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Cri des colons contre un ouvrage de M. l'évêque et sénateur Grégoire, ayant pour titre 'De la Littérature des nègres'

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The Project Gutenberg eBook of Cri des colons contre un ouvrage de M. l'évêque et sénateur Grégoire, ayant pour titre 'De la Littérature des nègres'

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Title: Cri des colons contre un ouvrage de M. l'évêque et sénateur Grégoire, ayant pour titre 'De la Littérature des nègres'

Author: F.-R. de Tussac

Release date: February 8, 2008 [eBook #24555]

Language: French

Credits: Produced by Suzanne Shell, Rénald Lévesque and the Online
Distributed Proofreading Team at http://www.pgdp.net

*** START OF THE PROJECT GUTENBERG EBOOK CRI DES COLONS CONTRE UN OUVRAGE DE M. L'ÉVÊQUE ET SÉNATEUR GRÉGOIRE, AYANT POUR TITRE 'DE LA LITTÉRATURE DES NÈGRES' ***





CRI DES COLONS

CONTRE UN OUVRAGE

DE

M. L'ÉVÊQUE ET SÉNATEUR

GRÉGOIRE,

AYANT POUR TITRE DE LA LITTÉRATURE
DES NÈGRES,

OU

RÉFUTATION des inculpations calomnieuses faites aux Colons par l'auteur, et par les autres philosophes négrophiles, tels que Raynal, Valmont de Bomare, etc.

Conduite atroce des Nègres et des Mulâtres qui ont joué les premiers rôles dans les scènes tragiques de S. Domingue, et dont l'évêque Grégoire préconise les qualités morales et sociales.

DISSERTATION SUR L'ESCLAVAGE.

Devoit-on? pouvoit-on affranchir tous les Nègres dans un jour? L'évêque Grégoire n'a point eu pour but, dans son ouvrage, de prouver la Littérature des Nègres.



A PARIS,

CHEZ LES MARCHANDS DE NOUVEAUTÉS.

1810.



DÉDICACE.

NOTRE dédicace sera courte; nous n'avons pas eu, comme les nègres, le bonheur de trouver cent soixante-dix-sept défenseurs, dont l'évêque Grégoire cite les noms, et auxquels il dédie son ouvrage. Nous faisons hommage du nôtre à un seul François, dont nous ignorons même le nom, mais dont le courageux et vertueux dévouement à notre cause, est parvenu jusqu'à nous au-delà des mers, et restera pour jamais gravé dans nos coeurs. Un seul François, rédacteur du Journal historique et politique de la Marine et des Colonies, en 1796 1, osa faire entendre la vérité, en dénonçant au Directoire la perfidie et la scélératesse de ses agens dans les colonies. Nous allons rapporter mot pour mot l'article du journal, pour ne pas le dénaturer ni l'affoiblir.

Note 1: (retour) Voyez Journal historique et politique de la Marine et des Colonies, 27 novembre 1796, nº 102.

«Le Directoire, obligé de s'en rapporter aux déclarations de ses agens dans les colonies, est trompé, comme l'ont été les trois législatures qui ont procédé la constitution de 1795. Des agens de l'Angleterre, des ennemis implacables de la classe la plus industrieuse des colonies, occupent toutes les places dans le Nouveau-Monde; et c'est sur le rapport de pareils hommes que le Corps Législatif prononceroit sur le situation politique et commerciale des colonies! sur le rapport des bourreaux on prononceroit sur le sort des victimes! Non, le Directoire a été surpris; il ne confondra pas long-temps l'imposture avec la vérité; les traîtres qui ont perdu les colonies, avec ceux qui, après les avoir défendues au prix de leur sang et de leur fortune, demandent justice ou la mort. Ce rapport n'est pas du Directoire, des sentimens plus justes l'eussent dicté; protecteur de l'égalité, il n'eût pas laissé dans l'oubli la classe blanche, classe respectable par ses malheurs, pour n'occuper le Corps législatif que des brigands qui ont dévasté cet infortuné pays, que des scélérats qui, après les avoir mis en mouvement, surprennent sans cesse la religion, et trompent la confiance du Directoire. Puisque le Directoire ne peut se rapporter qu'à la correspondance de ses agens, nous croirions trahir les intérêts de la France et de ses colonies, si nous n'observions pas combien il seroit dangereux de ne pas remonter plus haut.

«Quand les colonies fleurissoient; quand la France jouissoit de la prépondérance dans le commerce du monde entier, les propriétés étoient respectées, la sûreté individuelle n'étoit pas une chimère, la classe blanche animoit tout par la supériorité des moyens que la nature et l'éducation lui donnoient sur les autres classes; l'installation du Directoire eût dû être le retour aux principes de justice et de cette égalité que ses agens méprisent et rejettent dans les colonies de la manière la plus outrageante pour le nom françois. Est-ce la persécution, est-ce la nullité des blancs qui doit constituer l'égalité des hommes libres dans les colonies? Voilà pourtant l'infamie, l'injustice qu'on voudroit faire consacrer au Corps législatif.

«On ne peut lire sans éprouver une foule de sentimens contradictoires les uns aux autres; on ne peut lire sans gémir, le passage suivant de ce message:

«L'article XV de la déclaration des droits, assure à jamais à la République toute la population noire des colonies. Cet article, il est vrai, contrarie les habitans et l'intérêt de quelques anciens propriétaires; de là les haines contre les agens, qui cependant ne doivent être considérés que comme chargés de faire exécuter le voeu du peuple françois.

«Par quel abus de mots on en impose sans cesse au Peuple françois, au Corps législatif et au Directoire, qui, dans ce moment, par une confiance immodérée, consacre dans ce paragraphe l'assassinat des colons blancs et l'incendie des propriétés 2! Il ne reste plus qu'à faire égorger les restes de cette triste population, qu'à incendier les vestiges mêmes de cette colonie (cela est arrivé), à qui toutes les villes maritimes de la France ont dû leur élévation, et dont les puissances étrangères seront éternellement jalouses, si le gouvernement redevient juste envers les colons.

Note 2: (retour) L'événement n'a que trop justifié cette assertion.

«Connoît-on en France, le Directoire même connoît-il cette population que l'article XV de la déclaration des droits assure, dit-il, à la République? Aveugle crédulité des François, opiniâtreté à ne point entendre les colons, vous fûtes (et vous êtes encore) la source de tous nos maux! Qui détruira votre funeste influence? le Directoire. Les François savent-ils qu'avec une misérable bouteille de taffia (eau-de-vie de sucre) il n'est peut-être pas un nègre qu'on ne rende François le matin, Anglois à midi, et Espagnol le soir 3. C'est l'armée noire de Sonthonax qui répondoit à la République de la sûreté du Port-au-Prince et des quarante-huit bâtimens de commerce qui étoient dans la rade. Les Anglois s'en sont emparés sans coup férir (plusieurs de nous étoient témoins), et on affecte d'oublier que le général Montbrun, présent à l'attaque, a déclaré, a imprimé que Sonthonax avoit livré cette ville aux Anglois 4. Accusera-t-on les blancs? il n'y en avoit plus; chassés, égorgés, déportés ou emprisonnés, tous avoient disparu. Étoit-ce là l'esprit de la constitution? Étoit-ce là le voeu du peuple françois? Et quand a-t-il manifesté le désir, la volonté de faire égorger par les agens du gouvernement, ses amis, ses parens, ses frères? Le peuple françois connoissoit à peine l'état des colonies; que pouvoit-il vouloir? quel voeu pouvoit-il former? il vouloit l'égalité, mais ordonna-t-il à ses constitués le massacre et l'incendie des colonies? Peuple françois, réponds enfin au cri des colons... Le sang qui a coulé dans les colonies n'est-il pas le sang qui circule dans tes veines? et est-il un François qui n'ait pas perdu à S. Domingue un parent, ou un ami? et ce sont les plaintes des colons, leur regrets, qu'on appelle résistance à la loi! Falloit-il tendre la gorge aux couteaux africains? falloit-il encore baiser la main qui dirigeoit les torches et les poignards? pense-t-on enfin que le tropique ait altéré chez les colons le caractère françois? Que le François des colonies ne soit pas sensible à l'injustice et aux outrages? il abhorre la tyrannie, et celle qu'on lui reproche, et qui étoit plutôt une surveillance aussi indispensable qu'utile à la métropole, à l'humanité même, fut toujours exagérée pour servir de prétexte à la destruction des colonies et aux projets de l'Angleterre.

Note 3: (retour) En voici la preuve la plus convainquante. Quand les Anglois se sont emparés des quartiers de S. Marc, du Port-au-Prince et Jérémie, ils ont formé des régimens de nègres, commandés par des blancs; ces nègres se battoient contre les républicains qui vouloient leur donner la liberté, et tuoient leurs frères nègres, parce qu'ils vouloient être libres.
Note 4: (retour) Ce qui vient à l'appui de cette inculpation, c'est que quand les Anglois eurent pris possession de la ville du Port-au-Prince, des habitans dirent au général anglois que Sonthonax étoit parti de la ville avec plusieurs mulets chargés d'argent; qu'il n'étoit pas encore bien loin, et qu'il seroit facile de le joindre. Le général anglois répondit qu'il falloit le laisser aller.

«Nos propriétés sont détruites, notre sûreté fut mille fois compromise; nos familles sont dispersées, en proie à la misère, après avoir été exposées au mépris national, après avoir échappé à la mort dans les deux hémisphères: tel fut (et tel est encore aujourd'hui) le sort des colons; le sort du plus infortuné propriétaire européen est-il comparable à celui du propriétaire de S.-Domingue? Nous en appelons à tous les peuples sensibles témoins de nos malheurs».

Quæ regio in terris nostri non plena laboris.

Qui donc aura pitié de nous; qui versera sur nos plaies, que le temps n'a pu cicatriser, un baume salutaire? L'enfant prodigue, malgré ses fautes, fut reçu dans le sein de sa famille, et y trouva secours et consolation; nos malheurs ne sont pas (quoiqu'on en dise) l'effet de notre inconduite; pourtant au lieu de secours et de consolations que nous avions droit d'espérer en rentrant dans notre ancienne patrie, la coupe de larmes et de fiel dont nous sommes abreuvés depuis long-temps, vient d'être remplie de nouveau; et par qui? Nous laissons à une plume plus exercée que la nôtre, le soin de le faire connoître:

«Un athlète courageux, dit M. de Lanjuinais, descend de nouveau dans l'arène avec les armes qui lui sont depuis long-temps familières, celles de la raison, de la religion, du sentiment et de l'érudition la plus étonnante; on aime, dit-il, à voir s'avancer dans cette noble carrière, un membre distingué du Sénat conservateur et de l'Institut national, un évêque illustre, un écrivain courageux, que rien n'a pu détacher des idées religieuses et libérales; qui s'est montré constamment le patron des opprimés (noirs)».

Nous eussions peut-être pensé comme M. de Lanjuinais, en 1790, à quelques modifications près... Mais depuis que les prétendus opprimés sont devenus les oppresseurs, depuis que foulant aux pieds tous les sentimens de la nature et de la raison, ils ont assassiné les blancs, leurs maîtres, de la manière la plus atroce et la plus outrageante; depuis qu'ils ont poussé l'excès de dégradation humaine jusques à porter leurs mains sacriléges sur les blancs mêmes, qui, après leur avoir donné la liberté, combattoient encore avec eux pour la leur conserver 5; depuis qu'ils ont trempé leurs mains parricides dans le sang de leurs propres enfans, les hommes de couleur et nègres libres; depuis que ne pouvant plus assouvir leur rage sanguinaire sur les blancs et sur les mulâtres, ils s'entre-détruisent eux-mêmes, et qu'ils ont réduit à l'esclavage le plus misérable ceux de leurs frères qui ne sont pas en état de porter les armes pour eux; depuis... n'en avons-nous pas assez dit? nous en appelons au tribunal de la raison, de la saine politique, de la religion même; pourra-t-on croire? la postérité croira-t-elle qu'une caste, telle que nous venons de la peindre? que disons-nous, dont nous venons d'esquisser le tableau, a trouvé un célèbre panégyriste. C'est selon lui la race primitive, le type du genre humain. C'est à cette race que nous devons toutes les sciences même l'art de parler et d'écrire... au moins l'auteur conviendra-t-il qu'il n'a pas été heureux dans le choix des circonstances, pour faire paroître ce panégyrique:

Non erat hic locus.....

D'après la lecture de l'ouvrage de l'évêque Grégoire, d'après celle de l'article du journaliste de la marine et des colonies, nous laissons à la saine partie des François à porter son jugement; les colonies sont perdues par l'opinion de l'un, elles eussent été sauvées si l'on eût écouté l'autre.

Note 5: (retour) Ils ont chassé de Saint-Domingue Sonthonax, qu'ils appeloient leur père au commencement de la révolution, et ils l'auroient détruit s'il eût resté. Ils ont détenu pendant neuf mois le commissaire Roume, qui étoit tout pour eux, dans une prison étroite, au dondon, où il seroit mort de faim, si les blancs, plus charitables qu'ils ne devoient l'être à l'égard des émissaires de la République, ne lui eussent fait passer des vivres. Ils ont horriblement traité le général Vincent, qui n'a jamais cessé, même après les mauvais traitemens qu'il en a reçus, de plaider leur cause.....

Recevez l'hommage de notre reconnoissance, vertueux et courageux François, malheureusement pour la France, malheureusement pour nous, malheureusement pour les nègres eux-mêmes, vous avez prêché dans le désert; l'astre pur de la vérité pouvoit-il faire briller ses feux au travers des nuages épais de toutes les passions déchaînées?



AVANT-PROPOS


COUCHÉS nonchalamment sur les sombres bords du fleuve d'oubli, où nous essayons vainement, depuis bien des années, de noyer le triste souvenir de nos malheurs, nous contemplions avec surprise le nombre presque incalculable de productions éphémères dont ce fleuve étoit couvert, et qui livrées à la rapidité de son courant, arrivent dans peu de temps dans cette mer sans fond où elles s'engloutissent pour jamais. Une de ces productions peu éloignée du rivage, nous permit d'en lire le titre (de la Littérature des Nègres). En notre qualité de colons, ce titre étoit de nature à piquer notre curiosité, nous fîmes donc tous nos efforts pour la retirer du fleuve, et nous y réussîmes. Après la lecture de cet ouvrage qui excita notre juste indignation, nous mîmes en délibération si nous rejetterions dans le fleuve cette compilation ridicule de calomnies invraisemblables, et de faits, qui dans la supposition même que quelques-uns fussent vrais, ne prouveroient pas plus contre la généralité des colons que le caractère féroce de Robespierre et de quelques autres monstres de la révolution, prouve contre la nation françoise.

Nous mettrons-nous en devoir de confondre l'auteur? la lutte ne seroit pas égale. M. de Lanjuinais nous apprend 6 que nous ayons affaire à un athlète vigoureux, habitué de longue main à manier les armes triomphantes de l'érudition la plus étonnante; tandis que nous, malheureux colons, n'avons pas eu même assez de connoissance en littérature pour soupçonner celle des nègres; et notre intelligence est si bornée, que nous ne l'avons pas plus connue après la lecture de l'ouvrage de l'évêque Grégoire.

Note 6: (retour) Voy. la notice de l'ouvrage de M. l'évêque et sénateur Grégoire, par J. D. Lanjuinais, pag. 6.

Peut-être devrions-nous nous borner à interposer entre l'auteur et nous la barrière du mépris: nous avions déjà pris ce parti, relativement à ses anciennes opinions, parce qu'elles furent énoncées dans un temps où l'exaltation générale, ayant fait dévier le génie et taire la raison, ne permettoit peut-être pas d'apercevoir dans l'avenir les conséquences funestes, et pour les blancs et pour les nègres eux-mêmes, que ces opinions, au moins irréfléchies, pouvoient et devoient infailliblement avoir, et qu'elles ont eues malheureusement; mais depuis que la raison, ayant repris son empire, a rendu aux François leur forme naturelle, et a posé des digues insurmontables aux laves dévorantes que vomissoit un impur cratère; depuis que l'expérience, contre laquelle échouent toutes les théories et tous les raisonnemens, a démontré à l'univers que la race actuelle des nègres, qui n'a rien de commun que la couleur avec quelques individus nègres dont parle l'évêque Grégoire; que cette race, disons-nous, étoit incapable de jouir de la liberté sans y avoir été préparée de longue main; l'évêque Grégoire ose remuer des cendres encore fumantes, et ne craint pas d'exciter de nouveau un embrasement qui pourra consumer le reste des colonies. L'expérience du passé n'est rien pour lui; le massacre presque général des colons, la destruction presqu'entière des hommes de couleur; l'anéantissement des deux tiers de la population noire; la misère affreuse de leurs vieillards, des infirmes, des orphelins, hors d'état de pourvoir à leur subsistance, et qui n'ont sorti de l'esclavage moral, que pour tomber dans celui de la nécessité, le pire de tous, la guerre sanglante qu'ils se font entr'eux, toutes ces considérations sont nulles aux yeux de l'auteur.

Notre silence ne seroit-il pas coupable, lorsque la sécurité des colonies encore intactes et l'existence des colons échappés aux premiers désastres est de nouveau compromise? Qu'on ne s'attende pas à trouver dans notre ouvrage ni pureté de style, ni érudition, ni littérature; des cultivateurs ne sont point des savans: nous cédons à nos nègres la prééminence que leur accorde, sur ce point et sur bien d'autres, l'évêque Grégoire.

CRI DES COLONS

CONTRE UN OUVRAGE

DE

M. L'ÉVÊQUE ET SÉNATEUR

GRÉGOIRE,

AYANT POUR TITRE DE LA LITTÉRATURE
DES NÈGRES.



CHAPITRE PREMIER

ANALYSE DE LA DÉDICACE DE L'AUTEUR

Ridiculum acre fortiùs et meliùs magnas plerumque secat reis.

Monsieur l'abbé, vous n'ignorez de rien;
Onc on ne vit mémoire si féconde!

Qui ne sera pas surpris avec nous de la prodigieuse mémoire de l'évêque Grégoire, qui a pu se rappeler les noms (dont plusieurs sont, à la vérité, très-mémorables) de soixante-onze philantropes françois et une Françoise; de vingt-deux Américains; de neuf Nègres ou sang mêlé; de sept Allemands et une Allemande; de huit Danois; de huit Suédois; de six Hollandois et une Hollandoise; de quatre Italiens; d'un Espagnol; de cent trente-sept Anglois et neuf Angloise; mais n'y auroit-il pas un peu d'anglomanie dans le fait de l'auteur? Quoi, la nation angloise l'auroit emporté en philantropie sur la françoise! Au reste, nous sommes sur ce point un peu de son avis; car, en cherchant à améliorer le sort des nègres, les négrophiles anglois n'ont point à se reprocher d'avoir fait sacrifier les blancs; et parmi cent quarante-six noms d'Anglois que cite l'évêque Grégoire, il n'en est pas un seul connu pour devoir être effacé des fastes de la vertu: de l'aveu même de l'auteur, il n'en est pas ainsi de quelques noms de François qu'il a cités, et auxquels il a fait hommage de son ouvrage. Ne serions-nous pas fondés à faire à l'évêque Grégoire le reproche d'avoir confondu les noms des uns et des autres dans la même citation? N'est-ce pas nous exposer à des incertitudes, à des méprises fâcheuses, et peut être à exagérer le nombre des individus qui se trouvent dans la malheureuse hypothèse?

L'esprit de l'homme est si enclin à mal penser; d'ailleurs, nous étions à dix-huit cents lieues de la France, et d'après la conduite atroce à notre égard, des négrophiles qui nous étoient venus de ce pays là, n'étions-nous pas un peu fondés à porter un jugement défavorable sur le compte de ceux dont ils se disoient les envoyés? Cependant la connoissance que nous avons acquise de plusieurs d'entr'eux, à notre arrivée en France, nous a pleinement convaincus de la pureté de leurs intentions; ils vouloient un plan d'affranchissement basé sur la certitude morale, que l'existence physique des colons ne seroit en aucune manière compromise.

Revenons à la dédicace de l'évêque Grégoire. Il ne cite que vingt-deux Américains; comment ce prélat a-t-il oublié de donner les noms de tous les quakers? cette liste vraiment honorable auroit figuré merveilleusement dans sa dédicace; nous croyons deviner la cause de cet oubli; la conduite raisonnée de ces véritables philantropes, à l'égard des nègres, auroit été la critique la plus forte de celle des négrophiles françois. Les quakers cherchent à faire instruire et à civiliser les nègres, afin de les mettre dans le cas de pouvoir jouir d'un bienfait dont il faut savoir apprécier l'étendue avec assez de discernement, pour ne pas chercher à en reculer les limites d'une manière dangereuse pour la société, et pour soi-même.

Qu'est-il arrivé en France, lorsque le mot liberté a été prononcé parmi un peuple que l'on devoit croire civilisé? et les négrophiles n'ont pu prévoir ce qui pouvoit arriver parmi des sauvages! ou, s'ils l'ont prévu, que penser d'une pareille philantropie? Allemagne, Danemarck, Suède, Hollande, Italie, il eût été préférable pour vous que l'évêque Grégoire vous eût oubliés, la postérité auroit au moins ignoré que, dans cinq royaumes, il ne s'est trouvé que trente-six négrophiles. Mais! nous tromperions-nous? l'évêque Grégoire ne cite que huit nègres, ou sang mêlé; seroit-il possible, que dans le grand nombre de littérateurs qu'il promet de nous faire connoître, il se soit trouvé si peu de nègres et de mulâtres qui aient employé leurs talens littéraires à plaider la cause de leurs frères et la leur? Peut-on avoir de meilleur avocat que soi-même? d'ailleurs il en coûte moins, car il faut payer les commettans et les avocats. A Dieu ne plaise que nous ayons l'intention de donner à entendre que l'évêque Grégoire ait jamais rien reçu des nègres ou mulâtres; nous avons appris de lui-même qu'il en a été soupçonné, mais nous lui rendons la justice qu'il mérite, et sommes bien persuadés qu'il n'a soutenu la cause des nègres, que par amour pour l'espèce humaine, noire! nous disons noire, parce que, dans des temps qu'il est douloureux de rappeler, quelques classes de la société blanche, ayant été plus qu'opprimées, il ne nous est parvenu, à Saint-Domingue, aucun ouvrage de l'évêque Grégoire, qui eût pour but de prouver que les individus de ces classes étoient des hommes comme les autres, et qu'il falloit les traiter en frères.

Heureux Avendano! votre nom inscrit seul dans les fastes de la philantropie africaine, deviendra à jamais célèbre; qu'eût pensé la postérité de la nation espagnole et portugaise, si l'évêque Grégoire ne lui eût appris que si vous vous êtes mis seul en frais de prouver à l'univers que les nègres appartiennent à la grande famille du genre humain, et non à celle des singes, c'est qu'au-delà des Pyrénées les droits des nègres ne furent jamais problématiques: nous vous avouerons franchement que cette assertion est un vrai problème pour nous; car si les Espagnols et les Portugais étoient bien convaincus que les nègres sont en tout leurs égaux et ont les mêmes droits qu'eux, maintiendroient-ils l'esclavage dans leurs colonies? Ils font donc comme beaucoup d'autres, ils pensent et écrivent très-bien, et agissent fort mal. Que l'évêque Grégoire ne croye pas excuser cette inconséquence, en avançant que, dans leurs établissemens, les Portugais et les Espagnols envisagent les nègres comme des frères d'une teinte différente; si, au lieu de borner ses voyages à faire le tour de son cabinet, et avant de vouloir donner l'histoire des nègres, des colonies et des colons qu'il ne connoît pas, il eût eu l'occasion de voir par ses propres yeux, il auroit su que les nègres esclaves, loin d'être traités en frères dans les colonies espagnoles et portugaises, ne parlent jamais, à leurs maîtres, qu'ayant un genou en terre; jamais ils n'ont été soumis à ce degré d'humiliation, dans les colonies françoises. Les Espagnols ne se servent pas, à la vérité, de fouet pour les châtier, mais ils employent une manchette, (espèce de sabre) avec laquelle, dans un mouvement de colère, ils peuvent les blesser, et cela n'arrive que trop souvent; et lorsqu'un nègre récidive, ou à voler ou à aller marron, on lui coupe le jarret, avec cet instrument, ou plutôt, cette arme; cela vaut bien les coups de fouet qu'on donne dans les mêmes circonstances, dans les colonies françoises.

Ce que nous ne pouvons contester, c'est que, dans les colonies espagnoles et portugaises, il existe une bien plus grande quantité d'affranchis que dans les colonies françoises, et que les lois constitutionnelles leur sont beaucoup plus favorables; nous allons en donner la raison, qu'il ne faut chercher, ni dans l'humanité, ni dans la fraternité que l'auteur Grégoire suppose exister entre les maîtres et les esclaves espagnols et portugais. Peu habitués à la médisance, presqu'inconnue dans nos pays, il nous en coûte de révéler que la source de ces affranchissemens n'est pas aussi pure que l'évêque Grégoire a bien voulu le persuader au public. Les besoins physiques, plus pressans sous la zône torride, portent presque'invinciblement un sexe à rechercher l'autre; l'amour ne connoît point de différence entre les états ni entre les couleurs; lorsque, cédant à ce maître du monde, les colons espagnols ou portugais ont eu quelque liaison intime avec une beauté africaine, et que cette liaison a eu des suites, les lois du pays obligent les deux amans à devenir époux; de ces mariages très fréquens, résulte la liberté de la mère négresse et de tous les enfans qui en proviennent; de là une grande quantité de négresses affranchies et un nombre encore plus considérable de mulâtres, qui, quoiqu'ils n'aient ni la couleur de leur père blanc, ni celle de leur mère négresse, n'en sont pas moins légitimes et libres; et par une loi dictée, d'une part par la nature, de l'autre, par l'orgueil, peut-être par une sage politique, ils jouissent du rang et des prérogatives des citoyens blancs; ils peuvent, comme eux, prétendre à toutes les places, lorsqu'ils ont acquis par l'éducation le degré d'instruction nécessaire pour en remplir les devoirs: on en voit d'avocats, de procureurs, de notaires et, même, de prêtres. Comme il est bon d'égayer, de temps à autre les lecteurs, nous rapporterons que quelques-uns de nous voyageant dans la partie espagnole de S.-Domingue, avant qu'elle eût été cédée à la France, nous assistâmes à une grand'messe célébrée par un prêtre nègre, ou noir, ou africain, ou éthiopien, peut-être maure; et malgré que nous fussions entourés d'espagnols, qui ne sont pas très-tolérans dans les églises, il nous fut impossible de nous empêcher de rire, lorsque le célébrant, avec ce ton d'assurance que donne une foi vive, entonna d'une voix de Stentor: Asperges me, domine, hysopo, et mundabor, lavabis me, et super nivem dealbabor; il faudra bien du savon, nous dîmes-nous à l'oreille les uns aux autres, pour que tu deviennes plus blanc que la neige. Nous ignorions, à cette époque, ce que l'évêque Grégoire nous a appris dans son ouvrage; qu'un nègre pouvoit devenir blanc, et qu'il ne falloit que quatre mille ans pour ce changement.

Il est clair, d'après ce que nous venons de dire, que ce n'est point par la belle porte qu'indique l'évêque Grégoire, que les frères noirs entrent dans la famille des frères blancs espagnols ou portugais: ce qui vient encore à l'appui de ce que nous avançons, c'est que il est presque sans exemple qu'une femme espagnole blanche se marie à un esclave noir.

Selon l'évêque Grégoire, chez les Portugais et chez les Espagnols, les droits des nègres ne sont point problématiques, et ces deux nations sont les premières de l'Europe qui aient acheté des Africains pour en faire des esclaves. Ne sont-ce pas les Espagnols, qui, sous le règne de la reine Anne, passèrent un contrat avec les Anglois, contrat connu sous le nom d'assiento, par lequel ces derniers s'engageoient à leur vendre la quantité d'esclaves nécessaire à l'exploitation de leurs colonies? N'est-ce pas un des Espagnols, le plus célèbre par son humanité, Las-Casas, qui, outré de la barbarie de ses concitoyens envers les naturels du Nouveau-Monde, proposa de leur substituer des esclaves africains, ce qui fut accepté et exécuté?

Avant de terminer nos réflexions sur la dédicace de l'évêque Grégoire, qu'il nous permette de lui témoigner notre surprise. Quels patrons a-t-il choisis! quelles autorités à citer, que des hommes dont, d'après son propre aveu, les noms ne peuvent pas être inscrits dans les fastes de la vertu! De quel oeil les gens honnêtes, dont l'opinion, dictée par le coeur (dont trop souvent l'esprit est dupe), verront-ils leurs noms inscrits sur la même ligne que ceux des * * * * dont l'existence physique et morale pourroit être regardée comme un tort de la nature et des lois? Heureux, pour quelques-uns, si leurs noms pouvoient être oubliés comme leurs ouvrages; car si, comme le dit l'évêque Grégoire, il est des auteurs qui ne valent pas leurs livres, il est aussi des livres qui ne valent pas mieux que leurs auteurs; et l'un et l'autre méritent de tomber dans le fleuve d'oubli.



CHAPITRE II

Ce qu'on entend par le mot nègre. Disparité
d'opinion sur leur origine. Unité du type
primitif de la race humaine
.

Si nous avons admiré dans la dédicace de l'ouvrage de l'évêque Grégoire, la prodigieuse mémoire dont la nature a doué ce prélat, nous ne sommes pas moins étonnés de l'immensité des recherches qu'il lui a fallu faire, pour nous apprendre les différens noms qu'ont portés, autrefois, les nègres. «Les Grecs les appeloient Éthiopiens, et cette assertion s'appuye sur des passages de la Bible des septante, d'Hérodote, de Théophraste, de Pausanias, d'Athenée, d'Héliodore, d'Eusèbe, de Flavius-Joseph, de Pline l'ancien et de Térence. A Rome, on les appeloit Africains, mais la dénomination d'Éthiopiens leur étoit donnée en Orient, parce qu'ils y arrivoient par l'Éthiopie.» Cela nous paroît concluant; cependant l'auteur nous apprend que la dénomination d'Africain prévaut actuellement, malgré qu'il y ait des noirs asiatiques; plus loin, il nous parle de nègres pasteurs; ce seront donc des noirs, si l'on veut; des nègres, si on l'aime mieux; des Éthiopiens, si on le préfère; des Africains, selon d'autres; des maures, même, selon quelques-uns; mais l'auteur ne nous dit pas à laquelle de ces dénominations il s'est fixé; quoique cela importe fort peu pour ce qui semble être l'objet de son ouvrage, nous eussions été bien aises de le savoir, afin de ne pas nous servir de dénominations choquantes. Dans le principe de la révolution de S.-Domingue, les Africains ne vouloient plus qu'on les appelât nègres, mais noirs; ensuite ils se donnèrent entr'eux les noms de Monsieur, Madame et Mademoiselle; et ils donnoient aux blancs celui de Citoyen et Citoyenne; ils prétendoient n'être plus ni nègres ni noirs. Ils ne croyoient pas, à cette époque, que la couleur noire étoit la couleur primitive. Cependant, Sonthonax leur avoit déjà dit: «Cette couleur noire étant, selon l'auteur, le caractère le plus marqué qui sépare des blancs une partie de l'espèce humaine, on a été moins attentif aux différences de conformation, qui, entre les noirs eux-mêmes, établissent des variétés.» Il existe donc, d'après M. Grégoire, des variétés parmi les nègres? Mais, n'y auroit-il pas plus loin d'un blanc à un nègre, que d'un nègre à un autre nègre? et s'il existe plusieurs variétés dans l'espèce d'hommes, ne peut-il pas exister plusieurs espèces dans le genre? Les Asiatiques que l'auteur appelle noirs, n'ont autre chose, qui les distingue des blancs, que la couleur; tandis que les Africains qu'il nomme nègres, ont les os des joues proéminens, l'os nazal si court, qu'il est presque oblitéré, le coccis très-allongé, de la laine sur la tête, au lieu de cheveux: si, comme le pensait l'illustre Buffon, la couleur noire étoit l'effet du climat, on pourroit croire que les Asiatiques étoient originairement blancs; mais la différence de conformation dans une grande partie des Africains, ne laisse pas, selon nous, de doute, qu'ils ne soient une espèce particulière d'hommes qui diffèrent autant des Asiatiques que des Européens. Au reste, que les nègres soient une espèce, une variété, ou une race identique avec la blanche, nous les avons toujours reconnus, quoi qu'en disent les négrophiles, pour de véritables hommes, et la majeure partie de nous les traitoit en conséquence, soit par humanité, soit par intérêt; car, quand nous les eussions mis au rang des bêtes de somme, peu d'hommes sont assez insensés pour acheter des boeufs ou des chevaux, et ne pas les nourrir, les assommer du matin au soir, et les faire mettre tout vivans dans un four; ces sortes de fantaisies coûtent trop cher. Mais cette digression nous éloigne de notre sujet, et nous attendons avec impatience les chefs-d'oeuvres de littérature que l'évêque Grégoire nous a annoncés, qui doivent prouver, sans réplique, que l'on ne doit pas juger des facultés intellectuelles d'un homme par sa couleur, ni par sa conformation. Il y auroit, comme le dit l'auteur, de quoi rire. Cependant, que ferons-nous de la doctrine du docteur Gall, qu'il cite avec vénération? Ce docteur fameux, ne nous a-t-il pas démontré que chaque faculté intellectuelle avoit sa bosse particulière (ch. I, p. 6,)? «Le caractère spécifique des peuples est permanent, tant que ce peuple est isolé, il s'affoiblit et disparoît par le mélange; cela est incontestable.» Ici, l'auteur paroît avoir oublié qu'il n'admettoit pas d'espèce dans le genre homme: c'est donc le caractère national, et non le spécifique qui change; il dit, un peu plus bas, très-éloquemment, «que les caractères nationaux sont presque méconnoissables au physique et au moral, depuis que les peuples de notre continent sont transvasés les uns dans les autres.» L'expression de transvaser est riche, elle n'est cependant pas neuve. Nous nous rappelons que, dans notre enfance, qui, pour plusieurs de nous, date de très-loin, nos bonnes nous disoient que si l'on pouvoit faire une bouteille assez grande, on pourroit y transvaser Paris; si cela arrivoit, et qu'avec les Parisiens on transvasât tous les étrangers que les conquêtes de la France amènent à Paris, des Italiens, des Espagnols, des Portugais, des Allemands, des Russes, des Autrichiens, il n'y a pas de doute que la physionomie nationale ne changeât; les Parisiens moins François tiendroient un peu de l'Allemand, un peu de l'Espagnol, un peu de l'Italien, un peu du Portugais, un peu de l'Autrichien, un peu du Russe. Oh, pour le coup, il y auroit de quoi rire de la bigarure des caractères physionomiques! Les cheveux plats des Espagnols, le teint jaune des Portugais, les grands nez à la romaine des Italiens, l'air sérieux des Allemands; quels charmans composés que ces minois gallo, hispanico, lusitanico, italico germaniques! Que les Chinois sont sages! ils n'ont jamais voulu laisser transvaser aucun peuple étranger dans leur bouteille nationale! aussi ont-ils conservé sans altération leurs grands fronts majestueux, leurs petits yeux ovales, enfin tous leurs traits physionomiques primitifs; et ce qu'il y a de plus précieux, leurs lois et leurs moeurs.

Avant d'aborder la littérature des nègres, monseigneur Grégoire pense qu'il est nécessaire que nous apprenions «que (ch. I, p. 7) les Grecs avoient des esclaves nègres, qu'un de ces nègres étoit employé au service des bains; mais on ne sait pas son nom (ce qui eût été d'un très-grand intérêt), que Visconti et Caylus ont publié plusieurs figures de ces esclaves. Il nous apprend encore que les Hébreux achetoient des esclaves noirs et eunuques, malgré que la loi mosaïque défendît de mutiler les hommes. Ruit in vetitum nefas gens hebraïca.» Tout cela n'est pas encore bien concluant en faveur de la littérature nègre; mais ce qui le devient, c'est que Blumenbach, le plus fameux des crânomanes, et qui possède la plus belle collection de crânes humains, qui soit au monde, sans en excepter celle du docteur Gall (ch. I, pag. 11), «prétend que la figure du nègre se trouve dans la figure du sphinx; on peut s'en convaincre en examinant les sphinx dessinés dans Caylus, dans Norden, dans Niehbur et Cassas. Volney et Olivier, qui ont aussi examiné le sphinx sur les lieux, trouvent une ressemblance frappante avec le nègre; preuve incontestable que c'est à la race noire, aujourd'hui esclave, que nous devons les arts, les sciences, et jusqu'à l'art de la parole.» Salut aux premiers artistes, aux premiers savans qui montrèrent aux humains à attacher des idées aux différentes modifications de l'air: Ce n'est pas tout: sans doute c'est à eux

Que nous devons encor cet art ingénieux

De peindre la parole et de parler aux yeux.

Volney, qui nous assure que les nègres nous ont appris à parler, auroit bien dû nous dire quelle espèce de langue ils nous ont montrée; car les savans blancs qui ont succédé aux nègres, ne sont point d'accord entr'eux, quand il s'agit de décider quelle a été la langue primitive: mais pourquoi, les nègres qui sont si savans dans l'art de la parole, n'ont-ils pas montré à parler aux singes, qui, selon eux, sont des petits hommes fort adroits, mais fort paresseux, qui ne veulent pas apprendre à parler, pour qu'on ne les fasse pas travailler? Les nègres de Saint-Domingue, qui ont oublié leur langue primitive, disent, dans leur idiome d'aujourd'hui, singes, ça ptit monde, qui malouc trop, ïo pas vle palé, pou que ïo pa fair travail.

Mais, si les nègres ont été si savans, si grands littérateurs, comment ne reste-t-il d'eux aucun ouvrage qui puisse nous tirer de l'incertitude où nous sommes sur leur origine, sur la nature des grands événemens, qui, de la première nation du monde, en ont fait la dernière?

Déplorable Africain qu'as-tu fait de ta gloire?

. . . . . . . . . . . de ton antique grandeur,

il ne nous reste, hélas! que la triste mémoire!

Mais M. Grégoire vous console, en vous présageant les plus hautes destinées (chap. IX, pag. 283.) «Peut-être, dit-il un jour, cette vieille et orgueilleuse Europe deviendra une colonie de l'Amérique, et alors, et alors:» Quelle heureuse prédiction pour les Européens!

Ce qui prouve encore, selon M. Grégoire, que les sciences nous ont été transmises par les nègres, c'est que, même dans l'hypothèse où elles nous seroient venues de l'Inde, en Europe, elles auroient traversé l'Égypte; donc que les nègres ou Éthiopiens qui étoient alors en Égypte les ont prises au passage pour nous les transmettre; donc qu'ils ont été nos pères dans les sciences; cette vérité démontrée, augmente encore le désir que l'auteur a fait naître en nous d'admirer les chefs-d'oeuvres de ces illustres nègres; mais ce n'est pas encore le moment, Monseigneur Grégoire veut essayer de nous apprendre pourquoi ces Africains sont noirs; seroit-ce l'effet du climat? seroit-ce parce qu'ils ont la membrane réticulaire noire? seroit-ce, enfin, parce que la couleur primitive de l'homme étoit noire? adhuc sub judice lis est. La question n'est pas facile à résoudre. Le climat peut, sans doute, changer la couleur de la peau jusqu'à un certain point; mais les blancs qui sont établis en Afrique, de temps immémorial, y sont devenus bruns, basanés, mais, non pas noirs; leur membrane réticulaire est restée blanche, et les noirs, qui, depuis plusieurs générations, ont habité l'Europe, n'y sont pas devenus blancs, et leur membrane réticulaire est toujours restée la même, c'est-à-dire, très-noire. Monseigneur Grégoire ne pourroit-il pas nous dire s'il existe d'autre différence que la couleur entre la peau d'un nègre et celle d'un blanc? lui qui a vu, manié et observé tant de différentes peaux humaines, chez l'amateur Bonn; mais il ne les a observées qu'après avoir été tannées; il eût fallu aller chez l'écorcheur avant d'aller chez l'amateur..... Dans une peau tannée le système cutané est dénaturé, la membrane réticulaire, noire chez les nègres, et blanche chez les Européens, n'offre plus, dans l'une et dans l'autre peau, que les mêmes résultats. Il étoit donc indispensable, comme nous avons eu l'honneur de le dire à Monseigneur Grégoire, de se transporter chez l'écorcheur; là, il eût été possible d'observer les différens systèmes organiques qui composent le corps d'un blanc et celui d'un nègre; il eût pu voir si ces systèmes sont égaux en nombre, si l'harmonie, la concordance qui règnent entr'eux est la même; car c'est de cette harmonie, plus ou moins parfaite, que provient la différence qui existe entre les animaux; différence qui, selon le docteur Gall, est toujours annoncée par des disparités dans le» organes apparens. Mais si les peaux n'ont pu fournir à l'auteur Grégoire des caractères assez tranchans, que de bosses, ou protubérances, il a dû observer sur les crânes africains, chez Blumenbach, qui a la plus belle collection de crânes qui soit au monde (si, toutefois, on en excepte l'ancien charnier des Innocens)! Si chaque qualité morale que M. Grégoire donne aux nègres, et chaque défaut que leur attribue Valmont de Bomare (Voyez Valmont de Bomare, Dictionnaire d'histoire naturelle, article Nègre, édition in-4º.), ont leurs bosses particulières, quelques-uns de ces crânes ne doivent pas mal ressembler à une pomme de pin, d'autant qu'il y en a quelques-uns d'un peu pointus, à la Caraïbe; d'autres, plus arrondis, doivent avoir l'air de melons cantalous qui, comme on le sait, sont tout couverts de protubérances de différentes grosseurs. Les jardiniers nomment ces espèces de melons, melons de race, melons de qualité, sans doute par ce que toutes les bosses dont ils sont couverts sont des indices de qualités: ce n'est pas la seule analogie qui se trouve entre le règne animal et le végétal.

Pour mettre nos lecteurs à même de se faire une idée de la grande quantité de protubérances bonnes ou mauvaises qui doivent couvrir les crânes des nègres, nous allons exposer, sous leurs yeux, deux tableaux fortement coloriés par deux grands maîtres: l'évêque Grégoire et Valmont de Bomare. Ces deux tableaux, opposés dans leur intention, sont un exemple frappant que, s'il faut de l'élévation pour porter l'imagination d'un peintre à la hauteur de son sujet, l'exaltation le porte toujours au-delà des bornes de la vraisemblance.

L'abbé Grégoire, après avoir accordé aux nègres les qualités morales les plus éminentes, passe à l'énumération de leurs qualités physiques, d'après des voyageurs, impartiaux sans doute, et très dans le cas d'en juger. (Chap. I, p. 29.) Il parle de la beauté sans égale des négresses de Juida, d'après Bauman (surnommé, à Nantes, Baumenteur, et qui avoit épousé une princesse noire en Afrique, non pour sa beauté, mais pour favoriser sa traite d'esclaves.) Il cite les négresses Jaloses d'après Leydar et Lucas, comme des modèles de perfection pour les formes. Lobo vante par-dessus tout la beauté des Abyssins: Adanson, celle des négresses du Sénégal: Cossigny n'a rien vu de beau comme les nègres et négresses de Gorée. Ligon s'est extasié devant une négresse de S. Yago, qui réunissoit la beauté et la majesté, à un point, qu'il n'avoit jamais vu rien de comparable. Robert Chasle, dans le Voyage du Journal de l'amiral Duquesne, n'a rien vu de beau comme les négresses des îles du cap Vert. Legnat, Ulloa et Izert assurent qu'ils n'ont rien vu de comparable en beauté aux négresses de Batavia, de l'Amérique et de Guinée. Osez donc encore, fiers Européens, vous enorgueillir du caractère de beauté et de supériorité que vous supposez imprimé sur vos fronts blancs. Faites un voyage en Afrique et en Amérique, et vous direz, avec tous les voyageurs que nous venons de citer, en voyant une de ces beautés africaines sans pareille, nigra es, sed formosissima; ideo..... Voici donc la couleur noire reconnue pour type de la vraie beauté. Tremblez! tremblez! jeunes européennes, que la prédiction de l'abbé Grégoire ne s'accomplisse, et que l'Europe, devenant une colonie d'Afrique, les négresses, fières de leur beauté originale, ne viennent vous ravir vos jeunes époux et vos tendres amans, afin de régénérer la race blanche, et de lui rendre sa primitive beauté. Que je vous plains! génération présente! que je vous plains! vous ne verrez pas s'opérer cette heureuse métamorphose! M. Grégoire nous apprend qu'il faut cinq générations de race croisées, et qu'il se passera cent vingt-cinq ans avant l'époque heureuse où les enfans des Européens n'auront plus à rougir d'avoir reçu de leurs pères une preuve incontestable de leur dégénération, la couleur blanche; et alors, pour que l'harmonie soit complète, on fera venir de la Guinée, des chiens noirs, des chats noirs, des moutons noirs, des boeufs noirs, des chevaux noirs, des cochons noirs, des singes noirs, toutes sortes d'oiseaux noirs; surtout des cygnes, des perroquets noirs, auxquels on apprendra à dire aux perroquets verts des autres pays, fi donc! fi donc! vilain vert-vert. Nous oublions des poules noires; c'est, dit-on, un trésor qu'une poule noire? Heureuse Guinée, pays digne d'envie, où tous les animaux raisonnables et autres ont conservé sans tache la couleur primitive qu'ils tiennent immédiatement du Créateur.

Nous venons d'exposer le tableau de la race nègre par l'abbé Grégoire; nous allons exposer, ci-dessous son pendant, par Valmont de Bomare (article nègre, Dict. d'Hist. Nat., par Valmont de Bomare, édit. in-4º. t. V, p. 267).

«La laideur et l'irrégularité de la figure caractérisent l'extérieur du nègre; les négresses ont les reins écrasés et une croupe monstrueuse, ce qui donne à leur dos la forme d'une selle de cheval. Les vices les plus marqués semblent être l'apanage de cette race; la paresse, la perfidie, la vengeance, la cruauté, l'impudence, le vol, le mensonge, l'irréligion, le libertinage, la malpropreté et l'intempérance, semblent avoir étouffé chez eux tous les principes de la loi naturelle, et les remords de la conscience; les sentimens de compassion leur sont presque inconnus; seroient-ils un exemple terrible de la corruption de l'homme abandonné à lui-même? l'on peut, jusqu'à un certain point, regarder les races des nègres comme des nations barbares, dégénérées ou avilies: leurs usages sont quelquefois si bizarres, si extravagans, et si déraisonnables, que leur conduite, jointe à leur couleur, a fait douter, pendant long-temps, s'ils étoient véritablement des hommes issus du premier homme comme nous, tant leur férocité et leur animalité les fait, en certaines circonstances, ressembler aux bêtes les plus sauvages. On a vu de ces peuples se nourrir de leurs frères, et dévorer leurs propres enfans.» Quel contraste avec le tableau de l'abbé Grégoire! lequel des deux peintres a le plus approché de la vérité? ni l'un ni l'autre; chacun d'eux pouvoit s'appliquer le vers d'Horace:

Cur nescire, pudens prave, quam discere malo?

Le savant professeur de Goettingue, attribuant la couleur des nègres au climat, avance (chap. I, p. 16) que «dans la Guinée, les hommes, les chiens, les chevaux, les boeufs, les oiseaux, et surtout les gallinacées, sont de couleur noire». Cette assertion est absolument fausse, excepté pour les hommes, encore y a-t-il quelques familles d'hommes blancs établies, de temps immémorial en Guinée; quant aux quadrupèdes, il n'y en a pas plus de noirs et moins que dans d'autres climats, car les poils noirs exposés à l'ardeur du soleil, deviennent roux; cela arrive aux chevaux noirs qu'on transporte d'Europe dans les Antilles. Les oiseaux, en Guinée sont parés, comme dans presque tous les pays chauds, des couleurs les plus variées, les plus vives et les plus brillantes: on peut se convaincre de cette vérité, en observant la belle collection de perroquets et autres oiseaux d'Afrique, qui se trouve au muséum d'histoire naturelle à Paris. Il existe, à la vérité, parmi les gallinacées, une variété de poules dont la peau et les os sont noirs; mais la majeure partie des autres poules est semblable à celles d'Europe; nous pouvons le certifier, ayant observé les volailles que portoient les capitaines négriers qui venoient de Guinée. «La couleur noire étant donc, selon Knigt, l'attribut de la race primitive dans tous les animaux, il est évident, selon lui, que le nègre est le type original de l'espèce humaine.» Il y a un instant nous recherchions la cause de la couleur noire des nègres; il nous faut, actuellement chercher à découvrir comment des nègres ont produit des blancs:

Felix qui potuit rerum cognoscere causas!

quant à nous, nous baissons pavillon; la physiologie n'est pas de notre compétence. Salut à la race privilégiée, dont la couleur noire de la peau est une preuve incontestable de sa céleste origine; nous doutons, cependant que le docteur Knigt puisse parvenir à persuader à nos jolies européennes, qu'une peau noire et opaque doive l'emporter sur leur peau blanche et fine dont le tissu, délicat et transparent, laisse apercevoir les roses de la pudeur et ses nuances variées à l'infini, dont chacune, peignant un sentiment de l'ame, fait de leur physionomie un tableau magique et enchanteur.

Il nous semble qu'après avoir cité l'autorité de Knigt, l'auteur tient davantage à l'opinion de Buffon, de Camper, de Bonn, de Zimmermann, de Blumenbach, de Chardel, de Sommering, qui attribuent la couleur des nègres aux effets du climat. D'après cela, nous lui demanderons, si c'est dans le temps que les Africains étoient blancs, qu'ils étoient nos maîtres dans les sciences et dans les arts, ou si c'est depuis qu'ils sont devenus noirs? D'après Demanet et Imlay, les descendans des Portugais établis au Congo sont devenus noirs, mais ils ne nous disent pas si c'est l'effet du climat, ou de leurs alliances avec les négresses, (ce qui est plus que vraisemblable). Un Portugais aura épousé une Congo, il en sera provenu des mulâtres, qui, en se mariant à une négresse, auront fait des griffes, lesquels griffes, se mariant encore à une négresse, pour lors, les enfans, qu'on nomme marabous, sont si noirs qu'il faut être très-habitué dans le pays pour les distinguer d'avec les nègres: voilà comme les blancs peuvent devenir noirs, et les noirs, devenir blancs; en épousant des blanches, et en en faisant épouser à leurs enfans et petits-enfans.

Selon un auteur que cite M. Grégoire, il faut quatre mille ans pour qu'un nègre devienne blanc par l'effet du climat, et six cents ans seulement pour un Indien: ceci nous paroît un peu problématique. Quant à ce qu'il avance, que les changemens s'opèrent plus vite chez les nègres, dans l'état de domesticité, pour le moral, cela est vrai; mais pour la couleur, mieux un nègre est nourri et à l'aise, plus il est noir; s'il est maigre, ou qu'il ait du chagrin, ou qu'il ne se porte pas bien, il devient couleur de bistre; nous pensons aussi que c'est à un certain état de maladie qu'il faut attribuer la couleur, non pas noire, mais très-brune, que prend la peau de certaines femmes pendant leur grossesse, ce qu'on appelle le masque. Nous ne conviendrons pas, pour cela, avec Hunter, que la race blanche soit une race dégénérée, au moins quant à la couleur (chap. I. p. 20). Il est vrai, comme l'assure le chimiste Beddoés, «qu'on peut blanchir la peau d'un nègre, avec de l'acide muriatique oxigéné.» Il n'est pas même besoin de cette dernière condition, tous les acides concentrés ont la propriété, en se combinant avec les corps gras, d'en altérer la nature et la couleur; le feu et les caustiques produisent le même effet sur la peau des nègres: ainsi, la compagnie de blanchisseurs qu'un journaliste, grand ricaneur, (dit l'évêque Grégoire, chap. I, p. 20) veut envoyer en Afrique, pourra employer plus d'un moyen; mais, si la race blanche, comme le pensent quelques-uns des savans que cite M. Grégoire, est une race dégénérée, abatardie, ne désirera-t-elle pas aussi une compagnie de noircisseurs? Nous pensons que cette dernière compagnie sera beaucoup plus facile à compléter que la première. La chimie, pendant la révolution, a fait des découvertes si importantes pour les teintures en noir, qu'on ne sera embarrassé que du choix des sujets; quant au chef de la compagnie, cette place sera dévolue de droit à ****; personne ne peut ni ne veut la lui contester: nous revenons à Monseigneur Grégoire; nous lui ferons une question à laquelle il ne sera sans doute pas embarrassé de répondre. Adam et Eve étoient-ils noirs, ou blancs? L'opinion de l'auteur semble être prononcée en faveur de la couleur noire, puisqu'il cite l'autorité de Knight (chap. I, p. 16), qui pense que le nègre est le type original de l'espèce humaine. N'eût-il pas été plus exact de dire du genre humain, puisque l'auteur Grégoire ne suppose point d'espèce dans le genre homme? Plus loin, (chap. II, p. 18) il cite une autre autorité, T. Williams, qui dit que, pour amener les noirs à la couleur blanche, sans croisement de races, et, par la seule action du climat, il faut quatre mille ans. Nous ferons, d'après cela, une petite objection à M. Grégoire. A l'époque où vivoit Moïse, il n'y avoit que deux mille cinq cents ans que le monde étoit créé; Moïse et tous ceux qui existoient alors étoient donc nègres, et il n'a dû paroître d'hommes blancs que quinze cents ans après; Credat judaeus Appella! Dans un autre endroit (chap. I, p. 7), l'évêque Grégoire cite l'autorité de Jahn, qui, dans son Archéologie biblique, assure que les rois des Hébreux achetoient des autres nations, des eunuques, et spécialement des noirs: il y avoit donc, à l'époque de Moïse, des hommes blancs et des hommes noirs: qu'en conclure? Ou qu'il ne faut pas quatre mille ans, pour blanchir un nègre, ou que la race primitive n'étoit pas noire, ou qu'il s'est passé quatre mille ans avant le déluge, ce qui feroit un anachronisme dans notre cosmogonie chrétienne. Fiat lux.

L'évêque Grégoire cite (chap. I, p. 26) Sommering, qui, tout en disant: «qu'il n'ose décider si la race primitive de l'homme, en quelque coin de la terre que l'on place son berceau, s'est perfectionnée en Europe, ou altérée en Nigritie, affirme que pour la force et l'adresse, la conformation des nègres est aussi accomplie et, peut-être plus que celle des Européens». Voyez le Dictionnaire d'Histoire naturelle de Valmont de Bomare, article Nègre, édition in-quarto, t. V. p. 257, il vous donnera une idée de la belle conformation et des qualités éminentes des nègres d'Afrique. L'évêque Grégoire ne connoît pas sans doute cet ouvrage; il n'eût pas oublié de donner au tableau qu'il a fait des colons, un dernier coup de pinceau d'après le grand maître Valmont de Bomare; «Les colons font (selon lui) deux où trois fois par an des visites dans les hôpitaux de leurs habitations, (des hôpitaux dans les habitations? les négrophiles pourront-ils le croire?) N'allez pas vous imaginer, (dit Bomare) que ce soit pour y porter les secours que l'humanité et même leur intérêt exigeroient; ces barbares y vont avec des pistolets, et tuent tous les nègres qui, par vieillesse ou par des infirmités incurables, sont hors d'état de rendre service à l'habitation.» Eh bien, Monseigneur! cela vaut bien les nègres cuisiniers jetés dans des fours, pour avoir manqué des plats de pâtisserie? Admirez donc notre bonhomie et notre bonne-foi, vous aviez oublié, dans notre examen général, ce gros péché, nous le rappelons nous-mêmes à votre souvenir, mais aussi, nous espérons que d'après cette confession sincère; nous obtiendrons de Votre Excellence, indulgence plénière et absolution finale. Nous venons de faire un grand pas vers le ciel, s'il est vrai, comme on nous l'a appris dans notre jeunesse, qu'il est plus difficile à un riche d'entrer dans le royaume des cieux, qu'à un chameau de passer par le chas d'une aiguille. Nous avons le plus grand espoir, il ne reste plus rien à la majeure partie de nous, et les François nos frères, ont trop à coeur notre salut, pour chercher à nous remettre dans la voie de la perdition.

Revenons à votre peuple chéri. «Les nègres, dites vous, sont plus forts et plus adroits que les Européens;» nous vous l'accorderons, si cela vous fait plaisir; mais le boeuf est aussi plus fort que l'homme, et le singe est plus adroit; qu'en concluerez-vous? «Les nègres, dites-vous, surpassent les blancs par la finesse exquise de leurs sens, surtout de l'odorat (chap. I, pag. 16).» Prenez bien garde, Monseigneur, les animaux les plus sauvages, les plus éloignés de l'état de domesticité, sont ceux que la nature favorise le plus du côté de la finesse des sens; il semble que cette bonne mère, aimant également tous ses enfans, a voulu dédommager, sous quelques rapports, ceux auxquels elle a moins accordé sous d'autres. Vous citez les nègres marrons de la Jamaïque, «comme des êtres doués d'un sens exquis, avec une taille droite, une contenance fière, et une vigueur qui indiquent leur supériorité.» Nous oserons vous dire, Monseigneur, que vous les avez vus, avec votre lorgnette de cabinet, dont les verres, en grossissant trop les objets, les dénaturent totalement.

Le tableau que nous allons faire de ces nègres est d'après nature; nous l'avons fait sur les lieux même, dans les montagnes Bleues de la Jamaïque.

Qu'on se figure des hommes, dont les corps plus jaunes que noirs, décharnés, et couverts à demi de haillons, que les nègres esclaves n'oseroient pas porter, laissant leurs femmes, leurs enfans, leurs vieillards dans la misère la plus crapuleuse, parce qu'ils n'ont pas assez de courage pour cultiver les terres que le gouvernement anglois leur a accordées. Ils sont avilis, au point de livrer, pour quelques pièces de monnoie, les nègres esclaves qui viennent chez eux se réfugier, ou qu'ils vont chercher dans les bois, quand les Colons les font avertir qu'un d'eux a déserté. Leur moyen de vivre consiste principalement dans la chasse et la pêche; mais quand par le mauvais temps, cette ressource leur manque, ils sont forcés de descendre dans les plaines, se louer à la journée parmi les esclaves. Voilà les hommes dont vous préconisez la supériorité. Nous les avons vus dans leurs huttes, car ils n'ont pas eu même le courage ni l'adresse de se construire des logemens qui méritent le nom de cases. «Pourrez-vous nous dire que ces nègres de la Montagne Bleue ne peuvent s'organiser politiquement, parce que les arts de la paix ne peuvent être cultivés par une troupe fugitive, toujours cachée dans les forêts, toujours occupée à se nourrir et à se défendre contre ses oppresseurs?» Mais les nègres dont nous parlons ne sont point dans cette hypothèse; le gouvernement est en pleine paix avec eux; ils ont des terres qu'ils peuvent cultiver tranquillement; ils n'ont pas besoin de se défendre contre des oppresseurs; ils sont indépendans: pourquoi donc ne s'organisent-ils pas en corps politique, et ne sont-ils qu'une association de lâches, de paresseux, qui deviendroit très-dangereuse, si la crapule honteuse dans laquelle ils vivent, n'étoient un obstacle à l'augmentation de leur population. Vous donnez encore pour preuve de leur supériorité, la manière dont ils communiquent entr'eux à des distances considérables par le moyen d'une corne. A vous entendre, nos télégraphes ne sont rien en comparaison. Vous ignorez que dans la partie de S. Domingue, qui a été cédée à la France par les Espagnols, tous les pâtres font revenir leurs troupeaux par le moyen d'une corne, ou plus souvent un coquillage qu'on nomme lomby, dans lequel, en produisant certains sons plus ou moins forts, ou différemment modifiés, ils appellent ou leurs cochons, ou leurs chevaux, ou leurs troupeaux de chèvres, et jamais un troupeau ne vient dans la place d'un autre; d'après cela, quelle merveille que les nègres soient convenus entr'eux, que lorsqu'ils sonneront d'une certaine manière, ce sera tel ou tel nègre qu'ils voudront désigner. D'après ce que nous venons de vous dire des nègres de la Montagne Bleue de la Jamaïque, ne les citez pas comme exemple de la prééminence de la race nègre sur la blanche; vous prêteriez à rire à tous ceux qui les connoissent. Nous ne disconviendrons cependant pas qu'il n'y ait des nègres (non parmi eux) qui ont des qualités morales; nous dirons même, à la honte de la couleur blanche, que si beaucoup de nègres de S. Domingue n'avoient pas été meilleurs que les blancs de France, qui sont venus les révolutionner, il n'eût pas resté un seul colon pour répondre aux calomnies des négrophiles, et confondre leurs raisonnemens absurdes. Un savant respectable, que vous avez désigné par son nom, pour avoir méconnu des qualités morales dans les nègres, et les avoir assimilés aux singes, nous autorise à vous dire que vous avez dénaturé totalement ce qu'il a dit des nègres. Mais, tout en convenant qu'ils sont des hommes, nous ne conviendrons pas pour cela qu'ils soient des hommes comme nous. La civilisation et l'éducation, qui en est la suite, ont mis entr'eux et nous, une distance immense, qu'ils ne pourront franchir que peu à peu, par la succession des temps, et des circonstances favorables, qui, malheureusement pour eux, sont bien plus éloignés que vous le pensez.



CHAPITRE III.

«Les systèmes qui supposent une différence essentielle entre les nègres et les blancs, ont été accueillis (ch. II, p. 30) 1º. par ceux qui veulent à toute force matérialiser l'homme, et lui arracher des espérances chères à son coeur; 2º. par ceux qui, dans une diversité primitive de races, humaines, cherchent un moyen de démentir le récit de Moïse; 3º. par ceux qui, intéressés aux cultures coloniales, voudroient, dans l'absence supposée des facultés morales du nègre, se faire un titre de plus, pour le traiter impunément comme des bêtes de somme.»

Abstraction faite de ce que nous enseigne la religion catholique, de la création de l'homme; dans la supposition (sans doute gratuite) que Dieu eût créé deux espèces d'hommes, l'une blanche et l'autre noire, ce que nous ne croyons pas contradictoire à sa toute-puissance qui est sans bornes, ne pouvoit-il pas avoir doué l'une et l'autre espèce de ce souffle divin que nous appelons ame, et que nous regardons avec raison comme immortelle? La supposition de cette diversité primitive de races humaines, ne tend donc en aucune manière à matérialiser l'homme; si cela étoit, la race blanche se trouveroit dans la même hypothèse, et l'on auroit le même titre pour la traiter comme des bêtes de somme.

«L'opinion de l'infériorité des nègres n'est pas nouvelle; la prétendue supériorité des blancs, n'a pour défenseurs que des blancs juges et parties, dont on pourroit d'abord discuter la compétence, avant d'attaquer leur décision (chap. II, pag. 35).»

M. Grégoire nous dit, d'une part, que l'opinion de l'infériorité des nègres n'est pas nouvelle; nous le savions déjà, et ils viennent d'en donner une preuve toute récente, par la manière dont ils se sont comportés en recevant la liberté. D'une autre part, il nous cite des autorités imposantes, qui nous assurent que ces mêmes nègres ont été nos pères et nos maîtres dans les sciences et dans les arts: cela ne nous paroît pas trop conséquent; ce qui ne l'est pas plus, c'est que, selon lui, les blancs ne peuvent pas s'ériger en défenseurs de leur propre cause, pour prouver leur prétendue supériorité sur les nègres. L'évêque Grégoire, appelle-t-il être juge de sa cause, que d'en être l'avocat? C'est sans doute pour éviter que l'on ne fasse ce reproche aux nègres, qu'il s'est constitué leur défenseur officieux. Ce n'est qu'après avoir mis dans un creuset de comparaison les productions des blancs et celles des nègres, qu'on peut assigner le degré de supériorité des uns sur les autres; l'évêque Grégoire nous fera sans doute revenir de notre prévention, en nous mettant sous les yeux les chefs-d'oeuvres de ces protégés; il peut être certain que nous serons justes. Amicus Plato, magis amica veritas. Nous demanderons, à M. Grégoire, si la citation de l'apologue du lion, qui, en voyant un tableau où l'on voyoit un lion terrassé par un homme, dit, les lions n'ont point de peintres, a bien le mérite de l'a'propos? Les nègres, d'après son ouvrage, n'ont-ils pas des artistes et des savans?

A vaincre sans péril, on triomphe sans gloire.

L'évêque Grégoire cite des autorités respectables, pour avoir le plaisir de les confondre (chap. II, p. 36). «Hume, Jefferson, qui tous deux prétendent que la race blanche est la seule cultivée, que dans des circonstances données les mêmes pour des blancs et des nègres, ceux-ci ne pouvoient jamais rivaliser avec ceux-là, que jamais on ne vit un nègre distingué par ses actions et par ses lumières.» Il cite encore Barré de S. Venant, à qui il fait dire, que si la nature promet aux nègres quelques combinaisons, qui les élèvent au-dessus des autres animaux, elle leur interdit les impressions profondes, et l'exercice continu de l'esprit, du génie et de la raison. Nous nous permettrons d'observer, à M. Grégoire, qu'il a dénaturé le passage de Barré de S. Venant, en n'en citant qu'une partie. Le voici tel qu'il est: «Dans la Guinée, une atmosphère embrasée, une chaleur constante, affaisse le corps, porte la torpeur dans tous les membres, et éloigne l'homme de tout travail; le développement des forces physiques et morales y est sans cesse arrêté par je ne sais quelle action secrète, qui ôte toute énergie, et plonge l'homme (il ne dit pas seulement le nègre) dans une sorte de stupidité et d'engourdissement qui le réduit presque à l'état des brutes: si elle lui permet quelques petites combinaisons, qui l'élèvent au-dessus des autres animaux, elle lui interdit les impressions profondes et l'exercice continu de l'esprit, du génie et de la raison.» C'est donc au climat et non à la qualité d'homme noir, que Barré de Saint-Venant attribue l'espèce d'abrutissement des hommes, de quelque couleur que vous les supposiez, qui habitent la zone torride. La preuve en deviendra évidente, par la citation suivante du même auteur (chap. I, pag. 5): «La nature repousseroit-elle la civilisation dans les pays chauds? Il est impossible de le croire; l'homme, dans tous les climats, a reçu le même germe d'intelligence, qui le rend partout également perfectible, le nègre d'Afrique, est donc appelé, comme le blanc d'Europe, à jouir de ce bienfait; son organisation est la même, mais son gouvernement est différent.» Il est évident que ce passage détruit absolument l'inculpation que l'auteur fait à Barré de S. Venant. Quand bien même Hume, Jefferson et Barré de S. Venant admettroient une différence entre l'homme nègre et l'homme blanc, quant aux facultés intellectuelles, qu'en conclueroit-on? Ne remarque-t-on pas cette même différence d'individu à individu parmi les, blancs; de famille à famille; de département à département; de royaume à royaume? à plus forte raison peut-elle exister d'un climat à un climat tout à fait opposé; il n'y auroit donc rien d'étonnant que cette différence, existât entre la race blanche et la nègre; l'auteur a même cité des autorités qui font pencher la balance du côté de cette dernière. En notre qualité de colons, nous avons eu occasion d'observer différentes nations nègres; nous avons trouvé, dans quelques-unes, des degrés d'intelligence» d'aptitude à l'instruction, de beaucoup supérieurs à ceux que nous rencontrions dans d'autres. Les Congos sont, de tous les nègres, les plus spirituels, les plus propres à faire des ouvriers, des domestiques; ils sont en général petits. Pour les travaux de la terre, on choisit de préférence les Sénégalais et les Aradas; ils ont moins d'intelligence que les Congos, mais ils sont plus laborieux. Les Aradas ont une aptitude ou un goût particulier pour la connoissance des plantes usuelle, même des vénéneuses, aussi trouve-t-on parmi eux beaucoup de caprélatas, ce qui signifie en françois des médecins; il y en a aussi de macandals, ce qui signifie empoisonneur, ensorcelleur. Les Congos sont naturellement gais, railleurs, improviseurs de chansons qui ont toujours pour sujet de se moquer de quelqu'un, nègre ou blanc; quelquefois même de leurs maîtres. Les Mandingues ou Mondongues ont un caractère de stupidité qui va jusqu'à la férocité; ils sont, pour la plupart, anthropophages; peut être est-ce pour cela que dans leur pays on leur lime les dents en pointes: on est souvent forcé de les détruire sur les habitations, pour avoir dévoré un camarade, ou des enfans.

«Il faut, pour qu'un peuple soit taxé avec raison d'absence totale de génie, qu'il ait existé en corps de nation, aussi long-temps que les Grecs, avant d'avoir un Homère; les Romains, un Virgile; les François, un Racine (chap. I, pag. 38).» Quel pompeux éloge l'évêque Grégoire fait de la race nègre, puisqu'avant cette époque, elle peut compter un nombre si considérable de savans distingués dans tous les genres, dont il promet de nous faire connoître les noms et les ouvrages. Genty a donc grand tort, lorsqu'il avance que le génie ne peut naître au sein de l'opprobre et de la misère, quand on n'entrevoit aucune récompense, aucun espoir de soulagement. Genty veut-il parler des nègres en Afrique, ou des esclaves de S. Domingue? Ceux d'Afrique existent depuis long-temps en corps de nation; ils n'y ont pas été sans doute assez long-temps. Quant à ceux des Antilles et autres colonies de S. Domingue, nous ferons observer, à M. Genty, que les deux mots opprobre et misère sont inconvenans. Le mot opprobre ne peut nullement s'appliquer aux esclaves honnêtes, qui, en remplissant les devoirs attachés à leur condition qui n'est malheureuse que comparativement, sont tout aussi respectables, et s'estiment autant qu'une infinité de blancs qui, en se targuant du titre illusoire d'hommes libres, sont, sous plusieurs rapports, plus esclaves qu'eux, surtout, sous celui de la misère, dont le nom seul est ignoré dans les Antilles; fille des besoins naturels multipliés sous les zones tempérées ou froides, elle n'a jamais dépassé les tropiques. Tout aussi Vrais philantropes que quelques Européens, nous désirons, pour beaucoup d'individus, que nous avons sous les yeux, un sort pareil à celui des nègres esclaves bons sujets. Hélas! plus d'un tiers des Américains sont réduits en France à le désirer pour eux-mêmes. Selon le curé Sibire, nous en sommes bien dignes; pourtant nous ne l'avons pas.

«La religion chrétienne seroit sans doute un grand moyen de hâter et de maintenir la civilisation (ch. I, p. 41).»

Nous n'en pouvons disconvenir; sa morale sublime devroit être un des moyens les plus puissans de rendre les hommes meilleurs; mais hélas! nous voyons avec peine que son effet n'est pas toujours infaillible; le sang des ministres de cette sainte religion, ne fume-t-il pas encore? ne crie-t-il pas vengeance contre ceux qui, en se décorant du nom pompeux de chrétien, se sont vautrés dans la fange, et se sont rendus coupables de tous les crimes de la barbarie la plus sauvage? Ne se disoient-ils pas chrétiens, les émissaires qui nous sont venus de France aux Antilles, et qui ont souillé nos villes et nos campagnes, par des sacrifices de sang humain? N'eût-il pas mieux vallu, pour nous servir des propres expressions de M. Grégoire, nous envoyer des serpens à sonnettes? A Dieu ne plaise que nous en accusions la religion, si nous maintenons seulement qu'elle n'ait pas toujours un frein assez puissant pour la multitude, si un chef juste et ferme ne se réunit à elle pour faire respecter et exécuter ses lois.

«Barron (ch. I, p. 43) attribue la barbarie actuelle de quelques contrées d'Afrique, au commerce des esclaves.» Il seroit plus vrai de dire que le commerce des esclaves par les Européens, suscite peut-être plus de guerres en Afrique qu'il n'y en avoit autrefois; mais les souverains sont moins barbares depuis qu'ils trouvent à vendre leurs prisonniers, puisqu'alors ils les faisoient périr; et quoi qu'en disent les négrophiles, l'esclavage des Antilles est préférable à la mort; et la fausse idée que les Européens s'en sont fait, ne provient que de l'exaltation et de l'exagération des négrophiles qui dénaturent tout; ils veulent à toute force «que les esclaves n'entrevoient dans l'avenir aucun espoir de récompense, ni de soulagement.» Conviendront-ils qu'il y avoit dans les colonies beaucoup d'affranchis? D'où leur est venue cette liberté? N'étoit-elle pas la récompense des services rendus à l'habitation, au maître? Il n'y avoit presque pas d'exemple qu'un habitant mourût sans avoir, par son testament, légué la liberté à plusieurs de ses sujets, soit domestiques, soit cultivateurs; n'étoit-il pas d'usage de donner la liberté aux négresses qui avoient six enfans vivans; à celles qui avoient été nourrices des enfans du maître? Mais, ne parlons pas des affranchissemens, qui ne pouvoient être la récompense que d'un petit nombre de nègres, la certitude pour tous d'être logés, vêtus, nourris, médicamentés depuis l'époque où ils cessent, par leur âge, de pouvoir rendre des services à l'habitation, jusqu'à leur mort, qui, quoi qu'en disent les négrophiles, arrive souvent à une époque très reculée; cette certitude n'est-elle pas une récompense, un espoir de soulagement et de repos pour l'avenir? Vos journaliers, en Europe, et tous les hommes sans propriétés ou sans talens ont-ils ce même espoir? Du jour où ils cessent d'être utiles à la société, commence leur misère; et leurs ressources finissent précisément à l'époque ou leurs besoins augmentent, quand la vieillesse et les infirmités qui l'accompagnent viennent les accabler. N'est-ce pas là l'esclavage de la nécessité, mille fois pire que celui dont, pour le malheur du plus grand nombre de nègres, les négrophiles ont demandé imprudemment l'abolition, dans un temps inconvenant, et de la manière la plus impolitique et la plus dangereuse.

«Homère assure que quand Jupiter condamne un homme à l'esclavage, il lui ôte la moitié de son esprit (chap. I, pag. 44).»

N'admirez-vous pas en cela, Monseigneur, la bonté paternelle de Jupiter pour tous ses enfans. Si les esclaves avoient autant d'esprit et de connoissance que leur maître, ne seroient-ils pas doublement malheureux, de pouvoir faire la comparaison entre leur état et le sien? Donnez à des enfans de paysans et de journaliers la même éducation qu'aux enfans des riches qui sont destinés à remplir les premières places dans le gouvernement; renvoyez-les ensuite à leurs pères, pensez-vous qu'ils veuillent labourer ou bécher la terre? Et dans la supposition qu'ils soient forcés de le faire, ne souffriront-ils pas plus que ceux de leurs frères, qui, sans chercher à s'élever au-dessus de la profession de leurs pères, auront appris dès leur enfance à labourer et à bécher? Mais, nous direz-vous, on peut mettre dans les places les fils de paysans, lorsqu'ils ont reçu de l'éducation; on ne peut en disconvenir, mais, qui labourera? qui béchera la terre? Peuplez la terre de savans, elle sera bien vite stérile. Remercions donc Jupiter de n'avoir pas prodigué cette arme si dangereuse, qui dans des mains imprudentes, cause la plus grande partie des malheurs de la société, l'esprit...

«Quels sentimens de dignité, de respect pour eux-mêmes, peuvent concevoir des êtres considérés comme le bétail, et que des maîtres jouent quelquefois contre quelques barils de riz, ou d'autres marchandises? Que peuvent être des individus dégradés au-dessous des brutes excédés de travail, couverts de haillons, dévorés par la faim; et pour la moindre faute, déchirés par le fouet sanglant d'un commandeur (chap. I, pag. 44).»

Les négrophiles veulent, à toute force, que les colons regardent leurs nègres comme un troupeau de bétail! nous le leur accordons pour un instant. Il paroît qu'ils ne sont pas au courant de ce qui se passe dans les campagnes chez les laboureurs d'Europe; qu'ils n'ont jamais observé les soins particuliers qu'ils prennent de leur bétail, qui fait leur principale fortune. Un boeuf est-il malade? rien n'est épargné pour avoir les médicaments nécessaires; on se lève dix fois dans la nuit, ou plutôt on ne se couche pas, pour être à même de lui porter tous les secours que demande son état: nous dirons, même à la honte de l'humanité que le paysan sera parcimonieux lorsqu'il s'agira d'acheter des remèdes pour sa femme ou ses enfans, et qu'il ne regardera point à l'argent pour le soulagement de son boeuf. Nous avons été témoins, en France, qu'un laboureur venant chez un curé de campagne, lui porter de l'argent pour faire dire une messe pour le rétablissement d'un de ses boeufs, et que, le curé lui ayant remontré qu'il devoit plutôt en faire dire pour sa femme, qui étoit au lit depuis trois mois, il lui répartit que si sa femme venoit à mourir, il ne lui faudroit pas d'argent pour en avoir une autre, mais qu'il n'en étoit pas ainsi de son boeuf. Un nègre, qui coûte mille écus, et souvent beaucoup plus lorsqu'il a des talens, n'excitera chez les colons ni le sentiment de l'humanité ni même celui de l'intérêt! Que doit-on penser de ceux qui ne supposent dans les colons ni l'un ni l'autre de ces mobiles? qu'ils nous prennent tous pour des fous ou des barbares. Mais y auroit-il existé des colons riches, en excédant de travail leurs nègres, et, ce qui est contradictoire, en les faisant mourir de faim (comme si l'homme ou la brute qui ne mangent pas pouvoient travailler fortement) et en les déchirant par le fouet sanglant des commandeurs? Peut-on disconvenir que les deux tiers des colons, non-seulement jouissoient de très grandes fortunes, mais encore faisoient celle de tous les Européens qui étaient en relation avec eux? Il seroit facile de démontrer cette vérité, démentie aujourd'hui par une partie des négocians de France, qui, ne pouvant plus sucer un sein tari par les circonstances, le déchirent à belles dents. Il en existe cependant encore un petit nombre d'honnêtes, qui, mêlant leurs larmes avec les nôtres, gémissent sur le malheur de leur patrie, de s'être laissée conduire par des esprits exaltés, de faux philosophes, dont les théories dangereuses ne tendant pas moins qu'à une anarchie universelle, ont détruit le plus beau pays du monde, S. Domingue.

«Les colons (dit l'auteur) jouoient, aux cartes ou au billard, leurs esclaves contre quelques barils de ris.» L'évêque Grégoire prouve bien par là qu'il est dans l'ignorance du prix des marchandises animales et végétales des colonies. Combien il auroit fallu de barils de riz (qui, dans ce pays-là, est à un très bas prix), pour équivaloir au prix d'un nègre que les François nous vendoient au poids de l'or. Nous ne dirons pas cependant, qu'on ne jouât pas quelquefois des nègres; mais c'étoit de mauvais sujets que l'on jouoit pour s'en défaire, et plutôt à qui ne les auroit pas, qu'à qui les gagneroit; quoiqu'ils ne fussent pas regardés par nous comme des brutes, cependant, d'après leur qualité d'esclave, ils étoient vénals. Il paroît que, d'après les sentimens de pitié qu'ont excités dans l'ame sensible de l'évêque Grégoire, les chevaux de Paris, il ne vendroit pas même les siens, et qu'à plus forte raison, il ne les joueroit pas. Nous en trouvons cependant un exemple dans le clergé de France. Un très-digne prélat d'ailleurs, mais qui aimoit un peu le jeu, (les prélats sont hommes quelquefois) l'évêque de ******, passant près d'une maison qu'il connoissoit sans doute, dit à sa soeur qui étoit avec lui dans sa voiture, qu'il avoit affaire pour un instant dans cette maison, et qu'elle voulût bien l'attendre; Monseigneur perdit non-seulement tout l'argent qu'il avoit sur lui, mais joua sa voiture et ses chevaux et perdit tout; son vainqueur, impatient de jouir de sa nouvelle conquête offrit à Monseigneur de le conduire à son palais épiscopal, et descendit pour prendre possession de la voiture. Quel fut son étonnement, lorsqu'il aperçut, dedans, une dame: Madame en est-elle aussi? dit-il à Monseigneur.

Revenons à nos nègres; vous voyez que, quand bien même nous les mettrions au rang des brutes; nous en aurions, cependant, le soin que l'on a des brutes, quand on en veut tirer du travail; et qu'en les excédant, en ne les nourrissant pas, en ne les vêtissant pas, en les faisant déchirer à coups de fouet, nous n'irions pas à la fortune par cette voie impossible. Les Européens sont donc des imposteurs, et non pas les colons, comme le dit votre inestimable cure Sibire, à qui il paroît que les François rendent la justice qui lui est due. L'intérêt, Monseigneur! l'intérêt est le plus puissant de tous les mobiles; il commanderoit aux colons, si leur humanité se taisoit: nous ne pouvons cependant disconvenir qu'il se trouvât parmi eux quelques insensés (ne s'en trouve-t-il pas en Europe?), qui sacrifioient, à leur brutal caractère, tous les sentimens d'humanité, même d'intérêt; mais le nombre en étoit si petit qu'il n'étoit qu'une exception; encore la faute doit-elle en être imputée aux commandans et aux magistrats qui sont chargés par le gouvernement de faire exécuter le code noir (ce code est un édit rendu par Louis XIV, en 1685, touchant la police des îles françaises cultivées par des esclaves), dans lequel sont clairement et sagement énoncés les devoirs des esclaves envers leurs maîtres et les obligations des maîtres envers leurs esclaves; dans ce code est limitée l'étendue de leurs pouvoirs relativement aux châtimens des nègres. Quel homme sera assez injuste et assez impolitique, pour prétendre qu'il faut laisser le crime ou les fautes graves impunis, parmi les nègres, parce qu'ils ont le malheur d'être esclaves? Qu'arriveroit-il, dans les sociétés policées et libres, si la crainte du châtiment n'étoit un frein pour les méchans? Chaque habitation est l'image d'une petite république; supposez-la composée d'hommes sans défauts et sans vices, le fouet sera aussi étranger aux individus, que les punitions le sont aux blancs libres qui se comportent bien; car, encore une fois, on ne bat point son nègre, ni son boeuf, ni son cheval pour le plaisir de le battre; et si les chevaux de Paris, sur lesquels l'extrême sensibilité de l'évêque Grégoire, a laissé tomber des larmes de pitié, appartenoient aux charretiers qui les conduisent, ils ne les traiteroient pas avec barbarie comme ils le font. A Dieu ne plaise que nous veuillons reprocher, à l'évêque Grégoire, son amour bien prononcé pour les nègres d'Afrique, pour les chevaux de Paris, et pour les oiseaux d'Italie. Nous connoissons des individus apathiques qui n'aiment ni les hommes, ni les bêtes, il y a donc un certain mérite à aimer une partie de l'espèce, qu'on nomme humaine (qui parfois ne l'est pas trop), ne fût-ce que l'espèce noire.

Nous sommes cependant forcés de faire un aveu vraiment fait pour apitoyer sur le sort des esclaves, mais auquel on peut remédier. Il reste, dans le coeur des blancs, nés dans les colonies, une étincelle d'amour pour leur ancienne patrie, la France; de cette source, qui paroît pure, jaillissent les causes les plus directes des malheurs des nègres, et même des blancs. Les colons, à peine sortis des mains de leurs nourrices tournent leurs premiers regards et leurs premières pensées vers la France (inde mali labes); tout ce qu'ils entendent dire par les François qui débarquent, exalte encore leur imagination, faute de connoître les véritables jouissances, celles de l'âme et celles de la nature; jouissances que l'homme sage trouve partout, et peut-être plus facilement en Amérique que dans les autres climats, ils sont dans la fausse persuasion que l'homme riche ne peut et ne doit trouver qu'en France tous les moyens de satisfaire ses goûts et ses passions. Oh! trop funeste erreur! les colons sans expérience ignorent que ce métal, qui, selon l'usage que l'on en fait, procure également le bonheur et le malheur de ceux qui le possèdent, diminue des deux tiers en s'éloignant de la mine dont il est tiré, qu'il s'amincit à l'extrême, en passant par les filières des régisseurs et des négocians. Que s'ensuit-il delà? Le colon vient chercher en France un bonheur imaginaire, y dérange sa fortune; et ce qu'il y a de plus affligeant pour les véritables amis de l'humanité, c'est qu'abandonnant à des mains mercenaires ses malheureux esclaves, s'il n'a pas eu le bonheur de choisir un régisseur honnête, ils seront victimes de la cupidité de l'Européen, qui, ne les regardant pas comme sa propriété, les contraint à des travaux qui excèdent leurs forces, les exténue, et fait périr ceux dont le tempéramment ne peut suffire aux grandes fatigues. Voici, Monseigneur, une des causes principales des mauvais traitemens des esclaves. Les négrophiles en accusent les colons, qui n'en sont qu'une cause indirecte en s'absentant; mais doit-on les couvrir de l'opprobre des Européens? Nous en revenons toujours à rejeter la faute sur les magistrats et commandans-inspecteurs des cultures, qui, dans l'absence des colons propriétaires, devroient regarder les nègres esclaves comme des orphelins confiés à leurs soins paternels et à leur humanité.

«L'estimable curé Sibire, qui après avoir missionné avec succès en Afrique, est actuellement, comme tant de dignes prêtres, repoussé du ministère par des fanatiques; Sibire dit, en se moquant des colons, ils ont fait des descriptions si bizarres de la béatitude de leur nègres, et sous des couleurs si riantes et si aimables, qu'en admirant leurs tableaux d'imagination, on regrette presque, d'être libre, ou qu'il prend envie d'être esclave..... Je ne souhaiterois pas à ces colons esclaves, un pareil bonheur dont ils ne sont que trop dignes (ch. II, pag. 45).»

Comme l'évêque Grégoire nous cite parfois des apologues, et qu'il nous a mis sous les yeux celui du lion, auquel on montroit un tableau représentant un lion terrassé par un homme, nous allons aussi, à l'occasion du bon Sibire, lui rappeler l'apologue du lion mourant. Tu quoque mi Sibire! vous nous donnez aussi en passant une petite ruade, encore vous nous avertissez que c'est en vous moquant de nous; nous sommes si bons, si bons, qu'en vérité nous ne l'eussions pas deviné; mais nous sommes sans rancune, et nous pensons, comme l'évêque Grégoire, qu'un aussi digne ecclésiastique que vous, un missionneur aussi zélé, qui a missionné 7 en Afrique, avec tant de succès, ne devroit pas être repoussé du ministère, dans une circonstance surtout où l'on manque de prêtres; ce ne peut-être, comme le dit très-bien l'évêque Grégoire, que l'effet du fanatisme. Comme nous étions dans l'erreur! nous croyons ce monstre totalement terrassé en France; eh! contre qui ose-t-il encore lever sa tête altière? La France n'a-t-elle pas à craindre, que le digne apôtre Sibire, secouant la poussière de ses souliers, ne retourne en Afrique? Avec quel plaisir ces chères brebis noires reverroient leur bon pasteur blanc; mais pourquoi n'iroit-il pas, à S. Domingue, affermir les nègres dans la doctrine qu'il leur a prêché?

Note 7: (retour) Le mot missionner est nouveau sans doute? nous ne le connoissions pas; aussi avons-nous mis missionneur au lieu du vieux mot missionnaire.

Ita verborum vetus interit ætas.

«Les colons (ch. II, pag. 46), dit Sibire, ont fait des descriptions si bizarres, de la béatitude de leurs nègres, qu'ils feroient presque désirer d'être esclave.»

Si vous étiez capable, homme de Dieu, de laisser tomber un regard de pitié sur les débris des malheureuses familles américaines, que vos écrits et votre opinion exaltée ont plongées dans l'abîme de la misère la plus affreuse, vous sauriez que plus des deux tiers se regarderoient comme très-heureux d'avoir le sort dont jouissoient leurs nègres bons sujets; et ce sort que vous leur souhaitez, par dérision, est mille fois à préférer à l'état précaire et malheureux de la majorité d'eux. Nous ne conviendrons pas, par exemple, que nous eussions autrefois changé notre sort avec celui de nos nègres, quoiqu'il ne fût pas malheureux: et que c'est une grosse absurdité, de la part du curé Sibire, de nous avoir fait le reproche de ne l'avoir pas fait; cela ne prouve rien pour lui, et l'ironie n'est pas heureuse; car beaucoup de blancs en France sont heureux dans l'état de domesticité. Cependant il est sans exemple qu'un maître ait eu la fantaisie de changer son état avec son domestique, quoique souvent il fût, sous bien des rapports, plus malheureux que lui. Quand l'évêque Grégoire siégeoit sur le trône épiscopal, lui est-il jamais venu dans l'idée de changer de place avec un de ses chanoines? Cependant, les chanoines (dans l'ancien régime) étoient si heureux, qu'on disoit trivialement: heureux comme un chanoine. Et vous, bon curé Sibire, vous est-il jamais venu dans l'idée de vous mettre à la place de votre sacristain, qui sans doute n'étoit pas malheureux.

«Si par impossibilité, il existoit sur la terre un homme nécessité à servir de proie à ses semblables, il seroit un argument invincible contre la providence (ch. II, pag. 46.)»

L'évêque Grégoire n'est pas beaucoup plus habile que nous, quand il s'agît des décrets de la providence; ils sont impénétrables aux foibles mortels. N'existe-t-il pas anthropophages au physique et au moral? L'homme qui sert de pâture ou de victime à un autre homme, n'a-t-il pas le droit de penser, que s'il n'a pas été créé pour cela, au moins il n'étoit pas dans les décrets du Père commun de l'empêcher? L'homme pauvre n'est-il pas nécessité de servir le riche, de lui vendre sa liberté? le pauvre et le riche ne sont ils pas également les enfans, du même Père commun? pourquoi donc ne sont-ils pas traités de la même manière? La timide brebis devient la proie du tigre féroce; le Créateur lui a refusé les moyens de se défendre, et a donné au tigre une gueule énorme garnie de dents déchirantes auxquelles elle ne peut opposer aucun moyen de résistance. La timide colombe, malgré son vol rapide, tombe entre les serres poignantes de l'épervier, qui en fait sa pâture. Un oiseau est pourvu d'un large bec, d'un gosier énorme, il engloutit dans un jour des milliers d'insectes. L'araignée est pourvue d'un réservoir rempli d'une substance glutineuse, qui, en se combinant avec l'air et la lumière, prend assez de consistance pour former des fils d'un diamètre infiniment petit avec lesquels cet insecte tisserand forme des filets en forme de réseau, dans lesquels viennent se prendre des mouches de toute espèces, destinées à lui servir de nourriture. Combien de genres de poissons ne vivent que d'autres poissons? L'homme omnivore fait servir à sa nourriture, quadrupèdes, oiseaux, poissons, végétaux, même ses semblables, et devient lui-même, après sa mort, quelquefois même pendant sa vie, la proie des insectes qui étoient l'objet de ses mépris, tout ce qui a reçu l'existence ne peut donc la prolonger que par la destruction des êtres vivans comme lui. Voilà sans doute des contradictions apparentes; mais n'est-ce pas de ces prétendues contradictions que naît l'ordre admirable qui maintient l'univers.

«Si les esclaves sont si heureux, pourquoi en le voit-on annuellement d'Afrique quatre-vingt mille noirs, pour remplacer ceux qui avoient succombé aux fatigues, à la misère, au désespoir; car, de l'aveu des planteurs, il en périt beaucoup dans les premiers temps de leur séjour en Amérique (chap. II, pag. 46).»

S'il arrivoit aux Antilles quatre-vingt mille nègres tous lès ans, ce qui est exagéré, ce n'étoit pas tant pour remplacer les mortalités que pour augmenter les cultures, en faisant de nouveaux défrichemens; et s'il en périssoit une partie pendant les premières années de leur séjour, ce n'étoit ni par les fatigues, ni par la misère, ni par le désespoir. Les Européens de bonne foi, qui sont allés dans les colonies, attesteront que l'on avoit un soin tout particulier des nègres nouvellement arrivés, qu'on leur donnoit une nourriture saine et abondante, parce qu'ils n'avoient pas encore, comme les nègres anciens, des volailles, des cochons, un petit jardin particulier à fruits et à légumes; qu'on ne les faisoit travailler qu'autant qu'il falloit, pour que cela leur servît d'exercice. Ce ne sont donc pas, comme le disent les négrophiles, ni la faim, ni les fatigues qui causent la mort des nègres qui arrivent dans les colonies, mais les mêmes causes qui occasionnent la mort des Européens, quoiqu'ils n'éprouvent en arrivant ni misère ni fatigue, le changement de climat, de nourriture, et surtout les affections morales. Il y a des nègres assez bornés pour croire que les blancs les ont achetés pour les engraisser, les manger, et boire leur sang. Cette malheureuse prévention porte à se détruire, ceux d'entr'eux surtout, qui croient à la métempsycose (les mina sont surtout dans ce cas là); mais ces sortes de suicides sont beaucoup moins communs que veulent le faire croire les négrophiles, et ils n'ont lieu que dans les premiers temps de l'arrivée des nègres dans les colonies, lorsqu'ils sont encore dans l'incertitude de leur sort. Ils avouent tous par la suite, qu'ils préfèrent leur nouvel état, au sort incertain qu'ils avoient dans leur pays. Les prétendus élans d'allégresse que suppose l'évêque Grégoire, aux nègres, lorsqu'ils assistent aux funérailles de leurs camarades, ou de leurs parens, ne sont rien moins que la preuve qu'il sont bien aises de les voir délivrés de l'esclavage et de la misère. Chaque caste ou nation nègre a ses cérémonies particulières pour les funérailles de ses morts; mais nous avons observé que toutes s'accordent sur deux points principaux; toutes conduisent le mort à sa tombe, en pleurant, ou feignant de pleurer, et en chantant des airs lugubres; et toutes reviennent de la cérémonie en chantant des airs gais, que leur inspirent les libations abondantes de taffia qu'elles ont faites sur cette tombe; et les unes et les autres passent la nuit à boire et à danser.

«A Batavia (chap. II, p. 48), d'après Barlow, on s'abonne, à tant par année, pour faire fouetter en masse les esclaves, et, sur le champ, on prévient la gangrène en couvrant les plaies de poivre et de sel». Nous regardons cette assertion comme si invraisemblable que nous nous croyons en droit de la nier: pourtant, dans la supposition que les nègres de Batavia fussent de la nature des sabots, qui ne tournent que lorsqu'on les fouette, pourquoi imputer aux colons de S. Domingue, la cruauté des Hollandois, et supposer à nos esclaves les mêmes vices qu'aux leurs? Sommes-nous donc les boucs émissaires de tous les peuples? François, ne sommes-nous plus vos frères? Hélas! les pauvres n'ont plus de frères: nous sommes dépouillés, et par qui? par ceux même qui devoient nous garantir nos propriétés, puisqu'ils nous les avoient vendues 8.

Note 8: (retour) Barlow a oublié, on peut-être ne sait pas de quelle manière se fait cette flagellation en masse. L'entrepreneur, dit-on, a des mécaniques, des espèces de moulins; on prétend que deux cents nègres, en se présentant bien, ce qu'ils acquièrent par la grande habitude, peuvent recevoir le fouet en même temps. Vive les Hollandois pour l'invention! nous autres François nous ne sommes pas encore rendus à ce degré de perfection; aussi, pour faire fouetter nos nègres (car il faut que des nègres soient fouettés), on commence au chant du coq, et l'on n'a pas fini lorsque la nuit vient. C'est ce qu'assure l'évêque Grégoire, d'après Wimphen, qui écrivoit, dit-il, pendant la révolution; or, ce qui a été écrit à cette époque, doit être cru comme parole d'évangile.

Abandonnant pour un instant les colons, l'évêque Grégoire cite l'anecdote «d'un capitaine «négrier qui, manquant d'eau et voyant la mortalité ravager sa cargaison, «jetoit, par centaines, les nègres à la mer».

Le capitaine n'en eût-il jeté que deux cents, engloutissoit dans les flots, une somme de quatre cent mille francs: à qui l'évêque Grégoire pourra-t-il faire croire qu'un homme, par un caprice barbare, se décide à perdre une pareille somme? Si le fait est vrai, il ne peut être attribué qu'à la force des circonstances, et ne peut nullement être imputé au capitaine. La disette de vivres, par la longueur des traversées, a mis, plus d'une fois les capitaines dans la dure nécessité de sacrifier une partie des hommes de leur vaisseau pour conserver l'autre, lors même qu'il n'y avoit que des blancs à bord. Comment M. Grégoire, qui a tant lu, ne connoît-il pas ces anecdotes? Si on lui disoit qu'il s'est trouvé des circonstances où l'on a tiré au sort, pour décider lequel des hommes d'un vaisseau serviroit de pâture aux autres. Nous pouvons citer un fait, dont il existe à Paris des témoins qui se sont trouvés dans une conjoncture où l'on a tiré au sort à qui seroit sauvé, ou à qui seroit noyé; l'on ne pouvoit sauver que la moitié dès individus, il falloit en passer par là ou périr tous..... Il n'y a donc que des négrophiles exaltés qui puissent avancer qu'un capitaine a jeté par caprice ou par barbarie des nègres à la mer, et par centaines. S'il a été forcé par les circonstances, que signifie cette inculpation? en quoi consiste le crime du capitaine?

Suit l'anecdote d'un autre capitaine qui, «las d'entendre les cris de l'enfant d'une négresse, l'arrache du sein de sa mère, et le précipite dans les flots».

En niant la possibilité de ce fait, nous nous permettons de rappeler à la charité chrétienne l'évêque Grégoire; son zèle l'emporte et fait tort à sa cause: qui dit trop, ne dit souvent rien. Que d'erreurs sont sujets à commettre, les savans de cabinet, par le défaut de connoissances locales! erreurs d'autant plus funestes que la réputation, l'esprit et l'érudition de ceux qui les avancent, les font adopter presque sans examen. La chambre du capitaine est très-loin de l'entre-pont où l'on tient les nègres, et les négresses ne peuvent venir sur le gaillard de l'arrière, au bout duquel se trouve cette chambre, qu'autant que le capitaine le leur permet, et il est naturel que si l'enfant d'une négresse incommodoit le capitaine, il lui ordonnerait de l'emporter, car en le jetant à la mer, il ne remédieroit point à l'incommodité d'entendre crier un enfant, puisqu'il s'en trouve toujours plusieurs dans une cargaison de nègres. Le capitaine auroit aussi jeté la mère (dit charitablement l'évêque Grégoire), s'il n'eût espéré en tirer parti. Monseigneur ignoroit qu'une négresse avec son entant se vend plus cher de 2 à 300 l.

La troisième anecdote que cite l'évêque Grégoire n'est pas si dépourvue de vraisemblance.

«Un capitaine ayant apaisé une insurrection de nègres dans son bâtiment, s'exerçoit à chercher des genres de supplice, pour punir ce qu'il appeloit une révolte».

Il ne faut jamais faire un métier à demi, puisque ce capitaine étoit marchand d'esclaves, ne devoit-il pas prendre tous les moyens possibles, soit pour apaiser cette révolte, soit pour empêcher qu'elle ne recommençât? cela est dans l'ordre et indispensable, si l'on veut éviter de tomber soi-même entre les mains des esclaves. C'est la loi du plus fort, ou du plus rusé, qui, presque toujours, est la meilleure; cette loi quoiqu'injuste en apparence, est dictée par la nature, puisqu'elle est établie même parmi les animaux irraisonnables. Mais, si les anecdotes que vient de citer l'évêque Grégoire, d'après John Newton, sont vraies, pourquoi ne pas nommer les capitaines? La médisance a quelquefois un bon côté, en faisant connoître des fautes, elle peut porter à se corriger, ou, au moins elle sert aux bons à se prémunir contre les pervers: mais, la calomnie, la calomnie!...

«Outre les coups de fouet, par lesquels on déchire les nègres, à la Jamaïque, on les musèle, pour les empêcher de sucer une des cannes à sucre arrosées de leur sueur, et l'instrument de fer, avec lequel on leur comprime la bouche, empêche encore d'entendre leurs cris lorsqu'on les fouette (chapitre II, p. 50.)»

Comme l'imagination des négrophiles est active quand il s'agit de calomnies contre les colons! Cette dernière est si outrée et si invraisemblable, qu'elle tombe d'elle-même. Les colons de la Jamaïque n'ont pas besoin d'y répondre. Plusieurs de nous avons habité assez long-temps cette colonie, même à l'époque que cite l'évêque Grégoire, et jamais nous n'avons vu, ni même entendu parler de l'instrument ridicule et barbare avec lequel, dit, impudemment un imposteur et, d'après lui, l'évêque Grégoire, on musèle les nègres empêcher de sucer les cannes à sucre, et qui sert, en outre, à leur comprimer la bouche, pour empêcher qu'on entende leurs cris lorsqu'on les fouette: cet instrument ne les empêcherai t-il pas aussi de respirer? Cela seroit peu de chose. Cette méchante inculpation est si fausse, que tous les nègres, quand ils coupent des cannes à sucre, non-seulement en sucent à discrétion, mais encore, en emportent à leur case pour leurs enfans et leurs vieillards. L'auteur d'une pareille imposture mériteroit bien qu'on lui comprimât la bouche avec l'instrument de son invention. Ce sont de semblables calomnies émises par les ennemis de la France, qui lui ont fait perdre ses colonies, et fait tarir la source principale de son commerce et de ses richesses. Les nègres, même, n'ont-ils pas été, et ne sont-ils pas encore victimes des maux incalculables sortis de la boîte infernale du négrophilisme, au fond de laquelle il n'est pas même resté l'espoir.

«La crainte qu'inspirèrent les marrons de la Jamaïque, en 1795, fit trembler les planteurs; un colonel Quarrel offrit à l'assemblée coloniale d'aller à Cuba chercher des chiens dévorateurs; sa proposition est accueillie avec transport: il part; arrivé à Cuba, il revient à la Jamaïque avec ses chiens et ses chasseurs qui, heureusement, ne servirent pas, parce qu'on fit la paix avec les marrons. (Chap. II. p. 51.)»

Ce fait est vrai, mais il est denaturé dans l'intention. Les Anglois envoyèrent à Cuba chercher des chiens, non pour dévorer les nègres marrons, mais bien pour découvrir et lever les embuscades que ces nègres leur tendoient dans les bois et dans les ravines des montagnes; d'ailleurs, peut-on supposer que les Espagnols de l'île de Cuba, qui n'ont jamais méconnu les droits des nègres et qui les ont toujours traités comme des frères d'une teinte différente (v. les pages 11 et 12 de la dédicace de M. Grégoire); peut-on supposer que ces mêmes Espagnols fissent dresser et styler des chiens dévorateurs, et qu'ils en fissent trafic avec les autres insulaires, en envoyant même des chasseurs habitués à conduire ces meutes négrophages? Si le fait est vrai, M. Grégoire nous permettra d'en rabattre sur le compte de ces bons Espagnols, et de leur appliquer une de ses phrases: «Il est donc vrai que toujours la soif de l'or rend les Hommes féroces, altère leur raison et anéantit tout sentiment moral». Nous demanderons à l'évêque Grégoire, si le colonel Quarrel, qui a fait l'acquisition des chiens, est plus coupable que ceux qui les font dresser pour les vendre. Pour inspirer quelque confiance, il faut, au moins être juste, et surtout conséquent. Et Dallas que l'évêque Grégoire a cité plusieurs fois, comme une autorité authentique, n'est plus ici qu'un écrivain partial, pour avoir prétendu que la mesure que les Anglois avoient prise, de faire venir des chiens, étoit légitime, et qu'on pouvoit aussi bien les employer à la guerre, que des éléphans et des chevaux.

«Plut à Dieu, ajoute le sensible Grégoire, que les flots eussent englouti ces meutes antropophages, stylées et dressées par des hommes, contre des hommes (chap. II, pag. 53).»

Et ces hommes, comme nous l'avons dit plus haut, étoient des Espagnols, chez lesquels, dit l'évêque Grégoire, les droits des nègres n'ont jamais été problématiques.

«J'ai ouï assurer, dit encore l'évêque Grégoire, plus bas, que lors de l'arrivée des chiens de Cuba à S. Domingue, on leur livra, par manière d'essai, le premier nègre qui se trouva sous la main; la promptitude avec laquelle ils dévorèrent cette curée, réjouit des tigres blancs à figure humaine.»

Quant il s'agit de charger d'une nouvelle iniquité les malheureux colons, les négrophiles ne sont pas à un anachronisme près. Le fait que cite l'évêque Grégoire, dont nous avons aussi entendu parler, est arrivé à une époque où, s'il existoit encore quelques colons à S. Domingue, ils étoient frappés de la nullité la plus absolue, et n'avoient aucune part à ce qui se passoit.

«Wimphen, qui écrivoit pendant la révolution, déclare, qu'à S. Domingue, les coups de fouet et les gémissements remplaçoient le chant du coq (chap. II, p. 53).»

Il n'y a qu'un mot à dire pour réfuter cette méchante inculpation. A l'époque où Wimphen écrivoit (pendant la révolution), les nègres étoient maîtres des blancs, comment en auroient-ils reçu le fouet?

Ficta voluptatis causa sint proxima veris.

A plus forte raison, comment auroient-ils souffert «qu'une femme eût fait jeter son cuisinier nègre dans un four, pour avoir manqué un plat de pâtisserie. Avant elle, dit le même Wimphen, un autre planteur en avoit fait autant.»

Plusieurs de nous avons habité S. Domingue pendant très-long-temps, plusieurs autres y sommes nés, et ne sommes sortis de cette île infortunée, qu'après l'arrivée des commissaires françois, époque trop mémorable de la perte de la colonie; nous pouvons certifier, avec vérité, que nous n'avons jamais entendu parler de ces deux horribles forfaits. Quand bien même on pourroit en prouver l'existence: dans tous les temps et dans tous les pays, n'y a-t-il pas eu des fous et des barbares? Qu'en peut-on conclure contre la généralité des colons? Robespierre a existé en France; qu'en concluera-t-on? Nous avons déjà fait cette objection, et nous la répétons. Wimphen et l'évêque Grégoire peuvent-ils supposer, que si le planteur qu'ils accusent de ce crime, s'en est réellement rendu coupable, le gouvernement ne soit pas intervenu, et n'ait pas fait un exemple tellement frappant dans sa personne, qu'il eût effrayé l'américaine dont ils parlent, et l'eût certainement détournée de se couvrir d'une pareille infamie. Ces messieurs ignorent sans doute qu'un nègre cuisinier coûte dix à douze mille francs, et que l'intérêt est un contre-poids bien puissant du caprice et de la barbarie.

«En lisant Robin (qui a voyagé à la Louisiane et à la Floride), dit l'évêque Grégoire, on voit que beaucoup de femmes créoles ont abjuré la pudeur et la douceur, qui sont l'héritage patrimonial de leur sexe. Avec quelle effronterie cynique elles vont dans les marchés visiter, acheter des nègres nus, et qu'on transporte dans les ateliers, sans leur donner de vêtemens pour se couvrir; ils sont réduits à se faire des ceintures de mousse (chap. II, pag. 54).»

Nous ne sommes point allés à la Louisiane, ni à la Floride; mais d'après ce que l'évêque Grégoire nous a dit de la nation espagnole, qu'elle n'avoit jamais mis en problème les droits des nègres, nous étions bien loin de soupçonner que les dames créoles de ces pays, qui sont presque toutes espagnoles, eussent abjuré la pudeur et la douceur, au point que le dit le voyageur Robin, et qu'elles aillent elles-mêmes visiter et acheter leurs frères d'une teinte différente; mais nous pouvons certifier, que dans les Antilles, quand les créoles n'ont ni mari, ni frères, elles envoient leur régisseur et leur chirurgien pour visiter et acheter les nègres dont elles ont besoin pour les cultures. Ces nègres, comme le dit Robin, sont nus; mais pourrions-nous nous en rapporter à la bonne foi des capitaines négriers, qui, d'après l'assertion même de l'évêque Grégoire, ordonnent à leurs chirurgiens de donner aux nègres des remèdes pour répercuter les maladies cutanées qu'ils pourroient avoir, et qui feroient tort à leur vente? Ces mêmes nègres, s'ils étoient habillés, ne pourroient-ils pas, sous leurs vêtemens, cacher des vices naturels plus considérables que les maladies cutanées; nous payions les nègres deux mille francs, et plus quelquefois, cela valoit bien la peine de les visiter; et n'est-il pas des cas, en Europe, où l'on visite aussi les blancs libres? Il est également certain, dans les Antilles, qu'on ne mène les nègres, dans les ateliers, qu'après leur avoir donné une chemise et un pantalon.

Le même voyageur Robin, pour donner le dernier coup de pinceau au joli portrait qu'il vient de faire des créoles de la Floride et de la Louisiane, ajoute, qu'elles renchérissent encore sur la cruauté des hommes. Oh! M. Robin! ou vous n'aimiez pas les femmes, ou vous n'en étiez pas aimé; cependant nous ne disconviendrons pas, que dans les Antilles même, il se soit trouvé quelques femmes qui aient sorti de ce caractère de douceur et d'humanité qui doit être l'apanage de leur sexe, en ordonnant parfois des châtimens trop sévères: nous même avons gémi sur cette bizarrerie de la nature, et avons essayé d'en chercher la cause, que nous croyons avoir trouvé dans l'extrême sensibilité des femmes; cela paroît un paradoxe. N'importe, nous allons développer notre idée, s'il est possible. Chez les femmes, le système nerveux est beaucoup plus délicat, plus susceptible d'ébranlement; de cette grande susceptibilité, il résulte sans doute quelques avantages, mais elle n'est pas exempte d'inconvéniens.

Nous avons observé les créoles, lorsqu'elles reviennent de France, où on avoit coutume de les envoyer très-jeunes, pour y recevoir une éducation plus soignée; nous avons observé les Européennes qui viennent pour la première fois dans les colonies: les unes ni les autres ne pouvoient supporter même l'idée d'un nègre que l'on faisoit fouetter; elles se seroient trouvé mal, si elles eussent été forcées d'assister à ce châtiment, qui, dans le vrai, ne devroit jamais être exécuté sous les yeux d'une femme. Les nègres domestiques qui ont un tact particulier pour connoître le caractère des blancs, et qui savent parfaitement mettre à profit leurs foibles, ne manquent jamais d'abuser de la pitié naturelle des créoles et des européennes qui ne les connoissent pas encore; pendant quelques mois, ils le font impunément; on se plaint, on se fâche, mais cela ne va pas plus loin: après avoir pardonné plusieurs fois et que l'esclave tombe toujours dans la même faute, la patience se lasse, la pitié diminue, on veut se faire servir, on commence par menacer; les menaces sont toujours comptées pour rien par les nègres; enfin, nos sensibles européennes, nos bonnes créoles sont forcées d'en venir à des châtimens qui n'auroient pas eu lieu si les nègres, qui s'étoient bien aperçus de leur foiblesse, n'eussent été dans la persuasion qu'ils pouvoient impunément manquer à leurs devoirs: et les châtimens qu'ordonnent, pour lors, ces dames détrompées, sont d'autant plus sévères que leur patience, poussée à bout, leur amour-propre, piqué d'avoir pardonné sans effet trop souvent, semblent trouver, dans ces châtimens, une petite vengeance d'avoir été trop long-temps les dupes. La vengeance est, dit-on, le plaisir des dieux; les foibles mortels se donnent, aussi, parfois, ce petit passe-temps, mais ils vont quelquefois trop loin, nous en convenons, ce qui nous autorise, en quelque sorte, à faire une réflexion à cet égard (dont nous demandons pardon au beau-sexe): nous voudrions que, dans les colonies, il existât un règlement par lequel il ne seroit pas permis à une femme, de faire châtier un nègre sous ses yeux; elle porteroit ses plaintes au régisseur, qui proportionneroit le châtiment au délit. Nous connoissons parfaitement les nègres d'après une expérience de plusieurs années, et nous avons appris qu'avec eux il ne faut ni tort ni grace, il faut être juste et ferme sans sévérité; si on est foible, ils en abusent; si on les châtie sans raison, le dépit s'en mêlera, et comme ils ne gagneroient rien à bien faite, ils feront mal; il est rare qu'ils le fassent s'ils sont sûrs d'être punis. Nous avons vu des ateliers de 3 à 400 nègres, où il n'y en avoit pas six qui se missent dans le cas d'être punis; encore c'étoit toujours, les mêmes qui voloient ou leur maître ou leurs camarades: les régisseurs ne leur passoient rien et ils le savoient bien, aussi leur manquoient-ils moins qu'au maître.

«Les nègres condamnés au fouet, continue Robin, sont attachés la face contre terre entre quatre piquets (ch. II, p. 54).»

Cela est vrai; mais on n'emploie ce moyen que dans les cas où un nègre a commis une faute grave, par exemple, pour le vol d'un boeuf, d'un cochon, soit à un maître, soit à des voisins, soit à des camarades. Mais nous demandons ce que l'on feroit en Europe, à un blanc libre, qui se seroit rendu coupable du même crime? Dans beaucoup de pays, il seroit condamné à la mort; dans d'autres, ce qui pourroit lui arriver de moindre, ce seroit d'être marqué avec un fer rouge sur l'épaule, et envoyé aux galères, après avoir été exposé attaché à un poteau sur un échafaud, la face découverte, et ostensible à tout un peuple, qui vient être témoin de son infamie. Avouez que cela équivaut bien à être attaché la face contre terre entre quatre piquets. Voudroit-on donc que le crime restât impuni, parce que c'est un nègre esclave qui l'a commis? Pourroit-il exister des colonies avec un pareil régime? mais ce n'est pas ce qui inquiète les négrophiles; nous nous rappelons encore de leur phrase: périssent plutôt les colonies, qu'un seul de nos principes. Comment n'ont-ils pas ajouté, et les colons aussi; hélas! ils le pensoient, et cela est malheureusement arrivé. Tout a péri, colonies et colons.

«Les enfans blancs, d'après le même Robin, font leur apprentissage d'inhumanité; en s'amusant à tourmenter les négrillons (chap. II, pag. 55).»

Cela peut-être, chez les Espagnols, à la Louisiane et à la Floride, où a voyagé M. Robin; mais rien de semblable ne se voyoit dans les Antilles. Les petits négrillons s'amusoient avec les petits blancs, et se traitoient absolument comme camarades, jusqu'à ce que les uns et les autres fussent arrivés à un âge, ou il étoit nécessaire de faire sentir au domestique, ou à l'esclave, la distance qui devoit exister entre lui et le maître; mais les petits blancs conservoient toujours une affection particulière pour eux, quelquefois leur donnoient le nom de frères, et il n'étoit pas rare que les pères et mères, en mourant, léguassent la liberté aux nègres enfans de la nourrice des leurs, qui avoient été élevés avec eux.

«Quoique le cri de l'humanité s'élève de toutes parts contre les forfaits de la traite et de l'esclavage, quoique le Danemarck, l'Angleterre et les Etats-Unis repoussent «l'un et l'autre, on ose en France, dit l'évêque Grégoire, en solliciter le rétablissement, malgré les décrets rendus, et ces mots de la proclamation du chef de la nation, «aux nègres de S. Domingue: Vous êtes tous égaux et libres devant Dieu et la république (chap. II, pag. 55).»

Malgré cela, on ose, dit l'évêque Grégoire solliciter encore le rétablissement de l'esclavage à S. Domingue, et la continuation de celui qui n'a cessé d'exister dans les autres colonies françoises.

Négrophiles exaltés, répondez-nous? qu'ont fait les nègres, au commencement de la révolution, après que Polverel et Sonthonax leur ont fait proclamer, par leurs maîtres mêmes, le funeste décret qui les rendoit libres? Nous disons funeste; il l'a été pour les nègres mêmes. Qu'ont-ils fait à une autre époque, lorsque le chef de la nation leur a adressé la proclamation que l'évêque Grégoire vient de citer, qui leur disoit: Vous êtes tous égaux et libres devant Dieu et la république? Ils ont égorgé leurs maîtres, même ceux qui avoient proclamé leur liberté, et qui avoient combattu avec eux pour la conserver. Les commissaires, eux-mêmes, s'ils n'eussent fui, auraient été les victimes de leur imprudence, pour ne rien dire de plus. Et c'est après une pareille expérience, que l'évêque Grégoire sollicite, dans un nouvel ouvrage, l'affranchissement des nègres dans les autres colonies, et ose leur prédire de nouveau (voy. p. 281, ch. II), que bientôt le soleil n'éclairera plus que des hommes libres sur les rivages des Antillles.

Colons de S. Domingue! victimes malheureuses des faux systèmes, et de l'exaltation des négrophiles, votre sang, qui fume encore, celui de vos pères, de vos femmes, et de vos enfans, dont le sol de S. Domingue est encore rougi, n'est point un holocauste avec expiatoire, pour les prétendus crimes des colons envers leurs esclaves; il faut de nouvelles victimes, le négrophilisme les réclame, et c'est par la voix d'un ministre des autels!

Eh quoi! d'un prêtre est-ce là le langage?

Si au lieu d'employer son génie sa prodigieuse mémoire, son étonnante érudition, sa raison, ses sentimens, sa religion, à composer des volumes, pour faire connoître de nouveau, et remettre sous les yeux, des nègres les crimes vrais, ou prétendus des colons de tous les pays, l'évêque Grégoire eût employé tous ses talens, à combiner sagement un plan, pour un affranchissement successif, raisonnable, possible enfin, sans compromettre, ni la vie des nègres, ni celle des colons, dont la majeure partie (quoi qu'en disent les négrophiles) n'a jamais mérité, sous aucun rapport, le sort malheureux qu'elle a eue; il auroit eu des droits à la juste reconnoissance, et à l'estime des blancs et des nègres, les uns et les autres lui eussent érigé des autels. Mais non! les négrophiles ont détruit l'édifice avant d'avoir aucuns matériaux pour le reconstruire; et de quelle manière l'ont-ils renversé? en établissant dessous une mine, dont l'effet a été si subit et si terrible, que tous ceux qui étoient aux environs ont été ensevelis sous ses décombres.

«Mais, objecte l'évêque Grégoire, les amis des noirs ne vouloient point un affranchissement subit et général.»

Qu'importe aux colons qu'ils ne le voulussent pas, lorsqu'ils ont effectué l'un et l'autre. Penser le bien et faire le mal, n'est-il pas le comble de la déraison?

«Les planteurs, continue l'évêque Grégoire, ont repoussé avec acharnement, les décrets par lesquels l'assemblée constituante vouloit graduellement amener des réformes salutaires.»

S'il étoit vrai que les colons eussent pu repousser les décrets de l'assemblée constituante, pour un affranchissement graduel, auroient-ils accepté le décret de l'affranchissement subit et général qu'ils ont proclamé eux-mêmes, par les ordres de Sonthonax, et qu'ils savoient bien devoir entraîner la perte de la colonie? Certes, s'il eût été à leur pouvoir de les repousser, ils l'auroient fait, et dans un autre temps, la France leur auroit voté des remercîmens, comme un malade guéri de la fièvre ardente, remercie ceux qui l'ont empêché de se précipiter par la fenêtre.

N'est-ce pas une dérision de nous citer l'Angleterre et les Etats-Unis, comme repoussant la traite et l'esclavage, lorsque ces deux nations ont des colonies cultivées par des esclaves, et que, de l'aveu même de M. Grégoire, ils font le commerce des nègres avec les autres îles, et vont, pour cet effet, à la côte d'Afrique pour en traiter?

«Ces pamphlétaires parlent sans cesse des malheureux colons, et jamais des malheureux noirs (chap. II, pag. 56).»

Puissions-nous dire de l'évêque Grégoire, qu'il parle toujours des malheureux noirs, et jamais des malheureux colons!

«Les planteurs répètent que le sol des colonies a été arrosé de leurs sueurs, et jamais un mot sur la sueur des esclaves.»

L'évêque Grégoire prouve bien, qu'il connoît peu le caractère de l'esclave noir; s'il lui arrive de suer, c'est par la chaleur du climat, et jamais par le travail qu'il fait pour le maître; aussi rien de plus faux que le proverbe trivial, travailler comme un nègre. Un paysan fait dans un jour plus de travail que n'en feroient quatre nègres; aussi employoit-on dans les colonies deux cents nègres, pour cultiver un terrain, que trente vignerons auroient pu entretenir, si toutefois le climat permettoit aux blancs comme aux nègres d'Afrique, de braver les ardeurs du soleil.

«Les colons peignent, avec raison, comme des monstres, les nègres de S.-Domingue, qui, usant de coupables représailles, ont égorgé des blancs, et jamais ils ne disent que les blancs ont provoqué ces vengeances, en noyant des nègres, en les faisant dévorer par des chiens (chap. II, p. 56.).»

Il falloit encore un anachronisme, pour excuser la barbarie des nègres envers les colons de S.-Domingue; l'évêque Grégoire n'est pas à cela près, ce sont ses lieux communs; peut-il, cependant, ignorer que les premiers massacres des colons ont été exécutés plusieurs années avant les noyades de nègres, et avant que l'on eût fait venir des chiens, pour s'en servir contr'eux, dans la guerre qu'on a été forcé de leur faire, et les derniers massacres des blancs qui ont eu lieu à l'arrivée des François à S. Domingue, en 1802, ont été la cause et non l'effet des fusillades et des noyades des nègres, par les François arrivant, qui ont voulu venger la mort des colons leurs frères, dont les cadavres mutilés, jonchoient encore les grands chemins au moment de leur débarquement. Les massacres des blancs par les nègres ne sont donc pas des représailles: et quelles étoient les victimes dont le sang fumoit encore? Nous l'avons dit plus haut, ceux même qui après leur avoir donné la liberté, aveuglés par une malheureuse confiance, avoient eu l'imprudence de rester avec eux pendant la révolution, et de faire cause commune contre les ennemis de leur liberté; et ces montres d'ingratitude trouvent encore des panégyristes!

Ce dernier trait de leur férocité ne suffiroit-il pas pour, sinon légitimer, au moins excuser le sentiment de ceux qui veulent qu'on replonge dans l'esclavage cette nation barbare, qui n'est point encore parvenue au degré de civilisation nécessaire pour jouir de la liberté? La punition ne seroit-elle pas encore trop douce, ce seroit notre avis, si nous n'étions pas convaincus, que la totalité des nègres ne fût point coupable des crimes horribles que leurs scélérats chefs ont ordonné à quelques-uns d'eux, et qu'ils les ont forcés de commettre. Ne serions-nous pas nous-mêmes taxés, avec raison, de l'ingratitude la plus marquée, si nous ne publiions pas hautement que la majeure partie de nous, qui végétons encore sur cette terre de douleur, devons l'existence à des nègres, qui ont compromis leur vie pour sauver la nôtre? Ils ne haïssoient donc pas autant leurs maîtres que veulent le faire croire les négrophiles.

«L'érudition des colons est riche de citations en faveur de la servitude, personne mieux qu'eux ne connoît la tactique du despotisme (chap. II, pag. 56).»

Ne diroit-on pas, à entendre l'évêque Grégoire, que ce sont les colons qui ont institué l'esclavage? n'existoit-il pas long-temps avant la découverte du nouveau monde? n'auroit-il point, comme le dit Firmin, pour origine, la loi naturelle, qui est la loi du plus fort, et qui exista de tout temps? Un vainqueur, un conquérant, chez un peuple encore sauvage, fait des prisonniers, qu'en fera-t-il? S'il les renvoie, il aura toujours la guerre à recommencer; il les tue, quelquefois les mange; un commencement de civilisation, une population plus nombreuse, amènent un autre ordre de choses; les productions naturelles, ne pouvant plus suffire aux besoins de tous, que fera pour lors le vainqueur? Au lieu de tuer ses prisonniers, il les condamnera à travailler pour lui. Nous croyons que c'est là l'origine de l'esclavage, nous pouvons certainement nous tromper; mais on ne peut contester qu'il existe, de temps immémorial; ce qui est à nos yeux un argument concluant, pour en prouver, sinon la légitimité, au moins la grande utilité, pour ne pas dire la nécessité. D'après M. Grégoire même, nous pourrions dire que l'esclavage est juste, puisque, selon lui, il n'y a d'utile et de durable que ce qui est juste. Or, qu'il nous assigne une époque où l'esclavage n'existoit pas? Nous le regardons comme une fatalité attachée à la malheureuse espèce humaine; et s'il y a quelque probabilité de pouvoir l'y soustraire, ce ne pourroit être que par la civilisation générale; or, est-il au pouvoir des hommes de civiliser tous les peuples de l'univers? et l'histoire ne nous apprend-elle pas, que ceux même qui ont atteint le plus haut degré de perfection, sous ce rapport, et qui en ont joui pendant plusieurs siècles, à certaines époques, retombent dans la barbarie? Si le règne de Robespierre avoit continué, la France n'étoit-elle pas sur le point d'en offrir elle-même un exemple terrible? Or, l'esclavage existoit avant qu'il y eût des colons, car le vendeur existe avant l'acheteur; ce sont donc ces mêmes François qui nous ont vendu les nègres, pour en faire des esclaves, qui se sont arrogés le droit étrange de les affranchir, sans aucune indemnité; en avoient-ils le droit? Nous ne pouvons mieux faire, que de rapporter mot pour mot, ce qu'un de nous a écrit sur ce sujet, dans un ouvrage trop peu connu 9.

Note 9: (retour) Réflexions sur la liberté des nègres, dans les colonies françoises, par Barnabé o'Schiell.

«Si le nègre n'a jamais pu ni dû être esclave, on n'a jamais été fondé à me le vendre. Vous donc, métropole, qui avez autorisé cette vente, et vous, négociant, qui l'avez consommée, vous nous avez également trompés, et l'un et l'autre, si ce n'est tous les deux, et vous nous devez indubitablement une indemnité quelconque, parce que rien n'a pu me faire perdre le droit de garantie que la vente m'a conféré. Si nous sommes coupables, pour nous être prêtés à une acquisition odieuse et attentatoire aux droits de l'homme, l'êtes-vous donc moins, vous autres tous, qui en avez été les premiers mobiles, qui y avez participé en tout point et librement, et en avez retiré d'avance tous les profits? Faudra-t-il que nous supportions, nous colons, nous seuls, tout l'odieux et toute la charge d'un marché qui nous est commun? Que plusieurs peuplades de nègres se fussent concertées sur les côtes d'Afrique, pour venir affranchir leurs frères des iles, ou que parmi ces derniers, plusieurs se fussent réunis en armes, pour faire la conquête de leurs droits, ces efforts eussent été bien légitimes, et autorisés par la même loi de la nature, qui les avoit rendus esclaves; mais que la même nation qui, sous une forme de gouvernement, a autorisé l'esclavage, s'est enrichie, elle et une foule de citoyens, par ce genre de trafic, veuille sous une autre forme le proscrire, en privant tous les possesseurs actuels d'esclaves de tout dédommagement quelconque; ce n'est pas suivre les lois de la nature, mais celle des tyrans qui veulent ériger leurs décisions en lois, et leur force en droit. C'est un reproche que nous avons le droit de faire à l'assemblée constituante, et nous lui demanderons si l'intérêt de la classe noire, qui a bien prouvé qu'elle étoit étrangère aux Antilles, comme à la France, devoit prévaloir exclusivement sur l'intérêt de la classe blanche, infiniment plus nombreuse par tous les rameaux qui vont s'implanter jusque dans le sein de la métropole, et qui lui est attaché par tous les liens du sang, et par les intérêts les plus chers? Les droits des nègres étoient-ils tellement sacrés, qu'ils dussent effacer et anéantir radicalement tous ceux des blancs? Au moins devoit-on chercher à concilier les uns et les autres?»

Comme l'ouvrage de l'évêque Grégoire ne ressemble pas mal à un habit d'arlequin, dont les pièces de toutes couleurs, ramassées dans les quatre coins du monde sont, à la vérité, très-artistement cousues; nous allons aussi essayer à faire un petit habillement de plusieurs pièces. Mais qu'on n'exige pas de nous la perfection d'un maître comme M. Grégoire; nous ne sommes que des petits garçons tailleurs sans prétentions: aucun de nous n'est patenté. Non licet omnibus adire Corinthum.

Nous revenons à l'article esclavage. Comme la majeure partie des reproches que fait l'évêque Grégoire aux colons leur a déjà été faite par les Raynal, les Valmont de Bomare et autres prétendus philosophes du siècle passé, nous ne croyons pouvoir mieux faire que de citer la réponse qu'un de nous leur a faite dans l'avant-propos d'un ouvrage qu'il a publié sous le titre de Flore des Antilles: comme cet ouvrage, par son luxe typographique, et par la belle exécution des gravures, n'est pas à la portée de tout le monde, par son prix, nous croyons faire plaisir au public, en lui mettant sous les yeux le tableau fidèle de l'esclavage des nègres dans les Antilles, et les réflexions de l'auteur sur les différentes causes de la perte de S.-Domingue, dont la principale a été l'affranchissement subit des esclaves.....

«Avant de parler (dit l'auteur) d'un sujet qui réveille de si douloureux souvenirs, je prie le lecteur de se transporter à l'époque ou j'ecrivois en 1792. Qu'il s'imagine être avec moi sur les bords de l'Artibonite, dont les eaux, teintes du sang des malheureux colons, entraînoient vers la mer leurs cadavres mutilés: qu'il fixe, s'il en a la force, ces tourbillons de flamme couleur de sang, qui dévoroient leurs habitations; qu'il sache que les poignards et les torches de ces infâmes assassins, avoient été mis entre leurs mains contre les colons, par..... oserai-je le dire? Si, d'après ce spectacle affreux, le lecteur trouve trop amer le fiel dans lequel j'ai trempé ma plume, il est indigne de la qualité d'homme, il n'a point d'ame: peu m'importe son suffrage ou son blâme! (Flore des Antilles, discours préliminaire, page 18.).»

D'après les produits précieux des colonies, dont quelques-uns sont devenus en Europe des objets de première nécessité (vérité qu'on ne peut raisonnablement contester), comment expliquer le peu d'importance qu'on a mis, pendant la révolution, à la conservation de ces mêmes colonies? «N'avons-nous pas Orléans qui nous fournira du sucre (ont crié, d'une voix de Stentor, ces faux patriotes, aussi ignorans qu'exaltés)? Nos chimistes, éclairés par le flambeau du patriotisme, ne nous ont-ils pas appris que ce sel sucré, qui fait nos délices, ne se trouve pas exclusivement dans la canne à sucre; ne possédons-nous pas, dans notre territoire, des betteraves, des carottes, des poires, des raisins, des bouleaux, qui nous fourniront abondamment cette substance qui doit perdre toute sa douceur auprès des bons patriotes, lorsque l'on considère qu'elle a été arrosée de la sueur, que dis-je? du sang des malheureux Africains que l'on a la cruauté d'enlever à leur patrie? (à laquelle ils ne peuvent être attachés, puisqu'ils y naissent les esclaves d'un despote atroce qui a sur eux le droit de mort, et qui en use quand son caprice ou son intérêt le demande.) d'enfans qu'on arrache impitoyablement des bras de leurs pères et mères (qui les vendent eux-mêmes, lorsqu'ils ont des besoins et qu'ils sont assez forts pour les livrer.), des pères et mères que l'on enlève à leurs enfans (qui les vendent aussi quand ils peuvent, ou les massacrent sans pitié, lorsqu'ils deviennent trop vieux, et qu'ils sont hors d'état de pourvoir eux-mémes à leur subsistance particulière, et se soustrayent, par cette atrocité, au plus saint et au plus doux des devoirs, de nourrir dans leur vieillesse ceux qui ont pourvu à leurs besoins pendant leur jeune âge.), des malheureux que l'on enlevé à leurs douces habitudes (qui n'en ont d'autres que de se faire une guerre continuelle, ou pour se défendre eux-mêmes ou pour le despote dont ils sont esclaves, et dont la chance, s'ils sont faits prisonniers, est d'être massacrés, si le vainqueur ne trouve pas à les vendre). Oh! philantropes ignorans, s'il vous étoit possible de mettre en parallèle l'esclave africain avec celui de S. Domingue, dont le sort vous est absolument étranger, et, dont vous parlez en aveugles; vous seriez forcés de convenir que, puisqu'il est impossible de civiliser les Africains chez eux, c'est une grande amélioration dans leur sort que de devenir les esclaves d'un peuple civilisé, chez lequel ils sont, à la vérité, asservis à un travail journalier, mais qui, plus heureux que les blancs européens sans propriété, ont une subsistance assurée pour toute leur vie; pendant leur enfance, pendant leur vieillesse, pendant leurs maladies; d'un côté, je vois l'esclave de nom, de l'autre, l'esclave de la nécessité: si ce n'est l'humanité, c'est au moins l'intérêt qui adoucit le sort du premier; quelle ressource trouve le second dans votre prétendue philantropie? le payez-vous, l'habillez-vous, le nourrissez-vous, lorsque l'enfance, la vieillesse ou les infirmités, le mettent hors d'état de vous donner en échange un travail beaucoup plus pénible que celui de nos nègres? vous chargez-vous, dans ces circonstances fâcheuses, de pourvoir aux besoins pressans de sa famille infortunée? Non, non! Votre hypocrite philantropie a pour objet un peuple sauvage à deux mille lieues, qui vous a prouvé de plus d'une manière qu'il dédaignoit votre fausse pitié, et qui, lorsque vous lui avez mis les armes à la main et fait connoître sa force, les a tournées contre vous-mêmes, et vous a prouvé sans réplique que celui qui a la témérité de démuseler un ours, avant de l'avoir apprivoisé, en est presque toujours la première victime; vous l'auriez été, oh monstres! que je n'ose nommer, de crainte de souiller ma plume, si vous n'aviez pris le parti de fuir devant Toussaint, qui voyoit en vous des hommes plus ambitieux que lui. Mais, qu'eussent été quelques victimes infâmes, pour expier le sang des milliers de victimes innocentes que vous avez fait sacrifier, dirai-je, par votre philantropie? non; ce sentiment étoit trop pur pour entrer dans vos ames: dirai-je par un faux système? non; vous n'en fûtes jamais dupes: mais par la soif inextinguible de l'or des malheureux colons:

Auri sacra fames! quid non mortalia pectora cogis?

Vous avez réduit ces infortunés, après les avoir fait languir dans les fers, à venir mendier dans un empire où, jadis, ils portèrent l'abondance et la prospérité. 10 Toussaint, l'atroce et hypocrite Toussaint, fut moins coupable que vous: un tigre déchaîné par une main imprudente, obéit au penchant irrésistible de la nature. Que j'ai honte de la couleur de ma peau! disoit un jour un de ces fourbes philantropes dans une orgie patriotique, en s'extasiant sur la couleur noire, de la peau visqueuse d'un gros vilain nègre Congo, qui exhaloit à la ronde une odeur si fétide, que plusieurs des convives, malgré leur civisme, étoient sur le point de faire le sacrifice de leur dîner à cet arôme fraternel. Non! monstre infâme! ta peau ne devoit pas être blanche, elle devoit être teinte du sang des innombrables victimes qu'a fait immoler ta rage révolutionnaire. Vous êtes la race primitive, disoit-il à tous les nègres, vous êtes le type du genre humain, les blancs ne sont qu'une race dégénérée; reconnoissez enfin, reprenez votre dignité, et que la race coupable qui vous a avilis jusqu'à ce jour, vous cède enfin un pays dont vous êtes les indigènes (selon lui, les nègres et les hommes de couleur étoient les indigènes de S. Domingue), ou que, périssant victime de son opiniâtreté, elle serve d'un exemple frappant à la postérité. N'étoit-ce pas mettre le poignard, dans les mains des nègres, contre les blancs? Peu de jours après les massacres commencèrent, et les monstres qui avoient prêché l'insurrection, voyageoient en sûreté parmi les assassins.

Note 10: (retour) Plusieurs de ceux qui ont été incarcérés par eux, sont à Paris..... plusieurs sont morts dans les prisons.

Parmi toutes les causes qui ont produit l'insouciance des François pour les colonies, et qui ont amené leur perte, qu'on ne ressent que depuis qu'elle est consommée; il en est qu'il n'est plus permis de rappeler, depuis que le règne de la raison a succédé à celui de l'exaltation: mais aussi il est des systèmes dangereux, qui s'opposeroient à leur rétablissement indispensable, si l'on ne prémunissoit contre eux les personnes qui n'ont pas les connoissances locales nécessaires pour se défier des innovations. Un auteur, à la pureté des intentions duquel je rends justice, M. de Cossigni, mais qui lui-même est dupe de son zèle patriotique, a proposé de cultiver les cannes à sucre en France; il ne met même pas en question si ces cannes pourront acquérir le degré de maturité nécessaire pour produire le sel essentiel que l'on nomme sucre; et malgré les objections sages et bien raisonnées du ministre de la marine (M. Forfait), il a persisté à proposer le moyen de faire réussir ce projet dangereux dans son exécution, supposé qu'il fût possible. Il a été démontré par l'expérience, que même dans les contrées méridionales de la France, en Provence, où l'on avoit introduit la canne à sucre, on a été forcé d'en abandonner la culture, parce que les produits n'équivaloient pas aux dépenses de l'exploitation. En Espagne même, plusieurs capitalistes ont dérangé leur fortune en établissant des sucreries, le climat est cependant beaucoup plus favorable que celui de la France, mais la main d'oeuvre est trop chère. Il faut partir d'un principe: une culture ne peut être avantageuse, qu'autant qu'elle sera favorisée par le climat et par le sol; et j'oserois prédire la ruine de la France, et en même temps celle de nos colonies, du jour où l'on adopteroit le faux système de planter des cannes à sucre en France, et du blé et des vignes dans les colonies. Consultons la nature; ce guide ne nous égarera jamais. Nunquam aliud sapientia, aliud natura dicit. Elle a désigné le pays où doivent habiter certains animaux, où doivent croître certains végétaux; changez cet ordre, tout sera bouleversé. L'animal languit ou meurt; la plante à peine végète; il faut, aux Antilles, des jardins couverts pour les plantes d'Europe, afin de les soustraire aux rayons trop directs d'un soleil dévorant; il faut, en Europe, des serres chaudes pour les végétaux des Antilles, pour les garantir de la rigueur des hivers. L'Européen, en cherchant l'ombre et la fraîcheur, à S. Domingue, a bien de la peine, malgré toutes ces précautions, à se soustraire à l'influence d'un climat, qui n'est dangereux pour lui qu'en sa qualité d'Européen. L'Américain des Antilles, quelques moyens qu'il emploie pour lutter contre les frimas de l'Europe, est exposé à des maladies qu'il n'eût jamais éprouvées dans son pays natal, et périt en sa qualité d'Américain. Il ne faut cependant pas prendre trop strictement la maxime, qu'il n'est pas avantageux de transporter des animaux, ou des végétaux, d'un climat dans un autre, et d'essayer à les y naturaliser; il est d'heureuses exceptions. Parmi les animaux, il en est qui s'accommodent de tous les climats, et qui peuvent y devenir très-utiles. Il est également des végétaux constitués d'une manière, qu'ils peuvent supporter le soleil brûlant des zones torrides, et qu'ils ne craignent pas les glaces des zones tempérées. Mais souvenons-nous d'être sagement entreprenans, et ne donnons hospice aux étrangers, dans ces deux genres, qu'autant que le nombre en sera peu considérable d'abord, et que nous pouvons sans danger en étudier les bonnes ou mauvaises qualités, avant de leur donner des lettres de naturalisation. Parmi les végétaux exotiques, un de ceux que je crois pouvoir être cultivé en France, dans les parties méridionales, est le coton, mais, le coton herbacé seulement, qui peut, en cinq mois, produire son fruit; car, quant à toutes les autres espèces, même dans la zone torride, il leur faut huit à neuf mois.

On doit encore mettre au rang des causes les plus directes de la perte des colonies, les écrits des prétendus philosophes; entr'autres, de Raynal, de Valmont de Bomare, et des Grégoire. Ah! Raynal! dont l'éloquence captieuse présente trop souvent, pour la vérité, les rêves aune imagination exaltée, je vais analyser de sang-froid les calomnies atroces que tu as vomi contre les colons, et les reproches mal fondés que tu leur as faits; reproches dont les conséquences malheureuses ont amené la révolution de ce pays infortuné; révolution aussi funeste aux nègres, qui paroissoient en être l'objet, et dont elle a presque anéanti la race, qu'à la France, dont elle a ruiné le commerce.

Qu'êtes-vous, me dira-t-on, pour oser, avec une foible plume, lutter contre Raynal? La colombe ne doit-elle pas fuir devant l'aigle? A cela, je répondrai, que la véritable beauté ne tire pas son éclat des riches vêtemens, elle brille par elle-même; telle est la vérité, dont le flambeau me servira toujours de guide. Ah! combien est dangereux un auteur, qui, fascinant nos sens, par les charmes de sa diction, les maîtrise et entraîne notre raison par le torrent de son éloquence. Quel poison subtil se mêle au doux parfum des fleurs qui embellissent le vaste champ de son érudition!

Protée dangereux, est-ce bien le même homme? est-ce bien Raynal qui entre dans le temple de Gnide, pour y dérober la palette de l'Amour, et les pinceaux de la Volupté, avec lesquels il peint le tableau séduisant des Bailladères de Surate, qui delà descend dans l'antre de Vulcain, pour y faire forger des lances, des poignards, pour y allumer des torches qu'il met dans les mains des esclaves, contre des maîtres, dont la majeure partie cherchoit à adoucir leur sort, et qui les ont achetés de ces mêmes négrophiles, qui jouissent sans remords du produit de ce trafic, et qui osent encore réclamer des colons ce qu'ils peuvent leur devoir pour l'acquisition d'une propriété dont leur système les a privés.

Je les ai vus, ces négrophiles de mauvaise foi, savourer avec volupté du café dans lequel ils avoient mis avec profusion, ce sucre qui, selon eux, est teint du sang des malheureux Africains; soyez donc conséquens; si vous voulez me persuader.

Ah! Raynal! si les âmes dégagées de leur enveloppe mortelle, peuvent encore être affectées de quelque passion, et qu'elles puissent en donner des signes dans la région que tu habites, ne dois tu pas être obsédé par la foule innombrable des ombres plaintives des malheureuses victimes que ta philosophie exaltée et ton système impolitique ont précipitées dans l'abîme du tombeau. Instruit par l'expérience, et détrompé à un âge plus mur, tu as reconnu l'erreur de ton système et les malheurs qui pouvoient en dériver; tu as chanté la palinodie et fait amende honorable aux malheureux colons; mais il n'étoit plus temps, le poison fatal avoit déjà pénétré, le mal étoit sans remède.

Interprète et vengeur, si je le puis, de tous mes frères les colons des Antilles, je vais entreprendre, non de les disculper, car le plus grand nombre ne fut jamais coupable; mais de démontrer aux yeux de l'Europe, combien sont peu fondés les reproches que leur ont faits les philosophes négrophiles. Je commencerai par Raynal. Vérité sainte, je t'invoque et fais le serment, sur tes autels, de ne jamais marcher qu'à la lueur de ton flambeau.

«Il est des colons barbares qui regardent la pitié comme une faiblesse; se plaisent à tenir la verge de la tyrannie; toujours levée sur leurs esclaves (Histoire philosophique, tom. III, pag. 175).»

Quel homme même, d'un sens ordinaire, examinant de sang-froid et sans prévention, cette inculpation ridicule, pourra se persuader qu'il se trouve dans le monde une contrée, où les hommes, ne connoissant ni les sentimens d'humanité, ni cette passion impérieuse, l'intérêt, sacrifient leur bonheur et leur fortune, au plaisir atroce de tourmenter des êtres, sans aucune utilité, que de satisfaire leur caprice.

«Ils ne donnent, continue Raynal, que très-peu de nourriture à ces malheureux esclaves, encore est-elle de mauvaise qualité (tom. III, pag. 177).»

Vous n'avez sans doute jamais connu de laboureur assez fou, assez ennemi de lui-même, pour priver, par spéculation ou par caprice, ses boeufs ou ses chevaux de la nourriture nécessaire, tant pour leur existence, que pour réparer les pertes qu'ils font en travaillant, et leur donner des forces nouvelles; et après les avoir fait jeûner, se repaître du plaisir extraordinaire de les frapper du matin au soir? pensez-vous, qu'avec de pareils moyens, les boeufs fussent long-temps capables de labourer? Les nègres sont-ils pour le physique bien différens des boeufs dont je viens de parler? Et si les colons des Antilles ne leur donnoient que très-peu de nourriture, et encore de mauvaise qualité, la nature outragée ne mettrait-elle pas un terme très-court à cette manière bizarre d'agir, et le moral, vivement affecté, se joignant au physique mutilé, les nègres vivroient-ils bien long-temps? Et dans la supposition qu'ils puissent résister à des châtimens réitérés, et à une diète austère, comment pourroient-ils suffire à des travaux pénibles que Raynal exagère chaque fois qu'il en trouve l'occasion?

Que tous ceux que Raynal pourroit avoir persuadés sachent que chaque nègre esclave, outre la portion de vivres que lui fournit l'habitation, qui serait plus que suffisante pour sa subsistance, possède encore un jardin particulier, où il cultive du tabac, du ris, des giraumonts, des pois de toute espèce, qu'il va vendre les dimanches au marché des blancs, dans les villes ou dans les bourgs, preuve incontestable qu'il n'en a pas besoin pour vivre. Il possède aussi des cochons qu'il engraisse; il en tue de temps en temps, en fait fondre la graisse qu'il vend aux blancs; il coupe la chair par morceaux et va la vendre dans les habitations voisines, et il en réserve pour lui, dont il fait du petit-salé. J'oserois avancer qu'il n'y a pas de nègre, lorsqu'il est laborieux, qui, de son tabac, de son riz, de ses cochons, de ses poules, ne se fasse un revenu de plus de mille francs, tous les ans.

Si l'on en croyoit Raynal, un atelier d'esclaves nègres n'offriroit aux yeux qu'un troupeau dégoûtant de squelettes mutilés, poignardés, couverts de cicatrices, sans aucune énergie, sans vigueur et sans courage. Eh bien! suivez ces mêmes nègres au jardin, lorsqu'ils sont à planter une pièce de cannes, qui est le travail le plus pénible qu'ils aient jamais à faire, vous verrez des hommes vigoureux, à poitrine large, à muscles fortement prononcés, faisant, à chaque coup de houe, trembler au loin la terre autour d'eux. Suivez-les encore, quand ils sortent de ce travail le samedi au soir; ils se rendent à leurs cases, et après avoir pris un bain de propreté, ils mangent leur calalou, leur morue, ou leur petit-salé, ou du poisson frais qu'ils ont pêché dans les heures d'intervalle de leur travail, ils boivent du taffia, font leur toilette, et vont au calenda (c'est ce que nous appelons un bal), passer la nuit à danser. Observez-les dans leurs danses, examinez la souplesse de tous leurs mouvemens, leurs différentes attitudes, la passion et la gaieté qui règnent dans leurs chants; et, si vous êtes de bonne-foi, je vous demanderai si des hommes excédés de fatigue par un travail au-dessus de leurs forces, exténués par le défaut de nourriture, macérés par les coups de fouet d'un commandeur féroce, peuvent se livrer à un exercice qui, outre qu'il exige des forces corporelles, n'annonce certainement pas un moral vivement affecté d'une condition, peut-être malheureuse sous quelques rapports et comparativement, mais, sur laquelle ils ne réfléchissent jamais, parce qu'ils sont nés dans cet ordre de choses....

«Le suicide, dit Raynal, est très commun parmi les nègres (ch. III, p. 44).»

S'il eût habité pendant plusieurs années les Antilles, il eût su que si quelques nègres se donnent la mort, ce sont particulièrement ceux de nation mina et ils ne le font que peu de jours après leur arrivée dans les colonies, et lorsqu'ils sont encore incertains du sort qu'on leur prépare; quelques-uns se persuadent que les blancs les ont achetés pour boire leur sang; d'après cela, comme ils croient à la résurrection, ils pensent, qu'en se donnant la mort, c'est un moyen de retourner dans leur pays. Ce ne sont donc pas, comme le dit Raynal, les mauvais traitemens de leurs maîtres qui les portent à cela; car on a encore un soin bien plus particulier des nègres nouvellement arrivés, que des anciens qui peuvent se pourvoir par eux-mêmes de tout ce qu'ils ont besoin. Le suicide, parmi les nègres créoles, est très-rare, et la seule cause qui les y porte, est la jalousie, passion beaucoup plus commune et plus exaltée dans les zones torrides. Eh, ne voyons-nous pas, parmi les blancs d'Europe, des exemples trop fréquens du dégoût d'un pèlerinage dans ce bas monde, dont les routes ne sont pas toujours semées de fleurs; et que seroit-ce, s'ils étoient persuadés, comme les nègres, qu'ils dussent ressusciter dans un nouveau monde, où tous leurs goûts seroient flattés, et leurs passions satisfaites.

«Les nègres, dit encore notre philantrope, se vengent des mauvais traitemens de leur maître, en empoisonnant leurs camarades, ou lui-même. Ils sont, dit-il, dès l'enfance, instruits dans l'art des empoisonnemens.»

Des causes bien différentes entr'elles portent les nègres à se servir de poison: les mauvais traitemens d'un maître barbare en sont la cause la plus rare; car l'expérience apprend aux Antilles, que plus les esclaves ont à craindre de la rigueur d'un maître sévère, et moins ils se décident à lui manquer. Cela me semble dans la nature. Tandis que les colons, qu'on nomme gâte-nègres, parce qu'ils sont faibles à leur égard, sont presque toujours la victime des bontés mal entendues qu'ils ont pour eux; les nègres font une grande différence entre le tyran auquel ils obéissent par crainte; l'homme humain, ferme et juste, auquel ils obéissent sans peine, et l'homme pusillanime et sans caractère, qu'ils méprisent, et dont ils font tourner tous les foibles à leur profit.

Je rapporterai ici une cause d'empoisonnement, que l'on croira sans doute inventée à plaisir; elle n'en est pas moins vraie. Beaucoup de nègres périssoient depuis quelque temps sur une habitation, le chirurgien et médecin (car on est l'un et l'autre dans les Antilles) avertit le propriétaire, que le poison en étoit la seule cause; on fait des perquisitions, enfin, on découvre le coupable, on s'en saisit; c'étoit le commandeur (l'on nomme commandeur, le nègre qui dirige les travaux de l'habitation, d'après les ordres qu'il reçoit du maître). Le commandeur avoue tout; on lui demande la raison d'une conduite aussi atroce; sa réponse extraordinaire fut, qu'aimant beaucoup son maître, et en recevant tous les jours de nouveaux bienfaits, il avoit appris qu'il se préparoit à partir pour la France, et qu'il avoit cherché à le rendre pauvre en empoisonnant ses nègres, pour le mettre dans l'impossibilité d'exécuter son projet. J'ai connoissance qu'un nègre domestique, fort attaché à son maître, crut lui en donner une preuve non équivoque, en empoisonnant son frère, pour lui en procurer l'héritage. En général, les empoisonnemens ne sont point aussi fréquens que veulent le persuader les négrophiles; et les nègres ne sont point, comme le dit Raynal, instruits, dès leur enfance, dans l'art des empoisonnemens. Une remarque bien essentielle qui prouve le contraire, c'est que, par l'ouverture de plusieurs individus empoisonnés, nègres ou blancs, on a découvert que le poison étoit de l'arsenic. Si les nègres, comme le prétend Raynal, étoient instruits dans la connoissance des plantes délétères, s'exposeroient-ils, ou à voler de l'arsenic dans une pharmacie qu'on auroit imprudemment laissée ouverte, ou chercheroient-ils à tenter par de l'argent, la cupidité d'un pharmacien, qui, s'il ne se trouvoit pas malhonnête, pourroit les perdre? Il est bien à désirer que le gouvernement s'oppose à l'avenir à l'introduction dangereuse de ce métal meurtrier dans nos colonies; ne vaut-il pas mieux avoir des rats de plus, que des nègres de moins: d'ailleurs, nous n'avons point dans les Antilles de manufacture qui ait besoin d'employer cette drogue malfaisante.

«Rien de plus affreux, dit notre négrophile Raynal, que la condition du noir en Amérique

Si ce n'est celle du blanc Européen, sans propriétés et sans talens, lorsqu'il est vieux, malade ou infirme. Et combien sont dans ce cas là?

«Une cabane étroite, malsaine, sans commodités lui sert de demeure.»

Dans la majeure partie des habitations, les cases des nègres sont plus grandes, plus propres, plus commodes que celles d'un tiers des habitans de l'Europe; n'est-il pas du plus grand intérêt de mettre à l'abri des intempéries de l'air, des individus que la cupidité des négocians européens nous fait acheter au poids de l'or. La paille qui couvre les cases des nègres, les met dans l'été à l'abri des fortes chaleurs, bien mieux que ne feroient des tuiles qui, une fois pénétrées par le calorique, le conservent long-temps, même jusque pendant la nuit; elle fait aussi une couverture bien plus impénétrable aux grosses pluies d'orage, dont souvent on n'est pas garanti par les tuiles ou les ardoises; la paille résiste aussi bien mieux à l'impétuosité du vent, qui, une fois qu'il a soulevé quelques tuiles, les a bien vite enlevées toutes. Enfin, la paille offre tant d'avantages que presque tous les anciens colons, préférant la salubrité et la commodité au luxe, avoient encore, à l'époque de la révolution, la case particulière, où ils couchoient, couverte en paille. Les feuilles de latanier remplissent parfaitement cet objet, et on ne manque pas de leur donner la préférence, lorsqu'on est à même de s'en procurer.

«Les lits des nègres, dit Raynal, sont des claies plus propres à briser le corps qu'à le reposer.»

De quoi est donc composé le fond des lits des blancs malheureux en Europe? n'est-il pas aussi de bois? combien j'en ai vu qui n'étoient autre chose que des sarmens de vigne. Vous êtes vous occupé, philantrope Raynal, de leur procurer une couche plus molle? Nos nègres se servent de nattes épaisses qui les empêchent de ressentir le bois, et tous ceux qui ne sont pas insoucians pour leurs aises, ont des paillasses de paille de maïs, même des couvertures; et ils ont de moins, que vos blancs malheureux, à se garantir de la rigueur des hivers.

«Quelques plats de bois, quelques pots de terre forment l'ameublement des nègres.»

Quand cela seroit vrai, les paysans, les journaliers de France, enfin, les blancs sans propriétés, mangent-ils dans de la porcelaine? J'ai vu chez eux aussi des écuelles de bois, et leurs pots à soupe, quand ils en ont, sont de terre. Mais je soutiendrai que les plats de bois des nègres sont plus souvent remplis; jamais un nègre ne se contente, même pour déjeûner, des patates délicieuses qui lui servent de pain, que je mets pour la salubrité et le goût, beaucoup au-dessus du mauvais pain noir des paysans et journaliers; il lui faut en outre, ou du calalou dans son écuelle de bois, ou de la morue, ou autre poisson, soit frais, soit salé, tandis que votre journalier, votre paysan, mange le plus souvent son pain sec à déjeûner. Eh! quel pain? Quant à leurs meubles, tous les nègres aisés (et il ne dépend que d'eux de l'être tous) ont des coffres de bois d'acajou, bien mieux garnis que ceux des pauvres paysans européens sans propriété. Ils ont des chaises, de la faïence, une chaudière de fer, qui est le premier meuble qu'on leur donne.

«La toile grossière qui cache une partie de leur nudité, ne les garantit ni des chaleurs insupportables du jour, ni des fraîcheurs dangereuses de la nuit (tom. III, pag. 177).»

Les lois du Code noir obligent l'habitant d'habiller deux fois par an ses nègres. On donne à tous les nègres nouveaux, arrivant d'Afrique (où ils vont tous nus), un pantalon de grosse toile, une chemise assez longue pour lui couvrir tout le corps, et par dessus une espèce de surtout qu'on nomme vareuse, fait de zinga. Et s'il est destiné à aller dans les montagnes, où il fait froid, à la place de la vareuse de zinga, on lui donne une casaque de laine, et une couverture également de laine; il a donc, quoi qu'en dise Raynal, de quoi couvrir sa nudité toute entière, et de quoi se garantir, ou des ardeurs du soleil, ou des fraîcheurs de la nuit. Mais comme la pudeur, quoi qu'en dise l'évêque Grégoire, est une vertu, en général, inconnue parmi les nègres d'Afrique, ceux qui travaillent dans les plaines se débarrassent le plus souvent de vêtemens qui les gênent, et auxquels ils ne sont pas habitués. Un Européen qui les verroit dans ce moment, croiroit que c'est faute de vêtemens, qu'ils sont ainsi nus; ce qu'il y a encore de certain, c'est que les nègres que l'on achette d'Afrique, mettent si peu d'importance aux vêtemens qu'on leur donne, que beaucoup d'entr'eux les vendent aussitôt qu'on les leur a donnés. Quant aux nègres créoles, j'oserois avancer que Raynal et la majeure partie des négrophiles, qui s'apitoyent sur le sort des nègres et sur leur nudité, n'ont jamais porté de chemise d'une toile plus belle et d'un prix aussi élevé que celles que ces mêmes nègres ou négresses portent les jours de fête lorsqu'elles vont au calanda (c'est-à-dire au bal), beaucoup d'entr'elles ont des chemises dont la toile a coûté dix-huit à vingt francs l'aune; des mouchoirs de madras à leur tête, de cinquante à soixante-six livres, des bracelets de grenat, des jupes de toile des Indes, d'un grand prix. Il n'est pas rare de voir ces mêmes négresses venir travailler le lendemain au jardin avec cette toilette, parce qu'étant sorties du calenda, trop tard, elles n'ont pas eu le temps de se déshabiller. Que de choses pourroient envier bon nombre d'Européens, à ce peuple noir, dont on plaint tant le sort, qu'on ne connoît pas!

«L'Europe retentit depuis un siècle, des plus saines, des plus sublimes maximes de la morale: la fraternité de tous les hommes est établie de la manière la plus touchante, dans d'immortels écrits (t. III, p. 177).»

Cela est vrai, mais malheureusement cette morale sublime n'existe que dans vos livres; la preuve en est trop récente pour qu'il soit besoin de la citer.

«Ce ne sont pas les nègres qui refusent de se multiplier dans les chaînes de l'esclavage, c'est la cruauté de leurs maîtres qui a su rendre inutile le voeu de la nature; ils exigent des négresses, des travaux si durs, avant et après leur grossesse, que leur fruit ou n'arrive pas à terme, ou survit peu à l'accouchement (t. III, p. 183.).»

Une calomnie de plus ne coûte rien à cet auteur trop célèbre; si, au lieu de s'en rapporter à des mémoires faux ou exagérés, Raynal eût fait un voyage aux Antilles, il auroit vu que les négresses enceintes étoient ménagées, qu'on ne leur donnoit jamais à faire des travaux qui fussent dans le cas de nuire à leur fruit; et en sortoient une heure plutôt, ainsi que celles qui étoient déjà accouchées depuis peu de temps, et qui même, ne revenoient au travail que deux mois après leur accouchement: et pour les encourager à avoir soin de leurs enfans (qui faisoient la richesse du colon par la suite), on donnoit à chaque négresse, soixante-six francs, lorsque son enfant avoit passé dix jours, époque critique pendant laquelle il périt une partie des enfans nègres nouvellement nés, d'une maladie que l'on nomme mal de mâchoire, ou tétanos; c'est une espèce de spasme: outre cela, quand une négresse avoit six enfans vivans, on lui donnoit sa liberté sur l'habitation, (ce qu'on appeloit liberté de savane), et une exemption de tous autres travaux, que le soin et la conduite de ses enfans. Dans beaucoup d'anciens ateliers, les naissances égalant les mortalités, on n'avoit pas besoin d'acheter des nègres d'Afrique.

«L'Amérique est peuplée de colons atroces, qui, usurpant insolemment le droit des souverains, font expirer par le fer ou par la flamme les infortunées victimes de l'avarice (t. III, p. 196).»

Voilà donc un peuple entier transformé en autant de bourreaux! Ne semble-t-il pas qu'il y ait, sur chaque habitation, des échafauds toujours dressés, des bûchers toujours prêts à recevoir et à dévorer des victimes innocentes? Le maître seul est coupable! Calomniateur exalté! Que doit-on penser de celui qui toujours suppose le crime? La loi défend aux colons de faire justice capitale sur leurs habitations; mais cette même loi a cru devoir tolérer dans sa sagesse (ce qui paroît un abus à Raynal) que le châtiment fût infligé quelquefois, sur le lieu même du délit; afin de retenir les autres nègres par un exemple plus frappant. Quel est le magistrat du pays qui ne sache par expérience qu'il n'existe point de colon assez dénaturé pour faire périr un esclave pour un crime imaginaire.

Quiconque, noir ou blanc, libre ou esclave, a tué ou empoisonné, ne mérite-t-il pas la mort? Que le coupable la subisse sur l'habitation où il a commis le crime, ou sur une place publique dans une ville, qu'importe? Voilà les seuls crimes pour lesquels on fasse subir la peine de mort, et ce crime, quoi qu'en dise Raynal, est très-rare. J'ai habité les colonies pendant 17 ans, je n'ai eu connoissance que de deux exemples de nègres empoisonneurs qui ont été exécutés sur des habitations. Il n'est pas étonnant que celui qui met le poignard dans les mains des esclaves, qui leur prêche la révolte contre leurs maîtres, et qui leur conseille de chercher dans leur sein pour y percer leur coeur; il n'est pas, dis-je, étonnant, qu'il présume cet attentat très-fréquent. Comment Raynal ne légitimoit-il pas la révolte de l'esclave contre son maître, lorsqu'il dit aux colons, «implorez l'assistance de la métropole à laquelle vous êtes soumis, et si vous en éprouvez un refus, rompez avec elle, c'est trop d'avoir à supporter à la fois, et la misère et l'indifférence (tom. III, pag. 438.).»

Oh! philosophe dangereux! il y avoit dans le temps que vous avez écrit, une bastille, et vous étiez libre!

«Pourquoi les esclaves, plus heureux (disent les colons) dans les Antilles que dans leur patrie, soupirent-ils pour y retourner (tom. III, pag. 199)?»

Argument spécieux, qui tombe par le fait. Sur cent nègres, arrivant d'Afrique à S. Domingue, il n'est pas douteux, que, tant qu'ils seront dans l'incertitude du sort qui les attend, ils désireront tous de retourner dans leur pays; consultez ces mêmes nègres deux ans après, il n'y en aura pas un qui veuille échanger l'esclavage de S. Domingue, pour sa condition passée en Afrique, à moins qu'il n'eût pour maître des négrophiles détrompés, qui passent toujours (quand leur intérêt le demande), d'un sentiment qui tient autant de la foiblesse que de la pitié, nous ne disons pas la sévérité, mais à la cruauté et à l'injustice envers les esclaves. La preuve de ce que j'avance deviendra bien évidente, lorsque l'on saura que les colons, mécontens d'un esclave, le menaçoient de le renvoyer dans son pays.

«Il ne seroit pas même peut-être impossible d'obtenir les productions coloniales, par des mains libres (Raynal, t. III, p. 201).»

Raynal entend-il parler des blancs européens transportés dans les colonies, ou des nègres affranchis? Une malheureuse expérience nous a appris que les deux tiers au moins des Européens étoient moissonnés par le climat brûlant des Antilles, dans la première années qu'ils y arrivoient, lorsqu'ils étoient forcés de s'adonner à des travaux qui exigeoient qu'ils s'exposassent aux ardeurs du soleil; et plus ils sont robustes, et moins ils résistent. Je demanderois à M. Raynal s'il existoit, ce que sont devenus tous les blancs que l'on a fait passer à Cayenne? que sont devenus tous les Acadiens et les Allemands que l'on a fait passer à S. Domingue? Sur plusieurs milliers, il reste à peine quelques familles à Bombarde, près du Môle, qui fournissent la preuve la plus convaincante que les blancs ne peuvent s'adonner aux grandes cultures dans les Antilles. Les plantations des Acadiens et Allemands se bornent à quelques pieds de café, quelques ceps de vigne, quelques figuiers, quelques légumes qu'ils vont vendre dans les marchés du Môle. Ils peuvent, à la vérité, avoir une existence assez douce par ces petits moyens, mais ils sont condamnés à une éternelle médiocrité; s'ils vouloient augmenter leurs cultures, il leur faudroit louer des blancs, pour lors les frais surpasseroient de beaucoup les revenus; ils donneroient alors la solution du problème (ne pourroit-on pas obtenir les productions coloniales, par des mains libres?).

Peut-être Raynal entendoit-il, par mains libres, les nègres affranchis? Le problème est encore résolu par l'expérience. Les nègres, depuis leur affranchissement, depuis même qu'ils sont momentanément maîtres de S. Domingue, et qu'ils travaillent pour eux-mêmes, ne font pas le quart des revenus qu'ils faisoient lorsqu'ils étoient esclaves; et ils cesseroient totalement de travailler à la culture des denrées de commerce, si les deux chefs, qui se disputent aujourd'hui l'empire de ce pays infortuné, ne les forçoient à quelque culture, pour pouvoir faire des échanges avec les Américains, qui leur fournissent des armes et des munitions de guerre.

«Craindroit-on, qu'en donnant la liberté aux nègres, la facilité de subsister, sans agir sur un sol naturellement fertile, de se «passer de vêtemens, sous un ciel brûlant, plongeât les hommes dans l'oisiveté?»

Oui, sans doute, on doit le craindre, et l'expérience l'a démontré. Quoi! les mêmes nègres qui n'étoient, dans l'Afrique, leur pays, qu'un peuple vagabond, guerrier par occasion, vivant de chasse et de pêche, et des fruits que la nature leur offre partout, changera tout-à-coup ses habitudes, son caractère, et formera un peuple agricole et commerçant, qui obéira aux besoins factices, fils naturels d'un luxe qu'il n'a jamais connu? Raynal peut-il comparer ces Africains, aux habitans de l'Europe, qui dit-il, ne se bornent pas aux travaux de première nécessité; mais existe-t-il des travaux de seconde nécessité, pour celui qui n'en connoît pas même de première? Est-ce bien Raynal, homme de génie, qui établit cette comparaison, et met sur la même ligne un peuple sauvage, qui habite la zone torride, et un peuple civilisé, dans une zone froide ou tempérée? Que deviendroit l'Européen, s'il cessoit de déchirer péniblement le sein de la terre pour en retirer sa nourriture, et ses vêtemens? où trouveroit-il, pendant quatre ou cinq mois, que cette même terre est gelée ou couverte de neige, de quoi alimenter une famille d'autant plus malheureuse, que le besoin de manger n'est pas le seul tourment dont elle est affectée? Le froid, ce mal-être insuportable, inconnu à l'Africain, ne force-t-il pas l'Européen, à élever des troupeaux, qui lui fourniront de la laine, que la nécessité, seule mère de l'industrie, lui a appris à ourdir pour s'en faire des vêtemens? Qui pourra contraindre l'Africain? La chaleur dévorante de son climat le porte le plus souvent à rejeter de dessus lui de minces vêtemens qui lui deviennent à charge. Peut-il souffrir de la faim dans un pays où la nature, en portant l'homme à l'indolence, lui prodigue ses dons sans qu'il ait presque besoin de les demander; quelques bananiers, qui rapportent en toute saison, et pour ainsi dire sans culture; quelques cocotiers, qui, une fois semés, n'exigent aucun soins; quelques plans de manioc; du riz et du maïs dont les récoltes ne manquent presque jamais, et exigent peu de travail; la chasse, la pêche très-abondante. Tout cela ne suffit il pas à un peuple qui ne connût que les besoins naturel? Enfin, je vous demanderai pourquoi, ce peuple africain, auquel vous prenez tant d'intérêt, ne fait-il pas dans son pays, ce que vous avez prétendu qu'il feroit dans les Antilles, après son affranchissement? Avant que les Portugais, les Anglois, les François fussent allés en Afrique acheter des esclaves, quelles étoient les moeurs des nègres? leur lois, leur commerce, leur industrie, leur agriculture; enfin, qu'étoit leur pays? ce qu'est S. Domingue, depuis qu'ils en sont maîtres.

«N'est-il pas avilissant pour l'humanité, de se servir pour punir des hommes, du même fouet dont on se sert pour les bêtes de somme?»

Lorsque des circonstances rassemblent dans un même lieu, un grand nombre d'hommes incivilisés, qui ne doivent et ne peuvent connoître les obligations sociales et morales, ne faut-il pas employer des moyens pour que le plus foible ne devienne pas la victime du plus fort, que le plus borné ne soit pas dépouillé par le plus rusé? Quels moyens employez-vous, philantropes européens, pour réprimer le crime dans vos sociétés civilisées? Que votre cheval, que votre boeuf, votre mouton vous soient ravis; que votre domestique, abusant de la confiance que vous avez mise en lui, vous dérobe un couvert d'argent, une pièce de monnoie d'une médiocre valeur; s'il dépend de vous de connoître et de vous emparer du coupable, que faites-vous? vous le livrer sans pitié à la justice, et vous êtes forcés de le faire, pour le maintien de l'ordre social: Qu'arrive-t-il à ce malheureux? Dans le temps que Raynal écrivoit, il étoit condamné à mort: les lois d'aujourd'hui, moins sévères, le condamnent à être marqué sur l'épaule, d'un caractère ineffaçable d'infamie pire que la mort; à être fouetté en public, et à passer plusieurs années, quelquefois le reste de sa vie dans les fers, supplice d'autant plus affreux qu'il est infligé dans un pays ou l'opinion publique est comptée pour beaucoup. Dans ces mêmes cas, quand des nègres ont volé à leur maître, un boeuf, un mouton; un cochon, des poules, de l'argent même, à leurs camarades, que leur arrive-t-il? on leur donne le fouet. De quel côté est la rigueur, la barbarie? le fouet du commandeur nègre est-il plus avilissant que le fer et les verges du bourreau blanc? et celui qui ne se croit pas déshonoré en volant son maître et ses camarades, se croira-t-il avili par quelques coups de fouet? Mais, me direz-vous, ce n'est pas toujours pour des vols que les nègres reçoivent des coups de fouet. J'en conviens; mais, dans un climat où l'homme est naturellement porté à l'indolence, à la paresse, il faut bien, lorsque la raison ne peut se faire entendre, que la crainte du châtiment soit un stimulant; et, ne vaut-il pas mieux se servir du fouet que de la prison qui priveroit de leur travail, et où ils ne demanderoient pas mieux que de rester, pour s'y soustraire. Que Raynal ne vienne pas me demander de quel droit un homme en peut forcer un autre au travail: je vais copier, mot pour mot, ce qu'il dit à cet égard pour les Européens:

«Les pays prétendus policés du globe sont couverts d'hommes paresseux, qui trouvent plus doux de tendre la main dans les rues, que de se servir de leurs bras dans les ateliers; certes, notre dessein n'est pas d'endurcir les coeurs, mais, nous prononcerons, sans balancer, que ces misérables sont autant de voleurs du vrai pauvre, et que celui qui leur donne des secours se rend leur complice. La connoissance de leur hypocrisie, leurs vices, de leurs débauches, de leurs nocturnes saturnales, affoiblit la commisération qui est due à l'indigence réelle. On souffre, sans doute, à priver un citoyen de sa liberté, la seule chose qu'il possède, et d'ajouter la prison à sa misère; cependant celui qui préfère la condition abjecte de mendiant à un asile où il trouverait le vêtement et la nourriture à côté du travail, est un vicieux qu'il faut y conduire par la force.»

(Raynal vient de faire, sans le vouloir, le tableau le plus ressemblant possible du peuple nègre, et il met, sans s'en douter, le remède à côté du mal, à quelques modifications près.) Voilà donc l'apôtre de la liberté pour les nègres, qui, s'érigeant en souverain, prononce l'esclavage, du blanc européen, qu'il prétend que l'on force au travail ou que l'on traîne en prison, lorsque, trop faible ou trop paresseux, il tâche de gagner sa vie d'une manière plus douce, en cherchant à exciter la commisération publique. D'après notre philosophe négrophile, les nègres seront moins vicieux que les blancs, ils se porteront d'eux-mêmes à travailler sans y être contraints, les vices qu'il attribue à l'Européen leur seront étrangers, point d'hypocrisie, point de débauches, point de nocturnes saturnales. Ah! Raynal! que n'avez-vous passé quelques années parmi ces frères si parfaits, vous eussiez vu par vous-même, qu'en fait de vices, d'hypocrisie, de débauches, de nocturnes saturnales, les Européens que vous citez, quelque vicieux que vous les supposiez; peuvent venir prendre des leçons, et se perfectionner dans ce genre, parmi les nègres, vos protégés. Le nègre Toussaint, homme extraordinaire dans sa caste, doué d'une profonde politique, et d'une grande connoissance du caractère de ses semblables, a bien senti, que s'ils ne les contraignoit au travail, par la voie de la rigueur, ils se livreroient à tous leur vices, surtout à la paresse, qu'il s'ensuivroit une anarchie affreuse, et une famine qui les détruiroient tous; aussi fit-il des lois très-sévères sur le travail; et ceux qui s'y refusoient étaient passés par les verges, supplice bien pire que le fouet; car ces verges étoient d'acacia, garnies d'épines longues et poignantes, dont les blessures, dans un pays chaud, sont presque toujours suivies d'un spasme mortel. Le féroce Dessalines, qui pour lors étoit inspecteur général des cultures, a fait, de ma connoissance, fusiller plusieurs commandeurs, pour n'être pas assez sévères envers les nègres, et pour n'avoir pas fait mettre en culture autant de terre, que le nombre des nègres travailleurs le comportoit. Pourtant ces mêmes nègres avoient le quart dans les revenus qu'ils pouvoient faire. Ceux qui ne connoissent pas le caractère du nègre, doivent naturellement penser, que cette portion de revenu qui, dans les sucreries, est conséquente, auroit dû être un stimulant puissant pour les porter à travailler davantage. Je l'aurois certainement cru moi-même, si je n'eusse été pendant plusieurs années témoin, que depuis l'époque où ils ont commencé à avoir une part dans les revenus, ils en ont fait les deux tiers de moins. D'après cette connoissance fondée sur l'expérience, j'oserois avancer que, si au lieu du quart des revenus, on eût dit aux nègres: vos maîtres sont dépossédés, vous êtes les propriétaires des habitations, tous les produits vous appartiendront désormais; redoublez donc d'activité, afin d'en augmenter la somme, et qu'on les eût livrés à eux-mêmes: j'oserois avancer, avec une certitude morale, qu'au bout de six mois, la culture des revenus en sucre, café, coton et indigo, seroit totalement abandonnée, que chaque nègre (si toutefois il eût resté sur l'habitation de son ancien maître) se serait borné à choisir un petit coin de terre, où il sémeroit du riz, un peu de tabac, quelques pieds de maïs, du manioc, planteroit quelques touffes de bananiers; que ce jardin, d'une très petite étendue, seroit infecté de mauvaises herbes qu'il ne prendroit pas la peine de sarcler.

Bientôt la guerre s'allumeroit entr'eux, ils se disputeroient l'empire, ils se batteroient pour une femme, pour le coin de terre qu'ils auroient choisi (cela n'est-il pas arrivé comme je l'avois prévu?). Voilà le nègre livré à lui-même; voilà l'homme de la nature dans les pays chauds; quelques racines; quelques fruits sauvages; la chasse, la pêche; le nourrissent sans beaucoup de peine; le climat ni la pudeur ne le forcent point à se vêtir; il se contente d'une simple natte de jonc, ou de quelques feuilles de bananier desséchées, qu'il étend sur la terre pour y jouir d'un sommeil que l'ambition ne troubla jamais; c'est dans cet état que le nègre fait consister la liberté et le bonheur.

Nous avons sous les yeux, à S. Domingue, un exemple de ce qu'est l'homme, même blanc, lorsqu'il n'est pas stimulé par des besoins renaissans et factices. La partie espagnole, qui vient d'être cédée à la France, est occupée par soixante ou quatre-vingt mille habitans, tant Européens que créoles, sans compter les nègres esclaves ou libres. Que font-ils? Ils passent les journées entières, pendant toute leur vie, à se balancer dans un hamac, à y dormir, à y fumer du tabac. Leurs lits sont des cuirs de boeufs qui n'ont d'autre préparation que d'être desséchés au soleil. Ceux qui ont le plus d'énergie, vont quelquefois dans les bois, avec une meute de chiens, pour y chasser des cochons marrons, dont ils font dessécher la chair au soleil, parce que toute autre préparation entraîneroit trop de soins. Ils ne connoissent point l'usage du pain ni du vin; et pourtant ces hommes si indolens possèdent une étendue immense d'une terre vierge, dont le sein ne demanderait qu'à être légèrement caressé, pour être d'une fécondité sans exemple.

Je reviens à Raynal. «Il existe donc, (selon lui), sur la terre, une race d'hommes (si, l'on peut la qualifier ainsi) qui fait consister son bonheur à tourmenter continuellement, à poignarder, à brûler des êtres déjà malheureux par leur condition, qui sacrifie même son intérêt particulier à ce plaisir barbare, et qui pire que les tigres, qui au moins épargnent leurs victimes, lorsque leur faim est assouvie, ne laisse pas un instant de relâche aux victimes de sa férocité: et cette race est celle des colons des Antilles.»

Quel est l'homme sensible qui ne reculera pas d'horreur à l'aspect d'un pareille tableau? Il n'est pourtant pas achevé, Valmont de Bomare va y donner le dernier coup de pinceau.

«Quelquefois, dit-il, des maîtres impitoyables et barbares, en visitant leurs hôpitaux, se font un jeu atroce de poignarder, parmi leurs nègres, les malades mutilés ou trop vieux, pour éviter les frais de leur traitement, ou de leur nourriture (Dict. d'hist. nat., édit. in-4º, tom. V, pag. 267).»

La plume tombe de mes mains, et je ne sais si je dois répondre à une pareille calomnie? Valmont de Bomare, dit lui-même, qu'on se refuse à croire un pareil calcul d'intérêt; mais se croit-il innocent, d'avoir promulgué dans ses écrits une pareille atrocité, sans pouvoir en donner des preuves; comment n'a-t-il pas prévu les conséquences funestes d'une pareille inculpation?

Quel charmant pays à habiter que celui qui renferme des colons tels que les peignent Raynal, Valmont de Bomare et l'évêque Grégoire. Ah! Messieurs les philosophes, si au lieu d'avoir écrit dans vos cabinets, d'après des mémoires ou faux, ou exagérés, vous eussiez voyagé dans les Antilles, vous sauriez que la majeure partie de ces colons tant décriés, tant calomniés, étoient plutôt les pères de leurs nègres, que leurs maîtres! vous eussiez trouvé chez eux une noble et généreuse hospitalité, dont on ne connoît point d'exemple en Europe. Ce n'étoit qu'aux Antilles, où l'on trouvoit des hommes, qui venoient au devant des Européens sans fortune, leur offrir et leur procurer les moyens d'en commencer une, leur concéder la jouissance d'un morceau de terre, leur avancer de l'argent, ou les cautionner pour l'achat de quelques nègres, pour commencer leurs cultures. Combien citeroit-on d'exemples semblables en Europe?

On reprochoit aux colons, de la hauteur; un ton impérieux qu'on a raison de ne pas aimer dans la société; mais, qui n'a pas ses défauts? Le plus parfait, est celui qui en a le moins; heureux ceux qui les rachètent par quelques bonnes qualités; les anges même ont-ils pu se défendre de ce péché mignon, qu'on nomme orgueil? Si quelque motif peut, sinon le légitimer, au moins l'excuser dans les colons, ne seroit-ce pas la position où ils se trouvoient? Peut-on se défendre d'un peu d'amour-propre, lorsqu'en commandant à plusieurs centaines d'esclaves, on peut se dire à soi-même, j'adoucis, autant qu'il est en moi, le sort des sujets que l'ordre social a mis sous mon pouvoir, et je les traite comme des amis malheureux.

J'avoue ingénûment, pour justifier jusqu'à un certain point, l'animadversion de quelques François contre les colons des Antilles, que d'après la lecture de l'Histoire philosophique de Raynal, à l'article qui concerne l'esclavage des nègres, et la conduite supposée des colons à leur égard; d'après les écrits de Valmont de Bomare, des Grégoire et autres philosophes négrophiles; si je n'eusse pas passé dix-sept ans dans les colonies, j'aurois cru voir dans chaque colon blanc des Antilles, le bourreau d'un nègre.

Combien donc doivent être circonspects les historiens qui n'ont pas vu par eux-mêmes, et qui écrivent d'après des mémoires fournis ou par des personnes prévenues, ou qui ayant resté peu de temps dans les Antilles, auront pu être témoins de quelque châtiment, où elles ont cru ne voir que le caprice du maître contre son esclave: je leur accorde même que cela fût? Doit-on conclure, d'après un exemple, du caractère et de la conduite de tous les colons? Si quelques habitans faisoient infliger des châtimens trop rigoureux en raison du délit, la faute en étoit aux magistrats, qui dévoient sévir contre le colon qui ne se conformoit pas aux sages ordonnances du Code noir. J'ai eu connoissance qu'un colon trop sévère, peut-être injuste et cruel envers ses nègres, avoit eu ordre de quitter la colonie, et avoit été déclaré incapable de régir son habitation. Que l'on fasse exécuter ponctuellement les lois du Code noir, et tout ira bien, et pour les intérêts de l'humanité, et pour ceux des colons.

En cherchant à réfuter les calomnies des Raynal, des Valmont et des Grégoire, à Dieu ne plaise que je veuille m'ériger en apôtre de l'esclavage. Je voudrois la race humaine, noire, blanche, jaune ou rouge, assez raisonnable pour vivre en société, en en remplissant par devoir, par instinct ou par raisonnement, toutes les obligations morales, sans qu'il fût besoin de lois contre l'injustice, de punitions contre le crime; mais ne fais-je pas une supposition purement gratuite? Né avec une ame sensible, je me suis attristé plus d'une fois sur la condition malheureuse des hommes de toutes les couleurs, de tous les pays, qui sont tous plus ou moins voués, les uns à l'esclavage physique, qui eut pour origine la loi du plus fort; et les autres, à l'esclavage moral, qui commença avec la civilisation.

Quel est celui qui, réunissant le plus de connoissances dans l'histoire de ce bas monde, pourra citer une époque, un pays, où l'homme incivilisé, foible ou ignorant, n'a pas toujours été, soit dans les zones torrides, soit dans les tempérées ou glaciales, l'esclave du plus fort ou du plus rusé; qu'il cite une contrée où l'homme civilisé, vivant en société, et voulant jouir de tous les avantages attachés à cet ordre, qui en apparence est le plus parfait, puisse dire je suis libre. Quiconque reconnoit un chef suprême, se soumet à toutes les lois qui émanent de cette puissance; il cesse donc d'avoir une volonté, il renonce à lui-même, puisqu'il doit le sacrifice de son sang, lorsqu'il s'agit de l'intérêt de ce chef, ou de celui du corps social dont il est membre. Où est donc sa liberté? L'état de domesticité n'est-il pas un esclavage temporaire; changer de maître, est-ce ne plus en avoir? L'esclavage, soit moral, soit naturel, a donc toujours existé; et ce qui a toujours existé, ne doit-il pas être regardé comme étant dans l'ordre naturel. Cette vérité est affligeante, j'en conviens. Constantin rendit une loi par laquelle tous les esclaves qui se feroient chrétiens, acquerroient par là leur liberté. Cette loi, dictée par l'imprudence et le fanatisme, doit pour jamais servir d'exemple, qu'une grande innovation est toujours un grand danger, et que les droits primitifs de l'espèce humaine (droits bien imaginaires, et qui ont fait couler bien du sang) ne peuvent et ne doivent pas toujours être les fondements de l'administration. Cette loi de Constantin ébranla l'état, en ôtant aux grands propriétaires les bras qui faisoient valoir leurs domaines, et qui par là se trouvoient réduits à la plus affreuse indigence. Quelle similitude avec l'affranchissement subit des nègres de St Domingue? Cette loi irréfléchie, plutôt fille de l'exaltation et de la jalousie, que de la philanthropie, n'a-t-elle pas entraîné les plus grands malheurs? En ruinant les colons de S. Domingue, n'a-t-elle pas anéanti le commerce de France? tari les sources de la fortune, pour un tiers des Européens malheureux?

Qu'on ne se persuade pas que la perte de nos fortunes nous fasse tenir un pareil langage. Si, comme l'évêque Grégoire paroit le croire, et comme il a voulu le persuader au public, les nègres esclaves avoient été des hommes comme les autres, c'est-à-dire, parvenus au degré de civilisation nécessaire pour apprécier et jouir du bienfait de la liberté, n'eussions-nous pas trouvé dans ce nouvel ordre de choses, une somme de bonheur plus grande, sans diminuer celle de notre fortune; car nous eussions gagné d'un côté ce que nous perdions de l'autre: plus d'achats de nègres à faire, plus de mortalités ruineuses à craindre, et s'il nous eût fallu débourser de l'argent pour le salaire des cultivateurs, nous n'eussions eu à payer que ceux qui auroient travaillé; et si cette méthode eût été plus dispendieuse que l'ancienne, nous eussions augmenté d'autant le prix des denrées coloniales; car il faut nécessairement qu'il s'établisse une balance entre le prix de la denrée et celui de la faisance valoir, sans cela plus de culture. Nous n'avions donc qu'à gagner par l'affranchissement des nègres, s'il eût été possible. Mais que deviendroient les vieillards, les infirmes, les enfans? La loi, pour les colons des Antilles, sera-t-elle différente que celle qui existe en France, pour les ouvriers qui sont dans ce cas là? Les négrophiles avoient-ils d'avance fait bâtir des hospices pour les recevoir? y avoient-ils attaché des revenus?

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