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Contes d'Amérique

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DEUX DÉBUTS

«Ce soir, premier début de miss Ellen.—Grand travail aérien.»

Ainsi disaient, en tapageuses majuscules, les affiches peinturlurées des cirques.

Le soir indiqué était celui-là même qu'adopte le monde élégant pour venir raffoler de ces sortes de spectacles.

D'ailleurs, sortant de la coulisse, Conrad de Maltravers s'était placé au premier rang de la foule de dandies, d'écuyers et de clowns encombrant l'étroit couloir qui conduit des écuries sur la piste.

Conrad manifestait un empressement attentif, et Conrad—vous savez bien—n'est autre chose que l'irréprochable habit noir toujours mis en évidence par les dessinateurs de journaux illustrés lorsqu'ils ont à représenter n'importe quelle fête mondaine: mariage, obsèques, représentation de gala, courses, vente de meubles de femmes légères, etc., etc. Il n'y a pas de «Tout New-York» sur bois sans Conrad, son gilet en coeur, ses beaux favoris, sa calvitie duveteuse et son gardenia décoratif à la boutonnière.

Tout annonçait donc que tout à l'heure, dans l'azur des combles, a plusieurs mètres au-dessus des constellations incendiées des lustres, allait apparaître une véritable étoile.

* * * * *

Le moment approchait.

Un athlète qui soulevait trois cents—avec facilité—d'un seul bras, essayait vainement de magnétiser de l'autre bras l'impatience du public. Les messieurs s'agitaient, le nez en l'air; un furieux battement d'éventails frémissait dans toute l'assistance féminine.

On voulait miss Ellen.

* * * * *

Pendant ce temps, la débutante, sortie de sa loge, attendait toute prête derrière les ridéaux.

Sa mère, une plantureuse gaillarde au front hâlé par le grand air des champs de foire, s'empressait autour d'elle et redressait les bouffettes argentées de son ajustement de satin bleu de ciel.

Le père, ex-lutteur du tour du monde, ficelé dans une redingote de cérémonie, étalait un poitrail d'hercule orné d'une foule de médailles de sauvetage, distinctions authentiques, mais que les incrédules prenaient pour des franc-maçonneries quelconques ou autres emblèmes facultatifs d'ornement privé.

Ces gens, racontait-on dans le Cirque, originaires de quelque vieux coin de terre de Bohême, continuaient une ancienne et valeureuse famille de saltimbanques où jamais on ne s'était mésallié.

N'ayant qu'une fille, le père lui avait donné la rude éducation qu'il avait rêvée pour un héritier mâle.

Fouaillée autant que chérie, miss Ellen—Jeannette dans l'intimité—grandit en beauté, en adresse, en célébrité foraine, à tel point qu'à prix d'or le Cirque avait cru devoir la présenter à l'élite new-yorkaise.

Il fallait donc, dans quelques instants, se montrer pour la première fois à ce grand public exigeant et blasé. Il fallait se livrer à des milliers de lorgnettes en un costume ne laissant aucune forme dans l'ombre!

Et dans la circonstance, l'émotion inséparable et traditionnelle d'un premier début, c'était le risque de ne pouvoir grimper jusqu'à l'escarpolette des frises, d'éprouver le vertige au-dessus de l'éblouissement des gaz, de retomber sanglante, brisée, morte, sur l'arène!

* * * * *

Eh bien! miss Ellen était calme, elle souriait doucement, sans embarras.

On vint avertir que tout était prêt.

—Allons, houp! commanda le père, offrant sa droite gantée de coton blanc.

La mère, restée seule dans la coulisse, se dandina gaîment bercée par les premières mesures de la Valse des Roses, ritournelle adoptée pour le «grand travail aérien.»

Pas plus «d'histoires» que ça!

* * * * *

Paraître, triompher, c'était tout un pour la superbe bateleuse.

Ah! que de raisons elle avait d'être brave!

Dix-neuf ans, peut-être; un doux visage rose de poupée réussie; une auréole de cheveux blond-roux, justifiant le pseudonyme anglais, des jambes d'après l'antique, des épaules de déesse, une taille jouant souple dans l'échan-crure d'une courte cuirasse de satin, un pied arqué dans l'étroite bottine de soie aux hauts talons d'or. Rien de tout cela pouvait-il avoir peur!

Et à quelles audaces de talent s'abandonnait cette beauté!

Tordant de sa morsure de perles le bout d'une corde que son bonhomme de père attirait à travers une poulie, elle montait aux cintres dans l'attitude d'une rêverie allant aux nues; saisissant d'une main la barre du trapèze, elle planait, tournoyait, voltigeait, se renversait, plongeait dans le flot dénoué de ses cheveux d'or; puis, repliant une de ses jambes autour d'une corde tendue, elle redescendait en lentes spirales dans des poses éplorées, telle qu'une poésie revenant à regret sur terre….

* * * * *

Les applaudissements éclataient avec fureur lorsqu'elle partait prodiguant, dans une cabriole d'adieu, une volée de baisers.

On la rappelait, elle revenait et, en manière de remerciement, sautait, à l'anglaise, une gigue folle et correcte sur un rythme échevelé.

Elle fuyait, enfin, sous une pluie de fleurs, dans un ouragan de clameurs enthousiastes.

Sa gloire était assurée désormais.

Conrad, déployant ses grâces les plus parfaites (voir l'Illustrated), s'élançait sur les pas du nouvel astre pour lui débiter quelques fadeurs.

—Tu perds ton temps; ça, c'est du monde honnête; lui dit à l'oreille un splendide écuyer en costume de Spartiate, avec qui Conrad avait lié amitié pour parier aux courses.

Miss Ellen et sa famille, fagotés de houppelandes informes, s'en allèrent aussitôt prendre, au plus proche cabaret, un grog infini que le père accompagna de la fumée d'une pipe culottée magistralement.

Pas plus de cérémonies dans la gloire!

* * * * *

Le même soir, quelques heures plus tard, vive agitation dans l'un des hôtels les plus aristocratiques du Quartier Saint-James, ce séjour des vieilles familles anglo-normandes à prétentions nobiliaires et politico-budgétivores.

On allait assister à une «entrée dans le monde» exécutée par Mlle Arsénie de Beaumanor, une toute jeune héritière du plus pur héraldisme, disait-on; une fleur de sublimité piquée dans une dot.

C'était un début solennel, chaudement recommandé par la douairière de la maison, attendu que les Beaumanor, grande race, portent de clairs de lune sur fonds perdus.

Dans le salon criblé de marquises et de pairesses, un sourire quasi maternel errait sur toutes les lèvres; les tables de whist étaient moins mornes que d'habitude, et dans le couloir séparant le salon de la salle de jeu se pressait, pépinière à mariage, un bataillon de jeunes gens tout à fait bien.

Il va sans dire que l'indispensable Conrad avait eu le temps d'arriver du cirque, et se tenait (consulter le Graphic) en tête de la cohorte, un bras retombé, l'autre mollement arrondi sur son gibus.

On annonça les Beaumanor. L'extase préparatoire était au comble.

* * * * *

Arsénie, la soie sur les os, trembla sa première révérence telle qu'un miroitement évanoui de roseau sur l'onde, et se redressa maigreur problème.

L'explication suivait, sous forme de la maman Beaumanor, une fantomale momie à migraine et du non moins Beaumanor père, qui semblait vouloir n'exister que de profil.

Et d'une laideur à quel degré de défi presque!

Nulle autre ressource que d'attribuer à tous trois le «suprême cachet de distinction.»

* * * * *

Diplomate de naissance, brocheté de tous les ordres connus—et combien officiels ceux-là!—Beaumanor, dépourvu du fils qu'il avait rêvé de piloter à travers les ambassades et chancelleries, s'était rejeté sur Arsénie et avait veillé sans relâche à lui inculquer la science du beau monde.

Depuis plus d'un an il travaillait à la première apparition d'Arsénie dans le Noble Quartier.

Il l'avait accablée de ses inestimables conseils jusqu'à la dernière minute et les prodiguait encore au moment où la voiture s'arrêtait dans la cour de l'hôtel.

Aussi, que de prouesses Arsénie allait accomplir!

* * * * *

La causerie s'était ralentie, l'heure des supplices—prononcez musique de chambre—avait sonné.

Arsénie, c'était l'attrait culminant de la soirée, fut conduite au piano.

Émue, tremblante, la chère enfant!

Elle roucoula, chaste comme la neige, une élégie de jadis sur un thème d'autrefois; sa voix, troublée par la peur, s'égara dans les larmes, bien loin de toute tonalité connue. L'entourage se hâta de dissimuler l'effondrement de la romance sous un murmure flatteur.

Après le concert il y eut une «petite sauterie,» toujours à l'intention de la débutante.

Arsénie s'enfonça dans les somnolences d'une redowa, ce fade dérivatif de la valse; mais ses pas s'embourbaient en un rythme baroque et les battements de son coeur l'arrêtaient à chaque mesure.

Elle fût tombée de son long—de son large était impossible—si l'inévitable Conrad ne l'avait vaillamment soutenue, tout en affectant (revoir divers Keepsakes) l'air ravi, la bouche en coeur, le frac parfait.

L'opinion générale du salon fut qu'Arsénie était la digne élève de son père.

Les Beaumanor partirent avec la conviction que leur dynastie verrait encore de beaux jours, et après avoir entortillé la frêle Arsénie de tous les genres de fourrures propices contre le rhume.

* * * * *

Au sortir de cette seconde exhibition, Conrad se sentit tout à fait épris de miss Ellen.

Il alla au «Jockey,» rêvant de gagner assez d'argent pour conquérir quand même la splendide bayadère.

Le lendemain, vers midi, il avait perdu toute sa fortune et ne se trouvait plus d'autre ressource que d'aller demander la main dotifère d'Arsénie, qui lui fut accordée avec un enthousiasme précipité.

Dans le même moment, miss Ellen devenait la fiancée du bel écuyer en costume spartiate.

Il est certain que de cette union naîtront quelques futurs triomphateurs d'hippodrome, de même que la progéniture de Conrad et d'Arsénie fera, probablement, la gloire des chancelleries et ambassades!

Et s'il fallait extraire quelque moralité de cette absurde histoire, on proposerait une plus large application des études de gymnastique dans les nouveaux lycées de demoiselles? Volontiers on demanderait aussi qu'il fût procédé aux unions conjugales dans le beau monde avec un peu plus de souci de l'esthétique….

Mais tout cela, selon la méthode graduelle, «dans une juste mesure!»

Il est trop certain que le progrès ne se décrète pas….

LA NUIT DE NOËL

Les dépêches arrivaient par milliers dans les bureaux du Chicago-Times; car cette fois,—nous parlons d'une autre année à pareille date,—le volumineux journal quotidien devait fournir à ses lecteurs le plus de détails possible sur la fête de Noël célébrée la précédente nuit dans toute l'Amérique.

Disséminés sur le vaste territoire des États et largement prémunis de dollars, des milliers de reporters enfiévrés et tenaces avaient reçu l'ordre d'agir avec méthode: Futile ou grandiose, étrange ou prévu, délirant ou glacial, aucun des faits survenus n'allait être omis dans les colonnes du fameux «Christmas-Number.»

Il tombait donc, dans les susdits bureaux, une incessante averse de télégrammes, lesquels, bien qu'abrégés en langue nègre, dans le style de l'information, étaient généralement imprégnés des sentiments mystiques, chorégraphiques, culinaires et noctambulesques qu'évoque à chaque fin de décembre l'idée éphéméridienne de la naissance du «Sauveur.»

L'invisible frémissement des fils électrisés transmettait tour à tour l'extatique résumé des sermons proférés dans les temples, le compte rendu compassé des réceptions officielles, et disait l'étincellement de soie et d'or des réunions mondaines, les divertissements intimes des fortunées familles et la splendeur des cadeaux ployant les branches des verts sapins de Noël illuminés devant les yeux éblouis des bébés. Puis c'était la peinture des plaisirs goûtés dans les centres populaires, tels que plantureuse consommation de puddings et d'oies grasses en pique-nique, stupéfiante absorption de litres de vin et quantité subséquente de violents pugilats sur la voie publique, occasionnés par les controverses inévitables en de telles circonstances religieuses.

Quelques-uns des reporters avaient poussé leurs investigations loin des sentiers battus afin de télégraphier des renseignements jusqu'alors inédits. Ils disaient le menu du repas exceptionnel et les divers relâchements de discipline accordés pendant cette mémorable nuit aux détenus des prisons et des bagnes. Ils décrivaient l'effet sinistre et poignant de la célébration dans les maisons de fous; ils racontaient comment, en dépit des rigueurs de l'hiver, on s'était amusé dans les confortables salons des trains express filant à travers neiges, et sous le pont des steamers perdus parmi les brouillards des grands fleuves; ils allaient jusqu'à donner des notions sur les honneurs plus ou moins bachiques rendus au dieu de bonté pour tous dans les campements des lointains ouests, par les soldats yankees, charitablement occupés à la destruction systématique des races indigènes.

Les récits de ce genre se succédaient sans trêve: Toutes les notes, éclatantes, folles, douloureuses ou burlesques, du concert social américain, toutes les discordances d'une entière nuit de charivari national vibraient dans le sourd mystère des câbles répandant leur vague harmonie de cordes de harpe tendues sur le ciel noir. Les dépêches, alternativement exaltées par l'audition des prêches, empesées par le rigorisme des meetings politiques, assombries par quelque brutal épisode de misère ou de clémence, alourdies sous le poids d'une statistique de victuailles, affriolées par la lumineuse vision des bals pleins de rire et de musique, les dépêches accourant comme la volée de feuilles d'une forêt d'automne, foisonnaient sous la main des rédacteurs exténués à la besogne de l'amplification.

Et l'énorme tas de prose du journal à seize pages compliquées de huit colonnes, en caractères microscopiques, commençait à déborder, la composition s'achevait, la mise sous presse était imminente, quand le flot des nouvelles de la «dernière heure» apporta du fond de l'Ohio la singulière histoire suivante, légère fantaisie qui semblait frétiller dans son frêle vêtement de papier pelure à télégrammes et dont le charme rapide en grande partie se dissipa lorsque, par décence grammaticale, on eut rallongé les phrases trop courtes qu'elle avait adoptées pour franchir l'horizon.

* * * * *

«Nuit agitée à Springfield! lisait-on le lendemain dans le Chicago-Times, incident extraordinaire! scandale inouï!

«Dès l'aurore, les sandwiches avaient promené des affiches où fulguraient ces mots en immenses lettres rouges:

«—Pour ce soir, onze heures.—Solennité hors ligne.—Prédication, messe en musique.

—Puis, attention! à minuit juste: prodige visible et palpable!—Réelle et splendide manifestation divine!—Miracle! miracle! miracle!

«Signature: le nom du révérend père Trimmel, et lieu du rendez-vous, une ancienne chapelle catholique située à l'extrême limite de la ville, presque dans les champs.

«Il y a déjà quelques mois que l'étrange Trimmel a rouvert, on ne sait à l'aide de quelles ressources, cet établissement de piété, et c'est en vain que, depuis lors, il épuise tous les moyens connus de propagande pour se procurer une clientèle de croyants.

«Mais cette fois, à l'occasion de la Noël, l'habile apôtre tentait un appel décisif et de succès certain. Sa façon d'américaniser le catholicisme prouvait qu'il était dans le mouvement. Rien de plus sympathique: et son mirobolant programme ne pouvait manquer d'exciter au plus haut degré la curiosité générale.

«A l'heure dite, malgré la longue route et le froid noir dans une tourmente de neige, la foule arrivait en masses profondes et s'engouffrait dans la chapelle où le respectable Trimmel, lui-même, recueillait modestement—mais soigneusement—le prix des sièges.

«Le coup d'oeil, à l'intérieur de l'église, offrait, il faut l'avouer, un incontestable intérêt artistique.

«Sur l'autel, brillamment éclairé de l'étincellement des cierges, un enfant, un jeune Christ presque nu, seulement couvert d'un lange de toile d'argent autour des reins, dormait accoudé dans une gerbe entremêlée de fleurs des champs.

«Au fond de la scène figurait, en grandeur nature, la Vierge-Mère, se dressant sur une sphère symbolique, teintée d'azur céleste et semée d'étoiles d'or.

«A gauche du tabernacle un Saint Joseph se tenait debout, le regard au ciel, les mains appuyées sur un établi de charpentier. La dernière colonne de droite laissait dépasser le poitrail et la tête d'un âne, l'âne paisible de l'Ëcriture, lequel avait, pour le moment, les naseaux enfouis dans une auge.

«Tous ces sujets de la Sainte Famille présentaient l'aspect réaliste des sculptures polychromes à la mode italienne, exagérant le trompe-l'oeil de la vie; ils rayonnaient d'une intensité de couleurs qui semblait respirer.

«Le reste de l'édifice était également inondé de vive clarté, grâce aux réflecteurs d'une double rangée de lampions appliqués aux chapiteaux des piliers et rattachés entre eux, des deux côtés de la nef, par de vertes guirlandes de branchages entrelacés.

«Un murmure accentué d'admiration courut dans l'auditoire, et il ne fallut pas moins que l'aspect du révérend Trimmel, planant du haut de la chaire, pour que le calme exigé d'une assistance dévote se rétablît.

«Conformément à ses prospectus, M. Trimmel débuta par un onctueux prêche, tendant à démontrer que la découverte du Nouveau-Monde était prévue par l'Apocalypse…, effort d'éloquence essentiellement soporifique, mais que vint interrompre très à propos le bruit d'un timbre sonnant minuit. C'était le moment de la «great attraction» infernale ou divine! Qu'allait-il arriver? L'anxiété fut au comble; le silence haletait…—«Que ceux qui ont des oreilles, entendent, s'écria bibliquement M. Trimmel, que ceux qui ont des yeux regardent; car c'est l'heure où ce qui était écrit doit arriver…»

«Ayant dit, il quitta lestement la tribune et, reparaissant au bas de l'autel, il élevait dans ses mains et portait à ses lèvres un instrument de cuivre à courbures fantasques, en manière de saxhorn hérissé de clefs.

«Il emboucha le bugle d'un souffle violent, le manipula d'un doigté véloce et régala les oreilles sus-mentionnées d'une stridente mélodie, au rythme allègrement cadencé.

«Quant aux yeux… Était-ce une illusion? Non! Il fallait se rendre à l'évidence: des choses stupéfiantes s'accomplissaient:

«Remuée par le charme musical, la Vierge s'animait par degrés; elle abaissait le regard vers le «bambino» sommeillant, et l'enveloppait d'effluves attendries. Puis, exaltée par la joie d'avoir mis au monde un dieu, elle s'abandonnait en des attitudes harmonieuses, changeantes, souples, éthérées, composant une sorte de danse extatique.

«Sa gracieuse personne ne risquait que d'imperceptibles déhanchements, des fluctuations de torse vaguement voluptueuses, mais ses pieds mignons se croisaient et passaient de la pointe aux talons, avec une prestesse pimpante sous laquelle la sphère d'azur tournoyait sans que l'exquise ballerine perdît rien de son équilibre.

«Il n'en fallait plus douter, c'était la gigue, enfin! la gigue nationale, hardie, nerveuse, délurée, ravissante. L'enthousiasme se déchaînait. «Hip; hip, hourrah!» toute la Sainte Famille subissait l'impulsion; Saint Joseph battait des deux mains son établi qui roulait, autre miracle, un fracas de tambours et de cymbales; l'âne symbolique, agitant de la bouche une manivelle fixée dans l'auge, en tirait des clameurs d'orgue de barbarie, accompagnement féroce aux arrachements de clairon propulsés par Trimmel, symphonie acharnée pendant laquelle le Jésus caleçonné d'argent s'éveillait, saluait la compagnie, grimpait au sommet d'une colonne, évoluait vertigineusement autour des guirlandes doublées de solides trapèzes; montait encore et s'accrochait finalement aux plus extrêmes altitudes de la voûte.

«Alors le déchirant concert s'arrêtait net, laissant un silence mort.

«Trimmel fixait les hauteurs et lançait le terrible et traditionnel «are you ready?» question pleine de fatal mystère au bord de l'abîme!…

—«Yes!» cria l'enfant d'une voix où vibrait l'audace surhumaine.

«Et lancé dans le vide, pirouettant en un jolit saut périlleux où ses paillettes scintillèrent comme des brisures d'astre, l'adroit polisson retomba debout sur les épaules du révérend Trimmel, puis rebondit sur le sol dans la plus souriante posture accadémique et funambulesque.

«Interprétant alors dans un sens favorable l'étonnement muet des spectateurs, Trimmel reprit la parole dans le but d'évoquer des sentiments généreux et annonça que l'intéressant petit Jésus-Clown allait faire le tour de l'honorable société…

«Mais il parut que la mystification avait excédé certaines limites permises… Il surgit dans la foule, entre papistes et piétistes, un tumultueux débat sur la portée théologique de l'incident, un danger de mêlée, de véritable guerre de religion, qui pourtant finit par céder à l'unanime résolution de démantibuler absolument le facétieux Trimmel et ses indécents collaborateurs.

«Une effroyable effervescence s'alluma, des cris de mort retentissaient, l'affaire tournait rapidement au tragique.

«Comment s'y prirent Trimmel et C^ie pour s'éclipser pendant la bagarre? Nul ne saurait le dire, mais toujours est-il qu'un peu plus tard, sur le lointain horizon de Springfield, l'âne portant la Vierge et l'Enfant, Joseph charriant l'établi et les autres ustensiles de la troupe, le révérend Trimmel enfin, trottant en arrière dans sa longue soutane noire, cheminaient, comme pour une autre fuite en Egypte, à travers la vaste solitude des plaines poudrées de neige.»

* * * * *

Le récit se fût terminé très avantageusement sur cette image poétique, si le correspondant de Springfield ne l'avait fait suivre d'un fâcheux «post-scriptum» découvrant la farce, le «humbug,» dans toute son impudeur.

«Le père Trimmel, ajoutait ce gazetier, n'a d'autre but que d'utiliser au profit de la foi l'attrait toujours certain des spectacles acrobatiques.»

Pour surcroît d'impertinence, le reporter disait en terminant:

«Vous jugerez vous-même, bientôt, de la valeur du père Trimmel et de l'efficacité de son système de propagande, car il se propose de venir donner prochainement quelques représentations devant le public de Chicago.»

FIN D'ANNÉE

Sauf quelques variantes sans importance, les choses se passèrent comme d'habitude en ce trente et unième soir du dernier mois de l'année.

Sur le coup de neuf heures, les becs de gaz flamboyaient à l'intérieur du «Monologue-Bar,» établissement de boissons très intéressant, situé là-bas, bien loin, dans le Quartier Populaire de San-Francisco.

L'air était limpide; tout scintillait comme au début d'une fête. Aucune buée ne ternissait jusqu'alors les revêtements de glaces coulés sur les murs, et par le clair vernis des vitres on voyait la neige tomber lentement dehors, dans la joyeuse lueur de la lanterne plantée au- dessus de la porte du cabaret. Les fumées des premières pipes montaient en flocons distincts et ne formaient pas encore l'épais brouillard qui bientôt rejaillirait du plafond. Les employés du café se hâtaient d'apporter aux tables entourées de consommateurs les plateaux de métal blanc, les verres et les carafes où s'agitaient, comme un flot lumineux, les alcools, gin ou whiskey. Pour comble d'agrément, la jolie dame du comptoir souriait avec grâce au milieu d'un brillant fouillis d'objets de ruolz et de cristal.

En dépit, cependant, de ces motifs de sérénité que complétait l'exquise tiédeur de l'atmosphère, l'assistance des clients gardait une attitude morose, assez étrange, où semblait poindre le parti-pris de s'enfermer dans une sorte de mélancolie systématique.

Une dizaine de minutes s'étaient écoulées dans cet état de torpeur, lorsque Roboam Truddle, exactement comme les soirs précédents, vint s'attabler au point central de la buvette, en face du comptoir, bien en vue de l'assemblée.

* * * * *

L'arrivée de ce personnage parut provoquer parmi la réunion un vague mouvement de sympathie dont il eût été difficile à première vue de deviner la cause. L'homme, de stature élancée, était d'une maigreur osseuse à laquelle le pantalon noir étroitement serré aux jambes et le grêle habit noir, au collet relevé sur la nuque, donnaient un aspect de misère et de faim. L'oeil, d'une pâleur effarée, demeurait fixe sous les sourcils crispés en triangle; le nez, passablement long, tranchait par des tons cramoisis sur la teinte blafarde du visage; la bouche était largement fendue et le menton découpait un carré brutal; les cheveux bruns grisonnants coulaient en mèches éplorées le long des joues creuses et du grand front dont les lourdes saillies et les veines épaissies rejetaient à l'arrière un chapeau noir singulièrement démesuré d'altitude. Dans son aspect général, d'ivrogne de profession, M. Truddle représentait assez bien un individu chez qui s'est invétéré depuis longtemps le dédain de toute vaine ostentation de dandysme ou d'esthétique personnelle.

Il mit à côté de lui, sur une chaise, un manteau dont il s'était défait en entrant, et lorsqu'il se fut assis, dressant son torse étriqué par-dessus la table, il parut haut, sinistre et distrait.

Un employé du bar se hâta de placer à sa portée une énorme mesure de gin, dont il avala coup sur coup plusieurs verres; il exhala quelques bouffées d'une pipe ébréchée, qui, vraisemblablement, ne quittait jamais le coin de ses lèvres, puis il enveloppa la salle entière d'un regard surhumainement vide, où se lisait comme une surprise excessive d'être dans la vie et comme une tentative sincère de reconnaître en quelle partie du monde positif ou chimérique M. Truddle venait d'échouer actuellement…

Après quelques instants, toutefois, cette incertitude se dissipa: le jeu de physionomie de M. Truddle témoigna qu'il discernait sa taverne accoutumée, l'air de folie de ses traits se compliqua d'une expression de tristesse analogue à celle qui planait sur le reste de la réunion; il ingurgita la suite du flacon de gin et se prit à pousser divers gémissements confus d'où se détachèrent, finalement, des lambeaux de phrases saisissables que l'auditoire, évidemment indulgent, affecta d'écouter dans un silence profond.

—Quoi de neuf? disait M. Truddle en manière de causerie d'ivrogne avec ses voix intérieures.—Quoi de neuf? Parbleu, rien!… L'année va finir, dit-on; eh bien! qu'elle aille au diable, peu m'importe… Travailler niaisement chaque jour, arracher le pénible dollar, ramasser la croûte de pain quotidien par lâcheté de mourir, se griser le soir pour oublier le dégoût de vivre… Voilà ce que l'année défunte nous a fait faire… Et l'espérance a toujours menti, le hasard a refusé d'être prestigieux, certes!… La fortune, l'éternel rêve d'avoir et de pouvoir nous échappe plus que jamais…. Oui, le diable maudisse l'année morte et celles qui suivront, le temps inutile qui nous rend d'heure en heure plus seuls, plus nuls, plus laids, plus douloureux….

Tel était à peu près le sens des litanies que Roboam Truddle émettait d'une voix ironique et haletante en harmonie avec sa face morne éperdue dans l'hallucination. C'était l'exorde d'un obstiné discours tendant à prouver combien M. Truddle et les notabilités présentes étaient regrettablement destinés à mener sur terre une existence superflue….

* * * * *

Et dès lors il fut démontré que ces théories s'accordaient de la façon la plus touchante avec les opinions essentiellement découragées des auditeurs. A l'entour des tables les visages s'assombrissaient; on entendait, par-ci par-là, des soupirs, des exclamations d'ivresse sourde, parfois un sanglot; somme toute, un murmure approbatif annonçant que M. Truddle, espèce de «pleureur» ou jérémiste figuratif, remportait tous les suffrages.

La séance bachique se développait, maintenant, dans toute son intensité. Les becs de gaz brûlaient plus rouges dans l'air surchauffé, des perles d'eau sillonnaient le voile humide étalé sur les miroirs; les employés du bar s'exténuaient à redoubler les rations de liquides. M. Truddle puisa de nouvelles lampées dans le litre qu'on venait de remplir et, plus expansif encore, il continua de pérorer.

—Ignoble année crevée, reprit-il, développant son thème, que ne m'a-t-elle rendu le seul être avec lequel, jadis, il m'était doux de vivre…. Ma chère femme! oui, la noble et chaste Mme Truddle! ajoutait-il d'un ton burlesquement attendri. Je l'aimais, je la voulais heureuse, mais elle a déserté le nid conjugal; elle voyage depuis assez longtemps sans résidence fixe…. Elle n'a pu supporter ce que je lui faisais souffrir, chaque nuit, pauvre ange! quand je rentrais ivre ou fou…. Elle était mon idole et, pourtant, si je la revoyais….

M. Truddle, sans bouger de son siège, leva très haut la jambe droite et frappa la table d'un coup sec, pour ainsi dire strident, du plat de sa semelle prodigieusement longue.

Il exécuta cette gymnastique sans aucune apparence d'effort, et saisissant son genou d'une main, il feignit de remettre sa jambe à sa place ordinaire.

—Voilà comment je l'écraserais! concluait-il simplement.

* * * * *

Les doléances maritales de M. Truddle avaient surmené la sensibilité de la compagnie. Le cabaret tombait dans un marasme noir qu'une troisième distribution de rafraîchissements ne fit qu'aggraver.

M. Truddle s'abreuva d'une rasade suprême et reprit derechef la parole, mais ses jérémiades ne se traduisaient plus que par d'affreux cris sans suite arrachés de sa gorge comme un râle.

—Année féroce! hurlait-il, puisque tu ne pouvais rien d'autre, que ne m'as-tu donné la mort…. Oui, mourir!… Hurrah! si c'est le repos dans le néant…. Mieux encore, s'il y a quelque chose après…. Une explication de la folie d'ici-bas?… Et puis, à quoi bon ne pas nous achever!… Nous sommes prêts, nous ne traînons plus qu'un cadavre… Nous sommes éteints, finis, vidés par la fatigue de vivre sans savoir pourquoi!… Regardez!…

M. Truddle essaya de se redresser, son regard atone s'écarquilla sur le vague; il exhiba dans la lumière mourante la hideur de son masque d'alcoolisé et s'abattit inerte sur le sol.

* * * * *

On éteignit précipitamment les becs de gaz, comme pour le départ d'un cercueil.

Les employés du bar roulèrent M. Truddle dans son manteau et le jetèrent dehors sur le pavé couvert de neige, dans la clarté de la lanterne plantée au-dessus de la porte.

Grâce à cet artifice destiné à favoriser la fermeture de l'établissement à l'heure réglementaire, la clientèle s'élançait en bloc dans la rue pour voir si M. Truddle était vraiment défunt ou seulement ivre-mort.

Mais presque aussitôt M. Roboam Truddle se relevait, rabattait le collet de son habit, et décrochait d'un même geste rapide sa perruque brune ainsi que l'enveloppe de carton qui lui rougissait le nez, ce qui lui permettait de se manifester sous l'aspect d'un jeune homme du meilleur ton, correctement cravaté de blanc.

Et l'artiste accrédité, l'orateur ordinaire du «Monologue-Bar» s'inclinait, en parfait comédien, sous les salves d'applaudissements de son public émerveillé, puis, de son pas léger de clown à longues jambes, il s'esquivait dans la nuit.

A LA SCHOPENHAUER

C'était bien une crise qui paralysait, ainsi, dans «Elysean-Park,» le joli commerce des joujoux; et, par une ironie commerciale du printemps, elle s'était déclarée dès fin avril, pendant les senteurs des lilas, juste au moment le plus favorable à la reprise de ce léger genre d'affaires.

Le vide s'éternisait autour des gracieuses boutiques dressées en plein vent sous les arbres. Les marchands ne vendaient plus rien et passaient leurs heures à regarder grandir le spectre de la faillite. Attifées de toilettes voyantes, ou montrant leur chaste nudité rose en maroquin sans sexe, les poupées s'étiolaient dans un abandon grisaillé de poussière. Les scintillantes ferblanteries des canons, des fusils et des sabres s'oxydaient derrière les phalanges découragées des soldats de plomb. Une tristesse noire s'élevait depuis les chariots renversés à terre jusqu'aux cerfs-volants défraîchis papillonnant aux frises. Les chanterelles de chanvre se brisaient l'une après l'autre sur les minces voliges des violons et guitares d'un sou. De temps en temps la rupture d'une touche d'harmonica pleurait un glas lointain de note fêlée, rendant plus poignant encore, parmi les fermes et bergeries voisines, l'aspect de cette rouille d'automne qui jaunit à la longue les paysages invendus en bois vernis.

La calamité devenait générale, à tel point qu'elle atteignait M. Trum lui-même, oui! M. Belphegor Trum, le célèbre fabricant de pantins, l'introducteur autrefois breveté de la «toupie-valse,» M. Belphegor, dont la boutique—a l'enseigne des «Enfants-Sages»—s'élevait au centre d'Elysean-Park, dans la partie fréquentée précisément par la fine fleur du far-niente millionnaire.

A quoi fallait-il attribuer une disgrâce aussi marquée?

La plupart des boutiquiers arguaient de la situation d'ensemble de l'économie politique. Mais M. Trum ne s'égara pas à de telles jérémiades en style de tenue de livres, et n'alla pas imaginer que la lourdeur des marchés pesait jusque sur la bosse des polichinelles.

Ainsi qu'en témoignait sa longue figure maigre, ses petits yeux fouilleurs et le toupet frétillant au sommet de son front pointu, Belphegor Trum était un industriel de décision et d'humour, devenu dans la partie une manière d'artiste capable d'originalité.

Il savait par expérience que les petits garçons et les petites filles très riches, étant éduqués dans le mode high-life, n'ont coutume de rien retrancher de leurs plaisirs, quelque défaillant que soit, d'ailleurs, le négoce national. D'où les ralentissements dans la vente des joujoux de prix n'ont pour motif ordinaire qu'une variation du caprice actuel défavorable aux produits surannés et provoquant le désir d'un changement de futilités et brimborions. Auquel cas les fournisseurs subtils sont tenus d'inventer l'attirance de hochets inédits, en même temps qu'appropriés au goût du jour.

Or, maintes fois déjà, M. Trum avait fructueusement exploité ces espèces de lubies:

Durant les idées de bataille propagées par la récente guerre d'Europe, il écoula beaucoup, beaucoup de petits régiments fusilleurs, sabreurs, mitrailleurs, chevaucheurs, avec accompagnements de trompettes, de tambours, d'oriflammes et de vraie poudre à canon. Certaine période d'engouement théâtral occasionna le placement d'une multitude de Comédies en papier peint et de toutes les marionnettes amoureuses ou renfrognées, burlesques ou terribles, qu'il faut pour danser le drame et la farce au bout d'un fil. Il n'y eut pas jusqu'aux prétentions scientifiques de notre génération décidément progressive que M. Trum n'eût captées par toutes sortes de quincailleries électro-chimico-mécaniques, toujours vendues fort cher.

Et voilà qu'après tant de fantaisies envolées, les young ladies et petits gentlemen très riches se remettaient à réclamer du neuf, on ne sait quoi de conforme à des aspirations latentes, indécises, encore en l'air et que M. Trum, avant de risquer aucun nouvel expédient, devait s'efforcer de saisir au vol.

Il s'abstint donc de monologuer de stériles complaintes, et, pratiquement, il employa ses loisirs forcés à combiner des projets, à guetter le secret des tendances qu'il comptait enjôler sans retard, à noter enfin en leurs moindres variations apparentes les allures et façons du jeune beau monde répandu dans le jardin.

Certes, le frais Elysean-Park n'avait rien perdu de sa coquetterie légendaire. Le soleil continuait de précipiter à travers les trouées de feuillage des éclaboussures d'or sur la soie verte des pelouses. La gerbe d'écume de la grande pièce d'eau montait toujours sur l'éblouissant lointain de lumière. Les mamans en toilettes vaporeuses, escortées de bobonnes à rubans et d'institutrices vagues, persistaient à venir s'asseoir, pour lire et broder, nonchalantes, les après-midi, à la lisière d'ombre des vieux arbres, taillis que sur les fonds de vert et d'azur les remuantes bandes d'enfants enlevaient des peinturlures de costumes d'été. Les heures de promenade gardaient leurs fouillis d'enluminures claires, mais, à vrai dire, elles ne bruissaient plus des joviales animations d'antan. Il planait un murmure chuchotant de cérémonial et c'en était fini des airs envolés et turbulents jadis admis comme cachet de distinction. M. Trum crut, de plus, remarquer qu'une affectation de souci posée sur le front des mamans élégantes, s'estompait en reflets plus tendres sur les traits des bébés, eux-mêmes cuirassés d'élégance. Ceux-ci traînaient par les allées de lentes attitudes de rêvasserie. Ils restaient en arrêts de silence éperdu devant des tombées de branches, des effeuillements de roses, des froufrous de colombe en fuite ou n'importe quelle autre vue prise sur la poésie de l'éphémère!…

Il présidait à ces tenues mélancolieuses quelques tâtonnements, des gaucheries d'ébauche, indices d'un noviciat tout ingénu. Les symptômes, pourtant, étaient décisifs: On dressait la jeunesse dorée à des extériorités d'obsession, il existait une consigne d'assombrissement néo-byronien et c'est sur cette donnée, évidemment, que M. Trum devait baser ses recherches. Mais pour agir avec succès, il lui restait à découvrir dans quels termes et jusqu'à quel point cette manie—ou cette doctrine—s'accréditait dans l'intimité des familles, et pareille enquête eût été, sans doute, difficile à suivre, si des circonstances favorables n'avaient apporté d'elles-mêmes à M. Trum les indications voulues:

Quelques nourrices et caméristes, simples gaillardes agrestes, innocemment restées de bonne humeur, fréquentaient encore de temps en temps les pimpants étalages de M. Trum et consacraient, par surcroît, ces plaisants moments entre elles à dauber, avec le plus d'irrespect possible, les inénarrables frasques des maîtres.

L'adroit négociant n'eut qu'à laisser tomber quelques questions dans le parlage pour en faire jaillir, aussitôt, en patois de terroir, un intarissable flot de confidences, ainsi traduisibles:

«Pas gênant, le service d'aujourd'hui! Plus de rebuffades de Monsieur, ni de nerfs de Madame; pas de cris de bébé, pas le moindre fracas des visites et connaissances. Tout ce qu'ils demandent, c'est qu'on trottine à pas de velours, sans voix, sans brusquer rien, autour de leur douceur triste, oh! triste! par plaisir donc! en manière de repos de l'esprit, vu qu'à leur idée, l'existence amusée ou non, ce n'est jamais que du hasard, de la folie et de l'inutilité s'effaçant le long des heures mourantes à la file, jusqu'à ce que demain soit devenu de l'oubli et du rien comme hier. Telle est leur chanson; et les voilà charmants, en somme, avec leurs yeux grands ouverts de pitié sur cette bêtise, disent-ils; de la vie lâchée entre ciel et terre sans pourquoi ni par qui, avec leurs têtes penchées, écoutantes, comme si des rumeurs de travail et de foule sur la ville et là-bas sur le reste du monde, il venait un drôle de bruit de rêve…

«Mais vraiment, poursuivaient les jaseuses, ceci n'est encore que des préparations entre soi pour paraître ensuite bien gentils dans les sociétés. Ah! les réceptions, les soirées, les bals, c'est là qu'il faut voir leurs dégaines empesées de spleen, selon le genre qu'ils appellent «fin de siècle» et qui sera, par malheur, «commencement de siècle» d'après. Les Messieurs en noir collés aux murs comme des raies d'encre; les Madames épinglées de perles dans le frisson des dentelles; le silence et l'ennui raide dans beaucoup de parfum et de lumière, voilà toute la fête. Quelquefois on varie d'un peu de «miousic» fébrilement tourmentée sur piano; puis il y a des danses aussi, des enlacements deux par deux, des valses lentement tournées à travers les salons jusqu'à se perdre dans le jardin, au fond des ombres! Alors les Messieurs en noir contre les murs parlottent du bout des lèvres. On saisit des mots au passage des plateaux de limonade et de sorbets: ce sont des gaudrioles glacées sur cette démence de musique, sur ces monotonies d'étoiles et de lune qu'on voit au loin de la nuit par les fenêtres, sur les griseries d'amour que les couples tournoyants se soufflent à l'oreille. Hélas! s'aimer, s'unir, recommencer des êtres, créer de l'avenir, jeter de la vie sans cesse à ce vain rêve de vivre! Tout cela, dérision! en suite d'un tour de valse! Et patati et patata! voilà, continuaient les péronnelles, leur jolis propos—et c'est lancé sans rancune, d'un ton leste de mélancolie à l'évent. Le parfait du genre recommande qu'on folichonne ainsi d'une indifférence légère dans le désespoir d'agrément. Geindre pour tout de vrai, ce serait faire figure de benêt, car de ce qu'il semble que la machine terrestre ne peut marcher que de guingois avec l'imbécile mort quand même au bout, c'est de quoi ne s'irriter qu'avec modération, en certitude de n'y pouvoir remédier. On perd à la tricherie de la vie, et, mystifiés, on paie sans tapage. Telle est la règle pour les gens comme il faut, petits et grands. C'est pourquoi nos grêles demoiselles fanfreluchées et satinées, nos gentlemen-moutards, en chapeau haute forme, étudient là-bas les grâces tristes, se laissent quasi vivre, mais avec des essais de croire que rien ne vaut la peine de rien…»

Tressautantes de rires, les babillardes n'en finissaient plus de leurs médisances. Mais M. Trum restait sérieux, très attentif, furetant son oeuvre au fond des railleries. Il appréciait, en spécialiste, ces ostentations de mondanité navrée; il les aimait tout à coup et s'en pénétrait pour les rendre en art. Sa cervelle s'agitait: la trouvaille voulait poindre, elle surgissait; il la tenait, enfin, complète, heureuse, triomphante!

Quelques jours de hâtive improvisation lui suffirent à tout bâcler derrière ses volets clos, et brusquement, un matin, il ouvrit, certain du succès, fier d'avance du retour de la foule.

On accourait, en effet, de tous les points d'Elysean-Park, attirés de loin par un spectacle d'irrésistible étrangeté. Les ribambelles d'enfants, aussitôt en presse devant la boutique, n'avaient pas assez de clarté bleue dans les yeux, pas assez de flammes roses sur les lèvres pour arborer l'extase, tandis que l'entourage des mamans élégantes et des vagues institutrices ne pouvait se défendre d'un murmure ravi.

C'est qu'en pleine joie de soleil, sur l'étendue vert-tendre se dressait une farce noire, une vision d'affreuse bimbeloterie de douleur. M. Trum élevait ses tréteaux sinistres pour un commerce inouï d'amusettes fardées d'épouvante. Les gais bariolages de l'échoppe s'éteignaient sous des voiles de catafalques piqués de larmes tremblées en papier d'argent. Sur les rayons une multitude de figurines se campaient en grand deuil correct, selon la coupe la plus récente du journal des modes funéraires (Mourning News).—Il y avait les pantins porteurs du rigide frac noir et casqués du haut gibus, les poupées en atours de veuves, avec longues ailes de tulle dans le vent; par-ci par-là des clowns, même, ou pierrots yankees, à contorsions de squelettes en maillots noirs, que l'effet de neige de leurs perruques marquait d'une touche de gravité. Les suites de marionnettes se groupaient sur les couvercles de leurs boîtes, ébauchant des attitudes au milieu d'accessoires divers; et des rapetissements d'humanité gesticulante, des aspect d'envers de lorgnette se modelaient comme en un temps d'arrêt de pantomime. C'était tout un monde en miniature, une collection complète de types sociaux que M. Trum, du bout de ses doigts d'artisan, avait lestement affublés au «dégoût du jour,» enfunébrés de pied en cap, mis dans leurs meubles respectifs, copiés vifs, enfin dans une posture ployée et méditante de marasme, dans un semblant cruel et glacé d'être vrais.

On admirait en bloc le fouillis de merveilles, mais bientôt les détails furent examinés un par un, avec un mouvement de satisfaction croissante. Quelques brèves paroles de boniment lancées par M. Trum hâtèrent encore—bien que débitées sans emphase—cette recrudescence de faveur, et l'on se rendit compte, enfin, de l'exquise impression souffrante qui s'élevait de l'exposition entière; on comprit avec quelle entente délicate de l'actualité, avec quelle fine intuition des adoucissements philosophiques nécessaires, M. Trum avait pastiché les épisodes les plus habituels du fatidique spectacle d'ici-bas.

L'ennui d'être, ou problème de l'organisme, pris dans ses grandes lignes; l'absurde action précise dans des inattendus de destins; l'éternelle superfluité terrestre des tracas et déboires collectifs, tout apparaissait en assortiments de jeux distincts, en scènes muettes de petits fantoches, très bonassement lugubres, d'ailleurs, et mettant à leurs dehors angoisseux l'espèce de naïveté des vieilles légendes plaquées dans le coloris des images d'un sou.

Symboliques comme des pions d'échiquier et gardant le silence mortel du whist, les pions à face humaine de M. Trum innovaient un incomparable procédé de récréation bourrelante. On ne pouvait mettre sous une forme plus ingénieuse de divertissement «le mal de vivre,» théorique et pratique, à la portée de l'enfance.

Mais la sympathie unanime, prise en plein sentiment, se concentra d'abord sur une catégorie de compositions particulièrement attrayantes et qui se déployaient en longues lignes sinueuses, au beau milieu du comptoir.

—C'est les «petits enterrements,» les jolis, ceux de première classe, expliquait doucement M. Trum, article soigné, ne laissant rien à désirer comme exercice de douleur compassée en plein air, onctuée déjà de résignation naissante. Le défilé va, l'allure est prise, lente, ouatée de componction. Il bruit une respiration de pleurs avec bourdonnements discrets de causerie. L'agent de tristesse décorative, le petit ordonnateur des pompes, est d'une dignité rare, ouvrant la marche, habillé de noir mat, avec bicorne sur l'oreille et stick d'ébène aux doigts; professionnel, son sourire d'égal regret pour tous tombe d'un apitoiement indicible sur le calme des entours et, sans forfanterie du reste, il aspire les saines fraîcheurs de la promenade mortuaire. A sa suite, vient l'équipe des petits croque-morts, sanglés de courtes jaquettes de bourre, le chef cylindre du tube de cuir enduit de crêpe, robustes de râble et satisfaits, non moins, entre deux ramassages de cadavres, d'escorter ainsi, bras ballants, en amateurs, jusqu'au cimetière, emboîtant le pas au quadrille de chevaux nains caparaçonnés d'un flot d'ombres de velours ou cheminant sur les côtés du galant petit corbillard couleur de suie, huppé de peluche blanche aux quatre coins, que conduit le petit cocher somnolent en noire houppelande d'une coupe extraordinairement posthume et botté jusqu'au ventre, à l'écuyère. Oh! la procession est d'une majesté réussie et, certes, le petit défunt coffré dans le joli petit cercueil jonché de fleurs, dut être flatté—lorsque agonisant—de songer qu'il traînerait après lui le cortège de tant de petits gentlemen en exacte toilette d'obsèques et de tant de petites calèches de deuil berçant, bien suspendues, d'agréables petites dames en noir penchées aux glaces des portières et mieux en vue pour verser d'excessifs sanglots dans de minuscules fragments de mouchoirs de dentelles…

A ce faste de gala, M. Trum avait ajouté, pour les petites bourses, une section d'enterrements économiques, quand même fort convenables, dénommés «les petits convois du pauvre,» en tout composés des dolents véhicules à rotonde et d'une conduite d'exaspérés chiens maigres allant seuls derrière…

Continuant dans cet ordre de folâtreries civilisées à dessous d'amertume, M. Trum exposait quelques boîtes de «petits mariages,» mais nullement de ces noces à tralala, qui rutilent d'ordinaire aux vitrines des marchands de joujoux. Ce n'était plus le petit épouseur blondasse, ouvrant un sourire de ténor, ni le petit guerrier ruisselant des chrysocales de son grade, tendant le poing nuptial à la poupée extasiée dans la nuée de tulles et de fleurs d'oranger sur un fond flambant neuf de familles cousues d'or:

—De telles festivités font mieux dans l'ombre d'un peu d'idées noires, assurait M. Trum. Voyez, plutôt, ces touchants «petits mariages in-extremis»—les seuls demandés à présent dans le commerce—avec assistants en demi-deuil dissimulant de rongeantes appréhensions: le fiancé dresse la carcasse exténuée du parfait poitrinaire, tenue de bal; la fiancée défaille d'étisie: une soutane se détache du groupe d'invités et, dans le fond de la scène, on aperçoit une file de petites voitures closes et de valetailles en livrée sombre ornée de fleurs pâles, comme pour une excursion éventuelle du temple au cimetière…

Mais M. Trum ne s'était pas restreint aux croquis calqués sur le grand monde. Il avait, de plus, esquissé bon nombre de tableaux du grouillement des foules; montré des cours de chantiers, des ténèbres d'usines, des géhennes de chauffes, des sordidités de galetas, des ruines de bas quartiers, des intérieurs de maisons de refuge ou de châtiment; traduit des ivresses, des suicides, des rixes, des meurtres, des révoltes; raconté les heures suantes de travail, les obstinés retours de misères, tant d'acharnées batailles de labeur, de famine et de rage qui, dans les formes d'une poésie plus farouche, accusent, à leur tour, les absurdes fatalités de laideurs, de tortures et de crimes, les éternels recommençages d'inutiles faits divers où roule et se débat l'ahurie création.

L'un des meilleurs morceaux de cette partie de la collection était certainement le «petit hôpital» avec ses rangées de couchettes voilées de serge blanche, les placides caboches des petits infirmes rabattues sur les traversins, les airs guérisseurs du petit médecin en visite, les silhouettes blanches des religieuses au maintien de silence et de rêve dans cette hôtellerie de douleurs errantes et d'agonies hâtées.

On admira beaucoup, aussi, la facture des «Petits Monts-de-Piété» dont on notait la lumière morte d'officine teignant de pâleur une mêlée de pauvre monde en haillons et les troupes de petits employés avides de fouiller du bout du nez les tas de hardes apportées par de tremblantes petites ménagères halant à leurs jupes de guenillardes traînées d'enfants.

—Cela se passe la veille des jours de propriétaire à payer,—ricanait M. Trum. Voilà pourquoi l'on jette pêle-mêle à l'usure tant de sortes de petits paquets en échange de si menues, menues piécettes de monnaie. Voilà pourquoi, d'un air de lâcheté commise, on engage furtivement la défroque, le bijou, le souvenir, la relique…

M. Trum poursuivait ainsi les descriptions, acérées de quelques traits de satire, qu'il débitait sur un ton d'atticisme insouciant et d'oiseuse ironie contre le destin. Puis il faisait mouvoir les marionnettes, révélait les secrets de leurs articulations, leur arrachait même les voix et les cris de leurs rôles désespérés. Les poupées serrées au corsage musiquaient une plainte écoeurée, un râle amer de clarinette; les clowns et pierrots émettaient aussi des clameurs d'automates, des fac-simile de sanglots extraits d'impassibles entrailles; un crin de leur perruque, frotté entre les doigts de l'impresario, amenait les grincements atroces—et récemment inventés—d'une peau de tambour tendue sur leur crâne. Mais que ces gémissantes imitations hurlassent grotesques ou tragiques, rien n'altérait jamais l'exquise fraîcheur plâtrée aux joues des poupards, nulle ombre ne passait dans l'éperdue gaieté bleue de leurs yeux de cristal; les clowns gardaient leur grimace retroussée de sarcasme; oui! les pantins, les mornes absolument qui jadis marivaudaient leurs félicités, les poupées noirement vêtues, à présent, selon l'ennui des temps, les dociles et candides poupées rapportaient d'autrefois leurs frimousses de beurre frais, pomponées de frisures, leurs gestes dodus grassement roulés en carton-pâte; et toujours, sur le rouge feu des lèvres, sous l'arc trop raphaélique des sourcils, dans la limpidité des yeux de verre ombrés de trop longs cils de soie, il leur restait l'immuable sourire illuminé, l'inouïe profondeur d'innocence, la troublante lueur de vision sans voir, que reflétaient exactement, d'ailleurs, les visages rayonnants des bambins assemblés devant la boutique.

On se prit à raffoler de ces frimes d'angoisses dont les acteurs, très sincèrement, n'éprouvaient rien. C'était le passe-temps tout neuf, tant attendu; vraiment fashionable; on allait pouvoir s'amuser dans l'affligeante mesure des convenances, on tenait l'heureux joujou conçu dans le style, enfin, des dernières méthodes de désillusion. Et, simplement, il avait suffi d'un peu de retouche funèbre pour actualiser ainsi le vieux stock de pantins indifféremment éplorés ou farceurs.

Le succès de M. Trum dépassa toute prévision. On se bousculait pour acheter. Des centaines de «petits enterrements» sillonnèrent bientôt les avenues. On jouait, entre demoiselles, à toutes sortes de «petits mariages in-extremis» dans les coins d'ombre. Flânant par là, les gamins du menu peuple étaient fraternellement conviés à de décourageantes parties de «petits hôpitaux et monts-de-piété,» et, sans relâche, on retirait de la grande pièce d'eau les victimes des «petits assassinats,» des «petites insurrections» et autres petits jeux coopératifs des crève-la-faim.

Ces pâles distractions incitaient l'enfance élégante à des poses transies qui devinrent immédiatement de rigueur sous les ombrages d'Elysean-Park. Il était peu relevé, désormais, de hanter les boulingrins en toilette non macabre. Les nourrices mêmes, converties, serraient leurs mioches dans des mantes de tournure claustrale et leurs coiffes battaient l'air de longues traînes de rubans noirs. La vieille marchande de gâteaux ne vendait plus que des «chagrins» au lieu des croustillantes friolettes anciennement appelées des «plaisirs.» Les soldats, en quête d'églogue, encanaillaient un tantinet le paysage de leurs uniformes vermillons piqués de bleu-jaune et l'on délibéra de rétablir les «hussards de la mort,» pour le roman spécial des bobonnes en deuil.

La pluie de dollars afflua chez M. Trum, aussi longtemps que ces badines mortifications eurent pour correctif les joliesses de l'été. Mais voici que les rouilles d'arrière-saison grimpèrent aux arbres, la brise soufflait de l'automne à pleins frimas et les minauderies de décadence commencèrent à manquer de confortable. Un ennui, non joué maintenant, tombait des brumes, et les acerbes facéties de M. Trum ne suscitaient, enfin, qu'un petit frisson d'agaçantes et grelottantes réalités; elles accentuaient aux yeux des enfants eux-mêmes l'ineptie d'être on ne sait quel cauchemar d'humanité ratée et mal à l'aise. Cela devenait d'un déchirement d'âme insupportablement naturel. Des rancunes sourdes s'ameutèrent au nez des stupides pantins opposant à des calamités trop certaines leur indomptable risette de mécanique. Il y eut des menaces, des insultes, finalement des huées. La popularité de M. Trum s'effondrait derechef s'il ne l'avait, une fois de plus, repêchée par un trait de génie:

L'hiver, un matin, était entré dans Elysean-Park, sur l'aile d'une trombe de neige. Les enfants, en course dans le tourbillon, s'arrêtèrent tout à coup intrigués des changements réopérés soudain dans le magasin de joujoux. Les marionnettes bizarrement flottaient dans le vide, et, prises à la taille par des anneaux passés le long d'une tringle, elles se déployaient, serrées côte à côte, d'un bout à l'autre de la baraque, tandis qu'à quelques mètres de la devanture, M. Trum avait élevé d'énormes monceaux de boulets de neige.

Refusées, démodées, flétries, elles apparaissaient en une seule rangée, ces caricatures de la vie en noir. Le fiancé, l'amante, le prêtre, le paillasse, le fonctionnaire, le plébéien, la dame, le monsieur, ils étaient là tous, ces veules échantillons de la sottise d'être, tous ces mannequins de l'incompréhensible chimère à forme humaine, tous ces clowns de l'effarement, façonnés par l'arbitraire fantaisie, ayant aux lèvres la plaie du rire sans cause, ils étaient là, toujours paisibles, hilares, bichonnés, ridicules, dans l'attente niaise d'un châtiment, d'une fin, d'un néant quelconque…

Qu'allait-il donc se passer de drôle ou d'effrayant?

M. Trum, sans nuances de persiflage à présent, et de verve déchaînée, se hâta de satisfaire les curieux:

—On n'en veut plus, parla-t-il, de ces larmes de parade et de ces dilettantismes d'accablement. On en a par-dessus la tête de ces affres d'automates sans vrais pleurs aux yeux, sans un cri d'âme dans la gorge, sans vraie faim au ventre. On les berne, enfin, ces désolés, ces opprimés, ces meurtris artificiels, sans haine et sans révolte, sans pensée et sans voix. Oui, l'on siffle, à cette heure, ce qu'on acclamait hier. Eh bien! on le crèvera, le pauvre spectre morfondu d'idéal à rebours. Destruction radicale!—la guerre à mort, à mort! Ce sera la nouvelle amusette, pas cher! un sou le coup; un exercice facile et gai: l'on n'a qu'à frapper, qu'à cogner les pantins imbéciles! au hasard, dans le tas!

—Cassez, brisez! achevait M. Trum. C'est le jeu du massacre et de la fin du monde, le grand succès du jour. Cassez, brisez! criait-il, donnant lui-même le signal de l'attaque.

La cohue des bambins ouvrit la bataille à grands hurras de joie. Oh! la fête de revanche et de rires. Les mitraillades de paquets de glace s'écrasaient en poudre contre les jolies tranquilles petites poupées culbutées, fracassées, éventrées, vidées. Ce fut une volée confuse de blancheurs où pirouettaient fleurs et dentelles, chignons et falbalas; un éparpillement continu grossissant l'avalanche, où bientôt s'enfonçaient et s'engouffraient jusqu'au dernier tous les lamentables petits cabotins de M. Trum.

Après une heure, la célèbre boutique en plein vent n'était plus qu'un amas de givre couvrant de son linceul la défunte tragi-comédie de la tristesse à la dernière mode…

Il est peu probable—soit dit en guise de dénouement—que M. Trum se préoccupe de quelque autre attraction pour l'été prochain:

L'heureuse application de la méthode Schopenhauer lui a rapporté gros et lui permet de quitter à jamais les affaires pour aller vivoter enfin, en petit rentier, quelque part de natal et de verdoyant—dans un optimisme sans ostentation.

CI-GIT EDWINN

Nous avions eu l'honneur d'être les deux derniers expulsés de la taverne au moment de la clôture des volets et nous nous étions mis à rôder, malgré la pluie de givre et les cris d'ouragan de cette nuit de décembre, toujours plus avant dans le noir des rues.

Aussi bien, comment se quitter à présent? Notre tendre ivrognerie larmoyait les effusions d'un inséparable amour; puis, il semblait résulter implicitement des confidences antérieures qu'au moins l'un de nous avait négligé, ces jours-ci, de s'assurer locativement une résidence fixe. Il se rencontre, en effet, des individualités que les instincts casaniers ne surexcitent pas au point de vouloir vaincre, à cet égard, les exigences croissantes et les sombres appréhensions des propriétaires. Telle est l'opinion qui s'était incidemment formulée, sans préciser lequel de nous l'avait le mieux mise en pratique. Notre promenade menaçait donc de s'éterniser par le seul respect des convenances, qui nous ferait feindre de nous accompagner mutuellement jusqu'à notre absence probable de logis respectif. Enfin, motif suprême de nos sympathies—et peut-être de notre privation momentanée de domicile,—nous étions des frères de lettres, des soldats de la grande armée de l'écritoire, et nous nous lancions dans une critique à fond, prose et vers, livre et journal, de toute la littérature existante… Une conversation de ce genre peut-elle jamais finir?

Jusqu'à ce soir, pourtant, nous ne nous connaissions que de vue, par suite de rencontres sur des escaliers de journaux. Pudibond, je dissimulais alors sous ma houppelande un humble volume—ma pauvre Elsa!—Lui, l'oeil en bataille, marchait, au contraire, fier, son livre au poing. J'analysais au passage sa rude structure maigre de grand diable famélique, sa longue face blême creusée de fureur, l'ascétisme râpé de son habit noir, l'on ne sait quoi de shakespearienne clownerie dans le renvoi du chapeau haute forme à l'arrière du front monté en rêve: Ainsi vu, je le jugeais d'une misère intéressante et vaincu par trop d'étrangeté d'art, tandis qu'il m'écartait de ce regard d'orgueil qui hait les inconnus. Il exista dès lors entre nous des chances d'exécration réciproque et nous éprouvions, tout à l'heure, un malaise froidement burlesque du hasard qui nous amenait face à face, à la même table de cabaret.

Il y eut, d'abord, un parti-pris de silence, mêlé d'envisagements sournois et d'affectation de s'ignorer. Mais ce furent mille sensations simultanées d'écoeurement: l'abjecte brûlure des grogs, le brutal du bruit et du gaz, les cruels coups de vent engouffrés à chaque battement des portes, le va-et-vient de quelques marchandes de sexe aux chairs empesées de plâtras, au luxe décroché du revendeur, les figures mornes ou flambantes des crève-de-faim et des truands en goguette alternant sur la crasse des murs dans le bleu de la tabagie qui, par des échanges de coups d'oeil, des grincements, des jurons, des bouts de phrase dégoûtamment jetés comme des bouts de cigares, nous amènent enfin à moduler contre le présent épisode d'existence, et même contre le spectacle universel de la création, le plus âpre concert d'insultes qui se soit jamais levé d'une colère d'écrivains non encore rassérénés par le succès.

Et quand notre allure fut prise à patauger côte à côte, la houle d'ivresse aux entrailles, sous la glaciale crevée des nues je développai plus violentes, le long des heures, ces litanies d'imprécations. Le moindre défaut dont j'accusais l'arrangement social, c'était son manque absolu de raison d'être. Seule elle était belle et vengeresse, proclamais-je, cette nuit de glace et de frissons où nous errions comme dans le noir d'un monde fini…

Plus calme, le camarade s'affirmait, selon mes prévisions, comme un être de valeur, ne fût-ce que par sa placidité dans l'art de cuver l'alcool. Il affectait le ton bref, le mot concluant, le trait de clarté jeté, par-ci par-là, dans le lyrisme que j'outrais pour le séduire. Sur mon espèce d'hymne à la nuit, brusque, il fit une halte, le haut chapeau tout au bout du bras, raide silhouette coupée sur une lueur de lanterne, en vrai croquis pour conte nocturne, saluant ainsi l'espace éteint, sa respiration haletante et continue de rumeurs de tempête, les bruits fous, inexplicablement douloureux des ombres, les aspects de formes d'effroi, le décor des infinis déroulements d'obscurités.

Quand nous reprîmes notre course, flâneurs exaltés au nez de la tourmente, notre alliance poétique était complète. Nous n'appartenions décidément pas à l'école «veriste» qui copie le triste et le ridicule de l'ennui d'être et ressasse l'éternel lieu commun de drame ou de farce que les successions d'humanité se transmettent à revivre et à remourir. Le génie pur méprise ces fatalités déterminées par les conditions de l'organisme, et n'étudie que le secret de sa propre essence. Il refuse d'être matériellement soi sans savoir pourquoi ni comment et, dédaigneux des faciles constatations substantielles, il ne part que du point où sa pensée s'ouvre: c'est là qu'il construit la logique de ses chimères à l'inverse de l'arbitraire insanité du réel; c'est là qu'il édifie l'idéal d'une plénitude de compréhension et de durée dont le monde actuel est le voile, et qu'au milieu de notre nature de mort il se fait l'interprète d'un sentiment d'éternité…

Tel est, décrétions-nous, l'art d'écrire chez les hauts esprits; et, fouetté par les courtes répliques du frère, je déroulais ces théories effarement ivres avec une chaleur d'âme à faire fumer mon échine trempée de pluie. Mes vierges timidités d'auteur s'envolaient aussi. J'osai glisser dans la conversation le nom de mon Elsa. Cet essai de roman ne symbolisait-il pas quelques-uns des nobles principes énoncés ci-dessus? J'allai même jusqu'à donner une esquisse du scénario, ho!… très discrètement, dans ses grandes lignes: Elsa, la présumée Suédoise, est une morte… Sa beauté ne subsiste plus que dans la grisaille d'une ancienne plaque de photographe tombée, par hasard, entre les mains d'un savant, un chaste, un sombre, chez qui «l'oeil seul veut aimer…» (J'accentuais cette phrase d'un ton équivalent à son effet d'«italique» dans le volume.) Drame de passion d'un regard et d'un reflet!… Le savant torture l'image trouble: il lui faut le précis des formes, le secret de l'expression; il s'acharne à tous les réactifs connus de la chimie; il use sur ce spectre tout son génie de science ainsi que d'autres jettent à des vivantes toute leur âme et tout leur or… Vaines années de recherche d'introuvable: l'effigie trop manipulée se dissipe, le carré de métal n'est plus qu'un luisant de miroir où n'apparaît désormais que sa lueur à lui, l'halluciné de l'amour sans ligne, du rêve sans vision…

Les détails dont j'agrémentais ce résumé nous avaient conduits jusqu'aux limites de la ville, devant le désert d'ombre des plaines. Nous retournâmes sur nos pas et je laissais planer, dans un moment de silence, la splendeur supposée de mon dénouement, aux écoutes, pourtant, des observations que le confrère semblait ponctuer de ses zigzags réguliers d'ébriété:

—Très sobre! grognait-il, caprice d'art pour l'art; et pas d'aventures, pas de rencontres d'individus à dialogue, la voix des choses, seulement… Oui! très habile…, mais quoi? l'amour, la science, toujours l'extériorité, toujours la réfraction de l'adventice!… Non, vieux jeu! la véritable tâche littéraire serait autre! Il faudrait savoir mettre dehors le for intime, dire le dessous de la conscience, élucider la façon séparée que ressent chaque âme d'être soi…

Flatté d'abord, puis inquiet, j'allais protester contre le surplus de noir que ces déductions mêlaient à la nuit, mais il continuait d'un tel accent de tristesse:

—Il faudrait cela, mais c'est impossible: L'inné n'a pas de verbe. Le langage ne parle que l'homme appris. L'idée interne subit la frappe de la machine à vivre et ne transparaît qu'en figures sensualisées par l'automatisme charnel. On n'est soi que copié d'un autre. Le geste, le cri, l'emportement de passion même, sont d'une famille, d'une race, d'un atavisme quelconque. Et pour rien livrer de sa conception infuse, pour rien révéler qui soit bien d'elle, la pauvre âme n'a que le silence, le souffle muet où s'étreint la puissance, l'audace, l'instinct de perfection de la pensée,—l'horrible grand silence, ton supplice, «Edwinn!» ton supplice éternel!

—Edwinn?… Farouche, tout à l'heure, la voix du frère s'éplorait presque sur ce nom. De qui parlait-il? J'eus un vague souvenir de connaître ou d'avoir lu… Edwinn? questionnai-je…

Mais il poursuivait sans m'entendre. Rien ne l'arrêtait maintenant; il venait, lui aussi, de proclamer le titre de son volume et, pas plus que moi, ne savait se défendre d'en étaler une emphatique analyse. Edwinn? parbleu! c'était la mise en scène des aberrations métaphysiques bégayées tout à l'heure, c'était le conte absurdement hoffmannesque de l'«homme sans bruit,» de l'ambitieux d'originalité que stérilise l'orgueilleuse peur d'être banal. Epris d'une fille, il méprise de moduler les rengaines toutes faites de jeune amour qui chantent d'elles-mêmes sur ses lèvres; en lutte aux batailles pour vivre, il refuse de lamenter la note connue dans l'invariable chorus des affamés; la plume tordue aux essais de prose, il succombe à vouloir transcrire autrement le «secret de son moi» que sur le mode du stylisme en cours. C'est l'incurable taciturne de ses profondeurs d'amour, de désintéressement, de doute, d'enthousiasme; puis c'est le désespéré muet des nuits de taverne, apparition aussi de maigre frac noir et de haut chapeau, tellement ivre certain soir qu'on l'ensevelit trop vite, et c'est, par suite, une mort bien digne de lui: l'écrasement crispé dans la hâte du cercueil, la suffocation du cri d'agonie, «la mort qu'on n'entend pas mourir!» hurlait le camarade, rendant à son tour l'«italique» par du trémolo de pleur…

J'examinai l'auteur d'Edwinn, peut-être l'autobiographe:

—Allons! raillais-je; il n'est pas si défunt! nous le retrouverons ce soir au cabaret?

—Vous doutez! répondit-il, rude, marchant plus vite; allons voir sa demeure…, non errante celle-là…, au cimetière!

J'emboîtai volontiers le pas. Des pâleurs d'aube flottaient dans le brouillard, les prolongements de rues émergeaient des plaques d'ombre. La ville s'éveillait, quelques lampes de boutiques jaunissaient par-ci par-là des buées de vitres; notre verve se dissipait avec l'ivresse dans ce laid frisson du petit jour! Il était urgent de paraître s'en retourner, fût-ce sans savoir où. J'allais donc, résigné, mais bientôt j'entrevis le but du chemin parcouru, j'avais maintes fois accompli le même pèlerinage; oh! je le connaissais de fond en comble, l'affligé cimetière dont le camarade prétendait me faire les honneurs.

Nous arrivâmes, amers et transis, et nous franchîmes le seuil.

L'un des gardiens, en crasseuse redingote brune, était à son poste dès cette boueuse aurore d'hiver et se livrait, encore tout somnolent sous le bec de gaz, au soin d'épousseter quelques tombes,—ou, pour parler simplement, quelques volumes.

Car, avec les fantasmagories de la nuit, nos ferveurs d'imagination s'étaient envolées. Une longue insomnie, compliquée de froid et de faim, amène ordinairement cette manière positive de voir les choses dans le cru de leur prosaïsme matinal. A quoi bon, à présent, les métaphores et fictions. Nous jugeâmes superflu de dissimuler que le prétendu cimetière était un simple dépôt de cadavres imprimés, une modeste officine de libraire-éditeur pour transférer à la postérité les stylistes suffisamment méconnus, les prosateurs à insuccès bien certains, les romanciers du jour et d'un jour, ainsi que les rapides pléiades des poètes morts-jeunes. L'établissement est, du reste, très fréquenté. Tous les genres d'essais littéraires y reçoivent une sépulture décente moyennant divers tarifs qui permettent aux intéressés de choisir entre l'imposant in-quarto, le convenable in-octavo, le modeste in-douze ou bien encore les Revues hebdomadaires et mensuelles qui sont des sortes de caveaux de famille; et les nombreuses catégories usitées, enfin, de concession typographique à perpétuité.

Nombre de ces cénotaphes—tels que volumes, brochures, plaquettes et livraisons—revêtent un luxe exceptionnel en témoignage d'enterrements bibliographiques de première classe. On y remarque, par exemple, d'intéressantes épitaphes, ou épigraphes, gravées sur la face supérieure du petit cercueil de papier, et, parfois aussi, des estampes noires ou polychromes illustrant l'idée principale ou plus mémorable que l'édité-défunt a tenté de laisser après lui.

Beaucoup de ces reliquaires enrichis de tels ornements sont recommandés à l'attention des visiteurs par une étiquette portant cette attrayante mention: «Viennent de disparaître» et, d'ordinaire, ils sont mis en vedette aux vitrines, car dans les lieux de repos, en général, le bon goût, non moins que la tradition, conseille d'accorder la meilleure place aux mausolées les plus fastueux.

Le rond-point de cette librairie est circonscrit entre la porte d'entrée et le comptoir, élevée tribune d'ébène où trône l'éditeur ou grand ordonnateur fréquemment parvenu millionnaire en ces adjudications d'honorabilité funèbre. Aux heures commerciales d'après midi, c'est là que les lettrés de tout âge se pressent lorsqu'ils souffrent d'une insurmontable et fatale fièvre de publicité; c'est là qu'ils implorent des stipulations accessibles pour l'ensevelissement désiré convenable de leurs restes intellectuels; c'est de là que d'aucuns écrivains, en révolte contre de si dispendieux règlements d'obsèques, retournent découragés à leur domicile pour se livrer solitairement à la crémation de leurs manuscrits.

Depuis l'entrée jusque, dans la pénombre de l'arrière-boutique s'étendent des travées où les cercueils minés de prose et rongés de vers sont enfermés par séries distinctes. On remarque d'abord la fosse commune, l'énorme fouillis des romans de la quinzaine dont les gazettes enregistrent quotidiennement, entre autres bulletins de mortalités, l'éphémère statistique. Les contes frivoles et légères actualités scandaleuses d'antan dessèchent plus loin, fardées de couvertures roses; plus loin toujours, dans une collection reliée de papier noir, dite «Bibliothèque d'un homme de dégoût,» jaunit le ricanement des élèves de Schopenhauer et autres posthumoristes. Et dans plus de reculée encore, dans le plus abandonné recoin de la nécropole, sous des brochages verts, nuance pleur de saule, se morfondent les passionnées idéalisations de «l'éternel féminin,» les pages d'éblouis poètes déifiant d'inouïes et problématiques filles de rêve.

A peine osai-je risquer un regard, piqué d'une larme, vers cette désolée subdivision où mon Elsa (format in-octocaveau) sommeille à jamais entre mes douces fleurs de rhétorique…

La voix du camarade interrompit ces impressions de deuil intime:

—Regardez! disait-il, feuilletant sous mes yeux quelques versets d'un volume que l'employé venait d'extraire de la section encercueillée de noir.

D'horribles phrases haletèrent lues au vol. C'étaient la «muette agonie» déjà mentionnée, l'extraordinaire «mort qu'on n'entend pas mourir» et autres irréparables lividités d'intérieur tombal où pâlissait—comme sur des déterrés en des minuits d'ancien romantisme—le lunaire éclat du bec de gaz.

Le collègue referma l'opuscule et mit une frappante insistance à me faire admirer le couvercle où gémissait ce titre:

CI-GIT EDWINN.

Ainsi conduit vers des sentiments de professionnelle condoléance, j'offris le demi-dollar exigé pour l'acquisition de l'ouvrage et je serrai cordialement la main de l'auteur, l'heureux homme qui, du moins, avait su caractériser dans son livre quelque aspect de son propre être, imager son raffinement de timidité d'artiste, décrire, peut-être, son impuissance à faire jamais le moindre bruit de gloire…, tandis que moi! Rien que des chimères habillées d'extase…

—Mon Elsa! soupirai-je pourtant, le bout du doigt dirigé sur le fond de magasin vert-saule.

J'agissais ainsi par un reste de confiance et de candeur. Peut-être le frère de lettres honorerait-il aussi mes morts d'une marque de sympathie; peut-être un acte de complaisante exhumation, le miracle d'un achat d'exemplaire allait-il, pour la première fois, se produire?…

Mais le maigre noctambule éleva l'un de ses longs bras et mit dans l'air un geste vague, la pantomime d'on ne sait quel parti-pris de pieuse discrétion: une manière d'indiquer combien cette partie du cimetière se perdait dans d'indicibles lointains,—combien l'incolore et fantasque Elsa semblait ensevelie là pour jamais dans d'inviolables abîmes d'oubli.

TABLE

Une nouvelle École

L'Union libre

Le Docteur Burns

Feu Harriett

La Tragédie du Magnétisme

L'inexorable Monotonie

Vengeances de Femmes

Une Soirée improvisée

Une nouvelle Méthode judiciaire

La Philanthropophagie

L'«Express-Times»

Le Théâtre de la Misère

L'Explosion

Deux Débuts

La Nuit de Noël

Fin d'Année

A la Schopenhauer

Ci-git Edwinn

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