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Correspondance, 1812-1876 — Tome 3

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CCCXXXIX

A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHÂTRE

Nohant, 23 janvier 1852.

Cher ami,

Je vais à Paris après m'être assurée des intentions qu'on pouvait avoir à mon égard. Elles sont rassurantes, on m'a même expédié un laissez-passer signé Maupas. Je ne veux pas écrire le principal but de mon voyage; je te le dirai si je te vois auparavant ou au retour. Mais tu peux le deviner. Si je ne réussis pas, je n'aurai du moins rien empiré, et j'aurai fait mon devoir à mes risques et périls.

Je suis dans l'embarras et dans l'inquiétude pour ce billet de six mille francs. Nécessairement, quoique l'affaire reste bonne et solide, les événements ont imprimé un temps d'arrêt à la vente, juste au moment où les bénéfices, consacrés jusqu'ici à payer tous les frais, allaient devenir nets pour moi. Quelque bien qu'elle aille durant le mois prochain, le caissier doute que je puisse restituer les six mille francs au 8 mars. J'en avais trois mille de réservés sur ma bourse particulière; mais ce voyage qu'il faut que je fasse me les laissera-t-il intacts? J'en doute, si, comme il est probable, ma négociation prend un certain temps. Donc, le plus sûr, c'est que tu me fasses renouveler le billet, à ton beau-père en payant l'intérêt.—S'il marque la plus légère défiance ou contrariété (ce qu'à Dieu ne plaise je ne voudrais t'attirer!), déplace ma dette et fais-la porter sur quelque autre point pour un an. J'ignore si les événements ont rendu ces transactions difficiles. S'il en était ainsi et qu'on craignît que je ne fusse exilée ou emprisonnée,—j'ai maintenant la certitude du contraire,—je pourrais offrir une délégation sur mes fermages de Nohant, en cas de départ sérieux.

Bonsoir, cher ami. J'embrasse mille fois Eugénie. Si tu arrives avant que je sois partie, viens me voir. Il me semble que cela serait utile, et cela me ferait grand plaisir.

G. S.

Voulez-vous donner l'hospitalité à mon pauvre Marquis[1]?

Si vous avez des livraisons détachées de mon édition illustrée, renvoyez-les-moi, je vous envoie tout ce qui a paru broché. Un exemplaire pour vous, un pour Muller, un pour madame Fleury.

[1] Petit chien havanais.

CCCXL

AU MÊME

Paris, 30 janvier 1852.

J'agis, je cours. Ça va bien. J'ai été reçue on ne peut mieux, et des poignées de main de cette dame en veux-tu en voilà! Demain, je tâcherai de faire régler l'affaire. Le Gaulois et autres de là-bas[1] me désavouent, me défendent de les nommer. Sont-ils bêtes de craindre quelque bêtise de ma part! Mais, fichtre, qu'ils parlent pour eux! Il y en a bien d'autres qui ne seront pas fâchés de revenir coucher dans leur lit, ne fût-ce que le Vigneron[2].

Je n'ai pas le temps de vous écrire autre chose sinon que ma santé est meilleure, que ma pièce est reçue à bras ouverts, que je cours le jour et que je travaille la nuit, que j'ai vu Eugène, qui me paraît sage et gentil, que je vous embrasse et que je vous aime.

Silence sur mes démarches.

[1] Les exilés réfugiés à Bruxelles. [2] Patureau, dit Francoeur.

CCCXLI

A M. LE CHEF DU CABINET AU MINISTÈRE DE L'INTÉRIEUR

Paris, 1er février 1852.

Monsieur,

Ayez l'obligeance de vouloir bien rappeler à M. de Persigny que je lui ai demandé l'élargissement des personnes arrêtées ou poursuivies à la Châtre. Elles sont trois: M. Fleury, ex-représentant, absent; M. Périgois et M. Emile Aucante, prisonniers. Je demande l'abandon de l'instruction commencée contre elles, et je la demande comme un acte de justice, puisque je puis répondre sur ma tête de ces trois personnes, comme n'ayant en rien justifié les soupçons formulés contre elles.

J'ai nommé aussi M. Lebert, notaire, compromis plus sérieusement et coupable, selon l'acte d'accusation, d'avoir rassemblé les habitants de sa commune avec l'intention de les insurger. Je puis encore répondre des intentions de M. Lebert, homme d'ordre, de science et de haute moralité. Il a eu la résolution d'empêcher des actes de violence et de protéger, par son influence et sa fermeté, la propriété et les personnes que menaçait l'insurrection annoncée des communes voisines. Si j'avais été à sa place, j'en eusse fait autant, et je suis très peu partisan des insurrections de paysans.

Voilà ce que j'ai demandé à M. le ministre, non comme une faveur du gouvernement que mes amis ne m'ont point autorisée à accepter, mais comme un acte de justice dont ma conscience peut attester la nécessité morale. Mais, pour moi, si je dois accepter cet acte de justice politique comme une faveur personnelle de M. de Persigny, oh! je ne demande pas mieux, et c'est de tout mon coeur que je lui en serai personnellement reconnaissante, ainsi qu'à vous, monsieur, qui voudrez-bien joindre votre voix à la mienne, j'en suis certaine.

Heureuse d'obtenir de sa confiance en ma parole l'élargissement de mes plus proches voisins, je n'ai pourtant pas renoncé à plaider auprès de lui la cause de mon département tout entier. C'est dans ce but que je me suis permis de l'importuner de ma parole, toujours très gauche et très embarrassée. Priez-le, monsieur, de se souvenir qu'au milieu de mon gâchis naturel, je lui ai posé une question à laquelle il a répondu en homme de coeur et d'intelligence: Poursuivez-vous la pensée?—Non, certes.

Eh bien, parmi les nombreux prisonniers qui sont détenus à Châteauroux et à Issoudun, plusieurs peut-être ont eu la pensée de prendre les armes pour défendre l'Assemblée. Je ne sais pas si elle en valait beaucoup la peine; mais enfin c'était une conviction sincère de leur part, et, avant que la France se fût prononcée d'une manière imposante pour l'autorité absolue, le gouvernement pouvait considérer ceci comme une lutte ardente à soutenir, mais non comme un crime à châtier de sang-froid. La lutte a cessé; le gouvernement, à mesure qu'il s'éclairera sur ce qui s'est passé en France depuis les journées de décembre, aura horreur des vengeances personnelles auxquelles la politique a servi de prétexte, et reconnaîtra qu'il est perdu dans l'opinion s'il ne les réprime. Il reconnaîtra aussi que, là où ces vengeances se sont exercées, elles ont eu un double but, celui de satisfaire de vieilles haines, et celui de rendre impossible un gouvernement qu'elles trahissaient en feignant de le servir. Je ne nommerai jamais personne à M. de Persigny; mais il s'éclairera et verra bien!

En attendant, M. le ministre m'a dit qu'il ne punissait pas la pensée, et je prends acte de cette bonne parole, qui m'a ôté tout le scrupule avec lequel je l'abordais. Je ne sais pas douter d'une bonne parole, et c'est dans cette confiance que je lui dis que personne n'est coupable dans le département de l'Indre. Initiée naturellement, par mes opinions et la confiance que l'on m'accorde, à toutes les démarches des républicains, je sais qu'on s'est réuni, en petit nombre, qu'on s'est consulté, qu'on a attendu les nouvelles de Paris, et qu'à celle de l'abstention volontaire du peuple, chacun s'est retiré chez soi en silence. Je sais que, partie de Paris au milieu du combat, je suis venue dire à mes amis: «Le peuple accepte, nous devons accepter.» Je ne m'attendais guère à les voir arrêtés par réflexion quinze jours après, et, parmi eux, ceux de la Châtre, qui n'avaient été à aucune réunion, attendant mon retour, peut-être, pour savoir la vérité.

S'il en était autrement, si ce que je dis là n'était pas vrai, je n'aurais pas quitté ma retraite, où personne ne m'inquiétait, et mon travail littéraire, qui me plaît et m'occupe beaucoup plus que la politique, pour venir faire à M. le président et à son ministre un conte perfide et lâche. Je me serais tenue en silence dans mon coin, me disant que la guerre est la guerre, et que qui va à la bataille doit accepter la mort ou la captivité. Mais, en présence d'injustices si criantes, ma conscience s'est révoltée, je me suis demandé s'il était honnête de se dire: «Tant mieux que la réaction soit odieuse, tant mieux que le gouvernement soit coupable; on le haïra d'autant plus, on le renversera d'autant mieux.» Non! j'ai horreur de ce raisonnement, et, s'il est politique, alors je n'entends rien à la politique et ne suis pas née pour y jamais rien comprendre.

En attendant, le mal se fait et la souffrance tue le corps et l'âme. Le malheur aigrit les esprits. La défaite exaspère les uns, le triomphe enivre les autres, les haines de parti s'enveniment, les moeurs deviennent affreuses, les relations humaines fratricides.

Non, il n'est pas possible de se réjouir de cela et d'y applaudir dans son coin. En souhaitant que nos adversaires politiques soient le moins coupables envers nous, je crois être plus républicaine, plus socialiste que jamais.

M. de Persigny, chargé de la noble mission de réparer, de consoler, d'apaiser, et joyeux d'en être chargé, j'en suis certaine, appréciera mon sentiment et ne voudra pas que son nom, celui du prince auquel il a dévoué sa vie, soient le drapeau dont Les légitimistes et les orléanistes (sans parler des ambitieux qui appartiennent à tous les pouvoirs) se servent pour effrayer les provinces, par l'insolent triomphe des plus mauvaises passions.

Voilà mon plaidoyer, monsieur; je suis un avocat si peu exercé, et la crainte d'ennuyer et d'importuner est si grande chez moi, que je n'ose pas l'adresser directement à M. le ministre. Mais, comme c'est la première fois, la dernière fois j'espère, que je vous importune, vous, monsieur, je vous demande en grâce de le résumer pour le lui présenter. Il sera plus clair et plus convaincant dans votre bouche.

Qui sait si je ne pourrai pas vous rendre un jour même service de coeur et de conviction.

Les destins et les flots sont changeants. J'ai passé bien des heures, en mars, et en avril 1848, dans le cabinet où M. de Persigny m'a fait l'honneur de me recevoir. J'y allais faire pour le parti qui nous a renversé ce que je fais aujourd'hui pour celui qui succombe. J'y ai plaidé et prié souvent, non pour faire ouvrir des prisons, elles étaient vides, mais pour conserver des positions acquises, pour modérer des oppositions obstinées mais inutiles, pour protéger des intérêts non menacés, mais effrayés. J'y ai demandé et obtenu bien des aumônes pour des gens qui m'avaient calomniée et persécutée. Je ne suis pas dégoûtée de mon devoir, qui est, avant tout, je crois, de prier les forts pour les faibles, les vainqueurs pour les vaincus, quels qu'ils soient et dans quelque camp que je rue trouve moi-même.

Agréez, monsieur, mes excuses pour cette longue lettre, et mes remerciements pour la patience que vous aurez eue de la lire jusqu'au bout. Permettez-moi d'espérer que vous accorderez votre aide généreuse et sympathique à des intentions dont la droiture ne saurait être soupçonnée.

CCCXLII

A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉRÔME)
A PARIS

Paris. 2 février 1852.

Cher prince,

Le comte d'Orsay, qui est si bon, et qui cherche toujours ce qu'il peut annoncer d'agréable à ses amis, me dit aujourd'hui que vous avez de la sympathie, presque de l'amitié pour moi.

Rien ne peut me faire plus de bien; outre que je venais de lui dire que j'avais pour vous, et tout à fait ces sentiments-là, je sens en vous un appui sincère et dévoué pour ceux qui souffrent de l'affreuse interprétation donnée, par certains agents, aux intentions du pouvoir.

J'espère que vous pourrez obtenir la réparation de bien des erreurs, de bien des injustices, et je sais que vous le voulez. Ah! mon Dieu, comme il y a peu d'entrailles aujourd'hui! Vous en avez, vous, et vous en donnerez à ceux qui en manquent!

Vous êtes venu aujourd'hui pendant que j'étais chez M. d'Orsay; il m'a annoncé votre visite, je suis vite revenue chez moi, il était trop tard. Vous aviez fait espérer que vous reviendriez à six heures, mais vous n'avez pu revenir. J'en suis doublement désolée, et pour moi, et pour mes pauvres prisonniers de l'Indre, que je voudrais tant vous faire sauver. M. d'Orsay m'a dit que vous le pouviez, que vous aviez de l'autorité sur M. de Persigny. Je dois dire que M. de Persigny a été fort bon pour moi, et m'a offert des grâces particulières pour ceux de mes amis que je voudrais lui nommer. M. le président m'avait dit la même chose. Mes amis m'avaient tellement défendu de les nommer, que j'ai dû refuser les bontés de M. le président.

M. de Persigny, avec qui je pouvais me mettre plus à l'aise, ayant insisté, et me faisant écrire aujourd'hui pour ce fait, je crois pouvoir, sans compromettre personne, accepter sa bonne volonté comme personnelle à moi.

Si cela est humiliant pour quelqu'un, c'est donc pour moi seule, et j'accepte l'humiliation sans faux orgueil, voire avec un sentiment de gratitude sincère, sans lequel il me semble que je serais déloyale. J'ai donc écrit plusieurs noms, et je compte sur l'effet des promesses; mais mon but eût été d'obtenir pleine amnistie pour tous les détenus et prévenus du département de l'Indre[1]; c'est d'autant plus facile qu'il n'y a eu aucun fait d'insurrection, que toutes les arrestations sont préventives et qu'aucune condamnation n'a encore été prononcée. Il ne s'agit donc que d'ouvrir les prisons, conformément à la circulaire ministérielle, à tous ceux qui sont peu compromis, et que de faire rendre un arrêt de non-lieu, ou suspendre toute poursuite contre ceux qui sont un peu plus soupçonnés. Un mot du ministre au préfet en déciderait.

Les tribunaux, s'ils sont saisis de ces affaires, ce que j'ignore, sont d'aveugles esclaves.

M. de Persigny ne pouvait guère me promettre cela à moi; mais vous pourriez le demander avec insistance, et vous l'obtiendriez certainement.

Je n'ai pas besoin de vous dire que mon coeur en sera pénétré de reconnaissance et d'affection. C'est le vôtre qui plaidera en vous-même beaucoup mieux que moi.

Vous avez dit chez moi que vous partiez pour la campagne; j'espère que ma lettre vous y parviendra et que vous écrirez au ministre; vous le verrez aussi, à votre retour, n'est-ce pas, prince? et j'apprendrai aux habitants de mon Berry qu'il faut vous aimer comme je vous aime, moi, avec un coeur qui a l'âge maternel, c'est-à-dire celui meilleures affections.

GEORGE SAND.

[1] Victimes du coup d'État du 2 décembre 1851.

CCCXLIII

AU PRINCE LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE, PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Paris, 3 février 1852.

Prince,

Dans une entrevue où l'embarras, et l'émotion m'ont rendue plus prolixe que je ne me l'étais imposé, j'ai obtenu de vous des paroles de bonté qu'on n'oublie pas. Vous avez bien voulu me dire: «Demandez-moi telle grâce particulière que vous voudrez.»

J'ai eu l'honneur de vous répondre que je n'étais autorisée par personne à vous implorer. Je n'avais vu personne à Paris, vous étiez ma première visite.

Je n'aurais pu que vous importuner d'un détail en insistant sur les arrestations opérées dans ma province, et dont les conséquences ne me paraissent pas graves, puisque aucun fait d'insurrection ne s'est produit là, et qu'à supposer la pensée d'une résistance, il est impossible qu'on veuille châtier la pensée non suivie d'effet, Je pouvais le craindre en quittant cette province, où l'autorité semblait avoir pris à tâche de consterner et de désaffectionner la population par des rigueurs sans motifs sérieux. Mais, en vous écoutant me répondre avec tant de douceur et d'humanité, je ne pouvais plus conserver d'inquiétude, et je n'avais plus d'autre démarche à faire pour mes compatriotes de l'Indre, que celle de hâter leur élargissement par mes instances auprès de votre ministre.

Mais, si je me flatte de l'espoir d'obtenir aisément l'absolution pour des hommes qu'aucune décision n'a encore atteints, je ne suis pas sans effroi pour ceux sur le sort desquels il a été statué ailleurs d'une manière rigoureuse. J'en ai vu deux aujourd'hui que je sais complètement innocents, si c'est le fait de conspiration que l'on veut châtier, si ce n'est pas l'opinion… chose impossible, inouïe dans nos moeurs, dans les idées de notre génération, impossible cent fois dans le coeur du prince Louis-Napoléon. Je les ai trouvés résignés à leur sort et croyant, grâce au système excessif que vous venez de réprimer, à cette chose monstrueuse qu'ils étaient frappés pour leurs principes et non pour leurs actes. J'ai repoussé vivement cette supposition, qui m'était douloureuse après ce que je vous ai entendu dire. J'ai répété que j'avais foi en vous, et que la personnalité était inconnue au coeur d'un homme pénétré, comme vous l'êtes, d'une mission supérieure aux passions et aux ressentiments de la politique vulgaire.

J'ai dit que j'irais vous demander leur grâce ou la commutation de leur peine. Ils avaient dit non d'abord; ils ont dit oui, quand ils ont vu ma conviction. Ils m'ont autorisée à profiter de cette offre généreuse que vous m'avez faite et qu'il m'était si douloureux d'être forcée de refuser.

Maintenant, vous n'estimeriez pas ces deux hommes si je vous disais qu'ils rétracteront leurs principes, qu'ils abandonneront leurs sentiments. Ils ont toujours été, ils seront toujours étrangers aux conspirations, aux sociétés secrètes, et la forme absolue de votre gouvernement ne peut plus vous faire redouter l'émission publique de doctrines que vous ne toléreriez pas.

Je prends sur moi la dette de la reconnaissance.

Vous savez que, de ma part, elle sera profonde et sincère. Ne dédaignez pas un sentiment si rare en ce monde, et que vous trouverez peut-être dans les partis vaincus plus que dans ceux qui profitent de la victoire. Prince, je me souviens de vous avoir écrit à Ham que vous seriez empereur un jour, et que, ce jour-là, vous n'entendriez plus parler de moi. Vous voilà huit millions de fois plus haut placé qu'un empereur d'Allemagne ou de Russie, et pourtant je vous implore. Faites que je m'enorgueillisse de m'être parjurée.

Peut-être n'entrerait-il pas dans vos desseins actuels de laisser savoir que c'est à moi, écrivain socialiste, que vous accordez la commutation de peine de deux socialistes. S'il en était ainsi, croyez à mon honneur, croyez à mon silence. Je ne confie à personne l'objet de cette lettre, et, satisfaite d'être fière de vos bontés dans le secret de mon coeur, je n'en dirai jamais l'heureux résultat, si telle est votre volonté.

GEORGE SAND.

Si vous ne repoussez pas ma prière, daignez me faire savoir le moment que vous m'accordez pour aller vous nommer les deux personnes qui m'intéressent.

CCCXLIV

A M. CHARLES DUVERNET, A LA CHÂTRE

Paris, 10 février 1852.

Mes amis,

Ne soyez pas inquiets du résultat de mes démarches. Autant qu'on peut être sûr des choses humaines, je le suis que nous gagnerons notre procès. Je vous dirai des choses qui vous étonneront bien, mais qu'il est inutile de confier au papier.

J'ai embrassé, ce soir, dans la rue, votre ami de Ribérac[1], libre pour vingt-quatre heures sur le pavé de Paris, et partant cette nuit pour Bruxelles, avec un autre dont vous verrez le nom dans les journaux.

La personne que vous savez a été, à cet égard, d'un chevaleresque accompli, et il y a autour de cela des circonstances qui ébranleront toutes vos idées sur son compte, et qui, pour le mien, m'enchaînent sérieusement par une estime personnelle en dehors de toutes les idées politiques; invariables chez moi, comme vous pensez bien.

Il faut, en effet, beaucoup de prudence et de discrétion en ce qui me concerne. Je ne crains nullement de me compromettre pour mon compte; mais je peux faire quelque bien à ceux qui souffrent, et il est inutile de susciter des difficultés. Je crois que je les vaincrais toutes, mais cela me retarderait.

Bonsoir, chers enfants; je n'ai pas le temps d'écrire, mais écrivez-moi et dites-moi qui sort ou ne sort pas.

Je vous embrasse de coeur.

Merci pour mon vieux chien. Vous êtes bons de l'aimer. Je n'ai pas encore perdu l'habitude de le chercher derrière moi à chaque instant.

[1] Marc Dufraisse.

CCCXLV

AU PRINCE LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE

Paris, 13 février 1852

Prince,

Permettez-moi de mettre sous vos yeux une douloureuse supplique: celle de quatre soldats condamnés à mort, qui, dans leur profonde ignorance des choses politiques, ont choisi un proscrit pour leur intermédiaire auprès de vous. La femme du proscrit, qui ne demande et n'espère rien pour sa propre infortune et qui ne connaît pas plus que moi les signataires de la pétition, m'écrit, en me l'envoyant, quelques lignes fort belles, qui vous toucheront plus, j'en suis certaine, que ne le ferait un plaidoyer de ma part. La pauvre ouvrière désolée, réduite à la misère avec trois enfants, malade elle-même, mais muette et résignée, est loin de croire que j'oserai vous faire lire ses fautes d'orthographe. Moi, je ne voulais plus vous importuner; mais, quand j'ai vu qu'il s'agissait de la peine de mort, et nullement des malheurs de mon parti vaincu, j'ai senti qu'un moment d'hésitation m'ôterait le peu de sommeil qui me reste.

Je n'ai pas pu refuser non plus de vous présenter la supplique du malheurenx Emile Hogat, qui m'a été remise en l'absence et de la part du prince Napoléon-Jérôme. C'est ce prince qui m'avait dit, au moment où, pour la première fois, j'allais vous aborder en tremblant: «Oh! pour bon, il l'est. Ayez confiance!» C'était un encouragement si bien fondé, que je lui en dois de la gratitude. Et, à propos de la triple grâce que vous m'avez accordée, je voudrais vous dire quelque chose qui vous intéressera et vous satisfera, j'en suis bien sûre. J'en ai même plusieurs à vous dire, c'est mon devoir, et, cette fois, je n'aurai pas à vous demander pardon de vous les avoir dites.

Quand vous aurez un instant à perdre, comme on dit dans le monde, accordez-le-moi, vous me trouverez toujours prête à en profiter avec une vive reconnaissance.

GEORGE SAND

Noms des condamnés à mort: Duchauffour, Lucas (Jean-César), Mondange,
Guillemin, soldats au 3e régiment de chasseurs d'Afrique.

CCCXLVI

AU MÊME

Paris, 20 février 1852.

Prince,

J'étais bien résolue à ne plus vous importuner, mais votre bienveillance m'y contraint, et il faut que je vous en remercie du fond du coeur. M. Emile Rogat est en liberté, MM. Dufraisse et Greppo sont à l'étranger, et les quatre malheureux soldats dont je me suis permis de vous envoyer la supplique sont graciés, j'en suis certaine, sans m'en informer. Mais vous m'avez aussi accordé la commutation de peine de M. Luc Desages, gendre de M. Pierre Leroux, condamné à dix ans de déportation; vous avez permis qu'il fût simplement exilé, et, avec votre autorisation, j'avais annoncé cette bonne nouvelle à sa famille.

Cet ordre de votre part n'a pas eu son exécution, ce doit être ma faute! Je vous ai donné un renseignement inexact. Il a été condamné par la commission militaire de l'Allier, à Moulins, et non pas à Limoges comme j'avais eu l'honneur de vous le dire.

Prince, daignez réparer d'un mot ma déplorable maladresse, et l'erreur plus déplorable encore d'un jugement inique.

Ah! prince, mettez donc bientôt le comble à mon dévouement pour votre personne, phrase de cour qui sous ma plume est une parole sérieuse. Votre politique, je ne peux l'aimer, elle m'épouvante trop pour vous et pour nous. Mais votre caractère personnel, je puis l'aimer, je le dois, je le dis à tous ceux que j'estime. Faites cette conversion plus étendue, dans les limites où vous avez opéré la mienne, cela vous est facile. Aucune âme de quelque prix ne transformera son idéal d'égalité en une religion de pouvoir absolu.

Mais tout homme de coeur, pour qui vous aurez été juste ou clément en dépit de la raison d'État, s'abstiendra de haïr votre nom et de calomnier vos sentiments. C'est de quoi je peux répondre à l'égard de ceux sur qui j'ai quelque influence. Eh bien, au nom de votre propre popularité, je vous implore encore pour l'amnistie; ne croyez pas ceux qui ont intérêt à calomnier l'humanité, elle est corrompue, mais elle n'est pas endurcie. Si votre clémence fait quelques ingrats, elle vous fera mille fois plus de partisans sincères. Si elle est blâmée par des coeurs sans pitié, elle sera aimée et comprise par tout ce qui est honnête dans tous les partis.

Et, aujourd'hui, accordez-moi, prince, ce que deux fois vous m'avez fait sérieusement espérer. Ordonnez l'élargissement de tous mes compatriotes de l'Indre. Parmi ceux-là, j'ai plusieurs amis, mais que justice soit faite à tous; puisque personne ne s'est déclaré contre vous, ce n'est que justice. Qu'on sache que ce que vous m'avez dit est vrai: «Je ne persécute pas la croyance, je ne châtie pas la pensée.»

Que cette parole, remportée dans mon coeur de l'Elysée et qui m'a presque guérie, reste en moi comme une consolation au milieu de mon effroi politique. Que les partis qui vous trahissent en feignant de vous servir ne nous disent plus: «Ce n'est pas notre faute, le pouvoir est implacable.» Que les intrigants qui se pressent dans l'ombre de votre drapeau ne nous fassent pas entendre qu'ils attendent des princes plus généreux qui achèteront les coeurs par l'amnistie. Prenez cette couronne de la clémence; celle-là, on ne la perd jamais.

Ah! cher prince, on vous calomnie affreusement à toute heure, et ce n'est pas nous qui faisons cela. Pardon, pardon, de mon insistance! qu'elle ne vous lasse pas; ce n'est plus un cri de détresse seulement, c'est un cri d'affection, vous l'avez voulu. Mais, en attendant cette amnistie que vos véritables amis nous promettent, faites que votre générosité soit connue dans nos provinces; connaissez ce que dit le peuple qui vous a proclamé: «Il voudrait être bon, mais il a de cruels serviteurs et il n'est pas le maître. Notre volonté est méconnue en lui, nous avons voulu qu'il fût tout-puissant, et il ne l'est pas.»

Ce désaccord entre votre pensée et celle des fonctionnaires qui s'acharnent sur leur proie dans les provinces, jette la consternation dans tous les esprits; on commence à croire le pouvoir encore faible en haut, en le voyant toujours si violent en bas. J'ose vous parler de mon département parce que là, par ma position, je suis beaucoup mieux renseignée que la police sur les actes de mon parti; parce que je vois là une véritable guerre à la conscience intime, une révoltante persécution que vous ne savez pas et dont vous ne voulez pas.

On insulte, on tente d'avilir; on exige des flatteries et des promesses de ceux qu'on élargit. Quel fond peut-on faire, hélas! sur ceux qui mentent pour se racheter? Ah! ce n'est pas ainsi que vous pardonnez, vous, à vos ennemis personnels, et je sais à présent que vous présenter comme tel un homme qu'on veut sauver, c'est assurer sa grâce. Mais je ne peux pas mentir, même pour cela, et, cette fois, je vous implore pour des hommes qui n'attendent de vous qu'une mesure d'équité et de haute protection contre vos ennemis et les leurs.

Veuillez agréer, prince, l'expression de mon respectueux attachement, et dites sur mon pauvre Berry une parole qui me permette d'y être écoutée quand j'y parlerai de vous selon mon coeur.

GEORGE SAND.

CCCXLVII

A M. JULES HETZEL, A PARIS

Paris, 20 février 1852

Mon ami,

J'aime autant vous savoir là-bas qu'ici, malgré les embarras, si peu faits pour mon cerveau et ma santé, où votre absence peut me laisser. Ici rien ne tient à rien. Les grâces ou justices qu'on obtient, sont, pour la plupart du temps, non avenues, grâce à la résistance d'une réaction plus forte que le président, et aussi grâce à un désordre dont il n'est plus possible de sortir vite, si jamais on en sort. La moitié de la France dénonce l'autre. Une haine aveugle et le zèle atroce d'une police furieuse se sont assouvis. Le silence forcé de la presse, les on dit, plus sombres et plus nuisibles aux gouvernements absolus que la liberté de contredire, ont tellement désorienté l'opinion, qu'on croit à tout et à rien avec autant de raison pour faire l'un que l'autre. Enfin, Paris est un chaos, et la province une tombe. Quand on est en province et qu'on y voit l'annihilation des esprits, il faut bien se dire que toute la sève était dans quelques hommes aujourd'hui prisonniers, morts ou bannis. Ces hommes ont fait, pour la plupart, un mauvais usage de leur influence, puisque les espérances matérielles, données par eux, une fois anéanties avec leur défaite, il n'est resté dans l'âme des partisans qu'ils avaient faits, aucune foi, aucun courage, aucune droiture.

Quiconque vit en province croit donc et doit croire le gouvernement fort et prenant sa base sur une conviction, sur une volonté générale, puisque les résistances n'y comptent pas une sur mille, et encore sont-ce des résistances timides et affaissées sous le poids de leur impuissance morale. En arrivant ici, j'ai cru qu'il fallait subir temporairement, avec le plus de calme et de foi possible en la Providence, une dictature imposée par nos fautes mêmes.

J'ai espéré que, puisqu'il y avait un homme tout-puissant, on pouvait approcher de son oreille pour lui demander la vie et la liberté de plusieurs milliers de victimes (innocentes à ses yeux mêmes, pour la plupart). Cet homme a été accessible et humain en m'écoutant. Il m'a offert toutes les grâces particulières que je voudrais lui demander, en me promettant une amnistie générale pour bientôt; J'ai refusé les grâces particulières, je me suis retirée en espérant pour tous. L'homme ne posait pas, il était sincère, et il semblait qu'il fût de son propre intérêt de l'être. J'y suis retournée une seconde et dernière fois, il y a quinze ou vingt jours pour sauver un ami personnel de la déportation et du désespoir (car il était au désespoir). J'ai dit en propres termes (et j'avais écrit en propres termes pour demander l'audience) que cet ami ne se repentirait pas de son passé, et ne s'engagerait à rien pour son avenir; que je restais en France; moi, comme une sorte de bouc émissaire qu'on pourrait frapper quand on voudrait. Pour obtenir la commutation de peine que je réclamais, pour l'obtenir sans compromettre et avilir celui qui en était l'objet, j'osai compter sur un sentiment généreux de la part du président, et je le lui dénonçai comme son ennemi personnel incorrigible. Sur-le-champ, il m'offrit sa grâce entière. Je dus la refuser au nom de celui qui en était l'objet, et remercier en mon nom. J'ai remercié avec une grande loyauté de coeur, et, de ce jour, je me suis regardée comme engagée à ne pas laisser calomnier complaisamment devant moi; le côté du caractère de l'homme qui a dicté cette action. Renseignée sur ses moeurs, par des gens qui le voient de près depuis longtemps et qui ne l'aiment pas, je sais qu'il n'est ni débauché, ni voleur, ni sanguinaire. Il m'a parlé assez longuement et avec assez d'abandon pour que j'aie vu en lui certains bons instincts et des tendances vers un but qui serait le nôtre.

Je lui ai dit: «Puissiez-vous y arriver! mais je ne crois pas que vous ayez pris le chemin possible. Vous croyez que la fin justifie les moyens; je crois, je professe la doctrine contraire. Je n'accepterais pas la dictature exercée par mon parti. Il faut bien que je subisse la vôtre, puisque je suis venue désarmée vous demander une grâce; mais ma conscience ne peut changer; je suis, je reste ce que vous me connaissez; si c'est un crime, faites de moi ce que vous voudrez.»

Depuis ce jour-là, le 6 février, je ne l'ai pas revu; je lui ai écrit deux fois pour lui demander la grâce de quatre soldats condamnés à mort, et le rappel d'un déporté mourant. Je l'ai obtenue. J'avais demandé pour Greppo et pour Luc Desages, gendre de Leroux, en même temps que pour Marc Dufraisse. C'était obtenu. Greppo et sa femme out été mis en liberté le lendemain. Luc Desages n'a pas été élargi. Cela tient, je crois, à une erreur de désignation que j'ai faite en dictant au président son nom et le lieu du jugement. J'ai réparé cette erreur dans ma lettre, et, en même temps, j'ai plaidé pour la troisième fois la cause des prisonniers de l'Indre. Je dis plaidé, parce que le président, et ensuite son ministre, m'ayant répondu sans hésiter qu'ils n'entendaient pas poursuivre les opinions et la présomption des intentions, les gens incarcérés comme suspects avaient droit à la liberté et allaient l'obtenir. Deux fois, on a pris la liste; deux fois, on a donné des ordres sous mes yeux, et dix fois dans la conversation, le président et le ministre m'ont dit, chacun de son côté, qu'on avait été trop loin, qu'on s'était servi du nom du président pour couvrir des vengeances particulières, que cela était odieux et qu'ils allaient mettre bon ordre à cette fureur atroce et déplorable.

Voilà toutes mes relations avec le pouvoir, résumées dans quelques démarches, lettres et conversations, et, depuis ce moment, je n'ai pas fait autre chose que de courir de Carlier à Piétri, et du secrétaire du ministre de l'intérieur à M. Baraguay, pour obtenir l'exécution de ce qui m'avait été octroyé ou promis pour le Berry, pour Desages, puis pour Fulbert Martin, acquitté et toujours détenu ici; pour madame Roland, arrêtée et détenue; enfin, pour plusieurs autres que je ne connais pas et à qui je n'ai pas cru devoir refuser mon temps et ma peine, c'est-à-dire, dans l'état où j'étais, ma santé et ma vie.

Pour récompense, on me dit et on m'écrit de tous côtés: «Vous vous compromettez, vous vous perdez, vous vous déshonorez, vous êtes bonapartiste! Demandez et obtenez pour nous; mais haïssez l'homme qui accorde, et, si vous ne dites pas qu'il mange des enfants tout crus, nous vous mettons hors la loi.»

Cela ne m'effraye nullement, je comptais si bien là-dessus! Mais cela m'inspire un profond mépris et un profond dégoût pour l'esprit de parti, et je donne de bien grand coeur, non pas au président, qui ne me l'a pas demandée, mais à Dieu, que je connais mieux que bien d'autres, ma démission politique, comme dit ce pauvre Hubert. J'ai droit de la donner, puisque ce n'est pas pour moi une question d'existence.

Je sais que le président a parlé de moi avec beaucoup d'estime et que ceci a fâché des gens de son entourage. Je sais qu'on a trouvé mauvais qu'il m'accordât ce que je lui demandais; je sais que l'on me tordra le cou de ce côté-là si on lui tord le sien, ce qui est probable. Je sais aussi qu'on répand partout que je ne sors pas de l'Élysée et que les rouges accueillent l'idée de ma bassesse avec une complaisance qui n'appartient qu'à eux; je sais, enfin, que, d'une main ou de l'autre, je serai égorgée à la première crise. Je vous assure que ça m'est bien égal, tant je suis dégoûtée de tout et presque de tous en ce monde.

Voilà l'historique qui vous servira à redresser des erreurs si elles sont de bonne foi. Si elles sont de mauvaise foi, ne vous en occupez pas, je n'y tiens pas. Quant à ma pensée présente sur les événements, d'après ce que je vois à Paris, la voici:

Le président n'est plus le maître, si tant est qu'il l'ait été vingt-quatre heures. Le premier jour que je l'ai vu, il m'a fait l'effet d'un envoyé de la fatalité. La deuxième fois, j'ai vu l'homme débordé qui pouvait encore lutter. Maintenant, je ne le vois plus; mais je vois l'opinion et j'aperçois de temps en temps l'entourage: ou je me trompe bien, ou l'homme est perdu, mais non le système, et à lui va succéder une puissance de réaction d'autant plus furieuse, que la douceur du tempérament de l'homme sacrifié n'y sera plus un obstacle. Maintenant le peuple et la bourgeoisie, qui murmurent et menacent à qui mieux mieux, sont-ils d'accord pour ressaisir la République? ont-ils le même but? le peuple veut-il ressaisir le suffrage universel? la bourgeoisie veut-elle le lui accorder? qui se mettra avec ou contre l'armée si elle égorge de nouveau les passants dans les rues?

Que ceux qui croient à des éléments de résistance contre ce qui existe espèrent et désirent la chute de Napoléon! Moi, ou je suis aveugle ou je vois que le grand coupable, c'est la France, et que, pour le châtiment de ses vices et de ses crimes, elle est condamnée à s'agiter sans solution durant quelques années, au milieu d'effroyables catastrophes.

Le président, j'en reste et j'en resterai convaincue, est un infortuné, victime de l'erreur et de la souveraineté du but. Les circonstances, c'est-à-dire les ambitions de parti, l'ont porté au sein de la tourmente. Il s'est flatté de la dominer; mais il est déjà submergé à moitié et je doute qu'à l'heure qu'il est, il ait conscience de ses actes.

Adieu, mon ami; voilà tout pour aujourd'hui. Ne me parlez plus de ce qu'on dit et écrit contre moi. Cachez-le-moi; je suis assez dégoûtée comme cela et je n'ai pas besoin de remuer cette boue. Vous êtes assez renseigné par cette lettre pour me défendre s'il y a lieu, sans me consulter. Mais ceux qui m'attaquent méritent-ils que je me défende? Si mes amis me soupçonnent, c'est qu'ils n'ont jamais été dignes de l'être, qu'ils ne me connaissent pas, et alors je veux m'empresser de les oublier.

Quant à vous, cher vieux, restez où vous êtes jusqu'à ce que cette situation s'éclaircisse, ou bien, si vous voulez venir pour quelque temps, dites-le-moi. Baraguay-d'Hilliers ou tout autre peut, je crois, demander un sauf-conduit pour que vous veniez donner un coup d'oeil à vos affaires. Mais n'essayons rien de définitif avant que le danger d'un nouveau bouleversement soit écarté des imaginations.

GEORGE SAND.

CCCXLVIII

A M. ERNEST PÉRIGOIS, A LA PRISON DE CHÂTEAUROUX

Paris, 24 février 1852.

Mon cher ami, je vous remercie de votre bonne lettre. Elle m'a fait un grand plaisir. On ne me soupçonne donc pas parmi vous? À la bonne heure, je vous en sais gré, et je puiserai dans cette justice de mes compatriotes un nouveau courage. Ce n'est pas la même chose ici. Il y a des gens qui ne peuvent croire au courage du coeur et au désintéressement du caractère; et on m'abîme par correspondance dans les journaux étrangers. Qu'importe, n'est-ce pas?

Si je vous voyais, je vous donnerais des détails sur mes démarches et sur mes impressions personnelles, qui vous intéresseraient; mais je peux les résumer en quelques lignes qui vous donneront la mesure des choses.

Le nom dont on s'est servi pour accomplir cette affreuse boucherie de réaction n'est qu'un symbole, un drapeau qu'on mettra dans la poche et sous les pieds le plus tôt qu'on pourra. L'instrument n'est pas disposé à une éternelle docilité. Humain et juste par nature, mais nourri de celle idée fausse et funeste que la fin justifie les moyens, il s'est persuadé qu'on pouvait laisser faire beaucoup de mal pour arriver au bien, et personnifier la puissance dans un homme pour faire de cet homme la providence d'un peuple.

Vous voyez ce qui adviendra, ce qui advient déjà de cet homme. On lui cache la réalité des faits monstrueux qu'on accomplit en son nom, et il est condamné à la méconnaître pour avoir méconnu la vérité dans l'idée. Enfin, il boit un calice d'erreurs présenté à ses lèvres, après avoir bu le calice d'erreurs présenté à son esprit, et, avec la volonté personnelle du bien rêvé, il est condamné à être l'instrument, le complice, le prétexte du mal accompli par tous les partis absolutistes. Il est condamné à être leur dupe et leur victime. Dans peu, j'en ai l'intime et tragique pressentiment, il sera frappé pour faire place à des gens qui ne le vaudront certainement pas, mais qui prennent le soin de le faire passer pour un despote implacable (sous d'hypocrites formules d'admiration), afin de rendre sa mémoire responsable de tous les crimes commis par eux à son insu.

Il me paraît essayer maintenant d'une dictature temporaire dont il espère pouvoir se relâcher. Le jour où il l'essayera, il sera sacrifié, et, pourtant, s'il ne l'essaye pas bientôt, la nation lui suscitera une résistance insurmontable. Je vois l'avenir bien noir; car l'idée de fraternité est étouffée pour longtemps par le système d'infamie, de délation et de lâche vengeance qui prévaut. La pensée de la vengeance entre nécessairement bien avant dans les coeurs, et que devient, hélas! le sentiment chrétien, le seul qui puisse faire durer une république!

Je ne sais, quant à nous, pauvres persécutés du Berry, ce qui sera statué sur notre sort. J'ai plaidé notre cause au point de vue de la liberté de conscience, et je le pouvais en toute conscience, puisque nous n'avons rien fait en Berry contre la personne du président depuis les événements de décembre. Il m'a été répondu qu'on ne poursuivait pas les pensées, les intentions, les opinions, et cependant on le fait, et cependant je ne vois pas la réalisation des promesses qu'on m'a faites. On me dit, ailleurs, que c'est fourberie et jésuitisme.

J'ai la certitude que ce n'est pas cela. C'est quelque chose de pis pour nous, peut-être. C'est impuissance. On a donné une hécatombe à la réaction: on ne peut plus la lui arracher.—Pourtant j'espère encore pour nous de mon plaidoyer, et j'espère pour tous de la nécessité d'une amnistie prochaine. On la promet ouvertement. On obtient facilement à titre de grâce; mais, comme personne de chez nous ne demande ainsi, je n'ai qu'à faire le rôle d'avocat sincère, et à démentir, autant qu'il m'est possible, les calomnies de nos adversaires.

Adieu, cher ami; brûlez ma lettre; je la lirais au président; mais un préfet ne la lui lirait pas, et y trouverait le prétexte à de nouvelles persécutions. Je ne vous exhorte pas au courage et à la patience: je sais que vous n'en manquez pas. Ma famille se joint à moi pour vous embrasser de coeur. Espérons nous revoir bientôt.

CCCXLIX

A M. CALAMATTA, A BRUXELLES.

Paris, 24 février 1852.

Mon ami,

Ce qu'on t'a dit qu'il m'avait dit est vrai, du moins dans les termes que tu me rapportes; mais il ne faut pas se flatter. Je n'ai pas le droit, moi, de suspecter la sincérité des intentions de la personne. Il me semble qu'il y aurait une grande déloyauté à invoquer ces sentiments chez elle et à les déclarer perfides, après que je leur dois le salut de quelques-uns.

Mais, en mettant à part tout ce qu'on peut dire et penser contre ou pour cette personne, il me paraît prouvé maintenant qu'elle est ou sera bientôt réduite à l'impuissance, pour s'être livrée à des conseils perfides, et pour avoir cru qu'on pouvait faire sortir le bon (dans le but) du mal (dans les moyens).

Son procès est perdu aussi bien que le nôtre; qu'en résultera-t-il? des malheurs pour tous! S'il y avait un maître en France, on pourrait espérer quelque chose; ce maître-là pouvait être le suffrage universel, quelque dénaturé et dévié qu'il fût de son principe; quelque aveugle et pressé de travailler à son bonheur matériel que fût le peuple, on pouvait se dire: «Voilà un homme qui résume et représente la résistance populaire à l'idée de liberté; un homme qui symbolise le besoin d'autorité temporaire que le peuple semble éprouver: que ces deux volontés soient d'accord et, par le fait, ce sera la dictature du peuple, une dictature sans idéal mais non pas sans avenir, puisqu'en acquérant le bien-être dont il est privé, le peuple acquerra forcément l'instruction et la réflexion.

Il m'a semblé, il me semble encore, bien que je n'aie pas revu la personne depuis le 5 février, que les électeurs et l'élu sont assez d'accord sur le fond des choses; mais tous deux ignorent les moyens, et s'imaginent que le but justifie tout. Ils ne voient pas que le jeu des instruments qu'ils emploient, et la fatalité, se montrent ici plus justes et plus logiques qu'on ne pouvait s'y attendre. Les instruments trahissent, paralysent, corrompent, conspirent et vendent. Voilà ce que je crois, et je m'attends à tout, excepté au triomphe prochain de l'idée fraternelle et chrétienne, sans laquelle nous n'aurons pas de république durable. Nous passerons par d'autres dictatures, Dieu sait lesquelles! Quand le peuple aura fait de douloureuses expériences, il s'apercevra qu'il ne peut pas se personnifier dans un homme et que Dieu ne veut pas bénir une erreur qui n'est plus de notre siècle.

En attendant, c'est nous, républicains, qui serons encore victimes de ces orages. Probablement, nous serions sages si nous attendions, pour rappeler le peuple à ses vrais devoirs, qu'il comprît ses erreurs et qu'il se repentît de lui-même de nous avoir considérés comme une poignée de scélérats qu'il fallait abandonner, livrer, dénoncer aux fureurs de la réaction.

Bonsoir, mon ami; je t'embrasse et regrette bien que tu sois toujours là-bas quand je suis ici. Ma santé ne se rétablit pas encore, je me suis beaucoup fatiguée pour obtenir jusqu'ici beaucoup moins qu'on ne m'avait promis; je m'en prends surtout au désordre effrayant qui règne dans cette sinistre branche de l'administration, et à la préoccupation où les élections tiennent le pouvoir. Je crois que l'amnistie viendra ensuite. Si elle ne vient pas, je recommencerai mes démarches pour arracher du moins à la souffrance et à l'agonie le plus de victimes que je pourrai; on m'en récompense par des calomnies, c'est dans l'ordre, et je n'y veux pas faire attention.

On joue une nouvelle pièce de moi la semaine prochaine, une pièce gaie et bouffonne[1] que j'ai faite avec la mort dans l'âme, les directeurs de théâtre refusant mes pièces, sous prétexte qu'elles rendent triste. Ces pauvres spectateurs! ils ont le coeur si tendre! ils sont si sensibles, ces bons bourgeois! Il faut prendre garde de les rendre malades!

Bonsoir encore, cher ami; je t'envoie cette lettre par une occasion sûre. Embrasse ta chère Peppina pour moi. Maurice est très fier de ton compliment.

[1] Les Vacances de Pandolphe.

CCCL

AU PRINCE LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Paris, mars 1852.

Prince,

Ils sont partis pour le fort de Bicêtre, ces malheureux déportés de Châteauroux, partis enchaînés comme des galériens, au milieu des larmes d'une population qui vous aime et qu'on vous peint comme dangereuse et féroce. Personne ne comprend ces rigueurs. On vous dit que cela fait bon effet; on vous ment, on vous trompe, on vous trahit!

Pourquoi, mon Dieu, vous abuse-t-on ainsi? Tout le monde le devine et le sent, excepté vous. Ah! si Henri V vous renvoie en exil ou en prison, souvenez-vous de quelqu'un qui vous aime toujours, bien que votre règne ait déchiré ses entrailles et qui, au lieu de désirer, comme les intérêts de son parti le voudraient peut-être, qu'on vous rende odieux par de telles mesures, s'indigne de voir le faux rôle qu'on veut vous faire dans l'histoire, à vous qui avez le coeur grand autant que la destinée.

A qui plaisent donc ces fureurs, cet oubli de la dignité humaine, cette haine politique qui détruit toutes les notions du juste et du vrai, cette inauguration du règne de la terreur dans les provinces, le proconsulat des préfets, qui, en nous frappant, déblayent le chemin pour d'autres que vous? Ne sommes-nous pas vos amis naturels, que vous avez méconnus pour châtier les emportements de quelques-uns? Et les gens qui font le mal en votre nom, ne sont-ils pas vos ennemis naturels? Ce système de barbarie politique plaît à la bourgeoisie, disent les rapports. Ce n'est pas vrai. La bourgeoisie ne se compose pas de quelques gros bonnets de chef-lieu qui ont leurs haines particulières à repaître, leurs futures conspirations à servir. Elle se compose de gens obscurs qui n'osent rien dire, parce qu'ils sont opprimés par les plus apparents, mais qui ont des entrailles et qui baissent les yeux avec honte et douleur en voyant passer ces hommes dont on fait des martyrs et qui, ferrés comme des forçats sous l'oeil des préfets, tendent avec orgueil leurs mains aux chaînes.

On a destitué à la Châtre un sous-préfet, j'en ignore la raison; mais le peuple dit et croit que c'est parce qu'il a ordonné qu'on ôtât les chaînes et qu'on donnât des voitures aux prisonniers.

Les paysans étonnés venaient regarder de près ces victimes. Le commissaire de police criait au peuple:. «Voilà ceux qui out violé et éventré les femmes!»

Les soldats disaient tout bas: «N'en croyez rien! on n'a pas violé, on n'a pas éventré une seule femme. Ce sont là d'honnêtes gens, bien malheureux. Ils sont socialistes, nous ne le sommes pas; mais nous les plaignons et nous les respectons.» A Châteauroux, on a remis les chaînes. Les gendarmes qui ont reçu ces prisonniers à Paris ont été étonnés de ce traitement.

Le général Canrobert n'a vu personne. On le disait envoyé par vous pour réviser les sentences rendues par l'ire des préfets et la terreur des commissions mixtes, pour s'entretenir avec les victimes et se méfier des fureurs locales. Trois de vos ministres me l'avaient dit, à moi; je le disais à tout le monde, heureuse d'avoir à vous justifier. Comment ces missi dominici, à l'exception d'un seul, ont-ils rempli leur mission? Ils n'ont vu que les juges, ils n'ont consulté que les passions, et, pendant qu'une commission de recours en grâce était instituée et recevait les demandes et les réclamations, vos envoyés de paix, vos ministres de clémence et de justice aggravaient ou confirmaient les sentences que cette commission eût peut-être annulées.

Pensez à ce que je vous dis, prince, c'est la vérité. Pensez-y cinq minutes seulement! Un témoignage de vérité, un cri de la conscience qui est en même temps le cri d'un coeur reconnaissant et ami, valent bien cinq minutes de l'attention d'un chef d'État.

Je vous demande la grâce de tous les déportés de l'Indre, je vous la demande à deux genoux, cela ne m'humilie pas. Dieu vous a donné le pouvoir absolu: eh bien, c'est Dieu que je prie, en même temps que l'ami d'autrefois. Je connais tous ces condamnés: il n'y en a pas un qui ne soit un honnête homme, incapable d'une mauvaise action, incapable de conspirer contre l'homme qui, en dépit des fureurs et des haines de son parti, leur aura rendu justice comme citoyen et leur aura fait grâce comme vainqueur.

Voyons, prince, le salut de quelques hommes obscurs, devenus inoffensifs; le mécontentement d'un préfet de vingt-deux ans qui fait du zèle de novice et de six gros bourgeois tout au plus, pauvres mauvaises gens égarés, stupides, qui prétendent représenter la population, et que la population ne connaît seulement pas, ne sont-ce pas là de grands sacrifices à faire quand il s'agit pour vous d'une action bonne, juste et puissante?

Prince, prince, écoutez la femme qui a des cheveux blancs et qui vous prie à genoux; la femme cent fois calomniée, qui est toujours sortie pure, devant Dieu et devant les témoins de sa conduite, de toutes les épreuves de la vie, la femme qui n'abjure aucune de ses croyances et qui ne croit pas se parjurer en croyant en vous. Son opinion laissera peut-être une trace dans l'avenir.

Et vous aussi, vous serez calomnié! et, que je vous survive ou non, vous aurez une voix, une seule voix peut-être dans le parti socialiste qui laissera sur vous le testament de sa pensée. Eh bien, donnez-moi de quoi me justifier auprès des miens, d'avoir eu espoir et confiance en votre âme. Donnez-moi des faits particuliers, en attendant ces preuves éclatantes que vous m'avez fait pressentir pour l'avenir et que mon coeur, droit et sincère, n'a pas repoussées comme un leurre, comme une banale parole de commisération pour ses larmes.

CCCLI

AU MÊME

Paris, mars 1852.

Prince,

Je vous remercie du fond du coeur des grâces que vous avez daigné accorder à ma requête.

Accordez-moi, accordez à vous-même, à votre propre coeur, celle des treize déportés de l'Indre, condamnés par la commission mixte de Châteauroux. Ils ont adressé en vain leur recours à la commission des grâces. Ils m'écrivent que le général Canrobert, qui n'a voulu voir à Châteauroux que les autorités, contrairement à ce qui m'avait été dit de sa mission par trois de vos ministres, leur est annoncé comme devant les voir au fort de Bicêtre, où ils ont été transférés.

Est-ce le moment d'invoquer la soumission, quand ils viennent, ces malheureux, d'être ferrés comme des forçats sous les yeux du préfet et de traverser ainsi la France, eux, hommes honorables et incapables de la pensée d'une mauvaise action? Cet affreux système qui assimile la présomption de l'opinion politique, aux crimes les plus abjects, ne voulez-vous pas qu'il cesse, et qu'on cesse de croire que vous l'avez autorisé, que vous l'avez connu?

Prince, faites voir que vous avez le sens délicat de l'honneur français. N'exigez pas que vos ennemis—si toutefois ces vaincus sont vos ennemis—deviennent indignes d'avoir été combattus par vous. Rendez-les à leurs familles sans exiger qu'ils se repentent; de quoi? d'avoir été républicains? Voilà tout leur crime. Faites qu'ils vous estiment et vous aiment. C'est un gage bien plus certain pour vous que les serments arrachés par la peur.

Croyez-en le seul esprit socialiste qui vous soit resté personnellement attaché, malgré tous ces coups frappés sur son Église. C'est moi, le seul à qui l'on n'ait pas songé à faire peur, et qui, n'ayant trouvé en vous que douceur et sensibilité, n'a aucune répugnance à vous demander à genoux la grâce de mes amis.

CCCLII

A M. ALPHONSE FLEURY, A LA CHÂTRE.

Nohant, 5 avril 1852.

Mon ami,

Ta volonté soit faite! Je n'insiste pas, et je ne t'en veux pas, puisque tu obéis à une conviction. Mais je la déplore en un sens, et je veux te dire lequel, afin que nous sachions nous comprendre à demi-mot désormais.

Le point culminant de ton raisonnement est celui-ci: Il faut de grandes expiations et de grands châtiments. La notion du droit ne peut renaître que par des actes terribles de justice.

En d'autres termes, c'est la dictature que tu crois légitime et possible entre nos mains, c'est la rigueur, c'est le châtiment, c'est la vengeance.

Je veux, je dois te dire que je me sépare entièrement de cette opinion et que je la crois faite pour justifier ce qui se passe aujourd'hui en France. Le gouvernement de tous a toujours été et sera toujours l'idéal et le but de ma conscience. Pour que tous soient initiés à leurs droits et à leurs propres intérêts, il faut du temps, il en faut cent fois plus que nous ne l'avions prévu en proclamant le principe souverain du suffrage universel. Il a mal fonctionné, tant pis pour nous et pour lui-même. Que nous lui rendions demain son libre exercice, il se tournera encore contre nous, cela est évident, certain. Vous en conclurez, je pense, qu'il faut le restreindre ou le détruire momentanément pour sauver la France. Je le nie; je m'y refuse. J'ai sous les yeux le spectacle d'une dictature. J'ai vu celle de M. Cavaignac, qui, je m'en souviens bien, ne t'a pas choqué autant que celle-ci, et qui ne valait certes pas mieux. J'en ai assez; je n'en veux plus. Toute révolution prochaine, quelle qu'elle soit, ne s'imposera que par ces moyens, qui sont devenus à la mode et qui tendent à passer dans nos moeurs politiques.

Ces moyens tuent les partis qui s'en servent. Ils sont condamnés par le ciel, qui les permet, comme par les masses, qui les subissent. Si la République revient sur ce cheval-là, elle devient une affaire de parti qui aura son jour comme les autres, mais qui ne laissera après elle que le néant, le hasard et la conquête par l'étranger. Vous portez donc dans vos flancs, vous autres qui êtes irrités, la mort de la France. Puissiez-vous attendre longtemps le jour de rémunération que vous croyez souverain et que je crois mortel! J'espère que les masses s'éclaireront jusque-là, en dépit de tout, qu'elles comprendront que leurs souffrances sont le résultat de leurs fautes, de leur ignorance et de leur corruption, et que, le jour ou elles seront aptes à se gouverner elles-mêmes, elles renieront des chefs qui reviendraient vers elles avec la terreur en croupe.

Jusque-là, nous souffrirons, soit! nous serons victimes, mais nous ne serons pas bourreaux. Il est temps que cette vieille question que Mazzini ressuscite soit vidée: la question de savoir s'il faut être politique ou socialiste. Il prononce qu'il faut être désormais purement politique. Je prononce dans mon âme qu'il faut être, quant à présent, socialiste non politique, et l'expérience des années qui viennent de s'écouler me ramène à mes premières certitudes. On ne peut être politique aujourd'hui sans fouler aux pieds le droit humain, le droit de tous. Cette notion du vrai droit ne peut pas s'incarner dans la conscience d'hommes qui n'ont pas d'autre moyen pour le faire prévaloir que de commencer par le violer. Quelque honnêtes, quelque sincères qu'ils soient, ils cessent de l'être dès qu'ils entrent dans l'action contemporaine. Ils ne peuvent plus l'être, à peine de recommencer l'impuissance du gouvernement provisoire. La logique du fait les contraint à admettre le principe des jésuites, de l'inquisition, de 93, du 18 brumaire et du 2 décembre. Qui veut la fin veut les moyens. Ce principe est vrai en fait, faux en morale, et un parti qui rompt avec la morale ne vivra jamais en France, malgré l'apparence d'immoralité de cette nation troublée et fatiguée.

Donc, la dictature est illégitime, devant Dieu et devant les hommes; elle n'est pas plus légitime aux mains d'un roi que dans celles d'un parti révolutionnaire, Elle a sa légitimité fatale dans le passé, elle ne l'a plus dans le présent. Elle l'a perdu le jour où la France a proclamé le principe du suffrage universel. Pourquoi? Parce qu'une vérité, n'eût-elle vécu qu'un jour, prend son rang et son droit dans l'histoire. Il faut qu'elle s'y maintienne, au prix de tous les tâtonnements, de toutes les erreurs dont son premier exercice est entaché et entravé inévitablement; mais malheur à qui la supprime, même pour un jour! Là reparaît le grand sens des masses, car elles abandonnent celui qui commet cette profanation; là est toute la cause de l'indifférence avec laquelle le peuple a vu violer sa représentation au 2 décembre. Elle n'était pas encore le produit du suffrage restreint; mais elle avait décrété la mort du suffrage universel, et le peuple s'est plus volontiers laissé prendre à l'appât d'un faux suffrage universel, qui du moins n'avait pas été débaptisé, et dont il n'a pas compris les restrictions mentales.

«Mais, me diras-tu peut-être, je ne suis pas de ceux qui voudraient revenir avec la dictature et la suppression ou la restriction du suffrage universel.» Pour ce qui te concerne, j'en suis persuadée; mais alors je te déclare que tu es impuissant, parce que tu es illogique. Cette nation-ci n'est pas républicaine, et, pour qu'elle le devînt, il faudrait la liberté de la propagande; plus que cette liberté, car elle ne sait pas lire et n'aime pas à écouter. Il faudrait l'encouragement donné d'en haut à la propagande; il faudrait peut-être la propagande imposée par l'État. Fort bien! Quel sera le gouvernement assez fort pour agir ainsi? Une dictature révolutionnaire, je n'en vois pas d'autre. Qui la créera? une révolution? Soit. Faite par qui? Par nous, que la majorité du vote repousse et sacrifie? Ce ne pourra être alors que par une conspiration, par un coup hardi, par un hasard heureux, par une surprise, par les armes. Combien y resterons-nous? Quelques mois pendant lesquels, pour préparer le bon résultat du suffrage, nous ferons de la terreur sur les riches, et par conséquent de la misère sur les pauvres. Et les pauvres ignorants voudront de nous? Allons donc! Un ouvrier a dit une belle parole en mettant trois mois de misère au service de l'idée; mais est-ce qu'il y a eu de l'écho en France? est-ce que le pauvre ne sera pas toujours pressé de se débarrasser, par le vote, d'un pouvoir qui l'effraye et qui ne peut pas lui donner des satisfactions immédiates, quoi qu'il ose et quoi qu'il fasse? Non, cent fois non, on ne peut pas faire une révolution sociale avec les moyens de la politique actuelle; ce qui a été vrai jusqu'ici est devenu faux, parce que le but de cette révolution est une vérité qui n'a pas encore été expérimentée sur la terre, et qu'elle est trop pure et trop grande pour être inaugurée par les moyens du passé, et par nous-mêmes, qui sommes encore à trop d'égards les hommes du passé. Nous en avons la preuve sous les yeux. Voici un système qui, au fond, porte en lui-même un principe de socialisme matérialiste qu'il ne s'avoue pas, mais qui est sa destinée propre, son innéité fatidique, son unique moyen d'être, quoi qu'il fasse pour s'y soustraire et pour caresser les besoins d'aristocratie qui le rongent lui-même. Le jour où il laissera trop peser la balance de son instinct aristocratique, il sera perdu. Il faut qu'il caresse le peuple ou qu'il périsse. Il le sait bien et il frémit sur sa base à peine jetée dans le sol. Pourquoi ce pouvoir est-il impossible à consolider sans violence et sans faiblesse? Car il offre le spectacle de ces deux extrêmes qui se touchent toujours et partout. C'est parce qu'il est l'oeuvre des souvenirs du passé, impuissant à entraver comme à fonder l'avenir, et à obtenir un autre résultat que le désordre moral et le chaos intellectuel. Si l'ordre matériel réussit a s'y faire, et j'en doute, quel sera le progrès véritable? Aucun, selon moi, dont l'avenir puisse lui savoir gré. À présent que je le regarde et que je le juge avec calme, je vois son oeuvre et son rôle dans l'histoire. Il est une nécessité matérielle des temps qui l'ont produit. Il est une véritable lacune dans le sens providentiel des événements humains.

Il y a des jours, des mois, des années dans la vie des individus, comme dans celle des nations, où la destinée semble endormie et la Providence insensible à nos maux et à nos erreurs. Dieu semble s'abstenir, et nous sommes forcés, par la fatigue et l'absence de secours extérieurs, de nous abstenir nous-mêmes de travailler à notre salut; sous peine de précipiter notre ruine et notre mort, nous sommes dans une de ces phases. Le temps devient le seul maître, le temps qui au fond, n'est que le travail invincible de cette mystérieuse Providence voilée à nos regards. Je prendrai un exemple plus saisissant et je comparerai le peuple, que nous avons essayé d'éclairer, à un enfant très difficile à manier, très aveugle, assez ingrat, fort égoïste et innocent, en somme, de ses propres fautes, parce que son éducation a été trop tardive et ses instincts trop peu combattus; un véritable enfant, en un mot: tous se ressemblent plus ou moins. Quand tous les moyens ont été tentés, dans l'étroite limite où de sages parents peuvent lutter contre la société corrompue qui leur dispute et leur arrache l'âme de cet enfant, n'est-il pas des jours où nous sentons qu'il faut le laisser à lui-même et espérer sa guérison de sa propre expérience? Dans ces jours-là, n'est-il pas évident que nos exhortations l'irritent, le fatiguent et l'éloignent de nous? Crois-tu qu'une oeuvre de persévérance et de persuasion comme celle de sa conversion peut s'accomplir par la menace et la violence? L'enfant s'est donné à de mauvais conseils, à de perfides amis. Faut-il venir sous ses yeux frapper, briser, anéantir ceux qui l'ont accaparé? Sera-ce un moyen, de reconquérir sa confiance? Bien loin de là! il les plaindra, il les pleurera comme des victimes de notre fureur jalouse et il leur pardonnera tout le mal qu'ils lui auront fait, par l'indignation que lui causera celui que nous leur ferons. Le moyen le plus sûr et le plus naïvement logique n'est-il pas, quand nous nous sentons complètement supplantés par eux, de laisser l'enfant égaré, souffrir de leurs trahisons et s'éclairer sur leur perfidie?

Il n'y a plus que le sentiment moral, le sentiment fraternel, le sentiment évangélique qui puisse sauver cette nation de sa décadence. Il ne faut pas croire que nous sommes à la veille de la décadence: nous y sommes en plein, et c'est se faire trop d'illusions que d'en douter; mais l'humanité ne compte plus ses revers et ses conquêtes par périodes de siècles. Elle marche à la vapeur aujourd'hui et quelques années la démoralisent, comme quelques années la ressuscitent. Nous entrons dans le Bas-Empire à pleines voiles; mais c'est à pleines voiles que nous en sortirons. Les idées vraies sont émises pour la plupart, laissons-leur le temps de s'incarner, elles ne sont encore que dans les livres et sur les programmes. Elles ne peuvent pas mourir, elles veulent, elles doivent vivre; mais attendons, car si nous bougeons dans les circonstances fatales où nous sommes, et où nous sommes par notre faute, nous allons les engourdir encore et mettre à leur place, des intérêts matériels et des passions violentes. Arrière ces mots de haine et de vengeance qui nous assimilent à nos persécuteurs. La haine et la vengeance ne sont jamais sanctifiées par le droit, elles sont toujours une ivresse, l'exercice maladif de facultés brutales et incohérentes. Il n'en peut sortir que du mal, le désordre, l'aveuglement, les crimes contre l'humanité, et puis la lassitude, l'isolement, l'impuissance.

Mon Dieu, les excès de notre première révolution ne nous ouvriront-ils jamais les yeux? Les passions n'y ont-elles pas joué un rôle si violent, qu'elles y ont tué l'idée, et que Robespierre, après avoir débuté par flétrir la peine de mort, en arrive à la regarder comme une nécessité politique? Il croyait tuer le principe de l'aristocratie en détruisant toute une caste! Une caste nouvelle s'est formée le lendemain, et, aujourd'hui, cette caste ressuscite l'Empire, après avoir cédé la place à celle de la Restauration, que Robespierre n'avait pu empêcher de lui survivre et de procréer!

93! cette grande chose que nous ne sommes pas de taille à recommencer, a cependant avorté, grâce aux passions, et vous parlez de garder vos passions comme un devoir de conscience! Cela est insensé et coupable. Croyez-vous que, le lendemain du jour où vous vous serez bien vengés, le peuple sera meilleur et plus instruit, et que vous pourrez lui faire goûter les douceurs de la fraternité? Il sera cent fois pire qu'aujourd'hui. Restez donc dehors, vous qui n'avez que de la colère à son service.

Mieux vaut qu'il réfléchisse dans l'esclavage que d'agir dans le délire, puisque son esclavage est volontaire, et que vous ne pouvez l'en affranchir qu'en le prenant par la surprise et la violence d'un coup de main. Mieux vaut que les prétendants se dévorent entre eux, plutôt que des révolutions prétoriennes s'accomplissent. Le peuple n'est pas disposé à y intervenir. Elles passeront sur sa tête et s'affaisseront sur ses propres mines. Alors le peuple s'éveillera de sa méditation, et, comme il sera le seul pouvoir survivant, le seul pouvoir qu'on ne peut pas détruire dès qu'il a commencé à respirer véritablement, il mettra par terre, sans fureur et sans vengeance, tous ces fantômes d'un jour qui ne pourront plus conspirer contre lui.

Mais cela ne fait, pas les affaires des hommes d'action de ce temps-ci. Ils ne veulent pas s'abstenir, ils ne veulent pas attendre. Il leur faut un rôle et du bruit. S'ils ne font rien, ils croient que la France est perdue. La plupart d'entre eux ne se sont-ils pas imaginé qu'ils avaient sauvé la société dans les horribles journées de juin, en abandonnant la populace au sabre africain? La populace ne l'a pas oublié, elle ne veut plus d'aucun parti, elle s'abstient, c'est son droit. Elle se méfie, elle en a sujet. Elle ne veut plus de politique, elle subit le premier joug venu et s'arrange pour ne pas se faire écraser dans la lutte, puisque c'est son destin éternel. Elle n'est pas si égoïste que l'on croit, elle voit plus loin, dans son épais bon sens, que nous dans nos agitations fiévreuses. Elle attend son jour, elle sent que les hommes d'aucun parti ne veulent ou ne peuvent le lui hâter. Elle sait qu'elle se fût fait mitrailler en décembre au profit de Changarnier, que Cavaignac et consorts eussent fait jonction avec une bonne partie de la bourgeoisie. Nous tombions dans ce pouvoir oligarchique et militaire; j'aime autant celui-ci. Je suis aussi bête et aussi sage que le peuple: je sais attendre.

Et allons au fond du coeur humain. Pourquoi sais-je-attendre? Pourquoi la majorité du peuple français sait-elle attendre? Ai-je le coeur plus dur qu'un autre? Je ne crois pas. Ai-je moins de dignité qu'un homme de parti? J'espère que non. Le peuple souffre-t-il moins que vous autres? J'en doute fort. Sommes-nous sur des roses dans ce pays-ci? Nous ne nous en apercevons guère.

Pourquoi êtes-vous plus pressés que nous? C'est que vous êtes pour la plupart des ambitieux: les uns des ambitieux de fortune, de pouvoir et de réputation; les autres, comme toi, des ambitieux d'honneur, d'activité, de courage et de dévouement; noble ambition sans doute que celle-là, mais qui n'en a pas moins sa source dans un besoin personnel d'agir à tout prix et de croire à soi-même plus qu'il n'est toujours sage et légitime d'y croire. Vous avez de l'orgueil, honnêtes gens que vous êtes! vous êtes peu chrétiens! vous croyez que rien ne peut se faire sans vous, vous souffrez quand on vous oublie, vous vous dégoûtez quand on vous méconnaît. Les vanités qui vous coudoient vous abusent, vous chauffent et vous exploitent. Vous avez vécu à l'aise dans cette Assemblée constituante qui a commencé à égorger le socialisme sans s'en douter, ou plutôt en le voulant un peu; car vous ne vous disiez pas encore socialistes à cette époque, vous vous êtes retrempés plus tard dans le programme de la Montagne, qui est votre meilleure action, votre seul ouvrage durable; mais il était trop tard et trop tôt pour que cela produisit un bien immédiat, vous aviez déjà fait divorce à votre insu avec le sentiment populaire, que vous eussiez voulu féconder, et qui s'éteignait dans la méfiance; pour se jeter dans la passion ou se laisser tomber dans l'inertie. Vous avez pourtant fait pour le mieux; selon vos lumières et vos forces; mais vous étiez poussés par les passions autant que par les principes, et vous avez commis tous plus ou moins, dans un sens ou dans l'autre, des fautes inévitables; qu'elles vous soient mille fois pardonnées!

Je ne suis pas de ceux qui s'entr'égorgent dans les bras de la mort. Mais je dis que vous ne pouvez plus rien avec ces passions-là. Votre sagesse, par conséquent votre force, serait de les apaiser en vous-mêmes, pour attendre l'issue du drame qui se déroule aujourd'hui entre le principe de l'autorité personnelle et le principe de la liberté commune: cela mériterait d'être médité à un point de vue plus élevé que l'indignation contre les hommes. Les hommes! faibles et aveugles instrumens de la logique des causes!

Il serait bon de comprendre et de voir, afin d'être meilleurs, pour être plus forts; au lieu de cela, vous vous usez, vous vous affaiblissez à plaisir dans des émotions ardentes et dans des rêves de châtiment que la Providence, plus maternelle et plus forte que vous, ne mettra jamais, j'espère, entre vos mains.

Adieu, mon ami! d'après toute cette philosophie que j'avais besoin de me résumer et de te résumer en rentrant dans le repos de la campagne, tu vas croire que je m'arrange fort bien de ce qui est, et que je ne souffre guère dans les autres. Hélas! je ne m'en arrange pas, et j'ai vu plus de larmes, plus de désespoirs, plus de misères, dans ma petite chambre de Paris, que tu n'en as pu voir en Belgique. Là, tu as vu les hommes qui partent; moi, j'ai vu les femmes qui restent! Je suis sur les dents après tant de tristesses et de fatigues dont il a fallu prendre ma part, après tant de persévérance et de patience dont il a fallu m'armer pour aboutir à de si minces allègements. Je ne m'en croyais pas capable; aussi j'ai failli y laisser mes os. Mais le devoir porte en soi sa récompense. Le calme s'est fait dans mon âme, et la foi m'est revenue. Je me retrouve aimant le peuple et croyant à son avenir comme à la veille de ces votes qui pouvaient faire douter de lui, et qui ont porté tant de coeurs froissés à le mépriser et à le maudire!

Je t'embrasse et je t'aime.

CCCLIII

A JOSEPH MAZZINI, A LONDRES

Nohant, 23 mai 1852.

Cher ami,

Je ne voudrais pas vous écrire en courant, et pourtant, ou il faut que je vous écrive trop vite, ou il faut que je ne vous écrive pas; car le temps me manque toujours et je ne puis arriver à une seule journée où je ne sois pas talonnée, ahurie par un travail pressé, des affaires à subir, ou quelque service à rendre. Ma santé, ma vie y succombent. Ne me grondez pas par-dessus le marché.

On a tort de s'irriter dans les lettres contre ceux qu'on aime. Il est évident pour moi que, dans votre dernière, vous faites un malentendu énorme de quelque réflexion que je ne peux me rappeler assez textuellement, pour m'expliquer votre erreur. Mais ce que vous me faites dire, je ne vous l'ai pas dit comme vous l'entendez, j'en suis certaine, ou bien votre colère serait trop juste. Vraiment, cher ami, la douleur vous rend irritable et ombrageux, même avec les coeurs qui vous aiment et vous respectent le plus. Qui vous dit que travailler pour votre patrie est une vaine gloire, et que je vous accuse de gloriole?

J'ai cru rêver en voyant votre interprétation d'une phrase, où j'ai dû vous dire, où je crois vous avoir dit qu'il ne s'agit plus de savoir qui aura l'initiative; qu'aujourd'hui, ce serait une vaine gloire de s'attribuer, soit comme Français, soit comme Italien, des facultés supérieures pour cette initiative, et que tout réveil doit être un acte de foi collectif.

Je ne sais ce que j'ai dit; mais je veux être pendue si j'ai pu vouloir dire autre chose, et s'il y a là dedans un reproche, un doute pour vous; je ne vous comprends pas de vous fâcher ainsi contre moi, quand j'ai si rarement le bonheur de pouvoir causer avec vous; quand il est si chanceux d'y parvenir sans que les lettres soient interceptées; quand des semaines et des mois doivent se passer sans que j'aie d'autre souvenir de vous qu'une lettre de reproches trop véhéments et nullement mérités. Je n'ai pas reçu l'article que vous m'avez envoyé. Je crois l'avoir lu en entier dans un extrait de journal qu'on m'avait envoyé de Belgique quelque temps auparavant, lorsque j'étais à Paris. J'ignore si on m'a envoyé la réponse collective dont vous vous plaignez. Je n'ai rien reçu; une lettre que m'avait écrite Louis Blanc, et dont il me parle aujourd'hui dans une autre lettre étrangère à toute politique, a été saisie apparemment par la police: je ne l'ai pas reçue. J'ai cherché dans les journaux que je suis à même de consulter ici cette réponse, tronquée ou non. Je ne l'ai point trouvée. Je n'en sais donc pas le premier mot. Vous me dites, et l'on me dit d'ailleurs, qu'elle est mauvaise, archi-mauvaise. Je n'ai pas besoin vis-à-vis de vous de la désavouer. Elle est signée dites-vous, par des gens que j'aime, c'est vrai, mais plus ou moins: quelques-uns beaucoup, d'autres pas du tout. Quelle qu'elle soit, du moment qu'elle vous méconnaît, vous outrage et vous calomnie, je la condamne et suis fâchée de ne l'avoir pas connue lorsque j'ai écrit à Louis Blanc en même temps qu'à vous, par l'intermédiaire de Michele. Je lui en aurais dit mon sentiment avec franchise. Cela viendra.

Pour le moment, ce n'est pas facile, puisque je ne peux me procurer ce malheureux écrit, et que, d'ailleurs, les correspondances sont si peu sûres. Il est affreux de penser que nous ne pouvons laver notre linge en famille, et que nos épanchements les plus intimes peuvent réjouir la police de nos persécuteurs les plus acharnés.—Et puis j'arrive trop tard dans ces débats; je suis placée trop loin des faits par ma retraite, mon isolement, et tant d'autres préoccupations, moins importantes certainement, mais si personnellement obligatoires, que je ne peux m'y soustraire.

Enfin, mes amis, m'écouteriez-vous si j'arrivais à temps pour retenir vos plumes irritées et brûlantes? Hélas! non. Il y a dix ans que je crie dans le désert que les divisions nous tueront. Voilà qu'elles nous ont tué, et qu'on s'égorge encore, tout sanglants et couchés sur le champ de bataille! quel affreux temps! quel affreux vertige!

Mon ami, fâchez-vous contre moi tant que vous voudrez. Pour la première fois, je vais vous faire un reproche. Vous avez mal fait de provoquer ce crime commis envers vous. Vous voyez, je ne mâche pas le mot, c'est un crime, s'il est vrai qu'on vous accuse de lâcheté, de trahison, d'ambition même.

J'ai la conviction, la certitude que vous ne savez ce que c'est que l'ambition personnelle, et que votre âme est sainte dans ses passions et dans ses instincts comme dans ses principes. On ne peut, sans être en proie à un accès de folie, douter de la pureté de votre caractère. Mais n'est-ce pas une faute, une faute grave de provoquer un accès de folie chez son semblable, quel qu'il soit? Ne deviez-vous pas prévoir cette réaction de l'orgueil blessé, du patriotisme saignant, de la doctrine intolérante si vous voulez, chez des hommes qu'une défaite épouvantable, l'abandon du pays, vient de frapper dans ce qui faisait tout leur être, toute leur vie? Était-ce le moment de retourner sans pitié le fer dans la plaie et de leur crier: «Vous avez perdu la France!»

Vos reproches vous paraissent si justes, que vous regardez comme un devoir de les avoir exprimés, en dépit de la solidarité qu'il eût été beau de ne pas rompre violemment au milieu d'un désastre horrible, en dépit du sentiment chrétien et fraternel qui devrait dominer tout dans le parti de l'avenir, en dépit enfin des convenances politiques qui défendent de montrer ses plaies au vainqueur, avide de les regarder et d'en rire! Eh bien, peut-être avez-vous raison en théorie, peut-être est-il des temps et des choses si nécessaires à saisir, qu'il y ait un farouche égoïsme à marcher ainsi sur les blessés et sur les cadavres pour arriver au but. Mais, si ces reproches que vous faites ne sont pas justes! s'ils partent d'une prévention ardente, comme il en est entré plus d'une fois dans l'âme des saints! les saints ont beau être des saints, ils sont toujours hommes, et ils mettent souvent, nous le voyons à chaque instant dans l'histoire, une violence funeste, une intolérance impitoyable dans le zèle qui les dévore. Je ne sais plus lequel d'entre eux a nommé l'orgueil, la maladie sacrée, parce qu'elle atteint particulièrement les âmes puissantes et les esprits supérieurs. Les petits n'ont que la vanité; les grands ont l'orgueil, c'est-à-dire une confiance aveugle dans leur certitude.

Eh bien, vous avez été atteint de cette maladie sacrée; vous avez commis le péché d'orgueil le jour ou vous avez rompu ouvertement avec le socialisme. Vous ne l'avez pas assez étudié, dans ses manifestations diverses, il semble même que vous ne l'ayez pas connu. Vous l'avez jugé en aveugle, et, prenant les défauts et les travers de certains hommes pour le résultat des doctrines, vous avez frappé sur les doctrines, sur toutes, quelles qu'elles fussent, avec l'orgueil d'un pape qui s'écrie: Hors de mon Église, point de salut! Il y avait longtemps que je voyais se développer votre tendance vers un certain cadre d'idées pratiques exclusives. Je ne vous ai jamais tourmenté de vaines discussions à cet égard. Je ne connaissais pas assez l'Italie, je ne la connais pas encore assez pour oser dire que ce cadre fût insuffisant pour ses aspirations et ses besoins; vous regardant comme un des trois ou quatre hommes les plus avancés, les plus forts de cette nation, j'ai cru devoir vous dire, lorsque vous parliez à l'Italie: «Dites toujours ce que vous croyez être la vérité.» Oui, j'ai dû vous dire cela, et je vous le dirais encore si vous parliez à l'Italie au milieu du combat. Quand on se bat, pourvu qu'on se batte bien, tout stimulant ardent et sincère concourt à la victoire. Mais, dans la défaite, ne faut-il pas devenir plus attentif et plus scrupuleux? Songez que vous parlez maintenant non plus à une nation, mais à un parti vaincu dans des circonstances si peu comparables à celles de l'Italie livrée à l'étranger, que ce que vous pouviez crier alors comme le pape de la liberté romaine n'a plus de sens pour des oreilles françaises, étourdies, brisées par le canon de la guerre civile.

Écoutez-moi, mon ami; ce que je vais vous dire est très différent de ce que vous disent probablement mes amis à Londres et en Belgique. A coup sûr, c'est tout à fait l'exposé de ce que pensent la plupart de mes amis et connaissances politiques en France.

Nous sommes vaincus par le fait, mais nous triomphons par l'idée. «La France est dans la boue,» dites-vous? c'est possible; mais elle ne s'arrête pas dans cette boue, elle marche, elle en sortira. Il n'y a pas le chemin sans boue, comme il n'y en a pas sans rochers et sans précipices. La France a conquis la sanction, la vraie, la seule sanction légitime de tous les pouvoirs, l'élection populaire, la délégation directe. «C'est l'enfance de la liberté, dit-on?» Oui, c'est vrai, la France électorale marche comme l'enfance, mais elle marche; aucune autre nation n'a encore marché aussi longtemps dans cette voie nouvelle, l'élection populaire! La France va probablement voter l'empire à vie, comme elle vient de voter la dictature pour dix ans; et je parie qu'elle sera enchantée de le faire; c'est si doux, si flatteur pour un ouvrier, pour un paysan, de se dire, dans son ignorance, dans sa naïveté, dans sa bêtise, si vous voulez: «C'est moi maintenant qui fais les empereurs!»

On vous a dit que le peuple avait voté sous la pression de la peur, sous l'influence de la calomnie! Ce n'est pas vrai. Il y a eu terreur et calomnie avec excès; mais le peuple eût voté sans cela comme il a voté. En 1852, ce 1852 rêvé par les républicains comme le terme de leurs désirs et le signal d'une révolution terrible, la déception eût été bien autrement épouvantable qu'elle ne l'est aujourd'hui. Le peuple eût probablement résisté à la loi du suffrage restreint, il eût voté envers et contre tous; mais pour qui?

Pour Napoléon, qui avait pris les devants, avec un à propos incontestable, en demandant le retrait de cette loi à son profit, et qui, certes, ne l'eût pas demandé s'il n'eût été sûr de son affaire. Le peuple est ignorant, borné comme science, comme prévision, comme discernement politiques. Il est fin et obstiné dans le sentiment de son droit acquis. Il avait élu ce président à une grande majorité. Il était fier de son oeuvre…, il avait tâté sa force. Il ne l'eût pas compromise en éparpillant ses voix sur d'autres candidats. Il n'avait qu'un but, qu'une volonté sur toute la ligne: se grouper en faisceau immense, en imposante majorité pour maintenir sa volonté. Un peuple n'abandonne pas en si peu d'années l'objet de son engouement, il ne se donne pas un démenti à lui-même. Depuis trois ans, la majorité du peuple de France n'a pas bronché. Je ne parle pas de Paris, qui forme une nation différente au sein de la nation, je parle de cinq millions de voix au moins, qui se tenaient bien compactes sur tous les points du territoire, et toutes prêtes à maintenir le principe de délégation en faveur d'un seul. Voilà la seule lumière que la masse ait acquise, mais qui lui est bien et irrévocablement acquise. C'est sa première dent. Ce n'est qu'une dent, mais il en poussera d'autres, et le peuple, qui apprend aujourd'hui à faire les empereurs, apprendra fatalement par la même loi à les défaire.

Notre erreur, à nous socialistes et politiques, tous tant que nous sommes, a été de croire que nous pouvions en même temps initier et mettre en pratique. Nous avons tous fait une grande chose, et il faut qu'elle nous console de tout: nous avons initié le peuple à cette idée d'égalité des droits par le suffrage universel. Cette idée, fruit de dix-huit ans de luttes et d'efforts, sous le régime constitutionnel, idée déjà soulevée sous la première révolution, était mûre, tellement mûre, que le peuple l'a acceptée d'emblée et qu'elle est entrée dans sa chair et dans son sang en 1848. Nous ne pouvions pas, nous n'aurions pas dû espérer davantage.

De la possession d'un droit à l'exercice raisonnable et utile de ce droit, il y a un abîme. Il nous eût fallu dix ans d'union, de vertu, de courage et de patience, dix ans de pouvoir et de force, en un mot, pour combler cet abîme. Nous n'avons pas eu le temps, parce que nous n'avons pas eu l'union et la vertu; mais ceci est une autre question.

Quelle que soit la cause, le peuple, depuis trois ans, n'a fait que reculer dans la science de l'exercice de son droit; mais aussi il a avancé dans la conscience de la possession de son droit. Ignorant des faits et des causes, trop peu capable de suivre et de discerner les événements et les hommes, il a jugé tout en gros, en masse. Il a vu une assemblée élue par lui se suicider avec rage, plutôt que de laisser vivre le principe du suffrage universel. Un dictateur s'est présenté les mains pleines de menaces et de promesses, criant à ce peuple incertain et troublé: «Laissez-moi faire, je vais châtier les assassins de votre droit; donnez-moi tous les pouvoirs, je ne veux les tenir que de vous, de vous tous, afin de consacrer que le premier de tous ces pouvoirs, c'est le vôtre!» Et, le peuple a tendu les mains en disant: «Soyez dictateur, soyez le maître. Usez et abusez; nous vous récompensons ainsi de votre déférence.»

Cela, voyez-vous, c'est dans le caractère de la masse, parce que c'est dans le caractère de tout individu formant la masse de ce prolétariat dans l'enfance. Il a les instincts de l'esclave révolté, mais il n'a pas les facultés de l'homme libre. Il veut se débarrasser de ses maîtres, mais c'est pour en avoir de nouveaux; fussent-ils pires, il s'en arrangera quelque temps, pourvu que ce soit lui qui les ait choisis, il croit à leur reconnaissance, parce qu'il est bon, en somme! Voilà la vérité sur la situation. On ne corrompt pas, on n'épouvante pas une nation en un tour de main. Ce n'est pas si facile qu'on croit; c'est même impossible. Tout le talent des usurpateurs est de tirer parti d'une situation; ils n'en auront jamais assez pour créer du jour au lendemain cette situation.

Depuis les journées de juin 1848 et la campagne de Rome, j'avais vu très clair, non par lucidité naturelle, mais par l'absence involontaire et invincible d'illusions, dans cette disposition des masses. Vous m'avez vue sans espoir depuis ces jours-là, prédisant de grandes expiations; elles sont arrivées. Il m'en a coûté de passer d'immenses illusions à cette désillusion complète. J'ai été désolée, abattue; j'ai eu mes jours de colère et d'amertume, alors que mes amis, ceux qui étaient encore au sein de la lutte parlementaire, comme ceux qui faisaient déjà les rêves de d'exil, se flattaient encore de la victoire. Quand une nation a donné sa démission devant des questions d'honneur et d'humanité, que peuvent les partis? Les individus disparaissent, ils sont moins que rien.

En tant que nation active et militante, la France a donc donné sa démission. Mais tout n'est pas perdu; elle a gardé, elle a sauvé la conscience, l'appétit, si vous voulez, de son droit de législature. Elle veut s'initier à la vie politique à sa manière; nous aurons beau fouetter l'attelage, il n'ira jamais que son pas.

À présent, écoutez, mon ami, écoutez encore, car ce que je vous dis, ce sont des faits, et la passion les nierait en vain. Ils sont clairs comme le soleil. Cinq à six millions de votants, représentant la volonté de la France en vertu du principe du suffrage universel (je dis cinq à six millions pour laisser un ou deux millions de voix aux éventualités de la corruption et de l'intimidation), cinq à six millions de voix ont décidé du sort de la France.

Eh bien, sur ce nombre considérable de citoyens, cinq cent mille;, tout au plus, connaissent les écrits de Leroux, de Cabet, de Louis Blanc, de Vidal, de Proudhon, de Fourier, et de vingt autres plus ou moins socialistes dans le sens que vous signalez. Sur ces cinq cent mille citoyens, cent mille tout au plus ont lu attentivement et compris quelque peu ces divers systèmes; aucun, j'en suis persuadée, n'a songé à en faire l'application à sa conduite politique. Croire que ce soient les écrits socialistes, la plupart trop obscurs, et tous trop savants, même les meilleurs, qui ont influencé le peuple, c'est se fourrer dans l'esprit gratuitement la plus étrange vision qu'il soit possible de donner pour un fait réel.

Vous me direz peut-être que ces écrits ont déterminé des abstentions nombreuses; je vous demanderais si c'est probable, et pourquoi cela serait-il? L'abstention, là où elle se décrète, n'est jamais qu'une mesure politique, une protestation ou un acte de prudence pour éviter de se faire compter quand on se sait en petit nombre. Les partisans de la politique pure se sont abstenus peut-être plus encore que les socialistes, dans les dernières élections. En de certaines localités, on s'est fait un devoir de s'abstenir; en de certaines autres, on a risqué le contraire, sans que, nulle part, on se soit divisé sur l'opportunité du fait, au nom du socialisme ou de la politique.

C'est donc, selon moi, une complète erreur d'appréciation des faits que ce cri jeté par vous à la face du monde: Socialistes! vous avez perdu la France! Admettons, si vous l'exigez, que les socialistes soient, par caractère, des scélérats, des ambitieux, des imbéciles, tout ce que vous voudrez. Leur impuissance a été tellement constatée par leur défaite, qu'il y a injustice et cruauté à les accuser du désastre commun.

Mais, d'abord, qu'est-ce que le socialisme? A laquelle de ses vingt ou trente doctrines faites-vous la guerre? Il règne dans vos attaques contre lui une complète obscurité, vous n'avez presque rien désigné, vous n'avez nommé presque personne. Je comprends la délicatesse de cette réserve; mais est-elle conciliable avec la vérité, quand vous invoquez ce principe qu'il faut dire la vérité à tous, en tout temps, en tout lieu!

Ne voyez-vous pas qu'en attaquant les diverses écoles sans distinction, vous les attaquez toutes, et que vous vous réduisez à ce principe, qu'il faut agir et ne pas savoir dans quel but?

Cette conclusion pourtant, vous la repoussez vivement dans votre propre écrit. Je viens de le relire attentivement et j'y vois un tissu de contradictions inouïes chez un esprit ordinairement net et lucide au premier chef. Vous y dites le pour et le contre, vous admettez tout ce que le socialisme prêche, vous déclarez que la pensée doit précéder l'action. Vous ne l'admettriez pas, qu'il n'en serait ni plus ni moins; car il faut bien, que ma volonté précède l'action de mon bras pour prendre une plume ou un livre, et il n'est pas besoin de poser en principe un fait de mécanisme si élémentaire.

Eh bien, alors, de quoi vous étonnez-vous, de quoi vous fâchez-vous? Ne faut-il pas savoir, avant de se battre, pour qui, pour quoi on se battra? Vous ne voulez pas qu'on s'abstienne quand on craint de se battre pour des gens en qui l'on n'a pas confiance? Mais il n'est pas besoin d'être socialiste pour s'accorder à soi-même ce droit-là. Eût-on mille fois tort de se méfier, la méfiance est légitime parce qu'elle est involontaire. Je vous assure que votre accusation est une énigme d'un bout à l'autre; relisez-la avec calme, et vous verrez que, quand on n'a pas d'intérêt personnel dans la question, quand on ne se sent entamé par aucun de vos reproches, il est impossible de comprendre pourquoi vous nous traduisez ainsi au ban de l'Europe, comme bavards, vaniteux, crétins, poltrons et matérialistes. Est-ce un anathème sur la France parce qu'elle s'est donné un dictateur? Bon, si la France était socialiste; mais, mon ami, si vous dites cela, vous nous faites, sans vous en douter, une atroce plaisanterie; si vous le croyez, vous connaissez la France moins que la Chine. Est-ce un anathème sur la doctrine matérialiste, selon vous, qui se résume par ces mots de Louis Blanc: A chacun selon ses besoins? Les besoins sont de plus d'un genre. Il y en a d'intellectuels comme de matériels, et Louis Blanc a toujours placé les premiers avant les seconds.

Louis Blanc a demandé sur tous les tons que toute la récompense du dévouement fût dans les moyens de prouver son dévouement, et, en cela, il est parfaitement d'accord avec vous, qui dites: À chacun selon son dévouement.

N'avez-vous pas lu d'excellents travaux de Vidal, ami de Louis Blanc, sur le développement des récompenses dues au dévouement? C'est exactement le même thème. Que l'homme ne soit récompensé ni par l'argent ni par le privilège. Ces choses ne payent pas, ne sauraient payer le dévouement. Le plaisir de se dévouer est le seul payement qui s'adresse directement à l'action de se dévouer.

Voilà qu'au moins, en flétrissant les sectaires du pot-au-feu, comme vous les appelez, vous eussiez dû excepter Louis Blanc et Vidal et Pecqueur, tout un groupe de politiques socialistes et spiritualistes d'un ordre très élevé, dont les travaux n'ont qu'un malheur, celui de ne pouvoir être répandus à profusion dans les masses.

Passons à Leroux. Leroux est-il un philosophe matérialiste? Ne pèche-t-il pas, au contraire, un peu par excès d'abstraction quand il pèche? Et, à côté de quelques divagations, selon moi, n'y a-t-il pas un ensemble d'idées admirables, de préceptes sublimes, déduits et aussi bien prouvés par l'histoire de la philosophie et l'essence des religions qu'il est possible de prouver?

Vous auriez dû excepter Leroux et son école de votre condamnation sur le matérialisme.

Cabet, que je n'admire pas comme intelligence—c'est peut-être une faute, mais enfin je ne l'admire pas,—n'est pas plus matérialiste que spiritualiste dans ses doctrines. Il associe de son mieux ces deux éléments. Il fait son possible pour les bien établir. Il n'a jamais prêché rien que de bon et d'honnête. Je trouve sa doctrine vulgaire et puérile dans ses applications rêvées. Mais, enfin, elle est tellement inoffensive et si peu répandue que, lui aussi, méritait une exception.

Restent la doctrine Fourier, la doctrine Blanqui, la doctrine Proudhon.

La doctrine de Fourier est tellement l'opposé de la doctrine de Leroux, qui en a fait la critique foudroyante, de main de maître, qu'il n'eût pas fallu les envelopper dans un vague anathème sur toutes les doctrines. Mais la doctrine de Fourier, elle-même, n'a pas produit tout le mal que Leroux combat en elle avec raison, et que vous lui reprochez à tort. Leroux a raison de nous révéler que, sous cette doctrine ésotérique, il y a un matérialisme immonde; mais, si Leroux ne nous l'avait pas révélé, ce livre, écrit par énigmes, ne l'eût fait comprendre qu'à un petit nombre d'adeptes et vous avez tort de dire qu'il a perdu la France, qui ne le connaît pas et ne le comprend pas.

La doctrine de Proudhon n'existe pas. Ce n'est pas une doctrine: c'est un tissu d'éblouissantes contradictions, de brillants paradoxes qui ne fera jamais école. Proudhon peut avoir des admirateurs, il n'aura jamais d'adeptes. Il a un talent de polémiste incontestable dans la politique; aussi n'a-t-il de pouvoir, d'influence que sur ce terrain-là. Il a rendu des services très actifs à la cause de l'action dans son journal le Peuple; il ne faut donc pas l'accuser d'impuissance et d'indifférence. Il est très militant, très passionné, très incisif, très éloquent, très utile dans le mouvement des émotions et des sentiments politiques; hors de là, c'est un économiste savant, ingénieux, mais impuissant par l'isolement de ses conceptions, et isolé par cela même qu'il n'appuie ses systèmes économiques sur aucun système socialiste. Proudhon est le plus grand ennemi du socialisme. Pourquoi donc avez-vous compris Proudhon dans vos anathèmes? Je n'y conçois rien du tout.

Quant à Blanqui, je ne connais pas celui-là, et je déclare que je n'ai jamais lu une seule ligne de lui. Je n'ai donc pas le droit d'en parler. Je ne le connais que par quelques partisans de ses principes qui prêchent une république forcenée, des actes de rigueur effroyables, quelque chose de cent fois plus dictatorial, arbitraire et antihumain que ce que nous subissons aujourd'hui. Est-ce là la pensée de Blanqui? est-ce une fausse interprétation donnée par ses adeptes? Avant de juger Blanqui, je voudrais le lire ou l'entendre; ne le connaissant que par des on dit, je ne me permettrais jamais de le traduire devant l'opinion socialiste ou non socialiste. J'ignore si vous êtes mieux renseigné que moi. Mais, s'il est homme d'action, de combat et de conspiration comme on le dit, qu'il soit ou non socialiste, vous ne devez pas le renier comme combattant, vous qui voulez des combattants avant tout.

Plus j'examine ces diverses écoles, moins je vois qu'aucune d'elles en particulier mérite d'avoir été accusée par un homme aussi juste, aussi bon, aussi impartial que vous, d'avoir perdu la France par le matérialisme.

Les unes ont prêché le spiritualisme le plus pur. Les autres n'ont prêché que dans le désert. Donc, ce n'est pas le matérialisme socialiste qui a perdu la France. Ou je suis une imbécile, je ne sais pas lire, je n'ai jamais rien vu, rien compris, rien apprécié, dans mon pays, ou le socialisme, en général, a combattu de toutes ses forces le matérialisme inoculé au peuple par les tendances bourgeoises orléanistes.

Quand, par exception, le matérialisme a été prêché par de prétendus socialistes, il n'a produit que peu d'effet, et ce n'est pas la faute du socialisme s'il a servi de prétexte à des doctrines contraires, pas plus que ce n'est sa faute s'il sert de prétexte aujourd'hui à nos bourreaux pour nous déporter et nous traiter en forçats réfractaires. Il y aurait, de la part des partisans du National, une grande lâcheté à lui reprocher les malheurs communs. Le socialisme n'aurait-il pas le droit de faire le même reproche à ceux qui ont donné aux moeurs publiques l'exemple de la mitraillade dans les rues et de la dictature? S'il le fait, il est assez pardonnable de le faire; car il est provoqué sur tous les tons et par tous les partis depuis dix ans avec une rage qui n'a pas de nom.

Il est le bouc émissaire de tous les désastres, la victime de toutes les batailles, et je ne peux pas imaginer que vous arriviez, vous, le saint de l'Italie, pour lui jeter la dernière pierre et lui crier: «C'est toi qui es le coupable, c'est toi qui es le maudit!»

Pour moi, mon ami, ce que vous faites là est mal. Je n'y comprends rien. Je crois rêver, en voyant cette dissidence de moyens que je connaissais bien, mais que j'admettais comme on doit admettre toute liberté de conscience, aboutir à une colère, à une rupture, à une accusation publique, à un anathème. On vous a répondu cruellement, brutalement, injustement, ignominieusement? Cela prouve que cette génération est mauvaise et que les meilleurs ne valent rien; mais, vous qui êtes parmi les meilleurs, n'êtes-vous pas coupable aussi, très coupable d'avoir soulevé ces mauvaises, passions et provoqué ce débordement d'amertume et d'orgueil blessé?

Si j'avais été à Londres où à Bruxelles alors que votre attaque a paru, et qu'on ne m'eût pas prévenue par une réponse injurieuse qui me ferme la bouche, j'aurais répondu, moi. Sans égard pour l'exception trop flatteuse que vous faites en me nommant, j'aurais pris ouvertement contre vous le parti du socialisme. Je l'eusse fait avec douceur, avec tendresse, avec respect; car aucun tort des grands et bons serviteurs comme vous ne doit faire oublier leurs magnanimes services. Mais je vous aurais humblement persuadé de rétracter cette erreur de votre esprit, cet égarement de votre âme; et vous êtes si grand, que vous l'auriez fait, si j'avais réussi à vous prouver que vous vous trompiez.

Comme écrit, votre article a le mérite de l'éloquence accoutumée; mais il est faible de raisonnement, faible contre votre habitude et par une nécessité fatale de votre âme, qui ne peut pas et ne sait pas se tromper habilement. Il faut le deviner; car, au point de vue du fait, on ne peut pas le comprendre. En principe, il est tout aussi socialiste que nous. Mais il nous accuse de l'être autrement, et c'est en cela qu'il est injuste ou erroné. Il devrait se résumer ainsi: «Républicains de toutes les nuances, vous vous êtes divisés, vous avez discuté au lieu de vous entendre; vous vous êtes séparés au lieu de vous unir; vous vous êtes laissé surprendre au lieu de prévoir; vous n'avez pas voulu vous battre, quand il fallait combattre à outrance.»

C'est vrai: on s'est divisé, on a discuté trop longtemps. Il y a eu souvent de mauvaises passions en jeu. On est devenu soupçonneux, injuste. Il y a trois ans que je le vois, que j'en souffre, que je le dis à tout ce qui m'entoure. Après cette division, il était impossible de se battre et de résister.

Ce raisonnement serait bon, excellent, utile, s'il s'adressait à toutes les nuances du parti républicain. Si vous morigéniez tout le monde, oui, tout le monde indistinctement, vous feriez une bonne oeuvre; si, faisant de doux et paternels reproches aux socialistes, comme vous avez le droit de les faire, vous leur disiez qu'ils ont mis parfois la personnalité en tête de la doctrine, ce qui est malheureusement vrai pour plusieurs; si vous les rappeliez à vous les bras ouverts, le coeur plein de douleur et de fraternité, je comprendrais que vous dissiez: «Il faut dire en tout temps la vérité aux hommes.»

Mais vous faites le contraire: vous accusez, vous repoussez, vous tracez une ligne entre deux camps que vous rendez irréconciliables à jamais, et vous n'avez pas une parole de blâme pour une certaine nuance que vous ne désignez pas et que je cherche en vain; car je ne sache pas que, dans aucune, il y ait eu absence d'injustice, de personnalité, d'ambitions personnelles, d'appétits matérialistes, de haine, d'envie, de travers et de vices humains en un mot. Prétendriez-vous qu'il y en eût moins dans le parti qui s'appelle Ledru-Rollin que dans tout autre parti rallié autour d'un autre nom? Ce n'est pas à moi qu'il faudrait dire cela sérieusement. Les hommes sont partout les mêmes. Un parti s'est-il mieux battu que l'autre dans ces derniers événements? Je ne sais au nom de qui se sont levées les bandes du Midi et du Centre après le 2 décembre. On les a intitulées socialistes.

Si cela est, il ne faut pas dire que les socialistes ont refusé partout le combat. Mais que cela soit ou non, elles se sont démoralisées bien vite, et les paysans qui les composaient n'ont pas montré beaucoup de foi dans le malheur; ce qui prouve que les paysans ne sont pas bons à insurger, et que, socialistes ou non, les chefs ont eu grand tort de compter sur cette campagne, source d'une défaite générale et sanction avidement invoquée pour les fureurs de la réaction,

Direz-vous que les socialistes, par leurs projets ou leurs rêves d'égalité, par leurs systèmes excessifs, ont alarmé non seulement la bourgeoisie, mais encore les populations? Je vous dirai d'abord que, depuis deux ou trois ans, surtout depuis le programme de la Montagne, tous les républicains dans les provinces, tout le peuple de France s'intitulait socialiste, les partisans de Ledru-Rollin tout comme les autres; et même ceux de Cavaignac n'osaient pas dire qu'ils ne fussent pas socialistes. C'était le mot d'ordre universel. Faites donc, si vous persistez dans votre distinction, deux classes de socialistes et nommez-les; car autrement votre écrit est complètement inintelligible dans les dix-neuf vingtièmes de la France, et, si vous me dites que le parti Ledru-Rollin, qui était le seul parti nominal en province, s'est montré plus prudent, plus sage, moins vantard, moins discoureur que tout autre, je vous répondrai, en connaissance de cause, que ce parti, éminemment braillard, vantard, intrigant, paresseux, vaniteux, haineux, intolérant, comédien dans la plupart de ses représentants secondaires en province, a fait positivement tout le mal.

Je ne m'en prends pas à son chef nominal, parce qu'il n'était qu'un nom, nom plus connu que les autres et autour duquel se rattachaient, de la part des sous-chefs, de misérables petites ambitions; de la part des soldats, des intérêts purement matérialistes et des appétits affreusement grossiers.

Je suis persuadée que Ledru est bien innocent de l'excès de ces choses, et, s'il eût triomphé, j'aurais aujourd'hui à le comparer à Louis-Napoléon, qui ne se doute seulement pas de tout le mal commis en son nom. Voyez-vous, la grande vérité, vous ne l'avez pas dite, et je ne la dirai pas non plus, parce que je ne suis pas de votre avis qu'il faille toujours tout dire, et flageller les morts. La grande vérité, c'est que le parti républicain, en France, composé de tous les éléments possibles, est un parti indigne de son principe et incapable, pour toute une génération, de le faire triompher. Si vous connaissiez la France, tout ce que vous savez de l'état des idées, des écoles, des nuances, des partis divers à Paris vous paraîtrait beaucoup moins important et nullement concluant. Vous sauriez, vous verriez que, grâce à une centralisation exagérée, il y a là une tête qui ne connaît plus ses bras, qui ne sent plus ses pieds, qui ne sait pas comment son ventre digère et ce que ses épaules supportent.

Si je vous disais que, depuis quatre mois et demi, je fais des démarches, des lettres, j'agis nuit et jour pour des hommes que je voudrais rendre à leurs familles infortunées, que je plains d'avoir tant souffert, que j'aime comme on aime des martyrs quels qu'ils soient, mais que je suis quelquefois épouvantée de ce que ma pitié me commande, parce que je sais que le retour de ces hommes mauvais ou absurdes est un mal réel pour la cause, et que leur absence éternelle, leur mort, c'est affreux à dire, serait un bienfait pour l'avenir de nos idées, qu'ils en sont les fléaux, que leur parole en éloigne, que leur conduite répugne ou fait rire, que leur paresse bavarde est une charge, un impôt, pour de meilleurs qui travaillent à leur place et qui ne disent rien! Il y a des exceptions, je n'ai pas besoin de vous le dire; mais combien peu qui n'aient pas mérité leur sort! Ils sont victimes d'une effroyable injustice légale; mais, si une république austère faisait une loi pour éloigner du sol les inutiles, les exploiteurs de popularité, vous seriez effrayé de voir où on les recruterait forcément.

Soyons indulgents, miséricordieux pour tous. Je nourris de mon travail les vaincus, quels qu'ils soient, ceux qui avaient Ledru-Rollin pour drapeau, comme les autres, ni plus ni moins; je combats de tous mes efforts leur condamnation et leur misère; je n'aurai pas une parole d'amertume ou de reproche pour ceux-ci ou pour ceux-là. Tous sont également malheureux, presque tous également coupables; mais je vous donne bien ma parole d'honneur, et sans prévention aucune, que les plus fermes, les meilleurs, les plus braves ne sont pas plus dans le camp où vous vous êtes jeté que dans celui que vous avez maudit. Je pourrais, si je consultais ma propre expérience, vous affirmer même que ceux qui juraient le plus haut ont été les plus prudents; que ceux qui criaient: «Ayez des armes et faites de la poudre!» n'avaient nulle intention de s'en servir; enfin que là, comme partout, aujourd'hui comme toujours, les braillards sont des lâches.

Et voilà un homme sans tache qui vient prononcer que par ici il y a des braves, par là des endormis; qu'il existe en France un parti d'union, d'amour, de courage, d'avenir, au détriment de tous les autres! Osez donc le nommer, ce parti! Un immense éclat de rire accueillera votre assertion. Non, mon ami, vous ne connaissez pas la France. Je sais bien que, comme toutes les nations, elle pourrait être sauvée par une poignée d'hommes vertueux, entreprenants, convaincus. Cette poignée d'hommes existe. Elle est même assez grosse. Mais ces hommes isolément ne peuvent rien. Il faut qu'ils s'unissent. Ils ne le peuvent pas. C'est la faute de celui-ci, tout comme la faute de celui-là; c'est la faute de tous, parce que c'est la faute du temps et de l'idée. Voyez, vous-même, vous en êtes, vous voulez les réunir, et en criant: Unissez-vous! vous les indignez, vous les blessez. Vous êtes irrité vous-même, vous faites des catégories, vous repoussez les adhésions, vous semez le vent, et vous recueillez des tempêtes.

Adieu; malgré cela, je vous aime et vous respecte.

CCCLIV

A MADEMOISELLE LEROYER DE CHANTEPIE, A ANGERS

Nohant, 2 juin 1852.

Hélas! non, chère mademoiselle, je n'ai pas obtenu la grâce de trois cents personnes, bien que j'aie demandé pour un chiffre de ce genre. Mais, pour toutes sortes de raisons que vous pouvez apprécier sans que je les confie à la poste, je ne devais pas, je ne pouvais pas être exaucée. Je ne l'ai été que pour un bien petit nombre. Je compte par vingtaines les amis que l'on m'emmène en Afrique ou que l'on bannit à perpétuité.

Je comprends bien vos chagrins, c'est ma nourriture depuis six mois. Dans ce moment, je suis en instance pour treize compatriotes au sujet desquels je n'ai que des promesses, et qui sont à Lambessa probablement à l'heure qu'il est; je n'espère pas!

Si, contre mon attente, leur grâce était accordée, j'oserais recommencer pour votre filleul. Mais, en ce moment, je pense que ma prière compromettrait la cause de mes amis sans succès pour vous. On me trouve déjà probablement bien trop exigeante et obstinée.

L'histoire que vous me racontez est celle de tous mes amis, et les réflexions que vous faites, la douleur que vous éprouvez trouvent en moi un écho fidèle. Combien d'autres coeurs sont navrés à chaque révolution de ce genre! Croyez que ma peine personnelle ne me rend point insensible à la vôtre, et que je vous garde toujours une vive et constante sympathie. J'étais en train de lire Angélique Lagier quand les événements ont éclaté. Depuis ce moment, il m'a été impossible de reprendre aucune lecture, tant j'ai été accablée de travail et d'autres devoirs; j'espère m'en dédommager et vous remercier mieux de l'envoi de votre livre et de votre bon et constant souvenir.

G. SAND.

CCCLV

AU PRINCE LOUIS-NAPOLÉON BONAPARTE PRÉSIDENT DE LA RÉPUBLIQUE

Nohant, 27 juin 1852.

Monseigneur,

Vous avez répondu au prince Napoléon, qui vous implorait de ma part pour les déportés et les expulsés de l'Indre, que vous m'accorderiez ce que je vous demandais. Je viens remettre sous vos yeux la liste des grâces que vous avez daigné me promettre et que j'attends comme une nouvelle preuve de vos bontés pour moi.

GEORGE SAND

CCCLVI

A M. ERNEST PÉRIGOIS, A PARIS

à Nohant, 31 août 1852.

Cher ami, je ne peux pas être enchantée d'une solution qui ne vous rend pas à notre voisinage. Mais, par le temps qui court, le mieux est le moins pire, comme on dit chez nous, et puis voilà votre famille rassurée par un internement, réjouissons-nous en attendant justice complète. Tout est mieux que l'Angleterre et la Belgique en ce moment.

Laissons passer le temps et l'orage: nos pères en ont vu bien d'autres. Travaillons, étudions, ou produisons à travers la tempête. Si le vaisseau sombre, nous tâcherons de jeter quelques souvenirs à la mer, qui flotteront vers de meilleurs rivages. Vous avez, vous, une ressource refusée au grand nombre, vous avez la faculté et l'amour de l'étude, qui ne vous consoleront pas, mais qui vous soutiendront.

Je ne sais si vous serez encore à Paris quand on jouera, dans deux ou trois jours, au Gymnase, la pièce[1] que vous n'avez pu voir à Nohant.

Maurice, à qui je n'ai pu donner votre adresse, ne l'ayant point, ne vous trouvera peut-être pas. Allez donc le voir, rue Racine, 3; il vous donnera des places pour aller entendre siffler peut-être ce qu'on a applaudi sur notre théâtre. La pièce n'en valait pas pas mieux ici, elle n'en vaudra pas moins là-bas.

Adieu, cher enfant. Écrivez-moi toujours et longuement, du lieu où vous serez, quand même je ne pourrais vous répondre de même. Amitiés de mes enfants d'ici.

[1] Le Démon du foyer.

CCCLVII

A MAURICE SAND, A PARIS

Nohant, 14 septembre 1852.

Je t'envoie la lettre d'Hetzel d'aujourd'hui. Tu verras qu'il faut aller trouver Nanteuil au plus vite[1] si tu ne veux tomber dans le Gérard Séguin, qui me semble bien mou et peu mariable avec toi.

Tu verras les réflexions de ce bon Hetzel sur les journalistes. Il les craint comme un éditeur qu'il est. Il se trompe sur ce que je veux les empêcher de dire. Je désire, au contraire, qu'ils soient de plus en plus mauvais; lâches et méchants, qu'ils jettent le masque enfin devant le sang-froid et la dignité des gens qui sauront comme moi leur dire: «Vous voyez bien ce que vous faites et ce que vous dites? Ça m'est égal, à moi; mais je prends le public à témoin de la manière dont vous remplissez votre mandat; je relève les injures que vous m'adressez, je les signale à l'appréciation de tous. Continuez, vous me ferez plaisir.»

Qu'ont-ils à dire? des sottises toujours? Tant mieux. Je suis d'un trop grand sang-froid sur ces choses-là, et trop inattaquable dans ma conscience et dans ma délicatesse pour ne pas les réduire au silence, ou à des fureurs qui les déshonoreront. Laissons faire, je tiens bon.

Hetzel s'inquiète des querelles, des duels même que cela peut attirer à toi et à mes amis. Mes amis n'ont pas le droit de se mêler de cela, je m'y suis toujours opposée, je m'y opposerai toujours. Quant à toi, comme toi et moi c'est la même chose, pour rien au monde il ne faut commettre notre cause dans cette ressource bête et brutale.

Quelque injure qu'on m'adresse, j'ai une épée plus forte dans les mains que la leur, et je ne veux pas être réduite au silence par la menace de l'épée du duel, ni de ta part, ni de la leur.

Nello leur fera faire quelques réflexions là-dessus, sur l'odieux d'attaquer une femme dans son fils, ou le fils dans sa mère. La plus grande tranquillité et la plus grande circonspection de conduite sont donc nécessaires. Ne te laisse entraîner à aucun dépit, à aucune impatience qui me paralyserait dans ma lutte. Évite même les propos autour de toi et sois tranquille. La plupart de ces messieurs, et M. Jules Lecomte en tête, sont si méprisables, qu'on aurait, au besoin, le droit de leur refuser tout autre combat que celui des coups de pied au derrière, et ils ne les chercheront pas.

J'arrive à la fin du roman; je: pense Mauprat. Sois tranquille. Il faudra que je m'en tire et que je fasse un drame dans les conditions dont tu parles et qui, en effet, sont les bonnes.

Bonsoir, mon Bouli; je t'embrasse mille fois. Recommande bien à Giraud et à Dagneau[2] de mettre sur l'ouvrage que l'auteur se réserve le droit de traduction, et d'envoyer deux exemplaires à la commission dramatique. Tu aurais dû faire mettre cela au contrat, peut-être; mais je pense qu'ils ne le négligeront pas.

  [1] Pour continuer l'illustration des oeuvres complètes de George
      Sand, interrompue par la mort de Tony Johannot.
  [2] Ses éditeurs.

CCCLVIII

A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉRÔME), A PARIS

Paris, 20 novembre

Cher prince,

Je suis désolée de ne pas vous avoir revu. Je pars en vous remerciant de votre bonne visite d'hier, et en vous aimant toujours de tout mon coeur.

Je vous envoie la pétition d'un pauvre vieux soldat de l'Empire, autrefois soldat modèle, aujourd'hui très digne père de famille. C'est un paysan de mon village, et il est digne d'un véritable intérêt; je serais bien heureuse de vous devoir un peu de bien-être pour lui, si cela est possible. Jusqu'à présent, ses instances, passant par la préfecture, qui, chez nous, comme ailleurs, ne s'occupe pas des petites gens, ne sont pas parvenues au ministère.

Je ne veux plus rien demander qu'à vous, certaine que vous seul ne vous lassez pas d'obliger.

Bien à vous de coeur et de confiance,

GEORGE SAND.

CCCLIX

A M. ARMAND BARBÈS, A DOULLENS

Nohant, 18 décembre 1852

Cher et excellent ami,

Vous voulez de mes nouvelles et demandez si je vous aime toujours.

Pouvez-vous douter de ce dernier point? Plus la destinée s'acharne à nous séparer, plus mon coeur s'attache avec respect et tendresse à vos souffrances, et plus votre souvenir me revient cher et précieux à toute heure.

Quant à ma santé, elle se débat entre la fatigue et la tristesse. Vous connaissez mes causes de chagrin et le travail perpétuel qui m'est imposé, comme devoir de famille, alors même que, comme devoir de conscience, je suis paralysée par des causes extérieures. Mais qu'importe notre individualité? Pourvu que nous ayons fait pour le mieux en toute chose, et selon notre intelligence et nos forces, nous pouvons bien attendre paisiblement la fin de nos épreuves. J'espérais que la proclamation de l'Empire serait celle de l'amnistie générale et complète. Il me semblait que, même au point de vue du pouvoir, cette solution était inévitable parce qu'elle était logique. C'eût été pour moi une consolation si grande que de revoir mes amis. J'espère encore, malgré tant d'attentes déçues, que l'Empire ne persistera pas à venger les querelles de l'ancienne monarchie, et d'une bourgeoisie dont il a renversé le pouvoir.

Écrivez-moi, mon ami; que quelques lignes de vous me disent si vous souffrez physiquement, si vous êtes toujours soumis à ce cruel régime de la chambrée, si contraire au recueillement de l'âme et au repos du corps. Je ne suis pas en peine de votre courage; mais le mien faiblit souvent au milieu de l'amère pensée de la vie qui vous est faite. Je sais que là n'est point la question pour vous et que votre horizon s'étend plus loin que le cercle étroit de cette triste vie. Mais, si l'on peut tout accepter pour soi-même, il n'est pas aisé de se soumettre sans douleur aux maux des êtres qu'on aime.

Je suis toujours à la campagne, n'allant à Paris que rarement et pour des affaires. Mon fils y passe maintenant une partie de l'année pour son travail; mais il est en ce moment près de moi et me charge de vous embrasser tendrement pour lui. J'ai une charmante petite fille (la fille de ma fille), dont je m'occupe beaucoup.

Voilà pour moi. Et vous? et vous? Pourquoi ai-je été si longtemps sans avoir de vos nouvelles? C'est que tous nos amis ont été dispersés ou absents. J'ignore même quand et comment ceci vous parviendra; j'ignore si vous pouvez écrire ouvertement à vos amis, et si leurs lettres vous arrivent.

Mais, que je puisse ou non vous le dire, ne doutez jamais, cher ami, de mon amitié pleine de vénération, et inaltérable.

GEORGE.

CCCLX

A M. THÉOPHILE SILVESTRE, A PARIS

Nohant, janvier 1853.

Monsieur,

Je saisis avec plaisir l'occasion que vous m'offrez de vous encourager dans un travail dont M. Eugène Delacroix est l'objet, puisque vous partagez l'admiration et l'affection qu'il inspire à ceux qui le comprennent et à ceux qui l'approchent.

Il y a vingt ans que je suis liée avec lui et par conséquent heureuse de pouvoir dire qu'on doit le louer sans réserve, parce que rien dans la vie de l'homme n'est au-dessous de la mission si largement remplie du maître.

D'après ce que vous me dites, ce n'est pas une simple étude de critique que vous faites, c'est aussi une appréciation morale. La tâche vous sera douce et facile, et je n'ai probablement rien à vous apprendre sur la constante noblesse de son caractère et l'honorable fidélité de ses amitiés.

Je ne vous apprendrai pas non plus que son esprit est aussi brillant que sa couleur, et aussi franc que sa verve. Pourtant cette aimable causerie et cet enjouement qui sont souvent dus à l'obligeance du coeur dans l'intimité, cachent un fonds de mélancolie philosophique, inévitable résultat de l'ardeur du génie aux prises avec la netteté du jugement.

Personne n'a senti comme Delacroix le type douloureux de Hamlet. Personne n'a encadré dans une lumière plus poétique, et posé dans une attitude plus réelle, ce héros de la souffrance, de l'indignation, du doute et de l'ironie, qui fut pourtant, avant ses extases, le miroir de la mode et le moule de la forme, c'est-à-dire, en son temps, un homme du monde accompli. Vous tirerez de là, en y réfléchissant, des conséquences justes sur le désaccord que certains enthousiastes désappointés out pu remarquer avec surprise entre le Delacroix qui crée et celui qui raconte, entre le fougueux coloriste et le critique délicat, entre l'admirateur de Rubens et l'adorateur de Raphaël. Plus puissant et plus heureux que ceux qui rabaissent une de ces gloires pour déifier l'autre, Delacroix jouit également des diverses faces du beau, par les côtés multiples de son intelligence. Delacroix, vous pouvez l'affirmer, est un artiste complet. Il goûte et comprend la musique d'une manière si supérieure, qu'il eût été très probablement un grand musicien, s'il n'eût pas choisi d'être un grand peintre. Il n'est pas moins bon juge en littérature, et peu d'esprits sont aussi ornés et aussi nets que le sien. Si son bras et sa vue venaient à se fatiguer, il pourrait encore dicter, dans une très belle forme, des pages qui manquent à l'histoire de l'art, et qui resteraient comme des archives à consulter pour tous les artistes de l'avenir.

Ne craignez pas d'être partial en lui portant une admiration sans réserve. La vôtre, comme la mienne, a dû commencer avec son talent, et grandir avec sa puissance année par année, oeuvre par oeuvre. La plupart de ceux qui lui contestaient sa gloire au début rendent aujourd'hui pleine justice à ses dernières peintures monumentales, et, comme de raison, les plus compétents sont ceux qui, de meilleur coeur et de meilleure grâce, le proclament vainqueur de tous les obstacles, comme son Apollon sur le char fulgurant de l'allégorie.

Vous me demandez, monsieur, de vous renseigner sur les peintures de ce grand maître qui sont en ma possession. Je possède, en effet, plusieurs pensées de ce rare et fécond génie.

Une Sainte Anne enseignant la Vierge enfant, qui a été faite chez moi à la campagne et exposée, l'année suivante (1845 ou 1846), au Musée. C'est un, ouvrage important, d'une couleur superbe, et d'une composition sévère et naïve.

Une splendide esquisse de fleurs d'un éclat et d'un relief incomparables. Cette esquisse a été également faite pour moi et chez moi.

La Confession du Giaour mourant, un véritable petit chef-d'oeuvre.

Un Arabe gravissant les montagnes pour surprendre un lion.

Cléopâtre recevant l'aspic, caché au milieu des fruits éblouissants que lui présente l'esclave basané, riant de ce rire insouciant que lui prête Shakespeare. Ce contraste dramatique avec le calme désespoir de la belle reine a inspiré Delacroix d'une manière saisissante.

Un intérieur de carrières.

Une composition tirée du roman de Lélia d'un effet magique.

Une composition au pastel sur le même sujet.

Enfin, plusieurs aquarelles, pochades, dessins et croquis au crayon et à la plume, voire des caricatures.

Tel est mon petit musée, où le moindre trait de cette main féconde est conservé par mon fils et par moi avec religion de l'amitié.

Si vous croyez ma réponse utile pour votre travail, disposez-en, monsieur, quoique ce soit un bien mince tribut pour une si chère gloire.

Agréez mes remerciements pour la sympathie que vous me témoignez et l'expression de mes sentiments distingués.

GEORGE SAND.

CCCLXI

M. CHARLES DUVERNET, A PARIS

Nohant, 30 janvier 1853.

Chers amis,

Je suis contente que vous soyez contents, que Paris vous amuse, que la bonne Berthe y ouvre de grands yeux. Je pense vous y rejoindre le mois prochain. Rien de nouveau dans le pays, que vous ne sachiez: la mort de madame Vergne et la banqueroute de M. Chabenet. Planet, qui est venu dîner avec nous aujourd'hui, m'a dit que tu y étais pour quelques milliers de francs. C'est fort désagréable sans doute; mais ce l'est moins que si la chose fut arrivée il y a quelques mois. Je sais que ta mère se porte bien, Borie l'ayant vue, il y a deux jours. Quant à Nohant, c'est toujours la même régularité monastique: le déjeuner, l'heure de promenade; les cinq heures de travail de ceux qui travaillent, le dîner, le cent de dominos, la tapisserie pendant laquelle Manceau me fait la lecture de quelque roman; Nini, assise sur la table, brodant aussi; Borie ronflant, le nez dans le calorifère et prétendant qu'il ne dort plus du tout; Solange le faisant enrager; Emile[1] disant des sentences. Nous avons ici un temps magnifique, du soleil chaud, ou un ciel gris et doux. Les amandiers fleurissent, et je crois que les rossignols vont arriver. Je fais faire des travaux, dont je ne sais pas m'occuper beaucoup et qui ne me montent pas la tête, comme ceux qui consument d'impatience et d'activité fiévreuse notre bon Planet. Je l'ai trouvé mieux moralement que je ne m'y attendais, mais bien changé, quoique son état général soit amélioré. Solange va repartir et me laisse Nini. Elle ira vous voir.

Racontez-moi si vous avez vu l'impératrice et quelle mine qu'elle a. Puisque Sa Majesté la promène pour la présenter à la population, vous avez le droit d'exiger qu'on vous la montre.

Bonsoir, mes chers enfants; je m'aperçois que je vous écris sur une feuille simple. Ce n'est point par paresse, mais l'heure du sommeil arrive, et, comme j'ai la vertu de me coucher à une heure du matin, je n'y dois pas déroger. Le progrès que j'ai fait de dormir la nuit m'a remis sur mes pattes. Je me porte très bien depuis un mois. Et toi, te trouves-tu bien de l'air de Paris? Il ne vaut certes pas celui du Coudray; mais la distraction est une compensation, surtout pour les organisations nerveuses. J'espère que ma grosse Eugénie ne va pas perdre ses couleurs et son embonpoint berrichons.

Je vous embrasse de coeur tous deux, ainsi que la petite Berthe. Je donne trois coups de poing à ton gros gars. Engage-le de ma part à ne pas trop écrire de lettres, ça pourrait le fatiguer. Une pichenette à Marquis le rentier[2]; heureux vieillard!

Tout mon monde vous envoie amitiés, compliments, Hommages.

[1] Émile Aucante. [2] Le chien de Nohant. adopté par la famille Duvernet.

CCCLXII

SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉRÔME) A PARIS

Nohant, 8 février 1853.

Merci, cher prince; j'attendais pour vous envoyer mes actions de grâces que le nom de Patureau parût au Moniteur. J'ignore encore s'il y a figuré; car on ne se le procure pas aisément là où je suis. Mais j'ai reçu de M. Charles Abbattucci la confirmation de votre bonne nouvelle et j'ai envoyé sa lettre comme passeport à mon fugitif. Je l'attends, et il vous exprimera sa reconnaissance lui-même probablement, dans son langage de paysan et d'honnête homme.

J'irai à Paris vers la fin du mois. Si, comme j'en suis sûre, chère Altesse impériale, les grandeurs temporelles ne vous ont pas changé, je vous demanderai de venir me serrer la main dans mon petit taudis de poète-classique; car je vous aime et je crois en vous, quelque monseigneur que vous soyez.

CCCLXIII

A MAURICE SAND, A PARIS

Nohant, 16 février 1853.

Mon cher enfant,

J'ai été bien malade pendant deux jours d'une affreuse migraine. Je vais bien aujourd'hui et j'ai été me promener jusqu'à Vic, où l'on retourne le terrain autour de l'église et où l'on trouve des tombeaux et des ossements comme si toutes les armées de César et autres Ostrogoths y avaient passé. J'ai fait apporter trois cercueils de pierre dans notre jardin, et, avec la permission du maire et du curé, j'ai mis trois ouvriers pour remuer un petit coin, où l'on n'a trouvé aujourd'hui que des débris déjà fouillés à je ne sais quelle époque. En fouillant plus bas, au-dessous de la couche de sarcophages, on trouve de la brique romaine, et des squelettes couchés avec ordre dans des cercueils de maçonnerie, la tête couverte seulement d'une pierre. Malheureusement, pour faire faire des fouilles avec soin, l'endroit n'est pas commode et nous n'avons trouvé ni monnaie ni bijoux.

Mais ces découvertes nous ont mis en goût de recherches, et, comme je me rappelle un endroit du jardin, sous les noyers, d'où j'ai vu extraire autrefois toute une première couche de sépultures et d'ossements, nous allons nous amuser à faire creuser plus bas pour voir si, là aussi, nous trouverons le lit romain. Alors, en y ayant l'oeil et la main, nous trouverons peut-être des monnaies et des lacrymatoires.

Pendant que nous fouillons les tombes et qu'Émile, penché sur la fosse béante, se donne des airs de vampire, tu cours le bal et la mascarade. Amuse-toi bien, mais pas trop et n'échine ni ta santé ni l'on travail. J'ai repris le mien aujourd'hui, après deux jours de souffrances atroces. M'en voilà encore une fois revenue, et j'arrive à la fin de mes deux gros volumes de berrichon. Nini va bien; dis-le à Solange, à qui, du reste, j'écrirai demain. J'ai, ce soir, la tête encore un peu en marmelade. Patureau est de retour au pays. Périgois est gracié. Il fait assez froid mais très beau. Ton atelier est si magnifique, qu'il n'y aurai ni châtelain du royaume de Léon, ni reine des Asturies, mieux logés que toi.

Bonsoir, mon petit. Écris-nous si tu as fait de l'épate avec ton costume. Tu ne seras pas si bien coiffé que si j'étais là. Je t'embrasse mille fois. Tâche de ne pas t'enrhumer.

Le jardinier a peur des sarcophages de pierre que j'ai fait mettre dans le jardin. Il n'ose plus sortir le Soir!

CCCLXIV.

A M..ET MADAME ERNEST PÉRIGOIS, A LA CHÂTRE

Paris, mars 1853.

Chers enfants,

Merci encore et toujours pour toutes vos tendresses pour ma petite-fille… Il me tarde de vous remercier, de vous embrasser, de revoir ma Nini et de me retrouver dans mon nid tranquille; car je m'ennuie ici à avaler trois langues, si je les avais. Tout le monde y est bête à manger de l'herbe, surtout les gens d'esprit, qui redoublent de vide et de paradoxe pour prouver que tout est pour le mieux.

Je fais mon possible pour sourire à toute chose en me parlant à moi-même, pour me consoler de ce que j'entends. Mais, il me semble que je suis aux galères. On sent tellement que la contradiction ne serait qu'un jeu d'esprit et n'atteindrait pas des coeurs vides ou absents! Quelle décadence que celles des âmes, et comme l'intelligence est stupide quand elle se met à vouloir vivre et marcher toute seule!

Aussi les arts périssent et se traînent froids devant des yeux troubles.—Cependant la pièce de Ponsard l'Honneur et l'Argent a fait vibrer encore un peu de jeunesse à l'Odéon. C'est presque de l'opposition que d'oser mettre ces deux choses en parallèle.

À bientôt, chers amis; mille et mille tendresses de tous les miens pour vous. Je vous embrasse de coeur.

GEORGE SAND.

CCCLXV

A M. SULLY-LÉVY, A PARIS

Nohant, juin 1853.

Merci, merci, mon cher enfant! Vous êtes la providence du théâtre de Nohant, qui vous donne plus de peine qu'il ne vaut, mais qui vaudra grâce à vous. Encouragez bien notre ingénue et dites-lui qu'il n'y a pas de beaux esprits ici, mais de très bonnes gens, sans en excepter les romanciers.

Dans deux ou trois jours, je vous écrirai pour vous dire le jour et l'heure où ma voiture pourra se trouver à Châteauroux; car les diligences ne correspondent plus avec l'arrivée des convois, et je ne peux pas disposer de mes moyens de transport pour une seule personne. Priez donc mademoiselle Berengère d'être bien gentille et bien exacte au rendez-vous que nous lui donnerons; car j'ai à coeur de ne pas la laisser attendre et s'ennuyer à Châteauroux ou s'embarquer pour Nohant dans une guimbarde berrichonne par le joli temps qu'il fait.

Ce sera pour le 30 juin, le 1er ou le 2 juillet, et il faudra partir de Paris par le convoi de neuf ou dix heures du matin. Je vous dirai cela d'une manière plus précise; mais prévenez-la. Si elle a quelques chiffons à l'usage d'une gentille villageoise très simple, faites-les-lui apporter; sinon, nous la costumerons ici. Dites-lui d'avance toutes mes amitiés. Qu'elle sache aussi que je suis liée d'amitié avec M. Vaez, que j'attends lui-même un de ces jours.

Remerciez pour moi les jeunes gens qui ont bien voulu répondre à l'appel de Maurice; nous comptons sur eux. Quand pouvez-vous être de la partie? ce sera pour une autre année, j'espère.

A vous de coeur

G. SAND.

CCCLXVI

A MAURICE SAND, A PARIS

Nohant, 25 septembre 1853.

Cher vieux,

Le jour de notre arrivée, il a passé sur la route un pifferaro napolitain, que j'ai happé bien vite; ce n'était pas un fameux maître sonneur; mais sa musette est bien autrement belle de sons que les nôtres, et il jouait des airs qui avaient beaucoup de caractère. Il y avait avec lui deux musiciens de Venise sans aucune couleur locale, et un jeune homme qui dansait très joliment, très sérieusement, et les yeux baissés, des cachuchitas et des jotas, d'une manière si pareille aux paysans maïorquins, et il en avait si bien les airs et le type, que j'aurais juré que c'en était un. Il m'a dit qu'il était de Tolède et qu'il dansait à la manière des gens de son pays. Alors c'est absolument la même chose qu'à Maïorque.

Je ne crois pas du tout qu'on ait joué Nello à Bruxelles. Tout au contraire, Hetzel le retire parce qu'on n'a pas maintenu les acteurs qu'on lui avait promis.

Ne reste pas trop longtemps, mon Bouli; je t'embrasse comme je t'aime.
Tes petits camarades t'embrassent aussi.

CCCXLVII

A MADAME AUGUSTINE DE BERTHOLDI, A VARSOVIE

Nohant, 28. octobre 1853.

Ma chère mignonne, je suis bien contente de te savoir arrivée en bonne santé, et installée chez de si excellents parents. Embrasse mon Georget, qui écrit de si belles lettres et qui voyage comme un homme. Rien de nouveau depuis ton départ. Maurice Lambert et Manceau sont toujours ici; nous allons prendre notre volée pour Paris dans peu de jours, je pense. Nous attendons qu'on nous dise que Mauprat est près de passer.

Il paraît que les répétitions vont bien et qu'on prépare des décors superbes. Mademoiselle Fernand jouera Edmée. Elle va jouer aussi Claudie, que l'on reprend à l'Odéon. On a repris le Champi avec de nouveaux acteurs. La petite Bérengère, que tu as vue ici, a joué très bien Mariette. Thiron est parti avec Rachel pour la Russie; il fait partie de sa troupe. Peut-être le verrais-tu à Varsovie. Buthiaud a débuté très bien à l'Odéon. Le Pressoir va toujours bien Voilà toutes les nouvelles de théâtre nous concernant.

Moi, j'ai fait un roman, et une préface pour la nouvelle édition de Balzac. Voilà mon travail de ce mois-ci. Je me porte bien. Je travaille tous les jours à mon petit Trianon: je brouette des cailloux, j'arrache et je plante du lierre, je m'éreinte dans un jardin de poupée, et cela me fait dormir et manger on ne peut mieux. Nous avons eu des temps affreux; mais, depuis quelques jours, il fait chaud comme en été, et nous avons été aujourd'hui nous promener au Magnier.

Madame Fleury est partie avec ses filles pour rejoindre son mari à Bruxelles. Le pauvre Planet s'en va, lui, tout à fait. Il se promène encore un peu, et il est venu me voir hier, avec sa femme et son beau-père. Il se voit bien partir et fait ses adieux à tous ses amis avec sa bonté et son effusion ordinaires. Je ne le crois pas si près de sa fin que les médecins le prétendent; mais je crois bien qu'il n'en reviendra pas. C'est un vrai chagrin pour moi; car, après Rollinat, c'était le meilleur du pays.

L'empereur et l'impératrice ont été voir le Pressoir. L'empereur a beaucoup applaudi, l'impératrice a beaucoup pleuré. On s'inquiète fort de la guerre à Paris. Dans les campagnes, tu sais qu'on ne s'occupe que du temps qu'il fait. La vendange est à peu près nulle. La moisson a été mauvaise. Les noix ont gelé. Les pommes de terre sont malades. On craint un hiver très malheureux pour les pauvres, gêné pour tout le monde.

Comme nous voilà tout seuls en famille, le petit théâtre remplace le grand, et Maurice, avec Lambert, nous donne souvent des représentations de marionnettes. Ils ont fait encore des merveilles de décors et de costumes.

J'espère que je te donne un bulletin complet de nos faits et gestes. Réponds-moi pour tout ce qui t'occupe et t'intéresse. Écris-moi toujours ici; car je ne compte pas rester longtemps à Paris, et, d'ailleurs, on me renverra tes lettres.

Bonsoir, ma mignonne chérie; je t'embrasse mille fois. Maurice t'embrasse de tout son coeur.

CCCLXVIII

A MAURICE SAND, A PARIS

Nohant, 13 décembre 1853.

J'ai reçu ta lettre, mon vieux Bouli. J'étais inquiète, toujours à propos de pommes cuites! et j'avait écrit hier soir à Lambert de me donner de tes nouvelles.

Je suis contente que tu ailles bien. Je vois bien aussi. Il a fait aujourd'hui un temps charmant.

J'ai été avant-hier au spectacle de la Châtre entendre des chanteurs montagnards fort intéressants.

Je travaille avec zèle à une petite comédie qui m'intéresse. C'est pour le Gymnase.—Je cultive toujours les nymphes de Trianon; mais leurs eaux sont pourries. Ainsi finissent les nymphes en ce siècle de prose! Je ne me dégoûte pourtant pas de Trianon, parce que les mousses et le lierre sont de tous les temps et sont toujours prêts à renaître. Nini a une brouette et s'en va bruquant dans tous les arbres. Elle est très gentille et demande pourquoi tu es à Paris quand elle est à Nohant.

Rien de nouveau, qu'une lettre de Titine que je t'envoie. Travaille, amuse-toi et aime-moi. Je te bige mille fois.

CCCLXIX

A JOSEPH MAZZINI A LONDRES

Nohant, 15 décembre 1853.

Je n'ai pas cessé de vous chérir et de vous respecter, mon ami. Voilà tout ce que je peux vous dire; la certitude que toutes les lettres sont ouvertes et commentées doit nécessairement gêner les épanchements de l'affection et les confidences de la famille.

Vous dites que je suis résignée, c'est possible; j'ai de grandes raisons pour l'être, des raisons aussi profondes, à mes yeux, aussi religieuses et aussi philosophiques que vous paraissent celles qui vous défendent la résignation. Pourquoi supposez-vous que ce soit lâcheté ou épuisement? Vous m'avez écrit à ce sujet des choses un peu dures. Je n'ai pas voulu y répondre. Les affections sérieuses sont pleines d'un grand respect, qui doit pouvoir être comparé au respect filial. On trouve parfois les parents injustes, on se tait plutôt que de les contredire, on attend qu'ils ouvrent les yeux.

Quant aux allusions que vous regrettez de ne pas voir dans certains ouvrages, vous ne savez guère ce qui se passe en France, si vous pensez qu'elles seraient possibles. Et puis, vous ne vous dites peut-être pas que, quand la liberté est limitée, les âmes franches et courageuses préfèrent le silence à l'insinuation. D'ailleurs, la liberté fût-elle rétablie pour nous, il n'est pas certain que je voulusse toucher maintenant à des questions que l'humanité n'est pas encore digne de résoudre et qui ont divisé jusqu'à la haine les plus grands, les meilleurs esprits de ce temps-ci.

Vous vous étonnez que je puisse faire de la littérature; moi, je remercie Dieu de m'en conserver la faculté, parce qu'une conscience honnête, et pure comme est la mienne, trouve encore, en dehors de toute discussion, une oeuvre de moralisation à poursuivre. Que ferais-je donc si j'abandonnais mon humble tâche? Des conspirations? Ce n'est pas ma vocation, je n'y entendrais rien. Des pamphlets? Je n'ai ni fiel ni esprit pour cela. Des théories? Nous en avons trop fait et nous sommes tombés dans la dispute, qui est le tombeau de toute vérité, de toute puissance: Je suis, j'ai toujours été artiste avant tout; je sais que les hommes purement politiques ont un grand mépris pour l'artiste, parce qu'ils le jugent sur quelques types de saltimbanques qui déshonorent l'art. Mais vous, mon ami, vous savez bien qu'un véritable artiste est aussi utile que le prêtre et le guerrier; et que, quand il respecte le vrai et le bon, il est dans une voie où Dieu le bénit toujours. L'art est de tous les pays et de tous les temps; son bienfait particulier est précisément de vivre encore quand tout semble mourir; c'est pour cela que la Providence le préserve des passions trop personnelles ou trop générales, et qu'elle lui donne une organisation patiente et persistante, une sensibilité durable et le sens contemplatif où repose la foi invincible.

Maintenant, pourquoi et comment pensez-vous que le calme de la volonté soit la satisfaction de l'égoïsme? À un pareil reproche, je n'aurais rien à répondre, je vous l'avoue; je ne saurais dire que ceci: Je ne le mérite pas. Mon coeur est transparent comme ma vie, et je n'y vois point pousser de champignons vénéneux que je doive extirper; si cela m'arrive, je combattrai beaucoup, je vous le promets, avant de me laisser envahir par le mal.

Je répondrai à M. Linton dans quelques jours. C'est une affaire, en somme, et il faut que je m'occupe de cette affaire, c'est-à-dire que je consulte, que je relise des traités: le tout pour savoir si je ne suis pas empêchée pour clause entendue ou sous-entendue, dont je ne me souviens pas. Sous le rapport des intérêts matériels, je suis restée dans un idiotisme absolu; aussi j'ai pris un homme d'affaires qui se charge de tout le positif de ma vie; je désire être à même de satisfaire M. Linton et de répondre à ses bonnes intentions. Adieu, mon ami, ne me croyez pas changée, pour vous, ni pour quoi que ce soit.

GEORGE

FIN DU TOME TROISIÈME

TABLE

1848

    CCLXIV. A Maurice Sand. 18 février.
     CCLXV. Au même. 23 février.
    CCLXVI. Au même. 24 février.
   CCLXVII. A M. Girerd. 6 mars.
  CCLXVIII. A M. Charles Poncy. 9 mars.
    CCLXIX. A M. Chartes Duvernet. 14 mars.
     CCLXX. A Maurice Sand. 18 mars.
    CCLXXI. Au même. 24 mars.
   CCLXXII. A M. de Lamartine. avril.
  CCLXXIII. A M. Charles Delaveau. 13 avril.
   CCLXXIV. A Maurice Sand. 17 avril.
    CCLXXV. Au même. 19 avril.
   CCLXXVI. Au même. 21 avril.
  CCLXXVII. Au citoyen Caussidière. 20 mai.
 CCLXXVIII. Au citoyen Théophile Thoré. 24 mai.
   CCLXXIX. Au citoyen Ledru-Rollin. 28 mai.
    CCLXXX. Au citoyen Théophile Thoré. 28 mai.
   CCLXXXI. Au citoyen Armand Barbès. 10 juin.
  CCLXXXII. A Joseph Mazzini. 15 juin.
 CCLXXXIII. A madame Marliani. juillet.
  CCLXXXIV. A M. Girerd. 6 août.
   CCLXXXV. Au même. 7 août.
  CCLXXXVI. A M. Edmond Plauchut. 24 septembre.
 CCLXXXVII. A Joseph Mazzini. 30 septembre.
CCLXXXVIII. A M. Edmond Plauchut. 24 octobre.
  CCLXXXIX. A M. Armand Barbès. 1er novembre.
      CCXC. A Joseph Mazzini. 2 novembre.
     CCXCI. A M. Armand Barbès. 8 décembre.

1849

    CCXCII. A M. Edmond Plauchut. 13 février.
   CCXCIII. A M. Armand Barbès. 14 mars.
    CCXCIV. A Joseph Mazzini. 15 mars.
     CCXCV. A M. Théophile Thoré. 29 mars.
    CCXCVI. A Maurice Sand. 13 mai.
   CCXCVII. A M. Théophile Thoré. 26 mai.
  CCXCVIII. A Maurice Sand. 12 juin.
    CCXCIX. A Joseph Mazzini. 23 juin.
       CCC. Au même. 5 juillet.
      CCCI. A M. Ernest Périgois. juillet.
     CCCII. A M. Charles Poncy. juillet.
    CCCIII. A. Joseph Mazzini. 12 juillet.
     CCCIV. Au même. 26 juillet.
      CCCV. A M. Armand Barbès. 21 septembre.
     CCCVI. A Joseph Mazzini. 10 octobre.
    CCCVII. A mademoiselle H.L. octobre.
   CCCVIII. A Joseph Mazzini. 5 novembre.

1850

     CCCIX. A M. X*** (Eugène de Mirecourt). janvier.
      CCCX. A Joseph Mazzini. 10 mars.
     CCCXI. Au même. 4 août.
    CCCXII. A M. Alexandre Dumas fils. 14 août.
   CCCXIII. A M. Armand Barbès. 27 août.
    CCCXIV. A Joseph Mazzini. 25 septembre.
     CCCXV. A M. Charles Poncy. 26 septembre.
    CCCXVl. A Joseph Mazzini. 15 octobre.
   CCCXVII. A M. Sully-Lévy. 18 novembre.
  CCCXVIII. A M. Armand Barbès. 28 novembre.
    CCCXIX. A Joseph Mazzini. novembre.
     CCCXX. A M. Charles Duvernet. décembre.
    CCCXXI. A Joseph Mazzini. 24 décembre.
   CCCXXII. A Maurice Sand. 24 décembre.
  CCCXXIII. A M. Charles Poncy. 25 décembre.

1851

   CCCXXIV. A Maurice Sand. 9 janvier.
    CCCXXV. A Joseph Mazzini. 22 janvier.
   CCCXXVI. A madame de Bertholdi. 24 janvier.
  CCCXXVII. A la même. 17 février.
 CCCXXVIII. A M. Charles Poncy. 16 mars.
   CCCXXIX. A M. Edmond Plauchut. 11 avril.
    CCCXXX. A madame de Bertholdi. 5 juin.
   CCCXXXI. A madame Cazamajou. 6 juin.
  CCCXXXII. A M. Charles Poncy. 6 juin.
 CCCXXXIII. A M. Ernest Périgois. 25 octobre.
  CCCXXXIV. A madame de Bertholdi. 6 décembre.
   CCCXXXV. A M. Sully-Lévy. 24 décembre.
  CCCXXXVI. A S.A. le prince Napoléon (Jérôme). 3 janvier.

1852

 CCCXXXVII. A M. Charles Poncy. 4 janvier.
CCCXXXVIII. Au prince Louis-Napoléon. 20 janvier.
  CCCXXXIX. A M. Charles Duvernet. 22 janvier.
     CCCXL. Au même. 30 janvier.
    CCCXLI. Au chef du cabinet de l'intérieur. 1er février.
   CCCXLII. A S.A. le prince Napoléon (Jérôme). 2 février.
  CCCXLIII. Au prince Louis-Napoléon. 3 février.
   CCCXLIV. A M. Charles Duvernet. 10 février.
    CCCXLV. Au prince Louis-Napoléon. 12 février.
   CCCXLVI. Au même. 20 février.
  CCCXLVII. A M. Jules Hetzel. 22 février.
 CCCXLVIII. A M. Ernest Périgois. 24 février.
   CCCXLIX. A M. Calamatta. 24 février.
      CCCL. Au prince Louis-Napoléon. mars.
     CCCLI. Au même. mars.
    CCCLII. A M. Alphonse Fleury. 5 avril.
   CCCLIII. A Joseph Mazzini. 23 mai.
    CCCLIV. À mademoiselle Leroyer de Chantepie. 2 juin.
     CCCLV. Au prince Louis-Napoléon. 28 juin.
    CCCLVI. A M. Ernest Périgois. 31 août.
   CCCLVII. A Maurice Sand. 14 septembre.
  CCCLVIII. A S.A. le prince Napoléon (Jérôme). 26 novembre.
    CCCLIX. A M. Armand Barbès. 18 décembre.

1853

     CCCLX. A M. Théophile Sylvestre. 6 janvier.
    CCCLXI. A M. Charles Duvernet. 30 janvier.
   CCCLXII. A S.A. le prince Napoléon (Jérôme). 8 février.
  CCCLXIII. A Maurice Sand. 16 février.
   CCCLXIV. A M. et madame Ernest Périgois. mars.
    CCCLXV. A M. Sully-Lévy. juin.
   CCCLXVI. A Maurice Sand. 25 septembre.
  CCCLXVII. A madame de Bertholdi. 28 octobre.
 CCCLXVIII. A Maurice Sand . 13 décembre.
   CCCLXIX. A Joseph Mazzini. 15 décembre.

FIN DE LA TABLE DU TOME TROISIÈME.

End of Project Gutenberg's Correspondance, Vol. 3, 1812-1876, by George Sand

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