Chroniques de J. Froissart, tome 8.2 : $b 1370-1377 (Depuis le combat de Pontvallain jusqu'à la Prise d'Ardres et d'Audruicq)
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Title: Chroniques de J. Froissart, tome 8.2
1370-1377 (Depuis le combat de Pontvallain jusqu'à la Prise d'Ardres et d'Audruicq)
Author: Jean Froissart
Editor: Gaston Raynaud
Release date: August 9, 2024 [eBook #74209]
Language: French
Original publication: Paris: Vve J. Renouard, 1869
Credits: Clarity, Hans Pieterse and the Online Distributed Proofreading Team at https://www.pgdp.net (This file was produced from images generously made available by the Bibliothèque nationale de France (BnF/Gallica))
Note sur la transcription.
Le tome VIII des Chroniques de J. Froissart a été publié en deux parties. La première partie contient le Sommaire et les Notes, et peut être consultée à l'adresse gutenberg.org/ebooks/74208.
Cette deuxième partie contient le texte original de Froissart et les variantes selon les différents manuscrits.
Pour faciliter la lecture conjointe des deux parties, nous avons inséré ici en gris dans le texte de Froissart les têtes de chapitre du Sommaire.
L’orthographe d’origine a été conservée et n’a pas été harmonisée, mais quelques erreurs introduites par le typographe ou à l'impression ont été corrigées.
CHRONIQUES
DE
J. FROISSART
9924—PARIS, TYPOGRAPHIE LAHURE
Rue de Fleurus, 9
CHRONIQUES
DE
J. FROISSART
PUBLIÉES POUR LA SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DE FRANCE
TOME HUITIÈME
1370-1377
(DEPUIS LE COMBAT DE PONTVALLAIN JUSQU’A LA PRISE D’ARDRES ET D’AUDRUICQ)
DEUXIÈME PARTIE
TEXTE ET VARIANTES
PAR GASTON RAYNAUD
A PARIS
LIBRAIRIE RENOUARD
(H. LAURENS, SUCCESSEUR)
LIBRAIRE DE LA SOCIÉTÉ DE L’HISTOIRE DE FRANCE
RUE DE TOURNON, Nº 6
M DCCC LXXVIII
EXTRAIT DU RÈGLEMENT.
Art. 14. Le Conseil désigne les ouvrages à publier, et choisit les personnes les plus capables d’en préparer et d’en suivre la publication.
Il nomme, pour chaque ouvrage à publier, un Commissaire responsable chargé d’en assurer l’exécution.
Le nom de l’Éditeur sera placé en tête de chaque volume.
Aucun volume ne pourra paraître sous le nom de la Société sans l’autorisation du Conseil, et s’il n’est accompagné d’une déclaration du Commissaire responsable, portant que le travail lui a paru mériter d’être publié.
Le Commissaire responsable soussigné déclare que le tome VIII de l’Édition des Chroniques de J. Froissart, préparée par M. Siméon Luce, lui a paru digne d’être publié par la Société de l’Histoire de France.
Fait à Paris, le 1er décembre 1887.
Signé L. DELISLE.
Certifié,
Le Secrétaire de la Société de l’Histoire de France,
J. DESNOYERS.
CHRONIQUES
DE J. FROISSART.
LIVRE PREMIER.
CHAPITRE XCVIII
§ 669. Assés tost apriès ce que messires Bertrans
fu ravestis de cel office, il dist au roy qu’il voloit
chevaucier vers les ennemis, monsigneur Robert
Canolle, qui se tenoit sus les marces d’Ango et du
5Mainne. Ces parolles plaisirent bien au roy, et dist:
«Faites ce que vous volés: prendés ce qu’il vous
plest et bon vous samble de gens d’armes; tout obeïront
à vous.» Lors se pourvei li dis connestables, et
mist une chevaucie de gens d’armes sus, Bretons et
10autres, et se parti dou roy, et chevauça vers le
Mainne; et en mena en se compagnie avoech lui le
signeur de Cliçon. Si s’en vint li dis connestables en
le cité du Mans, et là fist sa garnison, et li sires de
Cliçon en une aultre ville qui estoit assés priès de là;
15et pooient estre environ cinc cens lances. Encores
estoient messires Robers Canolles et ses gens sus le
[2] pays, mais il n’estoient mies bien d’acort; car il y
avoit un chevalier en leur route englès, qui s’appelloit
messires Jehans Mestreourde, qui point n’estoit de le
volenté et tenure des autres, mais desconsilloit ce
5qu’il pooit, et avoit desconsilliet toutdis le chevauchie,
et disoit qu’il perdoient leur temps, et qu’il ne
se faisoient que lasser et travillier en vain et à petit
de fait et de conquès.
Et estoit li dis chevaliers, qui tenoit une grant route
10et menoit de gens d’armes, partis des aultres. Messires
Robers Canolles et messires Alains de Boukeselle tenoient
toutdis leur route et estoient logiet assés priès de
le cité du Mans. Messires Thumas de Grantson, messires
Gillebiers Giffars, messires Joffrois d’Urselée, messires
15Guillaumes de Nuefville se tenoient d’autre part
à une journée en sus d’yaus. Quant messires Robers
Canolles et messires Alains sceurent le connestable de
France et le signeur de Cliçon venu ou pays, si en furent
grandement resjoy, et disent: «Che seroit bon que
20nous nos remesissions ensamble, et nous tenissions à
nostre avantage sus ce pays; il ne poet estre que messires
Bertrans en se nouvelleté ne nous viegne veoir et
qu’il ne chevauce: il le lairoit trop envis. Nous avons
ja chevaucié tout le royaume de France, et si n’avons
25trouvé nulle aventure plus avant. Mandons nostre
entente à messire Hue de Cavrelée qui se tient à
Saint Mor sus Loire, et à monsigneur Robert Briket,
à monsigneur Robert Ceni, à Jehan Cressuelle et as
aultres chapitainnes des compagnes qui sont priès de
30ci, et qui venront tantost et volentiers. Se nous
poiens ruer jus ce nouvel connestable et le signeur
de Cliçon qui nous est si grans ennemis, nous arions
[3] trop bien esploitié.» Entre monsigneur Robert et
messire Alain et messire Jean Asneton n’i avoit point
de discort, mès faisoient toutes leurs besongnes par
un meisme conseil. Si envoiièrent tantost leurs lettres
5et messages secretement par devers [messire Hue de
Cavrelée et] monsigneur Robert Briket et les aultres,
pour yaus aviser et enfourmer de leur fait, et qu’il
se vosissent traire avant, et il combateroient les
François. Ossi il le segnefiièrent à monsigneur Thumas
10de Grantson, à monsigneur Gillebiert Giffart, à
monsigneur Joffroi Ourselée et as aultres, que il se
volsissent avancier et estre sus un certain pas que on
leur avoit ordonné, car il esperoient que li François
qui chevauçoient seroient combatu. A ces nouvelles
15entendirent li dessus dit très volentiers, et s’ordonnèrent
et appareillièrent selonch ce, bien et à point,
et se misent à voie pour venir vers leurs compaignons,
et pooient estre environ deus cens lances.
Onques si secretement ne si quoiement ne sceurent
20mander ne envoiier devers les compagnons, que
messires Bertrans et li sires de Cliçon ne sceuissent
tout ce qu’il voloient faire. Quant il en furent enfourmé,
il s’armèrent de nuit et se partirent avoech
leurs gens de leurs garnisons, et se trouvèrent sur les
25camps. Celle propre nuit, estoient parti de leurs logeis
messires Thumas de Grantson, messires Joffrois Ourselée,
messire Gillebiers Giffars, messires Guillaumes
de Nuefville et li aultre. Et venoient devers monsigneur
Robert Canolles et monsigneur Alain sus un
30pas où il les esperoient à trouver; mès on leur ascourça
leur chemin, car droitement en un lieu que on
appelle ou pays le Pont Volain, furent il rencontré et
[4] ratendu des François, et courut sus et envay soudainnement.
Et estoient bien quatre cens lances et li Englès
deus cens. Là eut grant bataille et dure et bien combatue,
et qui longement dura, et fait tamaintes grans
5apertises d’armes de l’un costé et de l’autre; car sitos
qu’il se trouvèrent, il misent tout piet à terre et
vinrent l’uns sus l’autre moult arreement, et là se
combatirent des lances et des espées moult vaillamment.
Toutes [fois], la place demora as François, et
10obtinrent contre les Englès, et furent tout mort ou
pris: onques nulz ne s’en sauva, se il ne fu varlès ou
garçons; mès de chiaus aucuns, qui estoient monté
sus les coursiers leurs mestres, quant il veirent le
desconfiture, se sauvèrent et se partirent. Là furent pris
15messires Thumas de Grantson, messires Gillebiers
Giffars, messires Joffrois Ourselée, messires Guillaumez
de Nuefville, messires Phelippes de Courtenay, Hue
le Despensier, neveu à monsigneur Edouwart le Despensier
et pluiseur aultre chevalier et escuier, et tout
20enmené prisonniers en le cité du Mans.
Ces nouvelles furent tantost sceues parmi le pays
de monsigneur Robert Canollez et des aultres, et ossi
de monsigneur Hue de Cavrelée et de monsigneur
Robert Briket et de leurs compagnons: si en furent durement
25courouciet, et se brisa leur emprise pour celle
aventure. Et ne vinrent cil de Saint Mor sus Loire
point avant, mès se tinrent tout quoi en leurs logeis,
et messire Robers Canolles et messires Alains de Bouqueselle
se retraiirent tout bellement, et se desrompi
30leur chevaucie, et rentrèrent en Bretagne: il n’en
estoient pas lonch. Et vint li dis messires Robers en
son chastiel de Derval, et donna toutes manières de
[5] gens d’armes [et d’archiers] congiet pour faire leur
pourfit là où il le poroient faire ne trouver. Si s’en
retraisent li plus en Engleterre, dont il estoient parti;
et messires Alains de Bouqueselle s’en vint ivrener
5et demorer en [sa ville de] S. Salveur le Visconte, que
li roi d’Engleterre li avoit donné.
§ 670. Apriès celle desconfiture de Pont Volain,
où une partie des Englès furent ruet jus, pour quoi
leur chevauchie se desrompi et deffist toute, messires
10Bertrans de Claiekin, qui en se nouvelleté de l’offisce
de le connestablie de France usoit, [qui] en eut
[grant] grasce et grant recommendation, s’en vint
en France, et li sires de Cliçon avoecques lui, et amenèrent
le plus grant partie de leurs prisonniers en
15leur compagnie en le cité de Paris. Là les tinrent il
tout aise et sans dangier, et les recrurent sus leurs
fois courtoisement sans aultre constrainte. Il ne les
misent point en buies, en fers, en ceps, ensi que li
Alemant font leurs prisonniers, quant il les tiennent,
20pour estraire plus grant finance. Maudit soient il!
ce sont gens sans pité et sans honneur, et ossi on
n’en deveroit nul prendre à merci. Li François fisent
bonne compagnie à leurs prisonniers, et les rançonnèrent
courtoisement, sans yaus trop grever ne presser.
25De l’avenue de Pont Volain et dou damage des
Englès furent moult couroucié li princes, li dus de
Lancastre et cil de leur costé qui se tenoient à
Congnach après le revenue et reconquès de Limoges.
En ce temps, et environ le Noël, trespassa de ce
30siecle en Avignon papes Urbains Vez qui tant fu vaillans
clers, preudons et bons François. Et adont se
[6] misent li cardinal en conclave et eslisirent entre yaus
un pape et le fisent par commun acord dou cardinal
de Biaufort; si fu cilz papes appellés Grigores XIez.
De le creation et divine providensce de lui fu durement
5li rois de France liés, pour tant qu’il le sentoit
bon François et preudomme; et estoit au temps de
se creation dalés lui en Avignon li dus d’Ango, qui y
rendi grant painne qu’il le fust.
En ce temps avint à monsigneur Eustasse d’Aubrecicourt
10une moult dure aventure. Car il chevauçoit
en Limozin; si vint un soir ou chastiel le signeur de
Pierebufière qu’il tenoit pour ami et pour compagnon
et pour bon Englès; mais il mist Thiebaut dou
Pont, un bon homme d’armes breton, et se route
15dedens son chastiel, li quelz prist pour son prisonnier
monsigneur Eustasce, qui de ce ne se donnoit
garde, et l’emmena avoeques lui comme son prison
et rançonna de puis à douse mil frans, dont il en
paia quatre mil, et ses filz François demora en ostages
20pour le demorant devers le duch de Bourbon, qui
l’avoit raplegiet et rendu grant painne à sa delivrance,
pour le cause de ce que messires Eustasses
d’Aubrecicourt avoit ossi rendu grant painne et grant
travel à ma dame sa mère, que les compagnes
25prisent à Belleperche. De puis sa delivrance, messires
Eustasses s’en vint demorer en Quarentin, oultre les
gués Saint Climench, en le Basse Normendie, une
bonne ville que li rois de Navare li avoit donné; et
là morut: Dieus en ait l’ame! car il fu, tant qu’il
30vesqui et dura, moult vaillans chevaliers.
§ 671. En ce temps s’en raloit de Paris en son
[7] pays en Limozin, messires Raymons de Maruel, qui
s’estoit tournés François. Si eut un assés dur rencontre
pour lui, car il trouva une route d’Englès des
gens de messire Hue de Cavrelée, que uns chevaliers
5de Poito menoit. Si cheï si à point entre leurs mains
qu’il ne peut fuir, et fu pris et menés ent prisonniers
en Poito ou chastiel du dit chevalier. La prise de
monsigneur Raymon fu sceue en Engleterre, et tant
que li rois en fu enfourmés. Si escripsi tantos li dis
10rois devers le dit chevalier, en lui mandant qu’il li
envoiast son ennemi et trahitte, monsigneur Raymon
de Marueil, car il en prenderoit si grant punition
qu’il seroit exemples à tous aultres, et pour se prise il
li donroit sis mil frans. Messires Joffrois d’Argenton,
15qui le tenoit et en quelle prison il estoit, ne volt mies
desobeïr au roy, son signeur, et dist que tout ce feroit
il volentiers. Messires Raymons de Maruel fu
enfourmés comment li rois d’Engleterre le voloit
avoir et l’avoit mandé, et comment ses mestres estoit
20tous avisés de lui là envoiier. Quant messires Raymons
sceut ces nouvelles, si fu plus esbahis que
devant: ce fu bien raisons. Et commença en se prison
à faire les plus grans et les plus piteus regrés dou
munde; et tant que cilz qui le gardoit, [qui estoit
25englès et de la nation d’Engleterre], en eut grant pité
et le commença à reconforter moult doucement.
Messires Raymons, qui ne veoit nulz reconfors en ses
besongne[s], puis que mener en Engleterre on le devoit
devers le roy, se descouvri envers sa garde, et li dist:
30«Mon ami, se vous me voliés oster et delivrer de ce
dangier, je vous ay en couvent sus ma loyauté que je
vous partirai moitié à moitié toute ma terre, et vous
[8] en ahireterai, ne jamais je ne vous faurrai.» Li Englès,
qui estoit uns povres hom, considera que messires
Raymons estoit en peril de sa vie, et qu’il li prommetoit
grant courtoisie: si en eut pité et compassion,
5et dist qu’il se metteroit en painne de lui sauver.
Adont messires Raymons, qui fut moult resjoïs de
ceste parolle, li creanta se foy qu’il li tenroit son couvent
et encores oultre, se il voloit. Et sus cel estat
s’assegurèrent et avisèrent comment il s’en poroient
10chevir.
Quant ce vint de nuit, cilz Englès qui portoit les
clés dou chastiel et de la tour, où messires Raymons
estoit, ouvri la prison et une posterne dou chastiel,
et fist tant qu’il furent hors, et se misent as camps et
15dedens un bois, pour yaus esconser, par quoi il ne
fuissent rataint. Et eurent celle nuit tant de povreté que
nulz ne la diroit, car il cheminèrent plus de set liewes
tout à piet; et si estoit gellé par quoi il descirèrent tous
leurs piés; et fisent tant que il vinrent à l’endemain en
20Ango en une forterèce françoise, où il furent recueillié
des compagnons qui le gardoient, as quelz messires
Raymons compta sen aventure: si en loèrent tout
Dieu, quant il le sceurent. Bien est voirs que à l’endemain,
quant on se fu aperceu qu’il estoient parti, on
25les quist à gens de chevaus tout par tout, mès on n’en
peut nul trouver. Ensi escapa de grant peril messires
Raymons de Maruel, et retorna en Limozin et recorda
à ses amis comment cilz escuiers englès li avoit fait
grant courtoisie. Si fu de puis li dis Englès moult
30amés et honnourés entre yaus. Et li voloit messires
Raymons donner le moitié de son hiretage, mès cilz
n’en volt onques tant prendre, fors seulement deus
[9] cens livrées de revenue; c’estoit assés, ce disoit, pour
lui et pour son estat parmaintenir.
§ 672. En ce temps trespassa de siècle en le cité
de Bourdiaus li ainsnés filz dou prince et de la princesse;
5si en furent durement couroucié: ce fu bien
raisons. Pour le temps de lors fu consillié au dit
prince de Galles et d’Aquitainnes qu’il retournast en
Engleterre sus se nation, en espoir de recouvrer plus
grant santé qu’il n’avoit encore eu. Et ce conseil li
10donnèrent si surgien et phisicien qui se cognissoient
à se maladie. Li princes se assenti moult bien à ce
conseil, et dist que volentiers il y retourneroit. Si fist
ordener sur ce toutes ses besongnes et me samble que
li contes de Cantbruge, ses frères, et li contes Jehans
15de Pennebruch furent ordonné de retourner avoecques
lui atout leurs gens, pour lui faire compagnie.
Quant li dis princes deubt partir d’Aquitainnes, et
que se navie fu toute preste sus le rivière de Garone
ou havene de Bourdiaus, et proprement il estoit là et
20ma dame sa femme et le jone Richart, leur fil, il fist
un mandement très especial en le ditte cité de Bourdiaus
de tous les barons et chevaliers de Gascongne
et de Poito et de tout ce dont il estoit sires et avoit
l’obeïssance. Quant il furent tout venu et mis ensamble
25en une cambre en sa presence, il leur remoustra
comment il avoit esté leurs sires et les avoit tenu
en pais tant qu’il avoit pout, et en grande prosperité
et poissance contre tous leurs voisins, et que pour
recouvrer santé dont il avoit grant besoing, il avoit
30espoir [et intention] de retourner en Engleterre. Si
leur prioit chierement que le duch de Lancastre, son
[10] frère, il vosissent croire et servir et obeïr à lui, comme
il avoient fait dou temps passé à lui; car il le trouveroient
bon signeur courtois et acordable, et ossi en
toutes ses besongnes il le volsissent aidier et consillier.
5Li baron d’Aquitainnes, de Gascongne, de Poito
et de Saintonge li eurent tout en couvent, et li jurèrent
par leurs fois que ja en yaus n’i trouveroient
defaute, et fisent la feaulté et hommage au dit duch,
et li recogneurent toute amour, service et obeïssance,
10et li jurèrent, present le prince, et le baisièrent
tout en le bouche.
Apriès ces ordenances faites, li dis princes ne sejourna
point plenté [en le cité de Bourdiaux], ains
entra en son vaissiel, et ma dame la princesse, et
15leur fil, et li contes de Cantbruge et li contes de
Pennebruch. Et estoient bien en celle flote cinc cens
combatans sans les archiers. Si singlèrent tant que
sans peril et sans damage il arrivèrent ou havene de
Hantonne. Là issirent il des vaissiaus, et s’i rafreschirent
20par trois jours, et puis montèrent à chevaus,
et li princes en se littière, et tant esploitièrent qu’il
vinrent à Windesore où li rois se tenoit qui rechut
ses enfans moult doucement, et s’enfourma par yaus
de l’estat de Giane. Quant li princes eut estet dalés
25le roy, son père, tant que bien li souffi, il prist congiet,
et se retraiy à son hostel de Berkamestede à
vint liewes de le cité de Londres.
Nous nos soufferons à parler tant qu’en present
dou prince, et parlerons des besongnes d’Aquitainne.
30§ 673. Assés tost apriès che que li princes de Galles
fu partis de Bourdiaus, li dus de Lancastre entendi
[11] à faire faire l’obseque de son cousin Edouwart, le fil
dou prince, son frère. Si le fist moult grandement
et moult reveramment en le cité de Bourdiaus; et là
furent tout li baron de Gascongne et de Poito qui
5avoient juré obeïssance à lui.
Entrues que ces ordenances se faisoient et que on
entendoit à faire cel obseque, et que cil signeur se
tenoient à Bourdiaus, issirent [hors] de le garnison
de Pieregorch bien deus cens lances de Bretons qui
10là se tenoient que li dus d’Ango y avoit envoiiés, des
quelz estoient chapitainne quatre bon chevalier et
hardi homme malement; je les nommerai. Che furent
messires Guillaumes de Loncval, messires Alains
de le Housoie, messires Loeis de Mailli et li sires
15d’Arsi. Si chevauchièrent cil signeur et leurs routes jusques
à un chastiel biel et fort que on dist de Montpaon,
dou quel messires Guillaumes de Montpaon
estoit sires. Quant cil Breton furent venu jusques à
là et il eurent couru devant les barrières, il moustrèrent
20grant samblant d’assaut et l’environnèrent
moult faiticement. Messires Guillaumez de Montpaon,
à ce qu’il moustra, avoit le corage plus françois que il
n’euist englès, et se rendi, et tourna François à peu
de fait, mist les dessus dis chevaliers et leurs gens en
25sa forterèce, li quel disent qu’il le tenroient contre
tout homme. Si le remparèrent et raparillièrent et
rafreschirent de ce que il y apertenoit. Ces nouvelles furent
sceues à Bourdiaus [tantost] coment li dus de
Lancastre et li baron de Giane n’esploitoient mies bien,
30car li Breton chevauçoient et avoient pris Montpaon
qui marcist assés priès de là. De quoi li dus et tout
li signeur qui là estoient eurent grant virgongne,
[12] quant il le sceurent, et se ordonnèrent [et appareillèrent]
tantost pour yaus traire celle part. Et partirent
de le cité de Bourdiaus sus un merkedi après boire
en grant arroy. Avoecques le duch de Lancastre estoient
5li sires de Pons, li sires de Partenay, messires
Loeis de Harcourt, messires Guichars d’Angle, messires
Percevaus de Coulongne, messires Joffrois d’Argenton,
messires Jakemes de Surgières, messires
Mauburnis de Linières, messires Guillaumes de
10Monttendre, messires Huges de Vivone, li sires de
Crupegnach et pluiseur autre baron et chevalier de
Poito et de Saintonge. Si y estoient de Gascongne li
captaus de Beus, li sires de Pumiers, messires Helyes
de Pumiers, li sires de Chaumont, li sires de Monferrant,
15li sires de Longuerem, li soudis de l’Estrade, messires
Bernardès de Labreth, sires de Geronde, messires
Aymeris de Tarse et pluiseur aultre; et d’Engleterre,
messires Thumas de Felleton, messires Thumas
de Persi, li sires de Ros, messires Mikieus de la Poule,
20li sires de Willebi, messires Guillaumes de Biaucamp,
messires Richars de Pontchardon, messires Bauduins
de Fraiville, messires d’Agorisès et pluiseur aultre.
Si estoient bien set cens lances et cinc cens arciers.
Si chevaucièrent moult arreement et ordonneement
25par devers Montpaon et fisent tant qu’il y
parvinrent.
Quant messires Guillaumes de Montpaon sceut
que li dus de Lancastre et toutes ses gens le venoient
assegier, si ne fu mie trop assegurés, car bien savoit
30que se il estoit pris, il le feroient morir à grant
painne, et que point ne seroit receus à merci, car
trop il s’estoit fourfais. Si s’en descouvri à quatre
[13] chevaliers dessus dis, et lor dist qu’il se partiroit et iroit
tenir à Pieregorch, et que dou chastiel il fesissent
leur volenté. Adont se departi li dessus dis ensi que
proposé l’avoit, et s’en vint en le cité de Pieregorch
5qui est moult forte, et laissa son chastiel en le garde
des quatre chevaliers dessus dis.
§ 674. Quant li dus de Lancastre, li baron et li
chevalier et leurs routes, furent venu devant le chastiel
de Montpaon, si le assegièrent et environnèrent
10de tous lés, et s’i bastirent ossi fort et ossi bien que
dont que il y deuissent demorer set ans. Et ne
sejournèrent mies quant il y furent venu, mais se
ordonnèrent et se mirent tantos à l’assallir de grant
volenté, et envoiièrent querre et coper par les villains
15dou pays grant fuison de bois, [d’arbres], de mairiens
et de belourdes; si les fisent là amener et achariier
et reverser ens es fossés; et furent bien sus cel estat
vint jours que on n’entendoit à aultre chose fors que
de raemplir les fossés. Et sus ces bois et mairiens on
20mettoit estrain et terre, et tant fisent li dit signeur par
l’ayde de leurs gens que il raemplirent une grande
quantité des fossés; et tant que il pooient bien venir
jusques as murs pour escarmucier à ceulz dedens,
ensi que il faisoient tous les jours par cinc ou par sis
25assaus. Et y avoit les plus biaus estours dou monde,
car li quatre chevalier breton, qui dedens se tenoient
et qui entrepris à garder l’avoient, estoient droites
gens d’armes et qui si bien se deffendoient et si vaillamment
se combatoient que il en sont grandement
30à recommender, ne quoi que li Englès et li Gascon
les approçassent de si priès que je vous di, nullement
[14] point ne s’en effreoient, ne sus yaus rien on ne
conqueroit.
Assés priès de là en le garnison de Saint Malkaire
se tenoient aultre Breton des quelz Jehans de Malatrait
5et Selevestre Bude estoient chapitainne. Cil doi
escuier, [qui] ooient parler tous les jours et recorder
les grans apertises d’armes que on faisoit devant
Montpaon, avoient grant desir et grant envie que il
y fuissent; si en parlèrent ensamble pluiseurs fois en
10disant: «Nous savons nos compagnons priès de ci et
si vaillans gens que telz et telz», et les nommoient,
«qui ont tous les jours par cinc ou sis estours le bataille
à le main, et point n’i alons, qui ci sejournons à riens
de fait: certainnement nous ne nos en acquittons pas
15bien.» Là estoient en grant estri d’aler y, et quant
il avoient tout parlé, et il consideroient le peril de
laissier leur forterèce sans l’un d’yaus, il ne par
osoient. Si dist une fois Selevestre Bude: «Par Dieu,
Jehan, ou je irai, ou vous irés; or regardés li quelz
20ce sera.» Respondi Jehans: «Selevestre, vous
demorrés, et jou irai.» Là furent de recief en estri
tant que par accort et par sierement fait et juré,
present tous leurs compagnons, il deurent traire
à le plus longe, et cilz qui aroit le plus longe iroit,
25et li aultres demoroit. Si traisent tantost, et escheï
Selevestre Bude à le plus longhe; lors y eut des
compagnons grant risée. Li dis Selevestres ne le
tint mies à gas, mais s’apparilla tantost, et monta
à cheval, et se parti li XIIez de hommes d’armes.
30Et chevauça tant que sus le soir il s’en vint bouter
en le ville et forterèce de Montpaon, dont li chevalier
et li compagnon, qui là dedens estoient,
[15] eurent grant joie, et en tinrent grant bien dou dit
Selevestre.
§ 675. Si com je vous ay ci dessus dit, il y avoit
tous les jours assaut à Montpaon, et trop bien li chevalier
5qui dedens estoient se deffendoient, et y acquisent
haute honneur, car jusques adont que on leur
fist reverser un pan de leur mur, il ne s’effraèrent.
Mais je vous di que li Englès ordenèrent mantiaus et
atournemens d’assaut, quant il peurent approcier par
10mi les fossés raemplis jusques au mur; et là avoit brigans
et gens paveschiés bien et fort, qui portoient
grans pis de fier, par quoi de force il piketèrent tant
le mur qu’il en fisent cheoir sur une remontière plus
de quarante piés de large. Et puis tantost li signeur
15de l’ost ordonnèrent et establirent une grande bataille
de leurs arciers à l’encontre, qui traioient si ouniement
à chiaus de dedens que nulz ne s’osoit
mettre avant ne apparoir. Quant messires Guillaumes
de Loncval, messires Alains de le Housoie, messires
20Loeis de Mailli et li sires d’Arsi se veirent en ce
parti, si sentirent bien qu’il ne se pooient tenir. Si
envoiièrent tantost un de leurs hiraus, monté à cheval,
tout par mi ce mur trauet pour parler de par yaus au
duch de Lancastre, car il voloient entrer en trettié, se
25il pooient. Li hiraus vint jusques au duch, car on
li fist voie, et remoustra ce pour quoi il estoit là
envoiiés. Li dus par le conseil des barons, qui là
estoient, donna respit à chiaus de dedens, tant que
il euissent parlementé à lui. Li hiraus retourna, et
30fist celle relation à ses mestres, et tantost tout quatre
il se traisent avant. Si envoia li dis dus parler à yaus
[16] monsigneur Guichart d’Angle. Là sus les fossés furent
il ensemble en trettié, et demandèrent en quel
manière li dus les voloit prendre ne avoir. Messires
Guiçars, qui estoit cargiés de ce qu’il devoit dire et
5faire, leur dist: «Signeur, vous avés durement couroucié
monsigneur, car vous l’avés ci tenu plus de
onse sepmainnes où il a grandement fraiiet et perdu
de ses gens; pour quoi il dist qu’il ne vous recevera ja
ne prendera, se vous ne vous rendés simplement, et
10encores voet il tout premierement avoir monsigneur
Guillaume de Montpaon et faire morir, ensi qu’il a
desservi comme trahitour envers lui.» Lors respondi
messires Loeis de Mailli, et dist: «Messires Guiçart,
tant que de monsigneur Guillaume que vous demandés
15à avoir, nous vous jurrons bien en loyauté que nous
ne savons où il est, et que point il ne se tient en ceste
ville ne n’est tenus de puis que vous mesistes le si[è]ge
ci devant; mais il nous seroit moult dur de nous rendre
en le manière que vous volés avoir, qui ci sommes
20envoiiet comme saudoiier, gaegnans nostre argent,
ensi que vous envoieriés le[s] vostres ou vous iriés
personelment. Et ançois nous feissions ce marchié, nous
nos venderions si chierement que on en parleroit
cent ans à venir. Mais retournés devers monsigneur le
25duch, et li dittes qu’il nous prende courtoisement
sus certainne composition de raençon ensi que il
vorroit que il fesist les siens, se il estoient escheu en
ce dangier.» Lors respondi messires Guiçars, et dist:
«Volentiers; j’en ferai mon plain pooir.» A ces
30parolles retourna li dis mareschaus devers le duch,
et prist en se compagnie le captal de Beus, le signeur
de Rosem et le signeur de Muchident, pour mieulz
[17] abrisier le duch. Quant cil signeur furent devant lui,
se li remoustrèrent tant de belles parolles, unes et aultres,
qu’il descendi à leur entente, et prist les quatre
chevaliers bretons dessus dis et Selvestre Bude et leurs
5gens à merci comme prisonniers. Ensi eut il de
rechief le saisine et possession de [le forteresche de]
Montpaon; et prist le feauté des hommes de le ville,
et y ordonna deus chevaliers gascons et quarante
hommes d’armes et otant d’arciers pour le garder.
10Et le fisent cil tantost reparer bien et à droit par les
païsans de là environ, et le refreschirent de vivres et
d’artillerie.
§ 676. Apriès le reconquès de Montpaon, et que
li dus de Lancastre l’eut repourveue de bonnes gens
15d’armes et de chapitainnes, ils se deslogièrent; et
donna li dis dus congiet à toutes ses gens pour
retraire cescun en son lieu. Si se departirent li un de
l’autre et retournèrent en leurs nations, et s’en
revint li dus en le cité de Bourdiaus et li Poitevin en
20leur pays, et li signeur de Gascongne [s’en ralèrent]
en leurs villes et chastiaus. Si se commencièrent à
espardre les compagnes sus les pays, li quel y faisoient
moult de maulz, ossi bien en terre d’amis que
d’anemis. Si les soustenoit li dis dus et leur souffroit
25à faire leurs aises pour le cause de ce qu’il en pensoit
à avoir besongne. Et par especial les guerres
estoient pour le temps de lors plus dures et plus
fortes sans comparison en Poito que aultre part. Et
tenoient une grande garnison li François ou chastiel
30de Montcontour à quatre liewes de Touwars et à sis
de Poitiers; des quelz messires Piêres de la Gresille
[18] et Jourdains de Coulongne estoient chapitainne et
souverain. Si couroient priès que tous les jours
[devant Touwars ou devant Poitiers, et y faisoient
grans contraires et moult les resongnoient chil du
5païs; d’autre part à Chastel Eraut se tenoit Charuels
et bien cinc cens Bretons qui trop adamagoient le
païs; et chil de le Roche de Ponsoy et chil de
Saint Salvin ossi priès que tous les jours], et n’osoient
li baron et li chevalier de Poito, qui Englès
10se tenoient, chevaucier fors en grant route pour le
doubtance des François qui estoient enclos en leur
pays.
§ 677. Assés tost apriès le revenue de Montpaon
et que cil signeur de Poito furent retrait en leur
15pays, qui tenoient frontière as François, y eut secrés
trettiés entre monsigneur Loeis de Saint Juliien, le
visconte de Rocewart, et aultres François d’un costé,
et le signeur de Pons; et tant parlementèrent et tant
esploitièrent li François par mi grans pourças qui
20vinrent dou roy de France qui nuit et jour travilloit
à attraire chiaus de Poito à son accord, que li sires
de Pons se tourna françois oultre la volenté de ma
dame sa femme, et chiaus de sa ville de Pons en
Poito, et demora à ce dont la dame englesce et li
25sires françois.
De ces nouvelles furent moult courouciet li baron
et li chevalier de Poito qui englès estoient; car
cilz sires de Pons est là uns grans sires malement.
Quant li dus de Lancastre entendi ce, si en eut grant
30mautalent et tint grant mal dou signeur de Pons et
grant bien de ma dame sa femme, et de chiaus de le
[19] ville de Pons, qui se voloient tenir englès. Si y envoia
tantost pour estre chapitainne de la ditte ville
de Pons, et pour aidier et consillier la dame, un chevalier
qui s’appeloit messires Aymenions de Bourch,
5hardi homme et vaillant durement. Si couroit priès
que tous les jours li sires de Pons devant sa ville et
ne les deportoit en riens. Et tele fois y venoit que
il estoit recaciés et reboutés, et retournoit à damage.
Ensi estoient là les coses entoueillies, et li signeur et
10li chevalier l’un contre l’autre; et y fouloit li fors le
foible ne on n’i faisoit droit ne loy ne raison à
nullui. Et estoient les villes et li chastiel entrelachiet
li un en l’autre, li uns englès, li autres françois, qui
couroient et racouroient et pilloient li un sus l’autre
15sans point de deport.
Or s’avisèrent aucun baron et chevalier de Poito
qui englès estoient, que cil de le garnison de
Montcontour les travilloient plus que nul aultre et
que il se trairoient celle part et les iroient assegier.
20Si fisent un mandement en le cité de Poitiers,
ou non dou seneschal de Poito, monsigneur Thumas
de Persi, au quel commandement obeïrent
tout chevalier et escuier, et furent bien cinc cens
lances et deus mil brigans paveschiés par mi les
25arciers. Là estoient messires Guiçars d’Angle, messires
Loeis de Harcourt, li sires de Partenay, li sires
de Puiane, li sires de Tannai Bouton, li sires de Crupegnach,
messires Parcevaus de Coulongne, messires
Joffrois d’Argenton, messires Huges de Vivone, li
30sire de Tors, li sires de Puisances, messires Jakemes
de Surgières, messires Mauburnis de Linières et pluiseur
aultre; et ossi des chevaliers englès qui pour
[20] le temps se tenoient en Poito, par cause d’office ou
de garder le pays, telz que monsigneur Bauduin de
Fraiville, monsigneur d’Aghoriset, monsigneur Gautier
Huet, monsigneur Richart de Pontchardon et
5des aultres. Quant il se furent tout mis ensamble
à Poitiers, et il eurent ordonné leurs besongnes, leur
arroi et leur charoi, il se partirent à grant esploit et
prisent le chemin de Montcontour, tout ordonné
et appareillié ensi que pour le assegier.
10§ 678. Cilz chastiaus de Montcontour siet sur les
marces d’Ango et de Poito, et est malement fors et
biaus, à quatre liewes de Touars. Tant esploitièrent li
dessus dit Poitevin, qui estoient bien en compte
15trois mil combatant, que il y parvinrent. Si le assegièrent
et environnèrent tout au tour; et avoient fait
amener et achariier avoech eulz grans engiens de le
cité de Poitiers, et ossi il en mandèrent en le ville de
Touars. Si les fisent, tantost qu’il furent venu, drecier
par devant le dit chastiel de Montcontour, li quel
20jettoient nuit et jour à le ditte forterèce. Avoecques
ce, li signeur envoioient leurs gens tous les jours
assallir et escarmucier à chiaus dou dit fort, et là
eut fait pluiseurs grans apertises d’armes, car avoech
les Poitevins estoient gens de compagnes qui point ne
25voloient sejourner, telz que Jehans Cressueille et
David Holegrave. Cil doi avoecques monsigneur
Gautier Huet en estoient chapitainne. Messires Pières
de la Gresille et Jourdains de Coulongne qui dedens
estoient, se portoient vaillamment, et s’en venoient
30tous les jours combatre as Englès à leurs barrières.
Entre les assaus que là eut fais, dont il en y eut
[21] pluiseurs au Xe jour que li Englès et Poitevin
furent là venu, il s’avancièrent telement et de si
grant volenté et par si bonne ordenance, que de
force il pertruisièrent les murs dou chastiel, et entrèrent
5dedens, et conquisent les François. Et y furent
tout mort et occis cil qui dedens estoient, excepté
messires Pières et Jourdains, et cinc ou sis hommes
d’armes que les compagnes prisent à merci.
Apriès ceste avenue et le prise de Montcontour,
10messires Thumas de Persi, messires Loeis de Harcourt
et messires Guiçars d’Angle par l’acort et conseil des
aultres barons et chevaliers, donnèrent le chastiel à
monsigneur Gautier Huet, à Jehan Cressuelle et à
David Holegrave et as compagnes qui bien estoient
15cinc cens combatans, pour faire la frontière as Poitevins
contre chiaus d’Ango et du Maine; et puis se
departirent li signeur, et retournèrent cescuns en
leurs lieus. Ensi demora li chastiaus de Montcontour
et li frontière en le garde et ordenance des dessus
20dis qui y fisent tantost une grande garnison, et le
remparèrent grandement, et le tinrent de puis moult
longement, et moult grevèrent le pays de là environ,
car tous les jours il couroient en Ango et en
Mainne.
25§ 679. Nous retourrons à parler de monsigneur
Bertran de Claiekin, connestable de France, qui s’estoit
tenus à Paris et dalés le roy, de puis le revenue
de Pont Volain, où ilz et li sires de Cliçon avoient
ruet jus les Englès, sicom ci dessus est dit, et bien
30avoient entendu que li Englès en Poito et en Ghiane
tenoient les camps. Si ques tantost apriès le Candeler,
[22] que li prins tamps commença à retourner, li dis
messires Bertrans s’avisa qu’il metteroit sus une
grande armée et assamblée de signeurs et de gens
d’armes, et chevauceroit d’autre part ossi bien que li
5Englès chevauçoient en Poito ou pays de Quersi et de
Roerge, car là avoit aucuns Englès qui s’i tenoient
trop honnourablement et estoient tenu de puis la
guerre renouvelée. Et encores de nouviel les gens
monsigneur Jehan d’Evrues, qui se tenoient ou pays
10de Limozin, avoient en Auvergne pris un chastiel,
cité et ville tout ensamble qui s’appelle [Ussel], qui
mies ne faisoit à souffrir. Si disoit li dis connestables
que il se voloit traire de celle part. Si fist par le congiet
dou roy un grant mandement de signeurs, de
15gens d’armes et d’arciers; et se parti de Paris à grant
route et toutdis li croissoient gens. Et tant esploita
li dis connestables qu’il vint en Auvergne. Adont estoient
dalés lui et en se compagnie li dus de Berri,
li dus de Bourbon, li contes d’Alençon, li contes du
20Perce, ses frères, li contes de Saint Pol, li daufins
d’Auvergne, li contes de Vendome, li contes de Porsiien,
li sires de Sulli, li sires de Montagut, messires
Huges Dauffins, li sires de Biaugeu, li sires de Rocefort,
li sires de Calençon et grant fuison de barons
25et de chevaliers des marces et tenures de France.
Si esploitièrent tant ces gens d’armes avoech le dessus
dit connestable que il vinrent devant le cité
d’Ussel. Si le assegièrent et y furent quinse jours. Là
en dedens il y eut pluiseurs assaus, grans et fors;
30mais onques en celle empainte il ne peurent prendre
le forterèce, car il y avoit dedens Englès, qui trop
vaillamment le gardèrent. Si s’en partirent ces [gens]
[23] d’armes et chevaucièrent oultre avoech le connestable
en Roerge.
Et li aucun des chiés des signeurs vinrent en Avignon
veoir le pape Grigore et le duch d’Ango, qui se
5tenoit dalés lui. Tantost apriès celle visitation, que
cil signeur fisent au pape et au duch d’Ango, il se
departirent de le cité d’Avignon et se retraisent devant
le connestable qui chevauçoit en Roerge et conqueroit
villes et chastiaus sus les Englès. Si s’en vinrent
10devant le ville de La Millau, et le assegièrent, la
quele messire Thumas de Welkefare tenoit et avoit
tenu tout le temps, et aussi le Roce Vauclere. Mais
li dessus dis chevaliers englès, par composition à ce
dont que messires Bertrans fu venus ou pays, s’en
15parti et li Englès qui de se route se tenoient. Et li
rendirent encores aucuns chastiaus sur les frontières
de Limozin. Et quant li dis messires Bertrans les ot
rafreschis, il prist son chemin et son retour, et tout
cil signeur de France en se compagnie pour venir
20de rechief devant le cité d’Ussel, en Auvergne, et le
assegièrent. Et fisent là li dus de Berri et li dus de
Bourbon et li connestables amener et achariier grans
engiens de Rion et de Clermont, et drecier devant
la ditte forterèce, et avoech tout ce appareillier grans
25atournemens d’assaus.
§ 680. Quant li Englès, qui s’estoient tenu en le
cité d’Ussel si vaillamment, veirent le manière et ordenance
dou connestable et des François, et il entendirent
que messires Thumas de Welkefare estoit partis
30de ses forterèces de Roerge et que confors ne leur
apparoit de nul costé, si se commencièrent à consillier
[24] et aviser qu’il se renderoient par trettié, non aultrement.
Si trettièrent si bellement et si sagement
devers le connestable, qu’il se partirent sans damage
et sans blasme, et emportoient tout le leur, ce que
5porter en pooient devant yaus. Et avoech tout ce, on
les devoit conviier jusques à Sainte Sivière en Limozin.
Ceste ordenance fut tenue: li Englès se partirent
et rendirent tout ce que il tenoient d’Ussel,
cité et chastiel, et furent mené sanz peril jusques en
10le garnison dessus dite. Ensi acquitta en ce voiage
messires Bertrans un grant fuison de pays que li Englès
avoient tenu, et tourna françois; dont il acquist
grant grasce, et puis retourna en France.
Vous avés bien ci dessus oy parler de le chevaucie
15monsigneur Robert Canolles, qu’il fist en France, et
comment il retourna en son pays de Derval en
Bretagne; et est bien voirs que aucun Englès, à
leur retour, parlèrent grandement de sen honneur
en Engleterre, et tant que li rois et ses consaulz en
20furent enfourmé contre lui et mal content. Mais
quant li dis messires Robers le sceut, il s’envoia escuser
par deus de ses escuiers d’onneur, telement que
li rois et se[s] consaulz se tinrent pour mal enfourmé
en devant dou dit monsigneur Robert, et de lui bien
25se contentèrent, parmi ce que messires Alains de Bouquesele
et aucun aultre chevalier, bien amé et proçain
dou roy, l’aidièrent à escuser. Et en fu trouvés
en son tort tant que il le compara chierement, messires
Jehans Mestreourde, car il en fu pris et justiciés
30publikement en le cité de Londres. Par celle justice fu
lavés et escusés de toutes amises li dessus dis messires
Robers et demora en le grace dou roy et dou prince.
[25] § 681. Li rois d’Engleterre qui se veoit guerriiés
et cuvriiés des François malement, acqueroit amis,
ce qu’il pooit, par de deça le mer. Et avoit pour lui
le duch de Guerles, son neveu, et le duch de Jullers,
5et devoient en celle saison mettre sus une grande
somme de gens d’armes, et bien estoit en leur poissance
pour entrer en France. Et de ce et d’yaulz se
doubtoit bien li rois de France. En ce temps envoioit
li rois d’Engleterre le conte de Herfort et les chevaliers
10de son hostel moult ordeneement en Bretagne,
pour parler au duch sus aucunes ordenances qui devoient
estre entre lui et le duch.
Et pour lors n’estoient point bien cler li Englès et
li Flamench, et s’estoient celle saison heriiet sus mer,
15et tant que li Flamench avoient perdu: dont il leur
desplaisoit. Si se trouvèrent d’aventure devant un
havene en Bretagne que on dist à le Bay, chil Englès
et cil Flamench. Si estoit paterons de le navie des
Flamens Jehans Pietresone, et des Englès messires
20Guis de Briane. Si tretos comme il se furent trouvé, il
ferirent ensamble et assamblèrent de leurs vaissiaus;
et là eut grant bataille et dure malement. Et estoient
là des chevaliers dou dit roy avoec le comte de Herfort,
messires Richars de Pennebruge, messires Alains de
25Bouquesele, messires Richars Sturi, messires Thumas
Wisk, et des aultres. Si se combatirent chil chevalier
et leurs gens moult asprement à ces Flamens, et s’i
portèrent très vaillamment, comment que li Flamench
fuissent plus grant fuison et pourveu de leur
30fait. Car il n’avoient desiré toute le saison aultre cose
que il peuissent avoir trouvés les Englès, mais pour
ce ne l’eurent il mies davantage. Si dura ceste bataille
[26] sus mer bien trois heures, et là ot fait pluiseurs
apertises d’armes et maint homme navré et
blechié dou trait. Et avoient leurs nefs atachies à
grawés de fier et à kainnes pour quoi il ne peuissent
5fuir. Toutes fois finablement la place demora as Englès,
et furent li dit Flamench desconfi, et sires
Jehans Pietresone, leurs paterons, pris, et tous li demorans
mors et pris; onques piés n’en escapa. Et
retournèrent li dit Englès arrière en Engleterre, qui
10en menèrent leur conquès et leurs prisonniers, et ne
fisent point leur voiage en Bretagne adont. Si comptèrent
ces nouvelles au roi d’Engleterre lor signeur,
qui fu moult joians de leur avenue, quant il entendi
que li Flamench qui envay les avoient, estoient desconfi.
15Si furent tantos envoiiet en prison fremée
Jehan Pietresone et li aultre, et espars par mi
Engleterre.
§ 682. Apriès celle desconfiture qui fu faite sus
les Flamens, devant le Bay en Bretagne, li rois d’Engleterre
20mist grans gens sus mer à l’encontre des
Flamens, et les commanda à guerriier et heriier et à
clore les pas, par quoi riens ne leur venist fors à
grant dangier. Quant cil de Bruges, d’Ippre et de
Gand entendirent ces nouvelles, si misent leurs consaulz
25ensamble et disent, tout imaginé et consideré,
que pourfitable ne leur estoit mie d’avoir la guerre
et le hayne as Englès, qui leur estoient voisin et marcissant
à yaus, pour l’oppinion de leur signeur le
conte aidier à soustenir, comment que il en touchoit
30aucunement à yaus, otant bien c’au conte. Si se dissimulèrent
li plus sage des bonnes villes, et envoiièrent
[27] de par yaus souffisans hommes et bons
trettieurs en Engleterre devers le roy et son conseil,
li quel esploitièrent si bien [ains leur retour], que
il aportèrent pais au pays de Flandres et as Flamens
5sus certains articles et ordenances qui furent ditté et
seelé entre l’une partie et l’autre: si demora la cose
en bon et segur estat.
Or parlerons un petit dou roy Jame de Mayogres.
§ 683. Vous avés bien oy recorder comment li
10rois de Mayogres fu pris ou Val d’Olif en Castille au
reconquès que li rois Henris fist en Espagne, et demora
prisonniers au dit roy Henri. Quant la royne
de Naples, sa femme, et la markise de Montferrat, sa
soer, entendirent ces nouvelles, si furent moult coureciés
15de l’avenue et y pourveirent de remede et de
conseil. Je vous dirai par quel manière elles traittièrent
et fisent traittier par sages et vaillans hommes
devers le roy Henri; et tant que li rois de Mayogres
fu mis à finance et rançonnés à cent mil frans, le[s]quelz
20les deus dames dessus dittes paiièrent si courtoisement
que li rois Henris leur en sceut gré. Tantost
que li rois de Mayogres se peut partir, il retourna en
Naples et ne volt mies sejourner; mès quist or et argent
à grant pooir et amis de tous lés. Et se remist
25de rechief au chemin en istance de ce que pour guerriier
le roy d’Arragon, sen adversaire, qu’il ne pooit
amer; car il li avoit son père mort et li tenoit son
hiretage. Si esploita tant li dis rois qu’il vint en Avignon
devers le pape Grigore XIe, et là se tint plus
30d’un mois. Et fist ses complaintes si bien et si à point
au dit Saint Père, que il descendi à ses priières. Et
[28] consenti bien au dit roy de Mayogres, que il fesist guerre
au dit roy d’Arragon, car il avoit cause qui le mouvoit;
c’estoit pour son hiretage. Dont se pourvei li
dis rois de Mayogres de gens d’armes là où il les peut
5avoir, et le acata bien et chier, Englès, Gascons,
Alemans, Bretons et gens de compagnes, des quelz
messires Garsions dou Chastiel, messires Jehans de
Malatrait et Selevestre Bude et Jakes de Bray estoient
chapitainne. Si pooient estre environ douse cens
10combatans; et passèrent oultre et entrèrent en Navare
et sejournèrent là par le consentement et acord
dou roy; et de Navare en Arragon. Et commencièrent
cil chevalier, ces gens d’armes et leurs routes,
à faire guerre au roy d’Arragon et à courir sus son
15pays, à prendre et à essillier petis fors et travillier le
plain pays où il pooient habiter et entrer et rançonner
hommes et femmes; et tant que li rois d’Arragon,
qui bien se doubtoit de celle guerre, envoia
grant gent d’armes sus les frontières; des quelz li viscontes
20de Rokebertin et li contes de Rodès furent
meneur et chapitainne. Celle guerre pendant, qui estoit
ja toute ouverte et moult felle, li rois James de
Mayogres s’acouça malades de rechief ou Val de
Sorie; de la quele maladie il morut. Par ensi eurent
25li Aragonnois pais de ce costé un grant temps; et se
departirent ces compagnes qui là avoient guerriiet, et
s’en retournèrent en France, cescuns devers le signeur
dont il pensoient avoir plus grant pourfit. Or
parlerons nous dou duch de Lancastre.
30§ 684. Li dus Jehans de Lancastre qui se tenoit
en le bonne cité de Bourdiaus sus Garone, et dalés
[29] lui pluiseurs barons et chevaliers d’Aquitainne, car
encores y estoient les coses en bon estat pour le partie
des Englès, quoi c’aucun baron de Poito et de Limozin
se fuissent retourné françois, faisoit souvent
5des issues et chevaucies sus ses ennemis, où riens ne
perdoit; et bien le ressongnoient ou pays cil qui tenoient
les frontières pour le duch d’Ango. Cilz dus
estoit veues et sans moullier; car ma dame Blance de
Lancastre et Derbi, sa femme, estoit trespassée de ce
10siècle. Si avisèrent li baron de Gascongne et messires
Guiçars d’Angle, que li rois dan Pietres avoit deus
filles de son premier mariage de la suer le roy de Portingal,
les queles estoient en le cité de Bayone, et là
à garant afuies. Et les avoient amenées par mer aucun
15chevalier de le Marce de Sebille, pour le doubtance
dou roy Henri, sitost qu’il sceurent le mort de leur
père, le roy dan Pietre. Si se tenoient là les deus filletes
toutes esgarées, dont on pooit avoir grant pité,
car elles estoient hiretières de Castille, qui bien leur
20fesist droit, par le succession dou roy, leur père. Si fu
ce remoustré au duch de Lancastre en disant ensi:
«Monsigneur, vous estes à marier, et nous savons là
un grant mariage pour vous, dont vous ou vostre hoir
serés encores rois de Castille. Et s’est très grant aumosne
25de reconforter et consillier puceletes et filles de
roy, especiaument qui sont en tel estat comme celles
sont. Si prendés l’ainsnée en mariage, nous le vous
consillons, car en present nous ne savons où vous
vous poés plus hautement marier, ne de quoi si grans
30pourfis vous puist nestre.» Ces parolles [et autres]
entamèrent telement le coer dou dit duch et si bien li
plaisirent, que il y entendi volentiers. Et envoia tantos
[30] et sans delay querre les deus damoiselles qui s’appeloient
Constanse et Ysabiel par quatre de ses chevaliers.
Et parti de Bourdiaus li dis dus, quant il sceut
et entendi que elles venoient, et ala encontre elles en
5grant arroy. Et espousa l’ainnée, ma dame Constanse,
sus ce chemin en un village dalés le cité de Bourdiaus,
qui s’appelle Rocefort. Et eut illuech au jour
des espousalles grans festes et grans reviaus et fuison
de signeurs et de dames pour la feste plus efforcier.
10Tantos apriès les espousalles, li dus amena ma dame
sa femme en le cité de Bourdiaus; et là eut de rechief
grant feste. Et furent la ditte dame et sa suer
moult conjoïes et festées des dames et damoizelles de
Bourdiaus; et leur furent donné grans dons et biaus
15presens pour l’amour dou dit duch.
§ 685. Ces nouvelles vinrent en Castille au roy
Henri et as barons dou dit royaume, qui ahers et
alloiiet à lui s’estoient de foy et d’ommage, comment
sa nièce avoit espousé le duch de Lancastre, et encores
20supposoit on que se mainnée suer Ysabiel espouseroit
le conte de Cantbruge, le dit duch retourné
en Engleterre. Si fu plus pensieus li di rois Henris
que devant, et en mist son conseil ensamble. Si fu
adont conseilliés que il envoiast grans messages devers
25le roy de France, qui bien sceuissent parler et
remoustrer son afaire, et qui de ce mariage estoit tous
enfourmés. A ce conseil et avis se tint li rois Henris,
et ordonna sages hommes et les plus autentis de son
royaume pour aler en France. Si se misent ou chemin
30en grant arroy et fisent tant par leurs journées qu’il
vinrent en le cité de Paris, où il trouvèrent le roy, qui
[31] les rechut à grant joie, ensi que bien le sceut faire.
Entre le dit roy et le conseil dou roy Henri, qui avoient
procurations et seellés bons et justes de faire trettier
et proceder en toutes coses, ou nom de leur signeur,
5eut pluiseurs parlemens, consaulz et trettiés secrés et
aultres, li quel tournèrent à effect. Finablement en ce
temps furent acordées, ordonnées et confremées
alliances et confederations moult grandes et jurées
solennelment de toutes parties, à tenir fermement et
10non brisier ne aler à l’encontre par aucune voie, que
cil doi roy demoroient en une unité de pais, d’amour
et d’alliance. Et jura adont li rois de France solennelment
en parolle de roy que il aideroit et conforteroit
le roy de Castille en tous ses besoings, et ne feroit
15pais ne acord aucunement au roy d’Engleterre, que
il ne fust mis dedens. A ces trettiés, acors et alliances
faire, rendi grant painne et diligense messires Bertrans
de Claiekin, qui moult amoit le roy Henri.
Apriès toutes ces coses faites, confremées et acordées
20et seelées, se departirent li ambasadour dou roy Henri
et retournèrent en Espagne, et trouvèrent leur signeur
au Lyon en Espagne, qui fu moult liés de leur revenue
et de ce qu’il avoient si bien esploitié. Et se tint de
puis par mi ces alliances li rois Henris plus assegurés
25et confortés que devant.
§ 686. Nous retourrons au duch de Lancastre qui se
tenoit en le bonne cité de Bourdiaus, et eut avis environ
le Saint Michiel, qu’il retourneroit en Engleterre,
pour mieulz enfourmer le roy son père des besongnes
30d’Aquitainnes: si se ordonna et appareilla selonch ce.
Un petit devant ce que il deuist mouvoir ne partir,
[32] il assambla en le cité de Bourdiaus tous les barons
et chevaliers de Giane qui pour le temps se tenoient
Englès. Et quant il furent tout venu, il leur remoustra
que il avoient entention de retourner en Engleterre
5pour certainnes coses et le pourfit d’yaus tous
et de la ducé d’Aquitainne, et que à l’esté qui revenoit,
il retourneroit, se li rois, ses frères, l’acordoit.
Ces parolles plaisirent bien à tous ceulz qui les entendirent.
Là institua et ordonna li dis dus monsigneur
10le captal de Beus, le signeur de Moutchident et le
signeur de Lespare pour estre mainbour et gouvreneur
de tout le pays de Gascongne, qui pour yaus se
tenoit, et en Poito monsigneur Loeis de Harcourt
et le signeur de Partenay; et en Saintonge monsigneur
15Joffroi d’Argenton et monsigneur Guillaume
de Monttendre; et laissa tous seneschaus et officiers
ensi comme il estoient en devant. Là furent ordonné
d’aler en Engleterre avoech le dit duch, par le conseil
des Gascons, Saintongiers et Poitevins, pour
20parler au roy et remoustrer les besongnes et l’estat
d’Aquitainne [plus plainement], messires Guiçars
d’Angle, li sires de Puiane, et messires Aymeris de
Tarste. Et encores pour le cause d’yaus attendre,
detria li dus un petit. Quant il furent tout apparelliet
25et les nefs cargies et ordonnées, il entrèrent
dedens sur le havene de Bourdiaus, qui est biaus et
larges. Si se parti li dis dus à grant compagnie de
gens d’armes et d’arciers, et avoit bien soissante gros
vaissiaus en se route parmi les pourveances, et en
30mena avoecques lui sa femme et sa suer; envis les euist
laissies. Si esploitièrent tant li maronnier par le bon
vent qu’il eurent qu’il arrivèrent ou havene de
[33] Hantonne en Engleterre. Et là issirent il des vaissiaus
et entrèrent en le ville; se s’i reposèrent et rafreschirent
par deus jours, et puis s’en partirent. Et
chevaucièrent tant qu’il vinrent à Windesore, où
5li rois se tenoit, qui rechut son fil le duch, les dames
et les damoiselles et les chevaliers estragniers à
grant feste. Et par especial il vei moult volentiers
monsigneur Guichart d’Angle.
En ce temps trespassa cilz gentilz chevaliers,
10messires Gautiers de Mauni, en le cité de Londres,
dont tout li baron d’Engleterre furent moult coureciet,
pour le loyauté et bon conseil que en lui
avoient toutdis veu et trouvé. Si fu ensepelis à
grant solennité en un monastère de Chartrous, qu’il
15avoit fait edifier au dehors de Londres. Et furent au
jour de son obsèque là li rois d’Engleterre et tout si
enfant, et li prelat et baron d’Engleterre. Si rescheï
toute sa terre de delà le mer et de cha en Haynau au
conte Jehan de Pennebruch, qui avoit à femme ma
20dame Anne, sa fille. Si envoia li dis contes de Pennebruch
relever sa terre en Haynau, qui escheue li
estoit, par deus de ses chevaliers qui en fisent leur
devoir au duc Aubert, ensi qu’il apertenoit, et qui
tenoit la conté de Haynau pour ce temps en bail.
CHAPITRE XCIX
25§ 687. Tout cel iver se portèrent ensi les besongnes
en Engleterre, et y eut pluiseurs consaulz et
imaginations entre les signeurs sus l’estat dou pays,
à savoir comment il se maintenroient sus l’esté qui
venoit. Et avoient li Englès intention de faire deus
30voiages, l’un en Ghiane, et l’autre en France par
Calais, et acqueroient amis de tous lés ce qu’il
[34] pooient, tant en Alemagne comme ens es marces de
l’empire, où pluiseur signeur, chevalier et escuier
estoient de leur acord. Avoech tout ce, il faisoient le
plus grant appareil de pourveances et de toutes coses
5neccessaires à ost que on euist [veu] en grant temps
faire. Bien savoit li rois de France aucuns des secrés
des Englès et sus quel estat il estoient, et quel cose il
proposoient à faire. Si se consilloit et fourmoit sur ce,
et faisoit pourveir ses cités, villes et chastiaus moult
10grossement en Pikardie, et tenoit par tout en garnison
grant fuison de gens d’armes, par quoi li pays ne
fust souspris d’aucune mal aventure.
Quant li estés fut venus et li rois Edouwars d’Engleterre
eut tenu sa feste et fait la solennité de Saint
15Gorge, ou chastiel de Windesore, ensi que il avoit
d’usage cascun an de faire, et que messires Guichars
d’Angle y fu entrés comme confrères, avoech le roy et
ses enfans et les barons d’Engleterre qui se nommoient
en confraternité les chevaliers dou bleu ghertier, li dis
20rois s’avala à Londres en son palais de Westmoustier,
et là eut grans consaulz et parlemens sus les besongnes
de rechief dou pays. Et pour tant que li dus de
Lancastre devoit en celle saison passer en France
par les plains de Pikardie, et li contes de Cantbruge,
25ses frères, avoecques lui, li rois ordena et institua, à le
prière et requeste de monsigneur Guichart d’Angle
et des Poitevins, le conte de Pennebruch à aler en
Poito pour viseter le pays et faire guerre as François
de ce costé, car li Gascon et Poitevin avoient priiet
30et requis au roy d’Engleterre par lettres et par la
bouche de monsigneur Guiçart d’Angle, que, se il
estoit si conseilliés que nulz de ses filz ne peuist en
[35] celle saison faire ce voiage, il leur envoiast le conte
de Pennebruch que moult amoient et desiroient à
avoir, car il le sentoient bon chevalier et hardi durement.
Se dist li rois d’Engleterre au conte de Pennebruch,
5presens pluiseurs barons et chevaliers, qui
là estoient assamblé au conseil: «Jehan, biaus fils,
je vous ordonne et institue que vous alés en Poito en
le compagnie de monsigneur Guiçart d’Angle, et
là serés gouvrenères et souverains de toutes les gens
10d’armes que vous y trouverés, dont il y a grant
fuison, si com je sui enfourmés, et de chiaus ossi que
vous y menrés.» Li contes de Pennebruch à ceste
parolle s’engenoulla devant le roy, et dist: «Monsigneur,
grant mercis de le haute honneur, que vous
15me faites. Je serai volentiers ens es parties par de delà
uns de vos petis mareschaus.» Ensi sus cel estat se
departi cilz parlemens, et retourna les rois à Windesore,
et emmena monsigneur Guiçart avoech lui, au
quel il parloit souvent des besongnes de Poito et de
20Ghiane. Messires Guiçars li disoit: «Monsigneur,
mès que nostre chapitainne et mainbour, li contes
de Pennebruch, soit arivés par de delà, nous ferons
bonne guerre et forte. Car encor y trouverons nous
entre quatre mil et cinc mil lances, qui toutes obeïront
25à vous, mais qu’il soient paiiet de leurs gages.»
Lors respondoit li rois: «Messire Guiçart, messire
Guiçart, ne vous soussiiés point d’avoir or et argent
assés pour faire [par delà] bonne guerre, car j’en ay
assés; et si l’emploie volentiers en tel marcheandise,
30puis qu’il me touche et besongne pour l’onneur de
moy et de mon royaume.»
[36] § 688. Ensi et de pluiseurs aultres parolles s’esbatoit
souvent en parlant li rois d’Engleterre au dit
monsigneur Guichart, que moult amoit et creoit:
c’estoit bien raisons. Or fu li contes de Pennebruch
5tous appareilliés, et li saisons vint et ordenance qu’il
deubt partir. Si prist congiet au roy qui li donna liement,
et à tous chiaus qui en se compagnie devoient
aler, et me samble que messires Othes de Grantson
d’oultre le Sone y fu ordonnés [et institués] d’aler.
10Li contes de Pennebruch n’eut mies adont trop
grant gent en se compagnie fors ses chevaliers tant
seulement, sus l’information que li rois avoit de
monsigneur Guiçart d’Angle, mais il emportoit en
nobles et en florins tel somme de monnoie que
15pour gagier trois mil combatans un an. Si esploitièrent
tant li dessus dit, apriès le congiet pris dou
roy, que il vinrent à Hantonne; là sejournèrent il
quinse jours, en attendant le vent qui leur estoit contraires.
Au XVIIe jour il eurent vent à volenté, si entrèrent
20en leurs vaissiaus, et se partirent dou havene, et
se commandèrent en le garde et conduit de Diu et
de saint Gorge, et puis singlèrent devers Poito.
Li rois Charles de France, qui savoit la grignour
partie des consaulz d’Engleterre, mies ne sçai par
25qui il li estoient revelé, et comment messires Guiçars
d’Angle et si compagnon estoient alé en Engleterre
et sus quel estat, pour impetrer au roy qu’il euissent
un bon mainbour et chapitainne, et ja savoit que li
contes de Pennebruch y estoit ordenés de venir, et
30toute se carge, si s’estoit li dis rois de France avisés
selonch ce, et avoit secretement mis sus une armée
de gens d’armes par mer, voires à sa prière et
[37] requeste, car ces gens estoient au roy Henri de Castille,
les quels il li avoit envoiiés parmi les alliances et
confederations qu’il avoient ensamble. Et estoient cil
Espagnol [de une flote] quarante grosses nefs et
5trese barges bien pourveues et breteschies ensi que
nefs d’Espagne sont; si en estoient patron et souverain
quatre vaillant homme, Ambrose Boukenègre,
Cabesse de Vake, dan Ferrant de Pyon et Radigos
de la Roselle. Si avoient cil Espagnol un grant temps
10waucré sus mer, en attendant le retour des Poitevins
et la venue du conte de Pennebruch; car bien
savoient que il devoient venir et ariver en Poito, et
s’estoient mis à l’ancre devant le ville de le Rocelle.
Or avint ensi que le jour devant la vigile Saint Jehan
15Baptiste que on compta l’an mil trois cens settante et
deus, li contes de Pennebruch et se route deurent
ariver ou havene de le Rocelle, mès il trouvèrent les
dessus dis Espagnolz au devant, qui leur calengièrent
le rivage, et furent moult liet de leur venue. Quant li
20Englès et li Poitevin veirent les Espagnolz, et que
combatre les couvenoit, si se confortèrent en eulz
meismes, comment qu’il ne fuissent mies bien parti
tant de gens comme de grans vaissiaus, et s’armèrent
et ordonnèrent ensi que pour tantost combatre, et
25misent leurs arciers au devant d’iaus. Evous les nefs
espagnoles venans, qui bien estoient pourveues et
garitées, et dedens grant fuison de gens, d’armes et de
brigans qui avoient arbalestres et kanons. Et li pluiseur
tenoient grans barriaus de fier et plommées de
30plonch pour tout effondrer: tantost furent approciet
en demenant grant noise et grant huée. Ces grosses
nefs d’Espagne prisent le vent d’amont pour prendre
[38] leur tour sus ces nefs englesces que peu amiroient ne
prisoient, et puis s’en vinrent atendant à plain voile
sus yaus. Là eut à che commenchement grant trairie
des unes as aultres, et s’i portèrent li Englès moult
5bien. Là fist li contes de Pennebruch aucuns de ses
escuiers chevaliers pour honneur, et puis entendirent
à yaus deffendre et combatre de grant volenté. Là
eut grant bataille et dure, et li Englès eurent bien à
quoi entendre, car cil Espagnol qui estoient en leurs
10vaissiaus si grans qu’il se moustroient tout deseure
ces vaissiaus d’Engleterre, et qui tenoient gros barriaus
de fier et pières, les lançoient et jettoient contreval
pour effondrer les nefs englesces, et bleçoient
gens et hommes d’armes malement. Là estoient entre
15les chevaliers d’Engleterre et de Poito chevalerie et
proèce remoustrées très grandement. Li contes de
Pennebruch se combattoit et requeroit ses ennemis
moult fierement, et y fist ce jour pluiseurs grans
apertises d’armes, et ossi fisent messires Othes de
20Grantson, messires Guiçars d’Angle, li sires de Puiane
et tout li aultre chevalier.
§ 689. A ce que je oy recorder chiaus qui furent
à celle besongne devant le Rocelle, bien moustrèrent
li Englès et li Poitevin qui là estoient, que il desiroient
25moult à conquerre et avoir grant pris d’armes;
car onques gens ne se tinrent si vaillamment ne
si bien ne se combatirent, car ils n’estoient qu’un
petit ens ou regard des Espagnols et en menus vaissiaus,
et se poet on esmervillier comment tant durèrent;
30mès la grant proèce et chevalerie d’yaus les
confortoit et tenoit en force et en vigheur; et se il
[39] fuissent ingal de nefs et de vaissiaus, li Espagnol ne
l’euissent mies eu d’avantage, car il tenoient leurs
lances acerées, dont il lançoient les horions si grans
que nulz ne les osoit approcier, se il n’estoit trop
5bien armés et paveschiés. Mès li très et jets qui venoit
d’amont, de pières, de plommées de plonc et de
barriaus de fier, les grevoit et empechoit durement,
et navra et bleça des leurs chevaliers et escuiers ce
premier jour pluiseurs. Bien veoient les gens de le
10Rocelle le bataille, mès point ne s’avançoient d’aler
ne de traire celle part pour conforter leurs gens qui
si vaillamment se combatoient, ançois les laissoient
couvenir. En cel estri et en celle rihote furent il
jusques à le nuit que il se departirent li un de l’autre,
15et se misent à l’ancre, mès li Englès perdirent ce
premier jour deus barges de pourveances, et furent
tout cil mis à bort qui dedens estoient. Toute celle
nuit fu messires Jehans de Harpedane, qui pour le
temps estoit seneschaus de le Rocelle, en grans priières
20envers chiaus de le ville, le maieur, sire Jehan
[Cauderier], et les aultres que il se volsissent armer
et faire armer le communauté de le ville et entrer
en barges et en nefs, qui sus le kay estoient pour
aler aidier et conforter leurs gens, qui tout ce jour
25si vaillamment s’estoient combatu. Cil de le Rocelle
qui nulle volenté n’en avoient, s’escusoient et disoient
que il avoient à garder leur ville et que ce
n’estoient mies gens de mer ne combatre ne se saroient
sus mer ne as Espagnolz; mais se la bataille
30estoit sus terre, il iroient volentiers. Si demora la
cose en cel estat, ne onques ne les peut amener pour
priière que il peuist faire à ce que il y vosissent aler.
[40] A ce jour estoient en le Rocelle li sires de Tannai
Bouton, messires Jakemes de Surgières et messires
Mauburnis de Linières, qui bien s’aquittèrent de
priier ossi avoech le dessus dit chiaus de le Rocelle.
5Quant cil quatre chevalier veirent que il ne
poroient riens esploitier, il s’armèrent et fisent armer
leurs gens, ce qu’il en avoient, ce n’estoit point fuison,
et entrèrent en quatre barges que il prisent sus
le kay, et au point dou jour, quant li flos fu revenus,
10il se fisent naviier jusques à leurs compagnons, qui
leur seurent grant gret de leur venue, et disent bien
au conte de Pennebruch et à monsigneur Guiçart
que de chiaus de le Rocelle il ne seroient point secouru
ne conforté, et qu’il se avisassent sur ce. Et cil
15qui amender ne le pooient, respondirent que il leur
couvenoit le merci de Dieu et l’aventure attendre, et
que un temps venroit que cil de le Rocelle s’en
repentiroient.
§ 690. Quant ce vint au jour que tous li wèbes fu
20revenus et que plains flos estoit, cil Espagnol se
desancrèrent en demenant grant noise de trompes et de
trompètes, et se misent en bonne ordenance ensi que
le jour devant, et arroutèrent toutes leurs grosses
nefs pouveues et armées moult grandement, et prisent
25l’avantage dou vent, pour enclore les nefs des
Englès qui n’estoient point grant fuison, ens ou regard
d’yaus. Et estoient li quatre patron qui ci dessus
sont nommé, tout devant en bonne ordenance.
Li Englès et Poitevin, qui bien veoient leur couvenant,
30se ordenèrent selonch ce, et se recueillièrent
tout ensamble, et ce que il avoient d’arciers, il les
[41] misent tout devant. Evous les Espagnos venus à plain
voile, Ambrose Boukenègre, Cabesse de Vake, dan
Ferrant de Pyon et Radigo de la Roselle, qui les envaïrent,
et commencièrent la bataille felenesce et
5perilleuse. Quant il furent tout assamblé, li Espagnol
jettèrent grans cros et havès de fier à kainnes, et
se atachièrent as Englès, par quoi il ne se peuissent
departir: car il les comptoient ensi que pour yaus.
Avoech le conte de Pennebruch et monsigneur Guichart
10avoit vint et deus chevaliers de grant volenté
et de bon hardement, qui vaillamment se combatoient
de lances et d’espées et d’armeures que il portoient.
Là furent en cel estat un grant temps lançans et combatans
l’un à l’autre. Mais li Espagnol avoient trop
15grant avantage d’assallir et de yaus targier et deffendre
envers les Englès; car il estoient en grans vaissiaus
plus grans et plus fors assés que li Englès.
Pour quoi il lançoient d’amont barriaus de fier, pières
et plommées, qui moult travilloient les Englès. En cel
20estat et en celle rihote, combatant et deffendant, lançant
et traiant l’un sus l’autre, furent il jusques à
l’eure de tierce, ne onques gens sus mer ne prisent si
grant travail que li Englès et Poitevin fisent, car il
en y avoit le plus des leurs blechiés dou trait et dou
25jet des pières et fondes d’amont, et tant que messires
Aymeris de Tarste, cilz vaillans chevaliers de Gascongne,
y fu occis et messires Jehans de Lantonne
qui estoit chevaliers dou corps dou conte
de Pennebruch. Au vaissiel dou dit conte estoient
30arresté quatre nefs espagnoles, des queles Cabesse
de Vake et Ferrant de Pyon estoient gouvreneur
et conduiseur. En ces vaissiaus, ce vous di, avoit
[42] grant fuison de dure gent, et tant au combatre, au
traire et au lancier, travillièrent le conte et ses gens
qu’il entrèrent en leur vaissiel où il eut fait tamainte
grant apertise d’armes, et là fu pris li dis conte et
5tout cil mort et pris, qui estoient en son vaissiel: tout
premierement de ses chevaliers pris messires Robers
Tinfors, messires Jehans Courson et messires Jehans
de Gruières, et mors messires Symons Housagre,
messires Jehans de Mortain et messires Jehans Touchet.
10D’autre part se combatoient li Poitevin, messires
Guichars d’Angle, li sire de Puiane et li sires
de Tannai Bouton, et aucun bon chevalier de leur
route, et en une autre nef messires Othes de Grantson
à Ambrose Boukenègre et à Radigo de la Roselle:
15si avoient plus que leur fais. Et tant que li chevalier
furent tout pris des Espagnolz, ne onques nulz n’en
escapa qui ne fu mors ou pris, Englès ne Poitevins,
et toutes leurs gens ou dangier des Espagnolz de
prendre ou de l’occire. Mais quant il eurent les signeurs
20et il en furent saisit, de puis il ne tuèrent nulz
des varlès, car li signeur priièrent que on leur laissast
leurs gens, et qu’il feroient bon pour tous.
§ 691. Qui se trueve en tel parti d’armes que messires
Guichars d’Angle et li contes de Pennebruc et
25leurs gens se trouvèrent devant le Rocelle en ce jour
dessus nommé, il fault prendre en gré l’aventure, tele
que Diex et fortune li envoie. Et sachiés que pour ce
jour, coi que li baron, chevalier et escuier, qui là
furent mort et pris, le comparassent, li rois d’Engleterre
30y perdi plus que nuls, car par celle desconfiture
se perdi de puis tous li pays, sicom vous orés en avant
[43] recorder en l’ystore. On me dist que la nef englesce
où li finance estoit, dont messires Guiçars devoit gagier
et paiier les saudoiiers en Giane, et tous li avoirs qui
dedens estoit, fu perie et ne vint à nul pourfit. Tout
5ce jour qui fut la vigile Saint Jehan Baptiste, le nuit et
l’endemain jusques apriès nonne, se tinrent li Espagnol
à l’ancre devant le Rocelle, en demenant grant
joie et grant reviel, dont il en cheï trop bien à un
chevalier de Poito qui s’appelloit messires Jakemes de
10Surgières; car il parla si bellement à sen mestre qu’il
fu quittes parmi trois cens frans qu’il paia là tous
appareilliés, et vint le jour Saint Jehan [disner] en le
ville de le Rocelle. Par lui sceut on lors comment la
besongne avoit alé et li quel estoient mort et pris.
15Pluiseur des bourgois de le ville moustroient par
samblant qu’il en fuissent couroucié, qui tout joiant
en estoient, car onques n’amèrent naturelment les
Englès. Quant ce vint apriès nonne ce dit jour Saint
Jean Baptiste que li flos fu revenus, li Espagnol se
20desancrèrent et sachièrent les voiles amont, et se
departirent en demenant grant noise de trompes
et de trompètes, de muses et de tabours. Si avoit
au son de leurs mas grans estramières à manière de
pennons armoiiés des armes de Castille si grans et
25si lons que li coron bien souvent frapoient en l’aigue,
et estoit grans biautés dou regarder. En cel
estat se departirent li dessus dit, et prisent leur
tour de le haute mer pour cheminer vers Galisse.
En ce [propre] jour que on dist ce jour Saint
30Jehan Baptiste au soir, vinrent en le ville de le
Rocelle grant fuison de gens d’armes Gascon et Englès,
li quel encores de ceste avenue n’avoient point
[44] oy parler. Mais bien sçavoient que li Espagnol gisoient
et avoient geu un temps devant le Rocelle: si venoient
celle part pour chiaus de le ditte ville reconforter.
Des quelz gens d’armes estoient chapitainne
5messires li captaus de Beus, messires Berars de la
Lande, messires Pieres de Landuras, messires li soudis
et messires Bertrans dou Franc Gascon, et des
Englès, messires Thumas de Persi, messires Richars
de Pontchardon, messires Guillaumez de Ferintonne,
10monsigneur d’Agoriset, monsigneur Bauduin de Fraiville,
monsigneur Gautier Huet et monsigneur Jehan
d’Evrues. Quant cil signeur et leurs routes, où bien
avoit sis cens hommes d’armes, furent venu en le
Rocelle, on leur fist grant chière de bras, car on
15n’en osoit aultre cose faire. Adont furent il enfourmé
par monsigneur Jakeme de Surgièrez de la bataille
des Espagnolz, comment elle avoit alé, car il y avoit
esté, et li quel y estoient mort ne pris. De ces nouvelles
furent li baron et li chevalier trop durement
20couroucié, et se tinrent bien pour infortuné, quant il
n’i avoient esté, et regretèrent grandement et longement
le conte de Pennebruch et monsigneur Guichart
d’Angle, quant il avoient ensi perdu leur saison.
Si se tinrent en le Rocelle ne sçai quans jours, pour
25avoir avis et conseil et comment il se maintenroient
et quel part il se trairoient. Nous lairons à parler un
petit d’yaus, et parlerons de Yevain de Galles et
comment il esploita en celle saison.
§ 692. Cilz Yewains de Galles avoit esté filz à un
30prince de Galles, le quel li rois [Edouwars] d’Engleterre
avoit fait morir, je ne sçai mies par quel raison,
[45] et saisi la signourie et princeté et donné à son fil
le prince de Galles. Si estoit cilz Yewains venus en
France et complains au roy Charle de France des
injures que li rois d’Engleterre li avoit fait et faisoit
5encores, que mort son père et li tolloit son hiretage;
dont li rois de France l’avoit retenu et ja moult
avancié et donné en carge et en gouvrenance grant
fuison de gens d’armes. Encores en cel esté dont je
parolle presentement, li avoit il delivrés bien trois mil
10combatans et envoiiet sus mer pour courir en Engleterre.
De quoi li dis Yewains s’en estoit bien acquittés
et loyaument, sicom je vous dirai. Quant il
eut se carge de gens d’armes, ensi que ci est dit, il
entra en mer en ses vaissiaus que li rois de France
15li avoit fait appareillier et pourveir ou havene de
Harflues, et se departi et singla à plain voille devers
Engleterre, et vint prendre terre en l’isle de Grenesée
à l’encontre de Normendie, dou quel isle Aymons
Rose, uns escuiers d’onneur dou roy d’Engleterre,
20estoit chapitainne. Quant il sceut que li François estoient
là arrivet, les quelz Yewains de Galles menoit,
si en eut grant mautalent et se mit tantost au devant,
et fist son mandement parmi le dit isle, qui n’est mies
grans, et assambla que de ses gens, que de chiaus dou
25dit isle, environ yaus huit cens, et s’en vint sus un
certain pas combattre bien et hardiement le dit
Yewain et ses gens, et là eut grant bataille et dure
et qui longement dura. Finablement li Englès furent
desconfi, et en y eut mors plus de trois cens sus le
30place. Et couvint le dit Aymon fuir, aultrement il
euist esté mors ou pris, et se sauva à grant meschief,
et s’en vint bouter en un chastiel qui siet à deus liewes
[46] de là où la bataille avoit esté, que on appelle Cornet,
qui est biaus et fors, et l’avoit li dis Aymons [en celle
saison] fait bien pourveir de tout ce qu’il apertenoit à
forterèce. Après celle desconfiture, li dis Yewains
5chevauça avant, et recueilla ses gens et entendi que
Aymons s’estoit boutés ou chastiel de Cornet; si se
traiy tantost celle part et y mist le siège, et l’environna
de tous costés et y fist pluiseurs assaus. Mais li
chastiaus est fors, et si estoit bien pourveus de bonne
10artellerie; se ne l’avoient mies li François à leur aise.
Che siège pendant devant Cornet, avint li aventure
de le prise le conte de Pennebruch et de monsigneur
Guiçart d’Angle et des aultres devant le Rocelle, sicom
ci dessus est contenu. De quoi li rois de France,
15quant il en oy les nouvelles, fu durement resjoïs, et
entendi plus fort as besongnes de Poito que onques
mès. Car il senti que assés legierement, se li Englès
venoient encores un petit à leur desous, les cités et
les bonnes villes se retourneroient. Si eut avis et
20conseil li dis rois, que en Poito, en Saintonge et en
Rocellois il envoieroit pour celle raison son connestable
et toutes gens d’armes, et feroit caudement les
dessus dis pays guerriier par mer et par terre, entrues
que li Englès et Poitevin n’avoient nul souverain
25chapitainne, car li pays gisoit en grant branle:
pour coi il envoia ses messages et ses lettres au dit
Yewain de Galles, qui se tenoit à siège devant Cornet,
dou quel siège il savoit tout l’estat, et que li chastiaus
estoit imprendables; et que, tantos ces lettres
30veues, il se partesist de là et deffesist son siège et
entrast en mer en un vaissiel, qui ordonnés pour
lui estoit, et s’en alast en Espagne devers le roy
[47] Henri, pour impetrer et avoir barges et gallées et son
amiral et gens d’armes, et de rechief venist mettre
le siège par mer devant le Rocelle. Li dis Yewains,
quant il oy les messages et le mandement dou roy,
5si obeï, ce fu raisons, et desfist son siège et donna
à toutes gens congiet et leur presta navie pour retourner
à Harflues. Et là endroit il entra en une grosse
nef qui ordonée li estoit, et prist le chemin d’Espagne.
Ensi se desfit li siège de Cornet.
10§ 693. Vous devés savoir que li rois d’Engleterre
fu moult courouciés, quant il sceut les nouvelles de
l’armée qu’il envoioit en Poito, qui estoit ruée jus
des Espagnolz: et ossi furent tout cil qui l’amoient,
mès amender ne le peurent tant c’à ceste fois. Si imaginèrent
15tantost li sage homme d’Engleterre que li
pays de Poito et de Saintonge se perderoit par cel
afaire, et le remoustrèrent bien au roy et au duch
de Lancastre. Si furent un grant temps sus cel estat
que li contes de Sallebrin, atout cinc cens hommes
20d’armes et otant d’arciers, iroit celle part; mès comment
qu’il fust consilliet et aviset, il n’en fu riens
fait. Car il vinrent aultres nouvelles et aultres trettiés
et consauls de Bretagne, qui tous chiaulz empecièrent.
De quoi li dis rois se repenti de puis,
25quant il n’i peut mettre remède. Or avint que li
Espagnol qui pris avoient le conte de Pennebruch et
les aultres, dont li livres fait mention, eurent un petit
de sejour sus mer par vent contraire et detriance
plus d’un mois. Toutes fois il arrivèrent au port Saint
30Andrieu en Galisse, et entrèrent en le ville ensi que à
heure de miedi; et là amenèrent en un hostel tous
[48] leurs prisonniers loiiés, enkainnés et embuiés selonch
leur usage. Aultre courtoisie ne scèvent li Espagnol
faire, il sont sannable as Alemans.
Ce propre jour au matin estoient là arivés en sa
5nef li dessus dit Yewains [de Galles] et se route, et
très en cel hostel où dan Ferrant de Pyon et Cabesse
de Vake avoient amené le conte de Pennebruch et
ses chevaliers. Si fu dit ensi à Yewain là où il estoit
en sa cambre: «Sire, venés veoir ces chevaliers d’Engleterre
10que nos gens ont pris; il enteront tantost
cheens.» Yewains qui fu desirans dou veoir, pour
savoir li quel c’estoient, passa oultre, et encontra en le
sale de son hostel, à l’issue de sa cambre, le conte
de Pennebruch. Bien le cogneut comment que il
15l’euist petit veu, se li dist en rampronnant: «Contes
de Pennebruch, venés vous en ce pays, pour moy
faire hommage de la terre que vous tenés en le princeté
de Galles, dont je sui hoirs et que vos rois me
tolt et oste par mauvais conseil.» Li contes de Pennebruch
20qui fu tous honteus, car il se veoit et sentoit
prisonniers en estragne pays, et point ne cognissoit
cel homme qui parloit son langage, respondi: «Qui
estes vous, qui m’acueilliés de telz parolles?»—«Je
sui Yewains, filz au prince Aymon de Galles, que
25vostres rois d’Engleterre, fist morir à tort et à pechié,
et m’a deshireté, et quant je porai par l’ayde de mon
très chier signeur, le roy de France, je y pourveray
de remède. Et voeil bien que vous sachiés que, se je
vous trouvoie en place ne en voie où je me peuisse
30combatre à vous, je vous remousteroie le loyauté
que vous m’avés fait, et ossi li contes de Herfort et
Edowars li Despensiers. Car par vos pères, avoech
[49] aultres consilleurs, fu traïs à mort messires mes pères,
dont il me doit bien desplaire, et l’amenderai quant
je poray.» Adont salli avant messires Thumas de
Saint Aubin, qui estoit chevaliers dou conte, et se
5hasta de parler, et dist: «Yewain, se vous volés
dire et maintenir, que en monsigneur ait ne euist
onques nulle lasqueté quelconques, ne en monsigneur
son père, ne qu’il vous doie foy ne hommage, metés
vostre gage avant, vous trouverés qui le levera.»
10Dont respondi Yewains, et dist: «Vous estes prisonnier,
je ne puis avoir nulle honneur de vous appeller.
Vous n’i estes point à vous, ançois estes à ceulz
qui vous ont pris, et quant vous serés quittes de vo
prison, je parlerai plus avant, car la cose ne demorra
15pas ensi.» Entre ces parolles, se boutèrent aucun
chevalier et vaillant homme d’Espagne qui là estoient,
et les departirent. De puis ne demora mies grant
temps, que li quatre amiral dessus nommé amenèrent
les prisonniers devers le cité de Burghes en Espagne,
20pour rendre au roy à qui il estoient, qui pour le temps
se tenoit droit là. Quant li rois Henris sceut que li
dessus dit venoient et approçoient Burghes, si envoia
son fil ainné qui s’appelloit Jehan, et le quel on
nommoit pour le temps l’enfant de Castille, à l’encontre
25des dessus dis, et grant fuison de chevaliers et
d’escuiers pour yaus honnerer; car bien sçavoit li dis
rois quel cose apertenoit à faire. Et il meismes les
honnoura de parolle et de fait, quant il furent venu
jusques à lui. Assés tost en ouvra li rois par ordenance,
30et furent espars en divers lieus parmi le
royaume de Castille.
[50] § 694. Nous retourrons as besongnes de Poito
qui pour ce temps ne furent mies petites, et parlerons
comment li chevalier Gascon et Englès qui, le
jour Saint Jehan Baptiste, au soir, vinrent en le
5Rocelle, perseverèrent, ensi que cil qui moult courouciet
furent de ce que le jour devant il n’estoient
venu à le bataille et que il n’avoient trouvé à point
les Espagnolz. Or eurent il entre yaus conseil et avis
quel cose il feroient ne où il se trairoient, car ja se
10commençoient il à doulter de ceulz de le Rocelle.
Si ordonnèrent et instituèrent monsigneur Jehan
d’Evrues à estre seneschal de le Rocelle à trois cens
armeures de fier, et le garder, et lui tenir ou chastiel
de le Rocelle. Car tant qu’il en seroient signeur, cil de
15le ville ne s’oseroient reveler. Ceste ordenance faite,
messires li captaus, qui estoit tous gouvrenères et
chiés de ceste chevaucie, et messires Thumas de Persi,
messires d’Agorisès, messires Richars de Pontchardon,
messires li soudis, messires Berars de le Lande,
20et li aultre et leurs routes se departirent de le Rocelle
et pooient estre environ quatre cens lances, et prisent
le chemin de Subise; car là avoit Bretons qui tenoient
eglises et petis fors et les avoient fortefiiés.
Sitost que cil signeur et leurs gens furent là venu,
25il les boutèrent hors, et en delivrèrent le ditte marce.
En ce temps tenoient les camps sus les marces
d’Ango, d’Auvergne et de Berri, li connestables de
France, li dus de Berri, li dus de Bourbon, li contes
d’Alençon, li daufins d’Auvergne, messires Loeis de
30Saussoirre, li sires de Cliçon, li sires de Laval, li
viscontes de Roem, li sires de Biaumanoir, et grant
fuison de baronnie de France, et estoient plus de
[51] trois mil lances. Si chevaucièrent tant cil signeur qui
se tenoient tout au connestable, que il entrèrent en
Poito, où il tiroient à venir, et vinrent mettre le
siège devant un chastiel qui s’appelle Montmorillon.
5Sitost que il furent là venu, il l’assallirent vistement
et radement, et le conquisent de force, et furent mort
tout cil qui dedens estoient; si le rafreschirent
d’autres gens. Apriès il vinrent devant Chauvegni,
qui siet sus le rivière de Cruese, et le assiegièrent et
10y furent deus jours. Au tierch, chil de Chauvegni se
rendirent et furent pris à merchi. En apriès il
chevaucièrent oultre et vinrent devant Leuzach, où il y
a ville et chastiel; si se rendirent tantost sans yaus
faire assallir. Et puis s’en vinrent devant le cité de
15Poitiers et jurent une nuit ens es vignes, de quoi cil
de le cité estoient moult esbahi; et se doubtoient à
avoir le siège, mès non eurent tant c’à celle fois; car
il se partirent à l’endemain et se traïsent devant le
chastiel de Montcontour, dont Jehans Cressuelle et
20David Holegrave estoient chapitainne. Et avoient
desous yaus bien soissante compagnons preus et
hardis, et qui moult avoient constraint le pays et le
marce d’Ango et de Tourainne et ossi toutes les
garnisons françoises; pour quoi li connestables dist
25que il n’entenderoit à aultre cose, si l’aroit.
§ 695. Tant esploitièrent li connestables de France,
li dus de Bourbon, li contes d’Alencon, li sires de
Cliçon, li viscontes de Rohen, li sires de Laval, li
sires de Biaumanoir, li sires de Sulli, et tout li baron,
30li chevalier et leurs routes, que il vinrent devant
Montcontour, un très biel chastiel à sis liewes de
[52] Poitiers. Quant il furent là venu, si l’assegièrent de
grant façon, et se misent tantost à l’assallir par bonne
ordenance. Et pour ce que il avoit à l’environ des
murs grans fossés et parfons, et qu’il ne pooient
5approcier les murs de plus priès, à leur aise et
volenté, il envoiièrent querre et coper par les villains
dou pays grant fuison de bois et d’arbres, et
les fisent là amener et aporter à force de harnas et
de corps et tout reverser ens es fossés, et jetter grant
10fuison d’estrain et de terre sus. Et eurent tout ce
fait en quatre jours, tant que il pooient bien aler
jusques au dit mur à leur aise. Et puis quant il
eurent tout fait, si commencièrent à assallir de grant
volenté et par bon esploit, et chil dou fort à yaus
15deffendre, car il leur besongnoit; et eurent un jour
tout entier l’assaut où il rechurent moult de painne,
et furent en grant aventure d’estre pris; mès il
estoient là dedens tant de bonnes gens que ce
Ve jour il n’eurent garde. Au VIe jour, li connestables
20et si Breton se ordenèrent et traïsent avant
pour assallir plus fort que devant. Et s’en vinrent
tous paveschiés, portans pilz et haviaus en leurs
mains, et vinrent jusques as murs. Si commencièrent
à ferir et à fraper et à traire hors pières et à
25pertuisier le dit murage en pluiseurs lieus, et tant
fisent que li compagnon qui dedens estoient, se commencièrent
à esbahir; nompourquant il se deffendoient
si vaillamment que onques gens mieulz. Jehans
Cressuelle et David Holegrave, qui chapitainne en
30estoient, imaginèrent le peril et comment messires
Bertrans et si Breton les assalloient, et à ce qu’il
moustroient, point de là ne partiroient, si les aroient,
[53] et se de force estoient pris, il seroient tout mort, et
veoient bien que nulz confors ne leur apparoit de
nul costé; si entrèrent en trettiés pour yaus rendre,
salve leurs corps et leurs biens. Li connestables qui
5ne voloit mies trop fouler ne grever ses gens, ne
chiaus dou fort trop presser, pour tant que il estoient
droites gens d’armes, entendi à ces trettiés et les
laissa passer, parmi tant que il se partirent, salve
leurs corps; mès nul de leurs biens il n’en portèrent,
10fors or et argent, [et les fist conduire jusques à Poitiers.
Ainsi eut li connestables le chastel de Montcontour];
si en prist le saisine et le fist remparer, et
se tint illuec pour lui et ses gens refreschir, car il ne
pooit encores savoir quel part il se trairoit, ou devant
15Poitiers, ou ailleurs.
§ 696. Quant cil de le cité de Poitiers sceurent
ces nouvelles, que li connestables et li Breton avoient
repris le chastiel de Montcontour, si furent plus
esbahi que devant, et envoiièrent tantos leurs messages
20devers monsigneur Thumas de Persi, qui estoit
leurs seneschaus et qui chevauçoit en le route et
compagnie dou captal. Ançois que li dis messires
Thumas en oïst nouvelles, messires Jehans d’Evrues,
qui se tenoit ens ou chastiel de le Rocelle, en fu
25enfourmés, et li fu dit comment li connestables de
France avoit ja jeu devant Poitiers et avisé le lieu.
Et bien pensoient cil de Poitiers que il aroient le
siège, et se n’i estoit point leurs seneschaus. Li dis
seneschaus de le Rocelle, messires Jehans d’Evrues,
30ne mist mies ce en noncalloir, mès pour conforter et
consillier chiaus de Poitiers, se parti de le Rocelle à
[54] cinquante lances, et ordonna et institua à son departement
un escuier qui s’appelloit Phelippot Mansiel,
à estre chapitainne et gardiiens jusques à son retour
dou dit chastiel de le Rocelle, et puis chevauça
5jusques à Poitiers, et s’i bouta, dont cil de le cité li
sceurent grant gré. Or vinrent ces nouvelles à monsigneur
Thumas de Persi, qui se tenoit en le route
dou captal, de par ses bonnes gens de Poitiers qui li
prioient que il se volsist retraire celle part, car il
10supposoient à avoir le siège, et ossi que il volsist
venir fors assés, car li François estoient durement
fort sus les camps. Messires Thumas, ces nouvelles
oyes, les remoustra au captal pour savoir qu’il en
vorroit dire. Li captaus eut sur ce avis et lui avisé,
15il n’eut mies conseil de rompre se chevaucie, mès
donna congiet au dit monsigneur Thumas de partir
à cinquante lances et à traire celle part. Dont se
departi li dis messires Thumas et chevauça tant qu’il
vint en le cité de Poitiers, où il fu recheus à grant
20joie des hommes de le ville qui moult le desiroient,
et trouva là monsigneur Jehan d’Evrues; si se fisent
grant feste et grant recueilloite. Tout cel estat et
ceste ordenance sceut li connestables qui se tenoit
encores à Montcontour, et comment cil de Poitiers
25estoient rafresci de bonnes gens d’armes. A ce dont
li estoient venues nouvelles dou duch de Berri, qui
se tenoit atout grant fuison de gens d’armes d’Auvergne,
de Berri, de Bourgogne et de Limozin, sus
les marces de Limozin, et voloit mettre le siège
30devant Sainte Sivière en Limozin, la quele ville et
garnison estoit à monsigneur Jehan d’Evrues, et le
gardoient de par lui messires Guillaumez de Persi,
[55] Richars Gilles et Richars Holme, atout grant fuison
de bons compagnons; et avoient courut tout le temps
sus le pays d’Auvergne et de Limozin et fait y moult
de damages et de destourbiers, pour quoi li dus de
5Berri se voloit traire celle part, et prioit au dit
connestable que se il pooit nullement, que il volsist venir
devers lui, pour aler devant le dit fort. Li connestables,
qui moult imaginatis estoit, regarda que à
present à lui traire ne ses gens devant Poitiers, il ne
10feroit riens; car la chités estoit grandement rafreschie
de bonnes gens d’armes, et qu’il se trairoit
devers le duch de Berri. Si se parti de Montcontour
atout son host, quant il eut ordonné qui garderoit
le forterèce dessus ditte. Et esploita tant que il vint
15devers le dit duch de Berri, qui li sceut grant gré de
sa venue, et à tous le[s] barons et chevaliers ossi. Là
eut grant gent d’armes, quant ces deus hos furent
remis ensamble. Si esploita tant li dis dus de Berri et
li connestables [en sa compaignie], que il vinrent
20devant Sainte Sivière et estoient bien quatre mil
hommes d’armes. Si assegièrent la garnison et ceulz
qui dedens estoient, et avoient bien pourpos qu’il
ne s’en partiroient, si l’aroient. Quant cil signeur
furent venu devant, il ne sejournèrent mies, mès
25commencièrent à assallir par yaus et par leurs gens,
par grant ordenance; et messires Guillaumes de Persi
et ses gens à yaus deffendre.
Ces nouvelles vinrent en le cité de Poitiers à
monsigneur Jehan d’Evrues, comment li dus de
30Berri, li dus de Bourbon, li dauffins d’Auvergne, li
connestables de France, li sires de Cliçon, li viscontes
de Roem et bien quatre mil hommes d’armes avoient
[56] assegiet sa forterèce en Limozin et ses gens dedens;
si n’en fu mies mains pensieus que devant, et en
parla à monsigneur Thumas de Persi qui estoit presens
au raport de ces nouvelles, et dist: «Messire
5Thumas, vous estes seneschaus de ce pays, et qui
avés grant vois et grant poissance; je vous pri que
vous entendés à vostre cousin et mes gens secourir,
qui seront pris de force, se on ne les conforte.»
—«Par ma foy», respondi messires Thumas, «j’en sui
10en grant volenté, et pour l’amour de vous, je me
partirai de ci en vostre compagnie, et nous en irons
parler à monsigneur le captal qui n’est pas lonch de
ci, et mettrai grant painne à lui esmouvoir, afin que
nous alons lever le siège et combatre les François.»
15Lors se departirent [de Poitiers] li dessus dit, et
recommendèrent le cité en le garde dou maiieur de le
ditte cité, qui s’appelloit Jehans Renaus, un bon et
loyal homme. Si chevaucièrent tant li dessus dit, que
il trouvèrent le captal sus les camps qui s’en aloit
20devers Saint Jehan l’Angelier. Adont li doi chevalier
qui là estoient, li remoustrèrent comment li François
avoient pris Montmorillon dalés Poitiers et ossi le
fort chastiel de Montcontour, et se tenoient à siège
devant Sainte Sivière qui estoit à monsigneur Jehan
25d’Evrues, à qui on devoit bien aucun grant service.
Et encores dedens le dit fort estoient enclos et assis
messires Guillaumes de Persi, Richars Gille et Richars
Holme, qui ne faisoient mies à perdre. Li captaus
pensa sus ces parolles un petit, et puis respondi et
30dist: «Signeur, quel cose vous semble il bon que
j’en face?» A ce conseil furent appellé aucun chevalier
qui là estoient. «Sire», respondirent li dessus dit,
[57] «il y a grant temps que nous vous avons oy dire
que vous desirés moult les François à combatre, et
vous ne les poés trouver mieulz à point; si vous
traiiés celle part et faites vostre mandement parmi
5Poito et Saintonge; encores y a gens assés pour combatre
les François avoecques le grant volenté que
nous en avons.»—«Par ma foy», respondi li captaus,
«et je le voeil. Voirement ai jou ensi dit que
je les desire à combatre; si les combaterons temprement,
10se il plaist à Dieu et à saint Jorge.» Tantos là sus
les camps li dis captaus envoia lettres et messages par
devers les barons, chevaliers et escuiers de Poito et
de Saintonge, qui en leur compagnie n’estoient, et
leur prioit et enjoindoit estroitement qu’il se presissent
15priès de venir au plus efforciement qu’il
pooient, et leur donnoit place où on le trouveroit.
Tout baron, chevalier et escuier, as quelz ces nouvelles
vinrent et qui certefiiet et mandé en furent, se
partirent sans point d’arrest, et se misent au chemin
20pour trouver le dit captal, cescuns au plus estoffeement
qu’il peut. Là vinrent li sires de Partenay,
messires Loeis de Harcourt, messires Huges de
Vivone, messires Parchevaus de Coulongne, messires
Aymeris de Rochewart, messires Jakemes de Surgières,
25messires Joffrois d’Argenton, li sires de Ponsances,
li sires de Rousseillon, li sires de Crupegnach,
messires Jehans d’Angle, messires Guillaumez de
Monttendre et pluiseurs aultre. Et fisent tant qu’il se
trouvèrent tout ensamble, et s’en vinrent logier, Englès,
30Poitevins, Gascons et Saintongiers, en l’abbeye
de Charros sus les marces du Limozin; si se trouvèrent
bien nuef cens lanches et cinc cens archiers.
[58] § 697. Ces nouvelles vinrent en l’ost devant Sainte
Sivière à monsigneur Bertran et as aultres signeurs
que li Englès et li Poitevin et tout cil de leur alliance
approçoient durement et venoient pour lever le siège.
5Quant li connestables entendi ce, il n’en fu de riens
effraés, ains fist armer toutes manières de gens et
commanda que cescuns traisist avant à l’assaut. A son
commandement et ordenance ne volt nulz desobeïr,
quelz sires qu’il fust. Si vinrent François et Breton
10devant le forterèce armé et paveschié de bonne
manière, [et commenchèrent à assaillir de bonne volenté,
chascuns sires dessous sa bannère] et entre ses
gens. Si vous di que c’estoit grans biautés dou veoir
et imaginer ces signeurs de France et le riche arroy
15et riche[sse] d’yaus. Car adont à cel assaut, il y eut
par droit compte quarante et nuef banières et grant
fusion de pennons. Et là estoient li dis connestables
et messires Loeis de Saussoire mareschaus, cescuns
ensi que il devoit estre, qui travilloient moult à esvigurer
20leurs gens pour assallir de plus grant [volenté
et] corage. Là s’avançoient chevalier et escuier de
toutes nations pour leur honneur accroistre et leurs
corps avancier, qui y faisoient merveilles d’armes. Car
li pluiseur passoient tout parmi les fossés qui estoient
25plain d’aigue, et s’en venoient les targes sus leurs
testes jusques au mur. Et en celle apertise pour cose
que cil d’amont jettoient, point ne reculoient, mès
aloient toutdis avant. Et là estoient sus les fossés li
dus de Berri, li dus de Bourbon, li contes d’Alençon, li
30dauffins d’Auvergne et les grans signeurs qui amonnestoient
leurs gens de bien faire et pour la cause des
signeurs, qui les regardoient, s’avançoient li compagnon
[59] plus volentiers, et ne ressongnoient mort ne
peril. Messires Guillaumez de Persi et li doi escuier
d’onneur qui chapitainne estoient de le forterèce,
regardèrent comment on les assalloit de grant volenté, et
5que cilz assaulz point ne se refroidoit ne cessoit, et que,
à ensi continuer il ne se poroient tenir, et se ne lor
apparoit confors de nul costé, si com il supposoient.
Car se il sceuissent comment leurs gens estoient à
mains de dis liewes d’yaus, il se fuissent encore reconforté
10et à bonne cause. Car bien se fuissent tenu tant
que il en euissent oy nouvelles, mès point n’en savoient.
Pour tant entrèrent il en trettiet devers le
[dit] connestable pour eskiewer plus grant dangier.
Messires Bertrans qui estoit tous enfourmés que,
15dedens le soir, il oroit nouvelles des Englès et des
Poitevins, car il chevauçoient, entendi à leurs trettiés
volentiers, et les prist salves leurs vies, et se saisi de
le forterèce dont il fist grant feste. Apriès tout che,
il fist toutes ses gens traire sus les camps et mettre en
20ordenance de bataille, ensi que pour tantost combattre;
et leur dist et fist dire: «Signeur, avisés
vous, car li anemi approcent, et esperons encore
anuit à estre combatu.» Ensi se tinrent il de puis
heure de haute tierce que la forterèce fu rendue
25jusques au bas vespre tout rengié et ordonné sus les
camps au dehors de Sainte Sivière, attendans les
Englès et les Poitevins, dont il cuidoient estre combatu.
Et voirement l’euissent il esté sans nulle faute;
mès nouvelles vinrent au captal et à monsigneur
30Thumas de Persi et à monsigneur Jehan d’Evrues
que Sainte Sivière estoit rendue. De ceste avenue
furent li signeur et li compagnon tout courouciet; si
[60] disent et jurèrent là li signeur entre yaus que jamès en
forterèce qui fust en Poito il n’enteroient, si aroient
combatu les François [et ruet jus].