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Correspondance, 1812-1876 — Tome 4

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CDLXXXVII

A MAURICE SAND, A BORD DU JÉROME-NAPOLÉON

Nohant, 27 juillet 1861.

Cher enfant,

Je crois bien que je t'écris toujours pour rien. Tandis que tes lettres sont en route pour Nohant, tu as tout le temps de dépasser la station que tu m'indiques pour y répondre. J'envoie donc à tout hasard. Je t'ai écrit bien des lettres que tu ne recevras peut-être jamais. Mais j'ai reçu, ce matin, celle que tu m'écrivais des Açores. Que te voilà donc loin, cher garçon! Et, à cette heure, combien de centaines de lieues de plus! Enfin tu te portes bien, tu as beau temps, tu vois les choses les plus curieuses et les plus intéressantes, je reçois tes lettres, je me dis que tu es heureux et je m'arme de tout le courage possible pour ne m'inquiéter de rien. Ma santé est très bonne, malgré un été affreux, tout pareil à celui de l'année passée. Ta soeur vient de partir, elle a passé un mois ici. Nous avons Alexandre Dumas fils et Bérengère. Nous parlons bien de toi, comme tu peux croire. Je travaille toujours comme un nègre. Tu sais que c'est preuve de santé. Je te bige mille fois.

L'Exposition est finie, les récompenses sont données; rien pour toi, ni pour Lambert, ni pour Manceau.

Je vas écrire à madame Villot pour tes aquarelles; mais je doute que son mari y puisse quelque chose. Je te bige encore; quand donc sera-ce pour de vrai? Mais sois tranquille et ne t'inquiète pas. Je suis raisonnable et si heureuse de ce qui te rend heureux! Dis au prince que je lui ai écrit plusieurs fois pour toi. J'ai écrit aussi à Ferri.

CDLXXXVIII

A M. ADOLPHE JOANNE, A PARIS

Nohant, 6 août 1861.

Cher Monsieur,

J'ai reçu vos Itinéraires et je vous remercie de votre bon souvenir. Mes compliments plus que jamais sur ces excellents travaux, qu'on lit encore au coin du feu comme des livres de voyage, après s'en être servi comme de guides. Ce sont d'immenses recherches et de fatigantes études, je le comprends. Tout honneur et mince profit. Mais l'honneur est grand. Un gouvernement vraiment progressif encouragerait, aiderait ou récompenserait de telles entreprises. Ma!…

Je suis heureuse d'apprendre que vous êtes mieux portant. Je suis à peu près guérie après mille petites rechutes qui ne m'ont pas empêchée de grimper sur toutes les montagnes de la Provence et de faire, en compagnie de votre Itinéraire, une course de quelques jours en Savoie. J'ai été ravie de ce pays-là. Si vous revenez quelque jour sur les environs de Toulon, j'ai pris là bien des notes et j'y ai vu des choses magnifiques, dont aucun Itinéraire ne fait mention.

Les gorges d'Ollioules seules sont connues. Mais combien d'autres scènes plus étranges et plus grandioses à peu de distance. Mes notes sont à votre service pour une autre édition.

A vous de coeur; bon courage et bonne santé, et, si vous revoyagez, souvenez-vous de l'auberge de Nohant.

G. SAND.

Je ne vous dis rien de la part de mon fils, vu que, de l'Afrique, il a passé en Amérique! Mon Dieu, que c'est loin!

CDLXXXIX

A MAURICE SAND, A BORD DU JÉRÔME-NAPOLÉON

Nohant, 11 août 1861.

Cher enfant,

J'ai reçu ta lettre d'Halifax, et aujourd'hui madame Villot m'écrit que votre navire a été rencontré par un bâtiment qui signale votre arrivée à New-York. Elle me dit que l'on peut vous écrire encore une fois. Où? elle ne me le dit pas plus que toi et je suis toujours réduite à écrire au hasard, me désolant de l'inquiétude que tu peux avoir et ne sachant pas si M. Hubaine t'a expédié mes lettres. Cette fois, j'envoie par madame Villot. Peut-être, des huit ou dix lettres que je t'ai écrites, en recevras-tu au moins une!

Dieu veuille que tu ne sois pas inquiet, cher enfant! Je serais bien fâchée de te gâter ce beau voyage par un tourment d'esprit. Je me porte bien et je me défends de toute inquiétude pour mon compte, voulant que tu me retrouves en bon état de santé morale et physique. Je reçois tes lettres, qui me donnent du calme et du courage. Que de choses tu auras vues! que de choses âme raconter! Je n'aime pas beaucoup les brouillards où vous errez cinq ou six jours, par exemple! Enfin il faut qu'il y ait de tout cela dans votre tournée d'aventures! Ce sont des souvenirs qui s'amassent pour toi, et j'espère que tu en tiens journal, pour les retrouver dans leur ordre, et me dire tout cela clairement. Je te suis sur la carte; mais comme ce sera plus joli quand tu seras là pour me tracer la route! Tu auras passé cette année par trente-sept sortes de temps avec des saisons tout à l'envers. Pendant que tu avais froid à Terre-Neuve, on cuisait ici, et, pendant que tu grillais en Afrique, nous grelottions dans nos habits d'été.

A présent, nous avons un été superbe et nous allons tous les jours à la rivière. Dumas y allait matin et soir. Il est parti, et nous partons nous-mêmes demain pour Gargilesse (deux ou trois jours).

Nous n'avons rien de nouveau au pays. Dans la maison, rien de changé; car le mariage du jardinier et de la cuisinière n'a rien modifié au personnel. Je travaille toujours dans le même local, sauf qu'il est propre et gentil et commode. Je fais toujours de la botanique quand j'ai le temps. Nous avons eu Bérengère deux fois et elle reviendra encore. Il y a du nouveau très étrange, très heureux pour elle dans sa vie. Je te conterai ça. Solange est à Paris ou à Spa, on ne peut pas savoir.

Madame Villot a reçu des lettres de New-York: j'espère en avoir une de toi demain en passant à la Châtre. Les vieux Vergne sont venus la semaine dernière et m'ont beaucoup parlé de toi. Tout le monde t'aime et te bige. Et moi, cher enfant, je te bige mille fois et je t'aime de toute mon âme.

CDXC

A MADAME PAULINE VILLOT, A PARIS

Nohant, 11 août 1861.

Chère cousine,

Merci des bonnes nouvelles que vous me donnez. J'espère en avoir aussi demain, car cela m'arrive toujours le lendemain de votre avertissement et vous êtes bien aimable et bien-bonne de me le donner toujours. J'avais reçu une lettre d'Halifax et, jusque-là, Maurice n'avait rien reçu de moi, il était assez inquiet. Je ne sais vraiment pas si M. Hubaine s'occupe de lui expédier mes lettres, puisque Maurice me dit que tout le monde en reçoit, excepté lui. Je vous en envoie donc une, espérant que, par vous, elle arrivera, puisqu'il est écrit que vous me portez bonheur! Vous savez sans doute qu'ils ont eu d'épais brouillards et qu'ils ont dû s'arrêter deux ou trois fois le long de Terre-Neuve. Maurice trouve pourtant qu'on voyage trop vite et que le prince traverse tout comme un boulet de canon. Il n'a pas le temps de ramasser des plantes et des insectes. Il est vrai qu'il me faisait le même reproche à Toulon dans nos promenades, et Dieu sait si j'ai rien de commun avec les allures d'un projectile!

Nous avons reçu le manuscrit de Dumas, lequel Dumas est parti hier. Je ne sais pas si nous pourrons jouer cela, à cause des costumes et de la richesse du local qui nous manquent; ça demande réflexion. En attendant, nous montons une petite pièce de moi qui va paraître dans la Revue des deux mondes et qui a été écrite pour le théâtre de Nohant. Lucien y a un rôle; mais, comme il apprend plus vite que Marie et Auguste, il suffira qu'il nous arrive le 20, ainsi que vous nous l'accordez. Il y a sur le chantier une autre pièce où il aura un rôle très étendu. Il a une si belle mémoire, qu'on peut en profiter. J'espère que le plaisir de voir ce cher enfant et ceux d'ici, jeunes et vieux, s'amuser, me donnera calme et patience pour attendre mon absent.

A vous de coeur, chère cousine.

G. SAND.

CDXCI

A M. ALEXANDRE DUMAS FILS, A PARIS

Nohant, 11 août 1861.

Mon enfant,

Nous avons reçu des lettres pour vous, que Marchal vous expédie avec soin. Nous avons reçu aussi le Roi et la Reine. Nous ne pouvons pas jouer ça: nous manquons de costumes, de local surtout pour des gens de si haute volée. Nous vous renvoyons le manuscrit, pour que vous voyiez vous-même si ça pourrait aller à la Revue des deux mondes. Cela ne fait pas de doute pour moi, car c'est très joli. Mais peut-être aviez-vous raison de penser qu'il vaudrait mieux y débuter par quelque chose de plus important. La lettre de Buloz, qui était dans la mienne, sans enveloppe, et que j'ai lue, doit vous engager un peu; car il y a de la bonne foi et du vrai dans ce qu'il vous dit. Je ne vois pas d'inconvénient à lui accorder la lecture de votre roman quand il sera fini. Il n'est pas homme à le critiquer, quand même il n'oserait pas le publier; c'est-à-dire qu'on peut compter sur sa discrétion, d'autant plus qu'il a le désir de vous attirer et de se bien conduire avec vous.

Nohant est si grand depuis votre départ, que nous nous sauvons pour quelques jours dans la petite baraque de Gargilesse, où nous ne vous oublierons pas pour cela; car nous parlons de vous, du matin au soir. Nous nous questionnons pour savoir quand et comment vous serez vraiment heureux, en dépit de tous vos bonheurs. Car c'est peut-être là tout le mal, une âme rassasiée! mais ça se renouvelle, une âme, une âme qu'est pas ordinaire, et nous invoquons sous toutes ses formes l'ange du renouvellement. Nous ne sommes pas forts dans nos théories ni dans nos imaginations; mais nous vous aimons, voilà ce qu'il y a de clair et de sûr.

Je ne sais si madame Villot vous a écrit. Elle ne me dit absolument rien, sinon qu'elle a envoyé exprès à Paris une personne pour chercher le manuscrit; c'est à vous de savoir si vous voulez le lui rendre au cas où elle le redemanderait, ce que je ne crois pas d'après son silence sur votre compte. Dans tous les cas, vous devriez faire faire une copie pendant que vous tenez l'original.

En attendant de vos nouvelles et la repromesse de votre retour, nous nous mettons deux pour vous embrasser tendrement. Marie vous fait une belle révérence.

G. SAND.

CDXCII

A MAURICE SAND, A BORD DU JÉROME-NAPOLÉON

Nohant, 1er septembre 1861.

Je vois à tes lettres que, tout en rendant justice aux Américains, tu éprouves parmi eux un étonnement mêlé de malaise, et que cette grande question de la liberté individuelle, à laquelle tu n'avais peut-être pas beaucoup réfléchi encore, se présente à toi grosse d'orages sur cette terre de l'individualisme. Je ne sais pas ce que tu concluras à ton retour; mais je peux te dire ce que je conclus dans mon coin en fermant un très beau livre qui, pour moi, résume tout le coeur et toute l'intelligence de l'Amérique. C'est le livre du pasteur américain unitariste Channing.

Peut-être vas-tu traverser trop vite la patrie de cet homme remarquable pour entendre parler de lui ou du moins pour juger de l'influence qu'il a pu exercer sur les esprits. Je dois donc te le résumer en deux mots:

La raison, premier et principal guide de l'homme;

La liberté individuelle, premier devoir et premier droit de l'homme.

Cela paraît sec, présenté ainsi, et tu seras très étonné, quand tu liras ce philosophe, de trouver en lui un enthousiasme de charité extraordinaire, une éloquence partant du coeur, enfin toutes les qualités d'un véritable apôtre.

Mais tu feras comme moi, tu voudras conclure, et tu verras, en concluant, que cet homme sincère est un apôtre stérile et ce coeur d'or un coeur qui se trompe.

Channing prêche une seule et simple doctrine, l'Évangile. De là une admirable et excellente tolérance. Lui protestant, il admet à sa communion tous les dissidents, même les catholiques. Il ouvre le temple unitaire de la foi et du salut éternel à tout homme, quel que soit son culte, qui veut y entrer avec cette courte formule: «J'aime Dieu et mon prochain, dans l'esprit du Christ.»

Il n'exige pas que l'on croie à la divinité de Jésus si la raison s'y refuse, et n'admet point qu'on raille celui dont la raison admet cette divinité. Il veut que le plus croyant et le moins croyant s'aiment l'un l'autre, tout en aimant Dieu, qu'ils ne se damnent pas, qu'ils ne se contrarient pas, et que nul ne se mêle de leurs affaires. Si cela est possible, rien de mieux; mais Channing a-t-il trouvé le chemin vers ce temple de la raison et de la liberté soutenues par la foi?

Certes, il dit tout ce qu'on peut dire de beau, de bon et de bien pour y amener les hommes; mais il étend cette tolérance à tous les actes de la vie civile et politique. Peu importe, selon lui, la forme, le nom, l'essence du gouvernement. Aucune loi ne l'embarrasse; tout lui paraît possible, si les hommes ont l'esprit de charité et l'esprit d'examen. C'est vrai; mais; s'ils ne l'ont pas, il faudrait pourtant le leur donner, et, depuis que le monde est monde, c'est par des institutions qu'on a rêvé ou essayé de former les individus et d'élever le sens moral des sociétés; depuis que le monde est monde, le niveau général a été très au-dessous des conceptions des grands esprits qui ont entraîné et enthousiasmé les masses. A preuve, tout d'abord, Jésus crucifié.

D'ailleurs, à quoi bon des institutions? Si Channing est logique, il ne fallait pas dire: «N'importe quelles institutions.» Il fallait aller droit au fait et dire: «Aucune espèce d'institution.»

Et tu vas voir qu'il le dit:

«L'individu est plus que l'État. Il n'est pas fait pour se dévouer et se sacrifier à l'État: c'est l'État qui doit se dévouer à lui et le protéger; l'État n'est institué que pour garantir et respecter les droits de l'individu.»

Voilà donc la loi et les prophètes; voilà l'essence de l'unitarisme, et, dans ce sens, unité ne signifie plus en religion le Soyez tous en un de Jésus-Christ; encore moins l'unité politique et nationale que poursuit l'Italie et que rêvent les autres nations asservies de l'Europe. Cela signifie tout simplement: «Chacun pour soi et Dieu pour tous!» Or je défie Dieu lui-même, Dieu qui est la logique même, d'être pour deux partis contraires, à plus forte raison pour les milliards de partis contraires qui divisent l'humanité, morcelée en milliards d'individus. Heureusement Dieu nous voit de haut, Dieu sait attendre, Dieu ne prend pas parti dans nos querelles et il est pour nous tous en ce monde, en ce sens seulement qu'il est pour tous ceux qui cherchent sa lumière.

Quant à l'État, qui n'est-pas Dieu, il faut pourtant bien qu'il cherche à imiter Dieu dans sa logique, sa patience, sa protection universelle, sa douceur et sa prévoyante fécondité. Qu'il laisse toute la liberté possible à l'individu et qu'il se dise à lui-même que c'est là un de ses principaux devoirs, oui, certes!—mais il ne peut pas être Dieu; qu'il s'appelle république, roi ou pape, il ne peut pas agir à la manière de Dieu, qui nous attend dans l'éternité, et pour toute l'éternité. Il ne peut abandonner les individus à l'impunité apparente où Dieu nous laisse, et, comme il agit, lui, l'État, dans le temps et dans l'espace limités, il n'a pas découvert, il ne découvrira pas le moyen de nous laisser tous libres d'une manière absolue, à moins que nous ne soyons tous parfaits.

«Soyez-le! répondrait Channing. Aimez-vous les uns les autres.»

Oui, cent fois oui! mais c'est commencer par la fin le beau roman de l'avenir. D'autres protestants du passé, les hussites taborites, avaient dit: «Un temps viendra où il n'y aura plus ni lois ni autorités dans la ville sainte.»

Je le crois aussi, ce temps viendra. Nous sommes à peine arrivés à la première aube de notre existence intellectuelle et morale. L'Évangile de saint Jean sera un jour aussi clair que le soleil, et nous nous aimerons les uns les autres parce que nous serons bons et raisonnables. Nous n'aurons plus besoin de rois ni de papes, ni même de républiques. Personne ne prêchera plus la loi, qui sera dans tous les coeurs; personne ne commentera plus la Bible pour demander à son examen la règle de sa conduite. Nous serons tous des anges dans la ville sainte.

Mais où est-elle? dans une autre planète, ou dans celle-ci? Pourquoi pas dans une autre? Notre âme est libre, donc elle est immortelle et peut aller dans tous les mondes. Et pourquoi pas dans celle-ci? Nous avons la notion de la perfectibilité et nous pouvons transformer, diviniser presque le monde où nos générations se succèdent en se léguant leurs travaux et leurs conquêtes.

Mais nous sommes loin du but, et, si l'idéal de Channing est beau et grand, s'il est réalisable,—j'en suis persuadée,—il ne l'est pas par la doctrine de l'individualisme. Cela, je le nie de toute ma conscience, de tout mon coeur et de toute ma foi.

Channing s'est trompé et beaucoup d'Européens, séduits par l'audace de ce coeur optimiste, enthousiaste et léger, ont aimé cette tolérance religieuse qui était l'oeuvre de notre XVIIIe siècle français.

CDXCIII

A M. VICTOR BORIE, A PARIS

Nohant, 8 septembre 1861.

Eh bien, bravo, mon bonhomme! c'était affreux de se condamner à vieillir seul, et, d'ailleurs, tu trouves une personne de mérite; on en a toujours quand on est aimé pour soi. Elle t'accepte, c'est qu'elle t'aime aussi; elle n'a rien, mais tu travailles; tu te sens beaucoup de dévouement et d'affection, puisque tu ne recules pas devant une vie sans repos et sans égoïsme. Moi, j'approuve tout cela; c'est dans mes idées et je voudrais que mon fils eût la sagesse d'en faire autant. J'aimerai ta femme comme je t'aime tu peux y compter. Amène-la bientôt à Nohant, où elle sera reçue avec la plus vraie sympathie. On ne te nichera plus au pavillon et on ne te fera plus enrager, puisque le mariage aura fait de toi un homme sérieux. Manceau t'embrasse et t'approuve; je ne parle encore de ton mariage qu'à lui, ne sachant pas si tu veux qu'on le sache dès à présent.

Maurice doit être au Niagara ou au lac Supérieur, bien plus loin; il se porte bien et il est content. Nous allons commencer nos comédies; nous n'avons pas Lucien, qui, heureusement pour lui, a trouvé un emploi; ni la famille Luguet: la pauvre Caroline a été bien malade et ne peut bouger. Mais nous nous arrangerons tout de même et nous aurons, comme tu vois, un appartement à ta disposition.

A toi de coeur.

G. SAND.

CDXCIV

A MAURICE SAND, A BORD DU JÉROME-NAPOLÉON

Nohant, 22 septembre 1861.

On dit que vous arriverez du 25 au 27! Je n'ai pas de tes nouvelles depuis Cleveland, et juge si je suis impatiente de te savoir à Paris! Je commence à être au bout de mon courage et à ne plus dormir. Cher enfant, si tu ne viens pas tout de suite, écris-moi un mot de Paris. Je ne sais pas du tout où vous débarquerez. Comme c'est effrayant; cette grande traversée dont on ne peut rien savoir!

Tâche de venir ici pour le 30 au matin. On joue la comédie le soir, on serait si heureux! Et, si tu peux venir plus tôt, songe que j'ai été bien sage de ne pas me désoler, mais que ma vaillance, à moi, menace de faire naufrage au port.

Je te bige mille fois.

CDXCV

A M. ARMAND BARBÈS, A LA HAYE

Nohant, 4 octobre 1861.

Mon ami,

On nous dit que votre santé, loin de s'améliorer, est devenue plus mauvaise, et que votre médecin juge le climat de la Hollande très pernicieux pour vous. Je dois vous dire, à l'insu de votre soeur, qu'à cause d'elle, si ce n'est à cause de vous-même, vous feriez bien, vous feriez votre vrai devoir, en rentrant en France. En vous laissant mourir, vous la tuez; en revenant auprès d'elle, vous pouvez guérir tous les deux.

Il n'est pas possible que vous prononciez la condamnation d'une soeur comme celle que Dieu vous a donnée. Laissez-moi vous dire que ce serait sacrifier le coeur à la tête, le devoir au fanatisme, et que vos vrais amis en seraient consternés. Revenez, la Providence vous en donnera la force dès que vous aurez écouté et reconnu sa voix; vous savez; ces voix d'en haut font des miracles!

A vous de toute mon âme.

GEORGE SAND.

CDXCVI

A MADAME PAULINE VILLOT, A PARIS

Nohant, 10 octobre 1861.

Chère cousine,

Vous êtes bonne comme un ange de m'avoir donné cette bonne nouvelle. Ah! pourvu qu'ils arrivent sans accident! Enfin je compte sur vous pour nous porter bonheur, comme toujours. Oui, je vous attends le 24, avec tous ceux de vos enfants que vous voudrez m'amener, et Lucien absolument! La maison est toute à vous, je n'ai plus personne ici que Marie Lambert.

Je vous embrasse tendrement. Poussez-moi Maurice en avant, le plus vite possible; je deviens un peu folle.

G. SAND.

Dites au prince de ne pas nous refuser Lucien pour huit jours; vous savez que nous avons une revanche à prendre avec le mélodrame, où il est indispensable. Que de choses depuis un an, dans ma vie! Il faut que nous fassions la paix avec la destinée, qui m'a si bien secouée de toutes façons!

CDXCVII

A MAURICE SAND, A BORD DU JÉROME-NAPOLÉON

Nohant, 10 octobre 1861.

Madame Villot m'écrit aujourd'hui que tu dois être au Havre aujourd'hui 10! que tu seras probablement à Paris le 11.

Enfin! enfin! Qu'il me tarde de te savoir arrivé réellement et de te voir, et de te biger! Peut-être auras-tu besoin de passer deux ou trois jours à Paris. Fais-les les plus courts possible; car, depuis un mois, je suis un peu bête. J'ai eu bien du courage jusque-là; mais tu sais que dans une course, les derniers moments, quand on approche du but, sont les plus difficiles. Tu trouveras à Paris une autre lettre de moi que je t'avais écrite, croyant que tu arriverais le 25.

Mais j'ai reçu tes lettres de Saint-Louis, du Niagara et de New-York au retour de Québec, et j'ai repris patience. Tu es bien gentil de m'avoir écrit de partout. Ça m'a soutenue jusqu'à présent. Je t'espère au plus tard le 15: nous jouons le 16 ou le 17 une comédie, de moi. Tu sauras qu'à présent, les plus réussies de nos pièces vont dans la Revue; après quoi, les théâtres me les demandent. Voilà ce que c'est que le caprice des directeurs.

Tu dois être las de la mer mon pauvre enfant, et avoir du roulis dans les jambes; j'espère que vous aurez eu beau temps. Si tu ne tardes pas trop à arriver, tu trouveras ici la chaleur du mois d'août, qui n'a pas cessé de tout l'été. C'est un temps exceptionnel; nous sommes en habits d'été.

Que de choses tu vas avoir à me raconter! J'ai acheté une superbe carte d'Amérique, où tu pourras retrouver et me faire suivre tout ton voyage.

Je te bige mille fois. Tout le monde est en fête. J'ai rêvé toute la nuit que tu étais arrivé.

Enfin! enfin!

CDXCVIII

A M. CHARLES PONCY, A TOULON

Nohant, 20 octobre 1861.

Enfin, Maurice est revenu sain et sauf et je le tiens depuis huit jours! Il en a mis sept pour faire la traversée de Terre-Neuve à Brest. Il a vu les grands lacs, la grande prairie, les sauvages, le Niagara, les aurores boréales dans le Nord, les brumes de Terre-Neuve, les jardins du Midi pleins de colibris, les champs de bataille, les camps des deux armées, les forêts vierges, que sais-je! C'est une course au clocher, mais, en somme, une course bien intéressante, et il est très content de son voyage.

Il est fort comme un Turc; il a passé brusquement par tous les climats et tous les régimes, sans avoir la plus légère indisposition.

Vous jugez si je suis contente, moi! Je commençais à manquer un peu de courage et de force physique. Je me remets et je vais reprendre mon travail.

Et vous, vous avez bien trotté par cette chaleur! nous en avons eu aussi une fière dose: 35 degrés centigrades à l'ombre pendant tout l'été et encore 25 à présent; une sécheresse fâcheuse pour nos cultures; mais que j'aime bien pour ma consommation personnelle; pas un souffle de vent, et un ciel aussi bleu que le vôtre.

J'ai reçu, par madame Trucy, de bonnes nouvelles de sa famille et de Tamaris. Tout y va bien, même le cher Bou-Maza, dont vous nous avez fait porter le deuil je ne sais pas pourquoi.

Il y a bien longtemps que je veux vous écrire; mais j'ai tant de monde en septembre et en octobre, qu'il n'y a pas moyen de causer avec les absents. La maison ne peut pas désemplir. Mais, en novembre, tout file et on reprend les occupations raisonnables.

CDXCIX

A M. ALEXANDRE DUMAS FILS, A PARIS,

Nohant, 7 novembre 1861.

Mon cher fils,

Si ma dédicace vous fait plaisir[1], je suis assez remerciée par ce fait-là, sans que vous me disiez un mot. Vous m'avez donné à Nohant un gros baiser, ça disait tout. On veut que je sois un personnage. Moi, je ne veux être que votre maman. Vous avez du coeur, puisque vous m'aimez, et je ne vous demande que ça. Je ne me suis jamais aperçue de ma supériorité en quoi que ce soit, puisque je n'ai jamais pu faire ce que j'ai conçu et rêvé, que d'une manière très inférieure à mon idée. On ne me fera donc jamais croire, à moi, que j'en sais plus long que les autres. Restée enfant à tant d'égards, ce que j'aime le mieux dans les individualités de votre force, c'est leur bonhomie et leur doute d'elles-mêmes. C'est, à mon sens, le principe de leur vitalité; car celui qui se couronne de ses propres mains a donné son dernier mot. S'il n'est pas fini, on peut du moins dire qu'il est achevé et qu'il se soutiendra peut-être, mais qu'il n'ira pas au delà. Tâchons donc de rester tout jeunes et tout tremblants jusqu'à la vieillesse, et de nous imaginer, jusqu'à la veille de la mort, que nous ne faisons que commencer la vie; c'est, je crois, le moyen d'acquérir toujours un peu, non pas seulement en talent, mais aussi en affection et en bonheur intérieur.

Ce sentiment que le tout est plus grand, plus beau, plus fort et meilleur que nous, nous conserve dans ce beau rêve que vous appelez les illusions de la jeunesse, et que j'appelle, moi, l'idéal, c'est-à-dire la vue et le sens du vrai élevé par-dessus la vision du ciel rampant. Je suis optimiste en dépit de tout ce qui m'a déchirée, c'est ma seule qualité peut-être. Vous verrez qu'elle vous viendra.

A votre âge, j'étais aussi tourmentée et plus malade que vous au moral et au physique. Lasse de creuser les autres et moi-même, j'ai dit un beau matin: «Tout ça m'est égal. L'univers est grand et beau. Tout ce que nous croyons plein d'importance est si fugitif, que ce n'est pas la peine d'y penser. Il n'y a dans la vie que deux ou trois choses vraies et sérieuses, et ces choses-là, si claires et si faciles, sont précisément celles que j'ai ignorées et dédaignées, mea culpa!—mais j'ai été punie de ma bêtise, j'ai souffert autant qu'on peut souffrir, je dois être pardonnée. Faisons la paix avec le bon Dieu.»

Si j'avais eu de l'orgueil incurable, c'était fait de moi; mais j'avais ce que vous avez, j'avais la notion du bien et du mal, chose devenue très rare en ce temps-ci, et puis je ne m'adorais pas, et je me suis, oubliée. Rien ne s'oppose en vous à la guérison: vous n'êtes pas vain, vous n'êtes pas sot, vous n'êtes pas lâche, et, comme le succès, qui malheureusement engendre très souvent ces trois vices, ne vous a pas changé, l'avenir est encore à vous! Soyez-en sûr. Dans dix ans, vous me direz que j'ai eu raison de croire en vous.

Les Villot achèvent de partir lundi matin; dimanche soir, nous jouons la pièce de Ruzzante. Demain, Marchal s'essaye aux marionnettes avec Maurice. Nous tâcherons de le garder un peu, pour que vous le trouviez encore ici; car nous vous espérons bientôt et même tout de suite. Hein? Vous l'avez promis, on y compte, on vous attend.

Ne nous oubliez pas auprès des châtelaines.

[1] La dédicace du Drac.

D

AU MÊME

Nohant, 20 novembre 1861.

Il y a des siècles que je n'ai causé avec mon grand fils. Il ne faut pourtant pas qu'il croie que je l'oublie, et que je suis privée de le voir sans murmurer. J'en veux aux amis qui vous empêchent de venir et pourtant j'aime ceux qui vous aiment. Comment arranger ça? Le mieux est de ne pas chercher à l'arranger; c'est l'unique solution des choses insolubles, la destinée vient toujours s'en charger; mais je la tourmente, cette destinée, pour qu'elle vous ramène ici. Nous avons fini de jouer la comédie; Marie Lambert est retournée à son Gymnase, et pourtant nous avons encore une velléité de trucs et de pièces fantastiques.

Peut-être, quand vous viendrez (vous avez promis au plus tard pour le mois prochain), recommencerons-nous un peu nos bêtises. Nous espérons le gai Lambert; en ce moment, nous tenons Borie et sa jeune femme, un gros tourtereau avec sa pigeonne fluette et sérieuse. Nous ne les tenons que pour huit jours. D'autres que vous ne connaissez pas vont et viennent. Mais le grand regret, c'est d'être forcé de laisser partir votre gros ami Marchal. Je ne sais comment ce mastodonte s'y est pris, mais il s'est fait adorer de tout le monde, à commencer par moi. Il est vrai qu'il nous a beaucoup gâtés. Il nous a fait, à tous nos portraits, merveilleux, charmants comme dessin, et d'une ressemblance que les portraits n'ont jamais eue. Il ne se doutait pas de ça, lui; il est tout étonné d'avoir réussi. Il repart dans deux jours pour voir sa mère, qui s'impatiente, et pour s'envoler ensuite en Alsace. Je ne me rappelle plus si vous étiez ici quand il a fait ses deux esquisses de tableaux alsaciens. C'est très remarquable. Il ne connaît pas la peinture; mais il dessine joliment bien. C'est un contraste à étudier que cette grosse nature faisant si délicatement des choses si élégantes. Les Flamands n'expliquent pas ça; car, s'ils ont le fini des détails, ils n'ont pas la grâce des types.

Que vous dirai-je de moi? Rien d'intéressant. J'ai flâné d'une manière insensée, regardant la première page d'un roman commencé et me laissant distraire par mille autres rêveries. Ça ne fait rien, le temps où l'on s'amuse, psychiquement parlant, n'est pas tout à fait perdu. On vous attend pour retrouver un peu de sens commun littéraire. Je crois que c'est le Drac qui est venu tout de bon se glisser dans nos jeux pour nous empêcher de faire rien qui vaille. Vous me disiez que, de votre côté, ça n'allait pas, le Villemer. A l'heure qu'il est, je suis sûre que ça va très bien ou que ça a rété très bien, et puis mal et puis mieux. Il n'y a rien de plus changeant que le temps qu'il fait dans nos cervelles d'auteur; mais, pour ceux qui ont du vrai soleil derrière leurs nuages, ça n'est jamais inquiétant.

Pourvu que vous reveniez bientôt, on est content et on se console de tous les départs. Mais ne nous dites pas que vous ne pensez plus à nous et que vous ne nous aimez pas comme nous vous aimons. On vous embrasse en masse, et on envoie de bons souvenirs autour de vous.

G. SAND.

DI

A M. ARMAND BARBES, A LA HAYE

Nohant, 1er décembre 1861.

Mon ami,

Calmez-vous et soignez-vous. Quelque décision que vous preniez, vous savez bien qu'on vous chérit toujours. Ne m'écrivez pas maintenant: j'ai vu, à votre écriture, que cela vous fatigue. N'établissez pas de combat douloureux dans votre âme; reposez-vous, guérissez, et, quand vous verrez bien clair devant vous, vous reviendrez, j'en suis sûre. Vous êtes entre le devoir politique et le devoir du coeur. Vous mettez le premier au-dessus de tout. Oui, quand il est net et bien tracé. Mais, ici, il ne l'est pas, vous le reconnaîtrez si vous ne prenez conseil que de la conscience, sans vous occuper de l'opinion, qui, d'ailleurs, serait ici pour vous.

Dieu vous donne force et guérison pour ceux qui vous aiment! Pour vous, en quelque sphère de l'univers que vous soyez, vous y serez heureux et calme; mais pensez un peu à nous, qui avons peut-être encore besoin de vous.

A vous bien tendrement et fraternellement.

G. SAND.

DII

A M. CHARLES DUVERNET, A NEVERS

Nohant, 7 décembre 1861.

Mon cher ami,

J'ai enfin trouvé une nuit de loisir pour lire ton roman. Je le trouve bien; la copie qui, cette fois, est très bonne, m'a permis de le lire sans fatigue.

Le sujet est joli et bien soutenu. Les personnages se comportent bien d'un bout à l'autre, et parlent plus naturellement que de coutume, sauf la tirade descriptive du jeune abbé à sa tante, que je trouve hors de place et détruisant la couleur simple et vraie de ces personnages rustiques. On peut remédier à cet inconvénient en prenant un biais; par exemple: «Emile voyait pour la première fois la poésie des choses qui l'entouraient, le pré, le soleil, la rêverie;» tout ce que tu voudras, mais c'est l'auteur qui parle; et puis tu ajouteras qu'il «exprimait à sa tante toutes ces émotions nouvelles dans un langage plus poétique et plus élevé que de coutume, dont elle fut frappée, et elle lui dit,» etc., etc.

Benoît est un excellent personnage que l'on aime et qu'il n'est pas nécessaire de faire si laid. Laisse-le pas beau, mais sans accuser trop sa disgrâce, puisqu'au bout du compte il épouse. J'approuve ses boucles d'oreille et son parapluie; mais je trouve qu'il en abuse. Une plaisanterie trop répétée n'est pas drôle à la lecture; trois rappels de ce parapluie suffiraient: Enfin, quelques longueurs de développement à faire disparaître, quelques négligences de style à revoir.

Ne pas toucher aux combats intérieurs du jeune séminariste. Cette partie-là est la meilleure. Tu vois que je ne critique aucunement le fond; c'est ce que tu as fait de mieux conduit et de plus sagement terminé; il y a de l'intérêt, de la vérité, et tous les personnages sont bons.

As-tu été en relations avec M. Nefftzer, qui était à la Presse et qui dirige à présent le Temps? Si tu ne lui as rien offert et rien envoyé, je pourrais lui parler de ce roman avec un certain détail et le lui proposer.

Réponds-moi tout de suite. J'embrasse Eugénie et toi de tout coeur.

G. SAND.

DIII

A M. CHARLES PONCY, A TOULON

Nohant, 28 décembre 1861.

Un mot seulement aujourd'hui, cher enfant. C'est le moment des masses de lettres à lire et à écrire, pas toutes amusantes et on manque de temps pour les meilleures.

J'ai lu le poème, qui est très bon et très touchant. J'ai fait, sur le chant cinquième, quelques observations que je recopierai au premier jour pour vous les envoyer. Le temps des vers est fini, c'est vrai, et cela n'est plus ni retentissant ni lucratif. Il n'y a plus que Victor Hugo qui se fasse écouter.

Mais, si vous pouvez encore vous faire éditer par souscription, il ne peut nuire à votre réputation d'être lu et goûté par vos compatriotes, et par le petit nombre de gens disséminés partout, qui s'intéressent encore à la poésie.

Pourtant, je vous dirai aussi qu'il ne convient peut-être plus à votre position de demander des souscripteurs. C'est bien quand on est très jeune et très pauvre. Plus tard, c'est moins bien. On peut dire au poète: «Vous avez quelques sous d'économie, payez votre gloire.»

Et je ne vous conseille pas d'entamer ces économies, avenir de votre fille, pour payer la fumée d'un succès bien restreint et bien éphémère, par le temps qui court. Achetez plutôt la barque, tout en chantant la mer. Vos poésies ne perdront pas pour attendre. Ces mauvais jours d'indifférence, vous êtes encore assez jeune pour les voir passer.

Merci pour les souhaits; mon coeur vous les renvoie et vous bénit.

A SOLANGE PONCY

Bonjour et bon an à ma bonne Désirée, et à ma chère Solangette. Vous êtes bien gentilles de m'écrire; mais c'est bien laid à la petite maman d'être malade. Heureusement, Solange va la ressusciter, au premier de l'an, par de vives caresses et des souhaits charmants. Je bénis la mère et la fille, moi, la grand'-mère, et je les embrasse de toute mon âme.

A ANAIS

Merci, ma mignonne Anaïs, de votre bon souvenir. Je ne suis pas votre bienfaitrice: je suis une amie qui vous est dévouée et qui vous prie de l'aimer. Voilà tout.

Une bonne poignée de main au cher père et à Baptistin, et bonne santé, bonne chance à vous tous!

DIV

A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JEROME) A PARIS

Nohant, 7 janvier 1862.

Cher prince,

Nous avons été heureux plus que des rois, de la bonne nouvelle annoncée dans les journaux, et nous avons passé toute la journée à faire des romans sur ce fils ou sur cette fille que le ciel vous promet. Venir de vous, et du grand Napoléon aussi, par conséquent, de l'héroïque Victor-Emmanuel et de sa fille, qu'on dit adorable, ce n'est pas une petite chance, et on ne peut pas être un esprit ni un coeur comme tout le monde. Pourvu que cet être-là ait une destinée assortie à sa valeur! nous étions tous les trois à deviser en dînant, et nous nous sommes lâché du vin de Champagne pour boire à sa santé et à son destin, et nous avons dit toute sorte de choses que je ne veux pas vous redire dans une lettre, mais que vous devinez bien.

J'ai envoyé à Buloz la première partie du voyage de Maurice, qui ne traite que du temps qu'il a passé seul à Alger; c'est amusant, mais sans intérêt direct pour vous. Il achève la seconde partie, qui vous sera envoyée avant d'être remise à Buloz; mais la première partie est accompagnée d'une petite préface de moi que Buloz vous portera ou vous enverra s'il n'est pas malade,—car il l'est continuellement,—et qu'il n'imprimera qu'avec votre agrément. Si vous avez des observations à me faire, vous m'écrirez avec votre belle et bonne franchise, et je vous écouterai avec tout mon coeur.

Une chose me contrarie bien quand je parle de vous hors de l'intimité, c'est que vous soyez un grand personnage. Le monde est si sale et si plat; qu'on ne peut pas supposer qu'on aime un prince pour lui-même, et je suis forcée à une réserve que je n'aurais pas pour un camarade que j'aimerais beaucoup moins.

Ou bien, si on brave ces méprisables soupçons, comme, au bout du compte, on doit le faire quand on est fort de sa droiture, on a l'air de le faire par sotte vanité, et pour proclamer une amitié que les autres envient. Vous verrez si j'ai su passer à travers ces écueils. Républicaine toujours! mais, convaincue que vous seriez le meilleur chef d'une république, ou la meilleure compensation à une république impuissante à renaître, je me moque pour mon compte de l'accusation de trahison que quelques-uns ne m'épargnent pas; mais, à propos d'un travail aussi jeune et aussi riant que celui de Maurice, je n'avais pas à faire une profession de foi, à tous égards intempestive; je me suis bornée à dire en deux mots que je vous aimais.

Accusez-moi d'un mot réception de cette lettre-ci; je vous dirai pourquoi. J'ai à vous écrire au sujet de la sûreté de mes lettres à vous. Ce sera pour un autre jour.

Bonsoir, cher grand ami; mon Dieu, que je vous souhaite de bonheur! Et comme vous aimerez votre enfant, vous qui avez si bien aimé votre père!

G. SAND.

DV

A M. ARMAND BARBÈS, A LA HAYE

Nohant, 8 janvier 1862.

Mon ami,

J'ai bien pensé à vous, et le jour de l'an encore plus que tous les autres jours. J'avais besoin de vous écrire et de vous dire que, je vous aime pour commencer saintement et dignement l'année. Mais la crainte de vous fatiguer m'a retenue. L'écriture de votre dernière lettre était altérée!

Cette fois, je retrouve la sûreté de votre belle écriture; c'est la première chose que je regarde, et vous me dites que vous êtes mieux! Dieu m'a entendue, cette fois, car je l'ai bien prié pour vous.

Un bonheur n'arrive pas seul: ma fille, dont j'étais inquiète aussi, va mieux et n'a rien de bien grave. Maurice est près de moi et travaille à des notes sur l'Amérique. Il a vu bien vite, mais assez sainement cette fausse démocratie, qui, en proclamant l'égalité et la liberté, n'a oublié qu'une chose, la fraternité, qui rend les deux autres richesses stériles et même nuisibles. Sa position un peu officielle de visiteur l'oblige aux ménagements du savoir-vivre, mais ses réticences en laissent assez deviner.

Le niveau des coeurs et des intelligences est, à ce qu'il paraît, encore plus abaissé là-bas que chez nous. Ils n'ont pas même l'instinct militaire, qui, chez nous, sait faire des prodiges pour les bonnes causes, quel que soit le drapeau. Enfin, il semble que Dieu se soit retiré d'eux pour châtier le forfait de l'esclavage, non aboli dans les préjugés et les moeurs.

Soignez-vous patiemment et généreusement à cause de nous, mon digne et cher ami, et, quand vous serez tout à fait bien, reprenez en vous-même cette question d'exil volontaire auquel mon coeur ne peut se résigner, pour nous.

Mon fils vous envoie ses tendres voeux, et je n'ai pas besoin de vous dire les miens. Je ne me plains de rien dans ma vie, puisque j'ai une amitié comme la vôtre.

GEORGE SAND.

DVI

A MADAME PAULINE VILLOT, A PARIS

Nohant, 22 février 1862.

Chère cousine,

Ayez du courage pour ceux qui vous aiment! ayez-en plus que moi, qui veux pourtant en avoir et qui retombe à chaque instant dans les larmes. Il est plus heureux que nous pourtant, lui[1]! il a monté d'un degré dans une phase plus épurée et moins douloureuse certainement que la cruelle vie où nous nous traînons, où nous ne sommes heureux que par l'affection, et où justement nous perdons la source de notre bonheur, nos enfants, nos parents, nos amis, au moment où nous comptons le plus qu'ils nous survivront. Ah! ce n'est vraiment pas vivre que d'être ainsi tous les jours à trembler ou à pleurer, et il y a quelque chose de mieux, ou bien tout n'est qu'un rêve, Dieu, la vie, et nous-mêmes.

Croyons; comptons sur une justice et sur une bonté en dehors de notre appréciation; moi, je ne pourrais pas ne pas croire; je sens si profondément que le départ de cet adorable enfant ne lui a rien ôté de mon affection et qu'il vit toujours pour moi, et auprès de moi, comme si je le voyais! vous devez sentir cela encore plus que moi, vous sa tendre mère. Il n'est donc pas parti, il ne nous a pas quittés. Il est invisible pour nous; mais il nous aime toujours, en quelque lieu et sous quelque forme qu'il existe.

Nous lui devons autant, disparu, que nous lui devions quand il était là. Aussi vous lui devez de vivre avec courage, de prendre soin de vous, et de vous conserver jeune et forte pour soigner ce pauvre père souffreteux, qui ne vit que parles soins de l'affection et son propre courage. Et l'autre enfant, si beau et si bon, lui aussi, a besoin que vous l'aimiez, et tant d'amis dévoués, et nous qui ne faisons qu'un coeur avec vous dans cette mortelle douleur!

Le prince en a été déchiré aussi; il m'a écrit une lettre désolée. Tout le monde l'aimait, ce cher être, si aimable et si expansif.

Maurice a été si bouleversé et si étouffé, que j'en ai été inquiète. Bonne amie, épanchez-vous avec nous; parlez-nous de lui, de Frédéric, de vous, et de Georges.

Pleurez, ne vous retenez pas. N'ayez pas de courage et de réserve avec nous; n'ayez de force que pour reprendre la vie de dévouement, et croyez que nous sommes à vous, Maurice et moi, corps et âme.

G. SAND.

[1] Lucien Villot.

DVII

A M. CHARLES DUVERNET, A NEVERS

Nohant, 21 février 1862.

Cher ami,

Tu sais quelle douleur nous a frappés. Tu connaissais peu cet enfant; mais tu as dû souvent nous entendre dire que c'était un coeur d'or. Sous le rapport de la tendresse, de l'expansion, de la franchise, il était vraiment exceptionnel, et, quand il nous a quittés, à Tamaris, nous pleurions tous sans savoir pourquoi. Nous nous demandions pourquoi nous l'aimions tant et avec un excès de sensibilité puérile.

Ce n'était pas une intelligence extraordinaire; du moins il ne se faisait remarquer encore que par une facilité extraordinaire, et, comme il avait une vitalité impétueuse et peu d'application à l'étude, on ne savait s'il deviendrait où non un homme distingué. Il était coeur des pieds à la tête, on peut dire; si aimant et si aimable, qu'on ne songeait pas à lui demander d'être autrement qu'il n'était. Il a eu une mort atroce, et c'est une amertume de plus dans nos regrets; mort atroce de souffrance, admirable de courage. Nous avons été brisés, ses pauvres parents, Ferri, le prince; c'est une consternation.

Mais je te parle de choses bien tristes; l'habitude de nous dire les uns aux autres tout ce qui nous arrive fait que j'abuse un peu; ne sachant, du reste, guère parler que de ce qui fait notre vie, et prenant mutuellement part aux joies ou aux douleurs de nos familles, nous nous racontons nos événements domestiques, et ceci en est un grand et profondément senti à Nohant.

Tu dois avoir lu avec intérêt le discours de Napoléon à ces ganaches du Sénat. C'est bon et bien à lui de tenir tête à cette réaction furieuse, et de vouloir pousser l'Empire dans la voie du vrai. Mais l'Empire entend-il de cette oreille? voilà la question!

Maurice s'est jeté dans la géologie; mais il a eu gros à secouer. Il pleure rarement et le chagrin l'étouffe. Il aimait Lucien comme son enfant. J'ai dû lui cacher une partie de mon chagrin. Enfin! je crois à l'autre vie. Sans cela! Mais la justice infinie réside quelque part, et, en étudiant la nature, on devient toujours plus convaincu que rien ne se perd. L'âme, bien autrement précieuse que la matière, ne se perd donc pas.

Cher ami, embrasse pour moi Eugénie, Anna, Berthe et Cyprien et toute ta chère famille. Donne-nous de vos nouvelles à tous et ne craignez pas de nous parler de vos bonheurs. Nous ne pensons pas qu'à ceux qui nous quittent, nous aimons d'autant plus ceux qui nous restent.

G. SAND.

DVIII

A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLEON (JÉRÔME), A PARIS

Nohant, 25 février 1862.

Oui, vous seul êtes franc et courageux dans cette officine d'hypocrisie. Ne vous laissez pas effrayer de tous ces cris, marchez toujours, cher prince, et soyez sûr que la vraie France est avec vous. Elle vous tiendra compte de ces fureurs que vous soulevez, et votre place est déjà marquée dans l'histoire du progrès comme un rayon de vérité perçant les ténèbres. Nos coeurs vous suivent et le mien vous bénit.

GEORGE SAND.

DIX

AU MÊME

Nohant, 26 février 1862.

Merci pour le numéro du Moniteur que vous avez eu la bonté de m'envoyer. Je ne vous avais lu que tronqué dans les autres journaux, quand je vous ai écrit hier au soir, et je vois que vous avez encore mieux parlé que je ne croyais. Votre discours est beau autant qu'il est bon, et, dans votre bouche, ces choses sont grandes et durables en retentissement. Vous ouvrez une grande tranchée.

La pensée du règne, comme on disait sous Louis-Philippe, vous y suivra-t-elle? que de réserve timide et un peu lâche, que de puéril modérantisme dans le talent parleur des orateurs du gouvernement!

L'empereur se fait admirer par sa prudence; mais peut-être croit-il nécessaire d'en avoir plus qu'il ne faut, et je vois avec une profonde inquiétude le développement effroyable de l'esprit clérical. Il ne sait pas, il ne peut pas savoir à quel point le prêtre s'est glissé partout et quelle hypocrisie s'est glissée aussi dans toutes les classes de cette société enveloppée dans le réseau de la propagande papiste. Il ne sent donc pas que cette faction ardente et tenace sape le terrain sous lui, et que le peuple ne sait plus ce qu'il doit défendre et vouloir, quand il entend son curé dire tout haut et prêcher presque dans chaque village que l'Église est la seule puissance temporelle du siècle? Ne serait-il pas temps de montrer qu'on peut braver le prêtre et ne pas perdre la partie? Croyez ce que je vous dis, le peuple est convaincu en ce moment que l'empereur est le plus faible et qu'il n'ose rien contre les hommes du passé. Or vous savez la triste défaillance des masses, quand elles croient voir défaillir le pouvoir quel qu'il soit.

L'empereur a craint le socialisme, soit; à son point de vue, il devait le craindre; mais, en le frappant trop fort et trop vite, il a élevé, sur les ruines de ce parti, un parti bien autrement habile et bien autrement redoutable, un parti uni par l'esprit de caste et l'esprit de corps, les nobles et les prêtres; et malheureusement je ne vois plus de contrepoids dans la bourgeoisie.

Avec tous ses travers, la bourgeoisie avait son côté utile comme prépondérance.

Sceptique ou voltairienne, elle avait aussi son esprit de corps, sa vanité de parvenu. Elle résistait au prêtre, elle narguait le noble, dont elle était jalouse. Aujourd'hui, elle le flatte; on a relevé les titres et montré des égards aux légitimistes dont on s'est entouré; vous voyez si on les a conquis! Les bourgeois ont voulu alors être bien avec les nobles, dont on avait relevé l'influence; les prêtres ont fait l'office de conciliateurs. On s'est fait dévot pour avoir entrée dans les salons légitimistes. Les fonctionnaires ont donné l'exemple; on s'est salué et souri à la messe, et les femmes du tiers se sont précipitées avec ardeur dans la légitimité; car les femmes ne font rien à demi.

Depuis un an, tout cela a fait un progrès énorme, effrayant, dans les provinces. Les prêtres font des mariages, ils font avoir des dots en échange de la confession. On a poursuivi des sociétés secrètes qui ne pouvaient rien, parce qu'on ne s'y entendait pas. La Société de Saint-Vincent-de-Paul est très unie, elle marche comme un seul homme, elle est la reine des sociétés secrètes. Elle a un pied partout, même dans les écoles, et la moitié des étudiants qui ont sifflé About n'ont pas sifflé le prétendu ami de l'empereur, mais l'ennemi bien avéré du cardinal Antonelli; ce que je vous dis là, je le sais.

Je crois qu'il est temps encore; mais, dans un an, il sera peut-être trop tard. La France a besoin de croire à la force de ceux qui la conduisent. On lui fait accepter les choses les plus inattendues par ce prestige. Quand on hésite, quand on s'arrête, elle crie aussitôt qu'on recule, elle le croit, et on est perdu.

Il est bien étrange que, républicaine, je vous dise tout cela, cher prince; peut-être ceux de mon parti, ou du moins peut-être quelques-uns croient-ils qu'il faudrait dire tant mieux. Eh bien, ils se trompent, ils ne peuvent relever la République et, sans s'en apercevoir, ils vont droit à la Restauration. Alors nous revenons de cent ans en arrière: l'Italie est perdue, la France avilie, et nous reprenons les charmants traités de 1815!

Si cela arrive de mon vivant, malgré le peu de forces qui me restera, j'irai plutôt vivre avec vos amis les Hurons que de vivre dans les parfums de la sacristie.

Cher prince, vous êtes dans le vrai: l'Empire est perdu, si l'Italie est abandonnée; car la question de l'avenir est tout entière. Vous l'avez dit avec coeur, avec talent et avec conviction. Puissiez-vous être entendu! Vous avez le vrai courage moral qui soulève toujours des tempêtes, c'est une gloire dont je suis fière pour vous.

GEORGE SAND.

DX

MADAME PAULINE VILLOT, A PARIS

Nohant, 27 février 1862.

Chère bonne amie,

Je ne veux pas vous laisser reposer de moi. Je veux, vous tourmenter de mes supplications, pour que vous surmontiez cette atroce douleur.

L'oublier? non, jamais! aucun de nous ne veut oublier celui que nous aimions tant. Mais il faut lui survivre avec énergie, afin que son autre vie soit heureuse et que le lien éternel entre nous et lui ne soit pas brisé. Se retrouver ailleurs est la récompense; pour la mériter, nous devons faire marcher ensemble le courage et le souvenir, le regret tendre et l'espérance vaillante; c'est ce que le vulgaire ne sait pas faire, c'est ce que vous saurez faire, vous, intelligence d'élite. Cher cousin Frédéric! il a besoin de vous, et ce pauvre bon Georges! quelle désolation autour de vous, quelle solitude dans leur vie si vous perdiez la force, le vouloir et la santé! Et cet excellent coeur si tendre, ce digne Ferri qui faiblit! Ah! je le comprends bien, il y a des moments où l'âme se déchire et se brise! mais pensons, aux autres, pensons toujours au bien que nous pouvons leur faire; car, heureux ou malheureux, nous avons toujours devant nous le devoir du dévouement qui reste le même, et dont aucune souffrance, si amère qu'elle soit, ne nous dispense.

Ah! comme il était aimé! toutes les lettres que je reçois sont pleines de lui. Jamais un homme si jeune n'a été si apprécié et si regretté; que ce soit pour vous une sorte de consolation: il n'a connu de la vie que ce qu'elle a de meilleur, l'affection qu'on éprouve et qu'on inspire. Je vous embrasse tendrement tous, et mes enfants, encore aussi, vous disent qu'ils vous aiment.

G. SAND.

DXI

A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉROME), A PARIS

Nohant, 5 mars 1862.

Cher prince,

Vous parlez avec un grand talent, ça ne m'étonne pas, moi, et je sais que cette éloquence vous vient du coeur. Mais tous ces cafards, comme ils vous en veulent! Est-ce qu'ils remporteront? est-ce qu'ils représentent la France aux yeux de l'empereur? Vous avez bien fait de protester d'avance contre l'hypocrite diplomatie du ministre-orateur. Cela nous laisse un peu d'espoir.

Au fond pourtant, je suis furieuse; vous ouvrez à la pensée du règne un courant qui peut tout sauver, et même tout laver dans l'histoire, et on semble fermer volontairement les yeux!

Mais je vous jure que l'Empire est perdu s'il continue à dormir ou à trembler, pendant que les vieux pouvoirs s'éveillent et que les prêtres travaillent. Tout le salut est en vous, en vous seul. Si la France est aussi aveugle que le pouvoir, nous aurons un atroce 1815 et ce qui s'ensuit.

Est-ce que tous ces vieux généraux dévots ne sont pas vendus d'avance?

Cher prince, allez toujours, tout le monde n'est pas ingrat. Le peuple intelligent n'est pas encore corrompu. La France ne peut pas se suicider. Que Dieu veille sur nous et qu'il soit toujours avec vous!

G. SAND.

Les Débats disent avec raison que vous parlez comme personne ne parle, je le crois bien! Vous seul croyez ce que vous dites.

DXII

A M. ALEXANDRE DUMAS FILS, A PARIS

Nohant, 10 mars 1862.

Vous êtes un bon fils d'aimer votre maman et d'aimer ceux qui l'aiment. Certainement ça me fait plaisir qu'on vous dise du bien de moi, et qu'on en pense, quand c'est des gens de coeur et de mérite comme ceux dont vous me parlez. Est-ce que ce M. Rodrigues n'est pas le frère d'Olinde Rodrigues, que j'ai beaucoup connu, et qui était dans les bons israélites avancés et d'assez belle force en philosophie progressiste?

Je ne sais pas si vous avez remarqué qu'avec les juifs, il n'y a pas de milieu: quand ils se mêlent d'être généreux et bons, ils le sont plus que les croyants du Nouveau Testament. Je suis très touchée de ce mariage d'E.H…. Voilà ce qui s'appelle faire du bien utile. Quand vous reverrez ces bienveillants lecteurs de George Sand, vous leur direz que des lecteurs comme eux me consolent de tant d'autres.

Moi, j'ai essayé, ces jours-ci, de devenir aussi un lecteur de ce pauvre romancier. Ça m'arrive tous les dix ou quinze ans de m'y remettre comme étude sincère et aussi désintéressée que s'il s'agissait d'un autre, puisque j'ai oublié jusqu'aux noms des personnages et que je n'ai que la mémoire du sujet, sans rien retenir des moyens d'exécution. Je n'ai pas été satisfaite de tout; il s'en faut. J'ai relu l'Homme de neige et le Château des Désertes. Ce que j'en pense n'a pas grand intérêt à rapporter; mais le phénomène que j'y cherchais et que j'y ai trouvé est assez curieux et peut vous servir.

Depuis un mois environ je ne m'étais occupée que d'histoire naturelle avec Maurice, et je n'avais plus dans la cervelle que des noms plus ou moins barbares; dans mes rêves, je ne voyais que prismes rhomboïdes, reflets chatoyants, cassure terne, cassure résineuse; et nous passions des heures à nous demander: «Tiens-tu l'orthose?—Tiens-tu l'albite?» et autres distinctions qui ne sont jamais distinctes pour les sens, en mille et un cas minéralogiques.

Si bien que, Maurice parti, cette étude qui, à deux, me passionnait, est retombée pour moi dans l'étude des choses mortes. Et puis j'avais perdu bien du temps et il fallait se remettre à son état. Mais, alors, votre serviteur! il n'y avait plus personne. George Sand était aussi absent de lui-même que s'il fût passé à l'état fossile. Pas une idée d'abord, et puis, les idées revenues, pas moyen d'écrire un mot. Je me suis rappelé vos désespoirs de l'été dernier. Ah! c'était bien autre chose. Vous n'êtes jamais tombé au point de ne pas pouvoir écrire trois lignes dans une langue quelconque; vous ne vous êtes jamais promené dans un jardin avec la monomanie insurmontable de ramasser tous les cailloux blancs pour les comparer les uns aux autres. Alors j'ai pris un ou deux romans de moi pour me rappeler que jadis—il y a six semaines encore—j'écrivais des romans. D'abord je ne comprenais rien du tout. Peu à peu, ça s'est éclairci. Je me suis reconnue, dans mes qualités et dans mes défauts; et j'ai repris possession de mon moi littéraire. A présent, c'est fini, en voilà pour, longtemps à ne pas me relire et à fonctionner comme une eau qui court sans trop savoir ce qu'elle pourrait refléter en s'arrêtant.

Quand vous retomberez dans ces crises-là, relisez le Régent Mutstel, et la Dame aux perles; ou la première venue de vos pièces, et vous vous repêcherez; car nous passons notre vie à nous noyer dans le prisme changeant de la vie, et le petit rayon que nous pouvons avoir en propre y disparaît bien facilement. Mais cela n'est pas mauvais, croyez-le. Se relire souvent, s'examiner sans cesse, se connaître toujours serait un supplice et une cause de stérilité.

Croyez bien que le père Dumas n'a dû l'abondance de ses facultés qu'à la dépense qu'il en a faite. Moi, j'ai des goûts innocents, aussi je ne fais que des choses simples comme bonjour. Mais, pour lui qui porte un monde d'événements, de héros, de traîtres, de magiciens, d'aventures, lui qui est le drame en personne, croyez-vous que les goûts innocents ne l'auraient pas éteint? Il lui a fallu des excès de vie pour renouveler sans cesse un énorme foyer de vie. Vous ne le changerez pas en effet, et vous porterez le poids de cette double gloire, la vôtre et la sienne. La vôtre avec tous ses fruits, la sienne avec toutes ses épines. Que voulez-vous! il a engendré vos grandes facultés, et il se croit quitte envers vous. Vous avez voulu en faire un emploi plus logique: votre moi s'est prononcé là, et vous a emmené sur une autre voie où il ne peut pas vous suivre.

C'est un peu dur et difficile d'être forcé parfois de devenir le père de son père. Il y faut le courage, la raison et le grand coeur que vous avez. Ne le niez pas, ce grand coeur; il perce dans tout ce que vous dites et dans tout ce que vous faites. Il vous gouverne à votre insu peut-être, mais il vous gouverne, et, s'il vous crée des devoirs dont beaucoup de gens ne s'embarrassent guère, il vous payera bien en puissance vraie et en repos intérieur.

Allez-y gaiement, allez-y toujours, et vous verrez plus tard! Tout passe, jeunesse, passions, illusions et besoin de vivre; une seule chose reste, la droiture du coeur. Cela ne vieillit pas et, tout au contraire, le coeur est plus frais et plus fort à soixante ans qu'à trente, quand on le laisse faire.

Je ne vous ai pas remercié, c'est vrai, pour l'offre de votre bijou d'appartement; je ne vous remercie pas, j'accepte pour le cas où je n'aurais plus de gîte à Paris. Où serais-je mieux que chez mon enfant?—Mais, pour un bon bout de temps encore, j'ai mon petit grenier rue Racine et mes habitudes de quartier Latin.

Je vous embrasse de tout mon coeur et je vous charge de tous mes bons souvenirs pour les châtelaines.

G. SAND.

DXIII

A MADEMOISELLE LINA CALAMATTA, A MILAN

Paris, 31 mars 1862.

Ma Lina chérie,

Fiez-vous à nous, fie-toi à lui, et crois au bonheur. Il n'y en a qu'un dans la vie, c'est d'aimer et d'être aimée. Nous sommes deux qui n'aurons pas d'autre but et pas d'autre pensée que de te chérir et de te gâter. Nous aimons ton père si tendrement aussi, que tous nos soins et tous nos désirs seront pour le voir et le chercher, ou l'attirer ou le retenir le plus possible. Il en a toujours été ainsi, tu le sais. Il y a trente ans qu'il est un de nos meilleurs amis, et, à présent qu'il nous confie ce qu'il a de plus cher au monde, il est, avec toi, ce que nous chérissons le plus et le mieux. Maurice enfant l'a aimé d'instinct; homme, il l'a apprécié, et, quand il t'a vue, toi qui tiens tant de lui, il a senti pour toi une sympathie qui ne ressemblait à aucune autre.

Et moi donc!—Je sens bien que je te serai une mère véritable; car j'ai besoin d'une fille et je ne peux pas trouver mieux que celle du meilleur des amis.

Aime ta chère Italie, mon enfant, c'est la marque d'un généreux coeur. Nous l'aimons aussi, nous, surtout depuis qu'elle s'est réveillée dans ces crises d'héroïsme, et, puisque tu l'aimes passionnément, nous l'aimerons ardemment. Ce n'est pas difficile ni méritoire, et, n'en fût-elle pas digne comme elle l'est, nous l'aimerions encore parce que tu l'aimes. Enfin, ma Lina chérie, ouvre-nous ton coeur, et tu verras que le nôtre t'appartient, et que celui dont j'ai plaidé la cause auprès de ton père et de toi est digne de se charger de ton bonheur. Nous avons traversé, Maurice et moi, bien des épreuves en nous tenant toujours la main plus fort et en nous consolant de tout l'un par l'autre; mais toujours nous nous disions: «Où est celle qui nous rendrait complètement forts et heureux?» Viens donc à nous, chère fille, et sois bénie! Je t'embrasse de toute mon âme, et je pense jour et nuit au moment qui nous réunira. A bientôt, j'espère! j'espère et je désire, et je veux.

Embrasse pour moi ton bien-aimé père. Remercie-le pour moi, comme je te remercie d'avoir confiance en nous.

G. SAND.

DXIV

A M. MARGOLLÉ, A TOULON

Paris, 6 avril 1862.

Cher monsieur,

J'ai reçu votre livre en quittant Nohant et j'en ai lu une partie en chemin de fer. Mais, depuis que je suis ici, je n'ai pu l'achever. C'est une vie désordonnée pour moi que ce Paris, où je ne puis m'appartenir un instant.

J'ai beau fuir le monde et ne vouloir aller nulle part, et vouloir me renfermer dans l'intimité, je suis assiégée jusque sur l'escalier et jusque dans mon fiacre. Et puis tant de choses à voir et à faire en quinze jours, quand on ne vient à Paris que tous les deux ou trois ans! Enfin j'achève mes corvées et je repars dans deux jours, et je vous lirai et je reprends la seule vie qui me convienne, la vie d'étude et de réflexion. Ce que j'ai lu est d'un grand intérêt et très beau de coeur et de pensée.

Vous avez pris le bon chemin dans la vie. Il n'y en a pas d'autre. Toute cette agitation politique qui règne ici est inféconde. A tous les étages et dans tous les milieux de cette politique, je ne vois que des gens perchés sur leurs balcons et regardant en bas vers le peuple, les uns avec effroi, les autres avec espérance, et tous se disant: «Que fait-il? que va-t-il faire? que pense-t-il? que veut-il? quel mal ou quel bien va sortir de lui? Questions insolubles!» Le peuple n'en sait pas davantage sur ceux qu'il regarde d'en bas, il n'en sait guère plus sur lui-même. Il attend et il s'inspirera du moment; et qu'importe ce qu'il fera, s'il ne sait pas pourquoi il le fait?

Instruisons-le sous toutes les formes. Le résultat de nos efforts est peut-être fort éloigné, mais au moins il est sûr, et tout le reste est inutile.

Je n'ai pas le temps de vous en dire davantage. Je vous écrirai de Nohant, et, en attendant, j'envoie à votre digne compagne, à votre famille et à tous vos chers enfants mille tendres souvenirs.

G. SAND.

DXV

A M. ARMAND BARBÈS, A LA HAYE

Nohant, 3 mai 1862.

Mon ami bien cher,

Je suis, depuis longtemps déjà, sans nouvelles de vous. Pouvez-vous m'en faire donner, si le travail d'écrire vous fatigue encore? Dois-je espérer que vous êtes mieux, comme, votre dernière lettre me l'annonçait?

Moi, je veux vous annoncer le prochain mariage de mon fils avec la fille de mon vieux et cher ami Calamatta. C'est une charmante enfant et un esprit généreux. Cette union est un voeu de mon coeur enfin accompli.

Vous partagerez ma joie, vous qui ne vivez que pour vos amis sans songer à vous-même. Mais, s'il est possible, parlez-moi un peu de vous, sinon pensez à moi et souhaitez du bonheur à mon cher fils. Le ciel, qui vous aime, y aura égard!

GEORGE SAND.

DXVI

A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉROME), A PARIS

Nohant, 11 mai 1862.

Cher prince,

Êtes-vous encore à Paris? Je me hâte de vous remercier de toute mon âme pour ma soeur, qui va, grâce à vous, se trouver heureuse.

A présent, j'ai le coeur tout à fait libre de cette perplexité de famille et je suis toute au bonheur de mes enfants, qui se marient dans quelques jours. Ah! si vous ne partiez pas cette semaine, ce serait si vite fait pour vous de venir, incognito, passer vingt-quatre heures!—Ma!—peut-être seriez-vous un peu compromis par notre liberté de conscience?—pas de prêtre!

Nous sommes excommuniés, comme tous ceux qui, de fait ou d'intention, ont souhaité l'unité de l'Italie et le triomphe de Victor-Emmanuel; nous nous tenons pour chassés de l'Église. Mais ne le dites pas à la princesse Clotilde! Il ne faut pas faire pleurer les anges. Elle croit—nous ne croyons pas, nous autres,—à l'Église catholique. Nous serions hypocrites d'y aller.

Encore merci, et tâchez, s'il vous plaît, monseigneur, de nous délivrer Rome. Calamatta nous dit ici que vous allez trouver en Italie des transports d'affection et de reconnaissance. Ce voyage est pour nous une grande espérance; car nous voilà tous très Italiens de coeur, et nous vous aimons d'autant plus.

Mais vous ne resterez pas longtemps? Est-ce que le moment où vous allez être père n'approche pas? Que de joie chez nous quand nous saurons que vous avez ce bonheur!

GEORGE SAND.

DXVII

A MADAME D'AGOULT, A PARIS

Nohant, 7 juin 1862.

Merci de votre bon petit mot, ma chère Marie. C'est bien aimable à vous de vouloir que ces heureux jours qui me viennent soient complétés par un souvenir et une félicitation de votre part. Quand on s'est franchement aimés, je crois qu'on s'aime toujours, même pendant le temps où l'on croit s'être oubliés. Moi, je ne sais plus trop ce qui s'est passé.

La vie est toujours pour moi l'heure présente. Cette heure est telle aujourd'hui, que vous pourriez lire dans mon coeur sans y rien trouver qui vous afflige et vous inquiète.

Donc à vous toujours!

GEORGE.

DXVIII

A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉROME), A PARIS

Nohant, 20 juillet 1862.

Mon cher prince,

J'arrive des bords de la Creuse, et j'apprends l'heureux événement; j'en suis enchantée, vous le savez d'avance.

La princesse est une brave mère de nourrir son enfant! Vous, il faut en faire un homme, un vrai homme, de cet enfant-là. Vous serez un tendre père, j'en suis sûre, parce que vous avez été un bon fils; mais occupez-vous vous-même de son éducation, et elle sera ce qu'elle doit être pour un homme de l'avenir et non du passé.

Vos amis comptent là-dessus et se réjouissent. Je ne peux pas vous dire combien je pense à vous et combien je rêve de votre fils, vous êtes content, cette fois? Dites-moi oui, et donnez-lui un baiser pour moi, au nom du bon Dieu, le roi des rois, avec qui je ne suis pas trop mal.

Il n'est pas encore question d'un bonheur comme ça chez nous. J'attends l'espérance avec impatience. Mes enfants sont chez mon mari à Nérac. Il a été gravement malade; il est hors d'affaire, et mes enfants vont me revenir.

Je vous aime de tout mon coeur, toujours.

GEORGE SAND.

DXIX

A MADEMOISELLE NANCY FLEURY, A PARIS

Nohant, 7 août 1862.

Ma chère mignonne,

Je suis bien contente de l'embarras d'Hetzel[1] puisqu'il me procure une charmante lettre de toi, et de bonnes nouvelles de vous toutes. J'ai vu ton père hier et nous avons causé, comme tu penses, de tout ce qui vous concerne, et de cette pauvre chère grand'mère qui est partie!

Ma Lina, qui est de retour de son voyage et se propose de t'écrire bientôt, a fait aussi mille questions sur vous à ton père. Et nous avons dit beaucoup de mal de toi, comme tu penses! Nous avons grondé ton père de ce qu'il ne te faisait pas courir un peu avec lui quand il vient chez nous: ce serait si bon pour nous de te tenir ici! Mais il dit: «Cela ne se peut pas, elle travaille, elle est forcée à des relations continuelles pour ses travaux.»

Un temps viendra peut-être où tu auras un peu de vacances, et Valentine aussi, et alors ta petite maman n'aurait plus de raison d'être à Paris quand le père aurait à venir en Berry. Vous prendriez Nohant pour centre d'opérations, ton père faisant ses courses et promenades; vous, le peu de visites que vous tenez à faire maintenant au pays, et vous auriez chez nous le home et la famille.

Rien ici de changé essentiellement depuis les bons jours d'intimité que nous y avons passés ensemble, sauf le grand bonheur d'avoir cette adorable et adorée petite, immense compensation aux douleurs qui nous ont tous frappés et aux adieux tant de fois répétés aux vivants et aux morts.

Laisse Lina et moi faire ce bon rêve de vous ravoir quelquefois près de nous, quand de bonnes circonstances le permettront, et parlons de cette géométrie naturelle, qui est une oeuvre charmante et bonne. Que les lecteurs sont donc bêtes avec leur répulsion pour les mots! Enfin cherchons:

  Avant nous.
  L'oeuvre avant l'ouvrier.
  Les formes primitives.
  La science avant les savants.
  L'artiste éternel.
  Histoire de la forme.
  La loi des formes naturelles.

Tout cela ne vaut rien, et rien ne vaudra jamais le vrai titre, qui était le seul juste. Il faut tâcher de persuader à Hetzel de le conserver, ou il faut qu'il en trouve un bon. S'il refusait l'ouvrage, il me semble que madame Pape-Carpentier trouverait à le placer naturellement dans la Bibliothèque utile de Leneveu, qui est un excellent recueil, très répandu et très goûté.

Bonsoir, chère fille; je t'embrasse, je vous embrasse tous bien fort.

TA MARRAINE.

[1] Qui cherchait un titre pour l'ouvrage d'abord intitulé Evenor et Leucippe, et qui s'est définitivement appelé les Amours de l'âge d'or.

DXX

A MADAME D'AGOULT, A PARIS

Nohant, 23 octobre 1862.

Chère Marie,

J'ai appris bien tard le malheur affreux qui vous a frappée. Je le ressens vivement; et, qu'il soit tard où non pour vous le dire, je veux que vous me comptiez au nombre de ceux que vos douleurs affecteront toujours profondément. C'est dans ces tristes ébranlements de la vie que l'on sent la durée des chaînes de l'affection et comme le réveil de tout ce que le coeur avait mis en commun de joies et de peines. Vous me félicitiez récemment d'avoir acquis une fille charmante, et vous en perdez une accomplie[1].

Croyez que l'égoïsme naturel au bonheur s'arrête ici et que je souffre de votre mal. Et puis qu'est-ce que le bonheur quand un jour imprévu nous le brise? Qui peut compter sur le soleil de demain? Votre âme si élevée, votre esprit, qui a touché aux plus hautes solutions de la pensée, a sans doute puisé des forces suprêmes dans l'espoir confiant d'une vie meilleure. Je n'ai donc rien à vous dire pour vous consoler que vous ne sachiez mieux que moi.

Ce que je vous apporte, c'est un grand respect pour vos larmes et une grande tendresse pour vos déchirements.

GEORGE.

[1] Madame Emile Ollivier.

DXXI

A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉROME), A PARIS

Nohant, 14 décembre 1862.

Merci à vous, cher prince, pour la brochure que vous avez bien voulu me faire envoyer. J'ai été un peu malade ces jours derniers. Je n'ai pu la lire que cette nuit; tous ces documents sont très frappants et de la plus grande utilité. Espérons qu'ils ajouteront leur poids à la somme de réflexions que le public et le gouvernement devraient faire un peu moins longues ou un peu moins indifférentes au salut de l'Italie et de la France.

Devant l'envahissement du pouvoir clérical, il me semble que la France est encore plus menacée que l'Italie. Est-ce une finesse de l'empereur pour laisser constituer chez nous une Église gallicane pendant que celle de Rome tomberait? Le jeu serait habile, mais périlleux. Le prêtre peut bien ruser au plus fin, gallican ou non, et je ne vois pas ce que l'honneur français gagne à remporter ce genre de victoires.

Vous avez fait encore des vôtres, monseigneur! Vous avez couru, cette année, la terre et la mer toujours avec des risques, des gros temps et des aventures. Vous aimez cela, c'est bien, et on me dit que la princesse Clotilde est aussi brave que vous. On me dit aussi que votre fils devient superbe. Voilà des éléments de bonheur domestique.

Mais êtes-vous rassuré sur nos publiques affaires? Il me semble que la vie, à force d'être lente, s'éteint sous la cendre, aussi bien dans les masses que sur les trônes.

Tout mon petit nid vous envoie des respects pleins d'affection et de dévouement. Maurice est touché de votre bon souvenir à l'endroit de la brochure. Il se dispose à aller passer quelques jours dans le Midi chez son père; après quoi, il ira à Paris avec sa chère et parfaite petite femme. Moi, je ne sais quand je sortirai de mon encrier pour respirer un peu; ce que je sais, c'est que je vous aime toujours de tout mon coeur et qu'il me tarde bien de vous revoir.

GEORGE SAND.

DXXII

A M. ÉDOUARD CADOL, A PARIS

Nohant, 29 janvier 1863.

Mon cher enfant,

Maillard m'a fait part du désir exprimé par la direction du Vaudeville de joindre mon nom au vôtre sur l'affiche. Cela ne peut pas être, et, tout en remerciant pour moi ces messieurs de ce qu'il y a d'obligeant dans leur idée, dites-leur qu'à aucun titre je ne puis accepter la collaboration fictive. Vous savez mieux que personne que je n'ai ni fourni le sujet tel que vous l'avez conçu et exécuté, ni exécuté quoi que ce soit dans la pièce. Les conseils que je vous ai donnés étaient de ceux que le premier venu donne sous l'impression du moment, et se réduisaient à faire ressortir un peu plus vos propres idées et votre propre composition. D'ailleurs, je ne pourrais pas me prêter à cette collaboration fictive, quand même je ne la rejetterais pas absolument en principe. Des engagements personnels et particuliers s'y opposeraient en ce moment. Voilà ce que je vous prie de répondre, ainsi que ce qui précède, puisque c'est la vérité.

La pièce est charmante et n'a pas besoin d'appui. Soyez tranquille et gardez votre nom tout seul. Il faut bien que les noms commencent avant de faire autorité.

A vous de coeur.

G. SAND.

DXXIII

A M. GUSTAVE FLAUBERT, A PARIS

Nohant, 2 février 1863,

«Ne rien mettre de son coeur dans ce qu'on écrit?» Je ne comprends pas du tout, oh! mais du tout. Moi, il me semble qu'on ne peut pas y mettre autre chose. Est-ce qu'on peut séparer son esprit de son coeur? est-ce que c'est quelque chose de différent? est-ce que la sensation même peut se limiter? est-ce que l'être peut se scinder? Enfin ne pas se donner tout entier dans son oeuvre, me paraît aussi impossible que de pleurer avec autre chose que ses yeux et de penser avec autre chose que son cerveau. Qu'est-ce que vous avez voulu dire? vous me répondrez quand vous aurez le temps.

DXXIV

A M. ÉDOUARD CADOL, A PARIS

Nohant, 6 février 1863.

Cher enfant,

J'ai tenu conseil avec Lina et Maurice, et j'ai donné mon avis, qui a été écouté. Nous vous savons tous gré, de votre bon coeur, qui voudrait pouvoir nous dédier à tous la comédie que nous avons tous bercée avec tendresse. Mais ni moi, ni Maurice, ni les autres, soyez-en sûr, ne doutons de votre bonne affection, et il s'agit pour nous, avant tout, de la pièce et de son succès. Ce n'est guère l'usage de dédier une pièce. N'attirez donc pas l'attention du gros public sur mon nom et sur rien qui rappelle Nohant.

Assez d'envieux diront dans les petits coins, si la pièce a du succès, que, puisqu'elle a été faite à Nohant, j'y ai mis la main.

Les directeurs de théâtre le diront aussi, croyant faire du bien à la pièce et se souciant, fort peu de faire du mal à l'auteur.

Laissez cela se perdre dans les cancans de coulisses et croyez bien que le public de la troisième représentation n'en saura rien du tout. Inutile donc que les lecteurs en sachent davantage, et qu'une dédicace les y fasse penser.

Sur ce, merci de coeur pour Lina, Maurice et moi, et croyez que mon conseil est bon. Il ne s'agit pas de plaire aux directeurs et aux éditeurs, qui veulent toujours des noms patronnés pour écouler leur marchandise. Il s'agit de vous faire un nom indépendant contre vent et marée. C'est plus difficile que d'avaler une tranche d'ananas. Allez-y et ne craignez rien.

Bonsoir, cher Almanzor, et bon courage! Amitiés de tous. Écrivez-nous toujours quand vous avez le temps.

G. SAND.

DXXV

AU MÊME

Nohant, 7 février 1863.

Cher enfant,

Nous sommes bien contents et bien heureux, tous! Compliments, amitiés, joie de toute la famille. Je n'étais pas inquiète du tout, moi: je savais qu'il y avait dans la pièce un fonds d'intérêt et d'émotion de nature à être compris par tout le monde; et une moralité à ne choquer personne, tout en restant assez forte pour faire réfléchir chacun. Quand vous aurez ce fonds bien établi, secondé par les détails, vous serez toujours certain d'avoir fait quelque chose qui en vaut la peine et qui prouve au spectateur payant qu'il n'est pas volé.

Pour le succès de vogue et d'argent, quel sera-t-il? nul ne peut le savoir; cela dépend beaucoup de l'intelligence de la direction et de son bon vouloir; et rarement les auteurs ont sujet d'être contents, parce que les directeurs cherchent toujours l'argent dans le gros lot de hasard, sauf à perdre le certain modeste de chaque jour.

Attendez-vous à des misères, tout le monde est forcé d'en subir. Surveillez vos premières représentations en ayant toujours dans la salle quelques amis vrais et chauds, qui entraînent, à point et à propos, le public incertain et distrait par nature. De tels amis intelligents et dévoués sont rares. Si vous n'y pouvez rien, la chose se fera peut-être d'elle-même.

Dans quelques jours, le sort financier de la pièce sera décidé; vous confierez alors vos intérêts à Émile, et vous reviendrez nous trouver pour travailler au roman et passer tranquille ce charmant hiver qui nous donne presque tous les jours ici du soleil, des jacinthes et de bonnes promenades.

Vous verrez Maurice un de ces jours avec sa femme; je ne sais ce qu'ils resteront de jours ou de semaines à Paris; vous n'aurez pas besoin de les attendre pour revenir à notre nid, qui est le vôtre.

Tenez-nous au courant de la deuxième et de la troisième représentation, qui ont aussi leur importance; et, si vous êtes content, pensez, cher Almanzor, que nous le sommes bien aussi.

G. SAND.

DXXVI

A M.

Nohant, 26 février 1863.

Le christianisme est une vérité abstraite. Pour être une vérité concrète, une vérité vraie, il lui faudrait avoir tenu compte des notions que vous avez et que je n'ai pas besoin de vous indiquer. Le christianisme n'est pas mensonge, il est vérité incomplète. Arme, de progrès jadis, il est devenu outil de destruction. C'est un tombeau où l'humanité enferme le peu qui lui reste de conscience et de lumière. Ceci n'est pas la faute du pauvre docteur supplicié: c'est là faute de ceux qui ont déifié sa mémoire. Vous direz mieux que moi ce que vous savez avoir à dire, et ce que je crois savoir que vous direz. Vos pages sont très belles, élevées et profondes, elles sont d'un esprit supérieur, à la fois poétique et logicien. Que Dieu vous aide pour aller au fond des choses sans vous égarer dans le grand abîme où l'on ne pénètre plus que sur les ailes de l'hypothèse!

Il faut là beaucoup de science du langage, et toutes les sciences de détail doivent concourir à former la science des sciences.

Moi qui ne sais rien, j'attends, et pourtant je permets à ma conscience de juger ce qui se produit. C'est très hardi, à coup sûr; mais tout esprit, si incomplet qu'il soit, a besoin de s'affirmer.

La plus belle des hypothèses, celle qui aurait le droit de marquer une nouvelle étape religieuse dans les conquêtes de l'avenir, serait celle qui ferait concorder les besoins de l'intelligence et ceux du coeur avec les résultats de l'expérience. Déjà de nobles travaux marchent dans ce sens et je crois être sûre que vos questions amèneront une réponse de vous-même à vous-même qui éclairera encore cette route nouvellement ouverte.

GEORGE SAND.

DXXVII

A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉRÔME), A PARIS

Nohant, 22 mars 1863.

Mon grand ami,

Vous seul êtes jeune et généreux, et brave! Vous seul aimez le vrai pour lui-même; vous seul avez le génie du coeur; le seul qui soit vraiment grand et sûr. Je vous estime et vous aime toujours de plus en plus, cher noble coeur, flamme brillante au sein de ce banc de houille qu'on appelle le Sénat; mais ce n'est pas de la houille, on ne peut pas l'allumer. Ah! c'est un monde de glace et de ténèbres! Ils votent la mort des peuples comme la chose la plus simple et la plus sage, puisqu'ils se sentent morts eux-mêmes. Soyez fier de n'être pas aimé de ces gens-là. Tout ce qui vit encore en France vous en tiendra compte.

J'attends mon exemplaire, ne m'oubliez pas; car je n'ai que l'extrait des journaux, et ce n'est pas assez.

Mes enfants sont heureux de vous avoir vu. Ma chère petite fille, qui est un enfant généreux, vous porte dans son coeur. Elle s'est trouvée malade chez vous, pourtant; sa position intéressante amène de petits accidents peu graves, mais qui la forçaient de se sauver de partout sans dire bonsoir; et Maurice, inquiet de la fréquence de ces évanouissements, me l'a vite ramenée. Elle va bien, à présent. Tous deux me chargent de leurs sentiments pour vous et je vous charge de nos respects à tous pour la princesse. Votre fils est beau, très beau, à ce qu'ils disent. Lina l'a regardé à pleins yeux, avec émulation. Monseigneur, ne le laissez pas élever par les prêtres!

A vous tous nos voeux et toute notre affection.

G. SAND.

DXXVIII

A M. EDMOND ABOUT, A PARIS

Nohant, mars 1863.

Que de talent vous avez! Dix fois plus, à coup sûr, que l'on ne vous en reconnaît, bien qu'on vous en reconnaisse beaucoup. Pourquoi ne montez-vous pas jusqu'au génie, que vous touchez, et que vous laissez échapper à travers vos doigts. C'est parce que vous avez l'âme triste, malade peut-être. On s'est beaucoup moqué de nos désespoirs d'il y a trente ans. Vous riez, vous autres, mais bien plus tristement que nous ne pleurions. Vous voyez le monde de votre temps tel qu'il est, sans vous demander si vous ne pourriez pas le rendre moins faible en vous faisant plus fort que lui. Je suis persuadée que vous ne valez ni plus ni moins que nous ne valions, abstraction faite du progrès de l'art, qui se fait toujours et qui se fait encore pour les vieux comme pour les jeunes; mais pourquoi ne pas vouloir nous dépasser? A cette grande bête de désespérance que nous avions, a succédé, de par vous autres, une réaction de vie qui étreint la réalité et qui devrait vous avoir fait faire une véritable enjambée par-dessus nos têtes.

Un de vous ne voudra-t-il pas la faire, et pourquoi ne serait-ce pas vous? Nous en étions à peindre l'homme souffrant, le blessé de la vie. Vous voulez peindre, ou vous peignez d'instinct l'homme ardent qui regimbe contre la souffrance et qui, au lieu de rejeter la coupe, la remplit à pleins bords et l'avale. Mais cette coupe de force et de vie vous tue; à preuve que tous les personnages de Madelon sont morts à la fin du drame, honteusement morts, sauf Elle, la personnification du vice, toujours jeune et triomphant.

Donc, quoi? le vice seul est une force, l'honneur et la vertu n'en sont pas. Pas un ne résiste, et le seul vrai honnête homme, M. Honnoré, finit par le suicide, ni plus ni moins que les héros de notre temps byronien.

Pourquoi? dites! Ne croyez-vous pas qu'un homme puisse être assez fort pour tout braver, tout subir et tout vaincre? pas un seul? pas même, vous qui faites à bras tendu cette peinture de grand artiste, cette merveille d'esprit, de vérité, de force, de couleur, de composition et de dessin que vous intitulez Madelon? Vous n'osez pas être cet homme-là, ou rêver dans un beau livre que cet homme existe et qu'il parle par votre plume, et qu'il agit par votre volonté, et qu'il triomphe par votre conviction? Pourquoi donc, mon Dieu? Faut-il, pour répandre l'idéal, se faire dévot et invoquer tous les mensonges du catholicisme, quand il est si bien prouvé que l'homme est en âge d'être par lui-même dès qu'il le voudra?

Prenez garde, en vérité! Tous ces charmants jeunes gens auxquels le jeune lecteur voudrait ressembler, sont des misérables. Toutes ces femmes honnêtes sont des niaises, et si impuissantes à conjurer le mal, qu'elles sont de trop sur la terre. Elles ne servent qu'à excuser les maris infidèles par l'ennui qu'elles leur procurent. Il n'y a de logique que Madelon. Si la nature humaine est ainsi faite autour d'elle, elle a raison de la mépriser et de ne plus rougir de rien.

Horrible conclusion d'un récit admirable de tous points et devant lequel tout ce que l'on a de littérature dans l'esprit, s'incline sans réserve, mais devant lequel aussi tout ce que l'on a d'honnêteté dans le coeur se révolte douloureusement.

Ne pensez pas que je ne comprenne point du tout ce que vous avez voulu faire et que je ne voie pas le côté sain de cette violente étude. Je sais que montrer et dévoiler les mauvais et les lâches est plus instructif que la prédication et la lecture de la Vie des Saints. Je conviendrai avec vous que, Feuillet et moi, nous faisons, chacun à notre point de vue, des légendes plutôt que des romans de moeurs. Je ne vous demande, moi, que de faire ce que nous ne savons pas faire; et, puisque vous connaissez si bien les plaies et les lèpres de cette société, de susciter le sens de la force en le prenant justement dans le milieu que vous montrez si vrai, et que vous avez si magnifiquement observé et disséqué.

Je vous demande, je vous supplie, à présent que vous venez de faire le chef-d'oeuvre de la victoire du mal, de nous faire le chef-d'oeuvre du réveil au bien. Montrez-nous un véritable homme de coeur écrasant ces vermines, bravant ces luxures, méprisant avec une facilité logique et simple cette sotte vanité de paraître fort dans l'absurde et puissant dans l'abus de la vie; vous venez de prouver que cette vanité est toujours souffletée par la nature qui se venge.

Ayez le courage d'incarner la preuve du triomphe. Que les méchants triomphent si vous voulez dans l'opinion. Inutile de farder le monde si bête et si corrompu; mais que Job sur son fumier soit le plus beau et le plus heureux de tous; si beau, que le jeune lecteur aime mieux être Job que tous les autres. Ah! que ne puis-je! que n'ai-je votre âge et vos forces! que ne sais-je tout ce que vous savez!

Pourquoi le Demi-Monde qui mettait à nu Madelon et ses dupes, et ses complices; a-t-il captivé les plus récalcitrants à ce genre de peinture, et moi toute la première? C'est parce qu'il y a auprès d'elle deux hommes qui triomphent: l'un qui la démasque et l'autre qui la répudie, sans que personne se venge.

Pourquoi l'auteur du Demi-Monde a-t-il le droit de tout dire et de tout montrer? C'est parce qu'on sent en lui un grand instinct de lutte contre ce torrent où il aurait pu être englouti. Il ne vous est pas permis, avec cette magnifique puissance que vous avez, de ne pas faire du bien. Il faut en faire. Il faut vous venger ainsi de tout le mal qu'on vous a fait, faute de vous comprendre. C'est quelqu'un qui vous a compris qui ose et qui doit vous dire cela, du fond d'un coeur mille fois brisé et toujours heureux quand même.

GEORGE SAND.

DXXIX

A M.

Nohant, avril 1863.

Oui, sans doute, monsieur, je me souviens et je lis votre livre. Vous êtes un noble, vaste et généreux esprit. Mon fils partage vos idées; car il s'est fait protestant avec sa femme, et compte élever ses enfants dans la croyance avancée de la Réforme, dont vous êtes un des plus éminents et des plus fervents apôtres. Mais, moi, tout en vous aimant et vous admirant du meilleur de mon âme, je serai de moins en moins chrétienne, je le sens, et, chaque jour, je sens aussi poindre une autre lumière au delà de cet horizon de la vie vers lequel je marche avec une tranquillité toujours croissante.

Jésus n'est pas et ne pouvait pas être le dernier mot de la vérité accordée à l'homme. Vous admettez ingénieusement qu'il a semé une vérité progressive à développer. Mais le croyait-il, lui? Je ne le pense pas. Il était l'homme de son temps, quoique l'homme le plus idéaliste de son temps.

D'ailleurs, est-il le seul à vénérer dans cette époque de renouvellement moral et intellectuel qui s'est appelée le christianisme et qui a été l'oeuvre de plusieurs hommes d'élite et de plusieurs siècles de discussion? Ou, comme M. Renan le croit, Jésus a ignoré les doctrines qui l'entouraient, et, original au suprême degré, il a été une vive et puissante incarnation de la pensée qui planait sur son siècle; ou, comme vous le croyez, monsieur, et comme je penche à le croire avec vous, il a été instruit et il n'est qu'un disciple plus pur et mieux doué que ses maîtres. Il y a une troisième version qui ne me plaît pas et qui a pourtant sa valeur: c'est qu'il n'a jamais existé de Jésus proprement dit, et que sa vie n'est qu'un poème et une légende qui résume plusieurs existences plus ou moins intéressantes, comme son Évangile ne serait qu'un ensemble de versions plus ou moins authentiques d'une même doctrine sujette à mille interprétations. Je crois que vous admettez la possibilité de toutes ces choses; il faut bien l'admettre quand on n'a pas de certitude et de preuve historique incontestable.

Mais vous dites en vous-même: «Qu'importe, après tout, si nous avons sauvé de tous ces naufrages de la réalité historique, une vérité philosophique, une doctrine admirable?» Très bien, je pense comme vous; mais je ne tiens pas à appeler christianisme cette doctrine, qui n'est peut-être pas du tout celle du nommé Jésus, lequel n'a peut-être jamais été crucifié; et je tiens encore moins à m'enthousiasmer pour un personnage légendaire qui n'a pas la réalité de Platon, de Pythagore, d'Aristote et de tous les grands esprits que nous savons avoir vécu eux-mêmes, pensé, parlé, écrit ou souffert en personne.

Remarquez que cette situation apocryphe, ou tout au moins douteuse, du fondateur du christianisme ouvre la porte à des croyances tout à fait contradictoires et que cette doctrine si belle a fait dans le monde autant de mal que de bien, par la raison qu'elle part d'une sorte de mythe. C'est un beau rayon dont le soleil est caché dans les nuages. Platon, Pythagore et les autres fondateurs réels de doctrines ou de méthodes bien définies n'ont jamais fait que du bien. Jésus a apporté l'hypocrisie et la persécution dans la vie humaine et sociale, et cela dure depuis dix-huit cents ans et plus; à l'heure qu'il est, nous sommes plus que jamais persécutés en son nom, privés de liberté et traqués par ses prêtres dans tous les replis de notre existence. Arrière donc le Dieu Jésus! Aimons en philosophe cette charmante figure de roman oriental; mais ne cherchons pas à faire croire à sa divinité ni à sa presque divinité, pas plus qu'à sa réalité humaine. Nous ne savons rien de lui, et nous voici en présence de l'oeuvre collective des apôtres, qui souffre la critique à bien des égards. Libre à nous de choisir la version qui nous plaît le mieux et de rebâtir chacun le temple de la nouvelle Jérusalem selon les besoins de notre coeur, de notre conscience, de notre raison ou de notre idéalisme. Mais n'appelons plus cela une religion; car ce n'en a jamais été une. Ce n'a même pas été une philosophie; c'est un idéal romanesque pour les uns, une grossière superstition pour les autres. La part de la raison ne s'y trouve pas, et la pratique en est aussi élastique, aussi vague que le texte. Ce qui est quelque chose de réel et de fort, c'est le catholicisme. Mais, comme c'est quelque chose d'odieux, je n'en veux pas davantage.

Point d'insulte à Jésus. Il a pu être, et il a dû être grand et bon. Mais cela ne suffit pas à des esprits sérieux pour chercher là toute la lumière et toute la vérité.

La vérité n'a jamais appartenu en propre à un homme, et aucun Dieu n'a daigné nous la formuler. Elle est en nous tous, en quelques-uns plus que dans la masse; mais tous peuvent chercher et trouver la somme de sagesse, de vérité et de vertu qui est l'expression du temps où il vit. L'homme veut tout définir, tout classer, tout nommer; voilà pourquoi il lui plaît d'avoir des messies et des évangiles, mais ces personnifications et ces dogmes lui ont toujours fait pour le moins autant de mal que de bien.

Il serait temps d'avoir des lumières qui ne fussent pas des torches d'incendie.

DXXX

A M. ALEXANDRE DUMAS FILS, A PARIS

Nohant, 14 juillet 1863, au soir.

Marc-Antoine Sand est né ce matin, anniversaire de la prise de la Bastille. Il est grand et fort et il m'a regardée dans les yeux d'un air attentif et délibéré, quand je l'ai reçu tout chaud dans mon tablier. Je crois que nous nous connaissions déjà et il m'a eu l'air de vouloir dire: «Tiens! c'est donc toi?» On l'a fourré dans un bain de vin de Bordeaux, où il a gigoté avec une satisfaction marquée. Ce soir, il tette avec voracité, et sa nourrice, qui n'est autre que sa petite mère, est gaie comme un pinson. Nous avons tiré le petit canon et un pifferari d'Auvergne est venu lui faire entendre le plus primitif des chants gaulois. Le père Maurice a pleuré comme un veau et le père Calamatta comme une huître, à la vue de ce solide moutard! Tout le monde est dans la joie: voilà! Merci pour votre bonne lettre du 5 juillet; réjouissez-vous avec nous, mon grand fils, et venez bientôt nous voir.

G. SAND.

DXXXI

A M. LEBLOIS, PASTEUR, A STRASBOURG

Nohant, 3 août 1863.

Monsieur,

Vos excellents discours nous ont beaucoup frappés, mon fils, ma belle-fille et moi, et je vais tout de suite et sans préambule répondre à votre bonne lettre en vous parlant à coeur ouvert.

Mon fils s'est marié civilement l'année dernière. D'accord avec sa femme, son beau-père et moi, il n'a pas fait consacrer religieusement son mariage. L'Église catholique, dans laquelle nous sommes nés, professe des dogmes et les corrobore de doctrines antisociales et antihumaines qu'il nous est impossible d'admettre. Un cher petit garçon est né de cette union, il y a quinze jours. Depuis que sa mère l'a conçu et porté dans son sein, nous nous sommes demandé tous les trois s'il serait élevé dans les vagues aspirations religieuses qui peuvent suffire à l'âge de raison (à la condition de chercher la vérité dans des conceptions mieux définies), ou si nous essayerions, dans le but de le préparer à devenir un homme complet, de le rattacher à une foi idéaliste, sentimentale et rationnelle. Mais où trouver cette foi assez formulée de nos jours pour être mise à la portée d'un enfant?

Nous songions au protestantisme, uniquement parce qu'il est une protestation contre le joug romain; mais cela était loin de nous satisfaire. Deux dogmes, l'un odieux, l'autre inadmissible, la divinité de Jésus-Christ et la croyance au diable et à l'enfer, nous faisaient reculer devant un progrès religieux qui n'avait pas encore eu la franchise ou le courage de rejeter ces croyances.

Vos sermons nous délivrent de ce scrupule, et mon fils, voulant que son mariage et la naissance de son fils soient religieusement consacrés, je n'ai plus d'objections à lui faire contre deux sacrements qui attacheraient son union et sa paternité à votre communion.

Mais, avant de me rendre entièrement, j'ai recours à votre loyauté avec une absolue confiance, et je vous adresse une question. Faites-vous encore partie de la communion intellectuelle de la Réforme? Persécuté et renié probablement par l'anglicanisme, par le méthodisme, par une très grande partie des diverses Églises, pouvez-vous dire que vous appartenez à une notable partie des esprits éclairés du protestantisme? Si, à peu près seul, vous avez levé un étendard de révolte, l'enfant que nous mettrions sous l'égide de vos idées ne serait-il pas renié et réprouvé chez les protestants, en dépit de son baptême parmi eux? On peut s'aventurer pour soi-même dans les luttes du monde philosophique et religieux; mais, quand on s'occupe de l'avenir d'un enfant, d'un être né avec le droit sacré de la liberté, qui, dès que sa raison s'entr'ouvre, a besoin de conseils et de direction, on doit non seulement chercher la meilleure méthode à lui offrir, mais encore préparer à sa vie un milieu moral, une solidarité, un foyer de fraternité, et quelque chose encore! une rationalité religieuse, si je puis ainsi dire, un drapeau ayant quelque autorité dans le monde. Il ne faut pas, ce me semble, que l'adolescent puisse dire à son père catholique: «Vous m'avez lié à un joug de mort!» ni à son père protestant: «Vous m'avez isolé au sein de la liberté d'examen; vous m'avez enfermé dans une petite Église, sans appui, et me voilà déjà dans la lutte quand j'ai à peine compris pourquoi j'y suis!»

Dans les deux cas, cet enfant pourrait ajouter: «Mieux valait ne me lier à rien et m'élever selon votre inspiration dans l'absolue liberté où vous viviez vous-même.»

Mon fils et sa femme feront, en tout cas, ce qu'ils voudront, sans qu'aucun nuage entre nous résulte jamais d'une dissidence qui n'est même pas formulée encore; mais, ayant à donner ou à réserver mon opinion un jour ou l'autre, je vous demande, à vous, monsieur, la réponse à mon incertitude, qui vous sera dictée par votre conscience.

Je ne connais pas le monde protestant. On me parle d'une Église tout à fait nouvelle, ayant de l'avenir et faisant de nombreux prosélytes en Italie particulièrement. Je vois, d'après ce que l'on me dit, que cette Église part de vos principes et qu'il y a par le monde un souffle de liberté religieuse qui unit un certain nombre d'esprits sérieux. Je voudrais savoir si notre enfant aura dans la vie une véritable famille à laquelle il n'aura peut-être jamais ni le désir ni l'occasion de s'identifier,—car il faut prévoir l'âge où il ne voudrait suivre aucun culte, et là s'arrêtera aussi l'autorité de la famille naturelle,—mais de laquelle il pourrait dire avec fierté qu'il a été l'élève et le citoyen. Nos petites Églises détachées du catholicisme, comme celle de l'abbé Châtel, par exemple, ont toujours eu un caractère mesquin ou impuissant. Celle que vous proclamez se rattache à une conception large du christianisme et ne présente pas ces pauvretés. Mais où est-elle, cette Église? Est-elle maudite par l'intolérance protestante? Lui refuse-t-on son titre religieux? Se rattache-t-elle à des nuances qui l'aident à se constituer comme une communauté importante offrant un ensemble de vues, d'aspirations et d'efforts?

Pardonnez-moi mon griffonnage, je ne sais pas recopier et j'aime mieux vous envoyer ma première impression illisible et informe. Vous me comprendrez par le coeur, qui sait tout déchiffrer.

Je vous demande le secret jusqu'à ce que nous ayons vidé la question, et vous prie de croire, monsieur, quelle qu'en soit l'issue, à mes sentiments de fraternité véritable et profonde.

GEORGE SAND.

DXXXII

A M. JOSEPH DESSAUER, A ISCHL (AUTRICHE)

Nohant, 15 août 1863.

Bon Chrishni,

Je veux que vous trouviez une lettre de moi à Ischl, puisque vous ne m'avez pas mise à même de vous répondre à Paris.

Oui, ce sont d'heureux jours, que ceux où je vous ai retrouvé si semblable à vous-même, à peine vieilli, pas changé, toujours aussi naïf, aussi tendre et aussi aimable. Les oreilles ont dû vous sonner tout le temps de votre voyage: car on n'a pas passé une heure ici sans dire: «Bon Chrishni! cher brave homme! ami charmant! digne maestro! grand artiste! etc., etc.»; chacun et tous à la fois, duo, trio, quatuor, etc., tutti, tutti: «Vive le bon Dessauer! le vrai Favilla!» Et, le soir, les lettres mystérieuses apportées sur, la table par l'esprit familier, les phrases musicales qu'on, croyait entendre en les lisant, tout cela a été goûté, senti, et, tout en riant, on était attendri, on vous sentait encore là.

Eh! n'y êtes-vous pas toujours? est-ce que nous ne vivons que dans notre corps? est-ce que nous n'habitons pas la lune et le soleil et toutes les étoiles, dès que notre pensée nous y transporte? est-ce qu'on ne s'y occupe pas de nous comme nous nous occupons d'eux, nous qui rêvons toujours d'aller les y rejoindre? Eux? qui? ils disent la même chose que nous, et, sans nous connaître, ils nous aiment. Et puis ne nous connaissent-ils pas? Où est notre cher grand Delacroix à cette heure? Mais où êtes-vous vous-même, à l'heure où je vous écris? sur quelle route? dans quel véhicule? dans quelle disposition d'esprit? L'absence et la mort ne diffèrent pas beaucoup; donc, on ne se quitte pas, on se perd de vue; mais on sait bien que, n'importe où, on se retrouvera. Aussi je ne dis jamais adieu dans le sens de «Dieu nous sépare!» je le dis toujours dans le sens «Au revoir en Dieu, sur cette terre ou sur une autre!» Est-ce que l'on ne fait pas de progrès tant qu'on veut vivre et tant qu'on croit à l'idéal? est-ce que l'idéal ne sert qu'à cette vie d'un jour ou deux sur la terre? Ne croyez pas cela. Nous emportons avec nous ce que nous avons acquis, et nous l'emportons pour l'accroître dans l'éternité. Qu'importe que, dans une ou deux de nos existences, nous n'ayons pas été assez encouragés, si nous avons entretenu le feu sacré en nous et dans les autres? Ne comptez pas pour rien ces heures où vous donnez, avec votre âme, celle des grands maîtres à vos amis; tout cela, c'est un échange, entre eux, vous et nous, de ce qu'il y a de meilleur et de plus élevé dans le sanctuaire commun.

Écrivez-nous, cher ami; dites-nous comment vous avez voyagé, comment vous avez retrouvé les soeurs, la nièce, les montagnes, le pays du sel et les montagnards artistes.

Toute la famille d'ici vous embrasse: Maurice, que la mort de Delacroix a beaucoup affecté, surtout par la pensée qu'il est mort sans famille autour de lui; Lina, qui vous présenté son poupon à baiser; madame Lambert qui ne cesse de parler de vous; son mari, qui vous étudie rétrospectivement avec une sympathie délicate; Marie Lambert, qui pleure pour un rien, mais qui aime beaucoup; Calamatta, qui ne dit plus rien contre Delacroix et qui le regrette comme homme, sans l'avoir jamais compris comme peintre. Voilà tout le monde… Non, il y a la grande Marie, une nature d'élite sous sa blanche cornette; et tous vous aiment et vous crient: «Revenez!»

GEORGE SAND.

DXXXIII

A M. ALEXANDRE DUMAS FILS, A PARIS

Nohant, 26 août 1863.

Eh bien, mon cher lumineux fils, êtes-vous reposé de votre affreux départ? On m'a dit que vous étiez parti horriblement, par la trahison de l'imbécile qui fait le service. Il est si facile d'avoir une voiture de louage à la Châtre, que nous sommes tous des niais de compter sur autre chose, après tous les tours que nous a joués cette diligence. Dites-en tous mes regrets à Gautier[1], et promettez-lui que cela n'arrivera plus. Qu'il n'oublie pas que nous comptons qu'il reviendra et qu'on l'avertira de ce qu'il y aura d'instructif à voir pour la partie matérielle, dans nos représentations. Remerciez-le pour moi et pour nous tous de sa bonne visite.

Quant à vous, cher fils, je ne vous remercie pas autrement qu'en vous aimant d'autant plus que vous vous êtes dévoué pour moi. Grâce à vous, je vois clair dans le travail, et je refais avec soin un scénario plus développé. Je suis même étonnée d'avoir pour cela la mémoire que je n'ai pas pour autre chose. Je me rappelle tout ce que vous m'avez dit comme si c'était écrit. C'est un plaisir de vous voir composer et improviser une pièce en causant. À présent que je relis cette carcasse, je suis étonnée de sa logique et de la manière dont elle se tient. Allons, vous n'êtes pas encore crétin, mon bonhomme, et vous avez un monde de compositions et de succès dans la trompette. Je ne suis pas en peine de vous: si vous n'allez pas plus vite, c'est que vous êtes paresseux. Mais qu'est-ce que ça fait si ça vous plaît de l'être? Ce qui importe, c'est que, quand vous travaillez une heure, vous travaillez comme cent.

Tout mon monde vous envoie des amitiés en masse. Maurice n'est pas encore revenu.

Votre maman vous embrasse.

[1] Théophile Gautier.

DXXXIV

A M. CHARLES PONCY, A TOULON

Nohant, 27 août 1863.

Mes pauvres enfants! avoir tant travaillé et tant souffert pour rien!
Mais non, ce n'est pas pour rien, puisque vous avez adouci ses derniers
jours et prolongé, autant que possible, son illusion et son espérance.
Dieu vous en tiendra compte et elle aussi, dans un monde meilleur.

Pauvre femme! si douce, si jeune encore et si belle de charme et de distinction naturelle! Comme elle a langui et lutté! Elle est mieux où elle est, n'en doutez pas.—Où que ce soit, elle vit et elle est en Dieu.

Chère Solange! sois la consolation de ton pauvre père, et que ton père soit la tienne aussi. Nous vous aimons bien.

DXXXV

A M. ALEXANDRE DUMAS FILS, A PARIS.

Nohant, 1er octobre 1863, deux heures du matin.

Mon cher fils,

Votre lettre est d'un vrai amour de fils! Je dis donc adieu à mes scrupules; je vois que vous avez raison, que vous m'aimez bien, et qu'avec vous on peut avoir le coeur sur la main tout à fait.

La Rounat est venu; on lui a lu la pièce, qui ne pourra passer que dans l'hiver de 1864, parce que je ne veux pas la donner en plein printemps, et qu'il a de l'encombrement jusque-là. Ça me laisse le temps de donner encore plusieurs façons à mon labourage; car ce qu'on a lu jusqu'ici n'est qu'un brouillon et j'y vois, chaque fois, des améliorations à faire. Peut-être même remettrai-je la pièce en quatre actes; elle est pleine en cinq, mais pas assez serrée à la fin. Ça m'amuse toujours.

Dès que j'aurai fini les corrections, je vous enverrai le manuscrit, pour que vous m'en indiquiez des masses, et, en attendant, je vous embrasse, pour moi qui veille et pour tous ceux qui dorment.

Votre maman.

DXXXVI

A SON ALTESSE LE PRINCE NAPOLÉON (JÉROME) A PARIS

Nohant, 19 novembre 1863.

Mon cher prince,

Vous devez me croire morte; mais vous avez tant couru, vous, que vous n'auriez pas eu le temps de me lire. Vous avez bien travaillé pour les arts, et pour l'industrie, et pour le progrès. Moi, j'ai fait une comédie, c'est moins utile et moins intéressant. Que vous aurai-je appris d'instructif, à vous qui savez tout? On me dit que vous voudriez savoir ce que je pense de la Vie de Jésus.

M. Renan a fait un peu descendre son héros dans mon esprit, d'un certain côté, en le relevant pourtant de l'autre. J'aimais à me persuader que Jésus ne s'était jamais cru Dieu, jamais proclamé fils de Dieu en particulier, et que sa croyance à un Dieu vengeur et punisseur était une surcharge apocryphe faite aux Évangiles. Voilà du moins les interprétations que j'avais toujours acceptées et même cherchées; mais M. Renan arrive avec des études et un examen plus approfondis, plus compétents, plus forts. On n'a pas besoin d'être aussi savant que lui pour sentir une vérité, un ensemble de réalités et d'appréciations indiscutables dans son oeuvre. Ne fut-ce que par la couleur et la vie, on est pénétré, en le lisant, d'une lumière plus nette sur le temps, sur le milieu, sur l'homme.

Je crois donc qu'il a mieux vu Jésus que nous ne l'avions entrevu avant lui, et je l'accepte comme il nous le donne. Ce n'est plus un philosophe, un savant, un sage, un génie, résumant en lui le meilleur des philosophies et des sciences de son temps: c'est un rêveur, un enthousiaste, un poète, un inspiré, un fanatique, un simple. Soit. Je l'aime encore; mais comme il tient peu de place maintenant, pour moi, dans l'histoire des idées! comme l'importance de son oeuvre personnelle est diminuée! comme sa religion est désormais bien plus suscitée par la chance des événements humains que par une de ces grandes nécessités historiques que l'on est convenu, et un peu obligé, d'appeler providentielles!

Acceptons le vrai, quand bien même il nous surprend et change notre point de vue. Voilà Jésus bien démoli! Tant pis pour lui! tant mieux pour nous, peut-être. Sa religion est arrivée à faire autant de mal pour le moins qu'elle avait fait de bien; et, comme—que ce soit ou non l'avis de M. Renan—je suis persuadée, aujourd'hui, qu'elle ne peut plus faire que du mal, je crois que M. Renan a fait le livre le plus utile qui pût être fait en ce moment-ci.

J'aurais beaucoup à dire sur les artifices du langage de M. Renan. Il faut être courageux pour se plaindre d'une forme si admirablement belle. Mais elle est trop séduisante et pas assez nette, quand elle s'efforce de laisser un voile sur le degré, le mode de divinité qu'il faut attribuer à Jésus. Il y a des traits de lumière vive dans l'ouvrage, qui empêchent un esprit attentif de s'égarer. Mais il y a aussi trop d'efforts charmants et puérils pour endormir la clairvoyance des esprits prévenus, et pour sauver d'une main ce qu'il détruit de l'autre. Cela tient non pas comme on l'a beaucoup dit; à un reflet de l'éducation du séminaire, dont ce mâle talent n'aurait pas su se débarrasser,—je ne crois pas cela,—mais à un engouement d'artiste pour son sujet. Il y a du danger, peut-être de l'inconvénient, à être philosophe érudit, et poète. Certainement cela fait un joli ensemble, et rare, dans une tête humaine; mais, en de telles matières, l'enthousiasme met en péril la logique, ou tout au moins la netteté des assertions.

Avez-vous lu cinq ou six pages que M. Renan a publiées le mois dernier, dans la Revue des Deux-Mondes[1]? J'aime mieux cela que tout ce qu'il a écrit jusqu'ici. C'est grand, grand! Je trouve bien quelque chose à redire encore comme détail; mais c'est si grand, que je résiste peu et que j'admire beaucoup. C'est moi qui voudrais bien avoir votre pensée là-dessus, comme vous avez la mienne. Vous savez résumer, vous, dites-la-moi dans votre concision merveilleuse.

J'irai à Paris cet hiver. Je ne sais pas bien quand. Ma famille va bien. Mon petit-fils est tout à fait gentil et bon garçon. On dit que votre fils est superbe; il me tarde de le voir. Mon nid vous envoie tous ses hommages, ainsi qu'à la princesse.

Est-ce vrai qu'on fera la guerre?

Ce qui est certain, cher prince, c'est que je vous aime toujours de tout mon coeur.

GEORGE SAND.

[1] Les Sciences de la nature et les Sciences historiques, lettre à M. Berthelot (Dialogues et Fragments philosophiques; Calmann Lévy, 1876).

DXXXVII

AU MÊME

Nohant, 24 novembre 1863.

Cher prince,

Je vous autorise bien volontiers à donner copie de ma lettre à M. Renan; mais ce n'est qu'une lettre, et je ne sais pas me résumer comme vous. Mon jugement est très incomplet et ne va pas au fond des choses. Je suis en train de lire Strauss, Salvador et la belle préface de M. Littré au premier de ces deux ouvrages. Si j'avais lu cette préface plus tôt, j'aurais mieux lu M. Renan.

Votre jugement, à vous, est meilleur que le mien; je vous ai toujours dit que vous étiez un très grand esprit qui ne tire pas parti de lui-même. Vous ne voulez pas me croire, vous pourriez faire tout ce que vous voudriez; mais vous êtes paresseux et prince, quel dommage!

Je ne vous trouve pas rêveur, loin de là; vous êtes plus dans le vrai total, que M. Renan, M. Littré et Sainte-Beuve. Ils ont versé dans l'ornière allemande.. Là est leur faiblesse. Ils ont plus de talent et plus de génie que tous les Allemands modernes, et, en outre, ils sont Français. Ils sont Français, c'est-à-dire qu'ils ont de l'esprit et qu'ils sont artistes. Cette fantaisie de détruire l'immortalité de l'âme, la véritable et progressive persistance du moi est un péché de lèse-philosophie française. Pour conserver tout ce que la foi a de pur et de sublime, il faut le talent, le coeur et l'esprit français. Les Allemands sont trop bêtes pour croire à autre chose qu'au matérialisme; je regrette de voir leur influence sur ces beaux et grands esprits dont la France serait encore plus fière s'ils étaient plus chauds et plus hardis.

Ah! si j'étais homme, si j'avais votre capacité, votre temps, vos livres, votre âge, votre liberté, je voudrais faire une belle campagne, non pas contre ces grands esprits dont nous parlons: je les aime et je les admire trop pour cela; mais, à côté d'eux, puisant en eux les trois quarts de ma force, et en moi, dans mon sentiment de l'impérissable, la conclusion qui répondrait au coeur.

Non, la conclusion, de MM. Renan et Littré ne suffit pas. Ressusciter dans la postérité par la gloire, n'est pas une idée aussi désintéressée qu'ils le disent. Leur devise est belle: «Travailler sans espoir de récompense; la récompense est dans le bien qu'on fait.»

Oui, à condition qu'on pourra le faire toujours et le recommencer éternellement; le faire pendant une cinquantaine d'années, c'est se contenter de trop peu, c'est se contenter d'un devoir trop vite fait. Et puis, le spectacle et le sens du vrai et du beau est trop grand pour qu'une vie suffise à le contempler et à le savourer. Ce défaut de proportion serait un manque d'équilibre inadmissible.

Oui, j'irai à Paris pour quelques jours seulement. Mais, entre nous, je m'occupe d'arranger ma vie pour être un peu plus libre. Me voilà dans ma soixantième année. C'est un chiffre rond et je sens un peu le besoin de la locomotion pour mon tardif été de la Saint-Martin.

Je serai bien heureuse de vous revoir à de moins longs intervalles.—Nous restons quand même, c'est-à-dire malgré mes reproches à la tendance matérialiste de M. Renan, bien d'accord, vous et moi, sur l'excellence et l'utilité de sa Vie de Jésus. S'il savait la lettre que vous m'avez écrite, c'est celle-là qu'il voudrait, le gourmand!

À vous de coeur, mon cher prince, pour moi et mes enfants.

G. SAND.

Je suis dans une douleur inquiète aujourd'hui. Je vois, parmi les pendus de Varsovie, le nom de Piotrowski, et je ne sais pas si c'est celui qui s'était évadé miraculeusement de la Sibérie. Je le connaissais, c'était un héros. Savez-vous si c'est lui?

DXXXVIII

A M. AUGUSTE VACQUERIE, A PARIS

Nohant, 28 décembre 1863.

Je ne vous ai pas remercié du plaisir que m'a causé Jean Baudry. J'espérais le voir jouer. Mais, mon, voyage à Paris étant retardé, je me suis décidée à le lire, non sans un peu de crainte, je l'avoue. Les pièces qui réussissent perdent trop à la lecture, la plupart du temps. Eh bien, j'ai eu une charmante surprise. Votre pièce est de celles qu'on peut lire avec attendrissement et avec une satisfaction vraie.

Le sujet est neuf, hardi et beau. Je trouve un seul reproche à faire à la manière dont vous l'avez déroulé et dénoué: c'est que la brave et bonne Andrée ne se mette pas tout à coup à aimer Jean à la fin, et qu'elle ne réponde pas à son dernier mot: «Oui, ramenez-le, car je ne l'aime plus, et votre femme l'adoptera;» ou bien: «Guérissez-le, corrigez-le, et revenez sans lui.»

Vous avez voulu que le sacrifice fut complet de la part de Jean. Il l'était, ce me semble, sans ce dernier châtiment de partir sans récompense.

Vous me direz: «La femme n'est pas capable de ces choses-là.» Moi, je dis: «Pourquoi pas?» Et je ne recule pas devant les bonnes grosses moralités: un sentiment sublime est toujours fécond. Jean est sublime; voilà que cette petite Andrée, qui ne l'aimait que d'amitié, se met à l'aimer d'enthousiasme, parce que le sublime a fait vibrer en elle une force inconnue. Vous voulez remuer cette fibre dans le public, pourquoi ne pas lui montrer l'opération magnétique et divine sur la scène? Ce serait plus contagieux encore; on ne s'en irait pas en se disant: «La vertu ne sert qu'à vous rendre malheureux.»

Voilà ma critique. Elle est du domaine de la philosophie et n'ôte rien à la sympathie et aux compliments de coeur de l'artiste. Vous avez fait agir et parler un homme sublime. C'est une grande et bonne chose par le temps qui court. Je suis heureuse de votre succès.

GEORGE SAND.

DXXXIX

A M. ÉMILE AUGIER. A CROISSY

Nohant, 25 décembre 1863.

Cher ami,

Je vous envoie, pour vous faire rire un instant, une lettre-pétition qui m'a été adressée; plus une lettre de vous que je vous restitue; plus une lettre de moi à ce monsieur que je ne connais pas et à qui je n'aurais pas répondu si vous ne l'eussiez jugé digne d'une réponse de vous. J'en conclus qu'il y a peut-être en lui quelque chose de bon; mais, à coup sûr, il est fou, et sa vanité le rend mauvais par moment. Si vous jugez qu'au lieu de le ramener à la raison ma lettre doit lui donner un accès de fièvre chaude, jetez le tout au feu. Sinon, jetez ma dite lettre à la poste.

Ceci a de bon que je vous sais occupé d'une nouvelle pièce. Tant mieux! ne vous laissez pas distraire par les Schiller qui frappent à votre porte. Il doit y en avoir beaucoup, si c'est comme chez moi. Ne vous donnez pas la peine de me répondre, si vous êtes absorbé. Votre prochaine pièce sera une bonne récompense de mes voeux d'amitié sincère.

G. SAND.

A M**

Nohant, 25 décembre 1863.

Monsieur,

Je suis franche, c'est pourquoi j'ai beaucoup d'ennemis. Je vois bien, à votre indignation contre mon ami Augier, que, si je ne trouve pas que vous soyez Schiller, vous m'accuserez de n'avoir pas de coeur. Soyez donc mon ennemi tout de suite, si vous voulez.

Je refuse l'honneur que vous me faites de me prendre pour arbitre. Je ne rends pas de services sous le coup d'une menace, et ce n'est pas parce que vous me traitez d'impératrice que je perdrais le droit de vous dire que vous n'êtes pas Schiller, et que je ne suis pas Goethe. Mais, si vous êtes réellement Schiller, consolez-vous, vous n'avez besoin de personne, vous ferez quelque jour un chef-d'oeuvre que l'on s'arrachera. Il ne s'agît que de le faire; moi, cela ne m'est pas encore arrivé; on ne s'arrache pas mes pièces, on m'en a refusé plus d'une, et je ne m'en suis pas courroucée. Je me suis dit que je n'étais pas Goethe.

Et puis, si vous êtes Schiller, pourquoi offrir vos pièces aux Folies-Dramatiques, qui probablement refuseraient Schiller en personne, sans pour cela l'insulter ni le méconnaître, mais par la seule raison que son génie n'entrerait pas dans leur cadre? Présentez vous aux théâtres vraiment littéraires, et qui sont subventionnés pour l'être, et soyez sûr que, si vous leur apportez quelque chose de beau et de bon ils l'accepteront avec empressement, à condition toutefois que ce soit dans la forme voulue; car vous savez bien qu'on n'y peut jouer Schiller ni Goethe qu'avec des arrangements considérables.

Mais vous luttez, dites-vous, depuis treize ans. Eh bien, il est probable que vous n'avez pas la spécialité du théâtre. Cherchez-en une autre, on en a toujours une quand on veut s'interroger soi-même avec courage et modestie.

Courage donc, monsieur; je ne suis pas vindicative; je vous pardonne vos compliments.

G. SAND.

DXL

A M. CHARLES PONCY, A VENISE

Nohant, 28 décembre 1863.

Cher enfant,

Je vous remercie de votre bonne, longue et intéressante lettre, et de vos souhaits du jour de l'an, que je vous renvoie de tout mon coeur, ainsi qu'à votre chère Solange.

Venise est donc finie? Pauvre Venise! mais rien ne finit et un jour viendra où tout ce luxe de beauté perdue sera rajeuni et ressuscité. Nous sommes dans le siècle du marteau qui abat et de la truelle qui reconstruit. Vous me racontez on ne peut mieux tout ce que vous avez vu. Cette vie errante, mais saine au corps et à l'esprit, a dû faire du bien à Solange et je vous engage à ne pas vous en lasser trop vite.

Puisque le pauvre nid est désolé encore, laissez l'herbe et les branches pousser sur le seuil.—Quand vous reviendrez les écarter, les douloureux souvenirs auront fait place à cette grave sérénité que la mort laisse après elle dans les coeurs auxquels la conscience ne reproche rien.

Mais il est inutile de vouloir hâter ce moment. La nature a droit aux larmes. C'est un soulagement qu'elle exige en même temps qu'un noble tribut qu'elle paye. Votre chère enfant reçoit par là un grand baptême. Elle en appréciera plus tard l'effet salutaire et fortifiant.

J'ai reçu toutes vos lettres.—J'ai partagé et ressenti toutes vos émotions. Me voilà enfin sortie, pour quelques jours, d'une grande crise de travail. Pour m'en distraire, je lis Emerson, que je ne connaissais pas. C'est un philosophe américain, à la fois savant, poète, critique et métaphysicien, un vaste cerveau un peu obscurci par trop de clartés diverses, mais sublime, il n'y a pas à dire.

Notre enfant est superbe et remarquablement aimable et gentil. Il a une précocité extraordinaire et qui m'inquiète par moments: quelque chose dans l'oeil qui n'est pas de son âge.—Mais je ne m'arrête pas à cette remarque. La santé, la fraîcheur et l'embonpoint; en outre, la force musculaire sont tout à fait rassurantes. La petite mère est bonne nourrice et absolument dévouée à son petiot. Maurice est donc très heureux et tout le monde vous embrasse tendrement.

DXLI

A M. EUGÈNE CLERH, A PARIS

Nohant, 31 décembre 1863.

Mon cher enfant,

Je vous remercie de votre charmant travail et de vos bons souhaits de nouvelle année. Les petits services que j'ai pu vous rendre portent avec eux leur récompense, puisque vous êtes digne qu'on s'intéresse à vous. Votre excellente mère m'a écrit une aimable lettre dont je vous prie de la bien remercier pour moi. Promettez-lui de ma part, ma constante sollicitude pour vous; car vous serez toujours, je n'en doute pas, raisonnable, laborieux et délicat comme je vous connais à présent.

Soyez sûr, mon cher enfant, que nous faisons tous notre destinée. La société est, dans tous les temps, un océan à traverser dans un sens ou dans l'autre. Petit ou grand, il nous faut faire le voyage. La mer mange un bon nombre de passagers; mais il ne faut pas s'occuper de cela, parce qu'on meurt dans son lit tout aussi bien que dans les tempêtes. Il faut s'occuper de bien naviguer si l'on a une barque, ou de bien nager si l'on n'a que ses bras, et de ne pas être englouti par sa faute.

Avec de l'honneur, du courage, et point de vices, un homme a beaucoup de chances, et, outre la force qu'il puise en lui-même, il est à peu près certain de rencontrer des gens qui l'aideront en le voyant s'aider; ceux qui s'abandonnent sont infailliblement abandonnés; car la mer dont nous parlons est dure pour tous, et chacun, étant forcé de penser à soi, renonce tôt ou tard aux dévouements inutiles.

Vous m'envoyez de jolies étrennes et je vous envoie un sermon en échange. Non, mon cher enfant, c'est un morceau de mon coeur, de mon expérience et de ma conviction que je vous envoie.

GEORGE SAND.

FIN DU TOME QUATRIÈME

TABLE

1854

    CCCLXX. A madame Augustine de Bertholdi. 3 janvier.
   CCCLXXI. A M. Victor Borie. 16 janvier.
  CCCLXXII. A Maurice Sand. 31 janvier.
 CCCLXXIII. Au même. 19 février.
  CCCLXXIV. Au même. 11 mars.
   CCCLXXV. A M. Armand Barbes. 3 juin.
  CCCLXXVI. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 16 juillet.
 CCCLXXVII. A M. Charles Poncy. 16 juillet.
CCCLXXVIII. A M. Victor Borie. 31 juillet.
  CCCLXXIX. A M. Charles Poney. 11 août.
   CCCLXXX. A M. Armand Barbès. 5 octobre.
  CCCLXXXI. Au même. 28 octobre.
 CCCLXXXII. Au même 27 novembre.

1855

 CCCLXXXIII. A M. Charles Jacque. 7 janvier.
  CCCLXXXIV. A M. Charles-Edmond. 16 février.
   CCCLXXXV. A M Edouard Charlon. 14 février.
  CCCLXXXVI. A madame Augustine de Bertholdi. 14 février.
 CCCLXXXVII. A Maurice Sand. 24 février.
CCCLXXXVIII. A mademoiselle Leroyer de Chantepie. 27 février.
  CCCLXXXIX. A M. Eugène Lambert. mars.
      CCCXC. A M. Jules Néraud. 14 avril.
     CCCXCI. A M Ernest Périgois. 9 mai.
    CCCXCII. A S.M. le prince Napoléon (Jérôme). 12 juillet.
   CCCXCIII. A M.***. 3 juillet.
    CCCXCIV. A madame Arnould-Plessy. 20 Aout.
     CCCXCV. A la même. 4 septembre.
   CCCXCVII. A M. Jules Janin. 1er octobre.
  CCCXCVIII. A madame Arnould-Plessy. 21 novembre.
   CCCXCVIX. A M. Alexandre Dumas fils. 26 novembre.

1856

         CD. A M. Paul de Saint-Victor. 9 janvier.
        CDI. Au même. 9 avril.
       CDII. A madame Augustine de Bertholdi. 13 avril.
      CDIII. A madame Arnould-Plessy. 1er mai.
       CDIV. A M. Charles Poney. 23 juillet.
        CDV. A M. Charles Duvernet. novembre.
       CDVI. A M. Ernest Périgois. 20 décembre.

1857

      CDVII. A M. Adolphe Joanne. 29 février.
     CDVIII. A M. Calamatta. 6 avril.
       CDIX. A M. Victor Borie. 16 avril.
        CDX. A M. Charles-Edmond. 13 juin.
       CDXI. A M.***. juillet.
      CDXII. A M. Charles Poncy. 15 août.
     CDXIII. A M. Paul de Saint-Victor. 18 août.
      CDXIV. A S. M. l'impératrice Eugénie. 6 octobre.
       CDXV. A la même. 30 octobre.
      CDXVI. A M. Charles-Edmond. 29 novembre.
     CDXVII. Au même. 8 décembre.
    CDXVIII. A S. M. l'impératrice Eugénie. 9 décembre.
      CDXIX. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). décembre.

1858

       CDXX. A M. Charles-Edmond. 9 janvier.
      CDXXI. A Maurice Sand. 14 janvier.
     CDXXII. Au même. 15 janvier.
    CDXXIII. A M. Charles Duvernet. 16 janvier.
     CDXXIV. A M. Charles-Edmond. 25 janvier.
      CDXXV. Au même. 30 janvier.
     CDXXVI. Au même. 18 février.
    CDXXVII. A M. Paul de Saint-Victor. 3 mars.
   CDXXVIII. A. S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 12 mars.
     CDXXIX. Au même. 25 mars.
      CDXXX. A M. Ernest Périgois. 17 avril.
     CDXXXI. Au même. 23 avril.
    CDXXXII. Au même. 30 mai.
   CDXXXIII. A. mademoiselle Leroyer de Chantepie. 5 juin.
    CDXXXIV. A Maurice Sand. 10 juin.
     CDXXXV. A M. Charles Poncy. 19 juin.
    CDXXXVI. A M. Ferri-Pisani. 28 juin.
   CDXXXVII. A M. Frédéric Villot. 4 septembre.
  CDXXXVIII. Au même. 12 septembre.
    CDXXXIX. A M. Victor Borie. 13 octobre.
       CDXL. A M. Ferri-Pisani. 21 octobre.
      CDXLI. A M. Édourd Charton. 20 novembre.
     CDXLII. A madame Arnould-Plessy. 9 décembre.
    CDXLIII. A M. Charles Poncy. 17 décembre.
     CDXLIV. Au même. 28 décembre.
      CDXLV. A madame Arnouîd-Plessy. 29 décembre.

1859

     CDXLVI. A M. Octave Feuillet. 19 février.
    CDXLVII. Au même. 27 février.
   CDXLVIII. A M. Ludre Gabillaud. 29 février.
     CDXLIX. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 25 août.
        CDL. A M. Alexandre Dumas fils. 7 décembre.
       CDII. A.M. Charles-Edmond. 18 décembre.
      CDLII. A M. Desplanches. 26 décembre.

1860

     CDLIII. A M. Charles Duvernet. 7 janvier.
      CDLIV. A Maurice Sand. 8 février.
       CDLV. A M. Charles-Edmond. 11 février.
      CDLVI. A mademoiselle Leroyer de Chantepie. 12 février.
     CDLVII. A Maurice Sand. 16 mai.
    CDLVIII. A M. Charles-Edmond. 26 mai.
      CDLIX. À S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 27 juin.
       CDLX. A M. Jules Boucoiran. 31 juillet.
      CDLXI. A madame Pauline Villot. novembre.
     CDLXII. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 9 décembre.
    CDLXIII. A M. Alexandre Dumas fils. 11 décembre.
     CDLXIV. A M. Charles Poncy. 20 décembre.
      CDLXV. A M. Ernest Périgois. 25 décembre.
     CDLXVI. A mademoiselle Nancy Fleury. 27 décembre.

1861

    CDLXVII. A M. et madame Ernest Périgois. 20 janvier.
   CDLXVIII. A M. Charles Duvernet. 14 février.
     CDLXIX. A. M. et madame Ernest Périgois. 20 février.
      CDLXX. A M Charles Duvernet. 24 février.
     CDLXXI. A M. Jules Boucoiran. 25 février.
    CDLXXII. A M. Charles Duvernet. 15 mars.
   CDLXXIII. A madame Pauline Villot. 11 mai.
    CDLXXIV. A la même. 19 avril.
     CDLXXV. A M. Charles Poncy. 24 avril.
    CDLXXVI. A madame Pauline Villot. 11 mai.
   CDLXXVII. A Maurice Sand. 15 mai.
  CDLXXVIII. Au même. 22 mai.
    CDLXXIX. A M. Charles Poncy. 5 juin.
     CDLXXX. A Maurice Sand. 8 juin.
    CDLXXXI. A M. Alexandre Dumas fils. 8 juin.
   CDLXXXII. A madame Pauline Villot. 11 juin.
  CDLXXXIII. A M. Victor Borie. 20 juin.
   CDLXXXIV. A M. Charles Poncy. 30 juin.
    CDLXXXV. A M. Victor Borie. 2 juillet.
   CDLXXXVI. A M. Armand Barbes. 14 juillet.
  CDLXXXVII. A Maurice Sand. 27 juillet.
 CDLXXXVIII. A M. Adolphe Joanne. 6 août.
   CDLXXXIX. A Maurice Sand. 11 août.
       CDXC. A. madame Pauline Villot. 11 août.
      CDXCI. A M. Alexandre Dumas fils. 11 août.
     CDXCII. A Maurice Sand. 1er septembre.
    CDXCIII. A M. Victor Borie. 8 septembre.
     CDXCIV. A Maurice Sand. 22 septembre.
      CDXCV. A M. Armand Barbes. 4 octobre.
     CDXCVI. A madame Pauline Villot. 10 octobre.
    CDXCVII. A Maurice Sand. 10 octobre.
   CDXCVIII. A M. Charles Poney. 20 octobre.
     CDXCIX. A M. Alexandre Dumas fils. 7 novembre.
          D. Au même. 20 novembre.
         DI. A M. Armand Barbes. 1st décembre.
        DII. A M. Charles Duvernet. 7 décembre.
       DIII. A M. Charles Poncy. 28 décembre.

1862

        DIV. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 7 janvier.
         DV. A M. Armand Barbes. 8 janvier.
        DVI. A madame Pauline Villot. 22 février.
       DIII. A M. Charles Duvernet. 24 février.
      DVIII. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 25 février.
        DIX. Au même. 26 février.
         DX. A Madame Pauline Villot. 27 février.
        DXI. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 5 mars.
       DXII. A M. Alexandre Dumas fils. 10 mars.
      DXIII. A mademoiselle Lina Calamatla. 31 mars.
       DXIV. A M. Marjollay. 6 avril.
        DXV. A M. Armand Barbès. 3 mai.
       DXVI. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 11 mai.
      DXVII. A madame d'Agoult. 7 juin.
     DXVIII. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 26 juillet.
       DXIX. A mademoiselle Nancy Fleury. 7 août.
        DXX. A madame d'Agoult. 23 octobre.
       DXXI. A S-A. le prince Napoléon (Jérôme). 14 décembre.

1863

      DXXII. A M. Edouard Cadol. 29 janvier.
     DXXIII. A M. Gustave Flaubert. 2 février.
      DXXIV. A M. Edouard Cadol. 6 février.
       DXXV. Au même. 7 février.
      DXXVI. A M.***. 26 février.
     DXXVII. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 22 mars.
    DXXVIII. A M. Edmond About. mars.
      DXXIX. A M.***. avril.
       DXXX. A M. Alexandre Dumas fils. 14 juillet.
      DXXXI. A M. Leblois. 3 août.
     DXXXII. A M. Joseph Dossauer. 15 août.
    DXXXIII. A M. Alexandre Dumas fils. 26 août.
     DXXXIV. A M. Charles Poncy. 27 août.
      DXXXV. A M. Alexandre Dumas fils. 1st octobre.
     DXXXVI. A S. A. le prince Napoléon (Jérôme). 19 novembre.
    DXXXVII. Au même. 24 novembre.
   DXXXVIII. A M. Auguste Vacquerie. 23 décembre.
     DXXXIX. A M. Emile Augier. 25 décembre.
        DXL. A M. Charles Poncy. 28 décembre.
       DXLI. A M. Eugène Clerh. 31 décembre.

FIN DE LA TABLE DU TOME QUATRIÈME

End of Project Gutenberg's Correspondance, 1812-1876, Tome 4, by George Sand

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