avoir enterrés ensemble tous deux[302]

Mais laissons-là ces infamies, qui pèsent, de tout leur poids sur la mémoire de leurs auteurs; et attachons-nous à ces belles paroles du psalmiste[304]: «Ils maudiront, mais tu béniras, Seigneur!!»

Quatorze jours s'étaient écoulés depuis la cessation de la redoutable hémorragie, lorsque Charlotte de Bourbon rendit compte de l'état de son mari à Jean de Nassau, dans une lettre qui, très probablement est la dernière de celles qu'elle ait écrites, et à laquelle dès lors s'attache un intérêt particulier. Elle lui disait[305]:

«Monsieur mon frère, s'en retournant vostre secrétaire vous trouver, je n'ay voullu faillir de vous escrire, pour me ramentevoir en vos bonnes grâces, et vous assurer que je n'ay laissé d'avoir tousjours fort bonne souvenance de vous et de madame la comtesse, ma sœur, encore que de longtemps je ne vous en aye rendu tesmoignage par mes lettres; aïant esté taut moins soigneuse d'en faire mon debvoir, pour ce que je me suis tousjours promis qu'il vous plaist n'en faire point de doubte, et aussi d'autant que mademoiselle d'Orange, ma fille, vous advertit souvent de nos nouvelles, lesquelles hélas! ont esté, quelque temps, extrêmement mauvaises, par la blessure de monsieur le prince, vostre frère, dont, par diverses fois, nous sommes passez tels changemens et dangers, à cause d'une veine blessée, que, selon le jugement humain, il estoit tenu plus près de la mort que de la vie. Mais Dieu, par sa grâce, y a miraculeusement mis la main, lorsque nous estions au bout de nostre espérance, aïant cessé le sang depuis quatorze jours en çà; et dès lors la playe s'est tousjours portée de mieux en mieux; mesme, devant-hier, au matin, est sortie une tente qui y avoit été cachée depuis ledit jour qu'il saignoit pour la dernière fois; et se guérit, à ceste heure, la playe si naturellement, que nous ne doutons point de sa convalescence, moiennant la grâce de Dieu, laquelle je luy supplie de tout mon cœur nous vouloir continuer; ainsi que jusques icy il nous en a fait sentir les effets, et qu'il vous donne, monsieur mon frère, en bien bonne santé, heureuse et longue vie; me recommandant, sur ce, bien humblement en vostre bonne grâce. D'Anvers, ce 18 d'apvril 1582.

»Vostre bien humble et obéissante sœur, à vous faire service.

»Charlotte de Bourbon.»

La grâce de Dieu, en réponse aux ferventes supplications de la princesse, continuait si manifestement à faire sentir ses effets, que Guillaume écrivit, le 25 avril, à Condé[306]: «Je vous remercie humblement de ce qu'il vous a pleu avoir soing de moy, durant ma blessure, et comme je suis assuré que vous louerez Dieu avec moy de la guérison que, j'espère, il m'envoyera bientost; mais je vous en ay bien voulu escrire ce mot par les présentes: c'est que, comme tous les médecins et chirurgiens m'assurent, et comme je le sens aussy en moy mesme, Dieu m'a mis non seulement hors de ce danger, mais moyennant son ayde et l'apparence d'une briefve guérison, laquelle j'essayeray d'employer pour vous en rendre service, en ce qu'il vous plaira me commander.»

A peu de jours de là, la guérison étant complète, les états généraux, en corps, allèrent offrir au prince leurs félicitations.

Par ordre du duc d'Anjou, eurent lieu, dans les églises de toutes les villes des services d'actions de grâces.

Guillaume assista à celui qui fut célébré à Anvers, le 2 mai, «au milieu d'une telle affluence de personnes venues pour le voir, et dont plusieurs pleuroient de joie, qu'à peine, à un certain moment, pouvait-on pénétrer dans l'église, ou en sortir[307]».

Si la reconnaissance du prince envers Dieu était profonde; quelle n'était pas, en même temps, celle de sa pieuse et fidèle compagne! Elle voyait comblé le plus cher de ses vœux, par le rétablissement de son mari; et, heureuse d'avoir pu accomplir, dans sa plénitude, vis-à-vis de lui, une tâche sacrée, elle acceptait avec une entière soumission l'austère dispensation sous laquelle désormais elle devait s'incliner. Les angoisses, les veilles, les fatigues de tout genre avaient, depuis le 18 mars, épuisé ses forces physiques, et un mal irrémédiable devait, en peu de jours, tarir chez elle les sources de la vie: elle allait mourir, et le savait.

Elle envisagea en chrétienne la mort qui, sur cette terre, allait la séparer de tous ceux qu'elle chérissait; et ce fut, en priant pour eux, en les bénissant, que, confiante en un revoir éternel, elle exhala son dernier soupir.

Quel moment solennel pour tous ceux qui l'entouraient, que celui où elle remit, en paix, son âme entre les mains de Dieu! Que de larmes, mais aussi quelle puissance de relèvement et d'espérance dans ces admirables paroles: «Toute mort des biens-aimés de l'Éternel est précieuse devant ses yeux[308].»—«Bienheureux sont dès à présent ceux qui meurent au Seigneur, car ils se reposent de leurs travaux et leurs œuvres les suivent[309]

L'histoire ne fournit aucuns détails sur la durée de la maladie à laquelle la princesse succomba, ni sur ses derniers entretiens, soit avec son mari, soit avec ses enfants, soit avec Mme de Mornay, qui l'assista, à l'heure suprême[310] ni sur les recommandations qu'elle put faire entendre, dans l'intérêt de ceux qu'elle aimait. L'intuition de quiconque peut aujourd'hui se faire une juste idée du caractère et des généreux sentiments de cette femme éminente suppléera aisément ici au silence de l'histoire.

Ce fut le 5 mai 1582, vers quatre heures du matin, que Dieu rappela à lui sa fidèle servante[311].

Les obsèques de la princesse furent célébrées à Anvers avec une solennité exceptionnelle[312].

«Si la douleur causée par sa mort pouvoit être capable de recevoir quelque allégement, ce fut qu'on la voyoit comme partagée par un grand nombre, et que chacun y prenoit part. Non seulement tout Anvers étoit tendu de deuil, mais aussi les yeux et la face de tous les habitans de cette superbe ville y rendoient des preuves sincères d'une véritable douleur. Ce qu'on peut contribuer d'honneur et de pompe pour un appareil funèbre y fut contribué; et le corps où une si belle âme avoit habité fut conduit par tous les ordres du pays, en une foule indicible, en ce superbe vaisseau que le vulgaire appelle la grande église, et fut mis, avec les regrets d'un grand peuple, en la chapelle de la Circoncision[313]

La mort de Charlotte de Bourbon plongea dans le deuil tous ceux qui, au sein des Pays-Bas, de même qu'en France et ailleurs, l'aimaient et l'honoraient.

La douleur de Guillaume fut profonde; car, que n'avait pas été constamment, pour lui, son incomparable compagne?

«Monsieur, écrivit-il au prince de Condé[314], encore que j'aie senti de plus près la perte que j'ai faite de ma femme, pour plusieurs raisons, si est-ce que je ne laisse de cognoistre que plusieurs gens de bien y ont perdu avecq moy, par la grande amytié et affection qu'elle a portée à tous ceux qui ont aimé Dieu. Et quant à vous, monsieur, je vous puis assurer que vous y avez perdu une bonne parente et amie, qui vous honoroit et aimoit autant que prince de la chrestienté. J'espère que vous ne lairrez, pour cette affliction qu'il a plû à Dieu m'envoyer, de continuer, en mon endroict et de mes petits enfans, la mesme bonne volonté qu'il vous a pleu nous porter par cy-devant.»

Ces petits enfants, en perdant une mère telle que la leur, étaient bien à plaindre: leur aïeul maternel le sentit, pour sa part, et la lettre suivante ne prouve pas seulement la sympathie qu'il éprouvait pour eux; elle constitue surtout un hommage rendu aux sentiments élevés de la fille qui, si longtemps méconnue par lui, avait enfin gagné son cœur.

Trois mois avant de descendre, à son tour, au tombeau[315], le duc de Montpensier écrivit à sa filleule, Louise-Julienne de Nassau[316]:

«Ma petite-fille, je plains beaucoup vous et vos petites sœurs, pour la perte que vous avez faicte en feu ma fille, vostre bonne mère, que j'eusse bien désiré qu'il eut pleu à Dieu vous conserver plus longuement, pour achever de vous rendre bien saiges et bonnes filles, comme j'ay entendu elle avoit bien commencé, en vous principalement, qui pouvez croire que, si vous suivez les vertus et bonnes mœurs dont elle estoit douée, obéissant bien à vostre père, je ne vous oublieray jamais, ny voz sœurs pareillement, et supplie Nostre Seigneur, ma petite-fille, de vous en faire à toutes la grâce et de vous conserver en la sienne.

»De Champigny, ce 16e jour de juing 1582.
»Vostre bien bon grand-père,
»Loys de Bourbon[317]»

Arrêtons-nous à ces touchants hommages, rendus par un mari et par un père à la jeune princesse dont nous avons tenté de retracer la vie.

Il y a eu pour nous, dans notre tentative, moins un devoir à remplir, qu'un respectueux besoin de cœur à satisfaire, en saluant ainsi, à trois siècles de distance, la pure et radieuse image de celle qui, tout en s'identifiant avec une seconde patrie, n'oublia jamais sa patrie d'origine, cette France, au sein de laquelle s'était écoulée la majeure partie de son existence, et qui doit s'honorer de la compter au nombre de ses enfants.

Qu'il nous soit permis, en terminant, d'exprimer ici une conviction qui déborde, en quelque sorte du cadre étroit de cette simple esquisse biographique.

S'il est bon, sans doute, de chercher parfois à planer sur les hautes cimes de l'histoire et d'étendre de là ses regards jusqu'à de lointains horizons, il est surtout bon de se limiter à la contemplation d'horizons prochains, plus fructueusement accessibles. En d'autres termes, il est au point de vue moral et intellectuel, pratiquement salutaire de s'attacher, dans la vaste généralité des milieux historiques, à l'étude intime des grandes individualités, et d'entretenir avec elles un commerce dont la familiarité sympathique ne fait qu'accroître le respect et l'admiration qu'elles commandent.

Cette vérité, toute d'expérience, s'applique, nous sommes heureux de le constater, aussi bien à telles individualités contemporaines, qu'à telles autres des siècles passés; car ceux-ci n'ont pas, eux seuls, l'apanage des natures d'élite.

Or, de cette importante vérité, tirons une conclusion bienfaisante:

Aimons, honorons, dans le présent, ainsi que dans le passé, la grandeur morale, partout où il nous est donné d'en saisir l'aspect; et sachons, nous hommes surtout, proclamer avec gratitude, comme fils, comme frères, comme maris, comme pères, que jamais, soit au sein de la société, soit, bien plus encore, au foyer domestique, nous n'avons rencontré cette sainte grandeur plus féconde et plus touchante, que dans un cœur de femme, vivifié par la foi chrétienne, s'épanouissant dans l'inaltérable sphère du dévouement et de la bonté; puis, demeurons inébranlables dans la consolante conviction que ce noble cœur, lorsqu'il a cessé de battre, sur cette terre, laisse après lui, en s'élevant à la vie supérieure de l'Éternité, une trace lumineuse qui nous montre le chemin du ciel!!

APPENDICE

I

«L'esprit de Mme Jaquette de Longwy, duchesse de Montpensier, à la Royne, mère du roy.»
(Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 22.560, fos 94 à 97.)

«.... Que Vostre Majesté du service s'enqueste
Et de l'honneur de Dieu qui n'est point adoré,
Où le peuple ignorant adresse sa requeste.
Vous trouverez, madame, en faisant bonne enqueste,
Qu'il a monstré en quoy il veut estre honoré,
En quoy il est seroy, en quoy deshonoré,
Comment la vie et gloire immortelle s'acqueste.
S'il a sa volonté laissée par escrit,
Le temps ne sçauroit rien contre elle avoir prescrit
Qu'en son premier estat et force il ne remette.
A jamais durera l'éternelle bonté;
L'usaige n'obtiendra contre sa volonté,
Et de le soustenir qui vouldra s'entremette.
..........................................
Gardez-vous de penser comme Hérode, le sire
Et roy du peuple juif, que, le règne advenant
De Jésus-Christ, tous roys et règnes maintenant
Viennent de vostre filz la puissance destruire.
Ceste erreur feit jadis les innocens occire
A Hérode, et pourrait vous nuyre maintenant,
Si vous n'allez tousjours ce propos retenant
Que Dieu fait et maintient tout règne et tout empire.
C'est le roy souverain de tout le genre humain
Qui a mis la couronne et le sceptre en la main
De Charles, vostre filz qui domine la France.
Si Dieu veut que son peuple entende à le servir,
Qui diroit qu'il voulust le sceptre au roy ravir
Blasphémeroit le nom du Seigneur à outrance.
Asseurez-vous que Dieu, qui l'autorité donne,
Pays, peuples, subjects et dominations,
Princes, roys, empereurs, sur toutes nations,
N'a garde de ravir la puissance à personne;
Et qui de tel meffait Sa Magesté soupçonne,
Juge de l'Éternel selon ses passions,
De qui les voyes sont grâces, compassions,
Bénignité, pitié, mercy, volonté bonne,
Voire à ceux qui ont cœur de se renger soubz luy
Et qui ne cerchent force au bras qu'en son appuy
Qui doit contre l'effort de tous hommes suffire,
Car, quelque grands qu'ils soyent et de ses biens saoullez,
Comme gresse seront tout soudain escoulez.
Si Sa Magesté vient les reprendre en son ire.
.............................................
La faveur qu'autrefoys j'ay en vous rencontrée,
Et l'amour grand duquel il vous pleust de m'aymer,
Dont chacun me souloit heureuse renommer
Faisoit parler de moy en plus d'une contrée;
Mais ces records au ciel vous donneront entrée
S'il vous plaist si avant au cœur les imprimer,
Qu'en vos faits la vertu vous puissiez exprimer,
Qui aux enfans de Dieu de tout temps s'est montrée.

II

Lettre du duc de Montpensier à l'électeur palatin, 28 mars 1572.
(Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3,193, fos 65, 66.)

«Monsieur mon cousin, tout ainsy que la vertu des saiges enfans est matière de grande consolation aux pères et mères, aussi puis-je porter bon tesmoignage que leur désobéissance tient le lieu du plus extrême desplaisir qui sçauroit assaillir leur vieillesse. Je le dictz pour ce que, m'estant proposé beaucoup de contentement de leur saincte et chrestienne nourriture, de celle qui s'est retirée en vostre maison, il faut, à mon grand regret, que j'en ressente à présent tout le crève-cœur qui se pourroit dire; car, l'ayant aimée, secourue et assistée en toutes ses affaires, autant qu'il estoit du debvoir d'un très bon et très affectionné père[318], elle s'est néanmoins tant eslongnée du sien, que, sans avoir esgard à sa qualité et profession et à ceux à qui elle avoit l'honneur d'appartenir, elle s'est absentée de ce royaume pour chercher ung lieu où elle se peust faussement douloir de ce dont elle ne s'est jamais plaincte pendant qu'elle a esté pardeçà[319]. Aussi, monsieur mon cousin, ne suis-je pas si cruel envers mon propre sang, quand elle m'eust fait entendre, ou par elle-mesme, ou par aultruy, le peu d'envye qu'elle avoit de continuer ses jours dans un monastère[320], que je ne n'eusse moy-mesme cherché moïens honestes pour l'en retirer, et avec le moins de scandale qu'il eust esté possible, la mettre en ung estat plus conforme à ses affections.

»Mais qui eust jugé, après avoir demeuré en son abbaye, portant qualité et tiltre d'abbesse, par l'espace de treize ou quatorze ans, donné l'habit et fait faire profession à plusieurs ses religieuses, et, en ma présence et hors d'icelle, satisfait ordinairement à tous les aultres actes et exercices de piété convenables à ceste charge, qu'elle en eust desdaigné l'estat?

»Aussi, suis-je certain que le désir d'avancer l'honneur de Dieu, ainsi que m'escrivez par vos lettres du 17e jour de ce présent moys, ne l'a point tant sollicitée en ce faict, comme la menée d'aucuns, avec une liberté qui ne sent aultre chose de sainteté que le monde et la chair[321]; ce qu'elle a fait aisément paroistre, ne s'estant accompaignée, en ce voyage, que de deux ou trois coquins, vicieux et mauvais garnemens, congneuz par ceulx avec lesquelz ilz ont eu habitude d'aussi scandaleuse vie qu'il s'en feust peu choisir[322]; ce que néanmoins je ne trouve pas par trop estrange, parce qu'il estoit bien raisonnable d'exécuter la conduite d'une telle et si malheureuse entreprise par personnaiges de sac et de corde comme ceux-là, et ce qui ne valoit rien de soy feust manyé par le conseil et industrie de gens de cette qualité.

»Cela est cause que je ne me puys pas accorder avec vous, en ce que vous dictes l'avoir receue bien volontiers en vostre maison, pour la bonne affection que vous avez congneue qu'elle a, tant à la gloire de Dieu, que à me rendre tout debvoir d'obéissance et service; car je n'ai jamais entendu la gloire de Dieu estre advancée pour faulcer un serment et vœu qui luy a volontairement et franchement esté rendu[323], ne que les prédécesseurs roys, roynes, princes et princesses de ceste couronne ayent acquis le nom de très chrestiens par une voie si extraordinaire et damnable. Mais elle a voulu estre la première de sa race qui, mesprisant son honneur et la sainte religion de ses prédécesseurs, a trouvé bon de porter l'habit de religieuse par l'espace de dix-huit ans ou plus, faire profession d'icelle, jouyr du tiltre et proffict d'abbesse, treize ou quatorze ans, et puis tout soudain, sans en communiquer à père, frère, sœur, ne parente, habandonner le tout, voire son roy et son pays, pour en aller chercher en Allemagne[324].

»Si vous puis-je assurer, pour vous lever l'opinion que on m'a dict qu'elle s'efforce de vous donner d'avoir esté forcée en sa profession, qu'elle a esté faicte hors ma présence et en l'absence semblablement de la feue duchesse de Montpensier, ma femme[325], que Dieu absolve, voire sans que nous fûssions plus près d'elle que de quatrevingts lieues, ne que autres y assistassent pour nous et de nostre part, que monseigneur Ruzé, à présent évesque d'Angiers, et pour lors précepteur de mon fils le prince daulphin; qui est bien pour faire paroistre, joinct l'approbation qu'elle en a faict par le long temps qu'elle a depuis demeuré en ladite abbaye, sans s'en estre plainte ny à moy, ni à aucun de ses supérieurs, que ceste présupposée force qu'elle porte dedans la bouche n'est que un masque dont elle cuyde couvrir sa témérité[326].

»Encore use-t-elle d'une plus grande indiscrétion de mettre en jeu l'obéissance et service qu'elle me veut rendre, veu que ceste seule folye en est si eslonguée, qu'elle donnera matière à tout le monde de croire que, de sa vie, elle n'en eût déjà la volonté. Aussy la sainteté dont elle s'arme s'est toujours fait cognoistre par la désobéissance et rebellion; et ont ordinairement ceux de son party commencé leur renouvellement de vie par tels fruits et actions[327].

»Je tiendrois les vostres dignes d'un prince de vostre nom et de la parentelle de nos maisons, si, luy remonstrant ce que dessus, vous luy faisiez entendre que vous ne voulez les lieux de vostre obéissance servir de retraite aux enfans fugitifs de la présence de leurs pères, et particulièrement d'elle, qui ne sçauroit remarquer une seule rudesse que je luy aye jamais faicte, mais qui au contraire ressent bien en son âme, si elle n'est la plus ingrate du monde, que je n'ay oublié office de paternité, amitié, privauté et services dont je n'aye usé en son endroit[328].

»Et tant s'en fault que j'aye le cœur si cruel que d'y avoir failly, que mesme, à cette heure, et après la lourde faute qu'elle a commise, je l'embrasserois volontiers et chercherois les moyens de la faire revenir pour la bien traicter et aymer comme ma fille, si je sçavois que Dieu luy feit la grâce de vouloir suyvre ce conseil[329]. Pour le moins ne me puis-je garder de vous dire et prier que je tiendrois à beaucoup d'obligation, si vous le luy persuadiez. En quoy je ne vous veulx remettre devant les yeux aultre office que celuy que vous me demanderiez en pareille fortune, comme chose très raisonnable, que nous fassions à aultruy la mesme justice que nous desirerions qui nous fust faite.

»Il n'estoit point de besoing que vous prinsiez la peine de faire entendre aux majestez du roy et de la royne les occasions qui l'ont fait aller pardelà, parcequ'elles n'en estoient que trop informez et n'en peuvent estre contentes et satisfaites, comme vous vous promettez. Si, contre leur naturelle piété et bonté, ilz n'ont, depuis que les ay veuz, apprins à favoriser le vice pour la vertu, et se contenter de ce qui doit apporter mescontentement et horreur à toute âme bien naye qui cognoit et réclâme notre Dieu; voilà pourquoy il ne fault point mettre en avant, au moins en la faveur de ceste mal advisée, combien peut la force de conscience[330]; car j'ose dire, et me pardonnera la majesté de mon roy, s'il luy plaist, qu'il n'y a province en l'Europe où elle soit tenue plus libre à toutes sortes de gens qu'elle est en ceste-cy, ne où ce que nous ressentons de la religion dedans nos âmes soit moins recherché ou empesché[331].

»Je ne scay pas quel fruit il en proviendra, ni quelles opinions en pourront avoir les étrangers, nos voisins; mais je sçay bien que telz importunent et font instance envers leurs majestez de souffrir et permettre diverses nouvelles opinions en ce royaulme, qui, aux lieux où ils commandent absolument n'en souffrent ne n'en vouldroient souffrir aultre que celle qu'ils tiennent, et que beaucoup d'eulx, qui ont tousjours par cy-devant esté inférieurs à ceste couronne, obéy et receu les lois de ceux qui l'ont portée, sont montez en telle arrogance, que de vouloir forcer la bonté de nostre prince en cecy et luy faire accorder ce que les polices de leurs pays tesmoignent assez qu'ils blasment et mesprisent de leur part. De la mienne, je tiens la religion que mes prédécesseurs ont entretenue et continuée depuis le temps que Dieu leur a fait la grâce de leur avoir donné cognoissance de son saint nom; et tout ainsy qu'ils y sont morts, je suis résolu par sa bonté d'y continuer et user mes jours, portant en ma conscience un très certain tesmoignage que c'est celle qu'il nous a aprinse par son fils Jésus-Christ, et qui aiant été baillée à son église, est parvenue jusques à nous, sans avoir este réprouvée ne condamnée par aucuns conciles généraux, ne peut estre atteinte par les hérésies qui l'ont traversée et assaillie continuellement; cela m'apporte une indicible consolation et me tient si ferme en ma créance, que je ne recognoistray jamais ceux-là pour mes enfans, qui s'en seront désunitz et retranchez[332].

»Aussy ay-je tousjours désiré leur estre autant père et exemplaire de religion, comme j'ay esté, prenant soin de ce qui a regardé leur vie et nourriture temporelle; de quoy je pensois avoir si bien accommodé celle qui est avec vous, qu'elle ne devoit rechercher ne vous ne aultre, pour demander aucune chose en ma succession[333], de laquelle je trouverois bien estrange qu'elle voulust faire estat, premier qu'elle fûst advenue; car, comme elle sçait, sa défunte mère luy a delaissé si peu de moïens, qu'il n'en reviendroit pas en sa part pour rendre la moitié de ce qu'elle a prins injustement, au lieu dont elle est partie[334]. D'ailleurs elle y a renoncé au profit de son frère, auquel par conséquent elle se debvroit adresser, si elle y pouvoit ou y debvoit estre restituée, ayant, quant à moy, très bonne espérance de donner tel ordre à mes affaires, qu'elle, ne aultre de semblable religion, ne se vantera jamais d'avoir esté récompensée de sa désobéissance, sur les biens qui resteront après ma mort, ou de recueillir profit sur mon bon mesnage, du travail, peine et desplaisir qu'elle donne à ma vieillesse, laquelle je m'attends, leurs majestez, qui en cecy doibvent estre aultant justement offensées, comme le scandale en est publicq et dommageable, vouldront tant réputer avec mes longs, fidèles et loïaux services, qu'ilz ne feront jamais édictz, qui me frustent de mes intentions, ne qui astreignent mes héritiers à chose si injuste et déraisonnable.

»Je me tiens certain aussi que vous ne me vouldriez conseiller d'en user aultrement, et que, mettant la main à vostre conscience, vous confesserez bien que vous en feriez tout de mesme, si ma cousine, vostre fille, avoit de semblable façon contrevenu à voz volontez. Je supplie Dieu, de tout mon cœur, dresser et réformer si bien celles de la mienne, que, recognoissant sa faulte, elle se remecte semblablement en son debvoir; à quoy, s'il vous plaist, vous tiendrez la main et m'osterez toute juste occasion de me douloir qu'elle ayt trouvé avec vous support en sa folye[335], qui est et se trouvera telle par tous les princes et potentats de l'Europe, qui en considéreront l'importance, qu'ils ne vouldroient me faire tant de tort que de luy donner retraite en leur pays; et me tenant certain que vous vous y comporterez en parent et amy, je vais achever cette longue et ennuieuse lettre par mes humbles recommandations à vos bonnes grâces, et en priant Dieu vous donner, monsieur mon cousin, l'heur et contentement que vous desirez.

»Votre humble et obéissant cousin,
»Loys de Bourbon.
»A Aigueperse, ce XXVIIIe jour de mars 1572.»

III

Petrus Forestus, médecin distingué, qui, maintes fois, fut appelé à soigner le prince d'Orange dans ses maladies, a rédigé un récit fort circonstancié de celle dont il fut atteint, lors du siège de Leyde, et un exposé précis du traitement, au moyen duquel il eut le bonheur d'amener son rétablissement. Ce récit et cet exposé, que contient la collection des œuvres de l'habile médecin (Petri Foresti opera omnia, F. r. c. f., 1660, in-fo) ont été reproduits par M. Fruin, dans la très intéressante notice biographique sur P. Forestus qu'il a publiée en 1886. (Voy. Bijdragen voor Vaderlansche Geschiedenis en Oudheid-Kunde Verzameld en Uitgegeven Vroeger door M. Is. An. Nijhoff en P. Nijhoff thans door Dr R. Fruin Hoogleeraar te Leiden.—Derde Reeks. Derde Deel, eerste stuk.—'s Gravenhage, Martinus Nijhoff, 1886.)

Parlant à Maurice de Nassau des relations qu'il s'honorait d'avoir eues avec le prince, son père, P. Forestus disait:

«Patris tui in me benevolentiam et merita re ipsa expertus sum. Ingratitudinis igitur merito arguar, nisi amicitiam qua ille me, ego illum arcissima complexus sum, etiam ad posteros ejus ultro transferam. Ut enim nominis gentilitii et bonorum hœreditas exstat, ita et amoris successionem esse oportere veteres censuerunt. Valetudinem suam, imo et vitam ipsam, parens tuus mihi credidit. Roterodami enim quum ad desperationem aliorum ex morbo decumberet, me Delphis ad se vocavit; a prima mox collocutione, quum causam, indolem morbi ejusque medendi rationem propius ei exposuissem, dixit amicis: Medicus iste corporis mei statum, morbi vim atque potestatem probe perspectam habet; in eo mihi spes post Deum; permittam me illi totum nec opinione sua aut fiducia falsus est. Dei enim auxilio (in quem sanationis laudem libenter transcribo) restitui optimum principem reipublicæ, tibi ac fratribus optatissimum parentem.»

Voici maintenant en quels termes s'exprimait Forestus sur la maladie du prince et sur le traitement suivi:

«Illustrissimus princeps Auraicus, cùm per totam hyemem quartam laborasset, ac multis laboribus, tum curis, sollicitudinibusque continuis consumptus esset, ob fratris Ludovici, comitis ac militis strenuissimi mortem, mœrore quoque afflictus, deinde etiam haud exigua melancholia correptus propter obsidionem urbis Leidanæ, quo tempore in ea liberanda plurimum laborabat et defatigabatur, in principio mensis Augusti, anno 1574, Roterodami agens, in febrem biliosam, eamque valde malignam incidit. Quæ quidem febris cùm quotidie invaderet, medicus ei domesticus quotidianam febrem esse existimabat, quamvis potius tertianam duplicem referebat. At cùm venæ sectio adhibita in homine jam prius per hyemalem quartanam et curis continuo extenuato, ac idem pilulas ex aloë et agarico deglutisset, et præterea clyster unus atque alter injectus esset, flexus biliosus obortus est, cum magna virium defectione, etiam febre magis magisque increscente. Quæ adeo Excellentiam suam affligere cœpit, ut a continua vix discrepare videretur: nam una accessione desinente, altera statim subintrabat; imo si potum vel juleb aliquod sumeret, cùm maxima siti premeretur, mox febris eum invadebat, ita ut hœc febris ex genere febrium subintrantium biliosarum esset. Cùm jam quasi pro deplorato haberetur, tandem per æconomum ejusdem, ex Philippi Vanderani viri nobilis consilio, ad ejus Excellentiam accitus fui. Ubi vero illum graviter decumbentem vidissem, et præter febrem malignam etiam symptomata gravissima conspexissem, nempe fluxum ventris biliosum vires dejicientem et calorem febrilem excedentem, et sitim intolerabilem, adeo ut vires ita collapsæ essent ut ex lecto vix amoveri posset sine syncope, dum is reparabatur. Evenit enim, cùm in sede paulisper collocatus esset, ac magister supplicum libellorum camdem accessisset, ut iisdem libellis, multoque tempore reservatis, subsignaret, Excellentia sua in defectionem animi graviorem incidit, ita ut astantes nobiles principem jam morti destinatum putarent; sed frictionibus adhibitis, et aqua per nos digitis in eadem instinctis, et in faciem conspersa, ad se rediit, et statim in lectum collocatus, melius respirare cœpit. Cæterum, cùm victus rationem observarem, qua Excellentia sua uteretur, intellexi quod hæc ipsa magis morbum auxerat, nam alimenta quædam calida eidem concessa erant, similiter et quædam exiccantia: bibebat enim vinum rubrum, in febre biliosa, a qua urina valde quoque tincta erat et inflammata, quæ mihi spectanda offerebatur. Hæc, cùm diligent examine advertissem, inprimis victum omnino immutandum esse suasi, et ut præcipue a vino gallico, quo solo perperam utebatur abstineret. Quod ubi Excellentia audisset, ad me conversus, inquiens: Quid aliud, quæso, biberem, cùm fluxum alvi vehementiorem habeam? Cui mox modeste respondi, habet et Excellentia sua febrem acutissimam satisque malignam, quæ vini potione ita augebitur, quæ licet nunc sit salubris, facile in lethalem febrem transibit, calore ob vini potionem magis aucto. Ideo aquam bordei bibendam consului vel aquam cinnamomi, si hac magis delectaretur. Et ita ratione inductus, aquam cinnamomi elegit: et cùm eam ultra octo dies bibisset, statim urina aliquo modo fuit immutata, et calor febrilis ex parte cœpit mitigari, quamvis febris eumdem minime reliquerit, ut una febris alteram subintraret, antequam præcedentis febris perfecte fieret declinatio: in quibus febribus subintrantibus, licet sub declinationem postea sudaret, valde vires dejiciebantur: et cùm cibum sumeret, vel potum, aut syrupum, vel juleb, ut prius dictum est, febris eumdem apprehendebat, aliquando cum levi rigore, modo cum levi refrigeratione digitorum, at assumpto cibo, non aliter ac hectica invadere solet, quam etiam timebam, in homine exiccato, præcedente quartana, tum aliis curis ac laboribus Excellentiam suam extenuantibus, et vires ejusdem dejicitienbus. Propterea, cùm vires debiles essent, et ne in hecticam incideret, victu humectante refrigeranteque subinde usi sumus, ac reficiente; aliquando vero et parum restringente, ob fluxum biliosum concitatiorem, qui et vires labefactabat. Cùm autem Adrianus Junius, medicus ille doctissimus ac nostri amantissimus, tunc temporis forte Roterodami esset, Excellentiam suam ultro bis terve invisit, cum quo ac alio medico domestico præscripsimus emplastrum ex malis cotoneis paratum, quod ventriculo exterius apponebatur, ad ejusdem ventriculi roborationem, ob bilem quoque ad stomachum confluentem et fluxum concitantem, refrenandam. At Junius ipse in febrem tunc incidens, Middelburgum remeavit, cum eodem tempore ibidem commorabatur. Discedens vero de curatione Excellentiæ suæ satis anxius erat, uti et alius medicus. De saluteta men Domini nequaquam contra opinionem multorum animum abjeci; cumque una in curatione cum medico domestico permanerem, tempusque calidum esset, imperavimus ne frequens introitus tam nobilium qua maliorum, in cubiculum ægrotantis fieret, ut antea solebat. Præterea cùm cubiculum in quo Excellentia sua decumbebat in horto Sagittariorum situm esset, undique sole illustratum, et maxime calidum, tabulsi ligneis stratum, in altiore loco positum, cùmque alias locus commodus non esset, nec transferri posset ob virium debilitatem, jussimus ut aqua frigida ad majorem refrigerationem conspergeretur, hinc inde frondibus quoque herbarum viridium ac herbis ipsis frigidioribus dispersis. Remediis ex conf. ros. acetos. perlis, sy. de limonibus, cotoneorum, fluxu bilioso ut cumque represso; et siti, cerasis, rob. de riber extincta; somnum quoque hord. conciliavimus, et febre mitiore facta, eaque cum sudore benigno declinante, aquam cinnam. reliquimus, ut viribus consuleremus, cerevisiam tenuem cum vino et pauco zacch. injecto, qua princeps delectabatur, concessimus, et in fine adhibitis cibis restaurantibus, alteratis cum agresta, succo limonum, capis distillatis, confectionibus, et conditis ex pistaciis, et utentes nutrientibus humectantibusque, tandem præter omnium hominum opinionem, tum hostium quoque qui illum mortuum ex peste dixerant, curatus fuit. Et ab eo tempore, post mortem etiam medici sui domestici, illustrissimus princeps, dum in Hollandia permanent, ac aliquo morbo detineretur, mea opera semper usus est.»

Il est aussi parlé de la maladie du prince d'Orange dans les lettres suivantes:

1o De Fl. de Nyenheim et de N. Brunynck au comte Jean de Nassau, du 22 août 1574 (Groen van Prinsterer. Corresp., 1re série, t. 5., p. 38);

2o Des mêmes au même, du 28 août 1574 (ibid., p. 43 à 45);

3o De N. Brunynck au comte Jean, du 28 août 1574 (ibid., p. 45 à 47);

4o Du même au même, du 2 septembre 1574 (ibid., p. 51, 52);

5o De Guillaume de Nassau au comte Jean, du 7 septembre 1574 (ibid., p. 52 à 57).

6o De G. Mortens au comte Jean, du 17 septembre 1574 (ibid., p. 57).

IV

§ 1.

Avis de cinq ministres de l'Évangile sur le mariage projeté de Guillaume de Nassau avec Charlotte de Bourbon. 11 juin 1575.
(Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 224.)

«Ayant très illustre seigneur monseigneur le prince d'Orange appelé les ministres de la parole de Dieu qui sommes icy soubzsignez, et nous ayant commandé de diligemment et soigneusement pezer les tesmoignages et dépositions receues et couchées par escript par Michel Vinue, notaire publicq, y entrevenant l'autorité d'un bourgmaistre et eschevin, touchant l'adultère de dame Anne de Saxe, ensemble s'il y a quelque aultre chose tendante à cela, et de donner à Son Excellence nostre jugement et advis si ledit seigneur prince est libre de la première femme, et si luy est licite de s'allier à une autre par mariage; nous avons estimé que nostre devoir estoit de rendre obéissance à Son Excellence et ainsy luy en déclarer nostre advis brièfvement et clairement. Avons doncques leu et pezé les tesmoignages qu'ont rendu, touchant cest adultère, nobles hommes, le sieur d'Allendorf, le sieur Floris de Nieunem, le sieur Philippe de Marnix, seigneur du Mont de Sainte-Aldegonde, et sieur Nicolas Bruninck, secrétaire de Son Excellence, desquels tous les dépositions nous ont esté mises entre mains par ledit notaire. Ayans aussi pezé le bruit commun de cest adultère, et qui continue desjà par l'espace de près de quatre ans entiers; ayant aussi monseigneur le prince passé plus de trois ans, averty de cest adultère par le conte de Hohenlohe, très illustre prince, le duc de Saxe, oncle de ladite dame Anne et le plus prochain parent d'elle, semblablement très illustre prince le Landgrave, aussi son oncle, par le conte Jehan de Nassau, son frère, et n'y ayant esté faict aucune réplique, contradiction ou complainte de tort et injure, ny par lesdits seigneurs duc de Saxe et Landgrave, ny par elle, ny par quelque autre, en son nom.

»Finalement ayant esté advertis lesdits duc de Saxe et Landgrave et autres parens d'elle, qu'on traitoit ce nouveau mariage entre le très illustre seigneur le prince d'Orange, et très illustre dame, madamoiselle de Bourbon; ayant aussy esté publié en l'église par trois divers dimanches, à la façon accoustumée, leur intention d'accomplir le mariage, et après ayans encor différé sept jours avant l'exécuter, afin que personne, ayant quelque chose à y opposer, ne se peut plaindre d'avoir esté prévenu et forclos pour brièveté du temps, ce que néantmoins personne n'est comparu pour s'y aucunement opposer. Tout ce que dessus bien et meurement pezé, et singulièrement lesdites dépositions, nous estimons qu'il y a assés de fondement pour nous résoudre qu'il ne faut aucunement douter que l'adultère n'ait esté par elle commis; dont s'en suit que monseigneur le prince soit libre, selon le droit divin et humain, pour s'allier à une autre par mariage, et que celle qu'il espousera sera, et devant Dieu, et devant les hommes, sa femme légitime.

»Faict au Brielle, 11 de jeuing 1575.

»Gaspar van der Heiden,
»Ministre de la parole de Dieu à Middelbourg.
»Jean Taffin,
»Ministre de la parole de Dieu.
»Jacobus Michael,
»Ministre de l'église de Dordrecht.
»Thomas Tylius,
»Ministre de Delft.
»Jan Miggrodus,
»Ministre de l'église de la Vère.»

§ 2.

Avis de M. Capel touchant le mariage du prince d'Orange.
(Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 220.)

«Les plus proches parens et de plus grand respect ne doubtent nullement du crime, ne veulent veoir ny rencontrer celle qui a fait un tel deshonneur à leur race; ont donné même conseil au mari de la faire mourir ou confiner pour le moins entre deux murs; au moyen de quoy il n'y a pas d'apparence que de ce costé-là il faille craindre aucune querelle pour le présent...

»L'église de ce païs ne se plaindra pas aussy, veu que quatre (cinq) ministres des plus notables et célèbres dudit païs à ce déléguez par un synode, y ont passé. Les aultres églises d'Allemagne ou de France n'y ont que veoir; et à qui s'enquerra on a tousjours de quoy respondre qu'il y a répude (répudiation) légitime de la première pour cause de forfait, lequel a été confessé, et sur quoy soit intervenu jugement légitime; ce qui contentera toute personne modeste et non trop curieuse de s'enquérir de ce qui ne leur appartient point, ausquels on n'est pas tenu de rendre compte de toutes les formalités par le menu.

»Reste le père de la nouvelle espouse, auquel, s'il fondoit ses plaintes sur quelques formalités non gardées, faudroit adviser un peu de plus près de response pertinente, selon le défault qu'il y vouldroit remarquer; mais n'estant pas cela qui le meult, ains son consentement qui n'y est intervenu et lequel il est vraysemblable qu'il dira n'avoir pas seulement esté requis, à celà il y a beaucoup de quoy se défendre; car, la dureté de laquelle, par l'espace de trois ans et demy, il a esté envers sadite fille, ayant comme despouillé toute affection paternelle, sans la vouloir, en païs estrange où elle estoit, secourir d'un seul denier, non pas mander une seule bonne parole, ny recevoir seulement une lettre de sa part, excuse assés ladite fille de ne s'estre point adressée à luy, pour n'en recevoir sinon un refus tout à plat, non fondé sur cognoissance de cause, mais simplement pour la hayne de religion. Comme ainsi soit qu'il auroit tousjours fait entendre que, tant qu'elle suivroit ceste maudite religion, ainsi qu'il a accoustumé de la nommer, qu'il n'en vouloit ouyr parler en façon du monde, mais quand elle voudroit reprendre celle de ses pères, il la marieroit honorablement et avec pareil advantage que ses sœurs, jusques à luy faire porter parole et escrire, par la belle-mère et par la sœur de ladite dame, d'un party grand en France et d'un autre encore plus grand en païs estrange. Par où il appert que le mariage ne luy a pas dépleu simplement, ny la personne ou qualité particulière de celuy qu'elle a espousé; ains la seule qualité de religion et de la querelle qu'il soutient, laquelle luy est commune avec tant d'autres roys, princes et grands seigneurs de la chrestienté, qui a esté cause que on ne s'est pas trop donné de peine de le rechercher, pour n'en recevoir qu'un refus; conjoint avec injure et menace, et tout effort en oultre pour l'empescher, s'il eût pû, comme il est certain qu'il s'en fust mis en peine; mais si luy on a ou bien voulu faire sentir quelque chose, tant par les mémoires qui luy en ont esté baillés, un mois ou deux auparavant, comme par les bruicts qui coururent tout publiquement. La royne à qui il avoit esté communicqué et au roy, et lesquels ne le voulurent oncques empescher ou défendre, l'ayant dit en pleine table, à Reims, lors du sacre. Ainsi ladite dame a pû, sans attendre le consentement de sondit père, dont le refus n'eust esté fondé que sur la seule cause de religion (passer outre); et en nos églises nous ne faisons nulle difficulté d'espouser ceux qui font apparoistre du refus du père, qui ne seroit fondé que sur la seule cause de religion, estant mesmement émancipée par l'aage atteint et passé de vingt-six ans, autorisée et induite à ce faire par monseigneur l'Electeur, qui luy avoit servy, l'espace de trois ans et demy, et servoit encore de père, fortifiée des advis de madame la duchesse de Bouillon, sa sœur, du roi de Navarre et prince de Condé, ses parens bien proches, qui ne l'ont trouvé mauvais; particulièrement cestuy-cy l'en a conseillé et gratifié par lettres.»

§ 3.

Extrait de l'avis de M. Feugheran touchant le mariage du prince d'Orange.
(Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 216.)

«..... Puisque non seulement monseigneur le comte Jehan, prince souverain et naturel magistrat de la partie offensante, a usé de son droit de prévention, mais aussi, que le consistoire du surintendant, ou le surintendant en l'autorité légitime, a practiqué et exercé le deu de la charge qu'il a en cest affaire, rien, à mon opinion, ne manque à cette formalité, sinon un acte authentique pour confirmation et tesmoignage publicq d'un fait si important.

»Pour le regard du magistrat, il me semble, soubs correction, qu'il n'est besoin de faire mention que monseigneur ait encores part à la domination et souveraineté du lieu où le jugement a esté fait, mais qu'il faut fermement insister sur la compétence de M. le comte Jehan, qui non seulement est magistrat en tout dudit lieu, mais a fait et parfait les procès sans évocation ou appellation interjetée par la partie qui se fût sentie grevée.

»... Je m'arresterai à (cette récapitulation), à savoir: la vérification du crime commis, la confession d'iceluy, le jugement et cognoissance tant ecclésiastique que civile, brief, l'observation des formalités juridiques autant exacte que les qualités des personnes, lieux et temps l'ont requis ou enduré.

V

Mémoire pour le comte de Hohenloo, allant de la part du prince d'Orange vers le comte Jean de Nassau, l'électeur palatin et son épouse, et mademoiselle de Bourbon. 24 avril 1575.
(Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 189.)

»Premièrement il donnera à mon frère ample déclaration des lettres que j'ay receu de M. Zuleger, desquelles copie luy est baillée, et luy déclarera mon intention estre de passer oultre, l'ayant à cest effect prié d'aller vers mademoiselle, résoudre avec elle de tout ce qui concerne ce faict, et sur cela luy déclarer son consentement.

»Après communicquera mondit frère avecq luy par quel moïen on la pourroit faire venir, ou par la voie d'Embden, ou bien droit par la rivière; ce que, pour moy, j'aimerois mieulx, tant pour éviter despense et longueur, que pour aultres incommoditez. Advisera donc avec mondit frère quel moïen il y pourroit avoir de descendre par la rivière, sans danger.

»Aiant faict cela, prendra mondit frère son chemin vers Heydelberg, où, aiant donné mes lettres à monseigneur l'Electeur et à madame sa femme, leur présentera mes humbles recommandations, et quant et quant leur déclarera la charge qu'il a, en leur exposant que, m'aïant adverty M. Zuléger, par ses lettres du dernier de mars, de la déclaration faicte par mademoiselle, en présence de Son Exc., de sa bonne volonté sur la réquisition faicte par moi, je l'ay prié de traiter et résoudre avec elle de tout ce qui concernera l'accomplissement et exécution de ce fait.

»Et combien que M. de Sainte-Aldegonde leur aura, comme j'estime, exposé mon estat, toutefois mondit frère leur en faira encore plus particulière déclaration, afin que Son Exc. et elle l'aiant cogneu, puissent tant mieux adviser pour se résoudre, et ainsi entendre que mon intention est d'y marcher rondement, sans vouloir la tromper et laisser quelque occasion de débat ou de reproche, à l'avenir.

»Il leur ramentévera doncq enquel estat sont les affaires avecq la femme que j'ay eu, et adjoustera le conseil mis en advant, mesme suivant l'advis de ses parens, afin que, de costé-là, il n'y ait aucun empeschement, ny mesme retardement.

»Secondement, que tous mes biens sont presque affectez aux premiers enfans, suivant quoy je n'ay encoire moïen de luy pouvoir assigner aucun douaire, mais que mon intention est de faire mon mieulx en cest endroict, selon les moïens qu'il plaira à Dieu me donner à l'avenir. Car, quant à la maison que j'ay achepté à Middelbourg et celle que je fay bastir à Saint-Gertrudenberg, combien que ce n'est chose pour en faire estat, si toutefois elle les veult accepter, pour commencement et tesmoignage de ma bonne volonté, il n'y aura aucune difficulté.

»En oultre, que nous sommes en guerre, sans savoir l'issue d'icelle; que je suis fort endetté pour ceste cause, tant vers princes qu'aultres seigneurs, capitaines et gens de guerre.

»Que je commence à vieillir, aient environ quarante-deux ans.

»Ces particularitez déclarées, mondit frère priera Son Exc. et Madame, de ma part, que, suivant l'amitié et honneur qu'ils m'ont tousjours monstré et l'affection paternelle qu'ils ont déclarée vers elle, joint la cognoissance qu'ils ont tant d'elle que de moy, il leur plaise considérer s'ils trouvent chose en ce fait pourquoy il ne serait expédient ni conseillable, soit à elle, soit à moy, de passer plus oultre. Et advenant, comme j'espère, que, tout ce que dessus estant pezé, elle se trouve disposée, avec leur advis, de parachever ceste œuvre, il luy donnera promesse de ma part, et la prendra d'elle, et par un commun advis résoudront du voïage pour accomplir ce qui est encommencé, à la gloire du Seigneur.

»A Dordrecht, ce 24 d'avril 1575.
»Guillaume de Nassau.»

VI

Contrat de mariage de Guillaume de Nassau et de Charlotte de Bourbon. 7 juin 1575.
(Archives de la maison d'Orange-Nassau, no 2.127.)

«Hault et puissant seigneur, messire Guillaume, par la grâce de Dieu, prince d'Orange, conte de Nassau, etc., etc., gouverneur et capitaine général du conté et pays de Bourgoigne, Hollande, Zélande, Westfrise et Utrecht, d'une part;

»Et la très illustre princesse, madamoiselle Charlotte de Bourbon, fille de M. le duc de Montpensier, assistée du sieur Franchois Daverly, seigneur de Minay, comme ayant procuration, puissance et authorité, pour et au nom de très illustre prince Frédéric, électeur, comte palatin du Rhin, duc de Bavière, etc., etc., qui entend à ladite princesse tenir lieu de père, en ce contrat, d'assister, insister, ordonner, pourveoir et passer oultre en tous les pointz concernant le contract de mariage, ainsy qu'appert par la patente sur ce dépeschée par monseigneur l'électeur, à Heydelberg, en date du cinquiesme de may 1575, signée de sa main et scellée de son scéel en cire rouge, à double queue, d'autre part;

»Estans, au nom et à l'honneur de Dieu, résoluz de se joindre par le saint lien du mariage, sont ensemble, par manyère de contract anté-nuptial, accordez et convenuz comme en suit:

»Puisque la principauté d'Orange et les aultres biens dudit sieur prince sont, pour une bonne part, affectez et obligez aux enfans des précédens mariages, et que Son Excellence n'a, pour le présent, près de soy, les instrumens des contrats anté-nuptiaux passez éz dicts mariages et conséquemment ignore, en partie, quels biens soient libres, ne sçauroit ledit sieur prince assigner sur iceulx aulcun partaige asseuré aux enfans qui, par la grâce de Dieu, de ce mariage seront procréés, ne douaire à ladite princesse, selon l'envie et grand desir qu'il a, et que la grandeur et qualité de ladite princesse méritent, néantmoins voulant ledit sieur prince, en ce cas, pourvoir, le mieulx que sera possible, est convenu et accordé: Que les enfans qui seront procréés de ce mariage succéderont en tous droits, noms, raisons et actions que ledit sieur prince a ou peult avoir en France, au regard du roy très chrétien et contre aultres particuliers, tant pour le regard des sommes de deniers, que sur la maison d'Estampes, sur le comté de Toudre, comté de Charny, Ponbienne et quatre baronnies de Dauphiné, item ès maisons que ledit sieur prince a de la ville de Middelbourg, et que présentement fait bastir en la ville de sainte-Gertrudenberg, et, en somme, en tous aultres et quelconques biens, seigneuries et terres qui paravant ne sont aux enfans des précédens mariages, ny par leur propre nature affectez ou aultrement obligez, sans que les enfans précédens y pourront prétendre part ou portion, tant et si longtemps qu'il y demeurera hors de ce présent mariage; comme aussi les enfans du présent mariage ne pourront prétendre succession sur les biens paravant affectez et obligez aux enfans précédens eulx ou hoirs d'eulx demeurant en estre. Item que les biens que Dieu par sa faveur et grâce largira et fera conquérir ou acquérir audit sieur prince, durant ce mariage, seront semblablement tenuz au prouffit des enfans de ce mariage, et qu'eulx seuls y succéderont. Et en cas que ledit sieur prince vint à trespasser, devant elle, sans hoirs de ce présent mariage, ou iceulx défaillans, que, en tel cas, ladite princesse jouira franchement et quiétement, en forme de douaire, et sa vie durant, de tous droits, actions, maisons, biens, seigneuries et terres cy-dessus assignez aux enfants de ce mariage, et que les biens par la faveur de Dieu conquis ou acquis durant ce mariage par ledit sieur prince appartiendront à elle en propriété; comme aussy, si ladite princesse vient à trespasser devant ledit sieur prince, sans hoirs, ou iceulx défaillans, lesdits biens compris ou acquis par ledit sieur prince appartiendront en propriété audit sieur prince.

»En vertu de tout ce que dessus sont esté faicts de ce présent contract de mariage trois instrumens de mesme teneur, chacun signé de mondit sieur le prince et de madamoiselle la princesse, et aussi du sieur de Minay susdit, y estant aussi apposé le sceau de mondit sieur le prince, muni de ses armes.

»Le tout fait et conclu en la ville de La Brille, le septième jour de juin, l'an de grâce XVe soixante et quinze.

»Soubsignez Guillaume de Nassau, Charlotte de Bourbon, François Daverly.»

»Sur le pli estoit escript: par ordonnance de monseigneur le prince, et signé Brunynck, scellé du scel de Son Excellence, en cire rouge.»

Na.—A la suite d'un double de cet acte, que contiennent les archives de M. le duc de La Trémoille, est inscrite la mention suivante:

»L'an 1577, le jeudi 2e jour de may, les présentes lettres de traicté de mariage ont esté apportées au greffe du Châtelet de Paris et icelles insinuées, acceptées et eues pour agréables, selon que contenu est par icelles, par Me Noël Franchet, procureur dudit Chastelet, comme porteur, et pour et au nom de haut et puissant seigneur messire Guillaume, par la grâce de Dieu prince d'Orange, comte de Nassau, etc., et de haulte et puissante dame Charlotte de Bourbon, sa femme et épouse, dénommés en lesdites présentes lettres.»

VII

Guillaume de Nassau jugeait, avec raison, qu'il lui était indispensable, pour le soin de son honneur et de celui de sa nouvelle compagne, d'avoir en sa possession tous les documents établissant la culpabilité d'Anne de Saxe, afin qu'il pût, au besoin, s'en prévaloir pour repousser d'indignes attaques que ses ennemis dirigeaient contre son mariage avec Charlotte de Bourbon.

De là, les deux lettres suivantes:

§ 1.

Lettre de Guillaume au comte Jean. 2 décembre 1576.
(Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 544.)

»Monsieur mon frère,... la principale occasion qui me fait depescher le sieur Taffin pour vous aller trouver est pour communiquer avec vous touchant l'affaire de celle de Saxe, et avoir sur le tout vostre bon conseil et advis, comme l'on se pourroit le mieulx gouverner pour éviter tous ultérieurs débats et fascheries que l'on pourroit faire cy-après à ma femme, ce que je désire en temps pourvoir. Et combien qu'il n'y a que trop de preuves, si est-ce, pour plus de contentement de ma femme, je vous prie de vouloir bien collationner à l'original les coppies que en avés desjà envoié sur ce fait, et m'envoyer par le mesme les procédures qui se sont faites, dont ay faict faire un petit mémoire pour ledit Taffin, pour le vous porter, duquel entendrés plus amplement mon intention sur ce faict; auquel vous prie, monsieur mon frère, vouloir adjouster foy et créance comme à ma propre personne, et au reste luy assister en tout pour satisfaire à sa charge, selon l'entière confiance, que j'ay en vous, de tant plus puisque c'est ung affaire fondée en toute justice et équité, etc.—De Middelbourg, 2 de décembre 1576.

Guillaume de Nassau.»

§ 2.

Lettre de Charlotte de Bourbon au comte Jean. 3 décembre 1576.
(Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. V, p. 554.)

»Monsieur mon frère, si j'avois eu le moïen de vous faire autant de service comme j'en ai bonne volonté, vous tiendriez, comme je m'assure, pour bien emploiée la peine que vous avez déjà prinse à mon occasion, et celle que je vous supplie bien humblement vouloir encore prendre, suivant ce que monsieur le prince, vostre frère vous en escrit; pour l'honneur duquel et l'amitié que vous luy portez et à tout ce qui le touche, je ne fais point de doubte, monsieur mon frère, qu'il vous plaira bien, en ce qui dépend de vous et de vostre autorité, me faire en cest endroit tous bons offices; en quoy vous m'obligerez, outre l'affection que je vous ai desjà dédiée, à vous faire de plus en plus service; remettant sur le sieur Taffin de vous faire plus au long entendre sa charge, lequel je vous supplie de croire de ce qu'il vous dira de ma part. Il vous a été dépesché, pour la confiance que nous avons en luy, et affin que cest affaire soit conduit avec plus de discrétion. Car, combien, monsieur mon frère, que la requeste que je vous fait soit légitime et juste, je serois trop marrie qu'il vous en revint aucune incommodité; ce qui n'arrivera point, comme j'espère, aidant Dieu, lequel je supplie, après vous avoir présenté mes biens humbles recommandations à vostre bonne grâce, ensemble à celle de madame la comtesse, ma sœur, vous donner, monsieur mon frère, en bien bonne santé, heureuse et longue vie.—A Middelbourg, le 3 décembre 1576.

»Vostre bien humble et plus affectionnée sœur, pour vous faire service,
»Charlotte de Bourbon.»

VIII

Diane de France à Charlotte de Bourbon. 17 février 1576.
(Archives de M. le duc de La Trémoille.)

»A madame la princesse d'Orange.

»Madame, j'ai esté infiniment aise d'avoir ceste occasion pour vous pouvoir très humblement remercier de l'honneur qu'il vous a pleu faire à monseigneur de Montmorency de vous souvenir de nous, et de l'entière démonstration qu'il vous plaist nous faire de vostre bonne volonté; ce que j'estime un plus grand heur que je sçaurois jamais recevoir, et vous supplie croire, madame, que vous ne ferez jamais ceste faveur à personne qui s'en sente plus obligée, ne qui ait l'affection plus dédiée à vostre service, que je l'auray toute ma vie. Et combien que je n'aye veu monseigneur de Montmorency depuis que, par le commandement du roy, il partist de ceste ville pour aller trouver la royne, si est-ce que je ne laisseray de vous donner pareille asseurance de luy que de moy mesmes, estant certaine qu'il n'est en rien moins affectionné à vostre service que je suis; et suis bien marrie que je ne l'ay pu voir, comme je m'y attendois, au retour de Sa Majesté, pour luy faire particulièrement entendre l'honneur qu'il vous plaist de luy faire, ce qu'il ne m'a esté possible par autres moyens que par lettres, estant demeuré par le commandement de la royne, avec monsieur vostre père, près la personne de monseigneur, pour la négociation de la paix, qui me fait vous supplier très humblement, en son absence, recevoir les offres de son service, comme sy c'estoit luy mesmes, vous asseurant, madame, que, toutes les fois qu'il vous plaira nous honorer de vos commandemens, nous serons toujours prests de vous y servir d'aussi bonne et entière volonté, qu'après vous avoir très humblement baisé les mains je supplie le Créateur, madame, qu'il vous donne, en très parfaite santé, très heureuse et très longue vie.

»De Paris, ce 17e jour de febvrier 1576.

»Madame, je vous supplie me permectre de présenter mes bien humbles recommandations à la bonne grâce de monsieur le prince, et le remercier de la bonne souvenance qu'il luy plaist avoir de monseigneur de Montmorency et moy; estant marrie qu'il n'est icy pour luy offrir son service, auquel je le supplie croire que luy et moy serons toujours prests à nous employer.

»Vostre très humble et obéissante à vous faire service.
»Diane L. de France.»

IX

Lettre de Charlotte de Bourbon à son frère. 28 août 1576. (Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.415, fo 78.)

$1onsieur, je vous ay escript depuis quinze jours, par un nommé le capitaine Avalon, par lequel je vous faisois entendre le contentement que j'avois reçu de la dernière lettre que m'aviés faict cest honneur de m'escrire, qui m'a esté rendue il n'y a point longtemps, vous asseurant, monsieur, que celuy qui se passe sans que j'aye cest heur et bien de sçavoir de vos nouvelles, m'est fort ennuieux, pour n'avoir point plus grant plaisir que quand je puis estre certaine de la bonne santé de vous, de madame ma sœur et de monsieur mon nepveu, dépeschant ce porteur exprès pour vous aller trouver là part où vous serez. Il vous meine quatre chiens de Vaterland, que j'avois prié, il y a bien longtemps, au gouverneur de choisir les meilleurs qu'il pourroit trouver, et les faire bien dresser, ce qu'il m'a asseuré d'avoir faict; mais ce n'a pas esté si promptement que j'eusse bien désiré, à cause des incommoditez que nous avons quand le passage de la mer est entre deux, le vent ne pouvant, aucunes fois, servir à venir de Waterland en Hollande et de Hollande en ces quartiers-cy. Si ceste guerre pouvoit prendre une bonne fin, j'aurois tant meilleur moyen de faire mon debvoir et bonne espérance d'estre encore si heureuse, une fois en ma vie, d'avoir cest honneur de vous revoir, que je desire de tout mon cœur, et qu'il vous plaise me donner aussi bonne part en vostre bonne grâce, comme d'aultre fois je me suis asseurée d'estre si heureuse de le voir, et feray encore qu'un jour je m'y verrai en pareil ranc; et n'y a, ce me semble, que l'absence qui me retarde ce bien; et, en ceste assurance, je vous vais présenter mes très humbles recommandations, et supplie Dieu vous donner, monsieur, en très bonne santé, très heureuse et longue vie.

»A Middlebourg, ce 28 d'aoust.
»Vostre très humble et très obéissante sœur,
»Charlotte de Bourbon.»

«Monsieur le prince m'a commandé de vous supplier très humblement de l'excuser si sa lettre est de vieille date; car, à cause qu'il craint que le vent se change, il n'a point sceu prendre le loisir de la refaire; avec ce qu'il court icy ungue fiebvre dont tous nos secrétaires sont malades; et, si nous eûssions remis ceste dépesche à ungue aultre fois, c'eust esté pour ung mois ou deux à faire, sy le vent se fust changé.»

X

§ 1.

Lettres-patentes en faveur de Charlotte de Bourbon et de ses enfants. 4 mai 1577.
(L'original de ces lettres-patentes, sur vélin, avec sceau en cire rouge, fait partie de notre collection de documents historiques.)

»Guillaume, par la grâce de Dieu, prince d'Orange, conte de Nassau, de Catzenellenboghen, de Vianden, de Dietz, de Bueren, de Furdaem, seigneur et baron de Bréda, de Diestz, de Grimberghen, d'Arlon, de Auzerow, et vicomte héréditaire d'Anvers et de Besançon, gouverneur et lieutenant général d'Hollande, Zélande, West-Frize et d'Utrecht, à tous ceux qui ces présentes lettres verront ou lire orront, salut.

»Comme ainsi soit que, dès le mois d'aoust 1574, l'abbaïe de Saint-André des Ramières située en nostre principauté d'Orange seroit vacante par le trespas de feu dame Polixène de Grasse, dernière abbesse et possesseresse d'icelle, et que les religieuses auroient abandonné ladicte abbaïe, estans les unes décédées et les aultres changées de profession; au moïen de quoy estant ladicte abbaïe demeurée vuide, le bien temporel aussi d'icelle se trouve vacant, et venant le droit à nous appartenir, pour d'icy en avant disposer ainsi que nous plaira;

»A cause de quoy, et pour le desir que nous avons de en tout ce que nous pouvons gratifier notre très chère et très aimée femme et compaigne, dame Charlotte de Bourbon, en contemplation de nostre mariage, et des enfans qu'il a pleu desjà à Dieu et luy plaira encore par cy-après nous donner, avons donné comme nous donnons par cestes à ladite dame Charlotte de Bourbon, en usufruit, sa vie durant, et en après aux enfans desjà procrées et à procréer de nostredict mariage, en succession et propriété à perpétuité, sçavoir est tout le bien temporel et revenu de ladite abbaïe de Saint-André des Ramières et ce qui en peut dépendre,

»Voulons aussi et entendons bien expressément qu'en cas qu'en la jouissance tant de l'usufruit que de la propriété susdite, soit donné par cy-après à ladite dame Charlotte de Bourbon, nostre très aimée femme, ou à ses enfans, trouble, empeschement ou destourbier quelconque par mes enfans procréés des précédens mariages, ou aultres, lors ils aient aultant en propriété et usufruit, que l'effect de ceste donation peult porter sur tous et chacuns mes aultres biens, de quelque condition et en quelque lieu qu'ils soyent situés; à quoy nous les avons desjà dès à présent affectez et affectons par cestes.

»En tesmoing et confirmation de quoy avons signé la présente patente de nostre main et y fait appendre le sceau de nos armes.

»En la ville de Leyden, le 4e jour de may, l'an de grâce 1577.
»Guillaume de Nassau.»

§ 2.

Mandement pour l'exécution des lettres-patentes ci-dessus. 22 juin 1577.
(Archives de M. le duc de La Trémoille.)

«Guillaume, par la grâce de Dieu prince d'Orange, conte de Nassau, etc., etc., à vous, Guillaume de Barchon, escuyer, gouverneur et lieutenant-général de nostre principauté d'Orange, ensemble à tous noz officiers de nostredite principauté, et autres à qui ces présentes toucheront, salut.

»Comme ainsi soit que pour certaines considérations, et pour gratifier nostre très chère et très aimée femme et compaigne, dame Charlotte de Bourbon, nous, de nostre bon gré et propre mouvement luy avons donné en usufruit, sa vie durant, et en après à noz enfans desjà procréés et à procréer de nostre mariage, en succession et propriété, à perpétuité, tout le bien temporel et revenu de l'abbaye de Saint-André des Ramières et ce qui en peut dépendre, assiz en nostre dite principauté; desirons que nostre dite très chère et très aimée femme et compaigne en jouisse doresnavant en la forme et manière portée par noz lettres-patentes de donation à elle sur ce expédiées, du 4e de may de cette année 1577, nous vous ordonnons et commandons bien expressément par ceste, que vous ayez à mettre nostre dite très chère et très aimée compaigne, dame Charlotte de Bourbon, en la rélle, entière et effectuelle possession de tout le bien et revenu de ladite abbaye de Saint-André et de ce qui en dépend, et l'en laisser jouir par tel ou telle que bon luy semblera de commettre et constituer en la recepte ou perception d'iceulx, et à cet effet luy faire donner ou à celuy ou icelle que luy plaira commettre pour ses agens et procureurs, par nostre recepveur-général de nostredicte principauté ou aultres, tous les congés, mandemens et documens servant en l'éclaircissement desdits biens et revenus, pour en faire une perception et part, et au surplus de luy donner, ou à ses agens, en tout ce qui dépendra de ce que dit est, toute ayde, adresse et service à vous possible; car ainsi nous le voulons. Tesmoing ceste signée de nostre main et confirmée de nostre scéel.

»Faict en la ville de Leyden, le 22e jour de juin, l'an de grâce 1577.
»Guillaume de Nassau.»

XI

Note du 21 juillet 1577.
(Coustureau, Vie du duc de Montpensier, p. 225.—Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.182, fo 54.)

»Monseigneur le duc de Montpensier prie monsieur le président Barjot se ressouvenir, estant à Paris, d'envoyer quérir monsieur de Beauclerc, son secrétaire, logé en la rue de la Coustellerie, près le carrefour Guillery, pour luy donner les lettres que ledit seigneur luy escrit, et suivant icelles, retirer de monsieur André les pièces qu'il luy mande mettre entre les mains dudit sieur président; lequel, icelles receues, assemblera tous ceux auxquels mondit seigneur escrit, à tel jour et en tel lieu qu'il advisera, à sa commodité et à la leur, et leur fera entendre comme par la crainte que mondit seigneur a de laisser quelque trouble en sa maison, après sa mort, pour raison du partage que madame la princesse d'Orange, sa fille, pourroit demander, il desire sçavoir si, sans offenser Dieu en sa conscience, il pourra de son vivant, assigner dot et partage à ladite dame princesse équipolent au mariage qu'ont eu mesdames ses sœurs, moyennant lequel elle renoncera tant aux biens délaissez par feu madame sa mère, qu'à la succession de mondit seigneur, son père, et ce, au profit de monseigneur le prince Dauphin, son frère, et de monseigneur le prince de Dombes, son nepveu, et leursdits enfans; parceque ladite dame princesse a esté religieuse, professe, et abbesse en l'abbaye de Jouarre, par l'espace de quatorze ans ou environ, n'en est sortie qu'après l'âge de vingt-cinq ans accomplis, et s'est après mariée, sans le sceu de mondit seigneur, son père, à monsieur le prince d'Orange, qui avoit encores sa femme vivante (bien est vray que, pour s'estre forfaite en son mariage, elle avoit esté reléguée et confinée en certain lieu où elle a vescu assez longuement, et tant qu'avant sa mort, il seroit issu dudit mariage dudit prince d'Orange et de sadite fille trois enfans): et si ne pouvant ledit seigneur redresser et convertir sa fille à la religion catholique, par les admonestemens qu'il lui a faicts et pourra faire, ne aussi la ranger à vouloir obtenir de nostre saint-père le pape les dispenses qui luy sont nécessaires pour estre libérée de ses vœux, et pour le faict dudit mariage, il suffira, pour la descharge de ladite conscience de mondit seigneur, desdits admonestemens avec protestations qu'il n'entend et ne veut la favoriser, supporter ne gratifier en son erreur: et si ledit conseil est d'advis dudit dot, mondit sieur le président fera, s'il luy plaist, dresser la minute des lettres et contracs qu'il sera besoing d'estre passé et stipulé pour ce regard entre mondit seigneur et ladite dame princesse, et la procuration nécessaire pour aller stipuler ledit contract au nom de mondit seigneur, faire accepter ledit dot à ladite dame, et lui faire faire ainsi lesdites renonciations ci-dessus et autres que ledit conseil jugera estre nécessaires.

Et envoyera mondit sieur le président à mondit seigneur ladite consultation écrite et signée, avec les minutes de contract et procuration, le plus tost que faire se pourra.

»Faict à Champigny, le 21e jour de juillet, l'an 1577.
»Loys de Bourbon.»

XII

Lettre de Brunynck au comte Jean de Nassau. 13 août 1577.
(Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. VI, p. 131.)

»Monseigneur, arrivant dimanche, sur le soir, en ceste ville, je n'ay failly de dépescher doiz hier messaigier exprès devers Son Excellence (le prince d'Orange) pour l'advertir de tout le succès de mon voyage jusques à présent, et aussy de la délibération de vostre seigneurie pour venir avecq madamoiselle d'Orange en Hollande; chose dont je sçay Son Excellence recepvoir bien grand plaisir. Je suis adverty de certain marchant venu d'Hollande, que Son Excellence attend, de jour en jour, l'arrivée de ses enfans illecq, qui fait que je luy ay escript que mademoiselle partira sans faute, dans quatre ou cinq jours, de Dillanbourg, et que descendrons ainsy le Rhyn jusques à Emmeryck, et delà peult-estre au logis de monsieur le conte van Berch, dont ne passerons oultre sans avoir premièrement nouvelles de Son Excellence, ne sçaichant quels changemens ces altérations et nouvelles émotions en Brabant, peuvent avoir apporté.... Or, monseigneur, comme je suis asseuré que Son Excellence desire entièrement la venue de ses enfans en Hollande, je supplie très humblement vostre seigneurerie que madamoiselle d'Orange puisse partir de Dillanbourg pour le temps qui a esté préfixé, assavoir samedy ou dimanche prochain, et que puissions ainsy aller jusques à Emmeryck pour illecq entendre la résolution de Son Excellence, combien que je tiens qu'il n'y a aucun dangier. Je donne cependant icy ordre à tout ce qui est besoing pour le voyage de vos seigneuries, ayant desjà loué les batteaulx et faict aultres apprests. En cas que vostre seigneurie ne pourroit estre sitost preste, si est-ce qu'il vaut mieux que madamoiselle attende à Emmeryck qu'en ces quartiers icy, à cause de la mortalité qui augmente tous les jours; aussy la belle saison se passe et le mauvais temps est proche. J'espère, m'aydant Dieu, de partir dans un jour ou deux de ceste ville vers Mulheim pour, avecq ma femme, y attendre la venue de madamoiselle et y faire tous les autres préparatifs nécessaires. Coulongne, ce 13e jour d'aoust 1577.

De vostre seigneurie bien humble et obéissant serviteur.
»Nicolas Brunynck.»

XIII

§ 1.

Le duc d'Anjou à ses agents. 28 mars 1578.
(Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.277, fo 7.)

«Instruction de monseigneur aux sieurs de La Rochepot et Despruneaux, conseillers et chambellans ordinaires de mondit seigneur, envoyez de sa part vers les sieurs des estats généraux, prince d'Orange, et comte de Lalaing, et autres seigneurs des Pays-Bas.

»Premièrement, lesdits sieurs remonstreront auxdits sieurs des estats généraux, prince d'Orange, comte de Lalaing et aultres seigneurs desdits Pays-Bas, comme mondit seigneur a tousjours eu en singulière affection les secours et ayde de tous les moyens que Dieu luy a donnez pour pourveoir à la seureté et conservation de l'estat dudit païs, les rédimer d'oppression et violence et les maintenir en leurs anciens privilèges et droicts dudit païs; ce qu'il a cy-devant démonstré, et encores à présent, recognoissant la nécessité des affaires, il désire plus que jamais obliger à luy lesdits estats généraux, princes et seigneurs dudit païs par bons offices, prenant leur faict en sa protection et sauvegarde.

»Satisfaisant aux lettres que ledit sieur comte de Lalaing a escrites à Son Altesse et instructions à elle envoyées de sa part par le sieur de Linsart, mondit seigneur envoyé lesdits sieurs de La Rochepot et Despruneaux, ses conseillers et chambellans ordinaires, pour l'assurer, en premier lieu, de son affection et bonne volonté en son endroict, et recevoir les villes que ledit sieur comte a promis délivrer et mettre ès mains de mondit seigneur; ce qu'il désire estre promptement effectué afin de pourveoir aux remèdes nécessaires pour le soulagement dudit comte et conduite de l'armée que mondit seigneur entend y amener, deux mois après la délivrance desdites villes et places, ladite armée composée de, etc., etc., etc.

»Mondit seigneur entend, lorsque lesdites villes seront en sa possession, mettre dans icelles les garnisons qu'il avisera bon estre, et y établir les gouverneurs à sa dévotion; demeurant néantmoins ledit comte de Lalaing, lieutenant-général de mondit seigneur, audit pays.....

»Et, pour le regard de monsieur le prince d'Orange, lesdits sieurs de La Rochepot et Despruneaux l'asseureront de l'affection et bonne volonté que Son Altesse luy porte, ne desirant rien plus, en ce monde, que de le maintenir et conserver en sa religion, et tous autres qui en font profession, et avec telle liberté et asseurance qu'ils sçauroient désirer pour la manutention et exercice d'icelle, et mesme d'entretenir, garder et faire garder inviolablement le traité et accord fait avec luy à Gand, etc., etc., etc.

»Lesdits sieurs de La Rochepot et Despruneaux appèleront avec eux, en leurs négociations, lesdits sieurs de Mondoucet et Dalfiéran, qui sont instruits, de longue main, des affaires dudit païs.

»Lesdits sieurs de La Rochepot et Despruneaux feront instance à ce que mondit seigneur soit esleu et déclaré souverain desdits païs; et où ilz ne vouldroient accorder ledit titre, après plusieurs remonstrances à eux faites pour les persuader de l'honorer de ce titre, comme chose qu'ils désirent, mondit seigneur se contentera du titre de protecteur dudit païs.

Fait à ..... le 28e jour de mars 1578.
»Françoys.»

§ 2.

Guillaume de Nassau à Despruneaux. 26 avril 1578.
(Bibl. nat., mss. f. fr., vol, 3,277, fo 14.)

Monsieur, je désireroys bien aussi de pouvoir privément communiquer avec vous de ce qui me semblerait convenir pour le bien et repos des consciences, dont je pense que principalement dépend la tranquillité de ce pays, comme aussy de la France; à quoy je sçay qu'il n'y a prince, en la chrestienté, qui nous y peut tant ayder que monseigneur d'Alençon. Ce n'est pas une opinion qui soit d'un jour ou de deux crue en mon esprit; car il y a jà longtemps que j'en suis résolu; et encores à présent je demeure en la mesme opinion. Je vous remercye cependant de la bonne assurance que vous me donnez de la volonté de Son Altesse. De ma part, pour l'humble service que je désire faire, toute ma vie, à mondit seigneur, je m'emploieray très volontiers à tout ce que Son Altesse jugera estre pour l'advancement de sa grandeur et le bien de ce pays; vous remerciant affectueusement de ce qu'il vous a pleu m'envoyer visiter et m'escrire; vous asseurant que je seray tousjours bien prest de vous faire plaisir et service, où il vous plaira de m'emploier, tant pour l'amour de monseigneur, vostre maistre, que pour l'amour de vous en particulier; qui sera l'endroict où, après m'estre recommandé affectueusement à voz bonnes grâces, je prieray Dieu, monsieur, de vous donner, en santé, bonne et longue vie. De Anvers, ce 26 avril 1578.

»Vostre très affectionné amy, à vous faire service,
»Guillaume de Nassau.»

§ 3.

Despruneaux à Guillaume de Nassau. 22 juin 1578.
(Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. VI, p. 399.)

»..... Monseigneur, vous croirés que tout ce que j'ay dans mon cœur est franc, et que le fondement de tout ce de quoy je me mesleray jamais sera premièrement à la gloire de Dieu (car, si je ne cuidois Son Altesse dutout induicte au repos et résolue à la conservation de l'une et l'autre religion, toutes les puissances ne m'en feroient mesler), et après à la grandeur et maintien de vous et de vostre maison. Je suis marry que je n'ay pu estre crû comme sincèrement j'ay parlé sur les trois faits alléguez, le premier pour la gloire de Dieu, le second pour la gloire de mon maistre, et le tiers pour la vostre..... Monseigneur, je désireroys que Son Altesse vous envoyast quelques-uns des siens qui vous fûst plus agréable que je ne suis, mais il ne pourroit un plus homme de bien et qui vous parlast plus franchement. Il y a maintenant près de Son Altesse monsieur de Lanoue, je serois très ayse qu'il fûst icy, je ne doubte qu'il ne vous soit plus agréable avecq très grande suffisance. Je serai très ayse, très content et satisfait, quand, par qui que ce fust, cest affaire se puisse acheminer au bien que je désire..... Je ne me puys départir d'icy, combien que j'en eûsse occasion, pour l'espérance que j'ay que Son Altesse viendra, et que vous serez celuy qui luy ayderez luy mestre trois couronnes sur la teste, après avoir esté cause de l'avoir fait venir.—Mons, 22 juin.

§ 4.

Guillaume de Nassau à Despruneaux. 26 juin 1578.
(Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.277, fo 42.)

«Monsieur, la venue de M. de Dampmartin, envoïé de la part de monseigneur d'Anjou, m'a empesché de vous respondre, combien qu'à sa venue, je fusse sur le point de vous escrire. Quant à ce que vous m'escripvez par les premières et secondes lettres, je ne puis le trouver mauvais, venant de votre part, m'assurant que vous désirez, faisant le service de monseigneur, vostre maistre, me faire aussy plaisir. Mais je crois qu'il y a autant d'occasions, de vostre part, de se plaindre de ce que nous n'avons pas esté crus, que vous estimez en avoir occasion, de vostre costé. Quant à ce qui me touche, je vous prie de croire que, partout où je verrai, faisant service aux estats, avoir moïen de monstrer combien j'ai envie de faire cognoistre à mondit seigneur que je luy suis affectionné serviteur, je serai toujours très aise de le faire. Ledit sieur de Dampmartin a esté ouï, aux estats, et on a requis qu'il donne par escript ce qu'il a proposé; ce que j'espère qu'il fera, et que messieurs les estats luy donneront responce dont il aura occasion de se contenter. A tant, après m'estre affectueusement recommandé à vos bonnes grâces, je prieray Dieu, monsieur, de vous tenir en sa saincte et digne garde.

»En Anvers, ce 26 juin 1578.
»Vostre bien bon amy, à vous faire service,
»Guillaume de Nassau.»

§ 5

Le duc d'Anjou à Guillaume de Nassau. 13 juillet 1578.
(Groen van Prinsterer, Correspondance, 1re série, t. VI, p. 404.)

«Mon cousin, j'estime qu'avez souffisamment esté adverty des levées que j'ay faictes en France, pour assister, secourir et ayder messieurs des estats généraux de ces pays, en leur juste querelle; qui me gardera vous en escrire aultre chose. Je vous diray seulement que, estant mes forces prestes à marcher, j'ay donné charge à ung de mes plus spéciaux serviteurs, que cognoissez, de les assembler en corps d'armée; et cependant je me suis achemyné par delà avec aucuns de mes plus confidens et spéciaux serviteurs; espérant que mes susdites forces me suyvront de près; de quoy je vous ay bien voulu advertir incontinent, et prier me faire sçavoir de vos nouvelles, qui me seront tousjours fort agréables, et surtout quand me donnerez quelque espérance de vous veoir et conférer avec vous des moyens qu'il fauldra doresnavant user pour réprimer l'audace et insolence insupportable de l'ennemy; vous assurant, mon cousin, que si vostre commodité pouvoit permettre de faire un voïage en ceste ville, me semble, soubs vostre prudent advis, que les affaires se pourroient beaucoup mieux et plus facilement achemyner, au gré et contentement de l'un et de l'autre... surtout, mon cousin, je desire que nous ayons bonne intelligence et correspondance ensemble, afin que marchant d'un mesme pied et zèle, nous ostions à l'ennemy toute l'espérance qu'il a fondée sur la division qu'il tâche par tous subtils moyens et inventions de faire naistre entre nous, laquelle, si ainsy estoit, ne sçaurait apporter que l'entière ruine et subversion de tout ce pauvre pays, la conservation et salut duquel dépend, après Dieu, de nostre mutuelle intelligence, très parfaite union et vraye concorde; de quoy nous pourrions amplement traiter et discourir, et plus en présence que par nulle aultre voye; ce que, comme dict est, je remectrai à vostre très saige et prudent advis, etc.

»Vostre bien bon cousin,
»Françoys

§ 6.

Promesse faite par le duc d'Anjou à Guillaume de Nassau. 18 août 1578.
(Bibl. nat., mss. f. fr., vol. 3.277, fo 65.)

«Nous, Françoys, fils de France, frère unique du roy, duc d'Anjou et d'Alençon, en satisfaisant à la promesse faicte par nostre cher et bien-aimé le sieur de Bussi, premier gentilhomme de nostre chambre, à monsieur le prince d'Orange, du 9 aoust dernier, promettons, avant que le traité encommencé entre nous et les sieurs des estats des Pays-Bas se parface et conclue, que nous n'entreprendrons aucune chose et nous opposerons à ce qu'on entreprenne contre ledit sieur prince, ny autres faisant profession de la religion réformée, à cause de ladite religion, ainsi que nous nous emploierons pour les maintenir également comme ceux qui font profession de la religion catholique romaine; comme aussi ledit sieur s'emploiera à ce qu'il ne soit fait aucune violence par ceux de la religion réformée contre ceux qui font profession de ladite religion catholique romaine; faisant promesse, advenant que les estats généraux de ces pays ordonnent qu'en quelques provinces de ce païs soit permis l'exercice libre de la religion réformée, nous nous emploierons à ce que les autres provinces qui, pour certaines raisons, n'auroient pu recevoir ladite religion, ne se séparent et disjoignent des autres provinces pour cest effect; au contraire procurerons et emploierons nostre autorité à ce que toutes les provinces de ces païs se tiendront jointes et unies comme elles ont esté par cy-devant et premièrement; en quelque état de prééminence que nous puissions parvenir, nous emploierons nostre autorité et moïens pour retirer le comte de Buren, fils dudit sieur prince, de la captivité en laquelle il est détenu, en Espagne, contre les droits et privilèges de Brabant, en le remettant en sa pleine liberté. Et pour confirmation de ce que dessus, avons escript et signé ces présentes de nostre main et scellées de nos armes.

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